V2 En OAI FCO "1 * w j VOYAGE AUTOUR DU MONDE, Éxécuté par Ordre Du Roi. IMPRIMERIE DE FIRMIN DIDOT, IMPRIMEUR DU ROI, RUE JACOB, N° 24. | VOYAGE AUTOUR DU MONDE, Éxécuté par Ordre du Roi, Su la Corvette de 47 - Moapeste, JL Coquille, ; onda 72 è } S Ve Gnvnecs 1822, 1823, 1824 C1 1825, SOUS LE MINISTÈRE ET CONFORMÉMENT AUX INSTRUCTIONS DE S. E. M. LE MARQUIS DE CLERMONT - TONNERRE, MINISTRE DE LA MARINE; Et public sous Les auspices DE SON EXCELLENCE M” LE C®* DE CHABROL, MINISTRE DE LA MARINE ET DES COLONIES, PARMI DIUPERIREEN CAPITAINE DE FRÉGATE, CHEVALIER DE SAINT-LOUIS ET MEMBRE DE LA LÉGION D'HONNEUR, COMMANDANT DE L'EXPÉDITION. 80020 ———— Zoologie, PAR MM. LESSON ET GARNOT. 6900 9 ————— Gone) Peumer. — ;" Île PARIS. ARTHUS BERTRAND, LIBRAIRE-ÉDITEUR, RUE HAUTEFEUILLE, N° 23. D 1826. [en EL LA 1e 060000100606 010160000006 0S1S061S0001a1e0000)60000020S000S CacetecetecercstS tetes. PRÉFACE. Le gouvernement, en ordonnant la publication des travaux du voyage de M. le capitaine de Freycinet, sur la corvette l’Uranie, imposa aux médecins de l’ex- pédition la tâche de faire connaître au monde sa- vant leurs découvertes en histoire naturelle. On suivit, à l'égard de l'expédition de M. Duperrey, les mêmes errements; et par suite on nous chargea, M. Garnot et moi, de rédiger la plupart des observations zoolo- giques faites pendant la campagne de la corvette /a Coquille. Nos lecteurs nous tiendront sans doute compte des efforts constants qu'il nous a fallu faire pour répondre à l'attente et du ministère de la marine et des savants. La vie de mer n'est point propre aux recherches d'érudition, et ce n'est donc que par des travaux opiniatres que nous avons pu nous mettre au cou- rant des sciences naturelles, et suivre leurs progres, aujourd'hui surtout que chaque peuple de l'Europe envoie des voyageurs pour parcourir le globe, et que leurs observations sont publiées dans mille ouvrages, et surtout dans des recueils périodiques sans nombre. Le désir de remplir avec quelque distinction la tâche imposée à notre zele a soutenu notre ardeur, et la A ij | PRÉFACE. seule récompense que nous puissions ambitionner pour des travaux étrangers à nos devoirs, est qu’ils ne soient point au-dessous de ce que les naturalistes ont le droit d’en attendre. Nous devons ajouter en- core que, bien que nos collections aient été nom- breuses et variées, elles furent le résultat de nos propres ressources individuelles, et qu’elles n'occa- sionnérent aucune dépense à l'expédition. Le ministère de la marine n'ayant pas jugé à pro- pos de placer sur la corvette {a Coquille des natura- listes de profession, nous dümes, au moment du départ, assigner à chacun de nous les diverses bran- ches que nos recherches devaient plus exclusivement embrasser. Ainsi, M. d'Urville, second officier de l'expédition, déja avantageusement connu par des publications estimables, se réserva la Botanique et l'Entomologie; et M. Garnot, docteur en médecine, chirurgien-major de la corvette, désira se livrer ex- clusivement à la Mammalogie et à l’Ornithologie. II nous échut donc en partage les branches nombreuses et encore peu exploitées qui n’entraient point dans les goûts de ces deux officiers, en y joignant de plus la Géologie. Appelé bientôt à diriger une nouvelle expédition dans l'Océan Pacifique, M. d'Urville, lors de la pu- blication des matériaux apportés par la corvette /a Coquille, se vit dans la nécessité d’en confier la rédac- tion à diverses personnes; et c’est ainsi que MM. Bory PRÉFACE. il] de Saint-Vincent et Ad. Brongniart eurent à faire connaitre les plantes nouvelles du voyage, et que M. Latreille, qui s’adjoignit M. Guérin, dut mettre au jour les descriptions des insectes alors inédits. M. Garnot, dont le zèle et l’ardeur étaient à toute épreuve, fut atteint, sur la côte du Pérou, d’une dy- senterie des plus graves, en mars 1823; et cette re- doutable affection, prenant un caractère chronique, le contraignit à débarquer au Port-Jackson de la Nouvelle-Galles du Sud, en janvier 1824. Bien que souvent, dans ce laps de temps, des rechutes aient menacé sa vie, il ne cessa pas de s'occuper de ses collections, et des préparations nombreuses que les chasses journalieres de plusieurs des gens de léqui- page nécessitaient. Mais, enfin, il dut songer au re- tour, et quitter une expédition qui devait encore explorer des parages insalubres, et sillonner le grand Océan pendant près de deux années. En abandon- nant /4 Coquille, M. Garnot emporta avec lui la plus grande partie des collections réunies jusqu’à ce jour; elles formaient plusieurs grandes caisses que nous espérions voir arriver dans notre patrie comme les prémices de nos travaux. Mais vain espoir! en s’em- barquant sur le navire anglais le Castle-forbes, no- tre malheureux collègue devait faire naufrage (juil- let 1824) au cap de Bonne-Espérance, et perdre en un seul jour le fruit d’une année de persévérance et de soins. Heureux, toutefois, qu'il n'ait point été victime de ce funeste accident. iv PRÉFACE. Enfin réunis après des contrariétés longues et im- prévues, nous espérions, M. Garnot et moi, publier en commun les observations que nous avions pu faire isolément dans le voyage. Mais, appelé après quelque temps de séjour dans la capitale, à la place de chi- rurgien en chef de l'ile de la Martinique, M, Garnot nous remit divers Mémoires qu'il avait rédigés, en nous priant de les insérer textuellement, et sous son nom, en nous laissant par conséquent responsable de nos propres travaux. Nous avons donc dù apposer le nom de leurs auteurs aux divers articles qu’on trou- vera dans les deux volumes de cet ouvrage, où ils sont insérés à leur place naturelle, et au milieu de Mémoires sans signature, dont nous réclamons ici la propriété . Les limites que nous a fixées l’ordre de publication de tout l'ouvrage, ne nous ont pas permis de passer en revue toutes nos découvertes. Nous avons dù faire un choix, et n'offrir au public que les faits les plus neufs et les plus saillants dans l'état actuel de nos connaissances, et négliger par conséquent cette quan- tité de détails partiels qui concernent des objets déja signalés, quelqu'imparfaites qu'en soient les des- criptions. Paris, janvier 1828. LESSON. : M. le colonel Bory de Saint-Vincent doit publier les Pokpyers recueillis dans le voyage, et M. Guérin donnera un travail étendu sur les Zrsectes et sur les Crus- tacés. RTS VOYAGE AUTOUR DU MONDE, PENDANT LES ANNÉES POP TOM, 1024 El O2 0. ———— ZOOLOGIE, CHAPITRE PREMIER. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES ILES DU GRAND-OCÉAN, ET SUR LES VARIÉTÉS DE L ESPÈCE HUMAINE QUI LES HABITENT. Quod vidimus, testamur.. Nous croyons nécessaire de présenter un tableau succinct et rapide des iles de la mer du Sud, et des races qui les habitent, envisagées sous les rapports divers de mœurs, de coutumes et d'organisation, et de le faire servir d'introduction aux descrip- üons, naturellement arides, des animaux nouveaux ou peu connus qui forment la partie zoologique de notre voyage. L’en- semble des idées que nous émettons sur ce sujet obscur et diffi- cile offrira sans doute quelque intérêt; car il est en grande Foyage de la Coquille. — 7. Tôm. I. ï 2 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. partie le résultat d'observations nombreuses et détaillées, re- cueillies sur les lieux et pendant le cours d'une longue naviga- tion. Parfois nos opinions se trouveront coincider avec les faits déja annoncés par deux savants voyageurs, d’une sagacité re- connue, MM. Forster et de Chamisso ; et d'avance, on voudra bien leur en attribuer le mérite, sans que nous ayons à les citer chaque fois. Cependant, on pourra se convaincre que notre manière de voir diffère assez souvent de la leur, et que, si nous devons à tous les deux l'idée de grouper sous forme de géné- ralités les principaux traits historiques des naturels de la mer du Sud, nous avons cependant apporté dans ce travail plusieurs modifications remarquables. K 1 DU GRAND-OCÉAN ET DES ILES OCÉANIENNES. Le Grand-Océan, au milieu duquel sont semées les terres de l'Océanie * proprement dite, comprend ce vaste espace de mer qui baigne les côtes occidentales de l'Amérique, les côtes orien- tales de la Nouvelle-Hollande, les iles nombreuses du Sud-Est de l'Asie, en communiquant avec les mers des Indes et de Chine par de nombreux canaux; remontant au Nord-Est sur les iles du Niphon, jusqu'à la presqu'ile du Kamtschatka; se limitant au Nord aux iles Aléoutiennes et Kouriles, au milieu des nom- breux archipels de la côte Nord-Ouest d'Amérique, aux rivages 1 Adoptant la manière de voir de plusieurs géographes modernes, nous appelons Océanie les îles innombrables qui sont éparses dans le Grand-Océan, et Polynésie toutes les îles qui forment ce qu'on appelle les archipels d'Asie, et qui renferment les Moluques, les Philippines, les îles de la Sonde et la Nouvelle-Guinée. Quelques autres écrivains ont, au contraire, transposé ces noms; mais il suffit qu'on soit averti pour comprendre ce que nous appelons Océanie et Polynésie. , DS! ZOOLOGIE. 3 de la Californie, en donnant naissance à la mer Vermeille ; ren- fermant un intervalle de cent soixante degrés, et n'ayant pour borne au Sud que les mers de la Zone glaciale australe. Cette vaste surface d'eau ne présente qu'une petite portion de terre habitée par l'homme; et encore celle-ci se trouve-t-elle morcelée en un nombre considérable d’iles isolées ou disposées par groupes, qui forment des archipels distants et épars, dont la composition minérale appartient à trois formations différentes. Placées indifféremment dans l'un ou l'autre tropique, mais plus particulièrement sous le tropique du Capricorne, les iles vraiment océaniennes diffèrent, par leur disposition générale, de la trainée d'iles qui part de la pointe Sud-Est de la Nouvelle- Guinée, et qui s'avance dans le Sud, en formant une longue chaine à l'Est de l'Australie ou Nouvelle-Hollande : telles sont la Louisiade, la terre des Arsacides, les archipels de Santa-Crux, des Hébrides, de la Nouvelle-Bretagne, de la Nouvelle-Calédonie, les iles Norfolk, la Nouvelle-Zélande, et sans doute les iles Camp- bell et Macquarie; et ces iles semblent être véritablement le pro- longement des terres avancées de l'Asie; car on doit regarder les archipels de la Sonde, des Moluques, enfin de la Polynésie entière, comme les débris de ce continent, crevassé de toute part sous l'équateur. À ce sujet, une opinion assez générale | admet que le globe a subi l'action d’une force puissante sous la) Zone équatoriale; et on a remarqué des dispositions analogues dans le morcellement du continent américain sous le tropique du Cancer, et même en Europe, plus au Nord, entre la Médi- terranée et la mer Rouge. L'isthme de Suez, en effet, corres- pond à l’isthme de Panama ; et le cap York, dans le détroit de Torrès, est sans doute le prolongement d’un bras de terre qui unissait la Nouvelle-Guinée à la Nouvelle-Hollande, et que les vagues ont brisé. Enfin, les trois extrémités des masses de terre dans l'hémisphère austral offrent une grande similitude. Le 1. In VOYAGE AUTOUR DU MONDE. cap de Diémen devait être le promontoire Sud de l'Asie, comme les caps de Bonne-Espérance et de Horn se trouvent terminer aujourd'hui l'Afrique et l'Amérique. Le détroit de Bass est l'a- nalogue de celui de Magellan ; et le banc des Aiguilles, à l'ex- trémité du cap de Bonne-Espérance, annonce que des terres affaissées s'y élevaient, et ont pu en être isolées par un détroit, ou qu'elles ont disparu dans la catastrophe qui a morcelé les extrémités méridionales de l'Afrique et de l'Amérique. La Nouvelle-Hollande, qui, dans cette hypothèse, formerait la partie méridionale des vastes contrées de l'Asie, en diffère complétement par ses productions, de même que les pays des Cafres, des Hottentots, et les terres magellaniques, diffèrent des continents dont ils sont les prolongements. Cependant les animaux ou les végétaux de l'Australie ‘ont recu une physio- nomie spéciale, un cachet qui leur est propre, et leurs formes insolites semblent éluder tous les principes de classification. Mais, à mesure qu'on avance vers l'équateur, les êtres se rat- tachent à ceux que produit l'Asie; et enfin, sur la partie inter- tropicale, on en trouve un grand nombre qui sont communs à la Nouvelle-Guinée, comme aux terres d’Arnheim et de Car- pentarie. L'opinion qui admet que la Nouvelle-Hollande est sortie plus récemment du sein des eaux est généralement recue ; et quoique l’intérieur soit pour nous couvert d'un voile mys- térieux, ce qu'on connaît du littoral lui donne le plus grand poids. | Sans rajeunir de vieilles idées, ou sans se perdre en suppo- sitions vagues et hypothétiques’, on ne peut, en jetant un large coup d'œil sur l'ensemble de ces terres, se dispenser de remar- * Ce nom est adopté par beaucoup de géographes pour désigner la Nouvelle- Hollande : quelques-uns écrivent Australasie. Par Tasmanie, on indique la terre de Diémen, découverte, en 1642, par Abel Tasman, navigateur hollandais. ZOOLOGIE. 5 quer que toutes les iles qui forment le chainon depuis la Nou- velle-Guinée jusqu'au Sud de la Nouvelle-Zélande semblent étre les bords de l’ancien continent Australique déchiré; car aujourd'hui les nombreux canaux qui isolent ces archipels sont encombrés de bancs à fleur d'eau, de plateaux de récifs ou de rochers épars, qui forment de cette partie de l'Océan une mer semée d'écueils. Si nous examinons la partie orientale de l'Australie, depuis les rivages de Port-Jackson jusqu'à 150 milles dans l'intérieur du pays, en franchissant l'épaisseur des montagnes Bleues, nous parviendrons peut-être à saisir les chainons qui étaient cette idée. Toutes les côtes de la Nouvelle-Galles du Sud sont, en effet, entièrement composées d'un grès houiller à molécules peu adhérentes; et ce que nous appelons le premier plan des montagnes Bleues est également composé de ce grès, qui cesse entièrement au mont York. Là, une vallée profonde isole ce premier plan du second, qui est composé en entier de granite. La hauteur de ces deux chaînes parallèles, qui courent du Sud au Nord, est la même. Le mont York, d'après les observations de M. Oxley :, est élevé de 3,292 pieds anglais, et se trouve éloigné de la côte par un intervalle de r00 milles environ. Quelques voya-. geurs pensent, sans doute à tort, que cette montagne conique, et brusquement terminée par une pente roide sur le Zal de Clwyd, est l'ossuaire d'un ancien volcan, dont le périmètre a été enseveli sous le dépôt du grès marin qui revêt toute cette étendue de territoire. On est plus fondé à le considérer comme recouvert d'une formation tertiaire; ce que prouvent le gisement abondant d'un Zgnite stratiforme, qui occupe toute la partie © Journals of two expeditions into the interior of New-South-Wales, under- taken by order of the bristish governement in the years 1817-18. By Joux OXLEY; in-4°, London, 1820. 6 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. moyenne du mont York, à 1,000 pieds au-dessus du niveau de la mer, et les empreintes nombreuses de phytolithes qui se rencontrent vers son sommet , et qui paraissent pour la plupart appartenir à des feuilles d'Eucalyptus ou à des fougères. Au-delà du Val de Clwyd, se développe la deuxième chaine, et celle-ci se trouve être complétement primitive; car les roches qui la composent sont des grantites, des syénites quartzifères et des pegmatites. C'est sur le rebord de ce plan des montagnes Bleues qu'on remarque aujourd'hui les traces nombreuses de bouches volcaniques, et que des masses basaltiques, dont les plus re- marquables forment ce qu'on appelle les Chutes de Bathurst, s'offrent abondamment aux regards du voyageur. En dernière analyse, un terrain tertiaire, reconnu sur le littoral de la Nou- velle-Galles, comme sur divers points au Sud de la Nouvelle- Hollande ‘, serait done accolé sur le sol primitif qui compose le plateau central de cette vaste contrée. Les échantillons nombreux que nous avons rapportés de la terre de Diémen indiquent encore une étendue assez considé- rable de sol tertiaire, adossé à un terrain de pegmatite et de serpentine, où lon observe des gisements assez puissants de fer fibreux natif, au milieu de roches amianthoides. Il est à remar- quer que nous trouvames des empreintes de productus aux iles Malouines, et que les spérifères se montrent en abondance, et dans un bel état de conservation, avec plusieurs autres testacés, sur les bords de la rivière Famar, non loin du port Dalrymple, à 150 pieds au-dessus du niveau de la mer. La Nouvelle-Zélande, séparée de la Nouvelle - Hollande par : PÉRON, Joy. aux Terres australes (2° édit., 4 vol. in-8°, Paris, 1824), consacre plusieurs paragraphes à l'explication des divers phénomènes géologiques que lui présentèrent la terre de Diémen, les iles du détroit de Bass, et les terres d'Édels, de Witt, et d'Endracht. ( Tom. IV, pag. 215 et suiv.) ZOOLOGIE. 7 un simple canal, est hérissée, sur sa surface, de volcans éteints ou même en activité, et de prismes D liquiee : et cependant on y trouve également quelques roches primitives, et surtout un jade d'une grande beauté. Mais, malgré le rapprochement de ces deux contrées, leur physionomie est toute différente; et si on remarque quelques points d'analogie, on ne les trouve que dans le règne animal. La Nouvelle-Irlande, avons-nous dit, semble être plus parti- culièrement le D lonacmient des terres d'Asie; et en effet, les hautes montagnes de cette grande île, située près de l'équateur, doivent être primitives, tandis que les collines de sa circonfé- rence et les écueils du rivage sont entièrement de carbonate de chaux madréporique ’, qui forme des sortes de murailles, ou plutôt un rivage récent moulé sur un autre plus ancien. En remontant au Nord, sous la ligne, les observations que nous avons pu suivre à la Nouvelle-Guinée nous démontrent que les montagnes d'Arfak sont composées de roches primitives ; car les rivières qui en descendent coulent sur des galets de granite; tandis que les terres assez élevées qui ur le littoral sur plus de 12 milles de largeur, ainsi que les iles de Masanouary et Masmapy, qui sont à l'entrée du havre de Do- rery, Sont, sans exception, de calcaire madréporique, élevé de plus de 150 pieds au-dessus du niveau actuel des eaux. D'un autre côté, on sait d'une manière positive que les îles de la Sonde, les Moluques, Timor même, malgré l'opinion erronée de Péron, sont de formation primordiale; et que le calcaire saxigène ne s'offre jamais que comme une ceinture extérieure, ce dont les iles d'Amboine, de Bourou, de Céram, offrent la preuve palpable. En franchissant par la pensée la largeur en- 1 Fait également mentionné par M. LABILLARDIÈRE. a a la recherche de Lapérouse, t. 1, pag. 240, édit. in-4°, Paris, an vrr. ÿ VOYAGE AUTOUR DU MONDE. tière dé l'Océan Pacifique, et nous reportant sur la côte occi- dentale d'Amérique, on y retrouvera de vastes surfaces couvertes de testacés fossiles, en un mot, un sol tertiaire, élevé de 150 à 200 pieds au-dessus du niveau de la mer (à Payta, côte du Pérou); et ne doit-on pas naturellement conclure que, par des causes quelconques, et que nous ne devons pas réchercher ici, le dernier niveau de l'Océan était à cette élévation, et baignait alors la surface de la Nouvelle-Galles du Sud jusqu'au premier plan des montagnes Bleues ? À En examinant ensuite l'ensemble des iles océaniennes pro- prement dites, puis chacune d'elles en particulier, nous ne trou- verons, sans nulle exception, que deux sortes de formation : l'une basaltique, et l'autre de création animale. Toutes les îles hautes de la mer du Sud présentent, en effet, les conditions de ce qu'on appelle terrains volcaniques, ou sont le produit pal- pable de volcans. Ces iles montagneuses, couronnées quelquefois par des pics qui se perdent dans les nuages, sont généralement, entre les tropiques seulement, entourées d’une bande de terre que supporte un calcaire à polypiers, élevé de quelques toises au-dessus du niveau de la mer. Mais ce rivage accessoire n'est presque jamais unique : souvent, à quelque distance, il s'y joint une ceinture d'iles basses, plates, uniformes, duesaux mêmes zoophytes, et que nous nommerons parfois Motous, d'après la désignation générale de la langue océanienne, usitée surtout à TFaïtu et chez les Pomotous ‘. Les iles de notre seconde division comprendront, sous le nom générique de Skopelonyse, ce que les divers peuples navigateurs appellent indifféremment 47re- zife, Paracels, Attoles et Attolons, ou Coralligènes , dont l'exis- tence est due au travail lent et successif d'animacules délicats, n'élevant jamais que jusqu'à la surface des vagues, en bâtissant ? Insulaires des îles basses de l’Archipel dangereux. ZOOLOGTE. 9 sur de hauts fonds leurs demeures pierreuses : bien éloignés en cela de donner lieu au phénomène décrit avec pompe par un savant d'ailleurs très-célèbre, d'écuerls qui naissent sous le sillage des navires. Mais les des-recifs sont de trois sortes: simples, cesont les motous des grandes terres; disposées en cercle, avec une mer intérieure, ce sont les motous à lagons de plusieurs navigateurs. Enfin, ces iles présentent encore une modification plus singu- lière : c'est celle d'offrir de vastes plateaux à fleur d’eau, recou- verts de motous arrondis et verdoyants, ayant un ou plusieurs lagons, et que les Anglais nomment //es-groupes (1SLANDS-GROUPS). Les motous sunples ne se rencontrent guère qu'autour des terres hautes, auxquelles ils forment des ceintures, telles qu'à Maupiti, Borabora, et dans tout l'archipel de la Société. Les mo- tous à lagons appartiennent à une sorte de système d'iles qu'on remarque plus particulièrement dans deux points de la mer du Sud, au milieu des archipels Gilbert et Mulgrave d'une part, et au milieu de la mer Mauvaise d'une autre part, et dont on peut aisément se faire une idée en examinant un plan des iles de Clermont-Tonnerre, de la Harpe, etc. Mais les #es-oroupes semblent être particulières à l'archipel étendu des Carolines. La, le plateau de lithophytes prend souvent un immense déve- loppement. Il n'est parfois surmonté que par des iles basses ou motous distants et isolés, comme on le remarque dans les archi- pels de Kotzebue, de Ralick et Radack ; et souvent il environne des terres volcanisées hautes, comme on en a la preuve par l'ile d'AHogoulous, crue si long-temps fabuleuse, les Palaos, Ulia, etc. En dernière analyse, les terres du Sud-Est de l'Asie, l'Aus- tralie, la Tasmanie, et même le chainon terminal de la Poly- nésie, de la Nouvelle-Guinée à la Nouvelle-Zélande, peut-être méme l'ile Campbell, sont des terres primordiales ; et les iles de l'Océanie, de formation récente et postérieure dans l'histoire du globe, sont volcaniques et madréporiques. Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 2 10 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Mais, pour que notre idée soit complète sous ce rapport, il nous reste à envisager les causes qui peuvent démontrer l'ori- gine ignée d'un aussi grand nombre de terres séparées par d'im- menses espaces et par la plus vaste étendue de mer connue. L'ancienne opinion qui veut qu'elles soient les débris qui sur- gissent d'un continent austral brisé n’est point admissible; et la seule raison satisfaisante qu'on puisse donner de la naissance de tant d'iles éparpillées comme au hasard, mais cependant assez communément par grands groupes, a sans contredit été émise par Forster, et généralisée ensuite, trop exclusivement peut-être, par le savant géographe Buache. Forster { Observ.) considérait toutes ces iles comme assises sur les points culmi- nants des chaines sous-marines, s'irradiant sous la mer, comme elles le font sur la surface de la terre. Ainsi s'explique sans dif- ficulté la naissance des iles de corail , dont la base est construite par les polypiers saxigènes sur ces éminences placées à peu de profondeur ; et c'est de la conformation des chaines formant les bassins sous l'eau que nait celle qu'affectent dans leurs contours les iles basses. La surface du Grand-Océan, couverte de terrains volcanisés anciens ‘, présente encore une quantité prodigieuse de monts ignivomes en activité, également nombreux sur les terres ou sur les continents qui lui servent de limites. La Nouvelle-Zélande ?, ? Les îles de la Société, au milieu des masses basaltiques (Basalte avec Péridot) qui constituent la plupart des montagnes de leur portion centrale, ont leur ossuaire composé d’une belle dolérite. Le mont Oroena est élevé de 3,323 mètres, d’après Coof ; et des montagnes voisines présentent à leur sommet des lacs qui sont d’anciens cratères. Il en est de même à Noukahiva. ( KRUSENST. ) ? La partie Nord de la Nouvelle-Zélande est entièrement volcanique. La cascade de Xiddi-Kiddi est remarquable par la grande nappe d’eau qui se précipite d’une colonnade basaltique très-élevée. Le lac de Rotoudoua, qui joue un si grand rôle dans la mythologie de ces peuples, est un cratère d’où jaillissent des sources d’eau chaude. Des blocs d’une belle obsidienne, des tuffas rouges,abondent sur plusieurs points. ZOOLOGTE. 11 Tanna, les Nouvelles-Hébrides, la Nouvelle-Calédonie, les iles Schouten , les Mariannes, les Sandwich’, la Californie, ont encore des volcans en activité; et sur les bords, il ne faut que citer ceux des Andes en Amérique, des Gallapagos, etc., etc. L'Océan At- lantique, sous ce rapport, présente une grande analogie avec la mer du Sud; car les iles distantes et éloignées de la côte d'Afrique sont volcaniques, telles que Sainte-Hélène, l'Ascension, Madère, les Acores, les Canaries, les îles du Cap-Vert, Tristan-d’Acunha : le même phénomène se manifeste dans les Antilles, dans la mer des Indes par les iles Maurice et de Bourbon. Mais on remarque encore autour de ces îles la formation madréporique, qu'on ne retrouve point d'une manière complète dans l'Océan Atlantique. Des récifs de corail enveloppent, en effet, l'ile Maurice, les iles Rodrigues, les Mahées, les Seychelles, etc. Plus anciennement oies du sein des eaux, les iles volcaniques de la mer du Sud ) ont ete peuplées les premieres; et ce n est que long-temps apres sur et successivement que l'espèce humaine a été s'établir sur les iles basses, où son existence est beaucoup plus précaire, et entourée de privations plus nombreuses. Enfin, si la Zone équatoriale offre seule le phénomène des formations de roches madrépo- riques en grand, les hautes latitudes boréales et australes en présentent encore des traces légères produites par un polypier nullipore , qui encrouûte les rochers baignés par la mer, et qu'on retrouve également à Terre-Neuve, comme aux iles Malouines. De ces considérations sommaires , il résulte que les peuples qui doivent nous occuper habitent, 1° des terrains primitifs, 2° des terrains ignés, et 3° des iles madréporiques à peine élevées au-dessus du niveau des vagues. Suivons cette idée, en examinant * Le pic d'Owahie ou Monoroa, haut de 2,254 toises, suivant M. Horner ( voy. de Krusenst.), vomit une immense coulée de lave, vers 1801, suivant M. de Cha- misso ( Kotzebue’s V’oy. round the world), t. II, p. 353. 12 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. rapidement les caractères généraux de la botanique de la mer du Sud. La végétation des terres de l'Océanie se compose de plantes entièrement indiennes, ou analogues à celles de l'Inde équato- riale, c'est-à-dire, aux végétaux qui revêtent les iles de la Sonde, les Moluques et la Nouvelle-Guinée. Leur distribution parait évidemment avoir été faite de la Polynésie dans l'Océanie jus- qu'aux iles les plus voisines de l'Amérique, à l'ile de Paques, par exemple, de l'Occident vers l'Orient, contre le cours habituel et des vents réguliers et des courants. Le règne végétal, si pom- peux, si imposant dans les iles de la Polynésie, diminue successi- vement de sa richesse en avancant vers l'Est, et cette vérité a été démontrée complétement par les deux Forster et par M. de Cha- misso ; car on ne peut rien conclure de quelques plantes amé- ricaines ( qui datent même, pour la plupart, de l'arrivée des Eu- ropéens ), perdues dans la masse de celles z2d0-polynesiennes, qui composent uniquement la végétation de l'Océanie, pas plus que de ce qu'on rencontre dans la Nouvelle-Hollande des espèces européennes, où qui n'en diffèrent point au premier examen :. Il resterait à examiner l'ile de Juan Fernandez ; mais nous n'a- vons que peu de données sur sa végétation, et il n’y aurait rien de surprenant que cet ancien volcan ne partageàt la flore du continent dont il est très-rapproché. Il y a des plantes qui sem- blent faire le tour du globe sous les zones qui leur conviennent; et on peut citer en ce genre le portulaca, que nous rencon- trames sur toutes les terres que nous avons visitées, entre les deux tropiques, dans le Grand-Océan,comme dans l'Atlantique. La végétation zndo-polynesienne se montre dans toute sa splen- : Le Val de Clwyd, dans les montagnes Bleues, est revêtu de plantes des genres typha, lythrum, plantago, samolus, etc., qui me parurent en tout ressembler à ces plantes des marécages d'Europe. ? Consultez Humboldt, Géographie des plantes, in-8°, 1817. ZOOLOGIE. | 13 deur sous la ligne équinoxiale : d’abord imposante sur les îles de la Sonde, elle s'étend progressivement sur les nombreuses possessions malaises et tidoriennes, et étale toute sa pompe et tout son luxe sur les Moluques orientales et sur la terre des Papous. C'est là que des palmiers nombreux, des cycas, des fou- gères, prennent la forme gracieuse et svelte de colonnes légères : leurs forèts immenses se composent d'arbres de grande taille, tels que les gatip (zrocarpus edulis), les arbres à pain, les mus- cadiers, les spondias; c'est dans leurs profondeurs qu'on re- trouve la patrie des plantes nourricières des Océaniens, de longues lianes arborescentes, des /égumineuses, dont les formes sont innombrables et variées. En suivant la masse de ces végé- taux, nous la voyons diminuer successivement à mesure qu'on avance vers le détroit de Torres : quelques espèces le traversent . Seulement, et sont d'autant plus remarquables, qu'elles appar- grand nombre. Telles sont l'arec à chou, l'érythrine indien, le sa- tiennent à des genres qui n'en renferment point un goutier, deux muscadiers sauvages, la flagellaria indica, etc. ’. En continuant d'examiner les plantes suivant la latitude des iles qui forment la chaine avancée au Sud de la Polynésie, telles que la Nouvelle-rlande, la Nouvelle-Bretagne, nous y retrou- verons le même luxe; et les aréquiers, les sagoutiers , les grandes fougères, les drymirrhizées, peuplent encore les foréts. C'est ainsi que nous observames, à l’entour du port Praslin, les va- quois, les Barringtonia, les calophyllum, les filao (casuarina * Observations de M. Cunningham , faites dans le voyage autour de la Nouvelle- Hollande, exécuté par le capitaine King ( manusc.). Le journal de King, avec des recherches intéressantes d'Histoire naturelle, vient d’être publié sous ce titre : Var- rative of a Survey of the Intertropical and Western Coasts of Australia; per- formed between the years 1818 and 1822. By captain PæizziPp P. KING, with an Appendix containing various subjects relating to Hydrography and natural History. 2 vol., Lond., 1826. j A VOYAGE AUTOUR DU MONDE. indica), propres à toute l'Océanie ; mais, à mesure qu'on s'élève en latitude , en allant vers le Sud, aux Hébrides, à la Nouvelle- Calédonie , le nombre de ces mêmes végétaux décroit naturel- lement. Plus au Sud encore, la Zone tempérée australe change complétement la physionomie des végétaux ; et l'ile de Norfolk a de commun avec la partie Nord de la Nouvelle-Galles du Sud, l'Araucaria, qu'on voit encore au havre de Balade, et avec la Nouvelle-Zélande le phormium tenax : mais il est à remarquer que cette ile vaste et composée de deux terres séparées par un détroit, quoique rapprochée de la Nouvelle-Hollande et par la même latitude, en diffère si complétement, qu'elles ne se res- semblent nullement dans leurs productions végétales. Toutefois la Nouvelle-Zélande, si riche en genres particuliers à son sol et peu connus, en a cependant d’indiens, tels que des piper, des olea , et une fougère réniforme qui existe, à ce qu'on assure, à l'ile Maurice. À l'époque de notre séjour à la Baie des îles de la Nouvelle-Zélande, la végétation se ressentait des approches de la saison hyémale. Pour peu qu'on ait voulu suivre les idées que nous venons d'émettre, on sera convaincu que les terres hautes du Sud- Est de la Polynésie, entre les tropiques, partagent les mêmes végétaux alimentaires que les îles des Indes orientales. Ils se sont répandus diversement par suite sur les terres les plus loin- taines, et ne se sont arrêtés que près des côtes d'Amérique. comment, par exemple, les végétaux si communs sur la Po- lynésie se retrouvent-ils sur les iles Sandwich et sur les iles des Marquises de Mendoce, qui en sont séparées par un intervalle immense ? Il serait fort difficile de résoudre une telle question, parce que des vents et des courants qui se dirigent dans un sens contraire ne permettent point de leur attribuer aucune influence pour l'établissement de la végétation sur des points comme égarés sur la surface du Grand-Océan. ZOOLOGIE. 1 Toutes les iles océaniennes hautes , à peu d'exceptions pres, sont plantées de fruits à pain sans noyaux, de taro (arum escu- lentum), de cannes à sucre, de bananiers, qui y viennent presque spontanément, pour contribuer à la vie paisible et heureuse de ces insulaires. On retrouve à Taiti l'hzbiscus rosa sinensis, si abondant sur toutes les Moluques; les pandanus, le Gardenia florida, les cyathées, le cratæva, des ficus, le bambou, y repro- duisent leurs tribus; et « c'est dans cette ile, dit M. d'Urville « (Drstrib. des fougères, Ann. sc. nat. septemb. 1825), que com- «mence à paraitre une foule de fougères , qui semblent habiter «cette Zone, à partir de cet archipel, et mème des Marquises, «jusqu'aux Moluques, et plusieurs jusqu'à l'Ile-de-France, tels «sont les {ycopodium phlegmaria, schizea cristata, etc., etc.» Ainsi, les îles équatoriales partagent les productions végétales de source indienne, avec des différences cependant dans leur répartition ; car, suivant M. de Chamisso (4. ZI du V’oy. de Kotze- bue ), le Barringtonia et le filao , si communs à Taïti et à Bora- bora, ne se trouvent point aux Sandwich, tandis que ces der- nières ont le bois de sandal, dont les îles de la Société paraissent privées, et qui est si commun aux Marquises, aux Fidjis, etc., ete, Il est plus aisé de se rendre compte de la manière dont la vé- gétation a envahi les iles basses de corail. Ea flore de ces motous ne se compose point d'un grand nombre d'espèces, et nous avons eu souvent l’occasion de la suivre dans les diverses phases de ses progrès. La manière dont s'opère cet intéressant phé- nomène répond assez exactement aux descriptions, un peu poétiques sans doute, mais vraies dans leur ensemble, des mi- grations végétales, esquissées avec cette pureté et ce charme de style qui appartiennent et à Bernardin de Saint-Pierre et à M. de Chateaubriand. Sous le rapport de l'exactitude des faits, les détails fournis primitivement par Forster, puis par M. de Cha- misso, laissent sans doute peu de chose à désirer. 16 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Quelques végétaux semblent avoir pour fonctions d'envahir les récifs de coraux à mesure qu'ils se dessèchent : les Bruguiera, par exemple, qui se plaisent dans l'eau salée, étendent peu à peu le lacis de leurs rejets à l'embouchure des rivières, au milieu des vases qu'ils accumulent sans cesse. Bientôt un humus suffit pour recevoir quelques autres plantes, et les sables des rivages, même purs, sont bientôt occupés par le scævola lobelia, le convolvulus pes capræ, le pandanus odorant, l'hibiscus tiliaceus, etc. Si le banc de corail est isolé, et distant de quelque ile principale, les flots sans cesse agités y portent bientôt des cocos, des fruits du bonnet carré de Bougainville (Barringtonta), qu'on rencontre en mer presque journellement. Ces fruits, arrétés par l’écueil, jetés sur le sable calcaire des madrépores, germent, s'y cram- ponnent, et sont ainsi les premiers colons de la nouvelle terre. Mais c'est principalement au précieux cocotier qu'il est réservé de conquérir sur la mer, pour l'habitation de l'homme, ces bandes plates d'écueils jetés au milieu des vagues, à quelques toises au-dessus de leur niveau. Antant ce palmier redoute les hauteurs, où il languit, autant il s'élance avec vigueur sur les récifs. Il y forme d'épaisses forêts, dont on ne peut se faire une idée par la description, et dont rien n’égale la grace et la beauté. Le navigateur passerait fréquemment dans le voisinage de ces iles sans en avoir la moindre connaissance, si un bouquet de cocotier, à l'horizon, ne les lui décelait. Ce roi des palmiers, comme le nomment quelques Orientaux, une fois établi et en rapport, la race humaine ne tarde point à y paraitre, et peut compter sur ses produits pour assurer son existence. On conçoit que les peuples qui émigrent des terres riches en fruits et en racines de toute sorte sont exposés, sur les iles basses, à de nom- breuses privations. L'eau douce leur manque souvent; souvent aussi ils sont réduits à vivre de vaquois, de taro, ou de ce que la pèche leur fournit. On peut assurer que chez ces hommes la ZOOLOGIE. 17 défiance est beaucoup plus grande, et que leurs mœurs sont beau- coup plus farouches que celles des autres insulaires. Comme leur subsistance n'est point assurée, ils craignent toujours qu'on ne vienne leur en soustraire une partie. D'un autre côté, cependant, l’industrie et le besoin luttent contre le manque de ressources, et ont forcé ces peuples à s'adonner à la navigation, età devenir habiles dans cet art. L'objet le plus indispensable d’un insu- laire est sans doute une pirogue; et cependant, il arrive sou- vent qu'une ile de cette sorte ne produit point de bois d'assez forte dimension pour les réparer ou en fournir la mà- ture. C'est ainsi que nous en eùmes des exemples en longeant le grand archipel des Carolines et les iles Mulgrave et Gilbert. Leurs frèles embarcations présentaient parfois des pièces mal ajustées, faites de plusieurs morceaux d'hrbriscus tiliaceus, le seul bois dense qui puisse croître sur ces terres. La Polynésie proprement dite s'arrête au Nord-Est par une bande d’archipels composés des iles de Formose, Lucon et Min- danao, dans les Philippines. Mais on remarque que les chaines d'iles placées dans le Tropique du Cancer et dans l'hémisphère Nord, jusqu'au-delà du 160° degré de long., telles que les Ma- riannes, les Palaos, Hougoulous et Oualan, ont recu de ces contrées , probablement avec la race humaine, les orangers, les citronniers et les bruguiera , qu'on ne retrouve point dans le reste des iles de l'Océanie du Tropique du Capricorne. La va- riété sans semences de l'arbre à pain est la seule qu'on observe aux Sandwich, aux Tonga, aux Marquises, comme aux iles de la Société. Mais la variété à châtaignes, si commune dans les Moluques et à Célèbes, se retrouve, en nombre égal à la pre- miere espèce, aux Palaos et à Oualan par exemple, et est la seule qui assure l'existence des Carolins des iles basses. Ces na- turels, en effet, paraissent être réduits fréquemment à se nourrir des fruits demi-ligneux du pandanus. Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 3 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. D Sur toutes les iles du Grand-Océan, nous trouvâmes les mêmes productions végétales, et le plus souvent les mêmes noms pour les désigner. C’est ainsi que les vallons si pittoresques, mais à à la longue si monotones, des Sandwich, et de la reine de la mer du Sud, Taïti, si éloignés, produisent abondamment le taro (arum esculentum ), Vigname ( Dioscorea), la pomme de Cythère { spondias dulcis), etc., etc. Les Taïtiens mangeaient, dans les temps de disette, la moelle d’une fougère en arbre, comme les Nègres le pratiquent, à Maurice et à Madagascar, pour le cambare marron; et toutes les deux appartiennent au genre cyathea. Le pya est la racine du tacca pinnatifida, qui croit dans toutes les Moluques, à la terre des Papous et à la Nou- velle-Irlande. La noix d'ahi (inocarpus edulis ) se rencontre de- puis les iles de la Sonde, où les Hollandais nomment l'arbre gatip- boom , jusqu'aux iles les plus orientales de la mer du Sud. Il en est de même du terminalia, du morinda citrifolia, du curcuma , et d'une foule d’autres végétaux dont il serait assez fastidieux de présenter 1ci la liste. Placées hors du Fropique, les vastes iles de la Nouvelle-Zé- lande, dont l'intérieur est encore à connaitre, n'ont pu fournir à la race qui les habite les mêmes ressources, et la nécessité la contraignit de se plier à la pauvreté du sol sur lequel elle devait vivre, et de tirer sa principale ressource alimentaire de la racine sèche et ligneuse de la fougère( acrostichum furcatum, Forster ), qui couvre le pays : mais ce qui rend cette fougère très-digne d'attention, c'est que les peuples noirs de la Nouvelle-Galles du Sud s'en nourrissent habituellement , et la nomment d/n- Lou. L'ile de Paques, également hors des limites du Tropique du Capricorne, ne présente qu'un nombre très-restreint de végé- taux ; ceux qu'on rencontre sur cette terre brülée appartiennent encore cependant aux plantes indiennes : tels sont entre autres ZOOLOGIE. 49 lhrbiscus populneus, des mimosa, un solanum que Forster fils indique aussi à Taiïti, etc., etc. La zoologie des iles Malaisiennes, aussi riche que variée par les nombreuses espèces qui leur sont propres, semble attester que cette portion centrale de l'Asie orientale a fait partie d'un continent, puisque ces iles sont peuplées de grands quadrupèdes vivants, qui sont communs à plusieurs d'entre elles. D'ailleurs les canaux qui les séparent sont peu profonds, et ils sont en- combrés de bancs, qui semblent complétement légitimer cette idée. Mais, toutefois, chaque ile de ces grandes terres équato- riales de l'archipel des Indes recèle quelques espèces qui y se- raient aujourd'huiisolées, et plusieurs ont fourni lasingularité de reproduire des individus de genres qu'on avait jusqu'à ce Jour regardés comme essentiellement propres au N ouveau-Monde ; tels sont, dans’deux branches différentes, un tapir, des courou- cous, et le rupicole vert. Tout ce que nous savons de l'histoire naturelle de ces contrées fécondes est d’un haut intérêt; et malgré les recherches infatigables de sir Stamford Raffles, d'Aorsfield, de Diard, de Duvaucel, de Leschenault, de Kuhl, de Van-Hasselt, et de Reinwardt, elles fourniront long-temps encore d'abondantes moissons en objets curieux et remarqua- bles ; mais leur climat a déja dévoré plusieurs naturalistes eu- ropéens, et la barbarie profonde des habitants de l'intérieur opposera long-temps une barrière insurmontable aux tentatives de ceux qui voudraient essayer de nous en faire connaitre les merveilleuses productions. C’est dans les mers de ces archipels que se trouve aujourd'hui le dugong ( halicore indicus , Desm. mamm., 751 esp. ), qu'on a cru si long-temps fabuleux, figuré par Renard ', mais complétement décrit par les naturalistes 1 Renard, pl. 34, fig. 180. (Poissons des Indes, 1 vol. in-fol., Amsterd., 1754.) 2. 50 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. modernes‘, notamment par M: F/Cuvier, et dont on 1 trouve un bon dessim pour le temps (1708),.et une description assez COM- plète dans le Voyage de François Leguat *, qui n’est cité que dans Sonnini(Buff., t. XX XIV, p. 185), et d'une manière très-fautive. Sumatra et Bornéo paraissent renfermer quelques espèces de quadrupèdes identiques, tels que l'éléphant des Indes , elephas indicus, Cuv., et les orangs. Les rhinocéros ra par MM. Diard et Duvaucel, rhinoceros sondaicus , G. Cuv., et: rhinoceros sumatrensis, Cuv., appartiennent plus spécialement à cette belle ile de Sumatra, qui nourrit un très-grand nombre de singes, divers mammifères très-intéressants, et notamment; des semnopithèques, la viverra musangua, Raffles; le tupaia tana , v Raffles; enfin le tapir de l'Inde (tapirus indicus , F. Cuv.), qu'on : a découvert et dans cette ile et sur la presqu'ile de Malak. : Le Muscon en possède un squelette complet, dû aux voyageurs Duvaucel et Diard. ? Vory. et avantures de Francois LEGUAT ez de ses compagnons en deux isles désertes, etc., 2 vol. in-12, Londres, 1708. Ce voyageur, qui a défiguré plusieurs animaux très-connus, a cependant tracé du dugong un portrait assez exact. Voici les détails qu'il donne sur ce cétacée herbivore, t. I, pag. 93 : « Le lamantin se trouve «en abondance dans les mers de cette île ( Rodrigues ). Sa tête ressemble extrême- «ment à celle du pourceau; mais il n’a pas le groin si pointu. Les plus grands ont « vingt pieds de long, et n’ont aucune autre nageoire que la queue et les deux pattes. « Le corps est assez gros. La queue est horizontale, comme aux baleines. Il a le sang «chaud, la peau noirâtre, fort rude et fort dure, avec quelques poils clair-semés. Les « yeux sont petits, les ouïes remplacées par deux trous qui s'ouvrent et qui se ferment. « La langue est petite. Il a des défenses comme le sanglier, mais point de dents inci- «sives. Ses gencives sont assez dures pour arracher et brouter l'herbe. Sa chair est «excellente, très-saine, et a le goût du veau. La femelle a des mamelles; fait, dit-on, « deux petits chaque fois, les allaite, et les porte avec ses deux espèces de mains. Ce- «pendant, je ne lui en ai jamais vu qu'un. Ce poësson est très-facile à prendre : il « paît par troupeaux, à trois ou quatre pieds d’eau seulement , et ne fuit point. Il ÿ «en avoit parfois jusqu’à trois ou quatre cents ensemble. Cet animal paroït ne jamais «venir à terre. Il meurt aussitôt qu'il perd un peu de sang ; et je ne crois pas qu'il « soit amphibie. » st ie We % PL & 2 ZOOLOGIE. 21 La grande ile de Bornéo, cet espace blanc sur la carte du monde, comme l'a dit judicieusement sir Raffles, recèle sans doute beau- ÉOup d'animaux inconnus ; mais ceux qu'on y indique plus parti- culièrement, tels que l'orang-outang et le pongo, existent aussi, à ce qu'on assure, et dans la Cochinchine et sur la pres- qu'ile de Malacca. Java, si particulièrement explorée dans ces derniers temps, a fourni à nos species un assez notable accrois- sement. On y trouve surtout la panthère noire , les tupaia Javanica et.ferruginea, Horsf.; la mustela nudipes, F. Cuv.; my- daus meliceps ,; F. Cuv.; un nycticèbe, et autres espèces remar- quables. Si Madagascar n'a aucun individu de la famille des singes, elle possède en revanche les makis; et les Moluques ont en propre les euscus ou phalangers à queue prenante, et les ga léopithèques, dont une espèce s’est propagée à l'Est jusqu'aux Carolines occidentales, c’est-à-dire,-aux Pelew ou Palaos. Ce n'est guere que sur l'ile de Bourou que vit de nos jours le co- Chon-cerf(sus babyrussa), animal rare, qui manque à nos musées. Les phalangers à queue nue appartiennent presque exclusive- ment aux Moluques orientales, et surtout à la terre des Papous, jusqu'à la Nouvelle-rlande. En s'avançant vers le Sud-Est, le nombre des mammifères diminue. Déja à la Nouvelle-Guinée, on ne trouve plus que le cochon nommé par nous sus papuensis, ‘le pélandoc”, et le couscous tacheté. La-roussette Kéraudren, voisine du ptéropus edulis, parait s'étendre depuis les Philippines, sur les Marïannes, jusqu'à Oualan, où nous l’observames en abondance ‘par 160 degrés de longitude orientale : mais cette espèce parait ne point avoir pénétré au-delà; etaux Sandwich, par : La panthère melas, figurée par M. F. Cuvier, dans la 49° livraison de son bel ouvrage sur les mammifères, ne serait, suivant M. Temminck, qu'une variété acci- dentelle du léopard : ce qui semble exiger de nouvelles observations. 2? Le pélandoc, et non pélandor, est commun à la Nouvelle-Guinée : les Papouas du havre de Doréry le nomment podin, et estiment sa chair. 22 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. exemple, il n'existe qu'un petit vespertilion. Il est à remarquer qu'on ne connait aucun quadrupède comme véritablement in- digène de la N ouvelle-Zélande, excepté le rat, si abondamment répandu sur les îles de l'Océanie , comme sur presque l'univers entier. La Nouvelle-Hollande seule a produit des genres qu'on ne retrouve que sur son sol; mais le *angurus, un des plus sin- guliers, avait son type, aux Moluques, dans le lapin d’'Aroé (kangurus Bruni, Desm. ). Quant au cochon et au chien, leur histoire se rattache à celle de l'homme, qu'ils ont suivi. On remarque que ces deux animaux utiles ont été rencontrés dès la découverte des archipels des Sandwich, des Marquises, des Amis, de la Société, des Fidjis, de Rotouma, et sans doute des iles des Navigateurs. La Nouvelle- Zélande n'avait seulement que le chien, du moins d’après le dire du capitaine Cook, qui assure que le cochon n'y existait pas, et qui y déposa des femelles pleines, tandis qu'aujourd'hui il y est commun. Ces deux mammifères se rencontrent égale- ment dans les iles avancées de la Polynésie, jusqu'à la Nouvelle- Calédonie, où le chien est la même espèce à oreilles droites qu'on trouve au Port-Praslin, àla N ouvelle-Bretagne, et qui suit les misérables tribus de la Nouvelle-Galles du Sud. Mais cet animal parait avoir été inconnu des Carolins et des Mariannais jusqu'au temps de leurs relations suivies avec les navigateurs. Wilson dit qu'il était ignoré des habitants des Pelew ‘; et nous pouvons assurer que les naturels de l'ile d'Oualan , où très-pro- bablement jamais Européen n'avait mis.les pieds avant nous, n'avaient pas la moindre idée du cochon et du chien, qui leur * Le capitaine Wilson ( Relation des iles Pelew, 2 vol. in-8°, Paris, 1793), qui séjourna sur les îles Pelew, ou mieux de Palaos, après son naufrage, y vit un chat et aussi un Malais, qui tous les deux y avaient été apportés sans doute par la perte de quelques pros des Philippines. ZOOLOGIE. 23 ispiraient une grande frayeur, et qui attiraient vivement leur attention. M. de Chamisso a observé le même fait à Radack, chaine d'iles bien plus reculée dans l'Est. Les reptiles sont d'autant plus communs, et d'autant plus développés dans leurs proportions, qu'ils se rapprochent da- vantage des climats brülants et humides de la Zone torride : on les voit peu à peu diminuer en nombre à mesure qu'on séloigne des tropiques, et qu'on s’avance dans la Zone tempérée. Le cro- codile, si abondant à Java, à Bornéo, à Timor, à Bourou, existe encore à la Nouvelle-Guinée ‘; mais il n'est plus représenté à la Nouvelle-Irlande que par un grand tupinambis, dont la peau sert à recouvrir les éamtam. D'après le récit de Mariner, on ne peut se dispenser d'admettre que des crocodiles, portés par des courants, n'aient été vus sur les iles Fidjis; car les habitants en ont consacré le souvenir par une tradition orale qui parait complétement assurer ce fait. Les lézards et les scinques sont d'autant moins nombreux, qu'on s’avance vers l'Est. C'est ainsi que plusieurs espèces fort intéressantes s'arrêtent à Oualan, tandis que toutes les iles de l'Océanie ont indistinctement le joli petit scinque à raies dorées et à queue azurée des Moluques. Il en est de même des geckos : le /acerta vittata, par exemple, se trouve depuis Amboine jusqu'à la Nouvelle-frlande; et à Taiti comme à Borabora, on ne rencontre plus que l'hémidactyle. Enfin, ces pythons de forme colossale des iles de la Sonde se trouvent remplacés, même à la Nouvelle-Guinée, par de longues couleuvres ?, dont la taille diminue à mesure qu'on s'en éloigne ; © Les Papous de la Nouvelle-Guinée suspendent à leurs cabanes les têtes desséchées de ce gigantesque saurien, peut-être comme trophée de la mort d’un ennemi dan- gereux : ou bien, environnent-ils sa dépouille des hommages qu’arrache la peur, chez des peuples superstitieux ? 2? Ce dernier fait ne se rapporte qu’à des observations recueillies pendant notre court séjour dans cette contrée. 24 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. et c'est ainsi que ces reptiles paraissent ne s'être pas introduits , jusqu’à ce jour, au-delà de l’île de Rotouma, par 175 degrés de long. O. Pour les batraciens, on n’en connaît aucuns de propres aux iles du Grand-Océan, phénomène intéressant, et qui semble concorder avec l'opinion ingénieuse d’un de nos savants distin- gués, le colonel Bory de Saint-Vincent; savoir, que les batra- ciens n'ont, jusquà ce Jour, été rencontrés sur aucune ile vol- canique, à moins que les espèces n'y aient été portées par les Européens, comme on l’a fait à l'ile Maurice. Les oiseaux de l'Océanie, comparés à ceux de la Polynésie, n'offrent point d'analogie dans les espèces. Chaque système de terre a ainsi des individus de genres qu'on rencontre dans un grand nombre de localités ; mais un fait qui n’est point inutile pour l'histoire de l'homme, c'est que sur toutes les terres hautes existe la poule domestique, bien que, dans certaines iles, elle ne serve point à la nourriture. Java, Sumatra, possèdent un grand nombre d'oiseaux d’une rare beauté ; quoique rien n'égale, sous ce rapport, le groupe d'iles nommées Terre des Papous, la patrie des somptueux oiseaux de Paradis et des grands pro- merops. Il est à remarquer ‘ que déja quelques espèces de ces oiseaux à plumage si splendide traversent le détroit de Torrès, et habitent la portion chaude de la Nouvelle-Hollande, tels sont l'epimachus regrus et le sericulus regens, entre autres. Les Mo- luques sont essentiellement peuplées par les calaos; et le genre nouveau des mégapodes remplace, aux Philippines, aux Ma- riannes, à Guebé, comme à la terre des Papous, les tinamous d'Amérique , près desquels doit venir se placer le beau mænure de la Nouvelle-Galles. Mais c'est surtout la grande famille des ! Le genre eurylaime est tout-à-fait polynésien : plusieurs espèces de Sumatra ont été décrites récemment, et nous y ajouterons l’e. de Blainville, de la Nouvelle-Gui- née. 1] en est de même du genre nouveau de M. Horsfield, nommé pomatorhinus. ZOOLOGIE. 25 psittacidées, qui compte sur les îles de la Polynésie de nom- breuses tribus, communes sur presque toutes, et dont le plus grand nombre des espèces a reçu le nom de loris, de la teinte de leur plumage. La Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-Irlande, de même sans doute que les iles Bouka et Bougainville, par- tagent une portion des espèces de ce riche groupe, qui surtout est très-répandu à la Nouvelle-Hollande. L'analogie des espèces de perroquets est tellement grande entre la Polynésie et l'Aus- tralasie, que nous ne pouvons nous refuser à en citer quelques exemples. Ainsi, l'ara à trompe (pszttacus goliath, Kuhl) est remplacé par les kakatoës noirs ( ps. Banks et funereus, Shaw ), tandis que le kakatoës blanc à huppe jaune est aussi abondant aux Moluques que dans les environs de Port-Jackson. Les perroquets et les perruches, qu'on sait ne point s'avancer à l'extrémité Sud de l'Afrique, et qui n'ont qu'une ou deux espèces égarées dans les pampas de la Patagonie, sont bien autre- ment multipliés sur les terres australes. Leurs espèces, belles et nombreuses, peuplent la Nouvelle-Galles et la terre de Diémen. Ce dernier point du globe a même offert un ordre qui lui est particulier, celui des perruches-ingambes. La Nouvelle-Zélande a ses perroquets propres, dont le Vestor est sans contredit le plus remarquable. Mais il n'y a pas jusqu'aux îles Macquarie et Campbell, par 52 degrés de lat. Sud, qui n'aient également leurs espèces; et certainement on eût été bien éloigné, il y a peu d'années, d'admettre que ces oiseaux eussent leurs représen- tants dans de si hautes latitudes. Malgré l'étrangeté de formes que le sol sec de la Nouvelle-Hollande à imprimée à tous les êtres, et plus particulièrement aux oiseaux , que les naturalistes européens eurent à étudier de 1788 jusquà nos jours, on trouve cependant tous les types des espèces qui y sont les plus abon- dantes, dans les archipels d'Asie. Tels sont surtout le cygne noir, J'émiou (casuarius), qui diffère peu du casoar à casque des Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 4 26 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Moluques, le philédon moine, et la perruche des montagnes Bleues, dont toutes les nuances semblent appartenir à la per- ruche ornée, etc., etc. D'un autre côté, il est vrai, rien ne nous rappelle ailleurs et le scythrops et le cereopsts. La plupart des oiseaux voisins des merles ont, sur ce continent, offert la sin- gulière organisation de présenter l'extrémité de la langue hé- rissée de longues papilles roides pénicillées, destinées à sucer les sucs miellés qui exsudent des fleurs d’un très-grand nombre d'arbres aromatiques dont tous les fruits sont ligneux. Presque tous sont remarquables par quelques autres singularités; M. Cu- vier les a réunis pour en former le genre philédon. Mais le beau merle à cravate frisée * habite seulement la Nouvelle-Zélande, et c'est à tort qu'on l’a indiqué comme propre à la Nouvelle- Hollande. Ces deux grandes iles, si opposées à l'Australie par l'aspect et la végétation, ont également le casoar, s'il faut en croire les naturels; mais tous les autres oiseaux terrestres dif- ferent absolument. Les iles de Norfolk et de la Nouvelle-Calédonie ont aussi des espèces particulières, et surtout des cassicans. Les iles Sandwich offrent quelques perruches du genre psittacule et des héorotai- res : ce dernier genre se retrouve aux Fonga et à Taïti, et dans plusieurs autres iles de l'Océanie. L'archipel de la Société a la sterna alba, Spar., deux belles perruches, l'evini (ps. taïtensis ), et le phigy, ainsi que le coucou taitien de Sparmann. Enfin, les Carolines hautes, et notamment l'ile d'Oualan, ont plusieurs oiseaux des Mariannes et des Philippines, qui paraissent ne point avoir été au-delà du 160° méridien. Ce sont un soui-manga rouge et brun, le pigeon océanique, et le merle des colombiers, si commun à Manille et à Guam. L'ornithologie ne peut donc être, pour les iles vraiment océaniennes, que d'un faible secours dans * Poé de Cook, philedon circinnatus des auteurs. ZOOLOGIE. 27 nos recherches; car il serait assez inutile de s'occuper des oi- seaux organisés pour vivre à une certaine distance des côtes, ou même des échassiers qui fréquentent les grèves. Tant de causes peuvent les transporter d’un lieu dans un autre, quil suffit qu'ils y trouvent leur subsistance pour s'y multiplier. Nous dirons, toutefois, que le pluvier doré, le chevalier, les hérons blanc et ardoisé, se représentent à peu près sur tous les rivages de ces iles. Il serait très-difficile de pouvoir grouper les faits généraux de l’histoire des poissons, parce que trop de chainons manquent. Cependant l'ensemble de l'ichtyologie du Grand-Océan, des mers d'Asie et des Indes, se compose presque entièrement d'espèces analogues. C’est ainsi que nous avons retrouvé à l'ile de France un grand nombre des poissons de Taïiti, et que nous avons pu très-souvent les suivre d'archipel en archipel. On doit donc conclure que les espèces sont identiques, depuis les Marquises jusqu'à Madagascar, dans les mers situées dans la Zone équa- toriale , et qu'il en est de même pour les parallèles placés hors du Tropique du Capricorne. La plupart des poissons de la Nou- velle-Zélande, en effet, sont les mêmes que ceux des côtes de la terre de Diémen ou de la Nouvelle-Galles du Sud; et l'on sait, par exemple, que la Chimère antarctique se retrouve à l’extré- mité des trois grands caps avancés du globe , ceux de Horn, de Diémen, et de Bonne-Espérance, et semble être fixée dans les mers qui sont renfermées dans l'intervalle du 60° au 35° degré de lat. Sud. Entre les tropiques, les récifs de coraux, qui, par les riches couleurs des polypes qui les habitent, ou les innom- brables zoophytes qui y pullulent, forment comme des par- terres sous-marins enchanteurs, sont habités par des poissons revêtus des plus brillantes parures, et dont l'éclat est vraiment fantastique : ce sont surtout des girelles nombreuses, des chel- mons, des balistes, des serrans, des pomacentres, etc. ; tandis . 28 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. que, sur ces mêmes récifs, que recouvre à marée basse très-peu d'eau, nagent en rampant les nombreuses tribus des muréno- phis et des ophisures. Mais plus on s'engage dans les canaux étroits et sans cesse réchauffés par le soleil équatorial, qui sé- parent en tout sens les iles innombrables de la Polynésie, plus le nombre des poissons augmente; et la seulement on observe certains genres Où certaines espèces qui n'existent sur aucun autre point. Le squale à ailerons noirs ne vit que dans les Mo- luques et sur les côtes de la Nouvelle-Guinée : il en est de même de quelques aleutères, du diacope macolor, de quelques acan- thures, de la lophie histrion, etc., etc. Dans toutes nos relàches, depuis Oualan et le Port-Praslin jusqu'a Java, nous observames le nason licornet, des scombres, des priacanthes identiques, etc. La partie intertropicale de l'Océanie est très-pauvre en tes- tacés. Plus on se rapproche des iles de la Polynésie, plus le nombre des espèces s’accroit d'une manière rapide. On doit donc supposer que les plages de sables uniformes de ces iles de l'Asie orientale, et leurs eaux peu profondes, et par conséquent plus faciles à échauffer, renferment toutes les conditions favorables pour la multiplication facile des belles espèces qu'on y trouve. A Faiti, comme à Borabora, on n'observe guère qu'une sorte d'arche, la vis tigre, la cérithe blanche, l’ovule, les porcelaines, la mitre épiscopale, le cadran escalier, etc. ; et ces mollusques, ainsi que l’aronde aux perles, la tridacne bénitier, le murex chicorée, le ptérocère, la harpe, des rouleaux, etc., etc., se re- trouvent, sans exception, sur toutes les iles océaniennes et po- Iynésiennes, jusqu à l'ile Maurice inclusivement , et sont égale- ment observés sur les îles africaines de la mer des Indes. Mais aux Moluques particulièrement, dont les baies sont paisibles et abritées, où la mer ne brise point avec fureur, où de longues plages sablonneuses déclives permettent à des testacés fragiles de vivre sans compromettre leur existence, naissent et se dé- ZOOLOGIE. 29 veloppent de précieuses coquilles, telles que la carinaire vitrée, ces nautiles papyracés, ce scalata si recherché, etc., etc. Sur toutes les grèves, nous trouvames en abondance et la volute éthiopienne et l’argonaute flambé rejeté par les vagues; ce qui autorise à penser que ce céphalopode, extrèmement commun, ne vit qu'à une certaine profondeur. Les nautiles, qu'on retrouve dans plusieurs mers, et notamment dans la Méditerranée, et qui s'y sont propagés sans doute à l'époque où cette mer commu- niquait avec la mer Rouge et la mer des Indes, alors que n'existait point l'isthme de Suez, ont une espèce qui les représente, même dans le Sud de la Nouvelle-Hollande; car c'est dans le détroit de Bass qu'on observe communément le beau nautile dit à grains de riz, dont la patrie a long-temps été ignorée. En dé- passant le Tropique du Capricorne, les mollusques ne sont plus les mêmes : leurs espèces sont propres à tel ou tel point, d’où elles ne s'écartent guère; et c'est ainsi que l'extrémité australe de l'Amérique a des espèces trèsremarquables, qu'on ne retrouve point ailleurs, telles que des moules, des monocéros, le con- cholepas entre autres, et que la Nouvelle-Zélande, comme la terre de Diémen, et la Nouvelle-Holiande, ont des genres qui leur sont propres, et remarquables par leur rareté plus ou moins grande dans nos collections. C'est alors que serait rigoureuse- ment applicable cet aphorisme trop vague de Péron : : « Qu'il «n'est pas une seule espèce d'animaux marins bien connue qui, «veritable cosmopolite, soit indistënctement propre à toutes les «partres du globe ; et que les animaux originaires des pays. froids «ne sauraient s'avancer impunement jusqu'au milieu des zones « brülantes.» D'apres l'indication sommaire que nous avons présentée de ‘ Notice sur l'habitation des animaux marins, chap. xxxix, tom. IV, pag. 275. V’oy. aux terres australes, 2° édition. 30 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. toutes ces iles, on a dü préjuger que les crustacés étaient, à peu d'exceptions près, identiques. Ce n'est guère que sur les côtes de la Nouvelle-Guinée et au milieu des Moluques que vivent ces singuliers phyllosomes au corps aplau et nacré, et les smerdrs et les alëma, qui rendent parfois la mer étincelante par les feux qu'ils émettent sans interruption. Il en est de même des insectes : ils sont très-rares sur toutes les iles de la mer du Sud, et se bor- nent. communément à quelques diptères, à quelques papillons qui sont indiens, et qu'on rencontre aux Moluques. C'est ce qui a fait dire au plus profond entomologiste de notre époque, à M. Latreille ( Géographie des Insectes, in-8°, pag. 181 ) : « Plu- «sieurs des iles de la Nouvelle-Zélande, de la Nouvelle-Calédonie «et des mers circonvoisines, sont américaines par leur position «géographique, et peuvent être asiatiques quant aux produc- «tions animales et végétales de leur sol.» Nous ajouterons, comme fait particulier, que partout, sur les eaux du vaste Océan-Paci- fique, en dedans comme en dehors des tropiques, nous avons observé le velia oceanica, insecte de la tribu des ploteres, men- tionné par Eschscholtz près de l'ile de Pâques, et qui couvre la mer, par les temps de calme, loin des terres, comme proche de Taïti, de la Nouvelle-frlande, ou de tout autre point. Nous avons esquissé à grands traits le sol des contrées dont nous devons maintenant essayer de peindre les habitants : ce sera l'objet du second paragraphe. ZOOLOGTITE. 31 Ç I. DES INSULAIRES DU GRAND-OCÉAN, ET DE LEURS HABITUDES GÉNÉRALES. Dans l'homme physique, [homme moral est caché. L'homme extérieur n'est que la saillie de l'homme intérieur. Dupary, lettr. xxxr1—. L'homme, et les variétés qui en composent les races diverses, sont sans doute le sujet le plus vaste et le plus intéressant dont puissent traiter les sciences naturelles, la philosophie et la mo- rale ‘. Cette étude a, de tout temps, occupé quelques esprits su- périeurs, qui cherchèrent à mettre à la portée de leurs contem- porains cette pensée sublime de Solon, inscrite sur le temple d'Éphèse, Nosce te ipsum; mais, à cet égard, les modernes * ont bien surpassé les anciens, réduits à des relations extérieures bornées, et chez lesquels le peu de progrès des sciences naturelles ne permettait d'envisager une telle question qu'obscurcie par de vains sophismes. Nous nous abstiendrons ici de toute excursion 1 La science la plus interessante et la plus importante pour l’homme est celle de l’homme méme. Marsden, Hist. of Sumatra. ? Pour l’homme, considéré en général comme premier être zoologique, consult. LINNÉ (Systema naturæ, ed. 13, cur. Gmelin ); BLUMENBACH ( De generis humani varietate nativä , Gœttingue, 1795, 3° édit. in-8°. ); BUFFON ( Hist. de l’homme); G. CUVIER (Tab. élém. d’hist. nat., et Règne Animal); LACÉPÈDE (Dict. des scienc. nat.); VIREY ( Dict. des sciences médic., et Histoire naturelle du genre bumain, 3 vol. in-8°, 1824, 2° édit. ); DESMOULINS ( Journal de physiologie, 1825 ) ; et le colonel BORY DE SAINT-VINCENT (Dict. class. d’hist. nat., t. VIIT). Parmi les travaux remarquables sur l’angle facial et les diverses modifications qu’e- prouve, suivant les races, la capacité du crâne, voy. Wozrerus Henricus CRULL, Dissertatio anthropologico -medica inauguralis de cranio, ejusque ad faciem ratione, etc., thèse in-8°, 1/4 juin 1810, Groningæ. 32 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. extérieure, et nous ne chercherons qu'à ajouter quelques faits susceptibles d'éclaireir l'histoire des insulaires de la mer du Sud; car, chaque jour, la physionomie originelle de ces peuples dis- parait par leurs relations journalières avec d'autres nations. Le croisement des races, de nouveaux usages, de nouvelles habi- tudes, ne peuvent manquer d'apporter, dans un laps de temps peu considérable, des changements qui déja effacent chaque jour ce qui subsistait de leurs anciennes traditions. Au premier coup d'œil, on pourrait croire qu'il n’est point difficile de tracer le tableau physique etmoral de ces peuples, puisqueles voyageurs ontrecueilli, sur la plupart, denombreux documents publiés dans toutes les langues. Depuis Bougainville , Byron, Wallis, Carteret et Cook, en effet, peu d'années se sont écoulées sans que des expéditions aient visité ces insulaires : des établissements perma- nents d'Européens ont été fondés au milieu d'eux; et cependant nous ne possédons encore que des esquisses fort imparfaites sur cette matière. Une telle question mérite bien aujourd'hui d'être éclaircie; et peut-être le gouvernement qui ordonnerait une expédition dans ce seul but servirait-il plus efficacement les sciences qu'on ne le pense communément". N'est-il pas étonnant, d'ailleurs, que la question * sur les Océaniens, mise au concours © On sait que la pensée dominante de Péron, de cette ame de feu, sitôt enlevée aux sciences, était d'écrire une histoire de l’homme, pour laquelle il avait déja ras- semblé des notes, qui ont été égarées après sa mort. 2 Elle est ainsi conçue : « Rechercher l’origine des divers peuples répandus dans l'Océanie ou les îles du Grand-Océan situées au Sud-Est du continent d'Asie, en exa- minant les différences et les ressemblances qui existent entre eux et avec les autres peuples sous le rapport de la configuration et de la constitution physique, des mœurs, des usages, des institutions civiles et religieuses, des traditions et des monuments; en comparant les éléments des langues, relativement à l’analogie des mots et aux formes grammaticales, et en prenant en considération les moyens de communication, d’après les positions géographiques, les vents régnants, les courants, et l’état de la navigation, » ZOOLOGIE. 33 par la Société de Géographie, soit restée, plusieurs années de suite, sans réponse, et quon n'ait point encore cherché à la ré- soudre ? Mais voilà, à notre avis, où git la difficulté. Comment faire concorder les observations de tous les genres, consignées dans des relations écrites par leurs auteurs avec un mérite très- variable, des principes différents, et souvent sous l'influence des sensations opposées ? Le savant qui voudra coordonner dans son cabinet ce qu'ont dit les voyageurs sur les races des insu- laires de l'Océan-Pacifique, sur leurs migrations; qui essaiera de suivre la filiation de leurs idées , de leurs arts, ou les types de leur organisation, ne doit-il pas reculer devant la divergence des opinions et rester indécis au milieu des erreurs ou des in- certitudes dont rien ne peut le dégager ? Aussi cet écueil est tel, que la plupart des écrits relatifs à l’homme, et il en est où se montre la plus vaste érudition, sont pleins de rap- prochements erronés qu'il était impossible d'éviter. Malgré les connaissances dont nous sommes redevables à Forster, à de Chamisso, à sir Raffles et au docteur Leyden; malgré des descriptions complètes et détaillées de plusieurs îles, où séjour- nérent long-temps des Européens, tant de chainons manquent et interrompent la série des faits qui doivent lier, par une con- . tinuité de rapports, les peuplades les unes aux autres, que nous ne pouvons généraliser encore que les traits les plus saillants de leur histoire. Ce n'est donc, dans l'état actuel des choses, qu'une esquisse très-imparfaite qu'il nous est possible de présenter : le seul mérite qu’elle pourra avoir sera d'être basée, en grande partie, sur des observations faites pendant notre cam- pagne, ou parfois empruntées à quelques voyageurs dont le talent d'observation est généralement reconnu. Les sources où l’on peut puiser pour étudier l'organisation et les mœurs des peuples de l'Océanie, de la Polynésie et de Voyage de la Coquille. — TZ. Tom. I. 5 34 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. l'Australie, ne sont point nombreuses. Forster ', le premier, traca d'une main habile le vaste cadre des productions des terres du Grand-Océan, et des insulaires qui y vivent. Combien l’on doit regretter que le cours de l'expédition ne l'ait pas mis à même de voir un plus grand nombre de points, ét de suivre le fil des idées qu'il avait émises avec tant de succès sur les lieux qu'il visita! Forster ne distingue que deux variétés dans l'espèce humaine de l'Océan- bu l'une blanche, et l’autre noire; mais il établit à chaque ligne cette pensée Fond entue , que Roame ne constitue qu'une espèce unique dont les variétés se sont pro- pagées à la longue, ou se sont transmises intactes, ou ont été modifiées par l'influence des croisements ou par une foule de causes locales. On ne devrait, en effet, adopter les distinctions de races ou d'espèces que comme des moyens artificiels, destinés à préciser nos idées dans l'étude de l’homme, et à la rendre plus facile. M. de Chamisso ?, plus récemment, écrivit sur le même sujet, et, sentourant de toutes les ressources d’une éru- dition riche et féconde, il emprunta aux langues parlées par les divers peuples ses principales lumières pour remonter à leur origine *. Enfin, si la race malaise, circonscrite dans des bornes plus étroites, a été mieux connue, on le doit aux travaux : Cook, deuxième voyage, t. V et VI, édit. in-8°, Paris, 1778, ou tom. V, in-4”, sous le titre d'Observaiions faites pendant le Second Voyage de Cook dans l 7: sphère austral et autour du monde, etc. > A Voyage of discovery into the South-sea, and Beering's straits, etc. By Otto von ROTZEBUE, tom. II, pag. 353. 3 M. BALBI, dans un ouvrage important, intitulé tas Ethnographique du globe ( sous presse ), vient de classer les langues de tous les peuples de la terre, qu'il réunit ainsi par l’analogie des idiomes et des racines, des coutumes et des usages. ZOOLOGIE. 35 de sir Aafjles *, de Marsden *, de Crawfurd, et de Leyden*, qui séjournèrent au milieu d'elle, et qui en firent l'objet de re- cherches approfondies. Le long séjour de M. Mariner ‘ aux iles de Tonga a, d'un autre côté, fait connaitre ces naturels de ma- nière à ne rien laisser à désirer ; et les documents que nous fournit une habitation plus ou moins longue au milieu des Océaniens s'accroissent journellement des travaux de quelques mission- naires anglais plus instruits que leurs collègues: et, sous ce rap- port, la grammaire zélandaise de M. Kendall * rend les plus grands services au philologue, en même temps qu'elle éclaireit plusieurs des habitudes et des usages de ce peuple singulier. Sans donner une grande importance au tableau suivant, nous grouperons les divers Océaniens à l’aide de distinctions spécifiques dont les noms, communément adoptés, n'ont, d'ailleurs, à nos yeux aucune valeur absolue qui puisse répu- gner à l'intelligence. ! History of Java, 2 vol. in-4°. ? Voyage à l'ile de Sumatra, trad. par Parraud, 2 vol. in-8°, Paris, 1794. 5 Notice sur Bornéo (Transact. bataves, t. VIT), et dans divers Mémotres sur les peuples de l'Inde, insérés dans les recueils de la Société asiatique de Calcutta. & Histoire des naturels des les Tonga ou des Amis, rédigée par John Martin, Traduct. franc., 2 vol. in-8°, Paris, 1817. 5 À Grammar and Vocabulary of the language of New-Zealand, published by the Church-Missionary Society, in-12, London, 1820. 36 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. ere nent Roi] Hab. les archipels nombreux des Indes RE 7 © ?{ orientales ou de la Polynésie. 1° race, HINDOUE-CAUCASIQUE Hab. les iles innombrables et éparses 2° rameau........ OCÉANIEN, comme au hasard au milieu de l’im- mense surface du Grand-Océan. Hab. la longue suite des archipels des Carolines, depuis les Philippines jus- qu'aux îles Mulgraves. _ 3° rameau.. MONGOL-PÉLAGIEN © race, MONGOLIQUE......... ) DRSOLE ? l ou CAROLIN, { 1'° var., papoue , } | Hab. le littoral de la Nouvelle-Guinée | 4° rameau.. CAFRO-MADÉCASSE, et des iles des Papous. | 2° var., {asmanienne, : k {| Habite la terre de Diémen. 2race, INOTREE FENETRE EEE / re var. endamène , Hab. l’intérieur des grandes îles de la Polynésie et de la Nouvelle-Guinée. 2° var., australienne, Hab. le continent entier de la Nou- velle-Hollande. pe 2 rameau....... ALFOUROUS, 1. DES MALAIS. La conformation physique et l'habitude générale de ces peu- ples a porté quelques auteurs à les distinguer, parmi les variétés | de l'espèce humaine, sous le nom de race Malaise. Xs nous pa- raissent être un simple rameau détaché de la grande famille Hindoue caucasique , mélangé au sang Mongol, et fixé sur les iles polynésiennes, depuis leur éloignement du continent d'Asie; , car l'opinion des orientalistes les plus éclairés leur donne pour Ô patrie primitive la Tartarie ou le royaume d'Ava. Disséminés en un grand nombre de petits états, les Malais : qui peuplèrent les grandes iles conservèrent sur les unes les traditions de leurs ancêtres, ailleurs les modifièrent ou les dénaturèrent, se créèrent de nouvelles idées, et pratiquèrent des coutumes diffé- rentes. Tous, cependant, quelle que soit la dispersion de leurs tribus, conservent une forme typique caractérisée, et dans l’en- semble de leur organisation et dans leurs mœurs. Mais ces peu- ? Consultez l'excellent tableau intitulé Mœurs et usages des habitants de Ti- nor, par Péron et de Freycinet, tom. IV, p. 1, du Z’oy. de découvertes aux Terres Australes, seconde édition. ZOOLOGIE. 37 ples, qu'on a dit si faussement être répandus sur toutes les iles du Grand-Océan, ne dépassèrent jamais les iles Tidoriennes, les plus orientales des Moluques ; et quelques traces de leur fusion dans le Grand-Océan se font remarquer seulement à la Nouvelle -Gui- née, où le commerce les a attirés dans ces derniers temps, et aux Philippines, où ils ont fondé une petite colonie à Marigon- don , sur les bords de la grande Baie de Manille (Chamisso). Le rameau malais est bien loin d'être à nos yeux, comme le veut l'opinion reçue, la souche des TFaïtiens, des Sandwichiens, des Mendocins et des Nouveaux-Zélandais; et on ne reconnait, dans ces peuples, ni la même conformation physique, nulle analogie dans la langue, nulle ressemblance dans la tradition, les arts et les usages. Le seul point de rapprochement serait une sorte d'iden- tité de croyance religieuse; mais, chez ces rameaux distincts, et d'une même origine, ce fait n'a rien de remarquable : il in- dique que tous les deux ont conservé les traditions indiennes. Les Malais, dont l'existence politique est moderne dans l’his- toire de l'Asie, et dont les légendes de Malacca et quelques écrits anciens nous mettent à même de suivre les traces obscu- res et quelques-unes des migrations, ne sont bien connus que depuis le douzième siècle, où quelques-unes de leurs tribus émigrèrent de Menang-Kabou, la capitale des états malais à Su- matra , étendirent leurs conquêtes, fondèrent Singhapoura, leur premier établissement sur la Terre-Ferme, et placerent le siége de leur principale autorité à /ohor, sur la presqu'ile de Malacca. Ces peuples, avides de gain et de guerre, s’'adonnèrent particu- lièrement au commerce; et, par leurs communications avec les Maures de la mer Rouge, ils reçurent avec lenteur et succes- sivement quelques coutumes arabes, et surtout l'islamisme *. 1 MARCO-POLO ( édit. in-4°, pag. 192) dit de Ferlec et du petit Java : « Sous « Magat, cette île fut habitée par des marchands sarrasins, qui jouissent des pré- « rogatives de citoyens, et qui les ont convertis à la foi musulmane. Ils vivent seule- «ment dans la ville. » - 38 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Chez eux, la navigation se perfectionna, les richesses s'accumu- lèrent, et des envahissements successifs vinrent chasser les ha- bitants de la plupart des iles orientales ; car telle est la manière dont les Malais s'emparèrent du littoral de la plupart de ces terres, en reléguant dans l’intérieur les anciens propriétaires, ou en les exterminant. Cet état de choses est démontré d’une manière évidente par ce qu'on sait de l'élévation de plusieurs états malais de Bornéo, de Célèbes et de Timor; et les historiens des îles de l'Est sont remplis de documents qui prouvent la continuelle fusion des Malais sur les iles de la Polynésie. Mais, sur toutes celles dont les Européens n’ont pas fait la conquête , les montagnes de l'intérieur sont peuplées par des tribus, tantôt noires, tantôt jaunâtres, qui, confondues sous les noms d’4/- fours, Alforèzes, Alfourous, ont été l'objet des opinions les plus contradictoires et les plus absurdes. C’est ainsi que, dans les Moluques, les Hollandais qui y sont établis n’en ont point une idée distincte, et qu'ils en font la peinture la plus hideuse, en nommant sans distinction Papouas les habitants de l'Est, Bat- tas ceux de l'Ouest, et /daans ceux de Bornéo, quoiqu'ils ap- partiennent, d'ailleurs , évidemment à des races différentes. Or, ces peuples, ainsi refoulés, sans cesse expulsés par des hommes qui tenaient de l'Inde la coutume de faire des esclaves et de les vendre , sont restés stationnaires dans leurs idées. Ils ont fui les nouveau venus, qui, les chassant de leur territoire , les op- primaient ; et, séparés d'eux par des remparts naturels et puis- sants, leur existence est restée inconnue des Européens : ou, ce qu'on en sait est si imparfait, tant de fables obscurcissent les rapports qu'on a obtenus de quelques Malais qui trafiquent avec eux, qu'on ne peut faire aucun rapprochement positif, soit d’après leurs habitudes ou leurs mœurs, soit d’après leur orga- nisation. Le rameau malais, depuis long-temps mélangé au sang arabe, ZOOLOGIE. | 39 a toujours conservé un type caractéristique, quoiqu'il présente quelques variétés assez distinctes. Une des plus remarquables est sans contredit celle des Javans. Assemblés naguère en corps de nation , les habitants de Java formèrent des états populeux, et conservérent, pendant long-temps, lestraditions de l'Inde ; cequi nous est prouvé par les ruines d'un grand nombre de monu- ments imposants, qui subsistent encore sur cette grande et belle ile; par le faste des cours des sultans et des sousounangs ; par les objets de leur culte et leurs divers emblèmes. Toutes les îles environnantes, d'ailleurs , avant l’arrivée des Portugais dans l’Inde, qui date de 1497, malgré les habitudes locales, avaient les mêmes formes de gouvernement, suivaient les mêmes cou- tumes , se servaient des mêmes titres ; tels étaient surtout lesétats de Célèbes, de Tidor, de Ternate, de Soulou, de Bornéo , de Sumatra, etc. Java seule paraissait en entier soumise à la même race humaine : aussi doit-on, à bien dire, la considérer comme colonisée par l'Inde bien avant les autres terres. Mais il n’en est pas de même des iles que nous venons de nommer; et voilà ce qui explique comment le rameau malais se trouve réduit à n'y occuper que le littoral, tandis que l'intérieur est peuplé par les plus anciens propriétaires, avec lesquels ils ne se sont presque jamais mélés. Cette explication de la ma- mière dont les Malais se sont emparés du sol qui leur pa- raissait avantageux est tellement satisfaisante, qu'on ne voit ja- mais, en effet, qu'ils aient assis leurs Campongs ou villes ailleurs que sur les bords des grandes baies, ou sur les rives des fleuves 1 Les Malais de Banjer- Massin, royaume de Bornéo, suivant sir Raffles, pos- sédaient des attributs indiens, tels que les figures d’/Zshwara, des empreintes de la vache et de l'éléphant, qui attestent leur ligne primordiale. Ils font descendre leurs ancêtres de Johor même, sur la presqu’ile de Malacca, suivant le docte Leyden ( Trans. bat., t. VIT), qui ajoute que le Javanais pur a les plus grands rapports avec le sanskrit. 4o VOYAGE AUTOUR DU MONDE. navigables. C'est principalement à Céram , à Bourou, qu'on peut observer l'isolement dans lequel vivent réciproquement les Ma- lais et les naturels de l’intérieur, ou les Æ/fourous. Ceux-ci con- servent intacte et pure la langue et les usages qui leur furent transmis par leurs pères. Leur existence se borne au cercle étroit d'un petit nombre d'idées qui leur suffisent; et leurs mœurs se ressentent naturellement de cet isolement, et con- servent cette férocité de l’homme grossier primitif. Dans les iles soumises aux Européens, on conçoit que les Malais ont subi des modifications, et qu'ils ont pris, par leurs rapports continuels avec divers peuples, et surtout avec les émigrations chinoises, des habitudes qui ne leur étaient point naturelles. Elles sont en petit nombre toutefois; mais le type malais dans toute sa pureté se retrouve dans les iles où il a conservé son indépendance, telles que Guebé, Oby, Gilolo ou Halamahira , Flores, Lombok, Bali, etc. Cependant, quoique le Javanais soit la branche la plus distincte du Malais, on ne peut se dispenser de reconnaitre quelques nuances entre l'Æmbotnaïs naturel, le Timorien , le Macassar et le Budgis; mais toujours est-il vrai de dire que ces caractères sont peu saillants, et ne dérangent aucun trait de l'ensemble typique. Les Malais, dans tous leurs gouvernements, ont consacré la forme despotique des Indiens. La personne de leurs sultans ou de leurs Radjahs est sacrée; et la vénération la plus profonde, ou une humilité servile, leur prodigue des hommages qui tien- nent aux coutumes d'Orient. La perfidie la plus noire, la du- plicité, une soif ardente de vengeance, qui naît avec d'autant plus de violence sous des lois oppressives, qu'elle est plus con- centrée, caractérisent ces peuples : la mauvaise foi malaise est aussi célèbre que le fut jadis celle des Carthaginois, et nos re- lations sont remplies d'actes d’assassinats et de trahisons des Malais, qui ont toujours exercé la piraterie avec un goût dé; ZOOLOGIE. : 41 cidé. Fanatisés par la religion mahométane, dont ils reçurent les dogmes, tout en conservant un très-grand nombre de céré- monies hindoues, ces peuples ont surtout adopté la polygamie, et les préceptes les plus vulgaires du Coran, sans être cependant très-rigoristes sur leur exacte observance. En suivant les diverses familles éparses de ce rameau, lés usages ne présentent, en effet, que très-peu de différences : et si nous examinons leur manière de s'habiller, nous verrons partout les chefs richement vêtus à l'orientale, tandis que les gens du peuple ne voilent une complète nudité que par quelque légère portion d'étoffe. Le turban, le sarong, ou une large pagne, composent en grande parte tout l'habillement d'un Orang caya, ou d'un homme de la classe fortunée. Les Malais sont adonnés à la sensualité, et leur Jalousie est extrème. Ils ont le cœur avili et corrompu; et les débauches auxquelles ils se livrent sont inouïes, au dire de tous ceux qui ont été à même d'en dévoiler les turpitudes ; et, sous ce rapport, les Chinois et les Japonais sont leurs seuls rivaux. C'est chez eux que les analeptiques de toutes les sortes jouissent d'une vogue générale, et que se consomment surtout l'opiumi, les tré- pangs et les nids d'oiseaux. Un usage qui paraît leur être propre est celui de mâcher le betel. Ce sialogue bien connu, et qu'il serait inutile de décrire, leur procure des sensations agréables ; et ce mélange est un besoin tres-vif pour les deux sexes, qui l'ont constamment à la bouche. On retrouve, cependant, l'habi- tude de se servir de cet excitant des membranes buccales chez les peuples de race noire de la Nouvelle-Guinée et de la Nou- velle-frlande ; mais nul doute qu'elle ne provienne de commu- mications entre les peuplades les plus voisines et de proche en proche. En remontant à la source de cette coutume, on la voit naitre dans l'Inde et se propager en Cochinchine. Le Camoëns, dans une note de la Lusiade, a décrit le cérémonial suivi à la cour Voyage de la Coquille. — 7. Tom. I. 6 42 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. du Samorin de Calicut, lorsqu'il présenta du betel à Gama ;'cé- rémonial qui s'observe encore présentement dans toutes les réceptions d'apparat des sultans.et des radjahs. Le betel était autrefois, comme de nos jours, l'interprète des sentiments d’a- mour;'et c'est par l'offre du Sir qu'une femme malaise décèle ses secrètes pensées à celui qui en est l'objet. L'usage du betel, au reste, n'a pu naïître que sous l'Équateur et sur lesiles d'Asie, là où croissent en abondance et Le pinang ( areca) et le poivre, qui, unis à la chaux et souvent au cachou, en fournissent les principaux ingrédients. « En dernière analyse, il est bien reconnu aujourd'hui par tous ceux qui ont le plus étudié l’histoire des Malais que le.rameau qu'ils forment tire son origine de la race répandue dans l'Inde, et quil est limité entre les 92° et 132° méridiens; que le point le plus éloigné où ils se soient avancés à l'Ouest sont les côtes de Madagascar, où ils se mélangérent aux Maures, qui y abor- daient par le Nord ; en refoulant au Sud les Nègres V’inzimbers, maintenant disséminés, et probablement les premiers habitants de cette ile immense; qu'ainsi, ils formèrent les populations ri- veraines de toutes les iles des archipels de la Polynésie, telles que celles de la Sonde et des Moluques; qu'ils se propagèrent sur une ou plusieurs des Philippines; et qu'enfin quelques es- saims aventurés s'avancèrent Jusque sur les iles des Papous et au Nord de la Nouvelle-Guinée, où ils fonderent quelques vil- lages, et s'y arrogèrent l'autorité. On trouve, en effet, des Malais à Waigiou, aux iles d'Arou et dans le détroit de Dampier ; mais ils ne dépassèrent point le 132° méridien, ou, sils le firent, ce ne fut qu'accidentellement et sans projets. La conformation physique du rameau malais‘est aussi carac- térisée que l'ensemble de leurs coutumes, de leurs mœurs et de leurs institutions. En général, les hommes de cette race sont remarquables par la médiocrité de leur taille et par la couleur ZOOLOGIE. 48 jaune cuivrée , mélangée d'une partie d'orangé, de leur peau‘. Les femmes surtout ont des proportions peu développées; et dans plusieurs de nos relaches, soit à Amboine, Bourou, Java, Ma- dura, et autres lieux, nous ne vimes que peu d’'exceptions à ce fait. La taille commune des hommes est, au plus, de cinq pieds quatre ou cinq pouces; mais il n’est pas rare d'en rencontrer qui aient davantage, et dont les proportions soient robustes. Les Malais sont, en général, bien faits, et leur système muscu- laire est dessiné avec vigueur. Les femmes ont des formes ar- rondies et courtes, des mamelles volumineuses, une chevelure rude et très-noire, une bouche très-ouverte, des dents qui se- raient très-belles si elles n'étaient pas noïrcies et corrodées par le betel. Le caractère des deux sexes est inflammable, irascible, porté à la vengeance et à l’artifice, bas et rampant sous le joug du plus fort, barbare et sans pitié pour leurs ennemis ou leurs esclaves. Nous ne nous occuperons pas de la langue malaise, et des divers rapprochements qu'il serait possible d'y trouver. L'ou- vrage de M. Marsden ne laisse rien à désirer, et prouve que, malgré ses divers idiomes, elle est parlée partout avec de très- légères modifications locales. Douce, harmonieuse, et simple dans ses règles, la langue malaise est pleine de tournures orien- 5 tales, et emploie souvent le style figuré. En recevant la religion des Arabes et leurs sciences, les Malais adoptèrent les caractères de leur alphabet et l'usage d'écrire de droite à gauche; tandis que les habitants de Sumatra, les Javanais, et plusieurs autres peuples indiens, écrivent, comme les Européens, de gauche à droite. * M. Bory de Saint-Vincent dit que les membranes muqueuses des Malais ont une couleur fortement violette. Ce fait intéressant, que nous avons négligé de vérifier, mérite bien de fixer l'attention des voyageurs futurs. 6. G4 ; VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 9. DES OCÉANIENS :. La variété de l'espèce humaine que nous nommons ocea- nienne est remarquable par sa beauté, relativement aux autres rameaux dont nous aurons à parler ensuite; c'est elle qui peuple la plus grande partie des iles de l'Océanie proprement dite, et que M. Bory de Saint-Vincent a nommée, dans son ingénieux travail sur l'/omme , race océanique. Son histoire, dans l’état actuel des choses, est satisfaisante à tracer; car le long séjour des Européens sur plusieurs des iles de la mer du Sud, les nom- breux voyages entrepris dans le but de les explorer, les voca- Pulaires qu'on a dressés des mots usités dans la langue de chacune d'elles, permettent assurément de s'en former une idée plus nette et beaucoup plus précise. Quant à la migration de ces in- sulaires, de la source originelle, c'est là le point le plus difficile à expliquer; mais les hypothèses doivent se taire devant les faits : et puisque tout nous prouve que le cachet hindou est imprimé sur les hommes du rameau océanten , il serait absurde de cher- cher trop minutieusement à expliquer comment ils se sont ré- pandus sur ces terres séparées par de grands espaces de mer, et surtout contre la direction habituelle des vents régnants. Ce qu'on pourrait dire pour ou contre, sans preuves certaines, rentrerait dans le cas de ces nombreuses conceptions, plus ou moins ingénieuses, quon peut attaquer et défendre avec des armes à peu près égales. La race océanienne se trouve occuper des iles séparées les unes des autres par d'immenses distances, au milieu du Grand- Océan; et son existence est démontrée sur la plus grande partie des iles placées au Sud-Est de la Polynésie et à l'Est de l'Australie. * Mémoire lu à la Société d'Histoire naturelle de Paris, en novembre 1825. ZOOLOGIE. 45 Les hommes de ce rameau, disséminés sur les iles volcaniques ou madréporiques du Tropique du Capricorne ou de la Zone tenipérée australe, ne paraissent avoir envoyé dans l'hémi- sphère Nord et sous le Tropique du Cancer qu'une seule co- lonie, qui a peuplé les iles Sandwich. Les insulaires de cet archipel, en effet, ont conservé avec une religieuse fidélité la physionomie de leurs pères, tandis que des hommes d’une autre race occupent évidemment les Philippines, et les Mariannes, et la totalité du vaste archipel des Carolines. Les Océaniens, ainsi isolés, se sont répandus, sans éprouver que de biens légères modifications, sur les iles des Amis, de la Société : plus tard, on les voit s'établir sur les récifs des iles basses; et la tradition de cette migration récente se conserve encore à Raïatea et à Borabora. Un essaim égaré s'est avancé jusque sur l'ile de Paques /Paschà) ‘; mais déja ils étaient fixés sur les iles de Mendana, Washington, Mangia, Rorotunga , 5 Lady Penrhyn, Sauvage, Tonga, et sur les terres de la Nou- 5 velle-Zélande. La moitié environ de la population des Fidjis et des iles des Navigateurs appartient à ce rameau, qui s'arrête au Nord, d'après nos propres observations, sur l'ile de Ro- touma *. Supposer les Océaniens autochthones sur le sol qu'ils habitent serait une exagération ridicule que tous les faits physiques démentiraient ; car leur établissement sur les iles de la mer du Sud doit être d’une époque bien récente, par rapport aux âges du monde, et dater, au plus, des temps primitifs | ’ Les traits, les coutumes et la langue du peuple de l'ile de Päques ont la plus grande affinité avec ce qu'on observe dans les autres tles de la mer du Sud. FORSTER, t. II, p. 202, in-4°, 2° voy. de Cook. ? Le capitaine MÉARES ( Voy. à la côte N. O., t. II, p. 360 ) observe que, sur les îles Æreewill de Carteret, les habitants, quoique si voisins de la Nouvelle-Guinée, ressemblaient aux Sandwichiens, avaient des pirogues construites de la méme manière, et parlaient absolument le même langage. 46 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. de la civilisation Azndoue. L'organisation physique, leurs habi- tudes et leurs lois, leurs idées religieuses et la poésie qu'ils ont conservées, attestent cette origine; et, quelle que soit la diffi- culté d'expliquer la descendance de ces peuples, toujours est-il vrai qu'on ne peut soutenir une opinion contraire, sans heurter une analogie fort remarquable. Sur les iles de la Polynésie, que durent traverser les premières migrations indiennes, lorsqu'elles sirradièrent du golfe de Siam et du Cambhoge, devraient rester, toutefois, quelques indices de ce passage. C’est ici, il faut l'avouer, que cette théorie est en défaut, et que les faits nous abandonnent complétement. Peut-être, cependant, les Océaniens pourraient-ils être représentés, dans quelques-unes de ces iles, par cette belle race d'un blanc jaunatre, mentionnée par des auteurs estimables, et qu'un état permanent d'hostilité a refoulée dans l'intérieur. Cette question est sans contredit bien épineuse; et, quoique nous ne cherchions nullement à la ré- soudre, nous soumettons avec confiance le rapprochement qu'il est possible de faire de ce passage du savant docteur Leyden, concernant les Dayaks, habitants de l'intérieur de Bornéo : « Les « Dayaks ont un extérieur agréable, et sont mieux faits que les « Malais : leur physionomie est plus délicate; le nez et le front « sont plus élevés. Leurs cheveux sont longs, roides et droits. « Leurs femmes sont jolies et gracieuses. Ils ont le corps couvert « de dessins tatoués. Leurs maisons sont assez grandes pour que « plusieurs familles puissent les habiter à la fois, jusqu'à cent «personnes. Dans la construction de leurs pirogues, comme «pour fabriquer divers ustensiles, les Dayaks déploient une « grande adresse. Ils reconnaissent la suprématie de l'Ouvrier « du monde, adorent quelques espèces d'oiseaux, font des sa- « crifices d'esclaves à la mort d'un chef, conservent les tetes de «leurs ennemis, etc., etc.» En un mot, ce tableau, peint à grands traits, est entièrement applicable aux Océaniens. ZOOLOGIE. 4 L'opinion la plus probable est donc celle-ci : Des peuples indiens et navigateurs, partant du golfe de Siam; s'avancèrent succes- sivement d'iles en iles. Ils s'emparèrent des unes, et furent re- poussés des autres, qu'occupaient des hommes de race noire. C'est ainsi qu'on les voit déja, aux Hébrides et à la Nouvelle- Calédonie, se mélanger avec eux, et que, même à la Nouvelle- Zélande, où les navigateurs modernes n’indiquent que de vrais Océaniens, ceux plus anciens y trouvèrent une espèce hybride ‘. Enfin, on suit ce rameau sur les iles des Amis, Vasquez, Ker- madec, s'étendant naturellement à l'Est par les Fidjis, les îles des Navigateurs, les Roggeween, Palmerston, Scilly, Hervey, jusqu'aux iles de la Société; s'irradiant de celles-ci sur les iles basses, jusqu à l'ile de Pâques, et, poussé par les vents de Sud- Est, se trouvant transporté aux Marquises, à Christmas et aux Sandwich ?. Qu'on ne pense point que de telles navigations ne soient qu'une fiction. Le hasard et les vents, en chassant au large un grand nombre de pirogues, en ont jeté quelques-unes sur des terres où leurs tribus ont ensuite été s'établir ; et ces faits nous sont clairement démontrés par les expéditions des Caro- lins et des Océaniens, qui font annuellement des trajets de 150 à 200 lieues dans leurs grandes pirogues de mer. Ces embarca- 5 tions, d'ailleurs, sont très-propres pour des navigations loin- ! « MARION (Joy. aux Indes, par Rochon, p. 364) n’a pas été peu surpris de « trouver à la Nouvelle-Zélande trois espèces d'hommes tout-a-fait distinctes, des « blancs, des noirs et des jaunes. On suppose que les noirs tirent leur origine de la « Nouvelle-Guinée, et que ceux à peau jaune descendent des Chinois. » Marion à bien pu se tromper : cependant, il est de fait que nous y vimes deux ou trois naturels très-bruns, à chevelure laineuse et crépue. ? TURNBULL ( Joy. autour du monde, in-8°, 1807, p. 160) dit, en parlant des Sandwichiens : « Il est assez probable, néanmoins, que la plupart des îles de la «mer du Sud ont été peuplées, à diverses époques, par des émigrants chassés de léur « pays. Cela expliquerait les rapports de mœurs et de langues entre des contrées qui « ne paraissent avoir eu aucune communication. » 4è VOYAGE AUTOUR DU MONDE. taines ; et nous en avons vu qui servaient aux naturels des îlés basses pour leurs campagnes habituelles, et dont les emménage- ments étaient propres à de longues traversées sur mer sans com- muniquer. Bligh, d'ailleurs, a bien pu faire 1200 lieues dans : une chaloupe non pontée' Le rameau océanien est supérieur à ceux qui forment avec lui la population des iles de la mer du Sud, par la régularité des traits et par l’ensemble des formes corporelles. Les naturels qui lui appartiennent ont, en général, une haute stature et des saillies musculaires nettement dessinées, une tête belle et caractérisée, une physionomie mâle, sur laquelle s'épanouit ordinairement une feinte douceur, ou qui souvent décèle une férocité guerrière. Les yeux sont gros, à fleur de tête, protégés par d'épais sourcils. La couleur de la peau est d'un jaune-clair, plus foncé chez les naturels habitués à chercher sur les coraux leurs moyens de subsistance, et beaucoup plus affaibli chez les femmes. Les Océaniens ont aussi le nez épaté, les narines di- latées, la bouche grande, les lèvres grosses, les dents très- blanches et tres-belles, et les oreilles singulièrement petites. Les femmes, quoique en général trop vantées, sont, dans l’âge de puberté, remarquables par une certaine élégance dans les traits , tels que des yeux grands et ouverts, des dents du plus bel émail, une peau douce et lisse, une longue chevelure noire, qu'elles arrangent diversement , et un sein régulièrement demi- sphérique; mais, toutefois, mal faites dans l’ensemble du corps, et ayant, comme les hommes, une grande bouche, un nez épaté, une taille grosse et ramassée. La teinte de leur peau est, d'ailleurs, presque blanche. Les habitants des iles de Mendoce * Krusenstern, en parlant des insulaires des Mendoces, s'exprime ainsi : « Les femmes « ont la tête belle, plutôt arrondie qu'ovale, de grands yeux brillants, le teint fleuri, « de très-belles dents, les cheveux bouclés naturellement, et la teinte de leur peau ZOOLOGIE. 49 et de Rotouma sont, à ce qu'on rapporte, les Océamiens les mieux faits : viennent ensuite les Taïtiens, les Sandwichiens, les Tonga ; et déja la dégradation de la beauté chez les femmes est tres-sensible à la Nouvelle-Zélande, tandis, au contraire, que les hommes sont plus robustes et doués de formes plus athlé- tiques qu'aucun autre peuple de la même race. Si nous suivons chacun de ces peuples insulaires dans l'en- semble de leurs habitudes journalières, nous y remarquerons l'analogie la plus grande; et chez la plupart d'entre eux, les mêmes circonstances se reproduiront avec des nuances, légères toutefois, qu'ont amenées l'isolement et les localités ‘. Ainsi, placés dans la Zone intertropicale, les habitants des iles Mar- quises et des Sandwich ne se servent que de vêtements légers et imparfaits, ou ne portent qu'une pagne étroite ou 7nar0 ; mais ils savent, comme les Taïtiens, et de même que les in- sulaires de Rotouma et des Tonga, fabriquer avec l'écorce de l'aouté (Broussonetia papyrifera) une étoffe tres-fine, réservée le plus ordinairement aux femmes, et des toiles plus grossières, quils retirent du liber de l'arbre à pain ( artocarpus incisa )’. «est claire. Les Noukahiviens, ajoute-t-il , sont de haute taille, bien faits, robustes, « doués de belles formes, et ayant les traits du visage régulier. » ( Voy. autour du monde, de 1803 à 1806, sur la Vadiejeda et la Neva, 2 vol. in-8° et atlas.) ! Aujourd'hui, cette manière de voir semble être adoptée universellement parmi les étrangers. On lit, dans le n° 51 de la Revue de l'Amérique septentrionale, avril 1826, cette phrase positive : Zn all those particulars, which are considered as marking the broad features of the human constitution and character, the tnhabitants of Oceania exhibit a striking resemblance. Of no races or tribes of men, can it be inferred with greater certainty, that they originated from a common stock. (Journ. of a tour round Hawaii, the largest of the Sandwich islands; By a deputation from the mission of those islands, Boston, 1825, in-12.) 2 L'usage de fabriquer un papier vestimental avec des écorces d'arbres est indien; et Marco-Polo, dans son langage naïf, s'exprime ainsi, en parlant des habitants de l’île de Cipingu, et de la province de Caigui, dans l'archipel des Indes : Z/s sunt Voyage de la Coquille, — Z. Tom. 1. 7 50 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Comme les naturels des iles de la Société, ils les teignent en rouge très-brillant avec les fruits d'un figuier sauvage ( ficus ténctoria, Forst.), ou avec l'écorce du morinda citrifolia, et en jaune fugace avec le curcuma. C'est avec un maillet quadrilatère et strié sur ses quatre faces que tous ces peuples faconnent leurs étoffes, en frappant sur les écorces ramollies et invisquées avec un gluten. Dans toutes les îles que nous avons mentionnées, on retrouve les mêmes procédés de fabrication , ainsi que l’art de les enduire d’une sorte de caout-chouc pour les rendre im- perméables à la pluie. Certes, de tels rapprochements ne sont point le résultat du hasard; ils doivent dériver des arts que pra- tiquait naguère la souche de ces peuples, que nous verrons, d'ailleurs, rattachés les uns aux autres par des liens de parenté encore bien plus forts. | Les deux sexes du rameau océanien se drapent avec leurs légers vêtements de la manière la plus gracieuse, lorsque la température variable leur en impose l'obligation. Souvent les femmes jettent sur leurs épaules une large pièce d’étoffe, dont les plis ondulent sur le corps et retracent le costume antique. Les chefs seuls jouissent de la prérogative de porter le #pouta, vêtement qui présente l’analogie la plus remarquable avec le poncho des Araucanos de l'Amérique du Sud. Les Nouveaux- Zélandais, placés en dehors des tropiques, ont senti le besoin de vêtements plus appropriés aux rigueurs de leur climat : ils ont trouvé, dans les fibres soyeuses du phormium, une sub- stance propre à remplir avantageusement ce but, et leur in- dustrie s'est tournée vers la confection de nattes fines et serrées, qu'ils fabriquent avec des procédés très-simples, maïs avec une jens blances, de beles maineres, e biaus : ils sunt ydules, e se tiennent por elz, vivent de mercandise e d’ars, e si voz di quil funt dras des scorses d’ar- 3 ; q OnESE EC AOPENT 47) ZOOLOGIE. 51 grande habileté. Les manteaux dont ils s'enveloppent sont plus épais et plus chauds que les nattes, qu'ils roulent simplement autour du corps, et qui descendent jusqu'à moitié des jambes ; et parfois cet ajustement, chez les chefs, est formé de larges bandes de peau de chien , cousues ensemble, et dont le poil est en dehors. Tous les peuples de l'Océanie ont un goût à peu près égal pour la parure. Ainsi, les Taïtiens, les Sandwichiens, aiment à se couronner de fleurs ‘; et ceux des iles Marquises et Wa- shington ?, de même que les naturels de Rotouma et des Fidijis, attachent le plus grand prix aux dents des cachalots ; et cette matière, que la superstition rend si précieuse à leurs yeux, est pour eux ce que sont les diamants pour un Européen. Les Zé- landais et les habitants de l'ile de Paques remplacent les fleurs par des touffes de plumes, qu'ils placent dans leur chevelure, et passent des bätonnets peints dans les lobes des oreilles. Les Rotoumaiens, comme les insulaires des archipels de la Société et des Pomotous, quoiqu'un immense espace de mer les sé- pare, ont conservé la même coutume de se garantir des rayons du soleil avec des visières de feuilles de cocotier *. Aux Fidjis, on suit cet usage; et là aussi se fabriquent ces nattes fines qui servent de rnaros aux Taïtiens, et qu'on nomme gnatou ! Les fleurs plus particulièrement choisies par ces naturels jouissent de l'éclat le plus vif, ou laissent exhaler les plus suaves odeurs : ce sont surtout les corolles de l’hibiscus rosa sinensis, ou celles du Gardenia florida, qu'ils choisissent pour tresser des guirlandes, ou pour placer dans les lobes des oreilles’et en recevoir plus aisément l’arome. ? Le groupe des îles Washington fut découvert à la fois par le capitaine français Marchand, sur le Solide, et, en mai 1791, par le capitaine américain Ingraham, commandant le navire the Hope, de Boston. 3 Cette coiffure, nommée éschao à Rotouma, #iao à Taïti, est faconnée à l'in- stant même où un naturel veut s’en servir. Elle a quelque chose de gracieux sur la tête des jeunes gens. 52 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. aux iles des Amis. Les Océaniens ont tous le goût des frictions huileuses, dont ils s'oignent le corps et les cheveux : ceux des tropiques emploient l'huile de coco; ceux placés hors de cette limite se servent d'huile de phoque ou de poisson. Une remarque assez intéressante est relative à cette habitude des femmes des Sandwich et de Rotouma de se poudrer les cheveux avec de la chaux de corail; et on ne trouve l'usage de se barioler le corps de poudre jaune de Curcuma, ou de se couvrir la tête ou la figure de poussière d’ocre, qu'aux Fidjis, à Rotouma et à la Nou- velle-Zélande. Dans cette dernière ile, l'un de nous a vu pra- tiquer un embellissement dont on ne retrouve des traces que chez des peuplades éparses au Nord de l'Asie et de l'Amérique, et qui consiste à s'appliquer sur le visage de larges mouches noires ou bleu de ciel. Comme l'usage de ces fards semble être un apanage exclusif du rameau nègre, il est intéressant d'en indiquer l'habitude chez quelques peuples océaniens. La coutume de porter la chevelure flottante, ou coupée ras, est peu caractéristique , et a subi des modifications locales sans nombre. Les Taitiens * ont leur chevelure rasée; les Mendocins ne conservent que deux grosses touffes, nouées sur les côtés du crâne; les Zélandais, les Rotoumaïens, ainsi que la plus grande partie des Océaniens, portent cette parure naturelle, tombant en boucles ondoyantes sur le cou. Un genre d'ornement généralement pratiqué par tous les insulaires de la mer du Sud, quel que soit leur rameau, ou océa- nien ou mongol, est le tatouage. Ces dessins, que l’art grave sur la peau d'une manière indélébile, et qui la revètent et voilent en quelque sorte sa nudité, paraissent étrangers à la race nègre, qui ne les pratique que rarement, toujours d'une manière im- ! Le nom de Taïtien, pour nous, est collectif, et comprend les insulaires de Taha, Raïatea, Borabora, Eymeo, Maupity, etc., etc. 3 Qx ZOOLOGIE. parfaite et grossière, et qui les remplace par les tubercules dou- loureux et de forme conique que des incisions y font élever. Cette opération, dont le nom varie, toutefois, chez les divers insulaires des grands archipels ‘, ne peut ici nous occuper sous le rapport du sens qu'on y attache, soit pour la désignation des classes ou des rangs, soit comme ornement de fantaisie ou hié- roglyphique. Cependant, le soin et la fidélité que les divers in- sulaires apportent à reproduire ces dessins doivent nous porter à penser que des motifs qui nous sont inconnus, ou des idées dont la tradition s'est effacée, y attachaient un sens. L’analogie du tatouage, d’ailleurs, mérite que nous l'examinions chez plu- sieurs des peuplades que sépare aujourd'hui l'espace des mers. Les insulaires des Pomotous se couvrent le corps de figures tatouées ; et déja leurs voisins, les Taïtiens, en ont beaucoup moins, et surtout n'en placent jamais sur le visage, et se bornent, avec ceux de Tonga, à y dessiner quelques traits légers, tels que des cercles ou des étoiles ; mais plusieurs des naturels des Sand- wich * et la masse des peuples zélandais et mendocins * ont le visage entièrement recouvert de traits, toujours disposés d’après des principes recus et significatifs. On conçoit que leur aspect doit en acquérir un caractère de férocité remarquable, et que cet usage, né du désir d'inspirer une plus grande terreur à l’en- Es nemi, ou de blasonner des titres de gloire, s'est conservé, par ! Tatou, Taïti ; Moko, Nouvelle-Zélande ; Chache, Rotouma. Krusenstern dit des insulaires de Noukahiva : « Les principaux chefs sont tatoués de la tête aux pieds, et «surtout les grands-prêtres. Ils se tatouent le visage et les yeux.» Suivant King: « Cette coutume se retrouve aux Sandwich. Les femmes ne sont tatouées qu'aux « pieds, aux mains, aux lèvres et aux lobes des oreilles. » ? KING (5° voyage de Cook ). * KRUSENSTERN (t. 1, p. 164) observa à Noukahiva que les femmes n’avaient de tatouage que sur les pieds et les mains, comme les gants courts que nos dames portaient autrefois , dit-il. À Taïti , les femmes des classes supérieures suivent encore le même usage. 54 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. suite, comme le témoignage de la patience du guerrier à endurer la douleur qui accompagne toujours une pratique qui blesse les organes les plus sensibles de la périphérie du corps. Les femmes, à la Nouvelle-Zélande, comme aux iles Mar- quises, se font piquer de dessins à l'angle interne des sourcils et aux commissures des lèvres, et souvent sur le menton. En général, le tatouage des Océaniens se compose de cercles ou demi-cercles, opposés ou bordés de dentelures, qui se rappor- tent au cercle sans fin du monde de la mythologie indienne. Cependant, celui des naturels de Rotouma diffère assez essen- tiellement, puisque le haut du corps est recouvert de dessins délicats, de traits légers de poissons, ou autres objets, tandis que celui qui revêt l'abdomen, le dos et les cuisses, est disposé par masses confuses et épaisses. Nous retrouvons dans le paraé ; ornement singulier et em- blématique des Taïtiens, destiné anciennement aux cérémonies funèbres , la représentation de ce que portent au cou, comme un hausse-col, les prêtres des iles Marquises. Si nous suivons les insulaires de la mer du Sud dans leur vie domestique, nous verrons pratiquer les mêmes coutumes chez tous ceux qui vivent entre les tropiques. Tous préparent et font cuire leurs aliments dans des fours souterrains, à l'aide de pierres chaudes ‘; ils se servent de feuilles de végétaux pour leurs besoins divers; ils convertissent le fruit à pain, la chair du coco , le taro, en bouillies : tous boivent le kava ou l’ava, suc d'un poivrier qui les enivre et les délecte. Avant l'arrivée des : Toutes les iles hautes, peuplées seulement par le rameau océanien, possédaient, à l'exception de la Nouvelle-Zélande, s’il faut en croire Cook , le cochon de race dite de Siam. Cette circonstance en elle-même est assez caractéristique; et c’est bien gra- tuitement que quelques personnes pensent que cet animal a pu y être porté par les anciens navigateurs espagnols, qui connaissaient ces îles bien avant l’époque historique de leur découverte. ZOOLOGIE. 55 Européens dans leurs iles, ces peuples éloignaient de leurs re- pas les femmes, qu'ils regardaient comme des êtres impurs, susceptibles de souiller leurs aliments. Chacun connait, par les voyageurs, l’état de gène, le tabou, que les Océaniens s'étaient imposé : et cette prohibition que M. de Chamisso a découverte dans les lois de Moïse ne doit-elle pas provenir de la même source ?.…. Des productions différentes, un climat soumis à des rigueurs inconnues dans les iles précédentes, ont imposé aux Nouveaux-Zélandais un nouvel ordre de besoins à satisfaire et d'industrie à employer. Ainsi, on retrouve encore la cuisson, opérée le plus souvent avec des pierres chaudes. Seulement, ils ont appris à faire des provisions d'hiver pour la saison rigou- reuse , féconde en tempêtes; et ils ont panifié la racine de fou- gere, et desséché le poisson à la fumée. Dans la construction de leurs demeures, les Océaniens ont, en général , apporté les modifications nécessitées par les régions dans lesquelles ils vivent. Vastes, spacieuses, logeant plusieurs familles, sans parois closes, telles sont les maisons des insulaires des iles de la Société, de Tonga, de Mangia, des Marquises, de Rotouma : toutes sont sur un modele à peu près identique. Mais, obligés de vivre sur des iles dont les hivers sont intenses et pro- longés, que battent des vents tempétueux, les Nouveaux -Zé- landais, sans cesse en guerre de tribu à tribu, se sont retirés sur des pitons, sur des crêtes aiguës, inabordables ; ont palis- sadé leurs Aippahs, et ont construit ras de terre leurs cabanes étroites, dans lesquelles ils n’entrent qu'en rampant , et où deux ou trois personnes au plus peuvent se retirer. Ces demeures n'ont guère plus d'un mètre au-dessus du sol; et les coups de vent qui régnent fréquemment dans ces parages respectent ces singuliers ajoupas, plutôt faits pour servir de retraite à des animaux que pour être l'habitation de l’homme. Chez tous ces peuples, soit de race hindoue océanienne, ou mongole, nous 56 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. voyons des maisons communales, destinées aux assemblées pu- bliques ou aux réceptions d'apparat. Partout on remarque l'usage de traiter les affaires avec recueillement et dans la po- sition assise , et les personnes les plus élevées en dignité se cou- chant seules sur des nattes. Dans la plupart de ces iles, les ré- ceptions amicales sont pratiquées à la suite d’un long discours, et en présentant une feuille de bananier ou un rameau. Disséminés sur des iles qui fournissent une nourriture abon- dante et facile, les Océaniens de la Zone équatoriale se livrent peu à la pêche, tandis que les Zélandais lui empruntent leurs ressources pendant l'hiver : aussi, ces derniers y sont-ils habiles, et ils ont su faire, avec le phormium, d'immenses filets, abso- lument semblables à ceux qu’on fabrique en Europe sous le nom de sennes. À Taïti, aux Sandwich, et ailleurs, les cordes sont faites de faou, de fara ( pandanus ), ou de pouraou (hébrscus tiliaceus ); et nous retrouvons aux iles de la Société ce que le général Krusenstern avait remarqué à Noukahiva, l'usage de prendre le poisson en jetant sur la mer la semence soporifere du taonou { calophyllum inophyllum ). Les pirogues ont été, Jusqu'à ces derniers temps, l'objet sur lequel les insulaires déployaient toutes les ressources de leur industrie. Chez cette race, la forme universellement adoptée est caractéristique. Les pirogues simples, creusées dans un tronc d'arbre, peuvent se reproduire ailleurs ; mais il n'en est pas de méme des pirogues doubles ou accolées deux à deux, qu'on ne rencontre nulle part, chez des peuples d’une descendance étran- gère aux Océaniens *. Nous vimes à Taïti des pirogues doubles qui arrivaient des iles Pomotou : c'étaient de vrais petits navires, © Si l’on s’en rapporte à Marco - Polo, les anciennes pirogues de l'Inde étaient doubles ( pag. 181): Ælle sunt clauée en tel mainere, car toutes sunt dobles : elle ne sunt pas empecé depèce, por ce ge il n’en ont. ZOOLOGIE. 57 propres à faire de longues traversées, et capables de contenir des vivres, en proportion déterminée, pour l'équipage, qui est logé dans une banne en bois, solidement tissée et disposée sur le tillac. La coque de chacune des deux pirogues est calfatée avec soin, enduite de mastic; et de forts madriers, solidement liés, les unissent. Leur gouvernail est remarquable par un mé- canisme ingénieux, que nous ne pouvons point indiquer ici. Ces pirogues étaient anciennement, chez les Taïtiens, dé- corées de sculptures, qu'on retrouve encore aujourd'hui sur les embarcations sveltes des Nouveaux-Zélandais. Ces reliefs, débris des arts traditionnels que ces peuples ont conservés, et dont le fini étonne lorsqu'on examine l'imperfection des in- struments qu'ils employaient, sont toujours identiques par leurs représentations. Îls les négligent depuis que les Européens leur ont porté le fer : les idées nouvelles qu'ils ont reçues feront bientôt disparaitre les traces de ces ingénieux travaux, qui s'ef- faceront avec le sens mythologique qu'on y attachait, et que remplace déja, chez plusieurs, une imitation plus ou moins grossière de nos arts et de nos procédés. Les pirogues doubles sont usitées à Taïti, et dans les archipels voisins, aux Sandwich, aux iles Marquises, et jusqu'à Rotouma. Nous ne les avons pas vues à la Nouvelle-Zélande ; mais la nature des baïes nécessite des embarcations plus maniables. On nous assura, cependant, et quelques navigateurs, Cook notamment (p. 283, 1° voyage), affirment que ces insulaires s'en sont parfois servis. Toutes les pirogues zélandaises ont leur avant surmonté d'une tête hi- deuse, tirant la langue, ce qui est chez eux le signe de guerre et de gloire ; et l'arrière est terminé par une pièce sculptée, haute de quatre pieds, présentant un dieu et des cercles sans fin, dont la signification est entièrement symbolique. Adonnés à la guerre, comme toutes les tribus dont les droits se trouvent renfermés dans la force, la ruse, ou la trahison, Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 8 58 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. ces peuples ont fabriqué diverses armes, et n’ont jamais manqué de les embellir par des reliefs sculptés avec soin. Mais on re- marque que l'are et la flèche n'étaient usités que chez très-peu d'Océaniens ". Les armes principales, et presque partout iden- tiques dans les diverses iles, sont les longues javelines en bois dur, les casse-tête sous diverses formes, les haches en basalte ou en serpentine, et les frondes. Les instruments d'utilité domestique sont également analogues, et consistent partout en petits ta- hourets, en vases de bois sculptés, en molettes de basalte pour broyer le kava, en nattes tressées en paille, etc., etc. Nous ne pouvons, cependant, nous dispenser de rappeler un objet fort remarquable, qu'on ne voit que chez les Sandwichiens. Il s’agit ici des casques, surmontés d'un cimier, ingénieuse- ment fabriqués en paille, et dont la forme est exactement cal- quée sur les casques grecs ou romains. D'où ces insulaires ont-ils eu la connaissance de ce genre d'ornement? L'ont-ils apporté de l'Inde, après qu'Alexandre leur eut montré cette coiffure guerrière ? Il serait difficile de répondre à cette question; mais il est de fait que les autres Océaniens en ignorent l'usage. Si nous fouillons dans les débris des arts qui subsistent encore chez les divers peuples répandus dans la mer du Sud, nous y distinguerons sans doute quelques disparates; mais nous y re- trouverons aussi bien des points d'analogie. En effet, si on exa- mine attentivement leurs habitudes, leurs lois, leurs mœurs, leurs arts, leur musique, leur grammaire, leur poésie, et même jusqu'à l'ensemble de leurs idées religieuses, on sera frappé de 1 Chez les Taitiens, par exemple, qui se servaient de flèches et de lances, de casse- tête, et de frondes en corde de coco pour lancer les pierres. Aux Marquises, une tête d'homme est sculptée sur le casse-tête. Il en est de même à la Nouvelle-Zélande. Seulement, il paraît que les habitants des îles des Amis avaient recu l'usage des flèches des îles Fidjis, qui elles-mêmes l'avaient emprunté aux peuples noirs qui y émigrèrent. Voy. Vabillardière, t. T1, p. 108. ZOOLOGIE. 59 l'analogie qui existe entre ces familles d'un même rameau , iso- lées sur des terres semées à de si grandes distances les unes des autres. L'identité des divers peuples de l'Océanie entre eux, si on en excepte les habitants des terres du prolongement d'Asie et de la bande des iles Carolines et Mulgraves, sera reconnue jusqu'à l'évidence ; nous l’espérons du moins : mais il n’en sera peut-être pas tout-à-fait de même pour leur descendance directe du continent de l'Inde. Ici, trop de ténèbres couvrent les usages primitifs de ces peuples dans les temps reculés, pour ne des rapports exacts avec les usages des peuplades actuelles, qui sont restées stationnaires dans leurs idées, bornées dans leurs ressources, et dont l'industrie n’a point été au-delà de quelques besoins et de quelques circonstances usuelles de la vie. Toute- fois, de nouveaux points de contact se présentent encore; et, soit à la Nouvelle-Zélande, soit aux Tonga, des vestiges remar- quables et caractéristiques d'idées hindoues, qu'on ne peut ré- cuser, semblent jeter quelque jour sur cette question obscure. Tous les Océaniens reconnaissent l'autorité de chefs dont les distinctions honorifiques et la puissance se ressemblent dans beaucoup d’iles, ou sont plus restreintes dans quelques autres. L'hérédité du pouvoir, dans quelques familles privilégiées, qui est encore observée religieusement pas les classes inférieures, dénote, cependant, bien une source indienne, ou, du moins, prouve que ces peuples, en sisolant de la souche commune, emportèrent et conservèrent avec eux les idées dominantes de leur patrie; qu'habitués à vénérer la caste des brames, leurs prêtres ou artkrs ‘ héritèrent de la considération dont ont tou- jours joui, chez ces peuples, les ministres de la divinité; qu'en- fin, ils respectèrent plusieurs des traditions, en modifièrent quelques autres, mais, dans toutes, et quoiqu'elles nous soient ! Soit qu'on les nomme erë, Marquises; ariki, Taïti, Nouvelle - Zélande, Ro- touma ; egt, iles Tonga. 8. Go VOYAGE AUTOUR DU MONDE. mal connues, leur conservèrent, pour nous, une physiono- mie commune. Cook, Vancouver, Bougainville, Wallis, Furn- bull , donnent la mesure du respect dont on entoure les chefs aux iles de la Société, des Amis et des Sandwich. Ils possèdent les terres et les fruits, ont des vassaux, qu’ils nourrissent et qui composent leur cour; tandis que les toutous, derniers débris d'une caste de parias, sont regardés comme d'ignobles servi- teurs, ainsi que les esclaves pris à la guerre. Les femmes, quoique considérées comme des êtres d'un ordre inférieur, n'en jouissent pas moins de beaucoup de liberté; et bien qu'il leur soit défendu de manger en présence des hommes, dans la plupart des iles, toujours est-il vrai qu'elles succèdent parfois à leurs maris, et que les enfants héritent d’une considération d'autant plus grande, que le rang ou la noblesse du côté de la mère est plus pure et plus ancienne. Telles sont les opinions des Taïtiens, des Tonga , aussi bien que des Nouveaux-Zélandais. Une coutume indienne, singulièrement remarquable, nous prouve la force des traditions, et nous fournit un document du plus grand poids. Les exemples de veuves qui se brülent sur le bücher de leurs époux, pour ne point leur survivre, se re- produisent aux iles des Amis et aux Fidjis; et ici, nous ne pou- vons nous dispenser, pour éclairer ceux qui douteraient d'un si grand rapprochement, de citer le texte même de l’auteur qui rapporte ce fait, et qui est d'autant plus croyable, que long- temps il séjourna dans les iles Tonga. Ainsi s'exprime Mariner (t. IT, pag. 278 ) : « La cérémonie des obsèques du toïitonga : se «nomme /angt : ses veuves viennent pleurer près de lui; et, ? Le toitonga est le grand-prêtre des iles des Amis. Aux îles Marquises, les fu- nérailles étaient également célébrées par la mort de trois victimes ( KRUSEN- STERN, Joy. 1804). Le sacrifice des veuves s'exécute surtout religieusement aux Fidjis ( MARIN ., t. II, pag. 349 ). ZOOLOGIE. 61 «suivant l'ancienne coutume, celle qui tient le principal rang «parmi elles doit être étranglée. Son corps est ensuite enterré «avec celui de son époux, et souvent des enfants sont massacrés «Sur sa tombe. » Ce dernier usage se retrouve aussi bien aux Tonga, aux Fidjis, qu'aux iles de Rotouma et de la Société ; et à la Nouvelle-Zélande, les mânes des chefs sont honorés par des holo- caustes sanglants, et par la mort de sept ou huit esclaves, ou méme plus, immolés sur leurs tombeaux. L'histoire ancienne nous représente souvent les funérailles de ses héros célébrées par le trépas des prisonniers de guerre; et ce n'est pas sans quelque étonnement que de telles coutumes nous sont offertes aujourd'hui par des peuples dans un état de demi-civilisation, et qui les ont conservées, à travers un laps considérable de temps, par la simple tradition orale. Déja, l'identité des Océaniens avec les Indiens, leurs an- cêtres, a été reconnue d'abord par Forster, puis par un auteur français, peu connu, qui s'exprime ainsi : « Les naturels des iles «de la Société et des Amis, etc., par le respect et les attentions «qu'ils conservent pour les corps des morts, pendant un assez «long espace de temps, peuvent avoir recu, dans l'origine, cet «usage qui se rapproche beaucoup de ceux des Égyptiens ; car «il est fort probable qu'ils sont originaires de la partie méridio- « nale de l'Inde, où la doctrine de la métempsycose était établie, « depuis un temps immémorial, bien avant que Pythagore en «eut puisé la doctrine dans les conversations qu'il eut avec les «anciens bracmanes » ( Æist. des peuples sauvages ). Les divers rites religieux des Océaniens ont long-temps été un sujet de doutes et d'erreurs pour ceux qui cherchaient à les approfondir. Ce qu'on en savait était si vague, que, jusqu'à ce jour, il n'était pas possible d'en présenter une idée bien nette; et nous sommes certainement loin encore de connaitre la filiation de leur croyance : il est même probable que les fréquentes communi- 62 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. cations qu'ils ont actuellement avec les Européens leur feront perdre bientôt la tradition de la plupart de leurs opinions et des sources d’où elles découlent. Aussi nous ne chercherons point à entrer dans de grands détails à ce sujet. Les Nouveaux-Zélandais sont les insulaires qui ont le mieux conservé les traces de l'antique religion du législateur indien Menou, qui consacra les trois principes de Brahma, de Chiven et de #ichenou. Les sculptures qui ornent les pirogues des chefs principaux ou les palissades de l'Aëppah, représentent presque toujours ces trois principes, entourés de cercles nom- breux et sans fin, image sans doute du grand serpent Calen- gam, qui voulut dévorer le monde et dont Wichenou délivra la terre. La figure du centre de ces ornements offre constamment le Zngam, attribut qui se reproduit sur d’autres reliefs, et même sur des vases. Le fétiche de Jade, qui se porte au cou, repré- sente évidemment une figure indienne, et peut-être Chiven ou le génie du mal. Enfin, des poésies anciennes, dont le sens mé- taphorique n'est plus compris par les habitants d'aujourd'hui, semblent renfermer quelques-unes des premières idées mys- tiques, sabéennes et bracmanes de leurs ancêtres, que la tradition n'a pu sauver de l'oubli. Les Zélandais, comme tous les Océaniens, quelles que soient les variations qu'a éprou- vées leur théogonie, reconnaissent une trinité. [ls nomment Atoua, Akoua, leurs dieux, et pensent que les ames des justes sont les bons génies, Eatouas, et que les méchants ne devien- nent point meilleurs dans un autre monde, et que, sous l’attribut de 7%, ils sont investis du pouvoir de pousser l'homme au mal. Malgré des nuances légères, ne retrouvons-nous pas cet en- semble de faits dans ce que l’on sait du culte des autres peu- plades ? Et soit que Æaroa, brisant la coquille qui le tenait em- prisonné, s'en servit pour jeter les bases de la grande terre ( fenoa nu ), ou l'ile de Taïti, et en composer, avec les parcelles ZOOLOGIE. 63 qui se détachèrent, les autres iles qui l'entourent; soit que 7an- galoa (Mariner, t. [l, p. 168) tira le monde (les iles de Tonga) de la mer, en péchant à la ligne , partout, chez les Océaniens, nous voyons établis une identité de croyance frappante, la divi- nisation des ames, l'adoration de plusieurs sortes d'animaux et de certaines plantes, la puissance intellectuelle des prêtres, et les augures, les sacrifices humains, les Marais, les idoles”, et l'an- thropophagie, qui naquit de leurs préjugés religieux, mais qui s'est effacée de plusieurs îles abondantes en substances alimen- taires, et qui s'est conservée intacte sur celles où la rigueur du climat et la pauvreté du sol ont fait sentir le besoin d'une nour- riture substantielle ‘. ! Les Dayaks adorent Deouata, l'Ouvrier du monde, et les mânes de leurs an- cêtres : ils vénèrent aussi certains oiseaux, et pratiquent les augures; ce que font les Océaniens ( voyez Mémoire sur les idées religieuses des Taïtiens, par LESSON ; Ann. marit. et colon., 2° partie, p.209, 1829 ). La religion des Zélandais de la partie Nord est assez connue, ainsi que leurs diverses cérémonies. Il n’en est pas de même pour ceux de la partie Sud, qui n’ont jamais été visités que très-passagèrement , et par des marins le plus souvent peu instruits. Voici quelques renseignements que nous nous procurâmes du capitaine £dwardson. On pourra juger comment les mêmes idées sont plus ou moins travesties par ceux qui les professent ou plutôt par ceux qui les recueillent. « Les Nouveaux-Zélandais méridionaux croient qu'un être suprême a créé toutes « choses , excepté ce qui est l'ouvrage de leur propre industrie. Cet être est clément, «et se nomme Maaouha. Is reconnaissent un bon esprit, appelé Voui-Atou, au- «quel ils adressent des prières, la nuit et le jour, pour qu’il les préserve de tout ac- «cident. Rowfkoula, l'esprit, aussi nommé Æatoua, gouverne le monde, pendant le « jour seulement, depuis le lever jusqu'au coucher du soleil. L'esprit nocturne est « Rockiola, la cause de la mort, des maladies et des accidents qui viennent fondre sur « les hommes pendant le temps de sa puissance. Enfin, ils ont encore l’histoire fabu- « leuse d’un homme et d’une femme qui habitaient la lune. » Or, la plupart de ces idées, nous les retrouvons chez les habitants des îles de la Société. 2? Les idoles se ressemblent toutes, quant à la forme générale, depuis l’île de Pâques jusqu'aux îles Sandwich, Mendoce, et de la Société, etc. Consult. les Voy. de Li- sianskoï, de Langsdorf, de Krusenstern, de la Pérouse, etc. $ L’anthropophagie est d’origine indienne. Marco-Polo ( p. 186 ) décrit ainsi les 64 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Les iles de la Société avaient leur paradis, où se rendaient les ames heureuses des tavanas, que le dieu, esprit ailé, em- portait et purifiait : celles des rnataboles des îles des Amis ha- bitaient le délicieux séjour de Bolotou, d'où étaient bannies les ames du vulgaire, qui mourait en entier. Les Nouveaux-Zélan- dais ont la ferme croyance qu'après la mort, les esprits de leurs pères planent sur l’hippah qui leur donna le jour, et se rendent à l'Élysée, qu'ils nomment 4ta-Mira, en plongeant dans la mer, au lieu nommé Reinga, vers le cap Nord. Ces ames, au contraire, errent autour du Pouke-Tapou, ou montagne sacrée, et sont éternellement malheureuses, lorsque Les corps qui les renfermaient ont été mangés sur le champ de carnage, que leurs têtes sont restées au pouvoir des ennemis, et que les cadavres sont ainsi privés de l'oudoupa, ou sépulture de leurs pères. A ces principes d'une religion corrompue, mais dont l'ensemble ne nous est malheureusement que peu connu, à ces restes d’un fanatisme barbare, sont liées des idées de sabéisme ; et, dans leur croyance, ils placent au ciel quelques-uns de leurs organes, qu'ils transforment en météores célestes. Arracher les yeux d'un ennemi ’, boire son sang, dévorer ses chairs palpitantes, c'est coutumes de plusieurs des peuples qu'il visita : « Lorsqu'ils prennent un homme qui «n’est point de leurs amis, et qui ne peut se racheter, ils le tuent, et le font servir « à tous leurs parents, comme un régal, et ceste chars d’ome, ont-ils por la meilor «viande quil pensent avotr. » Or, c’est ce que pratiquent encore les Nouveaux- Zélandais , et, à ce qu'assurent plusieurs navigateurs d’un grand mérite, l'amiral de Krusenstern entre autres, ce qu’on remarque chez les habitants des îles Mendoce, des Fidjis, de Salomon, des Navigateurs, de la Nouvelle-Calédonie, et ce que prati- quaient naguère les Sandwichiens. 1 TURNBULL rapporte ( pag. 341) qu'à Taïti « lorsque le corps d’un homme, «choisi pour servir de victime expiatoire , est déposé sur le Moraï, on lui enlève les « yeux pour les présenter au Roi sur une feuille d'arbre à pain. Celui-ci ouvre la «bouche comme pour avaler ce qu’on lui offre, et il est supposé en acquérir plus «de force et d’adresse. » M. Marsden, dans son Voy. à la Nouvelle-Zélande, observa la même coutume; et c’est ainsi que le fameux chef Shongé avait arraché et dévoré ZOOLOGTE. 65 hériter de son courage, de sa valeur, commander à son dieu, et, enfin, accroître ainsi la puissance que chaque guerrier am- bitionne. Tels sont les fondements du droit de la guerre chez les insulaires des Marquises ( Xrusenstern), des Fidjis (à Navihi- Levou, Mariner, t. 1, p.335 ), et des Tonga ( Mar, t. I, p. 3338). Il serait trop long de rechercher les rapports d'analogie qui existent sur les devoirs à rendre aux morts, comme type carac- téristique des Océaniens. Leurs prêtres, leurs sacrifices, leurs cérémonies funèbres, leurs tombeaux, les arbres de deuil, an- noncent une croyance commune. La poésie méme de ces peuples, semblable à leur langue, qui ne varie que par l'introduction fréquente de mots nouveaux; leur poésie, unie à une musique dans l'enfance, mais composée de mesures lentes, de sons graves, attestent une civilisation régulière et une méditation bien en- tendue du but primitif et religieux de ces deux arts. Leur langue, bien que simple en apparence, est riche en tournures orientales; et les règles de leur grammaire, générale- ment analogues, d'après celles que nous connaissons :, diffèrent singulièrement du malais pur, dont le génie est opposé *. Tous les yeux de plusieurs de ses ennemis , dans la ferme persuasion qu’il se les appropriait, et que le nombre des étoiles qui lui étaient consacrées au ciel s’augmentait ainsi de celles des chefs qu'il avait vaincus; car, suivant la croyance de ces peuples, chaque œil, après la mort, est une étoile qui brille au firmament. ‘ A Grammar and Vocabulary of the language of New-Zealand, x vol. in-12, 230 pages, 1820. Grammaire des iles Tonga, à la fin du tome IT de la relation de Mariner, par Martin, édit. orig., 2 vol. im-8°. Tahiian Grammar, publiée à Taïti, en 1823, par les missionnaires. 2 Nous avions écrit ceci bien avant d’avoir connu l'opinion des missionnaires amé- ricains qui sont fixés dans plusieurs des îles océaniennes, et qui disent : /t has been a theory, in which geographers and philologists have universally concurred,, that the Malayan and Polynesian languages were from the same stock, or rather that the latter was only a branch of the former. The investigations of the missio- Voyage de la Coquille. — Z.: Tom. 1. 9 66 _ VOYAGE AUTOUR DU MONDE. ceux qui lisent attentivement les Voyageurs, et qui mettent de côté les variantes que chacun d'eux, suivant sa langue mater- nelle, apporte dans la manière d'écrire les mots, ou de rendre des sons par des lettres, reconnaissent qu'une identité palpable de langage règne entre tous ces insulaires épars et semés sur le Grand-Océan, dans les limites que nous assignons aux Océa- niens. Îls savent qu'un Taiïtien peut être entendu aux îles Mar- quises , ceux-ci aux Sandwich, et un naturel de ces dernières îles à la Nouvelle-Zélande. Cependant, on concoit qu'une terre placée hors des tropiques, et, par conséquent, n’offrant pas les mêmes productions, a du nécessiter de nouveaux termes pour les pein- dre, ou pour les exprimer. Ne sait-on pas, d'ailleurs, qu'une sorte de dialecte, conservée par la classe supérieure, et consacrée aux traditions anciennes, permet aux artkis de se comprendre entre eux, tandis que le vul- gaire en ignore les règles, que les prètres et les chefs trans- mettent intactes à leurs enfants? Il serait facile de donner de longues preuves de ceci, pour compléter nos idées; mais nous les croyons superflues : et d’ailleurs, les relations journalières des Européens avec ces peuples en altèrent singulièrement la langue vulgaire ; et, déja corrompue, celle-ci, dans quelques années, présentera sans doute un grand nombre de nos déno- minations introduites dans les iles, où l'influence des voyageurs d'Europe est permanente. Dans toutes ces contrées, on retrouve les noms communs de faro, pain; tané, homme; wahine, ou naries have shown this theory to have no foundation in fact, and that few lar- guages are more diverse in their radical principles. La langue océanienne ( les auteurs anglais la nomment polynésienne), composée d’un si grand nombre de voyelles, qu'il est rare que chaque mot ne soit pas terminé par une d'elles, leur paraît être neuve, curieuse et spéciale : ils adoptent l'existence de cinq dialectes, qui sont le hawaien, le taitien, le marquisin, le nouveau-zélandais et le tongatabou ( the North American Review, avril 1820 ). ZOGDOCHE 0. | 67 fafiné, femme; motou, ile; mataou, hamecon; mate, mort, tuer (mot d'origine hébraïque), et tant d'autres, qu'il serait aussi fastidieux qu'inutile de rappeler ici. Pourquoi cette identité de noms et de coutumes se retrouve- t-elle de la Nouvelle-Zélande aux iles Sandwich ? des Marquises à Rotouma ? tandis que les insulaires de cette longue bande de terres presque noyées, connues sous la dénomination vague d'iles Carolines, parlent un autre langage, ont des mœurs dif- férentes, un type autre ? C'est que les Océaniens, émigrés à une époque plus ancienne des rivages de l'Inde, habitèrent les pre- mières terres hautes de l'Océanie; et que les Carolins, venus plus tard et rameau isolé de la grande famille mongole, n'ont pris possession, en partant des mers de Chine, que des iles plus récentes sur l'Océan, qui les confinait au Sud-Est. 3. DES GAROLINS ( iameau Mongol-Pelagien ). Si les faits abondent pour caractériser le rameau océanien, il n'en est pas de même pour isoler et décrire celui que nous nommons mongol-pelagien , qui, jusqu'à ce Jour, avait été con- fondu avec le premier. Les Carolins, cependant, diffèrent des Océaniens par l’ensemble de leur organisation et de leurs ha- bitudes ; et des rapports généraux servent à réunir les divers groupes de cette famille, qui s'est avancée de l'Est à l'Ouest jusqu'au 172: degré de longitude orientale et jusqu'à l'équateur, sans dépasser ces deux limites dans le Grand-Océan. A en juger par les figures et par les descriptions des voyageurs, on doit penser que ce rameau peuplait primitivement les iles Philip- pines, Mindanao, les Mariannes; qu'il s'est répandu de quel- ques-unes des terres hautes des Carolines sur les longues chaines d'iles basses qui les entourent, et qu'il s'arrêta aux archipels de Radack, de Mulgrave et de Gilbert, ou iles du Scarborough. (9E 68 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Déja, dans un parallèle des insulaires d'Oualan * avec ceux des iles Pelew, si bien décrits par Wilson ?, nous avons indiqué Fana- logie parfaite qui existe entre ces deux peuples, séparés par une distance de plus de 500 lieues ; et nous savons par les récits du savant de Chamisso *, et surtout par ceux de son ami Kadu , que ces peuples, navigateurs par excellence, se trouvent souvent transportés par les moussons des archipels de Lamursek, par exemple, jusqu'à Radack. Comme nous avons suivi avec notre corvette ces nombreuses bandelettes de terres découpées et à fleur d'eau, en communiquant journellement avec leurs habi- tants, il nous a été facile de les comparer avec les autres insu- laires de l'Océanie proprement dite. Ne doit-on pas être étonné que ces naturels aient été confondus, jusqu'à ce jour, avec les Océaniens, dont les éloigne une foule de caractères ? Aussi, en attribuant leur origine à la race mongole, nous obéissions à notre conviction intime, lorsque des recherches subséquentes nous prouvèrent que cette idée n'était point neuve, et que déja le Père Charles le Gobien ‘ l'avait formellement exprimée dans le passage que nous citons textuellement ( p. 45 et suiv.) : « On «ne sait en quel temps ces iles ( es Mariannes) ont été habitées, «mi de quel pays ces peuples tirent leur origine. Comme ils ont «à peu près les mêmes inclinations que les Japonais et les mêmes «idées de la noblesse, qui y est aussi fière et aussi hautaine, « quelques-uns ont cru que ces insulaires venaient du Japon, ! Notice sur Oualan, par R.-P. LESSON ( Journal des voyages, cahiers de mai et juin 1825.) ? An account of the Pelew islands, by GrorGr KEATE, Lond., 1803. + Remarks and opinions of the naturalist of the expedition (von CHAMISSO ). Tomes II et III (2 Joy. of discov., by von KOTZEBUE ). Histoire des isles Marianes , nouvellement converties à la religion chrétienne, ete., par le Père CHARLES LE GOBIEN , de la Compagnie de Jésus; 2° édit., in-12, Paris, 17017. ZOOLOGIE. 69 «qui n'est éloigné de ces iles que de six à sept journées. Les «autres se persuadent qu'ils sont sortis des Philippines et des «iles voisines, parce que la couleur de leurs visages, leur langue, «leurs coutumes, et leur manière de gouvernement, a beaucoup «de rapport à celui des 7agales, qui étaient les habitants des « Philippines, avant que les Espagnols s'en fussent rendus les «maitges. [l y a bien de l'apparence qu'ils tirent leur origine et «des uns et des autres, et que ces îles se sont peuplées par quel- «ques naufrages des Japonais et des Tagales, qui y auront été «jetés par la tempête. » Le même missionnaire, en parlant des Carolins qui aborderent à Guam en 1696, ajoute ( pag. 404) qu'ils approchaient, par la ressemblance, des habitants des Phi- lippines , mais que leur langage était différent. Nous ne pouvons nous dissimuler, cependant, la difficulté qu'il y a de grouper les habitants des diverses chaines, depuis les iles Pelew jusqu'aux Mulgraves, par le peu de renseignements qu'on a sur ces iles. Les seuls guides qu'on puisse consulter pour cet objet sont Wilson, pour les iles de Palaos; de Chamisso, pour les Carolines, et surtout pour la chaine de Radack; nos propres observations sur Oualan, et celles des premiers mission- naires sur l'ensemble de ces archipels ". Quoique l'histoire de ces peuplades ait été un peu éclaircie dans ces derniers temps, ce que nous savons de leurs idées religieuses, de leurs coutumes fondamentales et du génie de leur langue, est encore si vague, 5 qu'il serait au moins prématuré d'essayer d'en tracer un tableau définitif. Il paraitrait, suivant le récit du Père Cantova, que des hommes de diverses races, surtout des nègres, auraient, de son temps, ! La relation historique du capitaine de Freycinet, dont les premières parties viennent d'être publiées, renfermera aussi de nombreux documents, qui nous au- raient été fort utiles, mais qui n’ont point encore vu le jour. 70 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. existé parmi les Carolins. Aussi M. de Chamisso ( Joy. de Kot- zebue, t. LL, p. 190) pense que des Papous des contrées placées au Sud ont abordé sur ces iles, s'y sont mélangés, et que des Européens, tels que Martin-Lopez et ses compagnons, ont bien pu les fréquenter souvent dans le cours de leur navigation. Enfin, ce savant ajoute : La race de ces insulatres est la méme que celle qui peuple toutes les iles du Grand-Ocean ; manaère de voir en opposition directe avec l'opinion que nous cherchons à faire prévaloir dans cet apercu, mais qui nous démontre, d'un autre côté, qu'il ne voyait, parmi les habitants de toutes les Carolines, aucune différence, et qu'il trouvait dans la généralité de leurs habitudes physiques et morales la plus grande ana- logie. On peut reconnaitre, dans la manière dont les iles Carolines ont été peuplées, deux migrations qui ont eu lieu à des temps divers et séparés. D'abord, les terres hautes recurent des co- lonies qui ne s’étendirent que successivement et plus tard sur les terres basses. Ces colonies sont certainement venues des côtes du Japon ou des archipels chinois ; car les vents y poussent fré- quemment des navigateurs de ces mers : et dès 1648, pendant le séjour des premiers missionnaires espagnols à Guam, un Chinois, nommé Choco, s'y fixa, après y avoir été jeté par un naufrage. Les moussons régulières d’ailleurs, et les typhons des mers placées à l'Occident, enlèvent souvent des insulaires des archipels de l'Ouest , et les transportent sur les côtes des iles qui sont placées à l'extrémité orientale du système entier de ces terres. De la nécessité de vivre sur des iles basses et comme noyées, 1l résulte que les habitudes des Carolins ont été en- üèrement dirigées vers la navigation : aussi ces peuples y sont:ls habiles, et c'est avec le plus grand art qu'ils manœuvrent leurs pros élégants et légers ; qu'ils se dirigent à l’aide des astres et de la boussole. Mais, quoique leurs connaissances pratiques soient ZOOLOGIE. 71 très-étendues, beaucoup de ces insulaires, surpris par les oura- gans qui règnent à certaine époque de l’année, périssent dans leurs voyages, ou voguent au hasard, jusqu'à ce que leurs pro- visions soient épuisées, ou qu'ils trouvent un refuge sur quel- ques plateaux de récifs, que déja la végétation a envahis, et dont ils deviennent alors les premiers colons. En longeant les chaînes nombreuses des iles Carolines jus- qu'aux archipels de Marshall, nous n'apercümes que de légères nuances dans la physionomie générale et les habitudes des insu- laires de chaque groupe d’iles, qui, comparés les uns aux autres, présentaient tous les rapports les plus évidents. Lorsque, dans notre traversée de la Nouvelle-Zélande à l'équateur, nous eumes laissé derrière nous, et par conséquent au Sud, l'ile de Rotouma, où nous observames les derniers Océaniens, nous remontâmes au Nord, en suivant une ligne oblique sous les 74° et 72° mé- ridiens. Après avoir atteint les iles du Grand-Cocal et Saint- Augustin, nous ne cessimes plus ensuite d’avoir en vue les chaines d'iles basses et à peine élevées au-dessus de la mer, de Gilbert, de Marshall, de Mulgrave. Chaque jour, nous commu- niquàämes avec les naturels qui les habitent, et dont la pauvreté nous attesta le peu de ressources de ces récifs, et combien l'in- dustrie des habitants devait suppléer aux privations diverses qui tourmentenñt leur existence. Le 15 mai 1524, des pirogues que montaient des naturels de l'ile de Xingsmill, vue en 1799 par le Nautilus, vinrent com- muniquer avec la corvette la Coquille. Ces hommes étaient d'une taille assez élevée, quoique ayant des membres grêèles; la couleur de leur peau était d'un jaune cuivré, assez foncé, et différait, par cette teinte, du jaune-clair des Carolins de l'Ouest. Leurs pirogues étaient faites sur le même modèle que les pros; mais le manque de bois de certaine dimension avait nui à leur exécution. Ces insulaires portaient un poncho, fabriqué avec 72 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. des nattes, et nous avons retrouvé cet ajustement chez les Chi- liens indigènes et chez les Araucanos d'Amérique, comme chez tous les Carolins indistinctement; sa forme caractéristique se reproduit dans le #pouta, ou vêtement des chefs des Océa- niens. Les jours suivants, nous communiquâmes avec les iles de Blaney, Dundas, Hopper, Woodle, Hall, Mulgrave, Bonham, etc. Leurs habitants nous présentèrent la plus grande ressemblance; mais tous paraissaient plongés dans un état de misère que nous ne vimes point chez les Carolins orientaux. Leur corps, couvert de cicatrices, attestait des hostilités fréquentes. Ils parlaient avec une telle volubilité, que nous ne pumes saisir aucun mot de leur langue ; mais, du reste, nous retrouvames, dans la forme de leurs pirogues et dans leur tactique pour les évoluer, dans les instruments qu'ils nous montrèrent, les mêmes principes et la plus grande analogie. Plusieurs de ces insulaires étaient coiffés avec des chapeaux de forme chinoise, faits avec des feuilles de vaquois, et tous portaient des ornements divers, fabriqués le plus ordinairement avec des tests de coquilles. À mesure que nous nous avançames à l'Ouest, il nous sembla que la teinte foncée de la peau diminuait d'intensité, et qu'elle affectait une couleur jaune plus pure : ce qui pourrait tenir à ce que les uns sont sans cesse occupés sur les récifs des lagons à la pêche, qui les fait vivre, et que les autres habitent des iles basses sur les- quelles s'élèvent des forêts nourricières de cocotiers, qui les ombragent. Nous continuâmes à longer l'ensemble des iles que peuple le rameau mongol-pélagien, ou les Carolins; et nous pumes ainsi compléter nos idées sur les points de contact de tous ces insulaires, et puiser des documents dans nos commu- nications journalières avec les naturels de Pénélap, de Taka, d'Aouera, de Doublon ou Hogoulous, de Tamatam, et de Sa- taoëlle. Voici le résultat de ce que nous avons vu et ce que ZOOLOGIE. 75 rapportent , à ce sujet, les voyageurs et les premiers Européens qui s'établirent aux Mariannes. Nous ne pourrions reconnaitre les anciens habitants des iles Mariannes dans ceux d'aujourd'hui, dont le sang est mêlé au sang espagnol. À plus forte raison, il nous serait fort difficile d'établir l’'analogie qui peut exister entre eux et les Carolins, maintenant que des principes divers dus aux Européens, et une nouvelle religion, ont changé leur physionomie originelle. Nous sommes donc forcés de recourir aux auteurs qui les premiers les ont décrits, lorsque leurs iles furent découvertes. Mais, il faut l'avouer, les lumières que-nous en tirons sont un peu vagues; et les religieux qui traçaient l'histoire de ces peuples préféraient s'étendre sur le nombre de leurs néophytes que sur leurs usages et leur physionomie. Cependant, le Père Le Gobien dit, p. 46, en parlant des Mariannais : « Ces insulaires sont basanés, mais «leur teint est d’un brun plus clair que celui des habitants des «Philippines. Ils sont plus forts et plus robustes que les Euro- «péens. Leur taille est haute, et leur corps est bien propor- «tionné. Quoiqu'ils se nourrissent de fruits et de poissons, ils «ont tant d'embonpoint, qu'ils en paraissent enflés : ce qui ne «les empêche pas d'être souples et agiles. Ils vont nus. Les « hommes se rasent la chevelure, et ne conservent, sur le haut «de la tête, qu'une mèche, à la manière des Japonais. Leur «langue a les plus grands rapports avec la tagale des Philip- «pines. Ils ont des histoires et une poésie, qu'ils aiment beau- «coup. Il y a trois états parmi ce peuple : la noblesse, le peuple, «et une condition médiocre. La noblesse est d’une fierté in- «croyable; elle tient le peuple dans un abaissement extrême. «Les Chamorris, c'est ainsi qu'on les nomme, ne veulent pas «souffrir de mésalliance d’un membre de leur ordre avec quel- «qu'un d'une autre classe. Les canots dont ils se servent pour «pêcher et pour aller d'une ile à l'autre, sont d'une légèreté Voyage de la Coquille. —Z. Tome I. 10 74 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. «surprenante, et la propreté de ces petits vaisseaux ne déplairait «pas en Europe. Ils les calfatent avec une espèce de bitume et de «la chaux, qu'ils détrempent dans de l'huile de coco, etc., etc.» Cette esquisse rapide est entièrement celle que nous pour- rions tracer des naturels de Oualan, placé au milieu des Caro- lines, où nous avons séjourné ; et la plupart des observations puisées dans cette ile coïncident d’une manière étonnante avec celles que nous possédons sur les Carolins occidentaux ou les habitants de Pelew, d'après Wilson. M. de Chamisso, à ce sujet, s'exprime ainsi : « Le peuple des Mariannes, suivant le Frère «Juan de la Concepcion, ressemble aux Bisayas aussi bien par «la physionomie que par le langage, et n'en diffère que par «des nuances diverses. » En parlant des peuples qui habitent ce que ce savant voyageur a désigné par sa première province, M. de Chamisso nous fournit une excellente peinture du groupe entier des Carolines; et nous ne concevons pas comment il se fait qu'il ait pu, au milieu des traits de rapport et d’'analogie qu'il reconnait dans cette famille, ne pas distinguer combien elle s'éloigne des insulaires de l'Océanie proprement dite. « Nous « pensons, disait-il, que ses dialectes sont moins simples que «ceux de la Polynésie orientale; et nous trouvons dans leurs «habitants un ensemble de nations, qui sont diversement liées « par les mêmes arts et par les mêmes manières, par une grande «habileté dans la navigation et dans le commerce. Ils forment « des populations paisibles et douces, n'adorant aucune idole, «vivant sans posséder d'animaux domestiques, des bienfaits de «la terre, et seulement offrant à d'invisibles dieux les prémices «des fruits dont ils se nourrissent. Ils construisent les pirogues «les plus ingénieuses, et font des voyages lointains à l'aide de «leurs grandes connaissances des moussons , des courants et des «étoiles. Mais, malgré les rapports frappants de ces diverses «tribus, elles parlent plusieurs langues. » Ce premier examen ZOOLOGIE. 75 nous démontre donc une ressemblance incontestable de ces in- sulaires entre eux ; il ne nous reste plus qu'à en résumer les caractères généraux. La physionomie des Carolins, qui composent notre rameau mongo-lpélagien, estagréable ; la taille des individus est commur- nément moyenne; leurs formes sont bien faites et arrondies, mais petites: quelques chefs seuls nous ont paru d'une stature élevée. Leur chevelureesttrès-noire, la barbe ordinairement gréleetrare, quoique, cependant, divers naturels nous l’aient montrée épaisse, rude et touffue. Le front est étroit, les yeux sont manifestement obliques, et les dents très-belles; ils ont une certaine gravité dans le caractère, au milieu même de la gaité des jeunes gens. Leur peau jaune-citron est plus brune lorsqu'ils vivent sur les récifs non boisés, et beaucoup plus claire chez les chefs. Les femmes sont assez blanches, ont des formes potelées, et géné- ralement grasses; le visage est élargi transversalement, le nez un peu épaté, Leur taille est courte, et les filles nubiles l'ont souvent très-bien faite. De méme que tous les insulaires qui vivent sur les terres placées entre les tropiques, les Mongols-Pélagiens ne portent pour tout vêtement qu'une étroite bande d'étoffe, qui leur ceint le corps; ou, parfois ils jettent sur les épaules deux morceaux de nattes tissées, cousues aux deux bouts, mais non au milieu où ils passent la tête : ce qui constitue le véritable poncho des Araucanos; et nous dirons en passant, d’ailleurs, que d’autres traits de ressemblance ont même fait présumer à quelques au- teurs que les peuples du Chili, dont nous parlons, dérivaient. de la même source. On sait, du reste, que plusieurs savants s'accordent à dire que des Mongols ont également peuplé une grande portion de l'Amérique’. Quoi qu'il en soit, une autre ‘ Il faut avouer que, parmi toutes les opinions émises sur les migrations des Mon- 10. 76 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. partie de leur ajustement, dont on ne suspectera pas l'origine, est le chapeau, de forme entièrement chinoise, fait de feuille de pandanus, dont ces insulaires se servent pour se garantir de la pluie ou de l'action du soleil : nous le remarquâmes par- ticulièrement chez les habitants de l'ile de Sataoëlle (Tucker de Wilson), d'Hogoulous ou Doublon, d'Aouerra, etc.; et à Oualan , un chapeau chinois, fait de coquilles enfilées, artiste- ment travaillé, sert à distinguer les pirogues des chefs. Cepen- dant, nous retrouvames aussi cette forme de chapeau chez les Papous de la Nouvelle-Guinée; et ceux-ci ont du la recevoir des marchands chinois, qui étaient dans l'habitude de trafiquer sur ces côtes, il n’y a pas encore un demi-siècle. Nous regardons comme une industrie essentiellement propre à ce rameau la confection des étoffes. Tous les Océaniens em- ploient, pour leur fabrication, des écorces battues et amincies sous forme de papier; les Carolins, au contraire, se servent d’un petit métier, seul débris des arts de leurs pères, pour as- sembler les fils et composer une toile par un procédé et par des instruments parfaitement analogues à ceux dont se servent les Européens. On ne peut, en voyant ces tissus formés de fils soyeux de bananier, teints en jaune, en noir, ou en rouge, en- gols en Amérique, plusieurs sont appuyées par des observations si judicieuses, qu’on ne peut se refuser à admettre un tel rapprochement. Par exemple, M. Auguste de Saint-Hilaire, dans l'aperçu qu'il a donné de son voyage dans l’intérieur du Brésil (Ann. du Muséum, t. IX, 1823), fait cette remarque : « Les Botocudos, souvent «presque blanes , ressemblent plus encore à la race mongole que les autres Indiens. « Quand le jeune homme de cette nation qui m’a accompagné vit des Chinois à Rio- « Janeïro, il les appela ses oncles; et le chant de ce dernier peuple n’est réellement «que celui des Botocudos extrêmement radouci. » On trouve aussi une grande si- militude dans les coutumes ; et c’est ainsi que les Botocudos, comme les Carolins, se percent les oreilles et la lèvre inférieure, pour y placer des bâtonnets, dont ils aug- mentent, chaque jour, le diamètre , de manière à donner à ces parties une extrême dilatation, etc., etc. ZOOLOGIE. 77 trelacés sur un métier élégant, ornés de dessins qui annoncent du goût, que faire remonter la source d'un art ainsi perfec- üuonné à une race plus anciennement civilisée, et depuis long- temps établie en corps de nation. Pourquoi, d’ailleurs, les Ca- rolins n'ont-ils jamais eu recours à l'écorce de l'arbre à pain, si commun sur la plupart de leurs iles, et quils n'avaient qu'à battre avec un maillet pour la convertir en étoffe ? Cela tient à ce qu'ils ont retenu par [a tradition les principes d’un art très- perfectionné dans leur patrie primitive, et que leur industrie a su en conserver l'usage, pour confectionner les seuls ajuste- ments réclamés par le climat qu'ils habitent. Le tatouage, diversement nommé suivant les iles, nous parait aussi particulier à ces peuples, et, quoique nous n'y attachions pas une grande importance , nous le trouvons, cependant, par- tout à peu près identique, par sa distribution générale, c'est-à- dire, qu'il est placé par larges masses sur le corps, et que, chez divers insulaires, il couvre le tronc en entier, en formant ainsi une sorte de vêtement indélébile, mais arbitraire par les détails. Le genre de vie des Carolins, chez ceux dont les habitudes sont bien connues, diffère peu de celui des Océaniens. Ce sont les mêmes productions qui servent aux mêmes usages; et, sur les iles les plus fertiles, le fruit à pain à châtaignes ( a. incrsa, var. à semences ), le cocotier, le taro et la pèche en font tous les frais. Seulement, ceux qui vivent sur les iles basses, où leurs moyens d'existence sont très-restreints, sont obligés de recourir parfois aux fruits demi-ligneux du pandanus. Partout existe la méthode de cuire les aliments dans des fours souterrains, de composer des bouillies avec les bananes, la pulpe du rima et le coco. Enfin, nous retrouvâmes à Oualan l'usage de boire de l’ava après le repas ; mais cette boisson, nommée schraka, * Les Chiliens et les Péruviens ont conservé l'usage de composer des breuvages 78 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. au lieu d’être faite avec les racines du poivrier, comme chez les Océaniens, est obtenue des feuilles, qu'on broie avec une mo- lette en pierre dans des vases en bois. Il paraît que les fibres qu'ils retirent d'un Musa, analogue au Musa textilis des Philippines, qui fournit l'abaca, étaient obtenues des Mariannais, de la même espèce de banamier, sous le nom de balibago, et que tous faisaient des étoffes, et s'en servaient. Les habitants de Pelew et les Mariannais étaient nus, d'après M. de Chamisso : et le Père Gobien; mais ils savaient également confectionner ces étoffes, puisqu'on lit dans son His- toire des Mariannes ( pag. 58) cette phrase remarquable : « Les « femmes mariannaises ajoutent à toutes ces parures de certains «tissus de racines d'arbres, dont elles s’habillent les jours de « fête : ce qui les défigure fort. » Les ornements que ces divers insulaires recherchent, quoique variables de leur nature, sont assez caractéristiques pour ces peuples. Ainsi, tous présentent un goût décidé pour entrelacer des fleurs rouges d’ixora dans les cheveux, ou des feuilles odo- rantes, et des spadices d’arum dans les oreilles : ces parties ont toujours le lobe fendu d'une manière démesurée ; et depuis les iles de Palaos jusqu à la chaine de Radack, on observe la coutume presque générale de placer dans cet organe, graduellement, des morceaux arrondis d'un bois léger, peint en jaune avec le curcuma, et dont on augmente sans cesse le diamètre. Mais cette mode, ainsi que celle de se couvrir d'habitude la lèvre enivrants avec le schinus molle et le maïs, qu'ils appellent #ava et schicka : c'est ainsi que nous les avons toujours entendu nommer. Or, quelle singulière analogie dans l’usage de ces liqueurs et dans leur nom! ‘ A piece of banana stuff, worn almost like the maro of Owhyee and Otaheite, is the usual dress, and only at Pelli the men are entirely naked, as was also formerly the case in the Mariana islands. ( Chamisso’s Obs., t. LI, p. 191, de lédit. angl.) ZOOLOGIE. 79 inférieure avec une valve de coquille, se représente avec la plus grande similitude sur les iles du Nord de l'Océan-Pacifique , et même sur la côte N.-O., là où le rameau mongol est reconnu par tous les voyageurs. Il en est de même des chapelets de pe- ütes coquilles dont ils se serrent le ventre, et des ornements de testacés dont ils se font des colliers. Certains Carolins se ser- vent de bracelets faits avec des portions de coquilles ou d'os polis et imitant l'ivoire. Ce dernier usage est essentiellement propre aux peuples de race noire, qui habitent la terre des Pa- pous, la Nouvelle-Irlande et les Hébrides; et nous avons déja dit que le Père Cantova indiquait une fusion de quelques insu- laires nègres au milieu de plusieurs iles Carolines. La maniere dont les Carolins construisent leurs maisons dif- fère notablement de celle des Océaniens. C'est un système d'ar- chitecture qui tient à d’autres idées ; et le soin qui préside à leur arrangement , les peintures diverses qui les ornent, leur forme singulière, mais remarquablement appropriée au climat, mé- riteraient des détails descriptifs complets, si cela ne nous était pas interdit dans le cadre étroit que nous avons du nous tracer. Tous ces peuples ont de grandes maisons communales pour traiter des affaires en public, ou pour préparer leurs repas. La construction des pirogues des Carolins est depuis long- temps célèbre ; elle ne ressemble en rien à celle des Océaniens. Ici, on ne peut se dispenser de reconnaître des insulaires essen- tiellement navigateurs, observateurs exacts du cours des astres, possédant une sorte de boussole, instrument que l’on sait exister depuis long-temps en Chine et au Japon, quoique les habitants de ce pays soient loin d'être aujourd'hui d'habiles marins. Si tous les Carolins évoluent avec facilité leurs pros gracieux, si leur construction montre un talent d'exécution bien supérieur à l'imperfection des instruments qu'ils possèdent, on est, ce- pendant, étonné de voir quelques-uns d’entre eux, tels que les 80 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Oualanais , ignorer l'art de les manœuvrer, et ne pas con- naître l'usage des voiles et des mâts. Mais, à part cette excep- tion remarquable, les pirogues, toujours à un seul balancier, sont faites avec ce soin, ce fini, qui rendent leurs formes aussi gracieuses que leur coupe est svelte. Elles sont peintes en rouge, frottées avec quelques substances qui leur donnent laspect d'un ouvrage vernissé; et, par cela déja, on peut remonter aisé- ment à la source d'un art qui est encore poussé au plus haut degré de perfection chez les Mongols des mers de Chine. La marche des pros des Carolins est remarquable, quoiqu'elle soit loin de légitimer ce qu'en ont dit quelques navigateurs, et sur- tout Anson : elle est de cinq à six nœuds au plus. Mais avec quelle adresse on fait changer indistinctement à ces pirogues l'avant en arrière, par un simple renversement de la voile! et ces fragiles embarcations conservent toutes un genre de con- struction qui ne varie point dans aucune ile, et que nous eûmes occasion de voir sur la plupart de ces longues chaines d’ar- chipels. Cependant, à mesure qu'on avance dans l'Est, la pénu- rie des matériaux se fait remarquer ; et déja les pros sont moins soignés, et se ressentent du manque de bois, dont ces iles à fleur d'eau sont privées. Toutefois, le même esprit a présidé à leur forme générale ; et tels s'offrirent à nous ceux des archipels Gil- bert et Mulgrave. Les pros des Mariannais ne différaient point de ceux que nous décrivons ici; et ce n'est qu'après la sanglante conquête de leurs iles par les Espagnols, qu'ils négligèrent leur architecture maritime ‘. Mais tel est le gout du rameau mongol- pélagien pour la navigation, que, si chez les Océaniens un chef est renommé par son courage ou par son habileté comme ! On a long-temps adopté sans examen l’idée ridicule que les missionnaires avaient émise, que les Mariannais ne connaissaient point le feu, et qu'ils le prenaient pour un animal qui mordait ceux qui l’approchaient de trop près. ZOOLOGIE. 8r guerrier, chez les Carolins, il n’a de réputation qu'autant qu'il est le plus habile pilote, et qu'il connait le mieux le cours des astres, les phases des saisons et les vents régnants. Enfin, peu d'insulaires font de plus longs trajets, dans de frêles pirogues, que ceux qui nous occupent. Leurs voyages annuels à #aghal (Guam), pour y chercher du loulou (fer), n'en fourniraient encore qu'une preuve secondaire, si M. de Chamisso, en tracant les aventures du Carolin Xadu, ne nous en donnait un témoi- gnage devenu historique. En remontant à des considérations plus élevées, nous trouvons chez ce peuple, comme chez les Océaniens, une noblesse héréditaire, des classes moyennes, et des serfs avilis. Fière de ces prérogatives, la classe privilégiée, soit quelle se nomme Urosse, Tamole, Rupack, etc., Uent dans une soumission servile le peuple qu'elle regarde comme façonné pour lui obéir : elle possède seule les terres, et même les individus; et, quoique n'ayant aucune marque distinctive, elle jouit d'une autorité d'autant plus forte, que la basse classe se croit seulement faite pour obéir à ses volontés. Leur croyance religieuse, peu connue, semble n'avoir de culte pour aucun objet extérieur ‘. Point de cabane servant de temple, point d'idoles!Que de traits propres à isoler ces peuples! Mais, de même que les Océaniens, ils possèdent le dogme con- solant d'une autre vie; et si les premiers placent les dépouilles de leurs proches sur les rnorais, les Carolins, en général, leur élévent des abris de chaume au milieu des bois ou des planta- tions de cannes à sucre. Ce n'est pas sans étonnement qu'on ne voit, chez ces peuples, nulle trace extérieure de lidolàtrie, qui règne chez tous les autres rameaux épars dans les mers du Sud. ‘ « Au reste, les Mariannais ne reconnaissent aucune divinité; et avant qu'on leur « eût prêché l'Évangile , ils n'avaient pas la moindre idée de religion ; ils étaient sans « temples, sans autels, etc. » (Le Gobien, p. 64.) Foyage de la Coquille. — Z. Tom. I. ju 82 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Adonnés à la guerre, parce que l'homme y est naturellement porté, les Carolins ont aussi conservé ou su faire un grand nombre d'instruments de destruction. Cependant, nous ne les trouvons point en possession de l'arc et des flèches, réservés à la race nègre, ni du casse-tête, ni des longues javelines, plus particulièrement usitées chez les Océaniens. Des frondes, des pierres, des bâtons pointus et garnis d'os et d’épines de poissons, des haches de coquilles, voilà les armes les plus habituelles, et sénéralement. 5 Les Carolins ne suivent point l'usage infame des Océaniens celles dont ils se servent plus de prostituer leurs filles, ou les esclaves enlevées à leurs fa- milles. Jaloux de leurs épouses, ils paraissent scrupuleux de conserver intacte la fidélité conjugale, et redoutent le commerce de leurs femmes avec les étrangers. La polygamie semble étre exclusivement réservée aux chefs. Quant à leur caractère, il parait enjoué et bienveillant. Leur abord est plein de douceur : mais cette race tient de ses pères l’art de dissimuler avec adresse; et tel est le tableau que Le Gobien en traça en 17017 : « Ces in- «sulaires en usèrent d'abord avec droiture et bonne foi; mais «bientôt les Espagnols s'apercurent qu'ils avaient affaire à une «nation fourbe et artificieuse, contre laquelle il fallait toujours «ètre en garde pour ne pas être trompé. Ils conservent profon- «dément dans leur cœur le souvenir des injures qu'ils ont re- « çues ; et ils sont tellement maitres de leurs sentiments, qu'ils «attendent plusieurs années l'instant de la vengeance. » Ici, nous n'adopterons point sans examen le caractère que leur donne un Père trompé par son zèle sans doute, et qui n'apprécie point assez ce que ce peuple infortuné avait à endurer d’une nation européenne, qui en opérait la conversion au christia- nisme avec le fer et le feu. Les Carolins, avec lesquels nous eûmes de fréquentes communications, montrèrent constamment de la bonne foi dans leurs échanges, de la franchise dans leurs ma- ZOOLOGIE. 83 mères, de la gaité, et un certain abandon qui indiquerait de la droiture, à moins que cela ne fût produit par l'appareil d'une force imposante, qui les porta à n’avoir avec nous que des rela- tions franchement amicales. La musique des Mongols-Pélagiens, comme celle de tous les peuples dans l'enfance d’une demi-civilisation, est grave, peu mélodieuse, parfois mélée de notes entrecoupées et lentes. Elle est destinée le plus souvent à servir d'accompagnement à leur danse, qui est caractéristique, et qui diffère beaucoup de celle des vrais Océaniens. L'instrument dont ils se servent est le tam-tam, qu'on trouve généralement répandu chez la plupart des peuples orientaux et africains, de races nègre et jaune. Cette poésie, qu'on retrouve chez tous les Carolins, dont les idées sont de- meurées stationnaires, ne prouve-t-elle point que, découlant d'une source antique, et quoique brute et sauvage, elle peut encore réveiller dans leur ame des émotions agréables et des souvenirs historiques? que chez ces hommes, isolés dans un cercle étroit, elle suffit pour embellir les longues journées, qui s'écouleraient, sans elle, dans une complète inertie? La langue de ces peuples semble varier à l’infini, et presque dans chaque ile. Cependant, malgré la différence de l'ortho- graphe usitée par les collecteurs divers des mots employés par ces insulaires , on reconnait le même génie, et, comme le dit fort bien M. de Chamisso, des sortes de règles plus compliquees que chez les vrais Oceaniens. À notre avis, les langues, lors- qu'elles se rapprochent évidemment, peuvent offrir de bons caractères, lorsqu'ils s'adaptent surtout à l'ensemble de ceux qu'on peut ürer des habitudes et de la conformation; mais on ne peut jamais y attacher une valeur absolue. Où en serait-on, en effet, s'il fallait grouper divers peuples de la France, en écrivant des noms tels qu'on les entendrait prononcer? et à quelle race rapporterait-on alors les habitants de telle ou telle II. 84 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. province ? Cependant, quelques rapprochements existent dans la langue des Carolins. Cà et là on retrouve les jalons de com- munications. Ainsi, la numération décimale est seule usitée, et, quoique les noms de nombre varient, le système arithmétique est le même. À Oualan comme à l'ile d'Hogoulous, les déno- minations numériques sont très-arbitraires, et doivent tenir ou à des migrations diverses, ou à des dialectes corrompus, que nous ignorons. Ainsi, le mot un, chez ces peuples, se dit scha à Oualan ( Nob. ), duon à Radack ( Chamisso), eoth à Ulea, rep à Eap, hatjijai en chamorien, sa à Pénélap (Nob.), yote à Dou- blon ou Hogoulous ( Nob. ), tong aux Pelew ( Wilson), wsa ( Bi- saya ), isa ( Pampango , Chamisso ), ysa (Tagale ), etc. Le mot cing offre beaucoup plus d'analogie, et il présente la plus grande ressemblance dans presque toutes les langues de la mer du Sud, quels que soient les peuples qui l'emploient ; il se dit, comme en malais, #ma, lime. D'un autre côté, le mot tamole, pour dé- signer un chef, est généralement usité dans les Carolines. Il en est de même du mot ##, poisson, qui semble dériver du malais than, etc. Nous terminerons ce tableau par une seule réflexion. Les peuples du rameau mongol-pélagien n'avaient point le cochon ni le chien sur leurs iles, avant l’arrivée des Européens; et MM. Quoy et Gaimard nous apprennent que ce dernier est lui- mème étranger aux iles Mariannes, comme l'indique son nom de galagou, qui veut dire, animal venu par la mer. 4. DES PAPOUAS OÙ PAPOUS . Sous le nom de Papous, on connait, en France, des peuples dont la couleur noire varie en intensité, et dont la chevelure 1 Mémoire lu à la Société d'Hist. nat. de Paris, dans la séance du 23 juin 1826. Les peuples dont la peau est noirâtre, et la chevelure tantôt lisse , tantôt laineuse, ZOOLOGIE. 85 n'est point lisse de sa nature, mais n'est pas laineuse non plus. Ces hommes, qu'on sait habiter le littoral des îles de Waigiou', de Sallawaty, de Gammen et de Battenta, et toute la partie Nord de la Nouvelle-Guinée, depuis la pointe Sabelo jusqu'au cap de Dory, ont été parfaitement décrits par MM. Quoy et Gaimard ?, qui les premiers ont démontré qu'ils constituaient une espèce hybride, provenant, sans aucun doute, des Papouas et des Ma- lais, qui se sont établis sur ces terres, et qui y forment à peu près la masse de la population. Ces Négro-Malaïs ont emprunté à ces deux races les habitudes qui les distinguent; et c'est ainsi que plusieurs ont embrassé le mahométisme, et que d’autres ont conservé des Papouas le fétichisme et la manière de vivre. Un grand nombre des mots de la langue de cette variété hu- maine sont tirés du malais, et notamment celui de Radjah, qui sert à désigner les chefs. Ces insulaires forment donc une sorte de peuple métis *, placé naturellement sur les frontières des îles et qui vivent sur les grandes terres montagneuses, situées entre l’Asie et la Nou- velle-Hollande, ont été, jusqu’à ce jour, fort peu étudiés. Il est même difficile de se former une idée exacte des dénominations qui leur ont été appliquées. Aussi, dans cet essai, nous présenterons seulement un résumé très-succinct des observations que nous avons pu recueillir, pendant le séjour de la Corvette la Coquille au milieu de ces archipels. On doit, d’ailleurs , espérer que l'expédition de l’Astrolabe, qui explore actuellement ce système d'îles, jettera la plus vive lumière sur ce sujet ,en rassemblant les faits nécessaires pour fixer irrévocablement l’opinion des savants sur une ma- tière qui intéresse si particulièrement l’histoire de l’homme. 1 Le nom de Waigiou est écrit différemment par les Français et par les, Anglais. Nous avons toujours entendu les naturels appeler Ouaighiou la partie Nord de l'ile, et Ouarido la partie Sud. 2 Observations sur la constitution physique des Papous ( Zoo. du Foy. de l’U- ranie, P.1 & II). $ La relation de JACOB LE MAIRE (Miroir Oost et West Indical, Amst., 16217, in-4° oblong, p. 164) prouve que déja ces Papous hybrides n'avaient point échappé aux observations des premiers navigateurs. Il y est dit : V’indrentaussiquelques Negrez qui nous amenerent vivres. Ils avoyent aussi une monstre de porcelaine chinese ; 86 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. malaises et des terres des Papouas, et sur le littoral d'un petit nombre d'iles, agglomérées sous l'équateur, et au milieu des- quelles s’introduisent sans interruption des Malais de Tidor et de Ternate, et des Papouas de la Nouvelle-Guinée, et mème quelques Alfourous des montagnes de l’intérieur. Presque toujours l’au- torité, peu influente d’ailleurs, se trouve reposer dans les mains des Malais, qui exploitent encore le commerce par échanges, et surtout la vente des esclaves pris à la guerre. La masse de ces Papous hybrides présente des hommes d'une constitution grèle et peu vigoureuse. La teinte de leur peau est très-claire ; mais le plus souvent elle est recouverte de cette lèpre furfu- racée, si abondamment répandue sur les peuples de race noire de la mer du Sud. Leurs traits ont une certaine délicatesse ; leur taille est le plus ordinairement petite; l'abdomen est très-pro- éminent, et leur caractère est timide. Tout en eux indique la funeste influence de leur genre de vie et de leur habitation. Nous ne nous étendrons pas davantage sur ces peuplades que visitèrent d'Entrecasteaux, de Rossel, Labillardière, de Frey- cinet, Quoy et Gaimard, et qu'il nous suffisait de distinguer des peuples à cheveux crépus (crispä tortilique com4 des Latins ), auxquels nous conservons le nom indigène de Papoua ', usité à la Nouvelle-Guinée, où ils sont répandus sur les côtes, de même que sur les grandes iles faisant partie de ce qu'on nomme terre des Papous. Enfin, nous retrouverons les Papouas peuplant les c'estoit une autre sorte de gens que les precedens (ceux de la Nouvelle-Guinée), de couleur plus jaulne; quelques-uns portoyent des cheveux longs, d’autres courts, et usoyent aussi d’arcxs et flesches, etc. En 1699, Dampier ( ’oy. aux Terres Australes et à la Nouvelle - Hollande, t. IV, pag. 67, 1714) décrivit également ces Papous hybrides, et les détails qu'il en donne portent le cachet de son exactitude ordinaire. © Du mot indigène pua-pua, qui veut dire brun-foncé. ( Marchal, Hist. de Java, \ pag. 4.) ZOOLOGIE. 87 iles jusqu’à ce jour peu connues de la Louisiade, de la Nouvelle- Bretagne, de la Nouvelle-Irlande, de Bouka, de Santa-Crux : et de Salomon ?, etc. grande ressemblance avec les Nègres Cafro-Madécasses ?; et cette ana- logie se retrouve encore dans plusieurs de leurs habitudes et de Les Papouas qui doivent nous occuper ont la plus leurs traditions, de même que dans leur constitution physique. Ils paraissent provenir d'une migration postérieure à celle des Océaniens, migration qui s'est arrêtée sur le contour des chaines de la Polynésie, n’a envahi que le littoral de la Nouvelle-Guinée, et s'est répandue sur les iles de la Nouvelle-Bretagne, de la Nou- velle-Irlande, de Bouka, de Bougainville, de l'Amirauté, de Sa- lomon , de Santa-Crux, de la Tierra austral del Espiritu Santo, et de la Nouvelle-Calédonie “. Les habitants de la Nouvelle- Guinée se désignent par le nom de Papouas, en réservant la dénomination d'Endaménes aux Nègres à cheveux droits et rudes de l'intérieur : ils n'ont point passé le détroit de Torrès; tandis que les Endamènes où Alfourous (Nègres australiens) pa- raissent s'être répartis très-anciennement, en peuplades misé- rables, éparses et peu nombreuses, sur le sol maigre et stérile de la Nouvelle-Hollande. On ne peut, par suite, concevoir la 1 Les naturels de l’île de Santa -Crux sont noirs comme les Nègres d’Afrique. Tous ont les cheveux laineux, et les teignent de différentes couleurs, ete. Second Voy. de Mendana. ( Fleurieu, Découv. des Français, p. 26.) ? Les peuples qui habitent ces terres sont, en général, de l’espèce des Nègres : ils ont les cheveux laineux et noirs, le nez épaté et de grosses lèvres , etc., etc. ( Sur- ville, Découv. des Français, p. 95. ) 3 Ce rapprochement avait déja été fait il y a un siècle; il a été combattu par M. Crawfurd, dont les raisonnements, en cette circonstance, ne sont appuyés sur aucun renseignement positif. “ Les naturels des îles Tatee paraissent être de la même race que les Papous. Ils ont la tête laineuse, la peau d’un noir de jais, et tous les traits des Nègres d’A- frique. ( Meares, Voy., t. I, p. 357.) 83 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. maniere dont la terre de Diémen a été peuplée, qu'en adoptant l'idée que les Nègres à chevelure laineuse s'y sont introduits par le groupe des Hébrides et de la Nouvelle-Calédonie. Ainsi donc, la portion centrale de la Nouvelle-Guinée est habitée par des Nègres Alfourous, qui en sont les aborigènes, et que les Papouas du havre de Doréry nomment Endaménes. Ces peuplades sont toujours en guerre les unes avec les autres, et n'ont point d'autres communications que celles qu'amène un état perpétuel d'hostilités. Les Nègres, au contraire, qui sont établis sur les côtes, se distinguent entre eux par la dénomina- tion d_Arfakis ou demontagnards, et de Papouas ou de riverains. Ces derniers vivent, par tribus éparses et isolées, dans un état continuel de défiance et d'inquiétude. Leurs villages, placés sur l'eau et sur des pieux, se composent d'un petit nombre de ca- banes, gouvernées par l'autorité de chefs âgés. Leur taille est assez communément médiocre, quoiqu'on observe parmi eux de fort beaux hommes. Leurs membres sont ordinairement pro- portionnés avec régularité, et souvent leurs formes sont ro- bustes et athlétiques. La couleur de leur peau est d'un noir mélé d'un huitième de jaune ; ce qui lui donne une teinte assez claire, dont l'intensité varie. Leur chevelure est noire, très-épaisse, médiocrement laineuse : ils ont l'habitude de la porter ébou- riffée d’une manière fort remarquable, ou de la laisser retomber sur le cou en mèches longues et très-flexueuses. Le visage est assez régulier dans l'ensemble des traits, quoique le nez soit un peu épaté, et que les narines soient élargies transversalement. Le menton est petit et bien fait; les pommettes sont assez sail- lantes, le front est élevé, les sourcils sont épais et longs. La barbe est rare; mais quelques naturels la conservent au-dessus de la lèvre supérieure et au-dessous du menton, à limitation de plusieurs peuples africains. La physionomie des Papouas ré- fléchit aisément les sensations qui les animent et qui naissent ZOOLOGIE. 80 de la défiance, du soupcon et de toutes les passions les plus haï- neuses : et l’on observe, chez presque tous les peuples de race noirâtre, une prédominance marquée des facultés purement in- stnctives : sur celles de l'intelligence. Les femmes, qui partout l'emportent sur l'homme par la délicatesse de l'organisation, sont communément laides. Cependant, nous vimes à la Nou- velle-Guinée quelques filles nubiles très-bien faites, et dont les traits réguliers et doux étaient remarquables. Faconné pour la servitude et l'obéissance, ce sexe chez les Papouas, comme chez certains Nègres d'Afrique, doit vaquer aux travaux les plus rudes que dédaigne de partager un maitre inflexible et despote. Ainsi, les Papouas se sont propagés sur les iles de Bouka, de Bougainville, de la Nouvelle-Bretagne et de la Nouvelle-Irlande. Si l'on en juge par les descriptions des voyageurs les plus exacts, ils se seraient également établis sur les iles de Santa-Crux et des Arsacides, des Hébrides ? et de la Nouvelle-Calédonie ; ils au- raient envoyé des colonies sur les iles des Navigateurs et des Fidjis *, et y auraient donné naissance à la variété hybride ou negTo-oceantenne qu'on y connait, ! Plus les hommes sont loin de l’état de civilisation, plus leur intelligence instinc- tive est développée : les sens sont plus parfaits que chez l'Européen. Aussi le Papoua a-t-il la vue perçante, et l’ouie très-fine. Mais comme son unique occupation est de satisfaire son appétit vorace, que cette fonction absorbe toutes les autres facultés, ou qu’elles ne sont développées que dans ce seul but, il a reçu des muscles masseter et temporaux d’une grande force. C’est ainsi que nous remarquäâmes, sur plusieurs cränes, des crêtes nombreuses hérissant toute la partie antérieure de la fosse tempo- rale pour donner aux fibres du crotaphyte des points d'attache plus puissants. ? Consultez les excellents détails fournis par Forster sur les naturels de l’île de Mallicolo, qui semblent constituer une variété. ( 2° Voy. de Cook, t. TITI, p. 59, et Ge VE eee) * Suivant M. Mariner (t. 1, pag. 346), les habitants des Fidjis ont les cheveux crépus et de la nature de la laine. Ils les poudrent avec des cendres, et les frisent avec le plus grand soin, de manière qu'ils ressemblent à une immense perruque. 1ls portent des bracelets d’écorce et de coquilles autour des bras, et sont presque nus. T'oyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 12 90 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Les naturels de Bouka, avec lesquels nous communiquämes, avaient une taille moyenne. Ils présentaient absolument tous les caractères et toutes les habitudes des Papouas, et portaient comme eux leur chevelure demi-faineuse, longue et ébouriffée. Les habitants de Port-Praslin à la Nouvelle-Irlande, ceux de l'ile d'York dans le canal Saint-George, ne différaient point de ceux-ci : seulement, il y avait parmi eux un plus grand nombre d'hommes grands et robustes. Mais plusieurs individus, dans le nombre, étaient remarquables par la teinte peu foncée de leur peau ; ce qui les rapprochait de la couleur jaune faiblement bronzée des Océaniens. La figure des vieillards de ces diverses peuplades était géné- ralement calme, sereine et impassible. Cependant, nous obser- vames des changements assez brusques dans le jeu de leur physionomie. À la fausseté, aux regards perfides des uns, étaient opposés la défiance et les soupcons des autres, la bonhomie ou la confiance d'un petit nombre. Ces peuples ne hérissent pot leur chevelure comme certains Papouas; car cette mode-n'est suivie que par quelques tribus. Si nous examinons, enfin, la conformation physique des ha- bitants de la grande ile de Madagascar, connus sous le nom de Madécasses proprement dits‘, nous trouverons, au milieu des trois ou quatre variétés humaines qui habitent cette grande ile, Plus loin , il ajoute, après avoir séjourné au milieu d’eux (t. IT, p. 135 ) : Les na- turels de ces îles paraissent être une race fort inférieure à celle de Tonga, et ap- procher davantage de la conformation des Nègres. La langue est dure, et emploie plus souvent la consonne 7. C’est au point que, malgré que les îles Fidjis soient très- voisines des îles de Tonga, le langage diffère bien plus entre ces deux archipels que celui de Tonga, par exemple, avec les Sandwich, qui en sont séparées par une di- stance neuf fois plus considérable. 1 Consultez F/acourt, Hist. de Madagascar, 1 vol. in-4°; et Rochon, Voy. à Ma- dagascar, 1 vol. in-8°, p. 15. ZOOLOGIE. g1 des N ègres dont les membres sont proportionnés avec régula- gueur. Ces Madécasses ont une taille bien prise, et, parmi eux, on observe un très-grand nombre rité, et souvent dessinés avec vi de beaux hommes. Leur chevelure, médiocrement laineuse, est nouée sur l'occiput par gros flocons; la peau est de couleur brune, mélée de jaune; le nez est légèrement épaté, la bouche grande; en un mot, l'ensemble de leurs traits, qui est régulier, servirait en grande partie à tracer le portrait d'un Papoua de Doréry, de Birare ( Nouvelle-Bretagne de Dambpier), de la Nou- velle-[rlande ou de Bouka :. Il nous reste à généraliser les habi- tudes de cette grande famille. Les Papouas vont nus. Jamais nous ne vimes les habitants des iles Bouka,de la Nouvelle-Bretagne et de Port-Praslin cacher, par le moindre voile, les organes sexuels. Les naturels de Do- réry, ainsi que les Papous hybrides, sont les seuls qui fassent exception à cette coutume; et, bien qu'ils ne sachent point faire de tissus, ni convertir les écorces d'arbres en étoffes, ils em- ploient comme ceinture des sortes de toiles naturelles et gros- sières, qu'ils retirent des enveloppes florales du cocotier ou des gaines membraneuses des feuilles du bananier. Les tribus qui vivent sur les côtes de la partie Nord de la Nouvelle-Guinée, ayant, chaque jour, des communications avec les Malais, et sur- tout avec les Guébéens , en recoivent en échange d'oiseaux de paradis, d'écaille de tortue, ou par la vente des esclaves, des toiles de coton teintes en bleu ou en rouge, et qui sont destinées aux femmes. Ils ont aussi adopté l'usage de chapeaux larges et pointus, faits à la chinoise avec des feuilles de pandanus, cousues ! «Parmi les habitants de la Louisiade qui vinrent en pirogue le long de nos na- « vires , et dont la chevelure était laineuse et la peau olivâtre, j’en remarquai un aussi «noir que les Nègres de Mozambique, avec lesquels je lui trouvai beaucoup de rap- «port.» ( Labillardière, Voy., t. IL, p. 276, in-4°.) 12, 92 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. et disposées très-ingénieusement. Mais un goût commun à tous les peuples de race noire, est celui de se couvrir les épaules et la poitrine d'incisions, élevées et mamelonnées, disposées en lignes courbes ou droites, mais toujours régulières ; et cette mode, qui sert à distinguer les diverses tribus nègres de l'inté- rieur de l'Afrique, est pratiquée par presque tous les habitants de Madagascar, et par tous les naturels de couleur noire répan- dus dans l'Ouest de la mer du Sud, et aussi bien sur la terre de Diémen que sur l'Australie. La chevelure de ces peuples est, en général, très-frisée, très- fine, résistante, et en même temps très-épaisse. Quelques fa- milles de la Nouvelle-Guinée, de Waigiou, de Bouka, lui donnent la forme eébouriffee et singulière, qu'on a même regardée comme un caractère des Papous; mais d'autres tribus, telles que celles de Rony, à la Nouvelle-Guinée, de la Nouvelle-Bretagne et de la Nouvelle-[rlande, la laissent tomber sur les épaules en mèches cordonnées et flottantes. Les Papouas aiment à se couvrir la tête de poussière d'ocre, unie à de la graisse, et rougir ainsi leur che- velure et leur visage, et se faire sur la poitrine ou sur la face des bandes diverses avec de la chaux de corail. C’est plus par- ticulièrement au Port-Praslin, à la Louisiade, qu'on retrouve cette singulière mode, qui règne sans partage chez les habitants de la Nouvelle-Galles du Sud. Ces peuples emploient peu le ta- touage, qu'ils nomment panaya à la Nouvelle-Guinée; et, op- posés en cela aux Océaniens, ils se bornent à tracer quelques lignes éparses sur les bras ou à l'angle des lèvres de leurs femmes, comme une marque particulière. Ils aiment tous les ornements de quelque nature qu'ils soient. Nulle part nous ne rencon- irâmes en plus grande abondance des colifichets de plumes, d'écailles ou de nacres, destinés à être placés sur la tête, à la ceinture ou sur les armes. Mais partout nous observames l'usage, exclusif à cette race, de porter des bracelets d’une blancheur ZOOLOGIE. 99 éblouissante , faits avec beaucoup d'art, très-polis, et qu'ils fa- connent probablement avec la grosse extrémité des énormes cônes qui vivent dans les mers environnantes : tous les naviga- teurs en ont parlé. Bougainville dit, en mentionnant cet objet chez les naturels des grandes Cyclades : «Ils se percent les na- «rines pour y pendre quelques ornements *. Ils portent aussi au «bras, en forme de bracelets, une dent de Babiroussa, ou un «grand anneau d'une matière que je crois de l'ivoire *. » Un tel usage est par lui-même caractéristique ; mais ce qu'il offre de plus remarquable encore est l’analogie qu'il présente avec les coutumes des Égyptiens. Les recherches modernes nous ont, en effet, indiqué la présence d'un ornement de forme exactement semblable sur un grand nombre de momies. L'usage de macher le betel avec l'arec et la chaux, propre au rameau malais ,'a été porté chez les Papouas par ce peuple sans doute; mais on doit supposer que des communications anté- rieures en ont fait naître le besoin chez les habitants de Port- Praslin, où nous le trouvames très-répandu; à Bouka, où nous en vimes des traces; à l'ile de Choiseul et à la Louisiade, où Bougainville et Labillardière l'observèrent. Ces derniers peuples et les Papouas de la Nouvelle-Guinée ? Les naturels de Navihi-Levou, l’une des Fidjis, ont adopté cette coutume; et, pour se donner un air plus formidable, ils percent le cartilage du nez, et ils y passent des plumes qui retombent sur les lèvres comme d’épaisses moustaches ( Mariner, t. I, p. 335). Or, nous avons vu une habitude identique chez les Nègres de Port- Praslin. 2 SURVILLE, sur le Suint-Jean-Baptiste,mentionne ces bracelets de cette manière (Port-Praslin) : « La plupart portent un bracelet au bras, au-dessus du coude, qui peut «avoir un demi-pouce d'épaisseur sur un pouce de largeur. Il est fait, autant qu'on « peut en juger, d’un coquillage dur, opaque, lourd , qui est supérieur en blancheur «à l’ivoire du Sénégal et au marbre de Carrare. » Découvertes des Français dans le S.-E. de la Nouvelle-Guinée, par Fleurieu, 1790, p. 128, in-4°. 94 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. surtout portent des amulettes faconnées en idoles, fixées sur la nuque par un collier fait de dents d'animaux, etc. Mais nous trouvâmes dans leurs cabanes quelques coiffures parfaitement analogues à celles qui servent aux enfants dans nos fêtes reli- gieuses, et que surmontait une feuille de pandanus, contournée très-adroitement en fleur de lis. Cette forme antique et singu- lière., conservée fidèlement , et même avec le plus grand goût, chez les peuples encore dans les ténèbres d'une longue enfance, doit provenir de lAbyssinie. Mais ce qui met hors de doute leurs rapprochements avec les habitants de l'Afrique, ce sont les oreillers en bois sur lesquels ils appuient la tète pour dormir. À Waigiou, à Doréry, nous trouvämes chez tous ce meuble travaillé avec adresse, représentant le plus constamment et avec plus ou moins de perfection deux têtes de sphinx , attribut égyp- üen ; et plusieurs de ces objets, comparés en France, ne dif- fèrent en rien de ceux trouvés sous la tête des momies d'Égypte, dans leurs tombeaux, et conservés par les voyageurs récents, qui les ont découverts. Les Papous de Doréry et de Waigiou ont un goût particulier pour faconner des idoles, qu'ils placent sur leurs tombeaux et dans un point particulier de leurs cabanes. Ces sculptures se reproduisent sur le devant de leurs pirogues. Mais comme leur culte est un fétichisme pur, et que quelque teinte de l'islamisme n'a pénétré qu'avec les Malais au Nord seulement, nous voyons chez tous cette habitude de consacrer, dans une cabane qui sert de temple, une suite d'idoles, vêtues de guenilles diverses, représentant des divinités rangées par ordre de puissance. Nous «Les Nègres de Sierra-Leone semblent vénérer de petites statues faites à peu « près à la ressemblance de l’homme. Ii n’en coûte que huit ou douze pouces de bois « pour la façon de ces images, qu'on peint en noir, et qui sont les pénates de la «hutte. Ils en font des offrandes, qui consistent en chiffons, vases ébréchés, etc. » MATTHEWS , Voy. à Sierra-Leone. ) ZOOLOGIE. 95 trouvâmes cet état de choses au Port-Praslin, graces à la course hasardeuse du jeune et brave de Blosseville; et ces naturels, sans exception, au milieu de leurs grotesques divinités, consacrent à des animaux des représentations assez fidèles. Cest ainsi que le crocodile est un objet de culte à Waigiou, le requin et le pélandoc au Port-Praslin, le chien à Doréry, etc. Les Papous, toutefois, vénèrent les morts, suspendent les têtes de leurs ennemis comme trophées aux parois de leurs demeures, pour les priver sans doute d'une existence heureuse dans l’autre vie; car ils ont la croyance d'un être suprême infiniment bon, et d'un génie adonné au mal. L'industrie des peuples de race noire n’est point à citer. Ce- pendant, les femmes des Papouas de Doréry fabriquent de la poterie ‘; et, comme ceux de Waigiou, ils savent assembler les belles feuilles satinées du pandanus longifolius, pour en faire des nattes, qu'ils festonnent diversement, ét qu'ils teignent avec les couleurs les plus éclatantes et les plus solides. Ces nattes, avec lesquelles ils s’abritent de la pluie, sont représentées, au Port-Praslin, par des capuchons qui en ont la forme et parfois l'ampleur : elles sont, en effet, le plus souvent pliées au milieu, et cousues à une extrémité. Les habitants de la Nouvelle-Bretagne, de la Nouvelle-frlande, avaient divers ornements passés dans les narines, ou des bà- tonnets traversant la cloison du nez, à l'instar des naturels de la Nouvelle-Galles du Sud. Cette mode se reproduisit à nos yeux chez les Papouas du havre de Rony, et tous nous assurèrent que les bâtonnets qu'ils portaient étaient bien petits en com- paraison de ceux que les farouches Endamènes, leurs ennemis, © Dans le pays des Kaartans, dans l’Afrique Occidentale, le village d’'4samanga T'ary est renommé par ses manufactures de poterie de terre, travaillée par les femmes. ( Voy. dans l'Afrique Occidentale, par Gray et Dochard.) 96 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. et les propriétaires des districts plus au Sud, se placaient ainsi, et comme une vergue civadière, ainsi que l’a dit le premier un marin judicieux et instruit. Le genre de vie des Papouas ne nous fournit point de carac- tères bien précis. Cependant, ils ne savent point, comme les Océaniens , pratiquer des fours souterrains pour cuire leurs ali- ments : ils.se contentent de les griller sur les charbons ardents, ou bien, de faire des treillages élevés, et de les préparer amsi par l'action médiate de la chaleur. Vivant, du reste, des fruits équatoriaux, de racines nutritives, que le sol produit en abon- dance, les Papouas de la Nouvelle-Guinée savent encore cultiver quelques légumes; et l'espèce de haricot qu'ils nomment aberou forme principalement la base de leur nourriture, avec les pro- duits de la pêche, ou les coquilles qu'ils vont chercher sur les récifs, et même les reptiles qu'ils attrapent dans les forêts. Leur gouvernement est peu connu. On à, cependant, remar- qué qu'ils semblaient obéir à des vieillards, dont l'autorité pa- raissait nettement établie ; et ce n'est guère que chez ceux qui ont communiqué avec les Malais, qu'on retrouve le titre de Radjah, par exemple; et encore n'en ont-ils point d'idées bien claires et bien distinctes. Nous avons vu que leur culte était un fétichisme pur; fétichisme sous l'influence duquel toutes les races noires de l'Afrique, excepté l'abyssinienne, sont plus ou moins soumises. Mais les Papouas entourent d’un profondrespect les tombeaux de leurs pères : ils élèvent des cabanes pour les abriter. Ils dressent souvent des estrades en bois, destinées à supporter leurs os desséchés, et ne manquent point de placer sur leur sépulture des vases destinés à recevoir des offrandes, tels que du betel, du tabac ou du poisson, et de recouvrir des attributs du défunt le lieu où reposent ses cendres. La construction des cabanes présente, chez les divers peuples de race papoue, des différences assez tranchées. Ainsi les huttes ZOOLOGTE. 97 des naturels de la Nouvelle-[rlande sont de forme africaine, arrondie, couvertes de paille, ayant une porte étroite et basse. Chez les habitants de Waigiou et de la Nouvelle-Guinée, au contraire, elles nous montrent quelle peut être l'influence des hostilités continuelles auxquelles ils se livrent. Ces peuples, en effet, établissent leurs villages au fond des baies, sur le bord des rivages. Mais, par une prévoyance sans cesse défiante, ils ont placé leurs maisons sur l'eau même des grèves, de manière qu'elles sont supportées par des pieux, qu'on ne peut y parvenir que par des ponts informes, qu'en cas d'alerte du côté des terres, on peut faire disparaître en un clin d'œil; tandis que la fuite est facile par mer, parce qu'ils ont le soin d'avoir leurs pirogues sous le plancher à jour de ces ajoupas. Ils se sauvent aisément dans les bois, au contraire, lorsque l'attaque à lieu avec des em- barcations armées. Enfin, ceux même qui habitent l'intérieur du pays ont placé leur gite sur quelque morne élevé, dont l'ap- proche est défendue par des palissades ; et, non satisfaits de la sécurité qu'ils peuvent retirer des obstacles qui se rencontrent sur le chemin, ils ont encore élevé leurs demeures sur des troncs d'arbres, rendus lisses, et hauts de douze à quinze pieds, et se servant d’un énorme bambou entaillé pour y parvenir. Chaque soir, cette échelle est retirée dans la cabane, et la fa- mille dort en paix, sur des tas de flèches préparées pour repousser toute attaque, dans l'aire qu'elle a construite à la manière des oiseaux. Ce sont ces cabanes aériennes, que l’un de nous exa- mina avec détail, qui ont donné lieu de croire à quelques écri- vains, amis du merveilleux, que les Papouas logeaient dans les arbres. Nous ne savons point si les voyageurs mentionnent ail- " Les cabanes des naturels de la Louisiade sont, comme celles des Papous, éle- vées avec des pieux de deux ou trois mêtres au-dessus du terrain (LABILLARDIÈRE à Voy. Rech. de la Pérouse, t. IT,p. 277). Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 13 98 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. leurs une telle construction; et on n'en trouve point de traces en Afrique, à ce que nous croyons. Seulement, le capitaine russe Krusenstern (Voy.; t. I, p. 233) dit que les Tartares qui ha- bitent Sakhalien élèvent leurs cabanes sur des pieux, au-dessus du sol. Ces peuples possèdent encore un genre de construction nau- tique, opposé à celui des rameaux océanien et mongol-pélagien. Navigateurs comme le sont naturellement tous les peuples ri- verains, on retrouve, chez tous les Nègres épars depuis le Nord de la Nouvelle-Guinée, sur ces chaines de grandes îles, une forme assez générale de pirogues. Ceux de Port-Praslin, de la Nouvelle-Bretagne, de l'ile d'York, de Bouka enfin , ont des em- barcations sveltes, légères, formées de bordages assemblés, et cousus, et dont les joints sont bouchés par un mastic tenace, dont les deux extrémités se relèvent, et sont, le plus souvent, surmontées de quelque attribut. Mais toutes ces pirogues n'ont point de balancier, tandis que celles qu'on retrouve sur le pour- tour boréal des iles dites des Papous, et qui sont destinées aux besoins ordinaires, sont, sans exception, à deux balanciers; celles de guerre , toutefois, ressemblent aux précédentes. Les armes principales des habitants de Waigiou et de Doréry sont l'arc, les flèches et les longues javelines, terminées par une lame de bambou, acérée et faconnée en fer de hallebarde. A Bouka , nous retrouvons les flèches et des arcs parfaitement fa- briqués en beau bois rouge, de même qu'à la Nouvelle-Irlande et à la Nouvelle-Bretagne. Mais ces tribus, inquiètes et guer- rières, emploient principalement le casse-tête de bois dur, les longues javelines, garnies parfois d'os humains ; ce qui annon- cerait peut-être une habitude d’anthropophagie; les frondes pour lancer les pierres, et surtout l'usage constant du bouclier‘. Cette 1 De Bougainville (’oyage autour du monde) vit les naturels de la Louisiade se ZOOLOGIE. 99 arme défensive, faite sur le modele de certains boucliers ro- . mains, garnie de coquilles enchâssées avec symétrie, serait-elle due au hasard : ? Tous les peuples ont une musique, en rapport avec leur ci- vilisation sans doute ; mais les Océaniens, les Mongols-Pélagiens, et les peuples noirâtres et à cheveux frisés des îles de la mer du Sud, ont chacun un type particulier, suivant leurs habitudes ; et, quoique cet art soit resté stationnaire par l'isolement de ces peuplades, il n’en est pas moins caractéristique, et ne peut pro- venir que d'un ensemble d'idées perfectionnées. Nous ne savons rien de la musique des Papouas de Doréry et de Waigiou : celle des habitants de Port-Praslin et de l'ile d'York et leurs instru- ments nous sont mieux connus. Sur toutes ces grandes terres, nous retrouvames le tamtam, dont le nom peut varier, mais jamais la forme, qui est limitation parfaite du tamtam de la srande extré- 5 mité par une peau de lézard, est encore usité dans plusieurs côte de Guinée. Ce tambour, creux, fermé à sa régions de l'Afrique. Mais ce qui dut nous fournir matière à réflexion au Port-Praslin, sont et l'épinette et la flüte à pan que nous y trouvâmes. L'épinette est faite avec une lame de bambou, divisée en trois lamelles effilées, qui se placent dans la bouche comme la nôtre. Quant à la flute à pan, nous devons nous y arrêter un instant, et indiquer la conclusion d'une note, que nous à remise sur cet instrument un de nos amis, excellent mu- sicien. « Les anciens connaissaient deux sortes de flüte: la simple, «et le syrinx ou flüte à pan ; et ces flûtes n'avaient qu'une éten- «due de sons très-bornée, parce que les Grecs ignoraient l'har- servir également de boucliers : la description qu'il en donne est applicable à ceux que nous avons vus au Port-Praslin. 1 Les Antaximes de la partie Sud de Madagascar, à teinte très-noire et à cheveux crépus, se servent du bouclier pour combattre ( Malte-Brun, Géog. t. IV, p. 123). 13. 100 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. «monie proprement dite, et que leur mode de musique était mr- «neur, tant l'homme raturel éprouve plus de facilité à attaquer «la tierce mineure que celle majeure. Le syrinx de la Nouvelle- «Irlande présente ce caractère mineur; et, après un examen «sérieux, je conclus que cet instrument, composé de huit notes, «dont cinq appartiennent à la gamme, et trois sont répétées à « l’octave en-dessous, est des temps les plus reculés.» Lorsque M. de Blosseville visita le village de Leukiliki, à une lieue du Port-Praslin dans l'intérieur, il ne fut reçu qu'après que des naturels eurent exécuté une danse nommée louk-louk. Les danseurs étaient entièrement cachés sous un vêtement bizarre, fabriqué avec des lanières de feuilles de pandanus, imitant une ruche ambulante, et qu'ils suspendent à des poteaux sur la grève. Toutes les circonstances de cette sorte de solennité se- ront rapportées dans la relation historique; mais nous devons citer comme rapprochement un usage semblable, observé dans le royaume de Woulli, en Afrique, par le major Gray. « En ap- «prochant de Barra-Cunda, nous vimes accroché à un poteau, «hors des murs de la ville, un vêtement fait d'écorces d'arbres, «coupé par filaments, et arrangé de manière à couvrir un « homme, espèce de loup-garou, nommé Mumbo-Jumbo. » Des ténèbres trop épaisses couvrent les traditions poétiques de ces peuples, pour que nous puissions en tirer quelques consé- quences : nous en ignorons même les faits les plus essentiels. Mais ce qu'on ne peut se dispenser de remarquer, c'est la diver- gence complète du langage, qui existe non pas d'ile à île, mais même de tribu à tribu et de village à village. Quelle peut en être la cause? rien autre chose sans doute que ces haines héréditaires, ces guerres perpétuelles , dans lesquelles vivent et meurent les générations successives. Le caractère moral de ces peuples en a acquis cette barbarie profonde, cette défiance sombre et conti- nuelle, qui les rendent traitres, perfides et assassins. « Nous ZOOLOGIE. IOI «avons observé, dans le cours de notre voyage, dit Bougainville, «qu'en général les hommes nègres sont beaucoup plus méchants « que ceux dont la couleur approche de la blanche. » Quant aux rapports que peuvent avoir entre eux les idiomes de chaque peuplade, il nous serait impossible de les saisir. Ce langage barbare et guttural se refuse à tout examen; et on en pourra juger par le tableau suivant, dans lequel nous avons placé les noms de nombre, écrits comme les naturels les prononcent. NOUVELLE - GUINÉE. |[NOUV.-GUINÉE.|NOUV.-IRLANDE.|MADAGASCAR. Re — MALAIS. Canton Havre de ALFOUROUS , de Ronyx. | Doréry. |hab. de l'intérieur.| PORT-PRASLIN, DER Hiossaire. Saha. Toure. Ti. Rec. Satou. Nourou. Doui. Kire. Irou. Roui. Doua. Nokore. Kiore. Noure. Toul. Telou. Tiga. Fake. Fiake. Ouat. At. Effack. Ampat. Rime. Rime. Mai. Lime. Dimi. Lima. Ouonèême. |[Ouonéme. Imbitoure. Ouone. Enine. Anam. Ounamanourou.| Fike. Inebiki. Hiss. Fitou. Touyou. Ounamonocore.| Ouart. Imbinour. Ouale. Valou. Delapan. Fike. Sihiou. Imbeboit. Siou. Sevi. Sambilan. Sanfour. Sanfour. Ouanguire. Saouli. Foulou. Sapoulou. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 0 n 5. DES TASMANIENS. Nous placons à la suite des Papouas, et comme deuxième va- riété du rameau Cafro-Madecasse, les habitants de la terre de Diémen. Nous ne les indiquons ici que pour mémoire, parce que la corvette la Coquille n’a point visité cette partie du globe, et que les naturels ne nous sont connus que par les récits des voyageurs. On s'accorde généralement à peindre les Tasmaniens comme une race d'hommes d'un noir peu foncé, dont le crane est déprimé, et qui a des cheveux courts, laineux, très-reco- quillés. Le nez est écrasé, et l'angle facial médiocrement aigu. On peut, toutefois, s'en faire une idée assez juste par les planches sept et huit de l’atlas de Labillardière , et par les figures quatre à huit, dessinées par Petit dans l’atlas de Péron. Ce qui semble 102 VOYAGE AUTOUR DU MONDE, autoriser à placer les Tasmaniens à la suite des Papouas, ce sont quelques ressemblances d'organisation, et une certaine simili- tude dans plusieurs usages, qui paraissent dériver d'une source commune. Ainsi, ils ont l'habitude de se couvrir les cheveux d'argile ferrugineuse très-rouge ; de se faire naître des mame- lons ou des cicatrices en relief sur la peau; de cuire leurs ali- ments sur des charbons incandescents; de coucher sur la terre, près de grands feux; de fabriquer des paniers élégants avec des tiges d'arbustes; de façonner des ornements divers, et surtout de se servir d’un petit oreiller en bois, nommé roëré ( Labtillar- dière, Voy.t. IL, pag. 43); de placer des huttes coniques sur les tombeaux de leurs parents décédés ( Péron , t. IV, pag. 99), et, enfin, d'être polygames. Seulement, on ne retrouve point chez eux l'art de construire des cabanes, dont la pauvreté du sol et l'inclémence du ciel auraient dù leur imposer la nécessité; car ils se bornent à élever des abris temporaires, des abat-vents en écorces, insuffisants pour les garantir des rigueurs du climat austral. Leur langage diffère tellement des idiomes barbares et sans nombre des peuples de la Nouvelle-Hollande, que déja, dès avant qu'on sût que la terre de Diémen en était séparée par le détroit de Bass, M. Labillardière avait dit (t. Il, p. 60 ): Z7 prouve que ces peuples n'ont pas la même origine. Des détails utiles à consulter sur les Tasmaniens sont consignés dans le tome IV ( pag. 77 et suiv. ) de l'Historique du voyage aux terres australes, rédigé par Péron et le capitaine de Freycinet. 6. DES ALFOUROUS-ENDAMÉÈNES. La population primitive des archipels des Indes orientales était une race noire, qui parait avoir été décimée par d'autres peuples conquérants, sur certaines îles et à diverses époques, ou avoir été chassée des côtes, et reléguée au milieu des mon- ZOOLOGIE. 103 tagnes, aimsi que nous l'apprennent les anciennes histoires et les annales de Malacca en particulier. Ces peuples à peau noire et à cheveux rudes, mais lisses, vivent encore dans les lieux inaccessibles de toutes les terres polynésiennes ‘; et c'est ainsi que le plateau central de la plupart des iles Moluques est occupé, de nos jours, par les /araforas ou Alfourous” ; que les Phi- lippines sont peuplées par Los /ndios des Espagnols, que l'on mentionne los Negros del monte à Mindanao ‘, les V’inzimbers à Madagascar, dont ils seraient les habitants naturels, et que nous apprimes l'existence des Endaménes à la Nouvelle-Guinée. * En nous servant du nom de Polynésie, exclusivement restreint aux terres si vaguement nommées archipels d'Asie, nous encourrons probablement le blâme de quelques géographes fidèles à une nomenclature incertaine et encore plongée dans le chaos. La dénomination d’Oceanie est si harmonieuse, et peint si bien la dispersion des petites îles volcaniques et madréporiques, éparses sur la surface immense du Grand-Océan, qu’elle survivra indubitablement à toute autre : celle de Pélagie tra- duirait avec exactitude le surnom de monde maritime, qui lui fut imposé ( d’une manière trop générale cependant) par M. C. A. Walckenaer. Ainsi, le nom de Polynésie, que, jusqu’à ce jour, on avait étendu à plusieurs systèmes de terres aussi distantes que séparées par la nature, ne pouvant plus être appliqué aux îles de la mer du Sud, demeure donc aux îles de PAsie, que la formation primitive, les productions, les races qui les habitent, permettent de grouper par des caractères très-caracté- ristiques. Peut-être serait-il préférable de le remplacer par un nom neuf, dont le sens fût sans équivoque, tel que pourrait être le mot de Malaisie? ? «Les Alphouréens où Alfoures sont vraisemblablement les premiers et les plus «anciens habitants des Moluques : aujourd’hui même ils ne se confondent pas avec «les autres habitants; mais ils se tiennent renfermés dans les montagnes de Bouro «et de Céram.» (STAVORINUS, Joy. aux Indes, t.T, p. 259.) 3 C’est peut-être à tort qu'on indique, comme appartenant à ces races mal connues, les Laos et les Miaotsé de l’intérieur de la Cochinchine, qu'on nomme aussi kommes à queue dans le pays. BARROW les regarde comme des Cochinchinois encore plongés dans une grossière barbarie. ( Voy. à la Cochinchine, t. I, p. 226.) & Ainsi nommés, dit MEARES , à cause de leur ressemblance avec les Noirs d’A- frique, tant au physique qu'au moral ( Voy. a la côte N.-0. d'Amérique, t. T, p. 287). Il est probable que ces Vegros sont des Papouas. 104 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Les Alfourous-Endamènes vivent de la manière la plus sau- vage et la plus misérable. Toujours en guerre avec leurs voisins, ils ne sont occupés que des moyens de se préserver de leurs em- büches et d'échapper aux piéges qu'on leur tend sans cesse. L'ha- bitude qu'ont les Papouas des côtes de les mettre à mort et d'ériger en trophées leurs dépouilles, rend compte de la difficulté qu'on éprouve à les observer, même à la Nouvelle-Guinée; et deux ou trois de ces hommes, réduits en esclavage, que nous vimes à Doréry, sont tout ce que nous en connaissons. Les Pa- pouas nous les peignirent comme d'un caractère féroce, cruel et sombre, n'ayant aucun art, et dont toute la vie s'écoule à chercher leur subsistance dans les forêts. Mais ce tableau hideux, que chaque tribu ne manque point de faire de la tribu voisine, ne peut être regardé comme authentique. Les Endamènes que nous vimes avaient une physionomie repoussante, un nez aplati, des pommettes saillantes, de gros yeux, des dents proclives, des extrémités longues et grèles, une chevelure très-noire, très- fournie, rude et comme lisse, sans être longue. La barbe était très-dure et très-épaisse. Une profonde stupidité était empreinte sur leurs traits; peut-être était-elle due à l'esclavage. Ces Nègres, dont la peau est d'un noir-brun sale, assez foncé, vont nus. Ils se font des incisions sur les bras et sur la poitrine, et portent dans la cloison du nez un bâtonnet, long de près de six pouces. Leur caractère est silencieux, et leur physionomie farouche; leurs mouvements sont irrésolus et s'exécutent avec lenteur. Les habitants des côtes nous donnèrent quelques détails sur ces Endamènes; mais, comme ils nous parurent dictés par la haine, et que les versions ne s'accordaient point entre elles, soit que le sens de ce qu'ils nous exprimaient füt mal compris, soit qu'eux- mêmes nous racontassent, dans l'intention de nous inspirer de la frayeur, des habitudes auxquelles ils ne croyaient point, nous pensons qu'il est inutile de faire connaitre, par des renseigne- ZOOLOGIE. 10 ments faux ou inexacts, une espèce d'hommes dont l'histoire est encore entourée d'épaisses ténèbres ‘. Nous nous bornerons à tracer la description des cranes d’Al- fourous-Endaménes, que nous trouvames à Doréry, où ils ser- vaient de trophées, et de les comparer avec ceux de Papous décrits par MM. Quoy et Gaimard, et aussi avec les crânes de Nègre-Mozambique , de Nouveau-Zélandais et d'Européen. La figure que nous en donnons, pl. 1", est le résultat de la com- paraison de plusieurs têtes; mais elle a été plus particulièrement faite sur un crâne conservé avec soin dans une cabane, et en- chässé dans une idole grossièrement sculptée en bois, que l'un de nous ne put jamais obtenir des naturels, même en offrant des présents susceptibles de les tenter, et qu'il se décida à aller enlever, pendant la nuit, la veille du départ de la corvette. Cette idole, assez remarquable et qui est déposée maintenant au Muséum d'histoire naturelle de Paris, représente un homme assis, dont le cou supportait un plateau sur lequel reposait le crane d'un Alfourous, solidement enchâssé. Les orbites étaient remplies par des rondelles de nacre, simulant des yeux, et fixées par un mastic noir; tandis que les arcades dentaires étaient recouvertes de deux lèvres en bois très-proéminentes. D’autres crânes d'Alfourous étaient disposés par rangées et attachés aux parois de la cabane qui servait de temple à ces débris, que les Papouas conservaient avec d'autant plus de satisfaction, qu'ils se complaisaient dans l'idée de faire subir un pareil sort à tout ennemi qui tomberait dans leurs mains. 1 Les Endamèënes, retirés dans l’intérieur de la Nouvelle-Guinée, doivent être possesseurs paisibles des côtes méridionales; et ce sont eux, érès-probablement, qui habitent exclusivement les bords du détroit de Torrès. Les expéditions futures peuvent seules ou détruire ou confirmer nos doutes. Voyage de la Coquille. — %. Tom. 1. 14 106 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 7. DES AUSTRALIENS. Toutes les peuplades de race noirâtre qui habitent l'Australie présentent entre elles les rapports les plus évidents, d'après les descriptions des voyageurs Phillip, Collins, White, d'Entre- casteaux, Péron’, Flinders, Grant, King, etc. Ces Nègres aus- traux ont toujours montré une profonde ignorance, une grande misère et une sorte d'abrutissement moral. Ils sont réunis par tribus peu nombreuses qui n'ont point de communications entre elles, d'où résulte l’état de barbarie profond dans lequel elles croupissent, et dont rien ne semble devoir les retirer. Les habitants de la Nouvelle-Galles du Sud, qui ont particu- lièrement fixé notre attention, sont disséminés, dans cette partie du monde, par familles éparses sur le bord des rivières ou dans les baies peu nombreuses, qui morcellent les côtes orientales de la Nouvelle-Hollande. Leur intelligence a du naturellement se ressentir de l’infertilité du sol et des misères auxquelles ils sont soumis : aussi une sorte d'instinct très-développé, pour con- quérir une nourriture toujours difficile à obtenir, semble avoir remplacé, chez eux, plusieurs des facultés morales de l'homme. ! Les distinctions qui existent entre les Tasmaniens et les Australiens ont été net- tement exprimées par Péron, qui dit (t. IV, p. 212 ) : « De toutes les observations «qu’on peut faire en passant de la terre de Diémen à la Nouvelle-Hollande, la plus « facile, la plus importante, et peut-être aussi la plus inexplicable, c’est la différence «absolue des races qui peuplent chacune de ces deux terres. Ces deux peuples n’ont « presque rien de commun, ni dans leurs mœurs, leurs usages, leurs arts grossiers, «ni dans leurs instruments de chasse ou de pêche, leurs habitations , leurs pirogues, « leurs armes, ni dans leur langue, ni dans l’ensemble de leur constitution physique, «la forme du crâne, les proportions de la face, etc. Cette dissemblance absolue se «trouve dans la couleur; les indigènes de la terre de Diémen sont beaucoup plus «bruns que ceux de la Nouvelle-Hollande : les premiers ont des cheveux courts, « laineux et crépus; les derniers les ont droits, longs et lisses. » x ZOOLOGTE. 107 La peuplade qui vit au milieu des buissons et des rochers des alentours de Sydney-Cove, et qui a pour chef Boongaree, est plongée dans un tel état d'abrutissement, qu'en vain on a essayé d'améliorer sa position, en bâtissant pour elle des maisons et des sortes de villages, ou en lui fournissant des moyens de sub- sistance plus agréables. Elle s’est refusée à l'adoption de ces premières idées de civilisation ; et de toutes les habitudes so- ciales que lui montrent, chaque jour, les Européens, au milieu des villes populeuses et imposantes de la Nouvelle-Galles du Sud, elle n'en a pris que des vices dégoütants et un gout dés- ordonné pour les liqueurs fortes. Ces peuples n'ont senti la nécessité de recevoir des vêtements de laine que pour se garantir 5 la poitrine. Aucune idée de pudeur ne les à jamais portés à voiler les parties naturelles; et l'immodestie native de cette race fait un contraste d'autant plus grand, que, chaque jour, elle brave, au sein mème d'une colonie européenne qui a fait d'immenses progrès, les lois de l'honnèteté publique. La liberté semble pour ces Noirs ‘ un besoin de première nécessité : aussi sont-ils soi- gneux de conserver leur indépendance, au milieu des cantons rocailleux où ils habitent en plein air, autour de grands feux, et protégés de la pluie par quelques branches négligemment jetées du côté où le vent souffle; ou bien, tous les efforts de leur génie se bornent, pour les garantir des intempéries du climat, à détacher une large écorce d'eucalyptus, qui fournit le toit naturel qui les abrite. La taille des Australiens est médiocre, et souvent au-dessous ‘ Le mot noir ou nègre n’a ici qu'une valeur relative. Nous n'employons ce nom, en effet, que pour éviter des périphrases. Mais, pour qu'il n’y ait point de doutes à ce sujet, nous devons dire qu’il n’y a point d’analogie à établir entre un Nègre afri- cain et un Alfourous australien, et que, si nous les nommons parfois Noirs ou Nègres, à ak ae : c’est parce que la teinte de leur peau affecte une couleur noirâtre, fuligineuse, qui approche plus de la teinte des véritables Nègres que de toute autre. 14. 108 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. de la moyenne. Plusieurs tribus ont les membres gréles, peu fournis, et, en apparence, de longueur démesurée; tandis que certains individus, au contraire, ont ces mêmes parties fortes et très-bien proportionnées, et surtout les muscles ju- meaux et soléaires trèes-prononcés. Leur chevelure n'est point laineuse ; elle est dure, très-noire et abondamment fournie. Ils la portent flottante et sans ordre, le plus souvent courte, en mèches très-frisées. La barbe participe de la nature des cheveux ; elle est le plus ordinairement rude et touffue sur les côtés du visage. Leur face est aplatie; le nez très-élargi, a des narines presque transversales. Des lèvres épaisses, une bouche déme- surément fendue, des dents un peu proclives, mais du plus bel émail, des oreilles à conque très-développée ', des yeux à demi voilés par la laxité des paupières supérieures, donnent à leur physionomie sauvage un aspect repoussant. La couleur peu dé- cidée de leur peau, qui affecte communément une teinte noire fuligineuse, varie en intensité, mais n'est jamais très-foncée. Plus laides encore que les hommes, les femmes australiennes ont des formes flétries et dégoutantes ; et la distance qui les sépare du beau idéal de la Vénus de Médicis parait immense aux yeux d'un Européen. Les mariages chez les Australiens se font par rapt, et l'usage a consacré l'habitude d'arracher une dent incisive aux hommes à certaine époque de la vie, et de couper une phalange aux femmes. Ils aiment se couvrir la tête et la poitrine de matières colorantes rouges, et cet ornement est de première nécessité GRANT ( Voy. à la Nouvelle- Galles méridionale ) peint de cette manière les habitants de la baie Jervis, peu éloignée du détroit de Bass : « Ces sauvages étaient «Jeunes, grands et vigoureux. Ils avaient des cheveux plus longs que ceux des autres « naturels que j'avais vus jusque-là : ils les avaient bouclés, mais point laineux comme « ceux des Nègres d'Afrique. » ZOOLOGIE. 109 dans leurs coroborts, ou grandes cérémonies. Ils ont tous l'ha- bitude de se peindre le nez et les joues avec les mêmes fards grossiers, en y joignant des raies blanches, qui sillonnent le front et les tempes. Sur les bras et sur les côtés du thorax, ils font élever ces tubercules de forme conique, qui semblent être l'apanage du rameau nègre. Enfin, cette race, qui semble ignorer l'usage de tout vêtement, sous le rapport de la pudeur, se borne à sé couvrir parfois les épaules avec une peau de kangourou ou d'opossum, et à s'entourer le front avec des filaments tissés en réseau. Un grand nombre de familles se placent dans la cloison du nez des bâtonnets arrondis, et longs de quatre à six pouces, qui donnent à leur physionomie un aspect farouche; et cet usage nous le retrouvons chez tous les Papouas. Superstitieuses à l'excès, ces peuplades ont, cependant, con- servé l'usage de punir les sortiléges et d'avoir des jongleurs. Leurs différends se décident par des sortes de duels à nombre égal ou à armes égales, et des juges de camp établissent les règles du combat. La forme des armes dont ils se servent varie. A la Nouvelle-Galles, ils emploient la sagaie, sorte de javeline effilée, qu'ils lancent, par le moyen d'un bâton faconné pour cet usage, avec une grande vigueur et beaucoup de justesse. Ils s’attaquent le plus souvent avec une sorte de sabre de bois recourbé, que Lesueur à nommé sabre à ricochets (pl. 30, n° 6, atlas de Péron ), et que les naturels de Sydney désignent sous le nom de boumerang ou tatanamang. Cette arme caractéristique est éga- lement usitée au port Bowen et à l'ile Goulburn : et la manière de s'en servir est fort remarquable ; car c'est en lui imprimant des mouvements de rotation en l'air qu'ils frappent souvent le but à plus de quarante pas de distance. Leur dernier instrument de guerre, et en même temps d'utilité domestique, est le casse- tête ou woudah, avec lequel, dans leurs duels, chaque naturel assène alternativement sur la tête de son ennemi un coup que 110 | VOYAGE AUTOUR DU MONDE. la dureté inouie du crâne rend moins dangereux qu'on ne de- vrait le supposer. Nous retrouvons chez tous ces peuples l'usage du bouclier. Celui qui leur sert à parer les coups de sagaie avec une grande adresse, est de forme ovalaire, oblongue, ou quel- quefois disposé en croissant; et nous avons vu un de ces na- turels condamné à servir de but aux coups d’une tribu qu'il avait offensée, parer avec une habileté peu commune plus de cinquante traits lancés avec vigueur, lorsque enfin une sagaie de xanthorœa, traversant son bouclier, vint lui percer la poitrine. Quant à l'emploi de l'arc et des flèches ‘, il est complétement inconnu sur le continent entier de la Nouvelle-Hollande. De toutes les peuplades de l'Australie, celles du port du roi George ont plus particulièrement senti la nécessité de se vêtir, à cause du froid intense de l'hiver, et elles ont assemblé, sous forme de petits manteaux, des peaux de kangourous : celles des alentours de Sydney et de Bathurst préparent les peaux de pé- tauristes, tandis qu'entre les tropiques les Australiens vivent dans un état de nudité parfaite. Les objets d'ornement se res- sentent du rétrécissement des idées de ces peuples. Ils se dé- corent, cependant, de colliers faits avec des chaumes de gramen; mais combien leur forme sauvage contraste avec l'élégance des S mêmes objets chez les naturels de la terre de Diémen! : Le capitaine King, qui a groupé quelques-unes des légères observations qu'il nous a données sur les peuples du pourtour entier de la Nouvelle-Hollande, remarque que la sagaie semble être d’un usage général parmi les habitants de l'Australie. Le bâton qui sert à la lancer n’existe pas à la Tasmanie, ni à la baie Moreton, si on doit s'en rapporter à un court séjour sur ce point. Il n’a reconnu que quelques différences peu sensibles dans cette arme, soit au port Jackson; soit à la côte S.-E., à la rivière Endeavour ; au N.-E., aux baies d'Hanovre et de Vansittart ; au N.-O., à la baie du roi George. Sur les côtes méridionales, cette sagaie est faite avec les tiges du xantho- rœa hastilis; ailleurs, avec des branches de manglier durcies au feu ( Bull. géogra- phique, i. V, p.251). ZOOLOGIE. ÿ III Les cabanes des Australiens se composent, autour du port Jackson , d'abris en rameaux ou en écorces d'arbres. Ailleurs, ce sont des sortes de nids, formés de branches entrelacées, ou parfois disposées en huttes grossières, recouvertes d'écorces. Les soins qu'ils prennent de leurs tombeaux annoncent qu'ils ont l'idée d’une autre vie. On a généralement observé qu'ils brülaient leurs morts, et qu'ils en enterraient les cendres avec une religieuse sollicitude. M. Oxley a même vu de ces tom- beaux, dont les arbres des alentours portaient des sortes d’at- tributs funéraires. Des observations positives semblent encore prouver qu'ils lèvent la peau des cadavres, afin que la com- bustion puisse s’opérer avec plus de rapidité. L'ensemble des habitudes des peuplades de la Nouvelle-Hol- lande , ainsi que leur genre de vie, ne présente point d'analogie bien démontrée. Leur industrie se réduit à la fabrication des filets pour la chasse et pour la pêche, dont on mange le produit sur le lieu même, en le faisant rôtir sur des charbons. Ces na- turels portent toujours du feu avec eux, dédaignent leurs femmes, auxquelles les travaux les plus rudes sont dévolus, tels que ceux de préparer la nourriture, dont elles et leur famille ne recoivent que les débris rejetés par leurs époux, ou de porter les ustensiles du ménage et leurs enfants sur le dos, tandis que l'homme chemine, n'ayant qu'une légère javeline à la main. Ce sont elles qui récoltent et préparent la racine de fougère, nom- mée dingoua, qui leur sert d’aliment journalier, et dont les hommes ne mangent que dans les moments de disette, ou lors- que la chasse vient à manquer. La manière de construire les pirogues varie presque autant que les tribus. Elles sont faites, au port Jackson, avec une longue écorce d’eucalyptus, solidement liée aux extrémités, tel qu'on en voit un bon dessin, pl. 34 de l'atlas de Lesueur et Petit. Dans la région intertropicale, un tronc d'arbre creusé en tient 112 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. lieu. Plus à l'Ouest, dit King, à la baie d'Hanovre, c'est un radeau formé de tiges vieilles et légères de manglier. Ailleurs, dans l'archipel de Dampier, par exemple, leur intelligence n’a pu s'élever, pour passer les rivières, au-dessus du simple tronc d'arbre flottant. Chez ces peuplades, on a retrouvé des idées de dessin, qui, toutes grossières qu'elles paraissent être, indiquent, cependant, une certaine réflexion ; et l’on reconnait encore dans ces linéa- ments graphiques les êtres qu'ils sont destinés à représenter, tels que le casoar, le squale de Phillip, divers poissons, etc. Quant à leur chant, ce n'est qu'une modification informe de leur langage, et leur danse se borne aux mouvements lourds et ridicules qui imitent le saut du kangourou. Les beaux-arts, en- fants du repos et des doux loisirs, pourraient-ils germer chez des hommes toujours en quête de leur subsistance ? Le langage des Australiens diffère de tribu à tribu. Nulle part, on ne peut y reconnaitre la moindre analogie; mais il est vrai de dire aussi qu'il n’y a pas de langue moins connue. Cependant, il paraît que les naturels d'un endroit, transportés dans un autre, comme les Anglais l'ont fait très-souvent, ne peuvent se com- prendre. Les seuls mots qui nous ont présenté quelques rapports sont les suivants, usités d'une part par les naturels de Sydney, et de l’autre par ceux de Bathurst, au-delà des montagnes Bleues. L'orthographe des premiers est écrite d'après le génie de notre langue, et nous avons conservé pour les seconds celle de M. Oxley. Ainsi, nez se dit à Sydney Nougouro, et morro à la rivière Lachlan; les dents, nandarra, dans le premier lieu, et erra dans le second; cou, ouro et oro; poitrine, beren et bening ; cuisse, darra et dhana, etc. Ici se termine ce que nous avions à dire sur les variétés hu- maines qui peuplent les terres de la mer du Sud. De plus longs développements auraient peut-être été nécessaires pour rendre ZOOLOGTIE. 113 clair et sensible l’enchainement des idées émises dans ce travail: mais nous ne pouvions ni les présenter, ni les discuter, sans outrepasser les bornes que la nature de cet ouvrage nous pres- crivait impérieusement. Les détails répandus dans l'historique viendront, d'ailleurs, suppléer à ce que nous avons dû passer sous silence. DÉTAILS ANATOMIQUES RELATIFS AUX CRANES DE QUELQUES-UNS DES PEUPLES DONT IL EST QUESTION DANS LE CHAPITRE PRÉCÉDENT. Nous donnons dans la planche 1° de notre atlas, le crâne, vu sous trois faces, d’une espèce d'hommes, que les Papouas nomment Alfourous-Endamêne. Nous nous en procurâmes plusieurs têtes à la Nouvelle-Guinée; les renseignements que nous avons obtenus indiquent qu’elles appartenaient aux tribus sauvages de l'intérieur , bien différentes de celles qui vivent sur les côtes et dans les îles méridionales de ce système de terres; ce que prouve leur conformation anatomique. Les crânes d’Al- fourous ont été examinés et comparés avec les têtes recueillies par nous à Waigiou, et avec celles rapportées du même lieu par MM. Quoy et Gaimard , et qui ont servi de types à leurs Papous ( Vegro-Malais Hybrides ). Nous avons aussi présenté les caractères qui les distinguent des boîtes osseuses cräniennes des Nouveaux-Zélan- dais du rameau océanien, du Nègre mozambique d'Afrique et du Français. Le crdne des Papous ‘ est remarquable par un aplatissement considérable à sa partie postérieure : cet aplatissement est tel, qu'il forme une surface carrée, dont les angles seraient arrondis. Cette disposition ne rend pas pour cela le diamètre occipito-frontal beaucoup plus petit comparativement aux têtes d'Européens , d’Al- fourous et de Mozambiques : mais il n’en est pas de même du diamètre bi-pariétal, qui est beaucoup plus grand; ce qui est dû au développement plus considérable des bosses pariétales. Le coronal, quoique un peu plus large que celui d'un Européen, ne présente point de différences assez tranchées pour qu’on puisse les indiquer. La face a également plus de largeur; ce qui provient de la plus grande étendue du diamètre transversal de la cavité orbitaire, et d’un léger aplatissement de la voûte nasale. L'ouverture des fosses nasales est, en tout, semblable à celle d’un Européen; mais la distance d’une apophyse mastoïde d’un côté, à celle du côté opposé, est r Ces crânes ont été recueillis sur les tombeaux des naturels de Waigiou, et sont analogues à ceux décrits dans la Partie Zoologique du voyage de l'Uranie. Foyage de la Coquille. —Z. Tome 1. 15 114 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. plus grande. Le diamètre vertical est assez identique avec celui qui est propre aux têtes d’4{fourous ou d'Européen ( Voy. les planches 1 et 2 de l’atlas zoologique de MM. Quoy et Gaimard ). Le crâne des Alfourous se rapproche davantage de celui des Nègres d'Afrique, c’est-à-dire, des Mozambiques. Les différences que nous remarquämes, sont : 1° un aplatissement des parois latérales de la voûte cränienne, disposition qui fait faire une saillie en dos-d’âne au sommet de la voûte; 2° le diamètre occipito-frontal est un peu plus allongé dans le premier; 3° la coupe de la face offre un peu moins d’obli- quité que celle du Mozambique, de sorte que l’angle facial est plus ouvert dans les têtes d’Alfourous, d’où il résulte que la voûte nasale est plus verticale. Les. fosses nasales sont un peu moins larges. Si nous examinons les pommettes, nous trouvons qu'elles sont moins saillantes chez l’Alfourous que chez le Mozambique. Mais cette saillie des pommettes est plus considérable que chez le Papou et que sur la tête d’un Européen, et cela est dû à la profondeur des fosses sous-orbitaires. Les mâchoires de l’Alfourous, quoique moins proéminentes que celles du Mozam- bique , le sont encore beaucoup comparativement à celles du Papou et de l’Eu- ropéen. Les têtes d’Alfourous tiennent le milieu, pour la forme générale, entre les crânes des Nouveaux-Zélandais et ceux des Nègres mozambiques. Comme chez ces derniers, les deux mâchoires forment un prolongement assez avancé pour qu'on puisse les comparer à la face d’un orang. La mâchoire inférieure de l’Alfourous a le même développement que celle du Mozambique; mais elle est plus rétrécie que celle du Papou. Comparées toutes les trois à la mâchoire inférieure de l'Européen, elles en diffèrent , par la forme de l'os, par la base ou bord inférieur, et enfin par la symphyse. 19 La partie antérieure du corps de l'os, au lieu d’être inclinée en arrière, comme dans l’Européen et le Nouveau-Zélandais, est coupée perpendiculairement ; ce qui contribue à faire saillir davantage les arcades dentaires. La base de la mà- choire est plus arrondie, et se relève un peu en avant, chez l'Alfourous, le Mozam- bique, le Papou, et même le Nouveau-Zélandais. La courbure est toutefois moins sensible chez les Papous. Posés sur un plan horizontal, les bords inférieurs de ces mâchoires ne s'y appliquent point dans tous les sens, comme le fait celle de l’Eu- ropéen : les angles latéraux de la symphyse sont par conséquent plus arrondis que dans ce dernier. L'os coronal d’un Nouveau-Zélandais est moins bombé que celui d’un Euro- péen; les angles orbitaires externes sont beaucoup plus épais, et la ligne courbe qui en part est aussi plus saillante. Le sommet de la tête se prolonge un peu en pain de sucre, comme dans celle de l’Alfourous. La voûte nasale n'offre rien de particulier. La partie antérieure du corps de la mâchoire inférieure est à-peu-près disposée ZOOLOGIE. 115 comme dans l’Européen, et elle n’en diffère que légèrement par la rondeur des angles et par la faible courbure de la base. Les arcades alvéolaires ont un peu plus de développement. L’angle facial ne s'éloigne guère de celui de l'Européen, et seu- lement la protubérance occipitale externe se prononce avec plus de force. Enfin, les os du crâne des Nouveaux-Zélandais sont remarquables par une grande épais- seur. TABLEAU COMPARATIF DES PROPORTIONS QUE PRÉSENTENT LES DIVERSES PARTIES DES CRANES, DE _ WAT-|NOUV.-GUINÉE. k NEGRE GIOU LE FRANCAIS. Tr . NOUV.-ZELANDAIS, ? MOZAMBIQUE.| — PAPOU. ALFOUROUS. mètres, inètres. mètres. mètres. mètres. Diamètre antéro-postérieur ou occipito-frontal 0,185 0,171 0,176 0,183 0,180 — transverse ou bi-pariétal 0,131 0,124 0,144 0,126 0,131 — perpendiculaire ou sphéno-bregmatique . . .| 0,135 0,122 0,142 0,135 0,142 Distance de la protubérance occipitale à la symphyse du menton 0,185 0,201 0,217 0,198 du sommet de la tête à la symphyse 0,221 0,221 0,217 0,223 ——— d’une arcade zygomatique à celle opposée. .| 0,137 0,122 0,138 0,133 ——— d’un angle de la mâchoire à celui du côté op- osé 0,104 0,090 0,095 0,099 dyloïde 0,063 0,061 0,068 : 0,065 — d’une apophyse mastoïde à celle du côté op- Hs Qulos bé oledio noie oboles Doi ic 0,104 0,099 9,099 0,106 ——— de l'angle orbitaire externe à celui du côté opposé 0,104 0,099 0,111 0,111 0,038 0,050 0,043 = 0,036 0,041 0,038 Largeur des fosses nasales 0,025 0,027 0,025 Diamètre antéro-postérieur du trou occipital 0,034 0,034 0,054 ——— d'une tubérosité molaire de los maxillaire supérieur à l’autre 0,045 L 0,054 » Angle formé par une ligne partant de la symphyse du menton à la protubérance occipitale, et par une autre ligne partant de la symphyse à la bosse frontale 70 degrés.| 58 degrés.|(r) » 67 degrés. 67 degrés. (:) Les têtes qui ont été comparées entre elles n’étant pas parfaitement entières, nous avons été forcés de négliger quel- ques-unes de leurs dimensions. TABLEAU DE LA TAILLE DE QUELQUES-UNS DES NATURELS MENTIONNÉS DANS LE MÉMOIRE PRÉCÉDENT. ; PAPOUS DES AUTEURS OU AUSTRALIENS. OCÉANIENS. Ua BAM QUE RAR US 2 OU NEGRO-MALAIS HYBRIDES. ee 7 HABITANTS É û HABITANTS de la AnGze |[OBSERVATIONS. TAITI ET BORABORA HABITANTS ANGLE de la EE NOUV.-GALLES|TAILLE . San n de at TAILLE, ( archipel de la Société ).|TAELE- Qi anges NS racar,| du Sud. FACIAL. WAIGIOU. ‘| (Port-Praslin.) (Sydnex. ) 7 - _—_ | | mètres, | numéros. mètres. | degrés. numéros. mètres. és. numéros. mètres. Totoe ( Taïti). 1,773 1,626 | 64 (x) 1 1,678 Vaeié. 1,787 1,983 | 67 1,097 Aïma. 1,787 1,970 | 67 1,669 Upaparou. 1,827 1,556 64 1,678 Faïta. 1,854 1,658 | 66 1,651 » (Borabora). | 1,868 1,658 | 65 1,597 » 1,841 1,611 68 1,674 AS ee > 1,732 1,611 | 69 1,647 1,543 ae Plusieurs. 1,705 1,502 66 1,629 .| 1,624 partant des dents inci- Le roi Tefaora. 1,841 1,529 | 69 1,692 Sives supérieures, et se 1,543 65 1,678 posant, l’une 2e ra-|} es 1,168 | 65 1,787 Be CU Teimo. 1,678 1,502 65 (2) Dimensions dela Matihé. 1,678 1,489 65 tête, du front à l'occi- F Ouaira. 1,678 1,509 | 66 Pa 1 01895 n° 2, |l Teimamo. 1,692 ) 1,583 | 63 FA 1,678 66 1,502 1,543 | 65 1597 | 65 # 1,502 Les mesures que nous 1,516 donnons ici ontété pri-|E 5 ses pendant la campa- 170 gne : nous nous dispen- 1,651 sons d’y ajouter celles |K | 1,692 données par les autres 1 732 voyageurs. 2 , » 1). L'angle que nous|k 1,705 (x) L'angle q mn SI D OrF Co D GI DEF & N © DU Door & N ZOOLOGIE. 117 CHAPITRE IT. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR QUELQUES MAMMIFERES. Lx nombre des animaux mammifères diminue à mesure qu'on s'éloigne des continents et des grandes terres des archipels d'Asie, et se réduit à quelques petites espèces, isolées sur les iles de la mer du Sud. Quoique nous ayons séjourné sur quatre points très-éloignés de l'Amérique; que nous ayons visité la Nouvelle - Hollande, la Nouvelle-Zélande, les iles de Java, de Bourou, d'Amboine, et surtout la Nouvelle-Guinée, nous n'a- vons rapporté en Europe que quinze espèces. Ce petit nombre ne doit point étonner, lorsqu'on se rappelle que les expéditions nautiques ne font que des apparitions temporaires et toujours très-courtes sur les rivages des contrées qu'elles doivent explorer principalement sous le rapport géographique. Malgré nos courses nombreuses dans les forèts vierges du Brésil, nous ne renconträmes point les tatous, les agoutis, que les habitants nous indiquèrent comme très-abondants. Nous vimes seulement sur les montagnes que traverse la route de l'Armaçao un grand nombre de singes, qui paraissent être le sajou saï ( cebus capucinus, Desm. Mamm., 73 esp. ). Les iles Malouines, placées dans les hautes latitudes australes, battues des vents, dépourvues de tout végétal ligneux, n'offrant aucun refuge aux mammifères terrestres, nous permirent, ce- pendant, de faire quelques remarques intéressantes. Les ani- maux domestiques que les Européens y portèrent, lorsqu'ils s’établirent à la Soledad, abandonnés à eux-mêmes sur ces terres dégarnies, et qui ne forment qu'une longue prairie rase, tantôt uniformément plate et tantôt montueuse, s’y sont parfaitement 118 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. naturalisés. Aussi n'est-il pas rare de voir des troupes de che- vaux, vivant, par bandes de trente ou quarante, dans des can- tons que chacune d'elles semble s'être réservés. Nous eùmes occasion d'observer plusieurs traits de l'intelligence instinctive perfectionnée de ce noble animal, qui conserve encore, au mi- lieu de ses mœurs redevenues sauvages par l'état de liberté, quelques-unes des généreuses qualités qui en font le plus docile compagnon de l’homme. L'hiver doit détruire, chaque année, aux iles Malouines, un grand nombre de jeunes individus, avant qu'ils se soient endurcis à sa rigueur, et que la nature leur ait donné, pour s'en garantir, le poil long et épais qui les revêt, sans pour cela en enlaidir la race, qui s’est encore conservée remarquablement belle. Nous ne vimes qu'un petit nombre de bœufs, et leur espèce a dù souffrir des chasses fréquentes que les baleiniers en relâche ne manquent point de faire, pour pro- curer des vivres frais à leurs équipages. Leur chair n’est point agréable à manger, parce que sa saveur n'a point été modifiée par la castration. On assure que les Espagnols déposèrent sur ces iles, en 1780, jusqu à huit cents têtes de bétail; mais ce nombre nous parait certainement exagéré. Les cochons se sont également propagés sur les îles Malouines, et principalement sur un ilot, qui est à l'entrée de la baie Française. Leur nour- riture n'est ni succulente, ni même abondante : aussi leur chair maigre, quoique possédant un fumet agréable, n'a aucun rap- port avec celle de nos cochons domestiques, et encore moins avec celle des sangliers. Leurs poils d'une rudesse extrême sont généralement de couleur rouge de brique. Les lapins, que les chasseurs n'inquiètent que passagèrement, ont établi de nom- breuses garennes très-peuplées. Elles sont généralement placées, près des ruisseaux, au fond des vallons resserrés; et les terriers sont creusés profondément sous les touffes du seul et frêle ar- brisseau de ce coin du monde, l'amnellus diffusus de Wildenow ZOOLOGIE. 119 (D'Urvizze, fl des Malouines, n° 80), quon observe prin- cipalement à l'anse Chabot. Il se pourrait que ces animaux aient été portés par les premiers colons, quoique les anciens naviga- teurs, et Magellan entre autres, les aient vus sur l'extrémité australe de l'Amérique. Ce n'est toutefois qu'avec réserve que nous décrivons comme espèce le /epus magellanicus. Parmi les animaux qu'on peut véritablement regarder comme indigènes des iles Malouines, sont les phoques et le chien antarctique. Nous donnons quelques détails sur les premiers dans la descrip- tion de l'espèce nouvelle, que nous avons nommés ofaria mo- lossina ; et quant au chien antarctique, nous ne l'avons entrevu qu'une fois. Il est décrit dans la Mammalogie de Desmarest (298°), d'après Shaw ( Gen. zool. v. I, part. ÎT, p. 331 ), sous le nom de cants antarcticus, auquel on donne pour synonyme le culpeu de Molina ( Hést. nat. du Chili, p. 274 ). Sur les côtes de l'Amérique méridionale, que baigne le Grand- Océan, au Chili et au Pérou, où nous ne séjournàmes que quelques jours, nous ne nous procuràmes point de mammifères. Cependant, les attérages de la Concepcion et l'immense baïe de Talcaguana étaient remplis de cétacées et de phoques, qui na- geaient au milieu des prairies flottantes du fucus pyriferus et du d'Urvillæa utilis, le porro des Chiliens. C'était surtout près de la petite ile de Quiriquine que ces derniers animaux étaient réunis en plus grand nombre, et qu'ils étaient groupés sur les rochers qui la bordent du côté de la mer. L'un d'eux, qui nageait très- près de la corvette, se saisit devant nous d’une sterne qui volait au-dessus de l'eau en compagnie d'un tres-grand nombre de mouettes. Ces oiseaux maritimes rasaient la mer, et se préci- pitaient les uns sur les autres pour saisir les débris des poissons, qui étaient dévorés par le phoque, lorsque celui-ci, sortant vi- vement sa tête hors de l’eau, s'efforcait à chaque fois de saisir un des oiseaux, et y parvint en notre présence. Le chien qui 120 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. habite le Chili paraïitrait former une espèce bien distincte: sa forte taille, son poil long et hérissé, ses oreilles droites et grandes, son museau allongé, lui donnent une physionomie hideuse et repoussante, et le placent dans la section des chiens loups. Molina, dans son histoire naturelle du Chili, indique trente- six espèces de mammifères. : Nous ne vimes guere que le coati roux, qu'on dit être com- mun aux alentours de Penco, quelques tatous et une sorte de chat, peut-être le yaguarundi de D'Azara, que nous ne pumes nous procurer; mais il est vrai que nos excursions se bornèrent au cercle étroit de la presqu'ile de Talcaguana. Combien, ce- pendant, le Chili serait intéressant à visiter sous le rapport des sciences naturelles! C’est une des contrées qui doit un jour le plus enrichir la zoologie. Que d'espèces, peut-être aussi inté- ressantes que le chlamyphorus truncatus de Harlan , sont cachées dans les forêts épaisses de l'extrémité méridionale des Andes, du pays des Puelches ou des Araucanos! Au Pérou, nous ne vimes, près de Callao, qu'un petit cam- pagmol, à pelage gris, qui est commun dans les champs : nous n'en rencontrames point à Colan et à Payta. Les sables frappés de stérilité, qui couvrent cette étendue de pays, et qui s’avan- cent assez avant dans l'intérieur, ne paraissent point propres à nourrir aucun quadrupède de certaine taille. Des squelettes de phoques, épars cà et là sur les grèves, annoncent que ces ani- maux vont jusque sous la ligne. Des gens du pays nous indi- querent une espèce de gerboise, qu'on trouve assez commu- nément dans les dunes sablonneuses des environs de Piura, et sur l'existence de laquelle nous n'avons obtenu aucun rensei- gnement positif. Nous observämes que la plupart des chiens de Payta appartenaient à la race des chiens sans poils ( canis ægyp- us ), le chien ture de Buffon, qui est originaire d'Afrique, sui- vant les auteurs. ZOOLOGIE. T21 Les iles de la mer du Sud n'ont point de quadrupèdes indi- gènes autres que le rat, qui s’est propagé partout où l’homme existe; un mulot :, et le chien et le cochon, qui y sont élevés en domesticité. Cependant, ces deux animaux ne se trouvent point répandus sur toutes ces terres indifféremment. Ainsi, le chien, nommé ouri, dont on mange la chair dans les jours de fête, n’existe point sur plusieurs des iles océaniennes ; et le co- chon qui appartient à la race dite de Siam, n'est observé que sur les iles habitées par les vrais Océaniens, et ne se trouve point sur aucune de celles dont les peuplades de notre rameau mongol-pélagien sont en possession. Les cochons, nommés bouaa aux iles de la Société, sont l'ali- ment des chefs : c'est le mets d'apparat de toutes les cérémonies; et la maniere de les faire cuire dans des fours souterrains, et de les servir entiers, comme le faisaient les héros d'Homère, est connue de tout le monde; tant les voyageurs se sont plu à en répéter les moindres détails. Cette espèce est de petite taille; son pelage , souvent frisé et dur comme de la bourre, est mélangé de roux, ou parfois est entièrement noir. Elle vit fréquemment dans les bois, où les Taitiens l'abandonnent à elle-même : c’est alors que les défenses se développent dans les mâles, et four- nissent à ces naturels un genre d'ornement qu'ils recherchent. Enfin, les missionnaires anglais ont essayé de naturaliser quel- ques animaux domestiques; car tous ceux qui ont été portés par les premiers navigateurs n'ont jamais prospéré; mais leurs ef- forts, mal dirigés, n'ont point eu de succès. Un gramen coupant, nommé périptri, a toujours fait périr les brebis, que plusieurs fois on y a introduites. Seulement, de nombreux troupeaux de cabris * Nommé ioré à Taiti. Ce mulot, dont le pelage est d’un gris-roux et la queue presque nue, vit en abondance, autour des habitations, des racines et des fruits qui jonchent le sol. Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 16 122 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. attestent que ces animaux, utiles, et peu difficiles dans le choix de leur nourriture, sont les seuls qu'avec peu de soins, on puisse acclimater partout entre les Tropiques. En remontant au Nord et à l'Ouest, notre séjour sur l'ile d'Oualan ne nous a permis d'y remarquer que deux espèces qui y soient vraiment indigènes. L'une est la roussette Kéraudren, que les naturalistes de l'Uranie trouvèrent aux Mariannes, et qui est propre aux archipels compris entre les Philippines et Oualan : elle existe aux iles de Palaos , suivant Wilson, qui la mentionne sous le nom d'oleek. Cette roussette, que les naturels nomment qguoy, vole aussi bien le jour que la nuit : ses habi- tudes sont sociales; et nous en rencontrames souvent de réunies en grand nombre, et accrochées, près les unes des autres, aux branches desséchées des arbres. Le surmulot commun (nus decumanus, Mamm. Des. 473), nommé kousique, pullule prin- cipalement autour du grand village de Lélé, où il semble pros- pérer en paix, protégé par l'indifférence des naturels. Les Papouas qui habitent la grande ile nommée Nouvelle- Irlande par Carteret nous apportèrent souvent des dents ca- nines de cochon, recourbées sur elles-mêmes et très-longues, ressemblant à celles du babi-russa. Les descriptions que nous firent ces naturels, toutes grossières qu'elles fussent, semblent nous autoriser à dire que cet animal, rare dans quelques-unes des Moluques orientales, se serait avancé sur ces terres que nous regardons comme le prolongement naturel de la Polynésie. Il trouverait, d'ailleurs, dans les immenses forêts vierges de la Nouvelle-Bretagne et de la Nouvelle-[rlande, les mêmes éléments d'existence qu'aux Moluques. Toutefois, le cochon, que les na- turels du Port-Praslin nomment boureé,, et qu'ils apportaient à bord de notre corvette, est de petite taille, et, par l'ensemble de ses formes corporelles, se rapproche de l'espèce dite de Siam : il n'y est pas commun; car nous n'en vimes qu'un très-petit ZOOLOGIE. 123 nombre, et les naturels paraissaient y attacher la plus grande valeur. Le phalanger blanc (p. cavifrons, Temm.), nommé kapoune par les Nègres de la Nouvelle-Irlande , est multiplié dans cette contrée. Ce joli animal, aux mouvements lents, à la démarche irrésolue, parait offrir plusieurs variétés : nous en donnons une bonne figure et une description étendue. Les chiens, nommés poull, sont de petite taille; leur museau est pointu, et leurs oreilles sont dressées. Ils nous parurent en tout semblables à ceux de la Nouvelle-Hollande. Courageux et très-carnassiers, ils vivent de tout ce qu'ils rencontrent, et notamment de poissons et de crabes, qu'ils vont pêcher sur les récifs. Les naturels se nour- rissent de leur chair, qu'ils trouvent très-délicate : ils pensaient que nous faisions le même usage de ceux que nous achetàmes vivants, et que nous fümes obligés d'abandonner au Port-Jack- son. Nous observames aussi au Port-Praslin une très-petite espèce de vespertilion. L'ile de Waigiou, que nous visitâmes après la Nouvelle-Ir- lande , fait partie du groupe nommé terre des Papous. Là, nous retrouvames les productions animales des Moluques et du Port- Praslin, et les naturels nous y indiquèrent encore l'existence du babi-russa, sur lequel nous ne pümes nous procurer aucun renseignement positif. Nous croyons devoir y indiquer un petit quadrupède", nommé kalubu par les habitants, à pelage gris, à 1 Nous retrouvons dans nos notes les renseignements suivants, relatifs à cette espèce, à laquelle nous conservons le nom spécifique de kalubu, sans lui assigner une dé- nomination générique. « Cet animal , de la famille des marsupiaux , est voisin, par l’ensemble de ses ca- « ractères, du z7icouré nain de d’Azara. Le pelage est d’un gris fauve; la queue «nue, longue de 18 lignes; le corps de la grosseur d’un mulot ; il y a cinq doigts «aux pieds antérieurs, dont les deux externes sont très-courts, tandis que les autres « sonttrès-allongés et munis d’ongles forts; les pieds de derrière ont également cinqdoigts, « dont un pouce petit et sans ongle; les doigts du milieu sont réunis comme dans «les phalangers, et l’externe est très-long ; la poche marsupiale est peu apparente. » 16. 12/ VOYAGE AUTOUR DU MONDE. museau très-effilé, qui fut perdu dans le naufrage de l'un de nous au cap de Bonne-Espérance. Le grand phalanger tacheté (cuscus maculatus, major ) est très-commun dans cette île, où les naturels le nomment scham-scham. Remarquable par son épaisse fourrure laineuse, blanchätre, que recouvrent des taches arrondies d'un noir vif; par sa face rouge, ses yeux carminés, enveloppés d’un rebord palpébral lâche; cet animal , qui n’a point une physionomie agréable, voit à peine pendant le jour, tandis, au contraire, que sa pupille, contractéert verticale sous l'influence de la lumière, se dilate au soir et pendant la nuit. Les phalangers de cette espèce conservés au Muséum n'étant point complétement adultes, et les couleurs de leur pelage n'étant pas aussi prononcées que celles de l'individu que nous avons rapporté, nous l'avons fait peindre, en ajoutant quelques détails à son histoire. Quelques jours après notre départ de Waigiou, nous attei- gnimes Bourou, une des Moluques. Cette ile, vaste et belle, sur laquelle les Européens n'ont encore formé qu'un établissement sans importance , est située non loin de Céram, et nourrit les animaux les plus intéressants pour le zoologiste qui pourrait y faire un séjour de quelque durée. Une grande espèce de cerf s'y est multipliée de manière à fournir des vivres frais en abon- dance aux soldats de la garnison de Cajéli; et la roussette des Moluques ( pteropus edulis), dont la chair délicate est recher- chée par les habitants de l'ile, se trouve communément dans les bois. Le mammifere le plus remarquable de Bourou, et qui manque encore à nos musées, est le babi-russa ou cochon- cerf; et nous eumes le regret de partir de cette ile après avoir infructueuse- ment essayé de nous procurer ce précieux animal, quoique le radjah malais de Cajéli nous eût bien promis de nous en vendre deux, qu'il devait faire venir du centre de l'ile, et qui durent ZOOLOGIE. 125 arriver quelques jours après notre départ. Les habitants nous dirent que le babi-russa est très-multiplié, dans l'intérieur, sur le territoire des Alfourous, et qu'il se plait au milieu des jones et des plantes aquatiques. L'un de nous, étant à Java vers la fin du voyage de la Coquille, eut occasion d'observer un babi-russa male adulte, un jeune et deux femelles, qui appartenaient au gouverneur général des Indes, Van der Cappellen, et qui étaient destinés pour la Hollande : nous avons appris depuis qu'ils avaient péri dans le voyage, et que leurs dépouilles n'avaient même pas été conservées. Le babri-russa male avait deux pieds et demi de hauteur environ. Ses formes, quoique robustes et massives, n'étaient pas sans élégance, et s’éloignaient, par leur ensemble, de celles qui appartiennent aux cochons en général. Les jambes étaient grosses et proportionnées, très-droites et non gréles, comme on les décrit ordinairement. Le corps était plein et régulier dans ses contours, d’ailleurs bien dessinés et arrondis. La tête était allongée, à chanfrein bombé. La queue, assez grosse à son origine, se terminait par une pointe déliée ; elle était presque complétement nue. La peau du corps, de cou- leur noire, sillonnée de rides et de plis, portant seulement quel- ques poils rares, imitait un peu, par sa dureté et son aspect, celle du tapir. La portion qui entourait la base des deux dé- fenses fortement recourbées de la mâchoire supérieure était dé- chirée et saignante; ce qui était dû à la manière dont s'accrois- sent, en perforant la peau, ces mêmes dents. Les cils manquaient aux paupières. L'iris était jaunatre. Les deux orteils antérieurs des pieds étaient allongés, plus séparés que dans les autres espèces du même genre, et à sabots un peu convexes en dessous. Les dimensions des femelles, qui n'avaient point de défenses, étaient beaucoup plus petites. Cette espèce de cochon nous semble véritablement organisée pour vivre dans les ma- 5 récages. Ceux que nous vimes en captivité se nourrissaient ex- 120 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. clusivement de maïs, et manifestaient une humeur farouche et une inquiétude qui ne leur permettaient point de rester quel- ques secondes en repos. La figure que Siavorinus à donnée du babi-russa est très-mauvaise : elle est copiée de Valentyn; et, par une erreur grossière, on a donné des ongles crochus, au lieu de sabots, aux doigts de cet animal pachyderme :. À Amboine , que le séjour de Rumphius a rendue si célèbre, on ne trouve que peu de productions propres à cette ile. La plupart des animaux décrits comme provenant de cette loca- lité, appartiennent, en effet, à d’autres iles Moluques, et notamment à Céram et à Bourou; tels sont le tarsier, le che- yrotain pygmé et le pélandoc. Ce dernier, nommé podin par les naturels de la Nouvelle-Guinée, n’est point rare dans les grandes forêts équatoriales des Papouas, où un grand nombre d'animaux trouvent sans cesse toutes les conditions favorables pour une multiplication paisible. Notre commis aux revues acheta, des naturels de Doréry, un pélandoc en vie ( dédelphis Bruni ); mais cet animal, que nous nous réservions de lui demander pour nos musées, se jeta à la mer dans le courant du voyage, et fut perdu. Nommé kangourou d'Aroë, parce qu'il fut trouvé sur l'ile de ce nom, voisine des Moluques, il est le premier animal qui, par son organisation et la brièveté des membres supérieurs, présenta tous les caractères extérieurs qu'on a retrouvés depuis dans les kangourous de la Nouvelle-Hollande. Cependant, il est plus ra- massé dans ses formes ; et peut-être, lorsqu'il sera mieux connu, et que son système dentaire et ses viscères auront été étudiés, formera-t-il un nouveau genre. Sa taille est celle du lapin, et le gris-brun est la couleur de son pelage. Il se nourrit de vé- sétaux; et, cependant, malgré son organisation viscérale et ? Stavorinus, ’oy. aux Indes Orientales, t. Il, pag. 254. — Muséum de Grew, pl. 1, pag. 27. — Séba, t. I, pl. bo. ZOOLOGIE. 127 dentaire, il aime de préférence la viande. Ses mœurs sont douces et paisibles, et le rendent aisément familier. Nous ne quitterons point les forêts vierges et gigantesques de cette Nouvelle-Guinée, si peu connue, et si féconde en animaux rares et précieux, sans indiquer que tout porte à croire à l'exis- tence du babi-russa sur ces terres peu distantes des Moluques, et présentant, comme elles, l'ensemble des mêmes productions. Chacun de nous, en parcourant les alentours du havre de Do- réry, eut fréquemment occasion de rencontrer l'espèce de co- chon que nous décrivons sous le nom de sus papuensts. Les naturels de la Nouvelle-Guinée apportaient journellement à bord l'espèce de chien qui vit dans leurs huttes, et qu'ils nom- ment nafe. Elle ne différait point du chien de la Nouvelle-Ir- lande, et très-peu de celui de la Nouvelle-Hollande ( c. Æustra- lasiæ ). Comme dans ce dernier, le pelage est ras, fauve ou noir, le museau effilé; les oreilles sont droites et courtes, les habi- tudes hardies, et l'aboiement nul. Une seule fois, nous vimes une sorte de grand écureuil volant ou de galéopithèque gravir sur un muscadier sauvage , et dispa- raitre au milieu de son feuillage verdoyant et de ses fruits aro- matiques. Les rats, dont l'espèce semble avoir envahi les deux hémisphères, sont abondants autour des villages de Manasouary et de Masmapy. Le mammifere sur lequel nous nous arrèterons un instant est la roussette édule ( pteropus edulis), qu'on rencontre à peu près également sur toutes les iles Moluques et Papoues. Cet animal, que les Malais nomment bourung-tthous , s'apprivoise assez volontiers. Les froids du Sud de la terre de Diémen nous en firent périr un, que nous devions à l'obligeance du docteur hollandais Æarloff, et qui était devenu très-familier. Sa nour- riture principale consistait en fruits sucrés, et particulièrement en bananes. La position habituelle de cette roussette était la tète 12e VOYAGE AUTOUR DU MONDE. en bas et suspendue par les pieds. Elle conservait parfois sa nourriture dans des sortes d’abajoues, et, lorsqu'elle satisfaisait à ses besoins, elle se dressait, et se tenait accrochée par l’ongle recourbé du pouce des ailes . 1 Cette espèce, que nous étudiâmes à bord aussi bien qu’il est possible de le faire sur un navire, nous présenta les détails suivants : pouces lignes m. Enyeroure. = 0: FA A NE AR Ne 34 D 00,920 Longueur du museau à l’anus.............. DMC RON ide Ha tetes MEN 2 AROMMO 00 de IQ UMEUS EE EAU SONO 000 ———— des extrémités postérieures. . ...... DHMONMO 1710 Circonférence du corps......... A tbe TANGO 0209 La langue de cette roussette est épaisse , Charnue, et comme parquetée ou rugueuse à sa partie moyenne. Un sillon assez fortement creusé existe entre les narines. Les yeux sont distants de 8 lignes l’un de l’autre; l'iris est de couleur brune. Le foie est volumineux, et occupe toute la région épigastrique : il est divisé en quatre lobes, dont deux plus petits. La vésicule biliaire correspond à la face inférieure du second lobe , qui est échancré. La rate est petite, mince et allongée. Les reins ont la forme de fèves. Les ovaires sont très-peu prononcés, arrondis, et logés dans l’espace que laissent entre eux les ligaments de la matrice, dont les cornes se prolongent et croisent la direction des uretères. En dedans des reins et sur la colonne vertébrale, on ob- serve deux corps blanchâtres, gros comme un pois, qui semblent communiquer avec les reins par un petit conduit. L’œsophage s’élargit pour s'unir à l'estomac : celui-ci est placé horizontalement au bas de la région hypogastrique, et occupe tout l’hy- pocondre droit. Le duodenum a trois courbures. La longueur totale des intestins est de 2 mètres 619 millimètres. Diverses colonnes charnues, dans l’intérieur de l’organe gastrique , se portent vers les deux ouvertures pylorique et œsophagienne. Les troncs artériels du foie se distribuent principalement dans les deux lobes les plus volumineux. Le diaphragme est mince. Les poumons sont petits, rougeûtres : le droit est divisé en trois lobes, tandis que le gauche n’en a que deux. Le cœur, assez volu- mineux, n’a rien de particulier. Le sternum est très-étroit, et présente une saillie ou crête assez considérable sur sa face externe. Très-fréquemment, nous observämes, pen- dant plusieurs jours, une exsudation sanguine abondante sur le pourtour extérieur des organes de la génération de cette roussette, exsudation qu’on ne peut se dispenser de regarder comme l’analogue du flux menstruel de certaines espèces de singes et de la femme. ZOOLOGIE. 129 Nous ne quitterons point cet archipel sans mentionner Java. Ce n'est point que nous ayons à indiquer des quadrupèdes de cette ile ; cette tâche a été trop bien remplie par un naturaliste anglais estimable, le docteur Horsfield : mais nous ne pouvons nous dispenser de dire un mot de la panthère noire (fels melas, Péron et Lesueur. Desm. 344 Mamm. ), qui y est commune, et que nous vimes chez l'obligeant sous-résident, M. Smolders. Cet animal, de la taille de l'ocelot, et ressemblant par l'aspect de son corps à la panthère commune, a son pelage d'un noir uni- forme et lustré; par certains reflets, des ondes, ou sortes de taches plus apparentes, se dessinent, à la manière des moirés, sur le fond de la teinte générale. Féroce et redoutable, ce chat habite principalement les solitudes des profondes forêts du district de Banjou-wandgi; et jamais les Javanais ne l’attaquent sans qu'il ait commencé les hostilités en dévorant quelques- uns de leurs animaux domestiques : ils lui tendent divers piéges dans lesquels ils placent des oiseaux vivants, qui ne manquent point de l'y attirer. La panthère noire servait, à la cour des sultans de Java et de l'empereur de Solo, à exécuter une cérémonie dont le peuple était avide, et qu'on nommait Rampok, de mème qu'à punir de mort les esclaves coupables de certains crimes. Voici les renseignements que l'un de nous ob- tint, sur cette grande fête, d'un témoin oculaire, employé su- périeur de la colonie. Au milieu d'un amphithéâtre préparé sur un terrain uni pour le grand spectacle du Rampok', est placée une cage dans la- quelle est captif le #igre nor, ou l'arimaou ; car c'est ainsi qu’on nomme cet animal à Java. Autour de lui, formant un cercle épais, sont placés en haie serrée deux rangs de Javanais armés 1 Des détails analogues se trouvent également consignés dans l’histoire de Java par sir Raffles, page 55 de la traduction de M. Marchal. Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 17 130 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. de piques. Deux ou trois hommes, chargés d'aller ouvrir la porte de la prison à la panthère, se détachent alors du cercle, sa- vancent en cadence, et, après avoir rempli leur dangereuse mis- sion, retournent à leur place en mesure et avec lenteur. Les Javanais sont dans la ferme persuasion que, s'ils se retiraient brusquement après avoir ouvert la porte à l'animal, il s'élan- cerait infailhiblement sur eux, et les mettrait en pièces. La pan- thère noire ne se décide pas toujours à sortir immédiatement de sa prison. Il faut souvent lagacer, la harceler avec de longues lances, ou bruler de la paille autour d’elle pour la forcer à entrer dans l'arène. Irritée et furieuse alors, elle mesure de l'œil la distance qui la sépare de ses ennemis, et s’élance au plus épais des piques, y trouve la mort, mais non sans se venger sur un grand nombre de misérables, que le despotisme des sultans sacrifie ainsi à sa férocité. On nous assura, en outre, que le sousouhounan actuel de Vugyu-Kerta se plaisait à faire com- battre la panthère noire par des esclaves, n'ayant pour armes que des kris ou poignards malais à lames de plomb. Enfin , une fête, encore très-aimée par les Javanais, est le combat de cette panthère avec des buffles. Les mammiferes, à la Nouvelle-Zélande, se bornent à trois ou quatre espèces seulement : le cochon, que Cook n'y trouva point, et qui y aurait été introduit depuis par les Européens ; le chien austral, et le rat. Les côtes méridionales de ces deux iles sont peuplées de phoques, objets de chasses lucratives aux- quelles se livrent les Anglais. Les animaux de la Nouvelle-Galles du Sud ont été le sujet de recherches nombreuses et suivies; mais, malgré cela ,une grande obscurité règne encore sur l'histoire de la plupart d'entre eux; et des naturalistes, vivant sur les lieux, pourront seuls un jour donner des renseignements sur leurs habitudes et leurs mœurs. Déja, les alentours de Sydney sont dépeuplés des espèces qu'y ZOOLOGIE,. 131 trouverent les premiers voyageurs : la civilisation et les défri- chements les refoulent dans l'intérieur; et l'époque n'est pas éloignée où les kangourous :, les ornithorhynques, seront ex- cessivement rares. Ce n'est qu'en domesticité que nous vimes les grands kangourous(#. labratus,Geoff.), paissant en liberté dans le vaste parc de Aose-hill, à Parramatta ; se relevant sur leurs longues jambes postérieures, pour examiner ce qui se passait autour d'eux; et fuyant par bonds en s’élancant sur leurs courtes jambes de devant, lorsqu'ils sont inquiétés. Cet animal, dont la chair dure et coriace est peu estimée, s’apprivoise aisément; et nous en vimes un à Sydney, qu'un militaire avait élevé, et ap- pris à boxer, en même temps qu'il était soumis et docile à ses volontés. Ce kangourou était courageux, ne redoutait point les chiens, et cherchait à frapper avec ses pieds ceux qu'il voulait combattre, en s'élançant sur eux par un bond instantané, tandis qu'il jouait nonchalamment avec le maitre qui le nourrissait. Les colons apportent en abondance dans les marchés un kan- gourou de taille moyenne ( 4. ualabatus, N. ), que les naturels nomment oualabat, et parfois le potourou de White ( Aypst- prymnus White, Quoy et Gaim. ), qui vit dans les lieux rocail- leux et peu fréquentés. Notre maitre canonnier, Roland, tua un individu de cette espèce, qui différait un peu de celui qui est dé- crit dans la Zoologie de l'Uranie ; mais il fut perdu dans le nau- frage de l'un de nous. On nous indiqua, sous le nom de bandicout, des animaux qui paraissent être des péramèles, peut-être le p. nasutus de M. Geoffroy, et qui vivent aux environs de Liverpool. Nous ne vimes des dasyures qu'en captivité: ils appartenaient : Les habitants de la rivière £ndeavour nomment les kangourous mén-4-&h, suivant M. Cunningham ( Varr. of a survey of the inter. et west. coasts of" Austra- lasia, by Parker King.) La première figure du kangourou a été donnée par Cook, EN Oy it EN Ip 2/1 une 17. - 132 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. à l'espèce dite de Maugé ( dasyurus Maugeï, Geoff. ), fig. atl. de l’'Uranie. Les naturels détruisent une grande quantité de pha- langers volants ( petaurtsta taguanotdes, Desm. ), dont ils font sécher les peaux pour en faire de petits manteaux, qui leur couvrent les épaules pendant l'hiver. Plusieurs de ces animaux avaient le pelage entièrement blanc. L'espèce de chien sauvage (canis australasiæ, Desm.) que White a décrit dans son histoire de la Nouvelle-Galles ressemble au chien de berger. Son poil est rude; ses oreilles sont droites, et 1l appartient à la même espèce que celui de la Nouvelle-fr- lande, des iles Bouka et de Bougainville. Ce chien est courageux, et vit le plus ordinairement de ce que la mer rejette sur son rivage. Il est bien figuré dans l'ouvrage sur les mammifères de MM. Frédéric Cuvier, et Geoffroy Saint-Hilaire. Nous ne vimes au Port-Jackson qu'une seule peau de wombat, ou phascolome (dédelphis ursina, Shaw.; phascolomys wombat, Pér. et Les. ), et il paraît qu'on ne le trouve qu'a la terre de Diémen, et dans les petites îles du détroit de Bass. M. Cunnin- gham mentionne une roussette ( pteropus), celle des Moluques sans doute, dans la partie intertropicale de la Nouvelle -Hol- lande. Les ornithorhynques, que les colons nomment water-mole, ou taupes d’eau, et les naturels mouflengong, habitent assez communément encore les rives de Fish-river, tandis qu'on n’en voit que rarement aujourd'hui dans le Nepean. Le paradoxe, ainsi nomma-t-on ce singulier animal, dont Shaw fit son genre ! Consultez Péron, Joy. aux Terres australes; Desmarest, Mamm.; Vander- hoeven, Nov. act. Acad. Cæs. Leop. Car., t. XI; Knox, Mém. de la Soc. werné- rienne ; Everard-Home; de Blainville, etc., etc., figuré dans les Misc. de Shaw, t. X, pl. 385, sous le nom de Duck-billed or platypus; et par Leach, Misc., tom. IT, pl. 111, page 136. ZOOLOGTE. 133 platypus, et Blumenbach le genre orntthorhynchus , est encore assezcommun , dans la saison opportune, à New-Castle, et dans les rivières Campbell et Macquarie. Le docteur Palmeter, lorsque M. Knox annonca sa belle découverte de la glande crurale et de son conduit, aboutissant à l’ergot, après avoir nié ces or- ganes , affirma qu'on ne connaissait, dans la Nouvelle-Galles, aucun exemple de blessure, suivie d'accidents dus à la présence d'un venin quelconque. Il conclut, à la fin d'un petit mémoire qu'il publia dans la Gazette de Sydney, que ces ergots, dont les femelles sont toujours privées, servaient aux mâles à tenir celles-ei immobiles pendant l'acte de la copulation. Les colons assurent que les ornithorhynques sont ovipares : et M. Murdock, surintendant de la ferme d'Emiou-plains, nous affirma positi- vement avoir vu des œufs de la grosseur de ceux d’une poule, et au nombre de deux. Mais les dissections de Meckel, qui trouva sur des femelles des glandes mammaires très-développées, ne permettent point de douter que cet animal ne soit vivipare ; et c'est aussi l'opinion du savant anatomiste de Blainville. Cepen- dant , l'organisation singulière des deux mächoires aplaties en bec de canard de cet animal rend difficile la succion, et l’on ne se fait pas une idée bien juste de la manière dont les jeunes peuvent saisir le mamelon de la mère. Le pelage de l'ornitho- rhynque adulte est ordinairement d'un brun noir; parfois des variétés l'ont de couleur fauve-rougeatre. Ce fut en vain que l'un de nous attendit, pendant plusieurs heures, s'il verrait paraitre quelques ornithorhynques sur les petits rochers à fleur d'eau de Fish-river, où ils vont se placer lorsqu'ils sortent de leurs trous. Nous apprimes, depuis, qu'à cette époque de l’année ( janvier et février ), ils restaient blottis dans leur gite, et qu'ils ne pa- raissaient qu'a l'époque des grandes pluies, qui, en faisant 5 déborder les rivières qu'ils habitent, les forçaient à se tenir sur la surface de l’eau et dans les jones qui en couvrent les 13/4 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. bords. Les peaux qu'on peut se procurer dans le pays, non en- duites de préservatifs, se détériorent aisément. . L'échidné épineux © (echidna hystriz, Cuv.) habite principa- lement le mont York : par l’ensemble de ses formes corporelles, il ressemble au hérisson, et c'est à cause de cette similitude que les colons lui ont appliqué le nom de Ledge-hog. Il se creuse des terriers, et n'aime point à sortir dans les temps secs : aussi est-il difficile de se le procurer pendant plusieurs mois de l’année. Il vit d'insectes, principalement de fourmis, qu'il ramasse avec sa langue à la manière des fourmiliers: l'on dit aussi qu'il mange des légumes. Il fait entendre un petit grognement lorsqu'on l'in- quiète, et ses habitudes à l’état de liberté sont peu connues. Un échidné, que nous nous procuràmes en vie, a donné l’occasion à l’un de nous de publier { Bulletin de la Société philomatigque) les observations suivantes : «Cet animal, nourri depuis deux mois avec des végétaux par un ancien convict de Sydney, fut enfermé dans une cage avec de la terre, d'après l'avis qui avait été donné. En vain lui présentait-on des légumes, des insectes, de la viande, des sucs substantiels, l'échidné les flairait seulement sans y toucher; mais il buvait avec avidité l'eau que chaque jour on avait le soin de lui offrir, en tirant sa langue extensible et filiforme , longue de deux à trois pouces, et en lapant. C'est ainsi qu'il vécut, pendant trois mois, sans avoir pris autre chose. « Après une traversée assez tempétueuse, le premier soin, en arrivant à l'ile de France, fut celui de ramasser des fourmis et des vers, qu'on lui présenta, sans quil parüt s'en soucier. En revanche, il buvait du lait de coco avec un vif sentiment de : Figure dans Shaw, sous le nom de porcupine ant-eater, t. NII des Misc. , f. 109. Nous en avons apporté trois individus : lun servit à faire un squelette au labo- ratoire du Muséum, et les deux autres nous furent remis par le général Brisbane pour M. Cuvier. ZOOLOGTE. 139 plaisir; et tout semblait alors promettre qu'après avoir résisté aux froides latitudes du Sud de la Nouvelle-Hollande, il serait possible de lapporter en Europe. Mais, un matin, l'échidné n'existait plus, et la seule cause présumable de sa mort doit _ être imputée à du savon arsenical, laissé dans une gibecière où il se cacha pendant toute une nuit. « C'est avec une satisfaction toute particulière que j'aimais à suivre, dit M. Garnot, les habitudes, jusqu'alors inconnues, de ce petit animal. J'en épiais les moindres particularités, bien per- suadé qu'elles seraient intéressantes aux yeux des naturalistes. J'avais reconnu que la prison dans laquelle je le tenais enfermé ne lui convenait point : aussi m'empressais-je de lui donner une liberté entière dans la chambre que j'occupais à bord du navire, et pendant mon séjour à Maurice. Chaque jour, je l'observais dans ses promenades régulières, et rarement il employait moins de quatre heures sur vingt-quatre à parcourir en tout sens l'espace que nous occupions ensemble; et s'il trouvait un ob- stacle, il cherchait à le surmonter, et ne rebroussait chemin que lorsqu'il avait épuisé ses moyens pour y parvenir. C'était dans un coin obscur de ma chambre, entre une cloison et des caisses, qu'il se rendait pour dormir. Sa démarche, lourde et genée en apparence, lui permettait, cependant, de parcourir, en une mi- nute, un espace d'environ trente à trente-neuf pieds. Il se ca- chait mystérieusement dans un angle de l'appartement pour faire ses ordures; et ses excréments, peu consistants et noirs, exhalaient une odeur infecte. « Un jour, je retirai mon échidné dans un état d'engourdisse- ment tel, que je le crus rendu au terme de sa vie. Je le ranimai en le portant au soleil, en le réchauffant par des frictions avec un linge chaud : peu à peu il reprit son activité habituelle ; mais, souvent depuis, il resta sans mouvement l’espace de 48, 72, 78, et même 80 heures de suite. Il se promenait fréquemment dans 136 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. la nuit, et se roulait en boule au moindre bruit, à la manière des hérissons. Du reste, timide et craintif, cet échidné se laissait caresser volontiers. La conque de l'oreille s’apercevait aisément lorsqu'il écoutait, et ressemblait à celle d’un hibou. Les yeux sont très-petits, et le long nez, immobile et solide, me semble être un organe où le sens du toucher réside à son extrémité, qui est molle, et avec laquelle l’échidné tâte ce qui lenvironne, surtout pendant la nuit. » Enfin, pour achever de présenter le tableau des mammiferes que nous avons été à même d'observer dans le voyage, il ne nous reste plus qu'à indiquer notre dernière relàche à l'ile de France. Les animaux qu'on y remarque y ont été importés; tels sont les cerfs, qui vivent dans les grands bois, les cochons mar- rons ou sauvages, les lièvres, les rats, qui infestent aujourd'hui cette ile, et les tenrecs. Ces derniers, venus de Madagascar, vivent dans les champs de cannes à sucre, tandis que le singe (macacus sinicus, Desm. 32 ), originaire de Java, occupe les sommets escarpés de la montagne du Pouce, et descend mar- rauder dans les vergers des alentours, où les dégats qu'il occa- sione le font redouter. Nous nous y procuràmes, en vie, deux makis de Madagascar; le vari ( lemur macaco, L.), et le maki rouge (lemur ruber, Pér.), qui moururent, dans la traversée, à notre arrivée sur les attérages de France. Ce dernier est figuré tome I de l'histoire des Mammifères de M. F. Cuvier. Les makis s'apprivoisent aisément : ils deviennent bientôt familiers, et même caressants. Ils aiment à dormir dans le milieu du jour, en s'enveloppant la tête avec les pates et la queue. Leur nourriture est entièrement frugivore, et tout autre aliment les fait bientôt dépérir. : —— ss 1 00——— ZOOLOGIE. 137 CHAPITRE II. DESCRIPTION DES MAMMIFÈRES. COcere020e0e0ec20e0@000e0000000008000000120010 005001000010 0000c0100e0001e00 1016000000 16060606090002020@0 & GENRE VESPERTILION, J’espertilio, Cuv., Geoff., Desm. Sous-fam. VESPERTILIONINA , Gray ( Zool. journ.). VESPERTILION DE BUENOS-AYRES, Z’espertilio bonariensis. N. PLANCHE. II, fig. 1°° Auriculis brevibus et ovalibus : membranis rubro-nigris; interfemorali supra villosä, infra nudä : pilis tergi luteis, HHRNENEE abdominis (tes luteis ,- rostri croceis. Form. dent. Incisives +, Canines =, Molaires +. ToraL :. 30. Cerre espèce de chauve-souris, remarquable par les nuances agréables de-son pelage, parait avoir été inconnue à D’Azara, qui a décrit les animaux du Paraguay ; et qui ne la mentionne . pont. Elle est privée de deux dents incisives à la machoire su- périeüre, et se rapproche, par ce “caractère, du v. nigrita de Gmelin. La tête a'six lignes de longueur totale, sur quatre d’épais- seur, du crâne au bord postérieur du de à inférieur: Les deux. incisives supérieures sont terminées en pointe et séparées l'une de l’autre; les six inférieures sont très-peu apparentes et Voyage de la Coquille. —Z. Tom. 1. 18 138 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. serrées, et ont leur sommet bilobé. Les canines sont aiguës, recourbées et proéminentes. Les molaires antérieures sont co- niques; les suivantes ont leur couronne hérissée de pointes acérées, sinuées sur la partie extérieure, et disposées intérieu- rement comme en biseau ( Voyez pl. IT, fig. 1, L. B et.C, une dent grossie ). lignes. mètres. Longueur totale, dela naissance de la queue au bout du museau. 20 © 04) (de a queue ee MR NA er RENTREE 16 CON OI ——— des oreilles. .........,..2., DE GE R RE ONCE ELU SO 007 TE NT AL O On AN A A ST te EE NO AS 6 o oi 2 le MAN c'e 01610 o-dlolt lola do/0io galop Dot aluio ae 16 No 050 ——— du pouce, dont la phalange est aplatie.........:. 3 M0 007 ——— des membres postérieurs. .........4........... 10 GO 023 Pouce! TNVORSTRE. 0 0 5019 bo 106 0 nlo:6 0 aid v010 din 010 0/61 0/16 0 0 HIBÉ e 0 do EL ON MENT Le museau est court, conique. La bouche est fendue et les lèvres sont simples. La face est revêtue de poils ras. Les oreilles sont minces, arrondies, nues, éloignées l’une de l’autre. Des poils soyeux et serrés recouvrent la tête et le corps, et sont plus fournis sur le ventre et le dos. Dans la flexion de l'aile, le carpe est plus élevé que le museau. Les membranes en dedans et à leur bord postérieur sont nues, striées et comme réticulées, de couleur brune-rougeûtre, entièrement lisses en dehors. Les parties internes contre le.corps sont très-velues, et des poils fauves et abondants se continuent sur le bras et l’avant-bras. La queue est complétement engagée dans la membrane inter- fémorale : celle-ci part de l'articulation tibio-tarsienne, et se termine en pointe à son sommet, ayant de chaque côté une nervure apparente sur les deux tiers de sa longueur totale; sa surface interne est nue, striée ou comme réticulée, tandis que la face dorsale est entièrement recouverte de poils épais. La couleur du pelage du vespertilion de Buenos-Ayres est ZOOLOGIE. 139 d'un rouge aurore sur le museau, d'un fauve clair ou jaune sur le dos ; chaque poil étant terminé par du noir surmonté d'un peu de blanc, ce qui leur donne un aspect pruineux, assez semblable à celui de quelques petites phalènes. Les poils du dessus de la membrane interfémorale, moins doux et moins soyeux que les précédents, sont d'un rouge-noir foncé, qui tranche avec la teinte répandue sur le dos. La gorge, la poitrine et l'abdomen sont d’un fauve-clair mélé de brunûtre. Notre espèce a de grands rapports avec le vespertilo lasiurus, dont M. Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire a bien voulu nous com- muniquer un bel individu rapporté de New-York par M. Milbert: elle en diffère toutefois par les particularités suivantes. Dans le vespertilio bonariensis, les dimensions sont plus fortes, l'enver- gure plus prononcée, les membres plus développés par rapport au corps, la queue de moitié plus longue proportionnellement. Dans le v. lasiurus, les membranes sont moins réticulées, les couleurs du corps sont plus uniformes, et partout d’un rouge- brun vif, tandis que l'ensemble des autres caractères est par- faitement analogue dans les deux espèces. Ces vespertilions vivent à une égale distance de l'équateur, dans les zones tempérées des deux hémisphères du continent américain. Celui de Buenos-Ayres nous fut remis par l’un de nos officiers, M. de Blosseville, qui le prit sur un vaisseau mouillé dans la rivière de la Plata. Sa patrie est donc par les 35° de lat. S. dans l'Amérique méridionale, tandis que le v. /a- sturus le remplace par les mêmes latitudes dans l'Amérique sep- tentrionale. 140 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. GENRE PHOQUE, Phoca, L., Cuv., Desm. Sous-genre OTARIE, Otaria, Péron. Genre PLATYRHYNQUE, F. Cuv. OTARIE MOLOSSE (mâle), Ofaria molossina. N. PHOQUE À crin, des Pêcheurs anglais. Loup MARIN, Pagès, Voy. aut. du monde, t. IT, p. 32 et suiv. Lion DE MER, Pernetty, Voy. aux Malouines, t. 11, pag. 38 et suiv., pl. VIIT, Fee PLANCHE III. Pilis brunneo-fuscis concoloribus, omnind brevibus; membrorum ex- tremus nigris : unguibus anterioribus nullis, tribus extensis, necnon ro- bustis posterioribus. Segmentis membranaceis .et lobatis quinque.wPilrs superioris labri, rigidis, lævigatis, transversè complanatis. Lss phoques étrangers n'ont généralement été décrits que d'après les récits des voyageurs; et leurs noms mêmes ont été si souvent confondus, que ce n'est qu'avec la plus grande diff- culté qu'on peut entamer l'étude de cé genre, que les zoologistes modernes seuls ont éclaircie en plusieurs points, malgré quil yait encore beaucoup à faire pour distinguer les espèces entre elles. Les bonnes figures manquent complétement ; et c'est en- richir l’iconologie zoologique, que de donner un dessin rigou- reusement exact d'un otarie des mers australes. Ce n'est même que par le secours des figures, et lorsqu'on en possédera un grand nômbre, qu'on pourra reconnaitre *et distingüer spécifi- quement les phoques; « car ces animaux, a dit judicieusement ZOOLOGIE. 141 «M. Frédéric Cuvier ( Mammuf., 41° liv.), avaient été, jusqu'à «ces derniers temps, l'objet de si peu de recherches, et tant « d'obscurité régnait sur leur développement, qu'on n'avait au- «cune règle pour en déterminer les espèces : l'âge, d’ailleurs, « fait éprouver de grands changements aux couleurs de leur pe- « lage. » L'otarie molosse, male, se rapproche beaucoup de l’otarie à crinière (otaria jubata, Desm., 380 ) ‘, dont il diffère toutefois par le manque absolu de poils allongés sur le cou; son pelage étant uniformément ras, comme collé sur la peau et d’une seule sorte. Les autres différences, plus tranchées, se trouvent dans la taille et les proportions des diverses parties, et surtout dans les ongles. L'espèce que nous décrivons adulte diffère également de l’otarie Guérin (otaria Guerin, Quoy et Gaimard ), indiqué dans une note, page 71, de la Zoologie du Yoyage de l'U- rante; autant qu'il est possible d'en juger par une courte des- cription faite sur les lieux et non accompagnée d'une figure. L'otaria molossina est élancé dans ses formes, et bien pro- portionné dans toutes ses parties. Sa tête est assez petite, ar- rondie , comme tronquée en avant, et présentant assez exacte- ment le museau d’un chien.dogue. Le nez est peu proéminent, et séparé au centre par une rainure, se rétrécissant inférieure- ‘ En lisant attentivement les descriptions incomplètes mais exactes de Pernetty, on voit que son loup marin est le phoca Ansonii où phoca leonina de Timné, voisin de l'éléphant marin ou phoca proboscidea de Péron et Lesueur, t. IT, pag. 34, et pl. XXXII de l'Atlas, et des auteurs modernes; que sa première espèce de lion marin est notre ofaria molossina, et qu'enfin, il établit assez bien encore les caractères qui la séparent de-sa deuxième.espèce-de lion de mer, le phoca ou l’otaria jubata. Pernetty dit, en effet, pag. 47, t. IT, de son Hist. nat. des Malouines : « Il est bon « d’avertir que le nom:de lion marin convient moins aux’ animaux que nous venons « de décrire, qu'à une autre espèce dont le poil, qui couvre le derrière de la tête, « le col et les épaules, estau moins aussi long que le poil d’une chèvre, et donne à « cet amphibie un air de ressemblance ävec le lion ordinaire des forêts. » 142 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. ment au point de l'ouverture des narines. La lèvre supérieure déborde l'inférieure, et toutes les deux sont garnies, sur leur rebord, de poils courts et serrés. Les moustaches, qui couvrent la face, sont disposées sur quatre à six rangs : elles se composent de poils d'autant plus allongés, qu'ils sont plus extérieurs, et dont la plus grande longueur est de quatre pouces. Ces poils sont lisses, très-rudes, aplatis transversalement, et de couleur fauve- clair. L'oeil, à iris verdâtre, est placé à deux pouces de la com- missure des lèvres. Les oreilles sont très-petites, épaisses, poin- tues et roulées sur elles-mêmes, à deux pouces et demi de l’angle de la bouche. Leur surface extérieure est revêtue d'un poil ras et serré; la face inférieure est nue; les paupières sont longues d'un pouce, entourées de poils roux et courts. Les membres antérieurs sont aplatis en nageoires, que termine une membrane épaisse, sinueuse en son bord, d'un noir vif, et complétement lisse. Les phalanges sont empâtées dans cette portion membra- neuse, et sont indiquées par trois stries principales et profondes; sur leur partie moyenne, on observe quatre rudiments d'ongles. Les membres postérieurs sont rapprochés, aplatis, terminés par des phalanges d'égale longueur. Les trois doigts du milieu sont munis chacun d'un ongle fort, noir, long d’un pouce, ar- rondi, convexe supérieurement, aplati inférieurement, et ter- miné par un bord taillé obliquement à la partie externe de la phalange externe, et au bord interne des deux phalanges in- ternes. On remarque seulement deux rudiments d'ongles aux doigts externe et interne. La membrane qui unit les doigts est large, et les engage Jusqu'à un pouce au-delà des ongles, en formant un rebord. Cette portion, garnie de nervures tendi- neuses, qui partent de la dernière phalange, se divise en cinq festons étroits, arrondis à leur sommet, où ils sont plus larges qu'à la base, et d'autant plus développés, qu'ils sont plus exté- rieurs. La surface externe des membres est couverte, comme ZOOLOGIE. 143 toutes les autres parties du corps ,-d'un poil abondant, court et serré, tandis que les aisselles, les aines et le dessous des mem- bres sont complétement nus. Les membranes n'ont aucune trace de poils; leur coloration est d'un noir vif. La queue est courte , aplatie, pointue à son extrémité. Cet otarie est par tout le corps, sur la tête, comme sur le dos, ou sous le ventre, recouvert d’un poil ras, couché, et long au plus de quatre lignes, qui est serré et lustré, et qui revêt également les membres et les phalanges jusques aux ongles. La couleur générale du pelage est d’un roux brun, sans aucune autre teinte, sur toutes les parties du corps : seulement, dans l’état de vie, elle est plus vive et comme satinée. Le système dentaire de l’otarie que nous décrivons présente : Incisives +, Canines =, et Molaires =. ToraL : 36. 1 5-5 Mächoire superieure : Quatre éncisiwes, longues de cinq lignes, C [e aplaties transversalement, séparées en deux lobes par un sillon profond :. De chaque,côté, est placée une dent conique, longue de neuf lignes, qui est arrondie, pointue, analogue compléte- ment à la canine, et qui est logée dañs une alvéole creusée dans los incisif. Cantnes coniques, enfoncées profondément, de même forme que la précédente. Six molaires à couronne, entourées d'un rebord, à pointe bifaciée ou parfois triangulaire, terminées 2) le] y par une pointe mousse, et munies de deux tubercules, l'un en avant, l’autre en arrière. Mächorre inférieure : Quatre incisives ; les deux antérieures plus courtes, à couronne tronquée, et taillée en biseau ; les deux externes concaves en dedans, pyra- ! Ce caractère éloignerait notre phoque du genre platyrhynque de M. F. Cuvier, pour le reporter dans celui qu'il a nommé arctocéphale ; mais les caractères de ces deux genres sont donnés avec doute, et leur séparation n’est point nette, de sorte que l’ensemble des caractères du genre platyrhynque lui convient assez exactement. 14 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. midales, et plus longues que les deux précédentes. Canines fortés, coniques, entièrement lisses, arrondies » à pointe, un peu mousse. La première molarre est.la ne petite : toutes, comme celles de la mâchoire supérieure, sont aplaties transversalement, à trois faces; l'extérieure convexe a sa couronne surmontée d'uñ tubercule en avant et en‘arrière, plus po sur lés dernières molaires. 3 Les dents de l'otarie sont organisées-c comme celles du ca- chälot; c'est-à-dire, qu'elles n'ont pas de racines; ES leur base est cylindrique, et creusée d un canal terminé én cône, dont : rebord est mince. S ni , Dimensions de l'individu sur lequel nous avons fait notre description, et soie nous aviôns dessiné sur:les lieux : w ! F7 # ne 8 © pouces. : és inètres. à Longueur totale, him nez à l’origine de la queue. 55 .»» . mt “489 : Circonférence vis-à-vis l’aisselle. ........ RES 33 : »:..0.4 5% 4 Distante des, deux bras... 1... 0rcnr ri. T8 Do: : 487 Longueur des membres antérieurs. Re. 15 D NON O0 22: des membres postérieurs jusqu'a aux on- ; alerts ne RAR A A ÉRER AME Te AOC ENRORME 7 + dela téten ee JA UE RU Re FAO REC OA 272 + dela verge........ A Aa SUR RG 024-005 —— de la queue. »,.:....5....... 0.0 DD O0 Lo URSS des DTOESÉ SE. AE Men neRe »M AGO or ———. des ongles... AAA re At TP > ED ee 7 Dents du bout du museau à’ L'aisselle. DER TA RO OS Ge) = du nombrilau museau. #%4 (524.142) > 1 2137 Rs membre, viril à le. DE RES MS 6:.»> o r62 . —=— de l'oreille à l'angle postérieur de l'œil. 3 6 -o 068 le l'angle antérieur de l'œil au HU EU SUN TO 090 des deux yeux #0 nier 3116. .0 2 , Les iles Malouines sont ie patrie de l'otaria molossina; et sans doute qu'onle retrouve Sur tous lesrivages que baignent les mers ZOOLOGIE. 145 australes, sur la terre des États, dans les détroits de Lemaire ou de Magellan, et sur les côtes de Patagonie. Nous ne vimes que quelques individus isolés, à l'époque de notre séjour, sur ces îles ; et celui dont nous donnons la figure fut tué sur la grève, dans le Port-Louis, au fond de la baie de la Soledad. Souvent des pêcheurs anglais visitent les Malouines, et expé- dient des embarcations armées, ou même une ou deux goëlettes, au milieu des rochers, dans les criques nombreuses qui mor- cellent la côte, afin d'y surprendre les phoques qui s'y tiennent pendant un certain temps de l’année. Cet otarie remonte sur les côtes du Chili, jusque vers Valdivia et la Concepcion, où nous en avons vu un certain nombre. C'est très-probablement le même que Frezier indique sous le nom de veau marin, pag. 75 de son Voyage à la mer du Sud; et ce doit être l'es- pèce que mentionne Bougainville, en décrivant les produc- tions des iles Malouines, pag. 72, in-4°, lorsqu'il dit : Le loup marin n'a nt crinière nt trompe. Pernetty, sous le nom de lion marin, en donne un très-mauvais dessin, pl. VIIL et X de son Voyage aux les Malouines. La pl. IX, représentant l'éléphant marin ou phoque à trompe, ne vaut pas mieux. L'otarie se tient de préférence au milieu des glaïeuls ( /estuca flabellata, Lamk.), qui couvrent l'ile aux Manchots, ou sur les rochers des côtes. | A la vue de l'homme, il s'élance à la mer, en roulant avec rapi- dité et se précipitant quelquefois à des hauteurs assez consi- dérables sans se blesser. L'huile qui sert d’atmosphere épaisse aux parties molles, les protége par une enveloppe en quelque sorte ballonnée, et il est très-rare de parvenir à tuer ces animaux à coups de fusil, à moins de frapper un viscère principal. Les phoques ne se trouvent nulle part en plus grand nombre que dans les hautes latitudes du Sud, principalement aux Ma- louines, à la terre de Feu et des États, aux nouvelles Shetland, et par suite sur la côte méridionale de la Nouvelle-Zélande, de Voyage de la Coquille. —Z. Tome I. 19 146 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. la Tasmanie, et aux iles Campbell et Macquarie. Nous pensons qu'il peut être utile de généraliser quelques-uns des renseigne- ments que nous avons reçus des marins occupés à ce genre de chasse. L’éléphant marin (phoca Ansonit, Desm., 369 ) ', mâle, est plus développé dans ses proportions que la femelle, et la couche huileuse qui enveloppe le système musculaïre a jusqu'à neuf pouces d'épaisseur. Sa nourriture principale paraît se composer de céphalopodes, et ce sont les grèves sablonneuses qu'il pré- fère pour se reposer, au milieu des lits épais de fucus, rejetés par les flots. En février, mars, avril et mai, ces animaux se tiennent à la mer; et, dans les autres mois, ils vont alternati- vement à terre ou vivent dans l’eau: Ils recherchent les baies paisibles, ou qui sont rarement agitées, quoique parfois, mais accidentellement, on les rencontre sur les côtes où la mer est très- houleuse, telles que celles de l'ile du prince Édouard. Des milliers de ces animaux se tiennent sous le vent des iles Campbell et Macquarie. Leur naturel est doux, paisible, indolent même, et ils se laissent volontiers approcher par l'homme. Les chasseurs tuent ces phocacées, en les frappant au cœur ou au palais avec une lance ; mais leur agonie est très-longue, si le coup n'inté- resse point profondément ces deux parties. Un mâle a commur- nément autour de lui trois ou quatre femelles, et chacune de celles-ci a deux petits. La chair de ces derniers est estimée des pêcheurs de phoques, qui la préparent en la salant ou la desséchant à la fumée. La peau de l'éléphant marin, impropre aux arts, a généralement un pouce d'épaisseur. Les jeunes tettent 1 Lisez Molina, qui en parle sous le nom chilien de lame, pag. 260 : le nom que les habitants de la Concepeion nous donnèrent est /obo. Cest le loup de mer, cochon de mer, figuré et décrit par Pernetty, t. II, pag. 37 et suiv., et figuré et mentionné à l'île de Juan Fernandez par Anson, pag. 101 de son Voyage autour du monde, sous le nom de on marin. ZOOLOGIE. 147 pendant deux ou trois mois, depuis leur naissance qui a lieu en juillet et aout. Les marins employés à la pêche des phoques connaissent trois espèces principales, très-recherchées par le commerce, et qu'ils nomment lions de mer, phoques à crin et phoques à four- rure. Le premier (phoca proboscidea, Pér.), qui est l'éléphant de mer des naturalistes, et le Zon marin des Anglais et des Américains, habite plus particulièrement la terre des États, au milieu des rochers, et séjourne moins à la mer que les autres espèces. Cet animal est plus courageux et moins impassible que le phoque d’'Anson, et la chasse en est aussi beaucoup plus difficile. Les phoques à crin (otaria molossina et jubata) ont le museau moins pointu que les phoques à fourrure, et se tiennent volontiers sur les grèves sablonneuses, et parfois dans les broussailles, assez loin des rivages, particulièrement aux iles Campbell et Auckland. Là, ces espèces de phoques existaient naguère par milliers d’in- dividus. Les femelles parturent en novembre et décembre, et il n'est pas rare de trouver leurs petits à moitié cachés dans le sable. Ils se défient moins de l'homme que les phoques à four- rure, et le laissent approcher davantage : leur agilité sur un terrain uni est encore très-remarquable. Les chasseurs les tuent en les frappant sur le nez. Leurs peaux sont employées à faire d'excellents cuirs. Les phoques à fourrure , dont les peaux sont recherchées dans le commerce, se trouvent presque constamment dans les hautes latitudes. Ils remontent, cependant, le long des côtes d'Amérique, jusqu a Masafuero et aux Gallapagos : mais leur patrie sont les iles du cap Horn, les côtes de la Patagonie et celles de la Nouvelle-Zélande. La couleur du pelage de cette espèce * Otaria ursina, Desm., 381°., l'urigne, Molina, p. 255, ours de mer de Forster, t. IV, pag. 208 et suiv. du deuxième voyage de Cook. 19. 148 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. est d'un brun-rougeûtre, et les poils sont très-grossiers sur le dos, tandis qu'ils sont fins et moelleux sous.le ventre. On re- marque d'ailleurs deux sortes de poils. D'abord une fourrure de la douceur de celle de la loutre, puis des poils longs et rudes, quon arrache aisément en chauffant la peau. Ces phoques sont ainsi en possession de fournir des fourrures très-estimées, et l’objet d’un commerce actif et avantageux. Les animaux de cette espèce se tiennent sur les rochers, dans les endroits où les lames brisent avec le plus de force. Jamais on ne les trouve sur les plages de sables. Mais il faut avouer que, sous ce nom de phoque à fourrure, les pécheurs confondent plusieurs es- pèces encore inconnues : et c'est ainsi quils indiquent une proéminence derrière la tête de celui de Patagonie; une grande taille à celui de la Californie; des proportions très-petites à espèce nommée wpland seal, où phoque du haut de la terre, parce que généralement il se tient sur les éminences isolées, assez loin du rivage, aux iles Macquarie et Penantipodes. Ceux de la Nouvelle-Zélande sont de taille moyenne et d'un caractère très-sauvage. On voit de quelle importance il serait, pour l’avan- cement de l'étude de ces animaux, qu'un deuxième Scoresby voulut bien entreprendre leur histoire. C'est en mai, juin et juillet, et une partie d'août, que les phoques à fourrure fréquentent la terre. Ils y reviennent en- core en novembre, décembre et janvier, époque à laquelle les femelles mettent bas. Les petits tettent pendant cinq ou six mois, et peut-être davantage. Un fait notoire parmi les pêcheurs, est l'usage constant qu'ont ces animaux de se lester en quelque sorte avec des cailloux, dont ils se chargent pour aller dans l'eau, et qu'ils revomissent en revenant au rivage. On voit beau- coup de ces tas de pierres dans les lieux qu'ils habitent : et peut- être ne faut-il pas croire aveuglément à ce fait ; car il est certain qu'ils nagent parfaitement bien sans cet accessoire. ZOOLOGTE. 149 Leur nourriture principale se compose de sèches et de pois- sons ; mais ils peuvent aisément faire une longue abstinence, soit lorsqu'ils restent à terre à l'époque du rut, soit lorsqu'ils sont entraînés à de grandes distances au large. Les Anglais et les Américains ont fait des gains énormes avec ces fourrures; et des armements considérables ont été, pendant plusieurs années, dirigés vers cette branche d'industrie, qui commence à s'épuiser ‘. Aux Orcades australes, qui sont situées par 60°, 37° de lati- tude Sud, parait habiter spécialement l'espèce décrite impar- faitement par le capitaine Weddell sous le nom de sea leopard, et à laquelle nous avons imposé le nom d’otaria W'eddellir. Cette espèce, encore fort peu connue , est remarquable par sa teinte générale grise, parsemée de taches d'un blanc pur, et par son port élancé. ( Voyez la description que nous avons donnée, Dullisc nat, \ CNIL p: 4982) ‘ Nous supprimons une foule.de détails qui nous paraissent peu authentiques, ou qui ont déja été rapportés par MM. Quoy et Gaimard dans leurs observations sur les phoques ( chap. IV, sect. 1°, Zool. de l’Uranie, p. 68 à 76). 150 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Genre COUSCOUS, Cuscus, Lacép. Sous-genre (Temmincx) : Queue prenante, mais en grande partie nue et couverte de rugosités ; les oreilles courtes. G. PHALANGER DES AUTEURS FRANGAIS, Didelphrs, L. PHALANGISTA, Geoff.; Cuv., Règne anim., tom. I, pag. 178; Desm., Mamm., J° genre. 7 CEowyx et PHALANGISTA , Temm., Monog. $ L® ÆAuriculis brevibus, non distincts, intus pilosts. GRAND COUSCOUS TACHETÉ, Cuscus maculatus. N. PHALANGISTA MACULATA, Desm., Nouv. Dict. d’hist. natur., vol. 25; Temm., Monog., pag. 14; Geoff., Vel. du Muséum, t. IV, n° 0. Cuscus AMBoINENSISs, Lacépède. ScHam-scmam, dans la langue des Papous de Waigiou. CHAT sAUVAGE, Forrest, Voyage à la Nouvelle-Guinée. Mâle en pelage complet : PLANCHE IV. Cuscus major, corpore lanuginoso sub albido, supra maculis ater- rimis sparso. Caudä& prehensili rubr&, tuberculosä. Faciei pilis, aureo- Julvis : extremitatibus suprà brunneo-fuscis. La ligne de démarcation qui isole la plupart des espèces de phalangers à queue prenante, est encore à tracer; et, dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne savons guère quelle est l'influence qu'exercent sur le pelage de ces animaux les cli- mats, l’âge et les sexes. «C’est un des inconvénients, mais une «des nécessités de l’histoire naturelle, dit M. Frédéric Cuvier ZOOLOGIE. 1b1 «(47° liv., Mammif.), que d'étudier et de faire représenter les «animaux aux diverses époques de leur vie. Les différences de « formes ou de couleurs, dans le jeune âge et dans la vieillesse, «sont quelquefois telles, qu'il serait impossible de reconnaitre «le même individu dans les caractères qui lui sont propres à «ces deux âges.» Et d’ailleurs, comme l'a dit avec raison un des grands naturalistes de nos jours, On ne rend pas un moindre service à la zoologie en débrouillant l'histoire des espèces impar- faitement connues, qu'en faisant connaïtre des espèces nouvelles (G. Cuvier, Ann. du Muséum, t. 1, p. 1). Cependant, ce n'est qu'avec doute que nous rapportons au phalanger tacheté l’'es- pèce que nous décrivons ici; car sa grande taille, son pelage presque entièrement lanugineux, les couleurs de sa robe, une légère addition dans la formule dentaire, pourraient servir à en constituer une espèce ayant des caractères autres que ceux assi- gnés aux individus adultes, décrits par M. Temminck, dans sa Monographie ‘. D'un autre côté, cependant, comme rien d’es- sentiel dans l'organisation ne pourrait servir à établir solide- ment une telle distinction, nous préférons considérer notre animal comme le phalanger tacheté dans son entier dévelop- pement et dans son pelage complet, et négliger la dénomina- tion spécifique de cuscus chrysocephalus, que nous lui avions primitivement donnée. L'ancien nom de didelphis orientalis, de Linnæus et de Gmelin, le phalanger mäle de Buffon, a long- temps renfermé toutes les espèces ou variétés connues de cet animal. Les zoologistes modernes, M. Geoffroy-Saint-Hilaire - entre autres, en ont séparé avec justesse le phalanger roux (ph. rufa, Geoff.), (ph. cavifrons de Temminck ), qui a des ca- ractères précis; mais il n’en est pas de même ensuite pour ces ‘ Monog. de Mammalogie ; premier monog. sur le genre PHALANGER ( Pha- langista, Geoffroy ), Fasc., in-/4°, avec fig. anat. 152 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. variétés nombreuses, décrites sous le nom de ph. maculata et à des âges différents, et dont on trouve l’histoire confuse, et souvent embarrassante , dans les divers ouvrages modernes. Il est probable que c’est encore à cette espèce qu'appartient le phalanger Quoy, trouvé à Waïigiou comme le nôtre, et figuré pl. VI de l'Atlas zoologique du voyage de l’Uranie. Le couscous tacheté : est très-allongé, et de la taille d’un fort chat. Sa tête est arrondie, à chanfrein légèrement concave et à museau conique et court. Les parties osseuses présentent les modifications suivantes : Longueur totale de la tête, trois pouces neuf lignes. Largeur prise de l’écartement des deux arcades zygomatiques, deux pouces quatre lignes. Largeur des deux branches du maxillaire infé- rieur, deux pouces et six lignes. Coronal légèrement bombé, terminé par deux embranchements qui rendent saillante la crète pariétale formée par un rebord des deux os, et qui est moins élevée que la région frontale. Fosses temporales, convexes au centre, profondément circonserites. Sutures peu apparentes. Formule dentaire : Yncisives ©, Canines =, Molaires =, — 32. 6-6 ? -2 Fausses molaires : =. ToraL : 40. 3 Mâächoire superieure : Six incisives. Les deux de devant plus longues que les quatre latérales, qui sont très-courtes et tron- quées au sommet. Première canine de chaque côté, logée dans une alvéole à moitié creusée dans l'os incisif, et séparée de la deuxième canine, qui est plus petite. Toutes les deux sont re- courbées, à pointe mousse, et aplaties transversalement. Entre © Le nom de Coescoes se trouve employé, comme étant propre aux habitants d’Amboine, par Valentyn, dans son Hist. des Moluques. I donne de cet animal une figure peu reconnaissable sans doute, mais qui, par sa queue prenante, indique un phalanger. F. D., p. 292, t. III, 1726. ZOOLOGIE. 153 la dernière et la première molaire, existe un étroit espace libre où se fait remarquer une très-petite dent, placée à la base de la première molaire, qui a sa couronne saillante, aiguë, à deux faces. Les quatre dernières molaires sont égales, à couronne à quatre pointes, séparées par un sillon profond. Mâchotre inférieure : Deux incisives très-longues, très-fortes, taillées en biseau. Trois fausses molaires rudimentaires de chaque côté, à sommet arrondi. Première molaire, ainsi que les quatre suivantes, analogues à celles de la machoire supérieure. L'espèce de grand couscous tacheté, que nous figurons, pré- sente les dimensions suivantes : pouces lignes mètres. Longueur du bout du museau à l’origine de la queue.. 25 » o 677 ——— de la queue enlière..................... 20 » Oo D4r de la partie nue de la queue..." 0. ÉTRD NO 200 ——— dela tête........... RAR relate HN OMOS ii desr oreilles Fe Me Ce Are Go 62 ——— del’avant-bras, depuis le coude jusqu’au poignet. 4 6 o 122 depuis le poignet jusqu’au bout des ongles... 2 » _o 054 ——— de la jambe, depuis le genou jusqu’au talon.. 4 » Oo 108 depuis le talon jusqu’au bout de l’ongle du doigt UML RE MERE CEERRERERE ER ITENSE ON O NOTE La tête de l'individu que nous décrivons a une forme arron- die, ce qu'augmente encore le manque apparent d'oreilles ex- térieures; car le cartilage de celles-ci est, en effet, très-court, et recouvert de poils, formant à peine deux petites touffes plus élevées que le reste du pelage. Le chanfrein est légèrement concave, et le museau est obtus. Quelques poils longs et rares sont implantés sur le nez et sur le rebord supérieur de l'œil. Les voiles palpébraux sont épais, rougeûtres, et forment un bourrelet autour de l'œil, qui est saillant hors de l'orbite, rou- geàtre, à pupille verticale, comme chez les squales. La queue, nue dans plus de la moitié de sa longueur, est chargée de Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 20 154 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. verrues rugueuses en dessous, et d’un rouge carmin assez vif. Le poil cesse au üers supérieur de la queue, pour se conti- nuer, en pointe étroite longue de trois pouces, sur la partie su- périeure seulement. Les ongles, de couleur jaune, sont forts, aplatis transversalement, recourbés, terminés en pointe mousse, plus forts aux deux doigts externes postérieurs, plus petits et de même forme aux deux doigts internes; celui du pouce est mince et aplati. Le pelage de ce phalanger est complétement lanugineux, ou, de toute part, une laine courte et épaisse revêt d’une ma- nière serrée toutes les parties de l'animal, dont chaque poil flexueux a au plus six lignes, Quelques poils très-rares, minces, de même couleur que la laine, sortent cà et là, mais en très- petit nombre, et sont peu apparents : ceux de la face sont ras et jaunes dorés. La couleur générale de la robe de l'animal est d’un blanc lé- gèrement jaunâtre, uniforme à peu près partout, et sur laquelle tranchent , par la netteté de leur teinte, les taches arrondies et communément séparées, d'un noir foncé, éparses principalement sur le dos et sur les flancs. Des taches plus confuses et non distinctes, d’un roux-brun, se trouvent sur les bras et les mains, ainsi que sur la queue et les lombes. Les parties inférieures sont d'un blanc-jaunâtre sans taches. Le scrotum est long de dix-huit lignes, et très-velu. La face et la partie antérieure du crâne sont d'un jaune assez vif. Deux taches rondes, de même couleur, sont placées sur les oreilles. Les parties nues des maïns et des pieds sont rougeàtres, ainsi que les narines et les lèvres. On pourrait croire que le pelage, dans le jeune âge, est beau- coup plus garni de poils longs, mols et flexueux, et qu'à mesure que l'animal vieillit, la bourre se transforme en laine dense et serrée , tandis que le poil disparait et tombe. De tous les corps, la laine étant le plus mauvais conducteur du calorique, cette ZOOLOGTE. 155 sorte de pelage est alors la plus appropriée à l'existence d'animaux qui vivent essentiellement dans les climats les plus chauds des brülantes Moluques. Cependant, les poils, même chez les adultes, dans le phalangista cavifrons, Temm., sont toujours très-abon- dants au milieu du feutre qui revêt le corps. Ces phalangers habitent la terre des Papouas dans l'ile de Waï- giou, où plusieurs individus nous furent vendus par les naturels de ces contrées, qui les nomment scham-scham : nous essayàmes de les conserver en vie, mais ce fut sans succès. Leurs habitudes étaient lentes et taciturnes. Ils léchaient sans cesse la partie dé- nudée de leur queue, et les mains, avec lesquelles ils se frot- taient presque continuellement la face. Leurs grands yeux rouges, surmontés d'un épais rebord formé par les paupières, donnaient à ces animaux une physionomie stupide. Ils buvaient beaucoup, mangeaient du pain, qu'ils prenaient avec leurs mains, préfé- raient la viande, se battaient avec fureur lorsqu'on en mettait deux ensemble, grognaient comme des chats pour peu qu'on les inquiétät, et cherchaient à mordre, en saisissant avec les mains ceux qui les agacaient. L'examen anatomique des divers organes nous présenta les particularités suivantes : Langue, charnue, légèrement rugueuse sur sa face supérieure, ayant un espace quadrilatère noir à la base, long de sept lignes, et à six lignes de l'épiglotte. Deux ouvertures des canaux excréteurs, béantes, à la base de la langue. Thorax, étroit en avant, s’élargissant inférieurement , de la forme d’un cône tron- qué, dont le sommet très-rétréci présente une ouverture cordiforme; treize côtes de chaque côté. La poitrine a cinq pouces et demi dans sa plus grande dimension, d’un côté à l’autre. Sa longueur, y compris l’appendice xiphoiïde, est de trois pouces quatre lignes. Le sternum extraordinairement étroit, n’est, à bien dire, qu'une ban- delette, sur laquelle viennent se fixer les cartilages des côtes. Abdomen, ample, plus large à sa partie moyenne qu’à ses deux extrémités, l’in- férieure surtout étant très-rétrécie. L’estomac occupe toute la région épigastrique, et s'étend un peu dans l’hypocondre gauche. Il est réniforme. Le foie est divisé en 20. 156 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. cinq lobes inégaux, dont deux beaucoup plus grands, sont échancrés. La vésicule du fiel est grande, très-distendue, en forme de poche allongée, logée entre le grand lobe droit et le troisième ( par le volume ), et cachée par eux. La rate est petite, allongée, rétrécie à une de ses extrémités, qui forme le sommet d’un triangle, dont la base serait échancrée. Les zntestins forment de nombreuses circonvolutions. Le duodenum ne présente qu'une seule courbure, s'étendant devant la colonne vertébrale. Les intestins gréles se réunissent au rectum perpendiculairement. Le cœæcum est ample, et terminé par un appendice vermiforme. Il est long de dix-sept à dix-huit pouces, tandis que les intestins grêles ont de cent douze à cent quinze pouces de longueur, et présentent de distance en distance des rétrécissements où se moulent les matières fécales, qui ont et la forme et la grosseur d’une olive. Les substances digérées dans l’estomac étaient vertes, et ressemblaient à des débris de végétaux. La valvule pylorique est épaisse et charnue, et nous ne pûmes découvrir aucune trace du pancréas. Les reins sont peu volumineux, placés sur les parties latérales de la colonne ver- tébrale, au-devant des dernières fausses-côtes. Ils ont de quinze à seize lignes de lon- gueur, et leur forme est, en petit, celle des reins de l’homme. Les vretères ont cinq pouces à peu près de longueur. La vessie est allongée et pyriforme, saillante hors du bassin. La verge est placée derrière le scrotum , et présente un gland que termine un prolon gement pointu. COUSCOUS A GROSSE QUEUE, Cuscus macrourus. N. Corpore griseo, cum pülis longioribus nigris, et maculis sparsis brun- neis. Capite fulvo, gulo auriculisque albis. Caudä robust&, longiord, cinered. Abdomine albido. Manibus pedibusque nigrescentibus. PLANCHE V. ( Femelle.) VÉRITABLE protée quant aux couleurs du pelage, le phalanger tacheté parait recevoir, des âges, du climat ou des sexes, des modifications nombreuses, qui le rendent très-difficile à distin- guer, et notre c. rnacrourus s'en rapprocherait singulièrement par son pelage, ou plutôt du phalanger Quoy(phalangista Quor, Zoologie de l'Uranie, p. 58, pl. VD), si sa petite taille, la forme de ZOOLOGIE. 157 sa tête et le développement de sa queue, comparés aux autres proportions du corps, ne nous autorisaient à l'en séparer. Le couscous à grosse queue, en effet, n’a que douze pouces huit lignes du bout du museau à l'origine de la queue, et celle-ci a de longueur dix-sept pouces : elle est revètue de poils très- abondants et très-fournis à son origine, dans une longueur de dix pouces et quelques lignes. La tête a trois pouces moins quatre lignes de l'occiput au bout du museau. Ramassé dans ses formes, mais d’ailleurs bien proportionné, ce phalanger, de deux tiers plus petit que l'espèce précédente, est généralement recouvert d'un feutre épais et grossier, d'où sortent abondam- ment des poils soyeux et noirs, qui le dépassent de beaucoup. Les dents ne diffèrent point de celles du phalanger tacheté, dont elles ont la forme. Seulement, les deux incisives supérieures sont plus rapprochées : celles d’en-bas, plus élargies, sont plus obliques en avant. Enfin, au lieu des trois fausses molaires de chaque côté de la mâchoire inférieure, il n’y en a que deux. Les oreilles de cette espèce sont plus saillantes que dans le couscous tacheté; elles sont également poilues au dedans comme au dehors. Le front et le chanfrein sont tout d'une venue, le museau, pointu, effilé, donnant à la tête la forme de celle d'un maki. Le poil qui les revêt est court, roussâtre ; le tour des yeux est brun; les poils des oreilles sont blancs, ainsi que la gorge et le dessous du cou. Tout le corps et la partie extérieure des membres sont d'un gris-cendré, ondé de brunâtre. Les poils de la queue sont cendrés, roussàtres, plus noirs à l'endroit où ils cessent sur la queue. Le ventre et le dedans des cuisses sont blanchâtres. Les poils qui recouvrent les doigts sont noirs, les ongles jaunes. La partie dénudée de la queue, comme carénée en dessous, est rougeätre. Cette espèce, dont nous n'avons possédé qu'un individu , ha- bite le havre d'Offack, sur la grande île de Waigiou. 158 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Ç IT. ÆAuriculs disténctis, intûs nudis. COUSCOUS BLANC, Cuscus albus, N. PHaLANGISTA ALBA ct PH. RUFA, Geoff., J’élins du Muséum, t. IV, n° 7 et 8; Desm., 412° Mamm.; Cuv., Règne anim., t. 1, pag. 178. DipEcpHis ORIENTALIS, Lin.; Gm. PHALANGER FEMELLE, Buff., t. XIII, pl. X. PHALANGISTA CAVIFRONS, Temm., Monog. 17. Kapoune DES NÈGRES DU PoRT-PRASLIN, à la Nouvelle-Irlande. PLANCHE VI. ( Mâle.) Cuscus ; pilis in universum sub albis : vittä dorsali longitudinalique fulvä. Auribus intùs nudis, extra pilosis. Nous ne dirons que peu de choses sur cette espèce, distinguée, dans ces derniers temps, par les auteurs dont nous avons cité la synonymie, et qui parait être l'espèce que Valentyn a désignée sous le nom de coescoes, et qui est très-mal figurée dans Seba, t. 1, pl. XXXIX, mais qui est beaucoup mieux décrite dans le texte. Plusieurs individus âgés, que nous nous procuràmes au Port-Praslin de la Nouvelle-Irlande, par 3° 50° de lat. Sud, et 150° de long. Est ,annoncent que le couscous blanc, qui constitue une espèce nette et distincte, s'ayance également au Sud-Est de la Nouvelle-Guinée, et qu'on doit le rencontrer sur toutes les iles de la Louisiade, de Santa-Cruz, de Bouka, qui forment des archipels étendus à lorient de la grande terre des Papous. M. Temminck indique Banda et Amboine pour sa patrie; et M. Labillardière dit également avoir vu des phalangers dans cette dernière ile, où nous n'en rencontrâmes point. ZOOLOGIE. 159 L'individu que nous nous procuràmes est mâle, adulte et parvenu à toute sa croissance. Sa taille est beaucoup moins développée que dans le c. maculatus. Les membres et la queue sont également, et toutes proportions gardées, plus courts. La queue est velue jusqu'à moitié de sa longueur, terminée en pointe poilue sur sa face dorsale. On remarque, enfin, une légère modification dans le système dentaire; mais ce qui caractérise plus particulièrement cette espèce sont les oreilles, dont le car- tilage est ovalaire, pointu supérieurement, complétement nu à l’intérieur, et velu à l'extérieur. La tête est plus petite, le mu- seau plus élargi, mais moins concave que dans le couscous tacheté. Les mains et les pieds sont moins forts; la queue est également rugueuse et verrugueuse en dessous. Le pelage est très-épais, très-cotonneux, maïs en même temps abondamment garni de poils plus longs, grèles, très-fins et brunâtres. Les doigts sont légèrement velus, et les ongles sont bruns. La couleur du phalanger que nous décrivons est partout d'un blanc uniforme, sale, auquel se mêle une légère teinte fauve sur le dos, qui, en s'épaississant, forme, depuis la crète occipitale jusqu'aux lombes, et sur la rangée épineuse, une ligne dorsale, rousse, très-apparente. Le scrotum a la forme d'un sac volumineux, long de dix-huit lignes, revétu de poils blancs et courts. Le bout du museau est brun. Toutes les parties infé- rieures sont blanches, et la poitrine et les épaules ont une teinte jaunâtre prononcée. Sa longueur, du bout du nez à la naissance de la queue, est de vingt pouces six lignes : celle de la queue, treize pouces et demi ; celle de la tête, quatre pouces; des oreilles, sept lignes; du poignet au bout des ongles, dix-huit lignes ; de la plante des pieds, deux pouces et demi. Nommé #apoune par les Nègres insulaires de la Nouvelle- Irlande, ce couscous y parait extraordinairement commun; car 160 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. les naturels nous en apportaient chaque jour un grand nombre. Il vit sur les arbres; et, malgré le soin avec lequel il s’y cache, une odeur fétide, fragrante et très-expansible, le décèle au loin ‘. Souvent, en parcourant les forêts séculaires de cette île im- mense, l'odorat était vivement affecté par ce singulier animal. M. Cuvier dit qu'en le fixant avec plus ou moins de constance sur la branche où il est cramponné par sa queue, il finit par tomber. Ce serait donc de cette manière que les habitants du Port-Praslin prenaient ceux qu'ils nous apportaient journelle- ment à bord, et qu'ils nous vendaient en vie, après leur avoir brisé les jambes, et passé dans la bouche un morceau de bois, afin sans doute de les empêcher de mordre. Les naturels de ce point du monde aiment passionnément la chair très-grasse du couscous blanc; c'est pour eux un régal délicieux dont ils sont friands, et ils se bornent à faire rôtir l'animal dans sa peau, avec le poil et sur les charbons ardents, après en avoir ôté seulement les intestins. Mais telle est son abondance, qu'ils faconnent avec ses dents de longs chapelets, qui servent à la décoration de leurs armes ; ou ils s’en font des colliers et des ceintures, longues de plusieurs brasses. Mentionnée, dès 1951, par le voyageur Barchewitz, qui indique des couscous dans l'ile de Léthy. ZOOLOGTE. 161r GENRE KANGUROO, Kangurus, Geoff. Diverpris, Gmn. Macropus, Shaw. Hazmarurus, Illig. > — ——— KANGOUROU OUALABAT, Kangurus ualabatus. N. KanGURUS BICOLOR, /’élins du Muséum, et Nouv. Dict. d’hist. nat., 1° éd. KAnGuROO D'AROÉË, Kangurus Bruni, Desm., Mamm. /20. Non le Dinecpais Brunn *, de Gm. et de Valentyn. OuALABAT, des naturels des environs de Sydney. PLANCHE VII. Pilis insuper brunneis, fulvis infra. Caudé longissimä, ore, manibus, pedibus, et caudæ parte superiore, aterrimis. Genis grisers; auricularum pilis inferioribus crocets. Nous conservons à cet animal le nom qu'il porte chez les naturels de la Nouvelle-Galles du Sud. On en trouve dans les Vélins du Muséum (tom. IV, n° 18) une figure inédite, peinte d'après une peau en mauvais état, qui provient du cabinet du Stathouder. Mais nous pensons que c'est par erreur qu'on lui a donné, dans plusieurs ouvrages francais, le nom de kangourou d'Aroé, en lui appliquant à tort les courtes descriptions du f- lander de Valentyn( Amb., t. III, p. 272), et de Lebruyn (Por. aux Indes). Le kangourou d'Aroë, habitant des climats placés ! La phrase spécifique du Systema naturæ est : Caud& brevi, calvä, vedibus posticis longioribus tridactylis. Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 21 6 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. sous l'équateur, diffère notablement du kangourou oualabat, qui est très-commun dans le district de Cumberland, à la Nouvelle-Galles du Sud, et par des latitudes assez éloignées du tropique du Capricorne. Chaque jour, on observe cette espèce en abondance au marché de Sydney, où elle est connue sous le nom de kangourou de buisson, que lui donnent les colons anglais. Le kangourou oualabat est à peine de la moitié de la taille du 4. labiatus où macropus major de Shaw. Il a le même aspect et les mêmes formes que les autres kangourous de l'Australie. Cependant, son mufle est moins prononcé que dans les grandes espèces : ses extrémités antérieures sont minces; les oreilles sont allongées, le museau est plus effilé, les membres postérieurs sont robustes , et la queue est forte et longue. Les poils du museau en dessus sont courts et noirs; ceux du front sont gris; des poils plus fins et plus longs bordent la lèvre supérieure et le dessous de l'inférieure. Les joues sont assez ve- lues, grises, ainsi que la gorge. Les”oreilles sont ovalaires, pointues, nues en dedans, garnies extérieurement d’un poil ras, de couleur noire au sommet, et d’un roux vif à la base. Les deux dents incisives supérieures sont un peu plus longues que les latérales : celles d'en-bas, courbées en avant et séparées l'une de l’autre, se terminent en pointe mousse. L'occiput est lége- rement fauve. Les membres et le dessus du corps sont revêtus de poils longs, droits, mous, gris à leur racine, blancs-jau- nâtres à leur pointe, et comme annelés de noir et de blanc. La teinte des flancs est claire, tandis que celle des lombes et du dessus de la queue est d’un brun-foncé. Cette dernière partie est abondamment recouverte de poils très-noirs et plus fournis en dessus, et à son extrémité où ils forment une touffe de cou- leur roussàtre. Deux taches d'un gris-brun uniforme occupent le dessous des épaules. Tout l'abdomen, la poitrine et la gorge sont recouverts d’un poil plus épais, plus grossier, tirant sur le ZOOLOGIE. 163 Jjaune-roux. Le feutre est d'un gris-cendré; les poils des mains et des pieds, ainsi que les ongles, sont d'un noir intense. Les dimensions de l'individu figuré sont les suivantes : pieds pouces lignes mètres. Longueur totale du bout du museau à l’origine de la QUE AGE en ee ab da Ne 2F TT TO ONCE mm mn Lo tale de li QUEUC. ne 02011160 45 et denlaLTétE ne ARE AN ec IE ON PROMO ——— des oreilles........................... ONTARIO 00 ——— du bout des ongles jusqu’au coude........ OCTO RMEON2 07 ——— de la cuisse jusqu’au talon............... CO MONO NME A) ——— du talon à l’extrémité de l’ongle du milieu.. o 7 6 o 203 mr des Onolesiteslatmain "PP APRES ELEETE OMMONNTMOMIGTO ——— des ongles du doigt du milieu du pied..... ON OT OMION2 Tels sont les caractères spécifiques du kangourou oualabat, qui est parfaitement décrit, dans la Mammalogie de M. Des- marest, sous le nom kanguroo d’Aroë (n° 429; et tom. XVII, pag. 42, Nouv. Dict. d'hist. nat., 2° édit. }; mais, comme il est extraordinairement abondant aux alentours du Port-Jackson, et par conséquent dans une zone assez froide de la Nouvelle-Hol- lande, on conçoit qu'il ne peut être le pélandoc * ou lapin d'Aroë, propre au climat brülant des Moluques et du Nord de la Nouvelle-Guinée. C’est très-probablement ce dernier, en- core inédit, que notre commis aux revues, M. Gabert, se procura, pendant notre relâche, à la Nouvelle-Guinée. Cet animal, que cet officier acheta à des Papous, fut conservé en vie, pendant quelques semaines, à bord de notre navire, et © Le nom de Pélandor est une faute typographique, copiée par tous les naturalistes successivement. Valentyn dit : « Le f#/ander est nommé pélandoc aroé par les Ma- « lais, et chat d’Arou par les Hollandais, et aÿir par les naturels d’Arou. » Quant au nom de chat d’Arou, il est à présumer que Valentyn ici confond le phalanger avec le filander (Valentyn, 4mboine, 1. III, p. 272). 21. 164 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. disparut un jour, sans que personne püt savoir ce qu'il était de- venu; probablement qu'il tomba à la mer. I! eût été d'un haut intérét à faire connaître et eut levé tous les doutes sur la véri- table espèce décrite par Valentyn et par Lebruyn, comme le re- présentant naturel et le premier type, sous l'équateur et dans les iles Moluques, d'un genre nombreux en espèces sur les terres de la Nouvelle-Hollande. Ainsi donc l'animal que nous nommons provisoirement kan- sourou d'Aroë ( kangurus veterum, N.), est appelé podin par les Papouas du havre de Doréry à la Nouvelle-Guinée. IL présente tous les caractères extérieurs des kangourous australiens, quoi- qu'il en diffère par les dimensions des membres. Sa taille est celle du lièvre commun : ses oreilles sont proportionnellement plus courtes que dans les autres espèces connues. Sa tête est arrondie, à museau plus conique ét moins rétréci que dans le oualabat. Le cou est moins grêle. Les membres antérieurs sont plus allon- gés, plus forts et plus robustes; ceux de derrière sont moins longs et plus gros. La queue est d’un tiers plus courte. Son pe- lage est uniformément brun sur les parties supérieures du corps, passant au gris sur les parties inférieures. Le caractère de l'indi- vidu qui vécut à bord était très-doux et très-paisible. Il aimait la viande, quoique ce genre de nourriture ne füt pas approprié à son organisation. Îl flairait les aliments qu'on lui présentait à la manière des autres kangourous, et,commeeux,illessaisissait avec ses deux mains. Nous éprouvons le regret de ne pouvoir fournir de plus complets renseignements sur une espèce inconnue des z00- logistes, et qu'il eüt été si intéressant d'ajouter à nos collections. Nul doute que Valentyn, en parlant d'un animal de Banda et des iles d’Ærou, placées presque sur les côtes de la Nouvelle- Guinée, n'ait eu en vue le kangourou dont nous parlons ici, et que c'est à tort qu'on a pris pour lui le 4. oualabat, qui vit exclusivement dans des latitudes plus élevées. ZOOLOGIE. 165 Quant au filander décrit par Lebruyn ‘(t. I, p. 347, fig. 213), et dont ce voyageur donne une assez médiocre figure, il serait possible que ce fut encore le pélandoc; et voici textuellement ce qu'il en dit : « Étant à la maison de campagne de notre général (ile de « Bantam ), je vis un certain animal, qu'on nomme f{{ander, le- «quel a quelque chose de fort singulier. Il ÿ en avait plusieurs «qui couraient en toute liberté avec des lapins, et qui avaient « leurs tanières sous une petite colline, entourée d’une balus- «trade. Les jambes de derrière sont beaucoup plus longues que «celles de devant; et cet animal est à peu près de la grandeur «et du poil d'un gros lièvre, et a la tête approchant celle d'un «renard, et la queue pointue. Mais ce qu'il y a de plus extra- «ordinaire, c'est qu'il a une ouverture sous le ventre, en forme «de sac, dans laquelle ses petits entrent et ressortent, même «lorsqu'ils sont assez gros. On leur voit assez souvent la tête et «le col hors de ce sac; mais lorsque la mère court, ils ne pa- «raissent pas, et se tiennent au fond, parce qu'elle s'élance fort «en courant. » ‘ Voyages de Corneille Le Brun (Lebruyn }, par la Moscovie, en Perse et aux * Indes orientales, 1718, in-4°. re 0 ——— 166 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. GENRE ORYCTÈRE, F. Cuv., Bathyereus, llig. RAT-TAUPE HOTTENTOT, Bathyergus hottentotus. N. PLANCHE II, fig. 2, de grand. nat. B. minor; pilis insuper brunneo-griseis concoloribus, subter cinereis : caud& brevi, planä, pilis ciliatis accinctd. Les oryctères ou rats-taupes, dont on ne connaissait que deux espèces (les bathyergus maritimus, Desm., 519, et D. ca- pensis, Mamm. 520 ), n'ont été observés, jusqu'à ce jour, qu'à l'extrémité australe de l'Afrique, où ils vivent dans les dunes des environs de la ville du Cap. C'est dans la même contrée que l’un de nous, après son naufrage (M. Garnot), rencontra la troisième espèce que nous décrivons ici, et qui se distingue des deux précédentes par sa petite taille et par la teinte uniforme et sombre de son pelage. Elle semblerait être une variété minor du georychus d'Illiger, ou bathyergus capensts ; mais les dimen- * sions plus faibles de toutes ses parties et sa couleur doivent au- toriser à la considérer comme formant une espèce assez dis- tincte. L'oryctère hottentot a quatre pouces six lignes de longueur totale, depuis la naissance de la queue jusqu'au bout du mu- seau. La tête a quatorze lignes : la queue a cinq lignes, sans y comprendre les poils qui la dépassent de six lignes. Les bras et l'avant-bras n’ont de longueur que six lignes : la main, de la face palmaire au bout des ongles, a six lignes; les doigts du milieu en ont trois, et les ongles ont moins d’une ligne. La face ZOOLOGIE. 167 plantaire a neuf lignes : les doigts du milieu, trois lignes; sa circonférence dans la partie la plus large est de quatre pouces. Le corps est cylindrique ; la tête est courte, arrondie, conique, à museau obtus et comme tronqué. Les yeux sont extremement petits et très-peu visibles. On ne peut apercevoir aucune trace d'oreilles extérieures. Les membres sont courts et grèles. Les deux doigts du milieu sont réunis jusqu'à près de la moitié de leur longueur. Le pouce et l'index sont les plus courts et d'égale longueur à peu près. Les ongles sont très-petits et très-faibles. La queue est aplatie, très-courte, et comme ciliée par des poils peu fournis, allongés, qui partent des bords et de son extrémité. Le bout du museau est nu, et de couleur de chair, garni de barbes fines à la mâchoire supérieure. L'oryctère hottentot est recouvert de poils très-fournis, très-courts et très-soyeux. Toutes les parties supérieures du corps sont d’une teinte gris-brun uni- forme, et comme lustrée, se fondant sur les côtés avec la cou- leur grisàtre des parties inférieures et des mains et des pieds. Cette espèce n’a aucune tache blanche, ni près de l'oreille, près de l'œil ou sur le vertex, comme on en voit sur ces parties, chez l'oryctère cricet (D. capensis, mus capensis de Pallas, Gm.). Le pelage est généralement de couleur brune à la naissance de chaque poil, et ce n’est qu'à sa pointe qu'il prend l'aspect ou gris-brun ou grisätre que nous avons indiqué. Ce petit rongeur, par la faiblesse de ses ongles, doit prinei- palement se servir de son museau pour se creuser des galeries dans le sable. Celui que nous décrivons à été tué à vingt lieues de la ville du Cap, près le village de la Pearl, non loin des mon- tagnes de Drackenstein. C'est indubitablement de cette espèce dont Allamand ( Suppléments à l'histoire des Quadrupèdes de Buffon) veut parler, lorsqu'il dit : «M. Gordon a vu, fort «avant dans l'intérieur du pays, une espèce beaucoup plus pe- «tite et de couleur d'acier : aussi lui en donne-t-on le nom «au Cap.» (Buffon, t. XX, p. 185.) 168 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Gevre LIÈVRE, Lepus, Linn. LAPIN DE MAGELLANIE, Lepus magellanicus. N. Pilis omninôd atro-wiolaceis, albis passim sparsis : auriculis fuscis, ca- > 1e Je pite brevioribus ; macul& alb& naso, interstitio narium, mento, gulæ, frontique. La nature, en créant les animaux, a donné à plusieurs d’entre eux des caractères généraux, qui nous permettent d'en former des genres, et des caractères particuliers, qui servent à isoler les espèces entre elles. Mais les nuances qui peuvent servir à distinguer ces espèces dans quelques familles sont si peu pré- cises, et sont si évasives, qu'il est presque impossible de les rendre sensibles par une description. Soumettant ensuite à la domesticité plusieurs des animaux utiles, l'homme est venu ap- porter parmi eux des causes nombreuses de variations, qu'on ve remarque point chez les individus sauvages; et c'est ainsi que des croisements de races, ou l'éducation, ou l'influence du climat, ont donné à la même espèce des couleurs différentes ou une livrée étrangère. Si, par exemple, des caractères zoolo- giques, nets et précis, manquent pour isoler le lièvre de nos contrées d'avec le lapin, on conçoit combien il est plus difficile encore de tracer la différence de ce dernier avec les espèces qui vivent sur divers points du globe, où elles sembleraient, en émigrant avec l'homme, avoir subi de profondes altérations. Quoi qu'il en soit, il se peut que le lapin des terres magella- niques, que nous décrivons, ne soit qu'une variété du /epus cuniculus de Linné, portée sur les iles Malouines par les Fran- ZOOLOGIE. 169 çais qui y tentèrent un établissement en février 1764, et qui y déposèrent des chevaux et des bêtes à cornes, prises à Monte- Video, et qui y vivent encore. Mais cependant, après un examen attentif, et forts surtout de l'opinion du baron Cuvier, nous ne balancons pas à la resarder comme une espèce distincte, dont la souche provient indubitablement de la Patagonie. Les anciens navigateurs nous apprennent, d'ailleurs, que les lapins sont tres- abondants sur les bords du détroit de Magellan, et il n'est pas improbable que l'espèce qu'ils indiquent ne soit celle que nous décrivons *. Le lapin magellanique est de la taille du lapin sauvage de France, et a iles mêmes formes. Son pelage est très-fourni, soyeux, et entremélé de poils bruns, formant un épais duvet lanugineux en dessous. Destiné à vivre dans les hautes latitudes australes, la nature a pourvu à le préserver de ces climats froids et tempétueux. Il est entièrement, surtout le corps sans excep- tion , de couleur noire, mélée de violâtre, et parsemé d'un grand nombre de poils blancs. Quatre taches, blanches, arrondies, qui se dessinent nettement sur le fond noir de la robe de l’ani- mal, occupent le milieu de la poitrine, la moitié de la lèvre in- férieure, l'extrémité du nez et le sommet de la tête. Les jambes sont assez courtes et minces; les doigts sont munis d'ongles forts et robustes, cachés dans des poils abondants, grossiers, d'un noir-roussàtre foncé, garnissant les mains et la plante des pieds. La tête est un peu obtuse, arrondie, à front convexe. Les oreilles sont plus courtes que la tête, caractere opposé à toutes * Magellan, le premier Européen qui ait abordé dans la partie Sud de l'Amérique en 1520, en décrivant les animaux du port Saint-Julien, sur les bords du détroit qui porte son nom, dit formellement : «On y trouve des autruches (randou), des renards «(chien antarctique), et des lapins plus petits que les nôtres. » Desbrosses, t. I, pag. 133. Ce même fait est consigné pag. 38 de la 7raduction francaise du Journal de Pigafetta ( 1 vol. in-8°, Paris, an 1x ). Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 22 170 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. les variétés domestiques du lapin, chez lesquelles ces parties se développent considérablement. La queue, également noire, est courte et recourbée en haut. Les oreilles sont brunes-rou- geàtres. pouces lignes mètres. Longueur du corps entier, du bout du museau à l’anus.... 16 8 o 41 Hauteur du train de devant... ............ MIRE 6 6/10 176 ——— du train de derrière.......... gore... OMS MONT Longueur de la tête, du nez à l’occiput................. HAN E NO 122 à EL EE LE LE EU AE EN ACIER Ts DHRDINO NON ——— du tronçon de la queue...................... » 18 O O41 ——— de lavant-bras, depuis le coude jusqu’au poignet.. 2 6 o 068 ——— depuis le poignet jusqu’au bout des ongles... ..... » 14 Oo 032 ——— de la jambe, depuis le genou jusqu’au talon... .... 2 6 o 068 ——— du pied, depuis le talon jusqu’au bout des ongles. 2 6 o 068 Le lapin des terres magellaniques vit, par petites troupes, dans les terriers qu'il se creuse dans les vallons rétrécis ou dans les dunes des bords de la baie Française aux iles Malouines, près l'anse Chabot, et aux alentours du camp de l’Uranie. Il s'établit près des ruisseaux et sous les bouquets du seul et frèle arbris- seau de ces climats, le chrliotrichum amelloides , Cass., au milieu d'un grand nombre de lapins, dont le pelage est, au premier coup d'œil, celui de l'espèce sauvage européenne. Il ne nous a paru différer en rien, par ses habitudes, autant que nous avons pu l’observer dans nos diverses excursions, des lapins qu'on trouve en France. ZOOLOGIE. 171 GENRE COCHON, Sus, Linn., Cuv., Desm. COCHON DES PAPOUS, Sus papuensis. N. BÈNE, dans la langue des Papous de Dorérry. PLANCIIE VIII, + de grand. nat. Corpore gracile; sacculo molli sub oculis destituto : dentibus caninis non alis longioribus. Setis subtus brunneo-fuscis, infra albis, atro annu- latis. Caudä brevissima. À l'examen des formes extérieures de ce cochon adulte, on serait tenté de le rapprocher du cochon de Siam, dont il a le port et un peu la physionomie générale. Cependant, lorsqu'on descend dans les détails, il s'en éloigne trop par les caractères qui lui sont propres, pour ne pas constituer une espèce, fondée principalement sur la disposition des dents. La tête osseuse de cet animal est beaucoup moins longue que dans le cochon ordinaire, toutes proportions égales d’ail- leurs. Les côtés du museau sont moins concaves, et sont sans enfoncement sur la mâchoire supérieure : ils sont droits, et le rebord des alvéoles destinés à loger les défenses est légère- ment élevé, mais non déjeté en dehors comme dans l'espèce commune. La formule dentaire est celle-ci : Incisives +, Canines —, Molaires =. Au ToTaAL : 36 :. * Les parties osseuses présentent une ouverture en arrière de chaque dernière grosse F5) 172 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. La longueur de la crête occipitale à l'os du boutoir est de neuf pouces et demi; celle du frontal au rebord du maxillaire in- férieur est de quatre pouces trois lignes. Le maxillaire inférieur a six pouces de longueur; et trois pouces d'écartement entre ses branches, dans l'endroit le plus large : il y a, de l’arcade zygo- matique aux incisives de la mâchoire supérieure, quatre pouces et demi. Les deux incisives de devant de la mâchoire supérieure sont rapprochées, épaisses et tronquées au sommet. Les deux extérieures sont plus courtes et dirigées obliquement en avant. À quelques lignes des quatre incisives, est placée, de chaque côté, une dent étroite, logée obliquement d'avant en arrière dans un alvéole de l'os incisif, et qu'on ne peut se dispenser de regarder comme une incisive, quoiqu'elle s'éloigne de la forme des quatre antérieures, et qu'elle ressemble à la canine. Celle-ci, mince, peu apparente, se dirige d'arrière en avant, et occupe un espace vide de chaque côté de la mâchoire. Les, molaires anté- rieures sont transverses, à pointe unique, tandis que les trois dernières présentent-à leur couronne quatre pointes mousses, séparées par des sillons profonds. Les dents de la méchotre infe- rieure sont à peu près d'égale longueur dans les quatre incisives projetées en avant. Les deux autres incisives externes, plus courtes, ont leur sommet à trois pointes peu apparentes et aplaties latéralement. La canine, de chaque côté, est mince, pyramidaie, très-étroite et peu élevée. Un léger intervalle la sé- pare de la première molaire, isolée elle-même des quatre autres. Les trois premières molaires sont donc aplaties transvérsalement et à pointe mousse. La quatrième a six pointes parallèles, sé- parées par deux sillons ; et la dernière en a quatre régulières, et une cinquième plus petite en arrière. molaire des deux côtés et aux deux mâchoires; ce qui semble prouver que les germes , " Ô ô ; . ou. d’une sixième molaire étaient encore renfermés dans l’alvéole, et ce qui porterait à quarante le nombre des dents de cette espèce. ZOOLOGIE. 173 Nous avons observé à bord et à la Nouvelle-Guinée un assez grand nombre de ces cochons parvenus à l’âge adulte : tous à peu près nous présentèrent les caractères que nous allons rap- porter. La taille moyenne de cette espèce est élevée de dix-huit à vingt pouces au plus; et ses formes sont, en général, élancées et sveltes. La tête s'allonge en un groin effilé, et la mâchoire inférieure est un peu plus courte que la supérieure. Le chan- frein est droit, et non convexe comme dans quelques espèces. L’œil est petit : les oreilles sont très-courtes proportionnelle- ment à la tête; elles sont droites, roides et minces sur le bord externe. Le corps est arrondi dans ses formes : les membres sont courts et assez gros. Les pieds sont petits, à sabots peu pro- noncés et courts. La queue est grèle, terminée par une petite touffe. Les poils de ce cochon sont médiocrement fournis. Les soies sont assez roides, espacées, plus nombreuses que dans le co- chon de Siam et le babi-russa, mais moins que dans les espèces ordinaires. La peau est brune et rugueuse, nue et rougeàtre derrière les oreilles, sur les joues et sur plusieurs endroits de l'ab- domen. L'extrémité du museau est garnie de poils noirs, longs, plus abondants sur la mâchoire inférieure et autour des yeux. Deux bandes noires s’avancent sur les branches du maxillaire inférieur. Les soies, plus fournies, plus denses et plus longues sur le rachis, et particulièrement sur la nuque, sont très-noires. Les poils des oreilles sont ras à l'extérieur, allongés et blancs à l'in- térieur : ceux des parties supérieures du corps et des flancs sont couchés, alternativement noirs et rougeàtres, et plus foncés en brun sur les membres, à leur portion externe. Les poils des joues, de la gorge, des flancs et de dessous le ventre, sont blancs, mélés de quelques poils noirs, ou blancs à leur naissance et 174 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. terminés par du noir : ceux des côtés du cou sont courts, épais et roides; et nulle part on n’en remarque de frisés. Le tour des yeux est brun : on compte huit mamelles abdominales. Les marcassins, dans leur premier âge, ont une livrée comme les petits du sanglier. Leur pelage est communément d’un brun plus où moins foncé, ayant sur le dos de deux à cinq raies lon- gitudinales d’un fauve assez vif. Ce cochon, nommé Béne par les Papous du havre de Doréry, est excessivement commun dans les forèts de la Nouvelle-Gui- née, où nous en rencontrames fréquemment. Les Papous en conservent quelques-uns en une sorte de domesticité, en attra- pant les jeunes dans les bois, et les renfermant dans des parcs, au-dessous de leurs cabanes. Mais ils ne cherchent point à ap- privoiser cet animal, qui retient parmi eux la plupart de ses mœurs sauvages et farouches. Ceux que nous conservames à bord se faisaient remarquer par leur courage, et se disposaient souvent à résister lorsqu'on les agaçait; et, quoique bien plus petits que le cochon de Siam, ils le battaient avec un acharne- ment peu ordinaire. Au bout d'un certain temps, cependant, ils devinrent assez dociles. Les individus que nous observames étaient solitaires; mais il paraît qu'à certaine époque ils vont par files nombreuses. C'est du moins ce qu'assure le navigateur Forrest, qui les représente ainsi dans les pl. IT et IT de son ouvrage, et qui rapporte que les Papous les chassent à coups de flèches. «Les cochons sauvages, nommés Ben, dit Forrest ( or. « à la Nouvelle-Guinée), passent souvent à la nage, en file, d'une «ile à une autre : le cochon de derrière appuyant son groin sur « la croupe de celui qui le précède. Les proportions des diverses parties de celui que nous repré- à sentons sont les suivantes : pieds pouces lignes mètres. Longueur totale du corps, du bout du museau à l'anus... 3 » » o 975 ZOOLOGIE. 175 pieds pouces lignes mètres: Hauteur 'durtraimde devant." ceriecee MEMONMONMONTOT = tdercelutder derniere te PRE RER 1 8 » o 54x Loncuéunide lartéte MAP RE RE EE POELE ER ORC RES »h On NON 271 ———— desioreilles... 0. EL es AIO) LAON de QUEUE. het mel eee ie DAUN E IONIOS ——— de lavant-bras, depuis le coude jusqu’au poignet. » 5 6 o 149 ——— du poignet jusqu’au bout des sabots. ......... DO MONTS ——— de la jambe, depuis le genou jusqu’au talon.... » 5 6 o 149 ——— depuis le talon jusqu'au bout des sabots... ..... De ONE CS Circonterencerde lairéte- NP AP ONE A ER TA NON 190 ————— denlatportnme sr PR Eee 2 Ne ON 077 ———— ce lelcmemo ose cioieedeenr eC rof: Longueur des sabots postérieurs .................... D EN O1 020 des: sabotsiantérieurs:. 4.102 NE ent ATOS OA La chair du cochon des Papous est très-délicate. Cet animal se nourrit principalement des fruits abondants qui jonchent le sol des forêts de cette contrée, tels que l'évy, la muscade, la moelle des vieux sagoutiers, et les racines nutritives qu'on y rencontre à chaque pas. Cette espèce, par l'ensemble de ses formes, le manque de défenses, et sa queue réduite à un état presque rudimentaire, semble former le passage du genre cochon à celui des pécaris ( Dicotyles, Cuv. ), qui vivent dans les régions chaudes et tempérées du continent d'Amérique. Les grandes iles nombreuses de la terre des Papous, si riches et si peu connues, fourniraient ainsi la nuance qui réunit ces deux genres; mais nul organe, analogue à la glande des pécaris, n'existe sur notre espèce, qui n'exhale point d'odeur alliacée ou fétide, dont la chair est savoureuse, et qui a quatre sabots à chaque pied. Le co- chon ordinaire a douze mamelles : celui des Papous ne nous en a présenté que huit, nombre qui le rapproche encore, par ce caractère, du pécari; car M. F. Cuvier n’a pu en trouver que deux chez l'individu qu'il a figuré. Plusieurs de ces animaux, 176 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. que nous conservâmes à bord de notre corvette, se familiari- sèrent à la longue, recherchaient les caresses, et se montraient jaloux de celles que l'objet de leur amitié prodiguait à d’autres; et c'est principalement sur un jeune chien que se portait toute leur sollicitude. Ils se couchaient à son approche, se laissaient agacer par lui, et chacun d'eux paraissait mécontent lorsqu'il l'abandonnait pour Jouer avec quelque autre animal. ZOOLOGIE. 177 CHAPITRE IV. OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR QUELQUES CÉTACÉES. Les navigateurs ont chaque jour sous les yeux des troupes nombreuses de cétacées, dont les rapides évolutions ne per- mettent point de considérer leurs formes à loisir; et ce n'est jamais que d’une manière très-rapide qu'ils peuvent s'en former une idée. Cette famille serait toutefois bien intéressante à étu- dier; elle fournirait un grand nombre d'individus à décrire, si des obstacles presque insurmontables ne s'y opposaient ; mais, pendant long-temps encore, il faudra nous borner à des apercus. Écrivant pour ceux qui nous suivront un Jour sur ces espaces immenses de mer où les tribus nombreuses de dauphins errent sous les latitudes qui leur conviennent, nous rapporterons quelques-unes des remarques que nous avons faites dans ces journées si longues, où le voyageur, flottant entre le ciel et l'eau, n'a, pour récréer ses regards, qu'un horizon sans bornes, ou parfois la vue de quelques êtres qui viennent animer un instant ces vastes solitudes. En général, les dauphins, quelle que soit leur espèce, pa- raissent se plaire à lutter de vitesse avec les navires qu'ils ren- contrent, lorsqu'un vent favorable fait faire à ceux-c1 un sillage rapide, et que l’étrave brise les vagues qui rejaillissent en nappes écumeuses, parfois étincelantes par une vive phospho- rescence. Leurs prompts mouvements, leurs sauts hors de la mer, leur manière de nager en fendant l'eau avec la rapidité d'une flèche, contribuent à former de leur existence un tableau auquel le matelot, même le plus grossier, n’est jamais indiffé- rent. Après avoir suivi un instant le navire, avoir formé mille Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 23 178 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. cercles à l'entour, il est rare que tous les dauphins ne dis- paraissent point à la fois, en prenant une autre direction. Les marins croient qu'ils sont les précurseurs des mauvais temps, et qu'ils ont pour habitude de se diriger du côté d’où vient le vent. Dans l'Océan Atlantique, sous la ligne, nos matelots harpon- nèrent le marsouin gris, à teinte bleuatre ou plombée ;, à ventre blanchätre , à peau lisse, mais recouverte ca et là de cicatrices qui annonçaient d'anciennes et profondes blessures. Dans les mers orageuses du cap Horn, en allant aux Ma- louines, à cent quarante lieues de ces iles, nous observames un dauphin, qui différait notablement de ceux dont Commerson et le docteur Quoy ont fait mention. Le dauphin à bandes ( de/phr- nus bivittatus, N., pl. IX, fig. 3.) suivit quelque temps notre navire en grande troupe, quoique la mer füt très-grosse. Il s'élançait fréquemment au-dessus des houles, et semblait jouir de la résistance qu'il trouvait dans l'eau, ainsi bouleversée. Sa oueur sur dix 5 pouces à peu près d'épaisseur. Il est court, mais svelte, dans taille est d'environ deux pieds et demi de lon l'ensemble de ses formes. La moitié supérieure du corps est d'un noir lustré et foncé : le ventre est blanc, ainsi que la mà- choire inférieure. Ce qu'il offre de remarquable est une large bande d’un blanc satiné, disposée longitudinalement sur chaque geoire dorsale, où les deux portions de cette bande ainsi séparée côté du corps, et interrompue au milieu vis-à-vis la na s'élargissent. Cette disposition lui donnerait quelque analogie ! Ses dimensions étaient les suivantes : Longueur totale, huit pieds; du bout du museau à la nageoïre dorsale, trois pieds six pouces ; du même point à l'œil, un pied. Longueur de la bouche, dix pouces. Longueur des nageoires pectorales, qua- torze pouces; de la caudale, dix-huit pouces; de l'anus au bout de la queue, deux pieds six pouces. Largeur de la tête vis-à-vis les yeux, un pied; près de [a queue, deux pouces ZOOLOGIE. 179 avec le d. cruciger des docteurs Quoy et Gaimard, si ce dernier n'avait pas le corps noir supérieurement, blanc inférieurement, avec une large bande noire sur l'abdomen. Le museau de cette espèce est court et conique; la nageoire dorsale est médiocre- ment élevée, noire, placée au milieu du corps. La caudale est échancrée au milieu, brune; les pectorales sont minces, blanches, noirâtres seulement sur leur bord antérieur. Les hautes latitudes du Sud sont encore la patrie du dauphin de Péron, qui fréquente les attérages des iles Malouines, même jusqu'au fond de la baie de la Soledad. Le célèbre historien du voyage de Baudin le rencontra au Sud de la terre de Diémen; le docteur Quoy le vit par deux degrés de latitude, pres de la Nouvelle-Guinée;et nous, nous l’'observames diverses fois par 52° de latitude Sud , vis-à-vis le détroit de Magellan, près du eap Pillar, et par 45°, lorsque nous contournames la Nouvelle- Hollande. Plusieurs centaines de ces dauphins entourèrent la corvette, le 12 janvier 1823, à notre entrée dans la mer du Sud. Nous ne pümes en saisir ce jour-là : mais une autre fois nous y parvinmes; et l'individu que nos matelots harponnèrent nous mettra à même de donner de cette espèce une idée autre que celle qu'on trouve consignée dans les auteurs qui en ont parlé. Ce dauphin, mentionné dans le voyage du capitaine Kotzebue, sous le nom de dauphin du Chili, est décrit sous le nom de delphinus Perontü dans Lacépède et dans la Mamma- logie de M. Desmarest ( 771°). C'est le delphinus leucoramphus de Péron ( Hist. voy. terres Australes, p. 217, édit. in-4°); mais comme ce cétacée n'a point de nageoire dorsale, il doit appar- tenir au genre delphinaptère, pour y prendre place à côté du beluga, dont il se distingue spécifiquement par son museau disposé en bec efflé. Nous le désignerons sous le nom de del- phinapterus Peront (pl. IX, fig. 1.) Ce delphinaptère avait trente-neuf dents de chaque côté de la 23. 180 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. mâchoire supérieure, et un égal nombre de chaque côté de l'inférieure. Il pesait soixante-cinq kilogrammes. pieds pouces ligues. Tonsueuritotale AR he ESA ete 5 8 Circonférence du corps vis-à-vis l'appareil génital..... » 24 ————— de la tête en passant sur les yeux...... » 27 Honsueuridelaliquene EPP PPT ETAPE CECErEPPES 0 16 ——— du bout du museau à la pectorale..... RAT 0) 29 ———— de la commissure de la bouche à l’œil...... » 2 ——— de l’œil à la nageoire pectorale........... » 9 6 ——— de la nageoire pectorale. . . .....:...... » 1r 6 ———— du bout du museau à la commissure de la Douche serre ee pee PAT one » 10 ——— de la queue...... RU A EN A SA EEE RE 5.6 CON NO EEE PROMOS » 8 de LE A A REA RAR ER » 1 ——— de l’anus à l’extrémité de la queue......... » 16 6 de l'ouverture dellannus- METRE » o 8 L'évent est placé au milieu de la tête entre les yeux. Arrondi dans ses contours, gracieux dans ses formes, lisse dans toutes ses parties, ce cétacée est d'autant plus remarquable, qu'il semble recouvert d'un camail noir. Son museau jusqu'à l'œil est d'un blanc soyeux ou argentin. Il en est de même des côtés du corps, des nageoires pectorales, du ventre et d'une partie de la queue. Un large scapulaire, d’un bleu-noir foncé, prenant naissance aux yeux où le blanc décrit un croissant, se dessine et se recourbe sur les flancs, pour recouvrir seulement la partie supérieure du dos. Le bord antérieur des nageoires pectorales et caudales est brun. Le museau est allongé, séparé du crane par un sillon profond. L'iris est d’un vert d'émeraude. Nous ne vimes que deux fois, par 45 et 43 degrés Sud, après avoir doublé le cap Horn, des individus que nous primes pour le dauphin que MM. Quoy et Gaimard ont nommé dauphin ZOOLOGIE. 181 albigène (d. albigena), et qu'ils soupconnaïent être une variété de leur d. cruciger. Cest véritablement une espèce distincte : que nous nommons delplunus superciliosus, N., pl. IX, fig. 2, et qu'un de nous a dessiné d’après un individu harponné à bord du Castle-Forbes. Cette espèce a beaucoup d’analogie avec le dauphin de Bory (4. Boryü, Desm., 757 ); mais elle en diffère, cependant, d’une manière assez remarquable. Nous n'observames qu'une fois, dans la baie de la Soledad aux Malouines, le dauphin noir et blanc de MM. Quoy et Gai- mard; et tout nous autorise à penser que c'est le delphinus Com- mersoni, ou le jacobite, dont parle Commerson dans ses manu- scrits. M. de Lacépède mentionne, d'après le capitaine Colnett, la quantité prodigieuse de cachalots qui fréquentent les côtes du Chili et les attérages des iles de la Motcha. Le jour que nous entrames dans la baie de la Concepcion, nous pumes nous as- surer de la justesse de cette assertion : la baie en était remplie. Ce cétacée, qui fournit le blanc de baleine ou sperma ceté, est quelquefois harponné par les baleiniers qui se préparent à effec- tuer leur retour en Europe. On le reconnait seulement en le voyant nager, lors même que sa tête tronquée ne sort point de l'eau, parce que sa nageoire ressemble à une bosse; ce qui le distingue, de prime abord, du gibbar ou finn-back des Anglo- Américains, qui a une nageoire aiguë et prolongée, et de la baleine franche, qui n’en a point. ._ ? Cet individu, observé par 44° lat. Sud, en doublant le cap Diémen, avait quatre pieds deux pouces de longueur, trente dents de chaque côté à la mâchoire supérieure, et vingt-neuf à l'inférieure. Tout le dos, ainsi que la tête et le museau qui est co- nique, étaient de couleur noire. La dorsale, placée un peu au-delà du milieu du corps, la pectorale et la caudale étaient brunes : les côtés et le ventre d’un blanc satiné; une bande blanche passait au-dessus de l'œil et se rendait au front; une tache blanche se dessinait près de la queue. - 182 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Le physeter macrocephalus, hump-back des baleiniers anglais, nage avec lenteur, en ne sortant hors de l'eau que la partie su- périeure du dos. Parfois sa grosse tête cubique, ou coupée en devant carrément, apparait un instant à la surface. L'évent forme sur la tête une sorte d'éminence arrondie et volumineuse, mamelonnée, d'ou jaillit une colonne d’eau simple, se divisant, à une faible hauteur, en large nappe; tandis que, chez les baleines, l'évent refoule l'eau en colonne serrée et très-élevée. La couleur de la peau est d'un noir-bleu foncé; mais comme divers testacées s'y attachent de la même manière qu'ils le font sur les rochers, il en résulte çà et là, et plus particulièrement sur la tête, de larges taches blanches. Les cachalots fournissent le sperma ceti; mais, chassés par les Européens de la plupart des mers, ces animaux diminuent chaque jour. Il parait qu'ils étaient très-communs autrefois près de Madagascar, si on en Juge par cette indication de Marco- Polo : Z{s ont anbre asez, por ce ge en cel mer a balene en grant abondance ; et encore hi a cap doille asez, et por ce ge il prenent de ceste balene e de cestt cap dol asez, ont de l'anbre en grant quantité, et vos saves que la balene fait l'anbre ( pag. 232). Les dents des cachalots, employées dans les arts, servent aussi d'objet d'échange avantageux chez plusieurs peuplades du Grand-Océan. Ces dents sont pour quelques insulaires l'objet d'une grande vénération, et acquièrent chez quelques autres la valeur des pierres précieuses. Telles sont les idées que se sont formées sur cette matière les habitants de Rotouma, qui pensent que le cachalot est le roi de la mer, et que ses dents, possédant les vertus les plus miraculeuses, protégent ceux qui les portent de tout accident, et les préservent de tout danger. L'immense baie de la Concepcion nourrit un grand nombre de dauphins, dont nous ne pumes tuer aucun individu. Cette espèce, nommée funenas dans le pays, est ramassée dans ses ZOOLOGIE. 183 formes, longue de trois pieds au plus, à museau effilé, à dorsale arrondie vers son sommet. La couleur du dos est d'un brun fauve-clair, qui se fond insensiblement avec le blanc de la partie inférieure. Un croissant brun occupe le dos, vis-à-vis les na- geoires pectorales, en avant de la dorsale. Ce dauphin, que nous nommons delphinus lunatus (pl. IX, fig. 4 ‘), est un destruc- teur actif de poissons. Tous les matins, au lever du soleil, des troupes nombreuses s’occupaient à pêcher; et ce n’est qu'au moment où 1ls étaient repus, vers dix heures, qu'ils jouaient en s'élançant hors de l'eau, par des bonds rapides et pleins de force. Le 19 avril 1823, par 18° de lat. Sud et 137° de long. O. La veille du jour que nous découvrimes l'ile de Clermont-Tonnerre, au milieu des iles de corail de la mer Mauvaise, nous fümes suivis par une nombreuse troupe de dauphins, que nous exa- minämes fort long-temps sous la proue, où ils passaient et re- passaient sans cesse. Leur tête était effilée, terminée par un long museau; leur corps était mince par rapport à sa longueur, qui semblait être de six pieds. La nageoire de la queue était forte et prononcée. Celle du dos, placée au milieu du corps, était presque chez tous bifurquée légèrement au sommet. Ce cétacée, que nous nommerons delphinus maculatus, semblait d'un vert clair dans l’eau ; mais hors de ce liquide, la teinte du dos était glauque ou bleuàtre. Le ventre était de couleur grise, parsemée de taches blanches, arrondies, légèrement bordées de roussàtre. Les rebords des mâchoires, et surtout de la su- périeure, étaient d'un blanc pur. L'évent occupait l'espace in- termédiaire aux yeux, et ce dauphin soufflait souvent avec force; bien que sa natation füt très-rapide, nous n’en obser- vames pas moins avec attention le mécanisme. C'est par un * La figure est faite sur l'animal vu en mer de très-près; mais, par cela même, elle ne mérite pas une confiance explicite. 184 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. mouvement vif et alternatif de droite et de gauche de la queue, mouvement analogue à celui qui s'opère lorsque les marins goudillent, que ce cétacée, roulant ainsi, tantôt sur un côté et tantôt sur l’autre, se pousse en avant, et acquiert une vé- locité peu commune. Dans le même archipel, sur les attérages de l'ile d'Augier, par la même latitude, nous vimes une douzaine de dauphins, appartenant à la section des marsouins. Malheu- reusement ils ne restèrent qu'un instant, et tout ce que nous pümes en voir se réduit à fort peu de chose. Cette espèce avait environ six pieds. La nageoire dorsale était prononcée, très- étroite et aigué au sommet. La couleur du corps était d’un gris foncé, tandis que la tête et le cou étaient d'un blanc éblouis- sant : la tête, d’ailleurs, était courte, ramassée et plus conique encore que dans le marsouin ordinaire. Nous le nommerons delphinus leucocephalus. Une autre espèce de dauphin que nous avons à mentionner, est celle que nous primes entre Java et Bornéo, dans les canaux étroits où la mer a peu de profondeur, et où elle est générale- ment calme et réchauffée par les chaleurs d'un ciel équatorial. Ce dauphin (delphinus malayanus, N., pl. IX, fig. 5, d'après un individu harponné) avait cinq pieds onze pouces de longueur totale, et d'épaisseur, vis-à-vis les nageoires, quinze pouces. La hauteur de la dorsale, placée au milieu du corps et échancrée au sommet, était de huit pouces; la longueur de la pectorale, de treize pouces. La tête était longue de seize pouces sur dix de largeur; la nageoïre de la queue avait vingt-trois pouces. La lar- geur de la queue à la base était de cinq pouces. Une forte ca- réne , comme celle de certains scombres, occupait les parties latérales et postérieures du corps. L'évent, en croissant, était placé un peu en arrière des yeux, qui étaient très-petits. La tête, grosse et arrondie, très-convexe sur le front qui s'abaisse su- bitement, présentait à la base du museau une forte rainure. ZOOLOGTIE. 185 Celui-ci, mince et allongé, garni de dents nombreuses, offrait plus de longueur dans la mâchoire inférieure. La couleur de ce dau- phin était uniformément cendrée. La chair de cette espèce, qui fut mangée à bord, comme celle des précédentes, est noire, huileuse, et désagréable pour tout autre que pour des marins avides de viande fraiche. La couche de graisse dense, qui lu sert d'enveloppe, est revêtue d’une peau parfaitement lisse, sur laquelle seulement paraissent parfois quelques cicatrices de plaies antérieures. Dans les mers chaudes des iles fabuleuses de Salomon, au milieu de ces terres qui se rapprochent de la constitution des Moluques, nous fumes entourés (2 et 10 août 1823) par des milliers de dauphins (delphinus minimus, N.), à museau effilé, dont la taille chez les plus grands ne dépassait pas deux pieds. Leur couleur générale était brune, et on remarquait une tache blanche seulement au bout du museau. Ils sautaient hors de l'eau à la manière des scombres, et suivaient une direction constante , tous formant deux lignes disposées en échiquier. Nous rencontrames, dans ce vaste espace de mer qui existe hors du tropique entre les îles des Amis et la Nouvelle-Hol- lande , ainsi que près des iles de Bouka et de Santa-Cruz, le cé- tacée nommé par les pêcheurs anglais b/ack-fish ou poisson noir. Tout porte à croire que c'est une espèce de physétère non décrite, dont la taille est à peine le double du marsouim ordi- naire, et dont la tête est tronquée et la nageoire dorsale falci- forme. Ce cétacée est très-agile, et redouté des pécheurs, qui recherchent cependant une matière analogue au sperma -cett contenue dans le crâne. Sa couleur est d’un brun-noir uniforme. Tels sont les détails que nous pouvons fournir sur les cé- tacées : ils ne sont ni nombreux, ni importants; mais, nous le répétons, ces animaux échapperont long-temps encore à l'exa- men rigoureux des naturalistes, et ces détails donneront du Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 24 186 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. moins l'éveil sur plusieurs espèces. Il en est beaucoup d’autres que nous croyons inutile d'indiquer, n'ayant pu jeter sur elles qu'un regard furtif. Par la même raison, nous ne parlerons point non plus des baleines, que souvent nous rencontrâmes dans divers parages; ce que nous en dirions n'avancerait en rien la science. ZOOLOGIE. ; 187 CHAPITRE V. OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR L HISTOIRE NATURELLE DES DIVERSES CONTRÉES VISITÉES PAR LA CORVETTE ZA COQUILLE, ET PLUS PAR- TICULIÈREMENT SUR L'ORNITHOLOGIE DE CHACUNE D ELLES. La connaissance des différents pays se lie à l'histoire des étres qui les habitent : aussi devons-nous donner quelques détails sur ceux que l'expédition a explorés, afin de dresser des aperçus de géographie zoologique, utiles pour les voyageurs et pour ceux qui en Europe s'occupent plus particulièrement de cette partie de la science. On sait, au reste, que les navigateurs n'ont à parcourir que quelques points rétrécis des côtes sans s'éloigner le moindrement du littoral, et qu'ils ne peuvent offrir qu'une sorte de catalogue des récoltes qu'ils y ont formées. Ils ne doivent donc prétendre qu'à jalonner la route pour les naturalistes à venir, et assigner la localité précise de certaines espèces, en circonscrivant les limites qui leur conviennent par rapport à leur organisation et à leurs habitudes. Nous exprimerons ici notre reconnaissance envers quelques personnes de l'expédition , qui voulurent bien nous seconder et accroître nos collections ornithologiques, avec un zèle d'autant plus louable, qu'il était plus désintéressé. MM. Bérard, de Blois de la Calande et Lottin, officiers de a Coquille, nous furent, en effet, très-utiles sous ce rapport; et le premier surtout, qui avait rendu de pareils services dans le voyage autour du monde du capitaine de Freycinet sur /'Uranre , ainsi que notre estimable maitre canonnier, M. Rolland, furent toujours empressés de nous remettre chaque jour le résultat de leurs chasses pénibles et souvent dangereuses. 24. 188 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Les relâches que la corvette /4 Coquille a faites durant son voyage seront décrites dans l'ordre de l'itinéraire de l'expédi- tion, et comprendront ainsi, 1° Sainte-Catherine( côte du Brésil ); 2° les iles Malouines ; 3° la province de Concepcion, au Chili; 4° Callao, près Lima, et Payta, sur la côte du Pérou; 5° Taiti et Borabora, dans l'archipel de la Société; 6° Port-Praslin, à la Nouvelle-Irlande; 7° la baie d'Offak, dans l'ile de Waigiou ; 8° Bourou et Amboine, aux Moluques; 9° Port-Jackson, à la Nouvelle-Galles du Sud; 10° la Bate des iles, à la Nouvelle-Zé- lande; 11° Oualan, dans l'archipel des Carolines; 12° Dorery, à la Nouvelle-Guinée; 13° Sourabaya, dans la grande ile de Java; 14° le Maurice ; 15° Sainte-Hélène, et 16° l'ile de l'Ascension. K Ie SAINTE-CATHERINE DU BRÉSIL. Sans chercher à reproduire les tableaux imposants que les divers voyageurs ont faits du Brésil, le naturaliste qui touche sur ces bords, après une courte absence des contrées euro- péennes, ne peut se dispenser d'éprouver, à la vue des produc- tions de l'Amérique méridionale, une émotion d’autant plus forte, qu'elle surpasse encore ce que son imagination lui pro- mettait d'après le récit des voyageurs. Les premiers jours, il a peine à se familiariser avec cette pompe et cette grandeur que partout la nature étale à sa vue. Ce n'est qu'à la longue qu'il peut s’habituer à ce luxe de végétation et à l'éclatante parure des oiseaux ou des reptiles qui pullulent dans ces riches climats. Le Brésil a été, dans ces derniers temps, exploré par un grand nombre de naturalistes éminemment distingués, Link, Hof- mansech, Spix et Martius, Langsdorff, Prince de Neuwied, Auguste de Saint-Hilaire; mais il est loin d'être connu, et, ZOOLOGIE. 189 tous les jours, il fournit encore une mine précieuse à exploiter dans tous les genres. Malheureusement le point que nous visi- tâmes, étudié par de Chamisso et Eschscholtz, déja appauvri d’ailleurs par son éloignement de la ligne équinoxiale, ne pro- met point de récoltes abondantes et variées. L'ile de Sainte-Catherine, située par 27° de lat. Sud, n'est séparée de la terre-ferme que par un bras de mer, formant un havre spacieux. Les côtes sont fortement ravinées, et des col- lines élevées, ou des chaines de montagnes, en bornent le pour- tour, et d'immenses marécages en occupent plusieurs points. Une riche verdure, produite par d'épaisses fourrées, s'étend à l'horizon, comme un vaste tapis, malgré que l’ossuaire des montagnes ne soit recouvert que d’une faible épaisseur de terre végétale. Le granite forme entièrement la croûte minérale de l'ile de Sainte-Catherine et du continent voisin : parfois il est sillonné par de larges veines de quartz; mais ce n'est guère que sur les rocs du rivage, que frappent et usent les vagues, qu'on peut distinguer la nature des roches. Partout ailleurs leur surface est voilée par une masse de végétaux ; et c'est ainsi que les revêtent des orchidées de toutes les formes, des pothos, des Bromeliées et des cactus. Le sol de ce point du Brésil est entièrement primitif; et partout où il est possible d'en examiner les roches, on trouve uniquement un beau granite ordinaire, parfois hérissé sur sa surface de cristaux de quartz. Le carbonate de chaux parait manquer complétement , et les habitants le retirent pour leur usage de la calcination des coquilles marines. Le Brésil est depuis long-temps célèbre par la profusion des végétaux splendides qui couvrent son sol. La richesse des fleurs ou des fruits, leurs teintes diverses et variées, le large feuillage de quelques plantes, opposé aux folioles légères et découpées de quelques autres, des arbres gigantesques, des cierges épi- 190 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. neux, des lianes suspendues en longues arcades de verdure, forment l'ensemble le plus imposant et le plus pittoresque que puisse offrir la nature dans son luxe sauvage. Les vieux arbres, malgré la vigueur de leur croissance, sont peuplés de plantes parasites : des touffes de Bromeliées , à longues feuilles acérées, se placent sur les rameaux. Le #{landsia, barbe espagnole, pend jusqu'à terre par flocons blancs et effilés; et des bolets, de cou- leur de cinabre, cachent sous leur rouge fulgide les troncs et les bois morts en décomposition. Le chou caraïbe, le cotonnier, la canne à sucre, le caféver, le citronnier, forment des massifs délicieux, sur lesquels s'élèvent les colonnes roides du Papayer et du Coquero (cocos Romanzoffiana, Cham. ). Mais nous ne pouvons résister au plaisir de citer un passage du voyage du prince Maximilien de Neuwied. Il peint exacte- ment les forêts des environs de Sainte-Catherine, et 1l se fait lire avec plaisir, malgré tout ce qu'on a déja écrit sur cette contrée ‘. « La vie, la végétation la plus abondante, sont répandues «partout : on n'apercoit pas le plus petit espace dépourvu de «plantes. Le long de tous les troncs d'arbres, on voit fleurir, «grimper, sentortiller, s'attacher les grenadilles, les caladium, «les dracontium, les piper, les Begonia , les vanilles, diverses « fougères, des lichens, des mousses d'espèces variées. Les pal- «miers, les mélastomes, les Bignonia, les rhexia, les mimosa, «les inga, les fromagers, les houx, les lauriers, les myrtes, «les Eugenia, les jacaranda, les jatropha, les vismia, les qua- «telés, les figuiers, se montrent partout : la terre est jonchée «de leurs corolles, et l'on est embarrassé de deviner de quel «arbre elles sont tombées. Quelques-unes des tiges gigantesques, «chargées de fleurs, paraissent de loin blanches, jaune foncé, ? Voyage au Brésil, de 1815 à 1817, 3 vol. in-8°. Paris, 1822. ZOOLOGIE. 19! «rouge éclatant, roses, violettes, bleu de ciel. Dans les endroits «marécageux, s'élèvent en groupes serrés sur de longs pétioles «les grandes et belles feuilles elliptiques des heliconia, qui ont « quelquefois huit à dix pieds de haut, et sont ornées de fleurs «bizarres, rouge foncé et couleur de feu. Sur le point de di- «vision des branches des plus grands arbres croissent des Bro- «melia énormes, à fleurs en épis ou en panicules de couleur « écarlate ou à teintes également belles. Il en descend de grosses «iouffes de racines semblables à des cordes, qui tombent jus- «qu'à terre, et causent de nouveaux embarras aux voyageurs. « Ces tiges de Bromelia couvrent les arbres jusqu'à ce qu'elles «meurent, après bien des années d'existence, et, déracinées par « le vent, elles tombent à terre avec un grand bruit. Des milliers «de plantes grimpantes, de toutes les dimensions, depuis la plus «mince jusqu'à la grosseur de la cuisse d'un homme, et dont le «bois est dur et compacte, des Bauhinia, des Banisteria, des « Paullinia, et d’autres, s’entrelacent autour des arbres, s'élèvent « jusqu'à leurs cimes, où elles fleurissent et portent leurs fruits, «sans que l'homme puisse les y apercevoir. Quelques-uns de ces «végétaux ont une forme si singulière, par exemple, certains «Banisteria, qu'on ne peut pas les regarder sans étonnement. « Quelquefois le tronc, autour duquel ces plantes se sont en- «tortillées, meurt et tombe en poussière. L'on voit alors des «tiges colossales soutenues par un lacis qui les maintient de- « bout, et l’on devine aisément la cause de ce phénomène. Il « serait bien difficile de présenter fidèlement le tableau de ces «forêts; car l’art sera toujours insuffisant pour les peindre.» Les eaux verdàtres de l'immense baie de Sainte-Catherine nourrissent beaucoup de poissons, et des troupes nombreuses d'oiseaux maraudeurs sont sans cesse occupées à faire une péche active : telles sont les frégates ( pelecanus aquilus, L.), les fous; tandis que les rivages sont infestés du vultur aura, oiseau lâche 192 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. et vorace, qui ne vit que de cadavres et de débris. Au milieu des petits bois taillis et des terrains unis de Sainte-Catherine, derrière Punta Grossa, nous observâämes l’'émérillon de Saint- Domingue, la pie-grièche tachot, des perroquets et des tourte- relles. La petite ile d’'Ænatomirhime est tellement couverte de ver- dure, que la végétation s'étend sur les roches jusqu'à l'eau. Au milieu des massifs d’arbrisseaux divers et des aristoloches et des Banisteria, apparaissent les cactus et les opuntia, dont les can- délabres hérissés s'élèvent au milieu des longs chaumes des bambous. Elle est peuplée de benteveo (lanius pitangua, Gm. )', et de garlus ( lanius sulfuraceus), oiseaux insectivores, peu dé- fiants, criards, et aussi communs sur ce point du Brésil que les moineaux en France. Les fourrées épaisses qui occupent les sommets des hautes collines, où serpente le chemin de l’'Armacao, solitaires et for- mées d'arbres élevés, servent de retraite à un grand nombre d'oiseaux , qui se cachent dans leur épaisseur. De profondes cre- vasses , des roches éboulées, d’où Jaillissent des sources, et que tapissent de larges scolopendres ou les brillantes Strelitzia, sont l'asile de la fauvette brésilienne et de la moucherolle rubis. Les tangaras, surtout le tricolor et le septicolor, l'écarlate et la houpette , animent, vivifient le feuillage des arbres de moyenne taille de la lisière des bois. Sans cesse en mouvement, il est rare de les voir rester quelques instants immobiles. Les tjes (tanagra brasilia ), les singuliers couroucous, appelés ainsi d'après leur cri, se plaisent également dans les lieux solitaires, où les lianes s'unissent aux arbres, où les corypha se joignent à d’autres végétaux pour former d'épais massifs, sous lesquels ! Figuré dans les dessins de Commerson, avec cette note : Sic Hispanis dictus, quia perpetud vociferatur ben-te-veo. ZOOLOGIE. 193 se réfugient le marail, dont les mœurs sont très-farouches, et les tinamous. Les perroquets, les toucans (ramphastos dicolorus ), et les aracaris (7. aracart, L.), dont le vol assez lourd se compose de battements d'ailes alternatifs, se tiennent de préférence sur la sommité des grands arbres, non loin des habitations et des lieux cultivés, où ils trouvent leur nourriture, qui consiste principalement en fruits butireux et succulents du bananier. Les bois des alentours de San-Miguel et de Sainte-Catherine étaient agréablement animés par un grand nombre d'oiseaux, aujourd'hui très-répandus dans tous nos musées, mais qui sont peut-être les plus remarquables par la variété infinie de leurs couleurs. Tels sont les charmants guits-guits noirs et bleus, les pitpits verts, l’évêque, le guivrou, le ramphocèle scarlate, l’euphone à ventre marron, le moineau noir à tête rouge, des pipra, etc. Mais les oiseaux les plus communs, pendant notre séjour, se trouvaient être ces volatiles délicats, revêtus de pierres pré- cieuses, que la petitesse de leur taille a fait nommer oiseaux- mouches. Les Indiens, dit-on, les désignaient par l'expression métaphorique de cheveux du soleil. Les colons portugais leur donnent celui de chupañflores ou suce-fleurs, dénomination qui leur convient parfaitement. Bourdonnant comme les sphinx, dont ils ont la taille et la manière de voler, chaque jour, à l'in- stant où le soleil devenait ardent, les oiseaux-mouches, voletant sans interruption et sans se reposer, becquetaient toutes les fleurs , et plus rarement celles des lantana et des melastômes, qui forment des haies, non loin des cabanes des créoles. Nous en tuàmes un grand nombre, en nous placant près des vieux orangers en fleurs, ou au pied d'un grand erythrina à fleurs écarlates, qu'ils aimaient de prédilection. Des corolles de cet arbre exsude en abondance un suc miellé qui les attire; et, Voyage de la Coquille. —%. Tome I. 25 194 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. chaque jour, nous étions assurés d'y trouver réunis l’orverd, le hupecol, le saphir, le vert-et-gris, le gaubine, le brun, le rubis, la tête-bleue, etc. Ces oiseaux-mouches, si attrayants dans nos collections, sont bien plus séduisants encore lorsqu'on les voit animés par le soleil radieux des tropiques, lui renvoyant les feux qu'ils en recoivent. /n summé& splendet ut sol, a dit Marcorave, en pei- gnant d'un trait ce que le génie de Buffon a si bien rendu en d'autres termes. On ne peut se lasser, en effet, d'admirer la vigueur du coloris, et cependant la vérité des descriptions de ce grand peintre de la nature. « De tous les êtres animés, dit-1l, «voici le plus élégant par la forme et le plus brillant par les «couleurs. Les pierres et les métaux polis par notre art ne sont «pas comparables à ce bijou de la nature. Elle l'a comblé de «tous les dons, qu'elle n’a fait que partager aux autres Oiseaux : «légèreté, rapidité, prestesse, grace et riche parure, tout ap- «partient à ce petit favori. L'émeraude, le rubis, la topaze «brillent sur ses habits : il ne les souille jamais de la pous- «sière de la terre; et, dans sa vie toute aérienne, il est toujours «en l'air, volant de fleurs en fleurs : il a leur fraicheur, comme «il a leur éclat; il vit de leur nectar :, et n'habite que les cli- «mats où sans cesse elles se renouvellent. » Buffon, tom. IT, pag. 150. De vastes savannes s'étendent à de grandes distances dans l'intérieur, vis-à-vis l’île d'Anatomirhime : leur surface fraiche et herbeuse nous présenta souvent des bandes d’anis (crota- phaga ani), oiseau peu défiant, qui se laisse approcher vo- lontiers, et se perche sur les arbres des clarières. Décelée par un petit cri aigu, la pie-grièche ponctuée habite assez com- © Image poétique, peut-être trop forcée, ainsi que l’a dit dans une de ses lecons un savant professeur, M. de Blainville. ZOOLOGIE. 195 munément les bois qui bordent ces marécages, ainsi que la jolie moucherolle à longue queue et à tête grise, et les martins-pé- cheurs ( alcedo bicolor, L. ); tandis que les savannes, recouvertes d'eau, ou qui forment des étangs, sur lesquels s'élèvent des joncs, sont les lieux que fréquentent le jacana aux longs pieds, les vanneaux ( vanellus cayanensis ), et la belle spatule aux ailes roses (platalea aiaïa ). En parcourant assidument les nombreuses criques afin d’ac- croître nos collections, nous ne renconträmes qu'un petit nombre de productions marines. Les crustacés se bornèrent à quelques penées fort grosses, au grapse peint et à une lygie. Parmi les testacés, les plus communs étaient une bulle, la tonne, un buccin, et l'huitre du Brésil, qui est fort bonne, quoique petite : elle tapisse les rochers, ainsi qu'une actinie d'un beau rouge. Le bulime à bouche rose, grosse coquille ter- restre, est extraordinairement commun sur les arbres près de nostra Señora do dextero. Une méduse, que nous figurons, et la renille américaine ( Ætlas de zool. de l'Urante, pl. LXXX VI, fig. 5), furent les seuls zoophytes qui se présentèrent à notre examen. Quant aux insectes, la saison n'était point favorable, ou du moins, ils étaient rares; et, à part quelques coléoptères tres-répandus dans les collections, nous ne vimes que des phasmes et un grand nombre de lépidoptères, ornés eux-mêmes de vives couleurs. La chique (pulex penetrans), insecte qui occasione des plaies douloureuses, attaqua les pieds de plusieurs des hommes de notre équipage, et paraît y être singulièrement multipliée. Les elater ne lancent leur lumière que pendant les nuits d'été; et, dès le soir, les buissons scintillent par la pré- sence de ces insectes. 25. 196 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 6, IT. ÎLE DE LA SOLEDAD, UNE DES ÎLES MALOUINES. Les deux expéditions francaises qui se sont présentées, dans ces derniers temps, sur les iles désertes des Malouines, semblent avoir épuisé tout ce qu'il est possible de dire relativement aux êtres qui y vivent; et c'est ainsi qu'on doit à MM. Quoy et Gaimard : d'excellents renseignements sur leur zoologie; que MM. Gaudichaud * et d'Urville * en ont complété la Flore; que M. Garnot “ en a esquissé les productions animales, sous le rapport de l'ornithologie. Mais la nature, dans ces hautes la- titudes, revêt un caractère si étranger aux productions des tropiques , et même des zones tempérées, et la transition est si brusque, qu'on nous saura gré d'ajouter quelqu'autre rensei- gnement sur tout ce qu'elle produit dans ces climats. Les iles Malouines, tour-à-tour nommées iles de la Vierge, d'Hawkins, Falkland ou de la Soledad, se trouvent être placées, non loin de la terre des États, et à 140 lieues du cap Horn, entre les 52 à 53 degrés de lat. S. Leur étendue est assez consi- dérable, et n’a pas moins de 40 lieues de longueur. Leur sur- face, formée de montagnes peu élevées, de collines onduleuses, ou de plaines immenses, est entièrement rase, et nul arbrisseau, dans celle de la Soledad du moins, ne vient en récréer la vue, ou en détruire la triste monotonie. Partout règne une effrayante 1 Zoorocie du Voyage autour du monde, du capitaine de Freycinet; in-4°, p.48 à 5o. ? Annales des sciences naturelles, 1825. $ Mémoires de la Société Linnéenne de Paris, t. IV, 1825. * Annales des sciences naturelles , janvier 1826. ZOOLOGIE. 197 solitude. L'homme a déserté ces bords, ou ne s'y présente que passagèrement. Aussi quelques espèces d'animaux, paisibles possesseurs de-ces iles australes, ont-elles accru en paix, et, pendant une longue suite d'années, leurs nombreuses tribus. Les bestiaux portés par les Européens, redevenus sauvages, des oiseaux innombrables, des rivières poissonneuses, en font une excellente relâche pour les navigateurs ; et l'intérêt est en- core accru, lorsqu'on se rappelle les efforts généreux, mais non couronnés de succès, qui essayèrent un instant de porter sur ces terres l'industrie de l'homme. La température habituelle de ces iles doit naturellement être variable, Bougainville assure, cependant, que ceux qui y pas- sèrent plusieurs années n'eurent point occasion d'y remarquer des changements brusques, et que l'hiver différait peu de l'été. Lorsque nous y arrivames, à la fin du printemps et au com- mencement de la saison estivale (novembre et décembre), le froid était assez vif le matin et le soir, et il gelait même sur le mont Châtellux. Pendant un séjour d'un mois entier, nous avons pu voir ce qu'on appelle belle saison aux Malouines, et nous eùmes des jours assez chauds, lorsqu'on était à terre, pro- tégés du vent par quelque colline; mais aucun d'eux ne s’écoula sans que des nuages sombres ne voilassent le ciel pendant plu- sieurs heures, ou ne fussent marqués par de grands vents, de la pluie, ou même parfois de la grêle. C'est avec une extrême rapidité que ces grains se forment et se dissipent ; mais souvent on en comptait une dizaine, occupant divers points de l'hori- zon; et tel endroit de la baie était éclairé par le soleil, tandis qu'à dix pas la pluie tombait par torrents. Nous n'avons jamais vu, sur les bords de la baie de la Soledad, un jour pur et com- plétement serein. Le relief du pays n'est pas moins remarquable. Les côtes de cette ile ( {4 Soledad) sont, pour la plupart, basses et bordées 198 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. de rochers; des baies ou havres spacieux en morcellent le con- tour. Des prairies immenses, tourbeuses, couvertes d'herbes, sont interrompues par des collines et par des montagnes, dont la chaine court de l'Est-à l'Ouest. Leur pente est peu rapide; leur croupe est arrondie; leurs sommets sont couronnés de roches, parfois à nu sur leurs flancs. Dans ces montagnes, nais- sent des sources d’une eau très-limpide, très-bonne, lorsqu'elle coule sur des galets, mais qui prend une amertume prononcée lorsqu'elle court dans des lits creusés dans la tourbe. Ces sources alimentent diverses rivières, qui vont, après un cours de peu détendue, se répandre dans la baie. Quelques-unes s'égarent et vont se perdre dans des prairies basses, où elles forment des mares ou des étangs ; et il n'est pas rare de rencontrer sur les côtes des terrains crevassés, d'où suintent sans cesse des filets d'eau douce qui s’échappent de ces réservoirs, même à d'assez grandes distances. Enfin, quelques-unes de ces mares, placées près des rivages et communiquant avec la mer, conservent des eaux saumätres. Mais le nombre des petits ruisseaux que nous indiquons est si grand, et les prairies si humides , que le plus souvent leur surface entière ne se compose que de flaques d'eaux, revêtues et cachées sous les plantes graminées et autres qui s'y pressent. L'ossuaire des Malouines appartient à la série des terrains intermédiaires anciens. Il se compose d’une couche inférieure et épaisse de phyllade, recouverte par un grès très-quartzeux, qui forme les montagnes ; tandis que les terrains unis sont in- férieurement de phyllade, passant à une argile schisteuse. La phyllade des iles Malouines parait appartenir à cette espèce orossière, décrite par M. Daubuisson sous le nom de phyllade térénite. Sa couleur est grise, plus ou moins foncée en noirâtre; sa cassure est terne et friable. Les couches se composent de feuil- lets fendillés dans tous les sens, dont la direction, au lieu d'être ZOOLOGIE. 109 horizontale,est presque verticale, et forme particulièrement sur le pourtour de la baie un angle de 45 degrés : ceux de la grande terre se dirigent à l'Est, et ceux des ilots aux pingoins à l'Ouest, de sorte que la rupture et la séparation de ces iles sont at- testées par cette circonstance. Sur plusieurs lieux de cette mème côte, la roche qui les forme offre des impressions nombreuses de spirifères. Ce fait n'avait point échappé à Bougainville, qui le mentionne, page 58 de son Voyage autour du monde. Cette phyllade supporte un grès schisteux, ou, se séparant par larges plaques, donne lieu au passage presque insensible de ces deux roches. Mais ilarrive, cependant, que la phyllade, au lieu d'être recouverte par le grès, qu'on ne trouve que dans certaines localités, perd graduellement sa couleur noire et ses propriétés, et se fond, pour ainsi dire, en une argile rougeûtre, mêlée de quelques faibles proportions de sables quartzeux. Cette argile se détache par larges plaques plus ou moins épaisses, et la tourbe sèche, qui compose le sol, s'y applique immédiate- ment. Cette argile, triturée et mêlée à quelques débris de plantes, constitue ce que les premiers colons et Bougainville appelèrent si improprement terre franche. La tourbe revêt la surface entière des Malouines, sous les deux seules modifications de tourbe sèche et de tourbe mareca- geuse. La première couvre les coteaux ; elle est le résultat im- médiat de la conversion en terre des racines et des plantes rampantes et sèches, qui forment un lacis inextricable sur le sol : la végétation est très-propre pour lui donner naissance, et les arbutus, les empetrum, ajoutent sans cesse à son accrois- sement. La tourbe marécageuse ne se rencontre que dans les marais ou les prairies humides, qui constituent la plus grande partie de ces iles : elle est de couleur noire très-foncée et limo- neuse, et on n y découvre nuls débris de végétaux ; et, dans leur décomposition, ceux-ci semblent être réduits en pulpe. L'ac- 200 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. croissement de cette sorte de terrain peut être suivi, pour ainsi dire, chaque jour : on voit les plantes qui le forment, telles que des graminées, des asplenium, des mousses, des lichens, se convertir en tourbe à mesure qu'elles vieillissent et que d’autres leur succèdent. Ces prairies, formées de plantes aqua- tiques, de caltha sagittata, de Gunnera magellanica, présentent toujours cette tourbe homogène, grasse, et sans racines de végétaux apparentes, tandis que la première acquiert parfois, par certaines proportions de parcelles arenacées, les qualités et l’aspect d’une vraie terre de bruyère. Les montagnes, au contraire, sont formées de strates épaisses, d'un grès très-quartzeux, que Pernetty appelle grès porphyrise L'élévation du mont Châtellux n’est que de 350 toises environ, d'après les mesures de MM. Bérard et Jacquinot. Leurs flancs sont assez escarpés, souvent recouverts de tapis de verdure, ou parfois représentant des éboulements considérables, absolu- ment dénudés. Le sommet de plusieurs de ces petites chaines qui courent de lorient vers l'occident est recouvert de masses considérables de grès, stratifiées avec une telle régularité, qu'elles forment des murailles verticales, qu'on prendrait pour l'ouvrage des hommes, si la réflexion ne montrait aussitôt que de telles masses n'auraient pu être élevées par la faiblesse hu- maine, armée des appareils ingénieux avec lesquels elle sait suppléer à la force qui lui manque, ou plutôt s'en créer une. Cette disposition si remarquable avait déja frappé le P. Per- netty, qui, page 2, tome ÎI de sa Description des iles Malouines, l'indique plus particulièrement en parlant de la montagne des Ruines, dont il a donné une très-bonne figure, fig. 1 et 2 de la planche XIIT. Quelques-unes des gorges qui séparent ces petites chaînes offrent le plus singulier contraste avec ce qui les en- toure : partout la verdure se presse en un tapis serré dans les environs , tandis que ces ravins, frappés de mort, ne présentent ZOOLOGIE. 201 que des blocs énormes du même grès, entassés péle-méle, ayant leurs angles vifs, et sous lesquels on entend murmurer à une certaine profondeur des chutes d’eau, qui s'engouffrent dans les interstices des rangées inférieures. Ces ravins, que nous ne traversämes pas en moins de cinquante nfinutes, nous ont pré- senté seulement des fougères (le /omaria magellanica), ou le Nassawia, distribués par petits groupes, qui ne ressemblent pas mal à des oasis dans le désert. : L'ile aux Loups marins offre des couches assez épaisses d’ar- gile unie à une grande proportion d'ocre rouge. On ne trouve point de carbonate de chaux sur les iles Ma- louines : seulement des polypiers nullipores encroûtent fré- quemment les récifs baignés par la mer, et sont jetés à la côte, après avoir été détachés de leur base. Ces polypiers, d'abord rougeàtres , puis blancs lorsqu'ils sont dépouillés de leur croûte animalisée, ressemblent assez à ceux qui vivent dans les eaux de Terre-Neuve, et tous les deux paraitraient jouer le même rôle dans les deux hémisphères et par de hautes latitudes. Les Malouines ont été évidemment détachées de la côte d'Amérique ; car elles présentent la même composition géolo- gique et les mêmes productions végétales et animales. D'ailleurs, la sonde annonce généralement la connexion qui les unit en- core dans ce qu'on nomme canal de Patagonie. La catastrophe puissante qui a brisé la portion australe de l'Amérique, détaché la terre des Etats, la terre de Feu, et morcelé en ilots in- nombrables sa pointe méridionale, a dù agir dans le même sens sur les Malouines, et peut-être même sur les nouvelles Shetland et la Géorgie du Sud. Nous avons dit d’ailleurs que la roche qui forme l'ossuaire des Malouines est une sorte d'ardoise grossière et feuilletée, recouverte de grès. Forster ‘ nous ap- ! Deuxième Voyage de Cook, 1772 à 1995,t. IV, p. 171, in-8°, et p.210 et 258. Voyage de la Coquille. — 7. Tom. I. 26 Pos 0 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. prend que les rochers qui bordent le havre de Noël sont formés d'une espèce d’ardoise jaunâtre, placee en couches hort- zontales ; et Cook dit : Le sol qui est une espèce de tourbe notre et pourrte a été évidemment forme par des végétaux tombés en putréfaction. La terre des États est composée, suivant le natu- raliste allemand, d’une pierre jaunâtre, argileuse, et quelque- fois d’une ardoise grise. Enfin, les mêmes roches se représentent sur l'ile de Jules. Sur deux cent trente plantes qui sont propres au sol des iles qui nous occupent, plus de quatre-vingts sont décrites par les au- teurs sous le nom de magellaniques. Ëlles ont aussi été recueillies sur la terre de Feu, ou sur les bords du détroit de Magellan, par Banks, Solander, Forster et Commerson : telles sont, en prenant au hasard, l’ancistrum lucidum , le plantago patagonica, l'empetrum rubrum, le juncus grandiflorus, le caltha sagittata , le perdicium, etc., etc. Enfin, les productions animales sont, comme on le conçoit bien plus aisément encore, entièrement identiques. C'est au milieu de leur été (décembre) que nous séjournèmes sur ces iles. La plupart des plantes étaient en fleurs; et ces im- menses prairies, où rien n’arrêtait la vue, si ce n'était les ondu- lations du sol, offraient, par leur végétation presque alpine, un charme particulier. Partout, en effet, même sur les roches, des colonies gazonnantes s’avancent graduellement. Dix ou douze graminées au plus couvrent les plaines : leurs pelouses sont remplies par des fougères courtes et le lichen des rennes. Le misandra dioica tapisse le bord des eaux, que recouvre le caltha indiqué par Bougainville sous le nom de nénuphar. Les sommets gréseux des petites chaines environnantes, que battent les vents furieux de cette partie du monde, ne présentent qu'une plante, toujours couchée dans le sens où ils soufflent le plus ordinairement : c'est un lichen fruticuleux, à larges cupules ZOOLOGIE, 203 noires (usnea melaxantha, Ach.). Les ilots semés dans la baie Soledad sont revêtus de la singulière graminée, nommée par Forster dactyls cespitosa ( festuca flabellata , Lamk.), dont le port affecte celui de certains palmiers; à quelque distance en mer, ces ilots semblent être revétus de bois épais et verdoyants. Les collines et les coteaux secs sont garnis de touffes d'emn- petrum, d'arbutus, qui retracent, dans la partie australe de l'Amérique, la distribution de végétaux de même famille, qu'on retrouve si abondamment dans sa partie boréale. Au pied des montagnes s'élève comme un romarin, dont il à la teinte et presque le port, le seul végétal ligneux de la Soledad, à fleurs blanches et radiées, l'amellus diffusus de Wildenow. Les prairies de tourbe sèche sont émaillées par des plantes d'un aspect plein de charmes : telles sont principalement la jolie calcéolaire de Fothergill, l'eppactis Lessoni, d'Urville, la primevère farineuse, l’oxalide ennéaphylle, le sésyrénchium fili- folium, Gaud., les violettes, les perdicium, le lucet (myrtus nummularia ), Vancistrum, le jonc grandiflore, une luzule, etc. Dans les fentes des roches de grès, qui gisent cà et là, ébou- lées des montagnes qui les supportaient, croissent la muüre ou fraisier de Bougainville ( Dal:barda geoides, Smith), la cacalie blanchatre, la Nassauvia Gaudichaudii, Cass., ete. Mais la plante la plus singulière et la plus remarquable est sans contredit le bolax (glebaria ), dont les immenses demi-sphères couvrent le sol d'un pâté de verdure, décrit avec vérité par Pernetty, par Bougainville, et dont parlent Forster et Commerson. Mais sur ce sol, foulé très-rarement par les pas de l'homme, on ne trouve que des fruits insignifiants et sans consistance, aliment ordinaire de quelques oiseaux. Le plus parfumé d’entre eux et le plus délicat est fourni par un myrte rampant. Les grives recherchent les baies d'empetrum. L'ache, dont So- lander fit son aptum antarcticum, est un aliment agréable en 26. 20/4 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. salade, ainsi que les jeunes pousses du dactyle gloméré. La plante à bière de Bougainville est le baccharts tridenta. L'oxa- lide (oxalis enneaphytlla ) peut fournir ses feuilles acéteuses comme un anti-scorbutique précieux. Il serait possible peut- ètre de découvrir quelques propriétés utiles dans la gomme qui suinte des rosettes florales du bolax ou gommier de Per- netty. La baie Française et ses nombreux embranchements sem- blent, dans plusieurs milles d'étendue, former un immense marécage herbeux, tant les frondes du laminarta pyrifera se pressent sur la surface de la mer, et viennent opposer une barrière puissante au sillage des embarcations. Ces fucacées tant multiphiées, ces d'Urvillea utilis, ces Lessonia flavicans, Bory, ces ulves qui tapissent les rochers et servent de lit aux phoques si communs sur ces côtes, recèlent des myriades d'animaux mous, du plus haut intérèt pour la science. C'est là que nous observämes ces nombreuses ascidies, ces élégantes holothuries, ces vers serpulaires, ces moilusques, dont chaque fronde de fucus sert à l'habitation de quelques espèces. Leurs crampons, parfois roulés en boules, et jetés sur le sable des ri- vases par les tempêtes si fréquentes dans ces latitudes, re- tiennent encore ces belles moules de Magellan, ornées d'une nacre si pure et si brillante, des vénus, des fissurelles, et di- verses autres coquilles propres à ces mers. Mais nous devons nous borner à cette esquisse, faite à grands traits, de la physionomie générale des iles Malouines, pour in- diquer quels sont les êtres qui les habitent, et ceux que nous avons eu l’occasion d'y observer. Dans un autre article, nous avons dit un mot des Mamnui- feres ; ce seront les oiseaux qui nous intéresseront plus parti- culièrement dans celui-ci. Les premiers détails qu'on ait eus sur l’ornithologie des iles ZOOLOGIE. 205 Malouines sont dus à M. de Nerville ‘, gouverneur de la colonie, qu'on essaya d'y établir; et l'indication des oiseaux apercus pendant le séjour des Français est consignée dans le Voyage autour du monde de Bougainville, et dans la relation de dom Pernetty *, ouvrage plein d'observations exactes, quoiqu'en général superficielles. Ces rivages déserts sont principalement peuplés d'oiseaux palmipèdes , dont les légions nombreuses se multiplient en paix depuis des siècles, quoiqu'elles aient des ennemis actifs et vo- races. Les oiseaux terrestres sont beaucoup moins communs; et, en effet, l'isolement de ces iles, leur sol dépourvu d'arbres, le peu de ressources que ces êtres pourraient y trouver, ont restreint singulièrement le nombre des espèces, et même des individus. Les palmipèdes et les échassiers, au contraire, trouvent sans cesse, dans les immenses baies qui morcèlent les côtes, dans les étangs disséminés sur la surface du terrain, ou dans les rivières qui y serpentent, des moyens d'existence appropriés à leur orga- nisation; et, d’ailleurs, la plupart émigrent pendant plusieurs mois de l’année, pour habiter la haute mer, ou bien d'autres es- pèces sont de passage, et ne se rendent annuellement aux Ma- louines qu'après avoir séjourné à la terre de Feu ou à celle des États, où elles retournent à des époques déterminées. Ainsi, nous ne connaissons que neuf oiseaux terrestres sur ces iles solitaires antarctiques, huit échassiers , et environ vingt-deux palmipèdes. Dans nulle contrée, peut-être, les oiseaux de proie ne mon- trent une plus grande et plus confiante rapacité. On n'en compte que quatre espèces; mais les individus en sont ex- ! BOUGAINVILLE, J’oyage autour du monde, de 1766 à 1769, 1 vol. in-4?°, Paris, 1771. ? Histoire d’un voyage aux iles Malouines, fait en 1763 et 1764, 2 vol. in-8°, Paris, 1770. 508 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. cessivement nombreux. Sans cesse affamés, ces oiseaux suivent avec audace tout être animé, dans l'espérance d'en arracher quelque pâture. Chaque fois que nous allions à la chasse, ils épiaient nos mouvements, fondaient sur la proie abattue, ne lâchaient prise qu'à la dernière extrémité, et nous donnaient peut-être l'unique exemple de venir disputer le gibier jusque dans les mains du chasseur. Fréquemment la buse poliosome, corps gris ( falco poliosoma, Quoy et Gaimard ), réunie aux caracaras ( falco novæ-zelandiæ), dévoraient en un clin-d'œil le canard ou l'oie que quelque homme de l'équipage avait laissé derrière lui, dans l'espoir de l'y retrouver peu d'instants après; et leur appétit glouton était si grossier et si insatiable, que les piéges les plus simples suffisaient pour en prendre un grand nombre chaque jour : nos marins en estimaient la chair, et en faisaient des soupes qu'ils trouvaient fort bonnes. Le vultur aura, Vieiïll., ou percnoptère aura, Cuv., est un oiseau de toute l'Amérique méridionale, qu'on retrouve aussi bien aux Malouines et au Brésil , qu'au Chili et au Pérou. L’odeur qu'il exhale est horriblement infecte, et atteste la dépravation de son gout pour les cadavres. Il plane souvent sur les mon- tagnes, et, dans son vol, il est facile à reconnaitre aux sortes de digitations qui terminent ses ailes déployées. Le busard bariolé (falco histrionicus, Quoy et Gaiïmard ), sans doute l’'émouchet de Bougainville, nous parut habiter plus particulièrement les dunes sablonneuses du bord de la mer. Sans cesse au guet, son regard perçant lui décele bientôt quelque jeune oiseau, un instant éloigné de sa mère, ou les œufs récemment pondus par les mouettes. Il se précipite avec la rapidité d’un trait, s'empare le plus souvent de sa proie, ou trouve, dans la défense coura- geuse des père et mère, un obstacle à ses habitudes destruc- trices. Enfin, nous ne vimies qu'une seule chouette à huppe courte, dont le plumage ressemblait à celui du moyen duc de France. ZOOLOGTE. 207 Les omnivores passereaux, avons-nous dit, n’ont guère que neuf espèces sur les iles Malouines; encore deux ou trois d'entre elles sont-elles de passage. Ce qu'il y a de particulier, c’est que plusieurs de ces oiseaux, qui sans doute vivent sur les terres des alentours du cap Horn, se retrouvent sur les iles Shetland méridionales , par 60 degrés de latitude. Sur ces vastes surfaces rases et herbeuses, le zoologiste rencontre plus ordinairement la prive des Malouines (turdus falklandit, Quoy et Gaimard, Zool., pag. 104), qui habite les lieux abondamment fournis d'empetrum, petits arbrisseaux sous lesquels elle niche, et dont les baies servent à sa nourriture. Cette grive et une autre es- pèce, voisine du guivrou du Brésil, ne passent que l'été aux iles Malouines, et paraissent retourner en Amérique pendant l'hiver et remonter vers le détroit de Magellan. Peu défiants, ces oiseaux ne fuient point à l'approche de l'homme, mais vont sans crainte se percher, à quelques pas de luï, sur les buissons de gommiers. Les environs de l’ancien établissement français du Port-Louis sont peuplés par deux fauvettes, dont l’une est nouvelle, et sera décrite sous le nom de Ssybia macloviana, N., tandis que la deuxième est très-voisine de la sybia cisticola de la Sicile et de la Sardaigne. Le bruant à gorge noire, décrit dans la Zoologie de l'Üranie, pag. 109, sous le nom d'emberiza melanodera, vit par troupes de quinze à vingt individus, dont la nourriture principale parait être les oraines des petites plantes qu'ils Ta- 5 massent sur les lieux secs et où les herbes sont courtes. Un autre petit passereau , que nous ne vimes que dans deux ou trois circonstances , est d'un gris-pale, avec quelques stries plus fon- cées sur les plumes. C'est sans doute l'oiseau que quelques na- vigateurs appellent le serin des Malouines, ou le chardonneret 1 Mémoire sur une espèce inédite de Goëland ( Zarus), par Stewart Traill, Hem. of the Wernerian society, t. IV, part. IL, pag. 514. 208 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. mentionné par les zoologistes de l'Uranie. Un petit troglodite , assez voisin du nôtre, et ayant les mêmes mœurs, vit principale- ment sous les grosses touffes de glayeuls, tandis que, sur les schistes du bord de la mer, se tient presque constamment un oiseau (mentionné sans doute par Pernetty, t. Il, pag. 20), dont les rapports d'organisation semblent forcer à le classer parmi les grimpereaux, quoique ses mœurs et ses habitudes l'en éloignent. Le certhia antarctica, Garn., vit en effet sur les rivages; et ses mœurs , Jointes à ce que ce grimpereau ne grimpe Jamais, nous autorisent à le placer dans le genre furnarius de Vieillot : nous le décrirons sous le nom de furnarius fulisirosus, voisin, au reste, de l’Aornero de la Plata, ou fournier proprement dit de D'Azara. Enfin , le dernier oiseau terrestre que nous ayons à mentionner est l'étourneau des terres magellaniques, ou blanche-raie de Buffon (le sturnus militaris de Gm., Syst., pag. 803). Nommé oiseau rouge par Bougainville et Pernetty , cet étourneau n'a- bandonne point les Maloumes, et remonte sur l'Amérique australe, d'une part jusqu'aux Pampas de Buenos-Ayres, et de l'autre jusqu'au Chili, et même au Pérou. Le rouge éclatant des plumes du male s’efface chez la femelle; et ce quil y a de re- marquable, plus cet oiseau est rapproché des latitudes tempé- rées, plus ses couleurs s’affaiblissent : un grand nombre d'in- dividus mäles et adultes du Chili ne nous présentèrent plus que des teintes d'un rouge ocracé et brunatre, là où brillait aux Malouines le rouge le plus pur. Les premiers colons détruisirent un grand nombre de ces étourneaux , dont ils séchèrent les parties inférieures des peaux 1 PI. VIT, fig. 5, t. IL, de son Voyage. Commerson a figuré cet oiseau, dans ses dessins inédits , sous le nom d’étourneau à palatine rouge de Monte-Video et des iles Malouines, et aussi sous celui de picho o guanchaco , usité sans doute à Buenos- Ayres. ZOOLOGIE. | 209 pour en faire des garnitures de robes en plumes rouges, alors fort à la mode en France; car on sait que les habitants de la Louisiane ÿ envoyaient les épaulettes du troupiale comman- deur, qui vit en Amérique par grandes troupes, et dont ils fai- saient une grande destruction. Telle parure de bal avait peut- étre couté la vie à plusieurs milliers de ces oiseaux! Le nombre des espèces dans l’ordre des échassiers est à peu près égal à celui des passereaux; mais il n’en est pas de même relativement aux individus. Ceux-là trouvent constamment, sur les rochers que la marée abandonne et recouvre chaque jour, une nourriture abondante. Des milliers de petits crustacés, de vers, de mollusques nus, engagés dans les frondes du gigantesque Jucus pyriferus, assurent leur subsistance et celle de leur famille. Tranquilles possesseurs de ces terres lointaines et désertes, la plupart, sans défiance, semblent montrer envers l’homme une indifférence apathique, qui leur est presque toujours funeste. Le genre pluvier nous a fourni une petite espèce nouvelle, voi- sine du pluvier à collier. Elle sera décrite sous le nom de cha- radrius pyrocephalus, ainsi que le joli vanneau inédit, nommé vanellus cinctus ’, qui court sur les côtes avec une extrême ra- pidité, sans cesse occupé à chercher quelques mollusques, en poussant un petit cri plaintif. Deux espèces d'huitriers , indiquées sous le nom de pres-de- mer dans Bougainville, vivent par bandes et ne se mélent point entre elles : leurs mœurs sont les mêmes. Elles se nour- rissent de moules et de patelles, qui couvrent abondamment les roches d’ardoise brisées qui forment les côtes. Leurs rangs toujours serrés permettent d'en tuer un grand nombre à la fois : leur œil, dont l'iris est d’un jaune brillant, est environné d'un cercle membraneux rose. L'huitrier noir (Læmatopus capensis, ‘ Tringa Urvillii, Garn. Ann. des sciences naturelles, janvier 1826. Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 27 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. 210 Cuvier), décrit mais mal figuré par MM. Quoy et Gaimard (Zoo!., pl. XX XIV), sous le nom d'A. 1ger, est une espèce distincte et non une variété de l’huitrier commun (X. ostralegus ), qui n'existe point aux iles Malouines. L'espèce qu'on a confondue avec l'huitrier d'Europe, de même taille et de même plumage, plus petite que l’huitrier totalement noir, diffère de tous les deux par la forme du bec, qui, au lieu d'être tranchant et aplati sur les côtés, est au contraire arrondi. Enfin, cet oiseau fournit aussi un de ces nombreux exemples qui viennent in- firmer les noms significatifs; car ses tarses blancs impliquent contradiction entre les noms générique et spécifique d'hæma- topus *, leucopus*, que nous lui donnons dans nos descriptions. Cette espèce avait été mentionnée par Bougainville, qui dit, pag. 71 : « Cette pie-de-mer à le bec d'un rouge de corail et les pattes blanches. » Buffon crut que c'était une fausse indication , et que Bougainville s'était trompé. Dans les cultrirostres, le bihoreau pouacre (ardea nyct- corax ), oiseau solitaire et rare, nous parut parfois guettant sa proie sur le sommet de quelque roche à fleur d'eau. Une ca- lotte noire, d'où sortent deux plumes blanches, effilées, re- tombant sur les épaules, le firent appeler azgrette par Per- netty. Les sanderlings appartiennent à l'espèce européenne, et forment des volées de plusieurs centaines d'individus sur les plages du camp de l’Uranie. Une bécassine, en tout semblable à celle de France, mais un peu plus grosse, variété peut-être du scolopax longirostris, est fort multipliée. Son vol est droit et bas, et de très-courte durée, s'enlevant d'un lieu pour se reposer seulement à dix pas plus loin. La chair de cette bécas- sine, qui se tient dans les prairies humides, et qu'on abat faci- * Hæœmatopus, pieds rouges. ? Leucopus, pieds blancs. ZOOLOGIE. 211 lement, est très-délicate. Un oiseau de cette espèce, que l'un de nous tua, présenta la singularité d'avoir les deux jambes comme éléphantiasées, ou hérissées de tubercules pathologiques du sys- tème dermoide. Le dernier des échassiers que nous ayons à mentionner est le chionts *, oiseau unique dans son genre, dont la place est loin encore d'être fixée, et qui semble ne point appartenir à cet ordre, quoique, d'un autre côté, il soit fort difficile de lui assigner un rang convenable ailleurs. M. Vieillot * en a formé sa 9° famille, les co{eoramphes de la tribu des tetradactyles de ses Grallatores, et M. Temminck * l'a rangé dans ses Palmipèdes. Cet oiseau des hautes latitudes australes est figuré pl. XXX de la Zoologie de l'Uranie. Nommé chionis alba * par Forster ‘, qui 1 On trouve sur cet oiseau une assez longue discussion par Fleurieu, tom. IV, page 290 du foyage de Marchand, qui prouve combien on doit être circonspect pour employer les notes des navigateurs, lorsqu'on n’a pas vu les objets qu’ils men- tionnent le plus souvent d’une manière erronée. ? Analyse d'une nouvelle ornithologie élémentaire, in-8°, 1816, Paris. 5 Manuel d'ornithotogie, 2° éd., Analyse, premier volume, 2 v. in-8°, Paris, 1820. * V'aginalis alba, Gm.; coleoramphus nivalis, Dum.; chionis novæ-hollandiæ, Temm. C’est le white sheath bill de Latham , Synop. 3, pag. 268, et de Shaw, Wisc., tom. XII, pl. CCCCLXXXI. 5 «Ce genre, que nous rencontrâmes dans notre excursion sur la terre des États, «était de la grosseur d’un pigeon et parfaitement blanc; il appartient à la classe « des oiseaux aquatiques qui marchent à gué. Il avait les pieds à demi palmés, et ses « yeux ainsi que la base du bec entourés de petites glandes ou verrues blanches. II «exhalait une odeur si insupportable, que nous ne pûmes en manger la chair, quoi- «que alors les plus mauvais aliments ne nous causassent pas aisément du dégoût. » Forsr., 2° Joy. de Cook, tom. IV, pag. 59. Ce chionis avait sans doute usé de quelques aliments particuliers pour sentir mau- vais, comme le dit Forster : le nôtre n’avait point d’odeur, et nous trouvämes sa chair fort bonne et très-grasse. « On le trouva aussi bon que du canard », dit Axpersow, 3° V’oy. de Cook, t. I”, PLT19: 27. 212 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. le premier le découvrit sur la terre des États, il est mentionné par presque tous les anciens navigateurs sous le nom de prgeon blanc antarctique; et, dès 1739, il avait été indiqué par Lozier- Bouvet. Anderson (3° Joy. de Cook, t. I, p. 113) dit qu'il s'offrit par volées dans la baie de Noël de la terre de Kerguelen ou de la Désolation. Depuis, on l'a rencontré au Sud de la terre de Diemen , de la Nouvelle-Zélande et de la Nouvelle-Hollande ; et on doit le regarder comme un habitant naturel des hautes latitudes australes, et même des terres frappées de stérilité, placées sur les limites du pôle Sud. Le chionis vaginalis, Vieillot, est cependant moins commun aux iles Malouines, où nous le rencontràmes presque toujours solitaire sur les rochers qui bordent la plage de l'Uranie. Ses mœurs sont farouches; et nous ne püumes nous en procurer que deux individus, l’un aux Malouines, et l'autre dans la tra- versée. Cependant, nous en vimes, différentes fois, à des di- stances assez remarquables des terres les plus voisines, voler d'une manière lourde et peu habituelle aux oiseaux de haute mer. Nous ajouterons aux détails publiés par MM. Quoy et Gai- mard (Zoo!., p. 131 ) quelques observations sur la figure qu'ils en ont donnée d'après un individu desséché. La blancheur neigeuse et sans taches du plumage est relevée par le gris- bleu de l'iris qu'entoure un cercle rouge-brun près de la pupille. La partie moyenne des-deux mandibules est d’un vert uni- forme, et marquée de deux taches d'un rouge-brun; leur ex- trémité est d'un noir encore plus foncé sur la supérieure que sur l'inférieure. Le corps glanduleux qui occupe les joues et la base du fourreau corné, et qu'on ne peut mieux comparer qu'au tissu de la glande lacrymale, est de couleur de chair ‘. Nous trouvames dans le gésier d’un chionis un caillou et une petite * Nous ajouterons ici les proportions d’un individu que nous avons préparé : ZOOLOGTE. 213 coquille. Deux cœcums, longs de trente-six lignes, venaient s'insérer à deux pouces de la terminaison de l'intestin. Parvenus à l'ordre des palmipèdes, nous y trouverons un plus grand nombre de genres, un plus grand nombre d'espèces, et surtout d'individus. Leur fécondité est telle, qu'elle contribue à rendre les Malouines un lieu de relache précieux pour les navigateurs. Nos chasses détruisirent une prodigieuse quantité d'oies, de canards, et autres oiseaux nageurs : ce fut au point que nos marins, classe d'hommes en général peu difficile sur le choix de ses aliments, préféraient les salaisons du bord, vers les derniers temps de notre relàche, aux oies qu'ils avaient à discrétion. «Il est prouvé, dit Pernétty, que, de compte fait, nos équi- «pages ont mangé, en deux mois à peu près, quinze cents ou- «tardes (ores).» Par ce seul énoncé, on peut juger de la mul- tiplication de ces êtres sur les Malouines. Les rivières ou les étangs saumâtres sont habités par deux grèbes de mème taille, que Pernetty et Bougainville avaient mentionnés sous le nom de plongeons à lunettes (t. 11, p. 15). L'un encore inédit est notre podiceps callipareus, qui est beau- coup plus rare que le second, dont on trouve une bonne figure et la description complète, p. 133 de la Zoologie de MM. Quoy et Gaimard, sous le nom de grèbe Rolland (podiceps Rolland ). pouces lignes mètres, Longueur du bout du bec à la queue............. WANRONNO NE 370 CON NESARENSERRREERENREnE mo 2 SONORE O7 AU DEC ER ee LU REA EURE VNOM 010 Girconférence du Corps EP NME NA Eee 12 16 ROIS SS Longueur du tarse....... 0 te ol oce en De LCA EE D RO HE 1 Ce MG me le IaequEUR. ee lee Re HR CMNTO 122 Ce VOIRE OCR EE CAMP AN RUE JO PNEO RE 7 ——— des rémiges (la première est la plus longue). 7 o o 189 = du tube digestifs. 12 UHR ER 39 MONO ed 7 D NE ARS CO CPR CO A Et PA CNE ARR EE 2e 28) 01000758 214 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. L'iris de ces oiseaux a la couleur du carmin le plus vif, et, suivant l'expression de Bougainville, leurs yeux brillent de l'éclat des rubis. Ce navigateur ajoute aussi que leur ponte est deux œufs, et que la mere porte les petits sur son dos; fait dont M. Berard, l'un de nos officiers, fut également témoin, et que, dès 1519, Pigafetta avait mentionné *. Parmi les oiseaux les plus remarquables des iles Malouines, ceux dont la singularité a frappé tous les voyageurs, et dont sans contredit parlent toutes les relations, sont les manchots, improprement nommés pingoins par les marins, qui ne se pi- quent point d'une grande exactitude zoologique. Les manchots” sont aux mers du pôle austral ce que sont les pingoins aux mers du pôle boréal; mais cependant les premiers ne craignent point de s'avancer jusque vers la ligne équinoxiale, dans l'hé- misphère qui leur est plus particulièrement assigné. Lorsque la chimère d'un continent austral occupait même les meilleurs esprits, tous les voyageurs qui s'avançaient dans ce qu'on appelait alors Magellanique eurent occasion de voir et de décrire les manchots; et tous, frappés d'étonnement à la vue de cesétres dont l’organisation semblait à cette époque tout aussi paradoxale que celle de l’ornithorhynque dans ces derniers temps, consacrèrent des pages de leurs journaux à décrire les ha- bitudes de cet étrange oiseau, impropre au vol, mais nageur par excellence. La première mention des manchots se trouve dans le voyage de Magellan, lorsqu'il découvrit le fameux détroit qui porte son nom; et, depuis, ces oiseaux furent décrits par 1? Page 13, de la traduction française du Premier oyage autour du monde, etc. Paris, an 1x. ? Les Américains donnent aux trois espèces de manchots de la mer du Sud les noms de ing, macaroni ( ce qui répond en ce sens au mot fat ), et Jack-ass. (De- LANO, pag. 262), 4 narrative of voyages and travels, in the northern and sou- thern hemispheres, etc. Boston, 1817, 1 vol. in-80. ZOOLOGTE. 215 Garcie de Loaisa (1525); Alfonse de Camargo (1539); Francois Drake (1577), qui leur imposa le premier le nom de pinguins, à cause de leur graisse huileuse ; Thomas Cavendish (1586), et Richard Hawkins (1593), qui dirent leur avoir donné le nom de penguin, mot qui en gallois signifie tête blanche (du celte pen, tête, et gwin, blanc); Sebald de Wert (1600); François Cauche (1651); Narborough (1670); Sharp (1680), les nomment demi-oiseau et demi-poisson. Depuis, ces palmipèdes ayant été observés avec plus de soin, leur histoire fut dégagée de contes populaires par Carteret, Byron, Wallis, Pernetty, Bougainville, et enfin par Pagès (1773), Cook et Forster, et notamment par Fleurieu, dans le Voyage de Marchand, (tom. IV, pag. 296 et suiv., édit. in-8°). L'habitude du corps des manchots est, en effet, très-peu en harmonie avec celle qui a été départie aux autres oiseaux; et ajoutez à cela une lourdeur dans la démarche, une gêne dans les mouvements, des ailerons propres à la na- tation seulement, une marche verticale sur le talon, des plumes qui approchent par leur texture d'un poil soyeux, on aura des manchots l’idée d'un assemblage bizarre, qu'on pourrait consi- dérer comme étant plutôt le résultat des caprices que des vues sages de la nature. Sans rechercher tout ce qui a été dit sur les manchots, nous présenterons ici sommairement nos obser- vations sur leurs mœurs, en élaguant la plupart des faits indiqués récemment par MM. Quoy et Gaimard, ou par les naturalistes, nos devanciers. Les iles Malouines sont habitées par trois espèces de man- chots, qui sont : le grand manchot (aptenodytes patagonica, Gm. ), le gorfou sauteur ( catarrhactes chrysocoma), et le man- chot à lunettes de Pernetty (spheniscus demersa ). Le grand manchot, nommé aussi pingoin-roi par quelques navigateurs, yellow ou ftng-penguin des Anglais, tres-rare aux îles Malouines, puisque , pendant notre séjour, nous n'en vimes 216 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. que deux individus, vit sur les côtes les plus désertes de l'ile de la Soledad. Ses mœurs seraient donc solitaires, à moins qu'à cette époque de l’année (novembre et décembre), la plupart des individus ne se trouvassent encore à la mer. Cette grande et belle espèce, que les pècheurs de phoques recherchent, à cause de l'éclat des plumes citrines, bordées de noir, qui revêtent son cou, semble n'habiter que les hautes latitudes, telles que la terre des États, celle de Feu, la partie Sud de la terre de Diémen. Nulle part on ne l'a trouvée en plus grand nombre que sur les iles Shetland, de Kerguelen, de la Georgie, et récemment sur les Orcades australes, où la mentionne le capitaine Weddell, qui lui a consacré quelques pages ‘. « La beauté de cette espèce, «dit ce navigateur, n'est point surpassée par plusieurs oiseaux «cités pour cet avantage”. Pendant la mue, les individus sem- «blent se repousser avec dégoüt; et ce n'est que lorsque leur «plumage acquiert son éclat naturel, qu'ils se réunissent en «troupes. Ils s'apparient en janvier. Le mâle est très-attentionné «pendant la durée de la couvée, et prend un soin particulier « des petits lorsqu'ils sont éclos. Ils n'ont point de nids; et on « doit remarquer que la femelle porte l'œuf dans une concavité « disposée à cet effet entre la queue et les jambes. La mère «prend soin des jeunes pendant un an, temps qui suffit au ’ A4 Voyage towards the south pole, in the years 1822-1824, by cap. James WepoeLr. Lond., 1 vol. in-8°, 1825, pag. 55. 2? L’aptenodytes patagonica , en effet, a jusqu’à trois pieds de haut. Les doigts sont forts et robustes, et les ailerons beaucoup plus prolongés que dans les autres espèces. La moitié du demi-bec inférieur est rouge. Un scapulaire de plumes très- noires couvre la tête et la gorge. Une bande d’un jaune orangé, plus large vers l'oc- ciput, occupe chaque côté pour se réunir sur la poitrine, et séparer le noir de la gorge du gris-cendré de nuance très-douce , qui recouvre le dos de cet oiseau. Les plumes du ventre ont la blancheur et l'éclat du satin; et une teinte jaune, de plus en plus foncée, s'y mêle vers le haut de la poitrine : deux bandes d’un noir vif occu- pent les flanes. ZOOLOGIE. 217 «changement total de leur plumage, et époque à laquelle ils «doivent aller à l’eau; la mère les y pousse de force lorsqu'ils «hésitent à s'y jeter de plein gré.» Bougainville, qui essaya, mais sans succès, de transporter en Europe cette espèce, dit également, page 69 : « Elle ne vit point en familles comme les «autres ; elle aime la solitude et les endroits écartés : on peut «l'apprivoiser aisément. Un de ces pingoins, qui mourut à « bord, suivait l’homme chargé de lui donner à manger. » Com- ment se fait-il que cette espèce se retrouve à la Nouvelle-Guinée ? On ne peut, cependant, douter de ce fait que rapporte Son- nerat '; et ce qui nous étonne davantage, c'est que ce voyageur n’a point dépassé Guebé, et qu'il faudrait que le manchot pa- tagonique eût suivi toutes les côtes de la Nouvelle-Hollande, franchi le détroit de Torrès, et suivi toutes les terres des Papous jusqu'aux Moluques. Cependant, cet oiseau ne parait point exister sur toutes les terres qui y conduisent , telles, par exem- ple, que les côtes de la Nouvelle-Galles du Sud. Enfin, quoi- que nous ayons séjourné assez long-temps dans ces mers, où deux fois nous nous sommes présentés à des époques diffé- rentes, jamais nous ne l'avons rencontré. Ce point de géogra- phie ornithologique mérite bien d'être éclaireï. La deuxième espèce que nous avons à mentionner est le gorfou sauteur ( catarrhactes chrysocoma), ainsi nommé de Bougainville, parce qu'il s'élance hors de l’eau à la manière du scombre bonite*. Cet oiseau, remarquable principalement par deux touffes de plumes dorées, placées de chaque côté de la tête, ne se montra qu'une ou deux fois pendant notre séjour sur les îles Malouines. Mais il n'en fut pas de même à la mer, où nous en rencontrames plusieurs d'appariés ; et tout porte à ’ Voyage à la Nouvelle-Guinée, pag. 178 et suiv. ? C'est le }umping-yack des Anglais. Voyage de la Coquille. — Z. Tom 1. 28 218 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. croire que la saison de la ponte allait bientôt les ramener sur les rivages des terres magellaniques. Nous en tuâmes plusieurs individus ; et celui qui survivait dans chaque couple nous donna la preuve du vif attachement que ces oiseaux se portent; car il n'abandonnait point son cadavre, et semblait, en le poussant, vouloir lui redonner la vie quil venait de perdre. Les gorfous sauteurs paraissent s'éloigner de toute terre jusqu'a près de deux cents lieues : nous en trouvames, le 12 novembre 1822, dès le 43° degré de lat. S., et 56° long. O.; et, depuis cette époque jus- qu'à notre arrivée aux Malouines, nous en vimes de plus en plus. Leurs plumes porlues, si on peut s'exprimer ainsi, sans cesse lu- brifiées par une exsudation cutanée huileuse, sont très-favorables pour des habitudes toutes marines. Mais, après ce long exil de la terre, on a remarqué que les manchots en général y revien- nent maigres et sans graisse huileuse dans les mailles du tissu cellulaire. Ces oiseaux-poissons, au reste, nagent avec une rapi- dité étonnante, et se servent de leur queue, composée de qua- torze rectrices grèles, à peine garnies de barbes, comme d'un gouvernail, qui accélère leurs évolutions rapides. Elle est, en effet, très-propre à cet usage par la disposition des pennes qui augmentent de longueur, de dehors en dedans, de manière que les deux du milieu sont les plus grandes, et forment un plan aigu et en toit. Liris du gorfou sauteur est de couleur rouge-brun ou d'un rouge de brique peu foncé. La troisième et dernière espèce de manchot dont nous ayons à nous occuper, est le manchot à lunettes (spheniscus demersa), décrit assez longuement par Pernetty (t. If, pag. 17, Voyage aux Malouines ), et par MM. Quoy et Gaimard (Zool. de l'Ura- nie, pag. 162 et suiv.). Ce manchot est le plus anciennement connu. Il n'y à presque point de relations de voyages qui ne le mentionnent, et on l'a trouvé à la fois au cap de Bonne-Espé- rance, au Sud de la terre de Diémen, sur toutes ces terres avan- ZOOLOGIE. 219 cées vers le pôle Sud, stériles, nues, pelées, nommées iles de la Désolation, Macquarie, Antipodes, etc., aussi bien que sur l'extrémité australe de l'Amérique, sur les côtes de la Patagonie, comme sur les Orcades et la Nouvelle-Shetland :. Partout les rivages sont couverts de cette espèce. Leurs innombrables lé- gions stupides, pressées, dans une inactivité singulière, couvrent les grèves, et forment de longues files, dont l'ensemble compose le spectacle le plus bizarre. 4 les regarder de cent pas, on les prendrait pour des enfants de chœur en camail, dit Pernetty. Le manchot à lunettes a été nommé ainsi de ce que les côtés de la tête sont occupés par un cercle blanc qui enveloppe les yeux. Il fut aussi appelé Jack-ass par les pêcheurs de phoques, d'après l'analogie de son cri avec le braiement d'un âne, et par les Espagnols paxaros ninos, ou oïseau-enfant. Ce man- chot se tient constamment debout sur la terre, et marche avec gravité et d'une manière génée , ayant la tête droite, et presque toujours le bec élevé. Lorsqu'il cherche à fuir pour gagner le rivage, et que le danger le presse, il perd l'équilibre, que n'as- surent point des membres placés tout-à-fait à l'arrière du corps : il tombe, culbute, se relève, pour tomber cent fois, et il se sert alors de ses ailes informes comme d’un point d'appui, et il fuit rapidement par ce moyen, en s'appuyant aussi sur sa poitrine. Parvenu sur le bord de l’eau, il s'y précipite. Mais là il est dans son élément. Autant sa démarche était génée sur la terre ferme, autant il plonge avec facilité, nage avec prestesse, s’élance avec force, et semble défier l'ennemi qui lui paraissait si dangereux quelques instants auparavant. La stupidité de ces oiseaux est telle, que nos marins en massa- sl A © g LA ’ Cette espèce s’est propagée, le long des côtes d'Amérique que baigne l'Océan Pacifique, jusqu'à Lima, par 129, où nous la vimes dans la rade de Callao , soumise à l'influence d’une température qui est bien opposée à celle des terres Australes. . 28. 220 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. craient impitoyablement un grand nombre, sans que ceux qui étaient dans le voisinage parussent avoir la moindre crainte. La défiance ne leur vint qu'après des scènes répétées de des- truction ; et, dans les premiers moments, en les saisissant par le cou, on pouvait les prendre sans difficulté. Cette chasse se fait habituellement à coups de bâton, et détruit souvent sans utilité un nombre infini de ces paisibles animaux. La vie des manchots est excessivement tenace; et souvent nous en avons vu qui paraissaient assommés sur la place, y rester sans mou- vement plus de dix minutes, se relever ensuite, chercher à fuir, au moment où le mauvais génie qui avait présidé à leur des- truction venait recueillir sa proie, qui, de cette manière, échappait fort souvent. Mais surpris dans leur course mal assu- rée, ces oiseaux ne cherchent pas toujours à éviter le péril qui les menace. Ils s'arrêtent alors, et essaient de laffronter. Leur bec fort et robuste fait souvent de profondes blessures, et les manchots s'élancent le plus souvent avec beaucoup d'éner- gie sur leur injuste agresseur. Soit que ces animaux aient à redouter des ennemis, le chien sauvage entre autres, soit que les côtes schisteuses des grandes terres des Malouines ne leur conviennent point, ce n'est jamais que sur les ilots épars dans les grandes baies, qu'ils creusent leurs terriers. Un de ces ilots en a recu le nom d'#e aux Pin- gotns. Là leur nombre surpasse tout ce que l'imagination peut concevoir, et n'est pas moindre que quelques dizaines de mille. Ces ilots, entièrement tourbeux, sont recouverts des graminées singulières, nommées improprement glayeuls, s'élevant comme certaines monocotylédones ligneuses et couronnées par des faisceaux de feuilles. Des sentiers, pratiqués par les manchots au milieu de ces forêts herbacées, établissent des moyens de communications faciles avec la mer, et le pourtour entier de cet ilot est creusé dé galeries souterraines, qui leur servent de ZOOLOGIE. 221 demeure. Le sol est tellement meuble et peu ferme, que fré- quemment l'observateur qui marche sur cette tourbe s'y en- fonce, et se sent bientôt mordu avec force par l'oiseau, étonné d'un tel genre de visite. À l'époque de notre séjour aux Ma- louines ( du 20 novembre au 20 décembre), quelques femelles couvaient encore, ou soignaient leurs petits. Les trous que ces oiseaux se creusent sont profonds et assez vastes pour loger toute la famille. Rien ne peut déranger les femelles de la fonc- tion maternelle qu'elles sont chargées de remplir; car souvent il nous arriva d'épier longuement leurs mouvements dans le nid, et elles paraissaient indifférentes ou se bornaïent à faire de singuliers mouvements de tète, de côté et d'autre, en ap- parence fort ridicules. Le manchot pond deux œufs, gros comme ceux de l’oie, de couleur verdàtre, maculés de brun. Les jeunes sont l’objet des soins les plus assidus de leurs père et mère; et deux petits que nous placämes dans un nid étranger, dont nous enlevames les vrais héritiers, furent impitoyablement tués à coups de bec, et jetés hors du trou par la mère, qui ne recon- naïssait point en eux les enfants dont elle avait couvé les germes. L'importante fonction de la reproduction étant accomplie, et les jeunes étant assez forts pour habiter la mer, les manchots abandonnent leur demeure terrestre , et la république entière va à l’eau pendant environ six mois de l'année, pour accomplir ainsi les vues de la nature. Le cri de ces oiseaux est un braiement semblable à celui de l’âne, tellement prolongé, surtout le soir, que l'illusion est frap- pante, et que le nom vulgaire donné par les Anglais est fondé sur cette analogie. Divers voyageurs ont mentionné ce fait. Mais une remarque que chacun de nous a pu faire dans les belles soirées de l'été des Malouines, très-rares au reste, c’est qu'au moment où le crépuscule apparait sur l'horizon, tous les manchots poussent ensemble des cris sourds et continuels, de 229 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. manière qu'à une certaine distance du lieu qu'ils habitent, on éprouve une illusion parfaite, en croyant entendre le mélange de voix et de mouvements d'une masse de peuple assemblé pour une fête publique, et dont l'atmosphère porte au loin, dans le calme, les sons confus et mélangés. La chair des manchots est noire, compacte, indigeste, baï- gnée par une graisse huileuse, et entourée d'une couche de tissu cellulaire, formant sur le corps une enveloppe épaisse et abondamment gorgée d'huile. La peau est d'une extrême soli- dité : aussi faut-il écorcher ces oiseaux, pour les manger; et cet aliment, analogue à la chair des phoques, est très-désagréable. Cependant les marins, que la vie dure et agitée de la mer rend très-inconstants dans leurs goûts, le trouvaient fort bon, et en mangeaient quelquefois avec plaisir. MM. Quoy et Gaïmard observèrent que le départ des man- chots eut lieu, pendant leur séjour forcé sur les Malouines, du 20 au 25 avril; ces oiseaux y retourneraient donc vers le mois d'octobre pour y pondre et couver. Ceux que nous avons rencon- trés en mer et qui étaient appariés légitimeraient cette idée, et feraient croire que le manchot est monogame, ou du moins qu'il n'abandonne point sa femelle, et vit avec elle, au hasard, sur l'im- mense surface des mers qui baignent les terres antarctiques *. * Nous ajouterons à l'histoire de ces oiseaux quelques détails anatomiques sur le manchot à lunettes, mâle. Cœur , alongé, conique et assez volumineux. APPAREIL DIGESTIF : La langue et ie voile du palais sont recouverts de papilles alongées, mucronées. L’æsophage est très-dilatable, tapissé à l’intérieur par une membrane muqueuse, plissée longitudi- nalement, et dont les plis se confondent avec ceux que présente l’estomac : cet or- gane , dans son état de vacuité, a quatre pouces de longueur; il est alongé, et forme un coude à la naissance du tube intestinal. Sa surface intérieure est tapissée d’une foule de cryptes muqueuses, terminées par une ouverture béante. Ces corps sont prin- cipalement situés vers la terminaison de l’œsophage. Les intestins forment plusieurs circonvolutions ; leur longueur est de six mètres vingt centimètres, et ceux du gor/fou ZOOLOGIE. 223 Parmi les oiseaux marins que nous eùmes souvent occasion d'observer, les pétrels sont les plus nombreux en individus et en espèces. Ce genre parait en général ne point fréquenter d'habitude les terres, et il ne sy rend sans doute que pour remplir le but de la reproduction. On aurait tort toutefois de croire que ces oiseaux, auxquels on réserve plus particulière- ment , en y comprenant les albatros, le nom de pélagiens, puis- sent séjourner des mois, des années même, sur la surface de l'Océan. Ils s’y rendent fréquemment au contraire, et leur vol rapide leur permet d’ailleurs de franchir aisément l'espace qui les en sépare. Parmi les pétrels que nous observames dans la baie de la Soledad, nous mentionnerons le petrel Bérard, fig., pl. n° 37, de la Zoologie de l'Uranie ; le pélagique, différent de celui des mers d'Europe, et qui est probablement le stormy petrel de Latham, Syn., tom. VE, n° 18; le procellaria oceanica de Forster. Le pétrel géant, qu'au premier aspect on peut confondre avec l'albatrosse, lorsqu'il vole, vient assez fréquemment auprès des terres faire dégorger les poissons que les cormorans viennent de pècher, et sen emparer par suite. C'est de cette habitude que lui est venu des Espagnols l’affreux nom de quebrante uessos, ou briseur d'os’. Dans ces latitudes, nous observames encore le sauteur ont huit mètres. Le cœcum est unique, et, avec un peu d'attention, on s’aperçoit que l'extrémité libre est divisée en deux tubercules ; ce qui tendrait à prouver que les deux cœcums sont unis, dans cette espèce d'oiseau, par un tissu cellulaire très-serré. Cet intestin s’insère à deux pouces du cloaque. Les pancréas sont alongés au nombre de deux. Les reins sont à trois lobes, dont l’antérieur est ovale et plus vo- lumineux. La rate est petite, de couleur de lie de vin. Les testicules sont petits, ovales, placés au-devant des reins sur le milieu du rachis. Le foie, bilobé et volu- mineux, occupe toute la région épigastrique. La vésicule biliaire, dans son état de plénitude, était de trois pouces et demi. Les matières fécales de ces oiseaux sont vertes, couleur qu'on pourrait sans doute attribuer à la bile. ‘ La tête est figurée planche VIII du tome II de Pernetty. . VOYAGE AUTOUR DU MONDE. pétrel bleu ( procellaria vittata, Gm.); le pétrel Lesson ( pro- cellaria Lessonit, Garn.; procellaria cinerea, Latham), plus parüculièrement fixé vers le 52° degré de lat. Sud’. Nous ne vimes point le procellaria falklandicus , figuré dans les dessins inédits de Commerson, déposés à la Bibliothèque du Muséum. Les goélands sont très-multipliés sur les iles Malouines. Nous n'y trouvames cependant que deux espèces, l’une à manteau noir (larus marinus et nœvtus, Gm.), et l'autre à manteau gris (larus glaucus et argentatus, Gm.). Nous n'avons à y indiquer non plus qu'une seule mouette, la rieuse ( /arus ridibundus, Gm.). Les Malouines sont peuplées de stercoraire cataracte (lestris catarrhactes, Temm.) (fig. n° 38, Zool. de l’Uranie), que Bougainville mentionne sous le nom de cantard, et que les Anglais nomment poule du Port-Egmont. C'est de ce palmi- pède que parle Pigafetta (1519) sous le nom de cagassela. Cet oiseau, dont l'iris est brun-clair, est véritablement par les formes un oiseau de proie à pieds palmés, que Pernetty appelle canard gris, et sur les mœurs duquel il donne des détails fort justes, page 25, tome IT de sa narration. Confiant, ou, si on l'aime mieux, audacieux, le stercoraire à plumage sombre, que relèvent deux bandes blanches qui croisent les ailes, est aux mouettes ce qu'est la frégate pour les fous, c'est-à-dire qu'il est sans cesse à les épier, à les poursuivre, pour s'emparer de leur proie, et exercer ainsi le tyrannique pouvoir de la force. Ce- pendant, le stercoraire est lui-même un pêcheur habile; et, cha- que jour, le long du navire même, il nous donnait des preuves de sa dextérité, pour saisir sa pâture sur la surface de la mer. Les sternes (sterna hirundo, minuta et fuliginosa de Gm.) couvrent parfois de leurs essaims criards, et comme des nuées, ? Remarques sur la zoologie des îles Malouines, par M. Garnot, Ann. des sciences nat., cah. de janvier 1826. ZOOLOGIE. 295 les ilots épars dans la baie, et pondent sur le sol même en plein air, sans avoir le soin d'assembler, pour construire un nid, les moindres büchettes. Des formes gracieuses et légères, la blan- cheur des plumes abdominales, le gris tendre des couvertures des ailes, la calotte d'un noir lustré de l’occiput, la disposition fourchue de la queue, le bec et les pieds d’un rouge de corail, font de la sterne un oiseau aussi gracieux que svelte ;. mais un cri aigre et discordant ne répond point aux teintes douces et suaves du plumage. Bougainville nomme la dernière espèce equerret, et Leguat, ferret. La ponte des sternes est le plus souvent de deux œufs, de la grosseur de ceux des pigeons, de couleur vert-clair, avec des taches brunes : parfois elles placent leurs nids dans les crevasses des rochers, et y portent quelques brins d'herbe. Entourées d'ennemis, qui cherchent à dévorer leurs œufs, les hirondelles de mer ont recu en partage un courage qui étonne d’après leur petite taille. Elles font lâcher prise aux oiseaux de proie ou aux maraudeurs des rivages, et les as- saillent avec une ardeur sans exemple. Ces palmipèdes semblent nés pour la société : on ne les trouve jamais que réunis par grandes troupes, et leur attachement parait s'étendre aussi bien sur leurs petits que sur tous les membres de la communauté. Souvent il arriva aux chasseurs qui tuaient quelques-uns de ces oiseaux de voir Les sternes se précipiter sur celles qui avaient été frappées, voler au-dessus en tout sens, et remplir l'air de leurs cris perçcants. Nous vimes, sans nous la procurer, une variété dont la tête est grise, au lieu d’être noire, et que nous serions tentés de regarder comme distincte des espèces précédentes. Le genre cormoran, qui renferme trois espèces et des milliers d'individus, est mentionné par tous les navigateurs. La stupi- dité des oiseaux qui le composent est devenue proverbiale parmi les marins; et c'est ainsi qu'on les trouve décrits dans les voya- ges, sous les noms de rigauds, becs-scies, shagg, par les Anglais, Voyage de la Coquille. —7. Tome 1. 29 6 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. et même sous un nom bien plus immodeste, que le Père Per- netty n'a pas craint de laisser glisser de sa plume. Les cormorans s'assemblent assez communément par pelotons d’une trentaine d'individus, et bien souvent ce nombre est beaucoup plus con- sidérable. [ls se perchent sur les rochers des côtes, et se déran- sent à peine, lorsque le chasseur, les ajustant à loisir, en a tué plusieurs. Leur vol est analogue à celui du canard sauvage, et ils ont comme lui la tête et le cou dans une rectitude parfaite. La première espèce ( pelecanus næœvius, Gm.) est entièrement brune. On remarque cependant quelques variétés, dues à l'âge probablement, et qui ont des taches blanches çà et là sur le corps. La deuxième espèce (p.cérrhatus?) a le plumage d'un bleu ardoïsé, le ventre et le cou blancs, la tête surmontée d'une huppe com- posée de plumes longues de deux pouces. L'iris est de couleur bleu-verdàtre, très-brillante, et la membrane, placée sur la mandibule inférieure, est parsemée de points comme dorés; deux caroncules d'un rouge vif surmontent la tête. Le cor- moran oreillard ( carbo leucotis, Cuv.) ne diffère du précédent que parce qu'il manque de huppe, et parce que le cou est bleu- ardoisé : peut-être ce dernier est-il la femelle, tandis que le pre- mier serait le mâle. On remarque d'ailleurs des variétés assez nombreuses entre ces deux oiseaux. Le cormoran nigaud ( carbo graculus, Meyer), qui se retrouve aux iles Malouines, ne peut être considéré comme une variété du pelecanus nævius : il en diffère par sa taille, qui est beaucoup plus forte, et par son plumage, qui est bleu-noir foncé et lustré. Nous n'avons point vu le cyone à cou notr velouté indiqué par Bougainville ; et, sur quatre espèces d'oies qu'il décrit brie- vement, deux s'offrirent seulement à notre examen. La première, nommée improprement outarde, est l’oie des Malouines (anas leucoptera), qui habite plus particulièrement les étangs, et qui pait dans les prairies environnantes ; elle ZOOLOGIE. ? 227 court avec rapidité, et est plus difficile à tirer posée qu'au vol. La femelle, qui est plus petite que le mâle, désignée sous le nom d'anas magellanica, Gm., et figurée dans les planches en- luminées de Buffon, fig. 1006, est fauve, à poitrine maillée de brun, à cou et tête d'un marron vif, tandis que le mâle est blanc, à manteau varié de noir et de cendré : l'iris est brun. Pendant notre séjour aux Malouines, nous les avons constäm- ment rencontrées en familles de six à huit individus. Cepen- dant, nous en surprimes un jour plus de soixante sur un petit étang; les pennes de leurs ailes étaient à cette époque molles et impropres au vol : aussi pumes-nous les tuer toutes fort à notre aise. La chair de cette oïe est bonne, bien qu’un peu hui- leuse, et susceptible de faire un excellent approvisionnement de mer. La deuxième espèce que nous ayons à mentionner est l’ou- iarde de rivage de Bougainville, dont le mâle est très-bien décrit par les auteurs sous le nom d'anas antarctica, Gm.; la femelle, en revanche, l'est très-mal. Cette espèce est bien moins multipliée que la première. Elle ne faisait que d'arriver vers la fin de notre séjour, et parait ne venir aux Malouines que pendant l'été. Elle se nourrit d’ulva et de petits fucus, de ma- mère que sa chair en contracte un gout détestable, qui la fit rejéter par tout le monde à bord de la Corvette. Le mâle est complètement blanc, à pieds et bec jaunes. La femelle, que nous décrirons sous le nom d'anser antarcticus, Vieill., à la tête et le cou noirs, la poitrine et le ventre maillés de noir et de blanc. Comme ces deux oies étaient toujours ensemble et par paires, et que nos dissections sont venues nous assurer de leur sexe, on ne peut avoir le moindre doute sur leur identité. Le dernier genre de l'ordre des palmipèdes des Malouines est l’anas, dont nous observames quatre espèces. La première est le canard aux ailes courtes ( anas cinerea, 29. 228 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Gim.; anas brachyptera, Latham ), figuré dans la Zoologie de l'Uranie, pl. XXXIX. Ce canard est parfaitement décrit par Forster et par Cook ‘, sous le nom donné par les matelots anglais de race-horse ou cheval de course, que Buffon ne sut à quel genre rapporter. Il fut mentionné primitivement dans le 66° volume, partie 1°, des Transactions philosophiques, où 1l est nommé loogerhead-duck ou canard-lourdaud, et assez bien indiqué par Pernetty (t. IE, pag. 21) sous le nom d’ote grise ou d'ote du plain. Ce canard, en effet, ne vole point. Ses ailes, trop courtes pour remplir ce mouvement locomoteur, ne sont gar- nies que de tuyaux mous et sans consistance ; mais en revanche il court avec une rapidité accrue de toute l'inertie des ailes. Celles-ci sont munies au coude de deux tubercules, cornés et robustes, qui paraissent avoir pour but de servir de moyen de défense à cet oiseau. Ce canard vivait ou par paires ou par troupes considérables sur les grèves, ou plain, en terme de marine, du camp de l’Uranie et sur l'étang du Phoque : c'est du moins ce que nous observames pendant notre séjour. Sa chasse n'était point difficile, lorsqu'on pouvait lui couper le passage pour se rendre à la mer; mais sa course est tellement rapide, qu'il est nécessaire d'employer pour cela une grande vivacité. Dans l’eau, ce canard se retrouve dans son habitation naturelle, et son nager est facile; sa chair est mauvaise, très- huileuse, et sent le marécage et les fucus pourris : quoique peu délicats, nos matelots n'osèrent point y toucher. Le millouin des Malouines habite ordinairement l’embou- chure de la petite rivière de Bougainville. Craintif et rusé, il se tient toujours éloigné de tout ce qui peut l'inquiéter. Nous trouvames sa chair fort agréable au goût. Des deux dernières espèces qu'il nous reste à mentionner, et ‘ Deuxième Voyage de Cook, tom. IV, pag. 27, édit. in-4°. ZOOLOGIE. 229 qui sont toutes deux très-délicates, l'une est le canard à bec jaune et noir de D'Azara; et l’autre, le canard à sourcils blancs (anas supereiliosa , Latham), qu'on retrouve à la Nouvelle-Hollande, où 1l habite particulièrement les étangs. = S 8<——————— & LIL. ENVIRONS DE TALCAGUANA ms DE PENCO, ET DE LA CONCEPCION AU CHILI. Notre séjour au Chili, au mouillage de Talcaguana, eut lieu du 20 janvier 1823 jusqu'au 13 février suivant: Nous n'avons donc consacré que peu de jours à l'examen du littoral d'une contrée intéressante, et encore neuve pour la science, malgré les écrits de Feuillée ?, de Frezier *, de Molina ‘, et ce qu'en à rapporté Dombey *. Ainsi nous ne parlerons, dans cet article, que des côtes de la baie de Talcaguana, des alentours de la Motcha ou de la Con- 1 Ce nom, emprunté à la langue arauque, est écrit de différentes. manières. On trouve Talcahuano, Talcaguano dans plusieurs relations de voyages. ? Journal d'observations faites sur les côtes orientales de l'Amérique, par le Père Feuiliée, minime, 2 vol. in-4°, Paris, 1714. $ Relation du voyage de la mer du Sud aux côtes du Chily et du Pérou, fait pendant les années 1712, 1713 et 1714, par Frezier,.r. vol. in-4°, Paris, 1732. # Essai sur l'histoire naturelle du Chili, par Jean-Ignace Molina, traduit de l'italien par Gruvel, in-8°, Paris, 1789. $ Joseph Dombey, né à Mâcon le 22 février 1742, docteur en médecine de la Faculté de Montpellier, n’a rien écrit; mais il est un des naturalistes qui ont montré le plus d’ardeur pour enrichir les collections de la France. On peut le proposer pour modèle aux voyageurs. Instruit , tolérant, d’un commerce facile, il a laissé au Pérou et au Chili, où il a long-temps séjourné, une réputation très-honorable. Il mourut misérablement dans une prison d’Espagne, en 1794. 230 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. cepcion, de l’ancienne Penco, de la presqu'ile de Talcaguana, et de l'ile de Quiriquine. La baie de Talcaguana, vaste et profonde, est située par 36° 42° 00” de lat. S., et 75° 30° 41° long. O, dans la province de la Concepcion; elle a douze milles de longueur sur neuf de largeur. La bourgade de Talcaguana, qui lui donne son nom, est bâtie sur ses bords, et la ville de la Motcha, capitale de la province, n'en est éloignée que de deux lieues. Les ruines de l'ancienne Penco sont éparses sur les confins d’une plaine basse et marécageuse; et de l'autre côté, un havre profond, nommé port Saint-Vincent, s'avance dans les terres pour former, avec le fond de la baie de la Concepcion, une longue presqu'île de toute la côte occidentale. La bourgade-de Talcaguana est assise sur le versant d'un terrain assez élevé, qui finit à un morne, nommé cap de l'Es- téro, au pied duquel s'ouvre le fzo del Estero. De ce point jusqu à Penco, et dans une distance de neuf milles, la surface du terrain est très-basse, et a été indubitablement submergée il n'y a pas encore long-temps, et ne formait qu'un seul canal avec le port Saint-Vincent. Tout indique en effet que la pres- qu'ile de Talcaguana était naguère une ile séparée de la terre ferme par un bras de mer étroit, large de deux milles au plus. L'isthme à demi desséché qui existe aujourd'hui, présente en- core, dans une partie de son étendue, de profonds marais, où croissent des cypéracées, des roseaux , des sagittaires ,des carex, et la gratiole du Chili; tandis que les autres endroits sont revètus de salicornes, de soudes, d’éphédra, de chenopodiées, d’un me- sembryanthemum, plantes maritimes, qui se plaisent plus par- ticulièrement sous l'influence d’une atmosphère toute marine. Enfin les hautes collines qui leur servent de limites au Nord et au Sud sont terminées verticalement et usées, comme le sont d'ordinaire les rivages. Ces collines sont élevées au-dessus du ZOOLOGIE. 231 niveau de la mer, dans la baie, de trois cents pieds environ. Leur sommité forme un plateau légèrement ondulé et très- boisé. Des ravins en coupent cà et là les bords, et sont arrosés par les eaux qui en descendent dans la saison des pluies : ce qui permet à la végétation d'y trouver les moyens d'y croitre avec vigueur. La formation minéralogique de la côte occidentale appartient aux roches talqueuses phylladiformes. La couche la plus infé- rieure est formée par une sorte de*phyllade noire, compacte et terne; celle qui est moyenne se compose d'un mica-schiste à feuillets très-brillants, dont la direction est de l'Ouest à l'Est. Des veines nombreuses de quartz amorphe et des veinules de fer à l’état d'ocre serpentent verticalement dans toute l'épais- seur'du terrain. Vers le sommet, les feuillets schisteux, mis à nu, sont souvent remplacés par des masses qui offrent l'aspect et la texture de l’ardoise tégulaire. Plusieurs pieds d'une argile schisteuse, d'abord jaunâtre, puis d'un rouge assez vif, re- couvrent ces roches; et cette couche argileuse supporte elle- même une brillante végétation. En avancant vers le Nord, sur la même côte, on suit assez uniformément une sorte de terrain ajouté sur le précédent, et qui doit naissance à la mer. Il est plus particulièrement remarquable autour de la petite ile de Quiriquine, à laquelle il forme une ceinture, en présentant les circonstances suivantes : 1° Au niveau de la mer, à marée basse, on observe un grès argileux, friable et peu consistant, formé de particules grenues, rougetres, égales, et agglutinées par un ciment peu adhérent. Divers bancs, placés au milieu de la baie et décou- vrant à basse mer, sont entièrement de ce grès. Les plages de 5 l'ile de Quiriquine sont recouvertes d’un sable micacé, noir, brillant, et affectant un aspect métallique. 2° Les couches supérieures au grès dont nous parlons sont 232 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. formées par un sable argileux, tassé et recouvert lui-même par des sables agglutinés et gréseux comme les premiers. 3° Des couches de sables argileux et terreux, rougeñtres, dans lesquels sont incrustés des galets arrondis, d’un volume assez égal, et ne dépassant guère la grosseur d’une orange. 4 Des lits de sables argileux, avec des couches alternatives de coquilles non pétrifiées, et seulement roulées par les vagues, et de même espèce que celles qui sont éparses sur les grèves. Ce fait avait déja été mentioñné par M. de Chamisso, qui l'ob- serva sur les rives du port Saint-Vincent et au-dessus du petit bourg de Talcaguana. Ces lits de coquilles ont été saisis, à me- sure que la mer les déposait, par un ciment assez solide, et se composent principalement de concholepas, de crépidule péru- vienne , de fissurelle et du mnytilus lata, espèces très-communes dans ces mers. 5° Une écharpe peu épaisse, formée d’une sorte de pudding, que constituent des galets de toute grosseur, enchàssés con- fusément dans un sable fin par-un ciment assez adhérent. 6° Argile jaunâtre, durcie. 7° Aroile rouge, meuble, formant la couche superficielle et végétale du sol. Telle est la disposition qu'on observe dans la succession des petites couches que nous venons d'indiquer, en commencant par les plus inférieures et remontant successivement. Elle: re- vétent donc assez uniformément et partout la formatica tal queuse phylladiforme. Leur origine serait assez difficile à expli- quer, si l'on ne savait que les tremblements de terre fréquents, et les inondations énormes qui en sont la suite, ont du jouer le principal rôle pour leur donner naissance. Peut-être même leur origine ne remonte-t-elle pas à des temps bien éloignés de la submersion de l’ancienne Penco, dont on voit aujourd hui une partie des ruines au fond de la baie et dans sa partie S.-E. ZOOLOGIE. 233 La côte orientale de la baie est formée par le continent; elle est onduleuse, très-mamelonnée, et appartient exclusive- ment à la formation primitive. Toutes les montagnes que nous avons observées, les mamelles du Biobio, comme celles qui dominent la Concepcion au Sud , et qui forment une chaine se dirigeant de l'Est à l'Ouest, nous ont offert uniquement un granite, variable seulement par une teinte plus ou moins noire, et presque jamais rosée. Le terrain, dans un rayon de trois à quatre lieues, n'offre qu'une ou deux plaines de date récente, marécageuses, occupées par les villes de Penco et de la Con- cepcion ; partout ailleurs les vallons et les collines se succèdent sans interruption. La nature du sol annonce l'existence d'un lambeau de terrain tertiaire, qui semblerait même se continuer jusque sur les côtes de Guayaquil, et qui existe sur les rivages du Pérou , et surtout à Payta, où il est parfaitement caractérisé. Près de Penco, en effet, nous observämes un gisement assez riche d'un lgnite stratiforme, qui affecte tous les caractères exté- rieurs de la houille : il fournit aux besoins des naturels et des navires qui visitent ce point du Chili; et comme il jette une flamme très-vive en brülant, il est fort estimé. Ce lignite n'est qu'à six ou sept pieds au-dessous de la surface du sol. Le pre- mier lit ou le plus inférieur n'a que deux pieds et demi à trois pieds d'épaisseur; c’est le seul qui soit recherché : il est com- posé de lignite pur. Celui qui est au-dessus est mêlé à beaucoup de débris terreux , et recouvert par une couche mince d'argile grise, feuilletée. La couche superficielle est au contraire épaisse, et formée en entier d'argile d'une couleur rouge très-vive. Sur la rive occidentale de la baie de Talcaguana, vis-à-vis l'ile de Quiriquine, est un petit village appelé 7umbès, où l'on va recueillir un salpêtre de houssage très-estimé, que fait ex- ploiter la république. Les gisements de sel gemme sont égale- ment très-nombreux et l'objet d'un grand commerce sur la côte. Voyage de la Coquille. —7Z. Tom. 1. 30 23/ ; VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Le Chili est depuis long-temps célèbre par les mines de métaux précieux qu'il possède, et, sous ce rapport, il rivalise grandement avec le Pérou. La plupart de ces mines sont situées dans la portion aride des Cordillières, au-delà du Chili boisé, soit au pied des Andes, soit dans les petites Cordillières. Près de Saint-Yago, sont les riches mines d'or de Pétorca : celles de las minas de la Florida sont à vingt-quatre heures de chemin de la Concepcion. Les plus riches mines d'argent sont dans le Cerro d'Upsalallata. Les mines de cuivre, de plomb, de fer, d'étain, de mercure, de Coquimbd, de Copiapd, sont très-riches , mais, dit-on, mal exploitées. La végétation qui revêt le sol que nous venons d'indiquer a une physionomie tout européenne. Ce n'est plus la pompe ou le luxe des plantes largement développées et d’un vert gai du Brésil; mais c’est la force, la vigueur, unies au feuillage noir et aux formes des arbres des forêts du Midi de la France. A la vue de ces masses végétales, on ne se croirait pas dans l’Amé- rique du Sud, si une seule plante, au port aloëtique et équa- torial, la Pitcairnia , ne contrastait avec toutes les autres. Mais. cependant cette ressemblance n’est qu'extérieure; car nul pays ne présente peut-être un plus grand nombre de genres ou d'espèces qui lui soient propres. La fécondité du sol est très- remarquable sur tous les coteaux des bords de la baie de Talea- guana ; elle n’est surpassée que par la richesse des plantes qui s’y pressent; et il nous serait fort difficile d'en donner une juste idée, sans entrer dans des détails qui nous entraineraient hors de notre sujet. Les forêts sont formées d'arbres de toutes sortes, et surtout de myrtes de la taille de nos ormes moyens de France: leurs rameaux, chargés de fleurs blanches , embaument l’atmo- sphère, et supportent les larges corymbes rosés d'une plante grimpante syngenèse, et les cimes rouge-ponceau d'un gui arborescent ; la superbe Lapagerie, le cupido des Araucanos, ZOOLOGIE. 235 s'appuie fréquemment sur leurs troncs dépouillés, et fait briller, à travers leur feuillage lustré, ses éclatantes corolles. La Sar- mienta charnue adhère aux écorces comme notre lierre, et ses cloches vermillon retombent sur le vert mat de ses feuilles. Il en est de même de la Lardizabala *. Des fougères s’établissent sur les ramifications des branches, et des bambous poussent leurs jets verticaux et rigides au milieu des massifs, qu'ils con- tribuent ainsi à rendre très-pittoresques. Les coteaux desséchés ont leurs pelouses ?, formées de lis des Incas (“{stroemeria), de tupa (Lobelia tupa) et d'amarytlis, plantes si recherchées en Europe par la beauté de leurs fleurs. Dans les lieux secs, se présentent communément la violette arborescente , le Teucrium du Chili, la francoa appendiculata, la verveine de Buenos-A yres, le galliet à fruits rouges, des acœna, des eryngium, etc., la jolie syngenese bleue, nommée sempre- viva par les créoles ( trixis spinosa), ainsi que leur yanco, qui est le Znum aquilinum de Molina. Les bois des environs de Talcaguana, de Penco et de la Concepcion, ne présentent point d'arbres de grande dimen- sion : ceux qui pourraient être réclamés par le service des con- structions navales ne se trouvent guère que dans les forêts de l'intérieur. Le feuillage est en général coriace, sec et persistant, et affecte surtout la forme entière. Les arbres qu'on rencontre le plus ordinairement sont plusieurs espèces de myrtes : le schinus molle, lemaqui (Aristotelia maqui), dont le fruit fournit un vin estimé des Chiliens ; l’avellano [gevuina avellana), dont ‘ Cette plante a été décrite par l'abbé Ventenat. C’est la Lardizabala de la Flore du Pérou. La fleur mâle est figurée, Atlas, n° 6 et 7, et la fleur femelle, n° et 9; et la description de Ventenat se trouve dans le tome IV, page 26, édition in-{°, du Voyage de La Pérouse autour du monde (Paris, 1797). 2 On voudra bien se rappeler l’époque précise de notre séjour, et les lieux que nous fréquentämes , pour constater l'exactitude rigoureuse de cette indication. 30. 236 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. l'amande remplace en Amérique la noïsette de nos contrées. Le thilco du Chili, le charmant Fucksia, forme presque tous les buissons. Les parties humides ou très-ombragées de ces mêmes bois nourrissent des fougères à larges feuilles ; le panke ténc- toria (Molina, ist. nat., p. 113), classé parmi les Gunnera dans la Flore du Pérou, et qui est employé en teinture; des bambous, précieux pour divers usages domestiques, et un grand nombre de végétaux très-remarquables sous le rapport de la beauté de leurs corolles, ou de leurs caractères botaniques. Les alentours de la route qui conduit de Talcaguana à la Concepcion présentent, au milieu des bois, des espaces sablon- neux assez considérables et découverts, quelques champs her- beux, dont la végétation est spéciale. C'est ainsi que nous y observames un melocactus de très-petite taille, plusieurs ona- gres, et notamment la belle ænothera gigantea, des mimosa, un geum, le cestrum parqui, et diverses autres plantes très- 5 intéressantes dont la nomenclature ne serait point utile à notre objet. ; Les prairies humides ont la physionomie de celles de France: elles sont formées principalement de menthes, de renoncules, de potentilles, de trèfles, d’anagallis ; mais on y trouve surtout le fraisier dioique du Chili, dont l'ingénieur Frezier enrichit la France en 1714, et qu'il a figuré dans sa relation, pl. XI, et décrit page 70, et la centaurée cachalouaï ( Chironia chilensis ). Un carduncellus couvre la petite ile de Quiriquine; et un ammi les champs environnant Penco. Les marais du pourtour du havre de Saint-Vincent ont un aspect tout européen. Ce sont des arundo , des sagittaires , des hydrocotyles, des scirpes, des joncs , une gratiole (gratiola peruviana ), qui les tapissent. La luzerne commune, soit qu'elle y ait été naturalisée, soit qu'elle doive y être regardée comme indigène, forme un ex- cellent pâturage pour le bétail du pays; elle est souvent détruite ZOOLOGIE. 237 par la cuscute odorante de la Flore du Pérou, qui sempare quel- quefois de toutes les plantes de certaines localités. Les coteaux de Castillo-Galvès sont recouverts par une Ni- cotiane, un Bromelia, le coulen (psoralea), dont les feuilles servent à faire une boisson enivrante, le fortbundio ( datura arborea ), introduit dans nos serres, qu'il embellit par ses larges corolles infundibuliformes, et surtout par le Lobelia tupa, qui croit partout. Enfin la baie est couverte de laminaria pyrifera ( macrocystis communs, Bory ), et toute la côte du port Saint-Vincent et de la presqu'ile de Falcaguana, en dehors de la baie de la Con- cepcion, est jonchée des larges lanières du porro des Chiliens ( fucus antarcticus, de Chamisso, pl. VIT du loy. pitt. de Choris, et Durvillæa utilis, Bory ), singulière hydrophyte, qui sert de nourriture aux habitants. La classe indigente, en effet, va ré- colter sur les rivages ce fucus, dont les frondes imitent des lanières de vieux cuirs, et le transporte, lié par petites bottes, aux marchés de la Concepcion, où il est très-recherché. Tel est l'aspect général d’un pays que la douceur du climat, une température égale, rendent délicieux sous le rapport de l'habitation de l'homme, mais qui n'est encore que peu connu par ses productions naturelles. Certes le Chili doit promettre de nombreuses découvertes à un zoologiste laborieux et au courant de la science, et l'on doit beaucoup espérer du natu- raliste qui l’explore en ce moment, notre compatriote et ami M. d'Orbigny. Nous n'avons en effet séjourné que fort peu de temps sur ses côtes, et, malgré cela, nous nous y sommes pro- curé plusieurs espèces d'oiseaux entièrement nouvelles, que nous décrirons d’après les doubles; car le nombre en a été di- minué par la perte que M. Garnot a faite de plusieurs espèces dont nous ne possédions que des individus uniques. On remar- quera que le Chili nourrit un grand nombre d'oiseaux qu'on 238 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. retrouve dans le Tucuman et à la Plata, et plusieurs de la Pata- gonie et même du Brésil. _ Molina, dans son Histoire naturelle du Chili, a décrit seule- ment trente-trois espèces d'oiseaux. Plusieurs ne sont pas re- connaissables par la brièveté des phrases, ou le peu de caractères dont il a accompagné leur diagnose ; et personne, depuis lui, n'a retrouvé le rara dont il a fait le genre phytotoma, et qui cependant parait reposer sur des caractères assez précis. Les espèces que cet auteur décrit sont, les f’ultur jota; Falco tharus; Strix cunicularia ; Psittacus jaguilma,cyanalysios,chorœus; Picus lignartus, pitius; Trochilus cyanocephalus, galeritus ; Anas me- lancorypha, hybrida, regia, coscoroba ; Diomedea chilensts, chiloensis; Pelecanus thagus; Phæœnicopterus chilensis; Ardea erythrocephala, galatea, cyanocephala, thula ; Tantallus pillus ; Parra chilensis ; Otis chilensis; Columba melanoptera; Sturnus ioyca; Turdus thilius', thenca, curœus ; Fringilla barbata, diuca , et Phytotoma rara. Or, dans notre très-court séjour, nous n'avons observé que le même nombre d'espèces à peu près : plusieurs toutefois nous offrirent quelques particularités inté- ressantes à ajouter à leur histoire. Parmi les oiseaux de proie, plusieurs buses, autours et éper- viers sont communs dans les campagnes, surtout le faucon chimango de D’Azara, qui vole sur le dos des mulets pour les débarrasser des insectes qui les tourmentent ( falco crotopha- gus). Wied, Z£., t. IL, p. 71; D’Azara, Ze, t. IL, p. 35. Mais l'oiseau de rapine le plus abondamment répandu est le 2allinaze ou catharte, que les habitants nomment jote, le vultur jote de Gmelin et de Molina, le cernicalo de Commerson, et que La- ! Suivant Molina, le nom du Chili dériverait de celui de cet oiseau, que les Araucanos nomment éhilé ou chili, d’après son cri, et qui est très-abondant dans cette partie de l'Amérique : Frezier le fait provenir, avec plus de fondement , du nom d’une rivière nommée Chille, qui coule dans la vallée de Guillota. ZOOLOGIE. 239 tham a confondu avec l’urubu sous le nom de vultur aura (sp. 8). Le yote ( vultur aura) parait habiter toute l'extrémité méridionale de l'Amérique. Nous l'avons observé au Brésil, aux iles Malouines, au Chili, et même au Pérou; mais dans cette contrée 1l est moins commun que l'urubu ( vultur urubu, Vieillot), qui vit par grandes troupes protégées par les lois du pays. Nous rencontrames fréquemment une chouette qui se tient à terre dans les bois découverts, près des souterrains qu'elle se creuse. Ce doit être indubitablement.la chouette à clapier de Buenos-Ayres, que Commerson a figurée dans ses planches inédites , et que Molina à décrite sous le nom de strix cunicu- laria, et de pequen, mot de la langue arauque ‘. Ses œufs, au nombre de quatre, suivant le Père Feuillée, sont blancs ta- chetés de jaune. Diverses sortes de passereaux viennent jusque près des vil- lages : c'est ainsi que nous y observames une petite mésange, plusieurs moucherolles, et entre autres le clignot du Paraguay (hymenops nyctitarius, Commers., Dessins inédits ), et la mou- cherolle à huppe blanche ( m. albicilla, Vieïll.), dont le bec est plus effilé que celui de l'espèce de Cayenne; la farlouze de Monte-Video de Buffon, un troglodyte, la grive des Malouines, une hirondelle qui niche sous les toitures des maisons de Tal- ! L'espèce qui s’en rapproche est celle décrite par le prince de Wied sous le nom de CHOUETTE PULSATRICE, séréx pulsatrix. Wied, 74, t. IT, p. 182. Mâle : long. dix-sept pouces quatre lignes ; couleur, gris-clair, brun-rougeûtre ; tache blanche sur la gorge; plumes scapulaires, marbrées agréablement d’une teinte plus foncée , de même que les ailes et la queue; rectrices traversées de bandes plus claires et plus foncées ; le dessous du corps, jaune-clair, passant au jaune-rougeätre sur la poitrine et sur le ventre. Son cri imite le battant d’une cloche. Hab,. le Chili. Serait-ce la chouette échasse ( strix grallaria), pl. CXLVI de M. Temminck, qui à pour synonyme la chouette de Coquimbo de Molina, ou strix cunicularia des systèmes ? 240 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. caguana , et un synallaxe nouveau. M. Temminck ayant décrit dans ce genre récemment établi cinq espèces du Brésil :, celle que nous avons figurée pl XXIX, fig. 1, sera la sixième, et servira à établir la connexion qui existe entre les animaux de l'empire du Brésil, de la république Argentine et du Chili. Un fournier nouveau (furnarius Lessoni, Dum:.), voisin du four- nier des Malouines et de l’Aornero ou casero de D'’Azara, de Buenos-Ayres, et le chopr (troupiale) de D'Azara, torditos des Espagnols chiliens, viendront encore corroborer cette idée. Cependant notre synallaxe, que M. Garnot regarde comme inédit, nous parait être celui que Latham a figuré dans son Synopsis sous le nom de thorn tailed warbler de la Patagonie. L'etourneau blanche-raie ou des terres Magellaniques ? est ex- cessivement commun dans la province de la Concepcion. C’est le sturnus loyca de Molina *. Sa description ne laisse aucun doute à cet égard; et c’est donc à tort que Gmelin et Latham ont fait des sturnus militaris et loyca deux espèces, la dernière étant purement nominale. La femelle, dont le rouge dela poitrine est toujours pale ou plutôt ocracé, pond trois œufs gris, mar- qués de brun, dans un nid placé à terre négligemment. Molina décrit trois espèces de trochilus, dont deux seraient de passage au Chili. Aucune d'elles n’a de rapports avec l’oiseau-mouche nouveau que nous figurons pl. XXXI, fig. 2, sous le nom d'orthorhynchus sephaniodes. Cette belle espèce ne parut que quelques jours avant notre départ de la baïe de la Concepcion; ce qui nous porterait à croire qu'elle ne vient dans le Sud de l'Amérique qu'avec les chaleurs de l'été, et qu'elle se retire © Synallaxis tecellata , setaria , rutilans, albescens, cinarescens ( pl. col. ). ? Le pechio-lorados. Frezier, voy. p.74. ? Sturnus loyca, fusco, alboque maculatus , pectore coccineo ( Hist. nat. du Chili, p. 324 ), Troupiale à gorge ensanglantée, D’Azara, voy. t. III, p. 185. ZOOLOGTE. 24r vers le Pérou lorsque les jours se refroidissent. La croyance commune des habitants est cependant que, durant l'hiver, cet oiseau s'engourdit et se pend par le bee aux branches des arbres : erreur populaire que partage même Molina (page 226 de son Histoire naturelle). Notre oëseau-mouche est nommé be- caflor par les créoles espagnols : il est très-commun dans les petits bois qui couronnent le village de Talcaguana sur la pres- quile, et, pendant le jour, il vole en becquetant sans cesse les corolles miellées d'un gui, dont les fleurs d'un rouge- ponceau ont l'aspect de celles de quelques chèvre-feuilles. Sous le nom de carpentero, les Chiliens confondent indistinc- tement deux espèces de pic. Le picus lignartus à huppe rouge, le plumage blanc, rayé de bleu, d'après la description de Mo- lina; nous ne l'avons pas rencontré. Mais il se peut que son picus pitius ® soit notre picus chilensis, figuré pl. XXXIT, quoi- qu'il y ait quelques traits de dissemblance. Une seule espèce de la famille des psittacidées s’est offerte à notre examen. Il est vrai de dire qu'elle est extraordinaire- ment commune aux alentours de Talcaguana , et que c'est de ce nom quelle porte chez les Araucanos, d'après son cri, qu'est dérivé celui de cette partie du Chili. C'est notre pstttacara patagonica. Azara le premier l'a décrite sous le nom de patagon (Por. t. IV, p. 60), mais d'une manière obscure; M. Vieillot ne l’a pas mieux fait connaitre ensuite sous le nom de psittacus patagonicus : elle n'a point été figurée; sans doute qu'on l'a confondue jusqu'à ces derniers temps avec la perruche-ara de la Guyane de Buffon. Cette grande espèce de psittacara est * Prous prrius, caud& brevi, corpore fusco maculis ovalibus albis guttato. Nommé pitico, ce pic est de la grosseur d’un pigeon, et niche, non dans les creux des arbres, mais dans les falaises des rivières. Sa ponte est de quatre œufs; sa chair est très-estimée ( p. 215). Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. on 242 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. nommée caterta par les créoles : elle se réunit presque toujours par bandes nombreuses, et 1l n'est pas rare d'en voir chaque jour des volées traversant la vaste baie de la Concepcion. Son cri est aigre et très-fort, et ses mœurs sont sauvages. Molina a mentionné trois espèces de perroquets, dont deux sont de passage. Mais nous n'avons eu aucun renseignement sur son thécau (ps. cyanalysios); son choroi (ps. chorœus), et son jaguilma ( ps. jaguïlma * ), à moins que ce dernier ne soit notre pstttacara; ce dont on doit raisonnablement douter. Plusieurs espèces de colombes, nommées turcasa, habitent les bois. L'une d'elles est figurée pl. XL de notre Atlas, sous le nom de columba araucana; elle est voisine de la colombe à queue annelée (columba caribæa, Lath.), rapportée de la Jamaïque et de Porto-Rico par Maugé, de la colombe à nuque écaillée ( c. portoricensis, Temm.), et de la colombe pi- cazuro de Vieillot ( picazu, D'Azara ), du Paraguay, quoiqu'elle s'éloigne de chacune d'elles, tout en possédant plusieurs de leurs caractères. Le vanneau armé de Cayenne (Buffon, Enl. 836), parra cayennensts, L., est assez commun sur les plages déclives de Penco; les ergots qu'il porte aux ailes sont roses, et n’ont point les fortes proportions que leur donne Frezier, car leur longueur est au plus de six lignes : cest le parra chilensis de Molina. L'huitrier noir ( Aœmatopus capensis ), si commun aux iles Malouines, se retrouve avec la même abondance sur les rivages 5 de la petite ile de Quiriquine : c'est le prpeliène de Frezier. Un ibis à cou rougetre, à dos vert ( ébs albicollis, Vieill. ), habite les rives du port Saint-Vincent. Les bords de la mer sont la ! PsITTACUS JAGUILMA, macrourus, viridis, remigibus apice fuscis, orbitis Jfulvis. Molina, p. 322. ZOOLOGIE. 243 demeure habituelle des chevaliers, des corlieux , des alouettes de mer, qui ne diffèrent point de nos espèces d'Europe et de la maubéche australe. Tous les voyageurs mentionnent des flammants au Chili : et au Pérou : ils les appellent famingos. Mais les oiseaux que nous avons vus, et qu'on nomme ainsi, sont des spatules aiaïa. Il se peut cependant qu'on y trouve des flammants *. Deux espèces de grèbes non décrites et qui sont très-com- munes dans la baie de la Concepcion, soffrirent fréquemment à nos recherches : l'une est le grèbe albicoile , et l'autre le grebe d'Amérique, dont on voit des individus dans les galeries du Muséum, rapportés du Brésil par M. Auguste de Saint-Hilaire. Le manchot des iles Malouines, aptenodytes demersa, fréquente, ! Latham a adopté le phænicopterus chilensis de Molina, qui a pour diagnose cette phrase : Awber, remigibus albis. ? Voici quelques renseignements assez intéressants, fournis sur ces //arringos par Dampier ( Nouv. voyage autour du monde, 3° édit, Amst., 1711, vol. in-10, tom. 1°, p. 78). « Les flamants, fflamningos, aiment à être en troupe, et cherchent leur vie dans « les baïes, dans les viviers, et autres lieux où il y a peu d’eau. Ils sont extrêmement « sauvages, et il est bien difficile de les tuer. Ils font leur nid dans les marais où il «y a beaucoup de boue, qu'ils amoncèlent avec leurs pates, et en font de petites «hauteurs qui ressemblent à de petites iles et qui paraissent hors de l’eau. Ils font « le fondement de ces éminences large, et le conduisent toujours en diminuant jusques «au sommet, où ils laissent un petit trou pour pondre. Quand ils pondent ou qu'ils « couvent, ils se, tiennent debout, non sur l’'éminence , mais tout auprès ; les jambes, «à terre et dans l’eau, se reposant contre leur monceau de terre, et couvrant leur «nid de leur queue. Ils ont les jambes fort longues; et comme ils font leurs nids à «terre, ils ne peuvent, sans endommager leurs œufs ou leurs petits, avoir les « jambes dans leur nid, ni s'asseoir dessus, ni s'appuyer tout le corps qu’à la faveur « de cet admirable instinct que la nature leur a donné. Ils ne pondent jamais que « deux œufs, et rarement moins. La chair des jeunes et des vieux est maigre et « noire, et néanmoins très-bonne à manger. Un plat de langues de flamingos est un « plat à servir à la table d’un prince. » 31. 4h VOYAGE AUTOUR DU MONDE. en janvier et février, les côtes de l'ile de Quiriquine. Parmi les oiseaux marins que nous avons observés pendant notre séjour, il nous reste à mentionner quelques palmipèdes dont le nombre est prodigieusement multiplié, et qui couvrent les eaux de la baie. Ce sont principalement les goëlands gris et à manteau noir, l'hirondelle de mer à tête noire, la mouette à nuque grise, la sterne fuligineuse, les noddis et les becs-en-ciseaux. Il nous arriva fréquemment, et nous pouvons affirmer ce fait, de voir des bandes épaisses de ces divers oiseaux obscurcir le ciel, et former de longues écharpes noires et mobiles, depuis les rives de Penco jusqu'à l'ile de Quiriquine, dans un espace de douze milles. Le noddi (sterna stolida ) est nommé par les indigènes ga- viota nœvia; et le bec-en-ciseau ou coupeur d'eau (rhyncops nigra) a recu d'eux le nom de pescator ou de pècheur. Ce dernier oiseau diffère très-peu de l'espèce décrite par Buffon, qu'on trouve dans les mers des Antilles. Il vole avec lenteur et à de grandes distances des côtes de la Concepcion. Quoiqu'il semble défavorisé par la forme de son bec, nous acquimes la preuve qu'il savait s’en servir avec avantage et avec la plus grande adresse. Les plages sablonneuses de Penco sont en effet rem- plies de mactres, coquille bivalve, que la marée descendante laisse presque à sec dans de petites mares. Le bec-en-ciseau, très au fait de ce phénomène, se place auprès de ces mol- lusques, attend que leurs valves s'entr'ouvrent légèrement, et profite ausitôt de ce mouvement en enfonçant la lame infé- rieure et tranchante de son bec entre les valves, qui se re- ferment aussitôt. L'oiseau enlève alors la coquille, la frappe sur le sable, coupe le ligament du mollusque, et peut ensuite l'avaler sans obstacle. Nous fûmes plusieurs fois témoins des résultats d’un instinct qui nous parut très-remarquable. Plusieurs espèces de fous vivent aussi sur le littoral du Chili. ZOOLOGTE. . 245 Une entre autres, que nous croyons être le pelecanus sula, 1. (sula candida , Briss.), a la tête, le cou, le ventre et la queue en dessous d’un blanc pur. Le bec et la membrane nue des joues sont d'un gris de plomb. Le dos, les couvertures des ailes et le dessus de la queue sont maillés de gris et de blanc; les pennes alaires sont noires. Nous regardons comme un état adulte le fou nommé manche-de-velours, dont tout le corps est d'un blanc très-pur, tandis que les extrémités des ailes sont seules d’un beau noir. Ce n'est point le fou de Bassan que les navigateurs nomment aussi quelquefois manche-de-velours, et que toutes les relations de voyages chez les Portugais men- tionnent sous la dénomination de mnanga de velado. Le dernier palmipède que nous ayons à indiquer est un cor- moran entièrement d'un noir lustré, à teintes d'acier bruni, et dont l'iris est d’un vert d’aigue-marine éclatant. La baie de la Concepcion est assez poissonneuse, quoiqu'elle soit remplie de phoques, de dauphins et d'oiseaux maritimes, dont l'instinct vorace est constamment tendu vers les moyens de détruire les poissons. Cependant nous n'observames guère que deux ou trois espèces très-communes. L'une de ces espèces, nommée caranpayère, est un muge dont les flancs sont bordés de deux raies argentées; l’autre est le pesce-gallo ou poisson- coq, décrit dans les méthodes sous le nom de chimère antarc- tique ou callorynchus australis. Ce poisson remarquable, qui parait habiter tout autour du pôle méridional, est remplacé dans le Nord par la chimère arctique, qui vit seulement dans les mers de notre hémisphère et à la suite des poissons voya- geurs. Nous aurons aussi à mentionner ailleurs quelques pois- sons, deux espèces de couleuvres, plusieurs sauriens et batra- ciens. Pendant notre séjour, les insectes étaient rares. Nous n'observames guère que des araignées, des moustiques, une grande espèce de phasme nommée pulpo dans le pays, une 246 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. scolopendre, et un scorpion, que M. Adelbert de Chamisso décrit, dans le Voyage de Kotzebuë, sous le nom de scorpio chitensis. Mais nous envisagerons plus particulièrement chacun de ces objets lorsque nous parlerons des crustacés, des mollus- ques et des zoophytes qui rendent cette relâche si intéressante pour la zoologie de notre voyage. K LV. CÔTES DE LIMA ET DE PAYTA, AU PÉROU. Ce que nous aurons à dire sur les environs de Callao et de Lima se bornera à un simple aperçu; car notre séjour sur cette rade de la riche capitale du Pérou n'a été que de cinq jours (du 26 février au 4 mars 1823). Mais Payta, que n'avait jamais visité aucun naturaliste, nous dédommagera de l'insuffisance de nos recherches sur le premier point par des faits géologiques très-remarquables, et que nous eumes davantage le loisir d'étudier ( du 10 mars 1823 au 22 du méme mois ). Callao, port de Lima, dont il n'est distant que de deux lieues, est situé par 12° 3 20” de latitude $.; et sa baie, rendez- vous général des navires de toutes les nations, qu'attire l'or du Pérou, est vaste, et en partie fermée à son entrée par une ile stérile et déserte, nommée Saint-Laurent. Son fond est tres- bon pour l’ancrage, et composé d'une vase molle, colorée en vert-olive très-foncé. De la rade, l'aspect du pays est d'une nudité repoussante; et la plaine immense qui s'étend de Callao Jjusqu'’au-delà de Lima, aux montagnes nues et pelées qui for- ment une ceinture à cette ville, ne présente qu'une verdure ZOOLOGIE. 247 rare, comme brülée. Cette plaine est unie et peu élevée au- dessus du niveau de la mer. Son littoral, à une distance assez srande , est formé en entier par des tas de galets considérables, qui ont du y être portés par les submersions fréquentes que produisent les tremblements de terre, dont les habitants con- sérvent de cruels souvenirs. Ces galets sont parfaitement ar- rondis, et assez communément de nature granitique ou quart- zeuse; ils doivent sans doute leur naissance aux lests des navires mouillés sur la rade, ou peut-être aux éboulements des petits caps de Callao au Sud où de Bocanegro au Nord. De nombreux ruisseaux et des flaques d'eau sillonnent les alentours de Callao : une herbe épaisse y forme des tapis ver- doyants; mais toutefois de larges surfaces sont recouvertes d'efflorescences salines, et s'étendent jusqu'a plus d’un mille dans l’intérieur. Les eaux de la mer, en couvrant fréquemment le sol, l'ont imprégné de l'hydrochlorate de soude qu'elles contiennent. Quelques parties de cette plaine sont livrées à la culture , et les propriétés sont encloses de murs en terre très- solides , nommés tapias.- La nature de cette terre est une marne productive. Les montagnes de Lima sont complétement dénudées, si on en excepte quelques chétives plantes charnues, telles qu'un solanum et un cactus, les seules qui subsistassent à l'époque de notre séjour. Leur base est formée par des roches granitiques, leur sommet est schisteux, et le schiste est très-souvent chargé de particules ferrugineuses. Ces mon- tagnes présentent quelques traces d'un sol arénacé, dü entie- rement à l’effritement du granite. Au-delà de cette petite chaine qui entoure Lima, commencent les sterra du Pérou intérieur. L'ile Saint-Laurent, placée à l'entrée de la baie, est complé- tement nue, et est en entier formée par une roche de phtanite gris : son aspect est celui d'un ilot d'un rouge foncé ; chaque fragment de roche à sa surface se sépare par feuillets minces, 248 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. et souvent, comme les pyrites, ces fragments tombent en dé- liquescence. Cette ile présente à son extrémité méridionale des crevasses, et des aiguilles affectant diverses formes. Les rochers qui s'élèvent au-dessus de la mer sur toutes les côtes du Pérou sont recouverts d'une couche très-épaisse de matière blanche, nommée guana, attribuée à la fiente des oiseaux maritimes, qui , depuis des.siècles, s'y reproduisent en paix; c'est l'engrais le plus usité dans tout le Pérou. Plus célèbre par ses mines que par ses productions agricul- turielles, le Pérou est loin de rivaliser sous ce rapport avec le Chili, riche en métaux précieux, mais riche surtout en sub- stances nourricières, bien que son sol soit très-mal cultivé. La majeure partie des approvisionnements de la province de Lima est fournie par les ports de Valparaiso, de Coquimbo et de la Concepcion ; et la plupart des cargaisons expédiées sur les na- vires français consistent en farines et en vin : tout ce qui est nécessaire à la vie y acquiert par conséquent une valeur hors de toute proportign. La température de Lima était très-chaude en février et mars, époque de notre reliche. Les vents régnants soufflaient du Sud, variaient au Sud-Sud-Ëst, au Sud-Est, et ne restaient que peu d'instants au Nord. Pendant le jour les calmes étaient fréquents, et ce n'était même que vers onze heures du matin, qu'une légere brise venait agiter l'atmosphère. Une brume constante et épaisse apparaissait vers cinq ou six heures de la matinée, et ne se dissipait que vers neuf ou dix heures. Le soleil alors prenait une grande force. Vers quatre heures du soir, la brume tombait de nouveau sous forme de pluie très-fine, et persistait ainsi jusqu'aux approches de la nuit. Ces brouillards périodiques et diurnes sont nommés garua : seuls ils entretiennent la vie végétative sous un ciel où il ne pleut jamais. Les nuits sont remarquables par leur douceur et leur sérénité. Dans le jour, ZOOLOGIE. 209 vers deux heures, la chaleur était très-forte, et le thermomètre centigrade, au soleil, s'élevait jusqu'a 45 degrés : son maximum d'élévation, à l'ombre, paraissait fixé entre 24 et 25 degrés, et la température de l’eau dans la rade était, terme moyen, de 21 degrés. L'hygromètre indiqua toujours une saturation complète. Les grandes perturbations de la nature qui agitent le Pérou sont les tremblements de terre, qui se répètent pres- que chaque année, et qui souvent renversent de fond en comble des cités entières, et font franchir à la mer les obstacles qui en resserraient les limites naturelles. Callao, en 1747, fut ainsi abimé, et depuis cette époque ces phénomènes se sont souvent reproduits. Suivant dom Hypolite Unanue, les volcans qui sont la source de ces commotions souterraines appartiennent au second groupe des monts ignivomes du Pérou, à la chaine vol- canique de Æyaynaputina où Quinistacas, dans la Cordillière des Andes proprement dite. Les principales productions des environs de Lima sont les patates douces, les papas ou pommes de terre, les pastèques, les melons, les arachis, les pepinos. Aux arbres à fruits importés d'Europe, se joignent ceux des tropiques ; et près des pruniers, des jujubiers, des pèchers, des figuiers, des pommiers, des oliviers, de la vigne, viennent se placer les orangers, les citrons doux, les goyaves, les avocatiers, les passiflores édules, les ananas. Le dattier est naturalisé à Bella-Vista. Les bananiers, les cannes à sucre, les cocotiers sont plantés en plusieurs en- droits. Mais parmi les productions estimées dans le pays sont : la pulpe du mimosa inga, nommé pois doux ; la pulpe aigrelette du tamarinier, et le fruit très-gros et d'un rouge vif, nommé tuna , que porte une raquette ou figuier de Barbarie. La coca, qui fournit une substance très-employée comme un masticatoire agréable, est cultivée soigneusement, ainsi que le maïs, le blé et la salsepareille. Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I, 32 250 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. L'aspect de la végétation de la côte est triste et ne permet point d'espérer des récoltes intéressantes ; et ce n’est sans doute qu'après avoir dépassé la ville de Lima, que se montre plus riche ou plus variée la Flore péruvienne. Aucun arbre, aucun arbrisseau vigoureux n'ombragent les alentours de Callao ; et les endroits humides de la plaine, en effet, présentent seule- ment cà et la des haies formées par un petit arbuste de la famille des synanthérées, à feuillage blanchâtre, et qui croit le pied dans l’eau. Les fossés ou les mares sont revétus de sagittaires, de samoles, de calcéolaires, et notamment d'une petite utriculaire à peine haute d’un pouce, et surtout de pistia stratiotes. Les lieux un peu secs nous ont offert plusieurs plantes qui s y sont probablement naturalisées, telles que la luzerne cultivée, la verveine officinale, le datura stramontium. Non loin de Belle-Vue commencent des espèces de petits taillis composés de broussailles : là croissent quelques végétaux plus intéressants, deux espèces de sensitives, des héliotropes, un cestrum, des solanum , et surtout une graminée, nommée carapallos dans le pays, dont les feuilles distiques, àpres et consistantes, sont disposées d'une manière flabelliforme. Les bords de plusieurs champs sont ornés d'ipomées à grandes cloches bleues, de ca- pucines, que les créoles nomment mortues, de ricins palma- christi. Les bords des eaux, frais et herbeux, sont garnis de balisiers, de passiflores à très-petites fleurs vertes, de fougères, d'une Nicotiane. Le floribundio ( datura arborea ) et le Plumiera à fleurs rouges sont les arbustes d'ornement que les Péruviens paraissent affectionner le plus. Les côtes méridionales sont garnies de prairies flottantes de macrocystes pyriferes; celles de Callao ne nous ont présenté que le macrocystis pomifera, remarquable par ses frondes entières, non dentées, et par ses formes gréles. Tel est l'aspect d’un pays visité chaque année par un grand nombre d'Européens, et où, malgré un court ZOOLOGTE. 251 séjour et des excursions bornées, nous nous sommes cependant procuré plusieurs espèces nouvelles d'oiseaux. Parmi les rapaces, nous mentionnerons en première ligne deux cathartes, que les lois du pays défendent et protégent contre toute agression, et dont les habitudes sont devenues tellement familières, qu'on les voit n'éprouver nulle crainte, et comme des oiseaux de basse-cour au milieu des rues et sur les toits de chaque maison. Leur utilité est d'autant mieux ap- préciée sous une température constamment élevée et sous un ciel où vit la race espagnole, que ces oiseaux semblent seuls chargés de l'exercice de la police relativement aux pré- ceptes de l'hygiène publique, en purgeant les alentours des habitations des charognes et des immondices de toute sorte que l'incurie des habitants sème au milieu d'eux avec une in- différence apathique. On nous a dit qu'une amende assez forte était imposée à quiconque tuait un de ces oiseaux , et le public en entier témoigna un assez vif mécontentement une fois que, cherchant à nous procurer pour nos collections un de ces vautours, nous tirämes sur un groupe de plusieurs individus. L'aura ou catharte à tète rougeûtre, que nous avons vu exister en abondance dans toute l'Amérique méridionale, est beaucoup moins commun à Lima que l'urubu ( vultur atratus, Wils., vol. IX, p. 75? ) ou catharte à la téte noire. L'urubu laisse exha- ler une odeur repoussante et nauséabonde, qui, même à une certaine distance, est encore très-forte, et qui atteste jusqu'à quel point ses goûts sont dépravés. La chevèche grise, qui se creuse des terriers et qui à pour habitude de se percher sur les mottes de terre, ést très-com- mune dans les champs. Les passereaux sont assez nombreux en espèces, et la plupart ont une livrée agréablement nuancée. Ainsi nous observames plusieurs moucherolles et gobe-mouches, et entre autres le 32. 252 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. rubin (muscicapa coronata, Gm.), et le tangara oriflamme; un chardonneret noïr et jaune, très-voisin du /ringilla xan- thorea de M. Charles Bonaparte ; le moineau olivarez, un loxie à plumage rouge, un troglodyte, etc. Proche Lima, dans des clarières, vit le petit bouvreuil, que nous avons nommé pyr- rhula Telasco; et dans les grands arbres du passeo, est assez e) commun l'ani inédit, que nous décrirons sous le nom d’ani de Las Casas ( crotophaga Casasi). Un fournier brun, flammé de fauve, habite l'ile dénudée de Saint-Laurent. Mais une des découvertes les plus intéressantes de notre très-court séjour sur la côte de Lima , alors agitée par les discordes civiles, est celle de plusieurs espèces d’oiseaux-mouches ; elle nous fait regretter vivement d'avoir été dans l'impossibilité de con- sacrer un temps plus long à des recherches toutes pacifiques, et qui auraient indubitablement augmenté le catalogue des êtres connus. Trois espèces d'oiseaux-mouches proprement dits voltigeaient alors, pendant les heures les plus chaudes du jour, sur les petits buissons de l’arbrisseau syngénèse, dont nous avons parlé. L'espèce la plus rare est celle que nous avons figurée pl. XXXI, fig. 4, sous le nom d'orthorynchus Cora, nom qui rappelle à notre esprit une touchante prétresse du Soleil : le corps et la tête sont d'un vert-doré brillant; la gorge a l'éclat de l'acier bruni avec des teintes de cuivre de rosette, et deux longues rectrices blanches , terminées de noir, dépassent de beaucoup la queue. La deuxième est l'oiseau- mouche Amazili, moins orné sans doute, puisque la moitié supérieure du corps est d'un vert-doré uniforme, et que la partie inférieure est d’un marron sans éclat métallique. La troisième espèce, très-petite, est d'un grisätre sale. Deux hirondelles, l'une à tête et à ventre d'un rouge ocracé et à plumage bleu-noir, l’autre à ventre blanc, sont les seuls fissirostres que nous ayons vus. Le martin-pécheur, dont Com- ZOOLOGIE. 253 merson a laissé un dessin dans ses manuscrits, sous le nom de camaronero, a les mœurs de celui d'Europe, et fréquente les rives du Rimac et des eaux vives qui s'y rendent : ses couleurs en dessus sont d'un vert métallique, et le déssous du corps est blanc ; le bec et les pieds sont noirs. L'étourneau blanche-raie des terres Magellaniques, que nous avons vu exister aux îles Malouines et au Chili, se retrouve au Pérou : ses couleurs y sont encore beaucoup moins vives que dans les deux localités précédentes. Plusieurs colombes peuplent Les environs de Lima. Une sur- tout , à peine de la taille d’un moineau , à plumage d'un fauve- gui- nolentes sur les ailes, aime à courir sur la poussière, dont elle clair, présentant des tach®s d'un rouge-noir et comme san a la couleur et qui la dérobe à la vue; Commerson l'a dessinée sous le nom de tortolita : ce sont les colombi-gallines pygmée et cocotzin. Les échassiers ont quelques espèces analogues à celles d'Eu- rope : telles sont les chevalier, pélidne, et corlieu, etc. Ce dernier a la teinte de son plumage beaucoup moins foncée que le corlieu de France. Les chevaliers sont ceux aux pieds jaunes et aux pieds courts. Mais un oiseau de rivage plus spécialement propre à ces côtes est la maubèche australe. Les palmipèdes, comme on doit le penser, sont les oiseaux qui s'offrent le plus communément aux regards du navigateur: ce sont ceux au milieu desquels il vit, sans néanmoins pouvoir les étudier à son aise; car la rapidité de leur vol et leurs habitudes au milieu des mers leur accordent une protection puissante et efficace. Les côtes de Lima nous ont toutefois donné quelques espèces nouvelles ; et dans une course sur l'ile de Saint-Laurent, nous y avons tué la belle sterne, que nous avons décrite sous le nom de sterna inca, et un cormoran inédit, que nous avons dédié à notre ami et collègue Gaimard , dont l'esprit aventu- 254 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. reux est tourmenté de la soif des voyages lointains. L'ilot de Saint-Laurent et ses falaises abruptes et désertes sont le séjour habituel de légions d'oiseaux de mer, parmi lesquelles, sans contredit, il nous reste plusieurs espèces à connaitre. Il nous suffira de citer quelques palmipèdes communs, tels que la mouette à tête cendrée, les sternes tschegrava et katelkaka, le fou blanc, le cormoran nigaud, le pélican brun, et le man- chot à lunettes ( aptenodytes demersa ), qui fréquente la rade; et n'est-il pas remarquable de voir ainsi un oiseau des latitudes les plus élevées et les plus froides du Sud s'avancer sous les latitudes les plus chaudes de l'équateur ? Il nous reste à mentionner un oiseau sur lequel les auteurs sont loin d'être d'accord. Nous voulons parler du procellaria urinatrix de Latham, dont feu de Lacépède a fait le type de son genre pélécanoïde, et qu'Illiger a adopté sous le nom d'haladroma. Mais les caractères de ce genre sont, suivant nous, itrès-mal définis, et ce mot de pélécanoïde, par exemple, ne nous parait pas heureux. Quant au petit sac membraneux et dilatable qu'on dit pendre sous la gorge du procellaria uri- natrix, malgré nos recherches sur un individu frais, nous n'en avons pas vu la moindre apparence, de sorte que nous avons cru devoir lui imposer le nom générique de puffinure, en pré- cisant très-rigoureusement les caractères du genre; et nous avons dédié l'unique espèce qui le compose à notre collègue Garnot, qui contracta sur la côte même du Pérou et au milieu des préparations nombreuses que nécessitaient nos chasses jour- nalières, la fatale dyssenterie qui, après avoir mis ses jours en danger, le forca de débarquer au port Jackson. Le puffinure de Garnot (puffinuria Garnotit) habite par grandes troupes assez loin des côtes, et nous le rencontrâmes à une dizaine de lieues en mer : un canot qu'on lança du navire par un temps de calme ne nous en procura qu'un seul individu. Il vole mé- ZOOLOGIE. 255 diocrement bien, d'une manière précipitée et en rasant la mer; mais il préfère se tenir en repos sur sa surface, et plonge très- fréquemment à la manière des grèbes, sans doute pour atteindre les petits poissons qui forment sa proie. À ce rapide apercu des productions animées de la côte de Lima, nous ajouterons quelques sauriens ; deux espèces de ser- pents, très-venimeux, dit-on, qui furent donnés au chef de notre expédition , et qu'il eüt été intéressant de faire connaitre ; quelques insectes rares ou brillants, entre autres le melolontha chrysochlora, divers mollusques. Les eaux douces de tous les fossés environnant Callao nourrissent une petite planorbe, qui ne diffère en rien de l'espèce de France; tandis que sur les côtes existent le concholepas, la crépidule et l'oscabrion péru- viens, que Dombey le premier fit connaitre, un pecten rouge très-grand , un oursin, etc. Enfin cette partie de l'Océan Paci- fique qui baigne la côte de l'Amérique du Sud mérite véritable- ment son nom de Pacifique; car sa surface, seulement ondulée par des vagues sourdes et profondes, est le plus ordinairement calme et unie : aussi y voit-on se développer de brillants z00- phytes mous et fragiles, qui le disputent aux fleurs par la vi- vacité de leurs couleurs. Mais un phénomène qui parait se reproduire avec assez de fréquence sur les côtes du Pérou, est celui de la coloration de la mer en rouge vif et par sur- faces réduites à des limites plus ou moins restreintes. Nous en fumes dupes une fois, en mettant en panne et en sondant sur ce que nous primes pour un haut-fond, et qui était tout simplement le résultat d'une prodigieuse quantité d'animal- cules qui teignaient la mer en rouge-foncé. Pour nous assurer de leur nature, nous primes de l’eau dans l'endroit où la mer affectait une teinte rouge de sang, et cette eau, renfermée dans un verre, conserva sa couleur blanche naturelle. En examinant avec une forte loupe quelques gouttes de cette eau 256 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. jetée sur du papier, nous y reconnümes des milliers de petits points rouges qui, imitant des crevettes d'une ténuité extrême, s'y agitaient avec une grande vitesse. Cette eau, filtrée, laissa déposés sur le papier joseph environ deux centigrammes d’une matière rouge, muqueuse, qui forma en se desséchant sur le filtre une pellicule qui passa à la couleur verte. Étaient-ce des œufs ? le mouvement de très-vive locomotion ne permet pas de le supposer : étaient-ce des zoophytes ténus, ou plutôt des crustacés microscopiques ? c'est ce que nous sommes portés à supposer. La rade de Callao est souvent rougie par des amas de crustacés longs d'un pouce, et ce fait a été fréquemment indiqué par les anciens navigateurs, et surtout d’une manière précise dans ce passage de la relation des officiers du Wager de l’escadre de l'amiral Anson ( ’oy. à la mer du Sud, in-4°; Lyon, 1756, p. 9) : « Ce que nous trouvames de plus remar- «quable au port Saint-Julien, ce fut une quantité prodigieuse «de petites chevrettes rouges comme des écrevisses, et qui «rendaient l'eau de la mer couleur de sang. » Payta, dont les environs ont un caractère d'étrangeté si pro- noncé et si opposé à tout ce que nous connaissons des diverses régions de l'Amérique du Sud, est une bourgade misérable placée à l'extrémité boréale du Pérou, par 5 degrés 6 4” de latitude Sud et par 83 degrés 32 28” de longitude occidentale. Ce point de la côte n'a qu'une faible importance militaire, et serait inconnu sans les ravages qu'y porta en 1741 l'amiral Anson, et que Jean-Jacques Rousseau a rappelés dans son roman le plus célèbre. C'est toutefois de Payta que Mendaña et Ferdinand de Quiros partirent en 1595 pour leur second voyage de découvertes dans la mer du Sud. La baie de Payta ne mérite point le nom de havre ou de port. Cest une sorte de petit golfe, nullement abrité au large depuis le N.-N.-O. jus- qu'au N.-N.-E. Mais les vents régnants soufflant du Sud et tou- ZOOLOGIE. 257 jours modérément, il en résulte un mouillage sûr, dont le fond est composé d’une vase olive tenace : quelques navires baleiniers ou contrebandiers sont les seuls qui viennent ancrer sur un point où on ne trouve aucune ressource. La bourgade de Payta, composée en grande partie de cabanes en terre, occupe un profond ravin sur le bord de la mer dans le S.-S.-O. de la baie : elle est dominée de toute part par un immense plateau régulier, qui s'affaisse un peu, dans sa partie Nord, vers le village de Colan. L'aspect du terrain est affreux; c'est tout-à-fait celui des sables arides des côtes d'Afrique : encore des palmiers au moins s'élèvent pour y former quelques bouquets de verdure; tandis qu'aux alentours de Payta l'œil ne découvre qu'une vaste plaine brülée, où apparaissent rarement sur les sables quelques herbes desséchées, ou, vers Colan seulement, quelques mimeuses tor- dues et rabougries. A l'horizon, au Sud, se dessine une chaine de petites montagnes, complètement nues, et au pied de la- quelle on se dirige pour se frayer une route jusqu'à Piura, ville distante de Payta de quatorze lieues, dont l'intervalle est en entier occupé par les sables dont nous aurons à parler par la suite. Payta enfin n'a ni végétaux ni eau douce, et c'est prin- cipalement de Colan, peuplé de descendants des anciens Pé- ruviens, qu'ils retirent ces deux objets de première nécessité. Ce village de Colan ne se compose que de cabanes bâties en terre ou en bambous, à environ deux lieues de Payta au Nord, et non loin de la mer. Une petite rivière ,.le Rio del Chira, qui prend sa source dans les montagnes de Guanguabanba, va se perdre dans des marécages qui rendent cet endroit malsain; car les Indiens eux-mêmes sont fréquemment atteints par les fièvres pernicieuses que leurs effluves font éclore. L'eau de la rivière de Colan est donc la seule qui serve à une grande distance pour la boisson des Péruviens : elle est renfermée dans Voyage de la Coquille. —7. Tome I. 33 258 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. de grandes calebasses, et portée sur de petits ânes à Payta et aux alentours. Mais cette eau contient beaucoup de sels ter- reux en dissolution, et elle ne contribue pas peu à l'insalubrité qui règne sur ce point de la côte, bien que beaucoup d'habi- tants se servent, pour la filtrer, de vases poreux, d’un grès qui se laisse traverser aisément. On nous assura que le lit, peu pro- fond et étroit à l'embouchure de cette petite rivière, était habité par des caïimans, dont l'espèce est probablement différente de celle qu'on connait dans les rivières de la Guyane et du Brésil. La température de la baie de Payta pendant notre séjour ( du 10 au 22 mars 1823) fut constamment chaude. Les vents régnants débutaient dans la matinée par des calmes, ou quel- quefois par de légères brises inégales de la partie du S.-S.-E. ou de l'E-S.-E. Vers midi, le vent prenait de la consistance, et rafraichissait alors l'atmosphère embrasée. Pour l'ordinaire, chaque soir vers six heures, l'air cessait d'être agité, et le calme le plus parfait accompagnait la disparition du soleil. La mer sur la rade était unie, à peine la moindre ride en ondulait la surface, et un seul jour (le 14) elle devint clapoteuse : très- souvent, le phénomène qui s'était présenté devant Callao de ses eaux teintes en rouge S'offrit à notre vue, et pendant la nuit elle scintillait par la phosphorescence la plus vive. Le ciel était remarquable par sa sérénité, quoique sa voûte d'azur, émaillée d'étoiles, füt toutes les nuits obscurcie par des nuages gris et détachés, qui s'opposaient aux observations astronomiques. La pluie tombe rarement sur la côte; mais lorsqu'il y pleut, ce sont des averses subites et abondantes, qui sillonnent le terrain par de profondes ravines. Les tremblements de terre se repro- duisent avec une constance qui atteste dans tout le Pérou le nombre des crevasses souterraines où leur cause productrice s'agite et fait effort. Nos observations physiques furent assez uniformément fixées à 28 pouces pour le baromètre, de 26 à ZOOLOGIE. 259 28 degrés centigrades pour le thermomètre à midi : la cha- leur répandue dans l'atmosphère le maintenait encore à 23-25 à minuit; tandis qu'exposé au soleil, à trois heures du soir, le mercure atteignait 48 degrés centigrades. La température de l'eau de la rade fut assez uniformément de 20 à 23 degrés à midi, et de 18 à 21 degrés à minuit. Tel est l'ensemble de la climature d'un pays que nous devons étudier maintenant sous le rapport de l’histoire naturelle. Toute la côte, depuis Payta jusqu'à Colan, ne se compose que d'une falaise abruptement coupée du côté de la mer, et dont le sommet forme un long plateau régulier, élevé de 37 à 4o toises à peu près, et qui s'abaisse seulement aux marécages dans lesquels se perd le Rio de Colan. Cette falaise littorale est ainsi la bordure naturelle d’une vaste plaine parfaitement unie, entièrement composée de sables marins stériles, qui s'étendent dans l'intérieur jusqu'à la ville de Pyura, distante de quatorze lieues de Payta, et jusqu'à la Sélla, petite chaine de montagnes schisteuses, situées à cinq ou six lieues seulement de ce dernier bourg et dans sa partié méridionale. Cette plaine ne se com- pose que de sables et de détritus de coquilles : nulles traces de sentiers ne demeurent long-temps sur un sol arénacé que les vents bouleversent fréquemment; nulles plantes n'y croissent pour le fixer par leurs racines, ou pour en détruire par leur feuillage l'aspect desséché et triste. Quelques éboulements ou des enfoncements du sol offrent seuls cà et là quelques arbustes brülés et rachitiques, croissant au pied des petites dunes qui les abritent. La base de tout le terrain est de formation primordiale et se compose de roches talqueuses phylladiformes. Ces roches se trouvent former en entier les côtes et les rivages du Sud-Ouest de Payta, ainsi que les montagnes de la Silla. Mais le plateau, au Sud de Payta, sur lequel on avait placé un fort, et qui est 33. 260 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. élevé d'environ 35 toises au-dessus de l'Océan, et entièrement de cette nature de roche, s'affaisse au Nord de ce bourg; car ce terrain de phyllade ne se trouve plus dans cette partie qu’au niveau des eaux de la mer, et supporte entièrement le vaste lambeau de sol tertiaire dont nous aurons à parler par la suite. Cette roche talqueuse phylladiforme est la réunion de feuillets dirigés de l'Est à l'Ouest, assez minces, d'un bleu-noirtre, friables à leur surface supérieure , durs et consistants dans leur portion la plus inférieure, et sillonnés dans le sens vertical par des veines inégales de quartz amorphe. La surface de ce terrain est extérieurement composée d'un schiste argileux, d'autant plus terreux et plus friable , qu'il est plus supérieur. Entre la formation primordiale et le terrain tertiaire existe une large crevasse ravinée : c'est là qu'est bâtie la bourgade de Payta. Les collines schisteuses sont au Sud, le terrain ter- tiaire commence aussitôt au Nord, et repose sur les roches primitives affaissées. C’est ce terrain de récente formation qu'il est surtout intéressant de faire connaitre, et dont la decouverte est aussi curieuse qu'importante, ainsi que l'a dit, avec bien- veillance, dans son rapport à l'Institut, le savant professeur Cordier. Mais ce qu'il y a de plus remarquable est l’analogie la plus grande que présentent plusieurs espèces de calcaires grossiers de Payta avec ceux des environs de Paris. Le lambeau de sol tertiaire se compose de couches ou bancs alternatifs, dont voici l’'énumération, en commencant par la formation de phyllade qui le supporte. 1° Roches talqueuses phylladiformes, terrain primordial. 2° Argiles plastiques. — Sable argileux, schisteux , traversé par des veines entrecroisées de gypse fibreux. — Grès quartzeux, ferrugineux. ZOOLOGIE. 261 — Sable argileux, schisteux ou compacte, avec des rognons et des pyrites martiales, des géodes quartzeuses. — Argile sablonneuse, grise, feuilletée ou parfois compacte. 3° Calcaire grossier. — Couche mince de débris de coquilles tassés et réduits en petits fragments, de consistance friable et de couleur très-blanche. — Couche calcaire, mince et sablonneuse, avec coquilles solidifiées, et de couleur jaune. — Couche épaisse d'environ un pied de carbonate de chaux mêlé de sables et renfermant encore des coquilles brisées, mais non décomposées. — Calcaire disposé par lits et renfermant un grand nombre de moules de coquilles; chaque lit étant séparé par des couches très-minces d’un calcaire sablonneux, friable, ou dont les molécules sont unies par un ciment très-peu tenace. De cette énumération pure et simple, on doit tirer cette conséquence géologique intéressante, que ce territoire dont nous avons assigné les limites dans les dépendances de Payta n'est sorti du sein des eaux que récemment. Ce sol tertiaire parait exister par lambeaux sur toutes les côtes du Pérou et du Chili. Les bancs épais de débris fossiles dont il est composé seraient des dépôts successifs précipités par la mer avec calme par lits réguliers et dans un temps assez court. Mais ces débris, presque. exclusivement formés de coquilles marines, ne mé- ritent pas le nom de fossiles proprement dits, puisque ce ne sont que des infiltrations calcaires dans des coquilles qui ont servi de moule, et dont les tests décomposés ou altérés ne subsistent plus. Quelques-uns de ces types intérieurs sont tou- tefois enveloppés d'un réseau calcaire, seule trace qui atteste la désorganisation graduelle de la coquille. Ces moules sont tellement multipliés, qu'ils composent presque en entier le calcaire de Payta : ils se rapportent tous à des coquilles encore vivantes sur les rivages, et qui sont des peignes, des vis, des vénus; ce qui rend remarquables les divers dépôts par assises 262 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. de ces mollusques, est la régularité avec laquelle chaque espèce semble, dans les couches les plus inférieures, composer uni- quement chacune d'elles. Mais à mesure qu'on s'élève, cette disposition uniforme disparait pour faire place à un tassement irrégulier de plusieurs espèces très-différentes, et c'est dans ces couches superficielles que se montrent les corbules, les arches, les huitres, les murex, et, tout-à-fait à la surface du sol, les balanes et quelques fragments d’ossements triturés. La hauteur moyenne de ces diverses assises, du sol primitif à la surface arénacée, est d'environ 150 pieds. Le calcaire gros- sier forme une écharpe dont les diverses couches peuvent avoir environ 22 pieds, et sont tout-à-fait supérieures. La mer a naguère recouvert le sol de Payta, et l'époque ne peut en être très-reculée. Bien qu'on ne puisse émettre sur ce sujet que des suppositions, on doit remarquer cependant que par toute la terre le dernier niveau des eaux parait avoir été fixé environ à 200 pieds. Les côtes de grès de la Nouvelle- Galles du Sud dans l'Australie; les calcaires madréporiques qui flanquent les terrains primitifs ou volcaniques des iles de l'Océanie et de la Polynésie; les attérissements de la Méditer- ranée dans le golfe de Nice, suivant M. Risso ‘; les observations de M. Brongniart dans le Nord de l'Europe : tous ces faits ne semblent-ils pas témoigner qu'à cette élévation fut long-temps maintenu le dernier niveau de l’eau? Que deviendrait alors l'opinion qui adopte des cataclysmes partiels ? Sur des sables que les rayons d'un soleil ardent atteignent sans être affaiblis, que les pluies n’humectent presque jamais, il ne doit rien croître. Ces deux principes de vie végétale, l’eau ‘ Histoire naturelle des principales productions de l’Europe méridionale, et plus particulièrement de Nice et des Alpes maritimes, par Risso; 5 vol. in-8°, 1826, tom. I, p. 146. ZOOLOGIE. 263 et la chaleur, n'agissent que simultanément. La chaleur sans eau dessèche les germes, l’eau sans chaleur les énerve et arrète leur développement. Cet état de choses est celui qu'on observe à Payta. Les sables qui environnent cette bourgade sont brü- lants comme ceux du Sénégal et du Sahara. Nulle rosée bien- faisante, analogue au garua des côtes de Lima, ne rafraichit leur surface; et les brumes épaisses qui s'élèvent de la mer et qui sont vaporisées , passent au-dessus sans s’y arrêter, et ne sont précipitées en pluie que sur les forêts des Andes. L'atmo- sphère de Payta est trop raréfiée pour permettre à l'humidité, maintenue dans ses couches supérieures, de se faire ressentir aux couches les plus inférieures, et par suite pour aider la vé- gétation à s'établir et à se propager. On nous a dit toutefois ces Do inférieurs, chargés d’eau et venant du large, procuraient des que, pendant l'hivernage de quelques années rares , les nua pluies abondantes, mais de peu de durée, et que, pendant ce court espace de temps, la surface du pays se couvrait, comme par enchantement , de graminées et de plantes charnues. Mais à peine ces pluies ont-elles cessé, que ces pelouses, magiques et nées de la veille, disparaissent pour ne plus renaître , ou du moins pour ne plus reparaitre que lorsque les mêmes circon- stances viennent à se reproduire. Dans nos herborisations réitérées, nous ne rencontrâmes jamais qu'un très-petit nombre de plantes; M. d'Urville n'en a recueilh au plus qu'une vingtaine d'espèces : encore la plupart de celles-ci proviennent-elles des bords cultivés du Rio de Chira. Un mimosa que les Péruviens nomment argoroba est assez commun dans les sables, où il n’atteint guère plus de trois à quatre pieds. Un autre arbuste, très-utile aux gens du peuple par la belle et solide teinture noire que ses gousses leur fournissent, est le mimosa chiaran, qui croit dans les mon- tagnes. Un autre mimosa, que les femmes aiment passionné- 264 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. ment, à cause de la douce odeur de ses fleurs réunies en tête, et qu'elles nomment aroma de Castilla, est l'acacie de Farnèse, et a été indubitablement importé d'Espagne. Dans les éboule- ments des dunes littorales, se plait un petit arbrisseau à feuilles très-longues et d'un vert foncé, qui est peut-être le capparis lénearis, et qu'on nomme sapota dans le pays. Dans les sables des bords de la mer, végètent une sorte de salicorne, appelée nacoupilla, une linaire à fleurs rouges, et une tetragona, nommée vulgairement lxra. Sans doute que l'akaco ou ocy- mum odorant de nos jardins, que nous rencontrâmes souvent auprès des cabanes de Colan, y a été naturalisé. Il en est de même d'un bon nombre de plantes et d'arbres à fruits, que les habitants cultivent dans les environs de ce village, et qui con- stituent des bosquets d'un verdure épaisse, et d'autant plus agréable, qu'elle forme un contraste plus frappant avec l'air nu et triste de tout ce qui les entoure. Par le tableau que nous avons tracé de la végétation des environs de Payta, il sera facile de concevoir que les animaux dont les végétaux assurent l'existence n'y sont pas nombreux. Les oiseaux terrestres en effet, et notamment les granivores , manquent complètement, à l'exception d'un seul, qui parait être un motteux. Cet oiseau , qui est peu commun, se tient sur les sables les plus secs et les plus arides, et son plumage, de couleur jaune terreuse, l'y dérobe aisément à la vue. Les prin- cipales espèces que nous observames appartiennent à l'ordre des palmipèdes ou des échassiers, qui s'ébattent par nombreuses tribus sur des côtes où pullulent les mollusques, ou aux acci- pitres, qui vivent de chairs animales, près des demeures des ha- bitants. Ainsi nous aurons encore à mentionner les deux cathar- tes aura et urubu, qui semblent régner sur toute l'Amérique. Le dernier, de la taille d'un petit dindon, nous présenta quel- ques particularités locales dans son genre de vie. Privé des ZOOLOGIE. 265 charognes, dont il fait ses délices ailleurs, son gout dépravé se rabat sur les matières que vomissent les flots sur les rivages; et là, fouillant les tas de fucus roulés et les débris de toute sorte, il trouve des aplysies, des poulpes, qu'il ne dédaigne nullement. Jouissant, comme à Lima, du privilége de ne jamais être in- quiété, 1l se perche sur les toits des maisons et se dérange à peine dans les rues pour laisser passer les habitants. L’urubu, malgré la grossièreté de ses penchants voraces, aime à se réunir aux oiseaux de son espèce. On en voit des troupes séjourner sur les petits bateaux de cabotage mouillés sur la rade et dont les matelots sont à terre, sy promener gravement et sans in- terruption à la manière des marins qui font le quart. Nous en- trevimes, sur les hautes collines qui bordent la mer, un petit épervier, une chouette, et surtout un oiseau de proie de forte taille, et dont la tête était recouverte d'une large huppe, que nous primes pour l'aigle destructeur de Daudin , type du genre harpie des naturalistes actuels. La rade est couverte de cormorans entièrement noirs, de la mème espèce que ceux du Chili et de Lima, et qu'on retrouve aussi sur toute la côte occidentale de l'Amérique. Nous avons déja dit combien était grande leur stupidité, ou plutôt leur confiance envers l'homme; car les voyageurs qu'on expédie pour accroitre le domaine de la philosophie, rapportant tout à leurs préjugés, ont nommé stupidité ce que d’autres nommeraient confiance et bon naturel. Après les cormorans, les oiseaux les plus nombreux sont sans contredit les pélicans, qui ne différent point du pelecanus Jfuscus de Gmelin, des îles Antilles. Les marins les nomment grands gosters, et les créoles espagnols alcataraz. Ces oiseaux se réunissent par tribus d’une vingtaine d'individus, et séjournent sur la surface de la mer pendant des heures entières sans se déplacer. Mais il ne faut pas croire qu'ils y restent dans une Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I, 34 266 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. molle indolence. Bien au contraire, leur activité pour remplir leur poche sous-rostrale de poissons est des plus vives, et la quantité qu'ils en prennent est considérable. Ces pélicans vont jusqu'à dix et quinze lieues au large des côtes, et se rencon- trent communément depuis Lima jusqu'à Payta. Leur plumage est d'un gris-brun assez foncé dessus comme dessous le corps. Le cou en devant est grisätre, et bordé sur les côtés de deux lignes blanches, qui partent de dessous les yeux. Les plumes de _ l'occiput sont noires, ainsi que celles du derrière du cou jus- qu'aux épaules; ce qui forme une calotte brune terminée par un prolongement de même couleur. La portion membraneuse du gosier est jaunâtre , et le bec est couleur de plomb. Le fou gris; le noddi; deux sternes ‘ ou hirondelles de mer , l’une à tête, bec et pieds noirs, nommée zoz/nco dans le pays, et l'autre rayador ; la mouette à tête cendrée, sont les palmi- pèdes les plus communs. La frégate fréquente beaucoup les côtes _ dans un rayon d'une vingtaine de lieues. Elle est remarquable au haut du ciel, où elle plane avec aisance , par la blancheur des plumes de l'abdomen, qui relève la couleur noir-foncée de toutes les autres parties du corps. À ces diverses espèces vul- gaires nous ajouterons quelques échassiers tels qu'une barge, un corlieu nominé perdix , une maubèche, et surtout un œdie- nème, que nous ne pumes nous procurer, et que les Péruviens ? On remarquera que, dans les Dictionnaires relatifs à l’histoire naturelle, la plupart des ornithologistes ont fait le mot sterne masculin. Le nom latin séterra ne doit-il pas porter les Français à le rendre féminin? Quel contre-sens d’ailleurs de dire une hirondelle de mer ou un sterne, en parlant du même oiseau? On objectera à cela que le nom vulgaire terr, usité dans les langues du Nord, et donné aux oiseaux de mer, est masculin : pourquoi alors n’en avoir pas latinisé le nom au masculin par le mot de sternus ? M. Vieillot nous paraît être le premier propagateur de cette manière de voir, qui rend le nom de sterne dur et mal sonore, de doux et de facile à prononcer qu'il est en le mettant au féminin. ZOOLOGTIE. 267 désignent sous le nom de quaréquec. Cet oiseau, de la taille d’un pluvier doré, avait le corps gris; deux cercles de plumes noires, contournant le dessus des yeux, se réunissaient sur l'occiput ; la couleur des pieds était verdätre. Nous tuàmes plusieurs tan- tale (tantalus loculator , L. ) à plumage blanc, à ailes et queues noires et à peau nue et écailleuse autour du cou. Les Espagnols de Payta appellent famingos la belle spatule rose { platalea aiaia). Nous observames des bandes nombreuses de cet oiseau agitant leurs ailes couleur de feu sur les petits lacs d'eau salée situés entre Payta et Colan ; et dans ce lieu solitaire, sur quelque roche à fleur d’eau, s'offrit à notre vue une aigrette à plumage d’une blancheur éblouissante , que les habitants nom- ment garca, et dont les formes grèles et gracieuses rappellent parfaitement celles de l'ardea alba, quoiïqu'on dise que cette es- pèce d'Europe ne se trouve point en Amérique. La baie de Payta n'est pas très-poissonneuse ; et quoique ses longues plages déclives soient très-propres pour senner, nous ne réussimes à prendre qu'une très-petite espèce de poisson, dont on aurait pu charger nos embarcations, mais qui est fort mauvaise. La rhinobate thouin, des pastenagues, des tetraodons, que les habitants nomment pepons, et la fistulaire petimbe (fistularia tabacaria, Bloch ), nommée anfa dans le pays, sont les objets les plus ordinaires que nous procura la pêche. Les rivages sont jonchés de débris de coquillages, que les flots accumulent sur les grèves ; ce qui atteste la fécondité de ces mers en ce genre. La plupart des testacés vivants sont identiques avec ceux dont on retrouve les dépouilles fossiles, du moins autant quil est permis d'en juger par les caractères extérieurs et malgré l'altération que les uns et les autres ont subie. Nous trouvames, non loin du village péruvien de Colan , une grande quantité de venus dione , grande et belle espèce de 5 bivalve très-estimée dans les collections, et que le rescac déta- 34. 268 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. che du fond de la mer et apporte sur le sable encore vivante. Les habitants nomment cette élégante coquille #rana do Colan, et l'emploient comme un moyen superstitieux de faire dispa- raître le gonflement des glandes parotides. Un bulle, la natice blanche , une colombelle , une volute , une tonne, la pyrule et des vis vinrent accroitre nos collections. Mais nous ne devons pas oublier la rare et belle natica glauca, observée par de Hum- boldt { natica patula, Sowerb., Zool. Journ., pl. V, fig. 4)’, dont nous avons rapporté plusieurs individus. Les bivalves ne nous offrirent guère qu'une huitre arrondie, recouvrant quel- ques rochers de schistes, les huitres feuille et plicatule, une telline, un solen, une assez grande pholade. Un pollicipes à pieds rouges et verruqueux se faisait remarquer sur les poteaux destinés à supporter le pont. Les crustacés sont abondants, surtout dans les genres maïa, cancre, squille. Les rivages sont émaillés par un ocypode, qui y est très-abondant, et dont les trous sont à se toucher. Les habitants appellent unias de la mar une espèce d'hippe, et mata- rakin un bernard l'ermite. Nous n'avons vu en insectes que la blatte d'Amérique, un scorpion petit et blanchatre , et plusieurs lépidoptères. Plusieurs astéries, plusieurs ophiures sont laissées à sec par la marée des- cendante; maisl'asterias helianthus , dont on ignorait la patrie, et qui est remarquable par son disque arrondi et couvert de verrues blanches pédicellées, et par ses bords divisés en un grand nombre de lobes, couvre les rochers entre Payta et Colan. Des holothuries, une grande aplysie, des actinies nécessite- ! Elle est aplatie, orbiculaire, largement ombiliquée en entonnotr; une callosité simple, grande, d’un brun foncé, se contourne en spirale en descendant dans l’ombilic : l'ouverture est grande, très-oblique; elle est en dehors d’une couleur fauve, cendrée ou brunâtre; en dedans, elle est d’un brun foncé. ZOOLOGIE. 269 ront de notre part, et dans d'autres parties de cet ouvrage, une description plus détaillée. KE ILE DO-TAÏTI ( ARCHIPEL DE LA SOCIÉTÉ ). (Du 3 mai au 22 du même mois.) Le 22 mars 1823, la corvette {a Coquille abandonna les côtes du Pérou pour cingler à travers le grand Océan Pacifique, vers les iles océaniennes, vantées par tous les anciens navigateurs, et se diriger vers O-taiti, à jamais célèbre en France par les récits naïfs et pleins de charmes de Bougainville. Bientôt elle s'engagea dans les iles basses coralligènes des Pomotous, con- nues en Europe sous le nom d'archipel de la mer Mauvaise ; et ces iles basses, que ne recouvrent que quelques parcelles de sol, que les vagues sembleraient devoir engloutir à chaque tempête qui les bouleverse, ces iles supportées par des plateaux de corail, ombragées par des forêts de cocotiers, rafraichies par les brises de l'Est, forment un problème de géographie phy- sique on ne peut plus intéressant, et auquel nous consacrerons un long examen dans un travail qui leur sera spécialement con- sacré. Le 2 mai, l'ile de Maïtea, ou le Pic de la Boudeuse de Bou- gainville nous apparut au loin comme l'annonce du voisinage d'O-taiti, dont nous eumes en effet connaissance le lendemain. Dans la partie historique de notre voyage, cette ile sera sans doute envisagée sous tous ses rapports moraux et physiques ; 270 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. mais nous ne devons présenter ici qu'un tableau rapide de son ensemble, et l’étudier par conséquent sous le seul point de vue de ses productions et de sa constitution géologique. Taïti, ainsi nommée par ses habitants, nom que les Francais ont l'habitude d'écrire O-taitr, et les Anglais Oraheite et Tahiti, est située ( pornte Venus) par 17° 29 21°S., et 151° 49 18” de long. O., par conséquent dans une zone dont la température n'est pas trop échauffée, et qui est fréquemment rafraichie par des pluies condensées et attirées par les épaisses forêts qui en recouvrent les hautes montagnes. L'aspet d'O-taiti est enchanteur : ses pics volcaniques, qui s'élèvent dansles nues, s'abaissent graduellement à leur base pour se perdre à la mer ; des gorges profondes , des vallées sinueuses, des colonnades de basalte, des rivières qui en descendent, coupent en divers sens les chaines des principales montagnes: les bords de l'ile sont formés par un plateau horizontal et bas, constamment frais et humide et couvert de cocotiers. Tout le reste de l'ile ne forme qu'une masse de verdure, où les plantes nourricières mêlées aux arbustes sauvages , entrelacées par des lianes vivaces, forment un lacis inextricable. La température, pendant notre séjour, n'a jamais dépassé 30° du thermomètre centigrade à midi et à l'ombre, et n'a pas été au-dessous de 27° ; son terme moyen était de 29°; à minuit, le maximum indiquait 27°, le minimum 24°. Le baromètre s’est maintenu à 28 pouces. La température des eaux de la mer était généralement de 27°; la nuit, elle était d'un degré inférieur seulement. L'hygromètre à cheveux indiquait toujours une sa- turation complète. La température de Taïti est chaude et en même temps hu- mide ; l'atmosphère tient sans cesse en suspension une grande quantité d'eau : aussi est-il rare de voir un jour s'écouler sans nuage et sans que des averses se manifestent de temps à ZOOLOGIE. 271 autre. Les pitons élevés de l'Oroena se découvrent rarement dans leur entier, et le plus ordinairement ils sont voilés par d'épaisses écharpes de nuages noirs. Il pleut fréquemment dans les gorges des moutagnes lorsque le plus beau temps règne sur la côte. Pendant notre séjour, la presque totalité des journées fu- rent pluvieuses : aussi l'humidité et la chaleur, ces deux sources de vie, rendent-elles la végétation d'O-taïti extrémement bril- lante et active. Souvent, dans les beaux jours, un calme par- fait règne dans l'atmosphère ; mais, lorsque le vent s'élève, il souffle par grains , auquels succèdent et du calme et de petites brises. Les vents de la partie de l'Est règnent plus ordinairement dans le mois de mai. L'ile d'O-taïti est le résultat d'une agglomération de monta- gnes volcaniques, dont les cimes sont élevées et les pieds bordés par une lisière de terres plates, produites par le détritus du sol accumulé dans les parties les plus inférieures. Cette lisière est aussi la partie fertile et productive de l'ile, et celle que les ha- bitants ont choisie pour établir leurs demeures. Les montagnes d'O-taiti semblent ne constituer qu'un seul plateau, dont le mont Oroena ‘est le point culminant. Fous les autres pitons ne sont que des sommets de monts secondaires qui s'irradient vers le pourtour de l'ile : ils sont séparés par de profondes crevasses, par des précipices, par des vallées où serpentent de petites ri- vières. Souvent les flancs brusquement coupés de ces montagnes sont colorés en rouge vif par une sorte d'argile ; tantôt de hautes murailles basaltiques les terminent brusquement , et tranchent par le noir de leurs colonnades , dans les interstices desquelles se cramponnent quelques arbustes, avec la teinte verdoyante et fraiche des masses végétales, qui partout ailleurs en voilent les surfaces. 1 On lui donne 3,323 mètres d’élévation. 272 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Ainsi cette ile si séduisante par la riche végétation , que l'œil suit partout sans interruption; cette île dont le sol de la côte est tellement fertile, que les arbres nourriciers des O-taïtiens viennent sans soins fournir à ces insulaires la base de leur exis- tence , O-taiti n’est que le résultat de déjections volcaniques, et son sol est empreint partout des traces du feu qui lui donna naissance. Les laves, les ponces, les matières vitrifiées qu'on rencontre communément, réunies aux dolérites et au basalte qui forment son ossature, viennent partout affirmer cette ori- gine, et nous savons qu'elle est commune à toutes les iles hautes de la mer du Sud. O-taïti, Eymeo, Huahène , Taa , Borabora et Maupiti, qui sont les terres les plus considérables de l'archipel de la Société , forment une chaine d'iles volcaniques qui s’'avance à l'Est vers les Pomotous, et s'arrête à Maïtea ou pic de la Bou- deuse, puis se continue à l'Ouest, par divers petits groupes, avec les archipels de Tonga et des Navigateurs. Les coteaux élevés qui terminent le rivage entre le district de Pari et la baie de Matavai sont en entier d'une belleespèce de dolé- rite. Les galets que roulent les petites rivières et qui forment leurs lits, sont des fragments de trachytes ou de laves poreuses, dans les vacuoles desquelles se trouvent encore des fragments de matières vitrifiées; des portions de laves soumises à l’action de l'air extérieur se délitent et se désagrègent en un sable terreux. Les Taitiens nomment le basalte oreate , et totoaié une belle es- pèce d'obsidienne avec laquelle ils fabriquaient leurs haches et leurs instruments sacrés, et qu'ils vont chercher sur une mon- tagne appelée Papeïda , couronnée par un large cratère, aujour- d'hui remplacé par un lac d'eau douce. Le fer à l'état d'oxide est abondamment répandu dans cet ancien terrain igné; les mis- sionnaires nous ont même assuré qu'ils avaient découvert, dans la partieSud d'O-taiti, une mine facile à exploiter de cet utile mé- tal. Quant au basalte, nous avons dit qu'il constituait d’épaisses ZOOLOGIE. 273 murailles dont les colonnades étaient mises à nu dans quelques gorges profondes de l'intérieur de l'ile; et à ce sujet, nous croyons devoir décrire celle qui est regardée par les naturels comme une grande curiosité d'O-taiti , et qu'ils nomment Pya. Banks ne parait l'avoir décrite que d’après le récit des habitants ; et Forster, à notre connaissance, est le seul qui l'ait visitée. Nous extrairons de notre Journal le récit de cette excursion, dont la fidélité donnera de ces climats une peinture exacte. Le 4 mai 1823, nous nous dirigeàmes vers le Pya ; les hauts pitons de l'Oroena n'étaient point enveloppés de ces ceintures de nuages qui les recouvrent ordinairement : tout nous semblait promettre un jour pur et serein. Nous suivimes le cours de la rivière de Matavai , dont les sinuosités nous forcèrent à la tra- verser plusieurs fois. Les naturels la nomment Æ/aonou ; partout elle est guéable, et souvent encombrée par d'énormes quartiers de rochers. La vallée s'enfonce et se rétrécit; plus on s'avance vers l'intérieur, plus les eaux sont embarrassées et forment des chutes ou des rapides de médiocre hauteur ; la vallée se resser- rant toujours, devient ensuite une gorge étroite et presque im- pénétrable, au fond de laquelle coulent les sources de la rivière, dont les bords sont rendus impénétrables par des masses de vé- gétaux entre-croisés et pressés; le seul sentier frayé est donc le milieu du Haonou , encore faut-il gravir sans cesse des ébou- lements considérables et franchir d'énormes blocs de rochers. Le soleil ne réchauffait point cette gorge étroite; les monta- gnes qui en formaient les parois latérales et rapprochées étaient couronnées de tant de végétaux, qu’à peine un jour triste et sombre pouvait y pénétrer. Cette grande fraicheur, unie à une humidité perpétuelle, parait singulièrement convenir à la famille des fougères : aussi nulle part on ne trouve en plus grande abondance les cyathées arborescentes, les scolopendres à larges feuilles, les aroïdes et les pandanées. Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 35 274 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. La coulée basaltique, connue sous le nom de Pya , occupe le revers oriental du mont Oroena ; elle est distante d'environ six milles de la pointe Vénus. Son étendue du Nord au Sud est d'environ deux cents pas, sur une élévation qu'on peut estimer à cent cinquante pieds au plus; sa surface se compose de prismes régulièrement accolés les uns aux autres; tous ces prismes ont cinq faces, et chaque face a huit pouces de largeur. Ses colonnes pentagonales sont brisées en beaucoup de points, et surtout dans la partie Nord. La portion supérieure de la muraille qu'elles con- courent à former est recouverte d'une masse d'arbustes d’entre lesquels tombe une épaisse nappe d'eau, qui est une des sources du Æaonou. Cette petite rivière, en ce lieu, a peu de largeur, et elle filtre à travers des masses de roches tellement considé- rables , qu'il est impossible de pénétrer plus avant. La grande humidité de ces lieux solitaires permet à des forêts de bananiers sauvages de croître, même sous la roche nue, en pelouses ser- rées. La portion vraiment solide de l'ile, si je puis m'exprimer ainsi, est constamment enveloppée, dans toutes les autres iles de l'archipel de la Société, de petites iles basses appelées motous, ilots dont la formation toute spéciale est le résultat du travail des polypiers madréporiques. Comme l'ile de Taïti n'a que fort peu de ces ilots de corail, mais qu'elle est au contraire entourée d'une ceinture de récifs à fleur d'eau, destinés un jour à former eux-mêmes des motous, nous parlerons plus spécialement de ces créations neuves, lorsque nous aurons à décrire l'ile de Borabora et ses annexes, très-intéressantes sous ce rapport, et qui peut servir de type pour expliquer cette sorte de créa- üon géologique. | Presque partout, l'eau des nuages, condensée, s'échappe en gerbes, et jaillit au milieu des masses de plantes les plus touf- fues. Nulle part, en effet, la végétation n'est plus variée que ZOOLOGIE. 275 sur les sommets des montagnes, et c'est même là seulement que le botaniste peut espérer aujourd'hui trouver des plantes rares et nouvelles. Avant de s'enfoncer dans les sentiers ardus de ces cimes escarpées, il est nécessaire d'avoir un guide, et encore plusieurs des montagnes ne peuvent être visitées. C'est la patrie des fougères, surtout des élégantes cyathées. Cette famille est très-variée à O-taïti, et nul doute qu'elle ne puisse offrir des découvertes à faire à un explorateur intrépide. C'est là que se trouvent de hautes fougères arborescentes, imitant le port des palmiers, des arbres nombreux et variés, tels que des figuiers, un vaquois sans épines, un bananier , et des bambous de formes tres-diverses. La partie moyenne des montagnes est couverte de trois espèces de fougères : une entre autres, appelée erimou, Sert aux naturels à imprimer des dessins sur leurs étoffes ; la canne à sucre y croit à l’état sauvage, et y forme des sortes de champs remarquables par la hauteur de leur chaume, qui atteint plus de six pieds. Un indigotier frutescent, et le char- mant mnetrosyderos à sommités velues, et à fleurs d'un rouge- ponceau éclatant, nommé pou-a-rata, y sont les arbustes les plus ordinaires. La Botanique de Taïti présente un bon nombre de plantes qui se retrouvent sur toutes les iles du Grand-Océan, entre les tropiques, et qu'on observe communément dans les Moluques et jusqu'aux iles de la Sonde. La végétation rivulaire de la rivière de Matavai, et de la vallée étroite qu'elle arrose, est très-active, quoique peu variée. Les bords de cette rivière sont occupés par des prairies ou plutôt des lisières formées par un gramen appelé matice ( paspalum ? ., qui y est touffu et génant pour la marche : des marchanties et des jungermannia couvrent les rochers humides, sur lesquels filtre sans cesse une eau limpide. Une petite Ænarre, très-jolie, croit çà et là dans les interstices, ainsi qu'un prper rampant 3). 276 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. et à feuilles charnues. Une fougère très-rameuse (anouai) et une large scolopendre croissent dans tous les rochers et dans les bouquets de bois , qui bordent cette vallée {metou à boua. On y trouve l'erooua (urtica argentea) , dont les fibres four- nissent les meilleures cordes; un beau phaseolus, probable- ment le caracolla, qu'on nomme pubr ; et, à chaque pas, on est accroché par les fruits d'une graminée nommée piripire, très-incommode et très-mulhtipliée. Les plantes qui croissent dans les stations inférieures se res- semblent toutes. On les retrouve également dans les ravins : c'est un scirpe, c'est le pouroumou ( malvacée), un physalis, un liseron volubile ; l'Acbiscus esculentus , une persicaire, une petite cucurbitacée {caca , le menonot& ( verbesine ?), une graminée appelée moou, etc. Les grands arbres, tels que les rima, les cocoters, per- mettent, sous leur ombrage, à une végétation plus humile, de croitre dans un sol frais. Aussi le curcuma , appelé erea, y est-1l très-commun, de même que le pouar (convolvulus pes capræ) , un énorme liseron qui enlace plusieurs arbres à la fois, et les couvre de son vaste feuillage et de ses larges fleurs. C'est aussi dans cette localité que se trouve le tacca pinnatifida, ou pra ; le tit ou espèce de maranta, qui croit aussi très-bien dans les mon- tagnes. C'est parmi ces plantes que l'on trouve des buissons de nono (morinda citrifolia), de tirae (Gardenta florida), d'aoutai (läbiscus rosa sinensis), de piquipiouio [abrus precatorius ), un joli mimosa, l’Acbrscus trilobatus , une orchidée, nommée o4oë, à fleurs enveloppées dans des écailles pleines de mucilage et colorées en rouge; le te, plante qui servait à la nourriture dans les temps de disette, mais dont nous ne vimes point la fleur ni le fruit. | De toutes parts, des végétaux remarquables forment des groupes imposants. L'arbre le plus commun de l'ile, le pourao ZOOLOGIE. 297 (hibiscus tiliaceus ) et le populneus du même genre, ainsi que le fara (pandanus), auquel toutes les expositions conviennent , en s’unissant aux touffes d'arbres à pain (ourou.) et de cocotiers (aari ), au mapé et au tiairi ( aleurites triloba), composent des massifs d'une rare beauté. Mais rien n'égale l'agrément des voutes du Baringtonia * ( houtou), opposé au feuillage filamen- teux de l'aeto (casuarina equisetifolia ); aux feuilles argentées du taanou ( Tourneforta argentea ); au vert gai et gracieux du toumanou ( calophyllum inophyllum ); au tarnioa ( gui ? ), qui les enlace; au rtnité ( papayer ) qui s'élève comme une colonne roide au milieu des larges feuilles déchirées du meia ( bana- nier ) ou du #anina. Tel est l'aperçu rapide qu'il nous suffit de donner de la Bota- nique taïtienne pour remplir notre but. Seulement il nous paraît plus utile d'offrir quelques renseignements sur les végé- taux nourriciers des insulaires. La nature semble avoir tout fait pour l'existence des O- taïtiens : elle leur a prodigué les substances alimentaires sous toutes sortes de formes ; elle y a joint un sol fécond et pro- ductif, couvert de végétaux usuels, et pour lesquels la culture est peu utile. Sous un ciel tempéré, entourés de fruits savoureux, de racines nutritives, les Taïtiens devaient contracter dans leurs habitudes cette mollesse et cette douceur de mœurs qu'on'a reconnu faire le fond de leur caractère indolent et enclin aux plaisirs des sens. Au premier rang des arbres utiles qui croissent sur ce sol productif, et qui reçoivent une sorte de culture, sont : l'arbre à pain, que l'on multiplie par la transplantation de ses raci- nes, et que l'on protége pendant les premières années de * Le Baringtonia ne croît que sur le bord de la mer, très-souvent le pied baigné par l'eau salée. 278 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. sa croissance ; le cocotier , dont on enfonce les noix au moment de leur germination, et dont on garantit les stipes pendant leur jeunesse; le bananier, qui est aussi soumis à de légers soins, etc. Peut-être lira-t-on avec intérêt quelques détails sur les plantes usuelles de la Flore taïtienne. L'arbre à pain est nommé par les naturels ourou , et son fruit maiore ; les Sandwichiens l'appellent également ourou , qu'ils prononcent oulou : c'est le réma des iles Moluques, et le jaquier à feuilles découpées des auteurs { artocarpus incisa. Divers voyageurs ont dit que l'arbre à pain comptait un grand nombre de variétés : malgré tous nos soins, nous n'en avons rencontré que deux, que les naturels distinguent, et auxquelles ils ont consacré les noms de 7naïore maoui, pour désigner la variété à folioles moins découpées que celle qu'ils ont appelée maioré theoa , dont les feuilles sont déchiquetées presque jus- qu'aux nervures. | Le port de cet arbre est élégant ; son tronc est droit , sa tête est souvent mutilée ; mais un large feuillage d’un vert sombre, épars sur le sommet des rameaux, forme une sorte de large parasol ; les feuilles sont alternes. Celles de la première espèce sont très-découpées ; celles de la secoude sont effilées en lanières plus étroites , de sorte que la nervure n’est souvent bordée que d'une aile légère. Le fruit est ovalaire, terminal ou axillaire ; il est gros comme un boulet de 36 : sa surface extérieure est verte, parsemée d'aréoles. Son parenchyme est blanc. Les graines sont toutes avortées. Il ne se mange que rôti. Avec le tronc de cet arbre, on fabrique tous les ouvrages de charpente qui demandent de la solidité : les pirogues sont con- struites avec ce bois, dont l'écorce fournit des vêtements. Par tous ces avantages, l'arbre à pain est trop précieux pour qu'on ne cherche point à le renouveler et à le multiplier : aussi les naturels ont-ils le soin, lorsqu'ils ont planté de jeunes rejets, ZOOLOGIE. 279 de leur faire un entourage protecteur, et d'arracher les mau- vaises herbes qui croissent au pied. Le marore ne produit point de graines, et l'arbre prend très-difficilement par bouture, de sorte qu'on est réduit à transplanter les rejets radiculaires. Souvent nous avons vu employer ce moyen, qui parait être le seul usité ; et lorsqu'on détruit un vieil arbre à pain, le sol se couvre bientôt de jeunes rejetons. Cet arbre précieux est très- long à croître, de sorte que le grand nombre de ceux que les missionnaires ont fait abattre pour construire leurs temples, ne sont pas encore remplacés, et ont de beaucoup diminué les ressources des habitants , qui peuvent un jour ressentir de cruelles disettes , résultat de cette mesure imprévoyante. L'arbre à pain ne produit ses fruits que pendant neuf mois ; il se plait sur les bords de l'ile et dans les lieux frais. Il ne croit que très-rarement à quelques centaines de toises au-dessus du niveau de la mer, et on en voit bien peu dans les bas ravins des montagnes : les plus grands produits de la récolte seretirent en mai et Juin. Apres le jaquier, on ne peut se dispenser de parler du coco- tier, Si éminemment utile , et qui emporte peut-être sur celui que nous avons placé avant lui. Ce précieux palmier couvre les iles de la mer du Sud. Son long stipe, couronné par un brillant faisceau de palmes, atteint jusqu'à 80 pieds et plus. Sans cesse il porte des fruits, les uns parvenus à maturité, les autres encore en fleurs et en boutons. Les Taïtiens en ont coupé un grand nombre , dans ces dernières années, pour jeter des ponts sur les ravines, par l’ordre des missionnaires. Ses feuilles ser- vent à faire des paniers ; son fruit présente le mets et le breu- vage, sous le nom de toto nadi : il est mangé en bourgeons, sous le nom d'eouto. Sa coque fournit leur vaisselle; sa chair, lorsque la germination s'effectue, est pour les Taïtiens un ali- ment délicieux. L'enveloppe florale sert de vase à vider l'eau des 280 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. pirogues ; et, avec la toile qui isole les feuilles à leur base , les habitants de Borabora se fabriquent des vêtements qui ont la forme de nos habits, et qu'on nomme eua. Les Taïtiens appel- lent le cocotier aart, le lait émulsif de la noix pape aari : aux Sandwich , ce palmier est nommé riou. Ce végétal prête un charme particulier aux paysages de l'Océanie. Il s'élève généralement sur les bords de la mer, qu'il préfère, et où il atteint ses plus grandes dimensions. Il couvre les iles de corail, et les motous de Borabora , de Maurua, et de Raïatea. [l se rapetisse dans sa taille, à mesure qu'il monte sur les collines , et ceux qu’on y voit sont généralement peu élevés; car ce palmier s'arrête vers 150 toises au-dessus du niveau de la mer, et encore n'atteint-il cette ligne que sur des mon- tagnes favorisées ; bien rarement il dépasse ce terme. Le plus grand avantage qu'on puisse retirer du cocotier pour le commerce, est l'huile que fournit sa chair, et qu'on appelle, dans l’île, mort, quand elle est pour bruler, et monoë , lorsqu'elle sert aux frictions et à oindre les cheveux. Le pro- cédé que les naturels emploient pour retirer l'huile, estsimple, et c'est principalement à Borabora que nous l'avons vu prati- quer. Il consiste à conserver long-temps en tas les cocos murs, et à ràcler la chair en fragments minces, qu'on triture avec les mains dans une petite pirogue consacrée à cet usage, et quon élève au-dessus du sol. On a soin d’abriter la masse de la chair par une petite toiture à faux frais, et on laisse cette masse soumise à l’action de la chaleur et de la fermentation. Elle prend bientôt une couleur jaune foncée, à mesure que l'huile se dégage. Lorsque l'opération préliminaire est à point, on soumet à la presse cette chair de cocos broyée et fermentée, et l'huile s'écoule. L'instrument pour presser cette huile est égale- ment peu compliqué. Qu'on se figure le tronc très-vieux d'un Baringtonia, entaillé assez profondément en carré; une plan- ZOOLOGIE. 281 che épaisse d'arbre à pain y est engagée , et son extrémité libre est soutenue par des pierres. Sa surface est déclive, et a deux rainures latérales, se réunissant pour former une rigole sur un des côtés. Par-dessus et dans l’entaille, on engage un madrier de la mème largeur que la planche épaisse du dessous. Son extrémité est longue pour faire levier, et, par ce moyen, on presse la substance du coco qu'on a renfermé dans une toile naturelle, qui entoure les pétioles des feuilles de ce palmier. Un homme se place au bout du levier , et, par le seul poids du madrier, uni à la force qu'il emploie, il parvient à exprimer toute l'huile, qui s'écoule dans les rigoles et tombe dans un tube de bambou destiné à la recevoir, et nommé ohe. Ces bam- bous sont la seule mesure de capacité employée et reconnue dans toutes les iles de la Société; ils sont longs de deux pieds, et coupés entre deux nœuds. Celui du sommet a son diaphragme percé; l'huile qu'on y met ne peut s'écouler, parce que c'est la seule ouverture, et qu'on la bouche soigneusement ; et cette huile est destinée à ètre échangée ou donnée en tribut, mais elle conserve toujours une odeur de rancidité dégoutante. On a calculé que vingt cocos donnaient un bambou d'huile, que 700 bambous formaient un tonneau; ce qui produit le nombre effrayant de 14,000 cocos par tonneau d'huile. Le bananier croit abondamment à Taïti; les naturels le nom- ment meia’. Les lieux qu'il préfère sont humides et dans la plaine, quoique ce soit le végétal qui, dans cette ile, s'élève à une plus grande hauteur. On trouve en effet sur les monta- gnes une espèce de bananier qui croit spontanément, à plus de $ 600 mètres d'élévation au-dessus du niveau de la mer. Nous ne 1. Bonne espèce , oraya. © Bananes-meïa { 2. Plantain de cheval , paparoa. 3. Banane de montagne, fayi. Voyage de la Coquille. —7. Tom. 1. 56 282 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. savons où on a recueilli les détails, qu'on lit dans les ouvrages, de dix-sept espèces de bananes existantes à Taïti. Dans les dis- tricts que nous avons parcourus, nous n'en AVONS Vu que trois : la banane gurneos (oraya), à fruits jaunes, butireux et sucrés ; une deuxième espèce /paparoa), à régimes très-fournis de fruits très-gros et très-longs ; une troisième enfin (fayt), dont la peau était orangée. Il y a des centaines de bananes à cha- cun des régimes de ces deux dernières espèces; mais leur gout est médiocre, et leur chair peu agréable. Peut-être cela tenait-il aux pluies qui inondèrent celles que l'on apportait à bord? Les naturels font avec ces fruits des conserves agréables. Le faro est la racine qu'on appelle dans nos colonies chou caraibe, arum esculentum (caladium)) : il s'en fait une grande consommation , et on en tire une belle fécule qui sert à gommer les étoffes, ou qu'on utilise comme aliment. On cultive cette plante dans des mares ou sur le bord des eaux, de manière à ce qu'elle ait ses tiges constamment baignées : elle est indigène, car les gorges profondes des vallées en sont remplies. Une autre espèce d'arum, à très-larges feuilles, nommée apeoa, est également comestible : elle atteint une grande taille, et son tubercule acquiert jusqu'à plus de dix livres de poids. Mais la fécule se trouve mélée à un principe àcre, qui nécessite de nombreux lavages avant de s'en servir. Les Taïtiens em- ployaient cette fécule comme le vrai pya pour gommer leurs étoffes de papier et les coller. Ils nomment yappi une espèce de taro qui croit dans les montagnes, et ils lui reconnaissent plusieurs variétés, entre autres les mapoura et les die. Les ignames, nommés eour, ainsi qu'une sorte de patate douce, très-volumineuse, nommée oumara, sont abondants. Une plante rampante, volubile et qui s'élève dans les buissons, porte à ses articulations des tubercules parfaitement analogues ZOOLOGTE. : 283 aux pommes de terre, dont ils ont l'apparence et la couleur. Ses feuilles sont en cœur, et son port a quelque analogie avec celui du tamne. Dans les années de disette, on mangeait les racines d'une plante appelée téve (tacca phallifera, Rum- phius), dont le port est analogue au tacca, mais qui en dif- fère par ses tiges charnues et hérissées d'épines. Le tacca pinnatifida est lui-même très-employé. Son plateau radicü- laire fournit un aliment nourrissant, et cette plante croit sau- vage dans les prairies et sur les revers des montagnes abritées. Les naturels la nomment pya, et en retirent une abondante fécule à laquelle les Anglais ont donné le nom d’Æ7row-root. Une plante de la famille des drymyrhizées, appelée #?, qui végète à l'ombre des bois, a de tres-fortes racines blanches, qui fournissent aux habitants du sucre et une sorte de rum et aussi de la fécule. Ses feuilles, d’un beau vert, sont oblongues et larges. C'est sans doute un maranta. Autrefois les naturels en tiraient par la fermentation une liqueur qu'ils nommaient ava, aussi bien que celle obtenue du piper methysticum. Le gingembre couvre les lieux ombragés de l'ile; les naturels le récoltent pour vendre à bord des navires, et ses racines y ac- quièrent toute la chaleur et la vivacité du principe aromatique qu'elles possèdent dans l'Inde ". La canne à sucre, nommée foa aux iles de la Société, et toou aux iles Sandwich, est indigène à Taiïti: c'est le sac- charum spontaneum des auteurs. Cette cannamelle est cultivée négligemment proche des cabanes, où elle sert pour les bes- tiaux; elle croit dans un état sauvage en beaucoup d'endroits. Seulement , elle est rare à Borabora, où n'existe point l'espèce cultivée. Ses tiges, plemes d'une quantité notable de sève * L’Fhuogi est une fougère qui croît dans les montagnes, et dont la racine est excellente à manger. 36. 284 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. sucrée, atteignent en hauteur plus de huit pieds. Les es- paces des entre-nœuds sont grands, et l'épiderme est coloré en rouge. Leur circonférence est variable, mais toujours de forte dimension. Les naturels ne se servent nullement de la canne, et c'est en vain quon leur a montré qu'on pouvait en reti- rer un principe sucré cristallisable. | ” Parmi les fruits que produit Taïti, nous placons au premier rang, par son abondance, comme par son gout, celui du spondias dulcis de Forster, appelé pomme de la nouvelle Cyrthère par Bougainville, et y par les Taïtiens. C'est à tort qu'on écrit ce mot dans les ouvrages botaniques Æ£wy., et plus mal encore Æe- vy. Ce fruit est de la grosseur d’un citron : sa pellicule est lisse et colorée en vert avant sa maturité, en jaune brillant lors- qu'il atteint sa perfection. Son noyau central est ligneux et filamenteux. Il suinte de cet arbre une gomme transparente, nommée fapou, que les Taïitiens emploient pour calfeutrer les joints de leurs pirogues. L'arbre qui produit ce fruit croit abondamment sur les co- teaux, dans les ravins des montagnes; il est planté autour des cases. Son tronc acquiert souvent une taille énorme, et il sert alors à faire les grosses pirogues doubles, dont il fournit la partie flottante. Son bois est blanc, mais dur. Les rameaux sont nombreux et étalés. L'écorce est crevassée. Les feuilles sont composées, alternes, très-longues, à neuf folioles avec une impaire : les folioles sont ovales, lancéolées, coriaces, et d'un vert lustré. Les fruits sont réunis plusieurs ensemble-aux sommets des branches, ou isolés; un long pédoncule les sup- porte. La chair est très-pulpeuse, fondante et sucrée. Une résine abondante remplit le réseau vasculaire qui parcourt l’épicarpe. Cet arbre donne un nombre prodigieux de fruits, que les naturels aiment passionnément. On pourrait utiliser ses feuilles, qui ont l'acidité agréable de l'oseille. ZOOLOGIE. 285 Le ohlt, bambou si utile, et le Aou toumo, l'arec à chou, croissent abondamment dans les montagnes. L'ananas est cultivé autour des cabanes , et nous avons vu de nombreux carrés couverts de ce fruit délicieux à Papaoa. On le nomme /ara , en y ajoutant une épithète qui veut dire etran- ger; car le mot fara sert à désigner les vaquois ou pandanus. Le mapé (inocarpus eduls), arbre moyen, à feuilles très- entières et oblongues, produit un fruit, appelé manare ar, dont l’épicarpe est un brou coriace, et l'amande très-grosse et à deux lobes, dont la saveur, lorsqu'elle est grillée, imite parfaitement celle de la châtaigne. Les Taitiens aiment sin- gulièérement ce fruit, et l'arbre est très-multiplié, jusque sur les revers mêmes des montagnes peu élevées : c'est le rataa du capitaine Wilson. L'oranger ‘et le citronnier ont été apportés par Bligh , et plantés dans le district de Pari. De là ils se sont propagés dans d'autres lieux , où ils sont abandonnés au milieu des bois et sur le bord de la route. Leur taille prend souvent un grand déve- loppement. Les oranges ne sont pas très-douces, parce qu'elles ont un peu dégénéré par l'inculture : on les nomme parfois anant. Les citrons ont deux variétés bien tranchées. L'une, ap- pelée demene, est à gros fruits oblongs et pointus, très-rugueux sur leur surface. L'autre espèce est à fruits très-petits, presque ronds : on la nomme taporo. Ce petit citron est délicieux pour la mer , Où 1l se conserve bien, et il est plein de sucs. Les papayers, dont le fruit est nommé nénite , n'offrent rien de particulier. On les observe au milieu des massifs d'arbres à fruits, plantés dans les bois de Borabora, où il y avait sans doute anciennement des cabanes. Il en est de mème des pastèques, mérémé (poa aux Sandwich), qu'on y a introduites, ainsi que © Nommés ourou papaa ( fruit-à-pain étranger ) : ce sont des shaddoks. 286 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. les giraumonts eéoué (paotént aux Sandwich), et le maïs [tou rina . Parmi les plantes utiles sous le point de vue commercial, le tabac croitrait parfaitement bien, et déja même il s'est natu- ralisé au point de couvrir de grands espaces. Les naturels lui ont consacré le nom de varé , et l'on se rappelle que c'est à Cook qu'ils en sont redevables. Les Taïtiens ont cependant eu le bon esprit de ne point s'habituer à cette herbe, dont ils ne recherchent que la fleur ; et si quelques-uns en préparent les feuilles, c'est pour les vendre aux Européens sous le nom d'ava- ava. Les Sandwichiens l'ont désigné par le mot paca. Parmi les végétaux textiles, le coton appelé vaiva croit spon- tanément : on en recueille la bourre soyeuse pour payer le tribut exigé par les missionnaires anglais. Le muürier à papier (Broussonetia papyrrifera, Lh.),nommé ouaouke par les Sand- wichiens, et aouta par les Taïtiens , est très-rare dans la portion de l'ile que nous avons visitée. On n’en voit quelques pieds que près de la cabane d'Opaparu, dans le district de Matavai. On cultive cet arbre pour obtenir de son écorce très-soyeuse les filaments avec lesquels on fait des chapeaux fort jolis à Bora- bora. Nous avons rencontré ce murier, à peine haut de trois pieds, renfermé dans de petits jardins environnés de pierres, derrière la demeure de Maria, fille du roi Maï, et quelques plantations imparfaites près de l'incien moraï. Le pourao ou hibiscus tiliaceus, si éminemment utile par le grand usage qu'on en fait, croit partout pour former des sortes de bois ana- logues à ceux du coudrier d'Europe, dont il a un peu le feuillage et entièrement le-port. Les fibres de l'enveloppe corticale de ce végétal jouissent d’une très-srande force : aussi est-ce la sub- stance la plus employée pour les cordages des pirogues, les lignes pour la pêche, etc., etc. Le toumanou, calophyllum inophyllum , fournit aussi une ma- ZOOLOGIE. 287 tière textile, mais assez rarement usitée. Il produit une gomme _assez analogue à celle du tacamaque, avec laquelle les naturels enivrent le poisson. La noix sert à parfumer les vêtements des naturels. Le fara ou vaquois ( pandanus spiralis, Brown. ?) est remar- quable par son port aloetique » par ses tiges tres-rameuses, ter- minées par des feuilles engainées en spirales, au centre des- quelles sont placés des fruits agolomérés, comme ceux d'une pomme de pin quant à la forme superficielle. Ces fruits sont ligneux, et vivement colorés en rouge à leur maturité. Le tronc pousse des rejets de toute sa circonférence, qui vont Joindre le sol et s'y enraciner. Ce végétal croit partout, sur les rivages de la mer comme au haut des montagnes. Autrefois il était sacré, et ses fruits étaient déposés sur les morais funéraires. Ses feuilles sont employées à recouvrir les toitures des ca- banes. Une petite cucurbitacée, fort commune, enlace les taillis ; la coloquinte qu'elle produit est arrondie , et desséchée elle prend le nom d'eaca. On s'en sert alors pour y renfermer de l'huile de cocos, plus pure que celle ordinaire, destinée à servir de par- fum, et que les femmes emploient par coquetterie à se frotter la figure. Parmi les produits végétaux utiles, on pourrait tirer un grand parti du rouge de vermillon que fournit le maki (ficus tincto- ria ? Forst.). Cet arbre lactescent est abondant dans les bois des montagnes. Ses feuilles sont entières, ovalaires et d’un beau vert. Les figues sont petites et axillaires. Le tairi des Taitiens est le plane sauvage de Cook. Cest un arbre moyen, ayant le port d'un vieux poirier de France. Son écorce est lisse et textile; son feuillage est blanchätre; ses feuilles sont à trois lobes. On le trouve solitaire aupres des cases; ses fleurs sont remarquables en ce qu'elles sont termi- 288 VOYAGE AUTOUR-DU MONDE. nales et disposées en un large corymbe blanc, auxquelles suc- cèdent un ou deux fruits arrondis, à épicarpe ou à brou apre. La noix intérieure est ligneuse et connue sous le nom de norx de Bancoul, et le trairi sous celui d'aleurites trilobata. La noix est usitée à Taïti pour faire du noir de fumée propre au ta- touage. L'amande agréable qui la remplit donne dans l'Inde une huile qu'on en exprime pour divers usages. Quelques végétaux fourniraient aussi à la médecine des re- mèdes actifs. Tel serait le ricin, qui croit abondamment et spontanément, surtout à la descente de la montagne de l'Arbre. Il serait facile d'en retirer en quantité une huile qu'on sait être utile dans bien des maladies. Le ricin porte le mème nom indigène que l'aleu- rites : comme lui, on le nomme #airt. Un liseron , commun sur toutes les prairies ou dans les lieux humides et frais, est le pou-ai. Ses tiges ne sont point volubiles; ses feuilles sont ova- laires, très-entières, mucronées, portées sur un long pédon- cule. Ses corolles sont purpurines et assez grandes ; on en re- tire une résine par la dessiccation de son suc laiteux, qui a la plus grande analogie avec celle de jalap , comme les rapports botaniques le prouvent, et qui jouit des mêmes propriétés. On se sert des feuilles en place de savon pour nettoyer le linge. ( Convolvulus pes capre.) La plante la plus active est celle qui fournit Fava. C'est un piper, nommé methysticum par les auteurs (znebrians, Virey ? ). Cette espèce de poivre ne grimpe point : ses tiges sont fermes, genouillées et hautes de cinq à huit pieds, et partent de la ra- cine par touffes épaisses. Les feuilles sont très-grandes en cœur. Les fleurs forment des épis très-courts dans l’aisselle des feuilles. La racine est très-volumineuse, brunâtre à l'extérieur dans l'état frais, se desséchant facilement au soleil, et conservant une couleur parfaitement blanche dans l'intérieur. Les racines ZOOLOGIE. 289 représentent des souches très-fortes, d'où partent les autres jets radiculaires et ligneux. Cette plante se plait sur les mon- tagnes, dans les lieux les plus abruptes ou sur les pentes rapi- des. Les naturels la recueillent soigneusement pour faire quel- ques tonneaux de ses racines, qu'ils vendent à des navires an- glais qui les portent en Europe. Parmi les arbres véritablement remarquables par leur port et par leurs fleurs, on ne peut se dispenser de citer le Baringtonia, houtou ou téraoutou des Taïitiens ; le Gardenta florida ou tirae ; l'hibiscus rose de Chine ou aoutar, qui orne la chevelure des femmes par ses belles fleurs, dont on obtenait encore un re- mède pour les yeux; le calophillum inophyllum ou toumanou ; le metrosyderos spectabilis ? Gærtn., ou pou-a-ra-ta *. Le Baringtonia speciosa embellit les rivages de Taiti, à Pa- paca, et ceux de Borabora. Ce superbe arbre ne se trouve que sur les bords de mer, où il prend un grand développement en se ramifiant à l'infini. Les feuilles sont grandes, coriaces, d'un vert brillant, ovalaires, éparses , plus nombreuses aux sommités des rameaux. Les fleurs sont grandes, en faisceau terminal ou axil- laire. Les étamines sont soudées par la base; leur tiers supé- rieur est purpurin ; les anthères sont jaunes. Un tube inférieur donne passage à un long style persistant. La corolle est grande, composée de quatre pétales blancs. Le calice est persistant, à deux folioles ovalaires. Le fruit est quadrilatère, très-gros, ren- fermant une grosse amande arrondie. Le Gardenia, connu sous le nom de jasmin du Cap, fait les délices de nos florimanes par son parfum délicieux: mais cet arbuste se développe à peine dans nos serres, tandis qu'a Taïti 1 Les Taïtiens adoraient un grand nombre de plantes dans leur ancienne religion. La principale était une fougère, qu'ils vénéraient au point de lui donner le nom de leur grand dieu Oro : ils ont aujourd’hui conservé encore quelque estime pour elle. Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 97 290 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. il prend dans les bois la taille de l'aubépine, et se couvre de milliers de fleurs suaves, qui embaument l'air et annoncent de loin le voisinage du t#rae, dont les Taïtiennes se couvrent la chevelure et se garnissent les lobes des oreilles. Il en est de même de l’Aibiscus rosa sinensis, dont les corolles, d'une brillante nuance ponceau, servent à faire des couronnes’. Le toumanou est un arbre magnifique par son port et son feuillage. Les feuilles sont en effet d’un très-beau vert, très- entières, et composées de nervures serrées et rangées paralle- lement les unes près des autres. Des bouquets de fleurs blanches terminent les rameaux. Le metrosyderos est une plante des lieux élevés, et même des sommets des montagnes. Il forme un arbrisseau très-garni de branches, et à feuilles ovalaires, entières et coriaces. Les fleurs sont terminales, réunies plusieurs ensemble pour former des pompons d'un rouge éclatant. Il y en a beaucoup sur la pente déclive de la montagne de l'arbre, du côté de la mer. Parmi les produits commerciaux et utiles qu'un navire eu- ropéen trouverait à Taiti et dans les iles environnantes, on doit citer, 1° l'huile de cocos. Cette huile prend une odeur de rancidité insoutenable, due à l'imperfection des moyens qu'on emploie pour la fabriquer:on pourrait, en la raffinant, atténuer ce principe. 2° Feécule d'arrow-root. Cette fécule est principale- ment utilisée par les Anglais, qui en font une consommation prodigieuse, et qui l'emploient dans toutes les maladies con- ‘ Plantes usuelles inconnues : Péripiri, graminée dont la paille sert à faire de jolies pagnes. Oracaoua : &’est un arbre dont l'écorce est textile; les feuilles sont entières et lancéolées : peut-être l’urtica argentea de Forster? Æpeoa, sorte d’arum très-grand, dont on mange les racines. 4outaraa, fruit rouge, d’un bon goût, ana- logue à la prune, dont les feuilles sont coriaces, ovalaires et entières (mirobolan ?) Moou, graminée dont la paille est très-fine, et sert à faire des chapeaux. Roa; on en fait d'excellentes cordes. ZOOLOGIE. 291 somptives en place de salep. 3° Racine d'ava. L'usage de cette racine nest pas encore connu en France; mais on sen sert beaucoup en Angleterre comme remède stimulant. 4° La péche des perles. Objet lucratif, et qui ne nécessiterait que des dé- boursés bien faibles, puisqu'on paie les plongeurs par échanges, et qu'il sagit de passer dans diverses iles, indiquer le jour où l'on doit revenir, prendre le fruit des pêches auxquelles les naturels se seront livrés dans l'intervalle. La nacre des huitres a déja par elle-même une valeur réelle. 5° L'écaille de tortue. Ce reptile ovipare, nommé ehonou, est tellement commun dans les îles de la Société, qu'on pourrait tirer un parti avantageux de son écaille *. 6° Le porc sale. On pourrait ainsi compléter ses vivres de campagne, en même temps que les barils excédants seraient avantageusement vendus au profit de l'armateur. Il faudrait apporter le sel d'Europe, et des piè- ces non destinées pour la campagne, en bottes. 7° On pour- rait tirer quelque peu de sucre et de coton ; mais ces deux articles, encore insignifiants, ne doivent pas être mis en ligne de compte. 8° IL est permis de compter l’économie qui résul- tera, pendant le séjour, des vivres ou provisions de bord, parfaitement remplacés par les racines et les fruits du pays, et l'avantage qu'on aurait d'obtenir les belles fécules de taro, d'arrow-root, de pya, etc. Enfin il serait utile de s'occuper d’une neuvième branche, ou de la pêche des trépangs ou holothuries. L'espèce nommée priape marin, et qui est si recherchée en Chine et dans les iles soumises aux habitudes malaises, où on la nomme stala, se trouve en grande abondance sur les récifs de l'ile d'O-taiti. La préparation des trépangs est peu connue en France, et ce- pendant est peu difficile à pratiquer, puisqu'il s’agit simplement 1 L'écaille se vend quinze piastres la livre aux Moluques. 37. 292 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. de faire dégorger les holothuries dans de l'alun en poudre ou dans de la chaux, d'en enlever l'épiderme, et de soumettre ce zoophyte ainsi écorché à une légère ébullition, puis de le des- sécher sur des claies à la chaleur solaire. Lorsqu'il est bien sec, on le tasse régulièrement dans des barils. Le prkoul de cette substance se vend jusqu'à 45 piastres ’. Dans un chapitre précédent, nous avons vu que l'ile d'O-taiti n'avait point de mammifères propres à son sol, autres que quelques animaux qui y ont été importés. Peut-être cependant devons-nous regarder comme y étant indigène un petit ron- geur d'un gris roux , à queue presque nue, qui y est fort com- mun , et que les habitants nomment £oré. Quant aux quadru- _pèdes que les Européens ont cherché à y naturaliser, nous avons déja eu occasion de les mentionner, et de dire que les chèvres seules, et surtout la variété nommée cgbré dans les colonies , s'y étaient propagées ; que les moutons n'avaient pu s'y acclimater ; et que les vaches et les chevaux , importés par les missionnaires, ne l'avaient été qu’en si petit nombre et dans un si mauvais état, qu'aucun de ces animaux n'avait sur- vécu. Il n'en est pas de même des oiseaux. Plusieurs espèces fort intéressantes sont propres au groupe des iles de la Société; et bien que le nombre n'en soit pas considérable, et que la plu- part aient été décrites , leur rareté dans les collections, et le peu de renseignements que nous possédons sur leurs habitudes, nous permettront d'entrer à leur sujet dans des détails pleins d'intérêt. 1 Tous les peuples de race malaise, les Chinois et les habitants du Tonquin, font un grand usage des analeptiques, et, sous ce rapport, les érépangs, les nids salanganes, produits par diverses espèces d’hirondelles, les agal-agal, jouissent chez ces peuples d’une réputation extraordinaire. ZOOLOGIE. 293 Les oiseaux qui peuplent les bois sombres et frais d'O-taiti sont distribués dans des stations assez limitées, et c'est ainsi que les espèces répandues dans les terrains plats des bords de l'ile ne se trouvent point sur les montagnes, et que là vivent des oiseaux qui ne descendent jamais dans la plaine. Depuis long-temps, d’ailleurs, les naturels étaient habitués à en chasser quelques-uns, remarquables par les vives couleurs de leur plu- mage , et c'est ce qui explique la grande diminution de plusieurs espèces autrefois très-communes, et même l'extinction totale de quelques races. Les vieillards nous parlèrent souvent d'un petit oiseau tout rouge, dont les chefs portaient les plumes arrangées comme en diadème , en petit manteau , ou même en grosses touffes passées dans les trous des oreilles ; et cet oiseau, aujourd'hui complètement éteint, était sans doute l’heorotaire de la mer du Sud, et qu'on indique aux iles Sandwich. Il en est de même d'une grosse perruche verte, d'une belle colombe bleue , mentionnées par les premiers Européens qui se présen- tèrent sur ces bords, et dont aujourd'hui on ne peut découvrir de traces. : Plusieurs oiseaux indiqués comme de Taïti, dont ils portent même le nom dans nos Species, et tel, par exemple , le cuculus taisensis de Sparrman, ne se présentèrent à nos recherches que dans l'ile de Borabora , et c'est en parlant de cette ile que nous les mentionnerons. Mais nous devons dire cependant que toutes les iles de la Société, séparées les unes des autres par de courtes distances, habitées par la même famille humaine, soumises aux mêmes influences, ont, d’une manière exclusive, les mêmes productions. Il n'est pas inutile de faire remarquer combien les auteurs européens se méprennent lorsqu'ils s'étayent de l'homme dit sauvage , pour prouver combien l'absence de toute notion des sciences exactes le laisse plongé dans ce qu'on appelle une 294 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. grossière barbarie. Nous sommes bien loin de partager cette manière de voir , et il ne nous parait pas bien prouvé que le mot sauvage puisse être appliqué à aucun peuple de la mer du Sud ; et, pour nous renfermer dans ce qui est relatif seulement à l'histoire naturelle, nous devons dire que chaque insulaire possède avec une rare sagacité les noms de toutes les pro- ductions au milieu desquelles il est né ; qu'il en connaît les formes et les états divers , les propriétés médicales ou usuelles ; ou bien enfin, qu'elles deviennent pour lui, par suite d'idées transmises , l'objet d'un culte, dont sa raison, encore enve- loppée des langes de l'enfance , ne lui permet pas de se rendre compte. Ainsi, les Taitiens, avant l'arrivée des missionnaires, estimaient singulièrement les phaétons, ou oiseaux des tro- piques, qu'ils épiaient lorsqu'ils venaient nicher dans leurs montagnes escarpées, et auxquels ils arrachaient les longs brins qui rendent leur queue si remarquable; et ces longs brins rouges (le phaeton phænicurus est plus rare dans la mer du Sud que le phaeton leucurus) servaient à former les ornements de leur grand dieu Oro, le Jupiter de la mythologie taïtienne ; ou bien , ils étaient employés au vétement mystérieux et funé- raire du Paraaï, Mais si le phaéton, qui plane avec tant de graces au haut des airs, que Linné regardait comme le mes- sager du char du soleil, a paru digne aux Taïtiens de fournir la parure emblématique de leurs divinités, on se demande qui a pu les décider à offrir leurs hommages à une espèce de héron blanc , qui était sacré, et qu'on ne pouvait tuer sans encourir la colère d'Oro et celle plus redoutable de ses prêtres. Ce culte grossier descendrait-il de quelque analogie éloignée , soit de la forme , soit des habitudes riveraines de ce héron , nommé E-houtou, avec celles de l'ibis, également l'objet de la véné- ration des anciens Egyptiens ? Parmi les oiseaux terrestres, remarquables par leur plumage ZOOLOGIE. 205 comme par leurs formes gracieuses et délicates, la perruche e-vini( psittacus taitensis, Gm. ),tient sans contredit le premier rang. lle est décrite, dans Buffon, d'après les notes de lil- lustre Commerson, mais sous une dénomination fautive, ré- sultat d'une erreur typographique; car elle y est appelée ari- manon, tandis qu'on devrait lire ari-manou ou manou (oiseau) aré (de cocotier). Cependant les naturels ont oublié cette épi- thète ; car le nom qu'ils nous donnèrent est e-vinr ou vini tout court, syllabes qui, prononcées vivement, rendent assez bien le cri de cette jolie perruche. Elle se tient constamment sur les cocotiers, et ce n’est que bien rarement qu'elle les aban- donne pour aller se percher sur quelques autres arbres voisins; et nous remarquames qu'elle a la singulière habitude de se ren- verser fréquemment la tête en bas. Grosse à peine comme le moineau de France, la perruche d'O-taiti a son plumage bleu d'azur; mais la gorge, les joues, le devant du cou sont d’un blanc pur chez les individus adultes, tandis que ces mêmes parties chez les jeunes sont d'un brun noir foncé. Sur cette teinte bleue lustrée et assez semblable à celle du lapis-lazuli, que présente le plumage, tranchent les couleurs rouge de corail du bec, et aurore des pieds. La queue courte et conique de cette espèce la fait placer dans le genre psittacule, psittacula de Kuhl. Mais l'e-vini, ainsi que beaucoup d’autres oiseaux de l'Océa- nie, et presque tous ceux de l'Australie, a la langue modifiée par son genre de vie, et, au lieu d'être, comme chez la plu- part des espèces de la grande famille des perroquets, recou- verte d'un épiderme lisse, elle se termine par une sorte de couronne qui résulte d'une grande quantité de fibres longues, roides , régulièrement disposées les unes à côté des autres, et que M. de Blainville regarde comme les papilles nerveuses de l'extrémité de l'organe lingual et gustateur, énormément 2.6 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. développées. L'e-vinr, en effet, ainsi que tous les oiseaux qui se nourrissent d'exsudations miellées, qu'ils puisent au sein des fleurs ou dans les bourgeons de certains arbres, ne re- cherche que les spathes des cocos au moment où elles s’en- trouvrent, pour y puiser un liquide sucré, abondant, qui s’en échappe à cette époque de la fleuraison. Cette perruche s'ac- commode cependant de fruits sucrés, et surtout de bananes, et nous en conservames assez long-temps en vie par ce moyen; mais le refroidissement des régions tempérées suffit pour la faire périr aussitôt qu'elle abandonne les latitudes chaudes de la zone intertropicale. Nous avons vu un dessin de l’e-virc dans les manuscrits de Commerson, qui la nomme perruche nonnette. Sparrman, dans le Museum Carlsonianum ‘, en a publié une médiocre figure (pl. XX VIT) sous le nom de psittacus cyaneus ; et la descrip- tion qu'il en donne se borne à peu près à ces mots : Cor- pore toto saturate et splendidè cæruleo; pedibus nigris. Shaw, Mise, t. 1, pl VIT, et Levaillant, ont encore donné des por- traits de cette perruche gracieuse, que Latham à décrite dans son Synopsis sous le nom de otaheitan blue parraket. Les naturels nous indiquèrent encore une autre espèce de perruche; mais comme nous ne l'avons pas vue, nous ne re- chercherons pas si déja elle a été observée par d'autres voya- geurs. Il est possible d’ailleurs que ce soit la perruche frin- gillaire que nous nous procuràmes à Borabora. Nous n'omettrons point une tourterelle que les naturels appellent ouba, et qui vint nous offrir encore une nouvelle variété de cette columba kurukuru, qui se trouve dans toutes les iles de la Malaisie et de l'Océanie, depuis les Moluques, ? Museum Carlsonianum, in quo novas et selectas aves exhibet Andreas Sparrman. Fasc. in-4°, Holmiæ, 1786, 1787, etc. ZOOLOGIE. 297 les Philippines et les Mariannes jusqu'aux: Sandwich et aux îles de la. Société, et qui, en tout lieu, semblable par l'en- semble de ses formes et les masses de couleurs de son plu- mage, offre partout des nuances variées qui ont déja cent fois torturé les naturalistes systématiques, aux définitions pré- cises desquels elle semble vouloir échapper. La colombe Æurukuru est le type du genre ptulinopus de M. Swainson, genre destiné à faire le passage des vraies co- lombes aux colombars. Elle est figurée n° 254 des pl. co- loriées de M. Temminck, et pl. XXXIV et XXXV de l'his- toire des pigeons. La kurukuru d'O:taïti * a la taille un peu plus forte que la variété de Timor dont elle se rapproche le plus. La calotte purpurine qui revêt le sommet de sa tête est d'un rose très- pale, que circonscrit une raie assez large d'un jaune peu in- tense. Le cou en entier jusqu'aux épaules et tout le dessous du corps sont d'un gris cendré uniforme , teinté de verdatre plus foncé sur la poitrine. Le menton, la gorge et le devant du cou sont blanchätres. La région anale et les couvertures inférieures de la queue sont d'un jaune vif. Le manteau, le dos, le croupion et les ailes sont d'un vert doré avec des teintes rousses. Les rémiges sont brunes en dedans. La queue est régulièrement rectiligne ; chaque rectrice est d'un vert métallique en dehors du rachis, brune en dedans et terminée par une large raie blanchätre bordée de brunâtre. Le bec est plombé et blanc à l'extrémité. Il est recouvert, dans l'état de vie, par deux pe- ütes caroncules orangées qui surmontent les narines. Les tarses, à. moitié emplumés, sont de couleur orangée. La colombe kurukuru n'habite que les endroits montueux 1 Columba Kurukuru, var. taitensis, Less. Voyage de la Coquille. — Z. Tom. 1. 38 298 Ë VOYAGE AUTOUR DU MONDE. et les plus sauvages de l'intérieur d’O-taïti :les habitants en recherchaient les plumes pour s'en parer. Les cocotiers ne sont pas seulement fréquentés par la perruche E-vint ; mais une autre espèce d'oiseau sy tient constamment, et se nourrit des moucherons et des petits insectes que le suc miellé des bourgeons florifères attire. C'est le martin-pêcheur sacré de Latham dont nous avons fait le type de notre nou- veau genre todiramphe, todéramphus, Less. ‘, et dont on trouvera les caractères dans la partie descriptive de l'ornitho- logie du voyage. Ces todiramphes jouaient un grand rôle dans la religion des anciens naturels. Les auteurs ont décrit sous deux noms différents un gobe- mouche que nous avons appelé muscicapa Pomarea (Atlas, pl. XVII), en l'honneur de Pomaré, chef des iles de la Société, et dont le gouvernement sauvage était empreint d'une sorte d'élévation. Cette espèce de gobe-mouche se trouve décrite, le mäle, sous le nom de muscicapa nigra , figuré planche X XIII, Fasc. I, du Museum Carlsonianum de Sparrman *?, tandis que la femelle est le type du muscicapa lutea de Latham *. Cet oi- seau varie singulièrement dans son plumage, non-seulement ges. Les Taïtiens DS le nomment 0o-mamao, et il a pour habitude de se tenir dans suivant les sexes, mais encore suivant les à ’ Mémoires de la Société d'histoire naturelle de Paris, t. HI, p. 419, pl. XI et XII. 2 Muscicapa nigra, Latham; corpore tolo nigro ; rostro, capite, interscapulio pedibusque atris; habit. in insulis Societatis oceani Pacifici. Sparrm., pl. XXII (figure mauvaise ). $ Muscicapa lutea, Vath. Cet oiseau a, suivant l'auteur anglais, &inq pouces et demi de longueur totale. La teinte de son plumage est jaune d’ocre, noirûtre sur les couvertures et les rémiges. Les rectrices sont brunes; le bec et les pieds sont plombés, et les ongles noirs. Il habite Taïti, et y est nommé, dit Latham, 00 ma- mao pooa hoa. ZOOLOGIE. | 209 les buissons de Pourao fhibiscus tiliaceus ), où il trouve les moucherons qui forment sa nourriture et qu'attirent les larges feuilles de cette malvacée. Une sittèle nouvelle (sita otatare, N.), que les habitants connaissent sous le nom d'ofataré , habite avec le gobe-mouche précédent ; et fréquemment nous tuàmes une petite hirondelle très-voisine de l’hrrundo rustica de France, dont elle avait la taille. Son plumage était d'un brun assez foncé, excepté le 5 ventre qu'un gris-brun colorait. g Parmi les oiseaux de rivage, nous n'eùmes occasion d'obser- ver qu'un très-petit nombre d'espèces. Entre autres nous ci- terons deux petits hérons [ardea sans y comprendre le o-hou- tou dont nous avons déja parlé. La première est un petit cra- bier de la taille d'un râle, à bec mi-parti de noir et de jaune, ayant le tour des yeux et des pieds de cette dernière couleur. Les plumes du cou et de l'abdomen sont brunes et marquées au centre d'une flammette jaune ; celles des parties supérieures du corps ont leurs tiges blanches, et sont d'un vert lustré sur les barbes ; les couvertures alaires sont brunes et terminées par un triangle blanc. La seconde espèce est un crabier gris, de la taille de la petite aigrette. Son bec est en partie noir et rougeàtre. La tête, le cou et le dessus du corps sont d'un brun teinté de bleuatre. Un trait blanc naît de la mandibule infé- rieure, et descend comme deux rubans longs d’un pouce sur les parties latérales du cou. La région abdominale et les couver- tures inférieures de la queue sont d’un gris enfumé. Ce héron nous parait évidemment nouveau, et nous proposons de le nom- mer ardea jugularis. Le chevallier gris, que les habitants nomment torea , à bec gris et à pieds jaunes, à plumage gris-cendré foncé en dessus, et blanc varié de brun en dessous, est très-commun sur les rivages. 38. 300 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Nous n'observames qu'une fois une espèce de canard , anas, appelée mora dans l'ile, et qui a la taille de notre grosse sarcelle d'Europe. Sa tête est recouverte par une calotte brune. Un trait marron passe au-dessus de l'œil , tandis qu'une bandelette noire traverse toute la région oculaire, et qu'au- dessous se dessine un deuxième trait marron. Le plumage du corps est entièrement brun; mais chaque plume est bordée de rougeàtre; un miroir vert métallique, encadré de noir, occupe le milieu des ailes. La classe des reptiles se compose d'un très-petit nombre d'espèces, et ne présente aucun ophidien, ni aucun batracten. La tortue franche (testudo mydas fréquente, en certain temps de l'année, les rivages ; et les habitants, qui en estiment la chair, l'élèvent dans une sorte de domesticité, en recueillant les jeunes avec précaution , et les renfermant dans des parcs clos par des murailles élevées avec des fragments de coraux, et constamment baignés par la mer : ils lui donnent le nom de Æ-honou. Les seuls autres reptiles qui s'offrirent à notre recherche sont deux saurtens : Vun, que les habitants nomment emo, est remarquable par sa très-petite taille , l'agilité de ses mouvements , son abon- dance dans tous les lieux exposés au soleil, et surtout par sa queue dont la coloration est celle de l’azur le plus pur, et enfin par les cinq raies longitudinales dorées qui occupent tout le dessus du corps; l’autre est une espèce de Jecko, que les habitants confondent avec le scinque, sous le nom commun d'emo. Cependant ils ont horreur de ce Jecko, tandis que ce dernier ne leur inspire aucune aversion. Ce jecko sort prinei- palement le soir et dans la nuit, et se tient dans le jour dans les troncs pourris des cocotiers, ou dans les endroits les plus frais et les plus humides de l'intérieur des cabanes. Il a environ trois pouces de longueur totale, et est nuancé de gris linéolé, n'imitant pas mal les teintes des papillons de nuit. ZOOLOGTIE. 301 Les côtes de l'ile d’'O-taiti sont très-poissonneuses , et la plu- part des espèces qui y vivent sont ornées des plus brillantes couleurs. Nous ne connaissons pas de plus beau spectacle que celui quis'offre à la vue d’un naturaliste, lorsque , par une mer calme , il parcourt les récifs alors seulement recouverts d'un pied et demi d’eau. Au milieu des nuances les plus vives qui décorent les saxigènes et revétent leur masse pierreuse d'une enveloppe animalisée brillante, les poissons viennent encore embellir cette scène par leur parure éclatante d'or, d'argent, et reflétant l'éclat des pierres les plus précieuses. Notre Atlas viendra prouver que ce n’est point une hyperbole, et que nos peintures seront encore bien au-dessous de la vérité. Nous décrirons ailleurs ce phénomène pompeux, parce que la scène qui fixa notre attention à la Nouvelle-Islande renfermait toutes les circonstances les plus développées d’une magnifi- cence dont il est très-difficile qu'un lecteur européen puisse apprécier l'exactitude et la vérité. Pour en revenir aux poissons d'O-taiti, nous n'en citerons que quelques exemples ; ainsi on y trouve des parara ( chæto- don ) nombreux et variés, des ovri { balistes ), des eparat et eoumé (acanthures ), des girelles, dont les couleurs sont fantas- tiques et les espèces nombreuses : telles sont l'eapr, le pao, le tabeou , l'étaapé, le pareva , le mato, etc., etc. Des nurænophis variées sillonnent, par leur nager rampant, la surface des rochers, et s'enfoncent dans les trous qu'elles y rencontrent, en ne laissant dépasser que leur tête, afin de guetter plus surement les petits poissons et les autres animaux marins dont leur tribu vorace fait sa pature. Mais des spares, le filou, des syngnathes, des coffres, des lutjans, des serrans, des serpes, vien- nent encore apporter de la variété dans l'ichthyologie très-riche de cette ile ; et ces poissons dont nous avons déposé de nom- breux individus au Muséum sont d'autant plus intéressants, 302 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. que plusieurs d’entre eux ont été primitivement décrits par Commerson et Forster, et qu'ils n'avaient jamais été déposés dans les collections publiques. Pendant notre séjour à O-taiti, nous n'eumes point occasion d'observer un grand nombre d'insectes. Nous ne vimes que deux espèces de papillons, qui sont, il est vrai, fort communes, et que les habitants nomment pépé; et une grosse zygène, ap- pelée poureoua. La mouche des chairs , erao , et les moustiques, fourmillent dans les bois et autour des cabanes, et là, comme partout ailleurs, annoncent leur présence par leur incommo- dité. Un truxale vert, evivi , se tient dans les herbes de prairies humides ; et sur les rameaux des arbustes, on rencontre fré- 5 et parfois Atvr. Lorsque la mer est calme, et que sa surface est unie, la baie de Matavai est couverte de velia. Les naturalistes ont donné à cette espèce le nom d'Oceanica, parce qu'en effet on la rencontre sur la surface entière du Grand-Océan, aussi bien aux envi- rons des iles Sandwich que de l'ile de Pâques, au milieu des archipels de Tonga, comme dans les mers des Carolines. Les iles qui sont entourées de longs récifs, que recouvrent à peine quelques pieds d’eau, nourrissent une grande quantité de crustacés ; et le nombre de ceux qu'on observe sur les rivages d'O-taiti est très-grand , malgré la consommation qu'en font les habitants, qui les recherchent avec empressement. Au premier rang , nous devons citer une espèce de langouste, Our-ou- ra-rou, remarquable par sa belle couleur marron, variée de blanchâtre, par son test hérissé de tubercules et d'épines, par ses pieds bleuâtres garnis de lignes blanches, par ses pinces hérissées de poils roux, épais et touffus, par sa queue bordée d'une large ligne de points blancs, etc. En peu de temps nous recueillimes pour nos collections un scyllare, des palémons, quemment un grand phasme, que les Taïtiens appellent evava , ZOOLOGTE. 303 des ranines, des portunes, des plagusies. Les eaux douces et fraiches de la rivière de Matavai nourrissent une chevrette nommée tataraio, à enveloppe hyaline , à pinces très-longues et marquées de taches d’un pourpre vif. Ses bords sont creusés d'une grande quantité de petits trous où se tient caché un ocy- pode, toupa , dont le test est d’un brun foncé avec des points verts, et dont la pince droite, beaucoup plus forte que la gauche, est colorée en rouge - vermillon. Le pagure mouctheté , eoua, figuré dans l'Atlas zoologique de MM. Quoy et Gaimard, est très-commun sur les grèves sablonneuses, que recouvre constamment une certaine épaisseur d'eau salée, où il atteint une grande taille, qui lui fait choisir pour sa demeure les co- quilles les plus volumineuses, et principalement les tritons. Le genre cancer , proprement dit, compte de nombreuses espèces: le papa est de grande taille et de rouge vineux; son test est marqué de onze taches rondes, d'un rouge foncé ; son corps, complétement glabre, est jaune en dessous. Le wti-ereti est rouge de brique et très-velu ; le &t-aoouarou est ocellé de points blancs ; le aatea est d’un violet foncé et couvert de tubercules ; enfin, un grapse peint très-commun, est nommé {otoe, etc., etc. Si déja, dans les-animaux que nous venons d'indiquer, on en a reconnu plusieurs qui soient propres aux mers indiennes, on verra que la plupart des mollusques que nous allons men- tionner se trouvent à peu près vivre indifféremment sous toute la zone équatoriale, et aussi bien dans l'océan Atlantique que dans le Pacifique. De toutes les coquilles, la plus commune est.sans contredit le poreo, ou la porcelaine tigre [cypræa gris). Mais on peut encore sy procurer un grand nombre d’autres espèces, qui sont : la porcelaine géographique; le poupoutaratara ( chicorée rameuse ); le ptérocère scorpion, le pououpouou ( casque ); le triton trompette, coquille qui mérite d'autant mieux son nom, qu'elle sert chez tous les insulaires 304 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. de la mer du Sud de signal pour courir aux armes, ou pour se rendre à quelques cérémonies religieuses; les volutes, les mitres, les harpes, le poupou [wés tigre); les rouleaux, les cônes, les rhombes, nommés poupouart; les cylindres, les trochus, les tonnes, le cadran, le bronte cuiller, etc., etc. Voilà pour les univalves. Parmi les mollusques testacés bivalves , on doit citer en pre- mière ligne l'aronde aux perles (mytilus margaritiferus ), que les habitants nomment #rana. Cette précieuse coquille n'est point très-commune sur les côtes d'O-taïti; mais en revanche elle forme des bancs épais aux milieu des iles basses de l'ar- chipel Dangereux. Les naturels se servaient depuis long-temps des perles comme objet de parure, et étaient, ainsi que les habitants de Ceylan, dans l'habitude de plonger pour aller les chercher au fond de l'eau. Des spéculateurs européens ont pro- fité de l'industrie des O-taitiens pour la faire tourner à lavan- tage de leur commerce ; et voici les données que nous nous sommes procurées sur les lieux, relativement à le pêche des perles , et qu'on lira sans doute avec intérét. Les Européens qui s'occupent de la pêche des huitres à perles sont dans l'usage de prendre, dans les iles de la Société, une trentaine de naturels forts et vigoureux, qu'on paie avec des objets manufacturés, et pour lesquels on embarque des vivres du pays. Le navire qu'ils montent doit etre d'un faible tirant d'eau, et muni de plusieurs petites embarcations. Les lieux où la pêche est plus abondante sont les canaux étroits remplis de bancs qui-séparent les innombrables iles basses des Pomotous. La profondeur la plus ordinaire à laquelle se trou- vent les huitres à perles, est de cinq brasses ; cependant elle varie quelquefois jusqu'à treize, Les naturels qui, dès ieur enfance, sont habitués à rester plus ou moins long-temps sous l'eau , peuvent y séjourner, dit-on, pendant trois ou quatre ZOOLOGTE. 305 minutes et rapporter quatre ou cinq coquilles. Trente plon- geurs, répartis par le moyen de bateaux sur plusieurs points des hauts fonds, peuvent recueillir, en un jour, jusqu'à un tonneau et demi de ces testacés si estimés; et on a calculé que si les naturels ne volaient point une grande partie des perles, ce qu'ils font toujours, vingt tonneaux d'huitres donne- raient exactement une livre de perles, dont la valeur moyenne est de cent louis. Mais les perles ne sont pas la seule matière précieuse recherchée dans ces huitres, la nacre elle-même, employée dans plusieurs arts, est estimée, et, bien que sa va- leur soit arbitraire, le prix le plus ordinaire d'un tonneau est de treize louis. Les pêcheurs ont remarqué que les coquilles dont les valves étaient les plus lisses ne renfermaient presque point de perles, et que celles-ci, que l’on peut considérer comme un résultat maladif, ne sont jamais plus abondantes que lors- que l’huitre est recouverte de corps étrangers, et surtout de productions coralligènes , ou même que ses valves ont été en- dommagées par diverses causes. La tridacne, nommée paoua, est communément enchàssée dans les récifs de coraux, et, bien que sa chair soit dure et très- coriace, elle fournit aux naturels un aliment qui leur plait. A l'indication de ces deux coquilles bivalves nous joindrons seulement celle de quelques moules, de la pinne marine, de plusieurs vénéricardes et corbules. De toutes les coquilles terrestres , la plus commune est celle que les habitants nomment 004 , que l’on trouve sur le sommet des montagnes, et dans les aisselles des feuilles du vaquois. Ce petit bulime, couleur de chair, est le partula otaheitana. L’ehiz des Taitiens est la nérite couronne qu'on rencontre dans toutes les petites rivières de l'ile , avec une ancyle. Nous observames trois espèces d'astéries : l'eouata est l'as- Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 39 - 306 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. terias discoidea des auteurs; la bamataï est à cinq rayons très-alongés et étroits. Nous ne trouvâmes qu'une ophiure. Le vétoué est l'oursin à baguettes, que les naturels mangent ; il est très-commun, ainsi que l'echinus atratus. Deux autres espèces plus petites ne sont pas rares sur la côte : la pre- mière, tra , a des baguettes rondes, petites, aciculées, blanches au sommet et violettes à la base ; tandis que la deuxième est hérissée de baguettes pointues, effilées et entièrement noires. Dans le deuxième volume de cet ouvrage, nous aurons encore à nous occuper avec plus de détails des diverses espèces d'holothuries, de méduses, de Béroés et de madrépores, etc. NA ILE DE BORABORA (ARCHIPEL DE LA SOCIÉTÉ ). (Du 26 mai 1823 au 9 juin suivant.) Quel charme magique ont donc ces îles de la mer du Sud dont les descriptions sont si longues, et qui sont cependant si bien connues de la plupart des Européens instruits? Wallis, Bougainville, Cook, Vancouver ne tarissent point sur cet ar- chipel de la Société, plus connu en Europe que bien des pro- vinces des états les plus policés; et les noms d'Eymeo, de Huahène, de Taha, de Raïatea, d'Uhiétéa et de Borabora se re- produisent à chaque instant dans les pages de leurs narrations, etont, malgré une surabondance de détails, et les longueurs minutieuses des journaux de bord, un attrait que le temps n'a ZOOLOGIE. 307 point encore épuisé. Avec quelle avidité, avec quel plaisir na-t-on pas lu, n’a-t-on pas retenu par cœur les moindres détails sur les habitudes du peuple aimable et frivole qui les habite? Mais ce n'est point ici le sujet dont nous devions nous occuper. De plus sévères et de moins piquantes observations doivent être l'objet de notre étude , et le cercle de nos considé- rations ne doit pas s'étendre au-delà des descriptions purement physiques du sol. L'ile de Borabora ‘ ressemble complètement à O-Taiti. Ce sont les mêmes productions, les mêmes habitants, les mêmes circonstances atmosphériques. Tout le système d'iles qui con- stitue ce que nous nommons archipel de la Société présente en effet une parfaite identité de création. Les détails que nous venons de présenter sur O-Taïti sont donc applicables à Bora- bora ; mais comme notre séjour dans cette dernière ile a enrichi nos collections d'objets qui ne se sont point offerts à nos re- cherches dans la première, nous en tracerons dans ce paragra- phe une esquisse dégagée de tout ce qui a pu être déja signalé dans le précédent travail. Borabora, mal à propos nommée Bolabola par d'anciens na- vigateurs, est, malgré sa petite étendue, extraordinairement pittoresque. Ses sites, très-accidentés, sont remarquables par leur variété, et par la richesse de la végétation, le luxe et le développement du feuillage, la teinte diversement foncée de la verdure. Elle n'est distante d'O-Taïti que d'environ quarante lieues. Un immense récif qui peut avoir sept lieues de tour l’en- ceint d'une barrière de corail, sur laquelle s'élèvent quelques motous verdoyants, tels que Zoubouai, Toubouaiï-itt, Motou- it, et Tenahiroa. Les rivages en dedans de la chaîne extérieure des bancs de polypiers sont morcelés par de nombreuses baies, ! Cette île gît par 16° 30° de lat. S., et 154° 5 56” de long. O. 39- 308 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. rétrécissant et découpant profondément la surface de l'ile, qui ne se compose, à bien dire, que d'une montagne solitaire et co- nique, dont les flancs se prolongent sur les côtés en arêtes dé- clives et sinueuses. Cette haute montagne est un volcan éteint, dont le cratère est en partie affaissé vers le rivage, et a formé une portion de la baie de Beula, seul lieu où les naturels aient. réuni leurs cabanes pour en composer un village. Pendant la durée de notre séjour (du 25 mai au 9 juin) les vents soufflèrent de l'Est en variant au Nord-Est et à l'Est-Sud- Est. Un seul jour nous eumes une brise tres- violente du Sud- Ouest. Les vents les plus ordinaires étaient entremélés de calmes, et venaient du Nord-Ouest, de l'Ouest-Nord-Ouest ou du Sud- Ouest, et n'avaient qu'une courte durée. Les brises de l'Est-Sud- Est descendaient fréquemment par raffales des flancs du mont Paya. Le medium du baromètre fut de 28 p. 1 pouce 6 li- gnes , et celui du thermomètre de 29 degrés centigrades à midi, et 28° à minuit. Une seule fois il marqua 24 degrés et deux fois 25°. La température de l’eau était, à midi, de 27 à 28 degrés, et baissait dans la nuit suivant la force de la brise. L'hygromètre à cheveu ne marqua qu'une fois 95 degrés, et indiqua commu- nément 101°, et Jusqu'à 106 et 110° à deux fois différentes. La baie de Borabora, nommée Beula par les habitants, est vaste et bien abritée de toutes parts, excepté peut-être aux vents du Sud , qui soufflent avec force dans l'hivernage, et qui passent au-dessus des pointes de Daïly et de la petite île de Toubouai-tti. Une passe étroite, bordée de récifs à fleur d’eau , y conduit en venant du large, et est traversée par des courants d'autant plus forts que son étendue est plus étroite. Le mouil- lage se trouve être à une demi-encablure du village, sur un fond de corail recouvert de sables madréporiques ; il est abrité par la montagne centrale, ou Paya, dont les flancs s'élèvent si perpendiculairement, que, vus de cette partie, ils semblent être CD ZOOLOGIE. taillés à pic. À ses pieds, et sur le rivage bas et au niveau de la mer du pourtour de la baie, sont de loin en loin établies les ca- banes des naturels, séparées chacune par des plantations d’'ar- bres à pain , et entourées de bosquets d'autant plus gracieux, que la nature en a fait tous les frais. Ce village peut contenir environ mille cinquante trois habitants, et son étendue n'a pas moins. d'un mille : il est composé de deux districts nommés Wuatéi ei T. aamoutou, et gouvernés chacun par un roi: Téfaora 09 possède le premier, et Maï le second. Ainsi Borabora se compose d'une montagne volcanique cen- trale, d'un terrain plat qui y est adossé, d'iles basses ou motous, et de récifs à peine recouverts par la surface de la mer. Le paysage, vu de la rade, est un des plus gracieux qu'on puisse imaginer ; et pour peu qu'on soit favorisé par un de ces beaux jours des tropiques, son aspect, résultant d’un mélange de pitons volcaniques nus et décharnés et de sites verdoyants, est enchanteur. Des forêts de cocotier, dont les parasols de verdure, balancés par les brises du large, servent de dôme impénétrable au soleil, couvrent les iles basses ou motous; des bancs de récifs forment sous l’eau des labyrinthes peuplés de madrépores et de zoophytes que teignent les plus riches couleurs. La mer contribue elle-même à l'ornement de ce tableau, lorsque le calme règne sur sa surface légèrement onduleuse, ou lors même qu'agitées, ses vagues viennent heurter contre les roches animalisées et jaillir au loin en gerbes écumeuses. La blancheur du sable qui couvre les grèves, la verdure sombre des Baring- tonia qui croissent seulement sur les rivages, les feuilles larges et découpées des arbres à pain, achèvent d’embellir cette scène d'une nature vierge et imposante. La montagne centrale de Bo- rabora donne naissance à de petites chaines de collines qui s'ir- radient sur divers points, et notamment la première au Nord- Nord-Est; la seconde court du Sud au Sud-Ouest, et la troisième ae VOYAGE AUTOUR DU MONDE. se dirige de l'Ouest à l'Ouest-Nord-Ouest, en se terminant à la baie de Fanoüi. Son élévation est d'environ six cent dix-sept toises ; ses flancs, très-abruptes, sont composés d'assises épaisses, d'une belle dolérite, formant des murailles hautes de près de cinquante pieds, et qui sont cà et là complètement nues, et le plus souvent à l'endroit où les assises reposent l’une sur l'autre , recouvertes d'une abondante végétation. Son sommet déchiré est couronné par deux pitons, dont l’un, d'une nudité repoussante, a plus de deux cents pieds d’élévation. La pyramide qu'il forme repose sur une base étroite, et sa surface noircie et fendillée présente partout le trachyte à nu. Une excursion que nous eùmes occasion de faire sur le sommet de la montagne Paya, et jusqu'au pied du haut piton dont nous venons de parler, donnera l'idée la plus étendue de la végétation et de la nature du sol de Borabora, et pourra faire passer dans l'ame de nos lecteurs quelques-unes des sensations qu'elle nous à fait éprouver. Le 27 mai 1623, nous partimes du bord, MM. Bérard, Lottin et moi, par le plus beau temps du monde, dans l'inten- tion de gravir la montagne et d'en escalader les arêtes ; deux in- sulaires nous servaient de guides. Débarqués sur le rivage, nous primes un étroit sentier qui se déroule, en formant des zigzags, sur une petite chaine de collines se dirigeant au Nord-Ouest, et qui descend de la portion moyenne de la montagne elle-même. De beaux arbres à pain, des Mape (inocarpus eduls), des Nono (Morinda citrifolia), bordaient ce petit chemin qu'embarras- saient d’ailleurs les tiges volubiles des liserons grimpant sur les branches et retombant en festons ; nous remarquames surtout parmi ces lianes un dolichos, que les naturels nomment Toutou- vifaraoa , dont les tiges s'étendent au loin. Bientôt on se trouve sur le sommet de cette petite chaine, formée entièrement de dolérite, recouverte d'une argile trés-rouge, et le sentier alors ZOOLOGTE. 311 s’abaisse jusqu'au fond de la baie de Tipoto. Là on commence à s'élever sur le côté Nord-Ouest de la montagne, qui, en cet en- droit, est encore roide et escarpée; cà et là cependant des débris de cabanes temporaires attestent que les insulaires viennent y sé- journer passagèrement pour récolter les fruits des nombreux arbres à pain croissant aux alentours. La végétation est très- active ; et aux citronniers à fruits rugueux et aux Cratæva religieux se mélaient des buissons d'Arbiscus rosa sinensis, et de Gardenia , que l'arome suave de ses corolles décelait au loin. De grands arbres de y ( Spondias dulcis) nous fournissaient en abondance leurs pommes aqueuses et sucrées; tandis que nos guides, gravissant sans effort les longs stipes des coco- tiers, allaient en cueillir les noix pleines d’ane liqueur émul- sive toujours fraiche et agréable, mais dont le voyageur al- téré apprécie bien plus le goût savoureux. Nous nous trouvions en ce lieu à cinq heures du matin, au moment où l'abondante rosée qui couvrait les feuilles se dissipait sous l'influence des rayons naissants du soleil ;: un profond silence reposait l’ame qu'une fraicheur délicieuse disposait à jouir des beautés de sites si opposés à ceux des zones tempérées. De toutes nos excursions dans l'Océanie, celle-ci est sans contredit la seule qui ait laissé des traces profondes dans notre imagina- tion. À mesure que nous nous élevames sur le versant de la mon- tagne, par le seul côté qui soit abordable, le chemin devint si abrupte, qu'il fallut bien souvent nous confier à l'expérience et à l'adresse pratique de nos guides. Quelques jeunes bran- ches d'hibiscus furent écorcées, et les naturels qui nous ac- compagnaient en firent des cordes qu'ils allaient attacher au tronc des arbres pour nous aider à gravir des quartiers de rochers coupés presque verticalement, dont la surface était rendue glissante par des couches de bissus humectées sans 312 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. cesse par des nappes d’eau filtrante. C'est au milieu des bois que nous eùmes occasion de nous apercevoir combien les indigènes, dont l'appareil locomoteur est constamment exercé, l'emportent sur les Européens. Leurs pieds, dont les arti- culations n'ont Jamais été génées par une chaussure en cuir, jouissent de mouvements assez étendus dans les doigts, et le gros orteil surtout, très-écarté des autres, peut saisir avec force le sol sur lequel il appuie, et servir ainsi à sou- tenir le corps sur une pente humectée et glissante, et seconder les mains dans cette fonction. Les souliers, en nous déformant les pieds, nous ont entièrement fait perdre cet avantage. Nous escaladimes donc ainsi plusieurs fois des murailles de basalte, hautes de douze ä quinze pieds. De chaque côté, sont d'épais massifs de végétaux que forment les hibiscus, des pandanus, des erooua , ou orties argentées, dont l'écorce textile donne des filaments tenaces et soyeux ; les figuiers maki. Nous remar- quàâmes que quelques cocotiers maigres et rachitiques s'étaient élevés sur les collines jusqu'à environ neuf cent trente pieds; mais que passé cette élévation, ce précieux palmier cessait de croître, qu'il ne produisait jamais davantage et que sa végé- tation n'était vigoureuse qu'autant qu'il se trouvait au niveau de la mer. Après deux heures de marche, nous parvinmes à l'arête terminale de la montagne : là on trouve un plateau circulaire assez étendu et qui supporte un haut piton de forme conique, nommé Ofée par les naturels. Ce morne n'a pas moins de deux cents pieds d'élévation, et les quatre faces qui en composent le corps sont complètement nues ; tandis que son sommet, où croissent quelques arbustes, parait beaucoup plus large que la base, puis est terminé par une pyramide aiguë. La nature de ces roches volcaniques appartient à la do- lérite; la facé orientale de ce mont ignivome est formée de murailles verticales de cette belle dolérite , et ressemble, vue ZOOLOGIE. 313 du bord de la mer, à une tour gothique immense. Ces mu- railles toutefois sont formées de strates hautes de quarante à cinquante pieds; et leurs rebords, larges au plus de douze à quinze pieds, sont couverts de grands arbres très-pressés, et qui, vus du village, ressemblent à de couris arbustes formant à la base de chaque strate un étroit liséré vert. Assis au pied de FOtéé, MM. Bérard et Lottin prirent des vues, tandis que portant au loin nos regards, nous avions en perspective la haute mer et la plupart des iles de la Société. Un horizon clair nous permit de suivre parfaitement les sinuosités et les acci- dents du sol de Taha et de Raïatea au Sud, de Tupaï au Nord- Ouest, et de Maupiti à l'Ouest. Des pieds de la montagne partent trois petites chaines qui sillonnent l'ile au Nord, au Sud et à l'Ouest; l'une d'elles, dont la direction incline au Nord-Est, est couverte d'une riche verdure, du milieu de laquelle Di un roc décharné s'élançant d’entre les arbres, et que sa forme nous a fait nommer {e marteau. L'Otéé, où ce piton qui termine la montagne de Borabess d'une manière si remarquable, parait être jadccessible uni de nos guides nous assura, cependant, que les indigènes le gravis- saient parfois pour attraper les phaëtons à brins rouges, qui y nichent en certains temps de l’année. Ce plateau, élevé et soli- taire, est l'asile d'une jolie tourterelle qui descend rarement dans la partie inférieure'de l'ile : depuis plusieurs instants ses roucoulements nous annoncaient sa présence; mais son plu- mage vert la faisait échapper à nos regards : nous parvinmes pourtant à en tuer plusieurs. Cette tourterelle, que les naturels nomment Ouba, est la Columba kurukuru des auteurs, que nous avions trouvée aussi à O-Taïti : son plumage offre quel- quefois de légères différences. Au: vert brillant des ailes et du dos, succèdent un vert jaunâtre päle sur le cou, un jaune- serin sur la gorge, et un jaune vif sur le ventre et sur les couver- Voyage de la Coquille. — Z. Tome I. 4o 314 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. tures inférieures de la queue. Une calotte, d’un violet tendre que borde une auréole jaune, couvre la tête de la manière la plus gracieuse ; les rémiges sont œillées de blanc à leur extrémité ; le bec est jaunâtre, et les pieds sont orangés. L'ouba a huit pouces de longueur totale. Nous recueillimes en cet endroit quelques coquilles ter- restres : un petit bulime, couleur de chair, y était entre autres très-commun. Déja nous l'avions rencontré à O-Taiti ; mais sur le sommet du Paya, on le trouvait abondamment dans les aisselles des feuilles du vaquois inerme, et sur les frondes des fougères : c'est l'Ooa des naturels et le partula taïtensis de M. de Férussac. Malgré le froid vif que noustressentions avec d'autant plus de force qu'une sueur abondante ruisselait du corps, nous restämes quelques heures pour prendre une vue de file et de l'archipel environnant. Telles sont les réflexions que leur as- pect fit naître dans notre esprit. Les iles de la Société reposent toutes sur un plateau peu enfoncé sous la surface de FOcéan, et qui a été tourmenté par des éruptions nombreuses. Chaque ile, en effet, se compose d'un noyau volcanique, plus ou moins élevé, dont les flancs présentent cà et là de larges cou- lées basaltiques, tandis que le sommet est inégalement des- siné et retrace l'aspect d'un ancien cratère, dont les bords sont hérissés de pitons en certains endroits. Or, à ce noyau pri- mitif et central, s’adjoint une lisière plus ou moins large, très-plate, peu élevée au-dessus de l’eau, qui repose sur une base de corail. Ce terrain récent, en se moulant ainsi sur les bords du noyau primitif, a recu, par l’action des pluies et des ravines, la plus grande partie de l'humus que la végétation avait successivement créé sur ses pentes. Cette lisière, aujour- d'hui couverte de végétaux et de culture, la seule que les Océaniens aiment à habiter, est donc la première formation des ZOOLOGIE. 315 polypiers, et celle que depuis long-temps les animaux créateurs ont abandonnée pour se reporter plus au large et former une deuxième ceinture encore en partie cachée sous l’eau, dont les zigzags et les interruptions prouvent. que les zoophytes. saxi- gènes ont besoin, pour les établir, de trouver, au fond de la mer et à une certaine profondeur, des arêtes capables de supporter leur travail. Enfin les iles basses, ou motous, qui paraissent quelquefois à une distance assez notable de l'ile principale, ont été élevées indubitablement sur l'irradiation de quelques chaines du noyau volcanique central. Jamais, en effet, les bancs de coraux ne s'étendent au large, et toujours ils sont la dépendance de l'ile qu'ils entourent. On conçoit que, lorsque l'irruption du volcan sous-marin ne lui a pas permis de s'élever au-dessus des vagues et que son sommet occupe ainsi une cCer- taine profondeur, il en résultera que les polypiers madréporiques se serviront des rebords des cratères pour appuyer la base de leur édifice et de la chaine des récifs qu'ils formeront au moment d'atteindre la surface de la mer, et qu'ils présenteront des zigzags rubanés où même les trois quarts d'un cercle indiquant quels ont du être les contours des cratères : l'intérieur présentera un immense lagon, ainsi qu'on l'observe dans la plupart des iles basses ; et il sera d'autant plus profond au centre, que le cra- tère aura émis des déjections plus considérables, et que l'éro- sion qui en sera résultée aura creusé un sillon sur les flancs du mont ignivome, qu'on observe à l'entrée de ces lagons ; et c'est ce qui explique comment, dans ces passes, le plus souvent très- profondes, des navires européens peuvent y pénétrer et mouiller au centre même des iles. Vers midi, nous descendimes le Paya par le côté opposé à celui que nous avions d'abord pris. Le premier chemin occupe le Nord-Ouest de la montagne ; le second se dirige au Sud et ne peut servir qu à descendre, encore est-il hérissé de dangers: 40. 316 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. les naturels qui nous servaient de guides ne l'avaient jamais pratiqué; mais nous voyant décidés à ne pas rétrograder, ils ne balancèrent point à s'engager dans les épaisses broussailles qui nous cachaient les précipices, afin de nous diriger sans accident. Nous avons déja dit que l'élévation perpendiculaire du Paya au midi était à peu près verticale : aussi nous fallut-l, en quittant l'Orée, descendre une vingtaine de pieds à l’aide de cordes. Une fois parvenu à ce point, l'arête de la montagne forme une pente d'environ quarante degrés, entièrement recouverte de l'espèce de poivrier qui donne l'ava, dont les üges genouillées, mais cassantes, soutiennent le voyageur qui sy accroche, et dont elles assurent la marche sur une pente éminemment rapide. On contourne ainsi toute la face méridio- nale des hautes murailles nues de la montagne sur un rebord formé par les assises du trachyte ; et l'immense précipice qui est au pied est. caché par les tiges nombreuses et disposées comme en taillis des hrbiscus tiliaceus, de l'aleurites et d'un figuier à rejets nombreux ayant le port du ficus religiosa. Pour atteindre la face orientale, on est forcé de gravir, pendant un certain temps, au milieu des quartiers de roches éboulées sur lesquelles des lianes rampantes forment un lacis presque impé- nétrable, et dans les anfractuosités desquelles poussent de hautes fougères dont les tiges fragiles se brisent comme du verre dans les mains de ceux qui s’y accrochent péniblement , et qui emploient tous leurs efforts pour se tirer de ce dédale. Déja nous avions franchi de longues voûtes de rochers, des pics aigus, les arêtes étroites et la moitié de ces blocs de roches , A A . op | à à entassées péle-mêle, lorsque nos guides s'égarèrent. Enfin, après 5 de longs tâtonnements, des inquiétudes fort vives, et. des efforts répétés, après avoir mis nos vêtements en pièces et baï- gnés par la sueur, quoique l'air fut froid sur cette montagne, nous parvinmes au milieu du côté exposé au levant, où nous ZOOLOGIE. 3:17 pümes descendre avec moins de fatigues et moins de dangers, à laide de mamelons en pente très-abrupte, il est vrai, mais qui ne nous offraient plus qu'un sentier semé de roses, au lieu de la dangereuse descente que nous avions jusqu'à ce moment suivie. Les tiges du pourao et les racines qui rampent sur le sol humide que ne sèchent jamais les rayons du soleil, nous furent d'une utilité incontestable, mais n'empéchèrent point cependant que nos chutes ne fussent fréquentes ; et M. Bérard surtout se blessa d'une manière assez grave. Vers deux heures, nous atteignimes avec une vraie satisfaction la région des cocotiers ; c’est alors que nous trouvâmes, dans la boisson fraiche et limpide que ces coques ligneuses protégent, un breuvage délicieux. Le pied du mont Paya est légèrement déclive dans sa partie Sud; et comme le terrain, en cet endroit, est un peu onduleux, et recouvert d'un terreau meuble, il en résulte que les arbres à pain ne sont nulle part ni plus nombreux, ni d'une plus belle venue; il nous fallut prolonger toute village avant de rejoindre {& Co- quille. Nos guides paraissaient enorgueillis de pouvoir raconter à leurs compatriotes l’excursion de la journée, et tous expri- maient le plus vif étonnement de ce que des ratiras de la pahé de France s'exposaient à de telles fatigues pour cueillir quelques herbes ou casser quelques fragments de rochers. Un mission- naire anglais, M. Orsmond, profita de cette circonstance pour dire aux naturels, dans un sermon, que nous appartenions à une nation pauvre et misérable, n'ayant que très- peu d'indus- trie, envoyant ainsi des vaisseaux pour recueillir des objets que son sol ne possède point, afin de les vendre aux autres nations. Nous étions rendus à bord à quatre heures du soir. À une faible distance du rivage existent encore les ruines du morai de Pouny , ancien roi de l'ile , et qu'ensanglantaient de nombreux sacrifices humains. Ce moraï n'est plus aujourd'hui qu'un amas informe de gros blocs d’un madrépore compacte, 318 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. anciennement dressé en gradins. Des massifs de cocotiers , des- tinés à assurer l'existence des naturels, couvrent tout le terrain qui s'étend dans sa partie méridionale. Dans les fourrées qui existent sur cette partie de l'ile, nous remarquämes une espèce d'ahouai ( cerbera parviflora ), à corolles blanches; les habi- tants nomment ea l'arbre, et &pao le suc laiteux très-vénéneux qui s'écoule abondamment des tiges lorsqu'elles sont incisées ; ca et là y croissent des pieds de piments appelés obero , et que les naturels paraissent cultiver avec quelque soin. Aïnsi qu'à O-Taiti, nous rencontrames très-fréquemment, dans les aisselles des feuilles de cocotiers, le martin-pècheur o-fataré (todiramphus divinus , N. }et la perruche bleue ou e-vint (psittacus taitensts ). C'est en ce lieu que nous nous procuràmes pour la première fois une espèce de coucou que les insulaires appellent Ooea, et que Sparmann a décrite (mus. Carts. pl. XX XII ) sous le nom de cuculus taitensis. Ce coucou est de la grosseur de celui de France; il est en entier d'un marron brun avec des flammes fauves. Les rémiges et les rectrices sont également striées; la gorge et le ventre, de couleur blanche, ont dés flammes rousses; 1 Lee est légèrement effilé, et les ue. sont jaunes. Dans les an- fractuosités du Paya ne une petite hirondelle de mer, svelte et gracieuse; on la voit, dans le jour et surtout le matin, voler sans cesse à la poursuite des insectes au-dessus des grands arbres d'inocarpes et de spondias. Sa taille est un peu moindre ‘que celle de la petite hirondelle de mer d'Europe; son plumage est en entier du blanc le plus pur. Seulement les tiges des plumes sont de couleur brune, tandis que son bec et ses pieds sont d'un bleu d'azur clair. Les habitants de Borabora nomment cette sterne itae ou ptraë. Nous pensons que c'est l'espèce figurée par le docteur Sparmann (pl. I du mnus. Carls.) sous le nom de sterna alba, bien que cet auteur lui donne indifféremment ‘pour patrie ie cap de Bonne-Espérance et les iles de la mer du ZOOLOGTIE. 319 Sud. Sur les grèves où croissent des Baringtonta et le t00 , arbre majestueux par son feuillage et ses fleurs de couleur orangée (Guettarda speciosa?), des crabiers gris et blancs guettaient de 5 petits poissons ; et ces oiseaux, nommés e-hotou, étaient jadis vénérés dans l’ancienne religion des habitants. On nous donna à Borabora une espèce vivante de perruche très-voisine du phigy de Levaillant (pl. LXIV de son Histoire des perroquets ), peut-être encore plus voisine de la perruche fringillaire (pl. LXXI du même ouvrage), et que M. Vigors a décrite récem- ment (Zoo!. journ., n°3, p. 412)sous le nom de psittacula Kuhlir. Cet oiseau, sur lequel nous fournirons de nouveaux détails dans la partie descriptive des espèces, a la langue terminée par un petit cercle de papilles nerveuses; ses habitudes sont vives et colériques, et son naturel sauvage. Pour donner une idée des récifs dont nous avons déja fré- quemment parlé, nous nous bornerons à raconter les observa- tions que nous avons pu recueillir dans une excursion que nous fimes sur les rnotous les plus éloignés de Borabora, dans le double but de faire draguer sur les côtes sablonneuses de quelques points de ces ilots et d'en étudier la formation. Nous abattimes, en traversant la baie, plusieurs frégates qui volaient au-dessus de nos têtes. Cette espèce, que les naturels nomment otaa , est de moitié plus petite que la frégate qu'on trouve dans l'Océan Atlantique. Son plumage est entièrement noir, et mème le dessous du bec et la gorge sont de cette couleur ; de sorte que nous ne pouvons pas supposer que ce soit le pelecanus minor de Linné, bien quelle paraisse former une espèce distincte. Le premier endroit que nous visitämes fut Motou- Tapou, qui n'est séparé de Toubouar que par un étroit canal parsemé de pâtés de coraux. Motou- Tapou n’est qu'un plateau madréporique récemment sorti du sein des eaux, et que la vé gé- tation à déja en grande partie envahi. On n’y compte toutefois 320 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. que douze pieds de cocotiers qui, n'étant garantis par rien, sont froissés par les vents violents du large. La Flore de ce motou se réduit à cinq ou six plantes, qui sont les Lobelia arborea ( Forster prodr., n° 308), l'hibiscus tiliaceus , le Tournefortia à feuilles soyeuses, le convobulus pes-capræ ou pouai, et un liseron volubile à fleurs blanches. Ses habitants étaient : un chat que quelque navire européen y aura laissé, réduit à manger des crustacés, et qui parut se délecter avec de la chair de coco que nous lui donnâmes; une hirondelle de mer à calotte noire, nommée ‘era-poupa ; des pluviers dorés et des chevaliers aux pieds rouges, que les habitants confondent sous le nom de torea. Nous abandonnâmes Motou-Tapou pour visiter le banc de récif sur lequel la mer déferle avec violence, et qui forme le côté droit de l'étroit canal dans lequel il faut s'engager pour pénétrer dans la vaste baie de Borabora. Cette masse de corail ne découvre qu'à basse mer; elle se compose de madrépores informes, unis entre eux comme le calcaire grossier de nos carrières, et dont la croûte la plus supérieure est la seule vivante. C’est à la surface de ces bancs qu'on voit s'élever, sous mille formes variées, des arbres à axes pierreux et à écorces animalisées, ornées des couleurs les plus vives et les plus pures. À ces polypiers rameux en succèdent de flabelliformes; aux méandrines sont opposées des caryophyllies : à côté des astrées vivent les disques des fongies. Joignez à cela les teintes blanches, rouges, bleues, les plus vives, et vous aurez une faible idée de ces parterres d'Amphitrite, d'autant plus variés et fantastiques, que le miroir de l’eau reflète de mille manières les rayons lumineux qui les éclairent. Une espèce de caryophyllie, assez rare, a ses cellules terminales disposées en soucoupes, qu'isolent intérieurement plusieurs cloisons minces occupées par les bras filiformes et courts d'un polype d’un jaune d'or brillant ; tandis que la matière calcaire est enveloppée par une écorce d'un ZOOLOGTIE. 321 rouge de cinabre fort vif; ce sera notre caryophyllia sanguinea. La coquille de la tridacne bénitier est très-commune en ce lieu, et nous remarquämes que constamment ses valves étaient en- gagées complètement dans la masse des madrépores, et que le mollusque n'avait de place que celle qui lui était impérieusement nécessaire pour les entr'ouvrir: aussi doit-on supposer qu'il s'est ménagé cet espace étroit en ouvrant chaque jour ses valves, à moins quil nait, comme les saxicaves ou quelques autres coquilles perforantes, les moyens d'élargir sa demeure à me- sure que son test s'accroit. Le manteau de ce mollusque, que les habitants nomment paoua, est de l'azur le plus éclatant que relèvent encore de nombreux points brillants et dorés. Nulle part nous ne trouvames en plus grande abondance, dans les crevasses des rochers, l'espèce d'holothurie édule, que les Malais nomment {répang, dont la pêche occupe un grand nombre de navires anglais et américains de l'Union, et leur procure des profits considérables. Ce trepang (holothuria edulis, N.) est long de huit pouces environ, de forme cylindrique, et coloré en rouge-brun. Sa surface est recouverte de sables et de graviers qui s'incrustent sur la peau; et lorsqu'on le presse, 1l en jaillit un liquide d'un beau rouge. Plus rarement apparait sur ces récifs une holothurie cylindrique, longue de douze à quinze pouces, etremarquable par de nombreux tentacules placés sur le rebord de la bouche et composés chacun d'un plateau pédicellé ; leur couleur est jaunâtre , tandis que celle du corps de l'animal est d’un gris clair, sur lequel tranchent des cercles plus foncés et que hérissent cà et là de nombreuses éminences papillaires d'un beau jaune. Sur ces bancs de coraux, que recouvrent ordinairement un pied ou dix-huit pouces d’eau , se trouvent encore de nombreux petits bassins, assez profonds, où vivent des poissons remar- quables par leur splendide vestiture. Leur nager rapide au Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 41 322 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. centre des écueils, les reflets variés de leurs écailles, jettent la vie et le mouvement au milieu des animaux, insensibles en apparence, qui joignent au port des plantes l'éclat des fleurs , et que l’on nomme zoophytes. Tels sont : lE-mamo bleu et argenté ; la baliste brune, oz; le labre, tarao, ponctué de rouge-brun ; le momotara , ou coffre à quatre cornes; les aleu- tères ; Les chétodons, etc., etc. Parmi les crustacés, nous remar- quàämes de nombreux crabes vivement peints, la langouste d'O- Taiti (palinurus versicolor ?), et une squille beaucoup plus grande que celle des côtes de France, et dont le corps, agréa- blement coloré en jaune-serin, est traversé par douze bandes d'un brun-marron lustré. De larges touffes d'une actinie dont les individus sont grou- pés et serrés les uns contre les autres recouvrent, en bien des endroits, les madrépores arrondis en tête : les habitants la nomment #ataimomoe, et nous pensons qu'elle constitue une espèce inédite du genre Zoanthe. De petites touffes de fucus turbinés (fucus prxidatus ) et de sargasses forment une verdure variable au fond de l’eau. Le premier est l’érimou des naturels, et est souvent entremêlé à un polypier mollasse et gélatineux, formé de grains arrondis, de couleur verte transparente, enfi- lés comme des grains de chapelet, que l'on appelle aussi , dans le pays, erimou, en lui ajoutant l’épithète d'onrni. Les frondes flabelliformes de l'ubva pavonia sont mollement balancées à côté des tiges comme noueuses des halimèdes voisines du {una de Solander et d'Ellis, et dont les articulations sont d'un vert gai à l’état frais, et blanchissent en desséchant, lorsque leur axe calcaire se trouve privé de l'écorce animalisée et colorée qui le revétait. L’halimède est l'érimou orou des habitants de Borabora. Des thétis, des ava-ei-matapé ou spatangues à pi- quants courts et serrés, de couleur marron; des tavouaé ou oursins orbiculaires à piquants roux à la base et blancs à la ZOOLOGIE. 323 pointe; de gros trochus comestibles, des cônes dits piqures de puce, vinrent accroitre le nombre des objets que nous recueil- limes sur ces récifs. La petite ile isolée de Toubouaï , sur laquelle nous nous diri- geames ensuite en quittant les écueils de la passe, diffère des motous en ce qu'elle est de la même constitution géologique que Borabora, c'est-à-dire montueuse, et, nous pensons, de dolé- rite; mais comme elle est partout très-boisée, nous ne pümes nous assurer, d'une manière positive, du fait. Le pois corail (abrus precatorius), si commun en Amérique, couvrait la lisière de cet ilot; et ses gousses, alors en maturité, étaient remplies de ces graines rouges et noires si vivement colorées. Les mous- 5 5 tiques pullulaient en ce lieu et nous en chassèrent. Sur la orève o) vivaient les foupa, espèce inédite d’ocypode, l'holothurie eouarr, et la dolabelle téremidi,espèce nouvelle et remarquable dont nous avons communiqué la figure et fanimal en nature à M. Rang, pour faire partie de sa monographie des aplysies, et où on la trouve décrite page 48, et figurée planche II. La baie de Borabora est souvent fréquentée par des essaims de ces énormes raies que les marins nomment diables de mer, et que les naturels appellent aapiti. Cette espèce vit en troupes, nage avec rapidité, et vient souvent à la surface de la mer, de manière à simuler le sommet d'une roche à fleur d'eau. Elle a de douze à quinze pieds de largeur, etla queue d'unindividu que nous donna un pêcheur avait cinq pieds de longueur. Les habitants des iles de la Société s’en rendent maitres en leur lançant des harpons, et se servent de leur peau pour faire des ràpes avec lesquelles ils polissent les ouvrages en bois. Nous terminerons le tableau physique de Borabora par une esquisse historique sur le cocotier ‘. Ce palmier, si abondant 1 Cocotier des Indes, Cocos nucifera, L.; Cocos inermis, frondibus pinnatis , Ar. 324 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. sur les iles océaniennes, parait être directement lié à l'existence de l'homme : partout où il croit sur les iles basses, on est assuré que l'espèce humaine s'y est établie, et qu'elle a bâti sa cabane sous la protection de son parasol de verdure. Le cocotier est le végétal océanien par excellence ; et bien qu'il semble former une écharpe autour du globe dont les limites se trouvent être les 25 degrés de latitude, il ne se montre que d'une manière secondaire dans l’ancien monde et dans le nouveau. Il ne croit jamais que sur le littoral des contrées situées entre les tropiques : il a besoin, pour vivre, d'une atmosphère marine et chaude; foliolis replicatis ensiformibus, L., Sp. pl.; Cocos nucifer, dulci, eduli, Jacquin, Am, , tom. CLXVIIT; Roxb. Corom. I, p. 52, tom. LXXIIT; Labat, Voyage en Amérique, tom. III, pag. 266; Pyrard, Voyage aux Indes orientales, 1679, pag. 22; Flacourt, Hést. de Madagascar, p. 127; Nux indica, Lobel, Ie. 270; Palma indica, coccifera, angulosa, Bauhin, Pinax. Parmi le grand nombre de noms que le cocotier porte dans les diverses contrées où croît ce précieux végétal, nous citerons les suivants : Calappa, Rumphius, Amb., I, p. 1; Tengua, Rheède, Malab., I. Inaya-Guacuiba, Pison, Bras. 130? Coquero, au Brésil, Koster, It. ? Roul ( le cocotier ), Caré (le coco ), aux Maldives; Narquilly, chez les Guzarates; Barca, dans l'Inde, Taylor, It. t. II, p. 190; Klapa, Kalapa, Nior, des Malais; Niou, aux Tonga et aux Fidjis; Nou, à la Nouvelle-Calédonie; Serail, à Waigiou, D’Entrecasteaux, It. Kasout, à Waigiou; Lamate (le lait), Kambi (la chair), Ouanaté (la coque ), Kani ( le brou }; Ari, à O-Taïti; Lamass , à la Nouvelle-Irlande; Larime (la coque ), Kaourou (le lait), Lamass (la chair ); Sera, à la Nouvelle-Guinée, havre de Doréry; Karafta (la chair), Rouria (le lait émulsif), Yeff£a (le brou filamenteux), Sefeia (la coque ligneuse). ZOOLOGIE. 325 partout ailleurs il végète sans vigueur et sans grace. Mais dans les iles innombrables de la Polynésie et de l'Océanie, dans celles surtout qui s'élèvent à peine au-dessus des vagues, il parait être dans sa patrie de prédilection, et forme des forèts délicieuses que l'œil du navigateur contemple de loin avec une satisfaction que rien n'égale. Décrit dans presque toutes les relations des voyages nau- tiques , le cocotier a recu des marins le titre de ror des végétaux. Son utilité est immense, et tout en lui est formé pour les premiers besoins de l’homme. Ses longs stipes, composés de fibres tenaces, servent, aux Indes, de ponts sur les ravines et sur les petites rivières : ailleurs on en fait quelques meubles do- mestiques ; en Chine, 1ls constituent la charpente des cabanes des gens pauvres des provinces du Sud. Ses immenses feuilles composées sont utilisées pour faire des toitures, des paniers, des ouvrages variés de vannerie; parfois mème elles remplacent le papier, en recevant des Indiens les lettres qu'ils y incrustent avec un poinçon. Ces feuilles, tissées avec art aux Mariannes, sont employées pour faire des corbeilles gracieuses dont se servent les femmes. Les nervures sont réunies en balais ; enfin, tissées, modifiées de mille manières, on les transforme en pa- rasols, en éventails, en voiles de pirogues, etc. Il est rare qu'on cherche à obtenir du cocotier la sève, qui fournit, dans plusieurs autres espèces de palmiers , le vin dit de palme ou souva, tart, touba, etc.; sève que l’on peut concentrer en un sirop, puis en une sorte de sucre noir hydruré , que les Malais appellent yagra, Jaggart et goula itan. Avec cette matière sucrée, les habitants des Mariannes font des sapa, ou sortes de confitures fort agréables ; et unie à de la chaux et du blanc d'œuf, on s'en sert à Madras pour en composer un stue ou mastic tenace qui résiste à l'action du soleil et de la pluie, et qui, dit-on, acquiert un beau poli. 326 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. La toile grossière, disposée en filaments entrecroisés à la base des pétioles, est fréquemment utilisée pour servir de filtre ou de tamis grossier. Les fibres longitudinales des stipes , nom- mées dock à Java, font des cordages excellents pour la marine. Le bourgeon terminal fournirait un chou d'un excellent goût, si l'on pouvait se décider à détruire, pour un si frêle avantage, les ressources infinies et importantes que le cocotier donne dans le cours de sa vie. Parfois cependant, dans les colonies, on prépare, par luxe de table, des tiges de jeunes cocotiers en- core herbacées et n'ayant pas dépassé trois ou quatre ans, remplies, dans leur intérieur, d'une moelle saccharine muqueuse, très-agréable au gout. Mais les ressources les plus importantes fournies par ce pal- mier sont ses noix, qui, suspendues par grappes sous le feuil- lage, se succèdent pendant long-temps sans interruption , et offrent des fruits naissants à côté de ceux complètement mûrs, et d’autres dans un état intermédiaire. L'enveloppe filamenteuse, ou le brou qui entoure chaque noix, est connu dans l'Inde sous le nom de Cure ou de Bastin * , et au Brésil sous celui de Cairo. On en retire, dans les ports de l'Inde, une bourre avan- tageuse pour calfater les vaisseaux; car on dit qu'elle résiste beaucoup plus long-temps que l'étoupe de chanvre à une im- mersion dans l’eau. Les càbles, tous les cordages employés dans les ports de l'Inde et du Brésil sont faits de cette matière textile; ils n’ont point la force de ceux du chanvre ; mais ils l'emportent sur eux par l'avantage de pouvoir surnager, étant très-légers. : On obtient les filaments du Caire ou Kair en les macérant, et en les séparant par le battage. Leur adhérence est rompue à coups de maillet, de manière que l’eau dans laquelle on les immerge a plus d’action pour dissoudre les matières gommeuses et solubles qui les invisquent. Ces filaments sont séchés, battus de nouveau, et mis dans le commerce lorsqu'ils sont nets. Quarante cocos donnent environ six livres de ce Caire. ZOOLOGIE. 327 Quoique leur durée ne soit point inférieure aux cordages d'Europe, ils ont le désavantage d'être hérissés de barbes rudes sur leur surface, qui les rendent peu maniables *. La coque ligneuse située sous le brou qui enveloppe l'amande est, par sa dureté et par sa forme, en possession de servir de vases et de vaisselles à tous les insulaires dans l'enfance de la civilisation. Lorsque ces noix n'ont pas encore acquis leur maturité parfaite, elles contiennent un liquide aqueux, d’abord limpide, d'une saveur sucrée, aigrelette, dont les propriétés rafraichissantes et tempérantes ne sont point équivoques. Ce liquide, dont les cocos contiennent jusqu'à près d’un litre, est la boisson ordinaire de tous les peuples répandus dans la mer du Sud. Les dames créoles s'en servent, aux Antilles, pour faire disparaitre les taches du visage et dans l'espérance de rendre la peau vermeille et satinée. Nous avons remarqué que l’usage de cette boisson, dans les blennorhées, occasionnait une vive cuisson , et que les écoulements en recevaient la propriété de tacher le linge en noir ; ce qu'on doit attribuer, sans doute, aux acides carbonique et malique qui y sont contenus, ou au sel à base de chaux et de potasse que M. Trommsdorff y a trouvé. Par l'analyse chimique, en effet, on reconnait que le lait émulsif de coco est composé de beaucoup d’eau, de sucre , d'un peu de gomme et de sels végétaux ; dans la maturité du fruit, ce li- quide acquiert de la densité, ressemble à une crème onctueuse, et finit par se transformer en une substance tenace, d'une sa- veur douceàtre, dure, d'une blancheur éblouissante, et qu'on nomme chair ou lard de coco *. Au centre de cette chair * Trois tourons de neuf fils de carret se rompent sous un poids de 162,000 liv. ? Cette chair est ainsi composée, d’après M. Trommsdorff ( Journ., t. XXIV, et Journ. de Pharmacie, 1816, t. II, pag. 97 ): 1° D’huile butireuse, surnageant le suc laiteux qu’on en retire par expression, se figeant aisément, et qu'on pourrait nommer beurre végétal ; 328 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. séjourne quelque peu du liquide primitif qui n’a point changé de nature, et au milieu duquel se trouve parfois une petite concrétion oviforme, d'un blanc de porcelaine, qui paraît être déposée par couches dues à la précipitation du carbonate de chaux. Ce corps jouit d’une réputation d'autant plus grande chez les Malais, qu'il ne se trouve que dans des circonstances très-rares et encore inappréciées : ils l'ont doté d’ailleurs des propriétés les plus miraculeuses, et ce n’est qu'en le payant fort cher qu'il est possible de se le procurer. L'usage de la chair de coco fournit une nourriture agréable, soit qu'on la mange lorsqu'elle n'a encore que la consistance de crème, ou soit qu'étant mure, elle serve avec beaucoup d'autres substances à composer des mets qui varient suivant le goût des tribus. Sous le rapport commercial, le cocotier peut encore fournir de grands produits : on retire de la chair de coco râpée, une huile grasse d’une saveur très-douce lorsqu'elle est épurée, brülant avec une belle flamme , se figeant aisément et propre à faire un savon amygdalin; trente-deux cocos don- nent à peu près dix-sept livres de pulpe, dont on peut retirer trois hvres d'huile. Nous n'étendrons pas plus loin ces recherches, bien qu'il soit possible de les compléter par une foule de détails sur l'utilité dont est ce précieux palmier chez tous les peuples dis- sémuinés sur les rivages des régions équatoriales. Nous nous bornerons à dire que la mythologie indienne l'a divinisé en le faisant naître du sang de Ceuxy, immolé dans un accès de jalousie par son père /xora. Aussi les pauvres Malabares ont l'usage, dans leurs cérémonies nuptiales, pour mettre le sceau 2° De liquide aqueux; 3° D'albumine ; 4° De sucre liquide, ou mucoso-sucré, remplaçant la partie caséeuse du lait des animaux , tandis que le beurre est l’analogue de l’huile grasse. i ZOOLOGIE. 329 à leur promesse de s'aimer toujours, d'échanger une de ces noix avec leurs épouses. Ç VIL PORT-PRASLIN (NOUVELLE-IRLANDE ). (Du 12 août 1823 au 21 du même mois. ) Le Port-Praslin est situé à l'extrémité méridionale de la Nou- velle-Irlande , à YOuest du cap Saint-Georges , par 11° 49 48°” de latitude Sud, et 150° 28 29° de longitude Est. Ce nom lui fut donné par Bougainville, en l'honneur d'un ministre de la marine qui ordonna le premier voyage autour du monde qu'aient exécuté les Français. Vers la même époque, Carteret, navigateur d'Albion, relàcha dans le havre placé plus à l'Ouest et appartenant à la même baie, qu'il appela 4nse aux Anglais. Bougainville, en séjournant dans ce port, crut qu'il était situé au fond d'un golfe et qu'il dépendait de la Wouvelle-Bretagne découverte par Dampier. Tandis que Carteret, au contraire, ne craignit point de senfoncer au fond de ce prétendu golfe, qu'il trouva ouvert par un détroit assez long, qu'il nomma Canal de Saint-Georges , en imposant le nom de Nouvelle-Ir- lande à la terre où le Port-Praslin offre une rade süre et abritée. Pour attemdre ce mouillage, deux passes servent aux vaisseaux, qui laissent à droite ou à gauche l’/l-Ferte de Bougainville, dite Latao par les naturels. Il est protégé au Sud-Ouest par un petit cap appelé Tavuaolai ; et la baie, qui s'enfonce Voyage de la Coquille. —Z. Tome 1. . 42 330 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. dans l'Est au milieu des terres, se termine au pied de la mon- tagne de Cambatore en prenant le nom d’'Æbataros. Au Nord s'avance la pointe d'Embrambia, de sorte que le Port-Praslin se trouve parfaitement abrité de toutes parts, et protégé par une ceinture de montagnes nommées Lanut. Il se continue dans la portion Nord par un bras de mer étroit avec l'Anse aux Anglais ou Siourou ; car ces deux havres ne formeraient qu'une vaste baie, si l’//e aux marteaux,ou Lambonne, n'était interposée entre eux. Cette ile peut avoir environ deux milles de longueur, dans une direction de l'Ouest-Nord-Ouest au Nord-Ouest, en présentant la forme d'un grand fer à cheval, due à ce que sa partie méridionale est découpée par une vaste baie. Son extré- mité occidentale, nommée Lamassa par les habitants, a du jadis être couverte de cocotiers, à en juger par son nom. Le canal qui sépare le Port-Praslin del Anse aux Anglais a six milles marins; ce dernier est abrité par deux montagnes dont l'élévation parait considérable, et qui, par leurs pitons, attirent sans cesse des nuages noirs et épais, de manière que, lorsqu'il fait un temps superbe au Port-Praslin, la pluie y tombe fréquemment par torrents. Les arbres qui couvrent ce point de la côte sont constamment, même par les plus beaux jours, entourés d'abondantes et épaisses vapeurs. Les nègres papous, qui habitent cette partie du monde, paraissent nom- mer la ÂVouvelle-Irlande, Enlourou ; mais ils appellent sans nul doute la Nouvelle- Bretagne, Birare, et sont dans un état perpétuel d'hostilité avec ses habitants. L'ancrage du Port-Praslin est sûr et commode; la mer, pen- dant la durée de notre séjour , y a été constamment unie comme une glace, et le vent du large ne s'y faisait jamais sentir. Des grains violents nous amenèrent cependant une fois une légère rafale, dont les efforts, brisés contre le sommet des montagnes, descendaient sans force au fond de la baie. Quelle que püt être ZOOLOGIE. 337 d'ailleurs leur intensité, ils ne seraient jamais redoutables, parce que la chaine qui protége les rivages est régulière à son sommet, et nest point déchirée par les ravins. Les vents régnants, pendant notre relâche, furent de légères fraicheurs de l'Est, de l'Est-Sud-Est et du Sud-Est; mais plus souvent on éprouvait un calme tel, que la feuille la plus légère semblait im- mobile : en général, la brise ne se faisait sentir que dans l’après- midi. La mer, dans ce port, est partout également profonde ; et; quoique mouillés très-près de terre, nous n'avions pas moins de trente-trois brasses sur un fond de gros sables madré- poriques mélangés à beaucoup de débris de coquilles. La chaleur n’a pas été aussi considérable que nous devions le croire par notre position presque immédiate sous l'équateur. Les vastes forêts dont la Nouvelle-frlande est couverte en tota- lité, sans cesse arrosées par des pluies abondantes qui per- mettent une vaporisation continuelle, résultat d'une chaleur intense, rafraichissent l'atmosphère. Ces forêts ombreuses, en effet, retiennent dans leur intérieur une humidité défendue des rayons du soleil par des dômes épais de verdure : il en résulte une chaleur humide dont les effets sont moins sensibles sur le corps que ceux de la chaleur âcre et sèche que l'on ressent dans les déserts d'Afrique, par exemple. Le médium du thermomètre à midi était de 26° 6, et, dans la nuit, il ne descendait jamais plus bas que 25°6’. La température de l’eau, prise au milieu de la baie, ne différait de celle de l'air que d'un degré. L'hygromètre varia de 103 à 108°, et le baromètre se maintint à 28 pouces. Les orages se reproduisent avec une fréquence qui étonne; ils se forment en un clin-d'œil et se dissipent de même. Les nuages les plus inférieurs sont ceux qui donnent de la pluie sur le Port-Praslin; tous les autres sont attirés par les hautes montagnes des rivages ou de l'intérieur de l'ile. D l2. 332 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Les bords du havre qui nous occupe sont garnis de bancs madréporiques nombreux; ils sont interrompus devant les courants d'eau douce qui descendent du sommet des mon- tagnes, en formant des sortes de petites rivières. Pour que les embarcations puissent s'approcher de la terre, il faut les diri- ger dans ces canaux. En décrivant une de nos excursions sur le pourtour de la baie, nous donnerons à nos lecteurs une idée exacte et pittoresque des végétaux qui se pressent de toutes parts sur ce sol fécond, et des animaux qui y vivent. Les alentours du Port-Praslin sont donc bordés de coralligènes que la marée laisse presqu'à sec en se retirant; tandis que, à la haute mer, les eaux s'avancent sur les sables jusqu'au pied des arbres qui en forment la lisière. Dès qu'on débarque sur la grève, on observe une végétation tellement active et vigoureuse, qu'on la voit envahir le littoral, et ne cesser que là où la mer lui dispute la possession du sol. D'énormes troncs d'arbres ren- versés encombrent les rivages, et leur vétusté, comme un terreau fertile, nourrit encore des colonies de plantes charnues, qui s'en disputent les moindres parcelles. Cette végétation n'y pré- sente point d'éclaircie; elle couvre toute cette portion de l'île d'une seule forèt. Les arbres magnifiques qui la composent, les arecs qui les dominent, et une foule d'autres, se pressent et croissent avec vigueur. Des lianes de toutes sortes s’entortil- lent autour des troncs, grimpent jusqu'aux sommités des branches, et semblent avoir pour but de tendre des filets impé- nétrables. Parmi ces lianes, il en est une dont les fleurs légumi- neuses, d'un beau jaune, flattent la vue, et dont les tiges volu- biles se trouvent armées de crochets épineux qui déchirent impitoyablement le voyageur qui s'engage sans précaution sous leurs lacis. D'éclatants papillons se croisent en tous sens sous ces dômes de verdure ; des coquilles terrestres variées en habitent le feuillage, et sur les branchessse rencontrent fré- ZOOLOGTE. 333 quemment le tupinambis noir, ponctué de jaune. Des Baring- tonia, qui prennent un développement énorme, des hibiscus à feuilles de tilleul, des Xeneo { Guettarda speciosa), et surtout des scævola Lobelia, de Vahl, croissent le pied dans l’eau, et paraissent avoir besoin, pour l'entretien de leur vie, d'une exposition toute maritime. Il en est de mème d'un très-beau pancratium qu'on ne trouve que sur le rivage. Ce végétal ( pancratium amboinense?), remarquable par une hampe florale élevée, que couronnent des corolles blanches à étamines purpurines, a de larges feuilles roides, charnues, dans les ais- selles desquelles nous trouvames en abondance la coquille terrestre, type du genre scarabe, que M. de Blainville a décrite comme nouvelle en la nommant SCARABE DE LESsON, scarabus Lessonü(Dict. Sc. nat.,t. XLVILT, p. 32). Le therates labiata, Fab., à tête dorée, volait sur les branches, et annonçait son passage par une odeur de rose fragrante qu'il laissait derrière lui. Ca et là s'élévaient les tiges droites des rotangs, si estimés en Europe pour faire des cannes ; et sur la plupart des troncs d'arbres, s'enlaçaient les tiges grimpantes des poivres cubèbes ; le faux sagou {cycas ctrcinalis), ayant par ses stipes droits le port des palmiers, était alors chargé de fruits. Les Papous de la Nouvelle- Irlande les recherchent, et font, avec sa moelle intérieure, des pains analogues à ceux qu'ils retirent des vrais sagoutiers. Les plantes nourricières de ces profondes forèts se trouvent être le Zaka, si commun sur toutes les iles de la mer du Sud /éno- carpus edulis); le sohest, qui est le pya des O-Taitiens [tacca pinnatifida ) ; le chou caraïbe [arum esculentum). Les arecs (areca oleracea), dont nous abattimes un grand nombre pour en obtenir le bourgeon terminal ou le chou, formaient des groupes épais dans certains emplacements, en s'unissant aux tiges épineuses du caryota urens, des lataniers et des pandanus. On doit remarquer que les forêts équatoriales des Moluques, 334 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. de la Nouvelle-Guinée et de la Nouvelle-frlande, remarquables par les gigantesques proportions des arbres de toutes sortes qui les composent, ont très-peu d’arbustes et de plantes her- bacées. La chaleur solaire pénètre à peine sous l'épaisse et haute verdure qui couvre le sol, sans cesse humide, toujours ombragé, et où règne une fraicheur qui fait place, aussitôt qu'on a franchi quelques espaces dénudés, à l'action d'une chaleur insupportable. La vapeur qui s'exhale du sol, lorsque le soleil monte, se condense en nuages au-dessus des arbres, et n'imite pas mal la fumée qui s'élèverait de dessus un village. Toute l'épaisseur de ces vastes forêts vierges est jonchée de troncs énormes, déracinés par leur mort naturelle, et couchés sur la terre qu'ils embarrassent , et à laquelle leur décomposi- tion lente rend les principes qu'ils en reçurent, en se réduisant en humus. Sous leurs écorces crevassées, se logent de froids reptiles; mais cependant la nature, qui aime à présenter le contraste de la vie et de la mort, voile encore ces traces de des- truction , en les couvrant de fougères au feuillage découpé et grèle, d'épidendrum, parasites à corolles bizarres et vivement peintes, de lichens ét de bolets de formes et de couleurs diver- ses. De tous les végétaux arborescents, l'inocarpe est sans con- tredit un de ceux qui atüirérent le plus notre attention. Sa taille, à Taïti, n'avait rien d’extraordinaire; tandis qu'a la Nouvelle-Irlande il acquiert des proportions considérables, élève sa cime à de grandes hauteurs, et envoie au loin ses racines, qui rampent à la surface du sol, en présentant des parois minces et en même temps élevées de plusieurs pieds, de manière à former des sortes de cabanes naturelles, séparées par de légères cloisons, et capables de contenir sept ou huit personnes. Tel est l'ensemble bien imparfait du paysage aux alentours de Port-Praslin. Par cette esquisse grossière, on doit penser quel effet imposant il imprime dans l'ame du voyageur ZOOLOGTE. 335 européen. Le silence de ces lieux profonds et inhabités, où les nègres indigènes ne se présentent qu'accidentellement, n'est interrompu que par le bruissement des jeunes tiges des arbres sur les pas de l'explorateur, par les cris rauques et discordants du lori vert, ou par le bruissement des élytres des grosses cigales. Tout dispose l'ame, même du naturaliste le plus exclusi- vement porté vers les collections, à un sentiment indéfini, à des émotions profondes, à un plaisir mêlé de quelque chose de vague et de triste que rien ne peut rendre, et qu'aujourd'hui nous ne nous rappellerions point, si nous n'en trouvions l'ex- pression dans notre journal écrit sous l'inspiration des sensa- tions du moment. Les rivages du Port-Praslin sont parcourus par un grand 5 nombre de sources qui descendent des montagnes placées autour du havre qu'elles abritent. La plus remarquable, comme la plus abondante de ces sources, est celle que Bougainville à décrite dans sa relation, et que nous avons nommée Cascade de Bougainville. Le marin français qui la vit dans la saison de l'hivernage, époque où le volume d’eau qui en descendait était considérable, en parla en ces termes : :« Nous avons tous été voir « une cascade merveilleuse, qui fournissait les eaux du ruisseau « du navire l Étoile. L'art s'efforcerait en vain de produire dans les « palais des rois ce que la nature a jeté dans un coin inhabité. « Nous en admirâmes les groupes saillants, dont les gradations «presque régulières précipitent et diversifient la chute des «eaux. Nous suivions avec surprise tous ces massifs variés pour « la figure et qui forment cent bassins inégaux, où sont recues « les nappes de cristal, colorées par des arbres immenses, dont « quelques-uns ont le pied dans les bassins mêmes : cette cascade «mériterait le plus grand peintre. » Or, pendant la durée de * Voyage autour du monde, en 1766 à 1769, p. 282 de l'édition in-4°; Paris, 1771. 336 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. notre relache, la source ne fournissait que peu d’eau ; car nous étions à la fin de l'été, dans cette partie du monde, et au mo- ment où la saison des: pluies allait recommencer. Les chutes de la cascade de Bougainville sont à peu de distance du rivage à l'Est du Port-Praslin ; elles sont formées par cinq gradins s’éle- vant rapidement les uns au-dessus des autres, dans une éléva- tion d'environ trente à quarante pieds. L'eau s'est creusé une ouverture à la moitié de la montagne, et jaillit en nappes écu- mantes, limpides et fraiches, dont le murmure se meéle au bruissement des feuilles, à la chute des vieux arbres qui tom- bent de temps à autre et encombrent son lit, ou jettent en travers des ponts chancelants. Ces eaux, très-chargées de sels, ont comme ciselé la surface des roches qu'elles baignent, et les strates d'où elles tombent en nappes sont bordées de stalactites calcaires, groupées d’une manière agréable. Le lit et les strates sont formés de chaux carbonatée, due, sans aucun doute, à des masses madréporiques qui ont moulé sur le noyau primitif un terrain récent. Les pores de ces coraux, depuis long-temps éteints, sont remplis par des cristaux d'un spath que l'eau tient en suspension, et celle-ci est rendue purgative par plu- sieurs autres principes salins. Comme site romantique, cette cas- cade mérite de fixer l’attention; mais nous l'avons trouvée bien inférieure à celles de Kiddi-Kiddi à la Nouvelle-Zélande, et de l'Ile de France. Son plus grand charme dépend des masses de végétaux qui se pressent dé chaque côté, y forment d'épaisses fourrées où se marient les feuillages les plus opposés, les teintes les plus diverses, les formes ligneuses les plus variables. Une voûte de verdure, due à d'immenses figuiers, à de gracieux arecs enlacés de tiges volubiles, recouvrant des eaux fraiches et limpides, peuplées de coquilles fluviatiles ‘, de crevettes, et em- 1 La néritine et le clithon. ZOOLOGIE. 337 bellies par les papillons ornés qui éclosent sur leurs bords, esten- core animée par les oiseaux qui viennent s'y reposer. De grosses fourmis, dont la morsure est douloureuse, sont très-communes en ce lieu ; et le calme de la forêt est, de temps à autre, inter- rompu par le cri d'un corbeau analogue à notre corneille, et qui imite, à faire illusion , l'aboiement d’un chien. Bougainville avait déja indiqué cette particularité en disant dans sa relation: « Nous y remarquämes une espèce d'oiseau dont le cri ressem- «ble si fort à l'aboiement d'un chien, qu'il n'y a personne qui «ny soit trompé la première fois qu'on l'entend. » L'ile Lambonne, que Bougainville a nommée //e aux mar- eaux, parce que les gens de son équipage y trouvèrent un grand nombre de ces coquilles bivalves, alors rares dans les collections, est très-riche en productions naturelles remar- quables. Nous y cherchâmes toutefois infructueusement ces testacés , dont nous ne vimes aucuns débris. Une anse considé- rable entame la partie boréale de cette ile, et se termine, sur le rivage, par des grèves sablonneuses déclives, et par des bancs de coralligènes. Jamais nous n'avions vu des points aussi riches en zoophytes; ils pullulaient dans cet espace resserré , abrité des vagues du large, qui déchirent et mettent à nu les rochers de la côte méridionale où s'arrêtent leurs efforts. Ces plateaux de coraux sont au contraire recouverts d'une petite masse d'eau dont la surface est toujours paisible, et réchauffée par l'in- fluence directe du soleil. La lumière, pénétrant avec force sous cette couche, y fait développer un luxe de vie que nous n'avions encore observé nulle part: aussi nous arriva-t-il de passer fré- quemment des heures entières en ces lieux, ayant de l’eau jusqu'à moitié des cuisses , pour y dessiner des zoophytes, et saisir leur éclat fugace , leur forme, qui, sans cette précaution , eussent échappé à notre étude. Dans le deuxième volume de cet ou- vrage, nous aurons OCCasion de décrire les rares et curieuses €s- Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 43 338 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. pèces que nous recueillimes sur ce point, et il nous suffira de dire ici que nos collections et nos dessins s’accrurent consi- dérablement en éponges, en actinies, en zoanthes, en asci- dies , etc. Des serpules ou tuyaux de mer, dont les animaux à tentacules d’un azur doré, brillants de teintes vraiment fan- tastiques , étaient entrelacés au milieu des coraux, et le zoophyte sortait de son tube pour s'épanouir comme une belle fleur , et s'y cachait avec vivacité au contraire, lorsque l’eau, agitée par quelques mouvements lointains , lui donnait, par ses ondula- tions même lésères, la conscience d'un danger quelconque. Des holothuries , des étoiles de mer à six rayons droits et linéaires , l'asterias discoidea, la fongie avec ses larges polypes en ventou- ses, une actinie verte à tentacules rouges, une actinie du pour- pre le plus vif, des aplidium, couvraient cette partie de la baie. Sur le rivage, attachés aux troncs couchés des arbres abattus par vétusté, adhéraient de larges huitres minces, très-délicates. De nombreux fragments de nautiles {rautilus pompilius) jon- chaient les sables des grèves, et attestaient que ce céphalopode doit étre très-abondant à certaine profondeur. À ces objets se joignent des cônes , des porcelaines , des trochus, etc. La végétation de l'île Lambonne s'étend dans la plus grande partie de la côte jusqu'à la mer; partout elle est d'une rare beauté. Les cycas s y montraient en plus grande abondance que partout ailleurs. Son pourtour entier était festonné par des guir- landes de lianes suspendues de branches en branches, d’'en- tre lesquelles sortaient des arbres à pain sauvages. Des frégates noires volaient à de grandes hauteurs, et sur le bord de la mer se présentait fréquemment un assez gros martin-pêcheur à tête blanche /alcedo albicilla). Sur la côte occidentale, qui est assez élevée, mais coupée par une ravine au fond de laquelle coule une petite rivière d'eau douce, nous trouvàmes des débris de repas que les naturels y avaient faits; et un ajoupa ZOOLOGIE. 339 temporaire, consistant en quelques feuilles de cocotier, jetées négligemment sur des branches fichées en terre, avait servi à abriter la cuisine de ces nègres, qui visitent, à ce qu'il parait, de temps à autre, leurs districts maritimes, afin d'y recueillir des vivres. Des tas de gros coquillages épars auprès du foyer, nommé Pal dans la langue du pays, témoignaient de leur appé- tit. Pres de là, nous remarquâmes un calophyllum inophyllum, dont le tronc avait pris un développement monstrueux. Cet ar- bre , en effet, était couché sur le sol, et donnait naissance, par la partie supérieure du tronc, à une douzaine de branches, tou- tes plus grosses que nos plus forts chênes de France, et ayant plusieurs brasses de circonférence : qu'on juge par suite des dimensions du tronc principal. Des orchidées magnifiques , de grandes et fraiches fougères, couvraient l'écorce, et se mélaient au vert gai et lustré qu'on sait être propre à ce beau végétal, et contrastaient avec ses fleurs blanches disposées en grappes. Les vaquois, les inocarpes, les Baringtonia, divers palmiers, étaient d’ailleurs les arbres les plus communs sur ce point de la Nouvelle-Irlande. La portion méridionale de l'ile Lambonne ne ressemble guère à la partie boréale. Baignée par la haute mer, dont les vagues viennent se briser sur les rochers qui la bor- dent, cette côte, haute et accore, est déchirée et crevassée. Sour- vent la mer s’engouffre dans des cavernes qu'elle s’est formées par le choc impétueux de ses bouleversements; et comme ces crevasses profondes sont parfois ouvertes à leur sommet par des sortes de soupiraux étroits, il en résulte que la vague heurtée par une puissance immense contre la barrière qui recoit le choc, s'élève en gerbe par l'issue supérieure, et se disperse dans l'air en pluie que les vents emportent. Sur les rocs sans cesse minés, s'avancent, pour en voiler les injures, des plantes rampantes, des faisceaux de feuillage, et souvent s'en élèvent les branches tom- bantes et comme filamenteuses du filao ou casuarina indien. 43. 340 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Une ceinture de coraux protége toutefois ces rocs, qui semblent former un ouvrage avancé, destiné à protéger le corps de la place. Nulle coupure y existe pour donner passage à une em- barcation. Revenons au Port-Praslin. La côte orientale, bordée aussi par un large plateau de rescifs desséché à marée basse, mérite toute l'attention d'un naturaliste. On y trouve un bon nombre de poissons , de ceux qu'on doit appeler saxatiles, et qui tous gracieux à l’œil, appartiennent aux genres chétodon , aleutère, baliste, etc. L'astérie à six rayons bleus ou cicén- bone des naturels, les gros casques ou sasanmak , le bénitier tridacne ou sabourkess et marenoa, des lepas, des haliotides , étaient les productions marines les plus abondantes. Des mu- rénophis et des scorpènes se tenaient cachées sous les pierres , et deux de nos matelots blessés par les aiguillons de ces der- nières éprouvèrent des douleurs qui furent assez longues à se dissiper. Ce point de la côte est le seul où nous reconnüumes des muscadiers sauvages /myristica mas, de Rumphius ?) Les Tour- nefortia à feuilles satinées, des Eugenia entourés de pothos, des ketmies à feuilles de tilleul, des tecks /tectona grandis) , des ca- ryota brülants, des ixora , des orangers , formaient les masses principales des fourrées; partout on rencontrait les toiles assez solides de deux araignées (araneæ aculeata et spinosa) déja men- tionnées par M. de Labillardière, et toutes deux remarquables par la magnificence de leur coloration variée de pourpre, d'azur et de blanc. Aux troncs des arbres, pendaient d'énormes nids spongieux et celluleux , bâtis sans nul doute par une espèce de thermite ou fourmi blanche. Lorsque la nuit commençait à cou- vrir de ses voiles la nature entière , dans les soirées calmes et se- reines , des milliers de vers luisants, que les naturels nomment kaltote, sortaient de l'épaisseur des bois, et lancaient de pe- tits faisceaux de lumière qui se croisaient dans tous les sens, et dont les lueurs expiraient pour se rallumer de nouveau et de ZOOLOGIE. 34 nouveau s'éteindre. À ces détails se borneront nos tableaux de ces sites lointains, et sans analogie avec les nôtres; et quel que soit encore le nombre des observations qu'il nous faut passer sous silence, nous ne devons pas nous arrêter à des pein- tures pleines de charmes pour nos souvenirs, mais qui doivent faire place à un compte rendu plus austère de nos recherches. Une ile vaste comme la Nouvelle-Irlande doit nourrir sans doute plusieurs espèces de grands animaux, et quelques-uns de ceux qu'on trouve dans les Moluques et à la Nouvelle- Guinée. Mais les courtes reläches des voyages de mer ne per- mettent guere que d'effleurer quelques points du littoral, et par suite des endroits toujours pauvres en créatures animées. Nous n'y vimes point le babi-russa, bien que nous ne puis- sions douter qu'il y existe, car les naturels nous l’affirmèrent ; et ce qui est plus positif, ils nous en apportèrent les dents ca- nines, si reconnaissables par leur forme caractéristique. Les cochons que ces Papous élèvent en domesticité, sous le nom de bouré, appartiennent à la race de Siam, et dans tous les cas ils ne nous parurent pas y être nombreux. L'animal indigène le plus commun est le couscou blanc ou Æapoune, décrit page 158 de ce volume, que les naturels estiment à cause de la délicatesse de sa chair. Un vespertilion est le seul chéiroptère qui s'offrit à nos regards; car jamais nous n'y rencontrames de roussettes, bien que ces animaux aient des espèces répandues dans toutes les terres environnantes. Nous avons déja eu occa- sion de dire que les chiens, nommés poull, tiennent beaucoup de la variété répandue chez les habitants de la Nouvelle-Hol- lande. Les Papous du Port-Praslin appellent les oiseaux mani, et ce nom à la plus grande ressemblance avec celui de manou de la langue océanienne. Les espèces se ressentent du voisinage de l'équateur, mais en même temps des rapports de création de la 342 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Nouvelle-[rlande avec les systèmes d'îles Papoues et Moluques. Elles y sont en effet nombreuses et variées; mais elles appartien- nent en même temps à quelques-unes de ces familles précieuses si recherchées dans nos musées. La poule domestique, com- mensale de l’homme, ne diffère point de la race de nos basses- cours ; mais, par une singularité qui serait fort remarquable si l'on ne pensait que le nom de cet utile oiseau doit son origine à un son euphonique dans la plupart des langues, les nègres du Port-Praslin lui donnent le nom de coq, nom qu'ils arti- culent nettement : d'un autre côté, l'auraient-ils reçu de quelques navires européens ? Les loris ‘, ces perroquets à vestiture écar- late ; les gros loris papous *, dont la voix est rauque ; le perro- quet vert à plumes lustrées des Moluques ‘; la perruche de Latham, étaient tués en grand nombre dans nos chasses habi- tuelles. Plusieurs espèces du riche genre des columba habitent les alentours du Port-Praslin ; et parmi elles, nous citerons le pigeon de Nicombar ( columba nicobarica , L. ); la colombe Pinon (columba Pinon, Quoy et Gaim., Zool., pl. XX VIII ); la colombe demoiselle (columba puella, N.). La colombe Pinon, observée par nous dans son pays natal, diffère un peu de la belle figure donnée par MM. Quoy et Gaimard ; car nous trouvons dans notre Journal cette description : La tête et le cou sont d’un gris glacé mélangé à une teinte rose légère ; le ventre ï Psütacus lori, L., Enl. 168; Levaill., pl. CXXIIT et CXXIV. ? Perroquet grand-lori, Levaill., pl. CXXVI, CXXVIE et CXXVIIT; Psittacus grandis, L. Cette espèce est rarement apportée en Europe; car elle vit très - difficilement en captivité. Cependant, en ce moment ( octobre 1828 ), M. Kéraudren, inspecteur- général du service de santé de la marine, en possède à Paris depuis assez long- temps un bel individu vivant. 3 Psittacus sinensis, L., Enl. 514; Levaill., pl. CXXXII. ZOOLOGIE. 343 est d’un roux vif ; le dessus des ailes et du dos est d'un vert doré, brillant de quelques reflets de cuivre de rosette ; les rémiges et les rectrices sont d'un vert noir; les tarses sont d'un rouge vif, ainsi qu'une caroncule arrondie, qui surmonte le demi-bec supérieur. La chair de cette espèce est savoureuse, et elle a l'habitude de se percher sur les sommités des rameaux les plus élevés. Un corbeau à duvet blanc, nommé coco par les na- turels, dont le plumage est entièrement noir, ne parait pas différer de l'espèce de la Nouvelle-Galles du Sud, que MM. Vi- gors et Horsfeld ont nommée, par rapport à son analogie avec I la corneille d'Europe, corvus coronoïdes sur les rivages, était assez commun l'aigle océanique (falco oceanica, Temm., pl: col. 49). Deux espèces du genre cuculus habitaient les bois, l'une à plumage d'un vert uniforme, et l’autre inédite, que nous avons figurée sous le nom de Coucal atralbin, cen- tropus ateralbus, pl. XXXIV. Parmi les oiseaux les plus vulgaires, nous citerons les sui- vants : Trois espèces de martin-pécheurs ; l'alcedo albicilla à plumage sur le corps couleur d’aigue marine, à tête et cou en- tièrement blancs ; l'alcedo ispida, var. moluccana ; Yhaleyon cinnamominus de M. Swainson, nommée ktou-kiou par les in- sulaires : cette dernière espèce a environ six pouces de longueur. La tête et le dos sont d'un vert brun, et les ailes et la queue seules ont une teinte d’aigue marine. Un collier fauve*entoure ge sont de cette dernière couleur devenue plus vive, et légèrement pointillée de brun. L'extrémité le cou, et le ventre et la gor des rémiges et des rectrices est brun. La moitié de la mandi- bule inférieure est blanche, l'iris noirâtre, et les pieds sont rouges. Des drongos ; des stournes (/amprotornis metallicus , Temm. pl. CCLXVT ), qui vivent en troupes, et dont l'iris a ! Trans. Soc. Linn. de Londres, t. XV, p. 261. 344 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. l'éclat du rubis; des hirondelles ; un soui-manga à gorge bronzée, nommé sic-sic ‘; des gobe-mouches * nouveaux; un échenil- leur * ; quelques chevaliers gris ; des frégates, etc. Nous décrirons toutefois trois espèces d’après nos notes ma- nuscrites, dont les individus ont été perdus lorsque notre col- lègue M. Garnot fit naufrage au cap de Bonne-Espérance, en revenant en France, après nous avoir quitté au Port-Jackson. Ce sont les gobe-mouches suivants : le tenourikine, long de six pouces, à plumage complètement noir, lustré avec des reflets verts métalliques, le bec plombé, les tarses noirs, et l'iris d’un jaune pâle; le 7ouquine, a de longueur totale sept pouces, le dessus du corps, les ailes et la gorge noirs, le ventre blanc, un sourcil de cette dernière couleur sur l'œil, enfin à bec et tarses bruns. La troisième espèce dont il nous reste à parler ap- partient au genre drongo, edolius, Cuv.; dicrurus, Vieillot. Cet oiseau a la queue fourchue comme celle du forficatus, et a de lon- eueur totale environ dix pouces. Le dessus du corps est en en- tier d'un gris cendré, plus foncé sur les ailes, tandis que cette teinte est beaucoup plus claire et d’une nuance plus douce sur le ventre. Le bec et les pieds sont noirs, et l'iris est noirâtre. Nous l’appellerons edolius comice, du nom qu'il porte dans son pays natal, à moins qu'il ne soit, ce dont nous doutons, qu'une variété de l'edolius cineraceus ou chenta de Java, décrit par le docteur Horsfield. Les reptiles trouvent au Port-Praslin toutes les circonstances les plus favorables pour leur multiplication paisible : chaleur ‘ Ce soui-manga est olivâtre, excepté la gorge, qui est d’un noir d’acier bruni, et le ventre, jusqu'aux couvertures inférieures de la queue, qui est d’un jaune pur. > Muscicapa chrysomela, N. pl. XVII, fig. 2, pipimaloumé des naturels. 5 Figuré dans notre Atlas, pl. XIL, sous le nom de pie-grièche karou ( Lanius caru), mais que nous avons reconnu être un ceblepyris, auquel nous conserverons le nom trivial et indigène de caru. ZOOLOGTE. 345 et abondance d’eau sont les deux premières orandes conditions eo) de leur existence : aussi, bien que nous n’en ayons point vu, les navigateurs qui nous précédèrent sur cette partie du monde y indiquent des caïmans ; or, comme le crocodile bicaréné n'est pas rare à la Nouvelle-Guinée, on ne doit pas un seul instant douter que ce ne soit la même espèce. En revanche, nous nous y procurâmes plusieurs espèces de lacertains, et notamment le lézard de Pandang des Amboinois, ou gecko à bandes ( /acerta vittata, Gm.), tres-bien figuré par M. Brongniart dans le Bul- letin des Sciences : ; quelques ophidiens, et des tortues. Les habitants nomment ces dernières poules, recherchent leur chair, et font des hamecons pour la pêche avec leur écaille. Les poissons comptent une grande variété d'espèces dans cette baie, et toutes rivalisent en éclat. Ce serait nous entrainer trop loin que de les citer, d'autant plus que, dans le second volume, nous aurons occasion de revenir sur ce sujet. Nous ne passerons point sous silence toutefois le requin à ailerons noirs (squalus melanopterus , Quoy et Gaïm. ), qui est multiplié d'une maniere étonnante, ni le blennie sauteur de Commerson, sorte , gravit les ro- chers, sy promène pour attraper les petits insectes dont il se de poisson amphibie, qui s'élève sur les vagues nourrit, et, courant avec assez de rapidité sur le sable des grèves, imite , à faire illusion, les allures d'un scinque. Enfin, ce qu'il y a de plus singulier dans les mœurs de ce poisson, c'est de le voir nager indifféremment dans l’eau des petites rivières qui se per- dent dans le Port-Praslin, se plonger dans la mer, ou en sortir pour gravir sur les branches de quelques arbrisseaux maritimes. Ses yeux placés verticalement sur le sommet de la tête, ses oT1S nageoires jugulaires soudées et à rayons solides, sa couleur g de lin linéolé, font de ce périopthalme un être fort bizarre. * Et dans les Misc. de Shaw, t. IT, fig. 89. Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 44 346 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. Les crustacés se composaient de langoustes, de cancers, de grapses peints, de palémons, de crevettes, d’un pagure et d’un ocypode qui se creuse des terriers dans les bois. Les in- sectes y sont très-variés et nombreux, et les papillons les plus riches et les plus colorés s'y trouvent en grand nombre. Parmi les coléoptères, nous citerons le therate à odeur de rose, type d'un nouveau genre, quise tient sur les feuilles; le trzcondyle bleu, qui ne quitte point les écorces ; un bupreste doré, etun très-gros scarabée bicorne. On y rencontre plusieurs phasmes, l’un fili- forme et vert, et l’autre très-grand, noir, à corselet trés-dur et hérissé de piquants. C'est de cet insecte que parle Bougain- ville, lorsqu'il dit, p. 279 : « Il est long comme le doigt, cuirassé « sur le corps ; il a six pates, des pointes saillantes sur les côtés, «et une queue fort longue. » Quant à la mante-feuille men- tionnée par ce navigateur, et si commune à Amboine et aux Seychelles, nous n'en eùmes point connaissance. Les scorpions et les scolopendres, ainsi que plusieurs fourmis très-grosses et des thermès, ne doivent pas être oubliés. Les coquilles les plus répandues sont de gros cônes, des casques, de très-grands trochus, entre autres la veuve et la peau de serpent; des tridacnes, l’hippope, des porcelaines, des ovules œufs, des fuseaux, des haliotides, des murex, des huitres, l'une à bords sinueux, l’autre aplatie et mince, des patelles, etc. Le scarabe ne quitte point l'atmosphère marine, et se tient sous la mousse ou dans les aisselles humides d'un pancratium ; un petit bulime et une hélice noire, inédite, habitent les feuilles des ar- bres : une onchidie est très-commune sur les rochers de la pointe Tavuaolai ; elle est ovalaire, de couleur jaunâtre, avec des ta- ches brunes. Dans les eaux douces se trouvent une espèce du genre faune; la melania setosa de M. Gray ( Zool. Journal, t. L,p. 253, pl. VIII, fig. 6, 7 et 8 ); une nérite épineuse, et la néritine fluviatile à lèvres rouges. Relativement à cette dernière ZOOLOGTIE. 347 espèce, nous ne pouvons passer sous silence un fait très-singu- lier de son organisation. Les individus les plus développés, au lieu de vivre dans les eaux douces, où les fixent les lois de leur économie, se trouvaient répandus, au moins pendant la durée complète de notre séjour à la Nouvelle-Irlande, à de grandes distances dans l'intérieur des forêts, à plus d'une demi-lieue de tout ruisseau. Cette singularité de rencontrer à chaque pas cette coquille fluviatile attachée aux feuilles des arbres, et surtout à celles des pandanus, nous parut renverser les idées reçues; et nous ne concevons pas encore comment elle peut gravir sur les troncs pour atteindre les plus légers rameaux, à cause de son opercule calcaire très-solide. Quant à sa respiration, elle se con- tinue par la précaution qu'a ce mollusque de réserver dans sa coquille et sous son opercule qui ferme hermétiquement, une provision d'eau, qu'il renouvelle peut-être chaque matin dans les aisselles des feuilles des vaquois, ou de quelques autres plantes dont le feuillage enroulé recoit toute l'eau qui est condensée pendant la nuit. Peu de relàches nous ont été aussi favorables pour enrichir nos collections d'une quantité innombrable de zoophytes. Les holothuries, les zoanthes, les actinies, les salpa, les méduses, nous offrirent de nombreuses espèces. C'est au milieu de la rade que nous primes, par un temps calme, un acalèphe agrégé, de forme pyramidale, long de deux pouces, composé de pièces ar- ticulées, taillées à facettes comme du cristal, se désarticulant avec une extrême facilité, ayant son centre traversé par des cordons digestifs d'un beau rouge, et disposés en ganglions renflés de distance en distance. Cet animal, qui a de grands rap- ports avec celui nommé polytôme par MM. Quoy et Gaimard, sera pour nous le type du genre Plethosôma. Par la même raison, nous passerons sous silence les nombreuses espèces de madré- pores, d'éponges, d’alcyonium, de vers à tuyaux, le tubipore 44. 348 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. musique, et les disques des fongies, dont les interstices des lamelles sont occupés par le polype dilaté en larges et innom- brables ventouses, de couleur marron-clair, etc., etc. 6 VIII. BAIE DOFFACK (ILE DE WAIGIOU ). ( Du 6 septembre 1823 au 16 du même mois.) L'ile de Waigiou, placée au Nord de la Nouvelle-Guinée, fait partie de l’ensemble des iles connues sous le nom de Terres des Papous. Les habitants sont un mélange de Malais purs et de métis, provenant du croisement des Malais et des Papouas. Les vrais indigènes sont, dit-on, relégués dans les montagnes, où ils vivent isolés et sans communication avec les riverains, qui les nomment Alfourous. Le nom de Waigiou a été orthographié de bien des manières, et presque toujours on n'a tenu aucun compte de la prononciation des naturels : ce nom, d'ailleurs, nest jamais donné à l'ile entière, mais seulement à sa partie boréale ; car la portion méridionale est appelée Ouarido, et, pour rendre en français le son que les Papous articulent, il fau- drait écrire Ouaighiou. Cette ile avait déja été visitée par plusieurs navigateurs européens. Forrest s’y présenta le premier, en 1775; plus tard elle recut les navires envoyés à la recherche de l'infor- tuné La Pérouse, sous le commandement du général d'Entre- casteaux ; puis la corvette / Urante , montée par M. de Freycinet, et enfin notre vaisseau. La latitude de la baie d'Offack, presque directement placée sous l'équateur, se trouve être par une mi- nute 46 secondes S., et par 128 degrés 22 minutes 39 secondes de longitude orientale. ZOOLOGIE. 349 Montueuse au centre, couverte de vastes marécages sur les bords, l'ile de Waigiou, placée directement sous l'équateur, éprouve des chaleurs énormes qui ne sont tempérées dans leurs effets que par des pluies abondantes, condensées par les som- mets des montagnes sans cesse enveloppés de nuages. Ces averses se renouvellent plusieurs fois dans le jour, avec une force dont il est difficile de se former une idée dans les régions tempérées, et cessent avec la même rapidité qu'elles sont venues. Il parait que la plus grande partie de la population réside non loin de l'ile Rawack ; mais à peine existe-t-il trois ou quatre cabanes sur les bords de la baie d'Offack, baie qui se divise en plusieurs bras de mer considérables, présentant eux-mêmes un grand nombre de petits havres. Les vents qui régnèrent pendant notre séjour soufflèrent le plus ordinairement de l'Ouest, et plus spéciale- ment du S.-O0., du S.-S.-O. et de l'O.-S.-0. Le milieu de la journée était ordinairement marqué par des calmes parfaits. Un seul jour, nous ressentimes une forte brise du Nord, qui ne dura que quelques instants : la surface de la baie fut toujours unie. Le baromètre se maintint ordinairement à vingt-huit pouces 0, 4, et monta une seule fois à 28 pouces tr, 2; le ther- momètre centigrade donna pour maximum 3 1 °, et ne descendit jamais plus bas que 27 à midi et à l'ombre. La température de l'eau ne variait de celle du jour à midi que d'un degré en moins à minuit, et était de 29 à 28 degrés. L'hygromètre à cheveux varia de 104 à 106 , et ne donna 96 qu'une fois. Nous n'eumes que quelques jours exempts de pluie; le plus ordinai- rement les grains, en passant sur quelques parties de l'ile, tom- baient avec violence l'espace de deux ou trois heures; puis le ciel paraissait de l’azur le plus pur. Toutefois le sommet de la montagne nommée {a Corne de Buffle était presque toujours enveloppé de masses épaisses de nuages ; et les vapeurs qui \ 350 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. s'élevaient des gorges de ce mont tourbillonnaient ‘au-dessus des arbres comme de la fumée. Les rivages du port d'Offack recoivent un grand nombre de petites rivières qui sont alimentées par d'abondantes sources ; quelques-unes de celles-ci descendent des cimes des montagnes ou des ravines, en formant des cascades très-hautes. La mer remonte assez loin dans plusieurs de ces rivières, dont les bords sont très-limoneux. Les Papous bâtissent leurs cabanes sur leur cours sans redouter les crocodiles qui les habitent ; ils se servent de leurs canaux divers pour communiquer entre eux à l'aide de pirogues. Tout le littoral de Waigiou, malgré l'épaisse végétation qui le recouvre, n'est qu'un marécage fan- geux où croissent de hauts palétuviers ; la profonde humidité et les miasmes délétères qui règnent dans ces lieux y font éclore de nombreuses maladies, qui ne manquent point de sévir sur les Européens, et qui portent aussi leurs ravages sur les na- turels. La formation rocheuse de l'ile Waigiou est fort remarquable ; elle s'éloigne tout-à-fait du caractère de la Nouvelle-[rlande, au moins sur les rivages : caë on a du voir, par les passages précé- dents, que le terrain flanqué sur le pourtour du Port-Praslin était d'un calcaire madréporique dur, avec des coquilles, et parfois des grains spathiques, tandis qu'on n'en observe aucune trace à Waïigiou, ou du moins sur la côte Nord, et dans la baie d'Offack. Cette ile, par sa position, comme par les boulever- sements nombreux dont elle offre des traces à chaque pas, a du appartenir aux grandes masses de terres situées sous l'équateur, et qui composaient, avec les Moluques et la Nouvelle-Guinée, un tout continu jusqu'à la Nouvelle-Hollande. Cette idée, du reste, n'est qu'une supposition ; mais les faits les plus positifs prouvent que la surface entière de Waigiou a été torturée par des éruptions volcaniques, dont les débris, bien que voilés au- ZOOLOGTE. 351 jourd'hui par une végétation pompeuse, se montrent en abon- dance. D'ailleurs on ne saurait méconnaitre cette formation, en observant les aiguilles basaltiques de Poulo-een, et des mille ilots qui saillent çà et là du sein de la mer comme des colonnes prismatiques, et sur le sommet desquels croissent en abon- dance des bouquets verdoyants et touffus. Les roches à nu ne se montrent parfaitement bien que dans la passe haute et étroite qui sert d'entrée au port d'Offack. Là, ces roches, déchique- oées de 5 veines rouges; mais elles sont surtout à découvert dans une pe- tées par le temps, affectent des couleurs noirâtres, mélan tite ile placée au milieu de la baie , et que nous nommons l’/{e aux tombeaux. Partout la nature de ces rochers est identique, et contient une grande quantité de serpentine. Sur les rivages bat- tus des vagues, on trouve des amas de puddings formés par l'émiettement et la brisure de ces roches, et réunis par un ci- ment calcaire assez tenace : ces puddings n'ont guère qu'une trentaine de pieds d'élévation au-dessus du niveau de la mer. Sur les grèves, enfin, on ramasse en abondance les ponces que les flots y ont déposées. Le sol, sous les vastes forêts de l'ile (car la végétation sur toutes ces terres ne cesse point d'envahir même les rochers les moins convenables pour qu'elle puisse s'y dé- velopper), le sol est le plus ordinairement composé d'une argile très-rouge. Les pitons des montagnes présentent parfois des em- placements décharnés, que leur couleur noire porterait à suppo- ser de nature basaltique. La Corne de Buffle est la montagne la plus remarquable de Waigiou; elle tient à une chaine qui se di- rige de l'Est-Sud-Est à l'Ouest-Sud-Ouest, et sa hauteur serait de 485 toises d'après les calculs des officiers de l'expédition. Vue de la haute mer, Waigiou ne parait être qu'un pâté de verdure ; et cependant on remarque peu de variété dans ces arbres gigantesques, qui se pressent et s'élèvent les uns sur les autres. Leur masse de feuillage interceptant le passage de 352 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. l'air et des rayons lumineux, la surface de la terre ne présente point de ces herbes humiles , si nombreuses dans les zones tem- pérées, ou dans les forêts de certaines parties du Brésil. La ri- che tribu des palmiers se compose d’un grand nombre d'espèces: parmi les plantes les plus communes, se font remarquer les lata- niers, que leurs feuilles flabelliformes dessinent si bizarrement dans les paysages torridiens; les figuiers, les poivriers, les filaos indiens, les calophyllum , les mimeuses, les vaquois, les cer- bera, les Scævola , les ignames, les ananas, les arum, les bana- mers, les cucurbitacées, les cycas, les mangliers, les sagouïers, etc. Les menues herbes consistaient en liserons pieds-de-chèvres, en graminées ou cypéracées, en acanthe à feuilles de houx , en amarantes, en casse à corymbes, en nepenthes, en amomum, en epidendrum, recouvrant les troncs mousseux des gros ar- bres, et singuliers par la vivacité infinie de leurs formes et de leurs fleurs. En général, la botanique de Waigiou diffère peu de celle de la Nouvelle-frlande, et a un grand nombre de traits de ressemblance avec celle d'O-Taïti et de Borabora. Parmi les végétaux usuels et alimentaires, le palmier sagou tient le pre- mier rang. La moelle interne, répandue dans le stipe, fournit ces grains féculents avec lesquels les naturels composent des ga- lettes plates et quadrilatères, qui leur servent de pain, et qu'ils cuisent dans des sortes de petits fours en briques divisés en com- partiments. Les noix des muscadiers sauvages seraient peut- ètre susceptibles de prendre par la culture quelque développe- ment, et pourraient sans doute s'améliorer. Les arts trouveraient aussi dans cette ile des bois propres à l'ébénisterie, et le teck (tectona grandis) fournirait d'immenses ressources aux construc- tions navales. Pour obtenir des habitants les productions du pays, il suffirait d'y porter des toiles peintes, des étoffes à fleurs, ou colorées en rouge. On se procurerait en échange des peaux ZOOLOGIE. e 353 d'oiseaux de paradis, de la nacre, des perles, de l'écaille de tortue, des trépangs, de la muscade et de la résine #7. Cette derniere matière sert aux Papous à faconner des torches avec lesquelles ils vont à la pêche pendant la nuit, et s'obtient du Damara re- sinifera de Lambert, ou du Canarium suivant Lamarck. Le règne animal de Waigiou doit ètre riche en espèces : mais nos courtes relàches et notre connaissance imparfaite des localités ne nous permettent d'en juger que par analo- gie. Parmi les mammifères, nous croyons qu’on doit citer le babi-russa; malheureusement ce n’est encore qu'un doute assez fondé, que les voyageurs futurs éclairciront. Nous ne renconträmes qu'une fois, en nous rendant vers l'isthme étroit qui sépare le havre d’'Offack de la baie Crouzol, un petit quadrupède à pelage gris, nommé Xaloubou par les Papous, que la mère venait d'égarer sans aucun doute, à en juger par son jeune âge, et qui, à la taille d'un rat, joignait le museau pointu et la poche marsupiale des sarigues. Nous avons décrit ce singulier didelphe à la note de la page 123, sans lui assigner de nom générique. Depuis, en étudiant l'animal nommé verra gymnura par sir Raffles, et en proposant d'en créer un genre distinct ‘ sous le nom de gymnura , et d'imposer ! Sir Raffles ( Catalogue d’une collection faite dans l’ile de Sumatra , inséré dans les Trans. Soc. Linn. Lond., tom. XIII, p. 272, en add.) dit : « J'ai reçu un «animal nouveau très-singulier, qui se rapporte aux viverres par le nombre des «incisives, mais qui en diffère par leurs proportions et leur disposition, et qui a « la queue nue comme celle d’un rat. S'il doit être considéré comme une espèce du « genre viverra, on doit lui approprier le nom spécifique de gymnura. Or...» suit la description de ce singulier mammifère, d’ailleurs très-bien dépeint, et que sir Raffles croit être identique avec le tikus ambang bulan de l'intérieur de Malacca, découvert par le major Farquhar. Dans notre Manuel de Mammalogie, publié le ro mai 1827, nous avons regardé comme type d'un nouveau genre cette viverra gymnura de sir Raffles, en lui donnant le nom de gymnura Rafflesii. Dans le Zoological Journal (n° 10, avril à septembre 1827 ), nous retrouvons, page 246, l’adoption du genre Voyage de la Coquille. — Z. Tom. I. 45 354 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. à l'espèce de Sumatra le nom spécifique Aafflesii, nous avons reconnu que notre kalubu était une deuxième espèce du même genre, et devait être nommée gymnura kalubu, et prendre place, dans les tableaux méthodiques de mammalogie, à côté des sarigues, dont ce genre serait le vrai représentant dans l’an- cien Monde. Les phalangers à queue prenante ou couscous ne sont pas rares dans les bois. Déja nos collègues dans la précédente expé- dition s'en étaient procuré quelques individus , et les naturels nous apportèrent plusieurs fois à bord le couscous tacheté , qu'ils nomment schamscham, et dont nous avons inséré la des- cription à la page 150, et donné la figure à la planche IV. L'ornithologie est une des branches de l’histoire naturelle qu'une longue relàche dans l'ile de Waigiou enrichirait le plus. Elle se compose de ces espèces rares et précieuses, communes sur le système de terres des Papouas, tels que les oiseaux de paradis, qui ne s'y présentent d'ailleurs que dans certaines saï- sons. Le paradisæa apoda ou l'émeraude , le manucode , le ma- gnifique , le paradisier rouge , y sont les plus communs. Nous tuàmes la femelle de cette dernière espèce, inconnue jusqu'à nous , et que nous avons fait figurer à la planche XX VIT. La famille des psittacidées nous offrit les loris papou, vert, tri- colore’ ou à tête noire; la perruche d'Amboine, ou à face bleue; le gymnura et la dénomination de Rafflesüi, sans aucune citation de la part de MM. Vigors et Horsfield de notre nom, bien que ces messieurs n'aient point ignoré l'existence du Manuel, dont il est inséré une critique dans le numéro suivant du même Journal. t Ce joli oiseau, que les Papous et les Malais élèvent en domesticité pour en vendre des centaines aux Européens, vit par grandes troupes dans les Moluques orientales, et surtout à la Nouvelle-Guinée, où il s'appelle maniohouire, et savou- Jesse dans quelques cantons. On ne peut le conserver en vie, car il meurt de spasmes auxquels il est très-sujet. Sa nourriture de prédilection est le miel, qu'il puise au fond des corolles d’une espèce d’eugenia à fleurs rouges très-brillantes: Ces arbres étaient parfois remplis de loris tricolores et de soui-mangas. ZOOLOGIE. 355 microglosse goliath;le grand cacatoës à huppejaune,;etuneespèce de lori noir‘ inédite, que nous avons nommée lori deStavorinus, psittacus Stavorini, parce que ce navigateur nous paraît l'avoir mentionnée dans la relation de son voyage aux Indes orientales. Le lori de Stavorinus est de la taille du tricolore, auquel il res- semble aussi par les formes corporelles. Son plumage est en en- tier d’un noir lustré uniforme , excepté sur l'abdomen où règne un rouge vif qui s'étend jusqu'à la poitrine. Le seul individu que nous achetâmes à un Papou a été perdu dans le naufrage de M. Garnot, au Cap. Parmi les pigeons, nous citerons de belles colombes muscadivores, dont plusieurs étaient privées de la caroncule noire et arrondie que présentaient le plus grand nombre des espèces. Cet organe, entièrement graisseux , ne doit s'élever sur la base de la mandibule supérieure qu'à l'époque des amours, et peut-être chez les femelles seulement ; et la peau qui se distend pour recevoir ce fluide, résultat d'une vie en excès, doit, après la fécondation , se dissiper, se racornir, et ne plus paraitre au-dessus des narines que comme une légere fronçure cutanée. À Waigiou , nous rencontrames aussi des in- dividus de la columba puella de la Nouvelle-Irlande, le ptlino- pus kurukuru, et le goura, ou pigeon couronné des Molu- ques * (columba coronata, 1), oiseau stupide, mais dont la chair est exquise. Le mégapode Freycinet* est singulièrement multiphé à Waigiou. Les Papous nous en apportaient journelle- ment à bord, qu'ils échangeaient pour des bagatelles; mais leur chair est loin d'être délicate , car elle est sèche et coriace: Les © Forrest indique aussi un lori noir dans son Voyage a la Nouvelle-Guinée. ? Ce bel oiseau est figuré dans Temminck, pl. 1°. La figure de Buffon, enl. 118, est très-mauvaise. Le dessin de Sonnerat, déposé au Muséum, dans les manuscrits de Commerson, n’est pas meilleur. $ Megapodius Freycinetiü. Quoy et Gaimard, Zool. de l’Uranie, pl. XXXII, et Temm., pl. CCXX. 45. 356 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. accipitres ne nous donnèrent qu'une espèce, le matapour, falco ponticerianus, à tète blanche, à corps et ailes d’un marron foncé ; les échassiers, l'ædicnème à gros bec, ædicnemus magnirostris, Geoff., fig. par M. Temminck, pl.CCCLXXX VIT, etqui se trouve sur tous les rivages des Moluques et des iles de la Sonde; dans les palmipèdes, une seule sterne nommée sapenne. Les passe- reaux nous présentèrent le philédon corbi-calao ; une corneille dont le cri ne ressemble point à l'aboiement d'un chien comme celui du même oiseau à la Nouvelle-[rlande, mais imite au con- traire un ricanement moqueur; le guépier à gorge jaune; le calao à casque sillonné, plusieurs gobe-mouches et soui-man- gas, et le beau martin-chasseur Gaudichaud. Les reptiles les plus communs sont les tortues franches et cares. La chair de la première est recherchée des naturels, qui préparent de longs saucissons desséchés avec ses œufs, et conservent pour les échanges, les écailles de la seconde, ou en font des hamecons. Un tupinambis, de la grosseur de l'iguane d'Amérique, noir ponctué de Jaune, est multiplié dans les bois, de maniere à ce qu'on en rencontre presque à chaque pas, sur les branches où il attrape les petits oiseaux. Il vit aussi de pois- sons, qu'il guette sous lesracines des mangliers, sur le bord de la mer ou dans les lieux fangeux. On y trouve encore le scinque à queue bleue, qui parait répandu dans toute l'Océanie. Un de nos matelots nous assura avoir vu des serpents, dont nous ne rencontrames aucun individu. Nous ne vimes aussi parmi les batraciens qu'une grande espèce de Raine. L'ichthyologie de la grande et vaste baie d'Offack doit être très-riche, à en juger par les espèces que nos filets jetés au ha- sard nous apportaient chaque jour. Comme l'estimable docteur Quoy nous avait communiqué ses descriptions, alors inédites, et qui ont paru depuis dans la partie zoologique du voyage de l'Uranie, nous retrouvämes plusieurs des espèces figurées par ZOOLOGIE. 357 ce naturaliste et par son coopérateur M. Gaimard. Trois squales régnaient en nombreuses tribus dans ces mers; l'un, le squale aux ailerons noirs, avait été confondu par l’'illustre Commerson avec le requin ordinaire, dont il diffère cependant, par une taille plus petite (les plus grands que nous ayons vus n'avaient pas trois pieds), par la couleur du corps, qui est d'un gris légèrement rougetre, et par le noir intense qui recouvre l'extrémité des nageoires pectorales. Les femelles nous pré- sentèrent constamment deux fœtus dans chaque côté de la matrice; et ces jeunes squales, tirés du sein de leur mère, s'agitaient avec tant de vigueur, qu'ils forçaient l'ouverture ombilicale, placée sous forme de trou arrondi entre les deux pectorales et au-dessous du corps, à s'ouvrir, et le sang qui s'en écoulait ne tardait point à les faire périr. Un rochier et un troisième chien de mer à barbillons se prenaient fréquemment dans nos trois-mailles. Les poissons les plus vulgaires, et qu'il nous suffira de citer pour le moment, se trouvaient donc être la pastenague blonde à points d'azur; la baliste Bourignon du docteur Quoy, qui est identique avec la baliste Praslin de Com- merson ; la baudroie géographique, l’acanthurus lineatus ; le nason licornet, décrit primitivement par Forrest; le dône ou scorpène à antennes ; un trigle volant; le #alolo ou blennie sau- teur , l'échéneis à raies blanches, un pimélode, des chétodons, des labres , des serrans, des aiguilles, etc., etc. Les coquilles marines sont assez généralement des nautiles (nautilus pompilius), des spirules (nautilus spirula), des volutes couronnes d'Éthiopie (cymbiumÆthiopicum,Montf.) dont les ha- bitants se servent en guise d’escoup pour vider l'eau qui s'intro- duit dans l'intérieur des pirogues; les bénitiers, qui atteignent une taille bien plus considérable que l’individu qui sert de bé- nitier à St-Sulpice, et que Forrest a décrit sous le nom de #ima; l’'huitre selle polonaise, l'huitre marteau, l’huitre des mangliers, 358 VOYAGE AUTOUR DU MONDE. l'éperon-molette , l'hippocrène; la coronule des tortues, la venus deflorata , des patelles, des strombes, des grimaces, etc., etc. Les coquilles terrestres nous présentèrent cette grandeet belle variété de l’helix citrina, figurée pl. LXVIT, fig. 2 et 3, de la Zoo- logie de l'Urante, plusieurs autres petites espèces et le scarabe auricule. Parmi les mollusques fluviatiles, on doit citer les né- ritines , qui y sont tellement communes, que les Papous nous en apportaient des tubes de bambous remplis, et la melania setosa ou sptrella spinosa d'Humphrey, indiquée aux iles de l'Ami- rauté par M. Gray. Nous ne nommerons dans les insectes , que la cicindela decempunctata de Dejean. La langouste ornée, quelques portunes, le crabe honteux, sont tous les crustacés desenvironsd'Offack. Leséchinodermes étaient composés du cydarite à baguettes, de plusieurs spatangues , de diverses scutelles; et parmi les êtres du dernier embranchement du règne animal , nous mentionnerons plusieurs belles espèces d'holothuries figurées dans nos dessins , et remarquables par la singularité de leurs formes. Plusieurs méduses nouvelles enri- chiront également notre Atlas. Leshabitants recherchentavec un extrème empressement les holothuries; ilsles préparent à la ma- nière des Malais, pour les donner en échange des toiles que leur apportent quelques jonques chinoises, ou ils s'en nourrissent. Dans toutes les cabanes, nous rencontràmes des quantités de cette substance desséchée, coriace, très-peu agréable au gout, et que ces peuples n'estiment que parce qu'ils la regardent comme la matière la plus convenable pour soutenir leurs forces épuisées, et faire renaitre chez eux les désirs éteints par le re- nouvellement abusif des plaisirs des sens. FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE DU TOME PREMIER. TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LA PREMIÈRE PARTIE DU PREMIER VOLUME DE LA ZOOLOGIE DU VOYAGE AUTOUR DU MONDE, EXÉCUTÉ PENDANT LES ANNÉES 1822-1029. CHAPITRE I“. Considérations générales sur les îles du Grand- Océan et sur les variétés de l'espèce humaine qui les habitent- par R=PMEESsSoN ete hr ee d'A Page WT $ I. Du Grand-Océan et desiles océaniennes, parR.-P. Les- SON RME PUS A NE Et a Ne in tu 2 $ IL. Des insulaires du Grand-Océan, et de leurs habitudes générales; PAR EP MESSONS Le le - 31 — 1. Malais, 36; — 2. Océaniens, 44; — 3. Carolins ou Mongols - Pélagiens , 67; — 4. Papouas ou Papous, 84 ; — 5. Tasmaniens, 101; -- 6. Alfourous-Endamènes, 102 ; — 7. Australiens, 106. Détails anatomiques relatifs aux crânes de quelques uns des peuples dont il est question dans ce chapitre; par PAGAMRNOTD EN ET EEE PL IE CRE ANA ee A 113 Tableau comparatif des proportions que présentent les di- verses parties de plusieurs crânes; par P. GarnoT..... He Tableau de la taille de quelques-uns des naturels men- tionnés dans les précédents Mémoires; par P. Garnor. 116 CHAP. IL. Considérations générales sur quelques mammifères ; par R.-P. Lesson 360 CHAP. IL. CHAP. IV. CHAP. V. TABLE DES MATIÈRES. Description des mammifères ; par R.-P. Lesson...Page 137 Vespertilion de Buenos-Ayres, vespertilio bonariensis..... Ibid. Phoque molosse, ofaria molossina..........:.....2 140 Grand couscous tacheté, cuscus maculatus............... 150 Couscous à grosse queue, cuscus Mmacrurus............. 156 Couscous blanc: cusCUS a louS EEE EEE CEE REC OEE 158 Kangourou oualabat , kangurus ualabatus............... 161 Rat-taupe hottentot, bathyergus hottentotus............. 166 Lapin de Magellanie, lepus magellanicus................ 168 Gochonides Papous 525 papuernsis ee Eee Boo CN Observations générales sur quelques cétacées ; par RÉSPÉSIÉESSONS NT Ar MARS RER REA EMA Res 1747 Observations générales sur l’histoire naturelle des di- verses contrées visitées par la corvette {a Coquille, et plus particulièrement sur l’ornithologie de chacune d'elles par REP: LEssSON LU RENE TE 187 S#r-Sainte-CatherineMduBrésil PP EEE ET EE 188 $ IL. Ile de la Soledad , une des îles Malouines. ........ 196 $ IT. Environs de Talcaguana, de Penco et de la Concep- Clonseaut CNT AE A AAA EU DANS Et ST UN Ut 229 S\ IV. Cotes de lima et de Payta, au Pérou. .......... 246 $ V.Ile d’'O-Taïti, Archipel de la Société. ............. 269 $ VL Ile de Borabora, Archipel de la Société. ......... 306 $ VII. Port-Praslin, Nouvelle-frlande................. 329 $ VIIE. Baie d’Offack, île de Waigiou.................. 348 FIN DE L'INDEX DE LA PREMIÈRE PARTIE DU PREMIER VOLUME. ve Are Uni