L | VOYAGE AUTOUR F1 pm 0 ie" ra Ep ON À GC AUTOUR DU MONDE. PAR LA FRÉGATE DU ROI LA BOUDEUSE, EE L'ÉRÉPTÉE L'ÉTOILE: EN 1766, 1767, 1768 & 1769. és 7 L\ RH) a, UT SS SN JS ER + "a é, SES ER \< 4 “ths0n;a 24 x ie AE À À À De lImprimerie de LE BRETON, premier Imprimeur ordinaire du ROI. MA DICAICOL EC NC'T. AVEC APPROBATION ET PRIVILEGE DU RO. 22 D RES es Co he, f LE Voyage dont je vais rendre compte, ef? Le premier de certe efpece entrepris par les Francois & exécuté par les Vaiffeaux de VoTRE MAJESTÉ. Le monde entier lui devoit dejà la connoiffance de la figure de la terre. Ceux de vos Sujers à qui certe É-P'TT-RSE importante découverte étoit confiée, choifis entre: les plus clluftres Savans Francois, avoient déter- mené les dimenfions du globe. L'Amérique, il eflvrai, découverte & conguife, la route par mer frayée aux [ndes 6 aux Moluques, Jont des prodiges de courage & de fuccès qui ap- partiennent fans conreflation aux Efpagnols & aux Portugais. L'intrépide Magellan, fous les aufpices d'un Roz qui fe connoiffoit en hommes , échappa au malheur fe ordenatre à fes pareils , de palfer pour un vifionnatre;ilouvrit labarriere, fran- chit les pas difficiles 6 , maloré le fort qui le priva du plaifir de ramener fon vaiffeau à Séville d'ou 11 étoit parts, rien ne put lui dérober la glorre d'a- vor le premier fait le tour du globe. Encouragés par fon exemple, des Navigateurs Anglois 6 Hot. landois trouverent de nouvelles terres 6 enrichirene l'Europe en l'éclarrant. Mais certe efpece de primauté & d’aineffe en matzere de découvertes , n'empêche pas les Navisa- reurs François de revendiquer avec juflice une par- te de la gloire attachée à ces brillantes, mais pe: BP DE. nibles entreprifes. Plufieurs régions de L “Amérique ont éré trouvées par des S uyets courageuxides Rois vos Ancétres ; & Gonneville, né a Dieppe, à le premier abordé aux terres auftrales. Différentes caufès tant intérieures qu'extérieures ont paru de- puis fufpendre à cet égard le gout € l'aéliviré de la nation. VOTRE MAJESTÉ a voulu profiter du loi- fr de la paix pour procurer à la Géographie des connoiffances utiles à l'humanité. Sous vos auf pices, STRE , nous fommes entrés dans La car- riere ; des épreuves de tout genre nous attendoent à chaque pas , la pattence & le zele ne nous ont pas manqué. C'eft l'Hifloire de nos efforts que j’ofe préfenter à VoTrE MAJESTÉ ; votre approba- con en fera le fucces. Je fuis avec le plus profond refpett À DE VOTRE MAJESTÉ, SRE, Le très-humble & très-foumis ferviteur & fujet , DE BOUGAINVILLE. Le, VAS QE 4 Race Le. Ci ee DEEE koi Naf (atigo an) ARS AS — ANG , D Ê oh ? 18 ENS îà ho sgh 46 La 4 ou . OISE Aron Ï 85 Bad re À fu: He Nu ONE ATEN SANT SE À Ja AE LS TN ES ISBN QD STE Es ‘11 è — »- à : re à F4 7x ‘a : n A JU suc APR, DIS OIEAT ASS PER ANSE ER La + PA A a NC RRL CUNRIN SG CA SAMAU LE BMQIE Le As! 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SAGESSE À PME RCE POP ER SY A | C 4 ‘ « A ont # = ; : à 7 1 à exo} Re À DÉTELOPEMENT DE 11 ROUTE DES VAISSEAUX’ DU RoY ZA BOUDEUSE ET L'ÉTOILE AUTOUR DU MONDE AMERIQUE SEP TENTRIONALE 8°, 1 QT +) Anglet EF PARTIE Ar ÎNE EQUINOCTIALE Lite Chrome LS Helns À PL de la Trinis eZ Chrécul ; À (3 l'Enfant, A AMERIQUE MERIDIONALE 7 À D AFRIQUE fe à Ze Tracé ss dAygna ATLANTIQUE TroriQuE pu Zerre de Dimen MER fonenes ATLANTIQUE me + 40 K Q CE TE ANTON HOOOMMONNNE AOONNNNNN HNNNN Zls Al N7/4 e è É #4 1 n LE me em CE HE M “gs Er D % VAR ADR ADRADD AAA. DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Ja penfé quil feroit à-propos de préfenter a la tête de ce récit, l’énumération de tous les voyages exécutés autour du Monde, & des différentes découvertes faites jufqu’à ce jour dans la mer du Sud ou Pacifique. Ce fut en 1519 que Ferdinand Magellan , Portugais, commandant cinq vaifleaux Efpa- gnols , partit de Séville, trouva le détroit qui porte fon nom, par lequel 1l entra dans la mer Pacifique, où 1l découvrit deux petites iles de- fertes dans le Sud de la ligne, enfuite les {es Larrones, & enfin les Philippines. Son vaifleau, nommé /a Wiclorre , revenu en Efpagne , feul des cinq, par le cap de Bonne Efpérance, fut hiffé à terre à Seville, comme un monument de cette expédition , la plus hardie peut-être que les hom- mes euflent encore faite. Ainfi fut démontrée phyfiquement, pour la premiere fois, la fphéri- cité & l'étendue de la circonférence de Îa terre. Drack, Anglois, partit de Plymouth avec cinq vaifleaux , le 15 Septembre 1577, y rentra avec un feul le 3 Novembre 5580. Il fr, le A Premier Voyage au- tour du Monde. Second Voyage. Troifieme Voyage. Quatrieme Voyage. Cinquieme Voyage. PARTS TOURS fecond , le tour du globe. La Reine Elifabeth vint manger à fon bord, & fon vaifleau , nommé le Pélican , fut foigneufement confervé à Dept- fort dans un baffin avec une infcription honora- ble fur le grand mät. Les découvertes attri- buées à Drack font fort incertaines. On marque fur les Cartes dans la mer du Sud une côte fous le cercle Polaire, plus quelques îles au Nord de la ligne, plus aufli au Nord la rouvelle Albion. Le Chevalier Thomas Candihs, Anpglois , partit de Plymouthle 2 x Juillet 186, avectrois vaifleaux , y rentra avec deux le 9 Septembre 1588. Ce voyage, le troifieme fait autour du monde, ne produifit aucune découverte. Olivier de Nord, Hollandois, fortit de Rot- terdam le 2 Juillet r $98 , avec quatre vaifleaux, pañla le détroit de Magellan , Cingla le long des côtes occidentales de l'Amérique , d’ou il fe ren- dit aux Larrones, aux Philippines, aux Molu- ques , au cap de Bonne-Efpérance, & rentra à Rotterdam avec un feul vaiflfeau , le 26 Août 1601. Il n’a fait aucune découverte dans la mer du Sud. | Georges Spilberg, Hollandois, fit voile de Zélande le 8 Août 1614, avec fix navires, per- PAL IMINAIRE à dit deux vaifleaux avant que d’être rendu au dé- troit de Magellan, le traverfa , fit des courfes fur les côtes du Pérou & du Mexique, d'ou, fans rien découvrir dans fa route, 1l pañla aux Larrones & aux Moluques. Deux de fes vaiffleaux rentrerent dans les ports de Hollande le 1 °° Juillet 1617. Prefque dans le même tems, Jacques Lemaire & Shouten immortalifoirent leur nom. Ils fortent du Texel le 14 Juin 161$, avec les vaifleaux /z Concorde & le Horn, découvrent le détroit qui porte le nom de Lemaire , entrent les premiers dans la mer du Sud en doublant le cap de Horn; y découvrent par quinze degrés quinze minutes . de latitude Sud, & environ cent quarante-deux degrés de longitude occidentale de Paris , l’{le des Chiens ; par quinze degrés de latitude Sud à cent lieues dans l’Oueñf, l'ile fans Fond ; par qua- torze deurés quarante-fix minutes Sud, & quinze lieues plus à l'Oueft , lle de Water j à vingt lieues de celle-là dans l'Oueft, l’fle des Mouches: par les feize degrés dix minutes Sud , & de cent foixante-treize à cent foixante-quinze de- orés de longitude occidentale de Paris, deux iles, celle des Cocos, & celle des Traitres ; cinquante heues plus Oueft, celle d'Efpérance, puis l'Z À 1 Sixieme Voyage, Septieme Voyage. FHuitieme Voyage, 4 MANTAS AE ONU 1RUS de Horn, par quatorze degrés cinquante-fix mi- nutes de latitude Sud , environ cent foixante-dix- neuf degrés de longitude orientale de Paris. Enfuite ils cinglent le long des côtes de la Nouvelle Gui- née , pañlent entre fon extrémité occidentale & Gilolo, & arrivent à Batavia en Oftobre 1616. Georges Spilberg les y arrête, & on les en- voie en Europe fur des vaifleaux de la Compa- onte : Lemaire meurt de maladie à Maurice, Shouten revoit fa patrie. La Concorde & le Horn rentrerent après deux ans &t dix Jours. Jacques Lhermite, Hollandois , commandant une flotte de onze vaifleaux, partit en 1623 avec le projet de faire la conquête du Pérou ; 1l entra dans la mer du Sud par le cap de Horn, & guer- roya fur les côtes Efpagnoles, d'où il fe rendit aux Larrones , fans faire aucune découverte dans la mer du Sud, puis à Batavia. Il mourut en for. tant du détroit de la Sonde , & fon vaifleau , pref que feul de fa flotte, territ au Fexel le 9 Fuller 1626. | | En 1683, Cowiey, Anglois, partit de la Virginie ; 1l doubla le cap de Horn, fit diverfes courfes fur les côtes Efpagnoles , fe rendit aux Farrones , & revint par le cap de Bonne Efpé- DR ENLI MIONRAN RE à rance en Angleterre, où il arriva le 12 Oftobre 1686. Ce navigateur n’a fait aucune découverte dans la mer du Sud ; il prétend avoir découvert dans celle du Nord , par quarante-fept degrés de latitude auftrale, & à quatre-vingts lieues de la côte des Patagons , l'éle Pepis. Je l'ai cherchée trois fois, & les Anpglois deux, fans la trouver. Wood Roger , Anglois , {ortit de Briftol le 2 Août 1708, paña le cap de Horn, fit la guerre fur les côtes Efpagnoles jufqu’en Californie, d’où par une route frayée déjà plufeurs fois, il pafa aux Larrones, aux Moluques, à Batavia, & dou- blant le cap de Bonne Éfpérance, 1l territ aux Dunes le 1° O&tobre 1711. Dix ans après, Rogewin, Hollandois, fortit du Texel avec trois vaifleaux ; 1l entra dans la mer du Sud par le cap de Horn, y chercha /4 terre de Davis fans la trouver ; découvrit dans le Sud du Tropique auftral l’i/e de Päques , dont la latitude eft incertaine ; puis, entre le quinzieme & le feizieme parallele auftral , les {les Pernicreufes, où 1} perditun de fes vaifleaux ; puis a-peu-près dans la même latitude , les iles Aurore, Vefpres, le La- byrinthe compote de fix îles, & l'ile de /a Récréa- ton , Où il relâcha. Il découvrit enfuite fous le À 1 Neuvierme Voyage, Diaeme Voyage, Onzieme Voyage. Douzieme Voyace, 1 Q 6 CERN SE. ŒU RS douzieme parallele Sud trois îles, qu'il nomma iles de Bauman, & enfin fous le onzieme paral- lele auftral, les {les de Tienhoven & Groningue ; navigeant enfuite le long de la Nouvelle Guinée & des Terres des Papous, 1l vint aborder à Bata- via, où fes vaifleaux furent confifqués. L’Amiral Rogoewin repañla en Hollande de fa perfonne fur les vaifleaux de la Compagnie, & arrivaau Texel le 11 Juillet 1723, fix cents quatre-vingts-jours après fon départ du même lieu. Le goût des grandes navigations paroifloit en- tiérement éteint, lorfqu'en 174: l'Amiral An- fon fit autour du globe le voyage dont l’excel- lente relation eft entre les mains de tout le monde, & qui n’a rien ajoute à la Géographie. Depuis ce voyage de Amiral Anfon, il ne s’en eft point fait de grand pendant plus de vingt années. L’efprit de découverte a femblé récem- ment fe ranimer. Le Commodore Byron part des Dunes le 20 Juin 1764, traverfe le détroit de Magellan, découvre quelques iles dans la mer du Sud , faifant fa route prefque au Nord-Oueit, arrive à Batavia le 28 Novembre 176$ , au Cap le 24 Février 1766, & le 9 Mai aux Dunes, fxçents quatre-vingt-huit jours après fon départ. PRE LI MI N'AUT'R E. “d Deux mois après le retour du Commodore Triieme Byron, le Capitaine Wallas part d'Angleterre os avec les vaifleaux /e Delfin & le Srwallor, À traverfe le détroit de Magellan, eft féparé du SFallor, que commandoit le Capitaine Carte- ret, au débouquement dans la mer du Sud; il y découvre une ile environ par le dix-huitieme pa- rallele à-peu-près en Avût 1767; il remonte vers la ligne, pale entre les terres des Papous , arrive à Batavia en Janvier 1768, relâche au cap de Bonne-Efpérance , & enfin rentre en Angleterre au mois de Mai de la même année. Son compagnon Carteret , après avoir efluyé beaucoup de miferes dans la mer du Sud , arrive à Mäcaflar au mois de Mars 1768 , avec perte de prefque tout {on équipage , à Batavia le 1 $ Sep- tembre, au cap de Bonne-Efpérance à la fin de Décembre. On verra que je l'ai rencontré à la mer le 18 Février 1769, environ par les onze degrés de latitude feptentrionale. Il n’eft arrivé en Angleterre qu’au mois de Juin. On voit que de ces treize voyages (1 )autour du Monde, aucun n'appartient. à la nation Fran- (1) Dom Pernetty, du fa fait en 1719 par le Capitaine Differtation fur? Amérique, parie Shelwosk ; je nai aucune çon- d'un Voyage autour du Monde, noïflance de çe voyage, 8 DISCOURS çoife, & que fix feulement ont été faits avec l'ef- prit de découverte ; fçavoir , ceux de Magellan, de Drack , de Lemaire, de Roggewin, de By- ron & de Wallas ; les autres navigateurs , qui navoient pour objet que de s'enrichir par les courfes fur les Efpagnols, ont fuivi des routes connues fans étendre la connoiffance du globe. En 1714, un François, nommé la Barbinais Ze. Gentil, étoit parti fur un vaifleau particulier , pour aller faire la contrebande fur les côtes du Chili & du Pérou. De-là il fe réndit en Chine, où après avoir féjourné pres d’un an dans divers comptoirs , 1l sembarqua {ur un autre bâtiment que celui qui l'y avoit amené, & revint en Eu- rope , ayant à la vérité fait de {a perfonne le tour du Monde , mais fans qu'on puifle dire que ce foit un voyage autour du Monde fait par la Na- tion Françoife. Parlons maintenant de ceux qui partant, foit d'Europe , foit des côtes occidentales de l’Amé: mérique méridionale, foit des Indes orientales, ont fait des découvertes dans la mer du Sud, fans avoir fait le tour du Monde. dl paroït que c’eft un François, Paulmier de Gonneville, qui a fait les premieres en 1503 & 1746 PRELIMINAIRE. 9 1504; on ignore où font fituées les terres aux- quelles il a abordé, & dont 1l a ramené un habi- tant , que le Gouvernement n’a point renvoyé dans fa patrie, mais auquel Gonneville, fe croyant alors perfonnellement engagé envers lui, a fait époufer fon héritiere. Alfonfe de Salazar, Efpagnol , découvrit en 152$ l’{e de Sarnt-B'arthelemi à quatorze degrés de latitude Nord, & environ cent cinquante-huit degrés de longitude à l'Eft de Paris. Alvar de Saavedra, parti d'un port du Mexi- que en 1526, découvrit entre le neuvieme & le onzieme parallele Nord, un amas d'’iles qu’il nomma les les des Rois, a-peu-près par la même longitude que l'ile Sant-Barthelemi ; 1l fe rendit enfuite aux Philippines & aux Moluques ; & en revenant au Mexique, 1l eut le premuer connoiflance des iles ou terres nommées /Vou- velle Guinée & Terre des Papous. I découvrit encore par douze degrés Nord, environ à quatre- vingts lieues dans l'Eft des iles des Rois , une fuite d'iles bafles, nommées les {les des Barbus. Diégo Hurtado & Fernand de Grijalva, partis du Mexique en 1433 pour reconnoître la mer du Sud, ne découvrirent qu'une île fituée par B FU ©: MES CO 'UNAES vingt degrés trente minutes de latitude Nord , en- viron à cent degrés de longitude Oueft de Paris. Ïls la nommerent {le Saint-Thomas. Jean Gaëtan, appareillé du Mexique en 1 42, fit auf fa route au Nord de la ligne. Il y de- couvrit entre le vingtieme & Île neuvieme pa- rallele , à des longitudes différentes , pluñeurs iles; fçavoir, Rocca Partida , les iles du Corail, celles du Jardin , la Marelote , V'ile d'Arézife, & enfin il aborda à la Nouvelle Guinée , ou plutôt, : fuivant fon rapport, à la Vouvelle Bretagne ; mais Dampierre n’avoit pas encore découvert le paflage qui porte fon nom. Le voyage fuivant eft plus fameux que tous les précédens. Alvar de Mendoce & Mindana, partis du Pé- rou en 1,67, découvrirent les iles célebres que leur richefle ft nommer iles de Salomon : mais, en fuppofant que les détails rapportés fur la richeife de ces 1les ne foient pas fabuleux , on ignore où elles font fituées, & c’eft vainement qu’on les a recherchées depuis. Il paroït feulement qu'elles font dans la partie aufrale de la ligneentre le hui- tieme & le douzieme parallele. L'e T/abella & Tauérre de Guadalcanal, dont les mêmes voya- PORESL NT MAN AU R Eli ur geurs font mention, ne font pas mieux connues. En:$s95 , Alvar de Mindana, compagnon de Mendoce dans le voyage précédent , repartit du Pérou avec quatre navires pour la recherche des iles de Salomon. Il avoit avec lui Fernand de Quiros, devenu depuis célebre par fes propres découvertes. Mindana découvrit entre le neu- vieme & le onzieme parallele méridional, envi- ron par cent huit degrés à l'Oueft de Paris, les iles Sainr- Pierre, Magdelaine , la Dominique & Chriftine, qu'ilnomma les Marquifes de Men- doce , du nom de Dona ifabella de Mendoce, qui étoit du voyage ; environ vingt-quatre degrés plus à l'Oueft, 1 découvritles z/es Saint-Bernard; prefque à deux cents lieues dans l’'Oueft de celles- ci, l’£e Solitaire, & enfin l'ile Sainre-Crorx, fituée a-peu-pres par cent quarante degrés de longitude orientale de Paris. La flotte navigea de-là aux Larrones, & enñn aux Philippines, où n’arriva pas le Général Mindana : on n'a pas {cu ce qu'é- toit devenu fon navire. Fernand de Quiros, compagnon de l'infortu- né Mindana , avoit ramené au Pérou Dona Ifa- bella. Il en repartit avec deux vaifleaux le 27 Décembre 160$ , & prit faroute a-peu-près dans B 15 12 DAS CL ORD'URNS l'Oueft-Sud-Oueft. Il découvrit d’abord une pe- tite île vers le vingtcinquieme degré de latitude Sud, environ par cent vingt-quatre degrés de lon- gitude occidentale de Paris; puis entre dix-huit &t dix-neuf degrés Sud , fept ou huit autres iles baf- {es & prelque noyées, qui portent fon nom ; & par le treizieme degré de latitude Sud, environ cent cinquante-fept degrés à l'Oueft de Paris, l'ile qu'il nomma de la belle Nation. En recher- chant enfuité l’{e Sainte-Croix qu'il avoit vue >scanpionpreqier voyage, recherche quifut vaine, il déCOtvris par treize degrés de latitude Sud, & à-peu-près cent foixante-feize degrés de third orientale de Paris, lle de Taumaco , puis à envi. ron cent lieues à l'Oueft de cette ile, par quinze degrés de latirude Sud, une grande terre qu'il nomma la serre auftrale du Saini-E fprir, terre que les divers Géographes ont diverfement pla- cée. Là, 1l finit de courir à l'Oueft, & reprit la route du Mexique, où il fe rendit à la fn de l’an- née 1606, après avoir encore infruétueufement cherché l’ile Saznte-Croix. Abel Tafman, forti de Batavia le 14 Août 1642, découvrit par quarante-deux degrés de latitude auftrale , & environ cent cinquante-cinq PRIE F'MMIN AN RE) 19 degrés à l'Eft de Paris, une terre qu'il nomma V’andiemen ; 1] la quitta faifant route à Oueft, & environ à cent foixante degrés de notre longitude orientale , 1l découvrit la Vouvelle Zélande par quarante-deux degrés dix minutes Sud. Îlen fui- vit la côte environ jufqu’au trente-quatre de- gré de latitude Sud , d'où il cingla au Nord-Ef, & découvrit par vingtdeux degrés trentecinq minutes, environ cent foixante-quatorze degrés: V'Ef de Paris, les iles Pylffaarr, Arnfterdam & Roterdam. [ne poufla pas fes recherches plus . loin, & revint à Batavia en pañant entre I* Nou- velle Guinée & Gilolo. On a donné le nom général de Nouvelle Ho. lande à une vafte fuite, {oitdeterres, foit d’iles, qui s'étend depuis le fixieme jufqu'au trente- quatrieme degré de latitude auftrale, entre le cent cinquieme & le cent quarantieme degré de longitude orientale du méridien de Paris. Il étoit jufte de la nommer ainf , puifque ce font prefque tous navigateurs Hollandois qui ont re- connu les différentes parties de cette contrée. La premiere terre découverte en ces parages, fut la terre de Concorde , autrement appellée d’Ex- dracht , du nom de celui qui l’a trouvée en 16r6, par le vingt-quatre & vingt-cinquieme degré de 14 D'INS C'ORTRIS latitude Sud. En 1618, une autre partie de cette terre , fituée à-peu-prés fous le quinzieme paral- lele , fut découverte par Zéachen, qui lui donna le nom d’Arnhem & de Driemen ; & ce pays n’eft pas le même que celui nommé depuis Diemen par Tafman. En 1619, Jean d'Edels donna fon nom à une portion méridionale de la Nouvelle Hollande. Une autre portion, fituée entre le tren- tieme & le trente-troifieme parallele, recut celui de Leuwin, Pierre de Nurty en 1617, impofa le fien à une côte qui paroit faire la fuite de celle de Leuwin dans l'Oueft. Guillaume de Wire appella de fon nom une partie de la côte occidentale, voifine du tropique du Capricorne, quoiqu’elle dût porter celui du Capitaine Wiane, Hollandois, qui en 1628, avoit payé l'honneur de cette dé- couverte par la perte dé fon navire & de toutes fes richefles. | Dans la même année 1628, entre le dixieme & le vingtieme parallele, le grand golfe de la Carpentarie fut découvert par Pierre Carpenter , Hollandois, & cette nation a fouvent depuis fait reconnoître toute cette côte. Dampierre , Anpgloïis, partant de la grande Timor, avoit fait en 1687 un premier voyage fur les côtes de la Nouvelle Hollande , & étoit PARRENLA MLN AIR FE: 1$ abordé entre la terre d'Arrhem & celle de Diemen ; cette courfe, fort courte , n’avoit produit aucune découverte. En 1699, il partit d'Angleterre avec l'intention exprefle de re- connoïître toute cette région fur laquelle les Hollandoïs ne publioïent point les lumieres qu'ils poflédoient. Il en parcourut la côte occidentale depuis le vint-huitieme jufqu'au quinzieme pa- rallele. Il eut la vüe de la terre de Concorde, de celle de Witt, & conjeëtura qu'il pouvoit exif_ ter un paflage au Sud de la Carpentarie. Il re- tourna enfuite à Fimor , d'où 1l revint vifiter les iles des Papous , longea la Nouveile Guinée, dé- couvrit le pañlage qui porte fon nom, appella Nouvelle Bretagne la grande île qui forme ce détroir à l'E, & reprit fa courfe pour Timor le long de la Nouvelle Guinée. C'eft ce même Dampierre qui, depuis 1683 jufqu'en 1691, tantôt Flibufter, tantôt Commercçant , avoit fait le tour du Monde en changeant de navires. Tel eft Fexpofe fuccint des divers voyages autour du globe, & des découvertes différentes faites dans le vafte Océän Pacifique ; jufqu’au tems de notre départ de France. Avant que de commencer le récit de l'expédition qui m'a été “ 16 De ESC. GURRAS confiée, qu'il me foit permis de prévenir qu'on ne doit pas en regarder la relation comme un ou- “vrage d'amufement : c’eft fur-tout pour les Ma- rins qu’elle eft faite. D'ailleurs cette longue na- vigation autour du globe , n'offre pas la reflource des voyages de mer faits en tems de guerre , lef: quels fourniflent des fcènes intéreflantes pour les gens du monde. Encore fi l'habitude d'écrire avoit pü m'apprendre à fauver par la forme une partie de la fécherefle du fonds! Mais, quoiqu’iniié aux Sciences dès ma plus tendre Jeunefle , où les le- cons, que daigna me donner M. d'Alembert, me mirent dans le cas de préfenter à l'indulgence du Public un Ouvrage fur la Géométrie, je fuis main- tenant bien loin du fanétuaire des Sciences & des Lettres ; mes idées & mon ftyle n’ont que trop pris l'empreinte de la vie errante & fauvage que je mene depuis douze ans. Ce n’eft m1 dansles forêts du Canada, n1 fur le fein des mers, que lon fe forme à l'art d'écrire , & j'a perdu un frere dont la plume aimée du Public, eût aide à la mienne. Âu refte, Je ne cite m1 ne contredis perfonne ; je prétends encore moins établir ou combattre aucune hypothele. Quand même les différences tres- EMBRENL I MT N AU R EN &y très-fenfbles , que J'ai remarquees dans les diver- {es contrées où J'ai abordé, ne m’auroient pas em- pêché de me livrer à cet efprit de fyftême , fi commun aujourd’hui, & cependant fi peu com- patible avec la vraie Philofophie, comment au- rois-je pù efpérer.que ma chimere, quelque vrai- femblance que je fçufle lui donner, püt jamais faire fortune ? Je fuis voyageur & marin ; c’eft- à-dire, un menteur , & unimbécille aux yeux de cette claffe d'écrivains parefleux & fuperbes qui, dans les ombres de leur cabinet, philofophent à perte de vüe fur le Monde & fes habitans, &c {oumettent impérieufement la nature à leurs ima- ginations. Procédé bien finguher , bien inconce- vable de la part de gens qui, n'ayant rien obfervé par eux-mêmes, n'écrivent, ne dogmatifent que d’après des obfervations empruntées de ces mêmes voyageurs auxquels is refufent la faculté de voir & de penfer. * Je finirai ce difcours en rendant juftice au cou- rage, au zele, à la patience invincible des Off- ciers (1) & équipages de mes deux vaifleaux. Il (x) L'Etat Major dela frégate Capitaine de Brûlot; Chevalier la Boudeufe , étoïit compofé de de Bournand, Chevalier d'Orai- MM. de Bougainville, Capitaine fon, Chevalier du Bouchage , de Vaïfleau ; Duclos Guyot, Enfeignes de Vaiffeau ; Cheva- . 18 DISCOURS PRELIMINAIRE. n'a pas été néceflaire de les animer par un traite- ment extraordinaire , tel que celui que les An- glois ont cru devoir faire aux équipages de M. Byron. Leur conftance a été à l'épreuve des pofitions les plus critiques , & leur bonne volonté ne s’eft pas un inftant rallentie. C’eft que la Na- tion Françoïfe eft capable de vaincre les plus grandes difficultés, & que rien n’eft impofñible à fes efforts, toutes les fois qu'elle voudra fe croire elle-même légale, au-moins, de telle nation que ce foit au monde. lier de Suzannet, Chevalier de nant des Vaifieaux de la Com- Kué, Gardes de la Marine, fai- fant fonions d'Officiers ; Île Corre, Officier Marchand; Saint- Germain, Ecrivain ; la Veze, Aumônier ; la Porte, Chirur- gien Major. L'Etat Major de la flûte L'Etoile, étoit compofe de MM. Chefnard de la Giraudais, Capi- taine de Brülot ; Caro, Lieute- pagnie des Indes ; Donat, Lan- dais , Fontame & Lavary-le- Roi, Officiers Marchands ; Mi- chaud, Ecrivain; Vivès, Ch: rurgien Major. il y avoit de plus, MM. de Commerçon, Médecin; Verron, Aftronome, & de Romainville, Ingénieur, Le Na} À CC AUTOUR DU MONDE. TT ri PREMIERE PARTIE, Contenant depuis le départ de France, jufqu'a la . du détroit de mo CU AMAICRRYE PREMIER: Départ de la Boudeufe de Nantes ; relâche à Breff ; route de Breftà Monte-video ; jonéhon avec les frégates E fpagnoles pour la remife des iles Malouines. Æuy ANS le mois de Février 1764, la France » avoit commencé un établiflement aux îles D e, Malouines. L’Efpagne revendiqua ces iles , ŒS* comme étant une dépendance du continent de l'Amérique méridionale ; & fon droit ayant été reconnu par Le Roï, je reçus ordre d’aller remettre notre établifle- Ci Objet du Voyage. 1766. Novembre; Départ de Nanses. Coup de vent. 20 | VOvYACE ment aux Efpagnols, & de me rendre enfuite aux Indes orientales, en traverfant la mer du Sud entre les tropiques. On me donna pour cette expédition le commandement de la frégate la Boudeufe, de vingt-fix canons de douze, & je devois être joint aux iles Malouines par la flûte /’Etoile, deftinée à m'apporter les vivres néceflaires à notre longue navigation, & à me fuivre pendant le refte de la campa- gne. Le retard, que diverfes circonftances ont mis à lajonc- tion de cette flûte avec moi, a allongé ma campagne de près de huit mois. Dans les premiers jours du mois de Novembre 1766 , je me rendis à Nantes où /4 Boudeufe venoït d’être con- truite, & où M. Duclos Guyot, Capitaine deBrûlot, mon fecond, en faifoit l'armement. Le $ de ce mois, nous def- cendimes de Painbeuf à Mindin pour achever de l’armer ; &le 15, nous fimes voile de cette rade, pour nous ren- dre à la riviere de la Plata. Je devois y trouver les deux frégates Efpagnoles /a Efmneralda & la Liebre,forties du Fer- rol le 17 Oëtobre, & dont le Commandant étoit chargé de recevoir les îles Malouines au nom de Sa Majefté Catho- lique. ue, . Le 17 au matin, nous efluyâmes un coup de vent vio- lent de la partie du Oueft-Sud-Oueft au Nord-Oueft ; il renforça dans la nuit, que nous paflämes à fec de voiles & les bafles vergues amenées, le point de deflous de la mifaine, fous laquelle nous capeyions auparavant, ayant été emporté. Le 18, à quatre heures du matin, notre petit mât de hune rompit à la moitié environ de fa hauteur: le grand mât de hune réfifta jufqu'à huit heures, qu'il rompit dans Le chouquet du grand mât, dont il fit confentir le ton. Ce dernier événement nous mettoit dans l'impofñlibilité de AN O UR\ m'U)EM O N D E; 21 continuer notre route, & je pris le parti de relâcher à Breft, où nous entrâmes le 21 Novembre. Ce coup de vent, & le dégréement qu’il avoir occa- fionné , me mirent dans le cas de faire les remarques fui- vantes fur l’état & les qualités de la frégate que je com- _mandois. 1°. Son énorme rentrée laiffant trop peu d'ouverture à l'angle que font les haubans avec les mâts majeurs, ceux- ci n'étoient pas aflez appuyés. 2°. Le défaut précédent devenoit d’une plus grande conféquence par la nature du left, que la grande quantité des vivres dont nous étions pourvus, nous avoit contraints d’embarquer. Quarante tonneaux de left, diftribués des deux côtés de la carlingue à peu de diftance de celle-ci, & douze canons de douze placés au pied de larchipompe ( nous n’en avions que quatorze montés fur le pont), for- moient un poids confidérable, lequel, tres-abaiflé au-def- fous du centre de gravité, & prefque réuni fur la carlin- oue, mettoit la mâture en danger, pour peu qu'il y eût de roulis. a Ces confidérations me déterminerent à faire diminuer la hauteur exceflive de nos mâts, & à changer notre artil- lerie de douze contre du canon dehuit. Outre la diminu- tion de près de vingt tonneaux de poids , tant à fond de cale que fur le pont, gagnée par ce changement d’artil- lerie, le peu de largeur de la frégate fufifoit pour le ren- dre néceflaire. Il s’en faut d'environ deux pieds qu’elle n'ait le bau des frégates faites pour porter du douze. Malgré ces changemens qui me furent accordés, je ne pouvois me difimuler que mon bâtiment n’étoit pas pro- pre à naviguer dans les mers qui entourent le cap de Relâche à Breft. Décembre. Départ de Breft. 22 VWo Y'A GE Horn. J'avois éprouvé dans le coup de vent , qu’il faifoit de l’eau par tous fes hauts, &c je devois m’attendre au rifque d’avoir une partie de mon bifcuit pourrie par l’eau qui, pendant le mauvais tems, s'introduiroit infaillible- ment dans les foutes ; inconvénient dont les fuites feroient fans reflource dans le voyage que nous entreprenions. Je - demandai donc qu’il me fût permis de renvoyer la Bou- deufe des îles Malouines en France , fous les ordres du Chevalier Bournand, Lieutenant de vaifleau ; & de con- tinuer le voyage avec la feule flûte l'Etoile, dans le cas où les longues nuits de l'hiver m'interdiroient le paflage du détroit de Magellan. J'obtins cette permiffion, & le 4 Décembre, notre mâture étant réparée, l'artillerie chan- gée, la frégate entierement récalfatée dans fes hauts, je fortis du port & vins mouiller en rade, où nous pañlämes la journée à embarquer les poudres & rider les haut- bans. Le ÿ à midi nous appareillâmes de la rade de Breft. Je fus obligé de couper mon cable, le vent d’'Eft très-frais &z le juflant empêchant de virer à pic, & me faifant appré- hender d’abattre trop près de la côte. Mon Etat major étoit compolé de onze Officiers , trois volontaires, & l’é- quipage de deux cens trois matelots, Officiers mariniers, {oldats, moufles & domeftiques. M. le Prince de Naflau Sieghen avoit obtenu du Roi la permiflion de faire cette campagne. À quatre heures après midi, le milieu de l’île d'Oueflant me reftoit au Nord-quart-Nord-Eft du com- pas, & ce fut d’où je pris mon point de départ. Pendant les premiers jours, nous eûmes aflez conftam- ment les vents d'Oueft-Nord-Oueft au Oueft-Sud-Oueft & Sud-Oueit , grand frais. Le 17 après midi, on eut con- AUDE OUR) D'UVM ON D'E, 23 noiffance des Salvages, le 18 de l'ile de Palme, & le 19 de l'ile de Fer. Ce qu'on nomme les Salvages, eft une petite île d'environ une lieue d’étendue de l’'Eft à l’'Oueft ; elle eft bafle au milieu, mais à chaque extrémité s'éleve un petit mondrain; une chaine de roches, dont quelques- unes paroïflent au-deffus de l’eau, s'étendent du côté de POueft à deux lieues de l'ile : il y a aufñi du côté de l'Eft quelques brifans , mais quine s’en écartent pas beau- Coup. f La vue de cet écueil nous avoit avertis d’une grande erreur dans notre route; mais je ne voulus l’apprécier qu'après avoir eu connoiflance des îles Canaries, dont la poftion eft exaétement déterminée. La vue de l'ile de Fer me donna avec certitude cette correétion que j’atten- dois. Le 19 à midi j'obfervai la latitude, & en la faifant cadrer avec le relevement de l'ile de Fer , pris à cette même heure, je trouvai une différence de quatre degrés fept minutes dont j'étois plus Eft que mon eftime. Ceite erreur eft fréquente dans la traverfée du cap Finiftere aux Canaries, & je l’avois éprouvée en d’autres voyages : les courans, parle travers du détroit de Gibraltar, portant à J'Eft avec rapidité. Jeus en même tems occafon de remarquer que les Salvages font mal placés fur la carte de M. Bellin. En effet, lorfque nous en eümes connoiffance le 17 après midi, la longitude que nous donnoit leur relevement, différoit de notre eftime de trois degrés dix-fept minutes à l'Eft. Cependant cette même différence s’eft trouvée , le 19, de quatre degrés fept minutes, en corrigeant notre point fur le relevement de l’île de Fer, dont la longitude eft déterminée par des obfervations aftronomiques. Il elt Defcription des Salvages. Erreur dans l'eftime de la Pofñtion des Salvages rec- tifiée. 1767. Janvier. Obfervations pautiques, Pafage de Ja ligne, Remarque fur la varia- tion, 24 V:0 Y A 'GtE à remarquer que, pendant les deux jours écoulés entre la vue des Salvages & celle de l'ile de Fer, nous avons navigué avec un vent étale, grand largue,& qu'ainfi il doit y avoir eu bien peu d’erreur dans l’eftime de notre route. D'ailleurs, le 18, nous relevâmes l'ile de Palme au Sud- Oueft quart d'Ouelt corrigé, & felon M. Bellin, elle de- voit nous refter au Sud-Oueft. J'ai pù conclure de ces deux obfervations que M. Bellin a placé l'ile des Salvages trente-deux minutes environ plus à lOueit, qu'elle n'y eft effeétivement. Je pris donc un nouveau point de départ le 19 Décem- bre à midi. Notre route n’eut depuis rien de particulier jufqu’à notre attérage à la riviere de la Plata ; elle ne four- nit d'obfervations qui puiflent intéreffer les navigateurs, que les fuivantes. 1°. Le 6 & le 7 Janvier 1767, étant entre un degré qua- rante minutes & oo degré trente-huit minutes Nord, & par vingt-huit degrés de longitude, nous vimes beaucoup d’oifeaux ; ce qui me feroit croire à la vigie de Penedo San-Pedro, quoique M. Bellin ne la marque pas fur fa carte. 2°. Le 8 Janvier après-midi, nous paflämes la ligne en- tre les vingt-fept & vingt-huit degrés de longitude. 3°. Depuis le deux Janvier, les obfervations de varia- tion nous étoient refufées, & je l'avois eftimée d’après la Carte de Williams Mountain & Jacob Cbfon. Le 11, au coucher du foleil, nous obfervâmes trois degrés dix-fept minutes de variation Nord-Oueft, & le 14 au matin j'ob- fervai encore dix minutes de variation Nord-Oueft avec un compas azimuthal, étant par dix degrés trente minutes Où quarante minutes de latitude auftrale, & environ par [fente AU IONUTR DU OM O N D E. 2$ trente-trois degrés vingt minutes de longitude occidentale du méridien de Paris. Îl eft donc certain, fi ma longitude eltimée eft exaéte, & je l'ai vérifié telle à l’attérage, que la ligne où il ny a pas de variation, s’eft encore avancée vers l'Oueft depuis les obfervations de Mountain & d’Ob- fon, & qu'il femble que le progrès de cette ligne vers l'Oueft eft aflez uniforme. En effet, fur le même parallele où William Mountain & Jacob d’Obfen avoient trouvé douze à treize degrés de différence dans l’efpace de quarante- quatre ans, j'en ai trouvé un peu plus de fix degrés après un efpace de vingt-deux ans. Cette progreflion mérite- roit d'être conftatée par une fuite d’obfervations. La dé- couverte de la loi que fuivent ces changemens dans la dé- clinaifon de l'aiguille aimantée, outre qu’elle fourniroit un moyen de conclure en mer les longitudes , nous condui- roit peut-être à celle des caufes de cette variation , peut- être même à celle de la vertu magnétique. 4°. Au Nord & au Sud de la ligne, nous avons prefque conftamment obfervé des différences Nord aflez grandes , quoiqu'il foit plus ordinaire de les y éprouver Sud. Nous eûmes lieu d’en foupçonner la caufe , lorfque ,le 18 Jan- vier après-midi, nous traverfàämes un banc de frai de poif. fons , qui s’étendoit à perte de vüe du Sud-Oueft quart d'Oueft au Nord-Eft quart d'Eft, fur une ligne d’un blanc rougeûtre, large d'environ deux braffes. Sa rencontre nous avertifloit que depuis plufieurs jours, les courans portoient au Nord-Eft quart d'Eft ; car tous les poiflons dépofent leurs œufs fur les côtes , d’où les courans les détachent &les entraînent dans leur lit en haute mer. En obfervant ces différences Nord, dont je viens de parlef, je n’en avois point inféré qu’elles nécefitaffent avec elles des différen- D Caufes des différences qu'on éprou- ve dans latra- verfée auBré= fil, 26 Vo%YaAGE ces Oueft ; auffi quand, le 29 Janvier au foir, on vit Ia terre, j'eftimois à midi qu’elle me reftoit à douze ou quinze lieues de diftance, ce qui me fit naître la réflexion füi- vante. Un grand nombre de navigateurs fe font plaints, depuis longtems, & fe plaignent encore que les Cartes, fur-tout celles de M. Bellin, marquent les côtes du Bréfil beau- coup trop à l'Eft. Ils fe fondent fur ce que, dans leurs dif- férentes traverfées, ils ont fouvent apperçu ces côtes, lorfqu’ils croyoient en être encore à quatre-vingts ou cent lieues. Ils ajoutent qu'ils ont éprouvé plufeurs fois que dans _ces parages , les courans les avoient portés dans le Sud- Oueit : & ils aiment mieux taxer d’erreur les obfervations aftronomiques & les Cartes, que d'en croire fufceptible l’eftime de leur route. Nous aurions pu, d’après un pareil raifonnement, con- clure le contraire dans notre traverfée à la riviere de la Plata , fi un heureux hazard ne nous eût indiqué la raifon des différences Nord que nous éprouvions. Il étoit évi- dent que le banc de frai de poiflons, que nous rencon- trâmes le 29, étoit foumis à la direction d’un courant: & fon éloignement des côtes prouvoit que ce courant régnoit depuis plufeurs jours. Il étoit donc la caufe des erreurs conftantes de notre route; les courans, que les Naviga- teurs ont fouvent éprouvé porter au Sud-Oueit dans ces parages, font donc fujets à des variations ; & prennent quelquefois une direétion contraire. Sur cette obfervation bien conftatée , comme notre route étoit à-peu-près le Sud-Oueft, je fus autorifé à cor= riger nos erreurs fur la diftance, en la faifant cadrer avec l'ebfervation de latitude , & à ne pas corriger l'air de vene, œ Color de acrement 1 Honépgnge etBour:g Haldonados ss ve ù/:2. Je Gr d 1Ë COTON CENNTENNTENTTN DETENTE BUTTIT ELITE TEINTE A UM O DR DUT M O N D E; 27 Je dois à cette méthode d’avoir eu connoiffance de terre, prefque au moment où me la montroitmon eftime. Ceux d'entrernous qui ont toujours calculé leur chemin à l'Oueit, d’après l’eltime journaliere, en fe contentant de corriger la différence en latitude que leur donnoit l'obfervation mé- _ tidienne, étoient à terre, long-tems avant que nous ne l'euffions apperçue. Auroient-ils été en droit d’en conclure que la côte du Bréfil eft plus à l'Oueft que ne le marque M. Bellin ? En général , il paroïît que, dans cette partie, les cou- rans-varient, & portent quelquefois au Nord-Eft, plus fouvent au Sud-Oueft. Un coup d'œil fur le sifflement de la côte fufft pour prouver qu'ils ne doivent fuivre que lune ou l’autre de ces deux direëtions, & il eft toujours facile de diftinguer laquelle regne, par les différences Nord ou Sud que donnent les obfervations de latitude. C'eit à ces courans qu'il faut imputer les erreurs fréquentes dont les Navigateurs fe plaignent, & je penfe que M. Bellin place exaétement les côtes du Bréfil. Je le crois d'autant plus volontiers, que la longitude de Rio-Janéiro a été dé- terminée par MM. Godin & l'Abbé de la Caille, qui sy rencontrerent en 1751, & quil y a aufh eu des obferva- tions de longitude faites à Fernambuc & à Buénos-Aires. Ces trois points déterminés, 1l ne fçauroit y avoir d’erreur confidérable {ur la pofition en longitude des côtes orien- tales de l'Amérique, depuis le huitieme jufqu’au trente- cinquieme parallele de latitude auftrale ; & c'eit ce que l'expérience nous a confirmé. Depuis le 27 Janvier nous avions le fond , & le 29 au {oir, nous vimes la terre , fans qu'il nous füt permis de la bien reconnoïtre , parce que le jour étoit fur fon déclin, D ÿ Obfervation : fur les cou rans, Entrée dans lariviere de la Plata, Corr&ion . néceffaire ici dans la Carte de M. Bellin. Mouillage des Maldona- des, 28 VOYAGE & que les terres de cette côte font fort bafles. La nuit fut obfcure, avec de la pluie & du tonnerre. Nous la paffà- mes en panne fous les huniers aux bas ris & le cap au large. Le 30, les premiers rayons du jour naïflant nous firent ap- percevoir les montagnes des Maldonades. Alors il nous fut facile de reconnoître que la terre vue la veille, étoit lie de Lobos. Toutefois. commenotre latitude d’arrivée étoittren- te-cinq degrés feize minutes vingt fecondes , nous devions la prendre pour le cap Sainte-Marie, que M. Bellin place par trente-cinq degrés quinze minutes, tandis que fa latitude vraie eft trente-quatre degrés cinquante.cinq minutes. Je releve cette faufle poñtion, parce qu’elle eft dange- reufe. Un navire qui, cinglant par trente-cinq degrés quinze minutes de latitude Sud, croiroit aller chercher le cap Sainte-Marie, courroit le rifque de rencontrer /e Banc aux Anglois, avant que d’avoir reconnu aucune terre. Ce- pendant la fonde l’avertiroit de Papproche du danger ; près du banc, on ne trouve plus que fix à fept brafles d’eau. Ze banc aux Francois, qui n’eft autre que le pro- longement du cap Saint-Antoine, feroït plus dangereux : lorfqu’on eft prêt à donner fur la pointe feptentrionale de ce banc ,on trouve encore douze à quatorze brafles d’eau. Les Maldonades font les premieres terres hautes qu’on voit fur la côte du Nord, après être entré dans la riviere de la Plata, &c les feules prefque jufqu'à Montevideo. A PEft de ces montagnes, il y a un mouillage fur une côte très-bafle. C’eft une anfe en partie couverte par un ilot. Les Efpagnols ont un bourg aux Maldonades, avec une garnifon. On travaille depuis quelques années, dans fes environs , une mine d’or peu riche ; l'on y trouve aufli des pierres afez tranfparentes. À deux lieues dans l'intérieur, AUTOUR DU MonopDer. 29 eft une ville nouvellement bâtie, peuplée entiérement de Portugais déferteurs, & nommée Pueblo nuevo. Le 31, à onze heures du matin, nous mouillämes dans la baie de Montevideo , par quatre brafles d’eau , fond de vafe molle & noire. Nous avions pañlé la nuit du 30 au 31, mouillés fur une ancre, par neuf brafles même fond, à Quatre ou cinq lieues dans l'Eft de l’{e de Flores. Les deux frégares Efpagnoles deftinées à prendre poflefhion des îles Malouines, étoient dans cette rade depuis un mois. Leur Commandant, Don Philippe Ruis Puente, Capi- taine de Vaifleau, en étoit nommé Gouverneur. Nous nous rendimes enfemble à Buénos-Aiïres, añn d'y concer- ter avec le Gouverneur Général les mefures néceffaires pour la ceffion de l’établiffement que je devois livrer aux Efpagnols. Nous n’y féjournâmes pas long-tems, & je fus de retour à Montevideo le 16 Février. M. le Prince de Naflau avoit fait avec moi cevoyage; & comme le vent étoit debout pour revenir en goëlette, nous débarquâmes vis- à - vis Buenos - Aires , au -deflus de la Colome du S. Sacrement | 8 fimes la route par terre. Nous traverfàämes ces plaines immenfes dans lef- quelles on fe conduit par le coup d’œil, dirigeant fon che- min de maniere à ne pas manquer les gués des rivieres, chaffant devant foi trente ou quarante chevaux, parmi lefquels il faut prendre avec un laqs fon relais, lorfque celui qu'on monte eft fatigué, fe nourriffant de viande prefque crue, & paflant les nuits dans des cabanes faites de cuirs, où le fommeil eft à chaque inftant interrompu par les hurlemens des tigres qui rodent aux environs. Je n'oublierai de ma vie la façon dont nous paflâmes la ri- viere de Sainte Lucie, riviere fort profonde, très-rapide Mouillage à Montevideo. CS Fevrier. Route par terre de Bué- nos-Âires à Montevideo, 30 VOYAGE & beaucoup plus large que n’eft la Seine vis-à-vis les In: valides. On vous fait entrer dans un canot étroit long , & dont un des bords eft de moitié plus haut que l’autre ; on force enfuite deux chevaux d'entrer dans l’eau, l’un à ftribord , l’autre à bas-bord du canot, & le maître du bac tout nud, précaution fort fage River mais peu propre à Pts ceux qui ne ment pas nager ; fou- tient de fon mieux au deflus de la riviere la tête des deux chevaux, dont la befogne alors eft de vous pañler à la nage de Fo côté , s'ils en ont la force. Don Ruis arriva à Montevideo peu de jours après nous. Îl y vint en même rems deux goëlettes chargées l’une de bois & de rafraichiflemens, l’autre de bifcuit & de farine, que nous embarquâämes en remplacement de notre confommation depuis Breft. Les frégates Efpagno- les étant également prêtes, nous nous difpofàmes à fortir de la riviere de la Plata. RFA as (AR; ÿ AUTOUR DU Monxpbe. 31 CHA MATENE TORCEN IT. Détails ne les Etabliffemens des Efpagnols dans la riviere de la Plara. R: o de la Plata ou la Riviere d'argent, ,ne coule point fous le même nom depuis fa fource. Elle fort, dit-on, du /ac de Xaracès vers les feize degrés trente minutes Sud, fous le nom de Paraguai, qu'elle donne à une immenfe étendue de pays qu'elle traverfe. Elle fe joint vers le vingt-fep- tieme degré avec le Parana, dont elle prend le nom avec les eaux. Elle coule enfuite droit au Sud jufque par le trente-quatrieme degré; elle y reçoit lT7aguar & prend fon cours à l’'Eft fous le nom de /a Plata , qu’elle conferve en- fin jufqu’à la mer. Les Géographes Jéfuites, qui les premiers ont attribué lorigine de ce grand fleuve au lac des Xaragès, fe font trompés , & les autres Ecrivains ont fuivi leur-erreur à cet égard. L’exiftence de ce lac, qu'on a depuis cherché vainement , eft aujourd’hui reconnue fabuleufe. Le Mar- quis de Valdelirias & Don Georges Menezès, ayant été nommés, l’un par l'Efpagne , l’autre par le Portugal, pour régler dans ces contrées les limites des poffeffions refpec- tives des deux Puiffances, plufieurs Officiers Efpagnols & Portugais parcoururent, depuis 1751 jufqu’en 1755, toute cette portion de l'Amérique. Une partie des Efpagnols remonta le fleuve du Paraguai , comptant entrer par cette voie dans le lac des Xaragès; les Portugais de leur côté, partant de Matagroflo , établiflement de leur nation far la frontiere intérieure du Bréfil par douze degrés de latitude 1767; On ef} dans l'erreur fur la fource de ce fleuve, Source de la Plata. Date des pre- miers établif- femens que les Efpagnols 7 font, 32 VoyYaAGr Sud, s'embarquerent fur une riviere nommée Caourou , que les mêmes cartes des Jéfuites marquoient fe jetter auffi dans le lac des Xaragès. Ils furent fort étonnés les uns & les autres de fe rencontrer fur le Paraguai, par les quatorze degrés de latitude Sud, & fans avoir vu aucun lac. Ils vériñierent que ce qu'on avoit pris pour un es eft une vafte étendue de days très-bas, lequel en cer- tain tems de l’année eft couvert par les innondations du fleuve. Le Paraguai ou Rio de la Plata prend fa fource entre le cinquieme & le fixieme degré de latitude auftra- le , à-peu-près à égale diftance des deux mers & dans les mêmes montagnes , d'où fort la Madera, qui va perdre fes eaux dans celles de ?’ Amazone. Le Parana & l'Ura- guai naïflent tous deux dans le Bréfil ; l'Uraguai dans la Capitainie de Saint - Vincent, le Parana près de la mer Atlantique, dans les montagnes qui font à l'Ef-Nord-Eft de Rio Janéiro, d’où il prend fon cours vers lOueft & en- fuite tourne au Sud. On trouvera dans l'Abbé Prevoft l’hiftoire de la dé- couverte de Rio de la Plata, des obftacles que les Efpa- gnols y ont rencontrés & des premiers établiflemens qu’ils y ont faits. On y verra Diaz de Solis entrer le premier dans cette riviere en1$51$, & lui donner fon nom qu’elle garde jufqu'en 15 26, que Sébaftien Cabot lui donne celui de la Plata ou de riviere d'argent, en reconnoiflance de l'argent qu'il en tire des naturels. Cabot bâtit Ze. fort du S. Efprit fur le Rio Tercero ,trente lieues au-deflus du confluent du Paraguai & de l’Uraguai; mais cet établife- ment eft détruit prefqu’aufli-tôt que formé. Don Pedre de Mendoze, grand Echanfon de l'Empereur, eft enfuite envoyé dans la riviere de la Plata en 1535. Il jette fous de Auelo Wir) PDiUVM O ND E, 33 de mauvais aufpices les premiers fondemens de Puenos- Aires à la rive droite du fleuve, quelques lieues au-deffous de fon confluent avec l'Uraguai, & fon expédition n’eft qu'une fuite de malheurs qui ne fe terminent pas même à fa mort. Les habitans de Buenos-Aires, combattus fans cefle par les Indiens & par la famine, font forcés de l’'a- bandonner, & fe retirent à /’Affomprion. Cette ville, au- jourd'hui capitale du Paraguai, bâtie par des Efpagnols de la fuite de Mendoze, fur la rive occidentale du fleuve & àtrois cents lieues de fon embouchure, s’étoit accrue en peu de tems. Enfin Don Pedre Ortiz de Zarate , Gou- verneur du Paraguai, rebârit Buenos-Aires en 1580 au même lieu où l’infortuné Mendoze l’avoit autrefois pla- cée : il y fixe fa demeure, elle devient l’entrepôt des vaif- feaux d'Europe , & fucceflivement la capitale de toutes ces provinces, le fiége d’un Evêque , & la réfidence a Gouverneur général. Die eft fituée par trente-quatre degrés trente- cinq minutes de latitude auftrale ; fa longitude de foixan- te-un degrés cinq minutes à l'Oueft de Paris, a été dé- terminée par les obfervations aftronomiques du P. Feuil- lée. Cette ville, régulierement bâtie, eft beaucoup plus grande qu'il femble qu’ellene devroit l'être, vu le nombre de fes habitans, qui ne pafle pas vingt mille blancs , negres &z métifs. La forme des maifons eft ce qui lui donne tant d’étendue. Si l’on excepte les couvens, les édifices publics, & cinq ou fix maïfons particulieres , toutes les autres font très-bafles &7 n’ont abfolument que le rez-de-chaufée. Elles ont d’ailleurs de vaftes cours & prefque toutes des jardins. La citadelle, qui renferme le Gouvernement, eff fituée fur le bord de la riviere & forme un des côtés de la E Situation de la -ville de Buenos - Ai- res, Sa popula- tion. Cette ville manque de ports. Etabliffemens religieux, 34 V o TA'GUE place principale ; celui qui lui eft oppofé , eft occupépar l’hôtel-de-ville. La cathédrale & l'évêché font fur cette même place où fe tient chaque jour le marché public. Il n’y a point de port à Buenos-Aires , pas même un mole pour faciliter l’'abordage des bateaux. Les vaifleaux ne peuvent s'approcher de la ville à plus de trois lieues, Ils y déchargent leurs cargaifons dans des goelettes qui entrent dans une petite riviere nommée À10 Chuelo, d'où les marchandifes font portées en charrois dans la ville qui en eft à un quart de lieue. Les vaïfleaux qui doivent ca- rener ou prendre un chargement à Buenos-Aires, fe ren- dent à /a Encenada de Baragan, efpece de port fitué à neuf ou dix lieues dans l’'Eff-Sud-Eft de cette ville. Il y a dans Buenos-Aires un grand nombre de commu- nautés religieufes de l’un & de lautre fexe. L'année y eft remplie de fêtes de Saints qu’on célebre par des pro ceffions & des feux d'artifice. Les cérémonies du culte tiennent lieu de fpeétacles. Les Moines nomment les pre- mieres dames de la ville Majordomes de leurs Fondateurs & de la Vierge. Cette charge leur donné le droit & le foin de parer l'Eglife , d’habiller la ftatue & de porter lhabit de l’ordre. C’eft pour un étranger un fpe@acle aflez fingulier de voir dans les Eglifes dé Saint Francois ou de S. Dominique, des dames de tout âge ; affifter aux offices avec l’habir de ces faints inflituteurs. Les Jéfuites offroient à la piété des femmes un moyen de fanétification plus auftere que les précédens. Ils avoient attenant à leur couvent une maifon nommée 4 Ca/a de Los exercicios de las mugeres, c’eft-à-dire la maifon des exerci- ces des femmes. Les femmes & lesfilles, fans le con- féntement des maris ni des parens , venoient s’y fanéti- A U T0 'U R :D}U0 M O N D E. 35 fier par une retraite de douze jours. Elles y étoient lo- gées & nourries aux dépens de la compagnie. Nul homme ne pénétroit dans ce fanétuaire, s'il n'étoit revêtu de l’habit: de Saint Ignace ; les domeftiques même du fexe féminin n'y pouvoient accompagner leurs maïtrefles. Les exercices pratiqués dans ce lieu faint, étoient la mé- ditation, la priere , les cathéchifmes, la confeffion & la flagellation. On nous a fait remarquer les murs de la chapelle encore teints du fang que faifoient, nous a- t-on dit, rejaillir les difciplines, dont la pénitence armoit les mains de ces Madelaines. Au refte tous les hommes ici font freres & de la même couleur aux yeux de la Religiôn. Il y a des cérémonies facrées pour les efclaves , & les Dominicains ont établi une confrérie de Neores. Ils ont leurs chapelles, leurs mefles, leurs fêtes, & un enterrement affez décent; pour tout “cela , il n’en coûte annuellement que quatre réaux par Ne- gre aggréoé. Les Negres reconnoiffent pour patrons S. Benoit de Palerme & la Vierge , peut-être à caufe de ces mots de l’Ecriture, miora fum, fed formofa filia Jerufalem. Le jour de leur fête ils élifent deux Rois,, dont l’un repré- fente le Roi d'Efpagne, l’autre celui de Portugal, & cha- que Roi fe choifit une Reine. Deux bandes, armées & bien vêtues, forment à la fuite des Rois une proceffon, laquelle marche avec croix, bannieres & inftrumens. On chante, on danfe , on figure des combats d’un parti à l'autre , & l’on récite des litanies. La fête dure depuis le matin jufqu’au foir , & le fpeétacle en eft aflez agréable. Les dehors de Buenos-Aires font bien cultivés. Les ha- bitans de la ville y ont prefque tous des maifons de cam- pagne qu'ils nomment ar » @ leurs environs fournif- Eïj Confrérie & procef- fions de Ne- gres. Dehors de Buenos - Aïi- res; leurs pro- den Abondance de beftiaux. 36 VOYAGE fent abondamment toutes les denrées néceflaires à la vie. J'en excepte le vin, qu'ils font venir d'Efpagne ou qu'ils tirent de Mendoza, vignoble fitué à deux cents lieues de Buenos-Aires. Ces environs cultivés ne s'étendent pas fort loin; fi l’on s'éloigne feulement à trois lieues de la ville, l’on ne trouve plus que des campagnes immenfes , abandonnées à une multitude innombrable de chevaux &c de bœufs, qui en font les feuls habitans. À peine, en par- courant cette vafte contrée , y rencontre-t-on quelques chaumieres éparfes, bâties moins pour rendre le pays ha- bitable, que pour conftater aux divers particuliers la pro- priété du terrein , ou plütôt celle des beftiaux qui le cou- vient. Les voyageurs qui le traverfent, n’ont aucune re- traite, & font obligés de coucher dans les mêmes char- rettes qui les tranfportent, & qui font les feules voitu- res dont on fe ferve ici pour les longues routes. Ceux qui voyagent à cheval, ce qu’on appelle aller à la légere, font le plus fouvent expofés à coucher au bivouac au mi- lieu des champs. Tout le pays eftuni, fans ace & fans autres bois que celui des arbres fruitiers. Situé fous Le climat de la plus heureufe température, il feroit un des plus abondans de l’univers en toutes fortes de produétions, s’il étoit cul- tivé. Le peu de froment & de maïs qu’on y feme, y rap- porte beaucoup plus que dans nos meilleures terres de France. Malgré ce cri de la nature, prefque tout eftin- cuite, les environs des habitations comme les terres les plus éloigne ses ou fi le hazard fait rencontrer quelques cultivateurs, ce font des Nesres efclaves. Au refte les chevaux & les beftiaux font en fi grande abondance dans ces campagnes, que ceux qui piquent les bœufs attelés À US OMR DRUX M © N D E. 37 aux charettes, font à cheval, & que les habitans ou les voyageurs, lorfqu'ils ont faim, tuent un bœuf, en pren- nent ce quils peuvent en manger , & abandonnent le refte , qui devient la proie des chiens fauvages & des ti- gres : ce font les feuls animaux dangereux de ce pays. Les chiens ont été apportés d'Europe ; la facilité de fe nourrir en pleine campagne leur a fait quitter les habita- tions, & 1ls fe font multipliés à l'infini. Ils fe raflemblent fouvent en troupe pour attaquer un taureau, même un homme à cheval, s'ils font preffés par la faim. Les tigres ne font pas en grande quantité, excepté dans les lieux boifés , & il n’y a que les bords des petites rivieres qui le {oient. On connoît l'adrefle des habitans de ces contrées à fe fervir du lacs; & il eft certain qu'il y a des Efpa- onols qui ne craignent pas de lacer les tigres: il ne l'ef pas moins que plufeurs finiffent par être la proie de ces redoutables animaux. J’ai vu à Montevideo une efpece de chat-tigre , dont le poil aflez long eft gris-blanc. L’ani- mal eft très-bas fur jambes & peut avoir cinq pieds de ion- oueur : il eft dangereux, mais fort rare. Le bois eft très-cher à Buenos-Aires & à Montevideo. On ne trouve dans les environs que quelques petits bois à peine propres à brûler. Tout ce quieft néceffaire pour la charpente des maifons, la conftruétion & le radoub des L # Rareté du bois : moyens d'y remédier. embarcations qui naviguent dans la riviere, vient du Pa- : raguai en radeaux. Il feroit toutefois facile de tirer du haut pays tous les bois propres à la conftruétion des plus grands navires. De Monregrande , où font les plus beaux, on les tranfporteroit en cajeux par l’Y#icui dans l’Ura- quai, &-depuis le Sa/io Chico de Uraguai, des bâtimens faits exprès pour cet ufage, les ameneroient à tel en- Détails fur les Améri- cains de cette contrée. 38 VOYAGE droit de la riviere où l’on auroit établi des chantiers. Les Indiens, qui habitent cette partie de l'Amérique au Nord & au Sud de la riviere de la Plata, font de la race de ceux que les Efpagnols nomment /ndios bravos. Ils font d’une taille médiocre, fort laids & prefque tous ga- Jeux. Leur couleur eft très-bafannée, & la graiffe dont ils fe frottent continuellement , les rend encore plus noirs. Ils n’ont d'autre vêrement qu’un grand manteau de peaux de chevreuil, qui leur defcend jufqu'aux talons , & dans lequel ils s’enveloppent. Les peaux dont il eft com- pofé, font tréèsbien pañlées ; ils mettent le poil en-de- dans , & le dehors eïft peint de diverfes couleurs. La marque diftin@ive des Caciques eft un bandeau de cuir dont ils fe ceignent le front; il eft découpé en forme de couronne & orné de plaques de cuivre. Leurs armes font l'arc & la fleche ; ils fe fervent auffi du lacs & de boules (1). Ces Indiens paflent leur vie à cheval & n’ont pas de demeures fixes, du-moins auprès des éta- bliflemens Efpagnols. Ils y viennent quelquefois avec leurs femmes pour y acheter de l’eau-de-vie; & ils ne ceffent d’en boire que quand Fivreffe les laiffe abfolu- ment fans mouvement. Pour fe procurer des liqueurs fortes , ils vendent armes , pelleteries , chevaux ; & quand ils ont épuifé leurs moyens, ils s'emparent des premiers chevaux qu'ils trouvent auprès des habitations & s’éloi- gnent. Quelquefois ils fe raflemblent en troupes de deux ou trois cents pour venir enlever des beftiaux fur les terres des Efpagnols, ou pour attaquer les caravanes des voya- (x) Ces boules font deux pierres “boyau cordonné long de fix à fept rondes, de la groffeur d’un boulet de pieds. Ils fe fervent à cheval de certe deux livres, enchâffées l'une & l’au- arme comme d’une fronde , & en tre dans une bande de cuir, & atta- atteignent jufqu’à trois cents pas l’ani- chées à chacune des extrémités d’un mal qu'ils pourfuivent, APURNENO UE LDSU0 M O N D E; 39 oeurs. Ils pillent, maflacrent & emmenent en cfclavage, . C'eit un mal fans remede : comment dompter une nation errante, dans un pays immenfe & inculte , où il feroit même dificile de la rencontrer? D’ailleurs ces Indiens font courageux, aguerris , & le tems n'eft plus où un Ef pagnol faifoit fuir mille Américains. Il s’eft formé depuis quelques années dans le nord de face pa la riviere une tribu de brigands qui pourra devenir plus dans le Nord dangereufe aux Efpagnols , s'ils ne prennent des mefures Have _promptes pour la détruire. Quelques malfaiteurs échap- pés à la Juftice, s’étoient retirés dans le Nord des Mal- donades ; des déferteurs fe font joints à eux : infenfble- ment le nombre s’eft accrû ; ils ont pris des femmes chez les Indiens , & commencé une race qui ne vit que de pil- lage. Ils viennent enlever des beftiaux dans les poffef- fions Efpagnoles, pour les conduire fur les frontieres du Bréfil, où ils les échangent avec. les Pauliftes (1) contre des armes & des vêtemens. Malheur aux voyageurs qui tombent entre leurs mains. On aflure qu'ils font aujourd’hui plus de fix cents. [ls ont abandonné leur pre- miere habitation & fe font retirés plus loin de beaucoup dans le Nord-Oueft. Le Gouverneur général de la province de la Plata ré Etendue du fide , comme nous l’avons dit, à Buenos-Aires. Danstout Se, ce qui ne regarde pas la mer, il eft cenfé dépendre du Pet Viceroi du Pérou; mais l'éloignement rend cette dépen- dance prefque nulle , & elle n’exifte réellement que pour l'argent qu'il eft obligé de tirer des mines du Potof, ar- gent quine viendra plus en pieces cornues, depuis qu’on (1) Les Pauliftes font une autre qui fe font formés en République vers race de brigands fortis du Bréfil, & la fin du feizieme fiecle, 40 V0 : AVCUE a établi cette année même dans le Potofi une maifon des monnoies. Les gouvernemens particuliers du Tucuman & du Paraguai, dontles principaux établiffemens font S'anra- Fé, Corrientes, Salra ,Tujus, Cordoue, Mendoze &Y Affomp- tion, dépendent, ainfi queles fameufes miflions des Jéfuites, du Gouverneur général de la Piata. Cette vafte province comprend en un mot toutes les pofieffions Efpagnoles à l’Eft des Cordillieres, depuis la riviere des Amazones jufqu’au détroit de Magellan. Il eft vrai qu'au Sud de Buenos- Airesil n’y a plus aucun établiflement; la feule néceffité de fe pourvoir de fel , fait pénétrer les Efpagnols dans ces contrées. Îl part à cet effet tous les ans de Buenos-Aires un convoi de deux cents charrettes, efcorté par trois cents hommes; il va charger environ par quarante degrés dans les lacs voifins de la mer où le fel fe forme naturellement. Autrefois les Efpagnols l’envoyoient chercher par des goëlettes dans la baie S. Julien. Je remets aufecond voyage, que les circonftances nous ont forcés de faire dans la riviere de la Plata, à parler des Miffions du Paraguai ; ce fera le tems d’entrer dans ce détail, en rapportant l’expulfon des Jéfuites, de laquelle nous avons été témoins. Le commerce de la province de la Plata eft le moins riche de l'Amérique Efpagnole; cette province ne produit ni or ni argent, & fes habitans font trop peu nombreux, pour qu'ils puiflent tirer du fol tant d’autres richefies qu'il renferme dans fon fein; le commerce même de Buenos- Aires n’eft pas aujourd'hui ce qu'il étoit il y a dix ans : il eft confidérablement déchù, depuis que ce qu’on y appelle l’internation des marchandifes n’eft plus permife, c’eft-à- dire depuis qu'il eft défendu de faire paffer les marchandi- {es À U TOUR DUAMO N D FE 41 fes d'Europe par terre de Buenos-Aires dans le Pérou & le Chili; de forte que les feuls objets de fon commerce avec ces deux provinces font aujourd'hui le coton, les mules & le maté ou l'herbe du Paraguai. L'argent & le crédit des négocians de Lima ont fait rendre cette ordon- nance contre laquelle réclament ceux de Buenos-Aires. Le procès eft pendant à Madrid, où je ne fais quand ni comment on le jugera. Cependant Buenos-Aires eft ri- che, J'en ai vu fortir un vaifleau de regiftre avec un mil- lion de piaftres; & fi tous les habitans de ce pays avoient le débouché de leurs cuirs avec l'Europe, ce commerce feul fufiroit pour les enrichir. Avant la derniere guerreil {e faifoit ici une contrebande énorme avec la colonie du S. Sacrement , place que les Portugais pofledent fur la rive gauche du fleuve, prefque en face de Buenos-Aires ; mais cette place eft aujourd’hui tellement reflerrée par les nouveaux ouvrages dont les Efpagnols l’ont enceinte, que la contrebande avec elle eft impoññble sil n’y a con- Colonie du Saint - Sacre- ment, nivence ; les Portugais même qui l'habitent, font obligés de tirer par mer leur fubfiftance du Bréfil. Enfin ce pofte eft ici à l’Efpagne, vis-à-vis des Portugais, ce que lui eft en Europe Gibraltar vis-à-vis des Anglois. La ville de Montevideo, établie depuis quarante ans, eft fituée à la rive feptentrionale du fleuve, trente lieues au-deffus de fon embouchure & bâtie fur une prefqu’ile qui défend des vents d'Eftune baie d'environ deux lieues de profondeur fur une de largeur à fon entrée. A la pointe occidentale de cette baie eft un mont ifolé , aflez élevé, lequel fert de reconnoiffance & a donné le nom à la ville ; les autres terres qui l’environnent , font très-bafles. Le F Détails fur la ville de Mon- tevideo. Sur le mouil- lage dans cet- te baie, a relâche y eft excellenre pour les équi- 42 VoYaAGeE côté de la plaine eft défendu par une citadelle. Plufieurs batteries protegent le côté de la mer & le mouillage. Il y en a même une au fond de la baie fur uneïîle fort petite appellée l’//e aux Francois. Le mouillage de Montevideo eft sûr, quoiqu'on y efluie quelquefois des pamperos , qui font des tourmentes de vent de Sud-Oueft , accompa- gnées d'orages affreux. Il y a peu de fond dans toute la baie; on y mouille par trois, quatre & cinq brafles d’eau fur une vafe très-molle , où les plus gros navires mar- chands s’échouent & font leur lit fans fouffrir aucun dom- mage ; mais les vaifleaux fins s’y arquent facilement & y dépériflent. L’heure des marées n’y eft point réglée ; fe- lon le vent qu'il fait , l'eau eft haute ou baffle. On doit fe méfier d’une chaîne de roches qui s'étend quelques enca- blures au large de la pointe de l'Eft de cette baie; la mer y brife , & les gens du pays l’appellent a Pointe des char- TEÈIES, Montevideo a un Gouverneur particulier, lequel eft immédiatement fous les ordres du Gouverneur général de la province. Les environs de cette ville font prefque in- cultes & ne fourniflent ni froment ni maïs; il faut faire venir de Buenos-Aires la farine, le bifcuit & les autres provifions néceffaires aux vaifleaux. Dans les jardins, foit de la ville, foit des maifons qui en font voifines, on ne cultive prefque aucun légume ; on y trouve feulement des melons, des courges, des figues, des pêches , des pommes & des coins en grande quantité. Les beftiaux y font dans la même abondance que dans le refte de ce pays ; ce qui joint à la falubrité de l'air, rend la relàche à Mon- tevideo excellente pour les équipages; on doit feulement y Alt ON & DyU0 NWO N D E. 43 prendre fes mefures contre la défertion. Tout y invite le matelot, dans un pays où la premiere réflexion qui le frap- pe en mettant pied à terre, c'eft que l'on y vit prefque fans travail. En effet comment réfifter à la comparaifon de couler dans le fein de loifiveté des jours tranquilles fous un climat heureux, ou de languir affaiffé fous le poids d'une vie conftamment laborieufe, & d'accélérer dans les travaux de la mer les douleurs d’une vieilleffe indigente ? 1767. Fevrier. Départ de Montevideo. 44 V7. o y QUErE CE A: PAST ORGE | DU Départ de Montevideo ; navigation jufqu’aux îles Maloui- nes ; leur remife aux Efpagnols ; détails hifloriqués fur ces iles. Le 28 Février 1767 nous appareillâmes de Montevi- deo avec les deux frégates Efpagnoles & une tartane chargée de beftiaux. Nous convinmes, Don Ruis & moi, qu'en riviere 1l prendroit la tête, & qu'une fois au large je conduirois la marche. Toutefois pour obvier au cas de féparation , j’avois donné à chacune des frégates un pilote pratique des Malouines. L’après-midi il fallut mouiller, la brume ne permettant de voir ni la grande terre ni l’île de Flores. Le vent fut contraire le lendemain ; je comptois néanmoins que nous appareillerions , les courans affez forts dans cette riviere favorifant les bordées ; mais voyant le jour prefque écoulé, fans que le Commandant Efpa- gnol fit aucun fignal, j’envoyai un Officier pour lui dire que, venant de reconnoître l’île de Flores dans un éclair- ci, je me trouvois mouillé beaucoup trop près du banc aux Anglois, & que mon avis étoit d'appareiller le len- demain, vent contraire ou non. Don Ruis me fit répondre qu'il étoit entre les mains du pilote pratique de la riviere, qui ne vouloit lever l'ancre que d’un vent favorable & fait. L’Oficier alors le prevint de ma part, que je met- trois à la voile dés la pointe du jour, & que je l’attendrois en louvoyant , ou mouillé plus au Nord , à moins que les marées ou la force du vent ne me féparaflent de lui malgré moi. : 7 Les points B Fworé ceuæ ou lon WOUPCONE que Les Agir w'OnÉ D etrbles = 1° Scbaldes CARTE DES ISLES MALOUINES 2 Nonimecs Par Les Anglous / C Isles Falkland A Ze: toit létabli Û ] eue ot cdot Le Etablissement Francois occupe your d. 277 Par les Erpe CNET) Zes Ponts B raont ceux ou lon woupeone que les Agios sont cts "a CA 2 . AT Sons A Ut rIO NU © D U0M O N D £. 45 La tartane n’avoit point mouillé la veille, & nous la per- dimes de vûe le foir pourne laplus revoir. Ellerevint à Mon- tevideo trois femaines après , fans avoir rempli fa miflion. La nuit fut orageufe, le pamperos fouffla avec furie, & nous fit chafler: une feconde ancre que nous mouillâmes nous étala. Le jour nous montra les vaiffeaux Efpagnols, mâts de hune & bafles veroues amenés, lefquels avoient beaucoup plus chaflé que nous. Le vent étoit encore con- traire & violent, la mertrès-grofle, & ce ne fut qu’à neuf heures que nous pûmes appareiller fous les quatre voiles majeures ; à midi nous avions perdu de vüe les Efpagnols demeurés à l'ancre , & le 3 Mars au foir, nous étions hors de la riviere. Nous eùmes pendant la traverfée aux Malouines, des vents variables du Nord-Oueft au Sud-Oueft , prefque toujours gros tems & mauvaife mer : nous fümes contraints de païfer en cape le 15 & le 16, ayant efluyé quelques avaries. Depuis le 17 après midi que nous commencâmes à trouver le fond, le tems fut toujours chargé d’une brume épaifle. Le 19, ne voyant pas la terre, quoique l’horifon Le fût éclairci, & que par moneftime je fufle dansl'Eff des iles Sébaldes , je craignis d’avoir dépaffé les Malouines, & je pris le parti de courir à lOueft ; le vent, ce qui eft fort rare dans ces parages, favorifoit cette réfolution. Je fis grand chemin à cette route pendant vinot-quatre heures, & ayant alors trouvé les fondes de la côte des Paragons, je fus affuré de ma pofition , & je repris avec confiance la route à l'Eft. En efiet, le 21 à quatre heures après-midi, nous eùmes connoiflance des Sébaldes qui nous reftoient au Nord-Eft quart d'Eft à huit ou dix lieues de diftance, & bientôt aprés nous vimes la terre des Malouines. Je me Coup de vent effuyé dans la riviere. 1767. Mars. Route de Montevideo aux iles Ma- louines. Faute com- mife dans Ja direttion de cette route. Prife de pof- {effion de no- tre établifle- ment aux Ma- louines parles Efpagnols. ES 46 ferois au refte épargné l'embarras où je me trouvai , filde bonne heure j'eufle renu le vent, pour me rallier à la côte de l'Amérique & chercher les iles en latitude. Le 23 au {oir, nous entràmes & mouillâmes dans la grande baie, où mouillerent aufli le 24 les deux frégates Efpagnoles. Elles avoient beaucoup fouffert dans leur tra- vertée ; le coup de vent du 16 les ayant obligées d'arriver vent arriere, & la commandante ayant reçu un coup de mer qui avoit emporté fes bouteilles , enfoncé les fenêtres de fa grand’chambre, & mis beaucoup d’eau à bord. Pref que tous les beftiaux embarqués à Montevideo , pour la Colonie, avoient péri par le mauvais tems. Le 25, les trois bâtimens entrerent dans le port & s’y amarerent. Le 1° Avril, je livrai notre établiflement aux Efpa- enols qui en prirent poffeffion , en arborant l'étendart d’Ef- pagne , que la terre &r les vaifleaux faluerent de vingt & un coups de canon au lever &c au coucher du Soleil. Fa- VOYAGE vois I aux François habitans de cette Colonie naiflante Avril, une lettre du Roi, par laquelle Sa Majefté leur permettoit d'y refter fous la domination du Roi Catholique. Quel- ques familles profiterent de cette permiflion : le refte, avec l'Etat Major, fut embarqué fur les frégares Efpagno- les, lefquelles appareillerent pour Montevideo le 27 au mat (4) (*) Lorfque J'ai livré l’établiffe- ment aux Efpagnols, tous les frais, généralement quelconques, qu'il avoit entrainés jufqu’au premuer Avril 1767, montoient à {fix cents trois mille livres , en y comprenant l'intérêt à cinq pour cent des fommes dépenfées depuis le premier armement. La France ayant teconnu le droit de Sa Majefté Catho- lique fur les iles Malouines, le Roi dEfpagne, par un principe de droit public, connu de tout le monde, ne devoit aucun rembourfement de ces frais. Cependant comme il prenoit les vaifleaux , bateaux, marchandifes , ar- mes, provifions de guerre & de bou- che qui compofoient notre établiffe- ment, ce Monarque jufte autant que généreux , a voulu que nous fufhons rembourfés de nos avances, & la fomme fufdite nous a été remife par fes Tréforiers , partie à Paris , le refte à Buenos-Aires, ANUNMONC, À D UP MON DE. 47 On me pardonnera quelques remarques hiftoriques fur ces iles. Il me paroit qu’on en peut attribuer la premiere décou- verte au célebre Améric Vefpuce, qui, dans fon troifieme Voyage pour la découverte de l'Amérique, en parcourut la côte du Nord en 1502. Il ignoroit à la vérité fi elle appattenoit à une ile, ou fi elle faifoit partie du continent ; mais il eft facile de conclure de la route qu'il avoit fuivie, de la latitude à laquelle il étoit arrivé, de la defcription même qu'il donne de cette côte, que c’étoit celle des Ma- louines. Faflurerai, avec non moiïns de fondement, que Beauchefne Gouin , revenant de la mer du Sud en 1700, a mouillé dans la partie orientale des Malouines, croyant être aux Sébaldes. Sa relation dit qu'après avoir découvert l'ile à laquelle il donna fon nom, il vint mouiller à PES de la plus orien- tale des Sébaldes. Je remarquerai d'abord que les îles Ma- Détails hif- toriques fur les Maloui- nes. Améric Vef. puce en fait la découverte. Des Navi- gateurs Fran- çois & An- glois en ont, depuis lui , connoiffance. louines étant fituées entre les Sébaldes & l'ile Beauchefne, & ayant une étendue confidérable , il dut néceffairement rencontrer la côte des Malouines , qu'il eft même impofñfi- ble de ne pas appercevoir étant mouillé à l'Eft des Sébal- des. D’ailieurs Beauchefne vit une {eule ile d’une immenfe étendue , & ce ne fut qu'après en être forti quil s’en pré fenta à lui deux autres petites ; il parcourut un terrein hu- mide couvert d'étangs & de lacs d’eau douce, couvert d'ores, de farcelles , de canards & de bécaffines ; il n’y vit point de bois: tout cela convient à merveillé aux Ma- louines. Les Sébaldes au contraire font quatre petites îles Pierreufes , où Guillaume Dampierre en 1683, chercha vainement à faire de l'eau, & où il ne put trouver un bon mouillage, Les Fran- çois s'y éta- bliflent. 48 Vio.y.A GYE Quoi qu'il en foit, les îles Malouines jufqu’à nos jours n’étoient que très-imparfaitement connues. La plûpart des relations nous les dépeignent comme un pays couvert de bois. Richard Hawkins, qui en avoit approché la côte feptentrionale, à laquelle il donna le nom de Frroinie d'Hawkins , & qui l’a aflez bien décrite, affuroit qu’elle étoit peuplée, & prétendoit y avoir vu des feux. Au com- mencement du fiecle, le Sanr-Louis, navire de Saint- Malo, mouilla à la côte du Sud-Eft dans une mauvaife baie, à l’abri de quelques petites îles qu’on appella {es d'Anican , du nom de l'Armateur ; mais il n’y féjourna que pour faire de l’eau, & continua fa route fans s'embarrafler de les reconnoitre. Cependant leur poftion heureufe pour fervir de relà- che aux vaifleaux qui vont dans la mer du Sud, & d’é- chelle pour la découverte des terres auftrales , avoit frappé les Navigateurs de toutes les Nations. Au com- mencement de l’année 1763, la Cour de France réfolut de former un établiffement dans ces iles. Je propofai au mi- niftere de le commencer à mes frais, & fecondé par MM. de Nerville & d’Arboulin, Pun mon coufin germain & l’autre mon oncle, je fis fur le champ conftruire & armer à Saint-Malo, parles foins de M. Duclos Guyot, aujour- d'hui mon fecond, /’Aigle de vingt canons, & Le Sphinx de douze, que je munis de tout ce qui étoit propre pour une pareille expédition. J’embarquai plufeurs familles Acadiennes, efpece d'hommes laborieufe , intelligente , & qui doit être chere à la France par l'inviolable attache- ment que lui ont prouvé ces honnêtes & infortunés ci- toyens. | Le15 Septembre 1763, je fis voile de Saint-Malo : | M. AUOT R ADYUO M ON! D' Et. - 49 M. de Nerville s'étoit embarqué avec moi fur l Arple. Après deux relâches, l'une à l'ile Sainte-Catherine fur la côte du Bréfil, l’autre à Montevideo, où nous primes beau- coup de chevaux & de bêtes à corne, nous attérimes fur les iles Sébaldes , le 31 Janvier 1764. Je donnai dans un grand enfoncement que forme la côte des Malouines en- tre {a pointe du Nord-Oueft & les Sébaldes ; mais n’y ayant pas apperçu de bon mouillage, je rangeai la côte au Nord, & étant parvenu à l'extrémité orientale desiles, Premier éta: blifferment dans ces iles, j'entrai le 3 Février dans une grande baie qui me parut : commode pour y former un premier établiffement. La même illufion qui avoit fait croire à Hawkins, à Wood Roger & aux autres, que ces iles étoient couver- tes de bois, agit aufhi fur mes compagnons de voyage. Nous vimes avec furprife en débarquant, que ce que nous avions pris pour du bois en cinglant le long de la côte, n’é- toit autre chofe que des touffes de jonc fort élevées & fort rapprochées les unes des autres. Leur pied, en fe deffé- chant, recoit la couleur d'herbe morte jufqu'à une toife environ de hauteur ; & de-là fort une touffe de ;oncs d’un beau verd qui couronne ce pied ; de forte que dans l’éloi- gnement , les tiges réunies préfentent l'afpeét d’un bois de médiocre hauteur. Ces joncs ne croiffent qu’au bord de la mer & fur les petires iles ; les montagnes de la grande terre {ont , dans quelques endroits, couvertes entiérement de bruyeres, qu’on prend aifément de loin pour du taillis. Les diverfes courfes que j'ordonnai auflitôt, & que Jentrepris moi-même dans l'ile, ne nous procurerent la découverte d'aucune efpece de bois, ni d’aucune trace que cette terre eût été jamais fréquentée par quelque na- Détails fur la maniere dont il fe fait: Premiere an- née. le a M ovycaA"@e vire. Je trouvai feulement, & en abondance , une excel- lente tourbe qui pouvoit fuppléer au bois, tant pour le chauffage que pour la forge ; & je parcourus desplaines im menfes, coupées par-tout de petites rivieres d’une eau parfaite. La nature d’ailleurs n’offroit pour la fubfiftance des hommes que la pêche & plufieurs fortes de gibiers de terre & d’eau. À la vérité ce gibier étoit en grande quan- tité, & facile à prendre. Ce fut un fpeétacle fingulier de voir, à notre arrivée, tous les animaux, jufqu’alors feuls ha- - bitans de l'ile, s'approcher de nous fans crainte & ne té- moigner d’autres mouvemens que ceux que la curiofité infpire à la vûüe d’un objet inconnu. Les oifeaux fe laif- {oient prendre à la main, quelques-uns venoient d’eux- mêmes fe pofer fur les gens qui étoient arrêtés ; tant il eft vrai que l’homme ne porte point empreint un caraétere de férocité qui fafle recorinoître en lui, par le feulinftin@, aux animaux foibles, l'être qui fe nourrit de leur fang. Cette confiance ne leur a pas duré long-tems : ils eurent bientôt appris à fe méfier de leur plus cruel ennemi. Le 17 Mars, je déterminai l'emplacement de la nou- velle colonie. Elle ne fut d’abord compofée que de vingt- fept perfonnes, parmi lefquelles il y avoit cinq femmes & trois enfans. Nous travaillâmes fur le champ à leur bà- tir des cafes couvertes de jonc, à conftruire un magafn & un petit fort, au milieu duquel fut élevé un obélifque. * L’effigie du Roi décoroit une de fes faces, & l’on enterra fous fes fondemens quelques monnoies avec une médaille, où d'an côté étoit gravée la date de l’entreprife, fur l'au- tre on voyoit la figure du Roi, avec ces mots pour exer- que: Zibt ferviat ulima Thule. : AUDIT OR) DUC M © NX D €, s1 Telle étoit l’infcription gravée fur cette médaille ARR Re ÉTABLISSEMENT DES ISLES MALOUINES, SITUÉES AU sçs1 DEG. 30 MIN. DE LAT. AUST, ET 60 DEG, ç0. MIN. DE LONG. OCCID. MÉRID. DE PARIS, PAR LA FRÉGATE L’AIGLE, CAPITAINE P. DUCLOS GUYOT, CAPITAINE DE BRULOT,, ÆT LA-CORVETTE LE SPHINX, CAPIT. FE, CHÉNARD DE LA GIRAUDAIS, LIEUT. DE FRÉGATE, ARMÉES PAR LOUIS-ANTOINE DE BOUGAINVILLE, COLONEL D’INFAN- TERIE, CAPITAINE DE VAISSEAU, CHEF DE L’EXPÉDITION, G. DE NERVILLE, CAPITAINE D'INFANTERIE, ET P. D’ARBOU- LIN , ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL DES POSTES DE FRANCE : CONSTRUCTION D'UN FORT ET D'UN OBÉLISQUE DÉCORÉ D'UN MÉDAILLON DE SA MAJESTÉ LOUIS X V. SUR LES PLANS D’A, L’HUILLIER,INGÉN GÉOGR. DES CAMPS ET ARMÉES, SERVANT DANS L’EXPÉ- DITION ; SOUS LE MINISTERE D'É. DE CHOISEUL, DUC DE STAINVILLE. EN FÉVRIER 1764. Avec ces mots pour exergue: CONAMUR TENVES GRANDIA. Cependant pour encourager les colons, & augmenter leur confiance en des fecours prochains que je leur pro- mis, M. de Nerville confentit à refter à leur tête, & à par- tager les hazards de ce foible établiflement aux extrémités de l'Univers, le feul quil y eût alors à une latitude aufli éle- vée dans la partie auftrale de notre globe. Le $ Avril 1764, je pris folemnellement pofieflion des îles aunom du Roi, < le 8 je mis à la voile pour France. Le $ Janvier 176$ , je revis mes colons, & je les revis fains & contens. Après avoir débarqué Les fecours que je leur apportois, j'allai dans le détroit de Magellan cher- cher un chargement de bois de charpente , des paliffades, de jeunes plants d’abres; & j'ouvris'une navigation deve- G ij Deuxieme année. Les Anglois viennent Sy établir dans une autre par- tie. s2 VOYAGE nue néceffaire au maintien de la colonie. Ce fut alors que je rencontrai les vaifleaux du Commodore Byron qui, après être venu reconnoitre les îles Malouines pour la pre- miere fois, traver{oit le détroit pour entrer dans la mer du Sud. A mon départ des Malouines, le 27 Avril fuivant, la colonie fe trouvoit compofée de quatre-vingts perfonnes, en y comprenant l'Etat Major. En 176$, nous renvoyâmes /’Aiple aux îles Malouines, & le Roi y joignit /'Etoile, une de fes flûtes. Ces deux bà- timens après avoir débarqué les vivres & les nouveaux ha- bitans, allerent enfemble faire du bois pour la colonie dans le détroit de Magellan. L’établiflement commencoit dès- lors à prendre une forme. Le commandant & l’Ordonna- teur logeoient dans des maifons commodes & bâties en pierres ; le refte des habitans occupoit des maïfons dont les murs étoient faits de gazons. Il y avoit trois magañfins, tant pour les effets publics, que pour ceux des particuliers. Les bois du détroit avoient fervi à faire la charpente de ces divers bâtimens , & à conftruire deux goëlettes pro- pres à reconnoître les côtes: L’ Aigle retourna en France de ce dernier voyage, avec un chargement d’huile & de peaux de loups marins tannées dans le pays. L’on avoit auffi fait divers eflais de culture, fans défefpérer du fuc- cès , la plus grande partie des graines apportées d'Europe s'étant facilement naturalifée ; la multiplication des bef- tiaux étoit certaine, & le nombre des habitans montoit alors environ à cent cinquante. Cependant, comme nous venons de le dire, le Com- modore Byron étoit venu au mois de Janvier 1765; recon- noître les îles Malouines: Il y avoit abordé à l’Oueft de notre établiflement, dans un port nommé déjà par nous AUTOUR pu Mon Er. $3 Port dela Croifade, & il avoit pris poffeffion de ces îles pour la couronne d'Angleterre, fans y laïfler aucun habi- tant. Ce ne fut qu’en 1766, que les Anglois envoyerent une colonie s'établir au port de la Croifade, qu'ils avoient nommé Port d’'Egmont ; & le Capitaine Macbride, com- mandant la frégate /e Jafon, vint à notre érabliflement au commencement de Décembre de la même année. Il pré- tendit que ces terres appartenoient au Roi de la Grande- Bretagne, menaça de forcer la defcente, fi l’on s’obflinoit à la lui refufer , fit une vifite au Commandant, & remit à la voile le même jour. | Telétoit l’état des iles Malouines, lorfque nous les remi- mes aux Efpagnols, dont le droit primitif fe trouvoit ainfi étayé encore par celui que nous donnoit inconteftable- ment la premiere habitation. Les détails fur les produc- tions de cesiles, & les animaux qu'on y trouve, font la matiere du chapitre fuivant, & le fruit des obfervations qu'un féjour de trois années a fourni à M. de Nerville. Jai cru qu'il étoit d'autant plus à-propos d'entrer dans ces dé- tails, que M. de Commerçon n’a point été aux iles Ma- Jouines, & que l’hiftoire naturelle en ef à certains égards affez importante (*). (*) L’Ouvrage que nous publions Malouines parût. Sans cela nous nous aujourd’hui, étoit fait avant que le ferions difpenfés des détails fuivans. Journal de Don Pernetty fur les îles Afpet qu'el- les tent. préfen- s4 VOYAGE EE CHAPITRE 1. | Détails fur l'hiflotre naturelle des Iles Malouines. I L n'y a point de pays nouvellement habité qui n'offre des objets intéreflans aux yeux même les moïns exercés dans l'étude de l'Hiftoire naturelle ; & quand leurs remar- ques ne ferviroient pas d’autorité , elles peuvent toujours fatisfaire en partie la curiofité de ceux qui cherchent à ap- profondir le fyftême de la nature. La premiere fois que nous mimes pied à terre fur ces îles, rien de féduifant ne s’offrit à nos regards ; & à l’ex- ception de la beauté du port dans lequel nous étions en- trés ; nous ne favions trop ce qui pouvoit nous retenir fur cette terre mgrate en apparence. Un horifon terminé par des montagnes pelées ; des terreins entrecoupés par la met , & dont elle fembloit fe difputer l'empire ; des cam- pagnes inanimées faute d’habitans ; point de bois capables de raflurer ceux qui fe deftinoient à être les premiers co- Jons ; un vafte filence , quelquefois interrompu par les cris des ces marins; par-tout une trifte umiformité ; que d'objets decuoaeans & qui paroïfloient annoncer que la nature fe refuferoit aux efforts de l’efpece humaine dans des lieux fi fauvages ! Cependant le tems & l’expérience nous apprirent que le travail & la conftance n’y feroient pas fans fruits. Des baies immenfes à l’abri des vents par ces mêmes montagnes qui répandent de leur fein les caf- cades & les ruifleaux; des prairies couvertes de gras pâ- turages, faits pour alimenter des troupeaux nombreux , des lacs & des étangs pour les abreuver; point de conte- AMOR ipru9 M Oo N D €. ÿ5 ftations pour la propriété du lieu; point d'animaux à craindre par leur férocité, leur venin ou leur importunité ; une quantité innombrable d’amphibies des plus utiles, d'oifeaux & de poiflons du meilleur goût; une matiere combuftible pour fuppléer au défaut du bois ; des plantes reconnues fpécifiques aux maladies des navigateurs; un climat falubre & une température continuelle, bien plus propre à former des hommes robuftes & fains, que ces contrées enchanterefles où l'abondance même devient un poifon, & la chaleur une obligation de ne rien faire ; telles furent les reflources que la nature nous préfenta. Elles effacerent bientôt les traits qu'un premier afpe@& avoit imprimés , & juftifierent la tentative. On pourroit ajouter que les Anglois, dans leur Rela- tion du Port Egmont, n'ont pas balancé à dire « que le » pays adjacent offre tout ce qui eft néceflaire pour un » bon établiflement. Leur goût pour l’Hiftoire naturelle » les engagera fans doute à faire & à publier des recher- » ches qui rectifieront celles-ci » Les îles Malouines fe trouvent entre cinquante-un & cinquante-deux degrés & demi de latitude méridionale, foixante-un & demi & foixante-cinq & demi de longitude occidentale du méridien de Paris ; elles font éloignées de la côte de l'Amérique où des Patagons , & de l'entrée du détroit de Magellan, d'environ quatre-vingts à quatre. vinot-dix lieues. La carte que nous donnons de cesiles n’a pas fans doute la précifion géographique ; elle eüt été l'ouvrage d'un grand nombre d'années. Cet apperçu peut cepen- dant indiquer à-peu-près l'étendue de ces îles de l'Ef à lOueft & du Nord au Sud, le giffement des côtes par- Pofition géos graphique des iles Malou:- nes. Des Ports. Des Marées. Des Vents. 56 HOW où À @'E courues par nos vaifleaux , la pofition & l'enfoncement des grandes baies, enfin la direétion des principales mon:- tagnes. Les ports que nous avons reconnus, réuniflent l’éten- due & l'abri ; un fond tenace & des îles heureufement fi- tuées pour oppofer des obftacles à la fureur des vagues, contribuent à les rendre sûrs & aifés à défendre ; ils ont de petites baies pour retirer les moindres embarcations. Les ruifleaux fe rendent à la côte , de maniere que la provi- fion d’eau douce peut fe faire avec la plus grande expé- dition. Les marées aflujetties à tous les mouvemens d’une mer environnante , ne fe font jamais élevées dans des tems fixes, & qu'il ait été poffible de calculer. On a feulement remarqué qu'elles avoient trois viciflitudes déterminées avant l’inftant de leur plein; les marins appelloient ces viciflitudes varvodes. La mer alors en moins d’un quart d'heure monte & baifle trois fois comme par fecoufles, fur-tout dans les tems des folftices, des équinoxes & des pleines lunes. Les vents font généralement variables, mais regnant beaucoup plus de la partie du Nord au Sud par l’Oueft, que de la partie oppofée. En hiver lorfqu'ils foufflent du Nord à l'Ouelt, ils font brumeux & pluvieux ; de lOueft au Sud , chargés de frimats , de neige & de grele; du Sud au Nord par l'Eft, moins chargés de brumes , mais violens, quoiqu'ils ne le foient pas autant que ceux qui regnent en été & fe fixent du Sud-Oueft au Nord-Oueft par l'Oueft, Ces derniers, qui nettoient l’horifon & fechent le terrein, ne commencent à foufiler que lorfque le foleil fe montre à l’horifon , ils fuivent dans leur accroiflement l'élévation de AU ON À ADEUS M o N D E: s7 de l'aftre, font au point de leur plus grande force , lorf= qu'il pafle au méridien, & déclinent avec lui quand il va {e cacher derriere les Ne Indépendamment de la loi que le mouvement du foleil leur impofe, ils font en- core aflervis au montant des marées , qui augmente leur force & quelquefois change leur direétion. Prefque toutes les nuits de Rs celtes d'été fur-tout, font calmes & étoilées ; les neiges que les vents du Sud-Oueft amerñent en hiver ne font pas confidérables, elles reftent environ deux mois fur le fommet des plus hautes montagnes, & un jour ou deux tout au plus fur la furface des terreins. Les ruifleaux ne gelent point ; les lacs & les étangs glacés n’ont jamais pu potter les hommes plus de vingt-quatre heures.Les gelées blanches duprintems & de l'automne ne brülent point les plantes & fe convertiflent en rofée au lever du foleil. En été il tonne rarement; nous n’éprou-. vions en général ni grands froids ni grandes chaleurs, & les nuances nous ont paru prefque infenfibles entre les fai- fons. Sous un tel climat , où les révolutions fur les tempé- ramens font comme impofhbles , il eft naturel que tous les individus foient vigoureux & fains; & c’eft ce qu’on a éprouvé pendant un féjour de trois années. Le peu de matiere minérale trouvée aux îles Maloui- ses , répond de la falubrité des eaux ; elles font par-tout commodément placées , aucunes plantes d’un caraétere dangereux n’infeétent les lieux où elles coulent, c’eft or- dinairement fur du gravier ou fur du fable, & auslouefets fur des lits de tourbe, qui leur laiflent à la vérité une petite couleur jaunâtre , mais fans en diminuer la qualité n1 la légereté. Il ÿ a par-tout dans les sus plus de profondeur qu'il Des Eaux, Du Sol. 58 -; Vow“ace n’en faut pour fouffrir la charrue ; Le fol eft tellement en- trelacé de racines d'herbes jufqu'à près d’un pied, qu'il étoit indifpenfable avant que de cultiver, d’enlever cette couche & de la divifer pour la déffécher & la brûler. On fait que ce procédé eft merveilleux pour améliorer les ter- res, & nous l'employämes. Au - deflous de la premiere couche on trouve une terre noire qui n’a jamais moins de huit à dix pouces d’épaifleur, & qui le plus fouvent en a beaucoup plus; on rencontre enfuite la terre Jaune ou terre franche à des profondeurs indéterminées. Elle eft foutenue par des lits d'ardoife & de pierres, parmi lef- quelles on n’en a jamais trouvé de calcaires , épreuve faire avec l’eau forte. Il paroït même que le pays eft dépourvû de cette nature de pierre; des voyages entrepris jufqu’au fommet des montagnes à deflein d’en chercher, n’en ont fait voir que d’une nature de quartz & de grès non friable, produifant des étincelles & même une lumiere phofpho- rique , accompagnée d’une odeur fulphureufe. Au refte il ne manque point de pierres à bâtir; la plûpart des côtes en font formées. On y diftingue des couches horizonta- les d’une pierre très-dure & d’un grain fin , ainfi que d’au- tres couches plus ou moins inclinées qui font celles des ardoifes & d’une efpece de pierre contenant des particules de talc. On y voit aufli des pierres qui fe divi- {ent par feuillets, fur lefquels on remarquoit des emprein- tes de coquilles foffiles d’une efpece inconnue dans ces mers; on en faifoit des meules pour les outils. La pierre qu'on tira des excavations étoit jaunâtre & n’avoit pas en- core acquis fon degré de maturité ; on l’auroittaillée avee un couteau, mais elle durcifloit à l'air. On trouve facile: ment la glaife, les fables & les terres propres à fabriquer la poterie & les briques. AMONT À PD'U0 M O N D E s9 La tourbe qui fe rencontre ordinairement au-deffus de la glaife, s'étend bien avant dans le terrein. On ne pou- voit faire une lieue de quelque point que lon partit, fans en appercevoir des couches'confidérables toujours aifées à diftinguer par des ruptures qui en offrent quelques faces. Elle fe forme tous Les jours du débris des racines & des herbes dans les lieux qui retiennent les eaux, lieux qu’an- noncent des joncs fort pointus. Cette tourbe prife dans une baie voifine de notre habitation , où elle préfente aux vents une furface de plus de douze pieds de hauteur, y acquéroit un degré fuffifant de deflication. C'étoit celle dont on fe fervoit , fon odeur n'étoit point malfaifante, fon feu n’étoit pas trifte, & fes charbons avoient une ac- tion fupérieure à celle du charbon de terre, puifqu’en foufflant deflus on pouvoit allumer une lumiere auffi aifé- ment qu'avec de la braife ; elle fuMifoit pour tous les ou- vrages de la forge , à l'exception des foudures des groffes pieces. | Tous les bords de la mer & des iles de l’intérieur font couverts d’une efpece d'herbe que l'on nomma impropre- ment glayeuls ; c'eft plütôt une forte de gramen. Elle eft du plus beau verd & a plus de fix pieds de hauteur. C'eft la retraite des lions & des loups marins; elle nous fervoit d’abri comme à eux dans nos voyages. En un inftant on étoit logé. Leurs tiges inclinées & réunies formoient un toit, & leur paille feche un aflez bon lit. Ce fut auf avec cette plante que nous couvrimes nos maïfons ; le pied en eft fucré, nourriflant & préféré à toute autre pà- ture par les beftiaux. Les bruyeres, les arbuftes & le gommier font après cette grande herbe les feuls objets qu’on diftingue dans H ÿ Tourbe & fes qualités. Des Plantes, Gommierré- fineux, 60 M Oo AGE les campagnes. Tout le refte eft furmonté par des herbes menues plus vertes & plus fournies dans les endroits abreuvés. Les arbuftes furent d’une grande reflource pour le chauffage, on les réferva enfuite pour les fours ainfi que la bruyere; les fruits rouges de celle-ci nous atti- roient beaucoup de gibier dans la faifon. Le gommier , plante nouvelle & inconnue en Europe , mérite une defcription plus étendue. Elle eft d’un verdde pomme & n’a en rien la figure d’une plante ; on la pren- droit plûtôt pour une loupe ou excroiflance de terre de cette couleur; elle ne laifle voir ni pied nf branches ni feuilles, Sa furface de forme convexe préfente untiflu fi ferré, qu'on n’y peut rien introduire fans déchirement. Notre premier mouvement étoit de nous afleoir ou de monter deflus ; fa hauteur n’eft gueres de plus d’un pied & demi. Elle nous portoit auflli furement qu’une pierre fans en être foulée ; fa largeur s’étend d'une maniere difpro- portionnée à fa forme , il y en a qui ont plus de fix pieds de diametre fans en être plus hautes. Leur circonférence n'eft réguliere que dans les petites plantes qui repréfen- tent aflez la moitié d’une fphere ; mais lorfqu'elles fe font accrues, elles font terminées par ‘des boffes & des creux fans aucune régularité. C’eft en plufieurs endroits de leur farface que lon voit en gouttes de la groffeur d’un pois, une matiere tenace & jaunâtre qui fut d'abord appellée gomme ; mais .comme elle ne peut fe difloudre que dans les fpiritueux , elle fut décidée réfine. Son odeur eft forte, aflez aromatique, & approche de celle de la térében- thine. Pour connoître l'intérieur de cette plante , nos la coupâmes exaétement fur le rerrein & la renverfâmes. Nous vimes en la brifant qu'elle part d’un pied d'où sé. AUTOUR pu: Mo «x pr. 6t levent une infinité de jets concentriques , compofés de feuilles en étoiles enchâflées les unes fur les autres & comme enfilées par un axe commun. Ces jets font blancs jufqu'à peu de diftance de la furface, où l'air les colore en verd ; en les brifant il en fort un fuc abondant & laiteux, plus vifqueux que celui des thytimales; le pied cit une fource abondante de ce fuc, ainf que les racines qui s’é- tendent horizontalement , & vont provigner à quelque diftance ; de forte qu'une plante n’eft jamais feule. Elle paroït fe plaire fur le penchant des collines, & toutes les expoftions lui font indifférentes. Ce ne fut que latroifieme année qu'on chercha à connoïtre fa fleur & fa graine, l’une & Pautre fort petites, parce qu'on étoit rebuté de n'avoir pas pu en tranfporter en Europe, Enfin on a ap- porté quelques graines pour tâcher de s'approprier cette finguliere & nouvelle plante qui pourroit même être utile en médecine, plufeurs matelots s'étant fervis de fa réfine avec fuccès pour fe guérir de légeres bleflures. Une chofe digne de remarque, c’eft que certe plante ainfi retour- née , perd fa réfine à l'air feul, & par le lavage des pluies. Comment accorder cela avec fa diflolution dans les feuls fpiritueux ? En cet état elle étoit d’une légereté furpre- nante & brüloit comme de la paille. Après cette plante extraordinaire on en rencontroit une d'une utilité éprouvée ; elle forme un petit arbrifleau, & quelquefois rampe fous les herbes & le long des côtes. Nous la goûtâmes par fantaifie, & nous lui trouvâmes un goût de fapinette ; ce qui nous donna l’idée d’effayer d’en faire de la bierre. Nous avions apporté une certaine quan- tité de mélaffe & de grains; les procédés que nous em- ploy âmes téufhirent au-delà de nos fouhaits, & l'habitant Plante à bier- re. Fruits. Fleurs. 62 VOYAGE une fois inftruit, ne manquoit jamais de cette boiffon que la plante rendoit anti-fcorbutique ; on l’employa très-fpé- cifiquement dans des bains que l’on faifoit prendre aux malades qui venoient de la mer. Sa feuille eft petite & dentelée , d’un verd clair. Lorfqu’on la brife entre les doigts, elle fe réduit en une efpece de farine un peu gluti- neufe & d’une odeur aromatique. Une efpece de céleri ou perfil fauvage, très-abon- dante , une quantité d’ofeille, de creflon de terre & de cétéracs à feuilles ondées, fournifloient avec cette plante tout ce qu'on pouvoit defirer contre le fcorbut. Deux petits fruits, dont l’un, inconnu, reffemble aflez à une mûre, l’autre, de la groffeur d’un pois & nommé lucer, à caufe de fa conformité avec celui que l’on trouve dans l'Amérique feptentrionale , étoient les feuls que l’au- tomne nous fournit. Ceux des bruyeres n’étoient man- geables que pour les enfans qui mangent les plus mauvais fruits, & pour le gibier. La plante de celui, que nous nom- mâmes mûre , eft rampante : fa feuille reflemble à celle du charme, elle prolonge fes branches & fe reproduit comme les fraifiers. Le lucet eft aufli rampant, il porte {es fruits le long de fes branches garnies de petites feuilles parfaitement lifles, rondes & de couleur de myrthe ; ces fruits font blancs & colorés de rouge du côté expolé au {oleil ; ils ont le goût aromatique & l’odeur de fleur d’o- range , ainfi que les feuilles dont l'infufon prife avec du lait a paru très-agréable. Cette plante fe cache fous les herbes & fe plait dans les lieux humides ; on en trouve une quantité prodigieufe aux environs des lacs. Parmi plufeurs autres plantes qu'aucun befoin ne nous engagea à examiner, il y avoit beaucoup de fleurs, mais AMDIONE ER ADPUA'M Oo N D €. 63 toutes inodores , à l'exception d’une feule qui eft blan- che & de l'odeur de la tubéreufe. Nous trouvâmes aufi une véritable violette d’un jaune de jonquille. Ce que l’on peut remarquer, c'eft qu'on n’a jamais rencontré ancune plante bulbeufe ou à oignon. Une autre fingularité , ce fat que dans la partie méridionale de l’île habitée, au-de- B d’une chaîne de montagnes qui la coupe de l'Eft à lOueft , on vit qu'il n’y a , pour ainfi dire, point de gom- mierréfineux , & qu’à leur place on rencontroit en grande quantité une plante d’une même forme & d’un verd tout différent, n'ayant pas la même folidité, ne produifant aucune réfine, & couverte dans fa faïfon de belles fleurs jaunes. Cette plante, facile à ouvrir, eft compofée com- me l'autre, de jets qui partent tous d’un même pied & vont fe terminer à fa furface. En repafñlant les montagnes , on trouva un peu au-deflous de leur fommet une grande efpece de fcolopandre ou de cétérac. Ses feuilles ne font point ondées , mais faites comme des lames d'épée. Il fe détache de la plante deux maitreffes tiges qui portent leur graine en-deflous comme les capillaires. On vit auf fur les pierres une grande quantité de plantes friables qui fem- blent tenir de la pierre & du végétal; on penfa que ce pouvoient être des lichens , mais l’on remit à un autre tems à éprouver fi elles feroient de quelque utilité pour la teinture. Quant aux plantes marines , elles étoient plutôt un ob- jet incommode qu’utile. La mer eft prefque toute cou- verte de goemon dans le port, furtout près des côtes dont les canots avoient de la peine à approcher; il ne rend d'autre fervice que de rompre la lame lorfque la mer eft groffe. On comptoit en tirer un grand parti pour fu- Plantes ma- rines. Des Coquil- les. Des Ani- maux, 64 VoyaGces mer les terres. Les marées nous apportoient plufieurs ef -peces de coralines très-variées & des plus belles cou: leurs; elles ont mérité une place dans les cabinets des curieux , ainfi que les éponges & les coquilles. Les épon- ges affectent toutes la figure des plantes, elles font rami: fiées en tant de manieres, qu’on a peine à croire qu’elles {oient l’ouvrage d’infeétes marins. D'ailleurs leur tiflu eft fi ferré & leurs fibres fi délicates , qu’on ne conçoit gueres comment ces animaux peuvent s’y loger. Les côtes des Malouines ont fourni aux cabinets plu- fieurs coquilies nouvelles. La plus précieufe eft la poulette ou poulte. On reconnoit trois efpeces de ces bivalves , parmi lefquelles celle qui eff ffriée , n’avoit jamaisété vue, à ce qu'on dit, que dans l’état de foffiles ; ce qui peut fervir de preuve à cette aflertion que les coquilles fofiles trou- vées à des niveaux beaucoup au-deflus de la mer, ne font point des jeux de la nature & du hazard, mais qu'elles ont été la demeure d'êtres vivans dans le tems que les terres étoient encore couvertes par les eaux. Avec cette coquille très-commune on trouvoit les lépas eftimés par leurs belles couleurs , les buccins feuilletés & armés, les cames , les grandes moules unies & ftriées , & de la plus belle nacre, &c. On ne voit qu'une feule efpece de quadrupede fur ces îles ; elle tient du loup & du renard. Les oifeaux font in- nombrables. Ils habitent indifféremment la terre & les eaux. Les lions & les"loups marins font les feuls amphi- bies. Toutes les côtes abondent en poiflons, la plûüpart peu connus. Les baleines occupent la haute mer; quel- ques-unes s’échouent quelquefois dans le fond des baies, où l'on voit leurs débris. D’autres offemens énormes, placés AU TION R LDEUMM O N DE, 65 placés bien avant dans les terres, & que la fureur des flots n'a jamais été capable de porter fi loin , prouvent ou que la mer a baïfé , ou que les terres fe font élevées. Le loup-fenard , ainfi nommé, parce qu'il fe creufe un terrier & que fa queue eft plus longue & plus fournie de poil que celle du loup, habite dans les dunes fur le bord de la mer. Il fuit le gibier & fe fait des routes avec in- telligence , toujours par le plus couït chemin d’une baie à l’autre; à notre premiere defcente à terre,nous ne dou- tàmes point que cene fuffent des fentiers d’habitans. Il ya apparence que cet animal jeûne une partie de l’année, tant il eft maigre & rare. Il eft de la taille d’un chien or- dinaire dont il a aufi Paboyement , mais foible. Comment a-t-il été tranfporté fur les îles ? Les oifeaux & les poiflons ne manquent pas d’ennemis qui troublent leur tranquillité. Ces ennemis des oifeaux {ont le loup, qui détruit beaucoup d'œufs & de petits ; les aigles, les éperviers, les émouchets &les chouettes. Les poiflons font encore plus maltraités; fans parler des ba- leines qui, comme on fait, ne fe nourriflant que de frétin, en détruifent prodigieufement, ils ont à craindre les am- phibies & cette quantité d’oifeaux pêcheurs, dont les uns fe tiennent conftamment en fentinelle fur les roches, & les autres planent fans cefle au-deflus des eaux. Pour être en état de bien décrire les animaux qui fuivent, ileüt fallu beaucoup de tems & les yeux du Naturalifte le plus habile. Voici les remarques les plus effentielles, éten- dues feulement par rapport aux animaux qui étoient de quelque utilité. Parmiles oifeaux à pieds palmés , le cigne tient le pre- Des Oifeaux ‘ à à pieds pal- mier rang. Il ne differe de ceux d'Europe que par fon més 66 | V otYv AGE col d’un noir velouté, qui fait une admirable oppofition avec la blancheur du refte de fon corps; fes pattes font couleur de chair. Cette efpece de cigne fe trouve auffi dans la riviere de la Plata & au détroit de Magellan. Quatre efpeces d'oies fauvages formoient une de nos plus grandes richefles. La premiere ne fait que pâturer, on lui donna improprement le nom d’outarde. Ses jambes levées lui font néceflaires pour fe tirer des grandes her- bes, & fon long col pour obferver le danger ; fa démar- che eft légere, ainfi que fon vol; elle n’a point le cri défa- gréable de fon efpece. Le plumage du mâle eft blane , avec des mélanges de noir & de cendré fur le dos & les ailes. La femelle eft fauve, & fes aïles font parées de cou- leurs changeantes ; elle pond ordinairement fx œufs. Leur chair faine , nourriflante & de bon goût, devint notre principale nourtiture ; il étoit rare qu’on en man- quât : indépendamment de celles qui naïffent fur ile , les vents d'Eft enauromne enamenent des voliers , fans doute de quelque terre inhabirée : car les chafleurs reconnoif- {oient aifément ces nouvelles venues au peu de crainteque leur infpiroit la vue des hommes. Les trois autres efpeces . d’oies n’étoient pas f recherchées, elles fe nourrifient de poiflon & en contraétent un goût huileux. Leur forme eft moins élégante que celle de la premiere efpece. Ily en a même une qui ne s’éleve qu'avec peine au - deflus des eaux, celle-ci eft criarde. Les couleurs de leur plumage ne {ortent gueres du blanc, du noir, du fauve 8 du cendré. Toutes ces efpeces , ainfi que les cignes, ont fous leurs plumes un duvet blanc ou gris très-fourni. Deux efpeces de canards & deux de farcelles embel- Eflent les étangs & les ruiffleaux. Les premiers different A UANONT À DUNM o x D E. 67 peu de ceuxde nos climats,on en tua quelques-uns de tout noirs & d’autres tout blancs. Quant aux farcelles, l’une à bec bleu , eft de lataille des canards ; l’autre eft beau coup plus petite. On en vit qui avoient les plumes du ventre teintes d'incarnat. Ces efpeces font de là plus gran- de abondance & du meilleur goût. On voyoit deux efpeces de plongeons de [a petite taille. L'une a le dos de couleur cendrée & le ventre blanc ; les plumes du ventre font fi foyeufes , fi brillantes & d’un tiflu f ferré , que nous les primes pour le grefpe dont on fait des manchons précieux : cette‘efpece eff rare. L'autre , plus commune , eft toute brune , ayant le ventre un peu plus clair que le dos. Les yeux de ces animaux font femblables à des rubis. Leur vivacité furprenante au- gmente encore par l’oppoñition du cercle de plumes blan- ches qui les entoure & qui leur a fait donner le nom de plongeons à lunettes. Ils font deux petits, fans doute trop délicats pour fouffrir la fraicheur de l’eau lorfqu’ils n’ont encore que le duvet ; car alors la mere les voiture fur {on dos. Ces deux efpeces n’ont point les pieds palmés à la façon des autres oifeaux d’eau ; leurs doigts féparés font garnis de chaque côté d’une membrane très-forte : en cet état chaque doigt reflemble à une feuille arrondie du côté de l’ongle , d’autant plus qu'il part du doigt des lignes qui vont fe terminer à la circonférence des membranes, & que le tout eft d’un verd de feuille fans avoir beaucoup plus d’épaifeur. | Deux efpeces d’oifeaux que l’on nomma bec-fcies , on ne fait pas pourquoi, ne different que par la taille & quel- quefois parce quil s’en trouve à ventre brun parmi tous les autres qui l'ont ordinairement blanc. Le refte du plu- I ü 68 W oùY A GE mage eft d'un noir tirantfur le bleu, très-foncé ; leur forme & les plumes du ventre, aufli ferrées & aufli foyeufes que celles du plongeon blanc, les rapprochent de cette efpece ; ce que l’on n’oferoit cependant pas aflurer. Ils ont le bec aflez long & pointu, & les pieds palmés fans féparation, avec un caraétere remarquable, le premier doigt étant le plus long des trois, & la membrane qui les joint fe terminant à rien autroifieme. Leurs pieds ont couleur de chair. Ces animaux font de grands deftruéteurs de poiffons. Ils fe placent far les rochers, ils s’y raflem- blent par nombreufes familles & y font leur és Com- me leur chair eit très-mangeable, on ea fit des wueries de deux ou trois cents, & la grande quantité de leurs œufs offrit encore une reflource dans le befoin. Ils fe défioient fi peu des chafleurs, qu'il fuifoit d'aller à eux avec des ätons. Îls ont pourennemi un oïifeau de proie à pieds pal- més , ayant plus de fept pieds d'envergure, le bec long & fort, caratérilé par deux tuyaux de même matiere que le bec nel {ont percés dans toute leur longueur. Cet animal eft celui que les Efpagnols appellent eines hueffos. Une quantité de moves de couleurs trés-variées & très- agréables, de caniats & d’équerrets, prefque tous gris & vivant par familles, viennent planer fur les eaux &c fon- dent fur le poiffon avec une vitefleextraordinaire. Ils nous {ervoient à reconnoitre les tems propres à la pêche de la. fardine; il faffifoit de les tenir un moment ne “ice ils rendoient encore dans fa forme ce poiflon qu'ils ne venoient que défelour Le refte de l’annéeils fe nout-. rilent de gradeau &c autres menuailles. Ils ; pondent au- tour des étangs fur des plantes vertes aflez {emblables ANCNBNONU À; Du M°0 K D €. 69 aux nénuphars, une grande quantité d'œufs très- bons &c très-fains. | On diftingua trois efpeces de pengouins; la premiere ; remarquable par fa taille & la beauté de fon plumage, ne vit point par famille comme la feconde , qui eft la même que celle décrite dans le Voyage du Lord Anfon. Ce pen- gouin de la premiere clafle aime la folitude &c les endroits écartés. Son bec plus long & plus délié que celui des pen- gouins de la feconde efpece, les plumes de fon dos d’un bleu plus clair, fon ventre d’une blancheur éblouiffante : une palatine jonquille qui part de la tête & va terminer les nuances du blanc & du bleu pour fe réunir enfuite fur leftomac, fon col très-long quand il chante , fon allure aflez légere , lui donnent un air de nobleffe & de magnif- cence finguliere. On efpéra de pouvoir en tranfporter un en Europe. Ils’apprivoifa facilement jufqu’à fuivre & con- noître celui qui étoit chargé de le nourrir, mangeant in- différemment le pain, la viande & le poiflon : mais on s’'apperçut que cette nourriture ne lui fufüfoit pas & qu'il abforboit fa craifle ; aufh-tôt qu'il fut maigri à un certain point , il mourut. La troifieme efpece habite par famille comme la feconde fur de hauts rochers dont elle partage le terrein avec les becs-fcies ; ils y pondent aufli. Les ca- raËteres qui les diftinguent des deux autres, font leur pe- titefle , leur couleur fauve, un toupet de plumes de cou- leur d’or , plus courtes que celles des aigrertes , & qu'ils relevent lorfqu'ils font irrités, &c enfin d’autres petites plu- mes de même couleur qui leur fervent de fourcils; on les nomma penvouns fauteurs : en effet ils ne fe tranfportent que par fauts &c par bonds, Cette FR a dans toute fa contenance plus de vivacité que les deux autres, Oïfeaux à pieds non pal- més. 70 V'O'Y A'G'E Trois efpeces d’alcyons, qui fe montrent rarement, ne nous annonçoient pas les tempêtes comme ceux qu’on voit à la mer. Ce font cependant les mêmes animaux, au dire des marins; la plus petite efpece en a tous les carac- teres. Si c’eft un véritable alcyon, on peut êtreafluré qu'il fait fon nid à terre , d’où l’on nous en a rapporté des petits n'ayant que le duvet, & parfaitement refflemblans à pere & mere. La feconde efpece ne differe que par la grof- {eur ; elle eft un peu moindre qu’un pigeon. Ces deux ef- peces font noires avec quelques plumes blanches fous le ventre. Quant à la troifieme qu'on nomma d’abord pigeon blanc, ayant tout le plumage de cette couleur & le bec rouge, on peut conjeéturer que c'eft un véritable alcyon blanc à caufe de fa conformité avec les deux autres. Trois efpeces d’aigles, dont les plus forts ont le plu- mage d’un blanc fale, & les autres font noirs à pattes jau- nes & blanches, font la guerre aux beccaflines & aux petits oifeaux; ils n’ont ni la taille ni les ferres aflez fortes pour en attaquer d'autres. Une quantité d’éperviers & d'émouchets & quelques chouettes , font encore les perfécuteurs du petit gibier. Les variétés de leurs plu- mages font riches & préfentent toutes fortes de cou- leurs. Les beccaflines font les mêmes que celles d'Europe, Elles ne font point le crochet en prenant leur vol & font faciles à tirer. Dans le tems de leurs amours elles s’éle- vent à perte de vue : &c après avoir chanté & reconnu leur nid , qu’elles font fans précaution au milieu des champs & dans des endroits prefque dégarnis d'herbes ; elles s’y précipitent du plus haut des airs , alors elles font maigres: fa faifon de les manger excellentes, eft l’automne. ARBRE. 1B'D6 M © N D E. 71 En été on voyoit beaucoup de corlieux qui ne different en rien des nôtres. On rencontre toute l’année au bord de la mer un oi- feau aflez femblable au corlieu. On le nomma pie de mer, à caufe de fon plumage noir & blanc, fes autres carac- teres diflin@ifs font d’avoir le bec d’un rouge de corail & les pattes blanches. Il ne quitte gueres les rochers qui dé- couvrent à bafle mer, & fe nourrit de petites chevrettes. Il a un fifflement aife à imiter ; ce qui fut par la fuite utile à nos chaffeurs & pernicieux pour lui. Les aigrettes font aflez communes ; nous les primes pour des hérons & nous ne connümes pas d’abord le mé- rite de leurs plumes. Ces animaux commencent leur pê- che au déclin du jour ; ils aboient de teims à autre, de ma- niere à faire croire que ce font de ces loups-renards dont nous avons parlé ci-devant, Deux efpeces d’étourneaux ou grives nous étoient ame- nées par l’automne ; une troifieme ne nous quittoit pas : on la nomma ofeau rouge ; {on ventre eft tout couvert de plumes du plus beau couleur de feu, fur-tout en hiver ; on en pourroit faire de riches coileétions pour des garnitu- res. Des deux autres efpeces paflageres, l’une eft fauve & a le ventre marqueté de plumes noires; l’autre eft de la couleur des grives que nous connoiflons. Nous n’en- trerons pas dans le détail d’une infinité d’autres petits oi- feaux aflez femblables à ceux qu'on voit en France dans les Provinces maritimes. Les lions & les loups marins font déja connus; ces ani- maux occupent tous les bords de lamer & fe logent, comme on l’a dit, dans ces grandes herbes nommées glayeuls. Leur troupe innombrable {e tranfporte à plus Des Amphi- bies. DORE: Le Lee Gaz Des Poiffons. 72 VowAGE d’une lieue fur Le terrein pour y jouir de l'herbe fraiche & du foleil. IL paroït que le lion décrit dans le Voyage du Lord Anfon, devroit être , àcaufe de fa trompe , regardé plütôt comme une efpece d’éléphant marin , d’autant plus qu'il n’a pas de criniere, qu'il eft de la plus grande taille, ayant jufqu’à vingt deux pieds de longueur; & qu'il ya une autre efpece beaucoup plus petite, fans trompe & caraétérifée par une criniere de plus longs poils que ceux du refte du corps, qu’on pourroit regarder comme le vrai lion. Le loup marin ordinaire n'a ni criniere ni trompe; ainf ce font trois efpeces bien aifées à diftinguer. Le poil de tous ces animaux ne recouvre point un duvet, tel qu’on le trouve fur ceux qu’on pêche dans l'Amérique feptentrio- nale & dans la riviere de la Plata. Leurs huiles & leurs peaux avoient déja formé une branche de commerce. Nous n'avons pas pu reconnoître une grandé quantité d’efpeces de poiflons. Nous nommâmes celui que nous pêchions le plus communément mug9e ou muler, auquel il reflemble aflez. Il s’en trouve de trois pieds de longueur, qu’on féchoit. Le gradeau eft auf très-commun ; il y en a de plus d’un pied de long. La fardine ne monte qu’au commencement de l'hiver. Les mulets pourfuivis par les loups marins, fe creufent des trous dans les terres va- feufes qui bordent les ruifleaux où ils fe réfugient , & nous les prenions avec facilité, en enlevant la couche de terre tourbeufe qui couvre leurs retraites. Indépendamment de ces'efpeces, on en prenoit à la ligne une infinité d’autres, mais fort petits, parmi lefquels il s’en trouvoit un qu'on nomma Prochet tranfparent. Il a la tête de ce poiflon, le “corps fans écailles, & abfolument diaphane. On trouve aufh quelques congres fur les roches ; & le marfouin blanc ou AUGIRO DUR D VIOM © x D EF. 73 ou taupe fe montre dans les baies pendant la belle faifon, Si on avoit eu du tems & des hommes à employer pour la pêche au large, on auroit trouvé beaucoup d’autres poif- fons, & indubitablement des foles , dont on a rencontré quelques-unes échouées fur les fables. On n’a pris qu’une feule efpece de poiflon d’eau douce, fans écailles, d’une couleur verte, & de la taille d’une truite ordinaire. On a fait, il eft vrai, peu de recherches dans cette partie ; le tems manquoit , & les autres poiflons étoient en abondance. Quantaux cruftacées, onn'ena diftingué que trois efpe- ces fort petites, l’écreviffe rouge, même avant que d’être cuite , c’eft plutôt une falicoque ; le crabe à pattes bleues qui reffemble aflez au tourelourou , & une efpece de che- vrette très-petite. On ne ramafñloit que pour les curieux ces trois fortes de cruftacées , ainfi que les moules & au- tres coquillages qui n’ont pas le goût aufli fin que ceux de France. ù Le pays paroït être abfolument privé d’huitres. Enfin pour préfenter un objet de comparaifon avec une ile cultivée en Europe , on peut citer ce que dit Puf- fendorf en parlant de l'Irlande , fituée à la même latitude dans l’'hémifphere boréal , que les iles Malouines dans l’autre hémifphere. Sçavoir , « que cette ile eft agréable » par la bonté & la férénité de fon air, la chaleur & le » froid n’y font jamais exceflifs. Le pays bien coupé de » Jacs & de rivieres, offre de grandes plaines couvertes » de pâturages excellens, point de bêtes venimeufes , les » lacs & les rivieres poiflonneufes, . ». Voyez l'Hifloire umverfelle, Des Crufta- cées. 1767. Juin. Départ des Malouines pour Rio-la- néiro. Éntrée à Rio- Janéiro, mA VOYAGE C EH AP TMTRNENNMRS Navigation des iles Malounes à Rio-Janéiro ; jonéion de la Boudeufe avec l'Etoile ; kofäliiés des Portugais contre les Efpagnols. Etat des revenus que le Roi de Portugal tire de Rio-Janétro. C ÉPENDANT j'attendois vainement /’Ætorle aux iles Malouines : les mois de Mars & d'Avril s’étoient écoulés fans que cette flûte y fut venue. Je ne pouvois entrepren- dre de traverfer l'Océan pacifique avec ma feule frégate, fon peu de creux la rendant incapable de porter pour plus de fix mois de vivres à fon équipage. J’attendis encore la #ûte pendant tout Mai. Voyant alors quil ne me reftoit plus de vivres que pour deux mois, j'appareillai des îles Malouines le 2 Juin, pour me rendre à Rio-Janéiro; j'y avois indiqué à M. de la Giraudais, Commandant de /£- toile, un point de réunion, dans le cas où des circonftan- ces forcées l’'empêcheroient de venir me trouver aux îles Malouines. Nous eûmes dans cette traverfée un tems favorable ; le 20 Juin après-midi, nous vimes les hauts mornes.de la côte du Bréfil, & le 21, nous reconnümes l'entrée de Rio-Ja- néiro. Il y avoit le long de la côte plufeurs bateaux pé- cheurs. Je fis mettre pavillon Portugais ferlé, & tirer un coup de canon: fur ce fignal, l’un des bateaux vint à bord, & jy pris un pilote, pour nous entrer dans larade. Ilnous fit ranger la côte à une demi-lieue des îles dont elle eft bordée. Par-tout il y a beaucoup de fonds ; la côte eft éle- vée, montueufe & couverte de bois; elle eft coupée en. ‘avimoevwRr bu MonxpEe 7 mondrains détachés & taillés à pic qui en rendent l’'afpeét trés-varié. À cinq heures 8 demie du foir, nous étions en-dedans du fort Sainte-Croix, lequel nous héla, & en même tems il vint à bord un Officier Portugais nous de- mander les raïfons de notre entrée. J’envoyai avec lui le Chevalier de Bournand pour en informer le Comte d’A- cunha, Viceroi du Bréfil, & traiter du falut. A fept heu- res & demi nous mouillâmes dans la rade par huit brafles d’eau, fond de vafe noire. Le Chevalier de Bournand revint bientôt après, & me dit qu'au fujet du falur, le Comte d’Acunha lui avoit ré: pondu que lorfque quelqu'un, en rencontrantun autre dans la rue, lui ôtoit fon chapeau, il ne s’informoit pas aupara- vant fi cette politefle feroit rendue ou non; que fi nous fa- luions la place , il verroit ce qu'il auroit à faire. Comme cette réponfe n’en étoit pas une, je ne faluai point. Fap- pris en même tems, par un canot que m'envoya M. de la Giraudais, qu'il étoit dans ce port, que fon départ de Ro- chefort , lequel devoit être à la fin de Décembre, avoit été retardé jufqu’au commencement de Février, qu'après trois mois de navigation, une voie d'eau & le mauvais état de fa mâture l’avoient contraint de relâcher à Montevideo, où il avoit reçu, par les frégates Efpagnoles , revenant des Malouines, les inftruétions fur ma marche ; & qu’aufftôt il avoit mis à la voile pour Rio-Janéiro, où il étoit mouillé depuis fix jours. Cette jonétion me donnoit le moyen de continuer ma miflion ; quoique Etoile, en m’'apportant pour treize mois de vivres en falaifons & boiflons , eût à peine pour cinquante jours de pain & de légumes à me re- mettre. Le défaut de ces denrées indifpenfables, me for- çoit de retourner en chercher dans la riviere de la Plata ; K ij Difcuffion pour le falut, Jonétion avec l'Etoile. Difficultés qu'éprouve un vaifleau Efpagnol dela part des Por- tugais. - Secours que nous lui don- nons. Vifite du Vi- cerei à bord de la frégate. - 76 WMoraAGE attendu que mous ne trouvâmes à Rio-Janéiro , ni bifcuit ; ni bled, ni farine. Il y avoit alors dans ce port deux bâtimens qui nous in- térefloient, lun François, l’autre Efpagnol. Le premier, nommé l'Etoile du matin, étoit un bateau du Roi deftiné pour l'Inde, auquel fa petitefle ne permettoit pas d’entre- prendre en hiver le paflage du cap de Bonne-Efpérance, & qui venoit attendre ici le retour de la belle faifon de ces parages. L’Efpagnol étoit un vaifleau de guerre, le Duli- gent, de foixante & quatorze, commandé par Don Fran- cifco de Medina. Sorti de la riviere de la Plata, avec un chargement de cuirs & de piaftres, une voie d’eau confi- dérable fort au-deflous de fa flottaifon l’avoit forcé de re- lâcher ici, pour s’y remettre en état de continuer fa tra- verfée en Europe ; depuis huit mois qu’il y étoit entré, les refus des fecours néceflaires & les difficultés de toute efpece que le Viceroi lui faifoit efluyer , l’empêchoient d'achever fon radoub : auf Don Francifco m’envoya-t-il, le foir même de mon arrivée, demander mes charpentiers & calefats, & le lendemain je fis pafler à fon bord tous ceux des deux navires. Le 22, nous allâmes en corps faire une vifite au Vice- roi ; il nous la rendit à bord le 25 , & lorfquil en fortit , je le fis faluer de dix-neuf coups de canon, que la terre rendit. Dañs cette vifite, il nous offrit tous les fecours qui étoient en {on pouvoir : il m’accorda même la permiffion que je lui demandai, d'acheter une corvette qui m’eüt été de la plus grande utilité dans le cours de l'expédition : & il ajouta que s’il y en avoit au Roi de Portugal, il me lof- friroit. Il m’aflura auffi qu'il avoit ordonné les plus exaétes perquifitions pour connoître ceux qui, fous les fenêtres À WU EIOIU À ADYUG MO N D E, 7" même de fon palais, avoient aflafiné l’Aumônier de P Etoile peu de jours avant notre arrivée , & qu'il en feroit la plus févere juftice. Il la promit , mais le droit des gens élevoit ici une voix impuiflante. Cependant les attentions du Viceroi pour nous, conti- nuerent plufeurs jours : il nous annonça même de petits foupers qu'il fe propofoit de nous donner au bord de l’eau, fous des berceaux de jafmins & d’orangers, & il nous fit préparer une loge à l'Opéra. Nous pümes dans une falle aflez belle , y voir les chefs d'œuvre de Métaitaño repré- fentés par une troupe de mulâtres, & entendre ces mor- ceaux divins des grands Maiïtres d'Italie, exécutés par un orqueftre que dirigeoit alors un Prêtre boflu en habit ec- cléfiaftique. - La faveur dont nous jouiflions étoit un grand fujet d’é- tonnement pour les Efpagnols, & même pour les gens du _pays, qui nous avertifloient que les procédés de leur Gou- verneur ne feroient pas long-tems les mêmes. En effet, foit que les fecours que nous donnions aux Efpagnols, & notre liaifon avec eux lui dépluflent, foit qu'il lui fût im- poffible de foutenir davantage des manieres oppofées en- tiérement à fon humeur , il fut bientôt avec nous ce qu'il étoit pour tous les autres. Le 28 Juin, nous apprimes que les Portugais avoient furpris & attaqué les Efpagnols à Rzo-orande , qu'ils les ayoient chaflés d’un pofte qu’ils occupoient fur la rive gau- che de cette riviere, & qu’un vaifleau Efpagnol, en relà- che à l'ile Sainte-Catherine, venoit d'y être arrêté. On ar- moït ici en grande diligence Le Sarnt-Sébaflien , de foixante- Quatre canons, conftruit dans ce port, & une frégate, de “quarante canons, /a nueftra Sepnora da graca, Celle-ci Hofilités des Portugaiscon:- tre les Efpa- gnols, 1767. Juillet. Mauvais pro- cédés du Vi- ceroi à notre égard. 78 VOYAGE étoit deftinée, difoit-on, à efcorter un convoi de troupes & de munitions à Rio-grande & à la colonie du Saint- Sacrement. Ces hoftilités & ces préparatifs nous donnoient lieu d'appréhender que le Viceroi ne voulût arrêter /e Di- lisent, lequel étoit en carêne fur l'ile de /as Cobras | & nous accélérâmes fon armement le plus qu'il nous fut poffble. Efiectivement il fut en état le dernier jour de Juin de commencer à embarquer les cuirs de fa cargaifon ; mais lorfqu'il voulut, le 6 Juillet, embarquer fes canons qu'il avoit, pendant fon radoub, dépofé für l'ile aux Couleu- vres , le Viceroi défendit de les lui livrer, & déclara qu'il arrêtoit le vaifleau , jufqu’à ce qu'il eût reçu des ordres de fa Cour au fujet des-hoftilités commifes à Rio-grande. Don Medina fit à ce fujet toutes les démarches convenables, ce fut en vain ; le Comte d’Acunha ne voulut pas même recevoir la lettre que le Commandant Efpagnol lui en- voya par un Officier de fon bord. | be Nous partageâmes la difgrace de nos alliés. Lorfque, d’après la parole réitérée du Viceroi , j’eus conclu le mar- ché pour l'achat d’un fenault, fon Excellence fit défen- dre au vendeur de me le livrer. Il fut pareillement dé- fendu de nous laïffer prendre dans le chantier royal des bois qui nous étoient néceflaires & pour lefquels nous avions arrêté un marché: il me refufa enfuite la permif- fion de me loger avec mon Etat major, pendant le tems qu'on feroit à la frégate quelques réparations eflentielles , dans une maïfon voifine de la ville que m'offrit le pro- priétaire, & que le Commodore Byron avoit occupée, lors de fa relâche dans ce port en 1765. Je voulus lui faire à ce fujet & fur le refus du fenault & des bois, quelques repréfentations. Il ne m’en donna pas le tems; &, aux pre- AUTOUR put Mo xopE. 79 miers mots que je lui dis, il fe leva avec fureur, m'or- donna de fortir ; & piqué fans doute de ce que, malgréfa colere, je reftois aflis de même que deux Officiers qui m'accompagnoient, il appella fa garde; mais fa garde, plus fage que lui, ne vint pas & nous nous retirèmes fans que perfonne parût s'être ébranlé. A peine fümes- nous fortis, qu’on doubla la garde de fon palais, on ren- força les patrouilles & l’ordre fut donné d'arrêter tous les François qu’on trouveroit dans les rues après le coucher du foleil. Il envoya dire auffi au Capitaine du vaifleau François de quatre canons d'aller fe mouiller fous le fort de Villagahon, & le lendemain je l'y fis remorquer par mes canots. Je ne fongeai dès-lors qu'à me difpofer au dépaït, d'autant plus que les gens du pays que nous fréquentions , avoient tout à craindre du Viceroi. Deux Officiers Portu- gais furent la viétime de leur honnêteté pour nous ; l’un fut mis au cachot dans la citadelle ; l’autre envoyé en exil à Santa, petit bourg entre Sainte-Catherine & Rio. grande. Je me hätai de faire notre eau , de prendre à bord de l'Etoile les provifions dont je ne pouvois me pañler, & d'embarquer des rafraichiflemens. FPavois été forcé d'augmenter la largeur de mes hunes, & le Commandant Efpagnol me fournit le bois néceffaire pour cette opéra- tion, & qu’on nous avoit refufé aux chantiers. Je m’é- tois aufi muni de quelques planches dont nous ne pou- vions nous pafler, & qu’on nous vendit en contrebande. Enfin le 12, tout étant prêt, j'envoyai un Officier pré- venir le Viceroi que j'appareillerois au premier vent fa- vorable. Je confeillai aufh à M. d'Etcheveri, commandant l'Etoile du matin, de ne s'arrêter à Rio-Janéiro que le Ils nous dé- terminent à partir de Rio- Janéiro, Détails {ur les richefles de Rio-Janéi- fo. 80 VOYAGE moins qu'il poutroit , & d'employer plütôt le tems qui re- ftoit jufqu'à la faifon favorable pour le paflage du cap de Bonne-Efpérance , à bien reconnoître les îles de Tri- ftan d'Acunha, où il trouveroit de l’eau, du bois, du poiflon en abondance, & Je lui donnai quelques mémoires que j'avois fur cesiles. J'ai sû depuis qu'il avoit fuivi ce confeil. Nous avions joui pendant notre féjour à Rio-Janéiro du printems des Poëtes, & fes habitans nous avoient té- moigné de la façon la plus honnête le déplaifir que leur caufoient les mauvais procédés de leur Viceroi à notre égard. Auf regrettions-nous de ne pouvoir refter plus long-tems avec eux. Tant d’autres Voyageurs ont décrit le Bréfil & fa capitale, que je n’en dirois rien qui ne fût une répétition faftidieufe. Rio-Janéiro , conquis une fois par les armes de la France , lui eft bien connu. Je me con- tenterai d'entrer ici dans quelques détails fur les richefles dont cette ville eft le débouché, & fur les revenus que le Roi de Portugal en tire. Je dirai auparavant que M. de Commerçon, favant Naturalifte , embarqué fur l'Etoile pour fuivre l'expédition, m'a afluré que ce pays étoit le plus riche en plantes qu'il eût jamais rencontré, & qu'il y avoit trouvé des tréfors pour la Botanique. Rio-Janéiro eft l’entrepôt & le débouché principal des richefles du Bréfil. Les mines appellées générales , font les plus voifines de la ville dont elles font diftantes environ de {oixante & quinze lieues. Elles rendent au Roi tous les ans, pour fon droit de quint, au-moins cent douze arobes d’or; l'année 1762 elles en rapporterent cent dix- neuf. Sous la Capitainie des mines générales on comprend celles de Rio des morts, de Sabara & de Sero-frio. Cette derniere, AUTOUR Du Monopbe. 81 derniere, outre l'or qu’on en retire, produit encore tous les diamans qui proviennent du Bréfil. Ils fe trouvent dans le fond d’une riviere qu’on a foin de détourner , pour fé- parer enfuite , d’avec les cailloux qu’elle roule dans fon lit, les diamans, Le topazes, les chryfolites & autres pierres de qualités re Toutes ces pierres, excepté les diamans, ne font pas de contrebande ; elles appartiennent aux entrepreneurs, lefquels font obligés de donner un compte exaét des dia- mans trouvés & de les remettre entre les mains de l’In- tendant prépoié par le Roï à cet effet. Cet Intendant les dépofe aufli-tôt dans une caflette cerclée de fer & fermée avec trois ferrures. Il a une des clefs , le Viceroi une autre & le Provador de l’'Hazienda Réale la troifieme. Cette caflette eft renfermée dans une feconde , où font pofés les cachets des trois perfonnes mentionnées ci deffus, & qui contient les trois clefs de la premiere.LeViceroi n’a pas le pouvoir de viliter ce qu'elle renferme. Il configne feule- ment le tout à un troifieme coffre-fort qu'il envoye à Lisbonne , après avoir appofé fon cachet fur la ferrure. L'ouverture s’en fait en la préfence du Roi, qui choifit les diamans qu'il veut & en paye le prix aux entrepreneurs fur le pied d’un tarif réglé par leur traité. Les entrepreneurs payent à Sa Majefté HUE la valeur d’une piaftre, monnoie d’Efpagne, par jour de cha- que efclave employé à la recherche des diamans ; le nom- bre de ces efclaves peut monter à huit cents. De toutes les contrebandes, celle des diamans eft la plus févére- ment punie. Si le contrebandier eft pauvre, il lui en coûte la vie ; Sil a des biens capables de fatisfaire à ce qu'exige la loi , outre la confifcation des diamans , il eft condam- L Réglemens pour l’exploi- tation des Mi- nes. Mines de Diamans. . Mines d’or. 82 VOYAGE né à payer deux fois leur valeur, à un an de prifon & exilé pour fa vie à la côte d'Afrique. Malgré cette févé- rité, il ne laïfle pas de fe faire une grande contrebande de diamans, même des plus beaux, tant leur peu de vo- lume donne l’efpérance & la facilité de les cacher. Tout l'or qu’on retire des mines ne fçauroit être tranf- porté à Rio-Janéiro, fans avoir été remis auparavant dans les maifons de PE établies dans chaque diftriét, où fe perçoit le droit de la couronne. Ce qui revient aux par- ticuliers leur eft remis en barres avec leur poids , leurnu- méro & les armes du Roi. Tout cet or a été touché par une HIPARE prépofée à cet effet, & fur chaque barre eft imprimé le titre de l'or, afin qu’enfuite , dans la fa- brique des monnoies, on faffe avec facilité l’opération né- ceffaire pour les mettre à leur valeur proportionnelle, Ces barres appartenantes aux particuliers font enreoi- ftrées dans le comptoir de /a Praybuna , à trente lieues de Rio-Janéiro. Dans ce poite font un Capitaine, un Lieutenant & cinquante hommes : c’eft-là qu'on paye le droit de quint & de plus un droit de péage d’un réal & demi par tête d'hommes & de bêtes à cornes ou de fom- me. La moitié du produit de ce droit appartient au Roi & l’autre moitié {e partage entre le détachement propor- tionnellement au grade. Comme il eft impofhble de re- verir des mines, fans pafler par ce regiftre, on. y eft ar- rêré & fouillé avec la derniere rigueur. Les particuliers font enfuite obligés de porter tout l’or en barre qui leur revient, à la monnoie de Rio-Janéiro, où on leur en donne la valeur en éfpeces monnoyées : : ce font ordinairement des demi-doublons qui valent huit piaitres d'Efpagne. Sur chacun de ces demi-doublons le AMUURIQUUR ,'D'U M'0 N D €. 83 Roi gagne une piaftre par l’alliage & le droit de monnoie. L'hôtel des monnoies de Rio-Janéiro eft un des plus beaux qui exiftent ; 1] éft muni de toutes les commodités nécef- faires pour y travailler avec la plus grande célérité. Com- me l'or defcend des mines dans le même tems où les flottes arrivent de Portugal , il faut accélérer le travail de la monnoie, & elle s’y frappe avec une promptitude furprenante. L'arrivée de ces flottes rend le commerce de Rio-Ja- néiro très-floriflant , principalement la flotte de Lisbonne. Celle de Porto et chargée feulement de vins, eaux-de-vie, vinaigres , denrées de bouche & de quelques toiles BIDE fieres fabriquées dans cette ville ou aux environs. Aufli-tôt après l’arrivée des flottes , toutes les marchandifes qu’elles apportent A Hu à la douane, où elles payent au Roi dix pour cent. Obfervez qu nd hui, la communi- cation de la colonie du S. Sacrement avec Reno du étant févérement interceptée, ces droits doivent éprouver une diminution confidérable. Prefque toutes les plus pré- cieufes marchandifes étoient envoyées de Rio-Janéiro à la colonie, d’où elles pafloient en contrebande par Bue- nos-Aires au Chili & au Pérou ; & ce commerce fraudu- leux valoit tous les ans aux Portugais plus d’un million & demi de piaftres. En un mot les mines du Bréfil ne pro- duifent point d'argent ; tout celui que les Portugais pof- fedent, provient de cette contrebande. La traite des Ne- gres leur étoit encore un objet immenfe. On ne fçauroit évaluer à combien monte la perte que leur occafionne la fuppreffion prefque entiere de cette branche de con- trebande. Elle occupoit feule au-moins trente embarca- _ tions pour le cabotage de la côte du Bréfil à la Plata. Li Revenus que le Roi de Por tugal tire de Rio-Janéiro. 84 VOYAGE Outre le dix pour cent d’ancien droit qui fe paye à la douane royale, il y a un autre droit de deux & demi pour cent , impofé fous le titre de don gratuit depuis le defa- Ître arrivé à Lisbonne en1755. Ilfe paye immédiate- ment à la fortie de la douane, au lieu qu'on y accorde pour le dixieme un délai de fix mois , en donnant caution valable. Les mines de S. Paolo & Parnagua rendent au Roi quatre arobes de quint année commune. Les mines les plus éloignées, comme celles de Pracaron, de Quiaba, dé- pendent de la Capitainie de Matagroflo. Le quint des mines ci-deflus ne fe perçoit pas à Rio-Janéiro, mais bien celui des mines de Goyas. Cette Capitainie a auffi des mines de diamans qu'il eft défendu de fouiller. Toute la dépenfe que le Roi de Portugal fait à Rio- Janéiro, tant pour le payement des troupes & des Of- ciers civils, que pour les frais des mines , l'entretien des bâtimens publics, la carène des vaifleaux , monte envi- ron à fix cent mille piaftres. Je ne parle point de ce que peut lui coûter la conftruétion des vaifleaux de ligne & frégates qu'on y a maintenant établie. RÉCAPITULATION 6 montant des divers objets du Revenu Royal, année commune. Cent cinquante arobes d’or que rapportent, année commune, tous les quints réduits, valent enmon- Lies, noie d'Efpagne, .1. . ... Cite .«. MÉROiTaece Le droit des:dramans,*.,. ... PU... PSS Le droit de momoie, .... .. Re... /Oooen Dix pour cent de douane, 60. 0. Pc Deux & demi pour cent de don gratuit, . . . . , ... . 87000 2, 202000 AU HOUR DU M:0 N D Er. 8$ piaftres, Grepre, ete 1 02,202090 Droit de péage, vente des lei offices, & géné- ralement tout ce qui provient des mines, . . . . . . 225000 Droits fur les Noirs, . . . .. A RATE IL ITITO00O Droit fur Fhuile de poiflon, le fel, le cb & le doaemetfurses dentésiduspays.. 4141)... 20. MK IUT30000 AO AI EMA E NT NA er . 2,667000 Sur quoi défalquant la dépenfe ci-deffus mentionnée , on verra que le revenu que le Roi de Portugal tire de Rio-Janéiro, monte à plus de dix millions de notre mon- noie. 1767. Juillet. Départ de Rio-Janéiro. Eclipfe de Soleil. 86 wo ŸAG’E CH'A PTIT REV Départ de Rio-Janéro ; fecond voyage à Montevideo ; avaries qu’y recoit l'Etoile. Lz 14 Juillet nous appareillämes de Rio-Janéiro & fü- mes contraints , le vent nous manquant, de remouiller dans la rade. Nous fortimes le 1 $ ; & , deux jours après, l’avantage de marche que la frégate avoit fur l'Etoile, me mit dans le cas de dégréer les mâts de perroquet, nos mâts majeurs exigeant beaucoup de ménagement. Les vents furent variables, grand frais & la mer très-srofle ; la nuit du 19 au 20, nous perdimes notre grand hunier, emporté fur fes cargues. Le 24 il y eut une éclipfe de fo- leil vifible pour nous. J’avois pris à mon bord M. Verron, jeune obfervateur venu de France fur l'Etoile, pour s’oc- cuper dans le voyage des méthodes propres à calculer en mer la longitude. Suivant le point eftimé du vaifleau , le moment de l’immerfion, calculé par cet Aftronome, de- voit être pour nous le 25 à quatre heures dix-neuf minutes du foir. À quatre heures fix minutes, un nuage nous dé- roba la vue du foleil, & lorfque nous le revimes à quatre heures trente-une minutes, il y en avoit alors environ un doigt & demi d’éclip{fé. Les nuages qui pañlerent enfuite fucceflivement fur le foleil, ne nous le laifferent apperce- voir que pendant des intervalles très-courts; de forte que nous ne pûmes obferver aucune des phafes de l'échipfe , ni par conféquent en conclure notre longitude. Le foleil fe couchoit pour nous avant le moment de la conjonc- tion apparente, & nous eftimâmes que celui de l'im- merfion avoit été à quatre heures vingt-trois minutes. ASUNEAONUR DU NE ON DE. 87 Le 26 nous commençâmes à trouver le fond , & le 28 au matin nous eûmes connoiïflance des Caftilles. Cette partie de la côte eft d’une hauteur médiocre & s’apper- coit de dix à douze lieues. Nous crûmes reconnoître l’en- trée d’une baie qui eft vraifemblablement le mouillage où les Efpagnols ont un fort, mouillage qu'ils m'ont dit être fort mauvais. Le 29 nous entrâmes dans la riviere de la Plata & vimes les Maldonades. Nous avançämes peu cette journée & la fuivante. Nous paflâmes en calme prefque toute la nuit du 30 au 31, fondant fans ceñle, Les courans paroifloient nous entraîner dans le Nord- Oueft , où nous reftoir à-peu-près Pile Lobos. À une heure & demie après minuit, la fonde ayant donné trente:trois brafles, je jugeai être très-près de cette ile, & je fis le fignal de mouiller. Nous appareillâmes à trois heures.&r demie & vimes l'ile de Lobos dans le Nord-Eff, environ à deux lieues & demie. Le vent de Sud & de Sud-Eft, foible d’abord , renforça dans la matinée & nous mouillà- mes le 31 aprèsmidi dans la baie de Montevideo. L'Etoile nous avoit fait perdre beaucoup de chemin, parce qu’outre l'avantage de marche que nous confervions fur elle , cette flûte qui, au fortir de Rio-Janéiro , faifoit quatre pouces d'eau toutes les deux heures, après quelques jours de na- vigation en fit fept pouces dans le même intervalle de tems ; ce qui ne lui permettoit pas de forcer de voiles. À peine fûmes-nous mouillés, qu'un Officier. venu à bord de la part du Gouverneur de Montevidéo POUF nous complimenter fur notre arrivée, nous apprit qu'on.avoit recu des ordres d'Efpagne pour. arrêter tous.les Jéfuites &z fe faifir de leurs biens; que le-même bâtiment porteur de ces dépêches, avoit amené quarante Peres de la come Entrée dans lariviere dela Plata. Seconde re- lâche à Monr- tevideo. Nouvelles que nous y apprenons. 1767. Août. 88 Voyicrz pagnie deftinés aux miflions ; que l’ordre avoit été exécu- té déja dans les principales maifons, fans trouble ni réf- ftance & qu'au contraire ces Religieux fupportoient leur difgrace avec fagefle & réfignation.J’entrerai bientôt dans le détail de cette grande affaire , de laquelle m'ont pu mettre au fait un long féjour à Buenos-Aires & la confiance dont m’y a honoré le Gouverneur général Don Francifco Bukarely. Comme nous devions refter dans la riviere de la Plata jufqu’äprès La révolution de l’équinoxe , nous primes des logemens à Montevideo, où nous établimes auffi nos ou- vriers & un hôpital. Ces premiers foins remplis, je me rendis à Buenos-Aires le 11 Août , pour y accélérer la fourniture des vivres qui nous étoient néceflaires & dont fut chargé le Munitionnaire général du Roi d'Efpagne, aux mêmes prix que portoit fon traité vis-à-vis Sa Majefté Catholique. Je voulois auffi entretenir M. de Bukarely fur ce qui s'étoit pañlé à Rio-Janéiro, quoique je lui euffe déja envoyé par un exprès les dépêches de Dom Fran- cifco de Medina. Je le trouvai fagement réfolu à fe con- tenter de rendre compte en Europe des hoftilités commi- fes par le Viceroi du Bréfil & à ne point ufer de repré- failles. I lui eût été facile de s'emparer en peu de jours de la Colonie du Saint-Sacrement, d'autant plus que cette place manquoit de tout & qu’elle n'avoit pas encore reçu au mois de Novembre le convoi de vivres & de muni- tions qu'on lui préparoit, lorfque nous fortimes de Rio- Janéiro. ga J'éprouvai de la part du Gouverneur général les plus grandes facilités pour la prompte expédition de nos be- foins. À la fin d’Août deux goëlettes, chargées pour nous de AUMEIQNURR: DU EMYO N DE. 89 de bifcuit & de farine , avoient fait voile pour Montevi- deo, où je m'étois aufñ rendu pour y célébrer la fête de S. Louis. J'avois laiflé à Buenos-Aires le Chevalier du Bouchage, Enfeigne de vaifleau , pour y faire embar- quer le refte de nos vivres, & y être chargé des affaires qui pourroient nous furvenir, jufqu'à notre départ que jefpérois devoir être à la fin de Septembre; je ne pré- yoyois pas qu'un accident nous retiendroit fix femaines de plus. Pendant une tourmente de Sud-Oueft, le Saint- Fernand ; vaifleau de regiftre , qui étoit mouillé près de lEtoile, chafla fur fes ancres, vint de nuit aborder cette flûte, & du premier choc lui rompit fon mât de beau- pré au ras de l'étambré. Sa poulaine & fes écharpes ou herpes furent enfuite emportées, heureux encore d’avoir pu fe féparer , maloré le mauvais tems & l'obfcurité , fans efluyer d’autres avaries. Cet abordage augmenta confidérablement la voie d’eau que l'Etoile avoit dès le commencement de la campa- gne. Il devenoit indifpenfable de décharger ce bâtiment, peut-être même de le virer en quille pourdécouvrir & fer- mer cette voie d’eau qui paroïfloit être très-bafle & de l’a- vant. Cette opération ne pouvoit fe faire à Montevideo, où d’ailleurs on ne trouvoit point les bois néceffaires à la réparation de fa mâture. J'écrivis donc au Chevalier du Bouchage d’expofer au Marquis de Bukareli notre fitua- tion , & d'obtenir fon agrément pour que l'Etoile remon- tât la riviere & vint à la Encenada de Baragan ; je lui mandois aufh d'y faire paffer aufli-tôt les bois & autres matériaux dont nous avions befoin. Le Gouverneur gé- néral confentit à ces demandes ; & le 7 Septembre, n'ayant pu trouver aucun pilote , je m'embarquai fur l'E- M Avarie que reçoit/'Etoile, 1767. Septembre. Navigation de Montevi- deo à Bara- gan, 90 No Y ME toile avec les charpentiers & calefats de la Boudeufe pour partir le lendemain & fuivre moi-même une navigation qu'on nous difoit être de la plus grande difliculté. Deux vaifleaux de reoiftre, le Saint-Fernand & le Carmen, munis d'un pratique , appareïlloient le même jour de Monte- video pour la Encenada & j'avois compté les fuivre ; mais le Saint-Fernand, à bord duquel étoit ce pilote nommé Philippe , appareilla la nuit du 7 au8, dans la feule vue de nous dérober fa marche & laiïflant fon ca- marade dans le même embarras. Nous partimes toute- fois le 8 au matin précédés par nos canots , le Carmen étant refté pour attendre une goclette qui dirigeât fa route. Le {oir nous joignimes le Saint-Fernand, nous le dépañlämes & le 10 après midi nous mouillâmes dans [a rade de la Encenada, Philippe , aufli mauvais pilote que méchant homme, ayant toujours gouverné fur nous. Je trouvai dre cette rade la Vénus, frégate de vingt- fix canons, & quelques navires marchands deftinés, com- me elle, à faire voile incefflamment pour FEdoe Ty trouvai aufli la Smeralda & la Liebe, qui fe difpofoient à retourner avec des munitions de toute efpece aux iles Ma- louines, d'où elles devoient pafler dans la mer du Sud, pour y prendre les Jéfuites du Chili & du Pérou. Il y avoit de plus le chambekin ? Andalous arrivé du Ferrol à la fin de Juillet en compagnie d'un autre chambekin nom- mé l’Aventurero ; mais celui-ci s’étoit perdu fur la tête du banc aux Anglois, & l'équipage avoit eu le tems de fe fauver. L’Andalous fe préparoit à aller porter des Mif- fionnaires & des préfens aux habitans de la terre de Feu, le Roi Catholique voulant leur témoigner fa reconnoif- fance des fervices qu'ils avoient rendus aux Efpagnols AUTOUR DU MonopbeE. O1 du navire /a Conception, lequel en 1765 avoit péri fur leurs côtes. Je defcendis à Baragan, où le Chevalier du Bouchage avoit déja fait tranfporter une partie des bois qui nous étoient néceflaires. Il les avoit raflemblés avec peine & à grands frais à Buenos-Âires dans l’arfenal du Roi & quelques magafñns particuliers, approvifionnés les uns & les autres par les débris des vaiffeaux qui font naufrage dans la riviere. On ne trouvoit d’ailleurs à Baragan aucune ef pece de reffources, mais bien des difficultés de plufeurs genres & tout ce qui peut forcer à n’opérer que lente- ment. La Encenada de Baragan n’eft en effet qu’une ef- pece de mauvaife baie formée par l'embouchure d’une petite riviere qui peut avoir un quart de lieue de largeur ; mais il n’y a de l’eau qu'au milieu, dans un canal étroit & qui fe comble tous les jours, où peuvent entrer des vaif- {eaux qui ne tirent que douze pieds : dans tout le refte il n’y a pas fix pouces d'eau à marée baffle ; or, comme les marées font fort irrégulieres dans la riviere de la Pla- ta, quelles font hautes ou bafles quelquefois huit jours de fuite felon les vents qui regnent, le débarquement des chaloupes y effuie les plus grandes difficultés. D'ailleurs nuls magafñns à terre, quelques maïfons ou plutôt des chaumieres conftruites avec des joncs, couvertes de cuir, difperfées fans ordre fur un fol brut & habitées par des hommes qui ont aflez de peine à fe procurer leur fubfi- ffance. Les bâtimens qui tirent trop d’eau pour pouvoir entrer dans cette anfe mouillent à la pointe de Lara, à une lieue & demie dans l'Oueft. Ils y font expofés à tous les vents ; mais la tenue étant fort bonne , ils y peuvent hiverner , quoiqu’avec beaucoup d’incommodirés. Mi L'Etoile s'y raccommode, MOT 1 Départ de plañeurs vaif- feaux. pour l'Europe, ar- rivée de quel- ques autres. 92 AM O Ÿ. À GE Je laiffai à la pointe de Lara M. de la Giraudais chargé des foins relatifs à fon vaifleau , & je me rendis à Buenos- Aires, d'où je lui expédiai une grande goëlette fur la- quelle il pouvoit abattre, lorfqu'il feroit entré à la Ence- nada. Il falloit pour cela qu'il déchargeât en partie les effets qu'il avoit à bord, & M. de Bukarely permit de les dépofer à bord de la Smeralda & de la Liebe. Le 8 Oéto- bre l’Etoule fut en état d'entrer dans le port, & l’on trou- va que fon radoub feroit moins long qu'on ne l’avoit ap- préhendé. En effet, à peine avoit-elle commencé à s'allé- ger , que fa voie d’eau diminua fenfiblement & elle ceffa d'en faire, lorfqu'elle ne tira plus que huit pieds de l'avant. Après y avoir débité quelques planches de fon doublage ; on vit que la couture des barbes du navire étoit abfolu- ment fans étoupe ; pendant une longueur d'environ quatre pieds & demi, depuis huit pieds &c demi de tirant d’eau en remontant. On découvrit aufli deux trous de tarriere dont les chevilles n’avoient pas été pofées. Toutes ces avaries ayant été promptement réparées, de nouvelles herpes re- mifes en place, le mât de beaupré fait & mûâté, la flûte récalfatée en entier; elle revint le 21 à la pointe de Lara, où elle reprit fon chargement à bord des frégates Efpa- gnoles. Elle y embarqua aufhi fucceflivement le bois, les farines, le bifcuit & les différentes provifions que je lui en- voyaidans cette rade, Il en étoit parti pour Cadix, à la fin de Septembre, /a Venus 8 quatre autres bâtimens chargés de cuirs, & por- tant deux cents cinquante Jéfuites & les familles Françoi- {es des Malouines, à l’exception de fept, qui n'ayant pu y trouver place, furent forcées d'attendre une autre occa- fon. Le Marquis de Bukarely les fit venir à Buenos-Aüres, AUTOUR DU Mon. 93 où il pourvut à leur fubfiftance & à leur logement. On ve- noit d'apprendre dans le même moment l’arrivée du D:4- mant, vaifleau de regiftre, expédié pour Buenos-Aires, & celle du Saint-Michel, autre vaifleau de regiftre deftiné pour Lima. La fituation de ce dernier bâtiment étoit trifte. Après avoir , pendant quarante-cinq jours, lutté contre les vents fur le cap de Horn, trente-neuf hommes de fon équipage étant morts & le refte attaqué du fcorbut, un coup de mer ayant emporté fon gouvernail, il avoit été forcé de faire route pour cette riviere, où il étoit entré dans le port des Maldonades, fept mois après êtte forti de Cadix & n'ayant plus que trois matelots & quelques Officiers en état d'agir. Nous envoyâmes à la requête des Efpagnols, un Officier & un équipage pour amener ce bâtiment à Montevideo. Il y étoit arrivé le $ Oftobre la frégate Efpagnole /’Æiole, fortie du Ferrol au mois de Mars. Elle avoit relâché à l'ile Sainte-Catherine, & les Portugais l’y avoient arrêtée dans le même tems oùilsre. tenoient le Dilioent à Rio-Janéiro, è ê Psul 4 4 ! À Ê= PF pe rè = ATEN ae ET AN È Lis) Date de l’e- tabliffement des miflions. C'H A PET RE: VI.I. Détails fur les Miffions du Paraguai, € l'expulfion des Jéfuites de cette province. Ta ND1S que nous hätions nos difpofitions pour fortir de la riviere de la Plata, le Marquis de Bukarely faifoit les fiennes pour pañler fur / Uraguai. Déjà les Jéfuites avoient été arrêtés dans toutes les autres provinces de fon départe- ment, & ce Gouverneur général vouloit exécuter en per- foine dans les miflions les ordres du Roi Catholique. Il dépendoit des premieres mefures qu’on y alloit prendre de faire agréer à ces peuples le changement qu’on leur prépa- roit, ou de les replonger dans l’état de barbarie. Mais avant que de détailler ce que j'ai vu fur la cataftrophe de ce fingulier Gouvernement, il faut dire un mot fur fon ori- gine , fes progrès & fa forme. Je le dirai féne ir 6 fludio quorum caufas procul habeo. C’eft en 1580, que l’on voit les Jéfuites admis pour la premiere fois dans ces fertiles régions, où ils ont depuis fondé, fous le regne de Philippe IT, les miffions fameufes auxquelles on donne en Europe le nom du Paraguai, & plus à propos en Amérique celui de l'Uraguai, riviere fur laquelle elles font fituées. Elles ont toujours été divifées en peuplades, foibles d’abord & en petit nombre, mais que des progrès fucceflifs ont porté jufqu’à celui de trente- {ept ; fçavoir, vingt-neuf fur la rive droite de l’'Uraguai, & huit fur la rive gauche, régies chacune par deux Jéfuites en habit de l'Ordre. Deux motifs qu’il eft permis aux Sou- verains d'allier , lorfque l’un ne nuit pas à l’autre , la Reli- AUUEO Ù R D UM o NX D =. 95 gion & l'intérêt, avoient fait défirer aux Monarques Efpa- gnols la converfion de ces Indiens ; en les rendant Catho- liques on civilifoit des hommes fauvages, onfe rendoit mai- tres d’une contrée vafte & abondante : c’étoit ouvrir à la métropole une nouvelle fource de richefles, & acquérir des adorateurs au vrai Dieu. Les Jéfuites fe chargerent de remplir ces vües, mais ils repréfenterent que pour faciliter le fuccès d’une fi pénible entreprife, 1l falloit qu'ils fuftent indépendans des Gouverneurs de la province, & que même aucun Efpagnol ne pénétrât dans le pays. Le motif qui fondoit cette demande , étoit la crainte que les vices des Européens ne diminuaflent la ferveur des Néophites, ne les éloignaffent même du Chriftianifme, & que la hauteur Efpagnole ne leur rendit odieux un joug trop appéfanti. La Cour d'Efpagne approuvant ces raifons, régla que les Miffionnaires feroient fouftraits à l'autorité des Gouverneurs, & que le tréfor leur donneroïit chaque année foixante mille piaftres pour les frais des défriche- mens , fous la condition qu’à mefure que les peuplades feroient formées & les terres miies en valeur, les Indiens payeroient annuellement au Roi une piaftre par homme depuis l’âge de dix-huit ans jufqu’à celui de foixante. On exigea aufh que les Miffionnaires appriflent aux Indiens la langue Efpagnole ; mais cette claufe ne paroiït pas avoir été exécutée. Les Jéfuites entrerent dans la carriere avec le courage des Martyrs & une patience vraiment angélique. Il falloit lun & l’autre pour attirer, retenir, plier à l’obéiffance & au travail des hommes féroces, inconftans, attachés au- tant à leur pareffe qu’à leur indépendance. Les obfta- cles furent infinis, Les difficultés renaifloient à chaque pas ; tre la Cour d'Efpagne & les Jéfuites. ZLèle & fuccès des Mifion- naires. EE $ i jf 96 | # SUV: OÙ ANGNE CS Le le zele triompha de tout, & la douceur des Miffionnaires amena enfin à leurs pieds ces farouches habitans des bois. En effer, ils les réunirent dans des habitations, leur don- nerent des loix, introduifirent chez eux les arts utiles & agréables ; enfin d’une Nation barbare, fans mœurs & fans religion , ils en firent un peuple doux, policé, exaét obfervateur des cérémonies chrétiennes. Ces Indiens, charmés par l'éloquence perfuafñve de leurs apôtres, obéif- {oient volontiers à des hommes qu'ils voyoient {e facrifier à leur bonheur ; de telle façon que quand ils vouloient fe former une idée du Roi d'Efpasne, ils fe le repréfentoient ous l’habit de S$. Ignace. 3 _Révolte des: : . Cependant il y eut contre fon autorité un inftant de ré- me les Ewa. Volte dans l'année 1757. Le Roi Catholique venoit d’é- = changer avec le Portugal les peuplades des mffons fituées fur la rive gauche de l'Uraguai contre la colonie du Saint- Sacrement. L’envie d’anéantir la contrebande énorme, dont nous avons parlé plufeurs fois, avoit engagé la Cour de Madrid à cet échange. L'Uraguai devénoit ainfi La limite des pofleffions réfpeêlives des deux Couronnes ; on faifoit pafler fur fa rive droite lesindiens des peuplades cé dées, & on les dédommageoïit én argent du travail de Caufedeleur leur déplacement. Mais ces hommes accoutumés à leurs meet foyers, ne purent foufirir d'être obligés de quitter des ter- res en pleine valeur , pour en aller défricher de nouvelles, Ils prirent donc les armes : depuis long-tems on leur avoit ee d’en avoir pour fe défendre contre les incurfions es Pauliftes, brigands iflus du Bréfil, & qui s'étoient for- e n république vers la fin du feizieme fiecle. La ré- “volte #8. fans qu'aucun Jéfuite parût jamäis à la tête des Indiens. On dit même qu'ils furent retenus par force dans La hu | les rs Q [e) ga Un rs AU MUR D utM 0 N D E, 97 les villages, pour y exercer les fonétions du facerdoce. Le Gouverneur général de la province de [a Plata, Don Jofeph Andonaighi, marcha contre les rébelles, fui- vi de Don Joachim de Viana, Gouverneur de Montevi- deo. Illes défit dans une bataille où il périt plus de deux mille Indiens. Il s’achemina enfuite à la conquête du pays; & Don Joachim voyant la terreur qu'une premiere dé- faite y avoit répandue, fe chargea avec fix cents hommes de le réduire en entier. En effet il attaqua la premiere peuplade, s’en empara fans réfiftance, & celle-là prife , toutes les autres fe foumirent. Sur ces entrefaites la Cour d'Efpagne rappella Don Jo- feph Andonaighi & Don Pedro Cevallos arriva à Bue- nos-Aires pour le remplacer. En même tems Viana reçut ordre d'abandonner les miffions & de ramener fes trou- pes. Il ne fut plus queftion de l'échange projetté entre les deux Couronnes, & les Portugais, qui avoient mar- ché contre les Indiens avec les Efpagnols, revinrent avec eux. C’eft dans le tems de cette expédition que s’eft ré- pandu en Europe le bruit de léleétion du Roi Nicolas, | Indien dont en effet les rebelles firent un fantôme de royauté. Don Joachim de Viana m'a dit que quand il eut reçu Yordrede quitter les miflions, une grande partie des Indiens, mécontens de la vie qu'ils menoient , vouloit le fuivre. ll sy oppofa, mais il ne put empêcher que fept familles ñe l’'accompagnaflent, & il les établit aux Maldonades, où elles donnent aujourd'hui l'exemple de linduftrie & du travail. Je fus furpris de ce qu'il me dit au fujet de ce mé- contentement des Indiens. Comment laccorder avec tout ce que j'avois lu fur la maniere dont ils étoient gouver- N Ïls prennent les armes & {ont battus. Troubles ap- paifés. Les Indiens paroiffent de- goûtés de l’ad- miniftration des Jéfuitess Gouverne- ment des Mit fions montré en perfpecti- ve. Détails inté- rieurs de l’ad- minitration. 93 | VOYAGE nés ? J’aurois cité les loix des miflions comme le modele d'une adminiftration faite pour donner aux humains le bonheur & la fagefle. En effet , quand on fe repréfente de loin & en général ce Gouvernement magique fondé par les feules armes fpi- rituelles , & qui n’étoit lié que par les chaînes de la per- fuafon , quelle inftitution plus honorable à l'humanité ! C’eft une fociété qui habite une terre fertile fous un cli- mat fortuné, dont tous les membres font laborieux & où perfonne ne travaille pour foi; les fruits de la culture commune font rapportés fidélement dans des magafins publics, d’où l’on diftribue à chacun ce qui lui eft nécef- faire pour fa nourriture , fon habillement & l'entretien de fon ménage; l’homme dans la vigueur de l’âge , nourrit par {on travail l'enfant qui vient de naïître ; & lorfque le tems a ufé fes forces, il reçoit de fes concitoyens les mé- mes fervices dont il leur a fait l'avance ; les maifons par- ticulieres font commodes, les édifices publics font beaux; le culte eft uniforme & fcrupuleufement fuivi; ce peuple heureux ne connoït ni rangs ni conditions, il eft égale- ment à l'abri des richefles & de l’indigence. Telles ont dû paroïître & telles me paroifloient les miflions dans le lointain & l'illufion de la perfpeëtive. Mais en matiere de Gouvernement, un intervalle immenfe fépare la théorie de ladminiftration. J'en fus convaincu par les détails fui- vans que m'ont faits unanimement cent témoins oculaires. L’étendue du terrein que renferment les mifhons, peut être de deux cents lieues du Nord au Sud, de cent- cin- quante de l'Eft à l’Oueft, & la population y eft d'environ trois cents mille ames ; des forêts immenfes y offrent des bois de route efpece ; de vaftes pâturages y contiennent AUTOUR DU MonpbE. 99 au-moins deux millions de têtes de beftiaux; de belles ri- vieres vivifient l'intérieur de cette contrée, & y appellent par-tout la circulation & le commerce, Voilà le local, comment y vivoit-on? Le pays étoit, comme nous l'avons dit , divifé en paroifles, & chaque paroiïffe régie par deux Jéfuites, l’un Curé, l’autre fon Vicaire. La dépenfe totale pour l'entretien des peuplades entrainoit peu de frais, les Indiens étant nourris , habillés , logés du travail de leurs mains, la plus forte dépenfe alloit à l'entretien des Eglifes conftruites & ornées avec magnificence. Le refte du pro- duit de la terre & tous les beftiaux appartenoïient aux Jé- fuites, qui de leur côté faifoient venir d'Europe les outils des différens métiers, des vitres, des couteaux, des ai- guilles à coudre, des images, des chapelets, de la poudre & des fufils. Leur revenu annuel confiftoit en coton, fuifs, cuirs , miel & fur-tout en waté, plante mieux con- nue fous le nom d'herbe du Paraguai , dont la compagnie faifoit feule le commerce, & dont la confommation eft immenfe dans toutes les Indes Efpagnoles où elle tient lieu de thé. Les Indiens avoient pour leurs Curés une foumiflion tellement fervile, que non-feulement ils fe laifloient punir du fouet à la maniere du college , hommes & femmes, pour les fautes publiques , mais qu'ils venoient eux-mêmes folliciter le châtiment des fautes mentales. Dans cha- que paroiffe les Peres élifoient tous les ans des corrégidors & des capitulaires chargés des détails de ladminiftration. La cérémonie de leur éleétion fe faifoit avec pompe le premier jour de l'an dans le parvis de l’Eglife, & fe pu- blioit au fon des cloches & des inftrumens de toute ef- pece. Les élus venoient aux pieds du Pere Curé recevoir Ni 100 VOYAGE les marques de leur dignité qui ne les exemptoit pas d'é- tre fouettés comme les autres. Leur plus grande diftinc- tion étoit de porter des habits, tandis qu'une chemife de toile de coton compofoit feule le vêtement du refte des Indiens de l’un & l’autre fexe. La fête de la paroifle. &r celle du Curé fe célébroient aufli par des réjouiflances publiques, même par des comédies ; elles reflembloient fans doute à nos anciennes pieces quon nommoït #yf- ETES e Le Curé habitoit une maïfon vafte proche l'Eglife; elle avoit attenant deux corps de logis, dans l’un defquels étoientles écoles pour la mufique, la peinture , la fculpture, l’architeéture & les atteliers des différens métiers ; l'Italie leur fournifloit les maîtres pour les arts, &c les Indiens ap- prennent, dit-on, avec facilité; l’autre corps de logis con- tenoit un grand nombre de jeunes filles occupées à divers ouvrages fous la garde & l’infpeétion de vieilles femmes: ile nommoit Ze guanpguafu ou le féminaire. L’apparte- ment du Curé communiquoit intérieurement avec ces deux corps de logis. Ce Curé fe levoit à cinq heures du matin, prenoit une heure pour l’oraifon mentale, difoit fa mefle à fix heures & demie, on lui baifoit la main à feptheures, & l'on fai- {oit alors la diftribution publique d’une once de maté par famille. Après fa mefle, le Curé déjeünoit, difoit fon bré- viaire, travailloit avec les Corrégidors dont les quatre premiers étoient fes Miniftres, vifitoit le féminaire, les écoles & les ateliers ; s’il fortoit, c’étoit à cheval & avec. un grand cortege ; il dinoit à onze heures feul avec {on Vicaire, reftoit en converfation jufqu'à midi, & faifoir la fefte jufqu'è deux heures; il étoit renfermé dans fon in- AMTNIONU CR D UM NL ON DE! OI térieur jufqu’au rofaire, après lequel il y avoit converfa- tion jufqu’à lept heures du foir; alors le Curé foupoit; à huit heures il étoit cenfé couché. Le peuple cependant étoit depuis huit heures ë matin diftribué aux divers travaux foit de la terre, foit des atte- liers, & les Corrigédors veilloient au févere emploi du tems ; les femmes filoient du coton; on leur en diftribuoit tous les lundis une certaine quantité quil falloit rappor… ter filé à la fin de la femaine ; à cinq heures & demie du {oir on fe raflembloit pour réciter le rofaire & baifer en- core la main du Curé; enfuite fe faifoit la diftribution d’une once de maté & de quatre livres de bœuf pour chaque ménage qu'on fuppofoit être compofé de huit perfonnes ; on donnoit aufli du maïs. Le dimanche on ne travailloit point, l'office divin prenoit plus de tems ; ils pouvoient enfuite fe livrer à quelques jeux auf triftes que le refte de leur vie. On voit par ce détail exaét que les Indiens n’avoient en quelque forte aucune propriété & qu'ils étoient aflu- jettis à une uniformité de travail & de repos cruellement ennuyeufe. Cet ennui, qu'avec raifon on dit mortel, fuffit pour expliquer ce qu'on nous a dit , qu'ils quittoient la vie fans la regretter & mouroient fans avoir vécu. Quand une fois ils tomboient malades, il étoit rare qu'ils guériflent ; & lorfqu'on leur demandoit alors fi de mourir les affli- geoit, ils répondoient que non, & le répondoient comme des gens qui le penfent. On ceflera maintenant d’être furpris de ce que, quand les Efpagnols pénétrerent dans es mfons , ce grand peuple ,adminiftré comme un cou- vent , témoigna le plus grand defir de forcer la clôture. Au refte Les Jéfuites nous repréfentoient ces Indiens com- Conféquen- ces qu'on en te: Expulfon des Jéfuites de la province de la Plata. Mefures pri- fes à ce fujet par la Cour d'Efpagne. Mefures pri- fes parle Gou- verneur gé- néral de la Province. 102 VOYAGE me une efpece d'hommes qui ne pouvoit jamais atteindre qu'à l'intelligence des enfans ; la vie qu'ils menoient em- péchoit ces grands enfans d’avoir la gaieté des petits. La Compagnie s’occupoit du foin d'étendre les miflions, lorfque le contrecoup d’événemens pañlés en Europe , vint renverfer dans le nouveau monde l’ou- vrage de tant d'années & de patience. La Cour d'Ef pagne ayant pris la réfolution de chafler les Jéfuites, vou- lut que cette opération fe fit en même tems dans toute ‘étendue de fes vaftes domaines. Cevallos fut rappellé de Buenos-Aires , & Don Francifco Bukarely nommé pour le remplacer. Il partit inftruit de la befogne à laquelle on le deftinoit, & prévenu d'en différer l'exécution jufqu’à de nouveaux ordres qu'il ne tarderoit pas à recevoir. Le Confefleur du Roi, le Comte d’Aranda & quelques Mi- niftres étoient les feuls auxquels fut confié le fecret de cette affaire. Bukarely fit fon entrée à Buenos-Aires au commencement de 1767. Lorfque Don Pedro Cevallos fut arrivé en Efpagne, on expédia au Marquis de Bukarelÿy un paquebot chargé des ordres tant pour cette province que pour le Chili, où ce Général devoit les faire pañler par terre. Ce bâtiment arriva dans la riviere de la Plata au mois de Juin 1767, & le Gouverneur dépêcha fur-le-champ deux Officiers, l’un au Viceroi du Pérou, l’autre au Préfident de lAudience du Chili, avec les paquets de la Cour qui les concernoient. Il fongea enfuite à répartir fes ordres dans les différens lieux de fa province où il y avoit des Jéfuites, tels que Cordoue, Mendoze, Corientes, Santa-Fé, Salta, Mon- tevideo & le Paraguai. Comme il craignit que, parmi les Commandans de ces divers endroits, quelques-uns n’a- ACUTIONU À 1DFU0 M Oo N D Fr. 103 oiffent pas avec la promptitude, le fecret & l’exa@titude que la Cour défiroit, il leur enjoignit, en leur adreffant {es ordres, de ne les ouvrir que le *** jour qu'il fixoit pour l'exécution, & de ne le faire qu'en préfence de quelques perfonnes qu'il nommoit ; gens qui occupoient dans les mêmes lieux les premiers emplois éccléfaftiques & civils. Cordoue fur-tout lintérefloit. C’étoit dans ces provinces la principale maïfon des Jéfuites & la réfidence habituelle du Provincial. C’eft-là qu'ils formoient &c qu'ils inftruifoient dans la langue & les ufages du pays les fujets deftinés aux miflions & à devenir chefs des peuplades ; on y devoit trouver leurs papiers les plus importans. M. de Bukarely fe réfolut à y envoyer un Officier de con- fance qu'il nomma Lieutenant de Roi de cette place, & que , fous ce pretexte, il fit accompagner d’un détache- ment de troupes. Il reftoit à pourvoir à l’exécution des ordres du Roi dans les miflions, & c’étoit le point critique. Faire arrêter les Jéfuites au milieu des peuplades, on ne favoit pas fi les Indiens voudroient le fouffrir, & il eût fallu foutenir cette exécution violente par un corps de troupes aflez nom- breux pour parer à tout événement. D'ailleurs n’étoit-il pas indifpenfable, avant que de fonger à en retirer les Jé- fuites , d’avoir une autre forme de Gouvernement prête à fubitituer au leur, & d'y prévenir ainf les défordres de l'anarchie? Le Gouverneur fe détermina à temporifer, & fe contenta pour le moment d'écrire dans les miflions, qu’on lui envoyät fur le champ le Corrégidor & un Cacique de chaque peuplade, pour leur communiquer des lettres du Roï. Il expédia cet ordre avec la plus grande célérité, afin que les Indiens fuent en chemin & hors des réduc- Le fecret eft au moment d'ètre divul- gu£ par un ac- cident impre- V1. 104 | Vovace tions, avant que la nouvelle de l’expulfon de la Société pôt y parvenir. Par ce moyen il remplifloit deux vües, l'une de fe procurer des ôtages qui l’aflureroient de la fidé- lité des peuplades , lorfqu'il en retireroit les Jéfuites ; lau- tre, de gagner l’affeétion des principaux Indiens parles bons traitemens qu'on leur prodigueroit à Buenos-Aires, & d’a- voir le tems de les inftruire du nouvel état dans 2 ils entreroient lorfque n'étant plus tenus par la lifiere , 1ls joui- roient des mêmes privileges & de la même propriété que les autres fujers du Rot. Toutavoit été concerté avec le Ne profond fecret, & quoiqu’on eût été furpris de voir arriver un bâtiment d’Ef- pagne fans autres lettres que celles adreflées au Général , on étoit fort éloigné d’en foupçonner la caufe. Le moment de l'exécution générale étoit combiné pour le jour où tous les courriers auroient eu le tems de fe rendre à leur defti- nation , & le Gouverneur attendoit cet inftant avec impatience, lorfque l’arrivée des deux chambekins du Roi, l’Andalous & l’Aventurero, venant de Cadix, faillit à rompre toutes fes mefures. Il avoit ordonné au Gouver- neur de Montevideo, au cas quil arrivât quelques bâti- mens d'Europe, de ne pas les laifler communiquer avec qui que ce fût, avant que de l’en avoir informé ; mais l’un de ces deux chambekins s’étant perdu, comme nous l’a- vons dit, en entrant dans la riviere, il falloit bien en fau- ver l'équipage, & lui donner les fecours que fa fituation exigeoit. Les deux chambekins étoient fortis d'Efpagne depuis que les Jéfuites y avoient été arrêtés : ainfi l’on ne pouvoit empêcher que cette nouvelle ne fe répandit. Un officier de ces bâtimens fut fur le champ envoyé au Marquis de. Bukarely, AUUREIONULR':-#D'U0 M O N D €. 105 Bukarely, & arriva à Buenos-Aires le 9 Juiller à dix heu- res du foir. Le Gouverneur ne balança pas: il expédia à Pinftant à tous les Commandans des Places un ordre d’ou- vrir leurs paquets, & d'en exécuter le contenu avec la plus grande célérité. À deux heures après-minuit, tous les courriers étoient partis, & les deux maifons des Jéfuites à Buenos-Aires invefties, au grand étonnement de ces Peres qui croyoient rêver, lorfqu'on vint les tirer du fommeil pour les conflituer prifonniers, & fe faifir de leurs papiers. Le lendemain, on publia dans la ville un ban qui décer- noit peine de mort contre ceux qui entretiendroient com- merce avec les Jéfuires, & on y arrêta cinq Négocians qui vouloient, dit-on, leur faire pafler des avis à Cordoue. Les ordres du Roi s’exécuterent avec la même facilité dans toutes les villes. Par-tout les Jéfuites furent furpris fans avoir eu le moindre indice, & on mit la main fur leurs papiers. On les fit auflitôt partir de leurs différentes mai- fons, efcortés par des détachemens de troupes qui avoient ordre de tirer fur ceux qui chercheroient à s'échapper. Mais l’on n’eut pas befoin d’en venir à cette extrémité. Ils témoignerent la plus parfaite réfignation, shumiliant fous la main qui les frappoit, & reconnoiffant, difoient-ils, que leurs péchés avoient mérité le châtiment dont Dieu les pu- nifloit. Les Jéfuites de Cordoue, au nombre de plus de cent, arriverent à la fin d’Août à la Encenada, où fe ren- dirent peu-après ceux de Corrientes, de Buenos-Aires & de Montevideo. Ils furent auflitôt embarqués, & ce pre- mier convoi appareilla, comme nous l'avons déjà dit, à la fin de Septembre. Les autres pendant ce tems, étoient en chemin pour venir à Buenos-Aires attendre un nouvel embarquement, 0 Conduite du Gouverneur général. Les Jéfuites font arrêtés danstoutesles villes Efpa- gnoles. Arrivée des Caciques & Corrégidors desMifions à Buenos - Ai- res. Ils paroïffent devant le Gouverneur gen éral. 106 VoYaAGeE On y vit arriver le 13 Septembre tous les Corrégidors & un Cacique de chaque peuplade, avec quelques In- diens de leur fuite. Ils étoient fortis des miflions avant qu'on s’y doutàt de l’objet qui les faifoit mander. La now- velle qu'ils en apprirent en chemin leur fit impreflion, mais ne les empêcha pas de continuer leur route. La feule inftruéhon, dont les Curéseuffent muni au départ leurs chers néophytes , avoit été de ne rien croire de tout ce que leur débiteroit le Gouverneur Général. « Préparez-vous, mes » enfans, leur avoient-ils dit, à entendre beaucoup de » menfonges ». À leur arrivée, on les amena en droiture au Gouvernement, où je fus préfent à leur réception. Ils y entrerent à cheval au nombre de cent vingt, & s’y for- merent en croïffant fur deux lignes : un Efpagnol inftruit dans la langue des Guaranis leur fervoit d’interprete. Le Gouverneur parut à un balcon ; il leur fit dire qu'ils étoient les bien venus, qu'ils allaflent fe repofer , & qu’il les infor- meroit du jour auquel il auroit réfolu de leur fignifier Les intentions du Roi. Il ajoûta fommairement qu'il venoit les tirer d’efclavage, & les mettre en poffeflion de leurs biens, dont jufqu’à préfent ils n’avoient pas joui. Ils répondirent par un cri général, en élevant la main droite vers le ciel, & fouhaitant mille profpérités au Roi & au Gouverneur. Ils ne paroifloient pas mécontens, mais il étoit aifé de dé- mêler fur leur vifage plus de furprife que de joie. Au fortir du Gouvernement, on les conduifit à une maifon des Jé- fuites où ils furent logés , nourris & entretenus aux dépens du Roi. Le Gouverneur, en les faifant venir, avoit mandé nommément le fameux Cacique Nicolas , mais on écrivit que fon grand âge & fes infirmités ne lui permettoient PF de fe “es A U TO U R ;:D;U: M O N D Er, 107 À mon départ de Buenos-Aires , les Indiens n’avoient pas encore été appellés à l'audience du Général. Il vou- loit leur laïfler le tems d'apprendre un peu la langue & de connoître la façon de vivre des Efpagnols. J'ai plufieursfois été les voir. Ils m'ont paru d’un naturel indolent, je leur trouvois cet air ftupide d'animaux pris au piége. L’on m'en fit remarquer que l’on difoit fort inftruits ; mais com- me ils ne parloient que la langue Guaranis, je ne fus pas dans le cas d’apprétier le degré de leurs connoïiffances ; feulement j’entendis jouer du violon un Cacique que l’on nous afluroit être grand muficien ; il joua une fonate, & je crus entendre les fons obligés d’une ferinette. Au refte peu de tems après leur arrivée à Buenos-Aires, la nou- velle de l’expulfñon des Jéfuites étant parvenue dans les miflions , le Marquis de Bukarely reçut une lettre du Pro- vincial qui s’y trouvoit pour lors, dans laquelle il l’affuroit de fa foumiflion & de celle de toutes les peuplades aux ordres du Roi. | Ces miflions des Guaranis & des Tapes fur l'Uraguai n'étoient pas les feules que les Jéfuites euflent fondées dans l’Amérique méridionale. Plus au Nord ils avoient raflemblé & foumis aux mêmes loix les Mojos, les Ch:- quitos & les Avipones. Ils formoient aufll de nouvelles réduétions dans le Sud du Chili du côté de l’ile du Chiloé; & depuis quelques années ils s’étoient ouvert une route pour pafler de cette province au Pérou, en traverfant le pays des Chiquitos, route plus courte que celle que l’on fuivoit jufqu’à préfent. Au refte dans les pays où ils péné- troient , ils faifoient appliquer fur des poteaux la devife de la compagnie ; &c fur la carte de leurs réduétions faite Oi Etendue des miflions, 108 V OVAGE par eux, elles font énoncées fous çette dénomination, op- pida chrifhanorum. L'on s’étoit attendu, en faififlant les biens des Jéfuites dans cette province, de trouver dans leurs maifons des fom- mes d'argent très-confidérables; on en a néanmoins trouvé fort peu. Leurs magafins étoient à la vérité garnis de mar- chandifes de tout genre, tant de ce pays que de l'Europe. Il y en avoit même de beaucoup d’efpeces qui ne fe con- fomment point dans ces provinces. Le nombre de leurs efclaves étoit confidérable, on en comptoit trois mille cinq cents dans la feule maïfon de Cordoue. Ma plume fe refufe au détail de tout ce que le public de Buencs-Aires prétendoit avoir été trouvé dans les papiers faifis aux Jéfuites ; les haines font encore trop récentes , pour qu’on puifle difcerner les fauffes imputations des vé- ritables. J'aime mieux rendre juftice à la plus grande par- tie des membres de cette Société qui ne participoient point au fecret de fes vues temporelles. S'il y avoit dans ce corps quelques intrigans , le grand nombre, relisieux de bonne foi, ne voyoient dans l’inftitut que la piété de fon fondateur , & fervoient en efprit & en vérité le Diew auquel ils s’étoient confacrés. Au refte j'ai {à depuis mon retour en France que le Marquis de Bukarely étoit parti de Buenos-Aires pour les miflions le 14 Mai 1768, & qu'il n’y avoit rencontré aucuns obftacles, aucune réfiftance à l'exécution des ordres du Roi Catholique. On aura une idée de la maniere dont s’eftterminé cet événement in- téreffant , en lifant les deux pieces fuivantes qui contien- nent le détail de la premiere fcene. C’eft ce qui s’eft paf- £ dans la réduétion Fapeou fituée fur l’'Uraguai & qui AUÉMOU" RD UM o ND E. / Mico trouvoit la premiere fur le chemin du Général Efpagnol ; toutes les autres ont fuivi l'exemple donné par celle-là. TRADUCTION d'une lettre d'un Capitaine de grenadiers du Repiment de Mayorque, commandant un des détachemens de l'expédition aux miffions du Paraguar. D'Yapegu le 19 Juillet 1768, « Hier nous arrivames ici très-heureufement; la réce- » ption que l’on a faite à notre Général, a été des plus ma- » gnifiques & telle qu'on n’auroit pü l’attendre de la part » d’un peuple aufli fimple &t aufh peu accoutumé à de fem- :» blables fêtes. Il y a ici un College très-riche enornemens _» d’Eglife qui font en grand nombre; on y voit aufli beau- » coup d’argenterie. La peuplade eft un peu moins grande » que Montevideo , mais bien mieux alignée & fort peu- » plée. Les maïfons y font tellement uniformes, qu’à en voir » une, on les a vu toutes, comme à voir unhomme & une » femme, on a vu tous leshabitans, attendu quil n’y a pas » la moindre différence dans la façon dont ils font vêtus. 1l y » a beaucoup de mufñciens , mais tous médiocres. » Dès l’inftant où nous arrivâmes dans les environs de # cette miflion, fon Excellence donna l'ordre d’aller fe faifr » du Pere Provincial de la Compagnie de Jéfus , & de fix » autres de ces Peres, & de les mettre aufli-tôren lieu de » fureté. Ils doivents’embarquer un de ces joursfurlefleuve » Uraguai. Nous croyons cependant qu'ils refteront au » Salto, où on les gardera jufqu'’à ce que tous leurs con- » freres aient fubi le même fort. Nous croyons aufli refter à » Yapegu cinq ou fix jours, & fuivre notre chemin jufqu’à Détails {ur l'entrée du Gouverneur général dans les mifions, 110 VW OU A GE » la derniere des miflions. Nous fommes très-contens de » notre Général qui nous fait procurer tous les rafraîchif- » femens poflibles. Hier nous eûmes opera, il y en aura » encore aujourd'hui une repréfentation. Les bonnes gens » font tout ce qu'ils peuvent & tout ce qu'ils favent. » Nous vimes aufli hier le fameux Nicolas, celui qu'on » avoit tant d'intérêt à tenir renfermé. Il étoit dans un état » déplorable & prefque nud. C’eft un homme de foixante » & dix ans qui paroïît de bon fens. Son Excellence lui » parlalong-tems , & parut fort fatisfaite de fa converfa- » tion. » Voilà tout ce que je puis vous apprendre de nouveau ». RELATION publiée à Buenos-Ares de l'entrée de S. E. Don Francifco Bukarely y Urfua dans la muffion Y'apeou , l’une de celles des Jéfuites chez les peuples Guaranis dans le Pa- guai , lorfqu’elle y arriva le 18 Juillet 1768. « À huit heures du matin Son Excellence fortit de la cha- » pelle Saint Martin, fituée à une lieue d’Yapegu. Elle étoit » accompagnée de fa garde de grenadiers & de dragons, » & avoit détaché deux heures auparavant les compagnies » de grenadiers de Mayorque pour difpofer & foutenir le » paflage du ruifleau Guavirade qu'on eftobligé de traver- » fer en balfes & en canots. Ce ruifleau eft à une demi- » lieue environ de la peuplade. » Auffi-tôt que Son Excellence eut traverfé , elle trouva » les Caciques & Corrégidors des miffions qui l’attendoient » avec l’Alferès d’Yapegu qui portoit l’étendard royal. Son » Excellence ayant reçu tous les honneurs & complimens » ufités en pareilles occafons , monta à cheval pour faire » {on entrée publique. À UT OU © DIU UM Oo N D E. 111 » Les dragons commencerent la marche ; ils étoient fui- » vis de deux Aides-de-camp qui précédoient Son Excel- » lence, après laquelle venoient les deux compagnies de » grenadiers de Mayorque, fuivies du cortege des Caciques » & Corrégidors, & d’un grand nombre de cavaliers de » ces cantons. » On fe rendità la grande place en face de l’Eglife. Son » Excellence ayant mis pied à terre, Dom Francifco Mar. » tinez , Vicaire général de l'expédition, fe préfenta furles » degrés du portail pour la recevoir. Il accompagna juf- » qu'au presbytere & entonna le 7e Deum , qui fut chanté » & exécuté par une mufique toute compofée de Guaranis. » Pendant cette cérémonie l'artillerie fit une triple déchar- » ge Son Excellence fe rendit enfuite au logement qu’elle » s’éroideftiné dans le college des Peres, autour duquel la » troupe vint camper jufqu’à ce que par fon ordre elle allàt » prendre fes quartiers dans le Guazioua/a ou la Cafa de las » recoptda , la maïfon des Reclufes ». Reprenons le récit de notre voyage dont le fpeétacle de la révolution arrivée dans les miflions n’a pas été une des circonftances les moins intéreflantes. RAA Etoile def- cend de Bara- gan à Monte- video. Difficulté de cette naviga- tion. 1707 Novembre. 112 VOYAGE CEPRERERRSRLELANRE DRE EN RME PONT DENT RERT POST PARENTS E-PREN NE CT SPPCIAUL PEER ESPN ENENEEEEREE PET) CHAPITRE VIIl Départ de Montevideo ; navigation jufqu’au cap des Vierges; entrée dans le détroit ; entrevie avec les Patagons ; navi- gation jufqu'à l'ile Sainte-E lifabeth. Nimborum in patriam, loca fœta furentibus auftris. Virg. Æneid. Lib. L E radoub & le chargement de l'Etoile nous avoient coûtétout le mois d’'Oëtobre & desfrais confidérables; ce ne fut qu’à la fin de ce mois que nous pûmes folder avec le muni- tionnaire général & les autresfournifleurs Efpagnols. Je pris le parti de les payer de l’argent qui m'avoit été rembourfé pour la ceflion des îles Malouines , plutôt que de tirer des lettres de change fur le Tréfor royal. J’ai continué de mé- me pour toutes les dépenfes de nos différentes relâches en pays étranger. Les achats sy font faits par ce moyen à meilleur compte & avec plus d'expédition. Le 31 O&tobre au point du jour, je rejoignis à quel- ques lieues de la Encenada l'Etoile qui en avoit appareillé la veille pour Montevideo. Nous y mouillimes le 3 Novem- bre à fept heures du foir. Ce qui fait la difficulté de cette navigation de Montevideo à la Encenada, c’eft qu'il faut cher lee entre le banc Ortiz & un autre petit banc qui en eft au Sud , qu'aucun d'eux n’eft balifé & que rarement peut-on voir la terre du Sud, laquelle eft très-bafle. À la vérité le hazard a placé prefque à Paccore occidental du banc Ortiz une efpece de balife. Ce font les deux mâts d'un navire Portugais qui s’y eft perdu & quifort heu- reufement eft refté droit, Au refte on trouve dansle canal quatre AQUDIOU R DU MONDE v1: quatre, quatre & demi jufqu'à cinq braffes d’eau , & le fond eft de vaze noire ; il eft de fable rouge fur les accores du banc Ortiz. En allant de Montevideo à la Encenada, auffi-tôt qu'on a amené la balife à l'Eft-quart-Sud-Eft du compas , & que la fonde donne cinq brafles, on a pañié les bancs. Nous avons obfervé dans le chenal 1 ; deg. 30 min. de variation Nord-Eft. Cette traverfée nous coûta trois hommes qui furent noyés; la chaloupe s'étant engagée fous le navire qui vi- roit de bord, coula bas : tous nos efforts ne purent fau- ver que deux hommes & la chaloupe dont le cablot n’a- voit pas rompu. J’eus aufli le chagrin de voir que, mal- gré fon radoub, l'Etoile faifoit encore de l’eau; ce qui donnoit lieu'de craindre que le défaut ne fût général dans tout le calefatage de fa flottaifon : le navire avoit été franc d’eau jufqu'à ce qu'il eût été calé à treize pieds. Nous employâmes quelques jours à embarquer à bord de la Boudeufe tous les vivres qu’elle pouvoit contenir, à recalfater fes hauts, opération que l’abfence de fes calfats néceflaires à l'Etoile, n’avoit pas permis de faire plutôt; à raccommoder la chaloupe de l'Etoile; à faire couper l'herbe pour nos beftiaux & à déblayer tout ce que nous avions à terre. La journée du 10 fe pañla à guinder nos mâts de hune , virer les baffes vergues & tenir nos agrets , _nous pouvions appareiller le même jour fi nous n’euflions pas été échoués. Le 1 r, la mer ayant monté, les bâtimens afflouerent, & nous allâmes mouiller à la tête de la rade où l’on eft toujours à flot. Les deux jours fuivans , le gros tems ne nous permit pas de faire voile, mais ce délai ne fut pas en pure perte. Il arriva de Buenos-Aires une goë- P Perte de trois : matelots, Difpofitions pour fortir de lariviere de la Plata, Etat deséqui- pazes en par- tant de Mon- tevideo. Départ de Montevideo. 114 V'O Y'A GE lette chargée de farine, & nous y en primes foixante quin- taux, qu'on trouva moyen de loger encore dans les navi- res. Nous y avions, toute compenfation faite, des vivres: pour dix mois : il eft vrai que la plus grande partie des boiflons étoit en eau-de-vie. Les équipages jouifloient de la meilleure fanté ; le long féjour qu'ils venoient de faire dans la riviere de la Plata, pendant lequel un tiers des ma- telots couchoit alternativement à terre, & la viande frai- che dont ils y furent toujours nourris , les avoient préparés: aux fatigues & aux miferes de toute efpece, dont la lon- gue carriere alloit s'ouvrir. Je fus obligé de laifler à Mon- tevideo le maitre Pilote, le maître Charpentier, le maitre Armurier & un Officier Marinier de ma frégate, auxquels l’âge & desinfirmités incurables ne permettoient pas d’en- treprendre le voyage. Il y déferta auf, malgré tous nos foiñs, douze foldats ou matelots des deux navires. Javois pris à la vérité aux iles Malouines quelques-uns des mate- lots qui y étoient engagés pour la pêche, ainfi qu'un Ingé- nieur, un Officier de navire marchand & un Chirurgien ; enforte que les vaifleaux avoient autant de monde qu'à notre départ d'Europe, & il y avoit déjà un an que nous étions {ortis de la riviere de Nantes. | Le 14 Novembre , à quatre heures & demie du matin, les vents étant au Nord, joli frais, nous appareillâmes de Montevideo. À huit heures & demie, nous étions Nord &x Sud de l’île de Flores, & à midi à douze lieues dans l'Ef &z l'Eft-quart-Sud-Eft de Montevideo, & c’eft de-là que je pris mon point de départ par 34 deg. 54 min. 40 fec. de latitude auftrale, & 58 deg. 57 min. 30 fec.. £a pofition de longitude occidentale du méridien de Paris. Jy ai Pas Te) Baye ct Cap Ÿ Crego e. RAR l DS IP GPO ES, É26 ler La Lotrren jh 71 Er. à conmrence & étre Bose - Prairies Cap MonimouthiNe 2,5 eZ, Pique Chose pré Laser por Æ Cal S Barbe CARTE DU DETROIT ù DE MAGELLAN à Avec les Routes DE LA BOUDEUSE ET DE L ÉTOILE F sg E , de 44 arte D Cp de Esprit TERRES DE FEU Mélanges de Boss et de —— 1 © NN AL LU —— A oo - | \$8 Brasses Sable gruret | graier rouge ténor ÿA 474 62.8. d'grar g Éœêe 208,9 6grarur | ____. -- ccopulige | le —dg.2dcembre ï Jonde deg o à 466 Sable prov | “cu content, gravier pres de -- da terrede Feu. É 7l4 7F AMOR DU MONDE (fr fuppofé la pofñition de Montevideo, telle que M. Ver- ton l’a déterminée par fes obfervations, lefquelles en fixent la longitude 40 min. 30 fec. plus à l’Oueft que ne la place la Carte de M. Bellin. Favois aufi profité du féjour à terre, pour vérifier mon otant fur des di- fances d'étoiles connues ; cet inftrument s’éroit trouvé donner les hauteurs des aftres trop petites de 2 min. & J'ai toujours eu égard depuis à cette correction. Je pré- viens ici que dans tout le cours de ce Journal, je donne le giflement des côtes telles que les montre le compas ; quand je les donnerai corrigées de la variation, ï aurai foin d'en avertir. Le jour de notre départ, nous vimes la terre jufqu’au coucher du foleil ; la fonde avoit toujours augmenté, paf fant d’un fonds de vaze à un de fable : à fix heures & de- mie du foir elle donna 3$ brafles, fond de fable gris ; & PEiorle, à laquelle je fis le fignal de fonder le 1 $ après- midi , trouva 60 brafles même fond : nous avions obfer- vé à midi 36 deg. 1 min. de latitude. Depuis le 16 juf- qu'au 21, nous eûmes les vents contraires, une mer très- grofle, & nous tinmes les bordées le moins défavanta- geules fous les quatre voiles majeures, tous les ris pris dans les huniers ; l'Etoile avoit dépañlé fes mâts de per- roquet, & nous étions partis fans avoir les nôtres en place. Le 22, nous recûmes un coup de vent, accompa- gné d'orages & de grains qui durerent toute la nuit ; la mer éroit affreufe, & l'Etoile fit fignal d’incommodité ; nous lattendimes fous la mizaine & la grand-voile, le point de deffous cargué : cette flûte nous paroifloit avoir fa vergue de petit hunier rompue. Le vent & la mer étant tombés le lendemain au matin, nous fimes de la voile, & le 24; é Pi déterminée aftronomi- quement, Sondes & na: vigation juf- qu'au détroit de Magellan: 116 VOYAGE je fis pañler l'Etoile à la portée de la voix pour fçavoir ce qu’elle avoit fouffert dans le dernier coup de vent. M. de la Giraudais me dit qu'outre fa vergue de petit hunier, Vigie non marquée fur les Cartes. quatre de fes chaînes de haubans avoient aufli été rom- pues ; il ajouta qu'à l'exception de deux bœufs, il avoit perdu tous Les beftiaux embarqués à Montevideo : ce mal- heur nous avoit été commun avec lui, mais ce n’étoit pas une confolation ; Qui fçavoit quand nous ferions à portée de réparer cette perte ? Pendant le refte du mois, les vents furent variables. du Sud-Oueft au Nord-Oueft ; les courans nous porterent. dans le Sud avec aflez de rapidité , jufques par les 4< deg. de latitude, qu'ils nous devinrent infenfibles. Plu- fieurs jours de fuite nous fondämes fans trouver de fond ; ce ne fut que le 27 au foir, qu'étant environ par 47 deg. de latitude , & nous eftimant à trente-cinq lieues de Ia. côte des Patagons, nous trouvâmes 70 brafles, fond de vaze & de fable fin, gris & noir. Depuis ce jour, nous confervâmes ce fond jufqu’à la vüe de terre, par 67, 60,55, 50, 47, & enfin 40 brafles d’eau que nous donna la fonde, lorfque nous vimes pour la premiere fois le cap des Vierges. Le fond étoit quelquefois va- zard , mais toujours de fable fin, tantôt gris, tantôt jaune , quelquefois accompagné de petits graviers rouges & noirs. Je ne voulus point trop accofter la terre jufqu’à ce que je n’eufle atteint les 49 deg. de latitude, à caufe d'une vigie que j'avois reconnue en 1765 par 48 deg. 30 min. de latitude auftrale à fix ou fept lieues de la côte. Je lapperçus le matin dans le même moment que la terre, & ayant en hauteur à midi par un très-beau tems , À UP OUR, DU) MO N D €. 117 j'en ai pu déterminer la latitude avec précifion. Nous rangeàmes à un quart de lieue cette bâture , que celui qui en eut la premiere connoiffance avoit d’abord prife pour un fouffleur. Le 1° & le 2 Décembre, les vents furent favorables de la partie du Nord au Nord-Nord-Eff, très- frais, la mer grofle & le tems brumeux ; nous forcions de voiles pen- dant le jour, & nous pañhons la nuit fous la mizaine & les huniers aux bas ris. Nous vimes pendant tout ce tems.des. damiers, des quebrantaneñlos , &, ce qui eft de mauvais augure dans toutes les mers du globe , des alcyons qui dif- paroiflent quand la mer eft belle & le ciel ferein. Nous vimes auffi des loups marins, des pingouins , & une grande quantité de baleines. Quelques-uns de ces monftrueux ani- maux paroifloient avoir l’écaille couverte de ces vermicu- laires blancs qui s’attachent à la carêne des vieux vaifleaux qu'on laifle pourrir dans les ports. Le 30 Novembre, deux oifeaux blancs femblables à de gros pigeons étoient venus fe pofer fur nos vergues. J’avois déjà vu un volier de ces animaux traverfer la baie des Malouines. Nous reconnümes le cap des Vierges le 2 Décembre après-midi, & nous le relevâmes au Sud , environ à fept lieues de diftance. J’avois obfervé à midi, $ 2 deg. de la- _titude auftrale, & j'étois alors Vüûe.du cap des Vierges. Sa poñition: par 52 deg. 3 min. 3ofec. de latitude , & 71 deg. 12 min. 20 fec. de longitude à l'Oueft de Paris. Cette pofrion du vaifleau, jointe . au relevement, place le cap des Vierges : par 52 deg. 23 min. de latitude, & 71 deg. 25 min. 20 fec. de longitude Difcuffion fur la pofition donnée au cap des Vier- ges, 118 VOYAGE occidentale de Paris Comme le cap des Vierges eft un point intérefflant dans la Géographie, je dois rendre compte des raifons qui me font croire que la pofition que je lui donne , eft à peu de chofe près, exaéte. Le 27 Novembre après-midi, le Chevalier du Bouchage avoit obfervé huit diftances de la lune au foleil dont le réfultat moyen avoit donné la longitude occidentale du vaifleau de 6; deg. 30 fec. pour 1 heure 43 min. 26 fec. tems vrai; M. Verron de fon côté avoit obfervé cinq diftances, dont le réfultat donna pour notre longitude, au même inftant, 64 deg. 57 min. Le tems étoit beau & très-favorable aux obfervations. Le 29 fuivant, à 3 heures $7 min. 35 fec. tems vrai, M. Verron par cinq ob- fervations de diftance de la lune au foleil, détermina la longitude occidentale du vaifleau de 67 deg. 49 min. 30 fec. Maintenant, en fuivant pour fixer le point du vaifleau, lors de la vüe du cap des Vierges, la longitude détermi- née le 27 Novembre par le terme moyen entre les réful- tats du Chevalier du Bouchage & de M. Verron, on aura la longitude du cap des Vierges de 71 deg. 29 min. 42 fec. à l’'Oueft de Paris. Les obfervations du 29 après- midi rapportées de même au point du vaifleau, quand nous relevâmes le cap, donneroient un réfultat plus Oueft de 38 min. 47 fec. Mais il me femble qu’on doit plutôt fuivre celles du 27, quoique plus éloignées de deux jours, ‘parce que faites en plus grand nombre par deux .obfer- vateurs qui ne communiquoient point enfemble, & ne différant dans leurs réfultats que de 3 minutes 30 fec. elles portent un caraétere de probabilité auquel il eft AUTO U R ID'Ut M ON D Er. 119 difcile de fe refufer. Au refte fi l’on veut prendre un terme moyen entre les obfervations de ces deux jours, on trouvera la longitude du cap des Vierges de 71 deg. 49 min. 5 fec. ce qui ne difiere que de quatre lieues de la premiere détermination, laquelle eft la même, à une lieue près, que celle qui m’a été donnée par l’eftime de mes routes, & que je fuis par cette raifon. Cette longitude du cap des Vierges eft plus occiden- tale de 42 min. 20 fec. de deg. que celle par où le place M. Bellin , & ce n’eft que la même différence donnée par lui à la pofition de Montevideo , différence dont nous avons rendu compte au commencement de ce Chapitre. La Carte de Mylord Anfon afligne pour la longitude du cap des Vierges 72 deg. à l'Oueft de Londres, & con- féquemment près de 75 deg. à l’'Oueit de Paris ; erreur bien plus confidérable, qu'il commet aufli pour l'embou- chure de la riviere de la Plata & généralement pour toute la côte des Patagons. Les obfervations que nous venons de rapporter ont été faites avec l’oétant Anglois. Cette maniere de déterminer les longitudes à la mer par le moyen des diftances de la June au foleil ou aux étoiles zodiacales, eft connue depuis plufieurs années. MM. de la Caille & Daprés en ont fait particuliérement ufage à la mer, en fe fervant aufl de l’oc- tant de M. Hadley. Mais comme le degré de juftefle qu’on obtient par cette méthode, dépend beaucoup de la pré- cifion de l'inftrument avec lequel on obferve, il s’enfui- voit que l’héliometre de M. Bouguer, rendu capable de mefurer de grands angles , feroit très-propre à perfetion- ner ces obfervations de diftances. M, l’Abbé de la Caille y Digreffon fur les inftru- mens propres à obferver en mer la longi- tude. Difficultés ef- fuyées avant que d'entrer dans le deé- troit. 120 VoYACr avoit vralfemblablement fongé, puifqu'il en a fait conf truire ün qui mefure des arcs de 6 à 7 degrés, & fi dans fes ouvrages il ne parle point de cet inftrument, comme propre à obferver à la mer, c’eft qu'il prévoyoit beaucoup de difficulté à s’en fervir fur un vaifleau. M. Verron apporta avec lui à bord un inftrument nom- mé mévametre, qu'il avoit déjà employé dans d’autres voya- ges faits avec M. de Charnieres, & dont il s’eft fervi dans cel -ci. Cet inftrument nous a paru ne différer de l’hélio- metre de M. Bouguer , qu'en ce que la vis qui fait mou- voir les objectifs étant plus longue, elle leur procure un plus grand écartement , & rend par-là cet inftrument ca- pable de mefurer des es de 10 deg. limite du mé- gametre que M. Verron avoit à bord. Il feroit à fouhai- ter qu'en allongeant la vis, on eût pu augmenter encore fon extenfion, reflerrée , comme on le voit, dans des bor- nes trop étroites pour la fréquence & même l’exaétitude des obfervations ; mais les loix de la dioptrique limitent lPécartement des objeétifs. Il faudroit aufli remédier à la difficulté preffentie par M. l'Abbé de la Caille, celle qu’apporte l’élément fur lequel il s’agit d’obferver. En général, il me femble que le quartier de réflexion de M. Hadley feroit préférable , s'il comportoit la même précifion. Depuis le 2 après-midi, que nous eûmes la connoïffance du cap desVierges & bientôt après celle de la terre de Feu, Je vent de bout & le gros tems nous contrarierent plufieurs jours de fuite. Nous louvoyâmes d’abord jufqu'au 3 à fix heures du foir, que les vents ayant adonné permirent de porter fur l'entrée du détroit de Magellan. Ce ne fut pas pour AUTOUR DU Mono E. 12E pour long-tems : à fept heures & demie le vent calma tout- à-fait, & les côtes s’embrumerent ; il refraîchit à dix heu- res & nous paffèmes la nuit à louvoyer. Le 4, à trois heu- res du matin , nous courûmes vers la terre avec un bon frais de Nord : mais, le tems chargé de brume & de pluie nous en dérobant bientôt la vûe, il fallut reprendre /a bor- dée du large. À cinq heures du matin, dans un éclairci, nous apperçûümes le cap des Vierges &t nous arrivêmes pour donner dans le détroit; prefque aufhitôt les vents fau- terent au Sud-Oueft, d’où ils ne tarderent pas à fouffler avec furie, la brume s’épaiffit, & nous fûmes forcés de met- tre à la cape fur les deux bords entre les terres de Feu & le continent. Notre mizaine ayant été déchirée le 4 après-midi, & la fonde prefque au même moment ne nous ayant donné que vingt brafles, la crainte de la bâture qui s’étend dans le Sud- Sud-Eft du cap des Vierges, me fit prendre le parti d’arri- ver à fec de voiles, d'autant plus que cette manœuvre nous facilitoit l'opération d’enverguer une autre mizaine. Au refte cette fonde qui me fit arriver, n’étoit point à crain- dré : c’étoit celle du canal, je l'ai appris depuis en y fon- dant avec une parfaite vüe de la terre. J’ajouterai, pour l'utilité de ceux qui louvoyeroient ici d’un tems obfcur, que le fond de gravier annonce qu’on eft plus près de la terre de Feu que du continent; près de celui-ci on trouve du fable fin & quelquefois vazeux. A cinq heures du foir, nous remimes à la cape fous la grand-voile d’étai & le focq d’artimon ; à fept heures & demie du foir, le vent calma, le tems s’éclaircit, & nous fimes de la voile ; mais les bordées furent toutes défavan- tageufes, & nous écarterent de la côte. En effet, quoi- Q Remarque fur la qualité du fond àl’en- trée du dé- troit. Remarques nautiques fur Fentrée du dé- troit. 122 VoyAGr que la journée du s füt belle & le vent favorable, ce ne fut qu’à deux heures après-midi que nous vimes la terre depuis le Sud-quart-Sud-Oueit jufqu'à Sud-Oueft-quart- Oueft environ à dix lieues. A quatre heures nous recon- nûmes le cap des Vierges , & nous fimes route pour le ran- oer à la diftance d’une lieue & demie à deux lieues. Iln'eft pas prudent de le ferrer davantage à caufe d’un banc qui s'étend au large ducap à-peu-près à cette diftance; je crois même que nous avons pañlé fur la queue de ce banc; car, comme nous fondions fréquemment , entre deux fondes , lune de vingt-cinq, l’autre de dix-fept brafles, Etoile qui étoit dans nos eaux, nous fignala huit brafles, le mo- ment fuivant elle augmenta de fond. Le cap des Vierges eft une terre unie d’une hauteur mé- diocre ; il eft coupé à pic à fon extrémité; la vue qu'en donne Milord Anfon eft de la plus grande vérité. A neuf heures & demie du foir nous avions amené à l'Oueft la pointe feptentrionale de l'entrée du détroit, fur laquelle eft une chaine de rochers qui s’étend à une liene au large. Nous courtimes, les baffes voiles carguées, fous le petit hunier, tous les ris dedans, jufqu’à onze heures du foir que le cap des Vierges nous reftoit au Nord. Il ventoit grand frais & le tems couvert menaçoit d'orage, ce qui me détermina à pañler la nuit fur les bords. Le 6 au point du jour je fis larguer les ris des huniers & courir à Oueft-Nord-Oueft. Nous ne vimes la (terre qu'à quatre heures & demie , & il nous parut que les ma- rées nous avoient entraînés dans le Sua-Sud-Oueft. À cinq heures & demie, étant environ à deux lieues du conti- ent, nous reconnümes le cap de Poffeffion dans l'Oueft- quart-Nord-Oueft & Oueft-Nord-Oueft. Ce cap eft bien AUTOUR Du Monp»p=r. 123 reconnoifflable. C'eft la premiere terre avancée depuis la pointe Nord de l'entrée du détroit; il eft plus Sud que le refte de la côte qui forme enfuite entre ce cap &le pre- mier goulet un grand enfoncement nommé /a baie de Pof- feffion ; nous avions aufli la vue des terres de Feu. Les vents reprirent bientôt leur tour ordinaire du Oueft au Nord-Oueft, & nous courûmes les bordées les plus avan- tageufes pour entrer dans le détroit, tâchant de nousral- lier à la côte des Patagons & profitant du fecours de la marée qui pour lors portoit à l'Oueft. * A midi nous obfervâmes la hauteur du foleil, & le re- levement pris au même moment, me donna pour le cap des Vierges la même latitude à une minute près, que celle que j'avois conclue de mon obfervation du 3 de ce mois. Nous profitèmes aufh de cette obfervation pour aflurer la latitude du cap de Poffeflion & celle du cap duS. Efprit à la terre de Feu. Nous continuâmes à louvoyer fous les quatre voiles ma- jeures toute la journée du 6 & la nuit fuivante qui fut très claire, fondant fouvent & ne nous éloignant jamais de plus de trois lieues de la côte du continent. Nous ga- gnions peu à ce trifte exercice, les marées nous retirant ce qu’elles nous donnoient, & le 7 à midi nous étions en- core fous le cap de Poffeffion. Le cap d'Orange nous re- ftoit dans le Sud-Oueit environ à fix lieues. Ce cap re- marquable par un mondrain aflez élevé & coupé du côté de la mer, forme au Sud l'entrée du premier goulet (1). (:) Depuis le cap des Vierges juf- jufqu'au cap de Pofefñion, eftunie ; qu'à l'entrée du premier goulet, on pen élevée & fort faine. Depuis ce peut eflimer de quatorze à quinze cap, il faut fe méfier de la bârure qui lieues: 8 le détroit yeftpar-toutlarge regne dans une partie de la baie du de cinq à fept lieues, La côte du Nord, mème nom, Eorfque les mondrains 3 Qÿ Defcription du cap d'O- range. Sa bâture, Mouillage dansla baie de Poffefion. 124 Vo % GE Sa pointe eft dangereufe par une bâture qui s'étend dans le Nord-Eft du cap , au-moins à trois lieues au large ; j'ai vu fort diftinétement la mer brifer deflus. À une heure après midi le vent avoit pañlé au Nord-Nord-Oueft, & nous en profitämes pour faire bonne route. À deux heures. & demie nous étions parvenus à l'entrée du goulet; un autre obftacle nous y attendoit : jamais avec un bon frais de vent & toutes voilés dehors , nous ne pümes refouler la marée. À quatre heures elle filoit près de deux lieues le long de notre bord, & nous culions. En vain perfiftä- mes-nous à vouloir lutter. Le vent fut moins conftant que nous, & il fallut rétrograder. Il étoit à craindre de fe trou- ver en calme dans le goulet expoñés aux courans des ma- rées qui pouvoient nous jetter fur les bâtures des caps qui en font l’entrée à l’'Eft &c à l’Oueft. Nous gouvernions au Nord- quart-Nord-Eft pour ve- nir chercher un mouillage dans le fond de la baie de Pof {eflion, lorfque l'Etoile qui étoit plus à terre que nous, ayant pañté tout d’un coup de vingt braffes de fond à cinq, nous arrivames vent arriere le cap à l’Eft, pour nous écar- ter d’une bâture qui paroifloit régner au fond & dans tout le circuit de la baie. Pendant quelque tems nous ne trou- vâmes qu'un fond de rocher & de cailloux; & ce ne fut qu'à fept heures du foir, qu'étant fur vingt brafles fond de fable vazeux & de graviers noirs & blancs , nousmouil- lâmes environ à deux lieues de terre. La baie de Poffef- fon eft ouverte à tous les vents & n'offre que de très- mauvais mouillages. Dans le fond de cette baie s’élevent cinq mondrains dont un eft aflez confidérable , les quatre que J'ai nommés les quatre fils Aimond, porte ,oneft parle travers de cette bä- n'en offrent que deux en forme de ture. AUTOUR Du Mono E. 125 autres font petits & aigus. Nous les avons nommés Z pere & les quatre fils Aymond;ils fervent de remarque effentielle dans cette partie du détroit. Pendant la nuit on fonda aux divers changemens de marée , fans trouver de diffé- rence fenfñble dans le brafleiage. À huit heures & demie du foir elle reverfa fur l’Oueit, &c fur l'EfE à trois heures du matin. À . Le 8 au matin nous appareillâmes fous les quatre voiles majeures, ayant deux ris dans chaque hunier; la marée nous étoit contraire , mais nous la refoulions avec un bon frais de Nord-Oueft (1). A huit heuresles vents nous re- fuferent & il fallut louvoyer, efluyant de tems à autre de violentes raffales. :A dix heures la marée ayant com- mencé à porter à l'Oueft avec aflez de force, nous mimes en panne fous les huniers à l'entrée du premier goulet, nous laiflant dériver au courant qui nous emportoit dans le vent & virant de bord, lorfque nous nous trouvions trop près de l’une ou de l’autre côte. Nous paflämes ainf en deux heures le premier goulet(2), malgré le vent qui étoit direétement debout & très-violent. Ce matin les Patagons, qui toute la nuit avoient entre- tenu des feux au fond de la baie de Poffeffion , éleverent un pavillon blanc fur une hauteur , & nous y répondimes en virant celui des vaifleaux. Ces Patasons étoient fans 1) Lorfaw’on veut donner dans le Nord- Sud-Sud-Oueft, il n’a pas Lorfqw d dans le Nord-Eft & Sud-Sud-Ouefr, il n'ap premier goulet, il convient de ranger environ à une lieue Le cap Poffeffion , puis gouverner fur le Sud - quart- Sud-Oueft , prenant garde de ne point trop tomber Sud à caufe de la bâture qui S'allonge Nord-Nord-Eft, & Sud- Sud-Oueft du cap d'Orange plus de trois lieues. (2) Le premier goulet git Nord- plus de trois lieues de longueur. Sa lar- geur varie d’une lieue à une liene & demie. Jai prévenu fur la bâture du cap d'Orange. En fortant du premier goulet, il y en a.deux autres moins étendues fur chacune de ces pointes. Elles s’allongent l’une &c l’autre au Sud- Oueft. Il y a grand fond dans le gou- let. Paffage du premier gou- let. Vüûe des Pa- tagons, 126 VOYAGE doute ceux que l'Etoile vit au mois de Juin 1766 dans la baie Boucault, auxquels on laifla ce pavillon en figne d'alliance. Le foin qu’ils ont pris de le conferver, annonce des hommes doux , fideles à leur parole ou du-moins re- - connoiflans des préfens qu’on leur a faits. Asnéricains de la terre de Feu. Mouillage dans la baie Boucault. Nous apperçûmes aufli fort diftinétement, lorfque nous fümes dans le goulet, une vingtaine d'hommes fur la terre de Feu. Ils étoient couverts de peaux & couroient à toutes jambes le long de la côte fuivant notre route. Ils pa- roifloient même de tems en tems nous faire des fignes avec la main, comme s'ils euflent defiré que nous allaf- fions à eux. Selon le rapport des Efpagnols, la nation qui habite cette partie des terres de Feu, n’a rien des mœurs cruelles de la plupart des Sauvages. Ils accueillirent avec beaucoup d'humanité l'équipage du vaifleau /& Conception qui fe perdit fur leur côte en 1765. Ils lui aiderent même à fauver une partie des marchandifes de la cargaifon, & à élever des hangards pour les mettre à l'abri. Les Efpa. gnols y conftruifirent des débris de leurs navires une bar- que dans laquelle ils fe font rendus à Buenos-Aires. C’eft à ces Indiens que le chambekin l'Andalous fe difpofoit à amener des Miffionnaires, lorfque nous fommes fortis de la riviere de la Plata. Au refte des pains de cire prove- nans de la cargaifon de ce navire , ont été portés par les courans jufque fur la côte des Melouines, où on les trou- va en CRE Ona vû qu’à midi nous étions fortis du premier gou- let : pour lors nous fimes de la voile. Le vent s'étoit rangé au Sud , & la marée continuoit à nous élever dans l’Oueft. À trois heures l’un & l’autre nous manquerent , & nous mouillâmes dans la baie Boucault fur dix-huit brafles fond de vaze. aude 0 R Ab'u0 M o x D Er 42y Dès que nous fmes mouillés, je fis mettre à la mer un de mes canots & un de l'Etoile. Nous nous y embar- quâmes au nombre de dix Officiers armés chacun de nos £ufils, & nous allâmes defcendre au fond de la baie, avec ja précaution de faire tenir nos canots à flot & les équi- pages dedans. À peine avions-nous mis pied à terre, que nous vimes venir à nous fix Américains à cheval &r au grand galop. Ils defcendirent de cheval à cinquante pas, & {ur-le-champ accoururent au-devant de nous en criant chaoua. En nous joignant ils tendoient les mains & les ap- puyoient contre les nôtres. Ils nous ferroient enfüite entre leurs bras, répétant à tue-tête chaoua, chaoua que nous répétions comme eux. Ces bonnes gens parurent très- joyeux de notre arrivée. Deux des leurs , qui trembloient en venant à nous, ne furent pas long-tems fans fe raffu- rer. Après beaucoup de carefles réciproques, nous fimes apporter de nos canots des galettes & un peu de pain frais que nous leur diftribuämes &7 qu’ils mangerent avec avidité. À chaque inftant leur nombre augmentoit ; bien- tôt il s’en ramafla une trentaine parmi lefquels il y avoit quelques jeunes gens & un enfant de huit à dix ans. Tous vinrent à nous avec confiance &c nous firent les mêmes carefles que les premiers. Ils ne paroïfloient point étonnés de nous voir, & en imitant avec la voix le bruit de nos fufils , ilnous faifoient entendre que ces armes leur étoienr connues. Îls paroifloient attentifs à faire ce qui pouvoit nous plaire. M. de Commerçon & quelques-uns de nos Meflieurs s’occupoient à ramafler des plantes; plufieurs Patagons fe mirent aufli à en chercher, &ils apportoient les efpeces qu'ils nous voyoient prendre. L'un d'eux ap- percevant le Chevalier du Bouchage dans cette occupa- Entrevue avec les Pata- gous. ee 0: N OYAGE tion, lui vint montrer un œil auquel il avoit un mal fort apparent, &c lui demander par figne de lui indiquer une plante qui le püt guérir. Ils ont donc une idée & un ufage de cette Médecine qui connoït les fimples & les applique à la guérifon des hommes. C’étoit celle de Macaon, le Médecin des Dieux ; & l’on trouveroit plufieurs Macaons chez les Sauvages du Canada. Nous échangeimes quelques bagatelles précieufes à leurs yeux contre des peaux de guanaques & de vigognes. Ils nous demanderent par fignes du tabac à fumer, & le rouge fembloit les charmer : aufli-tôt qu'ils appercevoient fur nous quelque chofe de cette couleur, ils venoient y pañler la main deffus & témoignoient en avoir grande en- vie. Au refte à chaque chofe qu’on leur donnoit, à cha- que carefle qu’on leur faifoit, le chaoua recommençoit, c’étoient des cris à étourdir. On s’avifa de leur faire boire de l’eau-de-vie , en ne leur en laïffant prendre qu’une gor- gée à chacun. Dès qu'ils l'avoient avalée, ils fe frappoient avec la main fur la gorge & poufloient en foufflant un fon tremblant & inarticulé qu'ils terminoient pari roulement avec les levres. Tous firent la même cérémonie qui nous donna un fpeétacle affez bizarre. Cependant le jour s’avançoit & il étoit tems de pi à retourner à bord. Dès qu'ils virent que nous nous y dif- pofions , ils en parurent fâchés ; ils nous faifoient figne d'attendre & qu'il alloit encore venir des leurs. Nous leur fimes entendre que nous reviendrions le lendemain, & que nous leurapporterions ce qu'ils defiroient:ilnous fem- bla qu'ils euffent mieux aimé que nous couchafüons à terre. Lorfqu'ils virent que nous parrions, ils nous accom- pagnerent au bord de la mer; un Patagon chantoit pen- dant AUTRONUIRS D UO M} O ND E. 129 dant cette marche. Quelques-uns fe mirent dans l’eau ju qu'aux genoux pour nous fuivre plus long-tems. Arrivés à nos canots , 11 falloit avoir l'œil à tout. Ils faififloient tout ce qui leur tomboit fous la main. Un d'eux s’étoit emparé d’une faucille ; on s’en apperçut, & il la rendit fans réfi- fance. Avant que de nous éloigner, nous vimes encore orofhr leur troupe par d’autres qui arrivoient inceflam- ment à toute bride. Nous ne manquâmes pas en nous féparant d’entonner un chaoua dont toute la côte re- tentit. | Ces Américains font les mêmes que ceux vus par PE- toile en 1766. Un de nos matelots qui étoit alors fur cette flûte, en a reconnu un qu'il avoit vu dans le premier voyage. Ces hommes font d’une belle taille; parmi ceux que nous avons vus , aucun nétoit au-deflous de cinq pieds cinq à fix pouces, niau-deflus de cinq pieds neuf à dix pouces ; les gens de l'Etoile en avoient vu dansle pré- cédent voyage plufieurs de fix pieds. Ce qu’ils ont de gi. gantefque, c’eft leur énorme carrure , la grofleur de leur tête & l’épaifleur de leurs membres. Ils font robuftes & bien nourris, leurs nerfs font tendus, leur chair eft ferme & foutenue; c’eft l’homme qui, livré à la nature & à un aliment plein de fucs, a pris tout l’accroifflement dont il eft fufceptible ; leur figure n’eft ni dure ni defagréable, pluñeurs l'ont jolie ; leur vifage eft rond &un peu plat; leurs yeux font vifs ; leurs dents extrêmement blanches, n’auroient pour Paris que le défaut d’être larges ; ils por- tent de longs cheveux noirs attachés fur le fommet de la tête. J’en ai vu qui avoient fous le nez des mouftaches plus longues que fournies. Leur couleur eft bronzée com- R Defcription de ces Âmé- ficains. 130 VOYAGE me l’eft fans exception celle de tous les Américains, tant de ceux qui habitent la Zone Torride, que de ceux qui y naiflent dans les Zones tempérées & glaciales. Quelques- uns avoient les joues peintes en rouge ; il nous a paru que leur langue étoit douce, & rien n’annonce en eux un ca- ractere féroce. Nous n’avons point vu leurs femmes, peut- être alloient-elles venir, car ils vouloient toujours quenous attendiffions, & ils avoient fait partir un des leurs du côté d’un grand feu , auprès duquel paroïfloit être leur camp à une lieue de l'endroit où nous étions , nous montrant qu'il en alloit arriver quelqu'un. | L’habillement de ces Patagons eft le même à-peu-près que celui des Indiens de la riviere de la Plata; c’eft un fim- ple bragué de cuir qui leur couvre les parties naturelles, &c un grand manteau de peaux de guanaques ou de fouril- los, attaché autour du corps avec une ceinture; il def- cend jufqu’aux talons & ils laiflent communément retom- ber en arriere la partie faite pour couvrir les épaules ; de forte que, maloré la rigueur du climat, ils font prefque toujours nuds de la ceinture en haut. L’habitude les a fans doute rendus infenfbles au froid; car quoique nous fuf- fions ici en été, le thermometre de Réaumur n’y avoit encore monté qu’un feul jour à dix degrés au-deflus de la congellation. Ils ont des efpeces debottines de cuir de che- val ouvertes par derriere , & deux ou trois avoient autour du jarret un cercle de cuivre d'environ deux pouces de lar- geur, Quelques-uns de nos Meffieurs ont aufli remarqué que deux des plus jeunes avoient de ces grains de raflade dont on fait des colliers. | Les feules armes que nous leur ayons vues, font deux AUTOUR DU-.Monpb:z. 131 cailloux ronds attachés aux deux bouts d’un boyau cor- donné , femblables à ceux dont on fe fert dans toute cette: partie de l'Amérique, & que nous avons décrit plus haut. Ils avoientaufli de petits couteaux de fer, dont la lame étoit épaifle d’un pouce & demi à deux pouces. Ces couteaux de fabrique Angloife leur avoient vraifemblablement été donnés par M. Byron. Leurs chevaux, petits & fort mai- gres, étoient fellés &bridés à la maniere des habitans de la riviere de la Plata. Un Patagon avoit à fa felle des cloux dorés, des étriers de bois recouverts d’une lame de cui- vie, une bride en cuirtrefñié, enfin tout un harnois Efpa- gnol. Leur nourriture principale paroît être la moëlle & la chair de guanaques & de vigognes. Plufieurs en avoient des quartiers attachés fur leurs chevaux, & nous leur en avons vu manger des morceaux cruds. Îls avoient auf avec eux des chiens petits & vilains, lefquels, ainfñ que leurs chevaux, boivent de l’eau de mer, l’eau douce étant fort rare fur cette côte & même fur leterrein. Aucun d’eux ne paroïfloit avoir de fupériorité fur les autres ; ils ne témoignoient même aucune efpece de .dé- férence pour deux ou trois vieillards qui étoient dans cette bande. Il eft très-remarquable que plufeurs nous ont dit les mots Efpagnols fuivans #2agnana , muchacho, bueno chi- co, capitan. Je crois que cette nation mene la même vie que les T'artares. Errans dans les plaines immenfes de PA- mérique méridionale, fans cefle à cheval hommes, femmes & enfans, fuivant le gibier ou les beftiaux dont ces plai- nes font couvertes, fe vétiflant & fe cabanant avec des peaux, ils ont encore vraifemblablement avec les Tartares cette reflemblance, qu'ils vont piller les caravanes des Ri Qualité du fol de cette partie de l’A- mérique. Remarques fur les marées dans cette par- tie. Second mouillage dans la baie Boucault. 132 VOYAGE voyageurs. Je terminerai cet article en difant que nous avons depuis trouvé dans la mer Pacifique une nation d’une taille plus élevée que ne l'eft celle des Patagons. Le terrein où nous débarquâmes eft fort fec, & à cela près il reflemble beaucoup à celui des îles MAS Les Botaniftes y ont retrouvé prefque toutes les mêmes plantes. Le bord de la mer étoitenvironné des mêmes goe- mons & couvert des mêmes coquilles. Il n’y a point de bois , mais feulement quelques brouffailles. Lorfque nous avions mouillé dans la baie Boucault , la marée alloit com- mencer à nous être contraire, & pendant le tems que nous paflämes à terre, nous remarquâmes qu’elle y mon- toit; donc le flot portoit à l’Eft. C’eftune remarque que nous eûmes plufeurs fois occafon de faire avec certitude dans ce voyage, & qui m'avoit déja frappé dans le premier que j'y fis. À neuf heures & demie du foir, l'Ebe reverfa dans l’Oueft. Nous fondâmes à mer étale, & nous trou- vâmes 21 brafles d’eau , nous n’en avions eu qué 18 en mouillant. Le o à quatre heures & demie du matin, les vents étant au Nord-Oueft , nous appareillâmes toutes voiles dehors contre la marée, gouvernant au Sud-Oueft-quart-Oueft ; nous ne pûmes faire qu’une lieue, les vents ayant pafléau Sud-Oueft grand frais, nous laiffâmes retomber l'ancre par 19 brafles , fable, vaze & coquilles pourries. Le mauvais tems continua toute cette journée & la fuivante. Le peu de chemin que nous avions fait nous avoit écartés de la côte, & dans ces deux jours il n’y eut pas un inftant où lon eût pu mettre un bateau dehors. Les Patagons en étoient fans doute aufhi fâchés que nous. On voyoit Ka —— 1 AUTOUR DuUOM o x bp €. 133 troupe raflemblée à l'endroit où nous avions débarqué , & nous crümes diftinguer avec les longües vues qu'ils y avoient élevé quelques hutes. Cependant je crois que le quartier général étoit plus éloigné ; car il alloit & venoit continuellement des gens à cheval. Nous regrettâmes fort de ne pouvoir pas leur porter ce que nous leur avions pro- mis; on les contentoit à bien peu defrais.: Les variations de la marée ne nous donnerent ici qu’ une brafle d’eau de différence. Le 10 par une obfervation de diftance de la lune à Régulus, M. Verron déduifit notre longitude occidentale à ce mouillage de 73 deg. 26 min. 15 fec. & celle de l'entrée orientale du fecond goulet de 73 deg. 34 min. 30 fec Le thermometre de Réaumur baifla de o à 8 & à 7 deg. : Le 11 à minuit & demi, le vent ayant pañlé au Nord- Eft, & le courant portant à l'Oueft depuis une heure, je fignalai l’'appareillage. Nous fimes de vains efforts pour lever notre ancré, ayant même établi fur le cable nos poulies de franc dm À deux heures du matin le cable rompit entre la bitte & l’écubier, &nous perdimes ainf notrerancre. Nousappareillâmes fous toutes voiles & netar- dâmespas à avoir lamarée ennemie, contré laquelle un foi- ble vent de Nord-Oueft fuffifoit à peine pour nous foute- nir quoique le courant ne foit pas à beaucoup près aufl fort dans le fecond goulet que dans le premier. À midi l’ebe vint à nôtre fecours &r nous paflèmes le fecond goulet (r), les vents syantyaré juiqu'à trois heures aprés midi qu ils (1) De la fortie du premier poulet 2 gotlet git Nord-Eft-quart-d’Eft à l'entrée dufecond, il peut y avoirfix &c Shd-Ouefl-quart-d'Oueft. Il à en- à fept lieues, & la largeur du détroity viron une liene & demie de largeur ; eft auf d'environ fept lieues. Lefe- & trois à quatre de‘longueur. Obfervation . de longitude. Perte d’une ancre. Paffage du fe- cond goulet, Mouillage prés de l'ile Sainte - Elifa- beth, Defcription de cette ile, 134 Wow: Ge foufflerent grand frais du Sud-Sud-Oueft au Sud-Sud-Eft avec de la pluie & des grains violens (1). En deux bords nous parvinmes au mouillage dans le Nord de l'ile Sainte- Elizabeth, où nous ancrâmes à deux milles de terre par 7 brafles, fond de fable gris, gravier & coquillage pourri. L'Etoile , qui mouilla un quart de lieue plus dans le Sud- Eft de nous, y avoit r7 brafles d'eau. Le vent contraire, accompagné de grains violens, de pluie & de grele , nous força de pañler ici le 1 1 & Le x 2. Ce dernier jour après-midi nous mimes un canot dehors pour aller fur File Sainte-Elizabeth (2). Nous débarquà- mes dans la partie du Nord - Eft de l'ile. Ses côtes font élevées & à pic, excepté à la pointe du Sud - Oueft & à celle du Sud-Eft où les terres s’abaiflent. On peut ce- pendant aborder par-tout , attendu que fous les terres coupées il regne une petite plage. Le terrein de Pile eft fort fec; nous n’y trouvâmes d'autre eau que celle d’un petit étang dans la partie du Sud-Oueft, & elle y étoit fau- mache. Nous vimes auf plufeurs marais afléchés, où la terre eft en quelques endroits couverte d’une légere croute de fel. Nous rencontrâmes des outardes, mais en petit nombre & fi farouches, que l’on ne put jamais les approcher affez pour les tirer ; elles étoient cependant {ur leurs œufs. Il paroit que les Sauvages viennent dans cette ; (2) L'ile Sainte-Elifabeth git Nord- @G) En paffant le fecond goulet, il Nord-Eft & Sud-Sud-Oueft , avec la convient de hanter la côte des Pata-, gons, parce qu'au fortir du goulet les marées portent fur le Sud , & qu'il faut s'y méfier d’une tête bafle qui naît au- deffous de la pointede {le Saint-Geor- ges, encore que cette pointe-apparente loit élevée & coupée à pic, la terre bañle s’avance dans l’Oueft- Nord- Oueft, in di * pointe occidentale du fecond goulet à la terre des Patagons. Les îles Szinr- Barthelemi & aux Lions giflent auf Nord-Nord-Eft & Sud-Sud-Oueft en- tre elles, & avec la pointe occiden- tale du fecond goulet à l'ile Saint» Georges. A UT © U R ,D.U, M o x D Fr: 13$ ile. Nous y avonstrouvé un chien mort, des traces de feu & les débris de plufieurs repas de coquillages. Il ny a point de bois, & l’on n’y peut faire du feu qu'avec une efpece de petite bruyere. Déja même nous en avions ra- maflé, craignant d’être obligés de pafñler la nuit far cette île où le mauvais tems nous retint jufqu’a neuf heures du foir ; nous n’y eullions pas été mieux couchés que nour- is. Difficultés du pañlage le long de l'ile re Elifa- betbh. COM SAN 2 2 I X. | Maièer depuis Pile Sainte“ Eli fJabeth jufqw'a la fortie du détroit de Mapellan ; détails nautiques fur cette na: ES vig QILOIT. No US allions entrer dans la partie boïfée du détroit de Magellan, & les premiers pas difficiles étoient fran- chis. Ce ne fut que le 13 après-midi que le vent étant ve- nu au Nord - Oueft, nous appareillèmes malgré fa vio- lence & fimes route dans ‘le canal qui fépare l'ile Sainte- Elizabeth des iles Saint-Barthelemi & aux Lions (1). Il falloit foutenir de la voile, quoiqu'il nous vint prefque continuellement de cruelles raffales par-deflus les hautes terres de Sainte-Elizabeth que nous étions contraints de ranger pour éviter les bâtures qui fe prolongent autour des deux autresiles (2). La marée en canal portoit au Sud & nous parut très-forte. Nous vinmes attaquer la terre du continent au-deflous du cap Norr; c’eft où la côte com- mence à être couverte de bois , & le coup d’oœil en eff ici aflez agréable. Elle court vers le Sud & les marées n’y {ont plus auf fenfibles. (x) Lesîles Saint-Barthelemi & aux dans le Sud des îles Saint-Barthelemi Lions font liées enfemble par une bä- ture. Il yaauffi deux bâtures l’une au Sud-Sud-Oueft de l'ile aux Lions, l’au- tre au Nord-Nord-Eft de Saint-Bar- thelemi à une ou deux lieues ; enforte que ces trois bâtures & les deux iles forment une chaîne, entre laquelle à l'Eft-Sud-Eft & l'ile Sainte-Ehfabeth à Oueft - Nord - Oueft, eft le canal pour avancer dans le détroit. Ce ca- nal court Nord-Nord-Eft & Sud-Sud- Ouet. Je ne crois pas qu'il y ait pafñage & aux Lions, non plus qu'entre l’ile Sainte-Elifabeth &e la grand-terre. (2) De la fortie du fecond goulet à la pointe Nord-Eft de l'ile Sainte- Elifabeth, il y a près de quatre lieues. L'île Sainte-Elifabeth s'étend Sud-Sud- Oueft & Nord-Nord-Eft dans une lon- gueur d'environ trois lieues & demie. Il convient de la ranger en pañlant ce canal. De la pointe Sud-Oueft de l'ile Sainte-Elifabeth au cap Noir, il n'y a pas plus d’une lieue. Nous A UT O Usa R 6 OMOo N DE 197: Nous eûmes du/ventitrès- frais, & par rafales jufqu’à fix heures du Loir, il ‘calma enfuite. & devint maniable..- Nous prolongeimes a côte environ à unelieué de difiänce par un, tems clair,& ferein; nous flattanc. de-doubljer pendänt la nuit. cap Rond, _& d’avoir. .alors., .ehca6 de mauvais tems. le por, amine fous leiyent à‘nous. Maihs: projets. À minuit &. demi les vents fauterent tout d’uñ coup au Sud- Queft, la côte s'embruma, les grains violens.& continuels amenerent -aveo eux. la, pluie, &: la grele; enfin le-tems vant: Telle eft.la nature de-ce climat; les variations dans letems s’y fuccedent avec une telle promptitude , qu’il eft impofhble.de. prévoir leuss-rapides & dangereufes tévolu::: tions, Notre grande voile ayant été déchirée fur fes cargues, nous fûmes obligés. de louvoyerfous [a mizaine, la grande voile d'étai & les huniersaux-bas ris, peur tichér de-dou-! bler a pointe Sainte-Anne & nous mêttre-à-Pabri dans la baie,Famine, -C'étoit une heue à gagner dans:le'vent, &c jamais. nous ne-pâmes en) venir à bouts» Comme les bor- dées -Étoient. courtes ;: que;nous: étions: obligés de virer: vent arriere, -& qu'un foft courant nous entrainoit dans un, grand-enfoncement- dela terre de Feu, nous perdimes trois lieues en-neüf fieures. de cette. allure funefte, &cil: fallut- fe -réfoudte, à. aller chércher.le long de la côte um: mouillage qui fût fous le:vent; Nousla rañgeämesla fonde: àla main: & versenzeheures du matin-nous mouillâmes à un mille deterre par huit braffes & demie de fable vazeux, dans une baie que je nommaï le baie Duclos (x), du nom (x). Depuis le cap Noir la côte court dans les terres de: Feu unenfoncement- fur Le Sud-Sud-Eft jufqu'a la pointe immenfe , que je foupçonne être un feptentrionale de 14 büe)Duclos qui canal qui ‘débouche plus Eft que le cap peut en être à fept lieues, de Horn. Le cap Montmouth en fait la Vis-àvis de la baie Duclos il y 2 pointe feptentrionale. 1767. Décembre. Mauvais tems, nuit fa- ) cheufe. devint auf. mauvais qu'ilparoïfloit beau l'inftant d'auparas: Mouillage dans la baie Duclos. PR Defcription de cette baie. 138 La M Oo v.K.cÆ! de M. DuclosGuyÿot, Capitaine de brülot , mon fecond dans ce voyage, & dont les lumieres & l'expérience m'ont été du plus grand fecours. Cette baie ouverte à l'Eft, a très-peu d’enfoncement. Sa pointe du Nord avance un peu plus au large que celle du Sud, & de l’une à l’autre il peut y avoir une lieue de diftance. Il y a bon fond dans toute la baie , on trouve fix & huit brafles d’eau jufqu'à un cable de terre. C’eft un _ excellent mouillage, puifque les vents d’Oueft ,' qui font Nouvelle ob- fervarion fur les rmarces. ici les vents régnans & qui foufflent avec! impétuofité, viennent par-deflus la côte, laquelle y eft fortélevée. Deux petites rivieres fe déchargent dans la baie; Feaueft fau- mache à leur embouchure , mais à cinq cents pas au-def- fus elle eit très-bonne. Une ‘efpece de prairie regnelle long du débarquement, lequel eft de fable; les bois s’é- levent enfaite en amphithéatre, mais le pays eft prefque dénué d'animaux. Nous y avons parcouru une grande étendue deterrein, fans voir d'autre gibier que deux ow trois beccaflines quelques färcelles ; canards & outardes! en fort petite quantité: nous y avons aufli appérçu Le ques perruches, . là né craignent pas le froidis?e 115% "Nous trouvâmes à l'embouchure de la riviere la plus: méridionale fept cabanes faites avec des branches d'arbres! entrelaflées & della forme: d'un four ;! elles paroïfloient récemmentrconftruites &étoient” remplies ide coquilles: calcinées, de moules & de lépas, Nôus remontâmes certe riviere aflez loin, & nous vimes quelques traces d'hom- mes. Pendant le tems que nous pañlämes à térre , la mer ÿ monta d’unpied ,' & lé courant alors venoit dé la mer orientale ; obfervation. contraire à celles faites depuis-le cap des Vierges, puifque nous avions vu-jufque-là les eaux AUTOUR DU MonNDE. 139 augmentet ; lorfque le courant ortoit du détroit. - Mais il me. femble.d'après divetfes obfervations , que lorfqu’on:a pañlé les goulets , les marées ceflent, d'être réglées dans toute la partie du détroit qui court Nord & Sud. La quan- tité de canaux dont y eft coupée la terre de Feu, patoit devoir produire dans le mouvement.des eaux une grande irrégularité. Pendant les. deux jours que nous paflâmes dans ce mouillage, le thermomette varia de 8 à s deg. Le 1j à midinous y obfervâmes s3 deg. 20 min. de latitude ,: & ce jour-là nous occupämes nos gens à faire du bois , le. calme.ine nous-ayant pas permis d'appareil- ler. . 458 L'edobke A l'entrée de la nuit les nuages parurent prendre leur cours vers l'occident & nous annoncer un vent favorable, Nous virèmes à pic, & effectivement le 16 à quatre heu- res du matin, la brife étant venue d’où nous l’avions ef- pérée, nous appareillâmes. Le ciel à la vérité étoit cou- vert & , fuivant l'ordinaire de ces parages, le vent d'Eft & de Nord-Eft étoit accompagné de brume & de pluie. Nous paflâmes /a. pointe Sainte-Anne (1) & le cap Rond (2). La premiere eft'unie,. d’une médiocre hauteur & couvre. une. baie profonde où l’ancrage eft für & com- mode, C’eft celle à qui le malheureux fort de la colonie de PArlippeville établie par le préfomptueux Sarmiento, a fait donner le nom de port Famine. Le cap rond eft une terre élevée & remarquable par la forme que défigne fon nom, Les côtes dans tout cet efpace font boifées & efcar- (?) De la baie Duclos à la pointe Sainte-Anne, il y a environ cinq lieues, le giflément étant le Sûd-Eft-quart-Sud; il y à à-peu-près la: même diftance entre la pointe Sainte-Anne & le cap Rond ; lefquéls: font ! refpeftivement 4 Nord-Nord-Eft & Sud-Sud:Oueft. (2) Depuis lefecond goulet jufqu’au cap Rond, la largeur du détroit varie depuis fept jufqu’à cinglieues Il fe ré- trécit au cap Rond ou il n’en a gueres plus détrais.” 519 2° Si Obfervations nautiques, Defcription d'un cap fin- gulier. Defcription du cap For- ward. fab -24 4 O M ovyGa @'# pées ; celles de laterre: de Feu’paroïffent hachées par plu- fieurs détroits. . Leur 'afpe6b éft horrible ; les montagnes y font couvertes d'une neige-bleue aufli ancienne que le monde. Entre le cap rond 8e cap Forward il ÿ à Se baies , dans lefquélles on peutmouillér. © 2011: - Deux de-cés bäies font féparées Ipar-uncap din lafin- gularité fixa notre attention & mérité uné defcription par- ticuliere. Ce cap élevé der plus de’ lcent-cinauante pieds au-defflus du niveau de lamer, eft tout entier compofé de -couches horifontales de actrailiet pétrifiées. Jai {ondéien canot au pied de ce monument qui atreflelesSrands chan gemens arrivés à notre globe, & je n'y ai pas trouvé de fond'avec une ligne de cent brafles. Le vent nous conduifit jufqu'à une lieue &7 demie du cap Forward ; alors le calme furvint & dura deux heures. Jen profitai pour aller dans le petit canot viliter’ les environs “du cap Forward y prendre des f6ndes'& des relevemens. Ce cap eft la pointe la plus méridionale de Amérique & de tous les continens connus. D’après de bonnes obfervations, nous avons conclu fa latitude’ aufträle de s4 deg: .j in. 45 ec! préfente une furface ä'deux têtes d’énviron-trois quarts dé lièue, dont la tête orientale eft plis élevée'que cellede POucf. Des mer eft préfque 1 fans fond fous le cap; toutefois entre les deux têtes , dans une efpece. de petire baie embellie par un ruifleauaflezconfidérable,on pourroit mouiller par 155 biafles, fond’ de fable & de gravier; mais ce mouillage, odatlranss par te vent de Sud, nédoit fer vir que din un cas forcé: Tout le cap eft.un rocher vif & taillé à pic, fa cime élevée eft couverte de neige. Il y reït cependant quelques arbres dont’ les racines’ s’éten- dent dans les crevañles &c s ÿ: nourriflent d'une. éternelle tte AUTOUR 2AD w M o x D €. TAI humidité. Nous avons abordé au-deflous du capà unepe- tite pointe de roches, fur laquellenous eûmes peine à trou- ver place pour quatre perfonhes. Sur ce point qui termine ou commence un vañte continent, nous arborämes le pa- villon de notre bateau, :& ces antres fauvages retentirent pour la premiere #ois de plufeurs ‘cris de vive de Roi ! Nous relevâmesde-là le cap Holland à Oueit 4 des. Nord; ainfi la Côté commençoit à reprendre du Nord. Nous révinmes à bord à fix héures du foir, & peu de tems après , les vents ayant pañlé au SadOuelt, je vins chercher le mouillage de la baie notimée par M. de Gen- nes baie Francoife. À uit heures & demie du foir nous y jetrâmes l’ancre fur 10 brafles , fond de fable & de gra- vier, ayant les deux pointes de la baie, lune au Nord- Eft - Guart- Et j deg. Nord; l'autte au Sud 5 deg. Oueft, & l'ilot du milieu au Nord-Eft. Comme nous avions be- foin de nous munir d’eau & de bois pour la traverfée de aimer Pacifique, & que le refte du détroit m’étoit incon- nu , n'étant venu dans mon premier voyage que jufqu’au- près de la baie Françoife, je me déterminai à y faire nos provifons, d'autant plus que M. de Gennesla repréfente comme trés füre-& fort commode pour ce travail ; ainfi dés le foir même nous mimes tous nos bateaux à la mer. Péndant la nuit les vents firent le tour du compas, foufflant par raffales très-violentes ; la mer groflit & bri- foit autour de nous fur un banc qui paroïfloit régner dans tout le fond dela baie. Les tours fréquens que les varia- tions du vent faifoient faire au vaiffeau fur fon ancre, nous donnoient lieu de craindre que le cable ne furjaulât, & nous pañlämes la nuit dans une appréhenfon continuelle. Mouillage dans la baie Françoife. Avis fur ce mouillage, 142 VOYAGE . L'Etoile mouillée plus en-dehors que nous fut moins mo- leftée. A deux heures & demie du matin j'envoyai le pe- tit canot fonder l'entrée de la riviere à laquelle M. de Gennes a donné fon nom. La mer étoit bafle, & il ne paffa qu'après avoir échoué fur un banc qui eft à l’'embou- chure; il reconnut que nos chaloupes ne pourroient ap- procher de la riviere qu’à mertoute haute; en forte qu'elles feroient à peine un voyage par jour. Cette dificulté de l'aiguade , jointe à ce que le mouillage ne me paroïfloit pas für , me détermina à conduire les vaifleaux dans une petite baie à une lieue dans l'Eft de celle-ci. J’y avois cou- pé fans peine en 176$ un chargement de bois pour les Malouines , & l'équipage du vaiffeau lui avoit donné mon nom. Je voulus auparavant aller m'aflurer fi les équipages des deux navires y pourroient commodément faire leur eau. Je trouvai qu'outre le ruifleau qui tombe au fond de la baie même, lequel feroit confacré aux befoins journa- liers & à laver, les deux baies voifines avoient chacune un ruifleau propre à fournir aifément l’eau dont nous avions befoin, fans qu'il y eüt un demi-mille à faire pour l'aller chercher, En conféquence le 17 à deux heures après- midi, nous appareïllâmes fous le petit hunier & le perroquet de fougue , nous paflämes au large de l'ilot de la baie Fran- coife, nous donnâmes enfuite dans une pañle fort étroite &c dans laquelle il y a grand fond entre la pointe du Nord de cette baie & une ile élevée longue d’un demi-quart de lieue. Cette pafle conduit à l'entrée de la baie Bougain- ville qui eft encore couverte par deux autres ilots dont le plus confidérable a mérité le nom d'os de l'Obferva- ti CRT AURAS % pu | “x je W ne ie M ag PLAN Geometrt que de Phisiurs Bayes wtuces au Detroit de MAGELLAN , entre Les aps Rond e/ Forward; D Baye #$®2 Francoiffe Æ Yrancous Æchelle devwx cent toures. dor100, 2001 govs Goo ? / / ? L AN PLAN Geometrique à / S 4 Baye ÿ 2 2% Francoi = le 1 Pad 4 ju / 17% À f/ÿ Pat G— — 22) | 78 201 s 02 US ND --— S ETS g S ANS ua LT TRES & LA DS (] | LS si | pa” PEUX Cené ÉnuSeS AUTOUR DU Monwope. 143 toire (1). La baie eft longue de deux cents toifes & large de cinquante ; de hautes montagnes l’environnent & la dé- fendent de tous les vents; aufh la mer y eft-elle toujours comme l’eau d’un bafin. | Nous mouillâmes à trois heures à l’entrée de la baie par vingt-huit brafles d’eau & nous envoyâmes aufli-tôt à terre des amarres pour nous haler dans le fond. L'Etoile, qui avoit mouillé fon ancre de dehors par un trop grand fond, chaffa fur l’ilor de l'Obfervatoire; & avant qu’elle eût pu roidir les amarres portées à terre pour la foutenir, {a poupe vint à quelques pieds de Pilot, ayant encore au- deflous d’elle 30 brafles d’eau. La côte du Nord - Eft de cet îlot n’eft pas aufh efcarpée. Nous employâmes le refte du jour à nous amarrer, la proue au large ayant une ancre devant mouillée par 23 brafles de fable vazeux, une ancre à jet derriere prefque à terre, deux grelins à des arbres fur la côte de bas-bord, & deux fur l'Etoile, la- quelle étoit amarrée comme nous. On trouva auprès du ruifleau deux cabanes de branchages, lefquelles paroif- foient abandonnées depuis long-tems. Fy en avois fait conftruire une d’écorce en 1765, dans laquelle j'avois laiflé quelques préfens pour les Sauvages que le hazard y conduiroit, & j'avois attaché au-deflus un pavillon blanc : on trouva la cabane détruite, le pavillon & les préfens enlevés. Le 18 au matin j'établis un camp à terre pour la garde des travailleurs & des divers effets qu'il y falloit defcen- dre; l'on débarqua aufhi toutes les pieces à l’eau pour les rebattre & les foufrer; on difpofa des mares pour les la- (1) Ducap Rond àl'ilot de l'Obfer- Dans cet efpace il ÿatrois bons mouil- vatoire , 1l peut y avoir quatre lieues, lages. & la côte court fur l'Oueft-Sud-Oueft, Mouillage dans la baie Bougainville, Reläiche dans cette baie pour y faire de l’eau & du bois. Obfervations aftronomi- ques & mé- téorologi- ques. 144. 1 & % OVIO Y A GÆr: a A vandièrs, : &.on échoua notre. chaloupe qui avoit béfoin: d’un radoub. Nous paflâmes le rette du mois de Décems!, bre dans cette baie où nous fimes fort commodément. notre bois & même des planches. Fout-y facilitoir cet ou: vrage ; les chemins fe trouvoient pratiqués dans: la: forêt, & il y avoit plus d'arbres abattus qu’il ne nousén:falloir,+ refte du, travail de l'équipage de l’Aigle en 176$; Nousy: avons auf donné demi-bande & monté dix-huit canons. L'Etoile eut même le bonheur d’étancher fa voie d'eausla- quelle depuis le départ de Montevideo: étoit tout "auf confidérable qu'avant fa demi-carène à la Encenada. Ent élevant tout-à-fait fon devant & levant quelques planches: de fon doublage , on trouva que l’eau entroit; par l'écart de fon étrave qui eft de deux pieces. L'on y remédia , &: ce fut pour toute la campagne un grand foulagement.à ; l'équipage de cette flüte qu'écrafoit l'exercice journalier. de la pompe. M. Verron avoit dès les premiers jouts établi fesinftru-, mens fur l'ilot de l’Obfervatoire ; mais il y pafla vaine. ment la plus grande partie de fes nuits. Le ciel-de cette contrée , ingrat pour l’Aftronomie., lui a refufé toute ob-, fervation de longitude ; il n’a pu que déterminer par trois obfervations faites au quart de cercle la latitude auftrale, de-l’ilot de 534 0’ 25/..1l y a auffi déterminé létabliflex ment de l'entrée de la baie de oof 59’. La mern’y: a: Ja; mais: marné plus de dix pieds. Pendant notre féjour:ici, le thermometre a communément été entre 8 &r 91, ibah baiflé jufqu'à sd, & le plus-haut qu'il: ait monté, a été.à: 12, & demi. Le foleil alors paroïfloit fans nuages , &c fes. rayons peu connus ici faifoient fondre une partiede lanerge fur les montagnes du continent: M. de Commercon,, äc- | compagné AUTOUR DU MONDE. 145 compagné de M. le Prince de Naffau, profitoit de ces journées pour herborifer. Il falloit vaincre des obftacles de tous les genres, mais ce terrein âpre avoit à fes yeux le mérite de la nouveauté, & le détroit de Magellan a en- tichi fes cahiers d’un grand nombre de plantes inconnues & intéreflantes. La chafle & la pêche n’étoient pas auf heureufes ; jamais elles n’ont rien produit, & le feul qua- drupede que nous ayons vu ici a été un renard prefque femblable à ceux d'Europe, qui fut tué au milieu des tra- vailleurs. Nous fimes aufli plufeurs tentatives pour reconnoître les côtes voifines du continent & de la terre deFeu; la premiere fut infruétueule. J'étois parti le 22 à trois heures du matin avec MM. de Bournand & du Bouchage dans l’in- tention d'aller jufqu’au cap Holland & de vifiter les mouil- lages qui pourroient fe trouver dans cette étendue. À notre départ il faifoit calme & le plus beau tems du monde. Une heure après il {e leva une petite brife du Nord-Oueft, & fur-le-champ le vent fauta au Sud - Oueft, grand frais. Nous luttimes contre pendant trois heures , nageant à l'abri de la côte, & nous gagnâmes avec peine l’embou- chure d’une petite riviere qui fe décharge dans une anfe de fable protégée par la tête orientale du cap Forward. Nous y relichâmes , comptant que le mauvais tems ne fe- roit pas de longue durée. L'efpérance que nous en eûmes ne fervit qu'à nous faire percer de pluie & tranfir de froid. Nous avions conftruit dans le bois une cabane de bran- ches d’arbres pour y pañler la nuit moins à découvert. Ce font les palais des naturels de ce pays ; mais il nous man- quoit leur habitude d’y loger. Le froid &c l'humidité nous chaflerent de notre gîte, &nous fûmes contraints de nous T- Defcription de cetre par- tie du détroit. Reconnoif- fance faite de plufieurs ports aux ter- res de Feu. 146 Vo w)ARG/E refugier auprès d’un grand feu que nous nous appliquâ- mes à entretenir, tàchant de nous défendre de la pluie avec la voile du petit canot. La nuit fut aflreufe, le vent & la pluie redoublerent & ne nous laiflerent d'autre parti à prendre que de rebroufler chemin au point du jour. Nous arrivâmes à la frégate à huit heures du matin, trop heureux d’avoir gagné cet afyle ; car bientôt le tems de- vint fi mauvais, qu'il eût été impofhible de nous mettre en route pour revenir. Il y eut pendant deux jours une tempête décidée, & la neige recouvrit toutes les monta- gnes. Cependant nous étions dans le cœur de Pété, & le foleil étoit près de dix-huit heures fur lhorifon. Quelques jours après j'entrepris avec plus de fuccès une nouvelle courfe pour vifiter une partie des terres de Feu & pour y chercher un port vis-à-vis le cap Forward; je me propofois de repañler enfuite au cap Holland & de reconnoïtre la côte depuis ce cap jufqu'à la baie Fran- çoife ; ce que nous n'avions pu faire dans la premiere ten- tative. Je fis armer d’efpingoles & de fufils la chaloupe de la Boudeufe &le grand canot de l'Etoile ; & le 27 à quatre heures du matin je partis du bord avec M" de Bournand, d'Oraifon & le Prince de Naffau. Nous mimes à la voile à la pointe occidentale de la baie Françoife pour traverfer aux terres de Feu, où nous terrimes fur les dix heures à l'embouchure d’une petite riviere, dans une anfe de fable mauvaife même pour les bateaux.Toutefois dans un tems critique ils auroient la reflource d’entrer à mer haute dans la riviere où ils trouveroient un abri. Nous dinâmes fur fes bords dans un aflez joli bofquet qui couvroit de fon ombre plufieurs cabanes fauvages. De cette ftation nous relevâmes la pointe du Oueft de la baie Françoife au Cap Erowar d Are , D à | Zone d'Hkerage ÉY 1 5 Z a la Liregue La Cormorandere 8 à Detral ZE 0Nm PLAN De Plusirurs Bayes déouverte ax Tares de Feu a dela du Cap Rond, dans Le Detrat de MAGELLAN : PLAN De Phare ZTS de MAGELLAN TE AUTOUR DU MonwDE 147 Nord-Oueft-quart-Oueft 54 Oueft, & on s’en eftima à cinq lieues de diftance. Après midi nous reprimes notre route en longeant à La rame la terre de Feu; il ventoit peu de la partie du Oueft, mais la mer étoit très -houleufe. Nous traverfämes un grand enfoncement dont nous n’appercevions pas la fin. Son ouverture d'environ deux lieues eft coupée dans fon milieu par une ile fort élevée. La grande quantité de ba- leines que nous vimes dans cette partie & le gros houl, nous firent penfer que ce pourroit bien être un détroit, lequel doit conduire à la mer aflez proche du cap de Horn. Etant prefque paflés de l'autre bord, nous vimes plufieurs feux paroître & s'éteindre; enfuite ils refterent allumés, & nous diftingâmes des Sauvages fur la pointe bafle d’une baie où j'étois déterminé de m’arrêter. Nous allâmes aufli-tôt à leurs feux , & je reconnus la même horde de Sauvages que Jj’avois déja vue à mon premier voyage dans le détroit. Nous les avions alors nommés Pécheras, parce que ce fut le premier mot qu’ils pronon- cerent en nous abordant, &c que fans cefle ils nous le ré- pétoient, comme les Patagons répetent le mot chaoua. La même caufe nous a fait leur laifler cette fois le même nom. J'aurai dans la fuite occafion de décrire ces habi- tans de la partie boïfée du détroit. Le jour prêt à finir ne nous permit pas cette fois de refter long-tems avec eux. Ils étoient au nombre d'environ quarante , hommes, fem- mes & enfans, & ils avoient dix ou douze canots dans une anfe voifine. Nous les quittâmes pour traverfer la baie & entrer dans un enfoncement que la nuit déja faite nous empêcha de vifiter. Nous la paflämes fur le bord d’une riviere aflez confidérable , où nous fimes grand feu & où Dig. Rencontre de Sauvages. Baie &port , deBeaubañfin. Sa defcrip- tion. 148 VOYAGE les voiles de nos bateaux, qui étoient grandes, nous fer- virent de tentes ; d’ailleurs, au froid près, le tems étoit fort beau. Le lendemain au matin nous vimes que cet enfonce- ment étoit un vrai port, & nous en primes les fondes , ainfi que celles de la baie. Le mouillage eft trèsbon dans la baie depuis quarante brafles jufqu’à douze, fond de fa- ble , petit gravier & coquillage. On y eft à l'abri de tous les vents dangereux. Sa pointe orientale eft reconnoïfable pat un très-gros morne que nous avons nommé /e dôme ; dans l’Oueft eft un îlot entre lequel & la côte il n'ya point paflage de navire. On entre de la baie dans le port par un goulet fort étroit , & l’on y trouve 10, 8,6, 5 & 4 brafles fond de vaze ; dans le goulet le fond eft de roches par 4, $ & 6 brafles ; il convient d’y tenir le milieu, hantant même plus le côté de l'Eft où il y a plus d’eau. La beauté de ce mouillage nous a enga- gés à le nommer baie 6 port de Beaubaffin. Lorfqu'on n'aura qu'à attendre un vent favorable, il fufiit de mouil- ler dans la baie. Si on veut faire du bois & de l’eau , carener même, on ne peut defrer un endroit plus propre à ces opérations que le port de Beaubafñfin. Je laiffai 1c1 le Chevalier de Bournand qui commandoit la chaloupe pour prendre dans le plus grand détail toutes les connoïffances relatives à cet endroit important, avec ordre de retourner enfuite aux vaifleaux. Pour moi je m'embarquai dans le canot de l'Etoile avec M. Landais, lun des Officiers de cette flûte qui le commandoit , & je continuai mes recherches. Nous fimes route à l’Oueft & vifitâmes d’abord une île que nous tournâmes & tout autour de laquelle on peut mouilier par 25, 21 & 18 A UT. À +DyUc M Oo X D E. 149 brafles fond de fable & petit gravier. Sur cette île il y avoit des Sauvages occupés à la pêche. En fuivant la côte nous gagnämes avant le coucher du foleil une baie qui offre un excellent mouillage pour trois ou quatre navires. Je l'ai nommée Paie de la Cormorandiere, à caufe d’une roche apparente qui en eft dans l'Eft-Sud-Eft environ à un mille. À l'entrée de la baie on trouve 15 brafles d’eau, 8 & 9 dans le mouillage; nous y paflämes la nuit. Le 29 à la pointe du jour nous fortimes de la baie de la Cormorandiere', 8 nous naviguâmes à l’Oueft, aidés d’une marée trés-forte. Nous paflâmes entre deux iles d’une grandeur inégale que je nommai es deux Sœurs. Elles gif. {ent Nord-Nord-Eft & Sud-Sud-Oueft avec le milieu du cap. Forward, dont elles font diftantes d'environ trois lieues. Un peu plus loin nous nommämes Pan de fucre une montagne de cette forme très-aifée à reconnoitre , laquelle oît Nord-Nord- Eit & Sud -Sud - Oueft avec la pointe la plus méridionale du-même cap ; & à cinq lieues environ de la Cormorandiere nous découvrimes une belle baie avec un port fuperbe dans le fond ; une chüte d’eau remarquable qui tombe dans l'intérieur du port, m’enga- gea à les nommer baie & port de la Cafcade. Le milieu de cette baie oit Nord-Eft & Sud - Oueft avec le cap For- watd. La fureté & la commodité de l’ancrage , la facilité de faire l’eau & le bois, n’y laïflent rien à defirer. La cafcade eft formée par les eaux d’une petite riviere qui ferpente dans la coupée de plufieurs montagnes fort élevées, &c fa chôûte peut avoir cinquante à foixante toifes. J'ai monté au-deflus; le terrein y eft entremêlé. de bof- quets & de petites plaines d’une mouffle courte & fpon- gieufe ; j'y ai cherché & n’y ai point trouvé de traces du Baie de la Cormoran- diere. Baie &r port de la Cafcade. Defcription du pays. Utilité des trois ports dé- crits précé- demment. 150 VOYAGE paflage d'aucun homme; les Sauvages de cette partie ne quittent gueres les bords de la mer qui fourniffent à leur fubfftance. Au refte toute la portion de la terre de Feu, comprife depuis l’île Sainte-Elizabeth , ne me paroit être qu'un amas informe de grofles iles inégales , élevées, montueufes & dont les fommets font couverts d’une neige éternelle. Je ne doute pas qu’il n’y ait entre elles un grand nombre de débouquemens à la mer. Les arbres & les plantes font les mêmes ici qu'à la côte des Patagons; & aux arbres près, le terrein y reflemble aflez à celui des îles Malouines. Je joins ici la Carte particuliere que j'ai faite de cette intéreflante partie de la côte des terres de Feu. Jufqu’à préfent on n’y connoïfloit aucun mouillage , & les navires évitoient de lapprocher. La découverte des trois ports que je viens d’y décrire, facilitera la navigation de cette partie du détroit de Magellan. Le cap Forward en a tou- jours été un des points les plus redoutés des Navigateurs. I! n’eft quetrop ordinaire qu’un vent contraire & impétueux empêche de le doubler : il en a forcé plufeurs de rétro- grader jufqu’à la baie Famine. On peut aujourd’hui met- tre à profit même les vents régnans. Il ne s’agit que de hanter la terre de Feu, & d'y gagner un des trois mouil- lages ci-deflus, ce que l’on pourra prefque toujours faire en louvoyant dans un canal où il n’y a jamais de mer pour des vaifleaux. De-là toutes les bordées feront avantageu- fes, & pour peu que l’on s’aide des marées quirecommen- cent ici à être fenfibles, il ne fera plus difficile de gagner le port Galant. Nous paffâmes dans le port de la Cafcade une nuit fort défagréable. Il faifoit grand froid, & la pluie tomba fans A UT O & & :D'U0.M o x D €. 157 interruption. Elle dura prefque toute la journée du 30. À cinq heures du matin, nous fortimes du port, & nous tra- verfâmes à la voile avec un grand vent & une mer très- grofle pour notre foible embarcation. Nous ralliâmes le continent à-peu-près à égale diftance du cap Holland & du cap Forward. Ïl n'étoit pas queftion de fonger à y re- connoitre la côte , trop heureux de la prolonger en faifant vent arriere, & portant une attention continuelle aux raffa- les violentes qui nous forçoient d’avoir toujours la drifle & l'écoute à la main. Il s'en fallut même très-peu qu’en tra- verfant la baie Françoife , un faux coup de barre ne nous mit le canot furlatête. Enfin j’arrivai à la frégate environ à dix heures du matin. Pendant mon abfence, M. Duclos Guyot avoit déblayé ce que nous avions à terre, & tout difpofé pour l’appareillage ; auffi nous commençâmes à defamarer dans l’après-midi. Le 31 Décembre à quatre heures du matin, nous ache- vàmes de nous defamarer, & à fix heures nous fortimes de la baie en nous faifant remarquer par nos bâtimens à rame. Il faifoit calme ; à feptheures il fe leva une brife du Nord-Eft, qui fe renforça dans la journée, & fut aflez claire jufqu’à midi, le tems alors devint brumeux avec de la pluie. À onze heures & demie étant à mi-canal, nous dé- couvrimes & relevâmes la Cafcade au Sud-Eft, le Pain de fucre à l'Eft-Sud-Eft 5 d Sud, le cap Forward (1) à l'Eft- quart-Nord-Eft , le cap Holland (2) à Oueft-Nord-Oueft . (x) Depuis l’ilot de l'Obfervatoire lieues qui fépare le cap Forward du cap jufqu'au cap Forward, il y a environ Holland, il y a deux autres caps & trois fix lieues , & la côte court à-peu-près anfes peu profondes. Je n’y connois au- fur le Oueft-Sud-Oueft. Le dérroitya cun mouillage. La largeur du détroit y entre trois & quatre lieues de largeur. varie de trois à quatre lieues, (2) Dans lefpace d'environ cinq Départ de la baie Bougain- ville. Mouillage dans la baie Fortefcü. 1768. Janvier. Détails des contrariétés que nous y efluyons. ETE VOWAGE 44 Oueft. De midi à fix heures du {oir, nous doublä- mes le cap Holland. Il ventoit peu, & la brife ayant molli fur le foir, le tems d’ailleurs étant fort fombre, je pris le parti d'aller mouiller dans la rade du port Galant, où nous ancrâmes à dix heures par 16 brafles d’eau, fond de gros gravier, fable & petit corail, ayant le cap Galant (1) au Sud-Oueft 3 4 Oueft. Nous eûmes bientôt lieu de nous féliciter d’être logés : pendant la nuit, il y eut une pluie continuelle & grand vent de Sud-Oueft. Nous commençämes l’année 1768 dans cette baie nom- mée baie Fortefci, au fond de laquelle eft le port Galant (2). Le plan de la baie & du port eft fort exa€t dans M.de Gennes. Nous n'avons que trop eu le loifir dele vérifier , y ayant été enchainés plus de trois femaines, avec des tems dont le plus mauvais hiver de Paris ne donne pas l'idée. Il eft jufte de faire un peu partager aux Lecteurs le défagrément de ces journées funeftes, en ébauchant le détail de notre féjour ici. Mon premier foin fut d'envoyer vifiter la côte jufqu’à la baie Elifabeth, & les îles dont le détroit de Magellan eft ici parfemé ; nous appercevions du mouillage deux de ces iles, nommées par Narborough Charles & Mont- (1) Le cap Holland & le cap Galant giflent entre eux Eft 2 deg. Sud & Oueñt 2 deg. Nord, &c la diftanceeft d'environ huit lieues. Entre ces deux caps il yen a un autre moins avancé qui eft le cap Coventry. On y place auffi plufeurs baies dont nous n’avons reconnu que la baie Verte, ou baie Defcardes, qu'on a vifitée par terre. Elle eft grande & pro- fonde ; mais il y paroît plufieurs hauts fonds. (2) La baie de Fortefcû peut avoir deux milles de largeur d’une pointe à l’autre, & un peu moins de profondeur, jufqu’à une prefqu’ile qui, partant de la côte de l’'Oueft de la baie, s'étend dans l'Eft-Sud-Eft, & couvre un port bien à l'abri de tous les vents. C’eft le port Galant , lequel a un mille de profon- deur dans l'Oueft-Nord-Oueft. Sa lar- geur eft de quatre à cinq cents pas. On trouve une riviere dans le fond du port, & deux autres à la côte du Nord- Eft. Dans le milieu du port, il ya 4 à $ braffes d’eau, fond de vaze & coquil- lages, mouth. A ÉD OÙ & DAUOM O6 NX D E; 153 mouth. Ia donné à celles qui font plus éloignées le nom d'iles Royales, & à la plus occidentale de toutes celui d’e Rupert. Les vents d'Oueft ne nous permettant pas d’appareiller, nous affourchâmes le 2 avec une ancre à jer. La pluie n'empêcha pas d’aller fe promener à terre, où lon rencontra les traces du paflage & de la relâche de vaifleaux Anglois: fçavoir du bois nouvellement fcié & coupe , des écorces du laurier épicé aflez récemment en- levées , une étiquette en bois , telle que dans les arfenaux de marine on en met fur les pieces de filain & de toile, & fur laquelle on lifoit fort diftinétement Charham Martch. 2766 : on trouva aufl fur plufñeurs arbres des lettres ini- tiales & des noms avec la date de 1767. M. Verron , qui avoit fait porter fes inftrumens fur la prefqu'ile qui forme le port, y obferva à midi avec un quart de cercle, $ 3 40" 41" de latitude auftrale. Cette obfervation jointe au relevement du cap Holland , pris d'ici, & au relevement du même cap Holland , fait le 16 Décembre fur la pointe du cap Forward, détermine à douze lieues la diftance du port Galant au cap Forward. Il y obferva aufli par l’azimuth la déclinaifon de l'aiguille de 22430'32" Nord-Eft, & fon inclinaifon du côté du pole élevé de 11411". Voilà les feutes obfervations qu'il ait pû faire ici pendant près d’un mois, les nuits étant auñli affreu- fes que les jours. Il y avoit le 3 une belle occafion de dé- terminer la longitude de cette baie par le moyen d'une éclipfe de lune qui commençoit ici à 1oheures 30" du foir; mais [a pluie, qui avoit été continuelle toute la journée , dura encore toute la nuit. Le 4 & le $ fuivans furent cruels ; de la pluie, de la neige, un froid très-vif, le vent en tourmente, c'éroit un / V Traces trou- vées du paffa- ge des An- glois. Obfervations aftronomi- ques & nauti- ques. Rencontre & defcription es. Pecherais. T$4 4 VowYaAGE tems pareil que décrivoit le Pfalmifte en difant : z1x , plan: do, glacies, fpiritus procellarum. J'avois envoyé le 3 um canot pour tâcher de découvrir un mouillage à la terre de Feu, & on y en avoit trouvé un fort bon dans le Sud- Oueft des îles Charles & Montmouth ; j'avois aufli fait re- connoître quelle étoit dans le canal la direétion des ma- rées. Je voulois avec leur fecours, & ayant la reflource de mouillages connus, tant au Nord qu’au Sud, appareil- ler même avec vent contraire : mais il ne fut jamais aflez maniable pour me le permettre. Au refte, pendant tout le tems de notre féjour ici nous y remarquâmes conftam- ment que le cours des marées dans cette partie du détroit; eit le même que dans la partie des goulets, c’eft-à-dire . que le flot porte à l’'Eft & l'Ebe à l'Oueff. Le 6 après-midi, il y avoit eu quelques inftans de relä- che, le vent même parut venir du Sud-Eft, & déjà nous avions defaffourché ; mais au moment d’appareiller, le vent revint à Oueft-Nord-Oueft avec des raffales qui nous forcerent de réaffourcher auflirôt. Ce jour-là nous eûmes à bord la vifite de quelques Sauvages. Quatre pirogues avoient paru le matin à la pointe du cap Galant, & après. s’y êtretenus quelques temsarrêtées, trois s’avancerent dans. le fond de la baïe, tandis qu'une voguoit vers la fregate. Après avoir héfité pendant une demi-heure, enfin elle aborda avec des cris redoublés de Pecherais. Hy avoit de- dans un homme, une femme & deux enfans: La femme demeura à la garde de la pirogue , Fhomme monta feul'à bord avec affez de confiance, & d’un air fort gai. Deux autres pirogues fuivirent l'exemple de la premiere , & les hommes entrerent dans la frégate avec les enfans. Bientôt üs y furent fort À leur aife. On les fit chanter, danfer, en- AUTOUR DU Mo N 2 E. 155 tendre desinftrumens, & fur-tout manger, ce dontils s’ac- quitterent avec grand appétit. Tout leur étoit bon; pain, viande falée, fuif, ils dévoroient ce qu'on leur préfentoit. Nous eûmes même aflez de peine à nous débarafler de ces hôtes dégottans & incommodes, & nous ne pûmes les dé- terminer à rentrer dans leurs pirogues qu’en y faifant por- ter à leurs yeux des morceaux de viande falée. Ils ne té- moignerent aucune furprife ni à la vûe des navires, ni à celle des objets divers qu’on y offrit à leurs regards ; c’eft fans doute que pour être furpris de l'ouvrage des arts, il en faut avoir quelques idées élémentaires. Ces hommes bruts traitoient les chefs-d’œuvre de linduftrie humaine, comme ils traitent les loix de la nature & fes phénomè- nes. Pendant plufeurs jours que cette bande pañla dans le port Galant, nous la revimes fouvent à bord &c à terre. Ces Sauvages font petits, vilains, maigres, & d’une puanteur infupportable. Ils font prefque nuds, n'ayant pour vêtement que de mauvaifes peaux de loups marins trop petites pour les envelopper , peaux qui fervent égale- ment & de toits à leurs cabanes & de voiles à leurs piro- gues. Ils ont aufli quelques peaux de guanaques, mais en fort petite quantité. Leurs femmes font hideufes & les hommes femblent avoir pour elles peu d’égards. Ce font elles qui voguent dans les pirogues, &c qui prennent foin de les entretenir, au point d’aller à la nâge, maloré le froid, vuider l’eau qui peut y entrer dans les goëmons qui fervent de port à ces pirogues aflez loin durivage; àterre, elles ramaffent le bois & les coquillages, fans que les hom- mes prennent aucune part au travail. Les femmes même qui ont des enfans à la mammelle, ne font pas exemptes de ces corvées. Elles portent fur le dos les enfans pliés dans la peau qui leur fert de vêtement. Vij 156 WiowmeE Leurs pirogues font d’écorces mal liées avec des joncs & de la moufle dans les coutures. Il ya au milieu un petit foyer de fable où ils entretiennent toujours un peu de feu. Leurs armes font des arcs faits, ainfi que les fleches, avec le bois d'une épinevinette à feuille de hou, qui eft commune dans le détroit, la corde eft de boyau & les fleches font armées de pointes de pierre, taillées avec affez d'art ; mais ces armes font plutôt contre le gibier que con- tre des ennemis: elles font aufli foibles que les bras defti- nés à s’en fervir. Nous leur avons vu de plus des os de poifion longs d’un pied, aiguifés par le bout & dentelés fur un des côtés. Eft-ce un poignard ? je crois plutét que c’eft un inftrument de pêche. Ils ladaptent à une longue perche, &z s'en fervent en maniere de harpon. Ces Sau- vages habitent pêle-mêle , hommes , femmes & enfans, dans les cabanes au milieu defquelles eft allumé le feu. Ils fe nourriflent principalement de coquillages ; cepen- dant ils ont des chiens & des lacs faits de barbe de ba- leine. Jai obfervé qu'ils avoient tous les dents gâtées, & je crois qu’on en doit attribuer la caufe à ce qu'ils mangent les coquillages brülans, quoique à moitié cruds. Au refte, ils paroiflent aflez bonnes gens, mais ils font fi foibles , qu'on eft tenté de ne pas leur en {çavoir gré. Nous avons cru remarquer qu'ils font fuperflitieux & croient à des génies malfaifans, aufñi chez eux les mêmes hommes qui en conjurent l'influence font en même-tems médecins & prêtres. De tous les Sauvages que j'ai vus dans ma vie, les Pecherais {ont le plus dénués de tout :ils font exaétement dans ce qu'on peut appeller Pétat de na- ture ; & en vérité fi l’on devoit plaindre le fort d’un homme Hbre & maître de lui-même, fans devoirs & fans affaires . AUTOUR DUoMo «2 Er. 157 content de ce qu'il a parce qu'il ne:connoît pas mieux, je plaindroisces hommes qui, avec la privationde ce qui rend la vie commode, ont encore à foufirir la dureté du plus af. freux climat de l'Univers. Ces Pecherais forment auffi la {ociété d'hommes la moinsnombreufe que j’aye rencontré dans toutes les parties du monde ; cependant, comme on en verra la preuve un peu plus bas, on trouve parmi eux des charlatans. C’eft que dès qu'il y a enfemble plus d’une famille, & j'entends par famille, pere, mere & enfans, les intérêts deviennent compliqués, les individus veulent dominer ou par la force ou par limpofture. Le nom de famille fe change alors en celui de fociété, & fût-elle éta- blie au milieu des bois, ne füt-elle compofée que de cou- fins germains, un efprit attentif y découvrira le germe de tous les vices auxquels les hommes rafflemblés en nations ont, en {e poliçant, donné des noms, vices qui font nai- tre, mouvoir & tomber les plus grandsempires. Ils’enfuit du même principe que dans les fociétés, dites policées , naïflent des vertus dont les hommes, voifins encore de Fétat de nature, ne font pas fufceptibles.:c Le 7 & le 8furent fi mauvais qu'il n’y eût pas, moyen de fortir du bord ; nous chaffämes même: dans la nuit & fûmes obligés de mouiller une ancre)du boffloir. :H y eut dans des inftans jufqu'à quatre poucés de neige fur notre: pont; & le jour naïflant nous montra:que routes les terres. enétoient couvertes, excepté-le-plat-pays dont l'humidité. empêche la neige de s'y conferver.. Le thermometre fut à s > 4% barifa même jufqu'à deux degrés au-deflüs de la congellation. Le tems fut moins mauvais lé 9-après-midi. Les Pécherais s'étoient mis:en.chemin:pourivenir-à bord. Ils avoient même fait une grande toiletre, c'eft-a-dire, Accident fu- nefte qui ar- rive d'eux. à l'un 158 4 Œ M OVo Y A GE qu'ils s'étoient peint tout le corps detaches rouges & blan-, ches: mais voyant nos canots partir du bord, & voguer: vers leurs cabanes, ils les fuivirent, une feule pirogue fut à bord de l'Etoile. Elle y refta peu de tems & vint re-! joindre auflitôt les autres avec lefquels nos Mefleurs étoient en grande amitié. Les femmes cependant étoient toutes retirées dans une même cabane , &les Sauvages paroifloient mécontens, lorfqu'on y vouloit entrer. Ils in- vitoient au contraire à venir dans les autres, :où ils offri- rent à ces Meffieurs des moules qu'ils fuçoient avant-que de les préfenter. On leur fit de petits préfens qui furent ac- ceptés de bon cœur. Ils chanterent, danferent, & témoi- -gnerent plus de gaieté que l’on n’auroit cru en trouver chez des hommes fauvages, dont l'extérieur eft ordinairement {érieux. Leur joie ne fut pas de longue durée. Un de leurs en- fans , âgé d'environ douze ans , le feul de toute la bande dont la figure fût intéreffante à nos yeux, fut faif tout d’un coup d’un crachement de fang accompagné de vio- lentes convulfions. Le malheureux avoit été à bord de l'Etoile où on lui avoit donné des morceaux de verre & de glace, ne prévoyant pas le funefte effet qui devoit fuivre ce préfent. Ces Sauvages ont l'habitude de s’en- _ foncer dansla gorge &r dans les narines de petits morceaux: de talc. Peut-être la fuperftition attache-t-elle chez eux: quelque vertu à cette efpece de talifman, peut-êtreile re- gardentils comme un préfervatifà quelque incommodité, à laquelle ils font füjets. L'enfant avoit vraifemblablement fait le même ufage du verre. Ilavoit les levres, les genci- ves & le palais coupés én plufieurs endroits, Sc nés fañg préfque continuellement. AuTourR DutMo ne. 159 Cet accident répandit la conflernation & la méfiance: Ils nous foupçonnerent fans doute de quelque maléfice : car la premiere a@tion du jongleur qui S'empara auffi-tôt de l'enfant, fut de le dépouiller précipitamment d’une ca- faque de toile qu'on lui avoit donnée. Il voulut la rendré aux François ; & fur le refus qu’on fit de la reprendre, il la jetta à leurs pieds. Il eft vrai qu'un autre Sauvage, qui fans doute aimoit plus les vêtemens qu'il ne craignoit les enchantemens, la ramafla aufli-tôt. Le jongleur étendit d’abord l'enfant fur le dos dans une des cabanes, & s'étant mis à genoux entre fes jambes # il fe courboit fur lui, & avec la tête & les deux mains, ï lui prefloit le ventre de toute fa force, criant continuelle- ment fans qu'on pôt diftinguer rien d’articulé dans fes cris. De tems en tems il fe levoit, ‘8 paroiffant tenir le : mal dans fes mains jointes, ‘il les œuvroit tout d’un coup en l'air en foufflant comme s'il eût voulu chafer quelque mauvais efprit. Pendant cette cérémonie , une vieille fémme en pleurs hurloit dans loreille du malade à le rendre fourd. Ce malheureux cependant paroïfloir fouffrir autant du rémede que de fon mal. : Le jongleur lui donna quelque treve pour aller prendre fa parure de cérémonie; enfuite les cheveux poudrés & la têre ornée de deux aîles blanches aflez femblables au bonnet de Mercure , il recomi menc4 fes fonétions avec plus de confiance & tout auf peuide fuccès.” L'enfant alors paroiffant plus mal, notre Aurônier lui adniniftra furtivement le batême. | Les Officiers étoient revenus à bord & m'avoient ra- conté ce qui {e pañloit à terre. Jem'ÿ tranfportai aufh-tôt avec M: de la Porte, notre Chirurgien major, qui fit ap- porter ün peu de lait & de la tifänne émolliente. Lorfque 160 x Vo AGE nous, atrivames Je malade étoit hors de la cabane; lejon- oleur, auquel il s’en étoit Joint un autre paré des mêmes ornemens, avoit recommence fon opération {ur le ventre, les cuifles &. le dos de lenfant. C'étoit pitié de les voir. martyrifer cette infortunée créature qui fouffroit fans fe plaindre. Son corps:étoit déja tout meurtri &.les Mé- decins continuoient encore ce barbare remede-avec force conjurations. La douleur du pere & de la mere, leuts lar- mes, l'intérêt vif de toute la bande, intérêe manifefté par des fignes non équivoques,. la patience de l’énfant nous donnerent le fpeétacle le plus attendriffant. Les Sauvages s’apperçurent fans doute que nous partagions leur peine , du-moins leur méfiance fembla-t-elle diminuée. Ils nous laïflerent approcher du malade & le Major examina fa bouche enfanglantée que fon pere & un autre Pécherais fuçoient alternativement. On eut beaucoup de peine à leur perfuader de faire ufage du lait ; il fallut en goûter plu- fieurs fois &, malgré l’invincible oppofition des jongleurs, le pere enfin fe détermina à en faire boire à fon fils, 4l ac cepta même le don de la caffetiere pleine de tifanne émol- liente. Les jongleurs témoignoient-de la jaloufie contre notre Chirurgien qu’ils parurent cependant à la fin recon- noître pour un habile jongleur. Îls ouvrirent même pour lui un fac de cuir qu'ils portent toujours pendu à leur côté & qui contient leur bonnet de plume , de la poudre blan- che , du talc & les autresinftrumens de leurart; mais à peine y eut il jetté les yeux, .quils le refermerent auffi- tôt. Nous remarquâmes aufli que tandis-qu'un ‘des-jon- gleurs travailloit à conjurer le mal du patient, l’autrene fembloit occupé qu'à prévenir par fes enchantemens l'ef- fet du mauvais fort qu'ils nous foupçonnoient d'avoir Jetté fur eux. Nous AUTOUR DU MonNpb Er. 161 Nous retournâmes à bord à l'entrée de la nuit, l'enfant. fouffroit moins ; toutefois un vomiflement prefque conti- nuel qui le tourmentoit, nous fit appréhender qu’il ne fût pañlé du verre dans fon eftomac. Nous eûmes enfuite lieu de croire que nos conjeétures n’avoient été que trop juftes. Vers les deux heures après minuit on entendit du bord des hurlemens répétés ; & dès le point du jour, quoiqu'il fit un tems affreux , les Sauvages appareillerent. Ils fuyoient fans doute un lieu fouillé par la mort & des étrangers funeftes qu'ils croyoient n'être venus que pour les détruire. Jamais ils ne purent doubler la pointe occi- dentale de la baie; dans un inftant plus calme ils remirent à la voile, un grain violent les jetta au large & difperfa leurs foibles embarcations. Combien ils étoient empreflés à s'éloigner de nous! Ils abandonnerent fur le rivage une de leurs pirogues qui avoit befoin d’être réparée, Sarrs ef? gentem effugiffe nefandam. Ils ont emporté de nous l’idée d'êtres malfaifans; mais qui ne leur pardonneroit le ref fentiment dans cette conjonéture ? Quelle perte en effet pour une fociété aufli peu nombreufe qu'un adolefcent échappé à tous les hazards de l’enfance ! Le vent d’Eft fouffla avec furie & prefque fans inter- ruption jufqu’au 1 3 que le jour fut afiez doux ; nous eûmes même dans l'après-midi quelque efpérance d’appareiller. La nuit du 13 au 14 fut calme. À deux heures & demie du matin nous avions defaffourché & viré à pic; il fallut réaflourcher à fix heures, & la journée fut cruelle. Le 1$ il fit foleil prefque tout le jour, mais le vent fut trop fort pour que nous pufhons fortir. Le 16 au matin il faifoit prefque calme, la fraicheur vint enfuite du Nord, & nous appareillâmes avec la ma- Continuation du mauvais tems, Danger que court la fré- gate, 162 V'o YAGr'E rée favorable; elle baifloit alors & portoit dans l'Oueft. Les vents ne tarderent pas à revenir à Oueft & Oueft- Sud-Oueft , & nous ne pûmes jamais avec la bonne marée gagner l’#e Rupert. La frégate marchoit très-mal, dérivoit outre mefure , & l'Etoile avoit fur nous un avantage in- croyable. Nous reftâmes tout le jour fur les bords entre l'ile Rupert & une pointe du continent qu’on nomme /& pointe du Paffage, pour attendre le juffant avec lequel j'ef- pérois gagner ou le mouillage de /4 bare Dauphine à l'ile de Louis le Grand, ou celui de La baie Elizabeth (1). Mais comme nous perdions à louvoyer , j'envoyai un canot fonder dans le Sud-Eft de l'ile Rupert, avec intention d’y aller mouiller jufqu'au retour de la marée favorable. Le canot fignala un mouillage & y refta fur fon grapin; mais nousen étions déja tombés beaucoup fouslevent. Nous cou- rümesun bord à terre pourtâcher de legagner en revirant; la frégate refufa deux fois de prendre vent devant , il fal- lut virer vent arriere ; mais au moment où, à l’aide de la manœuvre & de nos bateaux, elle commença à arriver,la force de la marée la fit revenir au vent: un courant violent nous avoit déja entrainés à une demi-encablure de terre; je fis mouiller fur 8 brafles de fond : l'ancre tombée fur des roches chafla, fans que la proximité où nous étions de (1) Depuis le cap Galant jufqu'à la baie Elifabeth, la côte court à-pen-près {ur le Oueft-Nord-Oueft, & la difiance de lun à l’autre peut être de quatre lieues. Dans cer intervalle il n'ya point de mouillage à la côte du continent. Le fond y eft trop confidérable, même tout à terre. La baie Elifabeth eft ou- verte au Sud-Oueñ, elle a trois quarts delieue entre fes pointes, &à-peu-près autant de profondeur. La côte du fond de Ktbaieeft Bbloneufe , ainfi que celle du Sud-Eft. Dans fa partie feptentrio- nale regne une bâture qui fe prolonge affez au large. Le bon mouillage dans cette baie eft par 9 brafles, fond de fa- ble, gravier & corail , & par les mar- ques fuivantes , la pointe ER de la baie au Sud-Sud-Eft s deg. Ef ; fa pointe Oueft à Oueft-quart-Nord-Ouef ; la pointe Eft de lle de Louis-le-Grand, au Sud-Sud-Oueft ; d.Sud; la bâture au Nord-Oueft-quart-Nord. A TS WR D'u0 M o x DE, 163 la terre, permit de filer du cable ; déja nous n’avions plus que 3 brafles &t demie d’eau fous la poupe, & nous n’é- tions qu'à trois longueurs de navire de la côte, lorfqu'il en vint une petite brife ; nous fimes aufli-tôt fervir nos voiles , & la frégate s’abattit ; tous nos bateaux & ceux de l'Etoile venus à notre fecours, étoient devant elle à la re- morquer ; nous filions le cable fur lequel on avoit mis une bouée, & il y en avoit près de la moitié dehors, lorfqu'il {e trouva engagé dans l'entrepont & fit faire tête à la fré- gate qui courut alors le plus grand danger. On coupa le cable, & la promptitude de la manœuvre fauva le bâti- ment. La brife enfuite fe renforça , & après avoir encore couru deux bords inutilement, je prisle parti de retour- ner dans la baie du port Galant, où nous mouillâmes à huit heures du foir par 20 brafles d’eau fond de vaze. Nos ba- teaux que j'avois laiflés pour lever notre ancre, revin- rent à l'entrée de la nuit avec l'ancre & le cable. Nous n'avions donc eu cette apparence de beau tems que pour être livrés à des alarmes cruelles. La journée qui fuivit fut plus orageufe encore quetoutes les précédentes. Le vent élevoit dans le canal destourbil- lons d’eau à la hauteur des montagnes, nous en voyons quelquefois plufieurs en même tems courir dans des di- reétions oppofées. Le tems parut s’adoucir vers les dix heures , mais à midi un coup de tonnere, le feul que nous ayons entendu dans le détroit, fut comme le fignal au- quel le vent recommença avec plus de furie encore que le matin; nous chaflâmes & fûmes contraints de mouiller notre grande ancre & d'amener bafles vergues & mâts de hune. Cependant les arbuftes & les plantes étoient en Xi Ouragan vio- lent, Affertion dif- - cutée fur le canal de la Sainte-Barbe. 164 MU o' YA GE fleurs, & les arbres offroient une verdure affez brillante ; mais qui ne fufhfoit pas pour difliper la triftefle qu’avoit répandue fur nous le coup d'œil continué de cette région funefte. Le caraétere le plus gai feroit flétri dans ce cli- mat affreux que fuient également les animaux de tous les élémens , & où languit une poignée d'hommes que notre commerce venoit de rendre encore plus infor- tunés. Il y eut le 18 & le 19 des intervalles dans le mauvais tems ; nous relevèmes notre grande ancre, virâmes nos bafles vergues & mâts de hune, & j'envoyai le canot de l'Etoile que fa bonté rendoit capable de fortir prefque de tout tems, pour reconnoître l’entrée du cana/ de la Sainte- Barbe. Suivant l’extrait que donne M. Frezier du Journal de M. Marcant qui l’a découvert & y a pañlé , ce canal de- voit être dans le Sud-Oueft & Sud-Oueft-quart-Sud de la baie Elizabeth. Le canot fut de retour le 20, & M.Lan- dais, qui le commandoit, me rapporta qu'ayant fuivi la route & les remarques indiquées par l'extrait du Journal de M. Marcant, il n’avoit point trouvé de débouquement, mais feulement un canal étroit terminé par des ban- quifes de glace &c la terre , canal d'autant plus dangereux à fuivre,qu'il n’y a dans la route aucun bon mouillage & qu'il eft traverfé prefque dans fon milieu par un banc cou- vert de moules. Il fit enfuite le tour de l'ile de £ours le Grand par le Sud & rentra dans le canal de Magellan, fans en avoir trouvé aucun autre. Îl avoit vu feulement à la terre de Feu une aflez belle baie, la même fans doute que celle à laquelle Beauchefne donne le nom de /« Na- aivié. Au refte, en faifant le Sud-Oueft & Sud-Oueft- quart-Sud à la fortie de la baie Elizabeth, comme M. Fre- A UNE Q\ULR LD+ Ug M O N D E. 16$ zier marque que le fit Marcant, on couperoïit en deux l’ile de Louis le Grand. Ce rapport me fit penfer que le vrai canal de la Sainte- Barbe étoit vis-à-vis la baie même où nous étions. Du haut des montagnes qui entourent le port Galant, nous avions fouvent découvert dans le Sud des îles Charles & Montmouth un vafte canal femé d’ilots qu'aucune terre ne bornoit au Sud; mais comme en même tems on apper- cevoit une autre ouverture dans le Sud de l’île de Louis le Grand, on la prenoit pour le canal de la Sainte-Barbe, ce qui étoit plus conforme au récit de Marcant. Dès qu’on fut afluré que cette ouverture n'étoitqu’une baie profonde, nous ne doutâmes plus que le canal de la Sainte-Barbe ne fût vis-à-vis le port Galant dans le Sud desiles Charles &z Montmouth. En effet , en relifant le paflage de M. Frezier, &zle combinant fur la carte qu'il donne du détroit, nous vi- mes que M. Frezier , d'après la rapport de Marcant, place la baie Elizabeth de laquelle appareillace dernierpourentrer dans fon canal, à dix ou douze lieues du cap Forward. Marcant aura donc pris pour la baie Elizabeth /a Pare Def. cordes qui eft effeétivement à onze lieues du cap Forward, puifqu’elle eft à une lieue dans l’'Eft du port Galant; ap- pareillant de cette baie & faifant le Sud-Oueft & Sud- Oueft-quart-Sud, il a rangé la pointe orientale des iles Charles & Montmouth, dont il a pris la maffe pour l'ile de Louis le Grand, erreur dans laquelle tombera facilement tout navigateur qui ne fera pas pourvu de bons mémoires, &ila débouqué par le canal femé d'îles dont nous avons eu la perfpeëtive du haut des montagnes. La connoïiffance parfaite du canal de la Sainte-Barbe feroit d'autant plus intéreffante qu’elle abrégeroit confidé- Utilité à reti- rer de la con- noifance du canal Sainte- Barbe, Coup de vent de dla plus grande force. 166 VOYAGE rablement le paflage du détroit de Magellan. Il n’eft pas fort long de parvenir jufqu’au port Galant ; le point le plus épineux, avant que d'y arriver, eft de doubler le cap For- ward, ce que la découverte de trois ports à la terre de Feu rend à-préfent aflez facile : une fois rendus au port Galant, fi les vents défendent le canal ordinaire, pour peu qu'ils prennent du Nord, on auroit le débouquement ouvert vis-à-vis de ce port ; vingt-quatre heures alors {ufñifent pour entrer dans la mer du Sud. J’avois intention d'envoyer deux canots dans ce canal, que je crois ferme- ment être celui de la Sainte-Barbe, lefquels auroient rap- porté la folution complette du problème. Le gros tems ne me l'a pas permis. Le 21,le 22 &le 23 les raffales, la neige & la pluie furent prefque continuels. Dans la nuit du 21 au 22 il y avoit eu un intervalle de calme ; il fembla que le vent ne nous donnoit ce moment de repos que pour raflembler toute fa furie & fondre fur nous avec plus d’impétuofité. Un ouragan affreux vint tout d’un coup de la partie du Sud- Sud-Oueft, & fouffla de maniere à étonner les plus anciens marins. Les deux navires chafferent , il fallut mouiller la grande ancre, amener bafles vergues & mâts de hune, notre artimon fut emporté fur fes cargues. Cet ouragan ne fut heureufement pas long. Le 24 le tems s’adoucit, il fit même beau foleil & calme, & nous nous remimes en état d’appareiller. Depuis notre rentrée au port Galant nous y avions pris quelques tonneaux de left & changé notre arrimage pour tâcher de retrouver la marche de la fré- gate; nous réuflimes à lui en rendre une partie. Au refte toutes les fois qu’il faudra naviguer au milieu des courans, on éprouvera toujours beaucoup de difficultés à manœu- AUTOUR DU MONDE 167 vrer des bâtimens aufli longs que le font nos frégates. Le 25 à une heure après minuit nous defaffourchâmes & virâmes à pic; à trois heures nous appareillâmes en nous faifant remorquer par nos bâtimens à rames, la frai- cheur venoit du Nord; à cinq heures & demie la brife fe décida de PES, & nous mimes tout dehors perroquets & bonnetes, voilure dont il eft bien rare de pouvoir fe fer- vir ici. Nous paflâmes à mi-canal , fuivant les finuofités de cette partie du détroit que Narborough nomme avec rai- fon le bras tortueux. Entre Les iles Royales & le continent le détroit peut avoir deux lieues; il n’y a pas plus d’une lieue de canal entre Z’{le Rupert & la pointe du paflage ; enfuite une lieue & demie entre l'ile de Louis le Grand & la baie Elizabeth, fur La pointe orientale de laquelle il y a une bâture couverte de goëmons qui avance un quart de. lieue au large. Depuis la baie Elizabeth la côte court fur le Oueft- Nord-Oueft pendant environ deux lieues jufqu’à la riviere que Narborough appelle Barchelor & Beauchefne du Maf facre , à l'embouchure de laquelle il y a un mouillage. Cette riviere eft facile à reconnoître, elle fort d’une vallée profonde , à l’Oueft elle a une montagne fort élevée , fà pointe occidentale eft baffle & couverte de bois, & la côte y eft fablonneufe. De la riviere du Maffacre àl’entrée du faux détroit ou canal Saint-Jérôme, j'eftime trois lieues de diftance, & le gifflement eft le Nord-Oueft-quart-Oueft. L'entrée de ce canal paroït avoir une demi-lieue de lar- geur, @c dans le fond on voit les terres revenir vers le Nord. Quand on eft par le travers de la riviere du Maffa- cre, l'on n’apperçoit que ce faux détroit, & il eft facile de le prendre pour le véritable, ce qui même nous arriva , Sortie de la baie Fortefcü, Defcription du détroit de- puis le cap Ga- lant jufqu'au débouque- ment, 168 VOYAGE parce que la côte alors revient fur l'Oueft-quart-Sud- Oueft & l’Oueft-Sud-Oueft jufqu’au cap Quade, qui s’a- vançant beaucoup paroit croifé avec la pointe occidentale de l'ile Louis le Grand , & ne laïfle point appercevoir de, débouché. Au refte une route füre pour ne pas marquer le véritable canal, eft de fuivre toujours la côte de l’île de Louis le Grandqu’on peut ranger de près fans aucun dan- ser. La diftance du canal S. Jérôme au cap Quade eft d’en- viron quatre lieues, & ce cap git Eft-quart-Nord-Eft-11- Eft & Oueft-quart-Sud-Oueft-24-Oueft avec la pointe oc- cidentale de l'ile de Louis le Grand. Cette ile peut avoir quatre lieues de longueur. Sa côte {eptentrionale court fur l’'Oueft Nord-Oueft jufqu’à /a baie Dauphine, dont la profondeur eft d'environ deux milles fur une demi - lieue d'ouverture ; elle court enfuite fur l'Oueft jufqu’a fon extrémité occidentale nommée cap S. Louis. Comme, après avoir reconnu notre erreur au fujet du faux détroit, nous rangeâmes l'ile de Louis le Grand à un mille d’éloignement, nous reconnûümes fort diftinéte- ment Le port Phelippeaux qui nous parut une anfe fort com- mode & bien à l'abri. A midi le cap Quad nous reftoit à l’'Oueft-quart-Sud-Oueft-2d-Sud deux lieues, & le cap Saint-Louis à l'Eft-quart-Nord-Eft environ deux lieues & demie. Le beau tems continua le refte du jour, & nous cinglâmes toutes voiles hautes. Depuis le cap Quad le détroit s’avance dans POueft- Nord-Oueit & Nord-Oueft-quart-Oueft fans détour fenfi- ble, ce qui lui a fait donner le nom de longue rue. La figure du cap Quad eft remarquable. Il eft compofé de rochers efcarpés, dont ceux qui forment fa tête chenue, ne ref- femblent pas mal à d’antiques ruines. Jufqu'à lui les côtes {ont AUTOUR DU Mono Er. 169 font par-tout boifées & la verdure des arbres adoucit l’af- pect des cimes gelées des montagnes. Le cap Quad dou- blé, le pays change de nature. Le détroit n’eft plus bordé des deux côtés que par des rochers arides fur lefquels il n’y a pas apparence de terre. Leur fommet élevé eft tou- jours couvert de neige , & les vallées profondes fon rem- plies par d'immenfes amas de glaces dont la couleur attefte l'antiquité. Narborough, frappé de cet horrible afpect , nomma cette partie /a Défolarion du Sud, aufi ne fauroit- on rien imaginer de plus affreux. Lorfqu’on eft par Le travers du cap Quad, la côte des terres de Feu paroît terminée par Un Cap avancé qui eff le cap Mundai, lequel j'eftime être à quinze lieues du cap Quad. A la côte du continent on apperçoit trois caps aux- quels nous avons impofé desnoms. Le premier quefa figure nous fit nommer cap Fendu , eft à cinq lieues environ du cap Quad, entre deux belles baies où l’ancrage eft très-fur , fi le fond y eft aufh bon que l'abri. Les deux autres caps ontreçu les noms de nos vaifleaux, le cap de l'Etoile à trois lieues dans l’Oueft du cap Fendu, & le cap de la Boudeufe dans le même giflement & la même diftance avec celui de l'Etoile. Toutes ces terres font hautes & efcarpées ; lune & l’autre côte paroiït faine & garnie de bons mouil- lages, mais heureufement le vent favorable pour notre route, ne nous a pas laiflé le tems de les fonder. Le dé- troit dans la eee rue, peut avoir deux lieues de largeur; il fe rétrecit vis-à-vis le cap Mundai, où le canal n’a BARTeS plus de quatre milles. À neuf heures du foir, nous étions environ à trois lieues dans PEft-quart-Sud-Eft & l’Eft-Sud-Eft du cap Mundai. Le vent foufflant toujours de l'Eft grand frais, & le rems Nuit critique, Sortie du dé- 170 VOYAGE étant beau, je réfolus de continuer à faire route à petites voiles pendant la nuit. Nous ferrâmes les bonetes, & fimes les ris dans les huniers. Vers dix heures du foir, le tems commença à s’embrumer, & le vent renforça tel- lement que nous fûmes contraints d’embarquer nos ba- teaux. Il plut beaucoup, & la nuit devint fi noire à onze heures, que nous perdimes la terre de vüe. Une demi- heure après, m’eftimant par le travers du cap Mundai, je fis fignal de mettre en panne , ftribord au vent, & nous paflämes ainfi le refte de la nuit, éventant ou mafquant, fuivant que nous nous eftimions trop près de l’une ou de l’autre côte. Cette nuit a été une des plus critiques de tout le voyage. À trois heures & demie l’aube matinale nous décou- vrit la terre, & je fis fervir. Nous gouvernâmes à Ouett- quart-Nord-Oueft jufqu’à huit heures, & de huit heures à midi entre l’'Oueft-quart-Nord-Oueit & lOueft-Nord- Oueft. Le vent étoit toujours à l'Eft petit frais très-bru- meux ; de tems en tems nous appercevions quelque partie de la côte, plus fouvent nous la perdions de vûe tout-à- fait. Enfin à midi nous eûmes connoïflance du cap des Pi- liers & des Evangélifles. On ne voyoit ces derniers que du haut des mâts. À mefure que nous avançions du côté du cap des Piliers, nous découvrions avec joie un horizon immenfe qui n’étoit plus borné par les terres, & une groffe lame du Oueft nous annonçoit le grand Océan. Le vent ne refta pas à l’'Ef, il pafla à Oueft-Sud-Oueft, & nous courümes au Nord-Oueft jufqu'à deux heures & demie que nous relevâmes le cap des PVrélotres au Nord-Oueft, & le cap des Piliers au Sud 3 d Oueft. Lorfqu'on a dépañlé le cap Mundai, la côte feptentrio- A’uimietutR® p'0 Mo N DE, 171 nale fe courbe en arc, & le canal s'ouvre jufqu’à quatre , cinq & fix lieues de largeur. Je compte environ feize lieues du cap Mundai au cap des Piliers qui termine la côte méridionale du détroit. La direétion du canal entre ces deux caps eft le Oueft-quart-Nord-Oueft. La côte du Sud y eft haute & efcarpée, celle du Nord eft bordée iles & de rochers qui en rendent l’approche dangereufe : il eft plus prudent de ranger la partie méridionale. Je ne {çaurois rien dire de plus fur ces dernieres terres ; à peine les avons-nous vues dans quelques courts intervalles pen- dant lefquels la brume nous permettoit d’en appercevoir des portions. La derniere terre dont on ait la vüûe à la côte du Nord eft le cap des Wiéotres , lequel paroît être de mé- diocre hauteur , ainfi que le cap Défiré qui eft en dehors du détroit à la terre de Feu, environ à deux lieues dans le Sud- * Oueft du cap des Piliers. La côte entre ces deux caps eft bordée, à près d’une lieue au large, de plufeurs ilots ou brifans connus fous ie nom des douze Apôtres. Le cap des Piliers eft une terre très-élevée , ou plutôt une grofle mafle de rochers, qui fe termine par deux roches coupées en forme de tours, inclinées furle Nord-Oueft, & qui font la pointe du cap. À fix ou fept lieues dans le Nord- Oueft de ce cap, on voit quatre ilots nommés es Evangé- Lifles ; trois font ras : le quatrieme, qui a la figure d’un meu- lon de foin , ef aflez éloigné des autres. Ils font dans le Sud- Sud-Oueft & à quatre ou cinq lieues du cap des Viétoires. Pour fortir du détroit, on peut en pañler indifféremment au Nord ou au Sud; je confeillerois d’en pañler au Sud, fi l’on vouloit y rentrer. Il convient aufli alors de ranger la côte méridionale : celle du Nord eft bordée d'ilots, & pa- Yi troit , & def- cription de cette partie. Point de dé- part du détroit de Magellan. Obfervations générales fur ceïte naviga- tion, 172 VOYAGE roit coupée par de grandes baies qui pourroient occafon- ner des erreurs dangereufes. Depuis deux heures après-midi les vents varierent du Oueft-Sud-Oueft au Oueft-Nord-Oueit , grand frais ; nous louvoyämes jufqu’au coucher du foleil, toutes voiles hautes, afin de doubler les douze Apôtres. Nous eümes aflez long-tems la crainte de n’en pas venir à bout , & d’être forcés à pafler encore la nuit dans le détroit, ce qui nous y eût pu retenir encore plus d’un jour. Mais vers fix heures du foir , les bordées adonnerent ; à fept heures le cap des Piliers étoit doublé, à huit heures nous étions entiérement dégagés des terres, & un bon vent de Nord nous faifoit avancer à pleines voiles dans la mer occiden- tale. Nous fimes alors un relevement d’où je pris mon point de départ par . .. $2 d so’ de latitude auftrale, &...794 9'de long. occ. de Paris. : C’eft ainfi qu'après avoir efluyé pendant vingt-fix jours, au port Galant, des tems conftamment mauvais & con- trairés, trente-fix heures d’un bon vent, tel que jamais nous n’euflions ofé l’efpérer, ont fuffi pour nous amener dans la mer Pacifique ; exemple que je crois être unique, d’une navigation fans mouillage depuis le port Galant juf- qu’au débouquement. J'eftime la longueur entiere du détroit, depuis le cap des Vierges jufqu’au cap des Piliers d'environ cent qua-. torze level Nous avons employé cinquante-deux jours à Les faire. Je répéterai ici que depuis le cap des Vierges jufqu'au cap Noir, nous avons obfervé conftamment que le flot porte dans l’Eft, & le Juffant ou l'Ebe, dans l’Oueñ, & que les marées y font très-fortes ; qu’elles ne font pas à AUTOUR DU MoNbE. 173 beaucoup près auñli rapides depuis le cap Noir jufqu’au port Galanr, &cique leurs cours y eft irrégulier ; qu’enfin, depuis le port Galant jufqu'au cap Quade, les courans {ont violens, que nous ne les avons pas trouvés fort fen- fibles depuis ce cap jufqu'à celui des Piliers; mais que dans toute cette partie, depuis le port Galant, les eaux font aflujetties à la même loi qui les meut depuis le cap des Vierges : c’eft-à-dire que le flot y court vers la mer de lEf, & l'Ebe vers celle de l'Oueft. Je dois en même tems avertir que cette affertion fur la direction des marées dans le détroit de Magellan, eft abfolument contraire à ce que les autres Navigateurs difent y avoir obfervé à cet égard. Ce ne feroit pendu pas le cas s d'avoir chacun Lu avis. Au refte combien de fois n'avons-nous point regretté de ne pas avoir les Journaux de Narborough & de Beau- chefne, tels qu'ils font fortis de leurs mains , & d’être obli- gés de n’en confulter que des extraits défigurés : outre l’af- feétation des Auteurs de ces extraits à retrancher tout ce qui peut n'être qu’utile à la navigation, s'il leur échappe quelque détail qui y ait trait, l'ignorance des te:mes de l'art dont un marin eft obligé de fe fervir, leur fait pren- dre , pour des mots vicieux, des expreflions néceffaires &c confacrées, qu’ils remplacent par des abfurdités. Tout leur but eft de faire un ouvrage agréable aux femmelettes des deux fexes , & leur travail aboutit à compofer un livre en- nuyeux à tout le monde , 8 qui n’eft utile à perfonne. Maloré les difficultés que nous avons effuyées dans le paflage du détroit de Magellan, je confeillerai toujours de préférer cette route à celle du cap de Horn depuis Le mois de Septembre jufqu’à la fin de Mars. Pendant les autres Conclufion qu'on en tirés 174 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. mois de l’année, quand les nuits font de feize, dix-fept, & dix-huit heures, je prendrois le parti de pafler à mer ouverte. Le vent de bout & la groffe mer ne font pas des dangers , au lieu qu’il n’eft pas fage de fe mettre dans le cas de naviguer à tâton entre des terres. On fera fans doute retenu quelque tems dans le détroit, mais ce retard n’eft pas en pure perte. On y trouve en abondance de l’eau, du bois & des coquillages, quelquefois aufli de tres-bons poiflons ; & affurément je ne doute pas que le fcorbut ne fic plus de dégât dans un équipage qui feroit parvenu à la mer occidentale en doublant le cap de Horn que dans ce- lui qui y fera entré par le détroit de Magellan : lorfque nous en fortimes, nous n'avions perfonne fur les cadres. Fin de la premiere Parte, AUTOUR DU MONDE, DE oo ol En eee SECONDE PARTIE. Contenant depuis l'entrée dans la mer occidentale , JuU/qu'au retour en France. Et nos jam sertia portat Omnibus errantes terris & fluctibus æftas. Vire. Liv. L CHAPITRE PREMIER. Navigation depuis le détroit de Magellan jufqu’à l’arrivée à l'ile Taut ; découvertes qui la précedent. Lee RD aile EPUI1S notre entrée dans la mer occidentale, Janvier. 4 ° e Q après quelques jours de vents variables du 17° Direttion de Sud-Oueft au Nord-Oueft par POueft, nous la route en fortant du dé- eûmes promptement les vents de Sud & de "7 Sud-Sud-Eft. Je ne m'étois pas attendu à les trouver fi-tôt; les vents d'Oueft conduifent ordinairement jufque par les Obfervation fur le gifle- A ment des co- tes du Chili. 176 | VOYAGE 304, & j'avois réfolu d'aller à l’île Juan Fernandès, ns tâcher d’y faire de bonnes obfervations aftronomiques. Je voulois ainfi établir un point de départ afluré, pour tra= verfer cet Océan immenfe, dont l'étendue eft marquée différemment par les différens Navigateurs. La rencontre accélérée des vents de Sud & de Sud-Eft , me fitrenoncer à cette relâche , laquelle eût allongé mon chemin. Pendant les premiers jours je fis prendre du Oueft à la route autant qu'il fut poffible, tant pour m’élever dans le vent, que pour m'éloigner de la côte, dont le giffement n’eft point tracé fur les Cartes d’une façon certaine. Tou- tefois, comme les vents farent toujours alors de la partie du Oueft, nous euflions rencontré la terre , fi la Carte de Don Georges Juan & Don Antonio de Uiloa eût été jufte. Ces Officiers Efpagnols ont corrigé les anciennes Cartes de l'Amérique feptentrionale ; ils font courir la côte depuis le cap Corfe jufqu’au CAiloë Nord-Eft & Sud-Oueft, & cela d’après des conjeétures que fans doute ils ont cru fondées. Cette correétion heureufement en mérite une autre ; elle étoit peu confolante pour les Navigateurs qui, après avoir débouqué par le détroit , cherchent à revenir au Nord avec des vents conftamment variables du Sud- Oueft au Nord-Oueft par le Oueft. Le Chevalier Narbo- roug, après être forti du détroit de Magellan en 1669, {uivit la côte du Chili, furetant les anfes & les crevañes jufqu'à la riviere de Baldivia dans laquelle il entra ; il dit en propres termes, que la route depuis le cap Defiré juf- qu’à Baldivia, eft le Nord ; 4 Eft. Voilà qui eft plus für que Paffertion conjeéturale de Don Georges & de Don Antonio. Si d’ailleurs elle eût été véritable, la route que nous fümes obligés de faire nous auroit, comme je l'ai dit, conduit fur la terre, Lorfque = AUTOUR DU MoxpEe. (y Lorfque nous fûmes dans la mer Pacifique, je convins avec le Commandant de l'Etoile, qu’afin de découvrir un plus grand efpace de mers, il séloigneroit de moi dans Le Sud tous les matins à la diftance que le tems permettroit fans nous perdre de vüe, que le foir nous nous rallierions, & qu’alors il fe tiendroit dans nos eaux environ à une de- mi-lieue. Par ce moyen, fi la Boudeufe eût rencontré la nuit quelque danger fubit, l'Etoile étoit dans le cas de manœuvrer pour nous donner les fecours que les circon- ftances auroient comportés.. Cet ordre de marche a été fuivi pendant tout le voyage. Le 30 Janvier, un marelot tomba à la mer; nos efforts lui furent inutiles, & jamais nous ne pûmes le fauver : il ventoit grand frais & la mer étoit très-grofie. Je dirigeai ma route pour reconnoitre la terre que David, Flibuftier Anglois, vit en 1686, fur le parallele de 27 à 284 Sud, & qu'en 1722 Roggewin Hollandois chercha vaine- ment. J'en continuai la recherche jufqu’au 17 Février. J'a- vois paflé le 14 fur cette terre fuivant la carte de M. Bel- lin. Je ne voulus point pourfuivre la recherche de Pile de Päques, fa latitude n’étant point marquée d’une façon po- fitive. Plufeurs Géographes s'accordent à la placer par le parallele de 27 à 284 Sud ; M. Buache feul la met par le 31°. Toutefois dans la journée du 14, étant par 27d 7 de latitude obfervée & par 1041 1 2’ de longitude occidentale eftimée , nous vimes deux oifeaux aflez femblables à des équerrets, efpece qui ne s'éloigne pas ordinairement à plus de foixante ou quatre-vingts lieues de terre ; nous vi- mes aufli un paquet de ces herbes vertes qui s’attachent à la carène des navires, & ces rencontres me firent conti- nuer la même route jufqu’au 17. Je penfe au refte d’après Z Ordre de marche de la Boudeufe & de l'Etoile. Perte d'un matelot tom- bé à la mer. Terre de Da: vid cherchée inutilement. 1768. Février. incertitude fur la latitude de l’île de Pä- ques. Obfervations métcorologi- ques. Obfervations aftronomi- ques , cOMpa- rées avec l’ef- time de la route, 178 VOYAGE le récit de David, que la terre qu'il dit avoir vue , n’eft autre que les iles Sarnt-Ambroife & Saint-Felix , qui fontà deux cents lieues de la côte du Chili. Depuis Le 23 Février jufqu'au 3 Mars, nous eûmes avec des calmes & de la pluie des vents d'Oueft conftamment variables du Sud-Oueft au Nord-Oueft ; chaque jour un peu avant ou après midi nous avions à efluyer des grains accompagnés de tonnere. D'où nous venoit cette étrange nuaifon fous le Tropique & dans çet Océanrenommé, plus que toutes les autres mers, par Funiformité & la fraîcheur des vents alifés de l'Eft au Sud-Eft que lon dit y régner toute l'année ? Nous ferons plus d’une fois dans le cas de faire la même queftion. Dans le courant du mois de Février, M. Verron me com- muniqua quatre réfultats d'obfervations pour déterminer notre longitude. Les premieres rapportées au midi du6, ne différoient avec mon eftime que de 31’ dont j'étois à l’'Oueft de fon obfervé; les fecondes réduites au mididur r, différoient de ma longitude eftimée de 37/ 45" dont j'étois plus Eft que lui; par les troifiemes obfervations réduites au 22 à midi j'étois plus Oueft que lui de 42/30"; avois 14 25/ de différence occidentale avec la longitude déter- minée par les obfervations du 27. C’eft alors que nous éprouvions une fuite de calmes & de vents contraires. Le thermometre, jufqu’à ce que nous fuflions fous le parallele de 454, varia de $ à 84 au-deflus de la congellation; il monta enfuite fucceflivement ; & lorfque nous courûmes fur les paralleles de 27 à 24, il varioit de 17 à 194. 1 y eut fur la frégate, dès que nousfümes fortis du détroit, des maux de gorge prefque épidémiques. Commeon lesat- tribuoit aux eaux neigeufes du détroit, je fis mettre tous les <= + 9 né Le LU > et nca a ndeé 221 PREMIERE DIVISION ARCHIPEL | DANGEREUX Terres Basses et / Z : Noyeew, on à Le. 2 ancérs 144 AAA LA mn mn 4 LL LL TUE ET 14 LS AUTOUR DuUuCcM o « D E. 170 jours dans le charnier une pinte de vinaigre &desbotülets rouges. Heureufement ces maux de gorge céderent aux plus fimples remedes & à la fin de Février aucun homme n’étoit encore fur les cadres.Nous avions feulement quatre matelots tachés du fcorbut. On eut dans ce téms une pé- che abondante de bonites & de grandes oreilles ; pendant huit ou dix jours on en prit aflez pour en donner un repas aux deux équipages. Nous courûmes pendant le mois de Mars lé parallele des premieres terres &rîles font marquées fur la carte de M. Bellin fous le nom d’{/es de Quiros. Le 11 nous prie mes un ton, dans l’effomac duquel on trouva, non encore digérés, quelques petits peans dont les efpeces ne s’é- loignent) jamais des côtes. C'’étoit un indice du voifinage de quelques terres. Effeétivement le 32, à fx heures du matin, on eut en même téms smciuhee && de quatre îlots dans le Sud-Sud-Eft-;d-Eft & d’une petite île qui nous reftoit à quatre lieues dans l’'Oueft. Je nommaïles quatre flots les quatre Facard:ns ; & comme ils étoient trop au vent, je fis courir fur la petite île qui étoit devant nous, À mefure que nous l’approchâmes ; nous découvrimes qu'elle eft bordée d’une plage de fabletrès-unie,& que tout l'intérieur étoit couvert de boistouffus, au-deflus defquels s'élevoient les tiges fécondes des cocotiers. La mer brifoit aflez au large au Nord & au Sud, & une groffe lame qui battoittoute la côte de l'ER, nous aéfhdor l'accès de Pile dans cette partie. Cependantla verdure charmoit nosyeux, &z les cocotiers nous offroient par-tout leurs fruits &c leur ombre fur un gazon émaillé de fleurs ; des milliers d’oi- feaux voltigeoïent autour du rivage & fembloient annon- cer une côte poiflonneufe ; on foupiroit après la defcente. A Rencontre des premieres îles, 1768. Murs. Obfervation fur une de ces iles, Elleeft habi- tée malgré fa periteffe, 180 4 : © Wio Y a GE Nous érûmes qu’elle feroit plus facile dans la partie occi- dentale, & nous fuivimes la côte à la diftance d'environ deux milles. Par-tout nous vimes la mer brifer avec la même force, fans une feule anfe , fans la moindre crique qui püt fervir d’abri & rompre la lame. Perdant ainf toute efpérance de pouvoiry débarquer,à-moins d’un rifque évi. dent de brifer les bateaux, nous remettions le cap en route, lorfqu’on cria qu’on voyoit deux ou trois hommes accou- rir au bord de la mer. Nous n’euflions jamais penfé qu’une île auf petite püt être habitée, & ma premiere idée fut que fans doute quelques Européens y avoient fait naufrage. J’ordonnai aufli-tôt de mettre ez panne , déterminé à ten- ter tout pour les fauver. Ces hommes étoient rentrés dans le bois; bientôt après ils en fortirent au nombre de quinze ou vingt & s’avancerent à grands pas ; ils étoient nuds & portoient de fort longues piques qu'ils vinrent agiter vis-à- vis les vaifleaux avec des démonftraiions de menaces: après cette parade ils fe retirerent fous les arbres où on di- ftingua des cabanes avec les longues vues. Ces hommes nous parurent fort grands & d’une couleur bronzée. Qui me dira comment ils ont été tranfportés jufqu'ici, quelle communication les lie à la chaîne des autres êtres, & ce qu'ils deviennent en fe multipliant fur une île qui n’a pas plus d’une lieue de diametre ? Je l’ai nommée l'ile des Lan- ciers. Etant à moins d'une lieue dans le Nord-Eft de cette ile, je fs fignal à l'Etoile de fonder ; elle fila 200 brafles de ligne fans trouver de fond. Depuis ce jour nous diminuâmes de voiles dans la nuit, craignant de rencontrer tout d’un coup quelques-unes de ces terres baffes dont les approches font fi dangereufes. Nous fûmes obligés de re/fer en travers une partie de la nuit ” A UT © W:R& y MO N D E. 181 du 22 au 23, le tems s'étant mis à l'orage avec grand vent, de la pluie & du tonnere. Au point du jour nous vimes une terre quis'érendoit par rapport à nous depuis le Nord-Eft-quart-Nord jufqu’au Nord-Nord-Oueft. Nous courümes deflus, & à huit heures nous étions environ à trois lieues de fa pointe orientale. Alors quoiqu'il régnût une efpece de brume, nous apperçûmes des brifans lelong de cette côte qui paroïifloit très-bafle & couverte d’ar- bres. Nous revirâmes donc au large , en attendant qu'un ciel plus clair nous permit de nous rapprocher de la terre avec moins de rifque; c’eft ce que nous pûmes faire vers les dix heures. Parvenus à une lieue de file, nous la prolongeämes cherchant à découvrir un endroit propre au débarquement; nous n’avions pas de fond avec une ligne de 120 brafles. Une barre, fur laquelle la mer brifoit avec furie , bordoit toute la côte , & bien-tôt nous reconnümes que cette ile nétoit formée que par deux langues de terre fort étroites qui fe rejoignent dans la partie du Nord -Oueft, & qui laïflent une ouver- ture au Sud-Eft entre leur pointe. Le milieu de cette île eft ainfi occupé par la mer dans toute fa longueur qui et de dix à douze lieues Sud-Eft & Nord-Oueft ; enforte que la terre préfente une efpece de fer à cheval très-allongé , dont Pouverture eft au Sud-Eft. Les deux langues de terre ont fi peu de largeur, que nous appercevions la mer au-delà de celle du Nord. Elles ne paroiflent être compofées que par des dunes de fable entrecoupées de terreins bas dénués d’arbres & de ver- dure. Les dunes plus élevées font couvertes de cocotiers &c d’autres arbres plus petits & trés-touffus., Nous apper- çûmes après midi des pirogues qui naviguoient dans l'ef- Suite d’iles rencontrées. Defcriptioa de la plus grande de ces iles. Premiere di- viñon; archi- pel dangereux. 182 VoYAGeE pece de lac que cette île embrafle, les unes à la voile; les autres avec des pagayes. Les Sauvages qui les condui- {oient étoientnuds. Le foir nous vimes un affez grand nom- bre d’infulaires difperfés le long de la côte. Ils nous paru- rent avoir aufli à la main de ces longues lances dont nous menaçoient les habitans de la premiere ile ; nous n’avions encore trouvé aucun lieu où nos canots puflent aborder. Par-tout la mer écumoit avec une égale force. La nuit fufpendit nos recherches ; nous la paflâmes à /ouvoyerfous les huniers; & n'ayant découvert le 24 au matin aucun lieu d’abordage, nous pourfuivimes notre route & renon- câmes à cette ile inacceflible que je nommaï à caufe de fa forme, l’le de la Harpe. Au refte cette terre fi extraor- dinaire eft-elle naiffante, eft-elle en ruine? Comment eft- elle peuplée ? Ses habitans nous ont femblé grands & bien proportionnés. J’admire leur courage, s'ils vivent fans inquiétude fur ces bandes de fable qu'un ouragan peut d’un moment à l’autre enfevelir dans les eaux. Le même jour à cinq heures du foir on apperçut une nouvelle terre à la diftance de fept à huit lieues; l’incer- titude de fa pofition, le tems inconftant par grains & ora- ges, & l’obfcurité nous forcerent de pañler la nuit /ur Les bords. Le 25 au matin nous accoftâmes la terre que nous reconnûmes être encore une île très-bafle, laquelle s’é- tendoit du Sud-Eft au Nord-Oueft, dans une étendue d’en- viron vingt-quatre milles. Jufqu'au 27 nous continuâmes à naviguer au milieu d'iles bafles & en partie noyées, dont nous examinämes encore quatre , toutes de la même ñature, toutes inabordables , 8c qui ne méritoient pas que . nous perdiflions notre tems à les vifiter. Jai nommé 7u7- Chipel dangereux cet amas d'îles dont nous avons vu onze ? AUTOUR Du MonpEr. 183 & qui font probablement en plus grand nombre. La na- vigation eft extrêmement périlleufe au milieu de cesterres bafles , hériflées de brifans & femées d’écueils, où il con- vient d'ufer, la nuit furtout, des plus grandes précau- tions. Je me dérerminai à faire reprendre du Sud à la route, añn de fortir de ces parages dangereux. Effettivement dès le 28 nous ceffâmes de voir des terres. Quiros a le premier découvert en 1606 la partie méridionale de cette chaine d’iles qui s'étend fur l'Oueft-Nord-Oueit, & dans laquelle Amiral Roggevin s’eft trouvé engagé en 1722 vers le quinzieme parallele; il la nomma /e Laby- rinthe. Je ne fais au refte fur quel fondement s'appuient nos Géographes, lorfqu'ls tracent à la fuite de cesiles un commencement de côte vue, difentils, par Quiros, & auquel ils donnent foixante-dix lieues de continuité. Fout ce qu'on peut inférer du journal de ce navigateur, c’eff que la premiere terre à laquelle il aborda après fon départ du Pérou , avoit plus de huit lieues d’étendue. Mais, loin de la repréfenter comme une côte confidérable , il dit que les Sauvages qui l’habitoient, lui firent entendre qu'il trou- veroit de grandes terres fur fa route. S'il en exiftoit ici une confidérable , nous ne pouvions manquer de la rencon- trer, puifque la plus petite latitude à laquelle nous foyons jufqu'à préfent parvenus, a été 179 40’, latitude que Qui- ros obferva fur cette côte , dont il a plu aux Géographes de faire un grand pays. Je tombe d'accord que l’on conçoit difficilement un fi otand nombre d'iles bafles &z de tertes prefque noyées, fans fuppofer un continent qui en {oit voifin. Mais la Géo- graphie eftune fcience de faits; on n’y peut rien donner Erreur dans les Cartes de cette partie de la mer Pa- cifique. Obfervations . aftronomi- ques compa- rées avec l’ef- time de la route. Obfervations météorolosi- ques. Ufage avan- tageux de la poudre de li- monade & de l’eau de mer défalée. 184 V o'YMA "CE dans fon cabinet à l’efprit de fyftême, fans rifquer Les plus grandes erreurs qui fouvent enfuite ne fe corrigent qu'aux dépens des navigateurs. M. Verron dans le mois de Mars me donna trois obfer- vations de longitude. Les premieres faites avec l’oétant de M. Haldey , rapportées au 3 à midi, ne différoientavec mon eftime que de 21’ 30", dont j'étois plus Oueft que la longitude obfervée. Les fecondes faites avec le megametre & réduires au mididu 10, différoient confidérablementavec mon eftime, ma longitude eftimée étant plus occidentale de 346/ que l’obfervée ; au contraire par le réfultat des troi- fiemes obfervations faites le 27 avec l’oétant, mon eftime s’accordoit avec les obfervations à 39/15” près , dont il me faifoit plus Eft que les obfervations. On remarquera que depuis la fortie du détroit de Magellan, j'ai toujours {uivi la longitude de mon point de départ, fans y faire au- cune correction, ni me fervir des obfervations. Le thermometre dans ce mois a été conftamment de 19 à 204 même entre les terres. À la fin du mois nous avons eu cinq jours de vent d’Oueft avec des grains & des ora- ges qui fe fuccédoient prefque fans interruption. La pluie fut continuelle; aufi le fcorbut fe déclara-t.1l fur huit ou dix matelots. L’humidité eft un des principes les plus ac- tifs de cette maladie. On leur donnoit tous les jours à chacun une pinte de limonade faite avec la poudre de f4- cot , & nous avons eu dans ce voyage les plus grandes obligations à cette poudre. F’avois aufll commencé le 3 Mars à me fervir de la cucurbite de M. Poiflonnier, & nous avons continué jufqu'a la Vouvelle Bretagne à em- ployer l’eau ainfi défalée pour la foupe, la cuiflon de la viande & celle des légumes. Le fupplément d’eau qu'elle nous \ LUI RES 1 ri 47 A sn es a oo pe seerentepins po a p 2 2 LCR Se ee ES ERECANERERA TER l À { 2 at li pui émet pate iNt EUX ss Papara 3 È TAITI- A le Boudorr \. SAorl ë& Q. Avril Er SZECONDE DIVISION _ARCHIPEL DE BOURBON 258 Mars TL Belhn marque tune Longue Coute sur drguelle 0 2 AOL AUTTOTIS pause » 207 uen ET 100 {e | k : { | A U TO, UER) © U OM 0. N p E. 18% rous procuroit nous a été de la plus grande réflouree: dans! cette longue traverfée. On allumoit le feu à cinq heures . du foir , & on l'éteignoit à ‘cinq ou fix heures dumatin 8e chaque nuit nous faifions plus d’une barique d’eau. Au set pour ménager l’eau douce, nous avons bi ne pétri le: pais avec de l’eau falée. ro" “Le 2 Avril à dix heures du matin nous appercümes dañS Seconde di létNord-Nord-Eft une montagne haute & fort efcarpée 4. qui nous parut ifolée ; je la nommai Z Boudoir ou lé pic de’ de Bourbon. la Boudeufe. Nous courions au Nord pour la reconnoître ; lorfque nous eûmes la vue d’une autre terre dans lOuefts vac de Trait quart-Nord-Oueft, dont la côte non moins élevée offroit à nos yeux une étendue indéterminée. Nous avions Je plus urgent befoin d’une relâche qui nous procurât du bois &'des rafraîichiflemens, & on fe flattoit de les trouver fur cette terre. Il fit prefque calme tout le ‘jour. La brife fe leva le foir, & nous courûmes fur la terre jufqu’à deux heures du matin que nous remimes pendant trois heures le bord au large. Le foleil fe leva enveloppé de nuages & de brume ; & ce ne fut qu'à neuf heures du matin que nous revimes la terre dont la pointe méridionale nous reftoit à Oueft-quart Nord-Oueft ; on n’appercevoit plus le pie de la Boudeufe que du haut des mâts. Les vents fouffloient- du Nord au Nord-Nord-Eft, & nous tinmes le plus près DE attérer au vent de l'ile. En approchant nous apper- cûmes au-delà de fa pointe du Nord une autreterre éloi- prie plus féptentrionale encore , fans que nous puffions’ alors diftinguer fi elle tenoit à la premiére de où fi elle en formoit une feconde. 290 NE DD Pendant la nuit du 3 au 4 nous luvoyimes pour nous Manœuvres , pour y abor- élever dansle Nord. Des feux que nousivimes, avec joie, 4e Ÿ Aa Premier trafic avec les Infu- laires, 186 l VOYAGE briller de toutes parts {ur la côte, nous apprirent qu'elle étoit habitée. Le 4 au lever de l’aurore nous reconnümes que les deux terres qui la veille nous avoient paru fépa- rées, étoient unies enfemble par une terre plus bafle qui fe courboit en arc & formoit une baie ouverte au Nord- Eft. Nous courions à pleines voiles vers la terre préfen- tant au vent de cette baie, lorfque nous apperçümes une pirogue qui venoit du large & voguoit vers la côte, fe fer- vant de fa voile & de fes pagayes. Elle nous pafñfa de l’a- vant & fe joignit à une infinité d’autres qui de toutes les parties de l’île accouroient au-devant de nous. L’uned’elles précédoit les autres; elle étoit conduite par douzehommes nuds qui nous préfenterent des branches de bananiers, & leurs démonftrations atteftoient que c’étoit-là le rameau d'olivier. Nous leur répondimes par tous les fignes d’ami- tié dont nous pümes nous avifer; alors ils accofterent le navire, & l’un d'eux, remarquable par fon énorme cheve- jure hériflée en rayons, nous offrit avec fon rameau de paix un petit cochon & un récime de bananes. Nous ac- ceptâmes fon préfent qu’il attacha à une corde qu’on lui jetta; nous lui donnâmes des bonnets & des-mouchoirs, & ces premiers préfens furent le gage de notre alliance avec ce peuple. Bientôt plus de cent pirogues de de différentes. & toutes à balancier , environnerent les deux vaïfleaux. Elles étoient chargées de cocos, de bananes & d’autres fruits du pays. L'échange de ces fruits délicieux pour nous, contre toutes fortes de bagatelles, fe fit avec bonne-foi , mais fans qu'aucun des infulaires voulût monter à bord, 1l falloit entrer dans leurs pirogues ou montrer de loin les objets d'échange ; lorfqu’on étoit d'accord , on leur en- AUTOUR DU Morpbper 187 voyoit au bout d’une corde un panier ou un filet ; ils y mettoient leurs effets & nous les nôtres , donnant ou réce- vant indifféremment avant que d’avoir donné où recu! avec une bonne foi qui nous fit bien augurer de leur ca- raétere. D'ailleurs nous ne vimes aucune efpece d'armes dans leurs pirogues'où il n’y avoit point de femmes äcette premiere entrevue. Les pirogues refterent Le long des na: vires jufqu’à ce que les approches de la nuit nous firent re- virer au large ; toutes alors fe retirerent. Nous tâchâmes dans la nuit de nous élever au Nord, n’écartant jamais la terre de plus de trois lieues.” Tout le rivage fut jufqu’à près de minuit, ainfi qu'il l’avoit été la nuit précédente, garni de petits feux à peu de diftance les uns des autres : on et dit que c’étoit une illumination faite à deffein , & nous l’'accompagnâmes de plufieurs fufées ti- rées des deux vaifleaux. La journée du $ fe paffla à louvoyer , afin de gagner au vent de l'île, & à faire fonder par les bateaux pour trou- ver un mouillage. L’afpeét de cette côte élevée en am- phithéatre nous offroit le plus riant fpeétacle. Quoique les montagnes y foient d’une grande hauteur , le rocher n’y montre nulle part fon aride nudité : tout y eft couvert de bois. À peine en crûmes-nous nos yeux, lorfque nous dé- couvrimes un pic chargé d’arbres jufqu’à fa cime ifolée qui s'élevoit au niveau des montagnes dans l’intérieur de la partie méridionale de l’île. Il ne paroifloit pas avoir plus de trente toifes de diametre, & il diminuoit de groffeuren montant; on l’eût pris de loin pour une pyramide d’une hauteur immenfe que la main d’un décorateur habile au- roit parée de cuirlandes de feuillages. Les terreins moins élevés font entrecoupés de prairies & de hofquets, & Aaïl Defcription de la côte vae du large. Continuation . du trafic avec les Infulaires. St zxcnoMGWEErC dans toute l'étendue de la côte'il regne fur les back de la mer, au pied du pays haut ,.une.hfere de terre baffle & unie, couverte de plantations. C’eft-la,.qu'au miliewdes bananiers, des cocotiers & .d’auires arbres chargés de fruits, nous appercevions.les maïfons des infulaires. .. Comme nous prolongions la côte, nos yeux furent frap- pés .de la vue d’une belle, cafcade qui. s’élançoit du haut des montagnes & précipitoit à la mer fes eaux écumantes. Un village étoit bâti. au pied, & la côte ÿ paroïfloit fans brifans.. Nous defrions tous de pouvoir mouiller à portée de ce beau lieu ; fans cefle on fondoit des navires , & nos bateaux fondoient jufqu’à terre ; on ne trouva dans cette partie qu'un platier de roches, & il fallut fe réfoudre à chercher ailleurs un mouillage. Les pirogues étoient revenues au navire dès le lever du foleil, & toute la journée on fit des échanges. Il s'ouvrit même de nouvélles branches de commerce; outre les fuite de l’efpece de ceux apportés la veille, & quelques autres rafraichiflemens, tels que poules & pigeons, les infulaires apporterent avec eux toutes fortes d’inftrumens pour la pêche, des herminettes de pierre , des étoffes fingulieres L des coquilles, &c. Ils demandoient en échange du fer & des pendans d'oreilles. Les trocs fe firent comme la veille avec loyauté ; cette fois aufh il vint dans les pirogues quel- ques femmes jolies & prefque nues: A bord de l'Etoile il monta un infulaire qui y pafla la nuit, fans témoigner au- cune inquiétude. Nous lemployämes encore à Fo & le 6 au ma- tin nous étions parvenus à l'extrémité feptentrionale de l'ile, Une feconde s’ofrit à nous; mais la vue de plufieurs brifans, qui paroifloient défendre le pañlage entre les deux à A UtTEOYS R ADYUD dI.O N D E, 189 iles, me détermina à reveñir fur mes pas chercher un mouillage dans la premiere baie que nous avions vue le jour de notre atterrage. Nos canots qui fondoient en avant & en terre de nous, trouverent la côte du Nord de la baie bordée par-tout à un quart de lieue durivage d’un récif qui découvre à baffle mer. Cependant, à une lieue de la pointe du Nord, ils reconnurent dans le récif une coupure large de deux encablures au plus, dans laquelle il y avoit 30 à 35 brafles d’eau, & en-dedans une rade aflez vafte où Le fond varioit depuis o jufqu’à 30 brafles. Cette rade étoit bornée au Sud par un récif qui partant de terre, al- loit fe joindre à celui qui bordoit la côte. Nos canots avoient fondé par-tout fur un fond de fable, &ils avoient reconnu plufieurs petites rivieres commodes pour lai- guade. Sur le récif du côté du Nord il y a trois ilots. Ce rapport me décida à mouiller dans cette rade , & fur-le-champ nous fimes route pour y entrer. Nous ran- geàmes la pointe du récif de ftribord en entrant &, dès que nous fümes en-dedans, nous mouillèmes notre pre- miere ancre fur 34 brafles , fond de fable gris, coquillages &r gravier, & nous étendimes auflitôt une ancre à jet dans le Nord-Oueit pour y mouiller notre ancre d’affourche. L'Etoile paffa au vent à nous & mouilla dans le Nord à une encablure. Dès que nous fümes affourchés > NOUS amenèmes bañles vergues & mâts de hune. À mefure que nous avions approché la terre, les infu- laires avoient environné les navires. L’affluence des piro- gues fut fi grande autour des vaifleaux, que nous eûmes beaucoup de peine à nous amarrer au milieu de la foule & du bruit. Tous venoient en criant sayo , qui veut dire amet ; 6t en nous donnant mille témoignages d’amitié ; Mouilla ge à Titi, Embarras pour ainartef les navires. 190 V o!y4 6% tous demandoïent des clous & des pendans d'oreilles. Les pirogues étoient remplies de femmes qui ne le cedent pas pour l'agrément de la figure au plus grand nombre des Européennes, & qui, pour la beauté du corps, pourroient le difputer à toutes avec avantage. La plüpart de ces nym- phes étoient nues, car les hommes & les vieilles, qui les accompagnoient, leur avoient ôté la pagne dont ordinai- rement elles s’enveloppent. Elles nous firent d’abord, de leurs pirogues , des agaceries où, malgré leur naïveté, on découvroit quelque embarras; foit que la nature ait par- tout embelli le fexe d’une timidité ingénue, foit que, même dans les pays où regne encore la franchife de l’âge d’or, les femmes paroiflent ne pas vouloir ce qu’elles def- rent le plus. Les hommes, plus fimples ou plus libres, s'énoncerent bientôt clairement. Ils nous prefloient de choifir une femme, de la fuivre à terre, & leurs geftes non équivoques démontroient la maniere dont il fal- loit faire connoiflance avec elle. Je le demande ; com- ment retenir au travail, au milieu d’un fpeétacle pareil , quatre cents François, jeunes, marins, &c qui depuis fix mois n’avoient point vu de femmes ? Maloré toutes les pré- cautions que nous pümes prendre , il entra à bord une jeune fille qui vint fur le gaillard d’arriere fe placer à une des écoutilles qui font au-deflus du cabeftan ; cette écou- tille étoit ouverte pour donner de l'air à ceux qui viroient. La jeune fille laifla tomber négligemment une pagne qui la couvroit & parut aux yeux de tous, telle que Vénus fe fit voir au berger Phrygien. Elle en avoit la forme céleite. Matelots & foldats s'emprefloient pour parvenir à l’écou- tille, & jamais çabeftan ne fut viré avec une pareille ac- tivité. AUTOUR DU MoNbE. 191 Nos foins réuflirent cependant à contenir ces hommes enforcelés ,le moins difficile n'avoit pas été de parvenir à fe contenir foi-même. Un feul François, mon cuifinier , qui maloré les défenfes avoit trouvé le moyen de s'échapper, nous revint bientôt plus mort que vif. À peine eut-il mis pied à terre, avec la belle qu'il avoit choifie, qu'il fe vit entouré par une foule d’Indiens qui le deshabillerent dans un inftant, & le mirent nud de la tête aux pieds. Il fe crut perdu mille fois, ne fçachant où aboutiroient les exclama- tions de ce peuple, qui examinoit en tumulte toutes les parties de fon corps. Après l'avoir bien confidéré , ils lui rendirent fes habits, remirent dans fes poches tout ce qu'ils en avoient tiré, & firent approcher la fille en le preffant» de contenter les defirs qui l’avoient amené à terre avec elle. Ce fut en vain. Il fallut que les Infulaires ramenaffent à bord le pauvre cuifinier , qui me dit que j’aurois beau le reprimander, que je ne lui ferois jamais autant de peur quil venoit d'en avoir à terre, Defcente à terre. Vifite au chef du canton. 192 +? ax OWo YŒ CAE | GH AP TLRE. LE Séjour Fa l'ile Tai f détail du bien & du mal qui nous y arrivent. EX a vu les obftacles qu'ilavoit fallu vaincre pour par- venir à mouiller nosancres; lorfquenous fûmes amarrés, je defcendis àterre avec plufeurs Officiers, afin de reconnof- tre l’Aiguade. Nous y fümes reçus par une foule immenfe d'hommes & de femmes qui ne fe laffoient point de nous confidérer ; les plus hardis venoïent nous toucher, ils écar- toient même nos vêtemens, comme pour vérifier fi nous étions abfolument faits comme eux ; aucun ñe portoit d’ar- mes, pas même de bâtons. Ils ne favoient comment ex- primér leur jeie de nous recevoir. Le chef de ce canton nous conduifit dans fa maifon & nous y introduifit. Il y avoit dedans cinq ou fix femmes & un vieillard vénérable. Les femmes nous faluerent en portant la main fur la poi- trine, & criant plufieurs fois rayo. Le vieillard étoit pere de notre hôte. Il n’avoit du grand âge que ce caraétere refpeétable qu'impriént les ans fur une belle figure. Sa tête ornée de cheveux blancs & d’une longue barbe, tout fon corps nerveux & rempli, ne montroient aucune ride, aucun figne de décrépitude. Cet homme vénérable parut s’appercevoir à peine de notre arrivée ; 1l fe retira même fans répondre à nos carefles, fans témoigner ni frayeur , ni étonnement, ni curiofité ; fort éloigné de prendre part à l'efpece d’extafe que notre vüe caufoit à tout ce peuple, fon air rêveur &c foucieux , fembloit annoncer qu’il crai- gnoit se ces jours heureux, écoulés pour lui dansle fein du repos, AUTOUR Du°MonbeE. 193 repos, ne fuflent troublés par l’arrivée d’une nouvelle race. On nous laïifla la liberté de confidérer l'intérieur de la maifon. Elle n’avoit aucun meuble, aucun ornement qui la diftinguât des cafes ordinaires, que fa grandeur. Elle pou- _voit avoir quatre-vingts pieds de long fur vingt pieds de large. Nous y remarquâmes ün cylindre d’ofier, long de trois ou quatre pieds & garni de plumes noires, lequél étoit fufpendu autoit, & deux figures de bois que nous primes pour des idoles, L'une, c'étoit le Dieu, étoit de bout contre un des piliers : la Déeffe étoit vis-à-vis inclinée le long du mur, qu’elle furpafloit en hauteur, & attachée aux rofeaux qui le forment. Ces figures malfaites & fans proportions avoient environ trois pieds de haut , mais elles tenoient à un piedeftal cylindrique , vuidé dans l’inté- rieur, & fculpté à jour. Il étoit fait en forme de tour, & pouvoit-avoir fix à fept pieds de hauteur, fur environ un pied de diametre ; le tout étoit d’un boisnoir fort dur. Le chef nous propofa enfuite de nous affeoir fur l'herbe au-dehors de fa maifon, où il fit apporter des fruits, du poiflon grillé & de l’eau ; pendant le repas, il envoya cher- cher quelques pieces d'étoffes, & deux grands colliers faits d’ozier & recouverts de plumes noires &c de dents de requins. Leur forme ne reflemble pas mal à celle de ces fraifes immenfes qu’on portoit du tems de François I. Il en pañla un au col du Chevalier d’Oraifon, l'autre au mien ,. & diftribua les étoffes. Nous étions prêts à retour- ner à bord, lorfque le Chevalier de Suzannet s’apperçut qu'il lui manquoit un piftolet, qu'on avoit adroitement volé dans fa poche. Nous le fimes entendre au chef qui, fur le champ, voulut fouiller tous les gens qui nous envi. BD Defcription de fa mailon. Réception qu'il nous fait, Campement à terre projet- tè de notre part. Oppofition de la part des infulaires. 194 | - VOYAGE ronnoient ; il en maltraita même quelques-uns. Nous arré- tâmes fes recherches, en tächant feulement de lui faire comprendre que l’auteur du vol pourroit être la viétime de fa friponnerie, & que fon larcin lui donneroit la mort. Le chef & tout le peuple nous accompagnerent jufqu'à nos bateaux. Prêts à y arriver, nous fûmes arrêtés par un. infulaire d’une belle figure qui, couché fousun arbre, nous offrit de partager le gazon qui lui fervoit de fiége. Nous l’acceptâmes ; cet homme alors fe pencha vers nous, & d'un air tendre , aux accords d’une flûte dans laquelle un autre Indien fouffloit avec le nez, il nous chanta lentement une chanfon, fans doute anacréontique : fcènecharmante, & digne du pinceau de Boucher. Quatre infulaires vinrent avec confiance fouper & coucher à bord. Nous leur fimes entendre flûte, bafle, violon, & nous leur donnâmes un feu d'artifice compofé de fufées & de ferpentaux. Ce fpec- tacle leur caufa une furprife mêlée d’effroi. Le 7 au matin, le chef, dont le nom eft Æreni, vint à bord. Il nous apporta un cochon, des poules & le piftoler qui avoit été pris la veille chez lui. Cet aéte de juitice nous en donna bonne idée. Cependant nous fimes dans la ma- tinée toutes nos difpofitions pour defcendre à terre nos ma- lades & nos pieces à l’eau, & les y laifler en-établiffant une garde pour leur füreté. Je defcendis l’après-midi avec armes & bagages, & nous commençcâmes à dreffer le camp fur les bords d'une petite riviere oùnous: devions faire notre eau. Ereti vit la troupe fous les armes, &cles préparatifs du campement, fans paroïtre d’abord furprisni mécontent. Toutefois quelques heures après, il vint à moi accompagné de fon pere & des principaux du canton qui liavoient fait des repréfentations à cer égard, & me fit AUTOUR Du Moxopre. 195$ entendre que notre féjour à terre leur déplaifoit, que nous étions Les maitres d'y venir le jour tant quenous voudrions, mais qu’il falloit coucher la nuit à bord de nos vaiffeaux. J'infiftai far l'établiflement du camp, lui faifant compren- dre qu'il nous étoit néceflaire pour faire de l'eau , du bois, & rendre plus faciles les échanges entre les deux nations. Ïls tinrent alors un fecond confeil, à l'iflu duquel Ereti vint me demander fi nous refterionsicitoujours, ou fi nous comptions repartir, & dans quel tems. Je lui répondis que ñous mettrions à la voile dans dix-huit jours, en figne du- quel nombre je lui donnai dix-huit petites pierres ; fur cela, nouvelle conférence à laquelle on me fit appeller. Un homme grave, & qui paroïfloit avoir du poids dans le confeil , vouloit réduire à neuf les jours de notre campe- ment, j'infiftai pour le nombre que j'avois demandé, & enfin ils y confentirent. De ce moment la joie fe rétablit ; Ereti même nous offrit un hangard immenfe tout près de la riviere, fous le- quel étoient quelques pirogues qu'il en fit enlever fur le champ. Nous dreffämes dans ce hangard les tentes pour nos fcorbutiques , au nombre de trente-quatre, douze de la Boudeufe & vinot-deux de l'Etoile, & quelques autres néceflaires au fervice. La garde fut compofée de trente foldats, & je fis auffi defcendre des fufils pour armer les tibañletre & les malades. Je reftai à terre la premiere nuit , qu'Ereti voulut aufñ pafler dans nos tentes. Il fit ap- porter fon fouper qu’il joignit au nôtre, chaffa la foule qui entouroit le camp, & ne retint avec lui que cinq ou fix de fes amis. Après fouper, il demanda des fufées, & elles lui firent au-moins dutant de peur que de plaïfir. Sur la fin de la nuit, il envoya chercher une de fes femmes qu'il fit cou- ’ Bb Ils y confen- tent, & à quel- les condi- tions. Camp établi pour les ma- lades & les travailleurs. Précautions prifes : con- duite des infu- laires. Secours que nous en ti- rons, 196 3 : 6 MONA GE cher dans la tente de M. de Naffau. Elle étoit vieille & laide. La journée fuivante fe paffa à perfettionnernotre camp. Le hangard étoit bien fait & parfaitement couvert d’une efpece de natte. Nous n’y laiflâmes qu’une iflue à laquelle nous mimes une barriere & un corps-de-garde. Ereti, fes femmes & fes amis avoient feuls la permiflion d’entrer ; la foule fe tenoit en-dehors du hangard : un de nos gens, une baguette à la main, füuffifoit pour la faire écarter. C'’é- toit-là que les infulaires apportoient de toutes parts des fruits , des poules, des cochons , du poiffon & des piéces de toile qu’ils échangeoiïent contre des clous, des outils, des perles faufles , des boutons & mille autres bagatelles qui étoient des tréfors pour eux. Au refte ils examinoient attentivement ce qui pouvoit nous plaire ; ils virent que: nous cueillons des plantes antifcorbutiques & qu’on s’oc- cupoit auffi à chercher des coquilles. Les femmes & les enfans ne tarderent pas à nous apporter à l’envi des pa- quets des mêmes plantes qu'ils nous avoient vu ramañfler & des paniers remplis de coquilles de toutes les: efpeces.. On payoit leurs peines à peu de frais. Ce même jour je demandai au chef de m'indiquer du bois que je pufñle couper. Le pays bas où nous étions n’eft couvert que d'arbres fruitiers & d’une efpece de bois plein de gomme & de peu de confiftance; le boïs dur vient fur les montagnes. Ereti me marqua les arbres que je pouvois couper, & m'indiqua même de quel côté il les falloit faire tomber en les abattant. Au refte les infulaires nous aidoient beaucoup dans nos travaux ; nos ouvriers abattoient les arbres & les mettoient en buches que les. gens du pays tranfportoient aux bateaux ; ils aidoient de A UT OUR DUCM o N D €; 197 même à faire l’eau , empliffant les pieces & les conduifant aux chaloupes. On leur donnoit pour falaires des clous dont le nombre fe proportionnoit au travail qu'ils avoient fair. La feule gêne quon eut, c’eft qu'il falloit fans cefle avoir l'œil à tout ce qu'on apportoit à terre, à fes poches même ; caril n’y a point en Europe de plus adroits filoux que les gens de ce pays. Cependant il ne femble pas que le vol foit ordinaire en- treeux. Rienneferme dans leurs maïfons, tour y eft à terre ou fufpendu, fans ferrure ni gardiens. Sans doute la curiofité pour des objets nouveaux excitoit en eux de violens de- frs, & d’ailleurs il y a par-tout de la canaille. On avoit volé les deux premieres nuits, malgré les fentinelles & les patrouilles , auxquelles on avoit même Jjetté quelques pierres. Les voleurs fe cachoïent dans un marais couvert d'herbes & de rofeaux, qui s’étendoit derriere notre. camp. On le nettoya en partie, & j'ordonnai à l’Officier de garde de faire tirer fur les voleurs qui viendroient do- Précautions prifes contre le vol. rénavant. Ereti lui-même me dit de le faire, mais il eut - grand foin de montrer plufieurs fois où étoit.fa maifon, en recommandant bien de tirer du côté oppoié.. J'en- voyois aufli tous les foirs trois de nos bateaux armés de pierriers & d’efpingoles fe mouiller devant le camp. : Au vol près, tout fe pañloit de la maniere la plus amia- ble. Chaque jour nos gens fe promenoient dans le pays: fans armes, feuls ou par petites bandes. On les invitoit, à entrer dans les maïfons, on leur y donnoit à manger; mais ce n’eft pas à une collation légere que fe borne ici la civilité des maîtres de maïfons; ils leur offroient de jeunes filles; la cafe fe remplifloit à l’inftant d’une foule curieufe d'hommes & de femmes qui faifoient un cercle autour de Ufages fingu- liers du pays, Beauté de l'intérieur de l'ile. Préfens faits au chef, de volailles & de graines d'Eu- rope. 198 .ï VOYAGE l'hôte & de la jeune vitime du devoir hofpitalier ; laterre: {e jonchoit de feuillage & de fleurs, & des muficienschan- toient aux accords de la flûte une hymne de jouiflances Vénus eft ici la déefle de l’hofpitalité, fon culte n’y admet point de myfteres , & chaque jouiflance eft une fêre pour la nation. Ils étoient furpris de l'embarras qu'on témoi- onoit ; nos mœurs ont profcrit cette publicité. Toute- fois je ne garantirois pas qu'aucun n’ait vaincu fa répu- ‘gnance & ne fe foit conformé aux ufages du pays. J'ai plufieurs fois été, moi fecond ou troifieme, me pro- mener dans l’intérieur. Je me croyois tranfporté dans le jardin d’Eden ; nous parcourions une plaine de gazon , couverte de beaux arbres fruitiers & coupée de petites rivieres qui entretiennent une fraicheur délicieufe, fans aucun des inconvéniens qu’entraine l'humidité. Un peu- ple nombreux y jouit des tréfors que la nature verfe à pleines mains fur lui. Nous trouvions des troupes d'hom- mes & de femmes aflifes à l'ombre des vergers;tous nous faluoient avec amitié ; ceux que nous rencontrions dans les chemins, fe rangeoient à côté pour nous laïfler pañler; par=tout nous voyions régner l’hofpitalité , le repos, une joie douce & toutes les apparences du bonheur. | Je fis préfent au chef du canton où nous étions d’un couple de dindes & de canards mâles & femelles ;' c'étoit le denier de la veuve. Je lui propofai aufi de faire un jar din à notre maniere & d'y femer différentes graines, pro- pofition qui fut reçue avec joie. En peu de tems Ereti fit préparer & entourer de palifflades le terrein qu'avoient choïfi nos jardiniers. Je le fis bêcher; ils admiroient nos outils de jardinage. Ils ont bien auffi autour de leurs maï- fons des efpeces de potagers garnis de giraumons , de pa- | r AUTOUR DU MoKE. 199 tates, d'ignames & d’autres racines. Nous leur avons femé du bled ,.de l'orge , de l'avoine , du riz, du maïs, des oi- gnons & des graines potageres de toute efpecé. Nous avons lieu de croire que ces plantations feront bien foi- gnées; car ce peuple nous a paru aimer l’agriculture, & je crois qu'on laccoutumeroit facilement à tirer parti du {ol le plus fertile de l’univers. Les premiers jours de notre arrivée j'eus la vifite du chef d’un canton voifin, qui vint à bord'avec un préfent de fruits, de cochons, de poules & d’étoffes. Ce Seigneur, nommé Zouraa, eft d'une belle figure & d’une taille ex- traordinaire. Il étoit accompagné de quelques-uns de fes parens, prefque tous hommes de fix pieds. Je leur fis pré. fent de clous, d'outils, de perles faufles & d’étoffes de foie. Il fallut lui rendre fa vifite chez lui; nous fûmes bien accueillis, & l’honnête Toutaa m'offrit une de fes femmes fort jeune & aflez jolie. L’affemblée étoit nombreufe, & les mufñciens avoient déja entonné les chants de l’hime- née. Telle eft la maniere de recevoir les vifites de céré- monie. Le ro il y eut un infulaire tué, &t les gens du paysvin- rent fe plaindre de ce meurtre. J'envoyai à la maifon où avoit été porté le cadavre ; on vit effeétivement que Fhomme avoit été tué d’un coup de feu. Cependant on ne laifloit fortir aucun de nos gens, avec des armes à feu, ni des vaifieaux ni de l’enceinte du camp. Je fis fans fuc- cès les plus exaétes perquifitions pour connoïtre l’auteur de cet infame affaffinat. Les infulaires crurent fans doute que leur compatriote avoit eu tort; car ils continuerent à venir à notre quartier avec leur confiance accoutumée. On merapporta cependant qu’on avoit vu beaucoup de Vifite du chef d’un can- ton voifin. Meurtre d’un infulaire. Perte de nos ancres ; dan- gers que nous courons. Détails des manœuvres qui nous fau- vent. 200 ® YVoyac’er gens emporter leurs effets à la montagne , & que mêmela maifon d'Ereti étoit toute démeublée. Je lui fis de nou- veaux préfens, & ce bon chef continua à noustémoigner la plus fincere amitié. Cependant je preflois nos travaux de tous les genres ; car, encore que cette relàche fût excellente pour nos be foins, je favois que nous étions mal mouillés. En effet, quoique nos cables , pomoyés prefque tous les jours, n’euflent pas encore paru rayés , nous avions découvert que le fond étoit femé de gros corail, & d’ailleurs, en cas d’un grand vent du large, nous n’avions pas de chaffe. La néceflité avoit forcé de prendre ce mouillage fans aous laifler la liberté du choix, & bientôt nous eûmes la preuve que nos inquiétudes n’étoient que trop fondées. Le 12 à cinq heures du matin, les vents étant venus au Sud , notre cable du Sud-Eft & le grêlin d’une ancre à jet, que nous avions par précaution allongée dans l’Eft-Sud- Ett, furent coupés fur le fond. Nous mouillämes aufli-tôt notre grande ancre ; mais, avant qu'elle eût pris fond, la frégate vint à l'appel de l’ancre du Nord-Oueft, & nous tombàmes fur l'Etoile que nous abordâmes à bas-bord. Nous virâmes fur notre ancre, & l'Etoile fila rapidement, de maniere que nous fümes féparés avant que d’avoir fouf- fert aucune avarie. La flûte nous envoya alors le bout d’un grêlin qu’elle avoit allongé dans l'Ef, ur lequel nous virèmes pour nous écarter d'elle davantage. Nousrelevä- mes enfuite notre grande ancre & rembarquèmes le gré- lin & le cable coupés fur le fond. Celui-ci l’avoit été à 3a brafles de l’entalingure ; nous le changeâmes hout pour bout & l'entalinguâmes fur une ancre de rechange de deux mille fept cents que l'Etoile avoit dans fa cale &rque nous A U TO U À :DIUUM. oO N D FE 201 nous envoyämes chercher. Notre ancre du Sud-Eft mouil- lée fans orin à caufe du grand fond, étoit perdue, & nous tichâmes inutilement de fauver l'ancre ajet dont la bouée avoit coulé & qu'il fut impofñhble de draguer. Nous guin. dâmes aufli-tôt notre petit mât de hune & la vergue de mizaine , afin de pouvoir appareiller dès que le vent le permettroit. L’après-midi il calma & paffa à l'Eft. Nous allongeâmes alors dans le Sud-Eft une ancre à jet & l’ancre recue de l'Etoile , & j'envoyai un bateau fonder dans le Nord, afin de favoir s'il n’y auroit pas un paflage ; ce qui nous eût mis à portée de fortir prefque de tout vent. Un malheur n'arrive jamais feul : comme nous étions tous occupés d’un travail auquel étoit attaché notre falut, on vint m'avertir qu'il y avoit eu trois infulaires tués ou bleffés dans leurs cafes à coups de bayonettes , que l'alarme étoit répandue dans le pays, que les vieillards , les femmes & les enfans fuyoient vers les montagnes emportant leurs bagages & jufqu'aux cadavres des morts, & que peut-être allions- nous avoir fur les bras une armée de ces hommes furieux. Telle étoit donc notre poftion de craindre la guerre à terre au même inftant où les deux navires étoient dans le cas d’y être jettés. Je defcendis au camp, & en préfence du chef je fis mettre aux fers quatre foldats foupçonnés d’être les auteurs du forfait ; ce procédé parut les con- tenter. Je pañlai une partie de la nuit à terre, où je renforcai les gardes, dans la crainte que les infulaires ne vouluflent venger leurs compatriotes, Nous occupions un pofte excel- lententre deux rivieres diftantes l’une de l’autre d’un quart de lieue au plus ; le front du camp étoit couvert par Mers Autre meur- tre detroisin- fulaires, Précautions prifes contre les fuites qu'il pouyoitavoir. Continuation du danger que courent les vaifleaux, 202 . VOYAGE un marais, le refte étoit la mer dont aflurément nous étions les maîtres. Nous avions beau jeu pour défendre ce pofte contre toutes les forces de l'ile réunies ; mais heu- reufement, à quelques alertes près occafionnées par des filoux , la nuit fut tranquille au camp. Ce n’étoit pas de ce côté où mes inquiétudes étoient les plus vives. La crainte de perdre les vaifleaux à la côte nous donnoit des alarmes infiniment plus cruelles. Des dix heures du foir les vents avoient beaucoup fraïichi de la partie de l’Eft avec une grofle houle , de la pluie, des orages & toutes les apparences funeftes qui augmentent l'horreur de ces lugubres fituations. Vers deux heures du matin il pañla un grain qui chafloit les vaifleaux en côte: je me rendis à bord, le grain heureufement ne dura pas ; & dès qu’il fut pañlé, le vent vint de terre. L’aurore nous amena de nouveaux malheurs; notre cable du Nord-Oueft fut coupé; le grêlin, que nousavoit cédé Etoile & quinous tenoit fur fon ancre à jet, eut le même fort peu d’'inftans après; la frégate alors venant à l’appel de l’ancre & du grêlin du Sud-Eft, ne fe trouvoit pas à une enclablure de la côte où la mer brifoit avec fureur. Plus le péril deve- noit inftant , plus les reffources diminuoient ; les deux an- cres, dont les cables venoient d’être coupés , étoient per. dues pour nous; leurs bouées avoient difparu , foit qu'elles euffent coulé, foit que les Indiens les euflent enlevées dans la nuit. C’étoient déja quatre ancres de moins depuis vingt-quatre heures, & cependantil nous reftoit encore des pertes à efluyer. À dix heures du matin le cable neuf, que nous avions entalingué fur l'ancre de deux mille fept cents de l'Etoile, laquelle nous tenoit dans le Sud-Eft, fut coupé, & la fré- GA UT OUR D UM O N D €. 203 gate défendue par un feul grêlin, commenca à chaffer en côte. Nous mouillâmes fous barbe notre grande ancre, la feule qui nous reftât en mouillage ; mais de quel fecours nous pouvoit-elle être? Nous étions fi près des brifans, que nous aurions été deflus avant que d’avoir aflez filé de cabie pour que l’ancre pût bien prendre fond. Nous atten- dions à chaque inftant le trifte dénouement de cette aven- ture , lorfqu’une brife de Sud-Oueft nous donna l’efpérance de pouvoir appareïller. Nos focas furent bientôt hiflés ; le vaifleau commençoit à prendre de l'air & nous travaillions à faire de la voile pour filer cable & grélin & mettre de- hors, mais les vents revinrent prefque auflitôt à l'Eft. Cet intervalle nous avoit toujours donné le tems de recevoir à bord le bout du grêlin de la feconde ancre à jet de l'E- toile qu'elle venoit d’allonger dans PEft & qui nous fauva pour le moment. Nous virâmes fur les deux grêlins & nous nous relevâmes un peu de la côte. Nousenvoyâmes alors notre chaloupe à l'Etoile pour l'aider à s’amarrer {o- lidement ; fes ancres étoient heureufement mouillées fur un fond moins perdu de corail que celui fur lequel étoient tombées les nôtres. Lorfque cette opération fut faite, notre chaloupe alla lever par fon orin l'ancre de deux mille fept cents; nous entalinguèmes deflus un autre cable & nous l’allongeimes dans le Nord-Eft ; nous relevâmes enfuite l'ancre à jet de l'Etoile que nous lui rendimes. Dans ces deux jours M. de la Giraudais, Commandant de cette flûte, a eu la plus grande part au falut de la frégate par les fecours qu'il m’a donnés; c’eft avec plaifir que je paye ce tribut de reconnoiflance à cet Officier déja mon com- pagnon dans mes autres voyages, & dontle zele égale les talens. Ceci Paix faite avec les Infu- laires. 204 RANTO YA GE ” Cependant lorfque le jour étoit venu, aucun Indien ne s’étoit approché du camp , on n’avoit vu naviguer aucune pirogue, on avoittrouvé les maifons voifines abandonnées, tout le pays paroïfloit un defert. Le Prince de Naffau , le- quel avec quatre ou cinq hommes feulement s’étoit éloi- gné davantage , dans le deffein de rencontrer quelques in- fulaires & de les raflurer, en trouva un grand nombre avec Ereti environ à une lieue du camp. Dès que ce chef eut reconnu M. de Naflau, il vint à lui d’un air coniterné. Les femmes éplorées fe jetterent à fes genoux, elles lui Appareillage de l'Etoile. baifoient les mains en pleurant & répétant plufeurs fois : Tayo , maté, vous êtes nos amis & vous nous tuez. À force de carefles & d’amitié il parvint à les ramener. Je vis du bord une foule de peuple accourir au quartier: des poules, des cocos, des régimes de bananes embellifloient la mar- che & promettoient la paix. Je defcendis aufli-tôt avec un afortiment d’étofles de foie & des outils de toute ef- pece ; je les diftribuai aux chefs , en leur témoignant ma douleur du defaftre arrivé la veille & les aflurant qu'il fe- roit puni. Les bons infulaires me comblerent de carefles , le peuple applaudit à la réunion, & en peu de temsla foule ordinaire & les filoux revinrent à notre quartier qui ne reflembloit pas mal à une foire. Ils apporterent ce jour & le fuivant plus de rafraichiflemens que jamais. Ilsdemande- rent aufli qu’on tirât devant eux quelques coups de fufil ; ce qui leur fit grand peur, tous pes animaux tirés LE été tués roides. Le canot que j'avois envoyé pour reconnoître le côté du Nord, étoit revenu avec la bonne nouvelle qu'il y avoit trouvé un très-beau pañlage. Il étoit alors trop tard pour en profiter ce même jour; la nuit s’avançoit. Heu- AuUTour pu Mons. 20$ reufement elle fut tranquille à terre & à la mer. Le 14 au matin , les vents étant à l’'Ef, j’ordonnai à l'Etoile, qui avoit fon eau faite & tout fon monde à bord, d’appareiller & defortir par la nouvelle pañle du Nord. Nous ne pouvions mettre à la voile par cette pafle qu'après la flûte mouillée au Nord de nous. À onze heures elle appareilla fur une haufliere portée fur nous, je gardai fa chaloupe & fes deux petites ancres ; je pris aufli à bord, dès qu'elle fut fous voiles, le bout du cable de {on ancre du Sud-Eft mouillée en bon fond. Nous levämes alors notre grande ancre , allongeâmes les deux ancres à jet, & par ce moyen nous reftâmes fur deux grofles ancres & trois petites. A deux heures après midi nous eûmes la fatisfaétion de dé- couvrir l'Etoile en-dehors de tous les récifs. Notre fitua- tion dès ce moment devenoit moins terrible; nous ve- nions au-moins de nous aflurer le retour dans notre patrie, en mettant un de nos navires à l'abri des accidens. Lorfque M. de la Giraudais futau large , il me renvoya fon canot avec M. Lavari Leroi qui avoit été chargé de reconnoitre la pañle. Nous travaillâmes tout le jour & une partie de la nuit à finir notre eau , à déblayer l'hôpital & le camp. J’enfouis près du hangard un aéte de prife de poffeffion infcrite fur une planche de chêne avec une bouteille bien fermée & luttée contenant les noms des Officiers des deux navires. fai fuivi cette même méthode pour toutes les terres dé- couvertes dans le cours de ce voyage. Il étoit deux heures du matin avant que tout fût à bord ; la nuit fut aflez ora- eufe pour nous caufer encore de l'inquiétude, malgré la quantité d’ancres que nous avions à la mer. Le 15 a fix heures du matin, les vents étant de terre & Infcription enfouie, Appareillage de la Boudeu- fe ; nouveau 1 , danger qu'el- le court. Départ de 206 VOYAGE le ciel à l'orage, nous levâmes notre ancre, filâmes le cable de celle de l'Etoile, coupâmes un des grêlins & f- lâmes les deux autres appareillant fous la mizaine & les deux huniers pour fortir par la pafle de l'Eft. Nous laïiflà- mes les deux chaloupes pour lever les ancres ; & dès que nous fûmes dehors, j'envoyai les deux canots armés aux ordres du Chevalier de Suzannet , Enfeigne de la marine, pour protéger le travail des chaloupes. Nous étions à un quart de lieue au large &r nous commencions à nous féli- citer d’être heureufement fortis d’un mouillage qui nous avoit caufé de fi vives inquiétudes, lorfque, le vent ayant ceflé tout d’un coup , la marée & une groffe lame de l’'Eft commencerent à nous entrainer fur les récifs fous le vent de la pañle. Le pis-aller des naufrages qui nous avoient menacés jufqu'ici, avoit été de pañler nos jours dans une ile embellie de tousles dons de la nature ,& de changerles douceurs de notre patrie contre une vie païfible & exempte de foins. Mais ici le naufrage fe préfentoit fous un afpeétplus cruel; le vaifleau porté rapidement fur les récifs, n’y eût pas réfifté deux minutes à la violence dela mer, & quel- ques-uns des meilleurs nageurs euflent à peine fauvé leur vie. J’avois dès le premier inftant du danger rappellé canots & chaloupes pour nous remorquer. Ils arriverent au moment où, n'étant pas à plus de cinquante toifes du récif, notre fituation paroifloit défefpérée, d’autant qu'il n'y avoit pas à mouiller. Une brife de l’Oueft, qui s'éleva dans le même inftant , nous rendit l’efpérance : en effetelle fraîchit peu-à-peu , & à neuf heures du matin nous étions abfolument hors de danger. Je renvoyai fur-le-champ les bateaux àla recherche des Taii ; perte ancres, & je reftai à louvoyer pour les attendre. L’après- Let AUTOS HuYM:O.N DE. 207 midi nous rejoignimes l'Etoile. À cinq heures du foir notre chaloupe arrivaayant à bord la groffe ancre & le cable de’ l'Etoile qu’elle lui porta: notre canot, celui de l'Etoile & fa chaloupe revinrent peu de tems après ; celle-ci nous rap- portoit notre ancre à jet&un grélin. Quant aux deux autres ancres à jet, l'approche de la nuit & la fatigue extrême des matelots ne permirent pas deles lever ce même jour. Fa- vois d'abord compté m’entretenir la nuit furles bords &cles envoyer chercher le lendemain; mais à minuit il fe leva un grand frais de l'Eft-Nord-Eft, qui me contraignit à embar- querles bateaux & à faire de la voile pour metirer de deflus la côte. Ainfi un mouillage de neuf jours nous a coûté fix ancres, perte que nous n’aurions pas efluyée, fi nous euf- fions été munis de quelques chaînes de fer. C’eft une pré- caution que ne doivent jamais oublier tous les navigateurs deftinés à de pareils voyages. Maintenant que les navires font en fureté, arrêtons- nous un inftant pour recevoir les adieux des infulaires. Dès l'aube du jour lorfqu'ils s’'apperçurent que nous met- tions à la voile, Ereti avoit fauté feul dans la premiere pi- rogue qu'il avoit trouvée fur le rivage, & s'éroit rendu à bord. En y arrivant il nous embrafla tous , il nous tenoit quelques inftans entre fes bras verfant des larmes & pa- roïffant très-affeété de notre départ. Peu de tems après, fa grande pirogue vint à bord chargée de rafraîchifflemens de toute efpece ; fes femmes étoient dedans & avec elles ce même infulaire qui le premier jour de notre atterrage étoit venu s'établir à bord de l'Etoile. Ereti fut le prendre par la main, & il me le préfenta en me faifant entendre que cet homme dont le nom eft Aotourou | vouloit nous fuivre , & me priant d’y confentir. Il le préfenta enfuite à que nous y avons ef- fuyées. Regret des infulaires à notre départ. L'un d'eux s'embarque avec nous, à {a demande & à celle de fa na- tion, 208 VOYAGE tous les Officiers chacun en particulier , difant que c’étoit fon ami quil confioit à fes amis, & il nous le recomman- da avec les plus grandes marques d'intérêt. On fit encore à Ereti des préfens de toute efpece , après quoi il prit con- gé de nous & fut rejoindre fes femmes, lefquelles ne cefle- rent de pleurer tout le tems que la pirogue fur le long du bord. Il y avoit aufli dedans une jeune & jolie fille que l'infulaire qui venoit avec nous fut embrafler. Il lui don- na trois perles qu'il avoit à fes oreilles, la baïfa encore une fois; & malgré les larmes de cette jeune époufe ou amante, il s'arracha de fes bras & remonta dans le vaif- feau. Nous quittimes ainfi ce bon peuple, & je ne fus pas moins furpris du chagrin que leur caufoit notre dé- part, que je l’avois été de leur confiance affeétueufe à notre arrivée, ’ (4 TS \ nu NX N 1 Ye RS = / RTE TENTE E CHAPITRE AUTOUR DU Moxwxpber, 209 CHA PI TRE LIT Defcription de lanouvelle ile, mœurs & caraëtere de fes habitans. Lucis habitamus opacis, Riparumque toros & prata recentia rivis Incolimus. Virgil. Liv. VI. Li: à laquelle on avoit d’abord donné le nom de rou- velle Cythere , reçoit de {es habitans celui de Zaër. Sa lati- tude à notre camp a été conclue de plufeurs hauteurs mé- ridiennes du foleil obfervées à terre avec un quart de cercle. Sa poftion en longitude a été déterminée par onze obfervations de la lune, felon la méthode des angles horai- res. M. Verron en avoit fait beaucoup d’autres à terre pendant quatre jours & quatre nuits pout déterminer cette même longitude ; mais le cahier , où elles étoient écrites , lui ayant été enlevé, il ne lui eft refté que les dernieres obfervations faites la veille de notre départ. IL croit leur réfultat moyen aflez exaét, quoique ieurs extrêmes dif. ferent entre eux de 7 à 84. La perte de nos ancres & tous les accidens que j'ai détaillés ci-deflus , nous ont fait aban- donner cette relâche beaucoup plürôt que nous ne nous y étions attendus, & nous ont mis dans limpoñlbilité d’en vifiter les côtes. La partie du Sud nous eft abfolument inconnue, celle que nous avons parcourue depuis la pointe du Sud-Eft jufqu’à celle du Nord-Oueft, me paroît, avoir quinze à vingt lieues d’étendue , & le giflement de fes Pofition gé0- graphique de Taiti, principales pointes eft entre le Nord-Oueft & l'Oueft- | Nord-Oueft. Entre la pointe du Sud-Eft & un autre Oro Cap qui s’a- vance dans le Nord, à fept ou huit lieues de celle-ci, on D d Mouillage meilleur que celui où nous étions, Afpe& du pays, . 2106 Vo x ' A GE voit une baïe ouverte au Nord-Eft, laquelle a trois où quatre lieues de profondeur. Ses côtes s’abaiflent infen- fiblement jufqu’ au fond de la baie où elles ont peu d’é- lévation & paroiflent former le canton le plus beau de l'île & le plus habité. Il femble qu’on trouveroit aifément plufieurs bons mouillages dans cette baie. Le hazard nous fervit mal dans la rencontre du nôtre. En entrant ici par la pañle par laquelle eft fortie l'Etoile, M. de la Girau- dais m’a afluré qu'entre les deux iles les plus feptentrio- uales , il y avoit un mouillage fort für pour trente vaif- feaux au-moins depuis 23 jufqu’à 12 & 10 brafles, fond de fable gris vazeux, qu'il y avoit une lieue d'évitage & jamais de mer. Le refte de la côte eft élevé & elle femble en général être toute bordée par un récif inégalement couvert d’eau & qui forme en quelques endroits de petits lots fur lefquels les infulaires entretiennent des feux pen- dant la nuit pour la pêche & la fureté de leur navigation; quelques coupures donnent de diftance en diftance l’en- trée en-dedans du récif; mais ik faut fe méfier du fond. Le plomb n’amene jamais que du fable gris ; ce fable re- couvre de grofles mafles d’un corail dur & tranchant, ça- pable de couper un cable dans une nuit, ainf que nous l’a appris une funefte expérience. Au-delà de la pointe feptentrionale de cette baie, la côte ne forme aucune anfe , aucun cap remarquable. La pointe la plus occidentale eft terminée par une terre bafle, dans le Nord-Oueit de laquelle ,environ à une lieue de diftance, on voit une île peu élevée qui s’étend deux'ou trois lieues fur le Nord-Oueft. La hauteur des montagnes, qui occupent tout l'intérieur de Taiti, eft furprenante, eu égard à l'étendue de l'ile, AUTOUR DUCMo ND E. 211 Loin d’en rendre l’afpetttrifte & fauvage, elles fervent à l'embellir en variant à chaque pas les points de vue &pré- fentant derichespayfages couverts des plus riches produc- tions de la naturé, avec ce defordre dont l'art ne fut ja- mais imiter l'agrément. De-là fortent une infinité de pe- tites rivieres qui fertilifent le pays & ne fervent pas moins à la commodité des habitans qu’à l’ornement des campa- gnes. Tout le plat pays, depuis les bords de la mer juf- qu'aux montagnes , eft confacré aux arbres fruitiers , {ous lefquels, comme je l’ai déja dit, font bâties les maïfons des Taitiens, difperfées fans aucun ordre & fans former jamais de village; on croit être dans les champs élifées. Des fentiers publics, pratiqués avec intelligence & {oi- gneufement entretenus, rendent par-tout les communica- tions faciles. Les principales produétions de l’ile font le cocos, la ba- nane, le fruit à pain, ligname, le curaflol, le giraumon & plufeurs autres racines & fruits particuliers au pays, beaucoup de cannes à fucre qu’on ne cultive point, une efpece d'indigo fauvage, une très-belle teinture rouge & une jaune, jignore d'où on lestire. En général M. de Commerçon ya trouvé la botanique des Indes. Aotourou, pendant qu'il a été avec nous , a reconnu & nommé plu- fieurs de nos fruits & de nos légumes, ainf qu'un aflez grand nombre de plantes que les curieux cultivent dans les ferres chaudes. Le bois propre à travailler croit dans les montagnes, & les infulaires en font peu d’ufage. Is ne lemployent que pour leurs grandes pirogues, qu'ils con- ftruifent de bois de cedre. Nous leur avons aufhi vu des piques d’un bois noir, dur & pefant, qui reflemble au bois de fer. Ils fe fervent pour bâtir les pirogues ordinaires de D di Ses produc- tions. line paroit pas qu'il y ait de mines. Il y a de bel- les perles. Animaux du pays. 212 Vo%rx GE l'arbre qui porte le fruit à pain. C’eft un bois qui ne fend point, mais il eft fi mol & fi plein de gomme , qu'il ne fait que fe mâcher fous l'outil. Au refte , quoique cette île foit remplie de très-hautes montagnes , la quantité d'arbres & de plantes dont elles font par-tout couvertes, ne femble pas annoncer que leur fein renferme des mines. Il eft du-moins certain que les infulaires ne connoiflent point les métaux. Ils donnent à tous ceux que nous leur avons montrés, Île même nom d'aouri, dont ils fe fervoient pour nous demander dufer. Mais cette connoifflance du fer, d’où leur vient-elle? Je dirai bientôt ce que je penfe à cet égard. Je ne connois ici qu'un feul article de commerce riche, ce font de très- belles perles. Les principaux en font porter aux oreilles à leurs femmes & à leurs enfans ; mais ils les ont tenu ca- chées pendant notre féjour chez eux. Ils font avec les écailles de ces huitres perlieres des efpeces de caftagnettes qui font un de leurs inftrumens de danfe. Nous n'avons vu d’autres quadrupedes que des co- chons, des chiens d’une efpece petite, maisjolie, & des rats en grande quantité. Les habitans ont des poules do- meftiques abfolument femblables aux nôtres. Nous avons auf vu des tourterelles vertes charmantes , : de gros pi- geons d'un beau plumagebleu de roi & d’un trèsbon goût, & des peruches fort petites, maïs fort fingulieres par le mélange de bleu & de rouge qui colorie leurs plumes. Ils ne nourriflent leurs cochons & leurs volailles qu'avec des bananes. Entre ce qui en a été confommé dans le féjour à terre & ce qui a été embarqué dans les deux navires, on atroqué plus de huit cents têtes de volailles & près de cent-Cinquante cochons; encore , fans les travaux inquié- ALUXT (ONE -B ADYUO6 MNT ON DE. 213 tans des dernieres journées ; en auroit-on eu beaucoup da- vantage ; car les habitans en apportoient de ; Jour en jour un plus grand nombre. Nous n'avons pas: éprouvé de grandes chaleurs dans Obfervations cetteile: Pendant notre féjour le thermometre de Réau- sun) mur n’a jamais monté à plus de 224, & il a:été quelque- fois à 184. Le foleil ; il eft vrai, étoit déja à 8 ou od de l'autre côté de l'équateur. Mais un avantage ineftimable de cette île,-c’eft de n’y pas être infefté par cette lésion odieufe d'infeétes qui font lefupplice des pays fitués entre Boni ducli. les tropiques ; noûs ny avons alanon plus aucun animal Hu venimeux. D'ailleurs le climat eft fi fain ,que malgré les travaux forcés que nous yjavons faits , quoique nos gens y fuffent continuell ement dans: l’eau.& au grand {oleil, qu'ils couchaflent fur le fol nud & à la belle étoile, pérfonne n’y eft tombé:malade. Les fcorbutiques qué nous y avions dé- barqués 8 qui n’y ont:pas eu uñe feule nuit tranquille, ÿ ont-repris des forces & s’y fontrétablis en aufli peu de tems -au point que,quelques-uns :ont été depuis parfaite- ment gueris à bord. :, Au refte 4 fanté & la force des in- fulaires qui habitent dés maifons ouvertes à tous les:vents &' couvrent à,peine de quelques feuillages la: terre qui leur.fert de lit, lheureufel vieilleffe à laquelle :ils parvien- nent fans aucune incommodité , la finefle dé-tous'leurs fens & la-beauté finguliere de leurs.-dents qu'ils confer- vent dans le plus! grand âge, quelles meilleures preuves.& de la falubrité de l'air & de Le bonté du Sim que fetes lesthabitans Dali mb +oiob + | vb Les végétaux. &c le rte re principale nourriture; Quelle eft ils mangentrarement de la viande;,les enfans: & les jeunes pa noue filles n'enmangent jamais; | &.ce résime-fans doute con: I ya dans l'ile deux ra- ces d'hom- mes. Détails fur quelques-uns de leurs ufa- ges. dt 214 VOYAGE tribue beaucoup à les tenir'exempts de prefque toutes nos maladies. J'en dirois autant de leurs boiflons ; ils n’en cons noiflent d'autre que l’eau: l'odeur feule du vin & de l’eau= de-vie leur donnoit de la répugnance ; ils en témoignoïent aufh pour le tabac, les épiceries & en général pour toutes les chofes fortes. Le peuple de Taiti eft compoié de deux races d’hom- mes très-différentes , qui cependant ont la même langue, les mêmes mœurs & qui paroïflent fe méler:enfemble fans diftinétion. La premiere ; & c’eft la plas nombreufe , pro- duit des hommes de la plus grande taille : il eft ordinaire d’en voir de fix pieds & plus. Je n’ai jamais rencontré d'hommes mieux faits ni mieux proportionnés; pour pein- dre Hercule & Mars, on ne trouveroit nulle part d’auffi beaux modeles. Rien ne diftingue leurs traits de ceux des Européens ; & s'ils étoient vêtus, s'ils vivoient moins à l'air & au grand foleil , ils feroient aufi blancs que nous, En général leurs cheveux font noirs. La feconde race eft d’une taille médiocre, a les cheveux crépus & durs com- me ducrin, fa couleur & fes traits different peu de ceux des mulâtres. Le Taitien, qui s’eft embarqué avec nous, eft de cette feconde race, quoique fon pere foit chefd’ün canton ; mais il poffede en Te ce qui Jui manqué du côté de la beauté. ei Les uns &les autres fe laiflént croître la partieinférieure de la barbe ; mais ils ont tous les mouftaches & le haut des joues rafés, Ils laiffent auffi touteleur longueur aux ongles , excepté à celui du doigt du milieu dé la main droite. Quelques-uns fe coupent les cheveux très-coùrts, d’autres les laiffent croître & les portent attachés für le fommet de la tête. Tous ont l'habitude de fe les oïndre ;, AUTOMHSÆDyYUOMONODE. 21$ ain que la batbe, avec. de l'huile de cocos. Je‘n’ai-rencon- tré qu’un feul homme eftropié & qui paroitloie l’avoit été FE une chûte. Nôtre a major m'a vaine an il vois be toutes des si et bobles pour que nous.ne ie communicafhions pas autre, ne un fuppofer qu'ils enfuflent attaqués. - - On voit fouvent les T'aitiens nuds,, fans autre vêtement qu'une ceinture qui lewr-couvre les-patttes naturelles. Ce- pendant les principaux s’enveloppent ordinairement. dans une grande piece d’étoffe qu'ils latlent. tomber jufqu’aux genoux. C’eft auffi-là le feul habillement des femmes, & elles favent larranger avec aflez d'art pour rendre ce fim- ple guftement fufceprible de coquetterie. Comme les Tai. tiennes ne vont jamais au foleil fans être couvertes, & qu'un petit chapeau de cannes, garni de fleurs, défend leur vifage de fes rayons, elles font beaucoup plus blan- ches que les hommes, Elles ont les traits aflez délicats ; mais ce quiles diftingue, c’eft la beauté de leurs corps dont les contours n’ontpoint été défigurés par 15 ansde toiture. Au refte , tandis qu'en Europe les femmes, fe peignent en ronge les joues, celles de Taiti fe peignent d’un bleu foncé led reins cles fefles; c’eft une-parure &c en même tems. une | maique de difnétion. Les hommes font fou- mis à la même mode. Je ne fais comment ils s'impriment ces traits ineffaçables ; je penfe que c'eft en piquant-la peau & y verfant le fuc de certaines-herbes, ainf que je lai vu pratiquer aux indigenes du Canada. Îl eft à remar- quer que de tout tems, oma trouvé cette peinture àla mode chez les peuples voifins encore de l’état de-nature. Quand Céfar fit fa premiere defcente en Angleterre, il y trouva Leurs vête- mens. Ufage de fe piquer la peau. Police inté- rieure. 216 V: oUYCA GK O T U'A établi cetufage de fe peindre ; omnes vero Britannt fe viro inficiunt | quod cœruleum efficit colorem. Le favant & ingé- nieux Auteur des recherches philofophiques fur les Amé- ricains. donné pour caufe à cet ufage général le befoin où on eft dans les pays incultes de fe garantir ainfi de la pi- quure des infeétes cauftiques qui s’y multiplient au-delà de limagination. Cette caufe n’exifte point àTaiti,puifque, comme nous l’avons dit plus haut, on y eft exempt de ces infe&es infupportables. L’ufage de fe peindre y eft donc une mode comme à Paris. Un autre ufage de Titi, com- mun aux hommes & aux femmes, c’eft de fe percer les oreilles & d'y porter des perles ou des fleurs de toute ef pece. La plus grande propreté embellit encore ce peuple aimable. Ils fe baignent fans cefle & jamais ils ne mangent ni ne boivent fans fe laver avant & après. Le caraétere de la nation nous a paru être doux & bien- faifant. Il ne femble pas qu'il y ait dans l’île aucune guerre civile, aucune haine particuliere , quoique le pays foit di- vifé en petits cantons qui ont chacun leur Seigneurindé- pendant. Îl'eft probable que les T'aitiens pratiquent entre eux une bonne foi dont ils ne doutent point. Qu'ils foient chez eux ou non, jour ou nuit, les maïfons fontouvertes: Chacun cueille les fruits fur Le premier arbre qu'il rencon- tre, en prend dans la maifon où il entre. Il paroïtroit que pour les chofes , abfolument néceffaires à la vie, äl n’y a point de propriété & que tout eft à tous. Vis-à-vis de nous ils étoient filoux habiles, mais d’une timidité qui les fai- {oït fuir à la moindre menace. Au refte on.a vu que les chefs n'approuvoient pointices vols, qu'ils nous prefloient au/ contraire detuer’ ceux qui les commettoient: Eretice: pendant n’ufoit point ‘de: cette févérité qu'il nous recom: mandoit. A U MO RD iv 4MFO NX D FE. 217 mandoit. Lui dénoncions-nous quelque voleur , il le pour- fuiyoit lui-même à toutes jambes; l'homme fuyoit, & s’il étoit joint, ce qui arrivoit ordinairement, car Ereti étoit infatigable à la courfe, quelques-coups de baton & une reftitution forcée étoient le feul châtiment du coupable. Je ne croyois pas même qu'ils connuffent de punition plus forte , attendu que quand ils voyoient mettre quelqu'un de nos gens aux fers, ils en témoignoient une peine fenfi- ble; mais j'ai fu depuis, à n’en pas douter, qu'ils ont l’u- fage de pendre les voleurs à des arbres , ainfi qu’on le | pra- tique dans nos armées. À Ils font prefque toujours en guerre avec les habitans des iles voifines. Nous avons vu les grandes pirogues qui leur fervent pour les defcentes & même pour des combats de mer. Ils ont pour armes l’arc, la fronde , & une efpece de pique d’un bois fort dur. La guerre fe fait chez eux d’une maniere cruelle. Suivant ce que nous a appris Aotourou, ils tuent les hommes & les enfans mâles pris dans les com- bats ; ils leur levent la peau du menton avec la barbe, qu’ils portent comme un trophée de viétoire ; ils confer- vent feulement les femmes & les filles, que les vainqueurs ne dédaignent pas d'admettre dans ieur lit ; Aotourou lui- même eft le fils d’un chef Taitien & d’une captive de l’ile de Oopoa, ile voifine, & fouvent ennemie de T'aiti. J'at- tribue à ce mélange la différence que nous avons remat- quée dans l’efpece des hommes. Jignore au refte com- ment ils panfent leurs bleflures : nos Chirurgiens en ont admiré les cicatrices. J’expoferai à la fin de ce chapitre ce que j'ai pu entre- voir fur la forme de leur gouvernement, fur l'étendue du pouvoir qu'ont leurs petits fouverains, fur l’efpece de dif- Ee Ils font en guerre avec les iles voifi- nes. Ufage impor- tant. 218 VOYAGE tinétion qui exifte entre les principaux & le peuple, furle lien enfin qui réunit enfemble , & fous la même autorité, cette multitude d'hommes robuftes qui ont fi peu de be- foins. Je remarquerai feulement ici que dans les circonf- tances délicates , le Seigneur du canton ne décide point fans l'avis d’un confeil. On a vu qu'il avoit fallu une délibé- - ration des principaux de la nation , lorfqu'il s’étoit agi de Pratique au fujet des morts. Superftition des infulaires, l'établiffement de notre camp à terre. J’ajouterai que le chef paroït être obéi fans réplique par tout le monde, & que les notables ont aufli des gens qui les fervent, & fur lefquels ils ont de l'autorité. Il eft fort difficile de donner des éclaircifflemens fur leur religion. Nous avons vu chez eux des ftatues de bois que nous avons prifes pour des idoles ; mais quel culte leur ren- dent-ils? La feule cérémonie religieufe dont nous ayons été témoins regarde les morts. Ils en confervent long- tems les cadavres étendus fur une efpece d'échafaud que couvre un hangard. L’infeétion qu'ils répandent n'empêche pas les femmes d’aller pleurer auprès du corps une partie du jour, & d’oindre d'huile de cocos les froides reliques de leur affeétion. Celles dont nous étions connus, nous ont laïflé quelquefois approcher de ce lieu confacré aux mâ- nes : Emoë, 1l dort, nous difoientelles. Lorfqu'l ne refte plus que lesqueletres, on les tranfporte dans la maïfon, & j'ignore combien de tems on les y conferve. Je fcais {eulement, parce que je l'ai vu, qu'alors un homme confi- déré dans la nation vient y exercer fon miniftere facré, & que dans ces lugubres cérémonies, il porte des ornemens aflez recherchés. Nous avons fait fur fa religion beaucoup de queftions à Aotourou , & nous ayons cru comprendre qu’en général A UTIONUMRS D'U OM 0 NX D €. 219 fes compatriotes font fort fuperfhitieux, que les Prêtres ont chez eux la plus redoutable autorité, qu’indépendam- ment d’un être fupérieur, nommé Ær1-t-Era, le Roi du So- lil ou de la Lumiere, être qu'ils ne repréfentent par aucu- ne image matérielle, ils admettent plufeurs divinités, les unes bienfaifantes, les autres malfaifantes ; que le nom de ces divinités ou génies eft Earoua, qu'ils attachent à cha- que aétion importante de la vie un bon & un mauvais gé- nie, lefquels y préfident & décident du fuccès ou du mal- heur. Ce que nous avons compris avec certitude , c'eft que, quand la lune préfente un certain afpeét qu'ils nomment Malama Tamai, Lune en état de guerre, afpeët qui ne nous a pas montré de caractere diftinétif qui puifle nous fervir à le définir, ils facrifient des viétimes humaines. De tous leurs ufages, un de ceux qui me furprend le plus, c’eft l'habitude qu'ils ont de faluer ceux qui éternuent, en leur difant, Ævaroua-t-eatoua , que le bon eatoua te reveille, ou bien que le mauvais eatoua ne 'endorme pas. Voïlà des tra- ces d’une origine commune avec les nations de l’ancien continent. Au refte, c’eft fur-tout en traitant de la reli- gion des peuples , que le fcepticifme eft raifonnable, puif- qu'il n’y a point de matiere dans laquelle il foit plus Le de prendre la lueur pour l’évidence. La poligamie paroït générale chez eux, du-moins par- mi les principaux. Comme leur feule pañlion eft l'amour, le grand nombre des femmes eft le feul luxe des riches. Les enfans partagent également les foins du pere & de la mere. Ce n’eft pas l’ufage à T'airi que les hommes, unique- ment occupés de la pêche & de la guerre, laiffent au fexe le plus foible, les travaux pénibles du ménage & de la cul- ture. [ci une douce oifiveté eft le partage des femmes, & Ee y Pluralité des femmes. Caraûtere des infulaires. 220 VOYAGE le foin de plaire leur plus férieufe occupation. Je ne {çau- rois aflurer fi le mariage eft un engagement civil ou con- facré par la religion, s’il eft indifloluble ou fujet au divorce. Quoi qu'il en foit, les femmes doivent à leurs maris une foumiflion entiere : elles laveroient dans leur fang une in- fidélité commife fans l’'aveu de l'époux. Son confenrement, il eft vrai, n’eft pas difficile à obtenir , & la jaloufie eit ici un fentiment fi étranger, que le mari eft ordinairement le premier à prefler fa femme de {e livrer. Une fille n’éprouve à cet égard aucune gêne ; tout l'invite à fuivre le penchant de fon cœur ou la loi de fes fens, & les applaudiflemens publics honorent fa défaite. Il ne femble pas que le grand nombre d’amans paflagers qu’elle peut avoir eu, lempé- che de trouver enfuite un mari. Pourquoi donc réfifteroit- elle à l'influence du climat, à la féduétion de l'exemple ? L'air qu'on refpire , les chants, la danfe prefque toujours accompagnée de poftures lafcives , tout rappelle à chaque inftant les douceurs de l'amour , tout crie de s’y livrer. Ils danfent au fon d’une efpece de tambour , & lorfqu'ils chan- tent, ils accompagnent la voix avec une flûte très-douce à trois ou à quatre trous, dans laquelle, comme nous l'avons déjà dit, ils foufflent avec le nez. Ils ont aufli une efpece de lutte qui eft en même tems exercice & jeu. Cette habitude de vivre continuellement dans le plaï- fr, donne aux Taitiens un penchant marqué pour cette douce plaifanterie fille du repos & de la joie. Îls en con- traétent aufli dans le caraétere une légereté dont nous étions tous les jours étonnés. Tout les frappe, rien ne les occupe ; au milieu des objets nouveaux que nous leur pré- fentions, nous n'avons jamais réufh à fixer deux minutes de fuite l'attention d'aucun d'eux. Il femble que la moin- f RS Æ ——— Ç 7720 Pa [e OS CU Carnot de Liste Tu a la l'oule. À UT O UE D'UOYMO N D E. 221 dre réflexion leur foit un travail infupportable, & qu'ils fuient encore plus les fatigues de l’efprit que celle du Corps. Je ne les accuferai cependañt pas de manquer d’intelli- gence. Leur adrefle & leur induftrie, dans le peu d’ou- vrages néceflaires dont ne fçauroient les difpenfer l’abon- dance du pays & la beauté du climat, démentiroient ce témoignage. On eft étonné de Part avec lequel font faits les inftrumens pour la pêche ; leurs hameçons font de na- cre auf délicatement travaillée que s'ils avoient le fecours de nos outils ; leurs filets font abfolument femblables aux nôtres, & tiflus avec du fil de pite. Nous avons admiré Ja charpente de leurs vaftes maïfons , & la difpoftion des feuilles de latanier qui en font la couverture. Ils ont deux efpeces de pirogues ; les unes petites & peu travaillées , font faites d’un feul tronc d'arbre creufé ; les autres beaucoup plus grandes, font travaillées avec art. Un arbre creufé fait, comme aux premieres , le fond de. la pirogue depuis l'avant jufqu’aux deux tiers environ de fa longueur ;un fecond forme la partie de l'arriere qui eft cour- be & fort relevée: de forte que l'extrémité de la pouppe fe trouve à cinq ou fix pieds au-deflus de l’eau ;ces deux pieces font aflemblées bout-à-bout en arc de cercle, & comme, pour affurer cet écart ils n'ont pasle fecours des clous , ils percent en plufieurs endroits l'extrémité des deux pieces, & ils y paffent des trefles de fl de cocos, dontils font de fortes lieures. Les côtés de la pirogue font relevés par deux bordages d'environ un pis de largeur, coufus fur le fond & l’un avec l’autre par des lieures femblables aux précé- dentes. Ils rempliflent les coutures de fil de cocos, fans mettre aucun enduit fur ce calefatage. Une planche qui Détails fur quelques-uns de leurs ou- vrages. Conftruétion de leurs ba- teaux. 222 Vio w'4,ctE couvre l'avant de la pirogue, & qui a cinq ou fix pieds de faillie, l'empêche de fe plonger entiérement dans l’eau, lorfque la mer eft grofle. Pour rendre ces légeres barques moins fujettes à chavirer , ils mettent un balancier fur un des côtés. Ce n’eft autre chofe qu’une piece de bois affez longue, portée fur deux traverfes de quatre à cinq pieds de long , dont l’autre bout eft amarré fur la pirogue. Lorf- qu’elie eft à la voile, une planche s'étend en dehors de l’autre côté du balancier. Son ufage eft pour y amarrer un cordage qui foutient le mât, & de rendre la pirogue moins volage, en plaçant au bout de la planche un homme ouun poids. Leur induftrie paroït davantage dans le moyen dont ils ufent pour rendre ces bâtimens propres à les tranfporter aux îles voifines, avec lefquelles ils communiquent, fans avoir dans cette navigation d’autres guides que les étoiles. Ils lient enfemble deux grandes pirogues côté à côté, à qua- tre pieds environ de diftance, par le moyen de quelques traverfes fortement amarrées fur les deux bords. Par-deflus l'arriere de ces deux bâtimens ainf joints, ils pofent un. pavillon d’une charpente très-légere, couvert par un toit de rofeaux. Cette chambre les met à l'abri de la pluie & du foleil, & leur fournit en même tems un lieu propre à tenir leurs provifions feches. Ces doubles pirogues font capables de contenir un grand nombre de perfonnes , & ne rifquent jamais de chavirer. Ce font celles dont nous avons toujours vü les chefs fe fervir ; elles vont ainfi que les pirogues fimples à la rame & à la voile : les voiles font compofées de nattes étendues fur un quarré de rofeaux, dont un des angles eft arrondi. | Les Taitiens n’ont d'autre outil pour tous ces ouvrages, A U T O WR p UOM o x D Er. 223 qu'une herminette, dont le tranchant eft fait avec une pierrenoire très-dure. Elle eft abfolament de la même for- me que celle de nos charpentiers, & ils s’en fervent avec beaucoup d’adrefle. Ils emploient , pour percer les bois, des morceaux de coquilles fort aigus. La fabrique des étoffes fingulieres , qui Compofent leurs vêremens, n'eit pas le moindre:de leurs arts. Elles font tiflues avec l'écorce d’un arbufte que tous les habitans cul- tivent autour de leurs maifons. Un morceau de bois dur , équarri & rayé fur fes quatre-faces par des traits de diffé- rentes grofleurs , leur fert à battre cette écorce fur une planche très-unie. Ils y jettent un peu d'eau en la battane, & ils parviennent ainfi à former une étoffe très-égale & très-fine, de la nature du papier, mais beaucoup plus fou- ple ; & moins fujette à être déchirée. ls lui donnent une grande largeur. Ils en ont de plufeurs fortes , plusou moins Free ,: mais'toutes. fabriquées avec la même matiere ; Jignore la méthode dontils feferventpour les teindre, Je terminerai ce chapitre en me juftifiant, car on m'o- blige à me fervir de ce terme, en me juftifant, dise, d’avoir profité de la bonne volonté d’Aotourou pour lui faire faire an voyage qu'aflurément il ne crovoit pas de- voir être aufli long, & en rendant compte des connoïffan- ces qu'il m'a données fur fon pays pendant le féjour qu'il a fait avec moi. Le zele de cet filaire pour nous fuivre n'a pas: été équivoque: Dés les premiers jours de notre arrivée à Fairi 1] nous l’a manifefté de la maniere:la plus expreflive, & fa nation parut applaudir à fon projer. Forcés de parcou- Tir une mer inconnue ; & certains de ne devoir déformais qu'à l'humanité des peuples que nous allions découvrir, Leurs étoffes. Détail fur le Taitien ame- né en France. Raifons pour lefquelles on l'a amené. Son féjour à Paris. 224 Vio x cite les fecours & les rafraichiflemens dont notre vie dépens doit , il nous étoit eflentiel d’avoir avec nous un homme d’une des iles les plus confidérables de cette mer. Ne de- vions-nous pas préfumer qu'il parloit la même langue que {es voifins, que fes mœurs étoient les mêmes, & que fon crédit auprès d'eux feroit décifif en notre faveur, quänd il détailleroit & notre conduite avec fes compatriotes & nos procédés à fon égard? D'ailleurs en fuppofant que notre patrie voulût profiter de l'union d’un peuple puif fant fitué au milieu des plus belles contrées de l'Univers, quel gage pour cimenter l'alliance que l’éternelle obliga- tion dont nous allions enchaïîner ce peuple en lui ren- voyant fon concitoyen bien traité par nous & enrichi de connoïflances utiles qu’il leur porteroit. Dieu veuille que le befoin & le zele qui nous ont infpirés , ne foient pas fu- neftes au courageux Aotouroul! Je n'ai épargné ni l’argent ni les foins pour lui rendre fon féjour à Paris agréable & utile. Il y eft refté onze mois, pendant lefquels il n’a témoigné aucun ennui. L’empreffe_ ment pour le voir a été vif, curiofité ftérile qui n’a fervi prefque qu’à donner des idées faufles à des hommes per- fifleurs par état, qui ne font jamais fortis de la capitale, qui n’approfondiffent rien, & qui, livrés à des erreurs de toute efpece, ne voyent que d’aprèsleurs préjugés & décident ce- pendantavec févérité & fans appel. Comment, par exem- ple, me difoient quelques-uns , dans le pays de cet hom- me on ne parle ni François ni Anglois ni Efpagnol ? Que pouvois-je répondre ? Ce n'étoit pas toutefois l’éronne- ment d'une queftion pareille qui me rendoit muet. Jy étois accoutumé, puifque je favois qu’à mon arrivée plu- fieurs, de ceux même qui pañlent pour initruits, {oute- noient AUTOUR DU MonpbeE. 225 nojent que je n’avois pas fait le tour du monde, puifque je navois pas été en Chine. D’autres, ariftarques tran- chans, prenoient & répandoient une fort mince idée du pauvre infulaire, fur ce qu'après un féjour de deux ans avec des François, il parloit à peine quelques mots de la langue. Ne voyons-nous pas tous les jours, difoient-ils, des Italiens, des Anglois, des Allemands, auxquels un fe- jour d’un an à Paris faffit pour apprendre le François? J'au- rois pu répondre peut-être avec quelque fondement, qu'in- dépendamment de l’obftacle phyfque que l'organe de cet infulaire apportoit à ce qu'il pût fe rendre notre langue familiere ,| obftacle qui fera détaillé plus bas, cet homme avoit au-moins 30 ans, que Jamais fa mémoire n’avoit été exercée par aucune étude, ni fon efprit aflujetti à aucun travail ; qu'à la vérité un Italien , un Anglois, un Allemand pouvoient en un an jargonner paflablement le François; mais que ces étrangers avoient une grammaire pareille à la nôtre, des idées morales, phyfiques , politiques, fociales , les mêmes que les nôtres & toutes exprimées par des mots dans leur langue , comme elles le font dans la langue Françoife ; qu’ainfi ils n’avoient qu’une traduétion à con- fier à leur mémoire exercée dès l'enfance. Le Taitien au contraire n'ayant que le petit nombre d'idées relatives d’une part à la fociété la plus fimple & la plus bornée , de l’autre à des befoins réduits au plus petit nombre pofli- ble, auroit eu à créer, pour ainf dire, dans un efprit auffi parefleux que fon corps, un monde d'idées premieres , avant que de pouvoir parvenir à leur adapter les mots de notre langue qui les expriment. Voilà peut-être ce que j'aurois pu répondre; mais ce détail demandoit quelques minutes, & j'ai prefque toujours remarqué, qu’accablé de Son départ de Paris. Moyens pris pour le ren- voyer chez lui, 226 q n M ouvYcA G'E queftions Comme je l'étois, quand je me difpofois àry fa- tisfaire , les perfonnes qui m'en avoient honoré , étoient déja loin de moi. C’eft qu'il eft fort commun dans les ca- pitales de trouver des gens qui queftionnent non en cu- rieux qui veulent s’inftruire , mais en juges qui s'apprêtent à prononcer : alors qu'ils entendent la réponfe ou ne l'en- tendent point , ils n’en prononcent pas moins. Cependant, quoique Actourou eftropiät à peine quel- ques mots de notre langue , tous les jours il fortoit feul, il parcouroit la ville, & jamais il ne s’eft égaré. Souvent il faifoit des emplettes, & prefque jamais il na payé les chofes au-delà de leur valeur. Le feul de nos fpeétacles qui lui plüt, étoit l'opéra; car il aimoit paflionnément la danfe. Il connoïfloit parfaitement les jours de ce fpeéta- cle ; il y alloit feul, payoit à la porte comme tout le monde, & fa place favorite étoit dans les corridors. Parmile grand nombre de perfonnes qui ont defiré le voir, il a toujours remarqué ceux qui lui ont fait du bien, & fon cœur re- connoïflant ne les oublioit pas. Il étoit particulierement attaché à Madame la Duchefle de Choifeul qui la com- blé de bienfaits & fur-tout de marques d'intérêt & d’a- mitié, auxquelles il étoit infiniment plus fenfble qu'aux préfens. Aufh alloit-il de lui-même voir cette généreufe bienfaitrice toutes les fois qu'il favoit qu’elle étroit à Paris. Ilen eft parti au mois de Mars 1770, &cil a été s'em- barquer à la Rochelle fur le navire Le Briffon, qui a dû le tranfporter à l’ile de France. Il a été confié pendant cette traverfée aux foins d’un négociant qui s'eft embarqué fur Temême bâtiment dont il eft armateur ‘en partie. Le Mi- niftere a ordonné au Gouverneur & à l'Intendant-de File AUTOUR DU MonNDE 227 de France de renvoyer de-la Aotourou dans fon île. J'ai donné un Mémoire fort détaillé fur la route à faire pour s’y rendre, & trente-fix mille francs ( c’eft Le tiers de mon bien) pour armer le navire deftiné à cette navigation. Madame la Duchefle de Choïfeul a porté l'humanité juf- qu'à confacrer une fomme d’argent pour tranfporter à T'aiti un grand nombre d'outils de néceflité premiere, des graines, des beftiaux , & le Roi d'Efpagne a daigné permettre que ce bâtiment, s’il étoit néceflaire, rélâchât aux Phihippi- nes. Puifle Aotourou revoir bientôt fes compatriotes! Je vais détailler ce que j’ai cru comprendre fur les mœurs de fon pays dans mes converfations avec lui. Jai déja dit que les Taitiens reconnoïflent un Etre fu- prême qu'aucune image faétice ne fçauroit repréfenter , & des divinités fubalternes de deux métiers, comme ‘dit Amyot, repréfentées par des figures de boïs. Tls:prient au lever & au coucher du foleil;, maisils ont en détailun grand nombre de Prenques fuperftitieufes pour conjurer l'influence des mauvais génies. La comere, vifible à Paris en1769, & qu MÉtoGEE a fort bien remarquée! y Ma donné lieu d'apprendre que les Faitiens conhoïffent ces aftres qui ne reparoiflent, m’a:t-il dit, qu'après un grand nombre dé lunes. Ils nomment les cometes everou eave, & n’attachent à leur apparition aucune idée finiftre. Il n’en eft pas de même de ces efpeces de météores qu'ici Le peu- ple croit être des étoiles qui filent. Les Faitiens, qui les nommenñt epao ; les croyent un génie malfaïfant éarcua 10a. A à Au refte, les gens inftruits de cette nation ; fans être af tronomes, comme l'ont prétendu nos gazettes, ont une nomenclature des conftellarions les plus remarquables; ils Ffiÿ Nouveaux détails fur les mœurs de T'aiti. Îles voifines. Inégalité des conditions. 228 | VOYAGE en connoifient le mouvement diurne, & ils s’en fervent pour diriger leur route en pleine mer d’une ile à l’autre. Dans cette navigation , quelquefois de plus de trois cents lieues, ils perdent toute vue de terre. Leur bouflole eft le cours du foleil pendant le jour, & la poftion des étoiles pendant les nuits, prefque toujours belles entre les tro- piques. Aotourou m'a parlé de plufeurs îles , les unes confédé- rées de Taiti, les autres toujours en guerre avec elle. Les îles amies font Aumeo , Maoroua, Aca, Oumairia & Ta- poua-malfou. Les ennemies font Papara, Aiatea, Otaa, Toumaraa, Oopoa. Ces îles font aufli grandes que Taiti. île de Pare, fort abondante en perles, eft tantôt fon al- liée, tantôt fon ennemie. Enoua-morou & Toupai font deux petites iles inhabitées, couvertes de fruits, delco- chons,, de volailles, abondantes en poiflons & en tortues; mais le peuple croit qu’elles font la demeure des Génies; C it leur domaine , & malheur aux bateaux que le hazard ou la curiofité nan à ces iles facrées. Il en coûte la vie à prefque tous ceux qui y abordent. Au refte ces iles gif {ent à différentes diftances de Taiti. Le plus grand éloi- gnement dont Aotourou m'ait parlé, eft à quinze jours de marche. C’eft fans doute à-peu-près à cette diftance: qu'il fuppofoit être notre patrie, lorfqu'il s’eft déterminé à nous fuivre. sl J'ai dit plus haut que Jeshabitans de Taiti nous avoient: paru vivre dans un bonheur digne d’envie. Nous lesavions cru prefque égaux entre eux, ou du-moins jouiffant d’une liberté qui n’étoit foumife qu'aux loix établies pour le bon- heur de tous. Je me trompois; la diftinétion des rangs.eft. fort marquée à Taiti, & la difproportion cruelle. Les Rois A U-T'O USRa DU, éMO. N:D.EF, 229 & les Grands ont droit de vie & de mort fur leurs efclaves & valets; je ferois même tenté de croire qu'ils ont auffice droit barbare fur les gens du peuple qu’ils nomment Taa- einou, hommes vils ; toujours eft-il für que c'eft dans cette clafle infortunée qu’on prend les viétimes pour les facrifi- ces humains. La viande & le poiflon font réfervés à la table des Grands; le peuple ne vit que de légumes & de fruits. Jufqu'à la maniere de s’éclairer dans la nuit diffé- rentie les états, &l’efpece de bois qui brüle pour les gens confidérables , n’eft pas la même que celle dont il eft per- mis au peuple de fe fervir. Les Rois feuls peuvent plan- ter devant leurs maifons l'arbre que nous nommons Z faule pleureur ou l'arbre du grand Saigneur. On fait qu’en courbant les branches de cet arbre & les plantant en terre, on donne à fon ombre la direétion & l'étendue qu'on defire ; à Taiti ileft la falle à manger desRois. - Les Seigneurs ont deslivrées pour leurs valets ; fuivant que la qualité des maitres eft plus ou moins élevée, les valets portent plus ou moins haut la prece d’étoffe dont ils fe ceignent. Cette ceinture pend immédiatement {ous les bras aux valets des chefs, elle ne couvre que les reins aux valets de la derniere clafle des nobles. Les heures or- dinaires des repas font lorfque le foleil pafle au méridien & lorfqu’il eft couché. Les hommes ne mangent point avec les femmes, celles-ci feulement fervent aux hommes les mets que les valets ont apprètés. A Taition porte régulierement le deuil qui fe nomme. eeyva. Toute la nation porte le deuil de fes Rois. Le deuil des peres eft fort long. Les femmes portent celui des ma- ris, fans que ceux-ci leur rendent la pareille. Les marques de deuil font de porter fur la tête une coeffure de plumes Ufage de porter le deuil, Secours réci- proques dans les maladies. . Remarques fur la langue. 230 Vo YAG‘’E dont la couleur eft confacrée à la mort , & de fe couvrir le vifage d’un voile. Quand les gens en deuil fortent de leurs maifons , ils font précédés de plufeurs efclaves qui battent des caftagnettes d’une certaine maniere ; leur fon lugubre avertit tout le monde de fe ranger, foit qu’on ref- peéte la douleur des gens en deuil, foit qu'on craigne leur approche comme finiftre & malencontreufe. Au refte ilen eft à T'aiti comme par-tout ailleurs; on y abufe des ufages les plus refpeétables. Aotourou m'a dit que cet attirail du deuil étoit favorable aux rendez-vous, fans doute avecles femmes dont les maris font peu complaifans. Cette cla- quette dont le fon refpeété écarte tout le monde, ce voile qui cache le vifage, aflurent aux amans le fecret & l'impunité. Dans les maladies un peu graves tous les proches pa- rens fe raflemblent chez le malade. Ils y mangent & y couchent tant que le danger fubfifte ; chacun le foigne & le veille à fon tour. Ils ont aufhi l’ufage de faigner ; mais ce n’eft ni au bras ni au pied. Un Taoua, c’eft-à dire, un Médecin ou Prêtre inférieur, frappe avec un bois tranchant {für le crâne du malade, il ouvre par ce moyen la veine que nous nommons /aprttale ; & lorfquil en a coulé fufñ- famment de fang , il ceint la tête d’un bandeau qui aflujet- tit l'ouverture : le lendemain il lave la plaie avec de l'eau. Voilà ce que j'ai appris fat les ufages de ce pays inté- reffant, tant fur les lieux mêmes que parmes converfations avec Aotourou. On trouvera à la fin de cet Ouvrage le vocabulaire des mots Taitiens que j'ai pu raflembler. En arrivant dans cette île nous remarquâmes que quelques-uns des môts prononcés parles mfulaires, fe trouvoient dans le _ AUTOUuUR:DUù MoxpbE. 231 vocabulaire inféré à la fuite du voyage de Le Maire fous le titre de J’ocabulaire des iles des Cocos. Ces iles en effet , {e- Jon l'eftime de le Maire & de Schouten, ne fçanroïent être fort éloignées de Taiti., peut-être font-elles. partie de celles que ma nommées Aorourou:Lalangue de Taitieft douce, harmonieufe & facile à prononcer. Les:mots n'en {ont prefque compofés que de voyelles fans: afpiration; on n'y rencontre point de {yllibes muettes,rfourdes ou nafales, ni cettequantité de confonnes & d’articulations qui rendent certaines langues fi difhciles. Aufli notre Taitien ne pouvoit-il parvenir à prononcer le François. (Les mé- mes caufes qui font accufer notre langne d'être peu mufi- cale ,la rendoient inacceflible à:fes organes. On eût plutôt réufli à lurfaire prononcer l'Efpagnol ou l'Italien. M. Pereire, célebre par fonitalent d’enfeigner à parler & bien articuler aux fourds:& muets de naïflance, a exa- miné attentivement & plufieursfoisAotourou,& a reconnu qu'ilne pouvoit phyfiquement prononcer la plüpart de nos confonnes, ni aucune de nos voyelles nafales. M. Pé- reire a bien voulu me communiquer à ce fujet un mémoire qu’on trouvera inféré à lafuite du vocabulaire de Taiti. Au refte la langue de cetteile eft aflez abondante ; j'en juge par ce que, dans le cours duvoyage, Aotourou a mis en ftrophes cadencées tout ce qui l’a frappé. C’eft une efpece de récitatif obligéqu'ilimprovifoit. Voilà fes anna- les, & il nous a paru qué-fa:langue lui fournifloit des ex- preflions pour peindre une multitude d'objets tous nou- veaux pour lui. D'ailleurs nous lui avons entendu chaque jour prononcer des mots que nous ne connoiflions pas en- core, & entre autres déclamer une longue priere, qu'il 232 K j V OYIA CE appelle la f priere des Rois, & de tous les mots qui la com: pofent , je n’en {çais pas de | : Jai appris d'Aotourou qu'environ huit mois avant notre arrivée dans fon ile, un vaifleau Anglois y avoit abordé. C’eft celui que commandoit M. Wallas. Le même hazard qui nous a fait découvrir cette ile, y a conduit lés Anglois, pendant que nous étions à la riviere de la Plata. Ils y ont féjourné un mois, &, à l'exception d’une agtaque que leur ont faite les infulaires qui fe flattoient d’enfÊêver le vaifleau, tout s’eft pafié à l'amiable. Voilà , fans doute, d’où provien nent & la connoiffance du fer , que nous avons trouvée aux Taitiens, & le nom d’aourt qu'ils lui donnent, nom aflez femblable pour le fon au mot Anglois zron, fer, qui fe pro- nonce aron. J'ignore maintenant fi les Taitiens, avec la connoïflance du fer, doivent aufhi aux Anglois celle des maux vénériens que nous y avons trouvé HaturalHIeRs , comme on le verra bientôt. CHAPITRE A UT OUR) DAUOGM O N D E. 233 SHARE RIRE LV: Départ de Tai ; découverte de nouvelles iles ; navigation jufqu'à la fortie des grandes Cyclades. On a vu combien la relâche à T'aiti avoit été mélan- gée de bien & de mal; l'inquiétude & le danger y avoient accompagné nos pas jufqu'aux derniers inftans, mais ce pays étoit pour nous un ami que nous aimions avec fes dé- fants. Le 16 Avril, à huit heures du matin, nous étions environ à dix lieues dans le Nord-Eft-quart-Nord de fa pointe feptentrionale, & je pris de là mon point de départ. À dix heures nous apperçûmes une terre fous le vent, qui paroifloit former trois iles, on voyoit encore l'extrémité de Taiti. À midi, nous reconnûmes parfaitement que ce que nous avions pris pour trois iles n’en étoit qu'une feule, dont les fommets nous avoient paru ifolés dans l’éloigne- ment. Par-deflus cette nouvelle terre , nous crûmes en voir une plus éloignée. Cette île eft d’une hauteur médiocre & couverte d'arbres ; on peut l’appercevoir en mer de huit ou dix lieues. Aotourou la nomme Oumairia. [nous a fait entendre d’une maniere non équivoque, qu'elle étoit ha- bitée par une nation amie de la fienne, qu'il y avoit été plufieurs fois, qu'il y avoit une maïtrefle, & que nous y trouverions le même accueil & les mêmes rafraichiffemens qu'à T'aiti. Nous perdimes Oumaitia de vüe dans la journée, & je dirigeai ma route de maniere à ne pas rencontrer les Îles Pernicieufes que les défaftres de l'Amiral Roggewin nous Gg 1768. Avril, Vüe d'Ou- maitia, Direétion de la route, 234 VoyaAGcer | avertifloient de fuir. Deux jours après, nous eûmes une preuve inconteftable que les habitans des îles de l'Océan Pacifique communiquent entre eux, même à des diftan- ces confidérables. L’azur d’un ciel fans nuages laifloit étinceler les étoiles; Aotourou , après les avoir attentive- ment confidérées, nous fit remarquer l'étoile brillante qui eft dans l'épaule d’Orion, difant que c'étoit fur elle que nous devions diriger notre courfe, & que dans deux jours nous trouverions une terre abondante qu'il connoifloit, & où il avoit des amis ; nous crûmes même comprendre par fes geftes qu'il y avoit un enfant. Comme je ne faifois pas déranger la route du vaïfleau, il me répéta plufieurs fois qu’on y trouvoit des cocos, des bananes, des poules, des cochons , & fur-tout des femmes, que, par des geftes très-exprefhfs, il nous dépeignoit fort complaifantes. Ou- tré de voir que ces raifons ne me déterminoient pas, il courut faifir la roue du gouvernail , dont il avoit déjà re- marqué l’ufage , & malgré le timonier, il tâchoit de la changer , pour nous faire gouverner far l'étoile quil indi- quoit. On eut affez de peine à le tranquillifer, & ce refus lui donna beaucoup de chagrin. Le lendemain, dès la pointe du jour, il monta au haut des mâts & y paffa la matinée , regardant toujours du côté de cette terre où il vouloit nous conduire, comme s’il eût eu l’efpérance de lappercevoir. Au refle il nous avoit nommé la veille en fa langue, fans héfiter , la plupart des étoiles brillantes que nous lui mon- trions ; nous avons eu depuis la certitude qu'il connoit par- _faitement les phafes de la lune & les divers prognoftics qui avertiflent fouvent en mer des changemens qu’on doit avoir dans le tems, Une de leurs opinions, qu'il nous a TPE EM - 0... Ke Ha TROISIEME DITISION ARCHIPEL DES N LEnjan ONE D Mn ON ALUTTMOUIRS D DOM O:N:D:E. 235 clairement énoncée , c'eft qu'ils croient pofitivement que le foleil & la lune font habités. Quel Fontenelle leur a en- feigné la pluralité des mondes ? Pendant le refte du mois d'Avril, nous eümes très-beau tems, mais peu de frais, & le vent d’Eft prenoit plus du Nord que du Sud. La nuit du 26 au 27, notre Pratique de la côte de France mourut fubitement d’une attaque d’apo- plexie. Ces Pratiques fe nomment Pilotes-côriers, & tous les vaifleaux du Roi ont ainf un Pilote-Pratique de la côte de France. Ils font différens de ceux qu'on nomme dans l'équipage Pilotes, Aide-Prlotes ou Pilotins. On a dans le monde une idée peu exaéte de l'emploi qu’exercent ces Pilotes fur nos vaifleaux. On croit que ce font eux qui en dirigent la route, & qu'ils fervent ainfi comme de bâton à des aveugles. Je ne fçai pas s'il eft encore quelque nation chez laquelle on abandonne à ces hommes fubalternes l'art du pilotage, cette partie eflentielle de la navigation. Dans nos vaifieaux, la fonétion des Pilotes eft de veiller à ce que les Timoniers fuivent exaétement la route que le Ca- pitaine feul ordonne , à marquer tous les changemens qu'y font faire ou la alé des vents ou les ordres du Comman- dant, & à obferver les fignaux ; encore ne préfident-ils à ces détails que fous la direétion de l'Officier de quart. Aflurément les Officiers de la Marine du Roi fortent des écoles beaucoup plus profonds en géométrie, qu'il n’eft néceflaire pour connoître parfaitement toutes ies loix du pilotage. La claffe des Pilotes, proprement dits, eft en- core chargée du foin des compas de routes & d’obferva- tion, des lignes de lock & de fonde, des fanaux, des pa- villons, &cc. &c on voit que ces divers détails ne demar- dent que de l'exaétirude. Aufli mon premier pilote dans ce Ggi Obfervations aftronomi- ques. Seconde di- vifñion d'iles. Mai. Vûe de nou- velles îles. : 1 ONE VOYAGE voyage étoit-il un jeune homme de vingt ans : le fecond étoit du même âge, & les Aide-Pilotes naviguoient pour la premiere fois. Mon eftime comparée deux fois dans ce mois avec les obfervations aftronomiques de M. Verron, differe la pre- micrefois,& c’étoitàTaiti,de 1 3/ 10", donty'étois plus Ouef,; la feconde fois, qui eft Le 27 àmidi, de1413/ 37" dont j'é- tois plus Eftquel’obfervé. Aurefteles différentesiles décou- vertes dans ce mois, forment la fecondedivifon des iles de ce vafte Océan. Je l’ai nommée l’arcipel de Bourbon. Le ; Mai, prefque à la pointe du jour , nous découvri- mes une nouvelle terre dans le Nord-Oueft à dix ou douze lieues de diftance. Les vents étoient de la partie du Nord- Eft, & je fis gouverner auvent de la pointe feptentrionale de cette terre , laquelle eft fort élevée, dans l'intention de la reconnoitre. Les connoïffances nautiques d’Aotourou ne s'étendoient pas jufque-là : car fa premiereidée, en voyant cette terre, fut qu’elle étoit notre patrie. Dans la journée nous effuyâmes quelques grains, fuivis de calme , de pluie & de brifes du Oueft, tels que dans cette mer on en éprou- ve aux approches des moindres terres. Avant le coucher du foleil, nous reconnümes trois iles, dont une beaucoup plus confidérable que les deux autres. Pendant la nuit, que la lune rendoit claire, nous confervâmes la vüe de ter- re ; nous courümes deflus au jour, & nous prolongeämes la côte orientale de la grande-ile, depuis fa pointe du Sud jufqu’à celle du Nord; c’eft fon plus grand côté qui peut avoir trois lieues; l’île en a deux de l’'Ef à l'Oueft. Ses côtes font par-tout efcarpées, & ce n’eft, à proprement parler, qu'une montagne élevée, couverte d’arbres jufqu’au fom- met, fans vallées ni plage. La mer brifoit fortement le AUTOUR DuUcMonNDE. 237 long de la rive. Nous y vimes des feux , quelques caban- nes couvertes de joncs & terminées en pointe, conftrui- tes à l'ombre des cocotiers, & une trentaine d'hommes qui couroient fur le bord de la mer. Les deux petites îles font à une lieue de la grande dans l'Oueft-Nord-Oueit du monde, fituation qu'elles ont aufñli entre elles. Un bras de mer peu large les fépare, & à la pointe du Oueft de la plus occi- dentale il ya un ilot. Elles n’ont pas plus d’une demi-lieue chacune, & leur côte eft également haute & efcarpée. À midi je faifois route pour pañler entre ces petites iles & la grande , lorfque la vue d’une pirogue qui venoit à nous me fit mettre en panne pour l’attendre. Elle s’ap- procha à une portée de piitolet du vaiffeau fans vouloir l'accofter, malgré tous les fignes d’amitié dont nous pou- _vions nous avifer vis-à-vis de cinq hommes qui la condui- foient. Ils étoient nuds à l'exception des parties naturelles, & nous montroient du cocos & des racines. Notre Taitien fe mit nud comme eux & leur parla fa langue, mais ils ne l’entendirent pas ; ce n’eft plus ici la même nation. Laflé de voir que, malgré l'envie qu'ils témoignoient de diver- fes bagatelles qu'on leur montroit, ils n’ofoient appro- cher, je fis mettre à la mer le petit canot. Auffitôt qu'ils l'apperçurent, ils forcerent de nage pour s'enfuir, & je ne voulus pas qu'on les pourfuivit. Peu après on vit venir plufieurs autres pirogues, quelques-unes à la voile. Elles té- moignerent moins de méfiance que la premiere , & s’ap- procherent aflez pour rendre les échanges praticables ; mais aucun infulaire ne voulut monter à bord. Nous eü- mes d'eux des ignames, des noix de cocos, une poule d’eau d’un fuperbe plumage & quelques morceaux d’une fort belle écaille. L’un d'eux avoit un coq qu'il ne voulut Echanges faits avec les infulaires, Defcription de ces infu- laires. Defcription de leurs piro- gues, 333 4 Q V'o ÿY A GE jamais troquer. Ils échangerent aufli des étoffes du même tiffu, mais beaucoup moins belles que celles de Taiti &: teintes de vilaines couleurs rouges, brunes & noires, des hamecçons mal faits avec des arrêtes de poiflons, quel- ques nattes &c des lances longues de fix pieds, d’un bois durci au feu. Ils ne voulurent point de fer ; ils préféroient de petits morceaux d’étoffe rouge aux clous, aux cou- reaux & aux pendans d'oreille qui avoient eu un fuccés f décidé à Taiti. Je ne crois pas ces hommes aufi doux que les Taitiens : leur phyfionomie étoit plus fauvage , & il falloit être toujours en garde contre les rufes qu'ils em- ployoient pour tromper dans les échanges. Ces infulaires nous ont paru de ftature médiocre, mais agiles & difpos. Ils ont là poitrine & les cuifles jufqu’au- deflus du genou peintes d’un bleu foncé, leur couleur eft bronzée ; nous en avons remarqué un beaucoup plus blanc que les autres. Ils fe coupent ou s’arrachent la barbe, un feul la portoit un peu longue ; tous en général avoient les cheveux noirs & relevés fur la tète. Leurs pirogues font faites avecaflez d'art & munies d’un balancier ; elles n’ont point Pavant ni l'arriere relevés, mais pontés l’un & l’autre, & {ur le milieu de ces ponts il ÿ a une rangée dechevilles terminées en forme de gros clous, mais dont les têtes font recouvertes de beaux limas d’une blancheur éclatante. La voile de leurs pirogues eft compoféé de plufieurs nattes&e triangulaire ; deux de fes côtés font envergués fur des bà- tons dont l’un fert à l’aflujettir le long du mât, & l’autre, établi fur la ralingue de dehors, fait l’effet d’une livarde, Ces pirogues nous ont fuivi aflez au large, lorfque nous avons éventé nos voiles ; il en eft même venu quelques- unes des deux petites îles, &@z dans l’une il y avoit une Ar — — ns — = ——— ——— = em Canot des Les VE Navigateurs : lz yrave par Crowe Zütle , Æ di spy UN DREAM, ù AUTO HUO0MO N D E. 139 femme vieille & laide. Aotourou a témoigné le plus grand mépris pour ces infulaires. Nous trouvâmes un peu de calme, lorfque nous fümes fous le vent de la groffe île, ce qui me fit renoncer à pafler entre elle & les deux petites. Le canal eft d’une lieue & demie, & il paroït qu'il y auroit quelque mouil- lage. À fix heures du foir on découvrit du haur des mâts dans le Oueft-Sud-Oueïft une nouvelle terre qui fe pré- fentoit fous l’afpeét de trois mondraïins ifolés. Nous cou- rûmes dans le Sud-Oueft, & à deux heures après minuit nous revimes cette terre dans l'Oueft-24-Sud'; les premieres îles que nous appercevions encore à la faveur d’un beau clair de lune, nous reftoient alors au Nord-Eft. Le ; au matin nous reconnûmes que cette nouvelle terre étoit une belle île dont nous n’avions la veille apper- çu que les fommets. Elle eft entrecoupée de montagnes & de vaftes plaines couvertes de cocotiers & d’une inf- nité d’autres arbres. Nous prélongeäâmes fa côte méridio- nale à une ou deux lièues de diftance ; fans y voir aucune apparence de Has la mer sy développoit avec fu- reur. Il y a même une bâture dans l'Oueft de fa pointe occidentale ; laquelle met'environ deux lieues au large. Plufeurs relevemens nous ont donné avec exactitude le giflement de cette côte. Un grand nombre de pirogues à la voile, femblables à celles des dernieres îles, vinrent autour des navires, mais fans vouloir s'approcher; une feule accofta l'Etoile. Les Inc chens fembloient nous mviter par leurs fignes à aller à tetre ; mais les brifans nous le défendoient. Quoique nous fffions alors fepr & huit milles par heure, ces pirogues à la voile" tournoient atfour de nous avec la même aifance que fiinous euflions-été à l’an- Suite d'ifes. Pofition de ces iles qui forment la troifieme di- yifion, 240 | ) Vowa re cre. On en apperçut du haut des mâts plufeurs, qui vo= guoient dans le Sud. | Dés fix heures du matin nous avions eu la connoïflance d’une autre terre dans l'Oueft ; des nuages enfuite nous en avoient dérobé la vue, elie fe remontra vers dix heures. Sa côte couroit fur le Sud-Oueft, & nous parut avoir au-moins autant d'élévation & d’étendue que la premiere avec laquelle elle git à-peu-près Eft & Oueft du monde, à la diftance d'environ douze lieues. Une brume épaifle , qui s'éleva dans l’après-midi & dura toute la nuit & le jour fuivant, ne nous permit pas de la reconnoitre. Nous diftinguàmes feulement à fa pointe du Nord-Eft deux petites iles de grandeur inégale. La longitude de ces îles eft à-peu-près la même par laquelle s'eftimoit être Abel Tafman, lorfqu'il découvrit les îles d'Amflerdam & de Rorierdam, des Pilflaars, du Prince Guillaume, & les bas fonds de Fleemskerk. C'eft aufli celle qu'on afligne à peu de chofe près, aux iles de Salomon. D'ailleurs les pirogues que nous avons vu vo- guer au large & dans le Sud , femblent indiquer d’autres îles dans cette partie. Ainf ces terres paroiflent former une chaine étendue fous le même méridien; ce fera la troifieme divifion que nous avons nommée l'archipel des Navigateurs, , Le 11 au matin, après avoir gouverné à Oueft-quart- Sud-Oueft depuis la vue des dernieres iles, on découvrit la terre dans l'Oueft-Sud-Oueit à fept ou huit lieues de diflance. On crut d’abord que c’étoient deux iles fépa- rées, & le calme nous en tint éloignés tout le jour. Le r2 ‘on reconnut que ce n’étoit qu’une feule ile, dont les deux parties élevées étoient jointes par une terre baffle qui pa- roifloit ER SPA QUATRIEME DIr1sIon | ARCHIPEL OZ de verdi DES GRANDES IEME DIVISION RCHIPEL s GRANDES CYCLADES NTI NON TEEN QUNTUITE À BP O UR) D OM O N D E. 241. toifloit fe courber en arc & former une baie ouverte au Nord-Eft. Les grofles terres courent fur le Nord-Nord- Oueft. Le vent debout nous a empêchés d'approcher de plus de fix à fept lieues cette île que j'arappellée ’Enfans perdu. Les mauvais tems, qui avoient commencé dès le 6 de ce mois, continuerent prefque fans interruption jufqu’au 20 ; & pendant tout ce tems nous fümes perfécutés par les calmes , la pluie & les vents d'Oueft. En général dans cet océan nommé Pacifique, l'approche des terres procure des orages , plus fréquens encore dans les décours de la lune. Les tems à grains avec de gros nuages fixes à l'hori- fon , font un indice prefque für de quelques iles & un avis de s'en méfier. On ne fe figure pas avec quels foins & quelles inquiétudes on navigue dans ces mers inconnues, menacés de toutes parts de la rencontre inopinée de terres & d’écueils, inquiétudes plus vives encore dans les lon- gues nuits de la Zone Torride. Il nous falloit cheminer à tâtons, changeant de route, lorfque l'horifon étoit trop noir devantnous. La difette d’eau, le défaut de vivres , la néceflité de profiter du vent, quand il daignoit fouf- fler , ne nous permettoient pas de fuivre les lenteurs d’une navigation prudente & de pafler en panne ou fur les bords le tems des ténebres. Cependant le fcorbut commencoit à reparoïtre. Une grande partie des équipages & prefque tous les Officiers en avoient les gencives atteintes & la bouche échauffée. Il ne reftoit plus de rafraichiflemens que pour les mala- des , & l’on s’accoutume difficilement à ne vivre que de mauvaifes falaifons & de légumes défléchés. Dans le mé- me tems il fe déclara fur les deux navires plufeurs mala- Hh Obfervations météorologi- ques. Situation cri- tique où nous nous trou- vons. Rencontre de nouvelles terres. 242 Wio y à GE dies vénériennes prifes à Taiti. Elles portoient tous les fymptômes connus en Europe. Je fis vifiter Aotourou, il en étoit perdu ; mais il paroït que dans fon pays on s'in- quiete peu de ce mal: toutefois il confentit à fe laifler traiter. Colomb rapporta cette maladie d'Amérique , la voilà dans une île au milieu du plus vafte Océan. Sont-ce les Anglois qui l'y ont portée? ou bien ce Médecin qui pa: rioit qu'en enfermant une femme faine avec quatre hom- mes fains & vigoureux, le mal vénérien naïtroit de leur commerce , doit-il gagner fon pari? Le 22 à l’aube du jour , comme nous courions à Oueff, on apperçut de l’avant à nous une longue & haute terre. Lorfque le foleil fut levé , nous reconnûmes deuxiles. La plus méridionale nous reftoit depuis le Sud -quart- Sud- Eft jufqu'au Sud-Oueft-quart-Sud ; elle paroïfloit courir fur le Nord-Nord-Oueft corrigé & avoir environ douze lieues de longueur fur ce giflement. Elle reçut le nom du jour, {le de la Pentecôte. La feconde nous reftoit depuis le Sud-Oueft-s d-Sud jufqu’à Oueft-Nord-Oueft; linftant où elle s’eft montrée à nous, l’a fait appeller /'#le Aurore. Nous tinmes d’abord le plus près, bas-bord amure pour tacher de pafler entre les deux îles. Les vents nous refu- ferent, & il fallut arriver pour pañfer fous le vent de Pile Aurore. En avançant dans le Nord le long de fa côte orientale, on apperçut dans le Nord-quart-Nord-Oueft une petite ile élevée en pain de fucre, qui fut nommée Z pic de l'Etoile. Nous continuämes à ranger l'ile Aurore à une lieue & demie de diftance. Elle git Nord & Sud cor- rigés , depuis fa pointe méridionale jufqu’à la moitié envi- ron de fa longueur qui eft de dix lieues ; enfuite elle dé- cline vers le Nord-Nord-Oueft : elle a très-peu de largeur, A D'DBUERS D UENONDE . 243 deux lieues au plus. Ses côtes font efcarpées & couvertes de bois. À deux heures après midi nous apperçümes par- deffus cette ile des cimes de hautes montagnes à dix lieues environ au-delà. Elles appartenoïent à une terre dont à trois heures & demie nous vimes au Sud-Sud- Oueft du compas la pointe du Sud-Oueft par-deflus l’extrémité fep- tentrionale de l'ile Aurore. Après avoir doublé cette der- niere, nous faifions route au Sud-Sud-Oueft , lorfqu’au coucher du foleil une nouvelle côte élevée & très-éten- due s’offrit encore à nos regards. Elle fe prolongeoït depuis l'Oueft-Sud-Oueft jufqu'au Nord-Oueft-quart-Nord , à la diftance de quinze à feize lieues. Nous courûmes plufeurs bords dans la nuit pour nous élever dans le Sud-Eft, afin de reconnoitre fi la terre que nous avions au Sud-Sud-Oueit , tenoit à l'ile de la Pénte- côte, ou fi elle en formoit une troifieme. C’eft ce que nous vérifiâmes le 23 à la pointe du jour. Nous découvrimes la féparation des trois îles. Celle de la Pentecôte & l'ile Au- rore font à-peu-près fous le même méridien, à deux lieues de diftance l’une de l’autre. La troifieme eft dans le Sud- Oueft de l'ile Aurore, & leur moindre éloignement eft de trois ou quatre lieues. Sa côte du Nord-Oueft a au-moins douze lieues d’étendue, terre haute, efcarpée , par-tout couverte de bois. Nous l’avons côtoyée une partie de la matinée du 23. Plufeurs pirogues fe montroient le long de terre, fans qu'aucune cherchât à nous approcher. Il ne pa- roifloit point de cafes, on voyoit feulement un grand nom- bre de fumées s'élever du milieu des bois, depuis lesbords de la mer jufqu’au fommet des montagnes : fort près du rivage nous fondämes plufieurs fois fans trouver de fond avec 50 braffes de ligne. H hi Débarque- nent à une des iles, Méfiance des infulaires. 244 VOYAGE Sur les 9 heures la vue d’une côte où l’abordage paroif- foit commode, me détermina à envoyer à terre pour y faire du bois dont nous avions le plus grand befoin,pren- dre des connoiffances du pays & tâcher d’en tirer des ra- fraichiflemens pour nos malades. Je fis partir trois ba- teaux armés fous les ordres du Chevalier de Kerué Enfei- gne de la Marine, & nous nous tinmes fur {es bords prêts à leur envoyer du fecours & à les foutenir de l'artillerie des vaifleaux s'il étoit nécefaire. Nous les vimes prendre terre, fans que les infulaires paruffent s'être oppofés à leur débarquement. A une heure après midi je m’embarquai avec quelques autres perfonnes dans une iole pour aller les rejoindre. Nous trouvämes nos gens occupés à couper du bois, & que ceux du pays les aidoient à le porter dans les bateaux. L’Oficier qui commandoit la delcente, me dit qu'à fon arrivée une troupe nombreufe d'infulaires étoit venue le recevoir fur la plage l'arc & la fleche à la main, faifant figne qu’on n’abordât pas; mais que quand, mal- oré leurs menaces, il avoit ordonné de mettre à terre, ils s'étoient reculés à quelques pas; qu’à mefure que nos gens avançoient, les Sauvages fe retiroient toujours dans l’atti- tude de faire partir leurs fleches fans vouloir fe laïfler ap- procher ; qu'ayant alorsfait arrêter la troupe, & le Prince de Naffau ayant demandé à s’avancer vers eux, ils avoient ceflé de reculer , lorfquils avoient vu un homme feul ; des morceaux d'étoffes rouges qu'on leur diftribua, ache- verent d'établir une efpece de confiance. Le Chevaher de Kerué prit aufli-tôt pofte à l'entrée du bois , mit fes tra- ailleurs à abattre des arbres fous la protection de la troupe, & envoya un détachement chercher des fruirs. Infenfiblement les infulairesfe rapprocherent plusamiable- À OUR Re DEUL M ON D E. 245 ment en apparence; on eut même d'eux quelques fruits: ils ne vouloient ni du fer ni des clous. Ils refuferent auf conftamment de troquer leurs arcs & leurs maflues, feule- ment ils céderent quelques fleches. Au refte ils étoient tou- jours reftés en grand nombre autour denos gens fans jamais quitter leurs armes; ceux même qui n’avoient point d’arcs, tenoient des pierres prêtes à lancer. Ils avoient fait enten- dre qu'ils étoient en guerre avec les habitans d’un canton voifin du leur. Effettivement il s’en montra une troupe armée qui venoit de la partie occidentale de file, s’a- vançant en bon ordre, & ceux-ci paroïfloient difpofés à les bien recevoir ; mais il n’ÿ avoit point eu d’at- taque. Nous trouvèmes les chofes en cet état à notre arrivée à terre. Nous y reftâmes jufqu’à ce que nos bateaux fuf- fent chargés de fruits & de bois. Je fs aufli enterrer au pied d’un arbre l’aéte de prife de poffeflion de ces iles gravé {ur une planche de chêne, & enfuite nous nous rembarquâmes. Ce départ dérangea fans doute le projet des infulaires qui n’avoient pas encore tout difpofé pour nous attaquer. C’eft-là du-moins ce que nous dûmes juger en les voyant s’avancer fur le bord de la mer & nous lancer une grêle de pierres & de fleches. Quelques coups de fufil tirés en l'air ne fuffirent pas pour nous en débarraf- fer; plufieurs même s’avançoient dans l’eau pour nous ajufter de plus près; une décharge mieux nourrie rallen- tit aufhtôt leur attaque, ils s’enfuirent dans le bois avec de grands cris. Un matelot fut léserement blefflé d’une pierre. Ces infulaires font de deux couleurs, noirs & mulâtres. Ils attaquent les François. Defcription Leurs levres font épaifles, leurs cheveux cotonnés, quel- ds infülaires. Quelles font leurs armes. Defcription du lieu où on a débarqué. 246 V: o x A GE ques-uns même ont la laine jaune. Ils font petits , vilains, mal faits & la plupart rongés de lepre; circonftance qui. nous a fait nommer leur ile /’ile des Lépreux. I parut peu de femmes, & elles n'étoient pas moins dégoütantes que les hommes; ils font nuds, à peine fe couvrent-ils d’une natte les parties naturelles ; les femmes ont aufli des échar: pes pour porter leurs enfans fur le dos; nous avons vu quelques-uns des tiflus qui les compofent, fur lefquels étoient de fort jolis defleins faits avec une belle teinture cramoifie. J'ai remarqué qu'aucun n’avoit de barbe ; ils fe percent les narines pour y pendre quelques ornemens; ils portent aufli aux bras en forme ‘de bracelets une dent de babirouffa , ou un grand anneau d’une matiere que je crois de livoire, & au col des plaques d’écaille de tortue, qu’ils nous ont faitentendre être commune furleur rivage. Leurs armes font l'arc & la fleche, des maflues de bois de fer, & des pierres qu’ils lancent fans fronde. Les fleches {ont des rofeaux armés d’une longue pointe d’os très-ai- oué. Quelques-unes de ces pointes font quarrées & gar- nies fur les arrêtes de petites pointes couchées en arriere qui empêchent de pouvoir retirer la fleche de la plaie. Ils ont encore des fabres de bois de fer. Leurs pirogues ne nous ont pas approchés. Elles nous ont paru de loin faites & voilées comme celles des îles des navigateurs. La plage où nous avons abordé préfentoit une très-pe- tite étendue. À vinet pas du bord de la mer on trouve le pied d’une montagne dont la pente , quoique très-rapide , eft couverte de bois. Le terrein eft très-léger & a peu de profondeur : aufli les fruits, quoique de la même efpece qu'à T'aiti, font-ils moins beaux ici & d’une moins bonne qualité. Nous y avons trouvé une efpece de figues parti- : AE j AUTOUR ADPUE M O N DE. 247 culiere. On rencontre beaucoup de routes tracées dans le bois & des efpaces enclos par des paliffades de trois pieds de haut. Sont-ce des retranchemens ou fimplement des li. mites de poffeflions différentes? Nous n'avons vu d’autres cafes que cinq ou fix petites hutes dans lefquelles on ne pouvoit entrer qu'en fe trainant fur le ventre. Nous étions cependant environnés d'un peuple nombreux; je le crois fort miférable: cette guerre inteftine dont nous avons été les témoins, eft un cruel fléau, Nous entendimes à plu- fieurs reprifes le fon rauque d’une efpece de tambour for. tir de la profondeur du bois vers le fommet de la monta. gne. C’eft fans doute leur fignal de ralliement ; car dés l'inftant où nos coups de fufil les ont difperfés , il a recom- mencé à battre. Il redoubloit aufli fon lugubre bruit, lorf- que cette troupe ennemie que nous avons vue plufeurs fois, venoit à paroïtre. Notre Taitien, qui avoit defiré être de la defcente, nous a paru trouver.cette efpece d’hom- mes fort vilaine ; il n’entendoit ab{olument aucun mot de leur langue. À notre arrivée à bord nous rembarquämes nos ba- teaux , & je fis Jérvir courant au Sud-Oueft fur une lon- gue côte que nous découvrimes à toute vue depuis le Sud- Oueft jufqu'à l'Oueft-Nord-Oueft. Pendant la nuit il y eut peu de vent, & il ne cefla de varier ; de forte que nous reftâmes au pouvoir des courans qui nous entrainerent fur le Nord-Eft. Cetems continua la journée du 24 & la nuit fuivante , & nous pûmes à peine nous élever à trois lieues de l’île des Lépreux. Le 25 à cinq heures du matin nous eùmes une aflez jolie brife d'Eft-Sud-Eft; mais l'Etoile qui fe trouvoit encore fous laterre, ne la reffentit pas &demeu- ra en calme. Je fis route néanmoins toutes voiles dehors Continuation de la route en- tre les terres. 248 L'MNW ox À CE pour reconnoitre la terre d'Oueft. A huit heures nous dé: couvrions des terres dans tous les points de l’horifon, & nous paroiflions enfermés dans un grand golfe. L'ile de la Pentecôte venoit rechercher au Sud la nouvelle côte que nous avions découverte, & nous ne pouvions être aflurés fi elle en étoit détachée, ou fice qui nous fembloit for- mer la féparation, n’étoit pas une grande baie. Plufeurs endroits fur le refte de la côte nous offroient aufli l'appa- rence ou de paflages ou de grands enfoncemens ; un en- tre autres préfentoit dans l’Oueft une ouverture confidé- rable. Quelques pirogues traverfoient d’une terre à l'au- tre. À dix heures nous fûmes obligés de revirer fur l'ile aux Lépreux. L'Etoile qu'on n’appercevoit plus, même du haut des mâts , y étoit toujours en calme , quoique la brife d'Eft-Sud-Eft fe foutint au large. Nous courûmes fur cette flûte jufqu'à quatre heures du foir; ce ne fut qu’a- lors qu’elle reffentit la brife. Il étoit trop tard quand elle fut ralliée pour fonger à des reconnoiffances. Ainfi la journée du 25 fut perdue , nous paflâmes la nuit fur les bords. Les relevemens que nous fimes le 26 au lever du foleil, nous apprirent que les courans nous avoient entrainés dans le Sud plufieurs milles au delà de notre eftime. L'ile de la Pentecôte fe montroit toujours féparée des terres du Sud-Oueft , mais la féparation étoit plus étroite. Nous dé- couvrions plufeurs autres coupures à cette côte, mais fans pouvoir diftinguer le nombre desiles de Parchipel qui nous environnoit. La terre s’étendoit à nos yeux de- puis l’'Eft-Sud-Eft , en paflant par le Sud, jufqu’à l'Oueft- Nord-Oueft du compas, & nous ne la voyons pas termi- née. Je fis coutir depuis le Nord-Oueft-quart-Oueft en rondiffant A U TO À D'u9 M Oo N D €. 249 rondiffant jufqu'à l'Oueft le long d’une belle côte cou- verte d'arbres, fur laquelle il paroïfloit de grands efpaces de terrein cultivés, foit qu'ils le fuflent en effet, foit que ce füt un jeu de la nature. Le coup d'œil annonçoit un pays riche, les croupes de quelques montagnes pelées & de couleur rouge en de certains endroits fembloient mé- me indiquer que leurs entrailles renfermoient des miné- raux. La route que nous fuivions nous conduifoit à ce grand enfoncement apperçu la veille dans lOueft. À midi nous étions au milieu, & nous y obfervämes la hauteur du foleil. L'ouverture en eft de cinq à fixlieues, elle court Eft-quart-Sud-Eft & Oueft-quart-Nord-Oueft du monde. Quelques hommes fe montrerent à la côte du Sud, & d’autres approcherent des navires dans une pirogue ; mais dès qu'ils en furent à une portée de moufquet, ils ceffe- rent de s’avancer malgré nos invitations ; ces hommes étoient noirs. Nous rangeàmes la côte feptentrionale à trois quarts de lieue de diftance; elleeft peu élevée & couverte d’ar- bres. Une multitude de Negres fe faifoient voir fur le ri- vage ; il s’en détacha même quelques pirogues qui n’eu- rent pas plus de confiance que celle qui avoit vogué dela côte oppolée. Après avoir longé celle-ci lefpace de deux à trois lieues, nous vimes un grand enfoncement qui nous parut former une belle baie à l’ouvert de laquelle étoient deux gros ilots. J’envoyai fur-le-champ nos bateaux ar- més pour la reconnoître, & pendant ce tems nous reftà- mes fur les bords à une & deux lieues de terre, fondant fouvent fans trouver de fond avec une ligne de 200 brafles. Sur les cinq heures nous entendimes une falve de mouf- Ti Afpett du pays. Tentatives pour chercher ua mouillage. Ce qui nous empèche d'y mouiller. 250 VOYAGE queterie qui nous caufa beaucoup d'inquiétude ; elle for- toit d’un de nos canots qui, malgré mes ordres, s’étoit {éparé des autres & fe trouvoit mal-à-propos dans le cas d’être attaqué par les infulaires, ayant vogué tout à fait à terre. Deux fleches qui lui furent tirées , fervirent de pré- texte à fa premiere décharge. Enfuite il longea la côte, faifant un feu très-vif de fa moufqueterie & de fes efpin- goles tant à terre que fur trois pirogues qui pañlerent à por- tée & lui décocherent aufli quelques fleches. Une pointe avancée nous déroboit alors la vue du canot, & fon feu con- tinuel me donnoit lieu d'appréhender qu'il ne füt attaqué par une armée de pirogues. Jailois envoyer notre cha- loupe à fon fecours , lorfque nous le vimes doubler feul cette pointe qui nous l’avoit caché. Les Negres poufloient des cris affreux dans le bois où ils s'étoient tous jettés, & dans lequel on entendoit battre leur tambour. Je fis auff- tôt à ce canot le fignal de ralliement, & je pris des mefu- res pour que nous ne fuflions plus deshonorés par un pa- reil abus de la fupériorité de nos forces. Les canots de la Boudeufe reconnurent que cette côte que nous avions cru continue, eft un amas d'îles qui fe croifent , enforte que la baie n’eft que la rencontre de plu- fleurs des canaux qui les féparent. Cependant ils y trou- verent un aflez bon fond de fable fur 40 , 30 &c 20 brafles d’eau ; mais fon inégalité continuelle rendoit ce mouillage peu für, pour nous fur-tout qui n’avions plus d’ancres à ha- farder. Il falloit d’ailleurs y ancrer à une grande demi- lieue de la côte; plus près le fond étoit de roches. Aïnfi les vaiffeaux n’auroient pu protéger les bateaux, &le pays eft fi couvert,qu'il eût toujours fallu avoir les armes à la main pour mettre les travailleurs à abri des furprifes. or pee . AUTOUR DU Monper. 2$1 On ne devoit pas fe flatter que les naturels oubliaffent le mal qu'on venoit de leur faire, & confentiflent à échanger des rafraichifiemens. On remarqua ici les mêmes produc- tions que fur l’île des Lépreux. Les habitans y étoient auffi de la même efpece, prefque tous noirs, nuds , à lexce- ption des parties naturelles, portant les mêmes ornemens en colliers & en bracelets , & fe fervant des mêmes armes. Nous paflämes la nuit fur les bords. Le 27 au matin nous arivämes & prolongeâmes la côte environ à une lieue de diftance. Vers dix heures on diftingua fur une pointe baffe une plantation d'arbres difpofés en allées de jardin. Le terrein fous les arbres étoit battu & paroifloit fablé; un aflez grand nombre d’habitans fe montroient dans cette partie; de l’autre côté de la pointe il y avoit une apparence d’enfoncement, & je fis mettre les ba- teaux dehors. Ce fut en vain ; ce n’étoit qu’un coude que formoit la côte, & nous la fuivimes jufqu’à la pointe du Nord-Oueft fans trouver de mouillage. Âu delà de cette pointe les terres revenoient fur le Nord-Nord-Oueit , & s’étendoient à perte de vue, terres d’une élévation ex- traordinaire & qui préfentoient au-deflus des nuages une chaine fuivie de montagnes. Au refte le tems fut fombre &c à grains avec de la pluie par intervalles. Plufieurs fois dans le jour on crut voir la terre devant nous, terre de brume qui s’évanouifloit dans les éclaircis. Nous paflâmes toute la nuit qui fut trés-orageufe à louvoyer à petits bords & les marées nous porterent dans le Sud beaucoup au-delà de notre eftime. Nous eûmes la vue des hautes montagnes toute la journée du 28 jufqu’au foleil couchant lii Nouvelleten- tative pour faire ici une relâche. Conjettures furcesterres. 252 1 VoYAGE que nous les relevâmes de L'Eft au Nord-Nord-Eft, à *RES ou vingt-cinq lieues de diftance. Le 29 au matin nous ne vimes plus de terres , nous avions gouverné fur l'Oueft-Nord-Oueft. Je nommai ces terres que nous venions de découvrir l'archipel des orandes Cyclades. À en juger par ce que nous en avons parcouru & par ce que nous avons apperçu dans le lointain , il con- tient au-moins trois degrés en latitude & cinq en longi- tude. Je croirois même volontiers que c’eft fon extrémité feptentrionale que Roggewin a vue fous le onzieme pa- rallele & qu'il a nommé Thienhoven & Groningue. Pour nous , quand nous y atterrimes, tout devoit nous perfua- der que nous étions à /4 terre auftrale du Saint-Efpri. Les apparences fembloient fe conformer au récit de Quiros, & ce que nous découvrions chaque jour encourageoit nos recherches. Il eft bien fingulier que précifément par la même latitude & la même longitude où Quiros place fa grande baie de Saint-Jacques 6 Saint-Philippe , fur une côte qui paroifloit au premier coup d’œil celle d’un conti- nent, nous ayons trouvé un pañlage de largeur égale à celle qu’il donne à l'ouverture de fa baie. Le Navigateur Efpagnol a-t-il mal vü? A-t-il voulu mafquer fes découver- tes? Les Géographes avoient-ils deviné, en faifant de la terre du Saint-Efprit un même continent avec /2 nouvelle Guinée ? Pour réfoudre ce problème, il falloit fuivre encore le même parallele pendant plus de trois cents cinquante lieues. Je m'y déterminai, quoique létat & la quantité de nos vivres nous avertiflent d'aller prompte. ment chercher quelque établiflement Européen. On verra qu'il s’en eft peu fallu que nous n’ayons été les viétimes de notre conftance, F dd PR A : ÀA UT OUR pb u,M Oo N D E€, 253 M. Verron fit plufeurs obfervations pendant le mois de Mai, & leurs réfulrats déterminerent notre longitude le s,le9,le13 &le 22. Il ne s'étoit pas encore trouvé autant de différences entre les obfervations & l’eftime de nos routes, différences toutes du même côté. Le $ à midi jétois plus Eft que l'obfervé de 44 00’ 42/; le o de 44 23/4" ;le:3 de 3438/15"; le 22 enfin de 3435’. Toutes ces différences, on le voit, annonçoient que depuis l'ile de Taiti les courans nous avoient beaucoup entraînés dans l'Oueft. On expliqueroit par-là comment tous les naviga- teurs qui ont traver{él’océan Pacifique, ont rencontréla nou- velle Guinée beaucoup plutôt qu'ils ne lauroient dû. Aufi ont-ils donné à cet océan une étendue de l'Eftà l'Oueft beaucoup moindre que celle qu'il a véritablement. Je dois toutefois faire remarquer que pendant la faifon où le {oleil a été dans l’hémifphere auftral, nos eftimes ont été dans l'Oueft des obfervations, & que depuis qu'il a pañlé de l'autre côté, nos différences ont changé. Le thermometre dans ce mois a été communément entre 19 & 20 degrés, il a deux fois baïflé à 18 & une feule fois à 15. Tandis que nous étions entre les grandes Cyclades , quelques affaires m’avoient appellé à bord de l'Etoile, & jeus occafion d'y vérifier un fait aflez fingulier. Depuis quelque tems il couroit un bruit dans les deux navires que le domeftique de M. de Commerçon, nommé Paré, étoit une femme. Sa ftruéture, le fon de fa voix, fon men- ton fans barbe , {on attention fcrupuleufe à ne jamais changer de linge , ni faire fes néceflités devant qui que ce fût, pluñeurs autres indices avoient fait naître & accrédi- toient le foupcon. Cependant comment reconnoître une femme dans cetinfatigable Baré, botanifte déja fort exercé Différences entre l’eftime &c les obferva. tions. 254 VOYAGE que nous avions vu fuivre fon maître dans toutes fes her- borifations , au milieu des neiges & fur les monts glacés du détroit de Magellan , & porter même dans ces mar- ches pénibles provifions de bouche , armes & cahiers de plantes avec un courage & une force qui lui avoient mérité du Naturalifte le furnom de fa bête de fomme ? Il falloit qu'une fcene qui fe pañla à Taiti, changeâr le foupçon en certitude. M. de Commerçon y defcendit pour herborifer ; à peine Baré qui le fuivoit avec les ca- hiers fous fon bras , eut mis pied à terre , queles Tai- tiens l'entourent, crient que c’elt une femme & veulent lui faire les honneurs de lie. Le Chevalier de Bournand, qui étoit de garde à terre, fut obligé de venir à fon fe- cours & de l’efcorter jufqu’au bateau. Depuis ce tems il étoit aflez difficile d'empêcher que les matelots n’elar- 4 = maflent quelquefois fa pudeur. Quand je fus à Lord de l'Etoile, Baré les yeux baignés de larmes , r avoua qu’elle étoit fille ; elle me dit qu'à Rochefort elle avoit trompé fon maitre en fe préfentant à lui fous des Habiis d'homme au moment même de fon embarquement, quelle avoit déja fervi comme laquais un Genevois à Paris; que née en Bourgogne & orpheline, la perte d’un procès lavoit réduite dans la mifere & lui avoit fait prendre le parti de déguifer fon fexe , qu’au refte elle favoit en s’embarquant qu'il s’agifloit de faire le tour du Monde, & que ce voyage avoit piqué fa curiofité. Elle fera la premiere, & je lui dois la juftice qu’elle s’eft toujours conduite à bord avec la plus fcrupuleufe fagefle. Elle n’eft ni laide ni jolie & n’a pas plus de vingt -fix ou vingt - fept ans. Il faut convenir que fi les deux vaifleaux euflent fait nau- frage fur quelque ile déferte de ce vafte Océan, la chance eût éte fort finguliere pour Baré. Louis TA On a cru var cette Terre du haut des Hats Pate de Din Jüé à heure du Sozr CINQUIEME. DIVISION GOLFE ET ÎSI1I DE LA LOUISIADE JE Parûe C EVA RE Ve Navigation depuis les grandes Cyclades ; découverte du golfe de la Louifrade, extrémités où nous y Jommes ré- duits ; découverte de nouvelles iles ; relâche à la nouvelle Bretagne. D) Epuis le 29 Mai que nous ceflâmes de voir la terre, je fis route à l'Oueft avec un vent d'Eft & de Sud-Eft très- frais. L'Etoile retardoit confidérablement notre marche. Nous fondâmes toutes les vingt-quatre heures fans trou- ver de fond avec une ligne de 240 brafles. Le jour nous forcions de voiles, nous courions la nuit fous les huniers rifés , virant de bord lorfque le tems étoit trop obfcur. La nuit du 4 au $ Juin nous faifions route à FOueft fous nos huniers à la faveur de la lune qui nous éclairoit, lorfqu’à onze heures du foir on apperçut à une demi-lieue de nous dans le Sud des brifans & une côte de fable très-bañle. Nous primes auflitôt les amures à l’autre bord, fignalant en même tems le danger à l'Etoile. Nous courûmes ainfi jufqu’à cinq heures du matin , & alors nous reprimes notre route dans l’Oueft-Sud-Oueft pour aller reconnoïtre cette terre. Nous la revimes à huit heures à une lieue & demie de diftance. C’eft un petit îlot de fable qui s’éleve à peine au-deflus de l’eau & que ce peu de hauteur rend un écueil fort dangereux pour des vaifleaux qui font route de nuit ou par un tems de brume. Il eft fi ras, qu'à deux lieues de diftance avec un horifon fort net on ne le voit que du haut des mâts; il eft couvert d’oifeaux. Je l'ai nommé bäture de Diane. Direction de la route en quittant les Cyciades. 1768. Juin. Rencontre confécutive de brifans. Indices de terre. 256 VOYAGE Dans la journée du $ , on crut à quatre heures après- midi appercevoir la terre & des brifans dans l’'Oueft ; on fe trompoit, & nous continuâmes à y courir jufqu’à dix heures du foir. Nous paflämes le refte de la nuit, partie en panne, partie à courir de petits bords, & au point du Jour nous reprimes notre route toutes voiles dehors. De- puis vinet-quatre heures, il pafloit le long des navires beaucoup de morceaux de bois & des fruits que nous ne connoiffions pas ; la mer étoit aufli entiérement tombée, malgré le grand vent de Sud-Eft, & ces circonftances réu- nies me faifoient penfer que nous avions de la terre dansle Sud-Eft affez près de nous. Nous vimesaufli dans ces para- ges une efpece de poiflons volans finguliere. Ils font noirs à ailes rouges : ils paroiflent avoir quatre ailes au lieu de deux, & leur groffeur eft un peu au-deflus de la grofeur commune de ces poiflons. Le 6, à une heure & demie de l'après-midi, une bâture qui fe montra environ à trois quarts de lieue de l'avant à nous, m'avertit qu'il étoit tems de changer la route que je pourfuivois toujours à Oueft. Elle avoit au-moins une demi-lieue d’étendue depuis le Oueft-quart-Sud-Oueft juf- qu’au Oueft-Nord-Oueft, quelques-uns même crurent ap- percevoir une terre bafle dans le Sud-Oueft des brifans. Je fis gouverner au Nord jufqu’à quatre heures, & alors je remis encore le cap à Oueft. Ce ne devoit pas être pour long-tems ; à cinq heures & demie les vigies apperçurent du haut des mâts de nouveaux brifans dans le Nord-Oueft & le Nord-Oueft-quart-Oueft à-peu-près à une lieue & demie de nous. Nous les approchâmes davantage afin de les mieux reconnoître. On les vit s'étendre du Nord-Nord- Et au Sud-Sud-Oueft plus de deux milles , & on n’en ap- percevoit AUTOUR :DYU, M o N D r. 257 percevoit pas la fin. Peut-être alloient-ils rejoindre ceux qu'on avoit découverts trois heures auparavant. La mer brifoit avec fureur fur ces écueils, & quelques têtes de ro- ches s’élevoient fur l’eau de diftance en diftance. Cette derniere rencontre étoit la voix de Dieu & nous y fümes dociles. La prudence ne permettant pas de fuivre pendant la nuit une route incertaine au milieu de ces parages fu- neftes , nous la paflèmes à courir des bords dans l’efpace que nous avions reconnu le jour, & le 7 au matin, je fis gouverner au Nord-Eft-quart-Nord, abandonnant le projet de poufler plus loin à POueft fous le parallele de 15 degrés. Nous étions aflurément bien fondés à croire que la terre auftrale du Saint-Efprit n’étoit autre que l'archipel des grandes Cyclades, que Quiros avoit pris pour un conti- nent, & repréfenté fous un point de vûe romanefque. Quand je perféverois à courir fous le parallele de 1$ d, c'eft que je voulois que la vüe des côtes orientales de la nouvelle Hollande portât nos conjecttures à l'évidence. Or, en fuivant les obfervations aftronomiques, dont l'accord depuis plus d’un mois afluroit la juftefle, nous étions déjà le 6 à midi par 146 d de longitude orientale , c’eft-à-dire un degré plus à l'Oueft que ne l’eft la terre du Saint-Efprit felon M. Bellin. D'ailleurs la rencontre confécutive de ces brifans vus depuis trois jours, ces troncs d'arbres, ces fruits, ces goëmons que nous trouvions à chaque inftant, la tran- quillité de la mer, la direétion des courans, tout nous a fuffifamment indiqué les approches d’une grande terre, & que même elle nous environnoit déjà dans.le Sud-Fft. Cette terre n’eft autre que la côte orientale de la nouvelle Hollande. En effet, ces écueils multipliés & étendus au Kk Le Changement forcé dans la direétion de la route, Réflexions geographi- ques, Découvertes &e nouvelles erres. 158 VOYAGE large , annoncent une terre bafle ; & quand je vois Dam- pierre abandonner par notre même latitude de 13 d 35 ! la côte occidentale de cette région ingrate où il ne trouve pas même d’eau douce, j'en conclus que la côte orientale ne vaut pas mieux. Je penferois volontiers comme lui que cette terre n’eft qu'un amas d'îles , dont les approches font défendues par une mer dangereufe , femée d’écueils & de bas-fonds. Après de pareils éclairciflemens , 1l ÿ äuroit eu de la témérité à rifquer de s’affaler fur une côte dont on ne dévoit efpérer aucun avantage, & de laquelle on ne pou- voit fe relever qu’en luttant contre les vents régnans. Nous n'avions plus de pain que pour deux mois, des légumes pour quarante jours ; la viande fälée étoit en plus grande quantité , mais elle infeétoit. Nous lui préférions les rats qu'on pouvoit prendre. Ainfi de toutes façons il étoit téms de s'élever dans le Nord, en faifant même prendre de l'Eft à notre route. Malheureufement les vents de Sud-Eft nous abandonne- rent ici, & quand enfuite ils revinrent, ce fut pour nous mettre dans la fituation la plus critique où nous nous fu fions encore trouvés. Dépüisle , la route ne nous avoit valu que le Nord-quart-Nord-Eft, lorfque le 10 au point du jour on découvrit la terre depuis l'Eft jufqu’au Nord- Oueft. Long-tems avant le lever de l'aurore, une odeur délicieufe nous avoit annoncé le voifinage de certe terre qui formoït un grand golfe ouvert au Sud-Eft. J'ai peu vu de pays dont le coup d’œil fût plus beau. Un terrein bas, partagé en plainès & en bofquets, régnoit fur le bord de la mer, & s'élevoit enfuite en amphithéatre jufqu’aux mon- tagnes dont la cime fe perdoit dans les nues. Onendiftin- guoïtitrois étages, 8 la chaîne la plus élevée étoit à plus AUTOUR DU MONDE 39 de 25 lieues dans l'intérieurdupays. Le trifte état où nous étions réduits ne nous permetroit , ni de facrifier quelque tems à la vifite de ce magnifique pays que tout annonçoit être fertile & riche , ni de chercher en faifant route à Oueft,un paflage au Sud de la nouvelle Guinée, qui nous frayât par Le solfe de la Carpentarie une route nouvelle & courte aux iles Moluques. Rien n’étoit à la vérité plus pro- blématique que l’exiftence de ce paffage; on croyoit même avoir vu la terre s'étendre jufqu’au Oueft-quart-Sud-Oueft. Il falloit tâcher de fortir, au-plutôt & par le chemin qui fembloit ouvert, de ce golfe dans lequel nous étions en- gagés beaucoup plus même que nous ne le croyions d’a- bord. C’eft où nous attendoit le vent de Sud-Eft pour met- tre notre patience aux dernieres épreuves. Toute la journée du 10, le calme nous laiffa à la merci d'une orofle lame du Sud-Eft qui nous jettoit à terre. A quatre heures du foir ,nous n’étions pas à plus de trois quarts de lieue d’une petite île baffle, à la pointe orientale de la- quelle eft attachée une bâture qui fe prolonge à deux ou trois lieues dans l'Eft. Nous parvinmes, vers cinq heures, à mettre le cap au large, & la nuit fe pafla dans cette in- quiétante fituation, faifant tous nosefforts pour nous élever à l’aide des moindres brifes. Le 11 après-midi, nous étions écartés de la côte environ de quatre lieues ; à deux lieues la mer y eft fans fond. Plufieurs pirogues voguoient le long de terre fur laquelle il ÿ eut toujours de grands feux allumés. Il y a ici de la toftue; nous en trouvèmes les dé- bris d’une dans le ventre d’un requin. Le 11, nous relevämes au foleil couchant ie terres les plus Eft à l'Eft-quart-Nord-Eft 24 Eft du compas, &r les plus Oueft à Oueft Nord-Oueft, les unes & les autres en- KKki Situation cri- tique dans la- quelle nous nOUS trou vons. 260 Vo y a GE viron à quinze lieues de diftance. Les jours fuivans furent. affreux: tout fut contre nous ; le vent conftamment de, l'Eft-Sud-Eft au Sud-Eft très-grand frais, de la pluie, une: brume fi épaifle que nous étions forcés de tirer des coups: de canon pour nous conferver avec l'Etoile qui contenoit encore une partie de noswivres, enfin-üune mer-très-profle quinous aflaloit fur la côte. À peine nous foutenions-nous en louvoyant, forcés de virer-vent arriere, &ne pouvant faire qué très-peu de voiles. Nous courions ainf nos bords à tâtons au milieu d’une mer femée d'écueils, étant obligés de fermer les yeux fur tous les indices des dangers. La! nuit du 11 au 12, fept ou huit de ces poiflons qu’on nom- me comnets ; poiflons qui fe tiennent toujours fur le fond, fauterent fur les paflavans. Il vint aufli fur le gaillard d’a- Dangersmul Vant du fable &: des goëmons de fond que lés vagues y Es al dépofoient en le couvrant. Je ne voulus pas faire fonder; la certitude du péril ne l’eût pas diminué , & il. étoit le, même quelque autré parti que nous euflions pris. Au refte, nous devons notre falut à la connoïffance que nous etimes de la terre le 10 au matin, immédiatement avant cette fuite de gros tems & de brume. En eflet les vents étant, de PEft-Sud-Eft au Sud-Eft, j'aurois penfé qu'en gouvér-, nant au Nord-Eft, c'eùt été un excès de prudence accor- dé à l’obfcurité du tems. Toutefois cette route nous met- toit dans le rifque évident de nous perdre , puifque nous avions la terre jufque dans l’Eft-Sud-Eft. drto) Le tems fe remit. au beau le 16, le vent. demeurant. également contraire, mais. au-moins le jour nous éroit rendu. À fix heures du matin nous vimes là terre depuis le Nord jufqu'au Nord-Eft-quart-Eft du compas , & nous louvoyâmes pour la doubler. Le 17 au matin nous nevi- A U TIO UK RS D WU OMO N D E, 261 mes point de terre au lever du foleil; mais à neuf heures & demie nous apperçûmes une petite île dans le Nord- Nord-Eft du compas à cinq ou fix lieues de diftance, & une autre terre dans le Nord-Nord-Oueft environ à neuf lieues. Peu après nous découvrimes dans Nord-Eft-; d-Eft à quatre ou cinq lieues une autre petire ile que fa reflem- blance avec Oueffant nous fit appeller du même nom. Nous continuions notre bordée au Nord-Eft-quart-Eft ef pérant doubler toutes les terres, lorfqu’à onze heures on en découvrit une nouvelle dans l'Eft-NordÆEft-;d-Nord & des brifans dans l'Eft-Nord-Eft, qui paroifloient venir joindre Oueflant. Dans le Nord - Oueft de cet îlot on voyoit une autre chaîne de brifans qui s’allongeoïit à une demi-lieue. La premiere ile nous fembloit être aufli entre deux chaînes de brifans, Tous les navigateurs qui font venus dans ces parages, avoient toujours redouté de tomber dans le Sud de la nou- velle Guinée , & d’y trouver un golfe correfpondant à ce- lui de la Carpantarie , d’où il leur fût enfuite difhicile de fe relever. En conféquence ils ont tous gagné de bonne. heure la latitude de la nouvelle Bretagne , fur laquelle ils alloient atterrir. Tous ont fuivi les mêmes traces; nous en ouvrions de nouvelles, & il falloit payer l’honneur d’une premiere découverte. Malheureufement le plus cruel de nos ennemis étoit à bord, la faim. Je fus obligé de faire une réduétion confidérable fur la ration de pain & de légumes. Il fallut aufñ défendre de manger le cuir dont on enveloppe les vergues & les autres vieux cuirs, cet aliment pouvant donner de funeftes indigeftions. Il nous reftoit une chevre, compagne fidele de nos aven- tures depuis notre fortie des îles Malouines où nous l'a- Extrémités auxquelles nous fommes réduits. 262 VOYAGE vions prife. Chaque jour elle nous donnoit un peu de lait, Les eftomacs affamés dans un inftant d'humeur, la con- damnerent à mourir ; je n'ai pu que la plandre , & le boucher qui la nourrifloit depuis fi long-tems, a arrofé de fes larmes la viétime qu'il immoloit à notre faim. Un jeune chien pris dans le détroit de Magellan, eut le même fort peu de tems après. Le 17 après midi les courans nous avoient été fi favo- rables, que nous avions repris la bordée du Nord-Nord- Ett, portant fort au vent d'Oueflant & de fes bâtures. Mais à quatre heures nous eûmes la conviétion que ces brifans s’étendoient beaucoup plus loin que nous n’avions penfé ; on en découvroit jufque dans l’'Eft-Nord-Eft, fans que ce füt encore leur fin. Il fallut reprendre pour la nuit la bordée du Sud-Sud-Oueft, & au jour celle de l'Ef. Pendant toute la matinée du 18 nous ne vimes point de terres , & déja nous nous livrions à l’efpoir d’avoir doublé îlots & brifans. Notre joie fut courte. À une heure après midi une île fe fit voir dans le Nord-Eft-quart-Nord du compas , &cbientôt elle fut fuivie de neuf ou dix autres. Il y en avoit jufque dans l’Eft-Nord-Eft, & derriere ces îles une terre plus élevée s’étendoit dans le Nord-Eff, environ à dix lieues de diftance. Nous louvoyämes toute la nuit; le jour fuivant nous donna le même fpettacle d’une dou- ble chaine de terres courant à-peu-près Eft & Oueft, fa- voir au Sud une fuite d’ilots joints par des récifs à fleur d'eau, dans le Nord defquels s’étendoient des terres plus” élevées. Les terres que nous découvrimes le 20, nous pa- rurent prendre moins du Sud, & ne plus courir que fur l'Eft-Sud-Eft ; c’étoit un amandement à notre pofition. Je pris le parti de courir des bords de vingt-quatre heures; AU OR DUC M O x D €. bi nous perdions trop à virer plus fouvent , la mer étant ex- trêmement grofle , le vent violent & conftamment le mé- me : d’ailleurs nous étions contraints à faire peu de voiles pour ménager une mäture caduque & des manœuvres en- dommagées, & nos navires marchoient très-mal, n'étant plus en afette & n’ayant pas été carenés depuis fi long- tems. Nous vimes la terre le 25 au lever du foleil depuis le Nord jufqu’au Nord-Nord-Eft ; mais ce n'étoit plus une terre baffle ; on appercevoit au contraire une terre extré- mement haute & qui paroifloit fe terminer par un gros cap. Ii étoit vraifemblable qu’elle couroit enfuite fur le Nord. Nous gouvernâmes tout le jour au Nord-Eft-quart- Ef & à l'Eft-Nord-Ef, fans voir de terres plus Eft que le cap que nous doublions avec une fatisfaétion que je ne fçaurois dépeindre. Le 26 au matin, le cap étant beau- coup fous le vent à nous, & ne voyant plus de terres au vent, ilfut enfin permis de mettre la route au Nord- Nord-Eft. Nous appellimes ce cap après lequel nous avions fi long-tems afpiré , Ze cap de la Délivrance, & le golfe dont il fait la pointe orientale, /e golfe de la Louifiade. C'eft une terre que nous avons bien acquis le droit de nommer. Pendant les quinze jours pañlés dans ce golfe, les courans nous ont aflez régulierement portés dans l’'Eft. Le 26 & le 27 le vent fut très-grand frais, la mer affreufe, le tems à grains & fort obfcur. Il ne fur pas poflible de faire du chemin pendant la nuit. Nous nous étions élevés environ foixante lieues dans le Nord depuis le cap de la Délivrance , lorfque le 28 au matin on découvrit la terre dans le Nord - Oueft à neuf ou dix lieues de diftance. C’étoient deux îles dont la plus Nous dou- blons enfin les terres du golfe, 264 VOYAGE méridionale reftoir, à huit heures, dans le Nord-Oueft-quart- Oueft du compas. Une autre côte longue &élevée fe fr ap- percevoir en même tems depuis l’Eft-Sud-Eft jufqu’à l'Eft- Nord-Eft. Celle-ci couroit fur le Nord; & à mefure que nous avancions dans le Nord-Eft, on la voyoit fe prolon- ger davantage & tourner au Nord-Nord-Oueft. On dé- couvrit cependant un efpace où la côte étoit interrompue, foit que ce fût un canal ou l’ouverture d’une grande baie, Rencone Car on crut diftinguer des terres dans le fond. Le 29 au de nouvells matin , la côte que nous avions à l’Eft continuoit à s’éten- sp dre furle Nord-Oueft, fans que de ce côté notre horifon fût borné. Je voulus la rallier-pour la prolonger enfuite & chercher un mouillage. À trois heures après midi, étant à près de trois lieues de terre, nous avions trouvé fond par 48 brafles, fable blanc & morceaux de coquilles bri- {ées : nous portâmes alors fur une anfe qui paroifloit com- mode ; mais le calme furvint & nous confomma inutile- ment le refte de la journée. La nuit fe paffa à courir de petits bords, & le 30 dès la pointe du jour j’envoyai les bateaux avec un détachement aux ordres du Chevalier de Bournand, pour vifiter le long de la côte plufeurs anfes qui fembloient promettre un mouillage, le fond trouvé au large étant d’un augure favorable. Je Le fuivis à petites voiles, prêt à le joindre au premier fignal qu’il nous en feroit. Defcription Vers les dix heures une douzaine de pirogues de diffé- esinfkires. -entes grandeurs vinrent aflez près des navires, fans tou- tefois vouloir les accofter. Il y avoit vingt-deux hommes dans la plus grande, dans les moyennes huit ou dix, deux ou trois dans les plus petites. Ces pirogues paroifloient bien faites ; elles ont l’avant & l'arriere fort relevés, ce font les 2L 22, Zrle de S'usrmet Lrles D Bouchage nt ile d'Orason Xl Bnunand L A BRETAGNE sup Aoër £ LS 7 à À CnçuiemMEe Dirision SLES DE LA LOUISIADE| I Parte ‘a? lullet DR. roma À AUTOUR DU MONDE 36% les premieres que nous ayons vu dans ces mers fans ba- lancier. Ces infulaires font auffi noirs que les Negres d’A. frique ; ils ont les cheveux crépus, mais longs, quelques- uns de couleur roufle. ils Lo des bracelets & des pla- ques au front & fur le col. J'ignore de quelle matiere, elle m'a paru être blanche. Ils font armés d’arcs & de fa- gayes, ils faifoient de grands cris, & il parut que leurs dif pofitions n’étoient pas pacifiques. 7 e rappellai nos bateaux à trois heures. Le Chevalier de Bournand me rapporta qu'il avoit trouvé prefque par-tout bon fond pour mouil- ler par 30, 25, 20, 15 juiqu'à 11 brafles fable vazeux, mais en pleine côte & fans riviere ; qu'il n’avoit vu qu’un feul ruifleau dans toute cette étendue. La côte ouverte eft prefque inabordable , la vague ybrife par-tout , les monta- gnes viennent s’y terminer au bord de la mer, & le fol eft entiérement couvert de bois. Dans de petites anfes il y a quelques cabanes, mais en petit nombre; les infulaires habitent dans la montagne. Notre petit canot fut fuivi quelque tems par trois ou quatre pirogues qui fembloient vouloir l’attaquer. Un infulaire même fe leva plufeurs fois pour lancer une fagaye ; maisil ne le fit pas, &le ca- not revint à bord fans guerroyer. Notre fituation au refte étoit aflez critique. Nous avions des terres inconnues jufqu’à ce jour, d’une part depuis le Sud jufqu’au Nord-Nord-Oueft par l'Eft & le Nord ; de Vautre depuis l’Oueft- quart - Sud - Oueft jufqu’au Nord- QOueft. Malheureufement l’horifon étoit tellement embru- mé depuis le Nord-Oueft jufqu'au Nord-Nord-Oueft, qu'on ny voyoit pas de ce côté à la diftance de deux lieues. C’étoit toutefois dans cet intervalle que je comptois chercher un paflage ; nous étions trop avancés pour recu- ÉI Tentative inutile pour trouver un mouillage. 1768. Juillet. Parages dan- gereux. 266 VOYAGE ler. Il eft vrai qu'une forte marée qui venoit du Nord & portoit dans le Sud-Eft, nous faifoit efpérer d'y trouver un débouché. Le fort de la marée fe fit fentir depuis quatre heures jufqu’à cinq heures & demie du foir ; les vaifleaux, quoique pouflés d’un vent très-frais, gouvernoient avec peine. La marée mollit à fix heures. Pendant la nuit nous louvoyâmes du Sud au Sud-Sud-Oueft fur un bord, de P'Eft-Nord - Eft au Nord-Ef fur l’autre. Le tems fut à grains avec beaucoup de pluie. Le 1°" Juillet à fix heures du matin nous nous retrouvà- mes au même point où nous étions la veille à l'entrée de la nuit , preuve quil y avoit eu flux & reflux. Nous gouvernâmes au Nord-Oueft & Nord-Oueft-quart-Nord. À dix heures nous donnâmes dans un paflage large envi- ron de quatre à cinq lieues entre la côte prolongée jufqu'ici à V'Eft & les terres occidentales. Une marée trés-forte, qui porte Sud-Eft & Nord-Oueft, forme au milieu de ce pañlage un raz qui le traverfe & où la mer s’éleve & brife comme sil y avoit des roches à fleur d’eau. Je le nommai raz Denis ; du nom de mon maître d'équipage , bon & ancien ferviteur du Roi. L'Etoile qui le pafla deux heures après nous & plus dans l'Oueft, s’y trouva fur 5 brafles d'eau fond de roches. La mer y étoit alors fi mauvaife, qu'ils furent contraints de fermer les écoutilles. À bord de la frégate nous y fondâmes par 44 brafles , fond de fable, gravier, coquilles & corail. La côte de l'Eft com- mençoit ici à s'abaifler & à tourner au Nord. Nous y ap- perçümes, étant à-peuprès au milieu du paflage ; une jo- lie baie dont l’apparence promettoit un bon mouillage. II faifoit prefque calme & la marée dont le cours étoit alors au Nord Oueft, nous la ft dépañler en un inftant. Nous ei 1! 2 à À Er 12 PLAN DE LA BAYE CHOISEUIL Dans une des Ifles DE LA LOUISLADE drasrar F vwlLe CA 2 Ance aux Cuerriers Echelle dune Li ni Fi qu th Li ra j A ri PAT A U TOUR (D UM O N D E. 267 tinmes aufltôt le vent dans l'intention de la vifiter. Un déluge de pluie, furvenu à onze heures &c demie , nous déroba la vue de la terre & du foleil, & nous força de différer nos recherches. A une heure après-midi, j’envoyai les bateaux armés aux ordres du Chevalier d'Oraifon, Enfeigne de Vaifeau, pour fonder &reconnoïître la baie, & pendant le tems de cette opération nous tâchâmes de nous maintenir à portée de fuivre fes fignaux. Le tems étoit beau, mais prefque calme. A trois heures, nous vimes le fond fous nous par 10 & 8 brafles, fond deroches. A quatre heures nos ba- teaux firent fignal de bon mouillage, & nous manœuvrä- mes aufli-tôt toutes voiles hautes pour le gagner. Il ventoit peu &c la marée nous étoit contraire. À cinq heures nous répaflâmes fur le banc de roches par 10,9,8,7,&6 brafles. Nous vimes même dans le Sud-Sud-Eft environ à une encablure , un remoux qui fembloit indiquer qu’en cet endroit il n’y avoit pas plus de deux ou trois braffes d’eau. En gouvernant auNord-Oueit & Nord-Oueft-quart-Nord, nous augmentames d’eau. Je fis à l'Etoile le fignal d'arriver, afin qu'elle évitât ce banc, & je lui envoyai fon bateau pour la guider au mouillage. Cependant nous n’avancions point, le vent étant trop foible pour nous aider à refouler la marée , & la nuit approchoit à pas précipités. En deux heures entieres nous ne gagnâmes pas une demi-lieue, & il fallut renoncer à ce mouillage , étant impraticable d’al- ler le chercher à tâtons, environnés comme nous l’étions de baffes, de récifs, & livrés à des courans rapides & irré- guliers. Je fis donc gouverner à Oueft-quart-Nord-Oueft, & Oueft-Nord-Oueft pour nous remettre au large, fondant fouvent. Lorfque nous eûmes amené la pointe feptentio- L li Nouvelle ten: tative pour trouver relâche. une 268 Vio YA GE nale de la terre au Nord-Eft, nous arrivämes au Nord- Lesinfulaires attaquent nos bateaux. Defcription de leurs ca- nots. Oueit, puis au Nord-Nord-Oueft & au Nord. Jereprends le détail de l'expédition de nos bateaux. | Avant que d'entrer dans la baie, ils en avoient d’abord rangé la pointe du Nord, qui eft formée par une pref- qu'ile le long de laquelle ils trouverent fond depuis 9 juf- qu'à 13 braffes, fable & corail. Ils s’enfoncerent enfuite dans la baie, & ils y trouverent à un quart de lieue en- dedans un très-bon mouillage fur 9 & 12 braffes, fond de fable gris &c gravier, à l'abri depuis Le Sud-Eft jufqu’au Sud- Oueft en paflant par ES & le Nord. Comme ils étoient occupés à fonder, ils virent tout-d’un-coup paroïtre à l’en- trée de la baie dix pirogues, fur lefquelles il y avoit envi- ron cent cinquante hommes armés d’arcs, de lances. & de boucliers. Elles fortoient d’une ance, qui renferme une petite riviere dont les bords font couverts de cabannes. Ces pirogues s'avancerent en bon ordre, voguant fur nos ba- teaux à force de rames, & lorfqu’elles s’en jugerent affez près, elles fe féparerent fort leftement en deux bandes pour les envelopper. Les Indiens alors pouflerent des cris affreux, & faififlant leurs arcs & leurs lances:, ils com- mencerent une attaque, qui devoit leur paroïtre un jeu, contre une poignée d'hommes. On fit fur eux une pre- miere décharge qui ne les arrêta point. Ils continuerent à lancer leurs fleches &c leurs fagayes, fe couvrant de leurs boucliers, qu'ils croyoient une arme défenfive. Une fe- conde décharge les mit en fuite ; plufñeurs fe jetterent à la mer pour gagner la terre à la nage. On leur prit deux pi- rogues : elles font fort longues, bien travaillées, l'avant &z Varriere font extrèmement relevés, ce qui fert d’abri con- tre les fleches en préfentantle bout. Sur le devant d’une de ET ET 7 TES M eat È PET LAN = 2 PNR EE Na 72 à NS NT SR f LE Le en PSS ETS (res SANS L< RES A Canot Sauvage de ie Louretutl ! AUTOUR pu: MoN D :«t. 269 ces pirogues il y avoit une tête d'homme fculptée; les yeux étoient de nacre, les oreilles d’écaille de tortue , & la figure reflembloit à un mafque garni d’une longue bar- be. Les levres étoient teintes d’un rouge éclatant. On trouva dans leurs pirogues des arcs, des fleches en grand nombre, des lances, des boucliers, des cocos, & plufeurs autres fruits dont nous ne connoïflions pas l’efpece, de l'areke, divers petits meubles à l’ufage de ces Indiens, des filets à mailles très- fines artiftement tiflus, & une mâ- choire d'homme à demi grillée. Ces infulaires font noirs & ont les cheveux crépus qu'ils teignent en blanc, en jaune & en ronge. Leur audace à nous attaquer, l’ufage de porter des armes offenfives & défénfives, leur adreffe à s’en fervir, prouvent qu'ils font prefque toujours en état de guerre. ÀÂu reite, nous avons obfervé dans le cours de ce voyage, qu'en général les hommes negres font beau- coup plus méchans que ceux dont la couleur approche de la blanche. Ceux-ci font nuds, à l'exception d’une bande de natte qui leur couvre les parties naturelles. Leurs bou- cliers font d’une forme ovale, faits de joncs tournés les uns au-deflus des autres, & parfaitement bien liés. Ils doivent être impénétrables aux fleches. Nous avons nom- mé la riviere & l’ance d’où font fortis ces braves infulai- res , La riviere des Guerriers ; V'ile entiere & la baie, e & baie Choifeul, La prefqu'ile du Nord eft entierement cou- verte de cocotiers. Il venta peu les deux jours fuivans. Après être fortis du paflage nous découvrimes dans l'Oueft une côte longue & montueufe , dont les fommets fe perdoïent dans les nues. Le 2 au foir nous voyons encore les terres de l'ile Choifeul. Lez au matin nous ne voyions plus que la nou- Defcription - des infulaires, Suite de nos découvertes. 270 VW or CE velle côte, qui eft d’une hauteur furprenante , & qui court fur le Nord-Oueft-quart-Oueft. Sa partie feptentrionale nous parut alors terminée par une pointe qui s’abaifle in- fenfiblement & forme un cap remarquable. Je lui ai donné le nom de cap l’Averdr. Il nous reftoit le 3 à midi, envi- ron à douze lieues dans l’'Oueft-5d-Nord du compas, & la hauteur méridienne que nous obfervämes, nous donna le moyen de déterminer avec juftefle fa pofition en lati- tude. Les nuages qui couvroient les fommets des terres fe difiperent au coucher du foleil , & nous laiflerent apper- cevoir des cimes de montagnes d’une hauteur prodigieufe. Le 4 les premiers rayons du jour nous firent voir des terres plus occidentales que le cap l'Averdi. C’étoit une nouvelle côte moins élevée que l’autre, & courant fur le Nord-Nord-Oueft. Entre la pointe Sud-Sud-Eft de cette terre & le cap l’Averdi , il reftoit un vafte efpace formant ou un paflage ou un golfe confidérable. Dans un grand éloignement on y appercevoit quelques mondrains. Der- riere cette nouvelle côte, nous en apperçümes une plus haute qui fuivoit le même giflement. Nous tinmes le plus près toute la matinée pour accofter la terre bañle. Nous en étions à midi environ à cinq lieues de diftance, & nous relevâmes fa pointe du Nord-Nord-O ueft au Sud-Oueñt- quart-Oueft. L'après midi trois pirogues, dans chacune defquelles étoient cinq à fix Negres, fe détacherent de la côte & vinrent reconnoître les vaifleaux. Elles s’arrêterent à une portée de fufñl, & ce ne fut qu'après y avoir pañlé près d’une heure, que nos invitations réitérées les dérer- minerent enfin à s'approcher davantage. Quelques baga- telles qu’on leur jetta attachées fur des morceaux de plan- ches acheverent de leur donner un peu de confiance. Ils A U MO UARO EV0 EM O N D E. 271 accofterent le navire en montrant des noix de cocos & criant /ouca, bouca, onellé. Ils répétoient fans cefle ces mots que nous crièmes enfuite comme eux, Ce qui parut leur faire plaifr. Ils ne refterent pas long-tems le long du vaiffeau. Ils nous firent figne qu’ils alloïent nous chercher des noix de cocos. On applaudit à leur deflein ; mais à peine furent - ils éloignés à vingt pas, qu’un de ces hom- mes perfides tira une fleche qui n’atteignit heureufement perfonne. Ils fuirent enfuite à force de rames ; nous étions trop forts pour les punir. Ces Neores {ont entierement nuds. Ils ont les cheveux crépus & courts, les oreilles percées & fort allongées. Plufeurs avoient la laine peinte en rouge & des taches blanches en différens endroits du corps. H paroît qu'ils mâchent du bétel , puifque leurs dents font rouges. Nous avons vû que les habitans de File Choifeul en font auf ufage ; car on trouva dans leurs pirogues de petits facs où il y en avoit des feuilles avec de l’areke & de la chaux. On a eu de ceux-ci des arcs longs de fix pieds , & des fleches armées d'un bois fort dur. Leurs pirogues font plus petites que celles de lance des Guerriers , & nous fümes furpris de ne trouver aucune reflemblance dans leur conftruétion. Ces dernieres ont l’avant & l'arriere peu relevés ; elles font fans balancier, mais aflez larges pour que deux hommes y nagent en couple. Cette ile que nous: avons appellée Bouka, paroït être extrèmement peuplée, f l’on en juge par la quantité de cafes dont elle eft couverte & par les apparences de culture que nous y avons apper- çues. Une belle plaine à mi-côte , toute plantée de coco- tiers & d’autres arbres, nous’offroit la-plus agtéable perf- pective, & je defirois fort trouver un mouillage fur cette Defcription d'infulaires qui s’appro- chent des na- vires. Relâche a la nouvelle Bre- tagne, 272 VOYAGE côte ; mais le vent contraire & un courant rapide qui por- toit dans le Nord-Oueft nous en éloignoient vifiblement. Pendant la nuit nous tinmes le plus près gouvernant au Sud-quart-Sud-Oueft & Sud-Sud-Oueft, & le lendemain au matin l'ile Bouka étoit déjàbien loin de nous dans l'Eft & le Sud-Eft. La veille au foir on avoit apperçu du haut des mâts une petite île qui fut relevée depuis le Nord - Oueft jufqu'au Nord-Oueft-quart-Oueft du compas. Au refte, nous ne pouvions être loin de la nouvelle Bretagne , & c’étoit-[à que nous comptions trouver une relâche. Nous eùmes connoiflance le ÿ après midi de deux pe- tites îles dans le Nord & le Nord-Nord-Oueit, à dix où douze lieues de diftance , & prefque au même inftant d’une autre plus confidérable entre le Nord-Oueft & l'Oueft ; les terres de cette derniere, les plus voifines de nous à cinq heures & demie du foir, nous reftoient au Nord-Oueft-quart-Oueft environ à fept lieues. La côte étoit élevée & paroïfloit renfermer plufeurs baies. Com- me nous n'avions plus ni eau ni bois, & que nos malades empiroient, Je réfolus de m'arrêter ici, & nous fimes toute la nuit les bordées les plus avantageufes pour nous confer- ver cette terre fous le vent; Le 6 ; au point du jour, nous en étions à cinq ou fix lieues, & nous portâmes deflus dans le même moment où nous découvrions une nouvelle terre haute & de belle apparence dans Le Oueft-Sud-Oueft de celle-ci, depuis dix-huit jufqu’à douze fe dix lieues de diftance. Se les huit heures étant environ à trois lieues de la premiere, j'envayai le Chevalier du Bouchage avec _ deux bateaux armés pour 118 ) 2013 99 99fFIÈ né Nous étiüns dans ce moment tprefqué pat” le travers s de la‘troïfieme pe de Celebes, nommée! Tanakeka' | après! laquelle la côte ccurr ur le Norde Nord - Oueit. Prefque: dati le NordOueffdecette poinreilya quatre Îles, dons Ja ds confdérabl é, appelée Tanakeka , comme! la AUTO ue ADYUOIM:o:N'D,E, Gp pointe duSud-Oueit de Celebes,eft bafle, unie, 8 longue d'environ :trois lieues, Les trois autres, plus feprentriona- les que celles-ci, {ont très-petites. Il Sagifloit alors de doublerde bas fond dangereux de érill où la lunerte, que je crois être Nord:& Sud de Tanakeka:,à la diftancé. de quatre ou cinq lieués au plus. Deux paflages fe préfen- toient, l’un entre lapointe Tanakeka &rles îles; &on prétend que c'eft celui-là que fuivent les Hollandois, l’au- tre entre l'ile Tanakeka & la lunette. Je préférai ce der- nier dont les toutes: font: moins. ge te “ëc gai je croyois le plus large: | ï Fordonnaï au bateau de: L'Étoile de bee fa route, dE maniere à pafler environ à une lieue & demie de l’île Ta nakeka , & je le fuivis fous les huniers, l'Etoile feitenant dans mes eaux. Nous cheminèmes fur 8; 9, 10, 11 @& 12 brafles d’eau, gouvernant du Oueit - Nord-Oueft au Oueft-quart-Nord-Oueft,puis à Oueft quand nonsvinmes à 13, #4, 15/@& 16 brafles, & que l'ile la plus feptentrio: nale nous refta au Nord:Nord-Eft. Je rappellai pour-lors le bateau de l'Etoile, & & je fisroute au Sud: Oueft- quart: Sud, fondant. d'horloge en horloge (r'); 8c:trouvant tou- jours de 15 à 16 brafles fond dergros fable gris. &r gravier, À dix heures du foir, le fondaugmenta:;on eut à dix heu- &c demie 70 brafles, fable & corail, puis on n'ên :trouva plus en filant 1 2o‘brafles. À minuit, je fs figñal à l'Etoile d'embarquer fon bateau: &deiforèer de:voiles, 8 je gout vernaïau Sud-Oueft, pour 'pdfler à mi-eahnal entrela:lui . nette & le banc nommé aras!, fondant toutesoles heures fans trouver de fond: Au refté} lorfque lecvenit -n’eft pas favorable &r frais pour: Entreprendre de: ni se Pat 3 Hibehose no FT Chaque horloge à bord eft d'une RE LAS giga à ic Vs vi Suite de la direttion de la route. 340 VOYuGE il convient de mouiller à la côte de Celebes, dans quel- qu'une des baies, & d’y attendre un tems fait ; fans cela on court rifque d’être entrainé par les courans fur ce dan- gereux bas fond, fans pouvoir s'en défendre. L Au jour on ne vit point de terre ; à dix heures je fis courir à Oueft-Sud-Oueft, & à midi nous obfervâmes 64 10’ de latitude. Eftimant alors avoir doublé le banc de Saras, certain au moins par l’obfervation d’en être au Sud, je dirigeai notre courfe à Oueft , & après avoir fait cinq à fix lieues à cette route , je fis gouverner à Oueft - quart- Nord-Ouef, fondant d'heure enheure fans trouver de fond. Nous nous entretinmes ainfi en canal, entre le Se//enbanc & la Poule au Nord, Le Pater nofter & le Tangayans au Sud, portant toutes voiles dehors jour & nuit, afin de gagner fur l'Etoile le tems de fonder. On m’avoit dit qu'ici les courans portoient fur les iles & banc de Tangayang. Par l’obfervation de la hauteur méridienne qui fut de 5% 44’, nous eûmes au contraire au moins neuf minutes de difié- rence Nord. Le meilleur confeil à donner, c’eft de s’entre- tenir ici, à n'avoir pas fond. On fera sûr alors d'être en canal ; fi on approchoit trop des iles du Sud , on commen- ceroit à ne plus trouver que 30 brafles d’eau. Nous courûmes toute la journée du 21 pour reconnoître les îles Alambar. Les. cartes Françoifes en marquent trois enfemble, & une plus grande dans le Sud-Eft d'elles, à {ept lieues de diftance. Cette derniere n’exifte point obils la placent, & les îles Alambaï font toutes les quatre réu- mes. Je Comptois être au foleil couchant par leur latitu- de , & je fis gouverner à Oueft-quart-Sud-Oueft, jufqu'a ce qu'on eût couru le chemin de la vue. Pendant le jour on s’étoit difpenfé de fonder. A huit heures du foir la AUTOUR PUGMONDE. 341 {onde donna 4obrafles d’eau , fond de fable & vaze. Nons gouvernâmes alors au Sud-Oueft - quart-Oueft & Ouett- Sud-Oueft, jufqu'à fix heures du matin; puis, comptant avoir dépañlé les îles Alambai, à Oueft-quart-Sud-Oueft jufqu'à midi. La fonde, pendant la nuit, donna conftam- menr 40 brafles, fond de vaze molle, jufqu’à quatre heu- res qu'elle n’en donna que 38. À minuit nous vimes un bateau qui couroit à l’encontre de nous; dès qu'il nous apperçut, il tint le vent, & deux coups de canon ne le firent pas arriver. Ces gens-là craignent plusles Hollandois que les coups de canon. Un autre, que nous vimes le ma- tin, ne fut pas plus curieux de nous accofter. Nous obfer- vämes à midi 64 8/ de latitude , & cette obfervation nous donna encore une différence Nord de huit minutes avec notre eftime. Nous étions enfin hors de tous les pas périlleux qui font redouter la navigation des Moluques à Batavia. Les Hol- landois prennent les plus grandes précautions pour tenir fecretes les cartes fur lefquelles ils naviguent dans ces pa- rages. Il eft vraifemblable qu'ils en grofliflent les dangers; du-moins, jen vois peu dans les détroits de Button, de Sa- leyer & dans le dernier paffage dont nous fortions, : trois objets dont à Boëro ils nous avoient fait des monftres. Je conviens que cette navigation feroit beaucoup plus difi- cile de POueft à l'E; les points d'atterrage dans l'Eft n'étant pas beaux &.pouvant aifément fe manquer, au- lieu que ceux de l’Oueft font beaux & sûrs. Toutefois, dans l'une & l’autre route, l’effentiel eft d’avoir, tous les jours, de bonnes obfervations de latitude. Le défaut de ce fe- cours , Pourroit jetter dans des erreurs, funeftes. Nous n'avons pô, ces derniers jours , évaluer fi l'effet des cou- Remarques générales fur cette naviga- tion. Inexatitude des cartes connues de cette partie. 342 é VOYAGE rans étoit dans PEX ou dans l'Oueft, n'ayant point eu de points de relevement. Je dois avertir ici que toutes les cartes marines FanbeË fes de cette partie font pernicieufes. Elles font inexaétes, non-feulement dans les giffemens des côtes & îles, mais même dans des latitudes eflentielles. Les détroitsde Button & de Saleyer font extrémement fautifs; nos cartes fappri- ment même les trois îles qui rétréciflent ce dernier pafla- ge, & celles qui font dans le Nord-Nord - Oueft de File Tanakeka. M. d’Aprés, du-moins, avertit qu'il ne garan- tit point fa carte des Moluques ni celle des Philippines, ayant pû trouver de mémoires fatisfaifans fur cetté par: tie. Pour la fureté des navigateurs, je fouhaiterois la mêmé déhicateffe à tous ceux qui compilent des cartes. Celle qui m'a donné le plus de lumieres, eft la carte d’Afie de M: Danville, publiée en 1752. Elle eft très-bonne depuis Ceram, jufqu’aux îles Alambaï. Dans toute cette route jai vérifié, par mes obfervations, l'exaétitude de fes pofi- tions & des giflemens qu'il donne aux parties intéreflantes de cette navigation difficile. J’ajouterai que la nouvelle Guinée & les îles des Papous approchent plus de la vrai fémblance fur fa ‘carte que fur aucune autre que j'eufle entre les mains. C’eft avec plaïfir que je rends cette juflice au travail de M. Danville. Je l'ai connu particulierement, &1lma paru auf bon cito sa que bon craque &c Rae éclairé. NG Depuis le 22 au matin nous fuivimesla route du Ouéft- quart-Sud-Oueft jufqu’au lendemain 23 à huit heures que ñous gouvernämes à Oueft-Sud-Oueft. La fonde donna 47 ; 45,42 &c 41 brafles ; & ce fond, je le dirai une fois pour tout , eft ici & fur toute la côte de Java un excellent ERA Ke, % Batavia On contenue E trouver E même Fonds < Le fonde est conrtament se molle vur cette corte DS G & Ca GT < de vase molle NE Jena point oué gue lLatitde des ponts de cette 1rle que nous avons vi ñ él sur Zsquelr nous von eu de bonnes Observations , fut juste sur Cart LA D'ppres ; SUITE Se - ane pas non plus avves d'tendue au Cofe formé par Les Ponter Mandaik et DE LA Ro UTE rdmaye En general Lute lz parte des Holiques est extremement fautbe dns vez lle La medleure 22 Jugua présent wur cette Partie estcelle de. LD'Anville , DES VArssE AUX FRANÇOIS AE Lt M ro eu HA 31 ra Batavia SUITE DE LA ROUTE DES VAISSEAUX FRANCOIS A UT OU R :DIu0d MONDE 4 fond de vaze molle. Nous trouvâmes encore fept minutes de diférence Nord par la hauteur méridienne que nous obfervâmesde 6424. L'Etoile avoit fignalé la vue de terre dès fix heures du matin ; maisle tems s'étant mis à grains, mous ne l’apperçümes point alors. Je fis après midi prendre plus du Sud à la route, & à deux heures on dé- couvrit du haut des mâts la côte feptentrionale de Maduré. Onlareleva à fix heures depuis le Sud-Eft-quart- Sud jufqu'à Oueft quart. Sud-Oueft:;d-Oueft ; l'horifon étoit trop fort pour qu'on püt eftimer à quelle diftance elle nous reftoit. La fonde de l'après-midi fut conftam- ment de 40 brafles. Nous vimes un grand nombre de ba- teaux pêcheurs, dont quelques-uns à l'ancre See avoient leurs filets dehors. Les vents pendant la nuit varierent ai Sud- Efe au Sud Oueft, nous tinmes le plus près, bas- bord 'amure & la fonde depuis dix heures du foir donna 28, 25 @& 20 braffes ; elle fut de 17 braffes, lorfqu’à neufiheures du ma tin nous eûmes rallié la terre, :6c à midi elle n’en donna plus que dix. La oxofle terre de la pornte d’Alans ft l'ile Java nous reftoit alors au Sud-Eft-quart-Sud ‘énviron à deux lieues, l’{e Mandali au Sud-Oueft-quart-Ouett-19- Sud, deux milles , & les terres les plus Oueft à Oueft-Sud- Oueft:quatre lieues: Dans cette pofition nous obfervâmes 61 32130/, ce qui étoit aflez conformeà lalatitude «efti- mée. En tranfportant ce point de midi fur la carte à grand point de M. d’Aprés, fuivant les relevemens, je trouvai, 1/2Que la côte de Java y eft placée de neuf àdouze minutes plus Sud qu'elle né l'efr effeétivement par “a terme moyen de notre obfervation méridienne. © 2! D. Vue de l'ile Java. Obfervations géographi- ques. Rencontre de navires Hol- landois. Route le long de Java, 344 VOYAGE 2°. Que le giffement de la pointe d’Alang n’y eft pas exaËt, attendu qu'il la fait courir fur le Oueit-Sud-Oueit & Sud - Oueft - quart - Oueft, tandis que dans la vérité elle court, depuis l'ile Mandali , fur le Ouett-quart-Sud-Oueft, environ quinze milles; après quoi elle reprend du Sud & forme un grand golfe. 3°. Qu'il donne trop peu d’étendue à cette partie de la côte, & qu'à fuivre le relevement fur fa carte, nous euf- fions d’un midi à l’autre fait treize milles de moins à Oueft , foit que la côte ait cette quantité de plus en éten- due, foit que le courant nous eût entrainés dans l'Eft. Outre un grand nombre de bateaux pêcheurs, nous avions vu dans la matinée quatre navires, dont deux fai- foient la même route que nous & portoient pavillon Hol- landois déferlé. Sur les trois heures nous en joignimes un auquel nous parlâmes; c'étoit un fénaut venant de Maac- ca & allant à Japara. Sa conferve, navire à trois mâts & qui fortoit aufli de Malacca , alloit à Saramang. Ils ne tar- derent pas à mouiller à la côte. Nous la rangeâmes à la diftance d’environtrois quarts de lieue jufqu’à quatreheures du foir. Je fis alors gouverner à Oueft-quart-Nord-Oueit, afin de ne pas m'enfoncer dans le golfe & de pañlerau large d’un banc de corail qui eft à cinq ou fix lieues de terre. Jufqu'ici la côte de Java eft peu élevée fur le bord de la mer; mais on apperçoit de hautes montagnes dans l'intérieur. À cinq heures & demie nous avions le milieu des îles Carimon Java au Nord-2d-Oueft , environ à huit lieues. | Nous courûmes à Oueft- quart - Nord - Oueft jufqw'à quatre heures du matin, puis à Oueft jufqu'à midi. La fonde , qui la veille avoit été près de terre de 9 à 19 braf- fes , À WU RÉAUIRO D WU OM O N D E. 34 ies , augmenta dés fept heures du foir à 30 &elle donna dans la nuit 32, 34 & 35 brafles. Au foleil levant nous ne vimes point de terre, feulement quelques navires &, fuivant l'ordinaire , une infinité de bateaux pêcheurs. Mal- heureufement il fit calme prefque toute la journée du 2; jufqu'à cinq heures du foir. Je dis malheureufement, d’au- tant plus qu’il nous étoit intéreffant d’avoir connoïffance de la côte avant la nuit, afin de diriger la route en con- féquence pour pañler entre /a pointe Indermaye & les iles KRachit, & enfuite au large des roches fous l’eau qui en {ont à l'Oueft. Depuis midi qu’on avoit obfervé 64 26! de latitude, nous gouvernions à Oueft & Oueft-quart-Sud- Oueft; mais le foleil fe coucha fans qu’on püt découvrir la terre. Quelques-uns crurent , mais fans certitude, apper- cevoir les Montagnes bleues qui font à quarante lieues dans PEft de Batavia. De fix heures du foir à minuit, je fis gouverner à Oueft & Oueft-quart-Nord-Oueft , fondant d'heure en heure par 25, 24, 21,20 & 19 brafles, A une heure du matin nous courûmes à Oueft-quart-Nord- Oueft, depuis deux heures jufqu'à quatre, au Nord-Oueft, puis au Nord-Oueft-quart-Oueft jufqu’à fix heures. Mon intention, eftimant à une heure du matin être à mi-canal entre lesiles Rachit & la terre de Java, étoit de m'élever dans le Nord des roches. La fonde me donna trois fois 20 brafles, puis 22, puis 23, & pour lors je me fuppofai à rois ou quatre lieues dans le Nord-Nord-Oueft des iles Rachit. J'étois bien loin de compte; le 26 les rayons du foleil levant nous montrerent la côte de Java depuis le Sud- quart-Sud-Oueft jufqu’à Oueft quelques degrés Nord, & à fept heures & demie on vit du haut des mâts les îles Ra- X x Erreur dans l’eftime de notre route, Caufes de cette erreur. Route jufqu'a Batavia, 346 VOYAGE chi, environ à fept lieues de diftance dans le Nord-Nord- Oueft &le Nord-Oueft-quart-Nord. Cette vue me donnoit une énorme & dangereufe différence fur la carte de M. d’'Aprés; mais je fufpendis mon jugement jufqu’à ce que la hauteur méridienne prononçât s’il falloit attribuer cette différence aux courans , ou bien en accufer la carte. Je fis gouverner à Oueft-quart-Nord-Oueft 8& Oueft- Nord- Oueft , afin de bien reconnoiître la côte qui eft ici extré- mement bafle & n'offre aucune montagne dans l'intérieur. Le vent étoit du Sud-Sud-Eft au Sud-Eft & à l'Eft, joli frais. À midi la pointe la plus méridionale d’/ndermaye nous reftoit à l'Eft-quart-Sud-Eft-2d-Sud, environ à quatre lieues, le milieu des {es Rachit au Nord-Eft , à cinq lieues de di- ftance, & le terme moyen des hauteurs obfervées à bord nous plaça par 6d 12 de latitude. D’après cette hauteur &le relevement, il me parut que le golfe entre l'ile Man- dali & la pointe Indermaye, a fur la carte vingt-deux mi- nutes d’étendue de moins de l’Ef à l’'Oueft que dans la réa- lité, & que la côte y eftjettée 16 minutes plus au Sud que ne la placeroient nos obfervations. La même correttion doit avoir lieu pour les iles Rachit, en y ajoutant que la diftance entre ces îles & la terre de Java, eft au-moins de deux lieues plus confidérable que celle marquée fur la catte. À l'égard des giflemens des diverfes parties de la côte entre elles, ils m'ont paru y être aflez exaëts, au- tant qu'on en peut juger par des eftimes faites fuccefli- vement, à la vue & en courant. Au refte les différences, notées ci-deflus , font très-périlleufes pour qui navigue de nuit fur cette carte. Depuis le matin la fonde avoit donné 11, 23, 19 &18 A U TMOP Ui R) DwuUYM Oo N° D EF, 347 brafles. La brife de l’Eft-Sud-Eft continua, & nous ran- geâmes la terre à trois ou quatre milles, afin de pafler dans le Sud de ces roches cachées dont j'ai déjà parlé & qu’on marque à cinq ou fix lieues dans l'Oueft des îles Rachit. A une heure après midi un bateau qui étoit mouillé de- vant nous, appareïlla ftribord amure , ce qui me fit pen- fer qu’alors le courant changeoiïit & nous devenoit con- traire. Nous lui parlâmes à deux heures; un Hollandois, qui le commandoit & qui nous a paru y être feul blanc avec des mulatres , nous dit qu'il alloit à Amboine & Ter- nate, & qu'il fortoit de Batavia dont il fe faifoit à vingt- fix lieues. Après être forti du paflage de Rachit & avoir paffé en-dedans des roches fous l’eau, je voulois porter au Nord-Oueft pour doubler des bancs de fable nommés les bancs périlleux qui s’'avancent aflez au large entre les pointes /ndermaye &t Sidari. Les vents nous refuferent, & ne pouvant préfenter qu'à Oueft-Nord-Oueft, je pris le parti à fept heures du foir de laiffer tomber une ancre à jet par 13 brafles fond de vaze environ à une lieue de terre. Le louvoyage étoit court & peu für entre les ro- ches fous l'eau d’une part, & les bancs périlleux de l’autre. Nous avions fondé depuis midi par 19, 15, 14 & 10 brafles. Avant que de mouiller, nous courûmes un petit bord au large qui nous remit par 13 brafles. Nous appareillâmes le 27 à deux heures du matin avec les vents de terre, qui, cette nuit, nous vinrent par l’Oueft, au-lieu que les nuits précédentes ils avoient fait le tour du Nord au Sud par l'Eft. À yant gouverné au Nord-Oueft, nous ne revimes la terre qu’à huit heures du matin, terre extrêmement baffle & prefque noyée; nous tinmes la même route juiqu'à midi, & depuis l'apareillage jufqu'à X xij Nouvelle er- reur dans no- tre eftime. 348 VOYAGE cette heure -là, nos fondes varierent de 1 3 à 16,20, 22; 23 & 24 brafles. A dix heures & demie, on avoit eu fond de corail, je fis refonder un inftant après, le fond étoit de vaze comme à l'ordinaire. À midi, nous obfervâmes 54 48’ de latitude ; d’en -bas on ne voyoit pas la terre, tant elle eft bafle. On la re- leva d’en-haur, depuis le Sud jufqu’au Sud-Oueft-quart- Oueft , à la diftance eftimée de cinq à fix lieues: la hau- teur de ce jour, comparée avec le relevement, ne donne- roit pas au-delà de deux ou trois minutes, dont cette par- tie de la côte de Java feroit placée trop Sud fur la carte de M. d’Aprés ; différence égale à zéro, puifqu'il faudroit fuppofer l'eftime de la diftance du relevement parfaite- ment jufte. Les courans nous avoient encoreporté Nord, & je crois Oueft. Toute la journée le terms fut très-beau & le vent favo- rable, je fis prendre, après midi, un peu du Nord à la route, afin d'éviter les baffes de la pointe de Sida. À minuit, comptant les avoir dépafñlées, je mis le cap à Ouett-quart-Sud-Oueft & Oueft-Sud-Oueft ; puis au Sud- Oueft,voyant que le fond, de 19 brafles qu'il y avoit à une heure du matin, étoit augmenté fucceflivement jufqu’à 27. À trois heures du matin on apperçut une ile dans le Nord- Ouett-sd-Nord environ à trois lieues. Convaincu pour-lors que j'étois plus avancé que je ne le croyois, craignant même de dépañler Batavia,je mouillai pour attendre le jour. Au foleil levant nous reconnümes toutes les îles de la baie .de Batavia ; celle d’Ædam, fur laquelle eft un pavillon, nous reftoit au Sud-Eft-quart-Sud, environ à quatre lieues, &c /'äle d'Onrufi ou du Carénage au Sud-Sud-Oueft-4d-Sud, à près de cinq lieues ; nous nous! trouvâmes ainf dix lieues plus à A U T O8 R YD{U:: MO N D E. 349 l'Oueft que nous ne l'eftimions, différence qui a pù pro- venir & des courans & de ce que la côte n’eft pas projet- tée exattement. A dix heures & demie du matin je tentai un premier ap- pareillage ; mais le vent étant prefque auflitôt tombé tout- à-fait & la marée contraire, je mouillai fous voiles une an- cre à jet. Nous appareillâmes de nouveau à midi & demi; nous gouvernämes fur le milieu de l'ile d'Edam, jufqu’à en être environ à trois quarts de lieue; le dôme de la grande Eglife de Batavia nous reftant alors au Sud , nous mimes le cap deflus, paflant entre les balifes qui indiquent le chenal. A fix heures, nous mouillâmes dans la rade par 6 brafles fond de vaze, fans affourcher, attendu qu’on fe contente ici d’avoir une feconde ancre prête à laifler tomber. Une heure après l'Etoile mouilla dans l’'Eft-Nord- Eft de nous, & à deux encablures. C'eft ainfi qu'après avoir tenu la mer pendant dix mois & demi, nous arrivä- mes le 28 Septembre 1768, dans une des plus belles colo- nies de l’univers , où nous nous regardâmes tous, comme ayant terminé notre voyage. Batavia, fuivant mon eftime, eft par 64 1 1’ de latitude auftrale, & 1041 s 2’ de longitude orientale du méridien de Paris. FER Aer IMouillage à Batavia. Cérémonial à l’arrivée. 350 VOYAGE CHA PE RMRMENMMNNI LE Séjour à Batavia, & détail fur les Moluques. Le tems des maladies , qui commence ici ordinairement à la fin de la mouflon de l’Eft, & les approches de la mouf- fon pluvieufe de l'Oueft, nous avertifloient de ne refter à Batavia que le moins qu'il nous feroit pofible. Toutefois, malgré l’impatience où nous étions d’en fortir au plutôt, nos befoins devoient nous y retenir un certain nombre de jours, & la néceffité d’y faire cuire du bifcuit, qu'on ne trouva pas tout fait, nous arrêta plus long-tems encore que nous n'avions compté. [Il y avoit dans la rade, à notre arri- vée, 13 ou 14 vaifleaux de la compagnie de Hollande, dont un portoit le pavillon Amiral. C’eft un vieil vaifleau qu’on laifle pour cette deftination; il a la police de la rade & rend les faluts à tous les vaifleaux marchands. J’avois déjà envoyé un Officier pour rendre au Général compte de notre arrivée, lorfqu’il vint à bord un canot de ce vaif- feau Arnital, avec je ne fçais quel papier écrit en Hollan- dois. Il n’y avoit point d'Officier dedans le canot, &t le Patron, qui fans doute en faifoit les fonétions, me de- manda qui nous étions & une dépofition écrite & fignée de moi. Je lui répondis que j’avois envoyé faire ma déclara- tion à terre, & je le congédiai. Il revint peu de tems après infiftant fur fa premiere demande; je le renvoyai une fe- conde fois avec la même réponfe, & il fe le tint pour dit. L'Officier qui étoit allé chez le Général ne fut de retour qu’à neuf heures du foir. Il n’avoit point vû fon Excellence qui étoit à la campagne, & on l’avoit conduit chez le Sa- A UT. OMR. D U,/Mfo N D €. 351 bandar ou Introduéteur des étrangers, qui lui donna ren- dez-vous au lendemain, & lui dit que fi je voulois def- cendre à terre, il me conduiroit chez le Général. Les vifites, dans ce pays, fe font de bonne heure ; l’ex- ceflive chaleur y contraint. Nous partimes à fix heures du matin, conduits par le Sabandar M.Vanderluys, & nous al- lâmes trouver M.Vander Para, Général des Indes orienta- les, lequel étoit dans une de fes maifons de plaifance àtrois lieues de Batavia. Nous vimes un homme fimple & poli, qui nous reçut à merveille & nous offrit tous les fecours dont nous pouvions avoir befoin. Il ne parut ni furpris ni fâché que nous euffions relâché aux iles Moluques ; il ap- prouva même beaucoup la conduite du Réfident de Boëro & fes bons procédés à notre égard, Il confentit à ce que je mifle nos malades à l'hôpital de la Compagnie, & il en- voya fur-le-champ l'ordre de les y recevoir. À l'égard des fournitures néceflaires aux vaifieaux du Roi, il fut con- venu qu'on remettroit les états de demandes au Sabandar, qui feroit chargé de nous pourvoir de tout. Un des droits de fa charge étoit de gagner & avec nous & avec les four- nifleurs. Lorfque tout fut réglé, le Général me demanda fi je ne faluerois pas Le pavillon ; je lui répondis que je le ferois , à condition que ce feroit la place qui rendroit.le falut & coup pour coup. Rien n’eft plus jufte, me dit-il, & la citadelle a les ordres en conféquence. Dès que je fus de retour à bord, nous faluâmes de quinze coups de canon, & la ville répondit par le même nombre. Je fis auffitôt defcendre à l'hôpital les malades des deux navires au nombre de vingt-huit, les uns encore affleétés du fcorbut, les autres, en plus grand nombre, attaqués du flux de fang. On travailla auffi à remettre au Sabandar Vifite au Gé- néral de la Compagnie. 35e Vo y AGE l'état de nos befoins , en bifcuit , vin , farine , viande fraiche & légumes, & je le priai de nous faire fournir notre eau par les chalans de la Compagnie. Nous fon- geàmes en même tems à nous loger en ville pour le tems de notre féjour. C'eft ce que nous fimes dans une grande & belle maifon, que l’on appelle ner logment, dans la- quelle on eft logé & nourri pour deux ri/dales par jour, non compris les domeftiques ; ce qui fait près d’une piftole de notre monnoie. Cette maifon appartient à la Compa- gnie, qui l’afferme à un particulier , lequel a, par ce moyen, le privilege exclufif de loger tous les étrangers. Cepen- dant les vaifleaux de guerre ne font pas foumis à cette loi ; & en conféquence l'Etat-major de l'Etoile s'établit en penfion dans une maifon bourgeoife. Nous louâmes auffi plufieurs voitures, dont on ne fçauroit abfolument fe paf {er dans cette grande ville, voulant fur - tout en parcourir les environs, plus beaux infiniment que la ville même. Ces voitures de louage font à deux places, traînées par deux chevaux, &le prix, chaque jour, en eft un peu plus de dix francs. Nous rendimes en corps, le troifieme jour de notre arrivée, une vifite de cérémonie au Général, que le Sa- bandar en avoit prévenu. Il nous reçut dans une feconde maifon de plaifance, nommée J'acarra, laquelle eft à-peu- près au tiers de la diftance de Baravia à la maiïfon où J'a- vois été le premier jour. Je ne fçaurois mieux comparer le chemin qui y mene, qu'aux plus beaux boulevards de Paris, en les fuppofant encore embellis à droite & à gau- che par des canaux d’une eau courante. Nous euflions dû faire aufli d’autres vifites d’étiquette, introduits de même par le Sabandar, fcavoir chez le Direéteur-général, chez AU TU R ADYUO M O ND E, 353 chez le Préfident de Juftice, & chez le Chef de la marine. M. Vandersluys ne nous en dit rien, & nous m’allâmes vifiter que le dernier. Son titre eft Scopen hagen. Quoique cet Officier n’ait au fervice de la Compagnie que le grade de Contre-Amiral, celui-ci eft néanmoins Vice-Amiral des Etats, par une fa- veur particuliere du Stathouder. Ce prince a voulu diftin- guer ainfi un homme de qualité que le dérangement de fa fortune a forcé de quitter la marine des Etats qu'il a bien fervi, pour venir prendre ici le pofte qu'il y occupe. Le Scopen hagen eft membre de la haute Régence, dans les aflemblées de laquelle il a féance &voix délibéra- tive pour les affaires de marine; il jouit auffi de tous les honneurs des Edel-heers. Celui-ci tient un grand état, fait bonne chere, & fe dédommage des mauvais momens qu'il a fouvent pañlés à la mer, en occupant une maïfon déli- cieufe hors de la ville. Pendant que nous reftâmes ici, les principaux de Bata- via s'empreflerent à nous en rendre le féjour agréable. De grands repas à la ville & à la campagne, des concerts, des promenades charmantes, la variété de cent objets réu- misici & prefque tous nouveaux pour nous, le coup d’œil de lentrepôt du plus riche commerce de l'univers ; mieux quecela, le fpeétacle de plufeurs peuples qui, bien qu’op- polés entierement pour les mœurs, les ufages , la religion, forment cependant une même fociété; tout concouroit à amufer les yeux , à inftruire le navigateur , à intérefler même le philofophe. Il y a de plus ici une Comédie qu’on dit aflez bonne ; nous n’avons pû juger que de la falle qui nous a paru jolie : n’entendant pas la langue, ce fut bien affez pour nous d'y aller une fois. Nous fûmes infiniment y Amufemens qu'on trouve a Batavia. 354 | VOYAGE plus curieux des Comédies Chinoifes, quoique nous n’en- tendifions pas mieux ce qui s’y débitoit ;il ne feroit pas fort agréable de les voir tous les jours, mais il faut en avoir vû une de chaque genre. Indépendamment des grandes pieces qui fe repréfentent fur un théâtre , chaque carre- four , dans le quartier Chinois , a fes treteaux, fur lefquels on joue tous les foirs des petites pieces & des pantomimes. Du pain & des fpeütacles | demandoit le peuple Romain; il faut aux Chinois ducommerce & des farces. Dieu me garde de la déclamation de leurs aéteurs & aëétrices qu'accom- pagnent toujours quelques inftrumens. C’eft la charge du récitatif obligé, & je ne connois que leurs geftes qui foient encore plus ridicules. Au refte, quand je parle de leurs atteurs, c'eit improprement ; ce font des femmes qui font les rôles d'hommes. Au furplus, &c on en tirera telles con- -clufions qu'on voudra, j'ai vû les coups de bâtons prodi- Beautés de fes dehors. gués fans mefure fur les planches chinoïifes, y avoir uñ fuccès tout aufh brillant que celui dont ils jouiffent à la comédie Jralienne & chez Nicolet. Nous ne nous laffions point de nous promener ds les environs de Batavia. Tout Européen, accoutumé même aux plus grandes capitales, feroit étonné de la magnifi: cence de fes dehors. Ils {ont enrichis de maïfonsi@& de jardins fuperbes, entretenus avec ce goût & cette pro: preté qui frappe dans tous les pays Hollandois. Je ne crains drai pas de dire qu'ils furpaflent en beauté & en richefles ceux de nos plus grandes villes de France , & qu'ilsappro: chent de la magnificence des environs de Paris. Je ne dois pas oublier un monument qu un particulier ya élevé aux Mufes. Le fieur Mohr, ptemier Curé de Batavia, homme riche à millions, mais plus eftimable par fes connoïflances A UT Ur) D'UOM ON D EN 34 & fon goût pour Les fciences, y a fait conftruire dans un jardin d'une de fes maifons, un obfervatoire qui honore- roit toute maifon royale. Cet édifice , qui eft à peine fini, lui a coûté des fommes immenfes. Il fait mieux encore, il y obferve lui-même. Il a tiré d'Europe les meilleurs inftru- mens en tout genre , néceflaires aux obfervations les plus délicates, & il eft en état de s’en fervir. Cet Aftronome» le plus riche fans contredit des enfans d'Uranie , a été en- chanté de voir M. Verron. Ila voulu qu'il pafft les nuits dans fon obfervatoire ; malheureufementil n’y en a pas eu une feule qui ait été favorable à leurs defrs. M. Mohra obfervé le dernier paflage de Venus, & il a envoyé fes obfervations à l’Académie de Harlem; elles ferviront à déterminer avec précifion la longitude de Batavia. Il s’en faut bien que cette ville, quoique belle, réponde à ce qu annoncent fes dehors. On y voit peu de grands édi- fices, mais elle eft bien percée ; les maifons font commo- des & agréables; les rues font larges & ornées la plüpart d’un canal bien revêtu & bordé d'arbres, qui fert à la pro- preté & à la commodité. Il eft vrai que ces canaux entre- tiennent une humidité malfaine qui rend le féjour de Bata- via pernicieux aux Européens. On attribue aufhi en partie le danger de ce climat à la mauvaife qualité des eaux; ce qui fait que les gens riches ne boivent ici que des eaux de Selfe, qu'ils font venir de Hollande à grands frais. Les rues ne font point pavées, mais de chaque côté il y a un large & beau parapet revêtu de pierres de taille ou de briques,& la propreté hollandoïfe ne laifle rien à defirer pour l’entre- tien de ces trotoirs. Je ne prétends pas au refte donner une defcription détaillée de Batavia , fujet épuifé tant de fois: Onaura l'idée de cette ville fameufe en fachant qu’elle eft Yy7i Intérieur de la ville. Richeffes & luxe des ha- Ditans. 356 VOYAGE bâtie dans le goût des belles villes de la Hollande, avec cette différence que les tremblemens de terre impofent la néceflité de ne pas élever beaucoup les maifons, qui n’ont ici qu'un étage. Je ne décrirai point non plus le camp des Chinois , lequel eft hors de la ville, ni la police à laquelle ils font foumis , ni leurs ufages, ni tant d’autres chofes déjà dites & redites. . On ef frappé du luxe établi à Batavia ; la magnificence & le goût qui décorent l’intérieur de prefque toutes les maïifons, annoncent la richefle des habitans. Ils nous ont cependant dit que Batavia n’étoit plus à beaucoup près ce qu'elle avoit été. Depuis quelques années la Compagnie y a défendu aux particuliers le commerce d’Inde en Inde, qui étoit pour eux la fource d’une immenfe circulation de richefles. Je ne juge point ce nouveau réglement de la Compagnie; j'ignore ce qu’elle gagne à cette prohi- bition. Je fais feulement que les particuliers attachés à * fon fervice, ont encore le fecret de tirer trente, quarante, cent jufqu'à deux cents mille livres de revenu d'emplois qui ont de gages quinze cents, trois mille, fix mille livres au plus. Or prefque tous les habitans de Batavia font em- ployés de la Compagnie. Cependant il eft für qu’aujour- d’hui le prix des maifons, à la ville & à la campagne, eft plus des deuxtiers au-deflous de leur ancienne valeur. Toutefois Batavia fera toujours riche du plus au moins; & par le fecret dont nous venons de parler, & parce quil eft difficile à ceux qui ont fait fortune ici, de la faire re- pafler en Europe. Il n’y a de moyen d’y envoyerfes fonds que par la Compagnie qui s'en charge à huit pour cent d'efcompte ; mais elle n’en prend que fort peu à la fois à chaque particulier. Ces fonds d’ailleurs ne fe peuventen- # À UTID UE :Dy0 M ON DE. pin voyer en fraude, l'efpece d'argent qui circule ici perdant en Europe vingt-huit pour cent. La Compagnie fe fert de l'Empereur de Java pour faire frapper une monnoie par- ticuliere qui eft la monnoie des Indes. Nulle part dans le monde les états ne font moins con- fondus qu'à Batavia; les rangs y font aflignés à chacun; des marques extérieures Les conftatent d’une façon immua- ble, & la férieufe étiquette eft plus fevere iciqu’elle ne le fut jamais à aucun congrès. La haute Régence, le Confeil de Juftice, le Clergé, les Employés de la Compagnie, fes Officiers de Marine & enfin le Militaire, telle y eft la gradation des états. La haute Régence eft compofée du Général qui y pré- fide, des Confeillers des Indes , dont letitre eft Ædel-heer, du Préfident du Confeil de Juftice & du Scopen hagen. Elle s’'aflemble au château deux fois par femaine. Les Confeillers des Indes font aujourd’hui au nombre de feize, mais ils ne font pas tous à Batavia. Quelques-uns ont les’ gouvernemens importans du cap de Bonne-Efpérance, de Ceylan , de la côte de Coromandel ; de la partie orien- tale de Java, de Macaffar & d’Ambome:, & ils y. réfi- dent. Ces Edel-heers ont la prérogative de faire dorer en plein leurs voitures, devant lefquelles ils ont deux cou- reurs , tandis que les particuliers n’en peuvent avoir qu’un. Ïl faut.de plus que tous les caroffes s'arrêtent quand ceux \des Edel-heers pañlent; & alors hommes & femmes font obligés de fe lever. Le Général, outre cette diftinétion, eft le feul qui puifle aller à fix chevaux; il eft toujours Auivi d'une garde à cheval, ou au-moins des Officiers de cette garde & de quelques ordonnances ; lorfqu'l pañle , hommes &c femmes font obligés de defcendre de leurs Détails fur l’'adminiftra- tion de la Compagnie. 358 US NN OUR voitures ; & il n'y a que celles des Édel-heers qui chez tui puiflent entrer jufqu'au perron. Ils ont feuls les honneurs du Louvre. J'en ai vu quelques-uns aflez fenfés pour rire en particulier avec nous de ces magnifiques préroga: tives. | Le Confeil de Juftice juge fouverainement &fans ap- pel au civilcomme au criminel. Il ÿ a vingt ans qu'ilcon- damna à mort un Gouverneur de Ceylan. Cet Edel-heer fut convaincu d’avoir commis d’horribles concuflions dans fon gouvernement , & exécuté à Batavia dans la place qui eft vis-à-vis de la citadelle. Au refte la nomination duGé- néral des Indes, celle des Edel-heers & des Confeillers de Juftice vient d'Europe. Le Général & la haute Régence de Batavia propofent aux autres emplois , & leur choix eft toujours ratifié en Hollande. Toutefois le Général nomme en dernier reflort à toutes les places militaires. Un des plus confidérables & des meilleurs emplois pour le revenu, après les gouvernemens, eft celui de Com- miflaire de la campagne. Cet Officier a l'infpeétion fur tout ce qui fait le domaine de la Compagnie dans l'ile Java, même fur les poffeffions & la conduite des divers Souverains de lile ; il a de plus la police abfolue fur les Javans fujets de la Compagnie.Cette police eft fort févere, & les fautes un peu graves font punies de fupplices rigou- reux. La conftance des Javans à foufrir des rourmens barbares eft incroyable; mais quand on les exécute; il faut leur laifler des caleçons blancs & fur-tout ne pas leur trancher la tête. La Compagnie même compromettroit fon autorité en refufant d’avoir pour eux cette complai- fance ; les Javans fe révolteroient. La raïfon en eft fim- ple: comme il eft de foi dans leur religion qu'ils feroient A U TO © DOM ON DE, 39 mal reçus dans l'autre monde $ils y arrivoient décapités & fans caleçons blancs , ils ofent croire que le defpotifme n’a de droits fur eux que dans celui-ci. Un autre emploi fort recherché, dontles fonétions font belles & le revenu confidérable:, c’eft celui de Sabandar ou Miniftre des étrangers. Ils font deux, le Sabandar des chrétiens & celui des payens. Le premier eft chargé de tout ce quiregarde les étrangers Européens. Le fecond a le détail. de toutes les affaires relatives aux diverfes na- tions de l'Inde ; en y comprenant les Chinois. Ceux-ci font les courtiers de toutile commerce intérieur de Bata- via, où leur nombre pafle aujourd’hui celui de cent mille. C'eft auffi à leur travail &c à leurs foins que les marchés de cette grande ville doivent l'abondance qui y regne de- puis quelques années. Tel eft au refte l'ordre des Emplois au fervice de la Compagnie, affiftant, teneur de livres, fous - marchand, marchand, grand marchand, gouver- neur. Tous ces grades civils ont un uniforme, & les grades militaires ont une efpece de correfpondance avec eux. Par exemple le Major a rang de grand marchand, le Capitaine defous-marchand, éc. mais les militaires ne peu- vent jamais parvenir aux places de l’adminiftration fans changer d'état. Il eft tout fimple que dans une Compagnie de commerce le corps militaire n’ait aucune influence. On ne ly regarde que comme un Aus foudoyé, & cette idée efkici d'autant plus juite so n’eft entierement com- pofé. que d'étrangers. ce La Compagnie poflede en pispseune on confidé- rable de l'ile Java. Toute la côte du Nord à l'Ef de Bata- via lui appartient. Elle-a réuni, depuis plufieurs années, à fon domaine, l'ile Maduré, dont le Souverain s'étoit ré- Ordre des emplois au fervice de la Compagnie, Domaires de la Compz- gnie fuc l'ile Java. 360 VOYAGE En combien de fouverai- netés eft par- tagée l'ile Ja- va, volté, &rle fils eft aujourd’hui Gouverneur de cette même île dont fon pere étoit Roi. Elle a de même profité de la révolte du Roi de Balimbuam, pour s'approprier cette belle province qui fait la pointe orientale de Java. Ce Prince, frere de l'Empereur, honteux d’être foumis à des mar- chands, & confeillé, dit-on, par les Anglois qui lui avoient fourni des armes, de la poudre, & même conftruit un fort, voulut fecouer le joug. Il en a coûté deux ans & de gran- des dépenfes à la Compagnie pour le foumettre , & cette guerre venoit d'être terminée deux mois avant que nous arrivaflions à Batavia. Les Hollandois avoient eu le défa- vantage dans une premiere bataille ; mais dans une feconde le Prince Indien a été pris avec toute fa famille & conduit dans la citadelle de Batavia, où il eft mort peu de jours après. Son fils & le refte de cette famille infortunée de- voient être embarqués fur les premiers vaifleaux, & con- duits au cap de Bonne -Efpérance, où ils finiront leurs jours fur l'ile Roben. | Le refte de l’île Java eft divifé en plufeurs Royaumes. L'Empereur de Java, dont la réfidence eft dans la partie, méridionale de l'île, a le premier rang, enfuite le Sultan de Mararan & le Roi-de:Bantam. Tferibon eft gouverné par trois Rois vaffaux de la Compagnie, dont l'agrément eft auffi néceflaire aux autres Souverains:pour monter fur leur trône précaire. Il y a chez tous ces Rois une garde Européenne qui répond de leur perfonne. La Compagnie a de plus quatre comptoirs fortifiés chez l'Empereur, un chez le Sultan, quatre à Bantam & deux à Tferibon. Ces Souverains font obligés de donner à la Compagnie leurs denrées aux taux d’un tarif qu'elle- même a fait. Elle en tire du riz , des fucres, du caffé, de l'étain, de l’arrak,, &c leur AU TOME. R :D'UU Mo N° DE.) "A6! leur fournit feule Fopium dont les Javans font une grande confommation, & dont la vente produit des profits confi- dérables. Batavia eft l'entrepôt de toutes les produétions des Mo- luques. La récolte des épiceries s’y apporte toute entiere ; on charge chaque année fur les vaifleaux ce qui eft nécef faire pour la confommation de l’Europe & on brûle le reite. C’eft ce commerce feul qui aflure la richeffe, je dirai même l’exiftence de la Compagnie des Indes Hol- landoife ; il la met en état de fupporter les frais immenfes auxquels elle eft obligée, & les déprédations de fes em- ployés auf fortes que fes dépenfes même. C’eft auffi fur ce commerce exclufif & fur celui de Ceylan qu’elle dirige fes principaux foins. Je ne dirai rien fur Ceylan que je ne connois pas ; la Compagnie vient d'y terminer une guerre ruineufe, avec plus de fuccès qu’elle n’a pù faire celle du golfe Perfique, où fes comptoirs ont été détruits. Maiscom- me nous fommes prefque les feuls vaifleaux du Roï quiaient pénétré dans les Moluques, on me permettra quelques dé- tails fur l’état aétuel de cette importante partie du monde, que fon éloignement &+ le filence des Hollandoïs dérobent à la connoïffance des autres nations. On ne comprenoit autrefois fous le nom de Moiuques que les petites iles fituées prefque fous la ligne, entre 15’ de latitude Sud & ;0' de latitude Nord, le long de la côte occidentale de Gilolo, dont les principales font Ternare, Tidor, Mothier où Morhir, Machian & Pachian. Peu-à- peu ce nom eft devenu commun à toutes les iles qui pro- duifoient des épiceries. Banda, Amboine, Ceram, Bouro & toutes les îles adjacentes ont été rangées fous la même dénomination, dans laquelle même quelques - uns Lz Commerce de Batavia. Détails fur les Moluques, Gouverne- ment d'ÀAm- boine. Gouverne- ment de Ban- da. 362 ” V o Y'A GE ont voulu, mais fans fuccès, faire entrer Bouton & Cele- bes. Les Hollandois divifent aujourd’hui ces pays, qu'ils appellent pays d'Orient , en quatre gouvernemens princi- paux, defquels dépendent les autres comptoirs, & qui ref- {ortiflent eux-mêmes de la haute Régence de Batavia. Ces quatre gouvernemens font Amboine, Banda, Ternate & Macaffar. D’Amboine, dont un Edel-heer eft Gouverneur, rele- vent fix comptoirs ;fçavoir, fur Amboine même , Aila & Larique , dont les Réfidens ont l’un le grade de Marchand, l’autre celui de Sous-marchand ; dans l’Oueft d’Amboiïne les îles Manipa & Boero, fur la premiere defquelles eft un fimple teneur de livres, &c fur la feconde notre bien- faiteur Hendrik Ouman, Sous-marchand ; Zaroeko, petite ile à-peu- près dans l’Eft-Sud-Eft d’Amboine, où réfide un Sous-marchand ; &z enfin Saparoea, ile aufli dans le Sud-Eft, & environ à quinze lieues d'Amboine. Il y réfide un Marchand, lequel a fous fa dépendance la petite île Neeflaw, où il détache un Sergent & quinze hommes ; il y a un petit fort conftruit {ur une roche à Saparoea & un bon mouillage dans une jolie baie. Cette ile & celle de Neeflaw fourniroient en clous la cargaifon d’un navire. Toutes les forces du gouvernement d’Amboine confftent dans le fond de cent cinquante hommes, aux ordres d’un Capitaine , un Lieutenant & cinq Enfeignes. Il y a de plus deux Officiers d'artillerie & un Ingénieur. Le gouvernement de Banda eft plus confidérable pour les fortifications , & la garnifon y eft plus nombreufe ; le fond en eft de trois cents hommes, commandés par un Capitaine en premier, un Capitaine en fecond, deux Lieutenans, quatre Enfeignes, & un Officier d'artillerie. Lee A U MUR D U CM Oo N D E. 363 Cette garnifon,; ainf que celle d’Amboine & des autres chefs - lieux, fournit tous les poftes détachés. L'entrée à Banda eft fort difficile pour qui ne la connoît pas. Il faut ranger de près la montagne de Gunongapi fur laquelle eft un fort, en fe méfiant d’un banc de roches qu’on laifle à bas-bord. La pañle n’a pas plus d’un mille de large, & on n’y trouve point de fond. Il convient enfuite de ranger le banc pour aller chercher par 8 ou r0 brafles fous le fort London, le mouillage dans ue peuvent ancrer cinq ou fix vaifleaux. Trois pa dépendent du gouvernement de Banda, Ourièn, où eft un teneur de livres ; Wayer, où réfide un Sous - Méhide & l’île Pulo Ry en Rhun, voifine de Banda, couverte aufli de mufcades. C’eft un Grand-mar- chand qui y commande. Il y a fur cette ile un fort; il ny peut mouiller que des floops, encore font-ils fur un banc qui défend les approches du fort. Il faudroit même le ca- noner à la voile, car tout attenant le banc il n’y a plus de fond. Au refte, il n’y a point d’eau douce fur l’ile ; la gar- nifon eft obligée de la faire venir de Banda. Je crois que l'ile Arrow eft aufli dans le diftriét de ce gouvernement. Il y a deffus un comptoir avec un Sergent & quinze hom- mes , & la Compagnie en retire des perles. Il n’en eft pas ainfi de Timor & Solor, qui bien qu’elles en foient voifi- nes, reflortiflent direétement de Batavia. Ces îles fournif- du bois de fandal. Il eft affez fingulier que les Portugais aient confervé un poîte à Timor, & plus fingulier encore qu'ils n’en tirent pas un grand parti. Térnate à quatre comptoirs principaux dans fa dépen- dance; fçavoir Gorontalo, Manado, Limborto & Xulla- beffe. Les Réfidens des deux premiers ont le grade de ZL Zi Gouverne- ment de T'er- nate. Gouverne- ment de Ma- Caliar. Politique des Hollandois dans les Mo- luques, 364 VOYAGE Sous-marchands ; les feconds ne font que teneurs de livres, Il en dépend en outre plufeurs petits poftes commandés par des Sergens. Deux cents cinquante hommes font ré- partis dans le gouvernement de Ternate, aux ordres d’un Capitaine , un Lieutenant , neuf Enfeignes, & un Officier d'artillerie. Le gouvernement de Macaffar , fur l'ile Celebes, lequel eft occupé par un Edel-heer, a dansfon département qua- tre comptoirs ; Boelacomba en Bonthain & Bima, où réfi- dent deux Sous-marchands; Saleyer & Maros , dont les Réfidens ne font que teneurs de livres. Macaffar ou Jo- pandam eft la plus forte place des Moluques ; toutefois les naturels du pays y refferrent foigneufement les Hollandois dans les limites de leur pofte. La garnifon y eft compo- fée de trois cents hommes, que commandent, un Capi- taine en premier, un Capitaine en fecond, deux Lieute- nans & fept enfeignes. Îl y a aufli un Officier d'artillerie. On ne trouve pas d’épiceries dans le diftriét de ce gouver- nement, à moins qu'il ne foit vrai que Button en produit, ce que je n'ai pù vérifier. L'objet de fon établiffement a été de s’aflurer d’un paflage qui eft une des clefs des Mo- luques, & d'ouvrir avec Celebes & Borneo un commerce avantageux. Ces deux grandes îles fourniflent aux Hollan- dois de l'or, de la foie, du coton, des bois précieux, & même des diamans , en échange pour du fer, des draps, & d’autres marchandifes de l’Europe ou de l'Inde. Ce détail des différens poftes occupés par les Hollan- dois dans les Moluques , eft à peu de chofes près exaët, La police qu'ils y ont établie, fait honneur aux lumieres de ceux qui étoient alors à la têre de la Compagnie. Lorf qu'ils en eurent chaflé les Efpagnols & les Portugais, AUTOUR Du MONDE 36, fuccès qui avoient été le fruit des combinaifons les plus éclairées, du courage & de la parience, ils fentirent bien que ce n'étoit pas aflez pour rendre le commerce des épiceries exclufif, d’avoir éloigné des Moluques tous les Européens. Le grand nombre de ces îles en rendoit la garde prefque impofhible,il ne l'étoit pas moins d'empêcher un commerce de contrebande des Infulairesavecla Chine, les Philippmes , Macaflar & tous les vaiffeaux interlopes qui voudroient le tenter. La Compagnie avoit encore plus à craindre qu’on n’enlevât des plants d'arbres & qu'on ne parvint à les faire réuflir ailleurs. Elle prit donc le parti de détruire, autant qu'il feroit poflible, les arbres d’épi- ceries dans toutes cesiles, en ne les laiffant fubffter que fur quelques-unes qui fuffent petites & faciles à Sar- der; alors tout fe trouvoit réduit à bien fortifier ces dé- pôts prétieux. Il fallut foudoyer les Souverains, dont cette denrée faifoit le revenu, pour les engager à confentir à ce qu'on en anéantit ainfila fource. Tel eft le fubfide an- nuel de 20000 rifdales que la Compagnie Hollandoife paye au Roi de Ternate &r à quelques autres Princes des Moluques. Lorfqu’elle n’a pu déterminer quelqu'un de ces Souverains à permettre que l’on brülât fes plants, elle les brüloit malgré eux , fi elle étoit la plus forte, ou bien elle leur achetoit annuellement les feuilles des arbres encore vertes, {cachant bien qu'après trois ans de ce dépouille- ment, les arbres périroient ; ce qu'ignorent fans doute les Indiens. Par ce moyen, tandis que la canelle ne fe recolte que fur Ceylan , les iles Banda ont été feules confacrées à la culture dela mufcade; Amboine & Uleafter qui y touche, à la culture du gérofle, fans qu'il foit permis d’avoir du 366 Voyage gérofle à Banda, ni de la mufcade à Amboine. Cesdé- pôts en fourniflent au-delà de la confommation du monde entier. Les autres poftes des Hollandoiïs dans les Molu- ques ont pour objet d'empêcher les autres nations de sy établir , de faire des recherches continuelles Peur décou- vrir & brûler les arbres d’épiceries & de fournir à la fub- fiftance des feules îles où on les cultive. Au refte tous les Ingénieurs & marins employés dans cette partie, font obligés, en fortant d'emploi, de remettre leurs cartes & plans, & de prêter ferment qu'ils n’en confervent aucun. I n’y a pas long-tems qu'un habitant de Batavia a été fouetté, marqué & rélégué fur une ile prefque déferte , pour avoir montré à un Anpglois un plan des Moluques. La recolte des épiceries fe commence en Décembre, & les vaifleaux deftinés à s’en charger, arrivent dans le courant de Janvier à Amboine & Banda, d’où ils repartent pour Batavia en Avril & Mai. Il va auffi tous les ans deux vaifleaux à Ternate, dont les voyages fuivent de même la loi des mouflons. De plus, il y a quelques fénauts de douze ou quatorze canons deftinés à croifer dans ces pa- rages. | Chaque année les Gouverneurs d’Amboine & de Ban- da affemblent vers la mi-Septembre tous les orencaies ou chefs de leurs départemens. Ils leur donnent d’abord des feftins & des fêtes qui durent plufeurs jours , & en- fuite ils partent avec eux dans de grands bateaux nommés coracores , pour faire la tournée de leur gouvernement &t brûler les plants d’épiceries inutiles. Les Réfidens des comptoirs particuliers font obligés de fe rendre auprès de leurs Gouverneurs généraux & de les accompagner dans cette tournée qui finit ordinairement à la fin d'Oéto- A U TO U1RS D U EMVO N D E. 367 bre ou au commencement de Novembre & dont le retour eft célébré par de nouvelles fêtes. Lorfque nous étions à Boëro, M. Ouman fe difpofoit à partir pour Am- boine aveë les orencaies de fon ile. Les Hollandoïis ont maintenant la guerre avec les habi- tans de Ceram, ile riche en clous. Ces Infulaires ne veu- lent point laiffer détruire leurs plants, &x ils ont chañé la Compagnie de tous les poites principaux qu'elle occupoit fur leur terrein : elle n'a confervé que le petit comptoir de Savar, fitué dans la partie feptentrionale de File, où elle tient un Sergent & quinze hommes. Les Ceramoïis ont des armes à feu & de la poudre, & tous, indépendam- ment d’un patois national, parlent bien le Malais. Les Papous font aufli continuellement en guerre avec laCom- pagnie & fes vaflaux. On leur a vu des bârimens armés de pierriers & montés de deux cents hommes. Le Roi de Salviarr , l’une de leurs plus grandes îles , vient d’être ar- rêté par furprife, comme il alloït rendre hommage auRoi de Ternate, duquel il eft vaffal, &les Hollandois le re- tiennent prifonnier. | | Quoi de plus fage que le plan que nous venons d’expo- fer? quelles mefures pouvoient être mieux concertées pour établir & pour foutenir un commerce excluff? Auf la Compagnie en jouit-elle depuis long-tems, & c'eft à quoi elle doit cet état de fplendeur qui la rend plus fem- blable à une puiflante République, qu'à une fociété de Marchands. Mais, ou je me trompe fort, ou le tems n’eft pas loin, auquel ce commerce précieux doit recevoir de mortelles atteintes. J’oferaile dire , pour en détruire l’ex- clufion,, il n’y a qu'à le vouloir. La meilleure fauvegarde des Hollandois, eft l'ignorance du refté de l'Europe fur 363 Vo v 4 GñfE l’état véritable de ces îles, & le nuage myftérieux qui en- veloppe ce jardin des Hefperides. Mais il eit des difficultés que la force de l’homme ne peut vaincre, & des inconvé- niens auxquels toute fa fagefle ne fçauroit remédier. Les Hollandois peuvent bien conftruire à Amboine & Banda des fortifications refpeétables , ils peuvent les munir de garnifons nombreufes ; mais après quelques années, des tremblemens de terre, prefque périodiques , viennent ren- verfer de fond-en-comble tous ces ouvrages, & chaque année la malignité du climat emporte les deux tiers des foldats, matelots & ouvriers qu'on y envoye. Voilà des maux fans remede. Les forts de Banda, bouleverfés ainf il ya trois ans, font à peine reconftruits aujourd'hui ; ceux d’Amboine ne le font pas encore. D'ailleurs la Compa- gnie a pù parvenir à détruire, dans quelques iles, une partie des épiceries connues; mais il en eft qu'elle ne connoiît pas, & d’autres même qu’elle connoït & qui fe défendent contre fes efforts Aujourd’hui les Anglois fréquentent beaucoup les para- ses des Moluques, & ce n’eft aflurément pas fans deffein. Il y avoit plufñieurs années que de petits bâtimens qui par- toient de Fancoul, étoient venus examiner les paflages & prendre les connoiffances relatives à cette navigation dif- ficile.On a lü que les habitans de Bouton nous ont dit que trois navires Anglois avoient depuis peu pafñlé dans ce dé: roit ; nous avons auf parlé des fecours qu'ils ont donnés à l'infortuné Souverain de Balimbuam , & il paroït certain que c’eft d’eux auffi que les Ceramois tirent de la poudre & des armes; ils leur avoient même conftruit un fort que le Capitaine le Clerc nous a dit avoir détruit, & dans le- quel il a trouvé deux canons. En 1764 M. Watfon, qui çcommandoit AUT@E EE “DUO M:0 N DE 968 commandoit le Kinsberg, frégate dé vingt-fix canons, vint à l'entrée de Savai, s'y fit donner, à coups de fufils, un pilote pour lé conduire au mouillage, & commit beaucoup de vexations dans ce foible comptoir. I fit aufli je ne fçais quelle tentative chez les Papous, mais elle ne lui réuffit pas. Sa chaloupe fut enlevée par ces Indiens, &tousles Eu- ropéens qui étoient dedans, entre autresun fils de Mylord Sandwic , Garde de la Marine, qui la commandoit , furent attachés à des poteaux, circoncis & maflacrés enfuite dans les tourmens. | Il femble au refte que les Anglois ne veulent point cacher leurs projets à la compagnie Follandoife. Il y a quatre ans qu'ils établirent un pofte dans une des iles des Papous, nommée Soloc ou Tafara. M, Dalrimple qui le fonda en fut le premier Gouverneur ; mais les Anglois ne l'ont gardé que trois ans. Ils viennent de l’abandonner , & M. Dalrim-: ple a pañlé à Batavia en 1768, fur le Pany, Capitaine Dodvwell , d’où il s'eft rendu à Bancoul, où le Pattÿ a coulé bas dans la rade. Ce poite fournifloit des nids d’oifeaux, de la nacre , des dents d’éléphant , des perles & des sripans ou /walopps, efpece de glu ou d'écume dont les Chinois font grand cas. Ce que je trouve merveilleux, c'eft qu'ils venoient vendre leurs cargaifons à Batavia, je le fçais du négociant qui les y achetoit. Le même homme m’a afluré que les Anglois avoient auf des épiceries par le moyen de ce pofte ; peut-être les tiroient-ils des Ceramois. Pour- quoi l'ont -ils abandonné? c’eft ce que j'ignore. Il fe peut qu'ayant déjà levé ungrandnombre de plansd’épiceries; les ayant tranfplantés dans quelqu’une de leurs poffeflions aux Indes, &{e croyant aflurés de leur réufite, ils aient aban- Aaa 1768. O&obre. Maladies contractées Batavia. 4 a 370 VOYAGE donné un pofte difpendieux, trop capable d’alarmer une nation & d'en éclairer une autre. Nous apprimes à Batavia les premieres nouvelles des vaifleaux dont nous avions plufeurs fois dans notre voyage retrouvé la trace. M- Wallas y étoit arrivé en Janvier 1768, & reparti prefque auflitôt. M. Carteret, féparé involontai. rement de fon chef, peu après être forti du détroit de Magellan, a fait un voyage plus long de beaucoup, & dont je crois les aventures plus compliquées. Il eft venu à Macaflar à la fin de Mars de la même année, ayant perdu prefque tout fon équipage, & fon vaiffeau étant délabré. Les Hollandois n’ont pas voulu le foufrir à Jompandam, & l’ont renvoyé à Bontain, confentant avec peine à ce qu'il y prit des Maures pour remplacer les hommes qu’il avoit perdus; après deux mois de féjour dans l'ile Cele- bes, il s’eft rendu le 3 Juin à Batavia, où il a carené, & d'où il n’eft reparti que le r$ de Septembre, c’eft-à-dire, douze jours feulement avant que nous y arrivañlions. M. Carteret a peu parlé ici de {on voyage ; il en a dit aflez cependant pour qu’on ait {çu que dans un pañlage quil nomme /e dérroit de Saint-Georves, il a eu affaire avec des Indiens dont il montroit les fleches, qui ont blefé plufieurs de fes gens, entre autres fon fecond, lequel eft reparti de Batavia fans être guéri. I n’y avoit pas plus de huit ou dix jours que nous étions à Batavia, lorfque les maladies commencerent à s’y dé- clarer. De la fanté, la meilleure en apparence, on pañloit en trois jours autombeau. Plufieurs de nous furent atta- qués de fievres violentes, & nos malades n’éprouvoient aucun foulagement à l'hôpital. Faccélerai, autant qu'il AUTOUR DU MONDE 371 m'étoit pofhble, l'expédition de nos befoins ; mais notre Sabandar étant auf tombé malade, & ne pouvant plus agir, nous efluyâmes des difficultés & des lenteurs. Ce ne fut que le 16 Oëtobre que je pus être en état de fortir, & j'appareillai pour aller me mouiller en-dehors de la rade; l'Etoile ne devoit avoir fon bifcuit que ce jour-là. Elle ne finit de embarquer qu’à la nuit, & dès que le vent le lui permit, elle vint mouiller auprès de nous. Prefque tous les Officiers de mon bord étoient ou déjà malades, ou reflen- toient les difpofitions à le devenir. Le nombre des diffen- teries n’avoit point diminué dans les équipages , & le féjour prolongé à Batavia eût certainement fait plus de ravages parmi nous que n’avoit fait le voyage entier. Notre Tai- tien, que l’enthoufiafme de tout ce qu'il voyoit avoit fans doute préfervé quelque tems de l'influence de ce climat pernicieux, tomba malade dans les derniers jours, & fa maladie a été fort longue , quoiqu'il ait eu pour les reme- des toute la docilité à laquelle pourroit fe dévouer un hom- me né à Paris ; aufli quand il parle de Batavia , ne la nom- me-t-il que la terre qui tue , exoua maté, Sr Aaaï Détail fur la route à faire pour fortir de Batavia. 372 “ VOYAGE CG: Hi APT RM ENNX. Départ de B'atavia ; relâche à l’ile de France; retouren France. E 16 Oftobre j'appareillai feul de la rade de Batavia pour mouiller par 7 brafles & demie fond de vaze molle , environ une lieue en-dehors. F’étois ainfi à un demi-mille dans l'Oueft-quart-Nord-Oueft de la balife qu'on laifle à ftribord, quand on entre à Batavia. L'ile d’E dam me re- ftoit au Nord-Nord-Eft-4d-Eft , trois lieues ; Ozruff au Nord-Oueft-quart-Oueft, deux lieues un tiers ; Router- dam au Nord-2d-Oueft, une lieue & demie. L'Etoile, qui ne put avoir fon pain que fort tard, appareilla à trois heures du matin; & gouvernant fur les feux que je tins allumés toute la nuit , elle vint mouiller auprés de moi. Comme la route pour fortir de Batavia eft intéreffante, on me permettra le détail de celle que j'ai faite. Le 17 nous fümes fous voiles à cinq heures du matin, &r nous gouvernèmes au Nord-quart-Nord-Eft pour pafler dans V'Ett de Rotterdam environ à une demi - lieue ; puis au Nord-Oueft-quart-Nord pour pafler au Sud de Aorn & de Harlem ; enfuite du Oueft-quart-Nord-Oueft au Oueft- quart-Sud-Oueft, pour ranger au Nord les îles d’Amfer- dam & de Middelbours , fur la derniere defquelles eft un pavillon; puis à Oueft, laiffant à fibord une balife pla- cée dans le Sud de la petite Cambuis. À midi nous obfervä- mes 54 5’ de latitude méridionale, & nous étions pour lors Nord & Sud de la pointe Sud-Eft de Za grande Cam- buis, environ à un mille. J'ai de-là fait route pour pañler entre deux balifes placées , l'une au Sud de la pointe AUTOUR DU MONDE. 373 Nord-Oueft de la grande Cambuis, l’autre Fft & Queft de L’ile des Antropophages , autrement ditePulo Lakr. Pour lors on range la côte à la diftance qu'on veut ou qu'on peut. A,cinq heures & demie le courant nous affalant fur la côte, je mouillai une ancre à jet par 11 brafles fond de vaze, la pointe Nord-Oueft de /a baie de Bantam me re- ftant à Oueft-quart-Nord-Oueft-2d-Oueft environ cinq lieues, & le milieu de Pulo Baby au Nord-Oueft-;d-Oueft trois lieues. Il ya, pour fortir de Batavia, une autre route que celle que j'ai prife. En partant de la rade, on range la côte de Java, laiffant à bas-bord une tonne quifert de balife , en- viron à deux lieues & demie de la ville; puis on range Pile Kepert au Sud; on fuit la côte & on pale entre deux balifes fituées, l'une au Sud de Pile Middelbourg, l’autre vis-à-vis de celle-là fur un banc qui tient à la pointe de la grande terre; en retrouve enfuite la balife qui eft au Sud de la petite Cambuis , & pour lors les deux routes fe réu- niflent. La carte particuliere que je donne de la fortie de Batavia, indique.ces deux routes avec exactitude. Le 18 à deux heures du matin, nous étions à la voile. mais il nous fallut. mouiller le foir; ce ne fut que le 19 aprés midi que nous fortimes dx dérroit de la Sonde pañfant au Nord de l'ile du Prince. Nous obfervèmes à midi 6430! de latitude auftrale, & à quatre heures après midi, étant environ à quatre lieues de la pointe Nord-Oueft de file du Prince , je pris mon point de départ fur la carte de M. d’Aprés. par6d 21/ de latitude auftrale & 102d:de Jongi- tude orientale du méridien de Paris. Au refte on peut motillerpar-tout le long de l'île de Java. Les Hollandois y entretiennent de petits poftes de diftancelen diflance,, Sortie du dé- troit de la Sonde. Route juf- qu'à l'ile de France. 1768. Novembre. Vue de l’ile Rodrigue. 374 V'oY AGE & chacun d’eux a ordre d’envoyer un foldat à bord des vaifleaux qui pañlent avec un regiftre fur lequel on prie d'infcrire le nom du vaifleau, d’où il vient & où il va. On met ce qu'on veut fur ce regiftre ; mais je fuis fort éloigné d'en blâmer l’ufage , puifque par ce moyen on peut avoir des nouvelles de bätimens dont fouvent on eft inquiet , & que d’ailleurs le foldat, chargé de préfenter ce regiftre , apporte auf des poules, des tortues & d’autres rafrai- chiflemens qu'il vend à fort bon compte. Il n’y avoit plus de fcorbut au-moins apparent à bord de mes vaifleaux ; mais beaucoup de gens y étoient attaqués du flux de fang. Je pris donc le parti de faire route pôur l'ile de France, fans attendre l'Etoile , & je lui en fis le fignal le 20. Cette route n’eut rien de remarquable que le beau & bon tems qui l'a rendue fort courte. Nous eûmes con- ftamment le vent de Sud-Eft très-frais. Nous en avions befoin; car le nombre des malades augmentoit chaque jour , les convalefcences étoient fort longues , & il fe joi- gnit aux flux de fang des fievres chaudes ; un de mes charpentiers en mourut la nuit du 30 au 315. Ma mâture me caufoit aufll beaucoup d'inquiétude. Il y avoit lieu d'appréhender que le grand mât ne rompit cinq ou fix pieds au-deflous du trelingage. Je le fis jumeller , & pour le foulager, je dégreyai le mât de perroquet & tins tou- jours deux ris dans le grand hunier. Ces précautions re- tardoient confidérablement notre marche; malgré cela, le dix-huitieme jour de notre fortie de Batavia, nous eü- mes la vue de lle Rodrigue, & le furlendemain celle de l'ile de France, Le ; Novembre à quatre heures du foir, nous étions Nord & Sud de la pointe Nord-Eft de l’île Rodrigue , d’où A U TBNU IR) DUO INF ON DE 3% j'ai conclu la différence fuivante de notre eftime depuis l'île du Prince jufqu'à Rodrigue. M. Pingré y a obfervé 601 ; 2! delongitude à l'Eft de Paris, & à quatre heures je me trouvois , fuivant mon eftime, par 614 26’. En fup- pofant donc que l'obfervation faite fur l’île à l'habitation, y aitéréfaite à deux minutes dans l’Oueft de lapointe dont j'étois Nord & Sud à quatre heures , ma différence fur douze cents lieues de route étoit trente-quatre minutes {ur l'arriere du vaiffeau. La différence des obfervations faites le 3 par M. Verron, a été pour le même moment de 14 12/ fur l'avant du vaifleau. ; Nous avions eu connoiflance de lile Ronde le 7 à mi- di; à cinq heures du foir nous étions Nord & Sud de fon milieu. Nous tirèmes du canon à l'entrée de la nuit, ef pérant qu'on allumeroit le feu de la pointe aux Canonniers; mais ce feu , mentionné par M. d’Aprés dans fon inftruc- tion , ne s'allume plus, de maniere qu'après avoir doublé Le coin de Mire qu'on peut ranger d’aufi près qu'on veut, je me trouvai fort embarrafé pour éviter la bâture dange- reufe qui avance plus d’une demi-lieue au large de la pointe aux Canonniers. Je louvoyai, afin de m'entretenir au vent du port, tirant de tems en tems un coup de ca- Atterrage à l'ile de Fran- ce. non ; enfin entre onze heures & minuit il vint à bord un des pilotes du port entretenus par le Roi. Je me croyois hors de peine, & je lui avois remis la conduite du bâti- ment, lorfqu’à trois heures & demie il nous échoua près de la Pare des Tombeaux. Par bonheur il n’y avoit pas de mer, &c la manœuvre que nous fimes rapidement pour tâcher d’abattre du côté du large ,nous réuflit ; mais que l’on con- çoive quelle douleur mortelle c’eût été pour nous, après tant de dangers néceffaires heureufement évités; de venir Danger que court la fré- gate. 376 VOYAGE échouer au port par la faute d’un ignorant auquel l'or- donnance nous forçoit de nous livrer. Nous en fùmes quittes pour quarante-cinq pieds de notre faufle quille qui furent emportés. Avis nauti- : Cet accident, dont il s’en éft peu fallu que nous né füf- HS fions la viétime , me met dans le cas de faire [a réflexion fuivante. Lorfqu’on en veut à l'ile de France, & que l’on verra que de jour on ne peut atteindre l'entrée du port, la prudence exige que de bonne heure on prenne fon parti de ne pas s'engager trop près de la terre. Il convient de s’entretenir pour la nuit en-dehors & au vent de l'île Ronde , non en cape, mais en louvoyant avec un bon corps de voiles à caufe des courans. Au refte il ÿ a mouil- lage entre les petites îles ; nous y avons trouvé de 30 à 25 brafles fond de fable; mais il n’yfaudroit mouiller que dans le cas d’une extrême néceflité. | Relâche à Le 3 dans la matinée nous entrâämes dans le port où lle de Fran nous fûmes amarrés dans la journée. L'Etoile parut à fix heures du foir & ne put entrer que le lendemain. Nous nous trouvàmes être en arriere d’un jour, & nous y repri- mes la date de tout le monde. Dixil dece Dés le premier jour j'envoyai tous mes malades à l'hô- dé) pital, je donnai l'état de mes befoins en vivres & agres, & nous travaillâmes fur-le-champ à difpofer la frégaré pour être carenée. Je pris tous les ouvriers du port qu'on put me donner & tous ceux de l'Etoile, étant déterminé à partir auflitôt que je ferois prêt. Le 16 &le 18 onchauf- fa la frégate. Nous trouvâmes fon doublage vermoulu , mais {on franc-bord étoit auffi fain qu'en fortant du chan- tier. Nous fümes obligés de changer ici une partie de notre mature. auTOUuUrR Du MonDEe. 377 mature. Notre grand mât avoit un enton au pied & de: voit manquer par-là auflitôt que par la tête, où la meche étoit caflée. On me donna un grand mât d’une feule pie- ce, deux mâts de hune, des ancres, des cables & du fi- lain dont nous étions abfolüment indigens. Je remis dans les magañins du Roï mes vieux vivres, & j'en repris pour cinq mois. Je livrai pareillement à M. Poivre , Intendant de File de France, le fer & les clous embarqués à bord de l'Etoile, ma cucurbite, ma ventoufe, beaucoup de médicamens, & quantité défis. HAreats inutiles pour nous, & Fou cette colonie avoit befoin. Je donnai aufli à la Poe vingt-trois foldats qui me demanderent à y être incorporés. Meflieurs de Commerçon & Verron con- fentirent pareillement à différer leur retour en France ; le premier pour examiner l'hiftoire naturelle de ces îles &c celle de Madagafcar ; le fecond pour être à portée d’aller obferver dans l'Inde le paflage de Venus ; on me demanda de plus M. de Romainville Ingénieur, & quelques jeunes volontaires & pilotins pour la navigation d'Inde en Inde. Il n’étoit pas malheureux , après un aufli long voyage, d'être encore en état d'enrichir cette colônie d'hommes Perte de deux Officiers, & d'effets néceffaires. La joie que j'en reflentis fut cruel- : lement altérée par la perte que nous y fimes du Chevalier du Bouchage, Enfeigne de vaifleau, fujet d’un mérite dif- tingué, qui joignoit aux connoiflances qui font le grand Officier de mer, toutes les qualités du cœur & de l’efprit qui rendent un homes précieux à fes amis. Les foins af- feCtueux & l’habileté de M. de la Porte, notre Chiturgien- major, ont pu le fauver. I| mourut dans mes bräs le r9 Novembre, d’une diflenterie commencée à Batavia. Peu de jours aprèsun jeune filsde M. ie Moyne Commif.. Bbb 1768. Decembre. Départ de l'ile de Fran- Ce Route juf- 378. a x oO Lé Gi RE no hic de la Marine ve pe avec'moi vo- lontaire ,:& nommé depuis peu Garde de la Marine, mou- rut de la poitrine. Jadmirai à l'ile de France les forges qui y ont été éta- blies par Mefieurs de Rofting & Hermans. Il en eft peu d’auffi belles en Europe, & le fer qu’elles fabriquent eft de ka premiere qualité. On ne conçoit. pas ce qu'il a fallu de conftance & d’habileté pour perfeétionner cet établif- fement, & ce qu'il a coûté de frais. Il a maintenant neuf cents Negres, dont M. Hermans a tiré & fait exercer un bataillon de deux cents hommes, parmi lefquels s’eft éta- bli. l’efprit de corps. Ils font entre eux fort délicats fur le choix de leurs camarades, & refufent d'admettre tous ceux qui ont commis la moindre friponnerie. Voilà donc le point d'honneur avec l’efclavage. Pendant notre féjour ici nous avions conftamment jour du-plus beau tems.Le $ Décembre le ciel commença à fe couvrir de gros nuages, lesimontagnes s’embrumerent, tout annonça la faifon des pluies & l'approche de l’oura- gan qui fe fait fentir dans ces îles prefque toutes les an- nées. Le 10 j'étois prêt à mettre à la voile ; la pluie & le vent debout ne me le permirent pas. Je ne pus appareiller que le 12 au matin, laiffant l'Etoile au moment d être carenée. Ce bâtiment ne pouvoit être en état de fortir avant la fin du mois, & notre jonétion étoit doréna- vant inutile. Cette flûte, fortie de l'ile de France à la fin du mois de Décembre, eft arrivée en France un mois aprés moi. À midi je pris mon paie de départ a Ja latitude auftrale obfervée de 204 22!, & par je 40° de longitude à l'Eft de Paris. Le tems fut d’abord très - couvert, avec des grams 6c AUTOUR DU MonNobE. 479 de la pluie: Nous ne pûmes avoir connoïffance de l'île de qu'au cap de Bourbon. À mefure que nous nous éloignâmes le tems de: AS A vint plus beau. Le vent étoit favorable & frais, mais bien- tÔt notre nouveau grand mât nous caufa les mêmes in- quiétudes que le premier. Il faifoit à la tête un arc fi con- fidérable, que je n'ofai me fervir de grand RÉ TER ni porter le hunier tout haut, Depuis le 22 Décembre jufqu'au 8 Janvier nous eümes Mauvaistems conftamment vent debout, mauvais tems ou calme. Ces PR # vents d'Oueft étoient , me difoit-on, fans exemple ici dans cette faifon. Ils ne nous en molefterent pas moins quinze jours de fuite que nous paflâmes à la cape ou à louvoyer avec une très-grofle mer. Nous eïmes la connoiffance de là côte d'Afrique avant que d’avoir eu la fonde. Lors de la vue de cette terre que nous primes pour X cap des Baf- fes , nous n’avions pas de fond. Le 30 nous trouvâmes 78° brafles, & depuis ce jour nous nous entretinmes /4r banc des Epuilles, avec la vue prefque continuellé de la côte. Bientôt nous rencontrâmes plufieurs navires Hollan- LT dois de la flotte de Batavia. L’avant-coureur en étoit parti le 20 Oftobre & la flotte le 6 Novembre: les Hollandois: étoient encore plus furpris que nous de ces vents d'Oueft qui fouffloient ainfi contre faifon. Enfin le 8 Janvier au matin nous eùmes connoiffance du cap False, & bientôt après la vue des serres du cap de Bonne Efpérance. J'obferverai qu'à cinq lieues dans l’'Eft- Avis naui- Sud-Eft du cap False, il y a une roche fous l'eau fort dan gereufe; qu’à l’'Eft du cap de Bonne - Efpérance eft un recif Qui s’avance plus d’un tiers de lieue au large, & au pied du cap même un rocher qui met au large à la même diftance. J’avois atteint un vaifleau Hollandois apperçu le Bbbi Reläche au cap de Bon- ne-Efpérance, 380 | VOYAGE matin, & j’avois diminué de voiles pour ne le pas dépaf fer, afin de le fuivre en cas qu'il voulût entrer de nuit. À fept heures du foir il amena perroquets, bonnettes, &: même fes huniers ; pour-lors je pris le bord du large , & je louvoyai toute la nuit avec un grand frais de vent de Sud , variable du Sud-Sud-Eft au Sud-Sud-Oueñt, Au point du jour les courans nous avoient entraïnés de près de neuf DS dans le Oueft-Nord-Oueft ; le vaifleau Hoilandois étoit à plus de quatre lieues fous le vent à nous. Il fallut forcer de voiles pour regagner ce que nous avions perdu ; aufli ceux qui doivent pañler la nuit fur les bords dans l'intention d’entrer au jour dans la baie du cap, feronr-ils bien de mettre en-travers dès la pointe orien- tale du cap de B nne-Efpérance , en fe tenant environ, à trois lieues de terre; dans cette pofition les courans les. auront mis en bonne pofture d’entrer de grand matin. A neuf heures du matin, nous mouillimes dans la baie du Cap, à la tête de la rade, & nous affourchâmes Nord- Nord-Eft & Sud-Sud-Oueft. Il y avoit ici quatorze grands navires de toutes nations, & il en arriva plufeurs autres pendant le féjour que nous y fimes. M. Cartetet en étoit {orti le jour des Rois. Nous faluâmes de quinze coups de canon la ville, qui nous en rendit un pareil nombre. Nous eûmes tout lieu de nous louer du Gouverneur & des habitans du cap de Bonne-Efpérance ; ils s'emprefle- rent de nous procurer l’utile & l’'agréablé. Je ne m'arrête- rai point à décrire cette place que tout le monde connoit- Le Cap releve immédiatement de l'Europe &c n’eft'point dans la dépendance .de. Batavia ; ni pour l’adminiftration militaire & civile, ni pour la nomination des enpis I! fufit même d'en avoir exercé un au Cap, pour n’en pou- AU TIOQUERS D V'OMO'N D FE 382 voir pofléder aucun à Batavia. Cependant le Confeil du Cap correfpond'avec celui de Batavia pour les-affaires de commerce. Ibeft compofé de huit perfonnes, du nombre defquelles .eft le Gouverneur. qui en eft.le Préfident. Le Gouverneur n’entre point dans le Confeil de Juftice au- quel préfide le Commandant en fecond ; feulemenril figne les arrêts de mort. I yaun pofte militaire à False-baye & un à la bare de. Saldagna. Cette derniere qui forme un port fuperbe à l'abri de tous les vents, n’a pu devenir le chef-lieu , parce qu'il n’y a pas d’eau. On travaille maintenant à augmenter ‘établiffement de False-baye; c’eft où les vaiffleaux mouil- lent pendant l'hiver, quand la baie du Cap eft interdite, On y trouve les mêmes fecours &àtout auffi bon compte qu'au Cap. Il y a par terre huit lieues de mauvais chemin: d’un de ces lieux à l’autre. A-peu-près à moitié chemin des de ef [A canton de Conftance, qui produit le fameux vin de ce nom. Ce. vignoble, où l’on cultive des plants de mufcat d'Efpagne, eft fort petit, mais il-eft faux qu'il appartienne à la Com- pagnie, & quil foit, comme onle croit ici, entouré de murs & gardé. On le diftingue en haut Conftance & petit: Conftance, féparés par une haie, 8 apparrenans à deux: propriétaires différens. Le vin qui s’y recueille eft à-peu- près égal-en qualité, quoique chacun des deux Conftan- ces ait fes partifans. Il fe fait année commune cent vingt, à cent trente barriques de ce vin, dont la Compagnie prend un tiers à un prix tarifé, le refte fe vend aux ache- teurs qui fe préfentent. Le prix actuel eft-de: trenté) pia- ftres l’alvrame ou le baril de foixante & dix bouteilles de vin blanc, trente-cinq piaftres l'alvrame de rouge. Mes Détail fur le vignoble de Confiance, Etat des Hoi- landois au cap. 382. 4 € 1 OWoTYIA GARE camarades. & moi nous allâmes diner chez M. de Van: derfpie, propriétaire du haut Conftance. Il nous fit la meilleure chere du monde, &c nous ÿ bûmes beaucoup de fon vin, foit en dinant, foit en goürant des différentés: pieces pour faire notre emplette. Le terroir de Conftance, terminé en pente douce, eft d’un fable graveleux. La vigne s'y cultive fans échalas ; le fep eft taillé à petit bois. Le vin s’y fait en mettant dans la cuve la grape égrenée. Les futs pleins fe confervent dans un cellier à rez-de-chauflée, dans lequel!l’air a une libre circulation. Nous vifitâmes en revenant de Con- ftance deux maïifons de plaifance qui appartiennent au Gouverneur. La plus grande nommée Vew/and a un jar- din beaucoup plus beau que celui de la Compagnie au Cap. Nous avons trouvé ce dernier fort inférieur à fa ré- putation. De longues allées de charmilles très hautes lui donnent l'air d’un jardin de Moines; il eft planté de ché- nes qui y viennent très - mal, : . Les plantations des Hollandois fe font fort étendues Ge” toute la côte, & l'abondance y: eft par-tout le fruit de la culture, parce que le cultivateur, foumis aux feules loix, : y eft libre & sûr de fa propriété. IL y a des habitans juf-. qu’à près de cent cinquante lieues de la capitale; ils n’ont d’ennemis à craindre que les bêtes féroces ; car les Hot-! tentots ne les moleftent point. Une des plus belles parties de la colonie du Cap, eft celle à laquelle on a donné le nom de perite Rochelle. C’eft une peuplade de François chaflés de leur patrie par la révocation de l’édit de Nantes. Elle furpaffe toutes les autres par la fécondité du terrein +: Fin- duftrie des colons. Ils ont confervé à cette mere adoptivele nom de leur ancienne patrie, qu'ils aiment toujours, toute rigoureufe qu’elle leur a été. AUTOUR :D;yU MONDE. 353 . Le: Gouvernement envoye de témis-en-téms des cara- vanes. vifiter l'intérieur du pays. Il s’en eft-fait üné de huit mois en 1763:Le€ détachement; pérça dans le Nord &c fit, m'a-t-on afluré, des découvéftes impottantes/ ce voyage n'eut pas cependant le faccès-qu'on devoit s’en promettre ; le mécontentement &:.la difcorde fe mirent dans le déta- chement-& forcerent-lé,chef à revenir fur fes pas, laïiflant fes découvertes imparfaites. Les: Hollandois avoient eu connoïffance d’une nation jaune , dont les cheveux font longs , &:qui leur a paru très-farouche. C'eft dans ce voyage que l’on a trouvé le quadrupede de dix-fept pieds de hauteur, dont j'ai remis le deflein à M. de Buffon; c'étoit une femelle qui allaitoit un faon dont:la hauteur n’étoit encore: que de fept pieds. On tua la. mere:, le faon fut:pris vivant, mais il mourut après quelques jours de marche. M.de Buffon m'aafluré que cerañimäal-ft celuiiqueles Noruralifles nomment /a prroffe. Onhn'en:avoit :pas revü depuis ‘celui qui fut apporté à Rome du tems de Céfar, 8 montré à l’'amphithéâätre. On aaüfhtrouvéil y a troisans, 8 apporté au Cap, oùil n’a vécuque deux mois, un quadrupede d'une grande beau- té, lequel tient du taureau, du cheval & du cerf, & dont le genre eft abfolument nouveau. J'ai pareïllement remis à M. de Buffon le deflein exaét de cet animal dont je crois que la force & la vitefle égalent la beauté. Ce m'eft pas fans raifon que l'Afrique ra été nommée la mere des monftres. Monis de bons vivres, de vins & de rafraîchiflemens dertoute efpece , nous appareillâmes de la rade du Cap le 17 après midi. Nous paflâmes entre l'ile Roben & la côte; à fix heures du foir le milieu de cette île nousereftoit au Départ du cap. Vue de Sain- te-Helene. 1769. Fevrier, Relâche à l'Afcenfon. 384 : Oo M oUyla 6 E OT U À Sud-Sud-Eft- 44- Sud environ quatre lieues de: diftan- ce; c’eft d’où je pris mon point de départ par 3 34/46! dé latitude Sud , & 154 48” de longitude orientale IdeParis! Je defirois de rejoindre M: Carteret fur lequel j'avois cer: tainement un grand avantage demarche, mais qui avoit encore onze jours d'avance fut moi. E Je dirigeai ma route pour prendre connoïiflance de: l’{/e Sainte - Helene, afin de m'aflurer la relâche à l’Afcenfion, relâche qui devoit faire le falut de mon équipage. Efe&i- vement nous en eûmes la vue le 29 à deux heures après midi, & le relevement que nousen fimes nenous donna dedifférence avec l’eftime de notre: route que huit à dix lieues. La nuit du 3 au 4 Février étant par la latitude.de l’'Afcenfion & m'en faifant environ à dix-huit lieues de diftance, je fs courir fous les deux huniers. Au point: du jour nous vimes l'ile à-peu-près à neuf lièues de diftance, & à onze heures nous mouillimes dans l’ance du Nord- Oueft ou de la montagne de la Croix par 12 braffes fond:de fable & corail. Suivant les obfervations de M.l’abbé-de la Caille, nous étions à ce mouillage par 74:<4/ de:lati- tude Sud, & : 6d 1 9/ de longitude occidentale de Paris. : À peine eûmes-nous jetté l'ancre que je fis mettré les bateaux à la mer & partir trois détachemens pour. la pê- che de la tortue ; le premier dans l'anceidu Nord-Eft ; le fecond dans l'ance du Nord-Oueft, vis-à-vis de laquelle nous étions; le troifieme dans l’ance aux, Anelois:, laquelle eft dans le Sud-Oueft de l'ile. Tout nous promettoit une pêche favorable; il n’y avoit point d'autre navire que le nôtre, la faifon étoit avantageufe & nous entrions-en nou- velle lune, Auffitôt après le départ des détachemens, je fis toutes mes difpofitions pour:jumeller au-deffous du cape- lage, À UWED Ù À ED/u00 MO N D E. 38 lage, mes deux mâts majeurs : fçavoir le grand mât avec un petit mât dehune, le gros bout en-haut; &le mât de mifaine , lequel étoit fendu horizontalement entre les jot- tereaux, avec une jumelle de chêne. On m'apporta dans l'après - midi la bouteille qui ren- ferme le papier fur lequel s’infcrivent ordinairement les vaifleaux de toutes nations qui relächent à l’Afcenfon. Cette bouteille fe dépofe dans la cavité d’un des rochers de cette baie, où elle eft également à l'abri des vagues & de la pluie. y trouvai écrit le Swallow, ce vaifleau An- glois commandé par M. Caïteret, que je defirois de re- joindre. Il étoit arrivé ici le 31 Janvier & reparti le pre- mier Février ; c’étoient déjà fix jours que nous lui avions gagnés depuis le cap de Bonne-Efpérance. Jinfcrivis la Boudeufe & je renvoyai la bouteille. La journée du $ fe pafla à jumeller nos mûts fous le capelage, opération délicate dans une rade où la mer eft clapoteufe, à tenir nos agrêts & à embarquer les tortues. La pêche fut abondante; on en avoit retourné dans la nuit foixante & dix, mais nous ne pümes en prendre à bord que cinquante-fix, on remit les autres en liberté. Nous obfervâmes au mouillage 94 45’ de variation Nord- Oueft. Le 6 à trois heures du matin, les tortues & bateaux étant embarqués, nous commençèmes à lever nos ancres; à cinq heures nous étions fous voiles enchantés de notre pêche & de l’efpoir que notre premier mouillage feroit dorénavant dans notre patrie. Combien nous en avions fait depuis le départ de Breft ! En partant de l’Afcenfion, je tins le vent pour ranger les iles dy cap Verd d’auffi près qu'il me feroit poffible. Le 11 au matin, nous paflèmes la ligne pour la fixieme fois Ccce Départ de l’Afcenfon, Paffage de la ligne. Rencontre du Swallow. Erreur dans leflime de notre route. 1769. Mars. 386 VOYAGE dans ce voyage par 201 de longitude eftimée. Quelques jours après, comme malgré la jumelle dont nous l’avions fortifié, le mât de mifaine faifoit une très-mauvaife figure, il fallut le foutenir par des pataras, degréer le petit per- roquet, & tenir prefque toujours le petit hunier aux bas- ris & même ferré. Le 24 au fir, on apperçut un navire au vent & de l'avant à nous, nous le confervâmes pendant la nuit, & le lendemain nous le joignimes; c’étoit le Swallow. Fof- fris à M. Carteret tous les fervices qu’on peut fe rendre à Ja mer. Il n’avoit befoin de rien ; mais fur ce qu'il me dit qu'on lui avoit remis au Cap des lettres pour France, j'envoyai Les chercher à fon bord. Il me fit préfent d’une fleche qu'il avoit eue dans une des îles rencontrées dans {on voyage autour du monde, voyage qu'il fut bien loïn de nous foupconner d’avoir fait. Son navire étoit fort petit, marchoit très -mal, & quand nous eñmes pris congé de lui, nous le laiflâmes comme à l’ancre. Combien il a dû {ouffrir dans une aufli mauvaife embarcation! Il y avoit huit lieues de différence entre fa longitude eftimée & la nôtre ; il fe faifoit plus à l'Oueft de cette quantité. Nous comptions pafler dans l'EIt des iles Acores, or. que le 4 Mars dans la matinée , nous eùmes connoïflanee de l'ile Tercere, que nous doublâmes dans la journée «en la rangeant de fort prés. La vue de cette ile, en la fuppo- fant bien placée fur le grand plan de M. Bellin, nous donneroit environ foixante &c fept lieues d'erreur du côté du Oueft, dans l’eftime de notre route; erreur confidé- rable dans un trajet auf court que celui de l'Afcenfion aux Aïcores. Il eft vrai que la pofition de ces îles en lon- gitude eft encore incertaine. Cependant je crois que dans AUTŒUR Du MO NLD €. 337 les parages des îles du cap Verd il regne ‘des courans très-violens. Au refte , il étoit effentiel de déterminer la longitude dés Açores par de bonnes obfervations aftro- nomiques, & de bien conftater la diftance des unes aux autres, & leurs giflemens entre elles. Rien de tout cela n’eft jufte fur les cartes d’aucune nation. Elles ne diffe- rent que par le plus ou le moins d'erreur Cet objet im- portant vient d’être rempli par M. de Fleurieu, Enfeigne des vaifleaux du Roi. Je corrigeai ma longitude en quittant Tercere fur celle qu’afligne à cette île la carte à grand point de M. Bellin. Nous eûmes fond le 13 après midi, & le 14 au matin la vue d'Oueffant. Comme les vents étoient courts & la marée contraire pour doubler cette ile, nous fûmes forcés de prenére la bordée du large, les vents étoient à Oueft grand frais, & la mer fort groffe. Environ à dix heures du matin, dans un grain violent, la vergue de mifaine fe rompit entre les deux poulies de drifle & la grand - voile fut au même inftant deralinguée depuis un point jufqu’à l’autre. Nous mimes auflitôt à la cape fous la grand voile d’étai le petit focq & le focq de derriere, & nous travaillä- mes à nous raccommoder. Nous envergämes une grande voile neuve , nous refimes une vergue de mifaine avec la vergue d’artimon, une vergue de grand hunier, & un bout dehors de bonnettes , & à quatre heures du foir nous nous retrouvâmes en état de faire de la voile. Nous avions perdu la vue d'Oueffant, & pendant la cape , le vent & la mer nous avoient fait dériver dans fa manche. Déterminé à entrer à Breft, j’avois pris le parti de lou- voyer avec des vents variables du Sud - Oueft au Nord- Oueft , lorfque le 1 5 au matin, on vint m’avertir que le | | Ccci Vue d'Ouef- fant. Coup de vent qui nous dé- graye, Arrivée à Saint-Malo. 388 VOYAGE AUTOUR DU MonNpDE. mât de mifaine menaçoit de fe rompre au-deflous du ca- pelage. La fecoufle quil avoit reçue dans la rupture de fa vergue avoit augmenté fon mal; & quoique nous en euflions foulagé la tête en abaiflant fa vergue, faifant le ris dans la mifaine, & tenant le petit hunier fur le ton avec tous fes ris faits, cependant nous reconnümes après un examen attentif, que ce mât ne réfifteroit pas long-tems au tangage que la grofle mer nous faifoit éprouver av plus près ; d’ailleurs toutes nos manœuvres & poulies étoient pourries, & nous n'avions plus de rechange ; quel moyen, dans un état pareil, de combattre entre deux côtes contre Le gros tems de l’équinoxe ? Je pris donc le parti de faire vent arriere & de conduire la frégate à Saint- Malo. C'étoit alors le port le plus prochain qui püt nous {ervir d’afyle. J’y entrai le 16 après midi, n’ayant perdu que fept hommes pendant deux ans & quatre mois écoulés depuis notre fortie de Nantes. Puppibus & læti Nautæ impofuere coronas. Vireil. Æneid. liv. IV Fin du Voyage autour du Monde. 359 >: GPL LES AS LR A AN AS A A 4 4 2: VOCABULAIRE D E LA LE MA FT T: A A Bobo, demain. Aibou, venez. Ainé, fille. Aiouta , il yena. Aïpa , le terme de négation, il n’y en a pas, Aneania ; importun , ennuyeux. Aouaou, fi, terme de mépris, de déplaifance. Aouereré , noir. Aouero, œuf. Aouri, fer, or, argent, tout métal ou inftru- ment de métal. Aoutti, poiflon volant. Aoutra, éclair. Apalart, brifer, détruire. Ari, COCO. : Ariot , célibataire & homme fans enfans. Ateatea , blanc. | Je ne connoïs aucun mot qui commence par nos lettres confonnes fuivantes B,C, D. E É&: Tacine. 399 Eat, Euia, ÆEubou, E aiabou-maa, Eame, Eani, Eao, Eatoua, Eeva, Et, Eivaeoura, Eivi, Eire, Elao, Emaa, Emao, Ermeitar, Ermoe, Enapo, Enene, Enia, Enninnio, Enoanoa, Enomor, Enoo-te-papa , Enoua , Enoua Tairi, Enoua Paris, VO € À B'U L'AIR E le feu. perruche. vale. vafe qui fert à mettre le manger. boiflon faite avec le coco. toutes facons de fe battre. les nuages , & fleur en bouton ou non ouverte. la Divinité. Le même mot exprime auf fes Miniftres, ainfi que les Génies fubalternes bienfaifans ou malfaifans. deuil. voile de pirogue. danfe ou fête des Taitiens. petit. entendre. mouche. fronde. requin, veut dire aufh mordre. donner. dormir. hier. décharger. dedans, fur. s'étendre en bäillant. fentir bon. terme pour appeller , venez ici. affeyez-vous. la terre & fes différentes parties. le pays de T'aiti. le pays de Paris. : Æa, £Eoe-tea, Eoe-par , Ermnoure-papa , Eone, Eonou , Eote, Eouar, Eouao, ÆEououa , Eou, Eounoa , Eouramai , Eourt, Eouriaye , Epao, Epata, Epepe , Epya , Epoumaa, Epoupont , Epoure , Epouta, Era, Era-ouao, Era-ouopo, DÉE. LUE EUPALTEL 391 fuer. fleche. pagaye ou rame. l'arbre dont ils tirent le coton ou la bourre pour leurs étoffes. fable, pouffiere. tortue. baïfer. pluie. voler, dérober. boutons fur le vifage. roter. bru , belle-fille. lumiere. danfeur. danfeufe. vapeur lumineufe qui file dans le ciel, que le peuple nomme éroxe qui file. À Taiti on les regarde comme des génies malfaifans. coup de langue pout appeller lafemme. papillon , | olgnon. filet. Il fert à appeller aux repas. fouffler le feu. prier. bleflure ; ce mot exprime auf la cica- trice. {oleil. foleil levant. foleil couchant. 327 ÆEra-ouayaiea , Erai, Erepo , Ero, En, Er, Eroi, ÆEroleva, Eroua , ÆErouat , Eroupe , Etat, Etao , Etaye, Ereina, ÆErouana, Ætere, Etere maine , ÆEo , Ep, Etot , ÆEtoumou , Etouna , Etoouo , Evaï 4 Eva, Evaine ; Evana , Evare, VPO € AB UE À PRE {oleil à midi. le ciel. fale, malpropte. fourmi. Roi. royal, laver, nettoyer. ardoife. {OU vomife pigeon bleu d’une efpece fort grofe, femblable à ceux qui font chez M. le Maréchal de Soubife. la mer. lancer. pleurer. frere ou fœur aînée. frere ou fœur cadette. aller. revenif, huïtre. couper ; COUPÉ: hache. tourterelle. anguille. raper. l'eau. humide. femme. arc. mai{on. Eyaroua-t-eatoua, DSERE L'HLUEME GRAS ICT É 393 Evaroua-teatoua, Souhait qui fe fait aux perfonnes qui éternuent , & qui veut dire que le mauvais génie ne t'endorme pas, ou que le bon génie te réveille. Evero , lance. Evetoz , étoile. Evetou-eave, comete. Evi, fruit acide, femblable à une poire, par- ticulier à Taiti. Evuvo, flûte. Les mots fuivans fe prononcent e long, comme l des Grecs. | nt, figures de bois qui repréfentent des gé- nies fubalternes, & fe nomment wrc- tane Où nt-aine , fuivant que ces gé- nies font du fexe mafculin ou du fé- minin. Ces figures fervent à des cé- rémonies religieufes, & les Taitiens en ont plufeurs dans leurs maifons. nlele ; corbeille. OU , pet. Ils l'ont en horreur & brülent tout ce qui eft dans les maïfons où l’on a peté. nOUOU ; moule. nreOU-tataou » couleur à piquer; c’eft celle qui fert à _ces caracteres ineffaçables qu'ils s’im- piment fur les différentes parties du COTps. i srrt &tauff ouariri, {e fâcher , fe mettre en colere. Je neconnois aucun mot qui commence par les con- fonnes fuivantes F, G. D dd 394 Horreo , Îore, Trorror, Iroto , Îvera, Vioïc À BD LA ANUR E H {onde faite avec les coquilles les plus pefantes , fe prononce comme sil y avoit un 4 devant lo. ; ”l rat. fatiguer. dedans. chaud. Je ne connois aucun mot qui commence par la con- fonne Z. Maa , Maea , Maeo , Mai, Magtk , Mala , Malama , Malou , Mama, Mamai, Manoa , Manou , M manger. enfans jemeaux. fe gratter, démanger. de plus , fe dit aufli #rarne ; c’eft un ad- verbe de répétition: erere, aller , ere- re-mai Ou etere-maine, aller une {e- conde fois , revenir. froid. plus. la lune. confidérable, grand. léger. malade. Bonjour, fervireur, exprefion de poli- tefle ou d'amitié. oifeau , léger. BE :L\ LILUEGML A D T/I. 395 Mao, émérillon pour la pêche. Matai, vent, Matai mala , vent d'Eft ou de Sud-Eft. Mataï-aouerat , Vent d'Oueft ou de Sud-Oueft. Matao, hamecon. Matapo , borgne , louche. Matari, les pléiades. Marie , l'herbe, gramen. Mao, montagne. Mate , tuer. Mea , chofe. Meia , bananier, bananes. Metoua , parens; Metoua-tane ou eoure, pere ; metoua-aine OU erao , Mere. Mimi, uriner. Moa , coq, poule. Moea , natte. Mona , beau , bon. Moreou , calme, tems fans vent. Motoua , petit-fils. N Nate, donner. Ni, voile de bateau. Niouniou, jonquille. O Our, murailles & pierres. Oaute , ouvrir. Oorah , la piece d’étoffe dont on s’enveloppe. Dddij 396 "VE 2€ À RAUUII AGIR É Oorca, généreux, qui donne. Opoupour, boire. Ouallo , voler, dérober. i Ouaoura , aigrette de plumes. Ouaora , guérir Ou guéri. Ouanao, accoucher. Ouare , cracher. Ouatere , timonier. Ouera, chaud. Oueneo , cela ne fent pas bon, infeête. Ouetopa , perdre, perdu. Oui, hé. Quope, mür , en maturité. Oupani, . _ fenêtre. Oura, rouge. Ouri, chien & bite. P Pa, pirogue. Paia , aflez. Papa, bois, fiege & tout meuble de bois. Papanit, fermer, boucher. Paoro , coquille , nacre. Parouar, habit, étoffe. Patara, grand-pere. Par, tonnere. Picha , coffre. Pirara , poiflon. Piropiro , puanteur d’un pet ou des excrémens. Pirio, boiteux. Prripiri , Po Poirt , Porta , Pororaia , Pouoa, Pouerata , Poupout , Pouta, Poto, DEN L ILNE ANT L 397 négatif, avare qui ne donne point. jour. perle, pendant d'oreilles. pour , à. obfcur. gras, embonpoint , bien portant. loge à chiens. cochon, fanglier. fleurs. à la voile. bleflure. petit , exigu. Je ne connois aucun mot qui commence par la lettre Q. Rat, Raura, Roa, Roa, la lettre S. T'aitar , R s grand , gros, confidérable. vieux, âgé. gros, fort gras. fil. Aucun mot venu à ma connoïffance ne commence par é falé. ami. Taio , Tama , Tane, Taotiti , Tara-tane : ennemi, en guetre. homme , mari. nom de la grande Prêtrefle obligée à la virginité. Elle a dans le pays la plus grande confidération, femme mariée. 398 Taporar , Taoua-mat , Taoumi, Taoumta , Taoura , Tata, Tatoue, Tearea , Tecuteou , Tero, Tetouarn , Tiarat, 11208 Tinatore , Towa , Tomautt , Ton, Toto , Touapouou , Touaine, Toubabaou , Touie , NTOor GG A BU L'IAE R'E battre, maltraiter. Médecin. hauffecol pour les cérémonies. couverture de tête. corde. homme. l'acte de la génération. jaune. valet , efclave. noir. femme barrée. fleurs blanches qu'ils portent aux oreil- les en guife de pendans. cheville. ferpent. fort , puiffant , malfaifant. enfant. | terme d'appel ou cri pour les filles. On y ajoute Pao allongé , ou Pro pro- noncé doucement comme le grand ; des Efpagnols. Si la fille fe donne un coup fur la partie extérieure du ge- nou, c’eft un refus; mais fi elle dit enomot, C’eft l'expreflion de fon con- fentement. fang. boflu. frere & {œur, en ajoutant le mot qui diftingue le fexe. | pleurer. maigre. DDR: Li TL: EU/ALIOANT TU Te 399 Toumaay , attion de faire des armes. C’eft avec un morceau de bois armé de pointes faites avec des matieres plus dures que le bois. Ils fe placent comme nous pour faire des armes. Toura, dehors. Toutai, faire fes néceffités. Tour , excrémens. Toupanoa, ouvrir fenêtre ou porte. Touroutoto , vieillard décrépir. Toutor-papa , lumiere des grands; #1a0-papa , lumiere du peuple. | 7 Vareva, pavillon qu'on porte devant les Rois & les principaux. Je ne connois point de mots qui commencent par les lettres LV, X, F, Z. Noms de différentes parties da COrpS. Aoupo , le deflus dela tête, Boho , crâne. Eouttou , le vifage. Mata, les yeux. Taria , les oreilles. Etua, mâchoire. Eïou, le nez, Lamolou , les levres. Ourou , les cheveux. #Allelo , la langue. 400 Eniou , Eniaou , Oumi, Papaourou , Arapoa , Taah , Eou, ÆAoao , Erima , Apourima , EF aiou , Etoua , Eïapono, Obou , Tina, Pro, Toutaba , ÆEïoe, Aoua , Eanai, Erapoué , Eoua, Eoure, Erao, Eomo , Atai, Aroua , Atorou , Aheha , VocaABULAIRE les dents. curedents. Ils les font de bois. la barbe. les joues. gorge, gofier. menton- mamelles, tetons. le cœur. la main. le dedans de la main. les ongles. dos. épaules. inteftins. ventre. nombril. glandes des aines. feffes. cuifles. jambes. pied. tefticules. fexe de l’homme. fexe de la femme. clitoris. Nombres. uñ. deux, trois. quatre. Erima, DE: L'ASL ENT 4 4 ré "401 Erima, cinq. ; F e Aouno , fixe | ; | Ahitou, | fept. Awarou, huit. Ahiva, neuf, ! Aourot , dix. Ils n’ont point de mots pour exprimer onze ; douze, &c. Ils reprennent ara, aroua, 6c. jufqu’à vingt qu'ils difent arartao. Ataitao-mala atai, vingt plus un ou vingt & un, &ec. Araitao-mala aourou, trente, c’eft-à-dire, vingt plus dix. ÆAroua-tao , quarante ; aroua-tao mala atorou | quarante. trois , &CC. ÆArouo-tao mala aourou, quarante plus dix ou cinquante. Je n’ai pu faire compter Aotourou au-delà de ce der- nier nombre. Noms de plantes. Amiamt, cotiledon. Amoa , fougere. Aoute , rofe. Eaaeo , canne à fucre. Eaere, - le faule pleureur , autrement dit Le faule du grand Seigneur. | Eaia, poires. Eape , araum de Virginie. Eatou , lys de S. Jacques. Eoe, bambou. Eôai, indigo. Eora, faffran des Indes. Eotonoutou , figues. Eee 402 VOCABULAIRE DE L'ILE TAITL. Eou, igname. Epoua , rhubarbe. Eraca, marons , chataignes. Erea , gingembre. Eïtaro , araum violet. En fang-dragon. Eriare , grenadille ou fleur de la pañion. Ætoutou , rivina. Maïrerao , fumak à trois les Mat , _faifins. Oporo-maa, . .. poivre. | Pouraou, rofe de Cayenne. Torotre , héliotrope. Ils ont une efpece d'article qui repréfente nos articles a & de; c’eft le motre. Aïnf ils difent parouai-te- Aorou- rou, Vhabit d’Aotourou ou à Aotourou; maate-Eri, le manger des Rois. Je joins ici quelques réflexions de M. Pereire, que M. de la Condamine m’a communiquées, &c dont j'ai fup- primé plufeurs articles qui ne contenoïent que des que- {tions ou des doutes. Es 403 OBSERVATIONS SUR larticularion de l’Infulaire de la mer du Sud, que M. de Bousunville a amené de l'ile Tai, & fur le Vocabulaire qu'il a fait du langage de cette ile. Par M. P£rrerE, de la Société Royale de Londres , Inter- prete du Roi. M . de la Condamine m’ayant fait l'honneur de m'invi- ter d'aller avec lui examiner le langage de cet étranger, qu'on lui avoit dépeint comme fort extraordinaire, nous avons été le voir enfemble le 25 Avril 1769. Comme on m'avoit dit qu’il ne pouvoit pas prononcer le françois , mon premier foin a été de chercher à recon- noitre quels étoient les fons de cette langue qui manifefte- roient chez lui cette difficulté. J'ai donc commencé par lui faire entendre fucceflivement tous Les fons dont nous nous fervons , & j'ai obfervé avec furprife que malgré l’en- vie qu'il marquoit avoir de les imiter, il n’a pü abfolument articuler aucune des confonnes qui commencent les fylla- bes ca da fa ga fa a, non plus que le fon qu'on nomme / mouillée, ni pas une des voyelles appellées nazales. Ce n'eft pas tout ; il n’a pas {çu faire de diftinétion entre les articulations cha & ja , & n’a prononcé qu’'imparfaitement le à & l/ ordinaire, & plus imparfairement encore la dou- ble r, c’eft-à-dire l’r forte ou initiale. Je fuis porté à croire outre cela, bien que je ne m’en fois pas afluré fur lüi, que ce ne fera pas fans grande difficulté qu'il prononcera l’7 même fimple , lorfqu’elle fe trouvera immédiatement précédée Eeceyr 404 OSBNSYE :R VIA TRE NS d'unp, d'un +, ou d’un y, quoiqu'il articule bien ces con. fonnes quand elles font immédiatement fuivies de voyel- les & que par conféquent il aura bien de la peine à pro- noncer, par exemple les fyllabes pré, trou, vrai, quoi- qu'il prononce franchement Poutaveri,nom qu'ils’eft donné lui-même, en voulant prendre celui de Bougainville : car ( chofe encore remarquable ) il n’a pû prononcer. ce nom autrement. Ma conjecture eft fondée fur ce qu’en l’entendant parler en fa langue avec M. de Bougainville, j'ai cru remarquer qu'il n’emnployoit jamais deux confonnes confécutivement ou_fans linterpofition de quelques voyelles ; & fur ce que dans le Vocabulaire que M. de Bougainville a fait de cette langue, contenant environ deux cents cinquante mots, Vocabulaire que M. de la Condamine à qui il l’a prêté, a eu la complaifance de me communiquer, je n’ai trouvé que le feul mot raoum’ta (couverture de tête}.où äl {e rencontre deux confonnes enfemble ; encore ne puis-je pas m'empêcher de foupçonner dans ce mot l'omifiion de quelque voyelle entre l’r &cle r. La douceur de ce langage eft telle que tous les mots finiflent par des voyelles, & il falloit bien que cela für, ou que pas un ne commençât par des confonnes., car au- trement on entendroit quelquefois deux confonnes de fuie, ou fans voyelle intermédiaire, entre la fin d'un mot & le commencement du mot fuivant, & alors je n'aurois pas eu occafon de faire la remarque précédente. Les mots, dans ce Diétionnaire , commencent ou par des voyelles ou par des confonnes explofives p,#, ou par la nazale #1, je n’y vois que peude mots qui commencent par r, & deux feuls qui commencent par x. Je penfe que OF ER V ATHOINS. 405$ ce peut être par erreur que ces mots fe trouvent écrits de la forte, & qu'il fe peut pareillement qu'il n'y ait d'autres comfonnes initiales dans la langue de Titi que les trois fufdites #7, p, r, car indépendaminent de ce que j'ai déjà dit par rapport à l’r forte, j'ai obfervé que Pouta- veri qui m'a très-bien répété les fyllabes m4, pa, ta, n'a pù prononcer à beaucoup près fi franchement aucune des autres fyllabes que je lui ai fait entendre commencant toujours pat les confonnes ; alors foit qu'il trouvät où non de la difficulté à prononcer ces fyllabes, il n’a pas fcu chercher à les prononcer fans les faire de éc 3° ler use &e L + voyelle, le plus fouvent afpirée , ce qui m a perfuadé qu'il ne les a jamais articulés autrement. En efler, s’il y avoit dans fon île des mots qui commençañlent par tés confon- nes des fyllabes ra, ra, va, &cc. il paroï clair qu'il pronon- ceroit ces fyllabes avec la même netteté qu'il a fait ma, pa, ta, C'eit-à-dire fans héfiter ni les faire précé- der d'aucun autre fon. C’eft par un pareil défaut d’habi- tude que l/ mouillée, quoiqu'également uftée & fembla- blement prononcée en France & en Efpagne dans le milieu des mots, eft pour l'ordinaire aufli mal-aifée à pro- noncer à un François, lorfquelle eft initiale , comme dans ces mots Efpagnols, /lamar, [levar, qu'à un Efpa- onol lorfqu’elle eft finale, comme dans les mots François bérail, foleil, cette articulation ne fe trouvant jamais au commencement d'un mot François ni à la fin d’un mot Efpagnol. ai trouvé dans plufeurs mots du Vocabulaire Taitien, des CoMonnes que Poutaveri n’a pü prononcer cu n’a pro- noncé qü'imparfaitement, ce qui me fait penfer qu'on ne s'en eft férvien écrivant ces mots que fante d'autres let- 406 OBSERVATIONS tres qui puflent exprimer mieux fur le papier les fons étran- gers qu'il aura fait entendre. Ces mots font , 1°. abobo (demain) eaïbou (vafe) roubabaou ( Her) & obou (ventre) qui fuppofent en Poutaveri l’articulation franche du à, lettre que pourtant il ne prononce qu'à l'Efpagnole, ou fans prefque joindre les levres; 2°. maglli (froid) allelo (la langue ) & quelques autres qui bn. croire qu'il a dans fa langue le £ guttural, lequel y manque en- tierement, & l’/ qui n’y eft, à ce quil m’a paru, que d’une maniere équivoque. Le nom de flûte en cette langue, eyuvo, me paroît très- remarquable, en ce qu'il prouveroit que le fon de Fx voyelle François qui manque à toutes les autres nations du monde connu, eft d’ufage à Taiti. Le mot aoua a cela de particulier qu'il fignifie égale- ment pluie & les refñcules ; & le mot etai qu'il équivaut à mer &c à pleurer. Au refte, fi chacun de ces mots fignife plus d’une chofe , on trouve aufli dans ce Diétionnaire des cho- fes figniñiées chacune par plus d’un mot, pleurer y étant exprimé, tant par era que par oubabaou, & blanc tant par ateatea que par €Q Le La comparaifon de quelques mots de ce petit Vocabu- laire entre eux décele de l’art & de l'invention dans ces infulaires pour la formation de leur langue, epouta ( cica- trice) vient vifiblement de poura ( bleflure ); evaie ( humi- de, aqueux ) d'evaz( eau ); mamai ( malade), & raoua mai (médecin) de ai ( mal );soua pouou(boffu ) d’eroua (dos); ataitao (vingt ) d’ata (un), &c. Ï étoit naturel de penfer après cela qu'era (le foleil) étant le plus bel être de la nature, qui l’échauffe, la vivi- fe, la réjouit, ferviroit de racine aux noms de plufieurs Om ER V À TION S: 407 chofes avec lefquelles cet aftre auroit quelque rapport par quelqu’une de ces qualités, Je n’ai cependant trouvé que trois derces mots parmi les deux cent-cinquante en- viron du Vocabulaire |, mais leur dérivation d’Ære ne me paroit point équivoque : ce font eraz( ciel ), ouéra ( chaud), & erao (partie naturelle de la femme). 0 AE D ERCE DES MATIERES. PREMIERE PARTIE. CHAP. I. DE de la Boudeufe de Nantes ; rela- che à Breft ; route de Breft à Montevideo ; jonétion avec les frégates Efpagnoles pour la remife des îles Malouines , page 19 Objet du voyage. Départ de Nantes. Coup de vent. Reläche à Breft. Départ de Breft. Defcription des Salvages. Erreur dans leftime de la route. Pofition des Salvages re&ifiée. Obfervations nautiques. Paflage de la ligne. Remarques fur la variation. Caufes des différences qu’on éprouve dans la traverfée au Bré- fl. Obfervations fur les courans. Entrée dans la riviere de la Plata. Mouillage à Montevideo. Route par terre de Buenos-Aires à Montevideo. CHAP. IT. Détails fur les établiffemens des Efpagnols dans la riviere de la Plata , 32 On eft dans l'erreur fur la fource de ce fleuve. Date des pre-. miers établifemens que les Efpagnols y font. Situation de la ville de Buenos-Aires. Sa population. Cette ville manque de port. Etabliflemens religieux. Confréries & Proceffions de Negres. Dehors de Buenos-Aires, leurs produ@ions. Abondancede be- ftiaux. Rareté du bois, moyen d'y remédier. Détails fur les Américains de cette contrée. Race de brigands établie dans le Nord de la riviere. Etendue du gouvernement de la Plata. Com- merce de cette province. Colonie du Saint-Sacrement. Détails fur Ta BE D EU AM A TI ER ES. 40 fur la ville de Montevideo ; fur le mouillage dans cette baie. La relâche y eft excellente pour les équipages. CHAP. II. Départ de Montevideo ; navigation jufqu'aux îles Malouines ; leur remife aux Efpagnols; détails hi- floriques Jur ces iles , 1 Départ de Montevideo. Coup de vent efluyé dans la riviere. Route de Montevideo aux iles Malouines. Faute commife dans la direétion de cette route. Prife de poflefion de notre établif- fement aux Malouines par les Efpagnols. Détail hiftorique fur ces îles. Americ Vefpuce en a le premier connoïiffance. Depuis lui, des navigateurs Anglois & François en ont connoïffance. Premier établifflement dans ces îles. Détail fur la maniere dont il fe fait. Premiere année. Seconde année. Les Anglois viennent s’y établir dans une autre partie. CHAP. IV. Détails fur Llhifloire naturelle des iles Ma- louines , s4 Afpe& qu’elles préfentent. Leur poñition géographique. Des ports. Des marées. Des vents. Des eaux. Du fol. Tourbe & fes qualités. Des plantes. Gommier réfineux. Plante propre à faire de la bierre. Des fruits. Des fleurs. Plantes marines. Des coquilles. Des animaux. Il n’y a qu’un feul quadrupede. Des oi- feaux à pieds palmés. Ils font en grand nombre. Oïfeaux à pieds non palmés. Des amphibies. Des poiflons. Des crufta- cées. CHAP. V. WNavigation des es Malouines à Rio Janëro ; jonéhon de la Boudeufe avec l'Etoile. Hofuhtés des Portugais contre les Efpagnols. Etat des revenus que le Ro de Portugal tire de Rio Janaro, 74 Départ des Malouines pour Rio-Janeiro. Entrée à Rio-Jane1- ro. Difcuffion au fujet du falut. Jonétior avec la flûte l'Etoile. Difficultés quéprouve un vaiffeau Efpagnol de la part du Vice- roi. Secours que nous donnons aux Efpagnols, Vifite du Vice- 410 T ABLE roi à bord de la frégate. Hoftilités des Portugais contre les Ef: pagnols. Mauvais procédés du Viceroi à notre égard. Ils nous déterminent à partir de Rio-Janeiro. Détails fur les richefles de cette place. Régleinens pour lexploitation des mines. Mines de diamans. Précautions contre la contrebande. Mines d’or. Reve- nus que le Roi de Portugal tire de Rio-Janeiro. CHAP. VI. Départ de Rio Janéro. Second voyage à Mon- tevideo ; avaries qu”y recoit l'Etoile , 86 Départ de Rio-Janeiro. Eclipfe de foleil. Entrée dans la riviere de la Plata. Seconde relâche à Montevideo. Nouvelles que nous y apprenons. Avaries que reçoit l'Etoile. Il faut la faire monter à la Encenada de Baragan. Elle s’y raccommode. Détails fur cette efpece de port. Départ de plufieurs vaifleaux pour lEu- rope ; arrivée de quelques autres. CHAP. VIT. Détails fur les Miffions du Paraguai 6 l'ex- pulfion des Jéfuites de cette province, 94 . Date de Pétabliflement des Mifions. Conditions ftipulées entre la Cour d’'Efpagne & les Jéfuites. Zele & iuccès des Mif- fionnaires. Révolte des [Indiens contre les Efpagnols. Caufe de leur mécontentement. Ils prennent les armes & font battus, Troubles appaifés. Les Indiens paroiflent dégoutés de l’adminiftration des Jéfuites. Gouvernement des Miffions montré en perfpetuve. Détails intérieurs de l’'adminiftration. Conféquences qu’on en tire. Expulfon des Jéfuites de la Province de la Plata. Mefures prifes à ce fujet par la Cour d’Efpagne. Mefures prifes par le Gouverneur général. Le fecret eft au moment d’être divulgué par un accident imprévu. Conduite du Gouverneur général. Les Jéfuites font arrêtés dans toutes les villes Efpagnoles. Arrivée à Buenos-Aires des Caciques & des Corregidors des Mifons. Ils paroïffent publiquement devant le Gouverneur général. Quelle étoit l'étendue des Mifions. Détail fur l’entrée dw Gouverneur général dans les Mifions. Relation de cet évenement publiée à Buenos-Aires, D Es MAT/IERES. AIT CHAP. VIT. Départ de Montevideo ; navigation jufqw'au cap des Vierges ; entrée dans le dérroit ; entrevue avec les Patagons ; navigation jufqu'à l'ile Sainre-Elifabeth, 112 L’Etoilepart de la Encenada pour Montevideo. Danger decette navigation. Perte detrois hommes. Préparatifs du départ.Etat des équipages en partant de Montevideo. Départ de Montevideo. Po- fition de cette ville déterminée aftronomiquement. Sondes & na- vigation jufqu'au détroit de Magellan. Vigie non marquée fur les cartes. Vue du cap des Vierges. Sa poñition. Difcuffion fur cette pofition donnée au cap des Vierges. Digreffion fur les in- ftrumens propres à obferver en mer la longitude. Difficultés efluyées avant que d’entrer dans le détroit. Remarque fur la qualité du fond à l’entrée du détroit. Remarques nautiques fur cette entrée. Defcription du cap d'Orange , fa bâture. Mouillage dans la baie de Poffefion. Paflage du premier goulet. Vue des Patagons. Américains de la terre de Feu. Mouillage dans la baie Boucault. Entrevue avec les Patagons. Defcription de ces Amé- ricains. Qualité du fol de cette partie de PAmérique. Remarque fur les marées. Second mouillage dans la baie Boucault. Obfer- vation de longitude. Perte d’une ancre, Paffage du fecond goulet. Mouillage près de Pile Sainte - Elifabeth. Defcription de cette île. CHAP.IX. Navigarion depuis l'ile Sante - Elifabeth juf- qu'a la fortie du détroit de Magellan ; détails nautiques Jur cette navigation , _ 136 Dificultés du paflage le long de l'ile Sainte-Elifabeth. Mauvais tems, nuit fâcheufe. Mouillage dans la baie Duclos. Defcription de cette baie. Nouvelle obfervation fur les marées. Defcription d'un cap fingulier. Defcription du cap Forward. Mouillage dans la baïe Françoïfe. Avis fut ce mouillage. Mouillage dans la baie Bougainville, Relâche dans cette baïe pour y faire de l’eau & du bois. Obfervations aftronomiques & météorologiques. Defcri- ption de cette partie du détroit. Reconnoïffance faite de plufieurs ports aux térres de Feu, Rencontre de Sauvages. Baie & port de fi] 412 T':AŸB, 18e Beaubaffin; fa defcription. Baie de la Cormorandiere. Baie & port de la Cafcade. Defcription du pays. Utilité des trois ports décrits précédemment. Départ de la baie Bouganville. Mouillage dans la baie Fortefcü. Détails des contrariétés que nous y ef- fuyons. Traces trouvées du paflage des Anglois. Obfervations aftroñomiques & nautiques. Rencontre & defcription des Peche- rais. Accident funefte qui arrive à lun d’eux. Continuatiôn du mauvais tems. Danger que court la frégate. Ouragan”violent. Affertion difcutée fur le canal de la Sainte-Barbe. Utilité à retirer de la connoïffance de ce canal. Coup de vent de la plus grande force. Sortie de la baie Fortefcû. Defcription du détroit depuis le cap Galant jufqu’au débouquement. Nuit critique. Sortie du détroit ; defcription de cette partie. Point de départ du détroit de Magellan. Obfervations générales fur cette navigation. Con- clufion qu'on en tire. SEC ON D E-P:A R T1E: CHAP. Li Navigation depuis le détroit de Magellan jufqu’a l'arrivée à l'ile Tait ; découvertes qui la précedent , 175 Direétion de la route en fortant du détroit. Obfervation fur le giffement des côtes du Chili. Ordre de marche de la Boudeufe & de l'Etoile. Perte d’un matelot tombé à lamer. Terre de Da- vid cherchée inutilement. Incertitude fur la latitude de lile de Pâques. Obfervations météorologiques. Obfervations aftronomi- ques comparées avec l’eftime de la route. Rencontre des pre- mueres îles. Obfervations fur une de ces îles. Elle eft habitée maloré fa petitefle. Suite d'îles rencontrées. Defcription de la plus grande. Premiere divifion nommée archipel dangereux. Er- reur dans les cartes de cette partie de la mer Pacifique. Obferva- tions aftronomiques comparées avec l’eftime de la route. Obfer- vations météorologiques. Ufage avantageux de la poudre de li- monade & de l’eau de mer defalée. Seconde divifon d’iles nom- mée archipel de Bourbon. Vue de Taiti. Manœuvres pour y abor- der, Premier trafic avec les Infulaires. Defcription de la côte D'EÆJs MATIERE S 413 vue du large. Continuation du trafic avec les Infulaires. Mouil- lage à Taiti. Embatras pour amarrer les navires. CHAP. II. Séjour dans l'ile Tai ; détail du bien & du mal gui nous Y arrivent , 192 Defcente à terre. Vifite au chef du canton. Defcription de fa maïfon. Réception qu’il nous fait. Campement à terre projetté de notre part. Oppofition de la part des Infulaires. Ils y confen- tent & à quelles conditions. Camp établi pour les malades & les travailleurs. Précautions prifes ; conduite des Infulaires. Secours que nous en tirons. Mefures prifes contre le vol. Ufage fingulier du pays. Beauté de l'intérieur de l'ile. Préfent fait au Chef de volailles & de graines d'Europe. Vifite du Chef d'un canton voi- fin. Meurtfe d’un Infulaire. Perte de nos ancres » danger que nous courons. Détail des manœuvres qui nous fauvent. Autre meurtre de trois Infulaires. Précautions prifes contre les fuites qu'il pouvoit avoir. Continuation du danger que courent les vaif- feaux. Paix faite avec les Infulaires. Appareillage de Etoile. In- fcription enfouie. Appareillage de la Boudeufe ; nouveau danger quelle court. Départ de Taiti, perte que nous y avons efluyée. Regret des Infulaires à notre départ. L’un d’eux s’embarque avec A nous à {a demande & celle de fa nation: 4 CHAP. Ii. Defcriprion de Tairt; mœurs & caractere des ha- Bitans , 209 Pofñtion géographique de Tai. Mouillage meilleur que celui où nous étions. Afpeét du pays. Ses produétions. Ilne paroïit pas qu'il y ait de mines. Il y a de belles perles. Animaux du pays. Obfervations météorologiques. Bonté du climat, vigueur des ha- bitans. Quelle eft leur nourriture. Ily a dans Pile deux races d'hommes. Détails fur quelques-uns de leurs ufages. Leurs vé- temens. Ufage de fe piquer la peau. Police intérieure. Ils font -en guerre avec les îles voifines. Ufage important. Pratique au fujet des morts, Pluralité des femmes. Caraere des Infulaires. Détails fur quelques-uns de leurs ouvrages. Conftrution de leurs 414 , TA: BAENE “bateaux. Leurs étoffes. Détails fur le Taitien amené en France. Raïfons pour lefquelles on la amené. Son féjour à Paris. Son dé- part de cette ville. Moyen pris pour le renvoyer chez lui. Nou- veaux détails fur les mœurs de Taiti. Iles voifines. Inégalité des çonditions. Ufage de porter le deuil. Secours réciproques dans les maladies, Remarques fur la langue. -CHAP. IV. Départ de Taitt; découverte de nouvelles iles ; navigation jufqu'a la Jortie des grandes Cyclades, 233 Vue d'Oumaitia. Direëtion de la route. Obfervations aftro- nomiques. Seconde divifion d'îles. Vue de nouvelles îles. Echan- ges faits avec les Infulaires. Defcription de ces Infulaires. Def- cription de leurs pirogues. Suite d’iles ; pofition de ces îles qui en forment la troifieme divifñon. Obfervations météorologiques. Situation critique où nous nous trouvons. Rencontre de nou- velles terres. Débarquement à une des îles. Méfiance des Infu- laires. {Ils attaquent les François. Defcription des Infulaires. Quelles font leurs armes. Defcription du lieu où on a débarqué. Continuation de la route entre les terres. Afpett du pays. Tentatives pour chercher un mouillage. Ce qui nous empêche d'y mouiller. Nouvelle tentative pour faire ici une relâche. Conjeures fur ces terres. Différences. entre l’eftime & les ob- fervations. CHAP. V. Navigation depuis les grandes Cyclades , décou- verte du golfe de la Louifiade, extrémités où nous y Jommes réduits ; découvertes de nouvelles iles; relâche à la nouvelle Bretagne, 255 Dire&tion dela route en quittant les Cyclades. Rencontre con- fécutive de brifans. Indices de terres. Changement forcé dans la dire&tion de la route. Réflexions géographiques. Découverte de nouvelles terres. Situation critique dans laquelle nous nous trouvons. Dangers multipliés qui nous environnent. Extrémités auxquelles nous fommes réduits. Nous doublons enfin les terres du golfe. Rencontre de nouvelles îles. Defcription des Infulaires. DIE SAM: AUTIT EUR ES. 415% Tentative inutile pouf trouver un mouillage. Parages dan- gereux. Nouvelle tentative pour trouver une relâche. Les [nfu- laires attaquent noS bateaux. Défcription de leurs canots. Def cription des Infulaires. Suite de nos découvertes. Defcription d’Infulaires qui s’approchent des navires. Relâche À la nouvelle Bretagne. Qualités & indices du mouillage. Defcription du port & des environs. Rencontre finguliere. Traces d’un campe- ment Anglois. Produétions du pays. Difette cruelle que nous éprouvons. Obfervations de longitude. Defcription de deux in- feëtes. Matelot piqué par un ferpent d’eau. Tems affreux qui nous perfécute. Tremblement de terre. Eforts infru@ueux pour trouver des vivres. Defcription d’une belle cafcade. Notre fi- tuation empire chaque jour. Sortie du port Praflin. CHAP. VE Navigation depuis le port Praflin jufqu'aux Moluques ; relâche à Boëro, 286 Diftribution de hardes aux matelots. Extrême difette des vi- vres. Defcription des habitans de la nouvelle Bretagne. Ils atta- quent l’Etoile. Defcription de la partie feptentrionale de la nou- velle Bretagne. Ile des Anachoretes, Archipel nommé par nous lEchiquier. Danger que nous y courons. Vue de la nouvelle Guinée. Vents & courans que nous reflentons. Obfervations comparées avec l’eftime de la route. Paffages de la ligne. Tenta- tives inutiles faites à terre. Suite de la nouvelle Guinée. Danger caché. Perte du maitre d'équipage. Navigation embarraffante. Paflage de la ligne pour la quatrieme fois. Défcription du canal pat lequel nous débouquons. Cinquieme pafage de la ligne. Difcuffion fur le cap Mabo. Entrée dans larchipel des Moluques. Rencontre d’un Negre. Vue de Ceram. Remarque fur Îes mouf- fons dans ces parages. Projet pour notre fureté. Trifte état des équipages. Bâture du golfe de Cajeli.Relâche à Boëro. Embarras du Réfident Hollandois. Bonne reception qu’il nous fait. Police de la Compagnie des Indes Hollandoïfes. Détails fur File de Boëro ; fur les naturels du pays. Peuple fage. Produétions de Boëro. Bonsiprocédés du Réfident à notre égard. Conduite 416 TA Re £ d'Aotourou à. Boëro. Bonne qualité des vivres qu’on y trouve. Obfervations fur les mouflons & les courans. Remarque fur les tremblemens de terre. Sortie de Boëro. Obfervations aftrono- miques. CHAP. VIT. Route depuis Boëro jufqu'à Batavia, 319 Dificultés de la navigation dans les Moluques. Route que nous faifons. Avis nautique. Vue du détroit de Button. Defcri- ption de l’entrée. Afpeét du pays. Premier mouillage. Trafic avec les habitans. Second , troifieme & quatrieme mouuillages. Avis nautiques. Suite & defcription du détroit. Cinquieme & fixieme mouillages. Sortie du détroit de Button , defcription de la pañe. Remarques fur cette navigation. Grande vifite que les Infulaires nous font. Situation des Hollandois à Button. Remarques fur cette navigation. Avantages de la route précédente. Paflage du détroit de Saleyer. Defcription de ce pañlage. Defcription de … cette partie de l’ile Celebes. Dificultés de la navigation dans ces parages. Suites de la direétion de la route. Obfervations gé- nérales fur cette navigation. Inexaétitude des cartes connues de cette partie. Vue de l'ile Java. Obfervations géographiques. Rencontre de navires Hollandois. Route le long de Java. Erreur dans l’eftime de notre route: Caufes de cette erreur. Route juf- qu'à Batavia. Nouvelle erreur dans notre eftime, Mouillage à Ba- tavi1a. CHAP. VII. Séjour à Batavia ; détails fur les iles Molu- ques, 350 Cérémomal à l’arrivée. Vifite au Général de la Compagnie des Indes Hollandoïfes. Amufemens qu’on trouve à Batavia. Beau- tés de fes dehors. Intérieur de la ville. Richefles & luxe des habitans. Détails fur l’adminifiration de la Compagnie. Ordre des emplois au fervice de la Compagnie. Ses domaines fur Pile Java. En combien de fouverainetés eft partagée cette île. Com- merce de Batavia. Détails fur les iles Moluques. Gouvernement d’'Amboine. Gouvernement de Banda. Gouvernement de Ter- nate. DE 5. M'AT LE RES 417 nate. Gouvernement de Macaflar. Politique que les Hollandois ont fuivie & fuivent dans les Moluques relativement aux épice- ries. Maladies contra@ées à Batavia. CHAP.IX. Départ de Baravia ; relâche à l’île de France - au cap de Bonne-Efpérance , à l’'Aftenfion ; retour e France, 372 Détail fur la route à faire pour fortir de Batavia. Sortie du détroit de la Sonde. Route jufqu’à l’île de France. Vue de l’île Rodrigue. Atterrage à l'ile de France. Danger que court la fré- gate. Avis nautique. Relâche à l’ile de France, Détail de ce que nous y faifons. Perte de deux Officiers. Départ de Pile de France. Route jufqu'au cap de Bonne - Efpérance. Mauvais tems que nous efluyons. Avis nautiques. Relâche au cap de Bonne-Efpé- tance. Détail fur le vignoble de Conftance. Etat des Hollandois au cap. Départ du cap. Vue de Sainte-Helene. Relâche à PAf- cenfion. Départ de l’Afcenfon. Paflage de la ligne. Rencontre du Swallow. Erreur dans l’eftime de notre route. Vue d’Ouel- fant. Coup de vent qui nous dégraye. Arrivée à Saint-Malo. VOCABULAIRE de Pile Tain, 389 OBSERVATIONS de M. Pereyre [ur l'organe de la prononciation d’Aotourou & fur la langue de [on ile, 403 Fin delailable des Maticres. Ggg ER RAT A. Age21, ligne 13, quarante tonneaux de left , ajoutez de te Page 32, ligne 7, au lieu de days , Lifex pays. , Page 111, ligne 17, au lieu de Guatiguafa , /ifez Guatiguafu. Page 116, ligne derniere, au lieu de ayant en hauteur, Lfez ayant eu hauteur. Page 117, ligne 10, au lieu de Quebrantaneflos , /if. Quebrantauef- OS. Page 147, ligne 14, au lieu de diftingâmes, /i/ez diftinguâmes. Page 151, ligne 19 , au lieu de remarquer, Lfez remorquer. Page 152, a la note 1, ligne 8, au lieu de Defcardes, Zf. Descordess Page 157, ligne 28, au lieu de barifa , lifez baïfla. Page 183, ligne 29 , au lieu detertes , life terres. Page 202, ligne 20 , au lieu de enclablure, Zifez encablure. Page 205 , Ligne 23, au lieu de infcrite , /ifez infcrit. Page 219, ligne 20, au lieu de pend, lifez prend. Page 261, ligne 6, au lieu de , petire , Lfez petite. Page 3 11, avant-derniere ligne, au lieu de orencaics, Lifez oren< cales. Page 328 , ligne 15, au lien de qu'il, Zfez qu’elle. Avis au Relreur pour la difpoftion des Cartes, PL 1. regardant la page 1. PL. 2. regardant la page 27. PI, 3. regardant la page 45. PI. 4.regardant la page 115. PI. 5.regardant la page 143. PL 6. regardant la page 147. PI 7.regardant la page 170. PI. 8. regardant la page 185. PI. 9. regardant la page 235. PJ. 10. regardant la page 241. PJ. 11. regardant la page 255. PL. 12. regardant la page 265. PL. 13. regardant la page 267. PI. 14. regardant la page 273. PJ. 15. regardant la page 287. PL. 16. regardant la page 291. Suite de la PJ. 16. regardant la page 207. PL. 17. regardant la page 303. PI. 18. regardant la page 321. PJ. 19. regardant la page 343. Avis pour les Figures. Fig. 1. regardant la page 221. Fig. 2. regardant la page 238. Fig. 3. regardant la page 268, ÉTAT TNTÉT MTS TNT ET MISE TS DETTES TTL T APPROBATION. FF lu par ordre de M. le Chancelier un Manufcrit intitulé , Voyage autour du Monde, & je n’y ai rien trouvé quim’ait pa- ru devoir en empêcher l'impreffion. A Paris, lé 15 Janvier 1771; DUCLOS. PRHAVILE.G. F\D USR 0'I OUIS, PAR LA GRACE DE DIEU, RO DE FRANCE #T DE NAVARRE I, À nos amés @r féaux Confeillers, les Gens tenans nos Cours de Parle- ment, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Grand-Confeil, Pre- vôt de Pxis, Baillifs , Sénéchaux, leurs Lieutenans Civis, & autres nosJu- fliciers qu’ appartiendra. SALUT: Notre armé le fieur CHARLES SAILLANT, Libraire, Nous a fait expofer qu'il defireroit faite imprimer & donner au Public le Voyage autour du Monde par M. DE BowcaAinvrzze, s'il Nous plaifoit lui accorder nos Lettres de permiflion pour ce néceffaires. À CEs Causes, voulant favorablement traiter l’'Expofant, Nous lui avons permis @c permettons par cts Préfentes de‘faire imprimer ledit Ouvrage autant de fois que bon lui femblera, & de le faire vendre & débiter par tout notre Royaume pendant le tems de tfoïs années confécutives, a compter du jour de la date des Préfentes. Faifons défenfes à tous Imprimeurs, Libraires & autres perfonnes de quelque qualité & condition qu'elles foient, d'en intro- duire d'impreflion étrangere dans aucun lieu de notre obéiffance. ‘A la charge que ces Préfentes feront enregiftrées tout au long fur le Regiftre de la Com- munauté des Imprimeurs @ Libraires de Paris, dans trois mois de la date d’icelles; que l'impreffion dudit Ouvrage ferafaité dans notre Royaume , & non ailleurs, en bon papier & beaux caraétéres; que l’Impétrant fe confor- mera en tout aux Réglemens de la Librairie, & notamment à celui du 10 Avril 1725, à peine de déchéance de la-pfente Pérmiffion; qu'avant de l'expofer en vente, le Manufcrit qui aura fefvi de copie à l'impreffion dudit Ouvrage , fera remis dans ie même état où l’Approbation y aura été donnée, ès mains de notre três-cher & féal Chevalie*, Chancelier, Garde des Sceaux de France, le Sieur DE MAUPEOU ; qu'il eà fera enfuite remis deux Exeém- plaires dans notre Bibliotheque publique, un dans celle du notre Château du Louvre & un dans celle dudit Sieur DE MAUPEOU ; le tout à peine de nullité des Préfentes. Du contenu defquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expofant & fes ayans caufe pleinement & paifiblement, fans fouf- frir qu'il leur foit fait aucun trouble où empêchement. Voulons qu'à la co- pie des Préfentes, qui fera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Ouvrage, foi foit ajoutée comme à l'Original. Commandons au premier notre Huïfier ou Sergent fur ce requis , de faire pour l'exécution d'i- celles tous aétes requis & néceffaires , fans demander autre permiflion, & nonobftant Clameur de Haro, Charte Normande & Lettres à ce contraires. Car tel eftnotre plaifir. DONNÉ à Paris le vingtfeptieme jour dr mois de Fé- vrier lan mil fept cens foixante-onze , & de notre Regne le cinquante-fixieme, Par le Roi en fon Confeil, LEBEGUE. Regifiré fur Le Regifire XVIII. de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris , N. 1468 fol. 445, conformément au Réglement de 1723e A Paris ce 2 Mars 1771. JL, HE RISS A NT, Syndic, A LRU"