VOYAGE
DANS
LA HAUTE PENSYLVANIE
ETDANS L'ÉTAT DE NEW-YORK.
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VOYAGE
DANS
LA HAUTE PENSYLVANIE
ET DANS L'ÉTAT DE NEW-YORK,
Par un Membre adoptif de la Nation Onéida, Traduit et publié par Fauteur des Lettres d'un
CULTIVATEUR AMERICAIN*
TOME PREMIER.
V " l y
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET.
A PARIS,
Chez M AR AD AN 5 Libraire, rue Pavée S. André- des-Arcs, n° 16.
AN IX — 1801. "2.0^
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AVANT-PROPOS
DU TRADUCTEUR.
Dans le nombre des vaisseaux qui firent naufrage , il y a quelques mois, à Fem- boucbur e de FElbe, se trouva le Morning- Star y venant de Philadelphie, destiné pour Copenhague, dont la chaloupe et l'équipage périrent malheureusement à la vue de Hellégaland.
Parmi les objets que les flots rejetèrent sur les rivages de cette île, se trouva une caisse contenant des gazettes , quelques pamphlets , et des manuscrits ; mais n'ayant été réclamée par aucun des indi- vidus échappés en petit nombre au nau- frage, elle fut mise de côté avec les autres marchandises avariées , et envoyée , comme c'est l'usage , à la douane de Co- penhague , où l'on en fit la vente.
VJ A V A N T-P R O P O S
Quelques affaires m'ayant conduit, à la même époque, dans cette capitale, je me trouvai recommandé à un négociant qui venoit d'acheter la plus grande partie de ces objets. Il me parla de la caisse que le hasard avoit placée dans son lot, de l'état déplorable dans lequel il avoit trouvé les manuscrits, et des soins qu'il s'était donnés pour les sauver d'une perte totale. —«Je ne sais cependant pas en- core , me dit-il , quels sont leurs titres à tant d'intérêt de ma part : l'ouvrage est en anglais, et vous savez que cette langue m'est étrangère. C'est à vous à m'ap- prendre ce que j'en dois penser, et si j'ai quelque mérite à avoir recueilli ces dé- bris, à les avoir, pour ainsi dire, tirés du néant. Les voilà; je vous les confie. Lisez , et dites-moi quelle est votre opi- nion à ce sujet ».
Excité autant par la curiosité que par le désir d'obliger M. '*'*'*', je m'en chargeai avec empressement. — ' (c Eh bien! me demanda-t-il quelques jours
DU TRADUCTEUR. yi)
après, qu'en pensez- vous? — C'est un Yoyage dans les Etats-Unis, lui répondis- je, pays devenu bien intéressant depuis son émancipation , et dont le passage de l'état de colonie à l'indépendance est une époque célèbre , et l'un des événemens les plus mémorables de ce siècle ».
a Quoiqu'un assez grand nombre des chapitres de cet ouvrage, continuai-je, soient perdus ou devenus illisibles , et que les eaux de la mer en aient effacé pres- que toutes les dates, je crois qu'a l'aide des notes , il seroit encore possible de replacer ce qui en est resté, à-peu-près dans son ordre primitif, et que, malgré ses lacunes, les imperfections du style et quelques répétitions, ce voyage seroit lu avec intérêt. Au surplus, je suis bien éloigné de me craire un bon juge )).
Convaincu que l'auteur étoit du nom- bre des infortunés qui avoient péri à la vue de Hellégaland, ce négociant m'ac- corda facilement la permission de pren- dre une copie du manuscrit. Je venois
viij A V A N T-P R O P O S
d'en terminer la traduction, déjà même j'avois formé le projet de la publier , lors- que je crus devoir préalablement con- sulter l'opinion de mes amis, dont je con- noissois depuis long-temps le goût et les lumières. Voici ce que me dirent les pre- miers :
« A peine sortis du chaos et des hor- reurs d'une des plus étonnantes révolu- tions qui aient j amais ensanglanté la terre; encore émus, effrayés au souvenir de ces loix d'exil, d'expropriation, de servitude et d'opprobre , dont , comme par mi- racle , l'heureux génie et le courage d'un jeune homme de 3i ans viennent enfin de nous délivrer; semblables au marin, qui, du port où il est entré, contemple avec un mélange d'effroi et de recon- noissance les écueilsqu'il aeu le bonheur d'éviter, quel intérêt pouvons-nous pren- dre aux progrès des choses, dans un pays aussi éloigné ? à l'agrandissement d'un peuple qui , plus heureux que nous, a passé de l'asservissement à l'indépen-
DU TRADUCTE U R. ix
dance, sans éprouver les fureurs san- glantes de Fanarchie? Que nous impor- tent l'immensité de leurs lacs, la hauteur de leurs cataractes, les aventures de quel- ques obscurs colons , ou les harangues métaphoriques de leurs indigènes »?
« Pour lire avec plaisir, il faut jouir de l'aisance, du repos, et sur-tout de cette tranquillité d'esprit que les béné- dictions d'un bon Gouvernement et celles de la paix peuvent seules nous procurer. Attendez donc que le nouveau soleil, qui déjà éclaire l'horizon, soit parvenu à sa hauteur méridienne; que le Wa- shington de la France ait eu le temps de développer dans l'administration , les talens qu'il a déployés à la tête des ar- mées. Qui peut dire ce que la destinée lui permettra de faire un jour , pour réparer tant de désastres et guérir tant de bles- sures»?
(c Pendant cet intervalle , vous vous occuperez à corriger les fautes dont votre traduction fourmille^ à élaguer plusieurs
X A V A N T-P R O P O S
chapitres auxquels il paroît que Fauteur n'avoit pas encore donné les derniers soins, à rendre les notes ce qu'elles doi- vent être , des explications simples et courtes, et non des épisodes et des récita Vous devez savoir que les lecteurs sont, en général , des juges sévères, plus dis- posés à blâmer les défauts d'un ouvrage ^ qu'à en louer les beautés; et que, sem- blable au frémissement du zéphyr, la voix de l'approbation se fera à peine en- tendre, tandis que celle de la censure, comme les roulemens du tonnerre , re- tentira, se propagera au loin. D'ailleurs, il nous paroît extrêmement indiscret de publier la traduction d'un ouvrage iné- dit , dont l'original n'est ni votre pro- priété, ni celle de la personne qui vous a permis d'en prendre une copie. Atten- dez donc qu'on ait quelques informa- tions positives relativement au sort de l'auteur, et jusques-là, corrigez, retran- chez )).
«Nous pensons, au contraire, dirent
DU TRADUCTEUR. XJ
mes autres amis, que, malgré les nom- breuses imperfections de cet ouvrage (dont, il faut en convenir, la traduction auroit pu être entreprise par une main plus exercée que la vôtre), malgré la perte et Fillisibilité de plusieurs chapi- tres , ce qui en reste sera favorablement reçu du public, parce qu'il contient un grand nombre de détails et de choses dignes d'exciter la curiosité et l'intérêt». <( Et à quelle plus heureuse époque cet ouvrage pourroit-il paroître , qu'à celle du retour vers le repos, la justice et la vraie liberté, après tant d'années pas- sées au milieu des agitations violentes, des orages convulsifs , et des commo- tions volcaniques de la révolution »?
c( Pour effacer de leurs imaginations les sombres et lugubres impressions oc- casionnées par cette longue et sanglante tragédie, les hommes ont besoin de por- ter leurs regards sur des tableaux à -la- fois instructifs, agréables et consolans : peut-il y en avoir de plus analogues à la
xij A V A N T-P R O P O 3
disposition actuelle des esprits, que ceux du bonheur civil et delà prospérité d'une jeune nation qui, comme nous, a con- quis sa liberté, et qui, depuis cette mémo- rable époque, en a fait un si bon usage j que ceux des premiers travaux de ces familles qui se répandent annuellement sur le sol neuf et fécond des Etats-Unis j que ceux enfin qui sont relatifs à la forme, à l'esprit d'un Gouvernement paternel , auquel, dans plusieurs Etats, les colons ne payent d'autres tributs que celui de l'affection et de la reconnoissance » ?
(( Et ces harangues, inspirées par l'élo- quence agreste des indigènes ! Et la cata- racte de Niagara, vue pendant les ri- gueurs de l'hiver ! Et le majestueux pas- sage du fleuve Hudson à travers les montagnes ! Nous croyons que ces mor- ceaux et plusieurs autres seront lus avec quelqu'intérêt ».
(( Quant à l'indiscrétion de publier la traduction d'un ouvrage dont le ma- nuscrit inédit peut être réclamé , nous
DU T R A D XT C T E r R. xii)
sommes persuadés que l'indulgence du public pour cette traduction, ne nuira point à l'original, lorsque l'auteur, s'il vit encore , jugera à propos de le publier dans son pays. Livrez-la donc à la presse avec confiance ; les loix n'étant plus au- jourd'hui que le résultat de l'expérience et la voix de la raison, il est permis de s'exprimer avec une honnête franchise ^ et l'on n'a pas à craindre que l'aveugle caprice des tyrans nous condamne à l'exil et à la mort ».
Cette dernière opinion ayant été celle du plus grand nombre de mes juges , j'ai cru devoir m'y conformer. Puisse-t-elle être aussi celle du public !
Quoique l'Epître dédicatoire, dont je n'ai trouvé que l'esquisse , ne fût pas signée, que nulle part je n'aie pu décou- vrir le nom de l'auteur, qui , dans quel- ques chapitres, s'est désigné sous celui de membre adoptif de la nation Onéida , et dans quelques autres, par quatre lettres initiales seulement ( que j'ai reportées
xiv AVANT-PROPOS DU TRADUCT-
SOUS cette épître) ; enfin , quoique les gazettes viennent de nous apprendre la mort du fondateur de l'indépendance des Etats-Unis^ par respect pour la mémoire d'un homme aussi justement célèbre, ainsi que pour me conformer aux inten- tions de l'auteur inconnu, j'ai cru devoir en placer ici la traduction.
Paris , le 17 avril 1800.
LE TRADUCTEUR*
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A SON EXCELLENCE
GEORGE WASHINGTON.
Celui qui, en i774,vous vit arriver comme député de la Virginie à ce premier Congrès , connu sous le nom de Vénérable, qui a con- duit la révolution avec tant de sagesse et de fermeté (i) ;
Celui qui, en 1775 , entendit la voix de ce même Congrès et celle de votre patrie , vous iippeler au commandement des armées , pour assurer sa liberté et son indépendance (2) •
Celui qui, comme tant d'autres, jugea votre conduite aussi sublime que généreuse , à l'époque critique du licenciement de l'armée continentale (5) ;
Celui qui n'a pu lire sans admiration la lettre que vous adressâtes alors aux Gouver- neurs des treize Etats , lettre si digne d'être transmise à la postérité (4) ;
Celui qui partagea l'attendrissement des citoyens de New- York, lorsqu'après avoir pris possession de cette ville , et y avoir réta-»
xy É P I T R E
bli le Gouvernement , vous la quittâtes pour vous rendre à Annapolis (5) ;
Celui aux oreilles duquel retentirent les bénédictions que vous donnèrent les habitans des campagnes et des villes , pendant ce voyage de 80 lieues (6) ;
Celui qui fut témoin de ce jour mémorable où, après avoir élevé votre patrie au rang des nations , vous remîtes vos emplois militaires au Cbef de l'Union , pour rentrer dans la classe des citoyens (7);
Celui qui, pendant vos quatre années de repos , ne vous vit pas moins grand , pas moins digne d'exemple, lorsque vous vous occupiez à perfectionner la navigation des rivières Potawmach et Shénando , et à diriger votre immense agriculture , que quand vous étiez à la tête des armées ( 8 ) ;
Celui qui se trouvoit à Philadelphie à l'épo- que où vous fûtes élu Président de cette Con- vention fédérale , aux lumières de laquelle les Etats-Unis doivent le sage Gouvernement qui les régit (9) ;
Celui qui, en 178g, vous vit, comme un autre Cincinnatus , abandonner avec regret vos occupations champêtres, pour devenir Chef suprême de l'Union , conformément au vœu unanime de vos concitoyens j magistra-
Dedicatoire. xvîj
ture que "vous avez résignée après huit ans d'une administration pleine de sagesse et de dignité (lo) ;
Celui qui, en 1797 , vous vit, redevenu pour ]a seconde fois, simple particulier, con- sacrer de nouveau vos loisirs aux soins de l'agriculture (11) ;
Celui , enfin , que vous avez depuis long- temps lionoré de votre estime et de votre bienveillance , pénétré de la sublimité des vertus dont votre vie n'a été qu'une longue suite, vous supplie d'agréer la dédicace de ce foible ouvrage , comme le seul témoignage public qu'il puisse vous offrir de sa vénéra- tion.
S. J. D. C.
SOMMAIRES DES CHAPITRES
CONTENUS DANS CE VOLUME.
A V A N T - p R o p o s du Traducteur . page t
Epître dédicat oire xv
CHAPITRE PREMIER.
*Confédér ATioNS de différentes nations qui exîs- toient lors delà première colonisation du continent. — Etat de guerre continuel. — Anéanlissement rapide de presque toutes les tribus qui liabitoient les parties ma- ritimes du continent. — Leur mépris pour la culture et le travail. — Ravages de la petite-vérole et des eaux spiritueuses. — Exemple frappant de ce mépris parmi la nation Moliawk. — Plusieurs nations auroient pu appri- voiser des buffles , cultiver le riz , et forger le fer. — ■ Etonnante destinée d'nn grand nombre de tribus , qui se sont anéanties en cultivant leurs propres terres. — Dou- ceur de leurs mœurs domestiques. — Leur respect pour la mémoire et les cendres de leurs morts. — Leur cou- rage héroïque dans le malheur, les maladies et les dan- gers.— Bonne -foi. — Désintéressement. — Générosité. Leur férocité à la guerre. — Cruauté envers leurs pri-
^ D'après les détails contenus dans ce chapitre, il paroît évi- dent qu'il a dû être précédé d'un grand nombre d'autres qui , Vraisemblablement, ont disparu lors de Pouverture de la caisse dans laquelle ce manuscrit étoit contenu; les cinq prermères pages de celui-ci étoient si effacées, que le traducteur n'a p:U sommencer qu'aux observations du colonel Crawghan.
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CHAPITE.E IL
Foîf DATION fia collège de LaQ::i5*er pir le docteur Franklio. — Qaestions relatives à rorîgine des nations de ce continent. — A celle des tombeaux et des camps retranchés , découverts à Fanest des montagnes. — Opi- nion da Docteur. — Il croit les tribas méridionales re- naesda Mexique ; les Esquimaux, da nord del'Enrope.
— Improbibililé que les antres soient venues de la Tar- tarie. — Motifs de ces opinions, — Les climats clutods ont dû être le berceau de la nature bomaine. — Doutes sur l'origine des tribus qui babitent les Terres australes.
— Cette planète est plus vieille que Ton ne pense. — Indices de cette haute antiquité. — Détails sor le camp retranché du Muîtiughnm. — Antres fortifications dé- couvertes dans le voisinage de l'Obio. — Marques évi- dentes d'une ancienne population. — Ossemens humains. — Tombeaux découverts dans le Xentukev , le Tènêaèe et les deux Florides. — Coniectures sur le degré de civi- lisation auquel ces anciennes nations êtoient parve- nues ^
CHAPITRE III.
Deux iH'auds conseils doivent être tenus ; Fnn à Onondaga, l'autre au fort Stanwick- — Désir dV assis- ter.— luconvéniens du Toj9gc. — Inccrtilcde de Tan* teur. — L'arrivée de M- Herman , venant d'£aropc , le détermine. — Départ de Shippenboor». — .Arrivée à Carlisle. — Collège de Dikenson. — Réflexion de M-Her- man. — Histoire de M. B. — Départ. — Arrivée sur les bords delà Juuiata. — Observations sur le ooors de cette rivière et ses rivages pittoresques. — Mabalanjo-Creel:^
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XX s O M M AIRE S
sontiiers. — Conformité de goût, d'opinion, de teint et de physionomies, depuis une extrémité du continent jusqu'à l'autre. — Ils ne connoissent ni l'espérance, ni le désir d'améliorer leur sort. — Insouciance de l'avenir.
— Imprévoyance. — Sang-froid. — Eloquence dans les assemblées publiques. — Passion pour la pêche ,1a chasse et la guerre. — Sort de leurs femmes. — Privilèges dont elles jouissent. —Adoption. — Motifs de leurs guerres.
— Férocité des vainqueurs. — Paroles du célèbre Pon- diack. • — Férocité envers les prisonniers destinés aa poteau. -^Courage surnaturel de ces victimes. — Chan- sons de mort. — Motifs de ces cruautés. — Anthropo- phagie.— Toutes les nations l'ont connue dans leur pre- mière origine. — L'homme primitif. — Erreur des poètes relativement aux premiers âges du monde. — Avantages de la civilisation. — Les indigènes sont peu susceptibles des variations de l'atmosphère. — Education de leurs enfans. — Idée de deux Génies. — Offrandes au mau- vais.— Idée d'un séjour de paix et de bonheur après la jîiort. — Efforts des Missionnaires pour les instruire dans la religion chrétienne. — Gouvernement des familles et d.es villages. — Passion pour les eaux spiritueuses. — Désastres occasionnés par l'ivresse. — Jeux de hasard. — Ils redoutent les mauvais rêves. — Rêve du sachem Nis- sooassoo, et de sir William Johnson. — Loi du tahon,
— Les nations éloignées des frontières sont plus inté- ressantes à observer que celles qui en sont voisines. — Dégradation de ces dernières. — Prophétie de Korey* lioosta page i
Il paroît y avoir ici une lacune considérable.
DES C II A P I T R E S. xxj
CHAPITRE II.
Fondation du collège de Lancaster par le docteur Franklin. — Questions relatives à Forigine des nations de ce continent. — -A celte des tombeaux et des camps retranchés , découverts à l'ouest des montagnes. — Opi- nion du Docteur. — Il croit les tribus méridionales ve- nues du Mexique -, les Esquimaux, du nord de l'Europe.
— Improbabilité que les autres soient venues de la Tar- tarie. — Motifs de ces opinions, — ^^Les climats chauds ont dû être le berceau de la nature humaine. — Doutes sur l'origine des tribus qui habitent les Terres australes.
— Cette planète est plus vieille que l'on ne pense. — Indices de cette haute antiquité. — Détails sur le camp retranché du Muskiughum. — Autres fortifications dé- couvertes dans le voisinage de l'Ohio. — Marques évi- dentes d'une ancienne population. — Ossemens humains, — Tombeaux découverts dans le Kentukey,le Tènézée et les deux Florides. — Conjectures sur le degré de civi- lisation auquel ces anciennes nations étaient parve- nues • 26:
CHAPITRE III.
Deux grands conjseils. doivent être tenus ; l'un à Onondaga, l'autre au fort Stanwick. — Désir d'y assis- ter.— Inconvéniens du voyage. — Incertitude de l'au- teur. — L'arrivée de ML. Herman , venant d'Europe , le détermine. -T- Départ de Shippenbourg. — Arrivée à Carlisle. — Collège de Dikenson. ^ — Réflexion de M.Her- jnan. — Histoire de M. B. •— Départ. — Arrivée sur les bords de la Juniata. ■— Observations, sur le cours de cette rivière et ses rivages pittoresques. — Mahalango-Creekot
xxi) S O M BI A I R E S
— Penirs-Creek. — Passage delà Susquéhannali. — Ar- rivée à Nortliumberland. — Intéressante conversation de J'arpenteur-général. — Réflexions sur la population et la culture de ce continent. — Causes de l'état d'tn- Jance de cette ville. — Détruite en 1780. — Rebâtie cinq ans après. — Différend entre la Pensylvanie et le Connecticut. — Navigation de la haute Susquéliannali,
— Obstacles qui gênent sa navigation inférieure. — Dé- part pour le bac de Mashoping. — Difficultés du voyage-
— Découragement de M. Herman. — Réflexions sur l'apparence agreste du sol et des forêts. — Observations du premier voyageur. — Arrivée sur les bords du Cbi- quisquaqné. — Rencontre d'un colon. — Son hospitalité.
— Détails de son industrie, de son bonheur^ de ses es- pérances. — Découragement des premiers colons. — Chemins nouvellement tracés. — Heureux effets d'un commerce florissant pour l'agriculture. — Dispositions religieuses de ce colon. — Réflexions dé M. Herman. — Départ. 35
CHAPITRE IV.
L E s voyageurs traversent à la nage les deux branches du ïishing Creek. — Observations de M. Herman sur cet état de choses. — Monotonie du voyage. — Ce que leur dit un colon suédois. — Un W^estphalien et un Savoyard. — Passage de la Susquéhannah au bac de Massboping. — Entrée dans le comté de Luzerne. — Ré- flexions de M. Plerman sur l'origine des sociétés. — Con- traste entre les premiers défrichemens de ce pays et ceux de l'Europe. — Av^antages que possède l'Amérique septentrionale. — Observations sur le petit nombre ,^ parmi les premiers colons , qui réussissent. — Causes de
DES CHAPITRES. xxiij
ce noti- succès — Entrée dans le distiict de Philippo- polis. — Les voyageurs entendent le timbre d'une lior- loge. — Découvrent une habitation. — Le propriétaire les invite à passer la nuit. — Son histoire. — De la ville d'Orsa , sur le Dnieper, il se trouve transporté à New- York. — Il s'établit comme chirurgien sur la rivière Mohawk. — Il épouse la fille du ministre de ce canton.
— Conversation instructive de ce ministre, qui a été pendant quarante ans, pasteur, cultivateur et médecin.
— Dispositions que doit avoir un colon. — Idée de ses devoirs, s'il est appelé au Congrès. — Ce qu'il doit à sa nouvelle patrie.-— Heureux effets de l'irrigation. — Dis- paritions de plusieurs ruisseaux. — Luxe du déjeuné, — • La femme de ce colon se justifie. — Singulier tableau. - — Ce que dit M. Herman , en prenant congé de cette famille. — Dépaii: , 5i
CHAPITRE V.
Arrivée au bac de Seely, sur la Susquéhannah. — Harmony et Stockport , bourgades nouvellement fon- dées— Grande ligne de démarcation entre les Etats de New-York et de Pensylvanie. — Sources salées. — Pas- sage de la Susquéhannah. — Entrée dans l'état de New- York. — Grand nombre de ruisseaux, et d'érables à sucre. — Radeau établi sur l'Ononquagé. — Réflexions de M. Herman. — Prairie naturelle. — Approche d'un orage. — Rencontre d'une habitation. — Bonne récep- tion du propriétaire. — Son éducation. — Il ordonne à ses chiens d'aller cliercher les vaches. — Elles arrivent.
— Réflexions sur la perfectibilité de l'instinct. — Trait de sagacité de deux chiens floridiens. — Fièvres autom- nales. — . Dessèchement de plusieurs prairies naturelles.
Xxiv SOMMAIRES
— Ce colon est membre de la législature. — Délaila. — • Espérance de fortune , fondée sur une chute de dix-sept pieds. — Sage loi, promulguée par les deux Etats d© New-York et de Pensylvanie , qui déclare les rivières libres. — Réflexions de ce colon sur la solitude de sa situation. — Sur les malheurs de l'Europe. — Départ. — Passage des rivières Tiénaderha et Adiga. — Approches du lac Otzègé. — Rencontre d'un grand nombre de per- sonnes occupées à élever la charpente d'un moulin. — Réflexions de M. tlerman sur le grand nombre déchûtes que l'on voit ici. — Hospitalité de M. J. V. — Ce que dit ce colon sur la rapidité des défrichemens. — -Amal- game de toutes les nations de l'Europe.- — Causes de cet amalgame. — -Ce colon promet le récit de son his- toire au retour des voyageurs. — Départ. — -Fertilité des- cantons à travers lesquels passent les voyageurs avant d'arriver à Albany. — Arrivée à Skénéctady. — Ils s'em- barquent sur le Mohawk, pour le fort Slanwick. ... 74
Le chapitre qui contenoit les détails du voyage jusqu'à ce fort , étoit , à quelques ligues près, si eiîacé , que l'on n'a pa& pu le traduire.
CHAPITREVI.
Arrivée à Onondaga. — Les voyageurs vont se re- poser chez deux indigènes.— . Réflexions de M. Herman sur la vie primitive. —Réplique du premier voyageur. — Ignorance , abrutissement , misère nécessairement attachée à l'enfance des nations. — Erreur des savan& qui préconisent la vie sauvage , et méprisent les avan- tages de la civilisation. — Visite au vieux Kèskétomah. ' — Son hospitalité. — Conversation. — Effets de la mu- sique sur les physionomies de plusieurs chef . . ^ . . , ^\
DES CHAPITRES, xxv
C H A P I T R E V I I.
Ouverture du Conseil. — Détails relatifs à ce nou- veau spectacle. — Silence. — Manière de fumer. -— Belles proportions de leurs corps. — Conseil du lende- main. — Les chefs y paroissent ornés de plumes et peints.
— On doit y parler d'adoption et de culture. — Cliéda- booktoo se lève. — Il raconte les plaintes de Wéquash.
— Les reproches qu'iliui fait. — Réplique de Wéquash.
— Conseils de Chédabooktoo.
Yoyoghèny se lève^ et raconte ce qui s'est passé entre lui et Muskanéhong. — Elle a perdu son mari. —Il mo- dère son chagrin.— Ce qu'elle lui dit, — Elle regrette de n'avoir pas offert un rouleau de tabac au malin Es- prit. — Réflexions de Yo5'oghény. — Il lui conseille d'adopter un blanc. — Réplique de Muskanéhong. — Yoyoghèny justifie ce qu'il a avancé , et se plaint du mal que l'on éprouve sur la terre. — Question de Mus- kanéhong.— Réponse de Yoyoghèny.
Siasconcet, troisième orateur, se lève, et parle de sa rencontre avec Kahawabash. — Ravages de la petite- vérole , qui a enlevé sa femme, a détruit presque tout son village. — Plaintes de Kahawabash. — -Malheureux e=!t le sort des hommes sur la terre. — Désolaliou de Siasconcet. — Il console Kahawabash , en lui parlant de la mort de ses trois enfans et de sa vieillesse. — Il lui recommande le remède de l'adoption , ainsi que de ne pas verser des larmes devant les anciens. — Touchante réplique de Kahawabash. -. — Nouvelle question qu'il fait à Siasconcet. — Sage réponse de ce dernier.
Aquidnunck se lève , et entretient le Conseil des plaintes de Tienaderha relatives à 1$ mort de sa fille,—
xxv) SOMMAIRES
Ce qui lui est arrivé auprès de son tombeau. — Son clesir d'aller la rejoindre. — Aquidnunct la console , lui or- donne d'appeler le courage pour savoir supporter ses peines , de verser des larmes pour les adoucir, et de tra- vailler pour les oublier.
Késkétomali parle de la nécessité de cultiver la terre pour réparer toutes ces pertes. — Raconte la prophétie de Koreylioosta , retrace le sort des nations qui ont dis- paru. — Il voudroit avoir les ailes de Faigle pour être mieux entendu; il annonce la ruine de la nation. — Pres- crit ce que l'on doit faire pour résister aux blancs : il s'arrête. —
Koohassen lui répond. — La culture est indigne d'un guerrier. — Loix, prisons , juges, cleaînes, conséquences de la culture. — Les enfans n'auront plus d'exemples de bravoure et d'intrépidité. — Son mépris pour les tri- bus devenues cultivatrices. — Il jure d'abandonner les Onéidas s'ils deviennent gratteurs de terre.
Késkétomah se lève , et réfute ce que Koobassen vient de dire. — Engage ceux qui méprisent la culture à s'en aller. — Prédit de nouveau la ruine du village si on n'a- dopte pas ses conseils 9^
CHAPITRE VIII.
Troisième séance du Conseil. — On consomme plusieurs adoptions. — Le doyen d'âge prend les affligés par la main , les console. — Touchantes réflexions qu'il adresse aux deux femmes 127
CHAPITRE IX.
Discours d'un des voyageurs au Conseil. — Rappelle l'époque de son adoption et celle de ses enfans- — Son
DES CHAPITRES. xxvij
attachement à sa tribu adoptivc. — il s'adresse h la. jeu- nesse, leur prédit la dispersion de leur natian , s'ils con- tinuent à mépriser les conseils des vieillards et de leur ami. —
Réponse de Kanajohary. — Ses réflexions sur ce que le voyageur vient de dire. — Il le fait fumer dans l'oppoy- gan d'amitié , lui présente une Belle de Wampun. — Adoption de M. Herman.— Détails relatifs aux danses et aux exercices de la jeunesse. — Ce que dit Kooîiassen. 1 33
Le traducteur n'a point trouvé^les deux chapitres suivans , qui contenoient vraisemblablement les détails du Congrès qu» le Gouverneur de New- York tint au fort Stanwick,
CHAPITHE X.
Voyage du fort Stan^vick au lac Otzègé à travers les forêts. — Conseils du gouverneur Clinton. — Il donne aux voySgeurs deux jeunes indigènes pour leur servir de guides et de pourvoyeurs. — Sentier sauvage. — Elévation du to t de la première nuif. — Truites sau- monées. - — Branches de l'Oriskany. — Adresse et bonne volonté de ces deux guides. — Campement de la seconde nuit. — Gelinottes. — Réflexions de M. Herman. — Rencontre d'un parti de cTiasseurs indigènes. — Troi- sième cam|>ement sur les bords de FUna Délia. —Le lendemain ils découvrent une habitation. — Générosité de M. Herman envers les deux guides. — Continuation du voyage. —Rencontre d'un grand nombre de petits défrichemens. — Réflexions de M. Herman. — Mauvais gîtes. -^ Sentiers difficiles. — Arrivée chez M. Willson. — • Observations relatives à la charpente d'une église élevée dans son voisinage. — Motifs de son établisse- ment. — Bases de son bonheur, -*- Excursion dans ses
xxviî) SOMMAI II r, â
cîiamps. — Conquêtes de l'industrie. — Arbres majes- tueux. — Erables à sucre. — Chute. -— Projet d'y éle- ver un moulin. — Départ . iSg
CHAPITRE XI.
Forêts épaisses et marais difficiles. — Arrivée chez M. Seagrove. — Elégance de sa maison. — Originaire de la Jamaïque. — Motifs de son établissement dans les bois. — Observation sur le nouveau genre de vie qu'il mène. — Emploi du temps. — Branche de la Poste. — Motifs de sa vie célibataire. -—Réflexions sur le sort do îa race humaine. — Départ lôg
CHAPITRE XII.
Difficultés des sentiers. — Les voj'-ageurs s'égarent. ' — Arrivent chez M. J. V. — M. Herman lui lit sou journal. — Observations de ce colon. — Causes qui re- lardent les travaux des premiers colons. — Esquisse du progrès des choses dans les Etats-Unis depuis vingt ans.
— Remet au lendemain le récit de son histoire. ... i6gi
CHAPITRE XIII.
Histoire de M. J. V. — ■ Il arrive à Nevsr-York avec la frégate la Gaktée, dont il étoit lieutc^iant. — Con- çoit le projet d'acquérir des terres. — S'embarque pour Albany. — En achète i4oo acres dans le voisinage da lac Otzègé. — Retourne en Europe. — Revient avec trois familles Erses. — Premiers défrichemens longs, dispendieux et pénibles. — Contraste entre ses anciennes fonctions militaires, et sa situation comme cultivateur,
— Moulin à scie. — 'Système d'actions. — Détails de
DES CHAPITRES. xxix
Ses améliorations. — - Sept familles seulement éloient établies dans ce comté en 17S5. — Episode du chef d'une de ces familles. — Il en a été long-temps la 19"^ , anjour-^ d'hiii la 1820*^ branche de la Poste. — Observations sur cette admirable institution. — Histoire de son voisin. — Inconvéniens et avantages d'un nouvel établissement. — • Il désire se marier. — Portrait de la femme qu'il cherche 177
Il paroît y avoir ici une grande lacune de temps , ou plusieurs chapitres perdus.
CHAPITRE XIV.
On détruit le fort George de Neiv-York pour éîevet
sur ce site le palais du Gouverîieur. — Découverte de
plusieurs espèces de monnoie. — Et de quelques épita-
phes d'anciens gouverneurs. — EtonnementdeM. Her-
man envoyant que l'on permet aux ouvriers de les ven^
dre. — Il les achète et les présente aux directeurs de la
Bibliothèque. — Observations du premier voyageur. —
Réplique de M. Herman. - — Son admiration pour tout
ce qui a reçu la consécration du temps. — Origine de ce
goût. — Réflexions du premier voyageur. — Il exprime
son étonnement de ce qu'un amateur de l'antiquité n'ait
pas dirigé ses pas vers la Grèce et l'Asie , plutôt que vers
ixn pays aussi nouveau. — Réplique de M. Herman. —
Projet d'un voj^age dans l'iniérieur du continent, —
Description du château de "^ ^ ^ 202
CHAPITRE XV.
Voyage de M. Herman dans les Etats Septentrionaux. — Observations sur ce qu'il y a vu. — - Départ pour New- Windsor à bord d'un sloop dernièrement revenu de Can-
XXX s O M M A I tl E 3
ton. -^Utilité de la navigation du (leuve Hudson. — Quais, grues et magasins établis là on. aboutissent les chemins de l'intérieur. — Montagnes à travers lesquelles 3e fleuve serpente. — Lieux magiques. — Intéressante conversation du capitaine. — Echos des montagnes. — Combat entre l'aigle chauve et l'aigle pêcheur. — Mou- lin. — Pooplo'sKill. — Canon de retraite. — Effets d'un clair de lune au milieu de ces montagnes. — Esturgeon. — Fort Westpoint. — Arrivée à New- Windsor . . 23i
CHAPITRE XVI.
Moulin d'Ellison. — Détails. — Arrivée à Blooming Green. — Moulin de 3. Thorn. — Entrée dans la vallée de Skonomonk. — Le colonel Wood huîl. — Vaches et jumens hongres. — Détails relatifs à la culture. — His- toire du Colonel. — Détails sur l'économie intérieure des familles. — Cire végétale. — Savon. — Sucre d'érablt . Dîner intéressant. — Le Colonel apprend à forger le fer. — Motifs. — Départ pour Sterling. 262
C H A P I T R E X V I I.
Arrivée chez M. Townsend. —Fournaise. — Soufflet de bois. — Raffineries. — Fonderies. — Machines en- voyées au mont Vernon. — Détails sur le général Wa- shington. — Manufacture d'acier. — Herbage de 3oo acres défriché par des chèvres. — Départ pour Ring- wood. — Mouvement à platiner le fer , auquel est adapté un moulin à bled. — Excursion à Charlot'sbourg. — Fournaise éclatée. — Grande clouterie. — Voyage aux Djowned lands. — Prairie de 70,000 acres. — Loi pour la dessécher. — Troupeau de 62 vaches appartenant à
DES CHAPITRES. xxx]
M. Alîisson. — Observations de ce colon. — Détails sor les produits de son industrie. — Les voyageurs repassent les montages à Wavayanda. — Moulins à broyer et cou- teler le lin et le clianvre. — Orrèry de Ritten'house. — Ce qu'a dit M. Jefferson de cette belle pièce de méca- nisme. — Retour à New-York 282
ERRATA.
Page 68 , ligne 23 : les places voisines , lisez les plages voisines.
— 74, — 1 : conformément aux intentions , lisez con-
formément aux informations.
— 77 , — 22 : et celui du sol , lisez et celui du sel. ■ — 79, — 24 : des cantons, lisez des castors.
— 82 , — i3 : écarter des épines, lisez essarter des épines.
— 82, — ig : j'essaie mes forces, Zz,sez j'essayai mes forces.
— 85 , — 17 : des privations , lisez de ces privations.
— idem. — 26 : pouvoit-elle , lisez pourroit-elle. *— g4, — 20 : poursuivit-il , lisez poursuivis-je.
— 99, — 20 : de l'adoption de la culture, Zivîez de ^adop-
tion et de la culture-
— i48, — 16 : le Gouverneur, lisez le Gouvernement.
— i64, — 27 : reine Charlotte, Zi^ez rivière Charlotte. ■ — i8i , — 20 : crique denant , Usez creek venant.
— 2i5, — 16 : l'architecture , Zz5é?z l'architrave.
— 242, — 6 : Toiider-bero y lisez Tunder-berg.
— 267, — 11 : que le grand homme, lisez que ce grand
homme. ■ — 285, ' — 2G : de 367 à 3go pesant , lisez entre deux pa- renthèses (567 à Sgo francs). ^— 290 y — 3 : arcs , lisez acres,
— 294, — 24 : Jetterson, Zi^ez Jefferson.
' — 5i2, — i4 : où il doit, lisez où il devoit.
— 3i6, — i4 : Sruces , lisez Spruces.
— 4i5, note 5 : étendue dupas de l'Ohio ,Zz5ez étendue du
pays de l'Ohio. *— 421 , page 4 : talco piscatoriiiSylisez Faîco piscaforius.
O Y A G E
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE
E T
DANS L'ETAT DE NEW-YORK.
CHAPITRE PREMIER.
,..♦.. ( ^ ) ({ vJ u E L vaste clianip , en effet , les anciens et nouveaux habitans de rAmérique septentrionale n'oiFrent-ils pas à la méditation ! continua le colonel Crawglian ( i ) )) .
(( Bien différentes des nations européennes ^ dont le teint et souvent même les traits chan- gent avec les latitudes, on observe une unifor- mité invariable parmi celles qu^on rencontre
{*) Quoique les premières et les dernières pages de ce chapitre aient été enriommagées, ou se soient trouvées illisibles, on a cependant jngé ce qui restoit assez inté- ressant pour mériter d'être traduit : d'après quelques- unes des notes ; on le croit de Tannée 1785. I. A
2 V O T A G E
depuis les rives brûlantes du Mississipi sous le 5o® degré de latitude, jusques aux régions bru- meuses du Saguenay (2) sous le 5o^ : le Mistas- sing, le Missisagé du Nord, ressemblent au Mus- kogulgès , au Chectaw de la Floride , et à FAr- cansa du Midi : tous ont les cheveux noirs et rîides j tous le même moule de physionomie, la peau couleur de cuivre , et le blanc des yeux mêlé de jaune. Cette analogie ne paroîtr oit-elle pas indiquer que ces nations descendent de la même souche , et ne sont pas d^une haute anti- quité 5 puisque la différence des climats n'en a point encore produit dans les nuances de leur teint? D'un autre côté, celle qu'on remarque entre les langues que parlent les nations du Midi, de FOuest et du Nord, est si grande, qu'une telle opinion semble inadmissible )) .
(( Plusieurs confédérations existoient lors de la découverte du Continent 5 les mieux connues étoient celles des Creeks , dans les deux Florides €t la Géorgie (5) j des Poohatans , dans la Vir- ginie (4) 5 des Whélénys , ou Illinois , dans la haute Louisiane (5) j des Mohawks, dans l'état de New-York 5 et des Lénopys , dans la basse Pensylvanie et le Jersey. La première est la seule qui se soit maintenue : de l'Illinoise, il ne reste que quelques familles qui habitent les bords de la rivière de leur nom 5 on ne rencontreroit
DA]NS liA HAUTE PENSYLVANTE. 5
pas un seul Pooliatan dans toute la Virginie, ni un seul Lénopy dans le pays qu'habitoit cette tribu. De la dernière, il n'existe plus que la nation Onéida 5 et quelques restes de Cayugas, de Senneccas et deTuskaroras,les Moliawks ayant été obligés de se retirer dans le Canada, où leur nombre a considérablement diminué depuis quelques années ».
<( Les nations des grands lacs et de FOliio (6) j quoiqu'un peu plus cultivatrices , et habitant une des plus fertiles régions de ce continent ; devenues nos tributaires , par le besoin qu'elles ont des marchandises européennes ; exposées , comme les autres , aux ravages de la petite vé- role et à l'abus des eaux sniritueuses , marchent aussi vers l'anéantissement avec une étonnante rapidité : il semble qu'elles soient destinées à disparoître devant l'ascendant des Blancs. En- core quelques lustres ! il ne restera d'autres traces de leur existence et de leur passage sur
la terre , que les noms jadis donnés par
leurs ancêtres aux rivières , aux montagnes et aux lacs de leur pays » .
« Quelle peut être , lui demandai-je , la cause de l'inconcevable aveuglement qui, aujourd'hui comme il y a des siècles, leur fait préférer la vie errante et précaire des bois , aux ressources plus assurées de la vie sédentaire et de la culture?
2
4 VOYAGE
Comment ont-ils pu fermer les yeux à l'évidence journalière de leur dépérissement , à celle des désastres occasionnés par Tivresse, ainsi qu'à l'exemple et aux conseils de personnes qui se sont établies parmi eux )) ?
(( Cela paroît inconcevable en eiFet, répondit- il ; j^étois ici , il y a vingt ans , lors des premiers établissemens qui furent faits sur les bords fer- tiles de cette rivière , et au milieu de la grande nation Moliawkj jamais, depuis Torigine des colonies , il n'avoit existé entre les deux peuples un rapprochement, un accord, ni des liaisons aussi intimes , et qui eussent duré aussi long- temps. Les premiers respectoient scrupuleuse- ment les terres qu'ils avoient vendues; d'un autre côté, les loix coloniales avoient mis les leurs à l'abri de toute invasion. Dans plusieurs cantons , les enfans indigènes et blancs , en jouant ensemble, apprenoient les deux langues : eh bien ! ces récoltes qu'ils aidoient quelquefois à serrer, le foin des vertes prairies qu'on les employoit à faner , l'aspect de ces résultats heu- reux de l'industrie et du travail, n'ont produit aucun effet sur leurs esprits : ce long exemple de prospérité a été inutile. Quoique témoins du défrichement des terres hautes , du dessèche- ment des terres basses, et connoissant les pro- cédés de ces deux importantes opérations, quoi-r
ibANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 5
qu'ayant vécu pendant plusieurs années au mi- lieu de colons devenus riches et heureux par la culture 5 pas un d^eux n^a été tenté de suivre un si bel exemple (7) )).
(( Cette constante aversion pour le travail et pour la vie sédentaire , Tinconséquence de leur con- duite 5 Vétat habituel d'irréflexion et d'enfance dans lequel ils vivent , toutes ces causes , qui sembleroient annoncer quelqu'infériorité dans la mesure de leur intelligence, ne pourroient- elles pas être considérées comme un obstacle insurmontable , qui s'est invariablement opposé et s'opposera toujours à leur passage vers un meilleur état de choses? En effet, continua-t-il, comment n'être pas étonné que 5 depuis tant de siècles j ils n'aient point participé aux progrès du temps 5 du temps qui, à la longue, amène ces chances , ces heureux hasards auxquels les au- tres nations ont dû tant de découvertes et d'in- ventions utiles ? Que , par exemple , ils n'aient jamais essayé d'apprivoiser les buffles, dont leurs savannes sont couvertes (8)? jamais connu l'u- sage du fer, dont on trouve le minerai sur la surface de certaines prairies naturelles (9)? ja- mais cultivé le riz qui croît spontanément sur les rivages de l'Ontario, du Michigan, de la baie Verte, et de l'Outagamy (10)? Oui, je le répète, leur singulière imprévoyance, qui em-
6 VOYAGE
pêche que Favenir le plus rapproché soit quel- que chose pour eux 5 l'inutilité de l'éducation que plusieurs de leurs enfans ont reçue dans nos collèges ; celle du zèle de nos missionnaires, qui , |j à l'enseignement des préceptes salutaires de l'é- vangile, ont uni celui de la culture, toutes ces circonstances prouvent que leur intelligence est moins susceptible de perfectibilité que la nôtre, et que ces races sont inférieures à celles de l'Eu- rope et de l'Asie , lesquelles , après avoir vécu , comme celles-ci , de leur chasse et de leur pêche, pendant un grand nombre de siècles, parvinrent enhn à forger le fer et à apprivoiser les bes- tiaux».
(( Le sort des grandes tribus, Nattick, Pécod, Narraganset , Catawba , &c. (11) confirme cette opinion : au sein de l'abondance et du repos, elles se sont anéanties en cultivant leurs propres ter- res , que les loix coloniales avoient rendues ina- liénables et sacrées. Chose inconcevable! ce nou- vel état leur a été plus funeste encore que leur ancien régime )) !
(( Depuis cent soixante-dix ans que nous les connoissons, poursuivit-il, a-t-on jamais vu parmi eux un seul individu qui ait montré quel- qu'étincelle de ce feu céleste , d'où naissent les idées utiles et les grandes conceptions? Non : leur commerce avec nous , en faisant cesser leurs
DANS LA HAUTE PENSYLYANIE. 7
guerres, leurs vengeances , et T anthropophagie, ne leur a point communiqué de goûts nouveaux 5 ils ne sentent pas même encore aujourd'hui le besoin ni les avantages qui résultent de la pos- session exclusive et de la culture d'un champ 5 ils ne connoissent point, comme nous , le plaisir de planter un arbre , celui plus doux encore de le voir croître et se charger de fleurs et de fruits , ni enfin cet attachement instinctif chez tous les hommes pour le lieu de leur naissance : sembla- bles aux bétes fauves , ils le quittent sans re- grets, pour aller ailleurs élever leurs Wigw- hams (12) »,
(( D'un autre côté, comment pourroit-on les appeler barbares, après avoir observé l'inalté- rable douceur de leurs moeurs domestiques , cette tranquillité d'esprit , ce désintéressement, cette disposition constante à s'entre- secourir dans leurs besoins ou dans leur détresse (car entr'eux ils sont véritablement frères ) 5 la ten- dresse avec laquelle ils élèvent leurs enfans ; les regrets et les larmes qu'ils versent lorsqu'ils les perdent 5 leur respect pour la vieillesse, ainsi que pour la mémoire et les cendres de leurs an- cêtres y l'attachement pour leur tribu et leur nation ; le courage héroïque avec lesquels ils supportent la faim, les maladies , les souffrances et la mort? Je ne connois point d'amis plus sûrs
8 VOYAGE
ni plus fidèles. Si quelquefois on observe parmi eux des traits de mauvaise foi , c'est de nous qu'ils ont appris le mensonge et l'astuce : envi- gages sous ces rapports , qui ne regretteroit pas d'en voir le nombre diminuer tous les jours )) ?
(( Mais comment aussi accorder les idées que fait naître la considération de mœurs aussi dou- ces, avec celles que donne leur férocité à la guerre et envers leurs prisonniers ? Cette éton- liante contradiction est également frappante chez toutes les nations que je connois, depuis le Mississipi jusqu'au nord du lac Ontario j toutes ont la même physionomie , les mêmes opinions, les mêmes usages : quel a pu en être le proto- type? Cette uniformité vient sans doute de ce que leur genre de vie et leurs occupations étant les mêmes, ils ont dû exciter des besoins et des jouissances pai^faitement analogues, et impri- mer les mêmes dispositions à leurs esprits. Aussi observe-t-on parmi ces nations le même degré d'indolence qui les empêche de travailler, et leur inspire le mépris le plus profond pour la culture j la même impatience qui leur fait dé- daigner le repos d'une vie sédentaire et tran- quille, et les entraîne dans les chasses les plus éloignées et les plus fatigantes , ainsi qu'à la guerre. Toutes portent sur leur physionomie l'empreinte d'un esprit vide ou enclin à la tris-
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 9
tesse; et cependant elles ne connoissent pas la mélancolie : toutes ont au même degré l'in- souciance et Fimprévoyance pour l'avenir, et malgré Fexpérience des disettes annuelles aux- quelles cette funeste disposition les expose, elles n'en deviennent ni plus sages ni plus pré- voyantes )) .
((Je fus extrêmement frappé , lui dis-je, pen- dant la tenue du dernier congrès, où les chefs et quelques guerriers de onze nations différentes étoient réunis , en observant non - seulement l'analogie des traits de leurs visages dont vous venez de parler , mais encore l'inexpression ab- solue de leurs physionomies, quoiqu'ils fussent singulièrement attentifs à ce que vous leur di- siez; je n'apperçus sur ces surfaces immobiles aucun de ces mouvemens variés , ni de ces nuances fugitives qui peignent les affections de l'ame, et sont les indices du caractère)).
<( D'où viendroient-elles ces nuances , me ré- pondit-il, puisqu'ils ne connoissent point l'ef- fervescence des désirs , le tumulte des passions , ni les anxiétés de la prévoyance ? Ne tenant point comme nous à la vie par l'espérance de la fortune, ni même par celle d'être mieux un jour, ils sont rarement occupés de réflexions agréables ou douloureuses (excepté lorsqu'ils perdent leurs femmes ou leurs enfans) : d'ail-
lO A^OYAGE
leurs, un des principes les plus fortement re- commandés aux jeunes gens, est de conserver un sang-froid inaltérable dans toutes les cir- constances de la yie. Ils le perdent cependant quelquefois ce sang-froid, lorsqu'ils parlent en public ; alors leurs physionomies s'animent ; de leurs imaginations jaillissent quelquefois des étincelles qui brillent un instant. Eh bien ! ces mêmes chefs qui s'énoncent avec tant d'énergie et de chaleur aux feux de leurs conseils natio- naux, ne sont que des êtres inconséquens, irré-- fléchis , auxquels les années donnent des habi- tudes , et rarement de l'expérience )) .
(( Sous leurs toits , continua-t-il , le passage du temps n'est rien pour eux ; ils ne le mesurent ni n'en calculent la durée que lorsqu'ils chas- sent, qu'ils pèchent, ou vont à la guerre : ce sont , disent-ils , les seules occupations dignes d'un Nishynorbay (i5) ».
(( Leurs femmes , moins robustes et moins cruelles que les hommes, sont toutes assujetties à une vie dure et souvent pénible ; elles plantent le maïs, les patates, le tabac, fument les vian- des , portent les fardeaux , et souvent accompa- gnent leurs maris dans les grandes chasses d'hi- ver (i4), ainsi qu'à la guerre : elles jouissent néanmoins d'une grande influence dans presque toutes les délibérations nationales, quoiqu'il n^
DANS LA HAUTE FENSYLVANIE. 11
leur soit pas permis d'y parler , ainsi que dans l'adoption des prisonniers ».
a Cet acte , le plus solennel après le mariage , transmet à l'adopté tous les droits de l'amitié , de la consanguinité et de l'hospitalité : c'est un moyen de réparer les pertes occasionnées par la guerre , par les outrages de la nature et du temps ', quelquefois aussi c'est le cri d'un coeur affligé qui a besoin d'aimer encore : j'en ai vu quelquefois des preuves bien touchantes , sur- i tout au sein de la nation Wyandot )).
« Presque toutes leurs guerres sont celles de la nature , quoique devenues beaucoup plus rares depuis quelques années (i5) : c'est l'exercice de la vengeance 5 car jamais la cupidité ni le désir des conquêtes ne leur met le tomèhaiph à la main. Voilà pourquoi la férocité des vainqueurs et larésistance des vaincus, produisent des scènes de fureur et de rage dont le récit fait frémir , et qui donnent l'idée de tigres altérés de sang, combattant contre des lions rugissans. — Nous sommes destructeurs comme le feu, me disoit autrefois Pondiack (16), inconstans comme le vent , inexorables comme la tombe. — Souvent cependant il arrive que, grâces à l'intercession des femmes, au lieu d'appaiser l'ombre de leurs morts par la destruction des prisonniers, ils les adoptent. Alors ils leur disent : — « N^aie
12 VOYAGE
)) pas le cœur mauvais, tu n'iras pas dans ma )) chaudière, je ne boirai point le bouillon de ta » chair ^ je te place sur ma peau d'ours » ,
c( Mais comment peindre les cruautés qu'ils exercent contre les victimes dévouées à périr ? S'ils les frapp oient d'une prompte mort , cette mort seroit un bienfait. Mais non : ils ne leur arrachent la vie que lentement , et en leur fai- sant subir tous les genres de tourmens qu'a pu imaginer leur perversité. Alors il s'établit une lutte presque surnaturelle entre le courage le plus héroïque dont on puisse concevoir l'idée, et la férocité la plus inouie; la résistance est égale à l'acharnement ; les principes de l'exis- tence qui, dans certaines circonstances, parois- sent ne tenir qu'à un fil , survivent quelquefois pendant des heures entières aux profondes bles- sures , aux déchiremens et aux excoriations j et ce sont des hommes qui , pour assouvir leurs implacables vengeances contre un malheureux captif, lui infligent de semblables tortures ! et dans leurs villages, ces mêmes hommes sont doux et compatissans ! ! ! ))
(( C'est au milieu de ces tourmens de l'enfer , qui arrachent quelquefois aux malheureuses victimes les cris perçans de la douleur, que le prisonnier, attaché au poteau, entonne fière- ment sa chanson de guerre , excite , appelle la
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. l5
colère et la fureur des monstres dont il est envi- ronné, en leur disant : — (( Si j^avois été Tain- queur , je t^aurois fait rôtir à petit feu ; j'aurois dévoré ta chair, et donné tes os à nos chiens )). — Voici ce qu^ils m'ont dit , lorsque je leur re- prochois cet excès de barbarie : — ce Si nous adoptions tous nos prisonniers, comment ap- paiserions-nous l'ombre de nos guerriers ? com- ment le village participeroit-il à notre triom- phe? N'est-il pas nécessaire que notre jeunesse, en les voyant mourir comme des braves, ap- prenne à subir le même sort avec le même courage )) ? Quelle éducation î quel ordre de choses (17))) !
(( Soit que l'anthropophagie , continua-t-il , ait été excitée par l'irritation de la faim , par le délire de la vengeance, ou par celui de la vic- toire, il est certain que, dans leur première ori^ gine, toutes les nations ont été cannibales comme celles de ce continent. On voit, dans Hérodote, que les anciens Egyptiens décernèrent un culte à Osiris pour leur avoir appris à se nourrir de légumes , au lieu de la chair de leurs ennemis. Lors de l'arrivée des Européens sur ce conti- nent, cet usage étoit connu depuis une extré- mité jusqu'à l'autre ; l'intérieur du Brésil est encore rempli de nations cannibales comme leurs ancêtres j les nègres Ibo de la cote des
l4 VOYAGE
Dents 5 ceux des iles Arsacides et d^Andaman le sont aussi (18) : par-tout où Cook a débarqué, il a observé les traces du cannibalisme. Vous au- rez lu sans doute, et en frémissant, les voyages du capitaine Viaud : et combien de fois n'a~t-on pas vu les mêmes causes produire les mêmes effets parmi les équipages affamés des vaisseaux, ainsi que dans les émeutes populaires )) ?
(( En effet, poursuivit le colonel Crawghan, un être foible et nu , que le hasard a placé dans les bois, qui, n^ trouvant ni fruits ni légumes, s'est adonné à la chasse, a dû contracter l'habi- tude de tuer , de verser du sang , de déchirer les membres palpitans des animaux pour satisfaire sa faimj il est nécessairement devenu sangui- naire et féroce. Le chasseur aime la solitude 5 il hait ses voisins , avec lesquels il craint de parta- ger sa proie : la chasse a donc du faire naître les ri- valités, les vengeances et la guerre; de-là sans doute les premiers combats qui ont ensanglanté la terre, et le droit que, dans l'extrême irrita- tion du besoin , ou dans Fivresse du triomphe , les vainqueurs se sont arrogé de dévorer les vaincus : tristes et déplorables effets de la plus cruelle des passions , ou de la plus impérieuse des nécessités » !
(( C'est donc seulement à Fépoque où l'homme est devenu granivore, qu'il a pu connoîti'e la
DANS LA HAUTE PENS YLA^ANTE. l5
commisération et la pitié! que ses mœurs sau- vages et farouches ont été remplacées par des affections plus douces, et que ses voisins sont devenus ses amis )) !
(( Voilà cependant l'homme tel qu'il est sorti des mains de la puissance créatrice ! cet être dont les destinées n'ont que trop évidemment justifié les sinistres auspices sous lesquels il a paru sur la terre ! Le voilà cet âge de l'inno- cence et du bonheur ; ce printemps de la nature, si souvent célébré par les poètes ! Cet état pri- mitif de dégradation et de misère a duré pen- dant un plus ou moins grand nombre de siècles, jusqu'à l'époque où quelques heureux hasards firent naître des hommes supérieurs à leurs con- temporains. Instruits par l'expérience, et profi- tant de circonstances favorables, ils réunirent plusieurs hordes de ces bipèdes carnivores ou ichtyophages , en leur apprenant à cultiver la terre ; ils adoucirent leur férocité en leur ensei- gnant les idées sublimes du juste et de l'injuste, celles des vertus et des remords, celles enfin de dieux rémunérateurs et vengeurs. Si, sous ce nouveau régime, l'homme a connu quelques instans de calme et de bonheur , c'est à lui seul qu'il le doit , et non à la nature (*) ».
(*) Cette plainte douloureuse, échappée à la sensibilité profonde d'un ami des hommes, est-elle assez réfléchie ?
l6 VOYAGE
(( Semblable au sauvageon des forêts , dont les fruits ont été amers jusqu'à Fépoque où Fin-* vention merveilleuse de la greife, en modifiant la sève , lui en fit rapporter de meilleurs et de plus doux, l'homme j dans son premier état, n'a été qu'un être agreste, insociable et féroce, jus- qu'au moment où la civilisation, en dévelop- pant son intelligence , y créa le sentiment de sa puissance, et lui procura les moyens de l'exer- cer pour augmenter ses jouissances et son bon- heur. Quels prestiges n'a-t-il pas fallu employer avant d'avoir pu le forcer aux nombreux sacri- fices qu'exige l'état social , et faire rapporter à cette plante épineuse et sauvage ces beaux fruits qui naissent de la civilisation ! Si en parcourant
€st-elle sur- tout fondée? et n'est-ce pas plutôt un bien- fait réel de l'auteur de la nature envers le genre hu- main , que d'avoir assuré la stabilité de sa civilisation , par la comparaison même qu'il auroit à faire un iour entre les rigueurs de sa condition primitive et les avan- tages de son état social? L'examen de cette question nous conduiroit loin. Etres foibles et bornés , ne jugeons point la Providence, et sur- tout gardons-nous de mur- murer contre elle. Souvenons-nous que chaque doute élevé sur son existence par un homme de bien , est avi- dement recueilli par les matérialistes et par les athées (s'il en est de bonne foi ), et devient pour eux un sujet de triomphe. ( ISiote communiquée à l'éditeur par le cit. B. )
DANS LA HAUTE PENSYLYANIE. I7
cette nouvelle carrière , Fhomme a rencontré de nouvelles sources de malheurs et de désastres, et qu'à certaines époques il ait pu regretter la liberté et l'indépendance primitives dontiljouis- soit dans les forets , ces malheurs et ces désastres sont inévitables, puisqu'ils ont leur source dans les passions , qu'il ne peut ni réprimer ni mo- difier f^) »,
(( Les corps des indigènes, presque continuel- lement exposés aux injures de l'air , sont beau- coup moins susceptibles que les nôtres de l'effet des varialions de l'atmosphère et du changement des saisons. — a N'as-tu pas froid , disois-je un jour qu'il geloitfort, àunPootooatamy (19) pres- que nu ? — Ton visage a-t-il froid , me répon- dit-il fièrement? — Non , lui dis-je , mon visage est accoutumé aux impressions du vent et de la gelée. — Eh bien ! mon corps est tout visage ». — Sains et vigoureux , quoique moins capables que nous de supporter les travaux de la culture, ceux qui échappent aux dangers de la petite
(^) Cette dernière proposition n'a pas besoin d'être réfutée ; le paradoxe est évident. L'homme , sans doute , a des passions violentes, tyranniques : mais qu'il ne puisse pas les dompter à force de combats et de vertu , c'est ce dont, heureusement, le colonel Crawghan ne convaincra personne. Note du même,
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vérole et à Tabus des eaux spiritueuses parvien- nent à un âge avancé presque sans aucune in- firmité )) .
(( L^éducation des enfans n^est fondée que sur l'exemple de leurs parens ^ qui rarement les re- prennent ou les corrigent. La nudité, Fexercice presque constant , celui sur-tout de la natation , dans lequel ils excellent , fortifient leur consti- tution, et leur donne une souplesse et une agi- lité qui m'a souvent surpris. Je n'en ai jamais vu de contrefaits. La plupart des hommes ont une taille élevée et bien proportionnée : ils sont fiers sans brutalité , et plus sérieux que gais , disposition qui souvent produit sur leur visage les nuances de V inanimation ^ différentes toute- fois de celles de la tristesse ».
(( Comme toutes les nations primitives , ils croient que le monde est soumis à deux prin- cipes ou génies; Tun bon, qui, disent-ils, est trop élevé pour savoir ce qui arrive sur la terre; c'est ^gan-Kitchee-Ochemaw , l'organisateur ou l'animateur de la matière ; jamais ils ne s'adressent à lui : l'autre, mauvais, qui habite les ténèbres de la nuit , d'où il envoie les rêves funestes, les maladies, les malheurs, les tem- pêtes, les neiges, les glaces, et la guerre; c'est ^ gan-Matchee-Manitoo , dont ils croient ap- paiser la colère , en lui offrant sur le toit de leurs
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. ig
fP^igivhams (20) un rouleau de tabac (*) et un oppoygan de marbre rouge (21). Une foule d'événemens, tels que les rêves, la conduite des castors, Fapparition de la pleine lune, l'arrivée des abeilles (22) , l'effraction du seuil de leurs portes, font naître des pressenlimens plus ou moins^ favorables ou sinistres , sur lesquels ils consultent le^irs devins ou jongleurs. Tel est le cercle étroit de leurs idées religieuses, fondées sur la crainte du mal, plutôt que sur l'espérance d'un bonheur à venir , dont plusieurs nations n'ont aucune idée. Les Shawanèses (23) , les Outawas, et les Wyandots du Sandusky (24), croient qu'après la mort, les esprits des bons chasseurs et des braves guerriers iront dans un pays occidental, où la chasse et la pêche seront abondantes, et la guerre sera inconnue 5 de-là V e:^ipY ession partir pour F ouest y devenue syno- nyme de celle de mourir. Je n'ai observé parmi les nations que j'ai connues, aucunes traces de prières ni de sacrifices. Ces idées, fruits de la
C^) Voyez à ce sujet le chapitre vu des Voyages de J. Long , chez différentes nations sauvages de V Amérique du iVorrf, traduits et publiés en l'an 2 par le cit. Billecocq. Cette relation d'un simple trafiquant de pelleteries , est Tune des plus fidelles et des plus intéressantes que j© connoisse. Note de l'éditeur,
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20 VOYAGE
civilisation , leur sont encore étrangères. Toutes ont un grand respect pour la mémoire de leurs ancêtres, ainsi que pour le lieu où reposent leurs cendres. Nos missionnaires j continua-t-il, après plusieurs années d'efforts et de persévérance, ont enfin christianisé quelques tribus. De toutes les sectes , celles des Moraves et des Quakers se sont montrées les plus zélées pour l'accomplis- sement de ce grand œuvre. Les premiers avoient formé sur le Muskinghum (25) une colonie d'in- digènes 5 nombreuse et respectable , que des évé- nemens imprévus ont dispersée. Pour réparer ce désastre, le gouvernement fédéral vient de leur accorder un emplacement de dix mille acres de terre , où ces pieux missionnaires se flattent d'en réunir les restes épars. Puissent leurs nou- veaux efforts être couronnés du succès )) !
« Chaque famille est gouvernée, ou plutôt présidée par le père ou l'aïeul, et les villages par des Sachems. Les uns sont électifs, les autres héréditaires 5 leur autorité est plus paternelle que coërcitive : mais tel est le respect des jeunes gens pour les vieillards , que ce titre seul suffît pour leur en imposer )).
(( La paix des villages est rarement interrom- pue par des querelles, à moins qu'elles ne vien-- nent de l'ivresse^ sans cette source fatale de dis- sensions, souvent meurtrières, il n'y en auroit
BANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 21
jamais parmi ces hommes sans passions, sans désirs comme sans propriétés , toujours heureux et contens, pourvu qu'ils aient de quoi manger. — (( Si tu consommes toutes tes provisions au- jourd'hui , que feras-tu demain )) ? — (( Où est-il ce demain? peut-être ne le verrons-nous jamais, répondent-ils».
« Les querelles, les combats qui souvent s'élè- vent parmi eux àlasuite de l'ivresse, sont l'image du dernier excès de dégradation dans lequel puisse tomber la nature humaine. Armés de leurs couteaux ou de leurs tomèhav^ks, ils se lèvent , entonnent leurs chansons de guerre , tournent en cadence autour des feux qui cons- tituent toujours le centre de leurs réunions, hur- lent le Warhoop (26) en frappant la terre du pied. Quelqu'un d'entr'eux rappelle -t-il des exploits plus brillans ? Tout-à-coup les premiers chanteurs se croyant insultés s'arrêtent, nient les faits avancés ; alors , aux mouvemens de la colère et de l'indignation , succèdent les provo- cations , les insultes et les coups : au milieu de ce tumulte, ou plutôt de ce délire, le frère, l'ami ne reconnoît plus son frère ni son ami 5 le fils devient quelquefois l'ennemi de son père, ou le père celui de son fils ; les liens de la société et de la nature sont rompus : c'est la guerre de tous contre tous 5 pas un ancien ni un chef qui puisse
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alors interposer son autorité : ces forcenés écu- mant de colère, les yeux étincelans, ne connois- sent plus personne ; ce sont leurs femmes et leurs filles qui , comme des anges de paix , au risque de leurs vies, s'élancent au milieu de cette épou- vantable bagarre, désarment, et souvent par- viennent à renverser les plus furieux , et à les contenir jusqu^a ce qu'ils soient endormis. — <( J'étois fou )) , disent-ils gravement lorsqu'ils se réveillent. Quelqu'incroyable que cela puisse paroître, les désordres occasionnés par ces scènes effrayantes, l'expérience de leurs funestes effets, ne font aucune impression sur leurs esprits, et n'excitent aucuns regrets : entraînés par une inconcevable fatalité, ils recommenceroient le lendemain , si le lendemain ils pouvoient se pro- curer une nouvelle provision d'eau-de-vie. Tel est le fléau qui en diminue journellement le nombre: jugez, d'après cela, quels services ren- dent les missionnaires aux habitans des villages d'où ils ont banni ces eaux de fureur et de mort». ((Les jeux de hasard sont très-communs parmi les chasseurs : cette passion produit les mêmes effets qu'en Europe ; au lieu de guinées ou de piastres , ils jouent pelleteries , chaudières , peaux d'ours. Un de leurs plus grands plaisirs, est celui d'entendre , en fumant , raconter des histoires , auxquelles ces esprits vides et inoc-
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cupés prêtent la plus profonde attention. Quelle influence ne pourroit-on pas obtenir parmi eux, si on vouloit prendre la peine d'en composer d^analogues à leur goût » !
(( Les rêves sont toujours considérés comme des pronostics auxquels on fait beaucoup d'at- tention 'y rien de plus fâcheux que d'en avoir eu de mauvais; aussi en souhaiter d'heureux, est-il toujours un compliment : quelquefois cependant c'est une manière de demander. — Un jour, me disoit sir William Johnson (27) , le vieux Nissooassou (28) vint chez moi , et me dit : — Mon père, j'ai rêvé la nuit dernière que tu m'avois donné un bel habit d'écarlate galonné d'or, et un chapeau qui l'étoit aussi. — Cela est -il bien vrai, lui dis -je? — Oui, foi de iSachem, répondit -il. — Eh bien! tu n'auras pas rêvé en vain; je te donne l'un et l'autre de bon coeur. — Le lendemain , continua sir William, l'ayant invité à déjeuner, je lui dis à mon tour : — Henrique, j'ai rêvé aussi la nuit dernière. — Qu'as -tu rêvé, mon père? me demanda-t-il. — Que tu m'avois donné, au nom de ta nation , un petit morceau de terre sur la Tiénaderhah , connu sous le nom d'Acé- rouni. — Combien embrasse- 1- il de tes acres, ce petit morceau de terre ? — Dix mille , lui répi)ndis-je, — Après quelques minutes de ré-
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flexion, il me dit : — Eli bien! comme moi ia n^auras j)as rêvé en vain 5 je te donne ce petit morceau de terre 3 mais ne t^avise pas de rêver davantage 5 mon père. — Et pourquoi non^ Henrique? les rêves ne sont-ils pas involon- taires?— Tu rêves trop fort pour moi (thou dreameth too hard for me), et bientôt tu ne laisserois plus de terre à nos gens )).
c( La loi du talion, continua- t-il , prévient les meurtres : rien n'est plus rare parmi ces indi- gènes, à Fexception cependant de ceux occa- sionnés par Tivresse , qu'ils pardonnent, parce que, disent-ils, ces actes proviennent de la fo- lie , et non de Tintention. Quoique toute espèce de gêne, de contrainte ou de frein leur soit in- supportable, et les aigrisse jusqu'à la colère, ils ne connoissent cependant ni les désordres de Fanarchie, ni les fureurs de la licence ; ce qu'il faut attribuer à leur respect pour la vieillesse, ainsi qu'à leur aversion pour la propriété : à la guerre , dans les maladies, les blessures et l'infortune, ils poussent le courage jusqu'à l'héroïsme , et meurent sans faire entendre de plaintes, de regrets ni de gémissemens. Les na- tions éloignées de nos frontières , moins expo- sées aux dangers de la petite vérole et à l'abus des eaux spiritueuses , sont beaucoup plus res- pectables et plus nombreuses que celles qui eu
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. sS
sont voisines ; elles conservent quelque chose de Findépendance et de la fierté de leur caractère national; on voit encore chez leurs guerriers cet œil vif et perçant , et ces nuances primitives de férocité quand ils froncent le sourcil. Mais , mal- heureusement pour ces tribus , elles ne peuvent plus se passer des marchandises européennes. Que feroient-elles aujourd'hui sans nos chau- dières et nos couvertures? sans la poudre et le plomb nécessaires pour leurs chasses? Elles dis- paroîtront un peu plus tard que les autres j car, disoit il y a trente ans Korey-Hoosta , chef des Missisagès (29 ) : — ce La race des semeurs de petites graines merveilleuses (5o) , doit éteindre à la longue les chasseurs de chair, à moins que ces chasseurs ne s'occupent à en semer aussi ».
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CHAPITRE IL
Ayant accompagné en 1787 le vénérable Francklin , alors gouverneur de la Pensylvanie , dans un voyage à Lancaster , où il avoit été invité à poser la première pierre du collège qu^il venoit d^ fonder pour les Allemands (A), le soir du jour de cette cérémonie, on parloit des dif- férentes nations qui habitent le continent , de leur aversion pour la culture , etc. , lorsqu^un des principaux liabitans de la ville lui dit : — c( Gouverneur , d'où pensez - vous qu^elles soient venues ces nations ? les croyez-vous abo- rigènes ? Avez -vous entendu parler des an- ciennes fortifications et des tombeaux qu^on a découverts tout récemment dans le pays de Touest » ?
« Celles qui habitent les deux Florides , ré- pondit-il 5 et la basse Louisiane , se disent sor- ties des montagnes du Mexique. Je serois assez disposé aie croire. Si Fon peut juger de celle des Esquimaux (1) des côtes du Labrador (les plus farouches des hommes connus) , par la blan- cheur de leur teint , par la couleur de leurs yeux et par leurs énormes barbes , ils sont originaires
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 27
du nord de l'Europe , d'où ils sont venus dans des temps très - reculés. Quant aux autres na- tions de ce continent , il paroît difficile d'ima- giner de quelle tige elles peuvent être descen- dues. Leur donner une origine asiatique et tartare , leur faire traverser le détroit de Beh- ring (2) pour les répandre sur ce continent , c'est j à mon avis ^ choquer toute probabilité. Comment concevoir , en effet , que des hommes presque nus , armés d'arcs et de flèches , aient pu entreprendre un voyage de mille lieues à travers des forêts épaisses ou des marais impé- nétrables 5 accompagnés de leurs femmes et de leurs enfans , et n'ayant d'autres moyens de subsister que ceux de la chasse ? Quels motifs auroit pu avoir cette émigration ? Si c'étoit le froid rigoureux de leur patrie , pourquoi au- roient-elles pénétré jusqu'à la baie d'Hudson et au Bas-Canada ? que ne s'arrétoient-elles en pas- sant dans les belles plaines du Missoury , du Ménésoter (5) et du Mississipi ou des Illinois ? Mais 5 dira-t-on , elles y auront peut-être sé- journé j et celles que nous connoissons ne sont que le trop plein de ces anciennes émigrations. S'il en et oit ainsi, nous découvririons quelque analogie entre leurs langues ; et on sait , à n'en pas douter , que celles des Nadouassées et des Padoukas (4) ne ressemblent pas plus au Chip-
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peway , au Mohawck ou à FAbenaky , que les premières au jargon du Kamtchatka )).
(c D^un autre coté , continua-t-il , comment les supposer aborigènes d'une région comme celle-ci , qui ne produit presqu'aucuns fruits ni aucuns végétaux dont l'homme primitif ait pu subsister jusqu'à ce qu'il ait su façonner l'arc et la flèche , harponner le poisson et allumer du feu ? Comment ces premières familles auroient- elles résisté aux intempéries des saisons, aux piqûres des insectes , aux attaques des animaux carnassiers ? Les climats chauds et abondans en fruits naturels ont donc nécessairement été le berceau de la nature humaine 3 c'est du sein de ces régions favorisées que la portion exubérante des premières sociétés s'est répandue insensible- ment sur le reste de la terre. D'où sont venues les nations qui habitent ce continent, celles qu'on voit sur les plages de la Zélande et de la Nou- velle-Hollande , ainsi que sur les îles de la mer Pacifique ? Pourquoi celles de l'ancien monde sont-elles civilisées depuis des milliers de siè- cles , tandis que celles du nouveau restent encore plongées dans l'ignorance et la barbarie ? Cet hémisphère seroit-il plus récemment sorti du sein des eaux ? Ces questions , et mille autres qu'on pourrait faire, ne seront à jamais pour nous, êtres fugitifs , que comme un vaste désert
DANS LA HAUTE PENSYLTANIE. 29
où Toeil égaré n'apperçoit pas le plus petit buis- son sur lequel il puisse se reposer w.
« Cette planète est bien vieille , continua-t-il ; semblable aux ouvrages d'Homère et d'Hésiode, qui peut dire à travers combien à^ éditions elle a dû passer depuis l'immensité des siècles ? Les continens déchirés , les détroits , les golfes , les lies 5 les archipels et les bas-fonds de l'Océan ne sont que de vastes débris sur lesquels , comme sur les planches d'un vaisseau naufragé , les hommes des anciennes générations qui échap- pèrent à ces bouleversemens en ont , à la longue, reproduit de nouvelles. Le temps , si précieux pour nous, êtres d'un moment , n^estrien pour la nature. Qui peut nous apprendre à quelle épo- que reparoîtront ces funestes catastrophes , aux- quelles, dans ses révolutions annuelles, la terre me paroît aussi évidemment exposée que les vais- seaux qui traversent les mers le sont à se briser sur des vigies ou sur des écueils inconnus ? Que faut- il pour en changer les climats et la rendre long- temps inhabitable ? L'approche ou la rencontre d'un de ces globes , dont les courses elliptiques et mystérieuses sont peut-être les agens de nos destinées ; quelques variations dans les rotations annuelles et diurnes , dans l'inclinaison des ^ pôles , ou l'équilibre des mers )).
« Quant à votre troisième question , continua
5o VOYAGE
le gouverneur , voici quelques idées qu'a fait naître la lecture des détails dernièrement en- voyés à notre société philosophique , par les générauxVarnom et Parsons, les capitaines John Hart et Serjeant, relatifs aux camps retranchés et aux autres indices d'une ancienne population, dont la tradition ne dit rien à nos indigènes. En voyageant à travers les provinces trans-Allè- ghéniennesde cet Etat, on rencontre souvent sur les élévations voisines des rivières quelques restes de parapets, de fossés, couverts d'arbres trés- élevés ! presque toute la péninsule du Muskin- ghum est occupée par un vaste camp retranclié. Il est composé de trois enceintes quarrées 5 celle du milieu, qui est la plus considérable, a une communication avec l'ancien lit de cette rivière, dont il paroît que les eaux se sont retirées de près de 3oo pieds j ces enceintes sont formées de fossés et de parapets en terre, dans lesquels on n'a trouvé ni pierres taillées , ni briques. Le centre en est occupé par des élévations coniques, de diamètres et de hauteurs diiférentes. Chacune de ces enceintes paroît avoir eu un cimetière. En preuve de la haute antiquité de ces ouvrages, on assure, comme un fait reconnu, que les ossemens sont convertis en matières calcaires, et que le sol végétal dont ces fortifications sont couvertes , qui n'a été formé que par la chute des feuilles et
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. Ol
par les débris des arbres ^ étoit presque aussi épais que celui des environs. Deux autres camps ont été pareillement découverts dans les environs de Lexington (5). La surface du premier est de six acres , celle du second de trois 5 les tessons de poterie qu^on y a trouvés en labourant, sont d^une composition inconnue à nos indigènes)).
(( On voit sur le Paint-Creek ( branche du Scioto ) une suite de ces enceintes fortifiées, qui s'étendent jusqu'à FOhio, et même jusqu'au sud de ce fleuve. Les ouvrages semblables se trouvent aussi sur les deux Myamis (6) , dans une dis- tance de plus de vingt milles, ainsi que sur le Big - Grave - Creek (7). Ces dernières ne sont qu'une suite de redoutes élevées sur les bords de ces rivières à des distances inégales. Celles qu'on a découvertes sur le Big-Black-Creek et à Byo- Pierre, dans le voisinage du Mississipi , paroissent avoir été des terre-pleins, destinés à mettre les hommes à l'abri des inondations du fleuve )) .
« Carver a trouvé à cinq cents lieues de la mer, sur le rivage oriental du lac Peppin ( qui n'est qu'une extension du Mississipi ) , des vestiges considérables de retranchemens, faits comme les précédens en terre, et couverts de hautes futaies. Les tombeaux ( barrow^s ) , dernièrement décou- verts dans le Kentukey et ailleurs, sont des cônes
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de diamètres et d^ élévations différentes ; ils sont reyêtus d^une épaisse couche de terre , et res- semblent, quoique plus petits, à ceux qu'on voit encore dans l'Asie et dans quelques parties de l'Europe. Le premier rang des corps couchés sur des pierres plates, qui en occupent toute la base, est recouvert de nouvelles couches , servant de lits à d'autres corps, placés comme les premiers, jusqu'au sommet. Ainsi que dans les fortifica- tions du Muskinghum , on n'y a rencontré au- cuns vestiges de mortier, ni aucunes traces du marteau. Le nouvel Etat du Ténézée est rempli de ces tombeaux ; on y trouve aussi plusieurs grottes, dans lesquelles on a découvert des osse- mens ».
(( On voit dans le voisinage de plusieurs villes Chérokées, à Kéowé, Sticcoé, Sinnica, &c. des terrasses , des pyramides ou monts artificiels , d'une grande élévation , dont l'origine étoit in- connue auxhabitans que les Chérokées en chas- sèrent lors de leur invasion , il y a près de deux siècles. Les mêmes hauteurs artificielles , les mêmes preuves du séjour et de la puissance d'an- ciennes nations , se trouvent aussi dans les deux Florides, sur les bords de l'Oakmulgé, àTaënsa, sur l'Alibama , &c. (8) >).
(( A quelle époque, par quel peuple ces ouvra- ges ont-ils été construits ? Jusqu'à quel degré de
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civilisation ce peuple étoit-il parvenu ? Connois- soit-il Fusage du fer? Qu^est-il devenu? Peut- on concevoir que des nations assez puissantes pour élever des fortifications aussi considérables, et qui enterroient leurs morts avec un soin aussi religieux , aient été détruites et remplacées par. ceshordes ignorantes etbarbares que nous voyons aujourd'hui? Les calamités occasionnées par un long état de guerre , auroient-elles pu effacer jusqu'aux dernières traces de leur civilisation, et les faire rétrograder vers Fétat primitif de chas- seurs ? Nos indigènes seroient-ils les descendans de cet ancien peuple )) ?
et Tels sont les doutes et les conjectures que font naître les traces du passage et de l'existence des nations qui ont habité le pays de l'Ouest; traces qui ne suffisent pas pour nous guider dans ce vague du passé, quoiqu'on n'ait découvert encore ni armes , ni instrumens de fer ; sans le secours de ce métal cependant, comment conce- voir qu'on ait pu creuser des fossés aussi pro- fonds, élever des masses de terre aussi considé- rables ? Cet ancien peuple a dû avoir des chefs, et être soumis à des loix j car , sans les liens de la subordination, comment auroit-on pu réunir et contenir un aussi grand nombre d'ouvriers? Il a dû connoître la culture, puisque les produits de la chasse n'auroient jamais pu suiHre à le
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nourrir. L^étendue de ces camps atteste aussi que le nombre des troupes destinées à défendre ces ouvrages , et celui des familles auxquelles , dans les momens de danger j ilsservoientd'asylcj étoit immense. Les cimetières prouvent qu^elles y ont fait de longs séjours 5 ce peuple a donc dû être beaucoup plus avancé dans la civilisation que nos indigènes )),
({ Lorsque la population des Etats-Unis sera répandue sur toutes les parties de cette belle et vaste région 5 aidée de quelques nouvelles dé^ couvertes, notre postérité pourra peut-être for- mer alors des conjectures plus satisfaisantes. Quel champ pour la méditation ! Un continent nou- veau^ qui 5 à une époque inconnue, paroît avoir été habité par des nations cultivatrices et guer- rières! Si je n^étois pas retenu par mon âge avancé, je passerois les montagnes pour exami-- ner ces anciens travaux militaires ; peut-être une inspection attentive et minutieuse feroit— elle naître des conjectures, qui échappent au- jourd'hui à toutes les combinaisons de Fesprit »•
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CHAPITRE II L
Je me proposois depuis long-temps d'assister aux deux grands conseils que les gazettes de New- York avoient annoncés. Le premier devoit être tenu à Onondaga (i) , dans le pays des Mo- liawks, par les chefs des nations Onéida, Caynga^ Sénecca, Tuskarora. Le second, au fort Stan- wick (2) 5 où ces mêmes chefs étoient invités par le gouverneur de New-York. Mais effrayé de la distance, ainsi que des inconvéniens d'un aussi long voyar 3 à travers des cantons que je savois être nouvellement habités, j'étois indécis , lors- qu'entraîné par les vives sollicitations de M. Her- man, jeune homme très-instruit, qui arrivoit d'Europe et m'étoit particulièrement recom- mandé , je résolus de l'entreprendre. Munis de tous les renseignemens qui, malheureusement, ne pouvoient nous être utiles que jusqu'à Nor- thumberland , dernier termiO des cantons passa- blement cultivés , nous partîmes de Shippen- bourg (5) , et arrivâmes le soir du même jour à Carlisle, après avoir traversé, pendant 17 milles, une des plus fertiles parties de la Pensylvanie. Cette petite ville, chef-lieu du comté de Cum-
S6 r o Y A Gr m
berland, située à i4o milles de Philadelphie^ sur la route qui conduit aux provinces ultra- montaines, à peu de distance de la Susquéhan-» nah 5 offre aux yeux l'image de la jeunesse. Quel- ques-uns des beaux arbres de la nature ^ de ceux que les premiers colons conservèrent , en embel- lissent encore les environs. Au lieu d'être conti- guësj les maisons, presque toutes bâties en pier- res, sont séparées , soit par un verger, soit par un jardin /ou par une grange, et souvent tout-à-la- fois par ces trois accessoires , ce qui ajoute beau- coup à sa grandeur apparente, et , dans l'été j à la fraîcheur. Quoiqu'on ne compte que ^70 mai- sons , et environ 1800 habitans dans cette ville, elle occupe un terrein qui suffiroit pour 20,000 en Europe.
Ce canton est si abondant et si salubre , qu^il fut choisi par le gouverneur Dickenson, comme le lieu le plus convenal)le à l'établissement du collège qu'il y fonda en 1785^ Cette belle insti- tution, fruit de l'esprit patriotique de cet homme célèbre (4), possède déjà trois chaires de profes- seurs, une petite bibliothèque, et les élémens d'un cabinet de physique. En voyant cet état général d'amélioration^ M. Herman pouvoit à peine se persuader que nous fussions àplus de 5oo milles de la mer, et que cette partie de la Pensyl- vanie n'avoitpas encore quarante ans de culture.
DANS LA HAUTE PENSYLVAKIE. 57
M. B auquel nous étions recommandés ,
homme riclie et instruit, nous amusa infini- ment par le récit des principales circonstances de sa vie. Il étoit venu d^Jrlande, comme enga- giste, à l'âge de onze ans^ M. P.... S.... cliezquile hasard l'avoit conduit, fut tellement satisfait de ses heureuses dispositions et de ses petits ser- vices , qu^il en abrégea le temps , lui donna une bonne éducation , et le plaça dans le commerce. Au bout de quelques années d^application , comme pour le dédommager de son oubli, la fortune le combla de ses faveurs ; devenu pos- sesseur d\ine belle chute , à quelque distance de la ville , il y fit construire un grand moulin , d'après les principes d'Olivier Evans, le premier mécanicien du continent, et, dans ce moulin, il convertit annuellement 4o,ooo boisseaux de bled en belles farines marchandes.
Extrêmement satisfaits de ce début, nous quit- tâmes le lendemain M. B.... et fùmes^ coucher sur les bords de la Juniata , à trois milles au-dessus de son confluent avec la Susquéhannah, à 25 milles da Carlisle. Malgré Fâpreté du chemin , nous arrivâmes assez tôt pour jouir, pendant quelques heures , du plaisir de la pêche ; c'étoit celle de Falose. M, Jenning , magistrat du can- ton , nous communiqua plusieurs observations intéressantes jrel^tives au cours de cette rivière 5
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depuis les montagnes d^Alleghény, ainsi qu'aux progrès de la culture dans les difFérens comtés qu'elle arrose. — a Je n'en connois point , nous dit-il , dont les rivages offrent des vues plus pit- toresques et même plus sauvages. A 20 milles d'ici on voit des grottes d'une grande étendue , remplies de concrétions et de stalactites 5 mais nous sommes trop jeunes encore pour avoir parmi nous des minéralogistes et des amateurs d'histoire naturelle )) .
Le lendemain , nous dînâmes à Mahatango- Creek, à i5 milles plus loin : ses eaux fou- gueuses font tourner plusieurs moulins. Le troisième jour , nous fîmes ce repas à Penn's- Creek. Quelque temps avant d'y arriver, les montagnes, sur la droite de notre chemin , nous permirent d'appercevoir la ville de Sunbury, située dans une petite plaine , sur le rivage oriental de la Susquéhannah , que nous tra- versâmes le soir pour arriver à Northumber— land.
Débarqués sur cette belle péninsule, nous nous empressâmes de porter nos lettres de re- commandation à M. Plunket, l'arpenteur géné- ral du comté, dont nous savions que le père avoit été tué dans une des émeutes qui furent occasionnées par l'arrivée des gens de Connecti- çut sur la branche orientale : il occupoit la
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seule maison de pierres qu^il y eût dans ce bourg 3 le reste ne consistant qu'en log-houses (5).
(( Vous êtes venus quelques années trop tôt 5 messieurs, nous dit- il après le souper. Nous ne sommes encore qu'aux premières ébauches de défrichement et de culture; nos Creeks n'ont pas de ponts ; les chemins , dans plusieurs can- tons 5 ne sont que des sentiers peu fréquentés : malgré votre courage , je crains que les mauvais gîtes , que la vue de ces surfaces si agrestes et sauvages, celle des cabanes couvertes d'écorce, enfin que la tristesse et l'uniformité des bois, ne vous inspirent plus de dégoûts et d'ennuis , qu'ils ne donneront lieu pour vous à des observations nouvelles et instructives. Quelle distance, en effet , entre les campagnes de l'Europe , et ces cantons dont l'arpentage est à peine terminé ! Quelle différence entre nos champs hérissés de souches, mal labourés, enclos de grossières pa- lissades, et un pays découvert, orné de belles haies vives, de pampres entrelacés et de vergers fleuris ! Il s^écoulera bien des années, avant que celui-ci mérite l'attention des voyageurs, avant que chaque district, renfermé dans des gorges, dans des montagnes, ou par des rivières, puisse facilement communiquer avec les contrées voi- sines. D'un autre côté, le défrichement, la po- pul^tion rapide de ce continent, offrent au:?v
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3'eux de ^observateur un grand et nouveau spec- tacle j insensiblement nous préparons un nouvel ordre de choses, le plus intéressant peut-être qui se soit présenté à la méditation des hommes depuis bien des siècles )).
(( Presque toutes les familles établies sur la route qui conduit au bac de Mashoping (6), continua- t-il , viennent de TEurope; leur in- dustrie, comme vous le verrez, est encore bien imparfaite; quelques années de Tutile appren- tissage qu'elles font, les rendront plus laborieu- ses et plus éclairées ; c'est la première fois de leur vie que ces colons travaillent pour eux -mêmes , en débarrassant du bois dont il est encombré, le sol qui leur appartient. Ce sont les précurseurs du grand corps de vétérans qui marchent à leur suite, et qui, dans quatre à cinq ans, remplace- ront ceux que la paresse ou les mauvaises moeurs auront obligés d'abandonner leurs travaux in^ fructueux : bien différens des colons de la Nou- velle-Angleterre (7), qui, par-tout où ils se fixent dans leurs émigrations, portent avec eux les germes précieux de l'industrie, de la religion et de la civilisation 8). A peine ont-ils nettoyé, ensemencé quelques champs, qu'ils se réunissent pour construire une église et une école. Que vous dirai-je ? nous manquons de bras : celui quij dans l'automne, a semé vingt acres de bled ^
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est souvent très-embarrassé , au moment de la récolte, comment il trouvera des moissonneurs. Cet état d^enfance sera cependant moins long que vous neFimaginez, sur-tout si nous sommes assez heureux pour que les nouvelles opinions qui se manifestent en Europe , ne viennent pas ébranler notre jeune et sage gouvernement, et empêcher qu^il ne se consolide )) .
(( Cette ville, continua- t-il , fondée en 1774 , fut détruite six ans après par les indigènes 3 ce , n^est que depuis 1786 qu'elle renaît lentement de ses cendres. La cause de cette lenteur vient du différend qui a long- temps existé entre l'Etat de Connecticut et celui-ci, relativement à la possession des terreins baignés par le bras orien- tal de cette rivière. Il est enfin terminé quant à la jurisdiction , mais pas encore relativement à la propriété. Le gouvernement s'en occupe, et on espère qu'à la prochaine session du corps législatif, chacun rentrera dans ses droits : alors la prospérité de cette jeune ville augmentera rapidement 5 alors ces cabanes seront remplacées par de bonnes maisons, et nous jouirons de tous les avantages que promet le confluent de ces deux bras , navigables pendant six mois jusqu'à leurs sources , à plus de 200 milles d'ici, sur-tout lorsque l'Etat aura fait disparoître les obstacles qui obstruent la navigation inférieure , depuis
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Fembouchure de la Juniata, jusqu'à celle du Swatara (9). L^excellent esprit de notre corps législatif nous fait espérer que ce grand oeuvre sera accompli dans peu d'années : déjà il a offert 800,000 piastres (quatre millions deux cents mille livres) à ceux qui voudroient l'entre- prendre )).
Mon compagnon et moi ayant le plus grand désir de voir les belles plaines de Wilkesbury, de Wyomnig et de Mashaney, dont les indi- gènes chassèrent les gens de Connecticut pen- dant la guerre de la révolution , nous cherchâmes à louer un bateau pour remonter la rivière jus- qu'au bac de Mashoping, à i5o milles de Nor- thumberland ; mais n'ayant pas pu en trouver d'assez fort pour porter nos chevaux, nous ré- solûmes de traverser le milieu de ce comté, en suivant le sentier marqué par M. Plunket^ c'étoit la voie la plus directe que nous pussions suivre pour entrer dans la partie septentrionale du pays de Luzerne, situé à Test de la rivière, et pour nous rapprocher de la ligne de démarca- tion qui sépare cet Etat de celui de New- York, d'où il nous seroit facile d'atteindre le lac Ot- sègé, Albany etSkénectady, sur la rivière Mo- hawk, dont les eaux dévoient nous porter au fort Stanvs^ick.
Après avoir quitté M. Plunket, nous suivîmes
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pendant quelque temps les bords duMahoning, que nous trouvâmes assez bien cultivés 5 mais depuis les sources de cette rivière, nous ne ren- contrâmes plus que des sentiers tortueux , et de temps en temps quelques cabanes occupées par des colons nouvellement arrivés : quelquefois , des arbres tombés de vétusté , ou renversés par les vents , obstruoient les passages, et nous obli- geoient à faire des détours considérables. Nous voyagions lentement, et n^étions qu^à notre troi- sième journée , lorsque je m'apperçus de Fim- pression que faisoient sur l'esprit de M. Herman les difficultés du voyage, les mauvais gîtes , et sur -tout le silence et Fobscurité des bois. — (( Est-ce là , me demanda-t-il , Taspect ordi- naire et Vétat primitif des forets du Nouveau- Monde, dont, je ne sais pourquoi, je m'étois fait une idée si différente ? C'est la patrie des ours et des loups, et non celle des hommes. Que ces surfaces sont âpres et rebutantes , ces soli- tudes sombres et tristes! Comment concevoir que ces collines si fortement boisées , et ces marais tremblans couverts d'épaisses broussailles, soient destinés à devenir un jour de rians coteaux et des prairies verdoyantes ? — Eh bien ! lui dis -je, les beaux cantons de Shippenbourg , de Carlisle, de Reding, de Lancaster, et tant d'au- tres , ressembloient à ce que vous voyez ici , lors
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de Farrivée des premiers colons. Que penseriez- vous donc, si nous traversions des forêts encore plus épaisses , et des marais dont la surface n'est qu'une couche d'arbres renversés , on ignore par quelle cause et depuis combien d'années? Quand vous aurez observé ce que la force et l'intelli- gence des hommes peuvent faire dans un court espace de temps , alors vous verrez que tous ces obstacles sont faciles à surmonter , et qu'il est plus aisé que vous ne l'imaginez de détruire ces géans, de faire luire le soleil sur ces surface», et de les couvrir de belles récoltes. — A peine puis-jele comprendre, me réponditil^ car enfin, quelqu'industrieux que soient les colons, ils ne sont pas des Hercules^ leurs forces ne sont point proportionnées aux résistances que la nature leur oppose. — Cette longue suite d'opéra- tions et de travaux, lui répondis-je, exige plus d'adresse et de persévérance que de forces réel-^ les 5 le feu fait au moins la moitié de la besogne. Croiriez-vous que deux hommes arrivés sur leurs terreins après la sortie des feuilles (lo), peu- vent, dès la première année, semer vingt acres de bled ? Cela est cependant très - vrai : après avoir essarté, amoncelé et brûlé les buissons et les arbrisseaux, ils cernent l'écorce des grands arbres , que cette opération fait mourir sur pied, et se contentent de herser la terre (il). La cIq-*
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ture de ces champs es t ce qu'il y a de plus pénible ; elle est cependant indispensable, à cause du grand nombre de bestiaux qui parcourent les bois ».
Cependant nous cheminions lentement, te-r nant sur la gauche un des bras du Chiquisqua- qué-Creek, que nous avions déjà traversé deux fois , lorsque nous apperçùmes une habitation couverte de bardeaux, au milieu d^un éclairci assez considérable, dont le propriétaire, que nous rencontrâmes quelques instans après, nous oflfrit Tasyle de la nuit avec le plus aimable ein- pressement. Nous le suivîmes à travers un champ de bled assez considérable. Après avoir pris soin de nos chevaux , ce brave colon nous montra , avec une espèce de vénération , la souche du premier pin qu'il avoit renversé quelques an- nées auparavant, nous lit observer ce qu'il avoit déjà fait , et ce qu'il lui restoit encore à faire avant de devenir aisé et opulent. Il calculoit le temps où telle partie de son marais seroit con- vertie en herbages, tel coteau couvert de bled , où tel autre le seroit de trèfle , et planté en pom- miers et pêchers (12) , et cela avec un air de joie et de satisfaction que nous partageâmes invo- lontairement : il me sembloit n'avoir jamais vu jusqu'alors l'espérance sous des nuances aussi touchantes ; c'étoit comme la plénitude d'un bonheur non encore arrivé.
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(( Le désir de contribuer à celui de ma famille ^ nous dit-il j celui d^assurer son indépendance après ma mort, me détermina, il y a quelques années, à quitter la ville de Fairiield (i5), où je tenois une école de grec et de latin. Content de mon sort, j'instruisois de mon mieux la jeu- nesse qui m^étoit confiée , lorsque j'appris la mort d'un de mes parens qui venpit de finir ses jours au Bengale, et qui m'avoit légué dix-neuf cents piastres. Dans la crainte de confier cette somme aux hasards du commerce , je résolus de remployer à l'acquisition d'une certaine quan- tité de terres neuves , la seule spéculation dans laquelle nous sommes rarement déçus, quand nous y apportons de l'industrie et de l'activité. Ayant été informé que le gouvernement de Pen- sylvanie venoit d'ériger cette partie de l'Etat en comté, je m'y rendis; et après l'avoir parcou- rue, j'achetai les 426 acres que je possède ici pour 575 piastres (le prix en a plus que doublé depuis les malheurs de l'Europe) ; je louai un homme de mon pays, qui est encore avec moi y nous construisîmes ensemble cette maison avec le tronc des premiers arbres que nous abattîmes ; j'achetai à Wilkesbury des provisions pour un an, une paire de bœufs, deux jumens pleines, et les instrumens de labourage dont j'avois be- soin : enfin après six mois de travail , employés
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à dessécher quelques acres de marais , et à défri- cher dix-sept acres , que nous semâmes en bled 5 je fus chercher ma famille. Depuis cette époque 5 Fespérance ne m'a point quitté un seul instant 5 je vois dans la fertilité du sol et dans le prix des denrées j une récompense certaine offerte à qui Veut la mériter par l'intelligence et le travail. Je sème beaucoup moins que mes voisins , et cepen- dant je récolte plus qu'eux j parce que je cultive mieux. Depuis que je suis ici, je n'ai pas senti la moindre atteinte du découragement, quoique j'aie eu tant d'obstacles à surmonter. Bien diffé- rent de moi, mon plus proche voisin, qui de- meure à cinq milles d'ici, mécontent, je ne sais pourquoi, de sa situation , de l'état de sa terre ^ qui est cependant aussi fertile que la mienne, va traiter de ses foibles améliorations, et aller se fixer ailleurs : il ne sera heureux nulle part , et passera sa vie d'ébauches en ébauches , disposi- tion assez commune parmi les premiers colons. Quant à moi , j'ai une si grande idée de mes forces et de mon courage, que souvent je puis beaucoup plus que je ne le croyois , et cela uni- quement parce que j^ai cru pouvoir : c'est un puissant levier , en effet ,' que ce sentiment , quand il faut renverser un arbre ou déraciner une souche ».
(( J'ai eu la prévoyance d'apporter avec moi
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une grande quantité de pépins et de noyaux ^ que j^ai soigneusement plantés : encore quelques années , de ma pépinière sortiront tous les ver- gers et les arbres à fruit du canton. Je ne dois rien j déjà même je commence à vendre Fexcé- dant de mes petites récoltes aux colons dont les établissemens sont plus récens que le mien ; Id seul inconvénient que j'éprouve, est la distance où je suis d'un moulin , d'une église et d'un ma- réchal. Huit shellings par an pour encourager la destruction des loups et des panthères, est la seule imposition que le gouvernement exige, ou plutôt que nous lui offrons avec plaisir et re- connoissance. Il s'occupe de faire ouvrir des routes extrêmement utiles j demain vous traver- serez celle connue sous le nom de Bridle-Road , qui commence aux sources du Monsey , sur le bras occidental , et finit à celles du Sisshény , qui tombe dans le bras oriental. Les souches y sont encore , il est vrai ^ mais les ponts viennent d'être terminés. A mesure que nous desséchons nos marais , les insectes disparoissent. Les loix du Congrès encouragent le commerce maritime j ce commerce florissant encourage la culture j notre patrie jouit de la paix et de la tranquillité. Jusqu'ici le ciel a béni les travaux de ses enfans, et les saisons nous ont été favorables : matin et soir nous implorons ses grâces et ses leçons , que
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nous nous efforçons de mériter non-seulement par nos prières, mais aussi par notre industrie et notre union. Je ne redoute que la brièveté du temps 5 qui , comme Feau du ruisseau , passe et s'écoule avec rapidité )) . Voilà , messieurs , com- ment le maître d'école de Fairfield est devenu citoyen de la Pensylvanie, et franc-tenancier du comté de Nortliumberland.
Frappé de ce qu'il venoit d'entendre , M. H.... me dit le soir : — « La conversation naïve de cet honnête colon de Connecticut, a fait sur mon esprit la plus profonde impression : je rougis de ma foiblesse. Quoi ! cet homme, du sein d'une ville transporté au sein des bois , où l'on voit â peine quelques sentiers , soumis à un travail dur et pénible, si on le compare à ses premières occupations , éloigné de ses parens , de ses amis , des secours de la société, est cependant gai et content. Le soir , heureux d'avoir accompli la tâche du jour, il en remercie la divinité, et le lendemain en recommence une nouvelle avec le même courage et la même allégresse. L^espoir de l'aisance , de l'indépendance, l'anime , l'encou-- rage , et lui tient lieu de bonheur présent : il est tout-à-la-fois bon père, bon mari et bon culti- vateur; et moi, que la fortune a favorisé, moi qui n'ai traversé l'océan que pour jouir du spec- tacle qu'offrent ici à la méditation l'origine et le
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développement de ces jeunes sociétés , je n'au-- rois pas la force de surmonter quelques instans de dégoùl , et de supporter quelques inconvé- niens passagers, qu'un peu d'habitude fera dis- paroître ! Je me sens tout-à-coup devenu un nouvel homme. Si jamais les obstacles et les dif- ficultés des routes , l'incommodité des gîtes , faisoient renaître quelques restes de cette hon- teuse pusillanimité, je me rappellerai ce que M. W, Dolittle vient de nous dire ».
Le lendemain , conformément aux intentions de notre hôte, nous traversâmes une nouvelle route qu'on venoit de terminer , et qui condui-- soit du Monsy sur le bras occidental, au Sisshény qui tombe dans le bras oriental ( connue sous lé nom de Bridle-Road ).
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CHAPITRE IV.
Nous poursuivions notre voyage beaucoup plus gaîment , à travers des forêts extrêmement som- bres et épaisses , lorsque le courage de M. Her- man fut mis à de nouvelles épreuves en passant à la nage deux bras du Fisliing-Creek, encom- brés d'arbres et de buissons qu'avoient entraînés les crues du printemps. — « Que de temps et de travaux, me disoit-il, avant que le lit de ces rivières soit entièrement nettoyé, et que leurs rivages , aujourd'hui si humides et si peu prati- cables pour le voyageur, soient devenus de riantes prairies, comme celles qui accompagnent l'Elbe depuis Magdebourg jusqu'à Cuxhaven ! Que de peines et de travaux, avant que ces co- lons puissent, du seuil de leurs portes, le soir d'un beau jour d'été, contempler leurs champs couverts des richesses de la culture, et leurs ver- gers chargés de fruits )) î
La monotonie de cette longue et pénible tra- versée de 67 milles, jusqu'au bac de Mashoping sur la grande rivière , ne fut un peu adoucie pour nous que par la rencontre d'un assez grand nombre de familles presque toutes européennes^
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mais si nouyelleineut établies , qu'à peine pou- Vions-nous trouver un abri , et de quoi nourrir nous et nos chevaux. Occupées à fendre des pa- lissades, à ceindre Técorce des grands arbres, à entasser , brûler les buissons desséchés , elles n^avoient encore récolté que des légumes.
(( Ah ! nous disoit un Suédois chez qui nous fîmes rafraîchir nos chevaux , je puis donc mou- rir sans être inquiet du sort de mes enfans, puisque je les laisserai dans un pays d'abon- dance, où le travail est amplement récompensé : ils ne seront point exposés à la honte de la men- dicité, aux remords , ni aux dangers du crime», — (( Ah ! nous disoit un autre , je n'attellerai plus mes malheureuses vaches à ma triste charrue , pour effleurer les sables démon ancienne patrie^ Ici des boeufs et des chevaux laboureront le sol fertile et profond qui m'appartient ». — a Né au milieu des avalanches et des glaciers de la Sa- voie, disoit un troisième, industrieux comme je Fétois, il ne me manquoit, pour être heureux , que la protection des loix et celle de la terre : ici j'ai trouvé tout ce que je desirois, et même au-delà, puisque le dieu des moissons et le gou- vernement n'exigent que nos prières et notre reconnoissance ».
Après avoir traversé la Susquéhannah , nous continuions lentement notre route dans le comté
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de Luzerne, lorsque mon compagnon me dit: > — c( Oui j je Favoue , je ne commence à remplir le but de mon voyage que depuis la plantation de Fairfield 5 depuis ce moment je vois avec plus d'intérêt ces cabanes de bois ou d'écorce, pre- mier asyle des colons, destinées à être un jour remplacées par de riantes habitations , ainsi que ces ébauches de défrichemens , que Tindustrie, la nécessité, convertiront en champs fertiles. Je parcours avec moins de dégoût ces forêts dont le sol, jusqu^ici âpre et stérile, va bientôt nour- rir des milliers de fainilles ; ces marais humides et impénétrables , sur lesquels paîtront bientôt de nombreux troupeaux. — Me voilà donc par- venu, continua-t-il, à ce qu^on peut véritable- ment appeler Torigine des sociétés ! — Oui , sans doute, puisque dans ces lieux, où, il n'y a en- core que sept mois, on entendoit les cris de la panthère et leshurlemens des loups, nous voyons la charrue tracer les premiers sillons, le feu con- sumer les buissons et les herbes inutiles , nous entendons le bruit des haches , les chansons de la gaîté, le mouvement du travail et de la vie. — Oui, sans doute, puisque nous suivons des sentiers qui deviendront un jour de grandes et belles routes, et que nous conversons avec les premiers magistrats, occupés , comme les autres colons, à nettoyer la surface de leurs terres^ à
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planter leur maïs, ou à semer leurs premiers champs de bled au miilieu d'arbres cernés, de branches , de souches , de racines amoncelées et brûlantes )) !
((Voilà, sans doute, lui répondis-je, comme l'Europe a dû commencer. Mais quelle diffé- rence entre les mœurs, les loix de ces temps re- culés , et ce qn'on voit ici ! Quelle différence de siècles et de lumières ! Tels que ces sources obs- cures et cachées dans le sein des montagnes, dont l'imperceptible réunion forme les ruis- seaux , les rivières et les fleuves , ces foibles germes de population que nous avons observés en traversant ces antiques forêts, les converti- ront en champs fertiles , en prairies émaillées de fleurs 5 et dans un petit nombre d'années , de ces ruches fécondes on verra sortir de nombreux essaims, qui iront défricher d'autres cantons encore plus éloignés. Quelles ressources, en effet , l'homme industrieux ne trouve-t-il pas ici? Abondance de comestibles, bas prix des terres, sol neuf et fécond, loix protectrices, commerce florissant : ces avantages si rares et si précieux, doivent donc donner à la végétation humaine toute la vigueur et toute la fécondité dont elle est susceptible. Jusqu^où ces progrès ne s'étendront-ils pas dans un demi^siècle )) ?
(( Posséder une certaine quantité de terres ,
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Gontinuai-je, la cultiver, est ici le désir univer- sel ; aussi Tagriculture , quoique bien imparfaite encore , a-t-elle été , depuis l'origine des colo- nies 5 Toccupation favorite des deux tiers de la, société 5 et la première base de la prospérité de ces Etats. Cependant les colons ne réussissent pas tous : ici , comme ailleurs , le succès ne couronne pas toutes les entreprises ; ici , comme ailleurs , Thomme est exposé aux dangers des accidens, à ceux des mauvaises saisons , et aux caprices du sort. Tous n'apportent pas avec eux les disposi- tions nécessaires , ni les mœurs , ni l'intelligence qu'exige ce nouveau genre de vie; tous n'ont pas le même degré de force , de courage ni de jugement, et ne sont pas également heureux: les maladies , les insectes , la négligence et la pa- resse détruisent souvent leurs espérances. Si, aux échéances, ils ne sont point en état de payer les sommes convenues , la loi renvoie le vendeur en possession de sa terre , après avoir dédom- magé Facquéreur de ses améliorations; et même parmi ceux qui ne doivent rien , combien n'eri' voit-on pas qui deviennent fainéans , dès qu'ils s'apper coi vent qu'avec deux jours de travail ils peuvent vivre le reste de la semaine ! Ces exem-^ pies sont beaucoup plus fréquens paj^-mi les co- lons étrangers, que parmi ceux qui viennent des Etats du nord, dont^ en général, Iça moeurs ^
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rintelligence et l'industrie sont si dignes de louanges ».
Cependant nous avancions vers les planta- tions de la Saline (Salt-lick-Farms), dans le district de Pliilippopolis, àFouest du mont Ara- rat, lorsque le soir du troisième jour , depuis la grande rivière, en traversant un marais consi- dérable ( d'où j'ai su depuis que sortoit une des branches du Wyotucing), nous entendîmes le timbre d'une horloge. Encouragés par ce bruit extraordinaire dans un pays si peu habité, nous continuâmes notre route plus gaîment, et bien- tôt après nous découvrîmes un champ de maïs , ■un jeune verger, et une habitation, naissante à la vérité , mais qui avoit quatre croi&ées à petit bois. — (( Tout ceci, dit M. Herman, annonce lin bon gîtcj réjouissons-nous, et oublions les fatigues de cette longue journée )).
Nous en étions encore à une petite distance , lorsqu^un homme, d\ine taille et d'une ligure distinguées, s'avança, et nous dit; — «Soyez les bien arrivés, messieurs; entrez : il faut que vous ayez de puissans motifs , ou beaucoup de courage, pour oser voyager dans un pays encore si peu habité : ne vous seriez-vous point éga- rés? — On ne s'égare point, répondit mon compagnon , quand on a le bonheur de rencon- trer un colon tel que vous me paroissez être, et
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celui d'être invité à passer la nuit sous un aussi bon toit. — Ali ! messieurs , ne prisez pas l'hos- pitalité des bois plus qu'elle ne le mérite; si vous saviez combien est vif le plaisir , le be- soin de voir et d'entendre quelquefois des voya- geurs instruits, vous sentiriez que c'est à moi à vous remercier d'un bienfait. — Vous atté- nuez trop celui que vous voulez bien nous ren- dre. — Eh bien! considérez -le comme réci- proque, et je suis content)).
a Combien y a-t-il d'années que vous êtes fixé ici? lui demandai -je. — Sept, répondit -il; demain je vous ferai voir que je n'ai pas perdu mon temps. Quand on veut jouir promptement, il en coûte ; mais l'argent judicieusement dé- pensé dans le défrichement des terres et au des- sèchement des marais, rapporte plus de cent pour cent. Mon ambition est d'avoir un jour des prairies et des pâturages en abondance, pour pouvoir élever et entretenir un grand nombre de bestiaux et de chevaux : je respecte infini- ment la charrue, mais je prise davantage encore la faulx , parce que ce genre d'agriculture exige moins de bras. Il y a dix ans que ce pays n'étoit guère connu et fréquenté que par les chasseurs ; à peine les terres valoient-elles six sols sterling l'acre. Quelle différence aujourd'hui ! C'est par- tout la même chose. Les lots de iio acres, que
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la famille Penn Yen doit au-delà des monts Al-- leghénys pour 25 piastres, en valent dans ce moment plus de 90 , et cependant nous ne jouis- sons du bienfait des loix municipales que depuis trois ans w .
«Le pays est-il sain» ? demanda M. Herman. — (( On n^y connoît que la fièvre dans certaines saisons de Fannée, répondit-il; mais elle vient de l'ignorance des colons , plutôt que de la na- ture du climat : après s'être échauffés par le tra- vail , ils se couchent sur la terre à l'ombre ; la transpiration s'arrête, et le froid les saisit. J'ai apporté avec moi un remède simple et sûr , dont un grand nombre de ces colons ont déjà fait le plus heureux essai. — Vous raisonnez comme un homme qui connoît la médecine. — Je l'ai un peu pratiquée en Europe. — Eh quoi! vous êtes Européen ? — Hélas ! oui ; j'étois Polo- nais, et la Pologne n'est plus : vous avez dû entendre parler de nos confédérations , du pre- mier partage de nos provinces , qui enleva cinq millions d'habitans au roi de ce malheureux pays, ainsi que du démembrement général qu'en ont fait les Puissances du Nord : depuis cette époque , en vain les plaintes de mes infortunés compatriotes ont -elles retenti dans l'univers. Quel événement à jamais déplorable ! La Russie s'étant emparée de la province où j'étois né,, je
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fus obligé d^ entrer comme chirurgien dans ses hôpitaux j et de panser les blessures de ceux qui avoient ravagé, asservi ma patrie : indigné de cette honteuse servitude 5 je formai le projet de briser mes chaînes ou de périr. Tout, en ce monde, vous le savez , dépend d^un rien ; je dus à un rien ma fuite, mon heureuse arrivée à Copenhague, et le bonheur d^étre utile à un capitaine de navire qui alloit partir pour Lis^ bonne. A peine y eut-il déchargé sa cargaison , qu'il en prit une autre pour New- York, où nous arrivâmes en 47 jours; et dans moins de quatre mois, de la ville d'Orsa sur le Dnieper, je me trouvai débarqué sur ce continent. A quoi donc tiennent le sort et la fortune des hommes? Quelques jours après mon arrivée, je dus à ma connoissance de la langue allemande, Famitié du docteur Ebeling, ministre de Féglise luthé- rienne de cette ville , qui me recommanda à son collègue M. Mulhausen , pasteur des plaines al- lemandes ( German-Flats ) , sur la rivière des Mohawks. Ce digne et respectable ecclésiastique me reçut comme si j'eusse été un de ses compa- triotes j et quand je lui eus raconté mes mal- heurs, il me montra encore plus d'affection et d'intérêt : après m'avoir fait connoître dans son voisinage comme chirurgien , il daigna éclairer mon esprit et diriger mes premiers pas. Ah !
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combien Findépendance et la considération^ dont je ne tardai pas à jouir , me parurent déli- cieuses et douces , comparées àl^état de servitude d^où je sortois ' '^'^ fut pour moi comme une se- conde naissance j . -ous les momens 5 celui du réveil étoit le plus rempli de charmes , parce que mon esprit me reportant souvent en Po- logne pendant mes rêves , me trouver habitant de l'Amérique septentrionale, et citoyen de cet Etat, étoit une jouissance exquise et nouvelle. Enfin, sentant pour la première.fois le bonheur d'être, je jurai d'oublier le passé, et de ne m'oc- cuper que des espérances flatteuses de l'avenir )) . )) Si mon imagination fut vivement frappée à la vue des beaux fleuves , des grands lacs, des magnifiques cataractes de ce pays, combien mon coeur et mon esprit ne le furent-ils pas aussi , en examinant attentivement les bases sur lesquelles ces sociétés nouvelles sont fondées ! La douceur et la justice des loix j la facilité avec laquelle on peut acquérir des terres 5 l'importance civile at- tachée à cette possession j les amples récom- penses assurées au travail et àl'industrie; l'union et le grand nombre d^enfans qu'on voit dans presque toutes les familles , le bonheur général enfin î A la vue de ce touchant spectacle , je com- mençai à concevoir une meilleure idée de la na- ture humaine, et à aimer mes semblables. Après
DANS LA HAUTE PENSYLYANÎK. 6l que j'eus exercé la médecine pendant plusieurs années dans le pays des Mohawks , M. Mulhau- «en , en me donnant sa fille , me fit présent des 760 acres de terre que je possède ici ; car c'est de lui que je tiens le plus grand, comme le plus précieux des bienfaits , la meilleure des femmes. La voilà , cet ange de bonté et de douceur , à qui je dois tout, les enfans dont elle m^a fait pré- sent, la terre que je défriche , le bonheur de ma vie , ainsi que l'ordre , l'aisance et la propreté de ma petite habitation )) !
}) C^est aux Ion gués et intéressantes conversa- tions de son respectable père , continua-t-il , que je dois encore l'avantage de connoître l'his-» toire de ces Etats, pendant leur enfance colo- niale, les détails relatifs au. nouveau pacte social qui les unit depuis l^ur séparation de la métro- pole, les bornes des trois pouvoirs dont il est composé , le code des loixH^iviles , sur lesquelles reposent la liberté des individus et celle des cultes. Quel contraste entre les coutumes féo- dales , absurdes et barbares , connues dans la Pologne depuis tant de siècles , et le système protecteur de la vie et des propriétés adopté par ces Etats ! Entre l'oppression religieuse , source de presque tous les maux qui ont inondé mon ancienne patrie , et la protection égale , cons- tante, que ce gouvernement leur accorde, pro-
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tection qui lï'est point tolérance , mais justice , puisqu'elle est fondée , non sur Topinion , mais sur le droit naturel »!
(( J^ai été pendant long-temps , me disoit un jour mon respectable beau-père, tout-à-la-fois ministre de l'évangile, médecin et cultivateur. J'ose en appeler au divin scrutateur des coeurs, ainsi qu^à mes voisins ; ils jugeront si je n'ai pas fait ce qui étoit en mon pouvoir pour remplir les devoirs de ces trois états. J'ai présidé au dé- frichement des 4oo acres de terre que le gouver- nement avoit donnés à l'église de ce canton , en lui accordant une charte d'incorporation (i) , dont il m^a autorisé, depuis, à consacrer les deux tiers au soutien d'une école gratuite. J'ai vieilli en parcourant la belle et intéressante carrière oùvous allez entrer. Mais les fruits de cette vieil- lesse ne sont ni tristes ni amers, comme l'éprou- vent souvent ceux qui ont poursuivi des objets moins honorables et moins utiles. L'expérience que j'ai acquise , est un petit trésor que je veux vous communiquer avant de le léguer à celui qui s'est chargé de contribuer au bonheur de ma fille ; j'aurai , par ce moyen , une part dans vos succès : ce désir n'est que l'instinct de l'ami- tié et de l' affection envers l'homme que j'ai assez estimé pour en avoir fait mon gendre ».
ce Ceux-là se trompent , poursuivit-il , qui
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croient s'enrichir par Fagriculture 5 elle n^enri- chit point dans ces Etats septentrionaux. Les sai- sons sont trop rapides , les hivers trop longs , et la main-d'oeuvre trop chère encore; elle procure à ceux qui sont industrieux ^Faisance et Fabon- dance. Pour réussir dans les bois , il faut avoir quelques fonds, afin de n'y être pas écrasé par l'intérêt annuel des sommes empruntées 3 il faut avoir aussi des connoissances relatives à ce nou- veau genre de vie. L'industrie agricole n'étant qu'un faisceau composé de plusieurs branches , tout ce qui tient au travail, à la surveillance , à la prévoyance , doit être également l'objet de vos sollicitudes journalières, il est indispensable de connoître la nature et la qualité des sols, pour ne leur confier que les grains qui leur convien- nent, et d'avoir quelques ouvrages vétérinaires, quoique les bestiaux qui vivent en liberté , et mangent souvent du sel , soient rarement ma- lades (2))).
(( La première de toutes les qualités utiles à un colon , après Pamour du travail, est un es- prit doux et conciliant , indispensable pour bien vivre avec ses voisins ; car vous ne serez pas long-temps isolé. La paix d'un voisinage est une source constante de prospérités. Vous verrez quels prodiges Fharmonie fraternelle peut opé- rer parmi les hommes , destinés à s'entr'aider.
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dans les grands et pénibles travaux des premiers défrichemens. Je ne connois point d'obstacles que la réunion des volontés et des efforts ne fasse disparoître. Tout alors s^améliore et s'embellit ; et dans un petit nombre d'années , les forêts les plus sombres , les déserts les plus agrestes , se couvrent de fleurs , de fruits , de moissons )).
)) Après avoir renversé le premier arbre de votre plantation , implorez le ciel , pour qu'il daigne vous accorder la santé , mère de la force, les secours de la persévérance et du courage. Oui , il en faut plus qu'on ne pense , pour supporter la solitude des forêts , pour dépouiller la surface du sol 5 de ces géans au pied desquels l'homme paroît si foible , pour la nettoyer et brûler tout ce qui l'encombre , pour dessécher les marais , planter et clorre des vergers , ouvrir des com- munications , construire des habitations et des granges. Si jamais il vous arrivoit d'éprouver quelques dégoûts ^ avant-coureurs du découra- gement, pensez à la femme que je vous ai don- née 5 et aux enfans qu'elle vous donnera : si ce puissant aiguillon ne rappelle ni l'activité , ni le dévouement , vous n'êtes pas destiné à deve- nir un bon et véritable colon ».
)) Craignez , continuoit-il , les illusions de l'imagination , qui , trop souvent , embellissent ce qu'on voit dans une perspective éloignée j car
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rien n'est aussi séduisant que le projet de former tin nouvel établissement : ne faites pas comme tant de cultivateurs que j'ai connus ; n'abattez que les arbres qui vous seront nuisibles j le froid de vos longs hivers, la construction , la répara- tion des granges et des hangards, l'entretien des clôtures _, en exigeront une consommation pro- digieuse. La seconde génération regrettera amè- rement que la première en ait tant détruit ^ comme cela est déjà arrivé dans plusieurs can- tons du Jersey et du Connecticut , où , faute de bois 5 la valeur des terf es a considérablement di- minué )) .
(( Et même , à ne considérer les forets que comme un ornement , comme une robe magni- fique 5 dont la nature , dans sa bonté , a couvert ce continent j ne sont-elles pas belles et majes- tueuses? Comment ne pas vénérer ces pins gigan- tesques, que l'art et la culture ne pourront ja- mais remplacer ? Ces chênes , dont l'origine est beaucoup plus ancienne que celle de nos capi-, taies ? Ce respect pour les forêts et les beaux arbres est si naturel , que, malgré les travaux et les dépenses nécessaires pour défricher, clorre et cultiver les champs , malgré la funeste habi- tude de ne regarder les arbres que comme des ennemis, des intrus , qui occupent le sol dont on a besoin , un propriétaire , après quelques
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années de jouissance , est instinctivement plus ému , plus flatté , en traversant ses bois , qu'en parcourant ses champs. Une fois nettoyés et sou- mis à la charrue , ces derniers ne lui paroissent plusqueson propre ouvrage jrien n ^ "^i^ï^t ^^'i^ ne l'ait semé ou planté : dans ses forets , au con- traire 5 tout porte l'empreinte de la grandeur et de la durée , sentiment dont les hommes , même les plus ignorans , sont involontairement frap- pés (3))).
(( Le colon , continua-t-il , qui a surmonté les premières difficultés de son établissement , et qui ne doit rien , est plus heureux et plus riche qu'il ne pense. Il est aussi libre qu'il puisse l'être dans l'état social ^ sa fortune est plus assurée que dans toute autre cituation 5 il n'a que peu de rapports extérieurs ; la source de son indépen- dance et de son bonheur est chez lui , s'il a su y appeler la paix et la modération des désirs 5 ses jouissances j long-temps sollicitées par le tra- vail et l'active industrie , sont vives et pures ; enfin , les loix qui , ailleurs , favorisent les uns et oppriment les autres, sont égales ici pour tous )).
(( Voulez-vous augmenter votre bonheur ? contribuez à celui de vos voisins : assistez-les dans leurs maladies ; donnez-leur des conseils préservateurs de la santé : c'est ce que je fais
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depuis un grand nombre d'années. Voulez-vous devenir un colon distingué et respectable? in- culquez-leur par votre exemple et par vos dis- cours 5 Famour du travail , de l'industrie , de l'ordre, de la justice, ainsi que le culte d'an Dieu qui récompense la vertu et punit le crime. Si jamais vos talens et l'estime publique vous ouvrent les portes de la représentation fédérale, n'oubliez jamais que de l'union naît la force des Etats fédératifs 5 que la grandeur , la prospé- rité de ce nouvel empire, ne sont fondées que sur cette unité. Toutes les loix destinées à la cimen- ter, obtiendront votre suffrage et votre appui , ainsi que celles dont le but sera l'encouragement des défrichemens et la perfection de l'agricul- ture. C'est le goût national, garant delà religion et des moeurs , qui , de la foiblesse de l'enfance, nous a élevés si rapidement à la vigueur de l'ado- lescence j c'est lui qui , dans moins d'un demi- siècle , nous conduira à la force virile )) .
(( Comme un fils aime , chérit ses parens , ai- mez, chérissez votre nouvelle patrie. Kniiplojez tous vos efforts pour propager le système d'ins- truction publique pratiqué depuis long-temps dans les Etats septentrionaux, le plus utile, peut- être, qui ait paru dans ces temps modernes. Les lumières d'une bonne éducation répandues dans toutes les classes de la société j consolident tout-
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à-la fois lebonheur des familles, assure la tranquil- lité et la gloire des nations. Respectez un gouver- nement que la raison a fondé sur les bases éter- nelles de la justice et de la liberté. Pendant la paix 5 consacrez-lui vos talens et votre exem- ple ; pendant la guerre , votre courage et votre sang 5 s'ils lui sont nécessaires : à ce prix seule- ment, un bon citoyen peut s'acquitter envers sa patrie. Méfiez-vous de ces orateurs qui , pour capter la faveur populaire, blâment sans cesse la forme et les actes du gouvernement , comme si ce qui vient de Fhomme pouvoit être parfait : vouloir aller au-delà des bornes de l'esprit hu- main, doit être considéré comme une folie, et ces énergumènes , comme les ennemis du repos public ».
<c Ainsi que vous , j'ai vu le jour dans un pays où , depuis des siècles , les hommes sont serfs de la glèbe ; ainsi que vous , à travers mille hasards, j'ai abordé sur les rivages de ce nouveau monde, vers lesquels la pénurie , le désespoir , l'intolé- rance et les malheurs conduisent les débris de l'ancien , comme les vagues de la mer trans- portent ceux des tempêtes sur les places voisines. De même qu'une plante , flétrie par l'ombre dès arbres, se développe et s'accroît aussi-tôt qu'elle a été transplantée là où elle peut jouir des rosées du ciel et des rayons du soleil , ainsi les germes
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heureux que j^avois reçus de la nature , long- temps étouffés par la misère et par l'ignorance, se développèrent peu après mon arrivée dans ce pays 5 et ont produit quelques fruits. Je me le rappelle bien encore : le lendemain de ma natu- ralisation, plein de joie et d'espérance à la vue d'un pays , d'une ville où le travail, l'industrie , les talens utiles étoient si amplement récompen- sés , et où il y avoit tant d'espace , j'oubliai que j'étoisSaltzbourgeois, pour ne me considérer que comme membre de la nouvelle famille des Etats- Unis».
« Voilà , Messieurs , ce que cet homme res- pectable, ce digne ministre de l'évangile, m'a souvent répété )) .
Le lendemain , frappé de la grandeur et de la beauté de sa grange , je lui demandai pourquoi elle étoit d'une aussi belle charpente , et la mai- son de troncs d'arbres équarris. — (( Mon beau- père, me dit-il, a exigé que je ne pensasse à être mieux logé qu'après la neuvième récolte. Si les nouveaux colons agissoient aussi prudemment , les malheurs seroient moins fréquens parmi eux. La plupart bâtissent trop tôt pour leurs moyens. J'ai transporté sur la neige les pins et les chênes dont ma grange est construite , jusqu'au moulin à scier d'un de mes voisins 5 et quoique très-vaste , elle m'a beaucoup moins coûté que vous ne vous
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rimaginez, peut-être : je n'ai déboursé que 5oo piastres)).
(( Voici un verger , continua- t-il, dont le& arbres sont venus de Skoharry ; je l'ai planté sur la pente méridionale de ce coteau, pour qu'il pût être plus facilement arrosé par les eaux du ruisseau que vous venez de traverser ; c'est ce qui lui donne cet air de fraîcheur dont vous avez été frappés. Mais je ne jouirai pas long-temps de cet avantage 5 cette creeh diminue à mesure que les défricliemens du voisinage augmentent (4). Je connois des personnes qui, faute de s'être apperçues que la source des leurs venoit des marais, ont construit des moulins, devenus au- jourd'hui inutiles. Si jamais ce ruisseau tarit, ce sera pour moi une perte irréparable ; car il est difficile de concevoir, sans l'avoir vu , l'effet des arrosemens sur la pousse des herbes et sur le progrès des arbres, particulièrement dans le mois d^août : ce verger sera couvert de fleurs et de fruits long-temps avant ceux de mes voisins ».
« Mais pourquoi , lui demanda M. Herman , vos chemins sont -ils encore si mauvais? — Cela vient de la grande dispute territoriale qui a eu lieu entre cet Etat et celui de Connecticut : heureusement pour nous elle est terminée. De- puis lors tout a bien changé ; le Gouvernement a érigé ce pays en Comté , et Fa fait subdiviser eu
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districts , suivant Tusage. Pour que Finfluence des loix puisse s'étendre sur tous les points, il vient de faire ouvrir une route , de la Susqué- hann ah jusqu'à la ligne de démarcation. On dit que celui de New- York va la prolonger à tra- vers les comtés de Tyogo, d'Otségo etd'Albany. Déjà nous avons près de 5oo familles franc- tenancières dans cette partie de l'Etat, ainsi que plusieurs moulins à bled et à scie , deux églises , et quelques écoles. L'année prochaine on éta- blira des ponts sur les principales creeks. Eh bien ! Messieurs , j'étois presque seul il n'y a en- core que quelques années )> !
«Plusieurs causes ont contribué à ces pro- grès y la navigation de la Susquéhannah jusqu'à Northumberland 5 la grande quantité de terres d'alluvion ( Lowlands ) , l'encouragement que le Congrès donne à la culture du chanvre (5) , et l'introduction de deux branches d'industrie , in- connues jusqu'ici dans ces cantons. La première est celle de la potasse (6); la seconde, l'extrac- tion du sucre d'érable (7) : c'est à la philanthro- pique société des Quakers que nous devons les avantages de cette dernière. Que diriez-vous, si je vous assurois qu'il s'en est vendu à la bourse de Philadelphie, peut-être 5,ooo quintaux , dans l'espace de deux ans ? Quel bienfait de la nature! On le trouve ce bienfait, depuis les plaines du
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Kentukey, sous le 35^ degré de latitude, jus- qu'au Canada, sous le 47^ )).
A notre retour des champs , sa femme noiis conduisit dans ce qu'elle appeloit en souriant son salon ; sur la table étoit servi un des plus agréables déjeuners que nous eussions vus de- puis notre départ de Carlisle. — (( Quel luxe pour de nouveaux colons! observa mon com- pagnon. — Pourquoi appelleriez - vous ainsi, répondit-elle, ce qui n'est que la jouissance des fruits de notre industrie? Le thé vient de la Chine , il est vrai ; mais nous le payons avec le gin-zeng de nos bois (8). L'alose, le jambon, le boeuf, les gâteaux , les confitures et le sucre , tout est le produit de notre sol. Mon mari pos- sède la dix-huitième partie d'une Seine (9) sur la grande rivière, laquelle lui rapporte près de 200 de ces poissons par an , et nous savons les conserver comme le boeuf et le jambon, avec le secours de la fumée » .
Pendant cette conversation, M. Nadowisky s'appercevant que nous tournions fréquemment les yeux sur un petit tableau peint à l'huile, sur lequel on ne voyoit que les trois mots suivans en grosses lettres saxonnes , Propriété , protec- tion , JUSTICE , nous dit : — « Messieurs , les noms que vous voyez, sont les noms de trois génies bienfaisans, dont j'avois inutilement im-
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ploré les secours dans mon ancienne patrie : ici , placé par les loix sous leur égide tutélaire , je leur ai voué un culte particulier , celui de la reconnoissance » .
En quittant cette respectable famille, M. Her- man prenant la main du chef, lui dit : — ce Après avoir long- temps vécu au milieu des vieilles ins- titutions sociales , et en avoir éprouvé la dégra- dation et les malheurs , combien on doit se trou- ver heureux d^ avoir échappé, et d^être devenu membre d'une association fondée sur des prin- cipes si différens ! Combien ce contraste frappant ne doit-il pas contribuer à rendre le séjour des forêts moins triste et moins lugubre , et à alléger la tâche pénible que vous vous êtes imposée ! Jamais je n^oublierai ce que j^ai vu et entendu sous ce toit de prospérité, de bonheur et de bénédiction )) .
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CHAPITRE V.
Conformément aux intentions de M. Nado- wisky, nous dirigeâmes notre route vers la 24^ pierre milliaire de la grande ligne de démarca- tion, qui traverse la Susquéhannah un peu au- dessus de la saline et du bac de Seely. Ce lieu , remarquable par la réunion de plusieurs che- mins, n^est qu'à dix milles à^Harmony ^ ville nouvellement fondée sur le coude de cette ri- vière qui se rapproche le plus des eaux de la Delaware, d'où un portage de i g milles conduit à Stock-Port, autre petite ville, construite de- puis deux ans sur le rivage occidental de cette dernière rivière. C'est à quelque distance au- dessus, sous le 42® degré de latitude, que com- mence cette ligne, qui s'étend jusqu'au lac Erié , à 252 milles de distance, et dont la direction est nord, 88^ jo" ouest. M. Seely, à qui nous dûmes ces informations , nous lit voir la fontaine, avec les eaux de laquelle il avoit déjà commencé à faire du sel (i). Il attendoit de la fonderie de sterling (2) des chaudières d'une forme nou- velle, plus favorable à l'évaporation.
Après avoir traversé la rivière pour la troi-
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. jS sième fois , nous quittâmes l'Etat de Pensylvanie et le comté de Luzerne , pour entrer dans celui de New- York et dans le canton de Tyogo. De quelle abondance de pâturages ne jouiront pas un jour les colons de ce premier comté , lorsque les lisières des nombreux ruisseaux , les bords des rivières , les marais et les bas-fonds seront desséchés , convertis en herbages , et soumis à la faulx î Depuis Shippenbourg, nous n'avions pas encore observé une aussi grande quantité d'éra- bles à sucre : dans certains cantons, les forets n'étoient remplies que de ces arbres précieux , qu'on trouve dans la même abondance (nous dit . un colon instruit, chez qui nous logeâmes), jusqu'au bras oriental de la Delaware, connue sous le nom de Pôpackton. La partie du comté de Tyogo que nous traversâmes, étoit aussi bien arrosée que celui de Luzerne j ses ruisseaux cou- loient dans le Shénando , ou dans la Susquéhan- nah , et aucuns n'avoient encore de ponts : heu- reusement , en arrivant sur les bords de l'Onon- quagé, creeh considérable, nous y trouvâmes un radeau de cèdre blanc, dont la conservation étoit soigneusement recommandée aux voya- geurs , par un avertissement affiché sur les ar- bres du voisinage. — « Rien n'est plus juste, dit mon compagnon j je vouerois aux furies infer- nales ceux qui seroient assez ingrats , assez inat-
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tentifs pour n^en pas prendre le même soin que leurs prédécesseurs. — Encore quelques an- nées, lui dis-je, et on trouvera des ponts, ou des bacs sur toutes les rivières , et même des po- teaux de direction, comme cela s'est pratiqué dans cet Etat depuis plus de 5o ans )i .
A peine avions-nous fait quelques milles au nord de FOnonquagé, que le soleil disparut, et le bruit sourd du tonnerre se fit entendre. Nous marchions , Fesprit involontairement frappé de ce genre de mélancolie pensive qu'inspire le dé- clin du jour, sur-tout dans les bois, lorsque l'œil devient plus avide de distinguer les objets à mesure qu'ils s'obscurcissent. Nous chemi- nions lentement, en suivant les bords d'une prairie naturelle ( Bog-Meadow ) , dont l'étendue nous sembla très - considérable , lorsque nous crûmes appercevoir une maison de belle char- pente ( Framed - House ). — « Quoique cette maison ne soit pas celle qu'on nous a indiquée ce matin, dit M. Herman, n'importe ; allons-y, car je redoute le tonnerre , et encore plus les éclairs ».
ce Descendez , Messieurs , nous dit civilement le propriétaire, que la voix des chiens avoit averti de notre approche^ donnez vos chevaux à cet homme )). — Sa femme dont la figure, le maintien et le langage annonçoient une éduca-
DANS LA HAUTE !► ENS YLVANI E. 77
tion soignée , nous reçut avec beaucoup de po- litesse -y nous lui parlions de la solitude de sa situation, des jolis enfans dont elle étoit entou- rée, lorsque son mari reparut. Sans nous faire aucune des questions d'usage, il nous entretint de la nature du sol de ce canton , des indices de marne qu'on avoit déjà découverte, de ses con- jectures sur la formation des bas- fonds , des pro- grès de la population ; et cela avec tant de jus- tesse dans le raisonnement , et un langage si élégant, que nous conjecturâmes qu'il n'étoit pas né pour manier la hache. Il nous parloit de l'arrivée prochaine d'un grand nombre de colons attendus de l'Ecosse et de l'Irlande, lorsque sa femme lui dit : — « L'orage approche ; il est temps d'envoyer chercher nos vaches)). Aussi- tôt il se lève , appelle les deux chiens , et leur en transmet l'ordre comme s'il avoit parlé à des hommes. Bientôt après , les vaches parurent à la porté. — (( Vous avez là deux serviteurs bien utiles, lui dis-je. — Sans leur secours, répon- dit-il, et celui du sol, que ferions-nous dans ces bois, sur-tout pendant les premières années? Pendant la nuit, ces chiens éloignent de mes champs les loups , les ours , les renards et les fouines, qui n'abandonnent leur ancien héri- tage qu^avec regret; le jour , ils surveillent mes bestiaux ; le plus âgé a instruit le plus jeune :
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quant au premier, il tient de sa propre expé'- rience tout ce qu^ilsait; il est impossible d'avoir des amis plus fidèles et plus désintéressés. Vous avez dû voir cette île qui occupe le milieu de la rivière : eh bien ! matin et soir, ils y conduisent et en ramènent mes bestiaux à la nage )).
((Cela me rappelle, lui dis-je, ce que je vis dans la Floride en 1785. Oweecomewée , chef de la cinquième tribu SéminoUes (Creek), pos- sédoit une savanne considérable à quelques milles de son village , dans laquelle il élevoit un grand nombre de chevaux : ses chiens , après les avoir surveillés pendant le jour, et les avoir conduits sur une île boisée du voisinage, pour y passer la nuit, revenoient chez lui demander leur pitance, et dès le point du jour ils retour- noient à leur poste : observez qu'ils étoient obli- gés de traverser deux fois la grande rivière San- Joan )) .
(( Cela ne me surprend pas , reprit M. J. M. ; l'instinct de ces humbles amis, que l'homme ne respecte pas autant qu'ils le méritent , est sus- ceptible d'un degré de perfectibilité qui excite à-la-fois l'étonnement et l'admiration. Combien de faits ne pourrois-je pas vous citer à l'appui de ce que je viens de vous dire ! Il en est de même des chevaux et des bestiaux : plus la vie qu'ils mènent se rapproche do l'état primitif j
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c^est-à-dire plus ils sont abandoanés à eux- mêmes , plus ils acquièrent d'expérience et de sagacité. C'est dans les bois sur-tout que cette faculté devient souvent l'émule de la raison : plus heureux que nous , les êtres qui en sont doués ne connoissent ni les vices, ni les passions désordonnées, et ils jouissent du seul bonheur parfait qu'il y ait sur la terre )) .
(( Le voisinage du. grand marais que nous avons côtoyé pendant près de trois milles , de- manda M. Herman, n'est-il pas quelquefois dan- gereux? — Ceux qui habitent sous le vent, répondit M. J. M. , c'est - à - dire au nord - est , éprouvent souvent des fièvres automnales 5 les autres ne les connoissent jamais. Cet inconvé- nient, inévitable dans les premières années de défrichement, va bientôt disparoitre ; nous allons suivre l'exemple que nous donnèrent, il y a trois ans , les liabitans des districts de Corn- ■\vall , de Florida , et de Wallkill dans le comté d'Orange. Ils obtinrent du Corps législatif, une loi qui obligeoit les propriétaires à dessécher leurs marais ( Bog-Meadows ) , en ouvrant les ruisseaux anciennement obstrués par les digues des cantons, et à entourer leurs concessions de grands fossés. Cette loi, que le Gouvernement accompagna d'un don de 12,000 piastres, a pro- duit les ejBTets les plus salutaires : non-seulement
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le pays a été assaini , mais ces prairies sauvages 5 submergées pendant tant de siècles, sont aujour- d'hui couvertes de chanvre , de maïs, ou deve- nues des herbages magnifiques. J^espère en ob- tenir une semblable de notre Législature , mes collègues se faisant un devoir d^accéder, sans discussion , à la proposition de toutes celles qui ne sont relatives qu'aux avantages locaux des Comtés qu'ils représentent. — Combien n'est-il pas à désirer 5 continua-t-il , que ces loix de des- sèchement deviennent générales ! Je m'occupe en ce moment à faire un relevé de ces terreins , que je présenterai au Corps législatif à sa pro- chaine session : la quantité en est prodigieuse. Connoissant le bon esprit dont il est animé, je ne doute pas qu'il ne vote une somme considé- rable, destinée à aider, à encourager les habi- tans des cantons les plus récemment établis. Une de ces prairies naturelles contient 70,000 acres, et cet Etat peut-être plus de 1,800,000 ! Quelles richesses, quels trésors ces fonds, formés du dé- pôt des eaux, dans le cours des siècles, n'offri- r ont-ils pas un jour à l'industrie agricole ! Cette conquête sera plus importante et plus utile que celle d'une île à sucre , ou d'une nouvelle bran- che de commerce. Il ne nous manque que des bras : mais ils naissent et arrivent tous les jours ». « Eh quoi ! vous êtes député de ce Comté , et
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VOUS travaillez , lui dit mon compagnon ! — Et pourquoi ne travaillerois-je pas, lui répon- dit M. J. M. 5 puisque la nécessité l'exige : n^est- elle pas égale pour tous? Je fus élu aussi-tôt après que le Gouvernement eut érigéce pays en Comté 3 il n ^ avoit alors que le nombre d'habi- tans exigé par la loi de la représentation. Con- tens de mes services, ils m'ont continué leurs suffrages depuis : mais, je Tavoue, si je n^étois pas excité par le désir d^obtenir les loix locales dont ce jeune district a besoin, je les aurois priés d^en élire un autre j car trois mois de session annuelle, sont pour moi une perte de temps trop considérable )) .
« Ne recevez-vous pas une rétribution pen~ dant le temps de vos séances? demanda M. Her- man. — On nous donne trois piastres par jour ; mais cette somme ne me dédommage pas des inconvéniens occasionnés par une aussi lon- gue absence : un bon cultivateur ne doit jamais s'éloigner de ses champs. — Par quel hasard un homme aussi instruit s^est-il trouvé être un des premiers fondateurs de ce Comté ? car je sais combien ces travaux , ces défrichemens sont dégoùtans et pénibles. — Après avoir perdu dans le commerce une fortune considérable , je me crus trop heureux de pouvoir me réfugier sur ces Ôoo acres qui appartiennent à ma femme. I. " F
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Je le confesse , ce ne fut pas sans regrets ni sans combats que nous abandonnâmes la. ville et nos amis pour entreprendre-une tâche aussi rude, et nous soumettre à des habitudes , à un genre de vie si gjilférens de celui dans lequel nous avions été élevés. Heureusement, nous étions jeunes ; c'est le temps de la force d'esprit et du courage : il nous en a fallu, sur- tout dans les premières années, lorsque nous étions à 25 milles d'un voisin, et que nous promenions nos pas dans les sentiers solitaires de ces forêts incon- nues. Mais si , à l'exemple de tous les nouveaux colons, nous avons commencé par écarter des épines, aujourd'hui nous cueillons des fleurs et des fruits. Nous sommes commodément logés, et vivons dans l'aisance 5 le haut prix du bled a rapidement consolidé notre petite fortune : j'en vends annuellement près de 5oo boisseaux. Aidé de quatre serviteurs fidèles , j'essaie mes forces : le dieu des moissons a daigné récompenser nos soins et notre industrie. Cependant mes plus belles espérances sont fondées sur une chute de 17 pieds (la seule qu'on trouve à près de 10 milles à la ronde) , ainsi que sur une loi que les deux Etats limitrophes viennent de promulguer pour encourager la navigation intérieure, loi qui déclare toutes les rivières libres. Un autre objet de cette loi , est de prévenir les nombreux
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inconvéniens qui résultent de l'élévation des digues relativement à la salubrité de Tair , et à la perte des terreins inondés. Le moulin que je vais faire construire d'après les principes d'Oli- vier Evans, sera d'un très-grand rapport : alors nous nous reposerons ; c'est-à-dire que nous ne nous occuperons plus que de l'éducation des bestiaux, et de la culture du chanvre. — Depuis que nous vivons dans l'aisance , continua-t-il , je regrette plus vivement qu'auparavant la perte de nos anciennes sociétés , celle de ces épanche- mens de l'amitié , de ces conversations qui , sem- blables au contact de l'acier contre le silex, font jaillir la lumière et les idées. Presque tous mes voisins sont Suisses , Irlandais ou Allemands ^ à peine entendent- ils notre langue. Je me dédom- mage des privations par la lecture de bons livres ; ce sont des amis qui , suivant la disposition de mon esprit, me consolent, m'amusent ou^tn'ins- truisent. Grâces à la vigilance paternelle du Gouvernement, nous commençons à recevoir régulièrement les gazettes. Quel vaste champ , quelle pâture ne présentent- elles pas à l'intérêt , ainsi qu'à l'avide curiosité ! Que de germes sont prêts à éclore dans l'ancien Monde ! La force des opinions nouvelles pouvoit-elle renverser des édifices aussi massifs et aussi anciens? La dis- tance qui , heureusement, nous en sépare, nous
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préservera-t-elle de ses orages ? La paix , sans laquelle la vie n^est qu'un présent funeste , et dont nous avons tant de besoin dans ces bois , feroit-elle place aux discordes civiles? Le dé- mon de la nature humaine viendroit-il de nou- veau exercer sur la terre son redoutable empire? Seroit-il possible qu'il se trouvât ici des hommes qui voulussent renverser le Gouvernement au- quel nous devons l'étonnante prospérité de cette république, la paix, l'inviolable sûreté de la vie et des propriétés , ainsi que les loix les plus propres à encourager l'agriculture , le commerce et les arts? qui , pour introduire parmi nous les nouvelles opinions européennes , eussent résolu de nous plonger dans les horreurs du chaos, et de nous livrer aux fureurs sanglantes de l'anar- chie )) ?
Le lendemain , nous quittâmes cet intéressant député colon , en lui promettant bien de le re- voir à New-York l'hiver suivant ; ce qui arriva en effet , et nous procura le plaisir de connoître plusieurs de ses collègues.
Après quatre jours de marche, nous attei- gnîmes facilement la Tiénaderha , l'Adiga , et rUnadella, branches de la Susquéhannah orien- tale, sur lesquelles nous trouvâmes des bacs assez commodes. Pendant cette distance de 54 milles, îipus ne fûmes obligés de coucher qu'une seule
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nuit dans les bois ; inconvénient que nous au- rions même pu éviter, si nous ne nous étions pas égarés en cherchant le moulin de Harper , situé sur la grande rivière. Après avoir traversé l'Adiga, nous entrâmes dans le comté d^Otségo, habité depuis neuf à dix ans, où nous trou- vâmes enfin des chemins passables^ des provi- sions en abondance et pour nous et pour nos chevaux, d^ assez bons gîtes, et, ce qui eut bien son prix pour nous , quelques colons instruits.
Nous étions encore à trois milles du lac Ot- ségé, lorsque nous entendîmes le bruit d'une chute , et bientôt après nous apperçùmes un grand nombre de personnes occupées à élever sur ses bords la charpente d'un moulin , dont on nous dit que le propriétaire étoit établi depuis six ans. — «Quoique fils de lord, continua-t on, et jadis lieutenant dans la marine royale, il est aussi intelligent, aussi actif et aussi laborieux que s'il fut né dans les bois )) .
« Que vous êtes heureux ! lui dit mon com- pagnon après être entré chez lui , de posséder une aussi belle cascade ! Jamais je n'en ren- contre, sans devenir involontairement rêveur et pensif j le mouvement, le poids de ces eaux ^ sont un moyen de puissance applicable à tant d'usages, les nappes en sont presque toujours si belles et si variées, les formes si bizarres et si
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pittoresques, qu'il me semble impossible que ces idées d'utilité , de beauté , ne frappent pas Fesprit et les yeux d'un voyageur. Il faut en convenir, continua- t-il , la nature a été ici sin- gulièrement prodigue de ce genre de bienfait. Situé au milieu de ces vastes forêts, je conçois combien votre moulin à scie doit vous être utile ; mais cette usine que vous élevez , d'où viendra le bled qu'elle est destinée à convertir en farine? Ce canton , quoique beaucoup plus peuplé que ceux à travers lesquels nous avons voyagé , pa- roît ne renfermer encore qu'un petit nombre d'habitans )).
«Ce continent, cet Etat, répondit M. J. U. , est devenu depuis long-temps l'asyle , non-seu- lement des victimes du besoin , de l'oppression et du malheur dans l'ancien Monde, mais aussi celui d'un grand nombre de personnes inquiè- tes, dégoûtées du gouvernement de leur patrie. Il est difficile de concevoir, sans en avoir été le témoin , poursuivit-il , avec quelle étonnante rapidité la culture de ce Comté augmente jour- nellement. Pévalue à 74,000 acres la quantité des terres qui ont été défrichées depuis sept ans, et dont plus d'un sixième est aujourd'hui soumis à la faulx , ou converti en pâturages. La ferti- lité du sol , et la situation de ce canton à la tête d'une aussi belle rivière que la Susquéjiannah ^
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le grand nombre d'érables à sucre, les routes que le Gouvernement fait ouvrir sur plusieurs points, tous ces avantages y attirent non-seulement des colons travailleurs, mais des familles aisées , re- commandables par leur industrie éclairée , ainsi que par la douceur et l'urbanité de leurs moeurs. De riches associations flamandes et hollandai- ses en ont acheté des districts entiers (Towns- hips). Il y a six ans, j'en étois le 19^ colon 5 aujourd'hui on y compte plus de 1,800 francs- tenanciers. Loin donc de craindre que ce moulin soit oisif, je me propose d'y ajouter une troi- sième usine pour fouler les ^ofîes , et une qua- trième pour exprimer l'huile de la graine de lin qu'on cultive déjà en grande abondance »,
(( Parmi les personnes, continua-t-il , qui sont venues m' aider à élever cette charpente, il y en a des quatre Etats septentrionaux de l'Union, ainsi que de l'Ecosse, de la Saxe, du Brande- bourg , de la Suède , et même de la Morée. Qu^el intéressant spectacle que celui de voir journel- lement arriver sur cette terre adoptive les vic- times de la tyrannie, du besoin, ou des dis- cordes civiles î Et ces hommes , quoique parlant des langues , élevés dans des habitudes et des opinions religieuses si différentes, former un peuple nouveau , dont la postérité est destinée à jouer un rôle important sur la scène du monde I
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Cet heureux amalgame est Touvrage de la douce influence des loix , fondée sur la liberté , sur la tolérance et sur la justice , celui du sentiment de la propriété territoriale, d'où émanent les plus beaux droits du citoyen : c'est encore l'effet du travail et de l'industrie sur les mœurs et la conduite de ces colons.Telles sont, sansdoute, les causes qui les identifient, dans un court espace de temps , à la nouvelle société dont ils sont devenus membres, qui les attachent au sol, ainsi qu'au gouvernement qui les protège et les en- courage )) .
(( Vous êtes Ecossais , lui dit M. Herman , et vous avez long- temps servi à bord des vaisseaux de guerre. — Cela est vrai, répondit M. J. U.j pendant plusieurs années je n'ai vu que les nua- ges et la mer , et me voilà au milieu des bois ! Et vous. Messieurs, d'où venez -vous? où allez- vous? Pardonnez -moi ces questions j vos ré- ponses sont une dette qu'il seroit cruel de ne pas acquitter envers une personne qui, comme moi ^ ne voit que rarement des voyageurs instruits )) » Après que nous eûmes satisfait sa curiosité, il nous dit : — (( Quoi ! du centre de la Pensylva- nie, vous allez au fort Stanwick, à Onondaga, voir les deux conseils qui vont bientôt y être tenus? Si je n'étois pas enchaîné par mes entre- prises, je vous y accompagnerois avec plaisir |
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mais j^espère qu'à votre retour, vous voudrez bien m'informer de ce que vous y aurez vu et entendu. — Très -volontiers, lui dit M. Her- man , à condition que vous nous instruirez des circonstances , extraordinaires sans doute , qui vous ont engagé à quitter la carrière militaire et votre patrie, pour venir ici former un établis- sement dispendieux , long et pénible. — J'en prends l'engagement, répondit-il^ mais soyez assurés que je gagnerai beaucoup à ce marché. Que peut avoir d'intéressant, en effet, l'histoire d'un homme de 02 ans , qui n'est point un aven- turier , et qui en a servi près de dix sur mer )) ?
Le jour suivant, ayant appris que plusieurs bateaux dévoient partir de Skénectady pour re- monter la rivière Mohawk , nous prîmes congé de M, J. U. , en lui promettant de le revoir à notre retour du fort Stanwick. Les cantons de Harper's-Fields, de Cherry- Valley , et de Sko- harry , à travers lesquels nous voyageâmes, pa- rurent à M. Herman les plus beaux et les plus fertiles en bled , que nous eussions vus depuis long-temps. On nous dit que le sol de ce dernier étoit d'une fécondité extraordinaire , qu'il se vendoit aussi cher qu'en Europe; que la plupart des habitans descendoient des premiers colons qui fondèrent la ville de New- York en 1626. En effet, la beauté et la régularité des clôtures,
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dont quelques-unes étoient de haies vives , Télé- gance des habitations, la bonté des attelages, tout annonçoit la richesse et le bonheur des colons.
Nous atteignîmes Albany, et arrivâmes enfin à Skénectady le soir du quatrième jour depuis notre départ du lac Otségé j et dès le lendemain, à notre grande joie, nous flottâmes sur les eaux du Mohawk, qui dévoient nous transporter au fort Stanwick, à i lo milles de distance.
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CHAPITRE VI.
liEs deux premières personnes que nous ren- contrâmes en arrivant à Onondaga, et qui nous invitèrent à fumer Foppoygan d'amitié, furent Siatégan , ancien chef de la nation Chippa- way ( 1 ) 5 et Yoyowassy , sacliem des Outa- ways (2) 5 que j'avois jadis connu à Montréal. Ils nous dirent que le nombre de leurs gens étoit si considérablement diminué depuis quelques an- nées par les ravages de la petite-vérole (5), qu'ils avoient résolu de réunir les restes de leurs tribus à la vieille souche Onéida (4).
Heureusement, le feu du conseil ne devant être allumé que quelques jours après, nous eù- mies le loisir de nous occuper du logement et de la nourriture de nos chevaux, chose assez diffi- cile dans un village d'indigènes, et mon com- pagnon put s'accoutumer insensiblement à leur apparence, à leurs usages, et à leur manière de vivre.
Sous quelles formes nouvelles, en effet, ne voyoit-il pas la nature humaine , lui qui , quatre mois auparavant , habitoit une des capitales de l'Europe! — « Est-ce là tout ce que la nature et
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les siècles ont fait pour eux? me dit -il. — - Oui, lui répondis -je : qu'est-ce que Fliomme devant les siècles et la nature ? En considérant Tabrutissement, la dégradation de la tardive et mallieureuse enfance, on ne conçoit pas com- ment un être aussi foible a pu survivre aux re- vers et aux désastres qu'il a éprouvés pendant tant de siècles d'ignorance et de misère , ni par quels heureux hasards il a pu apprendre enfin à allumer du feu , à forger le fer , à apprivoiser les bestiaux , à cultiver la terre , et à s'élever par ses propres foxxes jusqu'à la conception des arts et des sciences)).
ce Qu'étoit le genre humain avant ces époques mémorables ? La terre alors n'étoit habitée que par des hordes errantes, subdivisées en tribus, semblables à celles qu'on voit aujourd'hui sur les plages de la Hollande, de la Zélande aus- trale, des terres Magellaniques , &c. Cette orga- nisation primitive , en détruisant l'idée d'un intérêt commun , a été de tout temps une source intarissable de querelles , de haines , de ven- geances et de guerres plus implacables que celles des tigres, puisque les vainqueurs dévoroient les vaincus, comme ils le font encore aujour- d'hui ; et que le tigre, quelqu'affamé qu'il soit, ne dévore jamais son semblable. Quelle distance entre l'homme de la nature et celui de la civili-
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sation î entre les premiers âges du monde , si souvent célébrés par les poètes , et l'état actuel de FEurope » î
«, Tels vous voyez aujourd'hui ces indigènes, continuai -je 5 et tels , à quelques nuances près , étoient leurs ancêtres à l'époque de la décou- verte du Continent. Ils conservent avec opiniâ- treté les mêmes usages , les mêmes opinions , et préfèrent encore la chasse à la culture, la vie errante à la vie sédentaire, l'aveuglement de l'in- souciance aux conseils d'une sage prévoyance ; rien n'a pu leur ouvrir les yeux, ni l'exemple des Blancs , ni la diminution rapide de leur nombre, ni même l'anéantissement de tant de nations , dont quelques-unes ont disparu depuis un petit nombre d'années )) .
<( Quelle peut être la cause de cet inconce- vable aveuglement ? me demanda M. Herman : leur intelligence seroit-elle inférieure à celle des Européens , qui, jadis, furent comme eux er- rans et chasseurs? Pourquoi l'énergie de la na- ture, qui a creusé ces grands lacs et les fleuves de ce continent, qui l'a couvert de forêts magni- fiques, et l'a peuplé d'animaux, d'oiseaux dont l'instinct est si admirable, n'a-t-elle rien fait pour ces malheureux indigènes? Pourquoi tous les êtres qu'elle a doués de cette faculté sublime, parviennent-ils au dernier degré de perfection
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dont ils soient susceptibles dans le court espace de leur éducation ? Pourquoi , au contraire , rhomme à qui elle a donné la prééminence de la raison, est-il sorti de ses mains, agreste, fé- roce, anthropophage, insociable? Cet état pri- mitif seroit-il donc celui auquel nous étions destinés » ?
(( Cela est très-vraisemblable, lui répondis-je; ce continent, celui des Papoos, la Hollande, la Zélande nouvelle, et tant d^ autres pays décou- verts par nos navigateurs modernes, ne sont-ils pas encore habités par des hordes qui, depuis des milliers de siècles , croupissent dans Fabru- tissement de ce premier état? Qu'importe à la puissance créatrice que nous vivions sous Vé- corce de bouleau, ou sous des lambris dorés? En occupant la place qu'elle nous avoit destinée dans réchelle des êtres, ses desseins sont rem- plis, soit que nous soyons chasseurs, nomades ou cultivateurs » .
(( En considérant attentivement, poursuivit- il, ce long enchaînement de désastres que les premières générations durent éprouver avant d'être parvenues à harponner le poisson , à allu- mer le feu, à vaincre l'ours, le loup et le che- vreuil , on est étonné qu'elles aient pu survivre aux dangers et aux malheurs de cette longue et tardive enfance. Quelle supériorité de force.
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d'intelligence , de ressources, n'avoient pas alors ces animaux, comparés à ces êtres foibles, im- bécilles et nus ! Bien vêtus , bien armés , rusés , adroits , ils exercèrent un empire qui dut , pen- dant long- temps, être funeste aux premières sociétés que la providence plaça dans ces forêts. Comment l'homme a-t-il pu s'élever de ces tristes et pénibles commencemens, au degré de puissance et de prééminence que possèdent au- jourd'hui les nations de l'Europe et de l'Asie? C'est ce qui paroît difficile à concevoir )).
« Il y a cependant eu de grands écrivains , répliqua M. Herman , qui ont fait de beaux dis- cours pour prouver que la civilisation n^est point un avantage, mais un éloignement funeste de l'empreinte primitive et sublime que nous avons reçue du Créateur 3 moi-même j'en étois per- suadé )) .
(( Ce qu'en ont dit ces écrivains , lui répon- dis-je, n'étoit inspiré que par l'esprit de cen- sure et de singularité : ils préconisoient l'être sauvage qu'ils ne connoissoient pas, pour faire la satire de leurs contemporains. Si, comme moi, ils eussent accompagné ces indigènes dans leurs guerres dévastatrices ; si leurs yeux eussent été témoins des tourmens qu'ils infligent à leurs prisonniers, ainsi que de ces abstinences meur- trières, fruit de la plus aveugle imprévoyance 5
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si 5 enfin , ils eussent assisté à ces repas de canni-- baies 5 à ces scènes d'ivresse dont le souvenir fait frémir, très-certainement ils auroient été ail- leurs que chez ces hommes de la nature , cher- cher Foriginal de leurs tableaux mensongers )) .
Après avoir cessé de nous entretenir de ces objets, et fait quelques questions à nos hôtes Siatégan et Yoyowassy , nous les quittâmes pour aller chez le vieux Keskétomah, mon ancien camarade de voyage, que je savois être un des mieux logés du village.
«J'arrive, mon frère, lui dis -je, du pays d'Onas (5) , pour assister au feu du conseil. Fa- tigué de ce long voyage , je voudrois me reposer sous ton écorce : aurois-tu deux peaux d'ours à nfie prêter? car, comme tu le vois, j'ai amené avec moi un ami qui vient du pays d'où le soleil se lève. — J'en ai , Rayo , me répondit-il ; je te sais bon gré de ta confiance. Mon feu est al- lumé, ma chaudière est pleine 5 fume dans mon oppoygan j et toi aussi , Cherryhum-Sagat (6) , puisque tu es l'ami de mon frère, repose ici tes os )) .
Nous passâmes une partie du jour à parler des nouvelles générales delà nation, des commen- cemens de culture que plusieurs chefs avoient entrepris, de l'aversion que la jeunesse parois- soit toujours conserver pour ce nouveau genre
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^e vie, de la folie des Cayugas, des moyens de leur faire ouvrir les yeuxsur le danger de vendre leurs terreins de chasse au Gouvernement de New-York. Il me donna aussi des nouvelles de ma famille adoptive, dont j'étois étonné de ne voir aucun député, et le soir nous assistâmes aux danses de la jeunesse. Le lendemain , après avoir dîné chez Tocksikanéhiow-FAnier (7) , du saumon qu'il avoit pris la veille, nous fûmes invités à souper chez le vieux et respectable sachem Chédabooktoo , du village d'Osséwin- go (8), qui, ayant appris, je ne sais comment, que nous avions apporté nos flûtes , voulut que nous lui donnassions un petit concert. Je\me rappelle encore la profonde attention avec la- quelle il Fécouta, ainsi que la nombreuse compa- gnie qu'il avoit invitée, et l'effet que produisirent sur leurs visages, jusqu'alors immobiles, les pas- sages tendres et mélancoliques , sur-tout les ac- cords en tierces et en quintes (9). Enfin, le feu du Conseil ayant été allumé, nous y accompa- gnâmes notre vénérable hôte 5 et comme, de tous les sachems de la nation que je connoissois, il parloit le mieux la langue anglaise, nous nous assîmes à coté de lui, pour qu'il nous interprétât ce que nous ne pourrions pas entendre.
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CHAPITRE VII.
SbiXANTE-Dix-HUiT p erson 11 es, cliefs, vieil- lards et guerriers , étoient accroupis , suivant l'usage, autour d'un feu allumé au milieu d'une grande salle, dont les murailles faites de poutres assez proprement équarries, étoient jointes aux encoignures à queue d'hirondelle. Tous , la tête penchée en avant , les yeux fixés sur la terre y aspiroient la fumée de leurs oppoygans, et après un assez long intervalle , ils l'exhaloient lente- ment à travers leurs narines , en deux colonnes non-interrompues , indice d'une profonde mé- ditation sur des objets importans. Aucuns n'é- toient peints , et n'avoient la tête ni les oreilles ornées de plumes : leurs manteaux de castor , tombés derrière eux , laissoient voir sur leurs lar» ges poitrines et sur leurs bras robustes, les diffé- rentes figures d'animaux , d'insectes ou de pois- sons qu'on y avoit tatouées dans leur jeunesse, G'étoit là qu'un peintre auroit pu dessiner des corps frappans par leurs belles proportions ^ des membres mis en mouvement par des muscles légèrement recouverts d'une espèce d'embon- point inconnue parmi les Blancs , et qui , che^î
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eux 5 atteste la vigueur , la force et la santé 5 des têtes et des physionomies d'un type particulier , dont on ne trouve les analogues qu'au sein des forêts du Nouveau-Monde. Cette réunion d'hom- mes presque nus , si féroces à la guerre , si implacables dans l'assouvissement de leurs ven- geances 5 si doux , si tranquilles dans leurs vil- lages 5 offroit aux yeux un spectacle imposant , - et à l'esprit une source nouvelle de médita- tions.
Les discours de cette première séance , entiè- rement relatifs aux limites de leurs terres , au projet des Cayugas de disposer des leurs , et à l'envahissement de quelques familles blanches , ne pouvant intéresser que ceux qui connoissent la géographie de cette partie du continent, ainsi que les rapports de ces nations avec les Gouver- nemens limitrophes , je m'abstiendrai d'en par- ler 5 pour ne m'occuper que de la séance du len- demain , où il fut question de l'adoption de la culture.
C'étoit la première fois qu'on devoit en parler publiquement, en démontrer l'indispensable né- cessité , et s'adresser aux jeunes guerriers. A ma grande surprise , notre hôte , le respectable Késkétomah , offrit d'en être l'orateur.
Le second jour , l'assemblée fut beaucoup plus nombreuse et plus brillante j les chefs et les
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guerriers étoient peints 3 leurs bras étoient ornéâ de bracelets d^argent, leurs têtes et leurs oreilles ^ de plumes guerrières , à leur nez étoit suspen- due une perle. Après le silence , ou plutôt le recueillement le plus profond , et après qu'on eut lentement fumé les oppoygans , Chéda- boocktoo , du village d'Ossewingo , de la tribu Maskinongé ( esturgeon ) , se leva et dit :
(( Comme je fumois l'autre jour au clair de la lune, une voix vint frapper mes oreilles : j'avance, j'écoute, c' étoit ^ équash , de notre tribu. — Comment, lui dis-je, tu gémis , tu te plains, et tu es homme ! A qui adresses-tu donc tes plaintes et tes gémissemens ? Ne sais-tu pas que le bon génie est trop élevé , pour voir ce qui se passe sur la terre j et que le mauvais , qui ha- bite les nuages de la nuit , se moque de nos malheurs ? Je t'ai vu cependant souffrir la faim , la soif, les fatigues , la nudité et les blessures 5 tu ne te plaignois pas alors )> ?
(( Je ne me plains pas , Chédaboocktoo , me répondit-il 5 je ne pensois ni au bon , ni au mau- vais génie, car je ne sais où ils sont l'un et l'au- tre , ni même s'ils existent. Ceux-là disent que oui , les autres disent que non. Quand tu jettes un morceau de bois verd sur le feu , n'as- tu ja- mais observé comme l'air et la sève s'en échap- pent avec bruit, comme la sève découle d'un
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arbre dont tu as blessé Técorce au printemps , comme les ruisseaux et les rivières se gonflent après les pluies de ^automne ? Eli bien ! mon coeur a été frappé ; c'est lui qui gémit , et non mon esprit, qui est aussi ferme que le tien, Témistaming m'a quitté, Cliédaboocktoo, je suis seul f ma peau d'ours est froide , mon feu éteint, les cendres démon âtre dispersées 5 et ma chau- dière.... je n'ai plus le courage de la remplir ; quand on chasse ou qu'on pèche pour soi seul , peut-on être aussi patient et aussi adroit , que lorsqu'on chasse et qu'on pèche pour nourrir sa femme? et si je chassois encore, qui me félici- teroit de mon succès , en me serrant la main ? — Ah, Chédaboocktoo ! le mal nous vient par- torrens , comme les pluies de l'automne ; le bien goutte à goutte, comme la rosée du printemps )>. (C Tout ce qui est venu j Wéquash , lui dis-je , doit s'en aller; tout ce qui arrive doit passer .°- nous passons aussi , puisque nous sommes ve- nus , comme la pirogue du voyageur qtie le lil du courant entraîne, comme les eaux des ri- vières qui vont se perdre dans les grandes cata- ractes. J'ai entendu dire à des jongleurs blancs , que l'enfant qui naissoit, arrivoit 3 que l'homme qui mouroit, partoit. D'où vient l'enfant? où va l'homme? leur demandai-je ; ils me répon- dirent des choses si extraordinaires , que je ne
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Toulus jamais les mettre dans ma mémoire. Tout ce qui est sur là terre, en vient, leur dis- je ^ tout ce qui en est venu , y retournera. Ils se mo- quèrent de moi 5 je leur tournai le dos , et les laissai là » .
c( Je n^ai pas vieilli , Wéquash , sans avoir sou- vent été frappé de la grande flèche d'Agan Mat- chee Manitoo (1) : chaque fois je Fai arrachée et mise sous terre. Dans toute ma vie , j'ai versé plus de sang que de larmes ^ elles ne devroient couler , les larmes , que des yeux de nos femmes , et jamais des tiens , qui ont vu plus d'une fois le malheur et la mort avec des paupières sèches. A^is, si tu es homme ! tu verras que demain tu te plaindras moins , après-demain un' peu moins encore, et ainsi de suite, jusqu'à ce que l'oubli, fils du vieux temps , vienne cicatriser les plaies de ton coeur. Fais comme Késkiménétas , ton aïeul, que j'ai connu pendant mes premières lunes; venge -toi dit mauvais esprit; cherche une autre Témiskaming ! tu connois le remède de l'adoption. Qui te dira que ta nouvelle épouse ne cultivera pas ton maïs, et ne fera pas encore mieux bouillir ta chaudière que celle qui vient de passer »?
« Tu parles, Chédaboocktoo, me répondit-il , comme un vieillard que tu es ; tu as oublié le temps de ta jeunesse, où ton cœur étoit gros et
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ton haleine brûlante. Tout vient , tout passe , comme tu le dis 5 mais moi qui arrive , je ne suis pas encore passé 5 je n'ai pas. encore entendu le bruit de ma cataracte. Tu me parles d'une autre Témiskaming ! comment oublier celle qu'on et aimée , et qui nous aimoit aussi ? Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour : quand les glaces ont brisé mon canot 5 ou le feu détruit ma wigwliam , j'en reconstruis facilement une autre 5 mais une compagne de tant de lunes , quand on Fa per- due. .. . Eh puis ! ne sais-tu pas que les braves femmes sont comme les hermines , difficiles à rencontrer ? Et si , parmi les filles de notre tri- bu, je n'en trouve point qui veuillent souffler sur mon tison (2) , ni entendre ma chanson de guerre, rester ai -je alors comme un vieillard , sur ma peau d'ours ? Que ferai-je ? où irai-je )) ?
(( Eh bien ! luirépondis-je, va parmi les autres nations en chercher une ; fais comme Ockwacok , comme Matamusket. Ils s'en sont bien trouvés ^ ils vivent d'un bon accord avec leurs femmes ; leur sang se multiplie j ils sont unis comme les tiges du même arbre , comme les écailles de l'huître. Leur chaudière est-elle vide ? à l'ins- tant elle est remplie ; les cendres commencent- elles à couvrir leur feu? tout aussi-tôt on y met du bois. Ils vivent sous un beau soleil : trouve- toi le lendemain de la pleine lune, au feu d'Onon-
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daga 5 tu entendras ce que la sagesse des sachems te dira. — Voilà ce que je lui dis. J^ai parlé )) .
Après un assez long silence , Yoyoghény , du village de Lackawack , de la tribu Megeeses; ( aigle ) 5 se leya et dit :
(( Comme je revenois delà pêclie, Je vis Muska- ïiéliong à la porte de sa wigwham ; elle poussoit des cris , versoit des larmes , et se frappoit la poitrine. — ► Qui t'a donc si fortement contrîs- tée? lui demandai-je 5 le malin esprit auroit-il , pendant la nuit , brisé le seuil de ta porte (5) ? Ta mémoire te rappélleroit-elle quelque mau- vais rêve ? Aurois-tu apperçu des étoiles tom- bantes lorsque tu saluois la pleine lune ? — Tu île me réponds pas ? Pourquoi donc interromps- tu ainsi la paix de la nuit , qui est le temps du repos? Le jour du soleil n'est-il pas assez long pour te plaindre )) ?
a Tu parles de repos î me répondit-elle^ il n'y en a plus pour moi sur la terre 5 mon esprit est dans les ténèbres 5 les nuages obscurcissent le soleil de ma vie 5 le vent de la nuit a chassé mon sommeil. J'ai perdu Mondajéwot , le compagnon de mes jours , l'ami de ma jeunesse. Quand je le suivois dans les bois, je ne craignois ni les loups carnassiers, ni les catamouts (4) , ni les panthères, féroces 5 quand je pagayois l'avant de son canot k travers les lacs, je me sentois forte et fière.
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Comme lui , sans sourciller , je tenois mon visage au vent 5 jamais il ne me disoit, viens , que je ne vinsse 5 jamais il ne me disoit , va, que je n'al- lasse ; sa volonté étoit toujours la mienne 5 et la mienne , quand j'en avois une , étoit toujours la sienne. Lui qui nageoit comme le tewtag et le maskinongé , a disparu sous les eaux , en traver- sant le rapide de Népinah, et son corps est de- venu la pâture des poissons. Qui me consolera ? qui me prendra par la main quand je serai vieille? Personne, puisque je suis seule sur la terre. Ah ! quen'ai-je offert un rouleau de tabac au malin esprit , sur le toit de ma wigwham ? il auroit peut-être empêché le canot de Mondajé- wot de chavirer, je n'aurois pas interrompu le repos de la n^iit, ni excité ta colère )). - « Tu aurois offert tout le tabac de ta récolte au Matchee Manitoo , lui dis-je , que le canot de Mondajéwot n'en auroit pas moins chaviré. Ignores-tu qu'il est impassible et sourd? que c'est lui qui nous envoie les ouragans et les grêles, les neiges et les frimats ? que c'est lui qui gonfle les rivières et déchaîne les torrens? que le tpnnerre est le bruit de sa voix ? les éclairs , les étincelles de ses yeux ? qu'il ne s'intéresse pas plus au succès de nos chasses , de nos guerres , à notre sort sur la terre , qu'à celui des oiseaux migrateurs , ou bien à celui des poissons que le
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courant entraîne du haut des chutes à travers les rochers? Ta perte est grande, Muskanéhong! tu es femme , pleure : les larmes et le temps fer- meront ta blessure , le temps nous guérit ou nous tue ^ avec le temps , les torrens s'écoulent ; avec le temps , les neiges se fondent et le printemps revient , avec le temps , les orages se dissipent et le soleil luit. Le temps est comme un long sen- tier ^ qui le suit, ce sentier, trouvera bientôt Toubli, blotti contre la terre ou assis au pied d'un arbre. Muskanéhong, n'y a~t-il point dans le village, ou ailleurs, quelque blanc que tu pusses adopter )) ?
({ Oui , me répondit-elle ^ mais les loups et les renards (5) peuvent-ils chasser ensemble ?Qu^est- ce qu'un blanc dans les bois? Aussi-tôt que les nuages cachent le soleil, ils s^égarent, et ne sa- vent plus où ils vont ni d'où ils viennent : si la neige arrive, les voilà arrêtés ; s'ils rencontrent une rivière , il leur faut un radeau pour la tra- verser ; si la faim les atteint, ils ne savent que lui dire , ni comment la renvoyer )) .
«Muskanéhong, lui dis-je, parmi nous, de même que parini eux , il y a du bon et du mau- vais : vois les arbres des forêts , sont-ils tous éga- lement élevés? non ; les tiges du maïs également fortes et grenues ? non : il en est de même parmi les hommes : je connois des blancs qui , comme
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nous , sont de braves guerriers , de bons chas- seurs , et qui , dans les bois , valent bien les nôtres. Combien n^ en a-t-il pas parmi nos gens, qui , pour avoir des liqueurs de feu , vendent tout ce qu^ils ont ? Est-ce que tu n^aimerois pas mieux allumer ton feu toi-même , que d'avoir pour mari un de ces fous, qui n'entretiendroit ni ta wigwham , ni ton canot ? Quoique nous fassions, Muskanéhong, par-tout nous rencon- trons plus de mal que de bien , plus de ronces et d'épines , que de buissons fleuris )).
«Pourquoi cela? me demanda -t- elle. — Lorsque , dans une nuit bien noire , tu mets la tète à ta porte , que vois-tu ? — Rien , me répondit- elle. — Eh bien ! ta question et ma réponse , sont comme cette nuit noire, lui dis-je y peut-être que si les hommes étoient moins mal- heureux , ils multiplieroient trop sur la terre ; et faute de gibier et de poissons, les plus forts mangeroient les plus foibles , comme cela arrive quelquefois; trouve-toi à Onondaga, le lende- main de la pleine lune , ton coeur et ton esprit entendront ce que la sagesse des sachems te dira. Yoilâ ce que je lui dis. J'ai parlé ».
Siasconset , du village de Pentagoët , de la tribu de l'Outagamy ( renard ) , se leva et dit :
c( Comme je revenois de la w^igwham de Na- ponset , je rencontrai Kahawabash , de mon
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sang 5 quoique Outawa de naissance. 7iu lien de porter la tête haute , suivant Fusage des guer- riers , il marclioit lentement , et Tavoit envelop- pée de son manteau. Que fais- tu dans ce village? lui dis-je -, tu as Fair d^un vieillard ou d'un ma- lade ^ serois-tu déjà revenu de tes chasses loin- taines )) ?
« Je ne chasse plus , me répondit-il ; je pêche quand j'ai faim : j'ai ouvert la porte de ma wig- wham aux oiseaux de la nuit, et abandonné le village de Togarahanock. — Pourquoi cela , lui demandai-je. — Mon coeur saigne comme le cerf que la flèche du chasseur a frappé ; mes yeux brûlent, le sommeil se tient perché sur le haut de mon toît , et ne veut plus descendre ; je suis las 5 et cependant je ne fais rien ; je n'ai plus ni chaud ni froid ^ Matchee Manitoo a envoyé dans le village son grand serpent noir, qui a mordu ma femme, Nézalanga , presque tous les miens, et la plus grande partie de nos gens. Je suis venu me chauffer à ton feu, et consulter ta
sagesse ».
(c Lasagesseestmuette,luirépondis-je, quand le malheur parle , je l'ai bien connue , ta femme 5 n'étoit-elle pas de la famille Pakatakan ? — Oui , me répondit - il. — Eh bien ! que n'es-tu allé te chauffer à leur feu ? la mère , le père j les frères et les soeurs de Nézalanga , t'au-
DAî^S LA HAUTE PENS YLYANÎE. log roient pris par la main. La main du sang est plus douce que celle d'un étranger, ou même que celle d'un ami ».
«: Il n'y a plus sur la terre , me dit-il, une seule goutte du sang des Pakatakan 5 le mergummégat des blancs (6), comme le feu des nuages qui con- sume les forêts , a détruit presque tout le vil- lage, pendant que je chassois le castor dans les pays d'en haut. A mon retour, je n^ai trouvé que les ossemens de nos gens , dont les cadavres avoient été la pâture des loups et des mouches ; pas un feu allumé , pas une porte fermée 3 rien de vivant que leurs chiens (7). Les bêtes sont moins malheureuses que nous , Siasconset. Si , comme on le dit, le bon génie est le père des hommes , que ne descend-il parmi nous , pour en chasser le mauvais ? Que ne précipite-t-il au fond des lacs le toméha^vk de la guerre ? Que ne fond-il de son haleine brûlante les glaces de l'hiver ? Il nous a donné la parole , dit-on , pour nous élever au-dessus des loups , des ours et des castors , et nous sommes plus malheureux que ces bêtes fauves : n'existe-t-il donc rien sur la terre, ni au-dessus des nuages, qui protège notre foi blesse y) ?
c( Tu me fais frémir , lui répondis-je : ta femme , tes proches , tes amis , presque tout ton village détruit par le plus grand des fléaux ! Rahawa-
IIO VOYAGE
bash 5 quand nous apprenons quelques mau- vaises nouvelles, ou qu^il nous arrive de grands malheurs, nos esprits sont consternés, nos coeurs froissés , comme des canots comprimés par les glaces de l'hiver , comme les racines du cèdre dans la fente du rocher. On ne parle , on ne s'oc- cupe que de cela ; le lendemain , à la chasse ou à la pêche , on y pense un peu moins ; insensible- ment les premières impressions diminuent et s'eifacent, comme ces figures que nos enfans tracent sur le sable du rivage , à mesure qu'elles sont atteintes par les vagues. Il en sera de même de ta perte , Kahawabash. Elle est grande et dif- ficile à oublier, je le sais j et moi, que tu es venu consulte!' , parce que tu me croyois moins mal- heureux , ignores-tu que j'avois trois braves gar- çons, Tiénah, Tiogo, Nobscusset. Eh bien ! le mauvais génie les a frappés 5 ils ne sont plus ici pour remplir ma chaudière, et porter à la guerre le toméhawk de Siasconset î,Tu es jeune , et moi l'ai vu bien des lunes : reste sous mon écorce jusqu'à ce que le feu du grand conseil soit allu- mé ; tu y verras les vieillards et les sachems , qui , comme toi , ont essuyé de grandes pertes, et les ont réparées par l'adoption : mais évite de verser des larmes devant eux ; ils te méprise- roient , et ne t'adresseroient pas une parole ». ({ Voici ce qu'il me dit : — <( Siasconset ! n'as-
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 111
tu pas souvent entendu les cris plaintifs de Fours , dont la compagne avoit été tuée (8) ? n'as-tu pas souvent vu couler des larmes des yeux du cas- tor, qui avoit perdu sa femelle ou ses petits (9) ? Eh bien ! moi , suis-je inférieur à Fours ou au castor? Non j je suis homme, aussi bon chasseur, aussi brave guerrier que tes sachems : comment empêcher Farc de s'étendre quand la corde casse ? La cime du chêne ou la tige du roseau de ployer , quand Forage éclate ? Lorsque le corps est blessé, Siasconset, il en découle du sang ; quand le cœur est navré , il en découle des larmes : voilà ce que je dirai à tes vieillards j je verrai ce qu'ils me répondront ».
(( Eh bien ! lui dis-je , Kaliawabash, pleure sous mon toit , puisque ton bon génie le veut , et pour plaire au mauvais , que tes yeux soient secs quand tu seras au feu d'Onondaga ».
c( Que faut- il donc faire sur la terre, me ré- pondit-il , puisque l'un veut ce que l'autre ne veut pas » ?
c( Que faut-il faire ? lui dis-je : considérer la vie comme un passage de Toron to à Niagara (10). Que de difficultés n'éprouvons-nous pas pour doubler les caps, pour sortir des baies dans les- quelles les vents nous forcent d'entrer ? Que de chances contre d'aussi frêles canots que les nôtres ! Il faut cependant prendre le temps et les
3 12 VOYAGE
choses comme ils viennent, puisque nous ne poti* vous pas les choisir ; il faut nourrir , aimer sa fem- me et ses enfans, respecter sa tribu et sa nation ; jouir du bien quand il nous écheoitj supporter le mal avec courage et patience 5 chasser et pêcher quand on a faim , se reposer et fumer quand on est las 5 s^attendre à rencontrer le malheur, puis-* qu^on est né ; se réjouir quand il ne vient pas ; se considérer comme des oiseaux perchés , pour la nuit , sur la branche d^un arbre , et qui , au point du jour, s^envolent et disparoissent pour toujours. — Voilà ce que je lui dis. J^ai parlé ». Aquidnunclc, du village d'Acquakanunck , de la tribu Skénonton ( chevreuil ) , se leva et dit : ' c( Comme je fumois auprès de mon feu , Tiéna- derhah , de la tribu Lariieck ( esturgeon ) , ouvrit ma porte et vint s'asseoir à côté de moi. — Que me veux-tu si tard? lui demandai-je? — Je viens te parler de mes chagrins , me dit-elle , et te consulter. — Que t'est -il donc arrivé? — Le vent du malheur , comme le souffle brû- lant de la canicule , a desséché Parbre de ma vie , et en a remporté Fombre et les feuilles. Ma petite Tigheny est partie pour l'ouest. Je veux y aller aussi , avant que son père , Vénango , ne soit revenu de ses chasses. Pourquoi rester ai-je sur cette terre, puisquela joieetle bonheur n'y sont plus pour moi ? Lorsque j le jour des pleines
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. Il3
lunes, continua~t-elle , je vas visiter le lieu de son repos , y verser des larmes et quelques gouttes du lait de nion sein , il me semble entendre sa voix qui m^ appelle. Je veux aller la rejoindre; tout ce que je te demande, Aquidnunck , est de mettre mon corps à l'abri de la dent des loups ».
c( Le mauvais génie a-t-il enlevé le seuil de ta porte ? lui demandai-je. -— Non , me répon- dit-elle 5 il m'a enlevé ce qui m'étoit bien plus cher. — Eh bien donc ! pourquoi voudrois- tu éteindre ton feu et quitter ta wigv^ham ? Est- ce du milieu d'un rapide qu'on peut gagner le rivage? Non ! Il faut avoir le courage de parve- nir jusqu'au portage : tu as été mère, tu le de*- viendras encore : pourquoi vouloir s'en aller, avant que ton soleil soit couché » ?
« Que dira Vénango ? reprit-elle , quand il verra que l'animation de son premier sang n'est plus sur la terre ? — Il te plaindra , lui répon- dis-je^ pour adoucir tes peines , il dissimulera les siennes , comme le brave cache le trait dont il vient d'être frappé. Il desséchera tes larmes et rallumera ton feu; c'est une mauvaise pensée, Tiénaderhah , que de vouloir abréger ta vie : le vieux temps n'est-il pas là qui la raccourcit tous les jours ? Tu as perdu ta fille ; mais Vé- nango existe : voudrois-tu le tuer aussi ? Ap- pelle le Courage ! fais-le asseoir à côté de toi !
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bientôt il fera venir sa sœur la Patience ; tu en-- tendras ce qu'ils te diront. Pleure, ma fille ! pleure ! tes larmes adouciront les angoisses de ton cœur , comme la pluie calme la violence des orages. Travaille , et tu penseras moins ; c'est la pensée qui retient et grossit le mal ; trouve- toi au feu d'Onondaga, le lendemain de la pleine lune; tes oreilles y entendront ce que les sachems te diront pour te consoler. Voilà ce qui s^est passé entre Tiénaderhali et Aquidnunck. J'ai parlé )).
Après un long silence , employé à exhaler gra- vement la fumée des oppoygans , Késkétomah , du village d'Onondaga, de la tribu Maskinongé, se leva et dit :
(( Frères et amis , le plus grand de tous nos malheurs est la diminution de notre sang , et l'augmentation de celui des blancs. Et cependant nous fumons j nous dormons, aujourd'hui que nous sommes si aifoiblis , comme lorsque nous étions nombreux et redoutables ! D'où sont-ils venus, ces blancs ? qui les a conduits à travers le grand lac salé? Pourquoi nos pères, qui en habi- toient aloï-s les rivages , ne fermèrent-ils pas leurs oreilles aux belles paroles de ces renards , qui, toutes, ont été fausses et troîn penses, comme l'ombre du soleil couchant? Depuis cette épo- que, ils ont multiplié comme les fourmis au
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choses comme ils viennent, puisque nous ne pou* vous pas les choisir ; il faut nourrir , aimer sa fem- me et ses enfans, respecter sa tribu et sa nation ; jouir du bien quand il nous écheoit; supporter le mal avec courage et patience ; chasser et pêcher quand on a faim , se reposer et fumer quand on est las 5 s^attendre à rencontrer le malheur, puis- qu'on est né ; se réjouir quand il ne vient pas ; se considérer comme des oiseaux perchés , pour la nuit , sur la branche d'un arbre , et qui , au point du jour, s'envolent et disparoissent pour toujours. — Voilà ce que je lui dis. J'ai parlé )).
Aquidnunclc, du village d'Acquakanunck , de la tribu Skénonton ( chevreuil ) , se leva et dit :
(( Comme je fumois auprès de mon feu , Tiéna- derhah , de la tribu Larùeck ( esturgeon ) , ouvrit ma porte et vint s'asseoir à côté de moi. — Que me veux-tu si tard? lui demandai-je ? — Je viens te parler de mes chagrins , me dit-elle , et te consulter. — Que t'est -il donc arrivé?, — Le vent du malheur , comme le souffle brû- lant de la canicule, a desséché l'arbre de ma vie , et en a remporté l'ombre et les feuilles. Ma petite Ti^heny est partie pour l'ouest. Je veux y aller aussi , avant que son père , Vénango , ne soit revenu de ses chasses. Pourquoi r ester ai-je sur cette terre, puisque la joie et le bonheur n'y sont plus pour moi ? Lorsque , le jour des pleines
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lunes, continua-t-elle , je vas visiter le lieu de son rejDos , y verser des larmes et quelques gouttes du lait de mon sein , il me semble entendre sa voix qui m^appelle. Je veux aller la rejoindre ; tout ce que je te demande, Aquidnunck , est de mettre mon corps à Fabri de la dent des loups ».
<( Le mauvais génie a~t-il enlevé le seuil de ta porte ? lui demandai-je. — Non , me répon- dit-elle , il m^a enlevé ce qui m^étoit bien plus cher, — Eh bien donc ! pourquoi voudrois- tu éteindre ton feu et quitter ta wigwham ? Est- ce du milieu d'un rapide qu'on peut gagner le rivage ? Non ! Il faut avoir le courage de parve- nir jusqu'au portage : tu as été mère , tu le de*- viendras encore : pourquoi vouloir s'en aller, avant que ton soleil soit couché » ?
« Que dira Vénango ? reprit-elle , quand il verra que l'animation de son premier sang n'est plus sur la terre ? — Il te plaindra , lui répon- dis-je j pour adoucir tes peines , il dissimulera les siennes , comme le brave cache le trait dont il vient d'être frappé. Il desséchera tes larmes et rallumera ton feu j c'est une mauvaise pensée, Tiénaderhah , que de vouloir abréger ta vie : le vieux temps n'est-il pas là qui la raccourcit tous les jours? Tu as perdu ta fille ; mais Vé- nango existe : voudrois-tu le tuer aussi ? Ap- pelle le Courage ! fais-le asseoir à côté de toi !
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Anoien Sa oliem de li Nation Ouoiidap-a
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DANS LA HAUTE PENSYLVÀKIE. 13 5
retour du printemps ; et comme ces insectes , il ne leur faut qu'un petit espace pour vivre. Pourquoi cela? c'est qu'ils savent cultiver la terre. Frères et amis , voilà le remède qui peut encore guérir tous nos maux ^ mais pour qu'il soit efficace , soyons tous d'accord j comme les doigts de la même main , comme les rames du même canot 3 sinon , nos projets , nos espérances passe- ront avec le vent qui souffle )) .
« Chassons pour conserver celte précieuse ha- bitude de patience , de perséi^èï'ànce et d'adresse , qui nous rend redoutables à la guerre , et culti- vons enfin le sol sur lequel nous sommes nés. Ayons des boeufs , des vaches, des cochons et des chevaux. Apprenons à forger ce fer, qui rend les blancs si puissans. Alors , nous saurons les contenir ; quand lafaim'et le besoin viendront ^ comme par le passé , frapper à nos portes , nous aurons de quoi leur donner pour les satisfaire. Il me souvient que Koreyhoosta, ancien chef de la nation Missisaée, versoit des larmes toutes les fois qu'il revenoit d'Hotchélaga ( 1 2)^^ et quand on lui en demandoit la raison : — (c Ne vois-tu )) pas 5 disoit-il, que les blancs vivent de graines )) et nous de chair ? que cette chair est plus de » trente lunes à venir , et souvent est rare ? que )) chacune des petites graines merveilleuses qu'ils » mettent dans la t^rre, leur en rend plus de cent?
Il6 VOYAGE
» que la chair dont nous vivons , a quatre jambes )> pour s'enfuir, et que nous n'en avons que deux 1 )) pour l'attraper ? que là où les blancs déposent » ces graines , elles y restent et y croissent ? que )) l'hiver, qui est pour nous le temps de nos )) chasses pénibles, est pour eux celui du repos ? )) Voilà pourquoi ils ont tant d'enfans et vivent )) plus long-temps que nous. Je le dis donc à qui )) veut m'entendre ; avant que les cèdres du vil- )) lage soient morts de vieillesse, et que les érables )) de la vallée aient cessé de donner du sucre , la )) race des semeurs de petites graines aura éteint )) celle des chasseurs de chair , à moins que ces )) chasseurs ne s'avisent d'en semer aussi » . — Les paroles de Koreyhoosta se sont déjà vérifiées parmi les nations Pécod , Nattick , Narraganset et tant d'autres : allez voir les lieux qu'elles oc- cupoient , vous n'y trouverez pas une seule ani- mation de leur sang, ni les moindres traces de leurs villages, où tout annonçoit la liberté et la vie. Les habitations des blancs les ont remplacés 5 leurs charrues labourent aujourd'hui les lieux où reposoient les os de leurs ancêtres (i5) • eh bien ! si vous refusez de cultiver encore la terre , attendez-vous à subir le même sort ».
(( Ah ! que n'ai-je les ailes de l'aigle ! je m'éle- verois aussi haut que nos montagnes 5 alors mes paroles portées par le vent , retentiroient parmi
l
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. II7
toutes les nations qui habitent sous notre soleil. Que l'évidence de la vérité ne peut-elle pénétrer dans vos cœurs , comme la lame de ce toméhawk dans le corps de mon ennemi ! alors vous n'ou- blieriez jamais ce que j'ai encore à vous dire.— Vous êtes perdus, braves Onéidas, si vous con- tinuez à ne vouloir être que des chasseurs. Le soleil d'aujourd'hui n'est plus celui d'hier ; vous êtes perdus , si vous n'étouffez pas la voix de la vieille habitude 5 pour ouvrir vos oreilles à celle de l'impérieuse nécessité. Frères et amis , com- ment ne l'entendriez-vous pas cette nécessité , puisqu'elle parle haut comme le tonnerre j voici ce qu'elle vous dit par ma bouche : — (( Une ca- )) rabine est bonne, une charrue vaut encore )) mieux; un toméhawk est bon (i4), une hache )) bien emmanchée , vaut encore mieux 5 une )) wigwham est bonne, une maison et une grange )) valent encore mieux )).
c( Les blancs approchent de nos limites et nous menacent , comme les vagues lointaines du lac qui viennent se briser sur les rivages. Déjà les abeilles , leurs précurseurs , sont arrivées parmi nous. Voulez-vous leur résister ? Aux produits de la chasse, ajoutez ceux de la terre ; au lait de vos femmes , celui des vaches. Y a-t-il sous notre soleil un sol plus fertile que le nôtre ? Non ; les blancs le savent bien. Wavons-nous pas du
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cèdre rouge et blanc , du frêne aquatique et du bouleau noir en abondance, pour la construction de nos canots ? le saumon de Katarakouy ne re- monte-t-il pas jusques dans notre lac ? Avec nos pelleteries, achetons des haclies et du fer, ou plu- tôt apprenons à le forger. Ah ! si nous Favionè connu, ce fer , sur lequel cependant nous mar- chions , nous ne serions pas réduits à parler ce langage. Nous les aurions renvoyés sous leur so- leil, qui , dit-on, se couche quand le nôtre se lève. Faisons des règlemens pour notre com- merce j défendons l'introduction dans nos villes de ces eaux de fureur et de mort ; c'est de cette source fatale que sont venus nos plus grands mal- heurs 5 c'est avec ce poison qu^ils nous ont ren- dus fous et méchans , et qu'ils ont acheté tant de terres -, c'est avec ce piège, si bien connu pour- tant , que ces renards du point du jour ont trom- pé, séduit pendant tant d'années, les loups de cette grande île , et qu'ils sont venus à bout de détruire tant de nations Nishynorbay. Traçons les limites de notre pays 5 vivons en paix avec eux , mais soutenons nos droits an péril de nos vies. Qu'est-ce que le sang , la vie d'un guerrier, lorsqu'en la pei^dant il assure celle de sa femme , de ses enfans, l'indépendance de son village, de sa tribu , de sa nation , qui est pour lui comme le soleil pour les arbres et les plantes? — Mais je
Il.m.Tom.rrFaçno.
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DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. II9
m'arrête^ peut-être parmi nos jeunes guerriers y en a-t-il qui , n^approuvant pas mes paroles , voudroient nie fermer la bouche )).
A peine ce dernier mot fut-il sorti de la sienne, queKoohassen, du village de Wawassing, de la tribu Mawhingon ( loup ) , laissant tomber son manteau , la fierté peinte sur le visage , le to- méliav^k à la main , se leva et dit :
(( Oui, il y en a ici un grand nombre ! Si je n'ai point parlé plutôt, c'est parce que je res- pecte la vieillesse , et non faute de bonnes et fortes pensées )) .
Promenant alors ses yeux animés sur toute l'assemblée, la poitrine nue, la tête et les oreilles ornées de plumes guerrières , et les bras , d'osse- lets luisan s, il continua ainsi :
(( La puissante ligue Mohawck , dont notre nation faisoit partie , conquit plusieurs tribus maritimes avant l'arrivée des blancs , et depuis, fit trembler plus d'une fois ceux de Hotehélaga et de Corléar (iv5). Cependant ces guerriers vi- voient bien , sans remuer la terre comme des femmes j que n'en faisons-nous autant aujour- d'hui ? Le gibier ne manque qu'aux lâches et aux paresseux ; peut- on être brave , déterminé , insouciant, quand on a de la terre qui produit le maïs , quand on a des vaches et des chevaux ? Non 3 on regrette trop la vie pour risquer de la
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perdre. Et quand la guerre survient, comment se partager en deux ? Peut-on être à la-fois dans les bois, pour manier letoméliawk , et dans les champs , pour conduire la charrue ? Non ; ceux qui cultivent la terre , passent trop de temps sur la peau d'ours de leurs femmes : qui veut frap- per son ennemi fort et dur, doit avoi|J long- temps tourné le dos à sa wigwham. En vivant comme les blancs , nous cesserons d'être ce que nous sommes, les enfans de notre Dieu, qui nous a fait chasseurs et guerriers. Nous penserons , nous agirons comme eux ; et comme eux nous deviendrons menteurs , fourbes , dépendans , at- tachés au sol que nous cultiverons, enchaînés par des loix , gouvernés par des papiers et par des écritures de mensonges. Eh bien ! avec leurs champs, leurs vaches et leurs chevaux, ces blancs sont-ils plus heureux , vivent-ils plus long-temps que nous ? Savent-ils dormir sur la neige , ou au pied d'un arbre comme nous ? Non ; ils ont tant de choses à perdre , que leur esprit veille d'in- quiétude. Savent-ils mépriser la vie , souffrir et mourir, comme nous , sans plaintes ni regrets ? Non j ils y tiennent par trop de liens. A quoi donc sert l'argent, pour lequel ils travaillent tant ? A faire des riches et des pauvres , à éta- blir parmi eux le crime, la rancune et la jalou- sie. En devenant cultivateurs , il faudra dono
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appeler dans nos villages des juges pour nous tourmenter, y élever des prisons à hauts murs pour nous enfermer, et forger des chaînes pour nous retenir? Serons-nous alors, comme nos an- cêtres , hardis , braves, fiers , oubliant le passé, contens du présent, peu soucians de Favenir? !Nonj riiospit alité s^en ira je ne sais où, et ne reviendra plus parmi nous; car chacun voulant amasser aux dépens des autres , n^aura rien à donner à son voisin , qui ne sera plus son ami : comme les blancs, nous ferons tout ce qu'on nous dira de faire pour de Fargent 5 nous n'au- rons plus de volonté. Qu'est-ce qu'un homme qui ne peut plus aller ici ou là , fumer , dormir ou se reposer ? Les plus riches voudront gou- verner les plus pauvres; eh bien ! que feront-ils ces pauvres? faudra- t-il qu'ils deviennent les esclaves , et qu'ils travaillent pour ceux qui se- ront tout luisans de graisse? Ce ne sera donc plus la force, le courage, l'adresse et la patienoe qui décideront de la réputation d'un homme ? Non : ce sera l'argent et la chaudière pleine. Un guerrier, dans les veines duquel circule le sang d'un véritable Onéida , pourroit-il, voudroit-il jamais, parce que le malheur auroit frappé à sa porte, servir un riche poltron ? Non, pas plus que l'aigle des montagnes ne serviroit le timide çt lâche aigle pêcheur ; pas plus que le fier vau-
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tour ne serviroit le ramier fugitif: au lieu de ployer comme le roseau du rivage, il résisteroif comme le cliêne des montagnes, ou, comme les abeilles, il iroit dans les grandes forêts chercher Tindépendance et la liberté. Si jamais je perds ma volonté, et que je sois obligé d^obéir à celle d'un autre , parce qu'il sera plus riche que moi , je le toméhawJoerai (16), j'enlèverai sa cheve^ lure , après avoir mis le feu à sa wigwham, car qui me méprise est mon ennemi; je descendrai les rivières de l'ouest, et dirai aux chefs des na- tions duMississipi que les Onéidas sont devenus, comme les blancs barbus, des gratteurs de terre et de vils travailleurs à la journée. Oui ! plutôt que de me soumettre aux ordres d'un maître et de devenir un malheureux mercenaire , j'irai re- joindre mes braves ancêtres. Qu'est-ce que la mort, dont les lâches sont si effrayés? Pour le chasseur, c'est le jour du repos, la fin de tous ses besoins; pour le guerrier, celui de la paix éternelle; pour les malheureu3j,le dernier terme de leur misère, la confiance et la consolation de tous ceux qui souffrent et pâtissent , l'asyle d'où l'on peut braver l'oppression et la tyrannie » .
<( Et nos femmes ! et nos enfans ! que devien- dront-ils avec leurs champs de blé et de maïs ? Quels exemples de courage , de patience , auront- ils sous les yeux dans ce nouvel état? Occupés
DANS LA HAUTE PENSYLVANTE. l^Ù
du travail des mains depuis leur enfance jusqu es à leur âge raùr , pourront-ils jamais apprendre à supporter la faim , la soif, le malheur, la mort? Qui leur enseignera à ne pas redouter la dent et la cliaudière de leurs ennemis (17)5 à mourir, comme des braves, en chantant leurs chansons de guerre ? Voyez les nations qui ont cessé de chasser pour se courber vers la terre ! Que sont- eiles devenues depuis qu'elles ont des vaches et des chevaux , et qu'elles s'adressent au dieu des blancs ? Eh bien ! les blancs et leur dieu les mé- prisent, et ne les prennent pas par la main. Leur nombre diminue tous les jours. Si ces hommes osoient m'offrir de fumer dans leurs oppoygans, je leur dirois fièrement : Cawen, cawen (18).
)) Continuons d'être ce que nous avons tou- j ours été , de bons chasseurs , de braves guerriers. J'espère que mon opinion est celle de la plus grande partie de ceux qui m'entendent , dont le sang n'a pas encore été blanchi par les neiges de l'hiver, ni refroidi parles glaces de la vieillesse. J'ai parlé (^) ».
C^) Ce discours, dont la mâle et sauvage éloquence est vraiment admirable, rappelle la belle harangue des ambassadeurs Scythes envoyés vers Alexandre, que rap- porte Quinte-Curce dans le septième livre de son His- toire. Même simplicité , même élévation de pensées ;
124 VOYAGE
Ce discours, prononcé avec beaucoup d'éner- gie , fut suivi d'une très-longue pause. Ensuite Késkètomah , après avoir tranquillement exhalé à travers ses narines la fumée de son oppoygan, se leva pour la seconde fois, et dit :
« Jeunesse brave, mais insensée ! dans la mé- moire de laquelle aujourd'hui est comme hier, et demain sera comme aujourd'hui ; sur laquelle les lunes et les événemens n'impriment en pas- sant aucunes traces , comme la flèche qui tra- verse les airs ou l'épervier qui poursuit sa proie ; dont les pensées ressemblent aux fleurs stériles , qui fermez la porte à l'expérience , au lieu de la faire asseoir auprès de votre feu, vous ne vous ap- percevez donc pas que les choses ont bien changé depuis les temps anciens , dont Roohassen vient de nous parler , et qu'il faut changer aussi ou périr. Que feriez-vous si les eaux du lac ve- iloient à déborder ? Au lieu d'élever nos wigw- hams ailleurs, comme feroit notre jeunesse, moi, tout vieux que je suis , je conseillerois de cons- truire une digue pour les contenir , et en pré-
même accumulation de figures et de métaphores, même fierté de sentimens. Il y a un* langage pour les hommes de la nature, et un langage pour les hommes civilisési. Mais quelle différence entre l'un et l'autre l Note com" muniquée à l'éditeur par le cit. B. , , ,
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 125
server le village. Eh bien 1 jeunesse qui m'en- tendez , c'est la même chose aujourd'hui 5 les blancs nous menacent, outrepassent les limites que nos ancêtres leur avoient prescrites ; faisons donc une digue ici et non ailleurs, avant que ce torrent nous entraîne , nous , nos femmes et nos enfans».
« C'est par leur nombre , c'est avec leur blé et leur maïs qu'ils sont devenus forts et fiers ; c'est par les mêmes moyens que , comme eux , nous devons aussi devenir forts et fiers : respectons les forêts , notre première patrie , notre ancien héritage , et cultivons le sol qui doit augmenter le nombre de nos gens, ainsi que notre puis- sance 5 chacun pouvant avoir autant de terre qu'il voudra , on ne connoîtra pas cette inéga- lité honteuse dont Koohassen a parlé j les juges, les chaînes, les prisons , sont pour les médians; il n'y en a point ici )).
(( Que ceux d'entre nous qui seroient assez aveuglés par leurs opinions, pour mieux aimer que la race des Onéidas disparoisse de la face de la terre que de la voir prospérer et se multiplier par la culture 5 que ceux-là, dis-je , aillent avec les Cayugas, les Tuskaroras et les Sènèccas (19) élever leurs wigwhams sur une terre étrangère, terre qu'ils ne posséderont pas long-temps. Que ceux, au contraire , qui sont effrayés du sort de
l^G VOYAGE
tajit de nations, jadis aussi puissantes que la nôtre, et aujourd'hui anéanties, s'unissent d'es- prit et de coeur à l'opinion des anciens , qui est aussi celle d'un grand nombre de nos braves , et que, dès demain , ils contribuent de tous leurs moyens à commencer enfin cette grande inno- yation , d'où dépend notre salut et même notre existence 1 J'espère que la vérité a éclairé mes paroles , comme le soleil luit sur la surface du lac y y ai répondu à ce que le bon esprit avoit inspiré à Koohassen , il m'inspire aussi de ne rien dire contre ce que la colère avoit placé sur sa langue. J'ai parlé )) .
Ici se termina le second jour du Conseil.
DANS r,A HAUTÎ3 PENSYLVANIE. 127
CHAPITRE VIII.
La troisième séance fut employée à consom- mer plusieurs adoptions , arrêtées depuis long- temps , et à parler des moyens d^encourager quelques familles blanches à venir s'établir parmi eux. Plusieurs chefs désapprouvèrent cette dernière idée , en rappelant au Conseil , que presque toutes celles à qui on avoit donné des terres , étoient deveniies fainéantes et adon- nées à Fivrognerie ; qu'en un mot, elles étoient loin de donner le bon exemple qu'on avoit at- tendu d'elles. Aussi-tôt que ces matières furent terminées, l'aveugle Kanajohàrry, ancien sa- chem , de la tribu Skénonton ( chevreuil ) se leva et dit :
{( Où sont les affligés ? Qu'ils s'approchent ! Si je ne puis pas les voir , que je les touche ! Ils m'entendront rriieux , puisque ma voix affoiblie n'est plus que comme celle d'un écho mourant. Où. sont leurs mains ? En voilà deux que je ne connois pas : — Celles-ci , je me rappelle de les avoir serrées pour la première fois, il y a bien des lunes )) !
(( C'est toi , Wéquash , que je tiens î Le mal-
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lieur t'a poursuivi et atteint ; le bon génie tV tourné le dos 5 ta femme , Témiskaming , est tombée du haut de la grande cataracte dans Fabîme 5 je la regrette presque autant que toi ; n'étoit-elie pas de la famille des Arianchées ? Elle est partie avant d'avoir multiplié ton sang , qui, depuis long-temps, a produit de braves guerriers. Nous arrivons , AVéquash , comme ces arbres déracinés par les torrens , que nos ri- vières charrient : on les apperçoit le matin , le soir on ne les voit plus; le courant les a entraî- nés ; le temps et ses lunes nous entraînent aussi j nous ne naissons que pour mourir ; nous n'arri- vons que pour passer : aujourd'hui ou demain seroit la même chose , si on n'avoit pas besoin de nous dans le village. Toi , que j'ai vu si pa- tient dans le mal , et si peu inquiet de l'avenir que tu ne verras peut-être pas , sois-le encore , jusqu'à ce que le bon génie te fasse oublier ta première Témiskaming et t'en donne une autre ! Je sais où la trouver ; vieux et aveugle comme je suis 5 le jour où tu l'adopteras j'irai allumer ton feu et remplir ta chaudière ».
« Et toi , Muskanéhong, donne-moi la main ! Si jeune ! avoir perdu le père de tes enfans , le gardien de tes nuits , l'âtre de ton feu , l'appui de ta wigvrham , quand le vent du malheur souffloit ! Je te plains comme si tu étois de mon
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sangj et regrette Mondajéwot comme s^il avoit été mon ami ; ne sais-tu pas que la vie est sem- blable à ces rivières , sur lesquelles on rencontre plus de chutes et de rapides , que d^eaux navi*- gables et tranquilles ? Combien d'accidens et de naufrages n'éprouve- t^on pas avant d'arriver au portage ? Combien est souvent petit le nombre de ceux qui, après avoir salué leur soleil du ma- tin , voient encore -les derniers rayons du soir ? Et moi qui te parle , Muskanéhong , je n'ai plus personne de mon sang pour entretenir mon feu , les nuages de la vie commençoient à s'appesan- tir sur ma tète , je séchois de vieillesse, lorsque Matchée - Manitoo frappa mes enfans de sa grande flèche. Avec eux , ont disparu l'espé-- rance , la joie et le repos de ma caducité. Onze fois les neiges de l'hiver ont blanchi la terre, depuis que leurs mains n'ont guidé mes pas à travers les ténèbres qui m'environnent 5 depuis cette époque, les oiseaux de la nuit , qui con- noissent ma foiblesse, viennent se percher sur anon toit ; je vis cependant encore , quoique courbé comme un vieux chêne, qui n'est plus qu'un foible roseau devant le souffle du nord- ouest. Et Mondajéwot, ce chasseur infatigable ^ ce protecteur du foible dans le moment du dan-- ger , ce guerrier qui nous disoit : — a La mort n'est rien aux yeux du brave ', elle se cache der-
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rière lui , il ne la voit pas ». — Eh bien î au mi- lieu de sa course , plein de force et de vigueur , il nous a quittés pour aller au pays de nos ancê- tres. Pourquoi Matchée-Manitoo nous ôte-t-il si -tôt Tesprit d'animation que le bon génie nous avoit prêté ? Pourquoi la mesure de nos jours n'est-elle presque jamais remplie, et celle du bonheur est-elle presque toujours vide ? Que faire , Muskanéhong ? Baisser la tête , comme lorsqu'il neige ou qu'il grêle , s'adosser contre un arbre 5 jusqu'à ce que l'orage soit passé. Mais si j dans sa violence , il renverse aussi ce dernier asyle, il faut alors fermer les yeux et s'aban- donner à l'aveugle destinée ! Puisse le bon gé- nie , nettoyer les sentiers du reste de ta vie , te donner des jours sans nuages, et des nuits sans mauvais rêves )) !
(( Et toi , Kahawabash , approche ! fume dans mon oppoygan ! c'est celui d'un vieillard devenu aveugle pour avoir vécu trop long- temps , et qui , mille fois plus que toi , a froncé le sourcil contre la violence des tempêtes et les coups du sort. Tu as perdu ta femme Nézalanga î le récit de cette catastrophe a glacé mon sang , comme le nord-ouest de l'hiver , quand il souffle sur ma poitrine. Tu as bien fait d'abandonner un lieu sur lequel Agan-Matchée-Manitoo avoit déchaîné un si mauvais vent. Appelle le cou-
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tage ! S'il ne vient pas aujourd'hui , tu Tappel-^ leras demain ! Bientôt tu le verras paroître , car il aime la jeunesse : nos sachems s'occupent de toi 5 et voudroient te consoler »,
)) Et toi, Tiénaderîialî , de mon sang ! qui as perdu le premier fruit de tes entrailles, tu baisses la tête de douleur • ta face est couverte des nuages delà tristesse^ les larmes silencieuses du malheur tombent de tes yeux ; pleure , Tiénaderhah ^ pleure ! Si mes yeux éteints ne peuvent plus les Voir couler , mes oreilles peuvent encore en^ tendre tes gémissemens ^ et mon coeur en parta- ger l'amertume. Souvent, dis-tu, trompée pen- dant les songes de tes nuits , tu crois revoir et serrer dans tes bras l'enfant de ta jeunesse ! De même, lorsqu'aux jours de pleine lune , tu vas Verser sur le lieu de son repos , quelques gouttes du lait de ton sein ^ avec un mélange d'effroi et d'espérance , tu croâs reconnoitre les accens plaintifs de sa voix ! Malheureuse Tiénaderhah ! ce ne sont que ceux de la brise , qui passe à tra-- Vers les branches du voisinage. Voilà ce qu'est îa vie ; l'illusion d'un rêve, ce fantôme du bon- heur, que dissipe l'aube du jour • un rayon de lumière , sans cesse obscurci par les nuages ^ un feu qui s'allume on ne sait comment , qui s'ac- croît, brille , se couvre de cendres , ou s'éteint au gré de la brise qui l'anime, des vents qui le
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soufflent, ou des tempêtes qui le dispersent. Sou- viens-toi que tu es la femme d^un Onéida , chas- seur et guerrier. Que diroit Vénango , s'il te voyoit si contristée ? Ton soleil est encore haut , la saison de ta jeunesse n'est pas encore passée ^ et puis le yieux temps , qui sans cesse chemine et n'arrive jamais, te prendra par la main , te con- solera jusqu'à ce que, devenue mère, insensi- blement tu oublieras celle qui n'est plus , pour ne t'occuper que de celle qui , comme la pre- mière, redeviendra l'ombre et la joie de ta vie» — J'ai parlé».
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CHAPITRE IX.
Ayant été informé que le Conseil devoit être ajourné , jusqu'à ce qu'on eut reçu des assù-^ rances plus particulières , relativement aux né- gociations secrètes des Cayugas avec les agéns du Gouvernement de New- York , et prévoyant que je ne reverrois jamais les chefs Onéidas réunis , étant d'ailleurs membre adoptif de la tribu Maskinongé , je crus devoir parler. Mais ne possédant pas assez bien la langue pour m'ex- primer en public , je leur dis , par l'organe de l'interprète national :
(( Frères et amis , ockémaws _, sachems , yieil- lards et guerriers ', ce feu rappelle à mon esprit celui où je fus adopté dans le village d'Ossé- wingo 5 pour remplacer le cbef de la famille des Kayos : si depuis je n'ai pas contribué à échauf- fer sa wigwham pendant les neiges de l'hiver , j'ai subvenu , autant que je l'ai pu , à ses autres besoins. Je renouvelai les liens de mon affection , lorsque cette tribu députa un des siens pour m' apporter les trois belts de Wampun (i) , des- tinés à confirmer l'adoption de mes enfans ^ Mataxen , Téwénissa et Winésimet. Quant à mon attachement pour cette nation , je lui en ai
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donné des preuves aussi souvent que je Fai pu. Toutes les fois que notre vieux Aliab-Hoking , dernièrement parti pour le pays de vos ancêtres , et Tocksikanéhyou , que je vois assis auprès de ce feu , ont été envoyés à Corléar , pour y parler de vos affaires avec le grand sacliem des blancs , ils ont trouvé sous mon toit le feu et la cliau^ dière d^un frère , ainsi que le zèle et Fassistance d\in ami. Ta mémoire,Toeksikanéliy ou, fraîche comme les pas du voyageur sur les neiges de Fhiver , se le rappelle bien encore , ainsi que mes paroles au village de Tanghanock j lors de la mort du vieux Màshapongo)).
({ Quand mes yeux verront-ils donc luire la lumière du jour , tant désiré par les anciens , ou la jeunesse qui m'entend cessera enfin de mépri-» ser le travail des mains , et cultivera la terre ? Comme une bonne mère, elle vous appelle au- jourd'hui, jeunesse, et peut-être pour la der- nière fois, et vous dit : — (c Si vous fouillez dans )) mes entrailles , et sillonnez ma surface, comme » font vos voisins , comme eux je vous vêtirai , » vous nourrirai et augmenterai votre puis- » sance en multipliant votre nombre; alors vous » verrez que , sans cesser d'être braves , les hom-* )) mes peuvent labourer , semer, récolter et sa-^ » voir se défendre , quand on envahit leur pays y V. avec le même courage que s'ils n'étoient en^
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)) core que chasseurs et guerriers. Si , au con- y> traire , vous dédaignez plus long-temps la )) nourriture de mon sein fécond , vous dispa- 5) roîtrez comme les grues des Savannes , aux )) approches de l'hiver , et semblable au vague )) du passé , le souvenir de votre existence sera )) effacé de la mémoire des hommes. La race des )) blancs remplacera celle des Nishynorbays )). — Frères et amis, puissiez-vous ne jamais oublier ces paroles :
— « Je vous souhaite pêches et chasses heu- reuses 5 en attendant le moment où vous met- trez enfin la faucille dans vos premières mois- sons, — J'ai parlé )).
Kanajoharry, comme étant le plus âgé, se leva et dit :
(( Kayo , ton arrivée dans ce village nous a tous réjouis : les jeunes gens ont dit : — « Voilà un de nos amis )). — Nos anciens tout aussi-tôt se sont rappelé tes anciennes paroles au village de Tanghanock : eh bien ! ces paroles , et celles de tant d'autres personnes n'ont point encore pu persuader notre jeunesse, qui n'écoute que le mauvais génie ».
— (( Veux-tu te réjouir ? lui dit-il , et ou- blier les fatigues de tes grandes chasses ? bois de l'eau de feu des blancs ; veux-tu chanter fière- ment ta chanson de guerre ? bois de l'eau de feu
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des blancs ». — Dans son obstination , elle re- jette bien loin les conseils de l'expérience , qui , de son côté , lui crie )) :
— (c Ne vois-tu pas que ces eaux engendrent tes folies , te brûlent , te détruisent, comme elles ont détruit tant de nations ? Tu crains la ren- contre d\in catamont , la morsure d'un serpent ? Aveugle que tu es , tu ne redoutes pas ce poison , mille fois plus dangereux , puisqu'il tue les. hommes par centaines » !
« Que faire , Kay o , après tant d'efforts inu- tiles ? se plaindre et gémir 5 mais le vieux temps est là qui nous poursuit j l'entrée de ces eaux dans nos villages va enfin y être défendue , comme on ferme sa porte contre un mauvais vent» Ab ! que ne l'avons-nous fermée plutôt )) !
«Fume, Kayo , dans le grand oppoygan de paix et d'amitié que je te présente au nom de la nation , qui te présente aussi ce belt de wampun bleu et blanc , afin que tu n'oublies jamais tes amis d'Onondaga , ni ta famille d'Osséwingo )).
« Puisses-tu, dans tes voyages , trouver tous les soirs un abri pour ton canot , du bois pour allumer ton feu , et si le gibier est rare , du poisson pour te nourrir ! Qu'à ton retour chez toi, la santé, tes proches et tes amis te prennent aussi cordialement par la main , que nous le faisons aujourd'hui. — J'ai parlé )).
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L'orateur , se rappelant que , peu après notre arrivée , M. Herman a voit manifesté le désir d'être uni à la famille de Késkétomah , par les liens de l'adoption , le fit recevoir sous le nom de Towanéganda , et comme un dernier témoi- gnage de son amitié pour moi , il voulut aussi que sa fille , Bennsivassika, adoptât sous le même nom celle de la mienne. Enfin , après avoir fait l'un et l'autre les présens d'usage , nous sortîmes du Conseil.
Le lendemain , nous félicitions notre hôte sur son discours , et lui parlions de l'effet qu'il de- voit avoir produit , lorsqu'il nous arrêta pour nous dire : — a Pourvu que cela dure , car tu ne connois pas comme moi l'esprit de mes compa- triotes 5 ni les têtes dans lesquelles il est logé ; elles sont aussi légères que la brise , et aussi in- constantes que le vent du lac )).
Le soir , nous fûmes invités à danser avec les jeunes gens , ce qui ne fut pas très-amusant. Leur pénible et profonde aspiration, le frappe- ment du pied 5 le hideux et perçant w^ar-hoop dont ils accompagnent de temps en temps leurs pas 5 tout cela parut à M. Herman bizarre et dé- goûtant. Cependant il fut obligé de convenir que les danses de la découverte , de la retraite et de la victoire , étoient des pantomimes très-bien exécutées. On nous proposa aussi l'exercice du
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toméhawk. Nous ne voulûmes être que specta- teurs. Un des plus adroits fut Koohassen y celui qui , avec tant de force et de véhémence , avoit voulu fermer la bouche au vieux Keskétomah. Les traits fortement prononcés de son visage , sa taille élevée , le feu de ses yeux , le froncement de son sourcil , tout annonçoit un caractère in- domptable 5 et la trempe vigoureuse de son ame. Il nous parut si profondément pénétré de ce qu^il avoit dit au Conseil , qu^il jura par les os de ses ancêtres , que si les Onéidas devenoient jamais des gratteurs de terre , il les abandonneroit et iroit chez les Shawanèses du Scioto. Enfin , après avoir fumé Toppoygan de bon souvenir avec nos amis y et leur avoir exprimé toute notre recon- noissance , nous partîmes d'Onondaga pour le fort Stanv^ick.
Le Traducteur n'a point trouvé les deux chapitres suivans y qui contenoient sans doute les détails du Congrès que le Gouvernement de New-Yorh y tint.
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C H A P I T R E X.
Quelques jours avant la clôture du Congrès , mon compagnon et moi désirant retourner à Shippenbourg le plus promptement possible, nous consultâmes le gouverneur Clinton , sur la possibilité d^atteindre le lac Otsègé à travers les forets , au lieu de redescendre la Mohawk , et de reprendre notre ancienne route.
« Rien de plus aisé , nous répondit-il, sur-tout dans cette saison de Tannée, lorsque les bois sont remplis de peavine ( vesce sauvage ) , qui est une excellente nourriture pour les chevaux; mais ce canton, quoique déjà concédé à un grand nombre de familles , n^est point encore habité 5 il est donc nécessaire que vous vous procuriez deux indigènes, qui vous serviront tout-à-la-fois de guides et de pourvoyeurs. De- main, continua-t-il , je parlerai au vieux Na- bahojé, dont les deux fils sont d^excellens chas- seurs et de caractères extrêmement doux 5 je ne doute pas qu'il ne consente à les laisser aller avec vous, jusqu'aux premières habitations, qui , si je ne me trompe, sont à quarante milles^ de distance. Tout sera bien changé Tannée pro- chaine 5 cent trente familles , venant de l'ile
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Longue, des comtés d^Orauge, de Fislikill et de Riclimond , y sont attendues au printemps » .
((Mais, je vous en préviens, continua~t-il , d'ici aux premières habitations , vous ne pouvez plus compter pour votre subsistance que sur le bonheur et l'adresse de vos guides. La nuit , vous n'aurez d'autre as^de qu'un léger toit d^écorce qu'ils vous apprendront à élever , pendant qu'ils seront occupés à la chasse ou à la pêche , ni d'autre lit que des feuilles : vous sentez-vous, dit-il en s'adressant à mon com- pagnon , qu'il savoit être nouvellement arrivé d'Europe, assez de courage pour supporter la fatigue et les privations de ce voyage de trois à quatre jours , si différent de ceux que vous avez faits jusqu'à présent )) ?
« J^ai déjà fait un assez bon apprentissage, lui répondit M. Herman , en allant de Shippen^ bourg à Onondaga, à travers un pays si nou- vellement établi. Je sais comment on couche sur de la paille, quand les nouveaux colons, sont assez riches pour en avoir, et comment ou passe la nuit sur des feuilles au pied d'un arbre , quand on ne rencontre point d'habitations. Parmi tant de choses nouvelles qu'offre ce con- tinent à la curiosité , au risque de quelques in- convéniens, j'ai le plus grand désir de voir de quels moyens vos indigènes se servent pour se
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conduire dans des forêts inconnues, sans le se- cours de la boussole ni du soleil, et comment ils vivent de ce que l'adresse et le hasard leur procurent. Pourvu que nos chevaux trouvent facilement de quoi se suhstanter , je suis peu inquiet relativement à moi ; quelques livres de chocolat , ainsi que le jambon que Votre Excel- lence a bien voulu nous donner , tout cela suffira , et au-delà , pour atteindre les premières plan- tations. J'espère que les deux guides dont vous nous avez parlé, seront de la nation Onéida. Ayant résidé près de quinze jours dans leur village, ils s'intéresseront plus à nous qu'à des étrangers dont ils n'auroient jamais entendu j)arler)).
« Soyez tranquilles, lui répondit M. Clinton , je connois leur famille depuis plusieurs années. Ce n'est pas la première fois que je les ai em- ployés ; jamais mon frère, qui est arpenteur, ne YSi dans les bois sans les avoir avec lui ; d'ailleurs voilà la saison la plus favorable de l'année pour le gibier et le poisson. Le sol du pays que vous allez traverser, continua- t-il , est un des plus féconds que je connoisse, comme vous le verrez par la beauté et par la grandeur des arbres , la hauteur des herbes , la richesse des bas-fonds ; il est aussi un des mieux arrosés. Aussi-tôt que vous aurez franchi les ruisseaux et
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les creeks , dont la réunion forme FOriscàny ^ vous rencontrerez les nombreuses branches clti Shénando, qui tombe dans la Susquéliannali. La situation de ce canton , traversé par tant de petits canaux navigables et voisin delaMoliawk^ ajoute encore aux avantages inappréciables qui en assurent la prospérité. Les i oo familles dont je viens de vous parler , et qui , d'après le compte qu^on m'en a rendu, forment un to- tal de près de 800 individus, doivent ame- ner avec elles i3o paires de boeufs, autant de vaches et 260 chevaux j plusieurs charpentiers , tisserands et maréchaux , deux ministres de rEvangile,etcinq maîtres d'école, à chacun des- quels on donne cent acres de terre. Le plus âgé de ces chefs de famille n'a pas 27 ans. C'est un des plus beaux essaims que j'aie encore vu sortir de nos anciennes ruches. Si toute autre personne que moi vous disoit que , depuis trente ans , l'île Longue seule a fourni plus de 27,000 colons qui se sont établis dans l'intérieur de l'Etat, à peine voudriez-vous le croire;, sans parler du grand nombre d'autres jeunes gens qui ont été employés dans le grand cabo- tage , dans les pèches de Terre-Neuve et de la ba- leine, et dans la navigation de l'Europe. De toutes ' les parties du continent, je n'en connois pas où l'espèce humaine se multiplie avec une aus^i
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grande rapidité : aussi-tôt que les feuilles com- menceront à tomber, je vais faire ouvrir les principaux chemins , dont elles auront besoin pour s'asseoir chacune sur leurs districts, et faire élever quelques ponts )).
Dès le premier jour de notre départ, nos jeunes guides, Ock-Négah et Cohgna-Wassy, eurent le bonheur de rencontrer un sentier de chasseurs ( Hunting-Path ) , qu'ils suivirent avec une exactitude admirable. Quoique ces foibles indices ne fussent que des branches de buissons , anciennement rompues , elles nous conduisirent au bord de la branche occidentale de l'Oriscany, où nous trouvâmes les débriâ d'un ancien toit d'écorce , que M. Herman et moi relevâmes de notre mieux, pendant que nos guides étoient occupés à pêcher. Bientôt ils nous apportèrent onze belles truites saumonées, avec lesquelles nous fîmes un excellent souper. Malgré les incommodités du gîte, de la fumée et des marin goins, nous dormîmes profondé- ment.
Le second jour, nous campâmes de bonne heure sur une autre branche du même creek, afin d'avoir le temps d'élever le toit de la nuit, de couper du bois, d'allumer du feu, et de ramasser des feuilles , tandis que nos chasseurs poursuivoient des gélinotes dont nous avions
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entendu les roulemens (i); car, dans la crainte que nous ne nous égarassions , ils n'avoient pas voulu chasser pendant le voyage.
(c On voit bien , me disoit mon compagnon, que les forêts sont la véritable patrie de ces indigènes et leur séjour favori. Au village , ces jeunes guerriers étoient indolens , tacitur- nes ; ici, voyez comme ils sont gais, actifs j et même complaisans )) !
(( Ils sont flattés, lui dis-je, de notre con- fiance y d^ ailleurs ils remplissent les intentions de leur père et du gouverneur : chaque creek qu'ils rencontrent vers le soir, est pour eux comme une auberge , où ils trouvent presque toujours du gibier, du poisson, et le sommeil le plus tranquille. Tel est le genre de vie qu'ils préfèrent par-dessus tout à celui de la culture et du travail, et pour lequel ils paroissent avoir été créés ; combien d^Européens, épris du charme de ce régime, ne Font-ils pas adopté jusqu'à leur mort? Le nombre en est plus considérable qu'on ne pense ; c'est sur-tout dans les climats chauds de la Géorgie et des deux Florides , que les exemples de cette rétrogradation vers la vie primitive sont beaucoup plus fréquens. — Cela ne m'étonne point , puisque ce goût paroît être inné )).
Le matin du troisième jour ^ nos guides ayant
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eu beaucoup de peine à retrouver nos chevaux , il étoit tard lorsque nous partîmes de notre cam- pement sur une des branches du Shénando. A pein« avions'-nous fait trois milles , que nous rencontrâmes une compagnie de Senneccas et de Tuskaroras , qui alloient au grand marais des Buffles 5 dans la haute Pensylvanie. Nous campâmes le quatrième jour sur un gros creek, qu'on nous dit se jeter dans FUnadella. Le len- demain y nous cheminions lentement à travers lin marais très-boisé, lorsqu'un de nos guides^ qui marchoit en avant , s' arrêtant tout-à-coup ^ nous lit appercevoir les premières lueurs d'un éclairci f et bientôt après nous découvrîmes une habitation de troncs d'arbres ( Logg-House ) ^ V€rs laquelle nous nous acheminâmes avec em- pressement^ c'étoit celle d'un Danois. Ce colon avoit deux vaches, quelques poules, des gâ- teaux de maïs , du beurre , et même de l'eau-^ de - vie de pèches , avec laquelle et du sucre d'érable dont tout le pays abonde j nous fîmes dumilk-punch (punch au lait ), qui parut dé- licieux à ;nos jeunes conducteurs. Quoique moa compagnon eut supporté avec gaîté et couragB les inconvéniens et les fatigues de ce voyage, il se trouvoit cependant si heureux d'être sorti sain et sauf du sein de ces sombres forêts , et si reconnoissant des soins que nos deux chasseurs I. K
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avoient pris de nous , que ne sachant comment les récompenser , il offrit àFun ses pistolets , et à l'autre sa montre ; ils refusèrent ces présens avec le sourire de Fétonnement, et ne voulurent accepter que quelques piastres, pour se pro- curer de la poudre et du plomb.
Le lendemain , après nous être séparés de ces ^eux braves Onéidas 5 nous continuâmes notre voyage , en suivant un sentier assez bien frayé. Rarement faisions-nous un mille , sans rencon- trer un petit éclairci et une habitation nais- sante. La plupart de ces colons étoient de jeunes gens récemment arrivés du Connecticut et du nouvel Hampshire ; ils nous parurent remplis d'espérances , et heureux de s'être établis dans un des districts de l'Etat de New- York , le plus fertile et le plus avantageusement situé.
ce Ce que nous voyons ici , dit mon compa- gnon, est l'image de ce que nous avons vu dans les comtés de Northumberland , Luzerne, Tiogo , Montgomery , Otségo , etc. Pendant ce long voyage , nous n'avons pas fait dix milles , sans trouver des familles nouvellement arrivées, des arpenteurs occupés à subdiviser des terres , des hommes employés à ouvrir des routes, ou à élever des ponts ; quelle immensité de champs nouveaux l'industrie ne prépare-t-elle pas à la charrue » !
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« Cela est bien vrai, lui répondis-je , tout ici s'agrandit et s'améliore avec une rapidité dont on ne peut pas se former d'idée dans le pays d'où vous venez; voilà pourquoi, au bout d'un très-petit nombre d'années , les récits des voyageurs ne ressemblent plus aux choses dont ils ont parlé; ce qui étoit vrai l'année dernière ne l'est plus aujourd'hui )).
Au lieu de coucher dans les bois , comme nous l'avions fait depuis lefortStanwick, d'après les renseignemens qu^on nous donna , nous irîmes avec plaisir qu'en réglant bien notre marche , il nous seroit facile de rencontrer tous les soirs un abri et quelques provisions pour nous et pour nos chevaux. Vers la fin du troi- sième jour , depuis la plantation danoise, nous parvînmes a celle d'un colon opulent, située sur une des branches du Butter-Nut, qui tombe danslaTienaderhah, dont on nous dit que l'éta- blissement avoit déjà cinq ans. A peine ses chiens eurent-ils annoncé notre approche , qu'il sortit de la maison , et nous pria très-poliment de descendre.
(C Je ne laisse jamais passer les voyageurs , nous dit-il , sans exiger qu'ils se^rafraîchissent , si c'est le matin, et sans les engager à coucher, si c'est le soir. Ma maison, quoiqu'encore im- parfaite, est grande et commode; la vue de
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personnes , telles que vous me paroissez être ^ Messieurs, est une jouissance pour ceux qui , comme nous , sont si fatigués ^du silence et delà solitude de ces forêts ».
Nous suivîmes M. Wilson : à peine fùmes;- nous entrés , que , conformément à la coutume du pays , il nous présenta sa femme , ses en- fans , son frère et sa sœur. — A quel usage , lui demanda mon compagnon , destine- t-on cette grande charpente, élevée non loin d^ici à Tem-* branchement de deux sentiers ? — A construire une église, répondit-il. — Quoi! à bâtir une église 5 reprit M. Herman ! le pays que nous venons de parcourir me semble encore bien jeune , pour pouvoir subvenir à cette dé- pense 5 c'est sans doute le Gouverneur qui en fait les avances. — Non : il protège et il in- corpore par un acte législatif toutes celles que les habitans jugent à propos de construire 5 mais il ne donne que 200 acres de terre pour servir de glèbe. Cet édifice est l'ouvrage de 57 familles, établies sur une surface de plus de 5o milles d'étendue 5 mais comme l'emplacement et le bois ne coûtent rien, que nous avons déjà plu- sieurs moulins à scie , et que chaque souscrip- teur donne une semaine de son travail et de son harnois , et, d^ailleurs , est charpentier , cette €4;)nstruction sera beaucoup moins dispendieuse
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que vous ne le croiriez. Nous ne serons obligés d^acheter que les clous, les carreaux des fenê- tres et la peinture. Il nous faut ici trois choses, continua-t-il , sans lesquelles nous ne pouvons pas prospérer, je ne parle pas de la santé, mère de la force. Nous avons besoin d^un ma- réchal , pour réparer nos instrumens ( car , comme vous le savez, le fer est le sceptre de notre puissance ) ^ d'un maître d^ école , qui aille de famille en famille instruire nos enfans ; enfin d^un ministre de l'Evangile et d'une église, où, tous les dimanches, nous puissions, par la réunion de nos prières , solliciter et ob- tenir la protection du Ciel, sur nos jeunes et pénibles travaux. Tous les hommes ont besoin de cette protection divine 5 mais ceux-là sur- tout qui , ayant quitté les pays cultivés , où ils jouissoientde toutes les ressources de la société, ont eu le courage d'aller au loin en étendre les limites. Sans principes religieux, que se- rions-nous sur la terre ? les plus malheureux des êtres créés : la religion est une des bases de notre édifice social, un des points d'appui de notre système politique. Sans l'influence des opinions religieuses, qui garantiroit la foi des sermens , la morale des individus , et même celle de notre Gouvernement ? J'ai observé que dans les cantons dont les habitans sont iiidii^
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féreiis à tous les cultes , les procès et les que- relles j Pivressé et la paresse étoient très-com- muns. L'éducation des enfans , Tunion des fa- milles , la tranquillité et la prospérité d'un pays, dépendent en grande partie de cette dis- position religieuse , qui imprime à tous les es- prits le respect pour les loix , lareconnoissance envers le Gouyernement le plus paternel qu'il y ait sur la terre, et cette subordination d'affection d'où naissent l'ordre, la paix et l'industrie. D'ailleurs , éloignés les uns des autres, comment saurions-nous ce qui se passe dans le monde ^ dont nous n'avons pas oublié que nous faisons partie? Comment connoîtrions-nous l'état du commerce , le prix des denrées , les nouvelles de l'Europe ? Sans cette réunion dominicale , nous perdrions bientôt les idées douces et so- ciales, dans lesquelles nous avons été élevés». Se voir trop fréquemment , seroit trop nuisible à des hommes dont le temps doit être consacré au travail ; se voir quelquefois est un rappro- clieraent utile et même indispensable. —Où donc avez-vous puisé ces idées si justes , de- manda M. Herman? — Dans Texpérience et les observations que j'ai faites en parcourant les Etats de l'Union. — Vous n'avez pas voyagé inutilement )) . ..a Oserai-je vous demander , continua-t-iî ,
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d'où VOUS êtes originaire? — De l'Etat de Connecticut , lui répondit Wilson j j'ai passé mes premières années sur mer, et celles de mon âge mûr à Newhaven (2), où j'avois un comptoir. J'ai goûté de la bonne et de la mau- vaise fortune ; y ai fait naufrage sur les cotes de Cuba et à l'embouchure du Mississipi , j'ai ré- paré mes malheurs en faisant de nouveaux efforts , et j'ai constamment mêlé un peu de lec- ture à mes travaux journaliers ; car les bons livres , comme la bonne terre , sont la source de fruits utiles et agréables ; je ne veux cepen- dant pas dire que je sois savant )) .
c( Et pourquoi avez- vous abandonné la car- rière du commerce, et votre ville natale, pour former ici un établissement pénible, dont les progrès doivent vous paroître si lents et si ennuyeux? — Ce projet vient de la lecture d'un ouvrage du docteur Styles , qui , pendant 5o ans , a été président de notre collège (5), Cet ouvrage contient une suite d'observations judicieuses et profondes sur le progrès des lu- mières et de ce qu'on appelle philosophie , de- puis la découverte de l'Imprimerie , jusqu'à la fin de notre révolution, époque de la mort de l'auteur. Ces progrès, d'abord imperceptibles comme les premiers rayons du soleil obscurcis par les vapeurs d'une longue nuit, préparèrent
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cependant les hommes , selon le docteur Styles ^ à la conception d^opinions nouvelles. En tra- çant le développement de ces germes , les effetS' de cette cause, si foible en apparence, avec une- sagacité admirable, iî a cru appercevoir que, depuis le commencement du siècle, l'accélé- ration en étoit devenue si rapide, qu'avant qu'il soit terminé , les bases sur lesquelles les sociétés sont fondées subiront peut-être un grand chan- gement , ou du moins en seront ébranlées ».
«D'un autre côté, connôissant par l'étude de^ l'histoire , que le bien ne vient jamais parmi les hommes qu'à la suite de grands abus, comme Isl himière naît de la combustion , il a prévu aussi que ce paroxysme, s'il avoitlieu , occasionneroit une longue suite de malheurs et de désastres )) .
(( Frappé decesingulierpressentimeut , et dans- la crainte que ces germes , traversant l'Océan y n'empêchassent notre Gouvernement , jeune en- core, de se consolider, j'ai mis en sûreté une partie de mes capitaux, et suis venu ici , loin de la mer et des villes , commencer un établisse- ment utile, puisqu'il est fojidé sur le défriche- ment et la culture de 4,8oo acres , situés sur les hords d'une rivière navigable , dont mon frère et ma soeur ont chacun un tiers. Cet heureux avenir ne peut nous échapper que par la subver- sion de notre Gou ver nementj mais ce Gouverne-
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ment étant Fou vr âge de la raison , celui des pro- fondes méditations de la sagesse collective du Continent (*) , il me semble impossible que ceux qui l'ont formé, et ceux qui en éprouvent jour- nellement les avantages , consentent et contri- buent à le renverser , pour le remplacer par de nouveaux systèmes. Comme une lumière écla- tante, placée sur la cime d'un promontoire, l'expérience du passé n'est-elle pas destinée à éclairer le présent et l'avenir )) ?
(( Cependant la solitude et le séjour des bois , l'éloignement de mes anciennes sociétés, auroient été un sacrifice trop amer , auquel, peut-être, je n'aurois pu me soumettre, si mon frère et ma soeur n'eussent consenti à venir partager , adou- cir mes travaux. Nous allégeons la tâche pénible et les privations inévitables de ce nouvel état, par les secours que nous nous rendons, ainsi que par la gaîté , par la sérénité de nos esprits. Satis- faits du présent, nous menons une vie active, laborieuse , il est vrai ;mais douce et tranquille, que les inquiétudes du commerce et des affaires ne peuvent plus empoisonner. Dans un petit nombre d'années , ce toit grossier , deviendra unebabitation riante et commode, et ce canton , un pays riche et bien cultivé ».
(*) La Convention fédérale.
3 54 VOYAGE
. «J'élève mes enfans dans les connoissances agricoles , source de la santé , de l'indépendance et du bonheur , s'il peut y en avoir sur la terre. Chacun d'eux a un poulain, une génisse, et cul- tive quelques perches du jardin. L^ainé surveille ma pépinière, dont je commence déjà à tirer des poiriers , des pommiers et plusieurs autres espèces d'arbres à fruit 5 chose extraordinaire parmi les premiers colons, qui, rarement, s^oc- cupent de remplacer ceux qu'ils renversent et détruisent ! Mon frère espère une épouse , et ma soeur un mari. Un jour , et il n'est pas éloigné , ces trois familles , étroitement unies par les liens du sang et de l'affection , ainsi que parla confor- mité des goûts , deviendront nos voisins et nos amis )i.
({ Le Gouvernement m'a honoré d'une com- mission de paix ; car tout est organisé dans ces bois, comme si nous étions déjà très-nombreux ; c'est un des meilleurs moyens pour accélérer la population des nouveaux cantons. Celui - ci , d'ailleurs, jouit d'avantages assez grands ».
A peine M. Wilson avoit il fini de parler, que nous entendîmes dans l'appartement voisin un concert de plusieurs instrumens. — « Quoi ! lui dis-je , de la musique sous un toit encore si rus- tique ! et dans un pays qui n'a que si peu d'an- nées de culture 1 D'où ces talens sont-ils venus?
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. l55
•^— Nous les avons apportés de Newliaven, ré- pondit-il ; ils nous égayent et nous délassent de nos pénibles travaux; nous consacrons une par- tie de nos soirées à ce cliarniant exercice; vous ne sauriez croire combien il épanouit nos coeurs ^ y entretient Famitié et l'affection ; c'est une des bases de notre union. Il y a quelques années qu^un de nos vaisseaux revenant de Bremen , apporta plusieurs Allemands , parmi lesquels il y avoit un Saxon , bon musicien , et même com- positeur ; c'est lui qui nous a instruits : nos co- lons ne connoissent pas assez le besoin , l'uti- lité 5 les charmes de la musique )) .
(( Mais sortons ; j'ai le plus grand désir de vous faire voir ce que j'appelle mes conquêtes ; car vous savez qu'il entre toujours un peu de vanité dans ce que nous faisons )).
Nous le suivîmes. — a Tout ce que vous voyez , reprit-il , est l'ouvrage de cinq années de cou- rage 5 de travail , et de persévérance la plus opi- niâtre 3 car avant de faire rapporter des récoltes à ce sol , tout fertile qu'il est , que d'obstacles à surmonter ! que de difficultés à vaincre ! que de dégoûts à dévorer ! Oui , j'en suis sûr , si , le premier jour de son arrivée , le colon pouvoit en voir le tableau fidèle , il desireroit n'avoir jamais quitté ses anciens foyers. Mais l'espé- rance, qui l'a conduit en souriant sur cette terre
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étrangère, lui en cache soigneusement l'apreté, pour ne lui laisser entrevoir dans le lointain que tles champs fertiles 5 des prairies émaillées , des vergers fleuris , Taisance et l'indépen- dance».
c( Voyez- vous , sur la droite , ce grand her- bage, à travers lequel coule et serpente ce beau ruisseau ? eh bien ! il y a cinq ans , ce n'étoit qu'un marais fangeux impénétrable; les digues que les castors y avoient élevées avec tant d'art, et qui nous ont coûté tant de peines à arracher, faisoient refluer les eaux jusqu'au niveau des terres hautes : aujourd'hui , comme vous le re- marquez, mes bestiaux paissent du trèfle sur le même terrein où ce premier des animaux ne trou voit que du bouleau , du saule et de l'aune. Voici sur la gauche 65 acres de terres labou- rées 5 que le fer et le feu ont enfin soumis à la charrue , dont une partie est en froment , et l'autre en trèfle. Il ne reste plus que des souches j leur destru-ction est l'ouvrage du temps».
c( Pourquoi , lui demandai-je, aA^ez-vous laissé subsister plusieurs de ces arbres dans le milieu de vos champs ? Leurs ombres ne sont-elles pas préjudiciables au blé que vous y avez semé? — Je le sais ; mais , je l'avoue , leur grandeur , leur beauté , ont paralysé nos mains au moment d'y mettre la hache 3 je les admire trop pour oser
BANS T. A HAUTE PENSYLVANTE. iSj
les renverser. — 11 faut en convenir , lui dis-je, ces tiges gigantesques et superbes ont une ma- jesté imposante qui , involontairement, inspire le respect ; par la suite , elles contribueront beaucoup à l'embellissement du pays ».
Plus loin étoit un tulipier d^^une hauteur pro- digieuse , dont la forme pyramidale sembloit ftvoir été disposée par une volonté particulière, que le même motif lui avoit fait conserver. En traçant, à loo pas de la maison , le premier sen- tier , destiné à devenir un jour la grande route du canton , on avoit laissé subsister , pour en faire une avenue , tout ce que la nature y avoit planté de grand et de beau.
Après avoir parcouru presque toute Fétendue de la plantation , notre hôte nous conduisit à un vallon couvert d^ érables â sucre, qu^il venoit d'enclore. — (c J'en tire annuellement , nou^ dit-il , 470 liv. sans les fatiguer. Quel beau pré- sent la nature n^a-t-elle pas fait à ce continent ! Que cet arbre n'est-il connu et cultivé dans les quatre parties du monde ! Sur le coteau voisin, j'ai planté un triple verger : le premier, de pom- miers ; le second , de cerisiers 5 et le troisième , de pêchers. L'un nous donnera du cidre, l'autre du vin (4), que ma femme sait faire en perfec- tion 'y le dernier de l'eau-de-vie (5) )). De-là il nous conduisit à la chute de l'une de ses petites
1.58 VOYAGE
rivières.— « Voici un autre bienfait de la na-* ture 5 nous dit-il, et jamais sous ce rapport, ainsi que sous plusieurs autres , elle n^a été plus libérale dans aucun pays : j'espère, avant dix- huit mois , voir ce volume d'eau , qui , depuis des siècles, tombe inutilement, mettre en mouve- ment les roues des usines que je vais faire cons- truire. Nous avons ici tout ce qui est nécessaire, rindustrie, les connoissances , le fer , le bois, la pierre et la chaux. C'est de la Pensylvanie que viennent les plus habiles constructeurs du con- tinent; ils savent donner à ces superbes ma- chines un degré de perfection auquel on n'étoit point parvenu avant les découvertes du célèbre mécanicien Evans : les farines étant un des ob- jets les plus importans de nos exportations, le prix de la main-d'œuvre très -cher, il n'est point étonnant qu'on ait cherché à perfection- ner et simplifier l'art du moulage )), Le len- demain, munis des renseignemens dont nous avions besoin , nous quittâmes cette respectable et heureuse famille , dont le souvenir ne s'effa- cera j amais. de ma mémoire.
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CHAPITRE XI.
Quoique nous n'eussions que quatorze à quinze milles à faire avant de parvenir à la plantation que M. Wilson nous avoit indiquée, nous n^y arrivâmes cependant pas avant quatre heures du soir. Depuis notre départ d^Onondaga , nous n^avions pas encore trouvé un pays aussi forte- ment boisé, ni des marais d'un accès aussi diffi- cile ( 1 ) ; nos chevaux étoient fatigués , et M. Herman presque découragé, lorsque nous découvrîmes enfin une maison d'une apparence très-élégante. Le devant étoit orné d'un piazza (2) sur toute sa longueur , supporté, suivant l'usage, par des colonnes de cèdre blanc. Les croisées , munies de contrevents , étoient élégamment peintes; tout annonçoit un goût particulier, auquel nos yeux n'étoient plus accoutumés de- puis que nous avions quitté la Pensylvanie. -— (( Voici enfin , dit mon compagnon , un asyle qui nous promet de bons lits pour nous , et une bonne écurie pour nos chevaux. ... A qui cette belle maison appartient-elle? demanda-t-il à un homme qui passoit. — A un Jamaïquain, répon- dit-il , qui travaille on ne sait pour qui , car il n'a ni femme ni enfans. — Quoi ! me dit M. Her-
iBo VOYAGÉ
man , Tenir de la riche et superbe Jamaïque ^ pour s^établir au sein des sombres et tristes fo- rêts de New- York ! Préférer la culture des grains et des fourrages , sous un climat qui con- noît pendant trois mois de l'année les neiges et les frimats, àcelle du sucre et du coton sous celui d'un printemps éternel ! Cette idée me paroit bien singulière )).
Excités Tun et l'autre par le désir d'en ap- prendre les motifs presqu'autant que par le be- soin de nous reposer , nous nous arrêtâmes de- vant la porte pour lui demander l'hospitalité de la nuit. — (( Cela ne se demande pas , nous ré- pondit-il : comment voyageroit-on dans ces fo- rêts 5 si les portes des habitations n'étoient pas , ouvertes aux voyageurs ? En vous invitant d'en- trer, je ne rends que ce que j'ai souvent reçu)). Sa maison étoit spacieuse, propre et commo- dément distribuée. J'observai même quelques beaux meubles d'acajou ; mais je ne vis ni femmes ni enfans. Sur-le-champ il ordonna qu'on prit soin de nos chevaux , et il nous fit servir des rafraîchissemens, dont nous avions le plus grand besoin. Aussi-tôt que notre repas fut servi 5 il nous demanda, suivant l'usage, qui nous étions, d'où nous venions et où nous allions. Nous répondîmes à ses questions d'une xaanière dont il parut si satisfait, que nous nous
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crûmes autorisés à lui demander à notre tour , quelles étoient les raisons qui Favoient déter- miné à quitter la Jamaïque)).
« L^esclavage et le climat, nous répondit-il. Je suis né d^un père qui , malheureusement, fut enlevé au midi de sa vie par une de ces maladies épidémiques auxquelles notre île est si souvent exposée. Il avoit des nègres, et quoiqu^il en fût plutôt Fami que le maître, il regretta toujours d^étre obligé de commander à leur volonté et de se servir de leurs bras. Il m'en parloit souvent. Ces étincelles , qui éclairèrent mon adolescence, B^ont point été infructueuses j mais le Gouver- nement de File ne permettant Fémancipation qu^avec beaucoup de difficultés, je n'ai pas pu suivre les inclinations de mon coeur )).
(( D'où a pu venir, ai-je demandé cent fois , ce commerce impie et sacrilège? — De la force et du besoin , m'a-t- on répondu. — Mais pour- quoi Fhomme, né sous Féquateur , seroit-il con- damné à travailler toute sa vie pour celui qui auroit vu le jour sous le cinquantième degré de latitude ? Seroit-ce de cette latitude que vien- droient la force et la prééminence ? — Cela est vraisemblable; mais les Européens ne sont pas les premiers qui aient été chercher des esclaves en Afrique 5 depuis bien des siècles , les Maures , ainsi que plusieurs autres nations, ont fait ce
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commerce jresclavage des nègres date de la pîa§ haute antiquité. — Quel état de choses ! répon- dis-je. N^est-il pas possible qu'un jour le plus grand nombre soumette enfin le plus petit? Alors, les vengeurs de tant d'années d'oppression souil- leront la terre de nouveaux crimes , et leur vengeance n'effacera ni l'horreur ni la mémoire de ceux que leurs oppresseurs ont commis )).
<( Si les colons de ces îles eussent pensé comme moi, le sucre auroit bientôt renchéri en Eu- rope, ou plutôt il y seroit devenu plus coijri- jîiun , parce qu'au lieu d'exciter des guerres en Afrique, au lieu d'en corrompre les malheu- reux et coupables chefs , de concert avec les hommes sensibles de toute l'Europe, ils au- roient uni leurs efforts à ceux de cette compa- gnie à jamais célèbre et respectable, qui avoit conçu ce projet sublime, obtenu des fonds suffi- sans, et acquis des terres sur les côtes d'Afrique, pour y établir des colonies de nègres libres , dont l'industrie et l'exemple auroient encou- ragé les princes noirs à faire cultiver la canne par leurs sujets ».
(( L'humanité ne cessera de regretter qu'un motif aussi louable et aussi saint n'ait pas mis à l'abri des violences de la guerre les établissemens qu'elle avoit formés sur l'île deBulama et à Sierra- Leone(5). Des hommes, se disant armés au nom
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Se la liberté, ont détruit, ont anéanti tout ce que le désir le plus ardent , le zèle le plus pur pour cette même liberté , avoit conçu et réalisé. Quand l'homme veut faire le mal , tous les moyens de Faccomplir se présentent ; souvent il n'est embarrassé que du choix. Veut-il faire le bien? tout, jusqu'à la nature, s'oppose à ses projets : faut-il s'étonner qu'il soit si rare sur la terre, dont la surface paroit quelquefois avoir été eUipoisonnée par sa présence (*) » ?
(( Le climat dévorant de cette île a été le se- cond motif qui m'a déterminé à la quitter. Qu'est-ce que la vie sans la santé ? un fardeau , une source continuelle de regrets, sur-tout pour un homme de mon âge ; car je n'ai que trente- cinq ans : eh bien ! j'en ai passé douze à souffrir, à languir, à désirer la fin d'une existence aussi douloureuse. J'ai eu à lutter contre les ardeurs d'un soleil presque vertical , dont on ne peut se
(^) C'est là encore, sans doute, une assertion trop absolue. Le mal est ici-bas plus commun que le bien, d'accord : mais prétendre que la nature (et jusqu'à quelles idées blasphématrices nous conduiroit une sem- blable proposition! ) s'oppose et résiste au bien que veu- lent faire quelquefois les hommes, c'est exagérer, c'est outre-passer les bornes de l'indignation permise et na- turelle à la vertu. {Note communiquée à V éditeur par U cit. B« . . . )
2 ,
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former qu'une idée bien imparfaite sous un cli^ mat tel que celui-ci. Si , d^un côté , sa chaleur extrême produit une nature riante, animée et féconde àTexcès , de l'autre, elle ne laisse qu'un léger intervalle entre l'empire de la vie et celui de la destruction , dont les débris accumulés arrêtent souvent, étouffent sa puissance pro- ductrice. Le danger est à côté du travail ; le re-» pos et l'inactivité sont également pernicieux. La sobriété et la tempérance ne sont point , comme ici , les garans de la santé. Dans certaines sai- sons 5 des vapeurs pestilentielles s'élèvent de nos marais, corrompent l'atmosphère, empoison- nent l'air que nous respirons. La vie n'est que la fleur d'un jour , un songe fugitif; et comme si l'intempérie du climat n'étoit pas suffisante pour l'abréger , la violence des passions en ac- célère encore plus promptement la ruine et la destruction )).
a Je vins à New- York chercher la santé. Jô l'ai retrouvée ; mais dans la crainte de perdre une seconde fois ce don inestimable, j'obtins des lettres de naturalisation; et après avoir par- couru plusieurs cantons , j'acquis les 65o acres que je possède ici. J'y ai trouvé ce que je cher- chois ; un petit lac qui en a environ i5o de sur-^ face, dont les eaux s'écoulent dans Reine Char-- lotte (car j'aime passionnément la pêche )^ uu
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. l65
tertre élevé, d'où un jour ma vue s'étendra au loin, sur lequel je respire un air frais et pur. Ici , je jouis de tous les instans de ma vie, loin du tumulte et de Fagitation des villes , à l'abri du danger des banqueroutes , des incendies , et de ces ouragans destructeurs qui couvrent la terre de ruines, et remplissent les coeurs d'épou- vante et de deuil. Ailleurs, on voudroit se dé- barrasser du poids du temps; ici , je voudrois pouvoir en prolonger la durée)).
c( Disposer d'une terre nouvelle , devenue plus clière par le travail qu'elle exige , en abattre les arbres inutiles dont elle étoit encombrée, en planter d'agréables et d'utiles , arrêter et con- duire les eaux par -tout où elles peuvent être nécessaires, cultiver, ensemencer un sol neuf et fécond; ces opérations, si nouvelles pour moi, me procurent des jouissances dont, auparavant, je n'avois pas la plus légère idée. Sain, vigou- reux , actif, je suis occupé depuis le matin jus- qu'au soir. J'ai une ample collection de livres choisis , dont la lecture , dans mes momens de repos , m'amuse et m'instruit. Depuis six mois , le Directeur général de la poste en a établi une qui traverse ce canton, pour aller jusque dans celui d'Ontario. A dessein de lui marquer ma reconnoissance pour un bienfait aussi préma- turé (vu l'état de notre population),, je lui ai
j66 voyage
offert ma maison et mes soins. Plus je lis les gazettes et les détails de tout ce qui se prépare dans Fancien Monde, et plus je m'applaudis du parti que j^ai pris de m'établir dans celui-ci». « Je n^ai ni femme ni enfans. Quelquefois ce- pendant je regrette d^étre seul, et de ne tra- vailler que pour moi-même : mais donner la vie à des êtres condamnés à éprouver tous les maux qui jadis sortirent de la boîte de Pandore, né- cessairement exposés à tous les fléaux qui sans cesse désolent les habitans de la terre, cette vaste arène de rapines, de meurtres et de malheurs^ c'est comme si, pendant l'orage et la tempête^ on envoyoit à la mer , dans un frêle esquif, ses amis les plus cbers. La lecture réfléchie de l'his- toire, dont toutes les pages sont teintes de sang, pu souillées de crimes et de forfaits, a fait depuis ^ 3ong~temps sur mon esprit une impression pro- fonde:.non, ce n'est pas celle de l'homme, tei que je m'en étois formé une idée dans ma jeu- nesse, mais celle des tigres. On ne conçoit pas quelles ont dû être les intentions de la puissance créatrice , lorsqu'après nous avoir appelés du néant, elle plaça dans nos coeurs le foyer de passions qui dévoient nécessairement nous être aussi funestes, et nous condamna à subir, pen- dant la courte durée de notre vie, tous les genres de soufîrancesy de peines et d'angoisses dont
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nous puissions être susceptibles. Non, jamais je n'aurai à me reprocher d^avoir introduit de nou- velles victimes sur ce théâtre de larmes et de misères , où le crime et Fimprohité triomphent* Non, jamais je ne m^exposerai à éprouver les cuisantes et déchirantes douleurs que doit res- sentir un bon père en voyant languir, souffrir et mourir dans ses bras Tenfant de sa tendresse , sans pouvoir le soulager. Les jouissances de ce sentiment exquis et sublime , sont achetées par trop de risques et de dangers : j^aime mieux faire le voyage de la vie seul, qu'accompagné d'êtres chéris auxquels j'aurois peut-être le malheur de survivre)).
(( Pour me consoler de ces tristes réflexions , j'étudie Buffon, ce premier peintre de la nature. J'ai fait des expériences intéressantes sur la transpiration des feuilles , sur la végétation des arbres. J'ai cependant un ami ^ car il faut aimer, sinon la vie , du moins ceux qui , parmi les hom- mes, sont bons et aimans. Par goût, cet ami est tourneur et ébéniste j il a fait les beaux meubles que vous voyez , avec le bois qu'on m'a envoyé de la Jamaïque. Je ne suis solitaire qu'autant qu'il est bon et utile de l'être 5 je ne me plains que de la trop grande rapidité du temps. La connoissance que j'ai faite de la famille Wil- son, remplit, embellit mes momens de loisir,.
^168 VOYAGE
c'est-à-dire les jours de fêtes et les dim anches i>\; Le lendemain, nous quittâmes ce jeune mi- santhrope, qui, quoique paroissant jouir de tout ce que la vie a de plus attrayant , santé , acti- vité, aisance, avoit cependant conçu de là na- ture humaine des idées bien lugubres et bien, affligeantes. Peut-être n'avoit-il considéré que le revers du tableau !
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 169
CHAPITRE XII.
Malgré la plus scrupuleuse attention à suivre les informations que M. Seagrove nous avoit données , tel étoit cependant Fétat et la multi- plicité des sentiers , que nous nous égarâmes pendant 2 8 milles, avant d'arriver chez M. J. U.,. dont la bonne hospitalité nous fit bientôt ou- blier nos peines j nos fatigues et nos privations. Nous ayant rappelé , dès le lendemain , notre ancienne promesse, de lui raconter ce que nous avions vu à Onondaga et au fort Stanwick, moi , comme le plus âgé, je cherchois à mettre un peu d'ordre dans mon récit , lorsque M. H. . . . offrit de lui lire le journal de notre voyage.
(c Ah ! dit M. U , que cette lecture parut
intéresser , si les Européens qui voyagent ici , prenoient la peine de voir les choses aussi soi- gneusement que vous , Messieurs , on rendroit plus de justice à nos efforts et à notre indus- trie , tout imparfaite qu'elle est encore. Ils ne considèrent, ni la rareté des hommes, ni la cherté de la main-d'oeuvre , ni l'époque des éta- blissemens , ni cette multitude d'obstacles que présente la nature agreste , ni la difficulté des communications pendant plusieurs années , ni
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enfin la disposition particulière des premiers co- lons. Combien ne doit-il pas nécessairement s'écouler de temps avant que les maisons, les granges , les champs et les prairies aient pu ac- quérir ce degré de perfection , et nos paysages , cette élégance , cette suavité à laquelle les yeux d'un Européen sont accoutumés ! Si, cependant, TOUS voyagiez dans les belles parties du Connec- ticut et de Massacliussets , dans le pays des Mo-* hawks, dans les cantons de Reading, de Lan- caster, d'Ulster , de Fishkill , de Ducbess , Co- lombia, et tant d'autres, vous verriez que déjà on connoît le luxe des habitations , l'art de Far- rosement , celui de planter des arbres utiles et agréables , que , déjà , on commence à avoir quelques indices de marne et d'autres engrais».
(( Quoi qu'en disent les voyageurs superfi- ciels, continua - 1 - il , je suis convaincu qu'il n'y a jamais eu de colonies , dans les temps modernes, situées sous le même climat, où le mécanisme et les arts utiles ayent plus con- tribué à éclairer et à accélérer les travaux des hommes , et dont l'accroissement et la popula- tion aient été aussi rapides. En vain voudroit-on soumettre ces progrès au calcul. Ce qui étoit vrai , il y a un an , ne l'est plus aujourd'hui y d'un autre coté , jamais Gouvernement n'a été aussi favorable au développement de toutes les
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facultés actives , ni à faire naître , à exciter cette énergie qui conduit également aux spé- culations du commerce et à celles des manu- factures et des défricliemens. La surface des Etats-Unis n'offre aux yeux qu'un vaste système d'activité et d'entreprises )) .
ce Plus de 3 20 mille colons , continua-t-il , habitent aujourd'hui le pays connu sous le nom de Vermont (1). Eh bien ! qu'étoit~il ce pays , il y a vingt ans ? On y voyoit dix à douze bour- gades 5 l'ouvrage du hasard , éparses sur un vaste territoire , dont une partie étoit récla- mée par l'Etat du nouvel Hampshire, et l'au- tre par celui - ci ( New-York ) : on ne parloit jamais de ces jeunes colons que sous le nom dé- risoire de Green-Mountain-Boys (garçons des montagnes vertes). Tout-à-coup, irrités par l'injustice du Gouvernement colonial, et me- nacés d'un genre de tyrannie inconnu dans ce pays (2) , aussi-tôt que le Congrès en eut pro- clamé l'indépendance , ils eurent l'esprit et le courage de s'unir, et la sagesse d'établir une constitution populaire, mais sage, et le bon- heur d'entrer dans la confédération 5 on y voit aujourd'hui des établissemens florissans, liés par de bons chemins , ayant chacun leurs églises et leurs écoles. On vient de fonder à Burlington une université 5 dotée de 10,000 acres détende»
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La milice est composée de 22 régimens, dont l'esprit martial est connu depuis long -temps. Tout cela a été Fouvrage de 24 ans )) !
(( Si jamais vous allez au Canada par le lac Champlain (5) , continu a-t-il , comme moi vous admirerez ses rivages pittoresques , alternative- ment sauvages , cultivés ou boisés ; ce mélange de coteaux plus ou moins élevés, couverts de moissons , de verdure , de vergers et de prairies , parsemés de plantations, dont quelques-unes sont élégantes et bien peintes. Si le vent le per- met, arrêtez-vous à Plattsbourg. Cette ville, devenue la capitale du comté de Clinton, les campagnes qui Favoisinent , et les herbages qu'arrose la rivière Sarranac , sont des prodiges d'amélioration. Eh bien ! le colonel Platt, fon- dateur de ce bel établissement , n^y arriva qu'au mois de mai 1782. L^année précédente , on y ch assoit encore le cerf et le castor. La pêche du saumon est déjà devenue une branche d'indus- trie très-lucrative pour les habitans des îles fer- tiles de ce beau lac ».
c( Et la ville de Hudson , que j'aijv^u fonder en 1785 sur les bords de ce fleuve ! on y compte aujourd'hui 5,ooo habitans, on y voit plusieurs manufactures considérables de toile à voiles et de cordages, et 34 bâtimens tant baléniers que caboteurs , et vaisseaux de commerce ); !
CANS LA HAUTE PENSYLTANIE. lyS
<( Qu'étoient la culture et la population de cet Etat avant la révolution ? A peine connoissoit- on retendue et les limites de son immense terri- toire j à peine y comptoit-on 24o,ooo habitans : il y en a aujourd'hui plus de 4oo,ooo. La capi- tale a augmenté de 1 0,000 dans Fespace de quatre ans. Tout est en mouvement dans les nouveaux comtés de Tyogo , de Bath , d'Ontario , de Mont- gommery, d'Otségo, d'Onondaga, &c. Les co- lons y arrivent des Etats septentrionaux , ainsi que de l'Europe. Pour les encourager, le Gou- vernement a fait ouvrir à grands frais des routes sur plusieurs points, et a excité par des dons et par des avances les associations qui ont entrepris la confection des canaux et des ponts les plus utiles. Il a donné 7,5oo piastres à celle qui s'étoit chargée de construire celui du Cohos (4) sur la rivière Mohawk, et peut-être autant pour accé- lérer l'achèvement du canal de Littlefalls. Il n'a pas été moins généreux envers celles qui ont entrepris ceux de Wood - Creek et d'Onon- daga)).
(( Voyez la Pensylvanie , continua-t-il , dont la population est déjà parvenue jusqu'aux rives méridionales de l'Erié , où elle vient de fonder une ville maritime (5). Avec quelle sagesse, quelle persévérance ce Gouvernement ne s'oc- cupe-t-il pas aussi de la confection des chemins
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et des canaux destinés à lier les dilFerentes par- ties de cette grande République, pour en favo- l'iser l'agriculture )) ?
(( Le même esprit s'est manifesté depuis long- temps dans la Virginie. Avant quatre ans , le Potawmack (6) sera navigable jusqu'au dernier éperon des Alléghénys. Le Shénando le devien- dra peut-être aussi jusqu'au pied des montagnes Bleues. Bientôt les eaux de la Caroline septen- trionale communiqueront avec celles de la Che- sapeak (7). Le canal de Richemond est déjà ter- miné ( 8 ). Le désert qui sépare cet Etat du Kentukey , se rétrécit tous les jours par de nou- veaux établissemens ».
<( Et ce nouvel Etat, pays si attrayant par son climat, par la fertilité de son sol et l'urbanité de ses habitans ! Déjà on y en compte 160,0005 déjà on y voit des villes décemment bâties, une université richement dotée ( Salem ) , des ma-^ chines à carder et à filer le coton , beaucoup de personnes instruites , plusieurs imprimeries : eli bien ! tout cela n'est l'ouvrage que d'un petit nombre d'années ; le premier sillon n'en fut tracé qu'en 1774 par le colonel Boon ».
ce Et la colonie du juge Symmes , sur les bords du grand Miamy, connue sous le nom de Co- lombia ! Celle du Wabash et des Illinois; et les différentes concessions militaires, accordées par
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le Congrès et par les Etats aux différentes divi- sions de l'armée continentale ! Comme ces ger- mes se développent » !
« N'oublions pas le Ténézee , pays dont la situation géographique est encore si peu con- nue ; qui , des montagnes de la Caroline du Nord ( Ironhills ) , s'étend jusqu'au Mississipi dans un espace de 4oo milles, arrosé dans toute sa longueur par le beau fleuve dont il a em- prunté le nom , ainsi que par plusieurs autres rivières ! Cette région est destinée à devenir un jour le Quito de notre hémisphère, pour la beauté et pour la douce température de son climat. Et enfin le nouvel Etat de Washington , sur le Muskinghum, fondé en 1788 par trois généraux de la ligne de Massachussets (9). Malgré la guerre des indigènes , qui a duré trois ans, on y compte déjà 18,000 habitans, et plu- sieurs manufactures extrêmement intéressantes. Pardonnez, Messieurs, la longueur de ces ré- flexions, que la lecture de votre journal a fait naître. Je voulois confirmer quelques-unes de vos conjectures , par le récit de faits d'une no- toriété publique, que, comme étrangers, vous ne connoissiez peut-être pas ».
(( Rempli du désir de faire quelque chose , continua- t-il , qui pût vous être agréable, je me suis amusé 3 pendant votre absence , à rédi-
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ger l'esquisse de ce que vous voulez bien appeler l'histoire de mon émigration. J'allois vous la lire 5 mais observant qu'il est tard , je remets , si vous le permettez j la partie à demain w.
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CHAPITRE XII L
« J ^ É T o I s premier lieutenant dé la Galaihée en 1783 , lorsque l'amirauté envoya cette frégate à New- York , où je ne tardai pas à éprouver Fhos* pitalité^ pour laquelle les habitans de cette ville étoient si renommés dans le temps colonial. J^en fus d^autant plus touché, que les impressions occasionnées par les malheurs de la guerre ne pouvoient pas encore être effacées. Bientôt j'ob- servai, dans toutes les maisons où j'allois, que les principaux objets de la conversation étoient relatifs à l'achat et à la vente de terres , dont les quantités me parurent exagérées. Il étoit ton-* jours question de concessions de 10 , de 20, et souvent même de 5ojOoo acres ^ ainsi que d'éta- blissemens , d'emplacemens de villes , de ponts , de moulins j de communications nouvelles. Ju- gez combien tous ces objets, si nouveaux pour un Européen, durent frapper mon imagination et exciter ma curiosité ! De retour à bord, mé- ditant sur ce que j'avois entendu, j'en parlois souvent au capitaine, qui un jour me dit : — «Nous sommes ici dans un monde nouvellement découvert : il n'y a pas encore i65 ans que les Hollandais débarquèrent sur cette péninsule ^ y
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fondèrent cette ville, et formèrent des étaWisse- mens dans les contrées voisines. La plus grande partie du sol de cet hémisphère est encore cou- verte de forets j et n'attend que les progrès de la population , de l'industrie et du temps pour rapporter des moissons , et produire toutes les richesses de Fabondance : l'achat, la vente, le défrichement des terres doivent donc être ici un objet principal de spéculation, et le sujet des conversations journalières. Il n'est pas étonnant que les habitans s'occupent et s'entretiennent de ces créations nouvelles : mais la valeur des terres étant proportionnée à la population, et celle de ce pays étant encore très-foible, lo, f2o, 5oooo acres même, n'en valent peut-être pas loo de celles qui sont situées dans le voisi- nage de Londres ou d'Edimbourg. — Cela est vrai, lui répondis-je; mais puisque cette valeur augmente tous les ans avec le nombre des colons, ne doit-il pas être très-avantageux d'en acquérir une certaine quantité ? Il me semble que ce se- roit placer son argent à un gros intérêt. — Sans doute ; mais alors il faut cesser d'être Européen , obtenir des lettres de naturalisation , et renon- cer à sa patrie. — Dans quelques-uns des Etats de l'Union, il est nécessaire d'être naturalisé , j'en conviens; mais ici, dans la Pensylvanie et la Virginie , un Russe , un Napolitain, un Turc,
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peuvent devenir propriétaires , pourvu qu'à Tex- piration de trois années, l'acquéreur fasse cons- truire une maison j planter un verger et creuser un puits sur chaque millier d'acres )),
« Le lendemain 5 en allant voir un ami qui de- Voit m'informer du prix des terres, de leur rap-^ port, des formes nécessaires pour les obtenir, des dépenses de défrichement , de celles qu'exige ia construction des maisons et des granges , je rencontrai plusieurs anciens officiers du 4^® régiment, qui, à l'époque de la paix de 1765, étoient venus s'établir ici. Ce qu'ils me dirent ^ut comme un rayon de lumière , qui tout-à-coup éclaira mon esprit. J'achetai des cartes , et bien- tôt la géographie du continent , et celle de cet Etat m'étant devenues familières, je formai la résolution de suivre leur exemple, et de devenir propriétaire. Ce projet se fortifioit de jour en jour dans mon esprit, en comparant nos mon- tagnes stériles, notre âpre climat , notre sol maigre et usé, avec la fraîcheur, la fertilité, l'étendue, les rivières majestueuses, et les lacs immenses de ce continent. Mon père, me disois- je , ne peut me laisser qu'une fortune médiocre; ^ans appui, je ne sortirai jamais de la classe des lieutenans, et bientôt je n'aurai que ma demi- paie 'y jeune et vigoureux comme je suis, pour- quoi n'emploierois-je pas mes forces , mon acti-^
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vite, mon énergie à l'entreprise d'un établisse^ ment aussi utile? Puis-je en faire un meilleur emploi )) ?
« Un jour, l'esprit rempli de toutes ees idées, je les communiquai à M. William Selon , homme d'une grande expérience , et dont je m'étois fait un ami. — « Ne pourriez- vous point, me dit-il, obtenir de votre capitaine un congé de six se- maines ? Alors vous iriez parcourir le canton que je vous indiquerois; vous jugeriez de la situation du sol , de sa qualité , de celle des ar- bres 5 et d'après ce qu'ont fait les colons chez qui vous logeriez, vous sentiriez bientôt si vous êtes capable d'en faire autant : d'ailleurs cette excur- sion dans nos grandes forets, et la vue de tant d'objets nouveaux, ne peuvent être qu'infini- ment intéressantes». — J'obtins facilement ce congé, et peu de jours après je m'embarquai pour Albanj'-, où j'arrivai en 54 heures (i). Que cette navigation de 276 milles me parut douce et commode ! Quel fleuve majestueux ! Com- bien j'admirai sur -tout son passage à tra- vers la chaîne des High-Landsl La fraîcheur, la verdure de ces montagnes excitèrent mon étonnement et mon admiration, lorsque je me rappelai la stérilité , la nudité de celles qui sur- chargent le nord de l'Ecosse : quel contraste, en ^Jçt! celles-ci sont l'image de la jeunesse ^
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et les autres celle de la vieillesse de la nature » . ((D'Albanyje parvins aisément à Cherry -Val- ley, à travers un pays bien cultivé, quoiqu'une partie eût été dévastée pendant la guerre. Là je pris un guide, bon chasseur, et après quatre journées de chemin au milieu d'établissemens très-nouveaux , nous entrâmes enfin dans les grandes forets , où nous nous conduisîmes avec le secours de la boussole. D'abord nous parcou- rûmes les bords du lac de Caniadéragué ; mais ayant appris que les meilleures terres avoient été concédées depuis deux ans, nous traver- sâmes la péninsule de six milles qui le sépare de celui d'Otzégué, et nous parvînmes aisément à celui-ci , dont les rivages me parurent d^une pente douce et agréable : à l'aide d^un canot qu'on me prêta , nous remontâmes plusieurs des petites rivières qui y versent leurs eaux, et dont j'examinai attentivement les bords. A cinq milles de l'embouchure du Sénèca, crique de nant de l'ouest, je découvris un emplacement qui me plut beaucoup , et à une petite distance dans les bois, une grande et belle chute de i4 pieds d'élévation perpendiculaire ,^^ formée par la réunion de deux gros ruisseaux , dont les eaux , après s'être précipitées , formoient un canal navigable jusqu'au lac. Cette vue me fit naître l'idée d'un moulia à scie, dont je con-
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îioissois déjà tous les avantages. Les arbres des- forêts étoient un mélange de chênes , de pins , dehycoris, de châtaigniers très-élevés, indices d^un sol profonfl : enfin , après avoir passé sept jours dans les bois , pour la première fois de ma Yie 5 muni d^ observations que j 'a vois soin de rédiger tous les soirs, je revins à New-York, où, par r.entremise du même ami, j'achetai i,85o acres , à raison de quatre shellings sterling Tacre, dont la moitié étoit payable au terme d'un an, et l'autre à la fin de la troisième année)). (( A peine cette grande et intéressante opération fut-elle terminée, que je me considérai comme membre d'une nouvelle société, puisque mon nom venoit d'être enrôlé parmi ceux des habi- tans de cet Etat, comme un homme qui, ne possédant rien dans l'ancien Monde, tenoit, par cette acquisition , au nouveau 5 enfin , comme n'étant plus Européen. Quel singulier et puis- sant effet la propriété territoriale opère sur l'es- prit et sur le coeur de l'homme ! Ce sentiment si doux et si flatteur donne une nouvelle direction au caractère et à la conduite : c'est ce qui me fut confirmé, non- seulement par mes propres ré- flexions et par mes sensations, mais aussi par les observations de mes camarades, pendant notre retour en Angleterre. L^idée de résigner ma commission , de renoncer à mes anciennes habi-
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tudes , celle sur-tout d'avoir un jour des champs bien cultivés , des herbages couverts de bes- tiaux, l'espoir de créer, pendant ma jeunesse, une plantation qui devoit m'enrichir sans dé- pouiller personne , où je pourrois mener une vie douce et tranquille , et passer ma vieillesse dans Tindépendance et le repos ; toutes ces idées m'oc- cupoient tellement, qu'il n'est pas étonnant que mes camarades, auxquels je n'avois rien dit de mes projets , fussent frappés du changement qu^ils observèrent dans mon maintien et dans ma conversation » .
c( De retour en Ecosse , j'obtins quelques se- cours de mon père, et d'un oncle qui s'étoit enrichi au Bengale : le premier eut même la générosité d'y ajouter un legs assez considé- rable, dont il auroit pu jouir jusqu'à sa mort , suivant les loix du royaume. J'engageai pour quatre ans trois familles Erses (2) ( gens forts et robustes), à chacune desquelles je promis, à l'expiration de ce temps, 200 acres de terre. Enfin toutes mes affaires étant arrangées, j'ar- rivai heureusement à New- York sept mois après avoir quitté cette ville » .
«Il faut en convenir, les deux premières années ont été dispendieuses et pénibles; jamais, cepen- dant, il ne m'est arrivé de regretter le parti que j'avois pris, lors même qu'environné d'arbres
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renversés , de cimes et de branches éparses , de' buissons amoncelés et brûlans, au milieu du feu et de la fumée, je comparois ces travaux si nou- veaux pour moi, à mes fonctions militaires, à mes anciennes occupations».
(( Semblable au fanal du vaisseau amiral dans une nuit noire, Tespérance me guidoit , me consoloit, et m'environnoit de ses bienfaisantes illusions : c'est alors qu'on en a véritablement un besoin constant. Plus je rencontrois d'obsta- cles, et plus je me roidissois, plus j'appelois à mon secours la persévérance et le courage, divi- nités tutélaires qu^il faut souvent implorer, mais qui , au lieu d^autels pompeux et de la fumée odorante de l'encens d^ Arabie, n'exigent des colons que celle des arbres et des objets nuisi- bles dont le sol est encombré. L'exemple, les conseils , et couvent même les secours fraternels de quelques voisins ( si on peut appeler de ce nom des personnes qui vivent à lo ou 20 milles de distance ) , m'ont été, je l'avoue avec recon- noissance , de la plus grande utilité : ils m'ont encouragé dans mes opérations difficiles, en me montrant ce qu'ils avoient fait eux-mêmes» Sans cette bienveillance et cette heureuse dispo- sition à s'entr'aider, que feroient les premiers colons? Comme les obstacles disparoissent de- yant eux, lorsque, pénétrés du sentiment de;
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leur foiblesse, ils invoquent et appellent parmi eux Funion et la concorde ! Toujours propices à ceux qui les implorent, ces filles du ciel ne manquent jamais de les combler de toutes les bénédictions dont ils ont besoin pour supporter les dégoûts et les fatigues de cet état » .
«Poseme vanter d'avoir le moulin le plus puis- sant qu'il y ait dans ces cantons , parce que je puis commander assez d'eau pour lui faire por- ter sept à huit scies à la fois , et débiter ainsi, d'un seul trait, l'arbre du plus grand diamètre : je n'ai pas oublié, en le construisant, d'établir un égrilloir ; il me procure annuellement une grande quantité d'anguilles d'une espèce parti- culière à ce pays, qui, au commencement de l'automne, quittent les vases de nos marais pour aller à la mer (5) : c'est une manne régulière et constante, semblable à celle des pigeons ramiers que nous voyons deux fois l'an visiter, ou plutôt ' couvrir nos campagnes, dans leur passage de l'intérieur , pour aller sur les rivages de la mer se repaître de sel. Ce n'est pas le seul présent que nous offre l'indulgente nature; elle nous fait partager avec les habitans des pays mari- times plusieurs espèces de poissons, qui, tous les printemps, entrent de l'Océan dans nos rivières. Croiriez-vous que l'alose, le saumon , le bareng, i'esturgeon, la basse, viennent régulièrement
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déposer leur frai dans nos deux lacs ? Nos cri- ques et nos ruisseaux sont remplis de truites saumonnées^qui ont depuis lo jusqu'à 18 pouces de longueur ; le plaisir de les prendre , à l'aide des mouches artificielles que je sais faire, est pour moi un délassement et une récréation dont j'ai souvent besoin ».
<( J'ai déjà près de 1 00 acres de terres laboura- bles enclos , dont une partie est couverte de fro- ment, et l'autre de trèfle, qui font l'admiration du pays : 72 de marais sont desséchés, défri- chés ; une partie est sous la faulx , l'autre me sert de pâturage : j'ai autant de bestiaux, de moutons et de chevaux que je puis en faire hiverner».
«Les terres basses qui bordent ma petite rivière sont d'une fécondité merveilleuse; j'en ai con- sacré une partie à la culture du maïs, et l'autre à celle du chanvre , pour chaque quintal duquel le Gouvernement nous donne une piastre de gratification. Nulle part ailleurs que sur ces terres d'alluvion, on ne voit un pareil luxe de végétation ; aussi ces rivages sont-ils devenus mes délices. Leur sol est si meuble que la cul- ture en est peu dispendieuse 3 nous n'avons à lutter que contre la quantité et la force végéta- tive des mauvaises herbes, dont les crues du printemps apportent les graines. Si je ne plan- tois pas mon maïs de cinq à six pieds de distance.
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les tiges ne rapporter oient rien , tant les feuilles et les branches occupent d^espace. Imaginez une foret de jeunes palmiers , ou une plantation de cannes de dix pieds de hauteur : on peut à peine passer à travers à Fépoque de la formation des épis )) .
(( Grâces à mes beaux chênes, à mes superbes pins , et à mon moulin, ma maison est spacieuse et commode. Mon jeune verger commence à rapporter. Ah ! qu^il me tarde de le voir chargé de pommes! Quant à celui de pêchers, il me fournit du fruit en abondance , car rien ne prend un plus prompt accroissement que ces arbres (4). Une partie me donne Feau-de-vie dont j^ai be- soin ; Fautre sert à engraisser mes cochons )).
(( Je me suis fait un petit système , que j^ai été long-temps à mûrir , à dessein de régler invaria- blement ma conduite : j^en ai extrait les prin- cipes, que j^ai suspendus à la tête de mon lit^ pour les avoir fréquemment sous les yeux ; car il est sage de se défier un peu de soi-même. Mes trois familles Erses établies dans mon voisinage, travaillent pour moi quand j'en ai besoin : j'ai le bonheur de penser qu'elles me doivent celui dont elles jouissent. Ces bonnes gens qui, élevés au sein de leurs montagnes, n'avoient jamais connu que l'avoine , et n'étoient pas , comme moi , gâtés par l'oisiveté et le luxe , sentent bien
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plus vivement Favantage de leur émigration ))• (( Au lieu d'envoyer mes productions à Phila- delphie par la Susquéhannah, je les vends aux colons qui déjà commencent à s'établir dans les cantons de Tyogo , de Bath et d'Ontario. Cet avantage est réciproque ; car sans la facilité d'acheter ici les provisions dont ils ont besoin , comment les feroient - ils venir de Skoharry , d'Albany , ou des plaines allemandes ? Voilà comment un canton habité depuis six ans, con- tribue aux progrès des défrichemens et à la po- pulation des pays plus éloignés; voilà comment, d'échelon en échelon, nous sommes parvenus des bords de la mer aux rivages de l'Ontario ; telle a été et sera la marche de notre colonisa- tion , jusqu^à ce que nous soyons parvenus aux dernières limites cultivables du territoire des Etats-Unis (5) » .
(( On ne comptoit en 1785 que sept familles dans ce qu'on appelle aujourd'hui le comté d'Ot- zégo. Le hasard les avoit placées si loin les unes des autres, qu'elles croyoient être seules, isolées au sein de ces forêts. A Cherry-Valley, Albany, Lunenbourg , on ne se doutoit pas que des hom- mes qui n'étoient pas chasseurs, eussent été se fixer à une aussi grande distance des frontières habitées. Le chef d'une de ces familles étoit un Anglais, anciennement capitaine dans le régi-
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iiientide **'^ ^ qui , dit-on , voulut se tuer lors- qu'il sut qu'il devoit être réformé : sa femme , douée d'une grande force d'esprit, se rappelant que dans sa jeunesse elle avoit vu faire des fro- mages, conçut le projet d'aborder sur cette terre, devenue depuis long-temps l'asyle des malheu-- reux. Après avoir déterminé son mari à vendre sa demi-paie, son foible patrimoine, et ce qu'elle possédoit, ils traversèrent l'Océan et débarquè- rent à New- York : aidés de bons conseils, ils achetèrent 5oo acres de terre, à raison de deux shellings sterling l'acre (c'étoit avant l'indépen- dance de ces Etats), et ils vinrent s'ensevelir dans cette profonde solitude. On les avoit entiè* rement oubliés, lorsque, quelques années après, parurent au marché d'Albany des fromages d'une forme et d'une qualité supérieures à ce qu'on y avoit vu jusqu'alors. Tout le monde voulut avoir des fromages de Turnicleaf. Imaginez quel a dû être le bonheur de cette famille, de voir, après tant d'années de solitude, arriver des hommes dans leur voisinage, de nouveaux sentiers s'ou- vrir, des chemins se faire par ordre du Gouver- nement, des moulins s'élever, des artisans s'éta- blir à la suite des cultivateurs; de se trouver enfin environnés des^ secours de la société civi- lisée, dont ils avoient été privés tant d'années. Ce brave capitaine est aujourd'hui colonel de la
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milice, et Vnn des juges de la cour inférieur^r Appréciez les progrès de la population et de Fin-*, dustrie. Quelle distance entre le jour ou , de désespoir, cet officier voulut se casser la téta en Europe, et celui où, colonel en Amérique, il compta sur son rôle 1,820 chefs de familles franc- tenancières, toutes bien établies sur une surface où il n^y avoit personne en 1778 » !
(( Nous ayons déjà plusieurs églises, un grand nombre d^écoles , quelques auberges passables , et des ponts sur les principales rivières. Quant à nos chemins, ils se sentiront long-temps de la jeunesse de notre canton; mais tout est pro-^ gressif. Dix à douze familles aisées de New-York sont venues ici former de beaux établissemens ; leur industrie éclairée et leur aisance, ont déjà opéré des prodiges. Les charmes de la société commencent à embellir notre solitude et à adou- cir nos travaux. Il n^y a point de distance qui empêche que nous ne nous réunissions aux jours convenus , sur-tout pendant l'hiver , sûrs d'y trouver moins le plaisir que le bonheur.
Une branche de la poste nous apporte une fois la semaine nos lettres et nos gazettes. Qu'elles sont belles et utiles ces institutions sociales ! Comme elles lien t et unissent les hommes .'Comme elles servent à entretenir Famitié, à encourager le commerce , à propager les connoissances !
BANS LA T-ÏAUTl^ PENSYLVANIE. IQ!
Jamais je ne vois arriver le courrier, que je ne ressente un mouvement de reconhoissance en- . vers le Gouvernement qui nous a procuré cet avantage avant le temps de notre maturité, et a devancé nos espérances. Ali ! si comme moi vous eussiez passé six ans de votre vie sans presque pouvoir entendre parler de vos parens , de vos amis 5 ainsi que de tout ce qui se passoit dans le monde 5 comme moi vous en sauriez plus de gré encore au Congrès, t\ue des belles loix com- merciales qu^il a promulguées )).
(c Je possède en grande abondance tous les ob- jets de première nécessité 5 laines, lin, grains, bestiaux, beurre, fromages, lard, &c. Je vends annuellement près de 55o boisseaux de bled ; de Favoine , des pois , du maïs en proportion. Ainsi vous voyez qu^avec de la bonne terre et de l'in- dustrie on peut devenir aisé, opulent même , sans avoir beaucoup d'argent ; content par la jouissance d'un ample nécessaire, sain par l'heu- reuse nécessité d'être industrieux et actif)).
((J'ai pour voisin un ancien camarade , avec lequel j'ai long-temps vécu à bord du même vais* seau. Il vint ici , il y a trois ans , pour voir si je ne me repentois pas d'avoir quitté le service, et ce que c'étoit que mon nouvel établissement 5 en- treprise dont en effet il est bien difficile, en Eu- rope, d'avoir une juste idée. Il avoit les bois en
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horreur; la hauteur et la sombre majesté deë arbres de nos forêts , au lieu d^exciter son admi- ration , ne lui inspir oient que du dégoût et de réloignement. Jamais nous n^allions nou5 y pro- mener, sans que son imagination effrayée ne crût voir, derrière chaque gros chêne ou chaque pin , un indigène armé de son toméhawk j à peine osoit-il faire un pas, dans la crainte de marcher sur un serpent à sonnette )).
((En observant ce qu^il en coûte de travaux et de soins pour nettoyer la terre et en obtenir des moissons, il ne pouvoit concevoir que j^eusse abandonné l'espérance de parvenir un jour dans la marine (moi, disoit-il naïvement, qui étois lils de lord) , pour devenir un laborieux colon , et m'ensevelir dans cette solitude : cependant il rendoit justice au courage et à la persévérance avec lesquels j'avois surmonté tant d'obstacles et de dégoûts. Pendant long-temps il tâcha de m'en gager à vendre mes terres et à retourner avec lui en Europe j mais il ne me fallut ni éloquence bien recherchée, ni raisonnemens bien subtils pour lui faire sentir la nature et la force dev^ motifs qui m'avoient déterminé. Je lui démon- trai quelles étoient les probabilités de mes espé- rances, la stabilité de ma petite fortune, à Tabri des revers, des guerres, des révolutions, ainsi que de ces événemens imprévus qui arrivent si
DANS LA HAtJTE PENSYLVANIE. igS
souvent dans les sociétés anciennement formées. Je comparai ensuite la douce et ample aisance que mes travaux m'avoient déjà procurée, avec la médiocrité de mes anciens moyens ; la liberté et l'indépendance où je vivois, avec Passujétis- sement de mon premier état ; l'importance ci^ vile, la considération dont je jouissois, avec la nullité d^un homme perdu au milieu d^une so- ciété trop nombreuse. Qu'étois-je en Ecosse, lui dis-je, où j'occupois une place qui a été si aisé-^ ment remplie par un autre ? Quel bien pou- vois-je y faire? Quelles pouvoient être mes esDérances? J^y étois inutile, puisque je n'exis-^ îois que pour consommer. Ici, devenu membre d^une société naissante, la propriété, les loix, les circonstances locales, m'ont investi d'une certaine prépondérance, m'ont donné un cer- tain poids dans la balancé^ciale. Pour l'Etat , je suis un citoyen de plus qu'il n'en avoit avant mon établissement 5 pour le comté d'Otségo, un colon utile, qui défriche , laboure, et couvre de semences une terre jusqu'alors improductive; pour le commerce, je suis un consommateur et un producteur assez considérable , puisque j'ajoute annuellement à l'exportation de l'Etat plus de 5oo boisseaux de grain ^ j'ai- droit d'élire et d'être élu député au Corps législatif, ou an Congrès de l'Union. Je ne vous parle pas dt^s
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charges munÎGipales du canton , qui ne peuvent être occupées que par des francs - tenanciers. Tout ceci, mon ami, lui disois-je, n'est point le langage d'une puérile vanité, mais bien celui de la raison* Indiquez-moi un pays où j pour 1 2,000 piastres, je pusse posséder 1,260 acres de terres ( car vous savez que j'en ai donné 600 à mes trois familles Erses pour quatre années de travaux), franches et libres de toutes impo- sitions , dans l'état d'amélioration où sont les miennes, et cela sous l'influence des loix douces et justes, dont la protection ne me coùteroitpar an que six piastres pour les dépenses munici- pales. En supposant que je vendisse cette plan- tation pour 20,000 piastres, et que je plaçasse cette somme en Europe, je vous le demande, l'intérêt que j'en retirerois me feroit-il vivre comme ici au sein de l'abondance , entouré de gens qui me soient dévoués, de bestiaux, de chevaux, de gi'anges pleines? Très-certaine- ment non : et puis , qui me répondroit qu'un incendie, des banqueroutes, la guerre, nem'en- leveroient pas mes fonds » ?
(( Quant aux incon véniens dont vous me parlez, tels que nos longs hivers, pendant lesquels nous sommes obligés de consommer une partie des profits de l'été, la nécessité d'enclore les champs, le haut prix de la main d'oeuvre, les insectes qui
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quelquefois nuisent à nos récoltes et nous in- commodent , le manque de bons chemins, Féloi- gnement des débouchés et des villes , les dis- tances qu'il faut parcourir pour aller voir ses amis et ses voisins, tous ces inconvéniens sont rachetés par tant d'avantages , j'oserois même dire par tant de jouissances essentielles, que, daprès l'expérience de six années , je suis con- vaincu que, pour un homme qui n'a rien ou très- peu de chose, il est infiniment plus avantageux d'être ici qu^en Ecosse. Tout marche autour de moi avec une si grande rapidité ^ qu'avant dix ans, les deux tiers de ces inconvéniens n^existe- ront plus; nos terres seront nettoyées , la plupart des souches, enlevées ou pourries j les chemins et les ponts seront faits, et les insectes auront dis- paru à mesure que se seront écoulées les eaux de nos marais w^
a Telles sont les réflexions que l'expérience m'a suggérées depuis que je suis ici. Je pourrois y en ajouter encore bien d'autres, que tout homme sensible ne doit guère oublier 5 je veux parler des jouissances morales qui ont tant d'influence sur l'esprit. Moi, je compte pour quelque chose le bonheur de mé trouver à l'origine d'une so- ciété nouvelle qui se forme à 1,000 lieues de l'Europe, sous un climat à-peu-près semblable et sur uîi sol fertile ; d'une société fondée sur les
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principes de législation les plus favorables et les plus heureusement combinés pour exciter l'in- dustrie, et pour assurer la liberté civile et reli- gieuse des colons : je compte pour quelque chose le bonheur de devenir une des premières tiges de cette société, de voir des champs, des vergers remplacer ces inutiles forêts; les marais fangeux convertis en herbages j Fhonnête émigrant, jadis le rebut des anciennes sociétés , devenu un colon aisé, un citoyen respectable 5 le bonheur enfin de contempler l'accroissement de ce vastepays, sous les auspices d'un Gouvernement conservateur de l'ordre et de la tranquillité. Ah ! mon ami , de combien d'autres nuances ne pourrois-je pas enrichir ce foible tableau, si je ne craignois de fatiguer vos oreilles européennes! Vous êtes plus riche que moi ; consacrez une partie des fonds que vous avez dans la banque à l'acquisition d'une terre ; j'en connois une dans ce voisinage, sur laquelle un colon ivrogne et paresseux vé- gète depuis trois ans 5 je vous aiderai de mes conseils, je vous communiquerai tout ce que l'expérience m'a appris. Mon moulin à scie, ce fidèle et obéissant serviteur , fera pour vous tout ce que vous lui ordonnerez. Si jamais il arrivoit que vous vous repentissiez de cette acquisition, dites-le-moi, je vous rendrai vo»
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avances, je vous paierai vos améliorations et prendrai votre terre » .
(c Mais non : vous ne tarderez pas à sentir ce genre d^amour- propre et d'orgueil que nous inspirent la propriété et la culture de nos pro- pres champs, sur -tout dans un pays comme celui-ci, où les trois quarts des hommes sont cultivateurs , et où Ton ne connoît ni dignités ecclésiastiques, ni castes particulières. Tout mi- litaire que vous êtes , les travaux , les améliora- tions que vous ferez faire, seront pour vous une jouissance aussi délicieuse que nouvelle : l'hom- me honnête et sensible aime, quand il le peut, à créer , à faire naître , et il se plaît ensuite à con- templer l'ouvrage de ses mains )) .
(( Fondez, comme moi , vos espérances de repos et d'indépendance future sur la propriété que je vous propose, et qui, croyez-moi, est suscep- tible de devenir , avec le temps , aussi agréable qu'utile. L'île qui en dépend suffiroit pour vous enrichir par la culture du chanvre. Votre place à bord sera bientôt occupée, comme la mienne l'a été. Lorsque les forêts voisines vous appar- tiendront, vous verrez que leur vénérable obs- curité vous révoltera moins , et bientôt vous apprendrez à respecter, comme je le fais, un pin gigantesque, un chêne majestueux; vous ne tarderez pas à les considérer comme un des
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plus beaux présens que la nature nous ait faits )) .
«Jugez de mon étonnement, et du plaisir que je ressentis, lorsque, quelques jours après cette conversation , il parut désirer de voir cette terre dont je lui avois parlé. Il fut enchanté de sa situation sur les bords de notre jolie rivière , et sur-tout de Pile, qui, seule, est un trésor par la richesse de son sol. Il en lit Facquisition. Depuis cette époque, mon ami est devenu aussi actif, aussi intelligent que moi. Tout ce que j 'avois prévu est arrivé ; il a construit une maison élé- gante et peinte avec goût 5 il a une petite biblio thèque ; la chasse et la pèche Famusent et Foc- cupent 5 sa goélette de cèdre est devenue le Commodore du lac, et jamais vaisseau de 118 canons n'a été plus admiré. On ne peut lui faire plus de plaisir que de lui demander à naviguer sous sa conduite. Il a fait venir plusieurs familles Erses, industrieuses et honnêtes, de la partie de FEcosse qu'il habitoit. Ce n'est plus le même homme : vous le verrez ce soir , et vous ne pour- rez jamais croire qu'il ait été un de ces fana- tiques Ecossais, qui n'imaginent pas qu'au- delà des limites de la Grande - Bretagne , il puisse y avoir quelque chose de beau ou' de bon » .
a Enfin, j'ai le bonheur d'avoir pour voisin mon
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ancien camarade , devenu mon intime ami , ac- quisition bien précieuse dans tous les lieux, mais sur-tout dans les bois. — - Nous vieillirons ensemble, nous disons-nous souvent, nous nous entr'aiderons constamment dans nos récoltes et dans nos fenaisons. Veuille la nature nous don- ner la santé et des saisons propices 5 voilà tout ce que nous lui demandons».
(( Cependant il manque encore quelque chose à mon bonheur, je le sens de plus en plus. Je suis fatigué et presque honteux de travailler pour moi seul y y ai besoin de partager le fruit de mes travaux et de mes soins avec un être bon et sen- sible , qui les adoucisse par sa présence, qui embellisse mon habitation , qui en remplisse le vide, ainsi que celui qui , de temps en temps, se fait sentir dans mon cœur. Quand , après la récolte, je considère mes moulons de foin bien arrangés dans mes prairies, ma grange pleine de grain y quand , le soir, je vois rentrer mes bes- tiaux et mes moutons sous les hangards 3 c^est alors que je désire d^être uni à une personne qui loueroit mon industrie et approuveroit mes pro- jets. Vous voyez que c^est d^une femme dont je veux parler ; mais je voudrois qu'elle fût telle que je me la représente en imagination; labo- rieuse, douce, sensible et féconde, telle qu'it est nécessaire qu'elle le soit pour assurer la pros-
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périté d'une famille de cultivateurs : je voudroîs qu'elle unît la douceur à la raison , la propreté à une grande connoissance du ménage ; qu'elle sut diriger et conduire la filature du lin, de la laine e! du coton destinés à vêtir et à procurer le linge nécessaire à la famille ^ car, malheur à l'homme qui compte plus sur les étoffes de l'Eu- rope que sur la laine de ses moutons. îl faut que la femme inspecte les teintures , qu'elle con- noisse tout ce qui a rapport à la manipulation du beurre et des fromages , aux coutures et aux réparations nécessaires à l'entretien de la mai- son, département très -étendu dans un pays comme celui-ci , où il faut que presque tout se fasse dans celle du colon. Je voudrois que son esprit fut un peu cultivé , pour qu'elle pût re- cueillir avec moi le fruit de la lecture des bons livres, dont j'ai fait, comme vous voye^, une assez ample provision ».
ce Je suis difficile, et voilà pourquoi je ne me presse pas : j'en cherche une semblable pour mon voisin et ancien camarade. Si le ciel nous est favorable, alors nous sortirons moins de nos maisons, puisque nous y aurons amené le bon- heur; nous trouverons dans la réunion de nos familles tout ce qui sera nécessaire pour nous délasser de nos travaux , animer notre industrie,
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épanouir nos coeurs , sur-tout lorsque nous se- rons devenus pères ».
Ici il paroît y avoir une grande lacune de temps, ou plusieurs chapitres perdus.
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CHAPITRE XIV.
New- York, le 25 >uin 1791.
liE fort George, construit en 1670 à l'extrémité occidentale de Tîle sur laquelle la ville de New- York est bâtie, parut devenir inutile , au moyen des batteries croisées qui alloient être élevées sur rîle du Gouverneur et sur les rivages du détroit (Narrows) (1), et qui seront suffisantes pour couvrir la ville du côté de la mer. En con- séquence il fut résolu de construire sur ce beau site un palais destiné à loger le Gouverneur : en fouillant dans une des casemates de ce fort, les ouvriers découvrirent plusieurs espèces de nion- noies, et quelques épitaplies élégamment gra- vées, qui furent portées chez le maire de la ville : mais au lieu d'ordonner qu'on les déposât à la bibliothèque publique, il permit à ceux qui les avoient trouvées d'en faire ce qu'ils vou- droient.
Pour réparer une inattention aussi impardon- nable, suivant l'opinion de M. Herman, celui-ci les acheta beaucoup au-dessus de leur valeur, et en fit présent aux Directeurs de cette même bi- bliothèque. — (( Quels motifs , lui dis- je , ont pu vous déterminer à payer si cher des objets qui
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me paroissent si peu intéressans? — Leur anti- quité, me réponclit-i]. — Si c'étoient des mé- dailles grecques ou romaines , votre empresse- ment seroit fondé ; mais quelques couronnes des deux Charles , des monnoies bataves , russes , norwégiennes ou courlandaises, et deux ou trois épitaphes d'anciens Gouverneurs de cette Colo- nie, je ne vois rien dans tout cela qui puisse' justifier le sacrifice que vous venez de faire, ou même exciter votre curiosité. Ces pièces ne sont pas encore assez anciennes pour être environ- nées de ce prestige qui les rendroit intéressantes k vos yeux , elles n'ont point encore reçu des siècles cette consécration qui inspire un respect involontaire. — C'est cependant, répliqua-t~il, ce que l'on peut trouver de plus ancien dans un pays aussi nouveau. — Si jamais vous passez les Allèghénis , vous verrez des fortifications en terre bien autrement respectables , puisqu'elles ont survécu aux nations par qui elles furent élevées, et que la tradition est muette à leur sujet, même parmi les indigènes )).
ce Ce goût, continuai-je, est-il naturel , ouïe fruit de votre éducation? — Je vis le jour, ré- pondit-il , non loin d'un ancien château dont l'origine remonte peut-être au temps des Croi- sades, et dont la crédule superstition s'est em- parée depuis qu'il cessa d'être habité : delà les
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fables, les apparitions elles contes, dont le récit alluma ma curiosité , excita les premiers efforts de mon imagination adolescente, et, oserai-je même le dire, les premiers essais de ma plume )).
« Tout ce qui a survécu à la puissance destruc- tive du temps et des hommes , attire , fixe , je ne sais pourquoi , les regards de ma pensée : plus j^en crois Forigine éloignée et incertaine, plus il me paroît intéressant. J'aime à m'occuper du passé, cette mer de souvenirs historiques, comme on aime à contempler Fétendue d'un vaste ho- rizon après être parvenu au haut d'une mon- tagne, comme on aime à entendre le récit des voyageurs qui arrivent de pays lointains. L^idée des grandes distances , de Féloignement , de l'im- mensité , exalte mes foihles facultés , et prête des ailes à la méditation. Voilà pourquoi, de toutes les planètesjc'est celle deHerschell, accompagnée de sa nombreuse cohorte de satellites (2) , vers laquelle j'ai le plus souvent tourné mon téles- cope. Qui auroit pu prédire, il y a quelques siècles, qu^à l'aide de ce merveilleux instrument, l'intelligence humaine porteroit ses regards jus- qu'aux dernières limites de notre univers » ?
«En considérant ce qui reste encore des vieux édifices échappés aux ravages de la destruction , il me semble voir les hommes dont ils ont été les contemporains , tels qu'ils étoient alors , envi-
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ronnés de préjugés , mus par des opinions si dif- férentes des nôtres ; et je me crois de retour dans mon cabinet, arrivant d'un pays très-éloigné. Comment être insensible à la vue de ces respec- tables ruines couvertes de ronces et d'herbes stériles, restes de monumens qui exigèrent tant de travaux , avant de former un grand et vaste ensemble? En traversant ces lieux, aujourd'hui solitaires et abandonnés, on est involontaire- ment assailli d'une foule de souvenirs, ainsi que du besoin de satisfaire sa curiosité)).
« Mais peut-être considérez-vous tout ceci comme l'effet de l'égarement ou des illusions d'une tête jeune encore )).
(( Vous n'êtes pas la première personne , lui dis-je , chez qui j'aie observé ce respect pour les anciens monumens, les ruines et les tombeaux. Sans être amateur, je conçois combien l'obscu- rité intermédiaire de plusieurs siècles doit con- tribuer à exciter l'intérêt et la discussion. Sem- blable à ces paysages qu'offrent aus^ yeux de l'imagination des montagnes vues à travers l'at- mosphère, et dont on ne peut approcher, la contemplation de ces débris doit inspirer des idées mélancoliques et touchantes , en reportant l'esprit à des époques de désastres , de guerres et de révolutions : ce sont les traces du passage des générations qui nous ont précédés, la chaîne qui
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lie le passé nébuleux au présent fugitif, et liera ce dernier à Favenir. Au lieu donc d^accélérer la ruine de ces débris , on devroit en considérer la destruction comme un sacrilège , et la conserva- tion comme un acte religieux ));
« Les amateurs de la douteuse antiquité, coii- tinuai-je , ne trouveront pas dans les recherches qu'ils feront ici un jour ^ les mêmes causes de discussion, d'intérêt, ni d'instruction, qu'of- frent les anciens monumens de l'Europe et de l'Asie. La fondation de ces colonies, celle des villes , les progrès de ce peuple nouveau , les événemens qui rempliront les pages de son his- toire , éclairées du flambeau des sciences et de l'imprimerie, ne seront jamais obscurcis par les nuages de l'ignorance, ni falsifiés par les erreurs de la tradition. Ce pays ne sera jamais celui des ténèbres ni des fables )î .
«Mais puisque vous aimez tant l'antiquité^ pourquoi n'avez-vous pas dirigé vos pas vers l'Asie mineure, la Grèce ou l'Italie, au lieii de venir voir un pays qui n'a pas encore deux siè-* clés d'existence? — Je suis jeune ^ me répon- dit-il; j'ai voulu d'abord parcourir un continent dont l'émancipation m'a si vivement intéressé j j'ai voulu voir quelle étoit la marche et l'orga- nisation première de ces petites peuplades qui vont annuellement fonder de nouvelles sociétés
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dans la profondear des forêts, observer leurs progrès et leur industrie, découvrir par quels moyens le crédit et la confiance étendent leur salutaire influence, depuis les villes maritimes jusqu'aux cantons les plus éloignés, et y encou- ragent les défrichemens et les entreprises ; ap- profondir, étudier les principes de leur écono- mie civile, le code des loix, les formes de Fad- ministration , qui unit les parties si divisées de ce grand ensemble, et encourage et protège tant de travaux et d'activité. Le résultat de toutes ces observations formera le devant de mon grand tableau 5 j e réserve le fond pour l'antique Egypte , les aqueducs de l'ancienne Mésopotamie, les ruines de Balbec et de Palmyre, enfin pour la terre classique de la belle et fertile Ausonie )).
«Votre projet est vaste, repris-je, et bien digne d'une tête aussi jeune et aussi ardente que la votre 5 mais je crains que les orages dont l'Eu- rope est menacée, ne vous permettent pas de l'accomplir».
«Eh bien! me dit-il, je m'en consolerai en restant quelques années de plus sur ce Continent. Après avoir visité les Etats maritimes , je passe- rai les Allèghénis , et parcourrai à loisir ce nouveau théâtre (3), sur lequel l'industrie et l'audace ont déjà fait tant de choses étonnantes. L'établissement, les progrès rapides de ces jeunes
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colonies situées sur un sol aussi fertile , et sou$ un climat aussi doux et tempéré , sont un des objets de mes plus séduisantes contemplations. L'espoir de descendre FOhio, si justement nom- mé la belle rivière, pendant Fespace de SgG lieues ; celui de voir en passant ce que font sur ses beaux rivages les nouveaux colons du Mus- kinglium , de Indiana (4), de Limestone (5) , du grand Kanhawa (6), de Gallopolis (7), du Scio- to (8)5 du Ménéamy , du Rentukey (9)^ et de plu- , sieurs autres établissemens récemment formés sur le côté sud-ouest et nord-ouest, me charme et me transporte de plaisir. De l'embouchure de ce beau fleuve , je descendrai le majestueux Missis- sipi jusqu'à la Nouvelle-Orléans, l'espace de 277 lieues, et même jusqu'aux dernières balises de son immense Delta , 70 lieues plus bas. Après avoir admiré les riches et superbes forets de magnolias, de cyprès, de sycomores dont ses rivages sont ornés , et avoir observé la culture et le commerce de la basse Louisiane, je le re- monterai dans un des grands bateaux qui par- tent tous les ans pour les pays des ïllinois, situés à 4oo lieues de la mer, et même, si j'en trouve l'occasion, je parviendrai jusqu'au lac Pep- pin (10), et à la cataracte Saint-Antoine, située à 566 lieues de la n;ier. J'irai passer quelque temps parmi les Nadooasses et lesPadookas(i i ),
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qui chassent à cheval dans les vastes plaines qu'arrosent le Wadappa-Ménésoter et les diffé- rentes branches du Missoury (1:2) , nations re- nommées pour leur hospitalité et pour la dou- ceur de leurs moeurs. De retour chez les Illinois, en remontant la rivière du même nom l'es- pace de 100 lieues, j'arriverai à Chikago sur le. lac Michigan (i3), d'où les vaisseaux du com- merce me porteront à Michillimakinac (i4} , situé dans le voisinage de cette vaste mer Médi- terranée, plus grande que l'Euxin (i5j. De-là, je pourrai facilement visiter les différons villages Outaw^as sur les bords du lac Huron (16), dont quelques chefs me conduiront dans leurs canots jusqu'au dé1roit(i 7). Je m'y embarquerai sur un des vaisseaux de cette ville chargés de pelleteries, allant au fort Erié , dans le voisinage de la grande cataracte de Niagara , en traversant les lacs Saint-Clair (Otsikéta) et Erié* Voilà de quoi employer quelques années».
<cCe projet, lui dis-je, annonce une espé- rance de longévité qui caractérise bien la jeu- nesse : les distances ne vous effraient pas. — Je connois deux personnes qui l'ont exécuté dans un peu moins de trois ans , en y comprenant leurs longs séjours et deux hivernages, et cela sans avoir rencontré qu'un seul obstacle , le petit portage de Chikago, et pas un ennemi. ï. o
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D'après leurs journaux , ils ont parcouru 2574 lieues dans l'intérieur du continent. Quelle autre partie du globe o€re à la curiosité et à l'in- dustrie humaine des rivières plus douces , des communications plus faciles , et un sol plus fer- tile sous des climats plus tempérés ? Cette im- mense région , dont une partie consiste en prai- ries naturelles ou savannes, deviendra un jour la gloire de cet hémisphère » .
ce D'après cq que vous m'avez dit , continuai- je, ilparoît que votre imagination , enflammée par le récit d'aventures romanesques, de contes fabuleux , ainsi que par la vue des ruines impo- santes du château de **% a senti de banne heure le besoin de décrire et de peindre. Sachant que dans les premiers essais d'un talent naturel , on apperçoit souvent des traits qui égalent la per- fection de l'art , dites-moi , y auroit-il de l'in- discrétion à exiger de votre amitié la lecture de quelques-uns de ces morceaux » ?
c( Je vous lirai volontiers, me dit-il, l'esquisse que j'en fis sur les lieux il y a quatre ans, pen- dant mon dernier séjour dans ce pays^ car de- puis cette époque, ma famille habite le nord de l'Allemagne : mais, comme vous allez voir, c'est une plante venue d'elle-même , sans le secours de l'art ni l'assistance de la culture )). — Il me lut ce qï:i suit :
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(( J^aime à contempler ces anciens temples consacrés à la religion, dont l'architecture svelte et aérienne est si belle et si imposante. Frappé de la mystérieuse obscurité et du silence solennel qui y régnent, j'élève mes pensées vers cet Etre incompréhensible, auteur de la nature et delà vie , et je vais méditer auprès des tombeaux placés sous leurs sombres voûtes dont les épi- taphes , ces voix aifoiblies des siècles passés , parlent encore si éloquemment. Que de lauriers flétris ! que d'honneurs et de noms oubliés ! J'aime à examiner ce qui reste encore de ces tours, du haut desquelles on découvroit jadis la marche et l'approche de l'ennemi j les débris de ces ponts si uliles que les ravages de la guerre et du temps ont renversés j les ruines de ces anti- ques donjons, de ces lourds châteaux que la puissance féodale éleva sur les bords des préci- pices ou des rivières. J'aime à consulter ces té- moins irrécusables de la fragilité et de l'instabi- lité des choses humaines. Mon esprit ne pouvant rien appercevoir à travers l'impénétrable obscu- rité de l'avenir, s'élance en arrière dans ces espaces intéressans que nos ancêtres ont par- courus ; et tout- à-coup, comme si j'étois trans- porté sur la cime d'un promontoire, il me semble découvrir un nouvel horizon , de nouveaux ob- jets long-temps cachés , obscurcis par les nuages
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de l'oubli et de Féloigiiement. Comme les vaguesî d\in fleuve rapide, qui, sans cesse, se succèdent et s'écoulent , je vois , dans ces excursions rétro- grades, les générations, les loix , les événement et les opinions se renouveler sans cesse , et chaque siècle porter une empreinte différente. Parmi tant d'époques plus ou moins intéressantes ou célèbres, je distingue avec la plus vive recon-' noissance celle où quelques-uns de mes compa- triotes trouvèrent le secret de fondre les lettres 5 invention sublime, art merveilleux, inconnu aux nations les plus éclairées de Pantiquité, art auquel l'homme doit plus qu'il ne l'imagine, et qu'il est inconcevable que l'art plus sublime encore de l'écriture n^ait pas fait naître plutôt. Des milliers de siècles se sont écoulés entre ces deux époques à jamais mémorables )).
c( A Fombre d'un des plus grands châtaigniers du pays, jadis planté au milieu d'un ancien cimetière, environné des décombres d'une cha- pelle que la piété avoit élevée sur le sommet applani d'un tertre, j'admire les vastes et véné- rables ruines du château de ***. A la vue de tant d'efforts et de travaux , je pense aux motifs qui déterminèrent les hommes puissans de ces temps passés à élever des masses aussi énormes et aussi dispendieuses, pour en faire des arsenaux et des boulevards de la guerre. Quels dévoient
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être alors l'état de la société, le sort des hommes, lorsque le joug de la servitude s'appesantissoit sur leurs têtes ? Quel devoit être celui de Fagri— culture, de l'industrie, du commerce et des arts, lorsque tout étoit soumis à l'empire de la yio- lence, et que les nuages de l'ignorance cou- vr oient la surface de la terre? Lorsque les loix protectrices étoient inconnues et les gouverne- mens sans énergie, les hommes n'étoient donc qu^un vil troupeau , dont les chefs prodiguoient le sang dans les querelles toujours renaissantes de leur ambition et de leurs jalousies » ?
({ Mais bientôt fatigué de cette triste revue du passé, j'embrasse d'un seul coup-d'oeil,, d'une seule pensée ce vaste ensemble de grandeur go- thique dont je ne suis qu'à 200 toises, et je cher- che à en étudier les différentes parties. Comment représenter dans un même cadre ces points de vue si divers , ces édifices détachés , quoique réunis par la perspective , et ces masses fières et riches encore par leur élévation et la hardiesse de leur structure, ainsi que par leur immuable solidité? Où placer ces antiques murailles, ces lourds et épais donjons, ces rempa,rts crénelés, qui, dans leur état de décadence, semblent en- core peser sur la terre ? Comment peindre , sans l'aide du. dessin, ces tours saillantes, élevées de distance en distance, dont une partie des cou-
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ronnemens a cédé aux efforts du temps, et ces flèches aériennes qui , depuis tant de siècles, ré- sistent à la violence des tempêtes et ont affronté tant d^orages, et ces remparts sourcilleux qui , de la crête des rochers , déclinent vers les bas- fonds , et fidèles aux inégalités du terrein, repa- roissent encore au-delà des hauteurs voisines ? Comment indiquer ce qui reste de tant d'autres structures, de ces accessoires déliés qui attestent le génie et la hardiesse des anciens architectes , de ces piles angulaires dont chaque assise est un énorme bloc , de ces arcs-boutans dont la résis- tance et la force , qui sembloient devoir être éter-° nelles, ont en partie succombé sous le poids irrésistible des siècles )) ?
(( Les couleurs du peintre le plus habile pour- roient à peine répandre sur cette foule d'objets les lumières et les teintes qu^ils exigent, indi- quer ces reflets si variés , ces ombres contras- tantes produites par les saillies plus ou moins grandes des renforts cintrés , qui , de la base , s'élèvent jusqu'aux entablemens. Comment, sans ce secours, peindre l'effet magique produit par la lumière d'un beau jour , lorsque les rayons du soleil inondent de leur splendeur tant de sur- faces arrondies , planes ou quarrées , placées à des distances si différentes de l'observateur? Comment décrire l'effet que produisent sur l'es-
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prit ces images de grandeur passée, ces traces si diverses de dégradation et de ruine » ?
(( Quelquefois mes yeux, fatigués de ce long examen , se reposent avec délices sur ces buis- sons, enfans de la nature et du hasard, qui croissent au milieu des crevasses et des décom- bres 5 sur ces arbres dont les racines se sont em- parées du. mortier des assises devenu sol végétal, et dont les têtes verdoyantes ombragent les cor- niches et décorent les parties les plus élevées , ainsi que sur ces lierres éternels , dont les robes épaisses et les branches nerveuses voilent les surfaces lézardées , et soutiennent la décadence de ces antiques structures )>.
« Mais faute de dates gravées sur la clef des voûtes ou sur l'architecture des frontons, l'épo- que de la construction de ce château est incon- nue. On est étonné que le désir si naturel d'en transmettre la connoissance à la postérité , que la vanité , ce sentiment de tous les temps , n'ait pas inspiré à ces anciens barons le désir de con- sacrer par quelqu'inscription la fondation d'édi- fices, auxquels ils vouloient donner la solidité des rochers sur lesquels ils les avoient élevés : mais dans les siècles de ténèbres et de barbarie qui précédèrent et suivirent les Croisades, on connoissoit l'art d'élever des remparts , et celui d'écrire étoit ignoré )) .
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(( A peine entré dans la première cour , je fus frappé d'étonnement et saisi du frisson de Tef- froi , en considérant ce vaste domaine de la dé~ solation et de la mort , ces débris épars sur pres- que toute la surface de cette solitaire enceinte , en marchant sur les herbes , les lierres , les ronces qui ne croissent qu^au milieu des ruines. Quelques-uns de ces édifices , entièrement ren- yersésj encombrent tout Fespace qu'ils occu- poient ; il est impossible d'en approcher. Les autres ne paroissent avoir résisté aux efforts du temps , à l'impulsion des vents , que par leur poids et leur aplomb. Ici on voit des toits affais- sés j dont les chevrons vermoulus et les fers con- sumés par la rouille , annoncent l'antiquité et la décadence : là , des masses isolées, inébranlables sur leurs bases , qui , comme des pyramides , paroissent devoir être éternelles : plus loin, des pans de murs , dans lesquels on distingue encora des plinthes surbaissées et des jambages chance- lans. On ne marche que sur des débris sous mille formes différentes : c'est un vaste réper- toire , dont chaque page atteste le ravage des hommes et du temps ».
a J'évoquai l'ombre des anciens maîtres de ces lieux, et j'osai leur demander quels moyens ils employèrent pour transporter d'aussi grandes masses y et comment , sous un climat aussi va-
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 217 tiable, ils purent imprimer à quelques parties de ces structures une aussi longue durée : pour- quoi, en élevant leurs demeures au milieu de ces remparts sourcilleux , ils en avoient exclu la lumière du soleil? Pourquoi n'avoient-ils pas connu et senti le plaisir de planter et de voir croître des arbres , ni celui de cultiver des jar- dins ? Pourquoi leur puissance étoit-elle deve- nue le fléau des paisibles cultivateurs, ces hum- bles artisans de l'abondance et des véritables richesses ? — Mais l'arrivée subite du concierge ayant interrompu ces méditations, je le suivis. 11 avoit 87 ans, et étoit la seule personne qui habitât cette lugubre demeure : son grand âge , ses cheveux blancs , son antique et vénérable figure, son maintien, tout me parut être ana- logue aux tristes et solitaires fonctions dont il étoit chargé)).
(( Jadis , me dit-il , ces lieux étoient animés par le bruit et le mouvement de la vie , et le tumulte d'une nombreuse garnison, ainsi que par la présence de nos anciens maîtres. Quelle difTérence aujourd'hui ! cette vaste enceinte n'esfe plus qu'une solitude , au milieu de laquelle sou- vent je m'égare , quand je quitte mes sentiers ordinaires. Le silence du néant, la stérile nudité du désert , l'inactivité et les ombres de la mort ont remplacé le retentissement des armes, la
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voix des chefs , les chansons de la gaîté et les hymnes de la religion. Il ne reste plus de vivant des temps anciens, que quelques échos qui se sont réfugiés sur le haut des tours et des rem- parts, et rarement même parlent- ils aujour- d'hui ».
« Cet emplacement sur la droite , lui deman- dai-je , dont ^intérieur est couvert de fragmens cintrés, de pierres ciselées, de moulures gothi- ques, quel en étoit Fusage? — Je l'ignore, ré- pondit-il. — Et ce bloc informe de maçonnerie, si large et si élevé, d'où naissent trois voussures élégantes et légères, qu'est devenue sa partie correspondante?— Mon grand-père, qui de- meuroit ici il y a 1 56 ans, ne le savoit pas. — Et cette base circulaire fondée sur ce rocher? — C'étoit la tour des Signaux. — Et cet édifice, dont il ne reste plus que quelques piliers can- nelés et peints? — C'étoit Péglise du château, sous les voûtes de laquelle, avant l'irruption des fanatiques de Munster, reposoient les cendres de neuf générations des ^^'^, nos anciens maî- tres. Pendant plusieurs siècles on y récita des prières , on y brûla de l'encens , on y célébra les mystères : aujourd'hui, comme vous voyez, le temple, l'autel, les prêtres et leur religion ont disparu ; c'est le repaire de toutes les chouettes du pays ». —
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f( Un large fossé séparoit cette première cour de la cour intérieure , dont l'entrée étoit défen- due par un pont-levis jadis placé contre un énorme béfroi : mais depuis des siècles le pont n'existe plus 5 les fossés sont en partie comblés par la chute des remparts voisins , ainsi que par les saules touffus qui en occupent presque toute rétendue. Les surfaces de ce béfroi sont héris- sées de saxifrages , dont les graines , portées par •les vents, s'attachent aux moindres intervalles, car rien n'échappe à la fécondité de la nature : leurs tiges vagabondes croissent jusqu'au milieu des bas-reliefs, des armes et des trophées qui en formoient l'immense couronnement, et dont il reste encore quelques vestiges. Ainsi que dans la première cour, je ne vis autour de moi que des débris accumulés ou des ruines tremblantes, au milieu desquelles, comme dans le passage des Alpes durant la saison des neiges , il étoit défendu de parler : l'haleine de la brise pouvoit renverser des pierres jadis solidement assises, et qui pendant tant d'années avoient résisté à la violence des vents. De toutes parts j'étois envi- ronné de décombres et d'objets menaçans : sur la droite, je voyois des saillies vacillantes qui avoient perdu leurs soubassemens j sur la gau- che, des consoles, des entablemens qui sem- bloient n'attendre que le passage de quelques
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hivers, de quelques jours peut-être, pour se détacher des masses 5 plus loin , des entre-cré- neaux penchés , qui ne dévoient leur précaire existence qu'aux branches vivaces et nerveuses du lierre».
c( Du milieu des ruines de cette seconde en-, ceinte , j'apperçus plusieurs de ces guérites , qu'on osa ériger sur trois pierres d'une énorme saillie : telle est la hauteur des tours dont elles sont les apanages , qu'on les çroiroit suspendues dans les, airs ! Malgré l'effet des vents, des pluies, des gelées , et la puissance dévastatrice du temps, elles existent encore dans leur entier; mais depuis que la destruction des escaliers qui y conduisoient les a rendues inaccessibles aux hommes, elles servent de retraites aux oiseaux de la nuit; des troupes de corneilles en occupent les cimes les plus élevées , ainsi que les trous et les cavités dont les vents et les pluies ont détaché quelques parties : à peine un nouveau vide est-il formé, qu'une nouvelle famille s'en empare; sans cesse elles volent, s'agitent, planent gra- cieusement dans les environs, où, loin du plomb meurtrier des hommes, elles jouissent du bon- heur et de la liberté )).
(( C'est ici que le lierre , à-la-fois le protecteur et le tyran des vieux édifices , règne et domine : ami exclusif des lieux ombragés et solitaires, il
BANS LA ÏÎAtJtE PÊNâYLVANlE. Û^i
croît loin des rayons du soleil , au sein des bois ïes plus sombres, sous les décombres les plus épais comme au milieu des ruines les plus arides : ainsi que l'if lugubre et le cyprès funè- bre, compagnons de la mort, on le voit dans les cimetières , dont il tapisse les anciennes et véné- rables clôtures ; tantôt ses rameaux tortueux et flexibles cachent les^épitaplies oubliées, tantôt ils environnent depuis la base jusqu'au sommet ces antiques croix ou ces pierres agrestes, que les mains de Findigence consacrèrent à la mé- moire d'un parent, d'un ami. Tout ce qui com- mence à se perdre dans l'éloignement de l'oubli , tout ce que le hasard ou l'intention ont éloigné -de là vue ou des mains destructives de l'homme, le portail mutilé, dont quelques légendes attes- tent encore la gothique structure, ces roses ellip- tiques, chefs-d'oeuvres du douzième siècle, ces piliers chancelans que surchargent encore quel- ques fragraens cintrés, ainsi que les masures du pauvre, toutes ces surfaces deviennent son do- maine exclusif )).
<c De poids des années a-t-il détruit le toit d'un édifice, ébranlé les appuis d'un comble, écrasé la n aissan ce d' une voûte ? 3o udain le lierre paroît au milieu des ruines, les parcourt sur tous les sens , et les serre de tous ses liens ; bien- tôt ses branches, parvenues jusqu'au pied des
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murailles, s'élèvent et s'y attachent. Quelques crevasses, le vide d^me croisée se présentent -ils sur leur passage? Elles s'en emparent, y crois- sent avec rapidité, jusqu'à ce que leurs flexibles extrémités, dirigées par le vent ou par le hasard , s'accrochent aux parois extérieures j alors, sou- tenues par l'appui de ces nouveaux échelons, elles reprennent une direction verticale, et par- viennent ainsi, d'étages en étages, jusqu'aux corniches et aux surhaussemens , qu'elles cou- vrent de leur sombre verdure )) .
ccLorsqu'en fouillant dans les fondations des anciens édifices, on observe jusqu'à quel degré de grosseur les racines tortueuses et dures du lierre sont parvenues, il est impossible de n'être pas frappé du grand nombre d'années qu'ont dû exiger des accroissemens aussi lents, et de ne pas êtrepersuadé que lalongévité de cet arbre est peut- être égale à celle du chêne j et comme si l'énorme diamètre de ses souches n'attestoit pas encore assez évidemment leur âge, la nature les couvre des crins de la vieillesse et d'une mousse parti- culière 5 car, dans son inépuisable laboratoire, elle en a formé pour toutes les substances expo- sées à l'air » .
a Outre les sucs que ses grosses racines tirent de la terre pour en fournir aux branches les plus éloignées , celles-ci , au moyen des griffes dont
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elles sont munies, en pompent aussi du mortier des assises 5 instrumens admirables , qui se sai- sissent de tout ce qu^ils touchent, en devenant ou des mains ingénieuses , ou des fibres alongées qui s'introduisent dans les moindres intervalles. Voilà pourquoi, à Faide de cette multitude de ressources et de points d'appui , les lierres que j'observai en parcourant l'intérieur de ce châ- teau, s'étoient élevés , dans le cours des siècles, de la base des remparts jusqu'à leurs derniers parapets , et du pied des tours jusqu'à leurs créneaux ».
<( Emblème de la persévérance , ami de la solitude et du silence, compagnon de l'oubli, fidèle jusqu^à la mort, il ne périt qu'avec les arbres , les édifices et les ruines auxquels il s'est attaché, après avoir long -temps protégé leur vieillesse et prolongé leur décrépitude )).
ce De cette seconde enceinte, on entre dans une troisième , en traversant deux énormes voûtes assez bien conservées , où jadis avoient été sus- pendues des grilles et des herses de fer. Elle étoit beaucoup moins encombrée de ruines et de dé- bris que les autres. Un noyer, dont il ne reste plus que les deux branches inférieures , une vigne vagabonde , dont les stériles rameaux ta- pissent les côtés, le roucoulement éloigné de quelques pigeons, plusieurs croisées, et deux
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OU trois portes fermées, tels étoient les objets dont Faspect inattendu réjouissoit un peu les yeux du voyageur, fatigué de ce séjour de la désolation, et sembloit le rappeler à la vie ».
(( De tous les édifices de ce château, me dit le concierge , il ne reste d^habitable que cette som- bre et triste demeure, dans laquelle, seul, isolé, je végète comme Fantique épine au milieu du désert. — Et pourquoi cela, lui demandai-je? — J'ai le malheur de survivre, me dit-il, à ce que j'avois de plus cher sur la terre j les outrages de la nature et du temps ont brisé les liens qui m'y attachpient, et j'y suis encore ! Si au moins je pouvois m'oublier pendant le calme et le silence des nuits , les heures de l'existence me seroient moins longues. Mais non 5 au milieu de ces ruines, comme dans les cimetières, la nuit, je ne sais pourquoi , ne connoît ni le repos ni le silence. Le craquement de ces vieilles murailles, les bruits sourds , les cris lugubres des chouettes et des orfraies , que les échos répètent et multi- plient, le passage des vents à travers les cavités, les murs lézardés et les buissons desséchés , leur murmure, qui me semble un mélange discor- dant de sons, de soupirs, de sifïlemens plus ou moins aigus , plus ou moins éloignés , tout cela me glace d'effroi, et chasse le sommeil de mes vieilles paupières. C'est vers le milieu de la nuit
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que, quelquefois, je crois entendre, dans un grand éloignem ent , la voix de mes proches , celle de mes ancêtres , qui , du fond de leurs tombes , m^ appel- lent à partager le repos dont ils jouissent. Dans d'antres momens, les accens plaintifs des ombres de nos anciens maîtres, gémissant du haut des tours et des remparts sur la férocité des hom- mes qui ont dispersé leurs cendres si long-temps oubliées 5 sur Finstabilité de la gloire et des grandeurs, sur la destruction de leur famille , de leur nom , de leur antique puissance ; sur la ruine et la dégradation de ce château , qu'ils avoient cru indestructible. Comment jouir du sommeil, au milieu de ce séjour des temps pas- sés ? J'invoque le ciel et deviens plus calme, jus- qu'à ce que la tardive aube du jour vienne enfin dissiper ces lugubres impressions )).
Les larmes respectables et silencieuses de la vieillesse et du malheur couloient des yeux de cet homme vénérable 5 il soupiroit. — Je voulus le consoler, j'osai même lui offrir de l'argent. — ({ Non , non , me dit-il , ce n'est pas cela dont j'ai besoin. - — Et de quoi donc? — Je viens de loin; il y a 87 ans que je suis en route; il me tarde d'arriver )) .
«Au fond de cette enceinte ou voyoit une tour très-élevée , dont un vaste escalier tournant occupoit le centre. Ce beau morceau d'ancienne X. p
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architecture étoitbien conservé, caràrexcep- tion des marches, dont une partie avoit été usée par le passage de tant de générations, rien ne manquoit à sa solidité. Une coupole, composée de neuf pierres taillées et placées avec un art étonnant, le couronnoit)).
(( Cet escalier conduisoit aux différentes gale- ries pratiquées dans l'épaisseur des murs , pour communiquer aux pi ates- formes , aux remparts et aux appartemens : on y voyoit encore quel- ques-vestiges de leur ancienne magnificence, quelques traces du luxe grossier de ces temps reculés 5 mais à peine le concierge m'y eut-il in- troduit , que les oiseaux de la nuit, effrayés à la vue des hommes et de la lumière, prirent la fuite d'un vol silencieux et lourd )).
« Qu^elles dévoient être tristes et lugubres ces demeures, où pendant tant de siècles habitèrent la richesse et la puissance ! Qu'ils dévoient être incommodes , froids et humides , ces donjons situés dans des lieux aussi inaccessibles , aussi sauvages, qui n^admettoient ni les jouissances de l'agriculture , ni celles des jardins , ni à peine la lumière vivifiante du soleil! Où et oit donc la source du bonheur et des plaisirs d'alors? Avant la découverte de l'imprimerie et la renaissance des sciences, des arts et de la musique, avant que les lunettes eussent été inventées, quelle
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ériucation les enfans pouvoient-ils recevoir? Comment les vieillards évitoient-ils les lan- gueurs de l'ennui dans le triste déclin de la vie » ?
c(Ici cependant habitèrent la jeunesse, labeau- té, Populence^ ici vécut cette Silvia**% dont la tradition a conservé la mémoire , comme d^une des plus belles femmes de son temps et l^héroïne de son siècle : le courage uni à la beauté , durent en effet la rendre célèbre. Là, naquirent plu- sieurs générations des ^^^, si long-temps redou- tables : leur nom n^existe plus que dans quelques proverbes populaires. Elles sont passées ces opi- nions sur lesquelles la tyrannie féodale étoit fondée ; cet ancien système de vasselage a été remplacé par de nouvelles modifications de gêne, de mal, connues sous d^autres noms : ce rendez- vous de guerriers, ce séjour d'hommes dontTin- fluence, la puissance, balançoit souvent celle des empereurs , n^est plus aujourd'hui qu'une vaste scène de ruines et de débris. Tel est le néant de la grandeur, de la richesse et de la prééminence )) !
ce De ces appartemens je descendis dans les souterrains, sur lesquels cet ancien château a été construit ; c'est ce qu'il y a de mieux con- servé. Il semble que le temps ne puisse détruire que les ouvrages élevés au-dessus de la terre.
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Qu'elles sont vastes , belles et sonores ces voûtes majestueuses ! Que leurs voussures et leurs arêtes sont encore saines ! Nulle part je n^ vis la moin- dre trace de la lime des siècles ; leur solidité me parut égale à celle des roches sur lesquels on les a construites ; elles datent cependant de Tépo- que des Croisades. De tous les travaux des hom- mes , les voûtes sont les seuls auxquels ils aient pu donner une durée qui semble devoir égaler '' celle du globe. Telles furent les citernes de Car- thage (ouvrage bien plus ancien), au-dessus desquelles les Tunisiens labourent et sèment aujourd'hui, sans se douter de leur existence; telles les citernes d'Alexandrie , et ces cloaques de Rome , dont l'origine étoit inconnue à l'épo- que de sa fondation »•
(( Non loin du cône immense qui jadis servoit de cuisine , on voit un puits large et profond ; soit qu'on y laisse tomber une pierre ou qu^on élève la voix, les échos de ces vastes souterrains, si long-temps solitaires et muets, s'empressent de répéter ces sons, et les exagèrent d^une ma- nière bizarre et frappante. Il semble qu'on soit descendu dans un monde inconnu )).
(( Jusqu'à l'époque de la guerre des Anabap- tistes en 1 5o5 , ce château avoit résisté aux in- jures du temps ; mais alors ces fanatiques se ré- pandirent dans l'intérieur, et y firent plus de
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ravages dans l'espace de quelques jours , que n'en avoient fait six à sept siècles ; et comme si la surface de la terre n'eut pu suffire à l'exten- sion du crime, ces monstres fouillèrent dans son sein , où l'insatiable avidité trouva le plomb des cercueils , et l'impiété sacrilège , les froides dé- pouilles de l'humanité. Ce redoutable sanctuaire fut envahi 3 profané , et le repos des tombeaux violé ; la lumière du jour éclaira ces lieux con- sacrés à l'éternel oubli , les cendres qu'ils conte- n oient furent dispersées, et ces ténèbres sépul- crales dissipées pour jamais )K
« Ombres errantes et plaintives y que ne na- quites-vous dans Athènes ou dans Rome, sous l'influence de loix et d'opinions religieuses , qui vouoient à l'exécration ceux qui osoient envahir et souiller ces asyles sacrés )) !
(( Mille grâces vous soient rendues , dis-je à M. Herman , pour le plaisir que vous venez de me procurer : si , comme vous le disiez il y a un instant, ceci n'est qu'une plante venue sponta- nément , que seront donc celles que vous culti- verez un jour, lorsque vous aurez appelé le recours de l'art? Quel beau présent que celui d'une imagination qui peut rendre intéressantes des murailles renversées , de vieux donjons , objets que la plupart des hommes ne regardent qu'avec indifférence ! Hâtez-vous d'aller dans
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la Grèce et la Syrie , voir ces restes précieux de la belle antiquité, mille fois plus dignes de votre pinceau que les sombres demeures de ces an- ciens barons (*))) . :
(^) Pourroit-on la bien définir cette affection méian- colique , partage des âmes sensibles , qui les porte à re- chercher des ruines ,de tristes débris de la magnificence et de l'industrie humaines ? Quel est donc le principe de ce plaisir secret, mais réel, que nous trouvons dans la contemplation de vieux monumens tout empreints de la rouille des siècles ? Pourquoi d'antiques édifices , des tombeaux, sur lesquels le temps semble avoir, dans son passage , aiguisé sa faulx meurtrière , des épitaphes à moitié effacées, offrent-ils quelques jouissances à notre imagination ? Seroit-ce parce que l'homme, malheureux du présent , aime mieux s'occuper du passé que de songer à l'avenir, et vivre de ses souvenirs que de ses espé- rances? (^Note communiquée à V éditeur par le citoyen S.)
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CHAPITRE XV.
New-York, 1790.
(( Avec quelle rapidité le temps ne s'écoule-t-il pas quand il est utilement rempli, me dit M. Her- nian , que j'eus le bonheur de rencontrer ici à mon retour de Virginie! Depuis que je suis sur ce continent, je n'ai encore pu aller voir ni le pont Naturel , ni le passage du Potawmack à travers les montagnes Bleues (i) , ni celui du Grand- Kanhawa à travers la chaîne du Laurier , ni sa descente de celle d'Ouasioto (2), ni enfin la cata- racte de Niagara, phénomène le plus étonnant de la nature terrestre. C'est moins la multiplicité des objets, continua-t-il, que les grandes dis- tances, qui consomment une partie considérable du temps des voyageurs , ainsi que la difficulté des communications. Tout sera bien changé dans 20 ans : alors on pourra voyager ici aussi faci- lement qu'en Europe 5 alors on pourra voir dans l'espace d'un an, ce qui aujourd'hui en exige deux )) .
((Cependant je ne dois pas me plaindre , car dans mon dernier voyage, qui n'a été que de six mois , j'ai vu avec attention ce qu'il y a de plus
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intéressant dans les Etats de Connecticut, Massa- cliussets et NeW'Hampshire. Quel mouvement, quelle activité dans les campagnes comme dans les villes ! par-tout on y remarque la vigueur de la jeunesse. J^ai trouvé, à 20 ou 5o milles de la plupart des villes , une perfection d'agriculture qui m'a paru peu inférieure à celle de l'Europe, particulièrement sur la grande route de Wor- céster à Cambridge et Boston. La beauté des champs, la fraîcheur des herbages , presque tous ornés de bouquets d'arbres, la propreté, que dis- je? l'élégance des habitations, la grosseur du bétail , la bonté des chemins , tout annonce le goût , l'intelligence, le bonheur et la prospérité des colons : il en est de même dans les environs de Salem , Marblehead , Beverley , Newbury- Port, &c. )).
<( On a établi dans presque toutes les petites villes du Connecticut des manufactures de draps , de toiles, de cotonnades , de chapeaux, dont l'usage est devenu très-commun. Quel dommage que le haut prix de la main-d'œuvre et l'émigration s'opposent à un plus grand degré de prospérité ! Les manufactures de toiles à voiles, qui sont déjà nombreuses, paroissent se soutenir et aug- mentent même tous les jours. Les fils en sont préparés avec une colle de poisson, qui , dit- on , rend cette toile moins sujette à la moisissure que
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celle de Russie. J'ai passé quelques jours à Nor- wick, sur la Nouvelle-Tamise : c'est le Birmin- gliam du Connecticut. Je ne croîs pas qu'il y ait dans cette petite ville de 5,000 habitans, un seul individu mâle ou femelle qui soit oisif : on y travaille le fer et l'acier dans une grande per- fection. Des ateliers de cette ville sortent les métiers à bas, les grands ciseaux à foulon, les faulx , les faucilles , dont on se sert dans cette partie dn continent : on y fait tout le biscuit de mer nécessaire à l'approvisionnement des nom- breux vaisseaux de la Nouvelle-Londres ; on y fait aussi des montres, des horloges, des boutons, du papier, du fil de fer, des huiles, du chocolat, des cloches, &c. Les eaux d'une cascade perpen- diculaire de 60 pieds de hauteur , formée par la réunion du Quinibaw et du Shétuket, servent à mettre en mouvement un grand nombre de machines et d'usines : d'ailleurs le voisinage abonde en ruisseaux sur lesquels on a établi beau- coup de moulins, de tanneries , de forges , &c. ». « Des chutes considérables obstruoient la na- vigation intérieure de la rivière Connecticut (5) : au moyen de canaux qu'une compagnie incor- porée par le Gouvernement vient de terminer, des bateaux la descendent et la remontent jus- qu'à Dartmouth et même jusqu'au Coohaws , àpeu de distance des frontières du Canada, sous
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le 40" parallèle , et à 58o milles de la mer. L^abondance des bois et celle des matièr es vitri- fiables, a fait naître plusieurs verreries consi- dérables : celle d^Albany a déjà acquis de la réputation » .
(( Les grandes pêcheries sont devenues depuis long-temps une source intarissable de richesse. Les bancs de sables de Saint-George , de Terre- Neuve y sont la grande école où se forment la plupart des marins de ces Etats navigateurs. Le nombre de goélettes qu'ils y emploient annuel- lement est prodigieux : celui des pêcheurs se monte, dit-on , à i5,ooo. Quelle pépinière ! Le jour où j'arrivai à Marblehead , le temps étant extrêmement orageux , la rade offrit à mes yeux un des spectacles les plus frappans que j'eusse jamais vus. Aussi loin que ma vue pouvoit s'étendre , elle me parut couverte de rochers isolés, semblables à des cônes, contre lesquels les flots se brisent en mugissant et s'élèvent à une grande hauteur. J'étois à-la~fois saisi d'ad- miration et d'effroi , en voyant ces hardis ma- rins navigant , louvoyant leurs goélettes au milieu de ces nombreux écueils , avec une au- dace, une adresse et une précision que je ne puis décrire exactement , n'étant pas du métier. On dit qu'une partie de ces pêcheurs de morue, convertis en corsaires, prirent , pendant la guerre
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de la révolution ,1108 vaisseaux marchaucl'* anglais , ce qui faisoit alors le septième de la marine anglaise; et que, de l'autre, on forma deux régimens, dont Thistoire n'a pas oublié le courage et l'intrépidité ».
a II ne me reste plus à voir dans cette partie du continent, continua-t-il, que les grosses forges, les fonderies, les raffineries, qu'on m'a dit être situées dans les montagnes )).
(( Ce désir, lui dis-je, est très- louable et facile à exécuter. Les cantons du Nouveau-Jersey et ceux de cet Etat qu'elles traversent , étant cul- tivés depuis près d'un siècle , au lieu de ces toits provisoires et incommodes que nous avons si souvent rencontrés dans les nouveaux établisse- mens , nous logerons dans de bonnes maisons , habitées par des personnes dont l'hospitalité ne nous laissera rien à désirer. Mais pour rendre ce voyage doublement intéressant , n'allons point par terre : remontons la grande rivière , pen- dant 75 milles , jusqu'à l'embarcadère de New- Windsor ; de -là nous irons facilement chez M. Jessé Woodhull, un de mes anciens amis, homme instruit et des plus respectables de ces cantons. Comme moi, vous admirerez son in- dustrie éclairée , son activité et sa nombreuse famille rcommemoi, vous serez étonné des grands travaux qu'il a fait faire depuis 00 ans , ainsi
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qiie de Fimmense culture à laquelle il préside. A peine pourrez-vous croire qu'un seul homme ait osé entreprendre , et ait eu assez de courage et de persévérance pour exécuter le défrichement d^une vallée qui contient près de 1,500 acres de terres : il est à-la-fois un des premiers culti- vateurs de cet Etat, colonel de la milice, et shérifF du comté d'Orange. De chez lui aux grosses forges de Sterling et de Ringwood, on ne compte que lo à 12 milles ; il nous y accom- pagnera volontiers et nous fournira des chevaux , car il en élève un grand nombre , et personne n'en a de meilleurs ».
c( J'aurois bien désiré , continuai-je , que les circonstances nous eussent permis de remonter ensemble la rivière jusqu'à Albany, parce que je suis persuadé que vous n'avez rien vu en Europe d'aussi imposant que la navigation da ce beau fleuve. Rappelez- vous ce que M. J. U. nous en dit il y a deux ans. Je ne veux cependant pas le comparer au Saint-Laurent pour la lar- geur, ni au Mississipi pour la longueur 5 mais aussi n'y éprouve-t-on pas des tempêtes comme sur le premier, ni comme sur le second l'éter*- nelle difficulté d'un courant contre lequel il faut sans cesse lutter. Lorsque le vent est favorable , la même marée conduit souvent un vaisseau d'ici jusqu'à cette ville, dernier terme de la navigation
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maritime de ce fleuve, quoiqu'elle soit située à 275 milles d'ici )).
(( Pour pouvoir apprécier les nombreux avan- tages que cette navigation intérieure et celle de ses différentes branches procurent à cette capi- ' taie 5 il faudroit bien connoitre la géographie de cette partie des Etats-Unis, la hauteur des terres, relativement à l'Océan et aux lacs Onta- rio , Erié et Champlain , qui en sont les mers Méditerranées , ainsi qu'aux rivières Jenesee , Alléghenis, Susquehannah et Mohawk. Le jour n'est pas éloigné où les productions de toutes les contrées occidentales et nord- ouest de cet Etat, descendront à Albany par la dernière de ces rivières, et celles des contrées de l'est par les différentes branches du Hudson et le canal de South-Bay (4). D'un autre côté les habitans des Etats de Vermont, Massachussets et Connec- ticut , plus voisins des eaux de ce fleuve que de celles de leurs rivières, y apportent depuis long- temps tout ce que produisent leur agriculture et leur industrie )).
Quant à la facilité des attérages , à la naviga- tion du Sound , à la position relative des Etats voisins , à la beauté et à la sûreté du port , cette ville jouit d'avantages inappréciables qui , un jour, doivent l'élever à un haut degré de pros- périté. Tout y vient par eau, et voilà pourquoi
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tout s'y fait sans bruit. On m'a assuré que les exportations de l'année dernière se sont montées à plus de 1 2 millions de piastres : elles n'étoient en 1791 que de deux millions et demi.
Tout étant préparé , nous prîmes notre passage sur un beau sloop de 90 tonneaux destiné pour la ville de Pougliépsie (5) , et dont le capitaine s'engagea à nous mettre à terre en passant devant New-Windsor, bourg situé sur la rive occidentale du fleuve. Plusieurs motifs nous firent préférer ce sloop à tous ceux qui dévoient remonter la rivière, particulièrement l'élégance de sa cons— truction, la commodité singulière de sa cham- bre, et sur-tout Fespoir que la conversation du capitaine Dean, qui venoit de faire le voyage de la Chine dans le même sloop , seroit très-inté- ressante. Nous ne fûmes pas trompés 5 il nous dit que si la douane chinoise de Canton n'avoit exigé qu'une somme proportionnée à la gran- deur de son bâtiment , il auroit fait un voyage avantageux. — (c Vous êtes , je crois , lui dis-je , le premier navigateur qui ait osé franchir un aussi grand espace de mers dans un aussi petit vaisseau. — Eh bien ! nous répondit-il, je n'ai pas fait une piastre d'avarie ».
Le jour étoit beau , le vent et la marée favo- rables 5 lorsque nous quittâmes le quai pour doubler la grande batterie située à la pointe
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occidentale de la ville, et entrer dans le fleuve, qui a plus de deux milles de largeur. A droite , ses eaux baignent les rivages de File (6) sur laquelle Nevr-York est bâtie ; à gauche , ceux du Nouveau- Jersey : mais telle fut la vitesse de notre marche, que, dans moins de 4o minutes, nous perdîmes de vue les Narrows , Staten- Island , et les iles de la Grande-Baie ^ bientôt 9.près , les magasins , les églises et leurs clochers, insensiblement obscurcis par les vapeurs de Fho- rizon, disparurent à nos yeux.
Quel contraste entre l'aspect et la nature des deux rivages de ce beau fleuve ! ceux de la droite, boisés , rians et fertiles , étoient couverts de champs bien cultivés, de vergers régulièrement plantés , ornés de maisons appartenantes aux négocians de la ville , presque toutes élégantes et peintes en blanc : les unes paroissoient cachées dans répaisseur des arbres j les autres situées au milieu de jardins entourés d^acacias, de platanes ©u de tulipiers.
Ceux delà gauche, ou, proprement parlant, du Nouveau-Jersey, quoique âpres, arides et déserts , n'en méritent pas moins d^être atten- tivement examinés, sur-tout par les amateurs de la botanique. Pendant l'espace de 25 milles et au-delà, le fleuve est retenu par une muraille perpendiculaire de rochers de plus de 5o pieds
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d^éiévation , dont le sommet est couronné d'arbres élevés ; des monceaux énormes de pierres qu'on croiroit avoir été équarries, semblables aux dé- bris de quelqu' ancien édifice, en occupent, ou plu- tôt en forment labase, qui s'incline en pente douce jusqu'au bord du fleuve, et est en partie couverte d'arbres et de buissons épais , ainsi que de plantes intéressantes. Dans les intervalles les moins pier- reux et les moins stériles, l'industrie a déjà élevé des maisons entourées de pêchers et de cerisiers. On passe à une petite distance de ces maisons.
M.Herman et moi nous nous entretenions des réflexions que tant d'objets frappans et nouveaux fctisoient naître , lorsque le capitaine nous dit :
— (( Vous voilà dans ce qu'on appelle la mer de Tappan ( Tappan-Sea ) ; mais ce n'est qu'une extension du fleuve , qui a cinq milles de largeur.
— Quoi ! dit mon compagnon, nous naviguons à pleines voiles sur un lac d'eau salée , quoique si loin de la mer, et nous n'éprouvons pas plus de mouvement que si nous voguions sur le canal d'un parc! — Il n'en est pas ainsi dans l'automne, reprit le capitaine, les vents exigent alors de la prudence dans la voilure, et quelques connois- sances du chenal ».
« Quel est l'usage de ces magasins, demanda M.Herman, de ces grues et de ces longues jetées que je vois sur la droite et sur la gauche du
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fleuve ? — Ce sont des embarcadères ( Landings ) où \dennent aboutir les grandes routes de l'in- térieur du pays. Les diverses productions y sont expédiées pour ]New-Yorkj d'où on envoie à ces mêmes embarcadères les marchandises de l'Europe , des Indes et des îles , nécessaires à la consommation des habitans. Chacun a un cer- tain nombre de sloops qui en font régulièrement le service ; ce sont les canaux d'un commerce , dont les progrès suivent ceux de la population : mais souvent aussi il arrive qu'une partie de l'aisance des cultivateurs est employée à payer ces marchandises étrangères. Voilà pourquoi l'esprit public est si fort porté vers les manufac- tures j voilà pourquoi le Gouvernement les pro- tège et les encourage, par les loix les plus sages. Mais , je le crains bien , le temps n'en est pas encore venu ».
Le capitaine nous entretenoit de tous ces intéressans détails , lorsqu'en doublant le cap Vrédérickhook, nous découvrîmes tout-à-coup une superbe chaîne de montagnes qui parois- soient barrer , fermer la rivière. — (( C'est donc ici qu^elle se termine, dit M. Herman ? car je ne vois ni ouverture ni passage. — Elle les traverse cependant dans l'espace de 21 milles, répondit le capitaine, et les sépare par un canal tortueux, large et profond. Ce passage est un I. Q
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des phénomènes les plus intéressans qu'on puisse voir sur ce continent j et ce qui vous paroîtra plus étonnant encore 5 c'est que la marée monte à plus de i35 milles au-delà de ces montagnes. Cette ouverture, continua-t-il , a dû exister de tous les temps , et précéder même l'exis- tence de ce fleuve : car si , comme le Shénando , le Potawmack, le Grand - Ranhawa , le Te- nezee, &c. , ses eaux se fussent frayé un passage à travers ces High-Lands, nous aurions ren- contré des écueils , des îles , des débris , quelques vestiges de cet ancien bouleversement, et nous n'en avons vu aucuns. Depuis ici jusqu'à la ville , la rivière est ce que nous appelons parfaitement nette. Nous approchons de lieux magiques j vous allez voir » .
« Quel superbe rideau ! dit M. [Herman ; comme il est verd et frais depuis le niveau des eaux jusqu'aux plus hauts sommets ! Je ne vois pas la crête nue d'un seul rocher ; tout est cou- vert des plus beaux arbres : ceci ne confirmeroit-» il pas l'opinion de ceux qui prétendent que ce continent est plus récemment sorti du sein de* «aux , que l'Europe et l'Asie )) ?
Pendant que mon compagnon nous entrete- noit de ses différentes idées en traversant la baie de Haverstraw, nous doublions, sans nous en appercevoir, une longue péninsule ( Verplank's-^
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Point ) qui forraoit le devant de ce grand et magnifique tableau, et nous nous trouvâmes tout-à-coup dans le milieu d'un superbe canal de plus de 600 toises de largeur , formé par les parois presque perpendiculaires de montagnes très-élevées ( Tonder-Bero et Antony's-Nuse ) , dont les bases , nous dit le capitaine , avoient plus de 100 pieds de profondeur sous les eaux ; leurs cimes étoient couronnées de cèdres qui ne paroissoient que comme des arbres nains. En jetant les yeux vers l'arrière du vaisseau, tout étoit clos et fermé : on ne pouvoit plus voir la baie de Haverstravr d'où nous sortions. En les pro- menant sur l'avant, ce n'étoit qu'une longue suite de pointes plus ou moins saillantes , de promontoires plus ou moins élevés , couverts de pins , de hemlocs , de cèdres , dont les formes et les apparences étoient plus ou moins prolongées et adoucies par les différentes teintes de l'éloi- gnement et les illusions de l'optique. L'extré- mité de ce canal vers laquelle nous marchions parut aussi être entièrement fermée.
Nous vogui on s à pleines voiles, lorsque M. Her- man, après quelques instans de silence, s^écria : — (( Que tout ceci est beau et imposant ! quelle grandeur, quelle majesté la nature imprime à ses ouvrages ! Qu'il seroit difficile à l'imagination la plus froide d'être ici stérile ou muette 1 Les
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formes fantastiques des rochers qui composent ces rivages , leur bizarre rudesse, Félévation des arbres 5 la hauteur colossale de ces montagnes au milieu desquelles ce vaisseau ne paroît que comme un point , la fraîcheur bienfaisante de Fair que nous respirons, le murmure des vagues légères qui expirent sur la rive, cette multitude d'oiseaux qui animent et sillonnent la surface des eaux , tout ici fait naître le plaisir , l'étonne- ment et l'admiration. C'est l'illusion d'un beau rêve. — Ce n'est en effet qu'un rêve , continuâ- t-il,^ car la marche du vaisseau est si rapide, qu'il est impossible de jouir pleinement de l'en- semble de ces grandes images. A peine les yeux se sént-ils fixés sur quelques parties frappantes, que bientôt le changement de situation leur eu présente de nouvelles 5 la succession en est si rapide et si fugitive , qu'on n'a pas le temps de saisir les idées qu'elles font naître. Pour jouir de ce spectacle, qui seul mérite qu'on traverse FOcéan , il fau droit s'arrêter de pointes en pointes, revoir encore ce qui mérite le plus d'être attentivement considéré , employer plusieurs jours à remonter ce beau détroit ».
Nous n'eûmes pas plutôt dépassé la seconde péninsule , que la rivière , tournant à Touest , nous présenta un nouveau tableau dont les objets étoieut moins imposans , mais plus suaves, plus
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pittoresques et plus variés. Les montagnes moins âpres paroissoient assises sur des bases acces- sibles^, où l'on se seroit arrêté avec plaisir pour H respirer le frais à l'ombre des beaux arbres dont elles sont couvertes.
Lorsque le sillage du vaisseau et le vent le permettoient, de tous cotés nous entendions le retentissement de chutes et de cascades dont les échos propageoient ou adoucissoient le mur- mure au gré de la brise, sans que nous passions distinguer le cours de ces eaux à travers l'épais- seur des bois. — a Ce sont, nous dit le capitaine, de gros ruisseaux sortant du flanc de coteaux éloignés , et qui ne parviennent au fleuve qu'après s'être précipités du haut des rochers et avoir franchi de nombreux obstacles , dont quelques-uns , extrêmement pittoresques , mé- riteroient d'exercer le pinceau d'un artiste. Modeste comme une jeune vierge qui cache soigneusement ses attraits sous l'ombre de son voile , ce n'est que dans Fobscurité mystérieuse des bois et sur-tout des montagnes, que la nature déploie sans réserve ses beautés et ses trésors , et qu'elle les prodigue à chaque instant. Aussi , quand je fais des excursions , c'est presque tou- jours dans les montagnes que je vais m'égarer )). (( Dans la suite , continua-t-il, lorsque l'agri- culture, le commerce, l'industrie auront aceu-
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mule les richesses dans nos villes maritimes , et que notre population sera décuplée, c'est ici que le luxe et les arts viendront élever des maisons de plaisance, diriger, conduire ces belles eaux, s'emparer de tous les sites avantageux, convertir ces déserts, aujourd'hui si agrestes, en habita- tions saines, riantes et délicieuses; c'est ici que les riches, les désoeuvrés et les valétudinaires viendront chercher le repos , la fraîcheur et la santé. La nature a tout fait , tout disposé pour rendre un jour ces retraites charmantes pendant les chaleurs de la canicule : elle les a favorisées par le voisinage d'un fleuve aussi abondant en poisson de mer, par des vallons fertiles, des coteaux frais ou abrités, des brises constantes qu'entretiennent le passage et le retour des ma- rées, par des eaux abondantes et limpides ; enfin la jouissance de tous ces avantages est facilitée par la proximité de la ville ».
« Jamais , continua-t-il , je ne remonte ou descends cette rivière , sans qu'involontaire- ment mon imagination s'amuse à parcourir ces sites délicieux , si nombreux et si variés. Ici , à l'ombre des beaux chênes que la nature a plantés sur les bords de ce ruisseau mugissant, elle croit déjà voir une maison spacieuse et commode. Là, sur la pente méridionale d'un coteau défendu des aquilons par les hauteurs voisines , elle voit
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déjà une petite métairie dans laquelle l'art a uni Futile à Tagréable. Sur les bords escarpés d'un rocher, dont la base est baignée par les eaux du fleuve j elle place un pavillon d^où les amateurs pourront jeter l'hameçon trompeur et s^amuser à la pèche. Sur la cime applatie d\ine éminence, elle croit déjà voir un belvédère, d'où Fon pourra admirer un jour la magnificence du lever et du coucher du soleil pendant les beaux jours de Fét4> la débâcle des glaces au retour du printemps, la manoeuvre des vaisseaux qui remontent et des- cendent ce beau fleuve. Mon imagination par- vient même jusqu'aux lieux les plus dominans et les plus inaccessibles de ces montagnes , sur les- quels la puissance productrice a planté des cèdres: là, elle oublie pour quelques instans les orages, les malheurs, les ennuis de la vie, car cet arbre est ce- lui de la méditation. Les sons éoliens que produit la brise en passant à travers ses feuilles aigëes , dans lesquels Famé encore plus que l'oreille croit distinguer des sons harmoniques, son étonnante durée , celle sur-tout du granit dans les fentes duquel il croît, son élévation, l'air pur qu'an y respire, tout excite et fait naître les pensées. On ne marche qu'avec un respect involontaire sur ces témoins indestructibles des bouleversemens et des' changemens que la surface de ce globe a subis et qu'elle subira encore pendant la suite
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des siècles. Telles sont les idées dont s'amnse quelquefois mon imagination , lorsqu'en lou- voyant je parcours dans toute leur longueur les diverses sinuosités de ce superbe et tortueux détroit. Puissent les générations futures con- server avec soin ces beaux cèdres , ces pins gigantesques, ces hemlocs vénérables, ces chênes plus que séculaires, que Findustrie humaine lïe pourroit jamais remplacer, dont les cimes agitées parles vents, se balancent aujourd'hui sur toutes ces hauteurs, ainsi que sur la crête de ces rivages )) !
)) C'est ici la patrie des échos , leur séjour favori ; ailleurs ils balbutient 3 ici ils s'expriment distinctement ; nulle part ils ne sont aussi nom- breux , ni aussi attentifs à répondre. Les diffé- rentes intonations de leurs voix ressemblent aux conversations de personnes placées à des hauteurs et à des distances différentes ; les uns vous parlent à' l'oreille; la voix des autres est plus forte , leurs accens mieux prononcés 5 les uns répondent sur-le-champ , les autres après un certain intervalle , comme s'ils pensoient avant de parler ; quelquefois plusieurs ensemble. C'est sur-tout quand on rit que le mélange de leurs éclats rend l'erreur complète. Lorsque les vaisseaux approchent , en louvoyant , du rivage, il est impossible de ne pas croire qu'on
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entende des personnes assises derrière les rochers ; ceux qui répondent du haut des montagnes le font toujours si distinctement , que l'œil , guidé par l'oreille , croit appercevoir l'arbre derrière lequel ils sont tapis. De toutes les déceptions , cette dernière m'a toujours le plus frappé : un de mes passagers fut si étonné, il y a quelque temps, lorsqu'en rasant le rivage de l'ouest, il entendit l'écho de la pointe la plus voisine lui parler à l'oreille , qu'il douta, pendant quelques instans, si ce chuchotement ne venait pas de la personne qui étoit auprès de lui )).
(( Ces hamadriades entendent toutes les lan- gues, et répètent avec plaisir les chansons des voyageurs. Joue-t-on de la flûte ou de la clari- nette ? elles saisissent à l'instant les mêmes ins- trumens ; alors c'est un véritable concert exécuté avec précision et mesure 5 ce sont sur -tout leurs accords simples, dont la répétition adoucie par les ondulations de la brise et le vague incertain de l'éloignement, est délicieuse à entendre. Animées parle plaisir, elles paroissent alors y mettrebeau- coup de goût et de grâces : mais pour que cette jouissance, d'un genre si nouveau, soit plus dura- ble, il est nécessaire que le vaisseau soit à Fancre dans un endroit favorable. Je connois deux ou trois de ces endroits situés sur le rivage de l'ouest , d'oùl'onjouit de ces concerts aériens et invisibles.
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sans pouvoir distinguer d^où partent les sons qui les produisent, et c^est souvent d'un mille de distance (7) )) !
« Toutes les fois que j'ai voulu compter le nombre de ces échos , je n'ai jamais pu aller au- delà de huit, non que je n'en entendisse un bien plus grand nombre, mais parce que je n'avois pas la perception assez vive , et qu'ils se répé- toient avec trop de célérité. Cette tâche devenoit bien plus pénible ( puisque j'ai pu aller jusqu'à 17 ) quand je m'étois servi de mon porte-voix. Alors une multitude d'hamadriades qui n'avoient pas encore ouvert la bouche, se faisoient en- tendre, et leurs derniers sons échappoient à mon oreille. Jugez de mon étonnement , lorsqu'au milieu de ces essais j'observai que celles qui étoient trop éloignées de moi pour pouvoir m'entendre, répétoient ce que leur disoient les premières , et étoient à leur tour répétées par d'autres plus éloignées encore. En sorte que dans la progression de l'éloignement , chaque écho devenoit un autre moi auquel ses voisins répon- doient. Je me rappelle encore la phrase , divisée en quatre syllabes, que j'ai entendu distincte- ment répéter dix- sept fois : Hail ! fair hama- driades. Ne seroit-il pas possible, pendant le calme d'un beau jour , de déterminer jusqu'à quelle distance une phrase sortie d'un porte-
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Toix , peut être répétée , d'écho en écho, d'une manière assez distincte pour frapper l'oreille » ?
«En disant ces dernières paroles, le capitaine entonna hail passengers ! mais le vent et le bruit du sillage ne nous permirent d'entendre que nos plus proches voisines ».
(( Ce fut alors que les hauteurs , le flanc des montagnes , le creux des vallons , la pointe et la surface des rochers , le sommet des arbres et des buissons parurent habités , remplis d'êtres invisibles ou cachés , qui nous saluoient , en ré- pétant, hail passengers ! Leurs voix étoient si distinctes , les lieux que nous les supposions habiter, si bien déterminés, que chacun de nous ne concevoit point comment il pouvoit se faire que nos yeux ne pussent les appercevoir, et dé- mentir nos oreilles)).
((L'époque et la hauteur des marées, reprit le capitaine , la force et la direction du vent , le gisement des montagnes , la position des pro- montoires 5 l'enfoncement plus ou moins grand des anses et des baies , la saison de Tannée , l'heure du jour; telles sont les causes qui modi- fient à l'infini le nombre, l'effet et le mélange si varié de ces échos. Comme les oiseaux , ils sont plus nombreux et plus gais lorsque les buissons et les arbres sont couverts de feuilles, que pen- dant la nudité de l'automne et de l'hiver (8) )).
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<c Que penseroit un homme , continua-f-iî ^ lin Hollandais, par exemple, né dans un pays plat où ce phénomène est inconnu, qui, placé au milieu de cette grande solitude , entendroit, pour la première fois , ces hamadriades répéter distinctement tout ce qu^il diroit ? Et comme s'il manquoit encore quelque nuance à la variété et à la magnificence de ce superbe tableau , aussi -tôt que la basse de mer quitte FOcéan pour entrer dans le fleuve , l'aigle pêcheur ( Fishing-Hawk ) vient habiter ces montagnes. Après s'être élevé dans les airs à une immense hauteur, pour mieux distinguer sa proie sous les eaux , il se précipite avec la rapidité de la foudre, s'y plonge, et bientôt reparoit tenant dans ses serres cet énorme poisson , dont le poids et les mouvemens convulsifs rendent son vol plus lent et plus pénible. Mais dans son voisinage habite aussi un ennemi formidable , l'aigle à tête chauve ( Bald-Eagle ) , qui aime le poisson sans pouvoir le prendre, et que la rareté du gibier dans cette saison oblige de quitter les montagnes : aussi-tôt qu'il voit l'aigle pêcheur parvenu à la hauteur de son aire , ce monarque des oiseaux quitte le sien , le poursuit à tire-d'aile jusqu'à ce que le pêcheur , convaincu de son infériorité, abandonne sa proie. Alors ce fier antagoniste, les ailes repliées, s'élance comme un trait, et 3
ri. rr. Tm, i "'raa 3 1 j
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arec une inconcevable adresse, ressaisi! la proie avant qu^elle ait atteint la rivière. Arbitre sou- verain des grands comme des petits événemens, le droit du plus fort régit tout dans l'univers, au haut des airs comme sur la terre et sous les eaux (g) )).
« C'est dans ces montagnes que le vent de mer rencontre et combat celui de Fintérieur. Souvent il arrive ( sur -tout pendant Fêté ) que leurs forces étant égales, chacun d'eux domine dans sa région. Alors les vaisseaux qui reviennent de New- York ou d'Albany sont obligés, si la marée leur est contraire , de mouiller en approchant de ces montagnes. L'intervalle est conséquem- ment une zone variable 3 de-là oes brises rafraî- chissantes pendant l'été ; de-là aussi ces raifalles souvent violentes , qui , s'échappant des vallées intérieures, tombent sur la rivière dans l'au- tomne , et y causeroient des accidens , si l'usage et l'expérience n'avoient appris aux marins à les prévenir. D'ailleurs , sûrs d'une grande pro- fondeur d'eau, ils peuvent marcher, louvoyer, obéir aux courans ou aux remoux, jusqu'à ce que le beaupré de leurs vaisseaux touche les branches des arbrisseaux du rivage )).
Nous cinglions dans le milieu du quatrième canal , extrêmement imposant par sa longueur et la sombre majesté des montagnes qui le bor-
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dent, lorsque nous apperçùmes sur le coté occi- dental une chute très -élevée (Biittermilk-Fall), dont l'eau nous parut aussi blanche que du lait, au pied de laquelle, sur le bord de la rivière, on avoit élevé un édifice considérable. — « Si ce n'est pas un des plus beaux moulins à bled de cet Etat, nous dit le capitaine, certainement c'est un des plus avantageusement situés et un de ceux qui rapportent le plus. La base de granit sur lequel il est construit, a 3oo pieds de long sur 4o à 60 de large; c'est tout le terrein que le propriétaire a pu acquérir ; mais l'avantage d'une chute de 45 pieds de hauteur est inappré- ciable pour cet établissement, ainsi que sa situa- tion sur le bord d'un aussi grand fleuve, dont les eaux lui apportent les grains et les douves , et transportent ses farines à la capitale. Vous seriez étonné du peu d'eau que les volans de ce moulin exigent, parce que le poids et la vélocité sup- pléent la quantité. La grandeur de l'édifice , le nombre des roues , la beauté des blutoirs, l'usage ingénieux qu'on y fait des cylindres pour sim- plifier les mouvemens et en diminuer le frotte- ment, ainsi que les belles farines marchandes qui sortent de ce moulin , ont mérité les louanges des connoisseurs. Les vaisseaux de l'intérieur chargés de bled , et ceux qui , de New- York , viennent y prendre des farines , s'amarrent à la
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porte même du moulin , au pied duquel il y a toujours 4o pieds d'eau. Quel dommage que la hauteur des montagnes lui dérobe le soleil pen- dant une partie du jour ! On dit que ce bel éta- blissement a coûté 1 8,5oo piastres ( 97, 126 liv. ) )> .
Le vent et la marée nous ayant manqué quel-- ques milles au-dessus de ce moulin , nous mouil- lâmes par cinq brasses d'eau dans une belle anse environnée de peupliers à feuilles argentées , et de hemlocs respectables par leurs longues mousses. Au fond de Fanse nous entendîmes le bruit d\ine chute, qu^on nous dit être celle du Pooplo's-Rill (16). Il étoit six heures, et depuis long-temps le soleil avoit disparu derrière les montagnes de la rive occidentale. Nous étions occupés à examiner cette belle et abondante cascade, dont un jour Fart tirera un grand parti , lorsqu'un bruit semblable à celui d^une violente explosion vint tout-à-coup frapper nos oreilles et étonner nos esprits.
Les échos dont nous nous étions divertis auparavant , n'étoient que de foibles sons , comparés à ceux qui, àFinstant, répétèrent des roulemens et des éclats, dont il m'est impossible de peindre la force et la violence. De toutes parts nous en étions environnés ; et nous nous amu- sâmes à les poursuivre d'une oreille attentive , jusqu'à ce qu'insensiblement ces répétitions
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reperdirent dans le silence eidansFéloignement.
(( C^est le canon de retraite , nous dit le capi- taine (ii). — 'JemecroyoiSjlairéponditM.Her- man, à i,5oo lieues de l'Europe , dans un pays de paix et de tranquillité , et voilà du canon ! — Nous ne sommes qu'à trois milles de West- Point, répondit le capitaine 5 n'avez- vous jainais entendu parler des fortifications que notre pre- mier Congrès y fit élever pendant la guerre de l'indépendance? En effet, jamais emplacement ne fut plus favorable. La rivière formant un coude très-considérable, la péninsule qui oblige les vaisseaux à faire un grand détour est très- longue 5 l'escarpement des rivages, la position relative des hauteurs voisines, déterminèrent le Congrès à fermer ce passage ; les éminences furent couvertes de batteries, de redoutes formidables , dont les feux se croisoient sur plusieurs points de la rivière. Demain vous verrez en passant ce qui reste de tous ces grands travaux ; nous frise- rons le rocher auquel fut attachée l'extrémité orientale de la chaîne qui la fermoit , et dont chaque chaînon pesoit plus de 4 00 livres. Parmi les causes qui ont assuré la liberté et l'indépen- dance de ces Etats , peut-être ces fortifications inexpugnables doivent-elles être comptées pour beaucoup ».
L'obscurité de la nuit ayant peu à peu fait
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disparoître les grands et magnifiques objets dont ïious étions enviroiinés , le capitaine nous invita à descendre dans là chailibre du vaisseau. Elle étoit meublée à la chinoise, éclairée de bougies venues du même pays, renfermées chacune dans son bocal, et il nous fit observer sur la carte dressée piendant la guerre, soUs les yeUx et par les ordres du général Washington, les péninsules et les promontoires, les caps, les contours et les par- ties les plus défensibles de ce célèbre détroit, que le grand homme considéroit comme la clef de cette partie du continent. Il nous entretint ensuite de l'intérieur de ces montagnes qu'il àvoit parcourues d'un côté jusqu'aux limites du Connecticut , et de l'autre , jusqu'à celles du nouveau Jersey. — Si j'étois cultivateur, nous dit-il ( et je ne navigue que pour le devenir un jour ) , j'en préférer ois le séjour à celui des comtés de Fish-Kill , Duchesse , Colombia (j 2)^ Tout ici est favorable à là culture ; fécondité des vallées , limpidité des ruisseaux , utilité des iarrosemens , abondance des plus beaux bois , voisinage de plusieurs grosses forges. Quelques officiers étrangers, réformés à la paix de 1765, vinrent y fonder des établissemens qui, pendant long-temps, ont mérité les louanges des con* ïioisseurs et l'admiration publique. A l'amour du travail j aux coniioissances agricoles ^ iU
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unissoient Purbanité, la douceur des mœurs, ainsi que Favantage de talens divers. Souvent leurs amis quittoient la ville pour venir passer quelque temps avec ces respectables familles ^ dont la réunion a long-temps offert le tableau le plus séduisant de l'industrie éclairée , de la douce aisance et du bonheur. Malheureusement la guerre de l'indépendance en a ruiné plu-^ sieurs )).
La lune, que nous attendions avec impatience, parut enfin au-dessus des montagnes : ce fut alors que , remontés sur le pont , mille formes étranges et nouvelles se présentèrent à nos yeux. Ce n'étoient plus les illusions de l'optique, les gradations de la perspective, ni cette variété d'objets bien connus qu'éclairoit pendant le jour la lumière du soleil , mais des illusions plus singulières et plus bizarres , auxquelles on ne pouvoit pas donner de nom. Ce qui me parut plus amusant , fut que chacun de nous , frappé de la beauté des choses que lui peignoit son ima- gination, blâmoit son voisin de ce qu'il croyoit en voir de différentes. Quel champ, en effet, que ce vague d'une obscurité plus ou moins pro- fonde , que ce mélange d'une lumière plus ou moins brillante , plus ou moins afîbiblie , envi- ronnés comme nous l'étions des eaux du fleuve, de forêts , de montagnes , que les voiles de la
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nuit paroissoient avoir rapprochées de nous î II n'étoit donc point étonnant qu'au milieu d^une scène aussi imposante et aussi nouvelle, nos ima- ginations empruntassent de la singularité et de la grandeur de tant d'objets, quelques-uns des traits et même des charmes de la bizarrerie !
Il étoit minuit , et nous étions encore sur le pont , occupés à contempler la majesté de la na- ture, ces efforts d'une puissance que nous ne comprendrons jamais j déployés dans les cieux , sur la terre et sous les eaux : le calme profond, le silence solemnel de cette belle nuit chaldéenne n'étoient que rarement et foiblement interrom- pus par les lentes et longues ondulations des vagues , qu^on entendoit à peine se briser sur les rivages éloignés , ou que sillonnoit en tremblant le cable de notre vaisseau ; par le frémissement des feuilles , ou enfin par le murmure éloigné du passage de cet immense volume d'eau à tra- vers ce long et tortueux détroit. Nous nous amu- sions encore avec les échos du voisinage , aux- quels nous faisions répéter des vers et des chan- L sons , lorsque nos oreilles furent tout- à-coup frappées d'un bruit très-extraordinaire, comma d quelque géant placé sur le haut des monta- ^gnes , eut jeté des rochers dans le fleuve. — ce Ce sont des esturgeons, nous dit le capitaine, qui retombent dans la rivière après avoir sauté à
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une grande hauteur. J'ignore quel peut être le motif d\in exercice aussi singulier )).
Le lendemain , nous levâmes Tancre aussi-tôt que la marée le permit, et le capitaine ayant beaucoup diminué la voilure de son vaisseau, nous eûmes le temps de considérer attentive- ment ce qui reste encore des immenses tra- vaux de West-Point^ ou plutôt ce qui peut en être vu du milieu de la rivière. La plupart des redoutes construites en pierre , les batteries éle- vées sur la crête des rochers ainsi qu^à fleur d'eau, nous parurent bien conservées, quoi- qu'on partie cachées sous les épais feuillages des buissons et des arbrisseaux ^ car tout ce que le pied de l'homme ne foule que rarement , est bientôt ici couvert de bois.
« Ce vaste amphithéâtre de défenses , nous dit le capitaine, a exigé le travail assidu de plu- sieurs milliers d'hommes pendant deux longues années : de toutes les maisons qu'on avoit cons- truites , il ne reste plus que le grand magasin devenu arsenal, dans lequel on a déposé la grosse artillerie des fortifications , et celle qui fut prise à la capitulation de Saratoga. Les deux extré- mités de la chaîne qui fermoit la rivière étoient défendues, comme vous voyez, par ces deux formidables redoutes parfaitement conservées. Jl est aisé de voir que les vaisseaux n'auroient
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jamais pu en approcher , sans s'exposer, pendant plus de deux milles , au feu foudroyant et croisé, des rivages et des hauteurs voisines ».
Enfin 5 après avoir lentement dépassé ces restes de tant d^efForts et de persévérance , nous entrâmes dans le dernier et spacieux canal , le plus imposant de ce détroit , dont l'extrémité est terminée par deux montagnes , qui , bien qu'à- peu-près perpendiculaires , sont cependant en partie boisées, et d'où nous commençâmes à découvrir les campagnes et les habitations de la rive occidentale du fleuve. Ce fleuve , à son dé- bouquement, a près de trois milles de largeur entre New- Windsor et Fish-Kill.
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CHAPITRE XVI.
CoîïFORMÉMENT à sa promesse j le capitaine nous débarqua à cette première bourgade , bientôt après être sorti du détroit ^ mais comme ce n^est qu'une embarcadère où aboutissent plusieurs chemins venant de l'intérieur, et qui ne nous olFroit rien d'intéressant , nous en partîmes sur le champ. A peine avions -nous fait quelques milles du côté de Béthélem , que nous rencon- trâmes M. John Allisson , riche propriétaire de ce canton, avec lequel j'avois traversé l'Océan quatre ans auparavant, et qui, après nous avoir fait voir son beau moulin , dans lequel il con- vertissoit annuellement en farines 25 à 5o milla boisseaux de bled , voulut que nous dînassions avec lui. Ses entreprises auroient été beaucoup plus considérables , nous dit-il, s'il n'étoit pas exposé à manquer d'eau pendant les chaleurs de l'été , et si on pouvoit trouver les moyens de se débarrasser de la mouche Hessoise ( Hessian Fly ( 1 ) ) j insecte qui , depuis plusieurs années, faisoit des ravages considérables dans tous les cantons voisins, et dont on n'avoit jamais en- tendu parler avant l'arrivée des troupes alle- mandes à New- York.
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Guidés par des pierres milliaires , nous con- tinuâmes notre voyage jusqu'àBlooming Green, où nous devions quitter la grande route pour entrer dans les montagnes; mais à peine avions- nous passé le pont établi surleMurderer'sCreek, que nous découvrîmes un autre moulin qui excita Finsatiable curiosité de M. Herman. Heu- reusement nous en rencontrâmes le propriétaire J. Thorn , qui nous engagea très -poliment à entrer , et s^ofFrit de nous en faire voir tous les détails. Il commença par le rez - de - chaussée I occupé par quatre paires de meules ; de-là il nous fit monter plusieurs étages remplis de ventila- teurs immenses , de blutoirs à brosses d'une invention nouvelle , et il nous conduisit jus- qu'au quatrième, où les farines étoient rafraî- chies pendant quinze jours avant d'être blu- tées et mises en barriques. Ce dernier plancher avoit toute la grandeur de l'édifice, c'est-à- dire 94 pieds sur 4o. Il nous mena ensuite à sa digue.
(( L'art et la nature , nous dit- il , m'ont pro- curé une chute de 1 8 pieds; par ce moyen, mes roues recevant d'en-haut la force motrice , il me faut beaucoup moins d'eau. Voici ma tonnel- lerie, où je fais faire annuellement 5 à 4ooo bar- riques. — Combien de bled convertissez -vous donc en farine, demanda mon compagnon ? — ■
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4o à 5o,ooo boisseaux. — D'où tirez*- vous Te bled? — Des comtés de Sussex, d^Orange , d'Ul- ster, ainsi que du Haut- Jersey et de la Pensyl- vanie. — Combien vous coùte-t-il le boisseau? — Le prix des marchés de l'Europe est notre thermomètre ; en général huit à dix shel- lings (2). ^— Quel est l'usage de cette grande muraille construite au-delà de vos tournans , et qui paroît supporter une partie de la bâtisse de votre beau moulin ? — C'est pour les mettre à l'abri de la gelée. — Combien tout cela vous a- t-il coûté? — i4,oQO piastres, en y comprenant la digue et l'emplacement ( 70,500 liv. ) ».
Enfin , nous entrâmes dans les montagnes, presque toutes bien cultivées depuis long-temps, et après trois heures de marche, nous décou- vrîmes la belle vallée de Skonomonk. — - « Tout ce que vous appercevez , dis-je à M. Herman , appartient à mon ami Jessé Wood-Hull, ces herbages , ce grand vei'ger , ces champs à perte de vue. Le croiriez-vous ? C'est lui qui a ren- versé le premier arbre de ce vaste établisse- ment, et ce brave homme n'a pas encore 5o ans. Je crois le reconnoître à sa haute taille, sur ce coteau que trois charrues labourent 5 al- lons-y )) .
Après que nous en eûmes été reçus comme si l'hospitalité elle-même nous ei^t prispar lamainj^
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mon compagnon étonné de voir que chaque atte- lage étoit composé de deux paires de boeufs et de deux chevaux, lui en demanda la raison. — ((La terre est si compacte dans cette vallée, répondit- il , que nos labours exigent une très -grande force : souvent même la brisure se fait avec quatre paires. Bien différent est le sol des can- tons voisins , qu^on laboure avec trois chevaux seulement».
— ((Pourquoi ces bœufs marchent-ils si leste- ment , et ceux que j'ai vus dans le Connecticut, si pesamment ? — Ceux que vous voyez ici ne sont point des boeufs. — Etonné de cette ré- ponse à laquelle M. Herman paroissoit ne rien comprendre, le Colonel ajouta : — Non , Mon- sieur , ce ne sont point des bœufs , mais des ani- maux d'une espèce nouvelle , et pour lesquels notre langue , toute riche qu'elle est, n'a point encore de nom. — Ce sont des génisses aux- quelles , dans leur jeunesse , j'ai fait subir une opération très-simple et nullement dangereuse, en les privant de leur sexe j j'en ai fait des ani- maux de trait qui sont beaucoup plus agiles , quoiqu' aussi propres au travail et à la fatigue , que des mâles 5 mais elles sont un peu moin^ dociles. Tous les ans je fais subir la même opé- ration à un certain nombre de poulines , ce qui les rend bien supérieures à mes autres chevaux ,
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pour la force et la santé, et sur-tout pour là sûreté de la marche )).
— (( Où avez-vous puisé cette idée si neuve et si singulière? Quel estFanatomiste qui exécute cette opération ? — Je Fai puisée dans ma tête , lui dit-il. J'en fis moi-même les premiers essais il y a i5 ans j ils furent heureux, et Font cons- tamment été depuis )) .
«Ne craignez-vous point de faire tort à la multiplication de ces deux espèces ? Non , parce qu'ici on ne tue jamais de veaux, et que nous avons un Irès^grand nombre de chevaux ».
(c Nous sommes venus, lui dis-je , pour passer quelques jours avec vous, et ensuite, munis de Tos instructions , aller voir les grosses forges de Sterling , deRingwood, de Charlottsbourg , &Cv Voudrez -vous alors nous prêter des chevaux? — Très- volontiers ; mais j'exige que vous restiez avec moi une semaine ; alors je vous accompa- gnerai par -tout où vous voudrez. — Si vous aimez la chasse ou la pêche , il y a ici de quoi yous amuser » ,
Le lendemain , en revenant de parcourir ses herbages et ses champs , il fit sortir de l'écurie plusieurs de ses jumens hongres. — (( Je ne chasse le cerf qu'à cheval , nous dit- il , et voilà mes montures ; elles sont infatigables et jamais ne bronchent : elles ont encore d'autres qualités f
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celle de trotter avec beaucoup de vitesse , sans jamais se ferrer. — D'où leur viennent ces qua- lités? — De leur éducation. — Trois fois la se- maine, pendant Fêté, je leur fais mettre des sabots de plomb aux pieds de devant ; on leur apprend d'abord àmarcber avec ce poids , ensuite à trotter. Six mois de cet exercice suffisent pour que jamais ceux de derrière ne puissent atteindre ceux de devant, quelqu'alongé ou précipité que soit leur trot)).
— ({ Combien de terre cultivez -vous? — 748 acres. — C'evSt trop , je le sais, car à peine un seul homme peut-il surveiller une aussi grande entreprise. Mais la machine est montée, je ne pourrois pas faire autrement 5 d'ailleurs j'ai neuf enfans , et si tous vouloient être cultivateurs comme leur père, vous sentez que les i,5oo acres que je possède ici ne suffiroient pas pour leur former chacun une bonne plantation. J'y ai pourvu par une acquisition assez considérable , que je viens de faire dans le nouveau comté d'Otségo (3))).
— «Ne voyant presque plus de souches dans vos champs , lui dit M. Herman , j'imagine que ce grand défrichement a été commencé avant vous. — Non : j'en ai moi-même renversé le pre- mier arbre il y a trente-un ans j j'en avois alors 18. Je n'étois pas seul , comme vous pouvez le
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croire. — Quel hideux spectacle le fond de cette vallée présentoit alors ! La richesse bienfaisante d^i* ■'^'.citure y étoit ensevelie sous les débris les plus rebut ans d'arbres renversés et en partie recouverts de terre ; ces beaux herbages , ces prairies, aujourd'hui si unies et si vertes , n'é- toient qu'un marais encombré de saules , dont l'extrémité des branches reprenoit racines pour former de nouvelles tiges , de ronces noires et traînantes , de vignes épineuses dont les innom- brables jets entrelaçoient les buissons et les ren- doient impénétrables ^ enfin de frênes et d'éra^ blés aquatiques d'une grande hauteur. Très-cer- tainement les générations futures nous devront quelque reconnoissance ; mais pourront - elles jamais savoir quelles ont été les fatigues et les peines , les dégoûts et l'ennui qui ont accompa- gné ces pénibles commencemens » ?
(( Un jour, continua- t-il 5 après 17 mois du travail le plus assidu, frappé du peu de progrés que nous avions fait , je crus ne pouvoir jamais franchir l'intervalle immense que j'appercevois avant de parvenir à la jouissance de quelques champs enclos , de quelques acres de prairies , d'une maison et d'une grange ; cette réflexion me désola. Tout-à-coup je fus saisi d'un abatte- ment que je n'avois point encore éprouvé j mon courage et mes forces disparurent j l'espérance y
DANS I/A lîAUTÉ Pl:î^ S YLVANI E. ùBg
qui, tous les matins, précédoit mes pas quand j'ai- lois aux bois, et, tous les soirs , me suivoit quand j^en revenois , m'abandonna tout- à -fait. Je cessai de considérer cette belle propriété que mon père m'avoit donnée , comme la voie qui devoit un jour me conduire à l'aisance et à l'in- dépendance. Je regrettois , je gémissois de me voir condamné à passer les plus beaux jours de ma jeunesse loin des plaisirs de la société, au milieu de ces sombres forêts, de ces marais im- pénétrables , que la persévérance et le courage , le fer et le feu ne pouvoient pas détruire. Tant d'obstacles à vaincre , me disois-je, tant de difficulté^ à surmonter, exigeroient les forces d'Hercule ou de Milon, et la longévité d'un patriarche. En vain un de mes oncles établi à Blooming-Grove dans le voisinage, venoit-il souvent me voir et m'encourager ; en vain mon père m'écrivoit-il les lettres les plus propres à rappeler mon activité j je luttois depuis plu- sieurs mois contre moi-même, lorsque j'appris le départ prochain d'un de mes oncles pour Su- rinam , avec une cargaison de chevaux (4). En- traîné par je ne sais quel prestige , je fus le trou- ver à New^-York , et n'informai mon père de ma fuite , que le jour même de notre départ » .
(( Nous ne fûmes pas plutôt au large que je ■me crus délivré d'un pesant fardeau j je me sen-
^rjo VOYAGE
tois comme un homme qui renaît à l'existence après une longue maladie , je me félicitois d'avoir abandonné un genre de vie aussi pénible et aussi monotone , toutes mes idées et mes ré- flexions étant dirigées vers un autre but. Mon esprit n'étoit plus le même j jamais métamor- phose ne fut aussi complète. Si quelquefois je pensois à cette vallée, je me félicitois de nouveau de l'avoir abandonnée , ainsi que cette longue suite de travaux qui ne paroissoient plus à mes yeux que comme une servitude honteuse, un vil esclavage. Je calculois quelle devoit être la lon- gueur de mon apprentissage , et combien d'an- nées dévoient s'écouler avant que je pusse obte- nir le commandement d'un vaisseau. La seule réflexion qui venoit quelquefois attrister mon esprit 5 étoit celle d'avoir déplu à mes bons pa- rens , en abandonnant Skonomonk )).
(( Jusqu'alors les vents avoient été favorables et la mer douce , mais en traversant la latitude dtt cap Hâteras et desBermudes (6), nous fûmes assaillis d'un coup de vent très-violent qui obli- gea le capitaine à se défaire de ses chevaux , en les jetant à la mer. Cet orage, le premier que j'eusse vu , remplit mon coeur de crainte et d'épouvante, et dans un instant dissipa mes nou- veaux projets. Je fus saisi du mal de mer : durant mes douloureuses angoisses , mon esprit se re-
DANS LA HAUTE PENS YLVANIE. ^71
porta involontairement vers cette vallée , que je commençai à considérer sous des couleurs moins sombres. Quelquefois, dans mes rêves, il me sem- bloit en voir les marais convertis en herbages et couverts de bestiaux ; les terres boisées , en jchamps de maïs et de bled, (( Ah ! me disois-je en me réveillant , si une partie seulement de ce que mon imagination vient de voir eût existé, je n'aurois jamais quitté ce bel héritage, et je ne serois pas aujourd'hui exposé à la fureur des vents et des flots )) .
a Enfin, après une longue et pénible traversée , nous arrivâmes à Surinam (6) : la chaleur exces- sive de ce climat dévorant , les insectes dégoû- tans dont nous étions sans cesse environnés , ces tonnerres, ces éclairs redoutables, qui me parois- soient être les avant-coureurs de la destruction du monde ; Textrême subordination que mon oncle exigeoit; ce gouffre de fond-de-cale, où tous les jours j'étois obligé de descendre pour aider au déchargement et au chargement du vaisseau ; toutes ces souffrances imprévues firent naître les regrets dans mon ame , et y appelèrent le repentir. En comparant les inconvéniens at- tachés à ces deux genres de vie , je ne tardai pas à sentir qu'il y en avoit par-tout, que par-tout la nature nous échappe ou s'arme contre nou^, qu'il valoit mille fois mieux , quelque fatigue
S72 Voyagé
qu'il en coûtât , abattre , brûler des arbres , et peu à peu nettoyer la surface d'un sol fertile qui devoit un jour me récompenser au centuple, que de sillonner l'océan tempétueux ^ que de traver- ser des climats brûlans , et affronter les orages de la zone torride. Si dans les bois on éprouve le dégoût 5 l'ennui et les fatigues, me disois-je, du moins ne font - ils pas disparoître l'espé- rance , comme les dangers de ce climat où l'on passe la moitié des jours à trembler sous des foudres verticales qui bouleversent l'atmosphère et la terre )) .
« Revenu à New -York après cinq mois d'ab- sence ( car nous avions été obligés d'aller à Essé- quibo ( 7 ) compléter notre chargement ) , je partis dès le lendemain de mon arrivée , pour aller sur l'île Longue , me jeter dans les bras de 7[nes parens dont je redoutois le juste courroux. Quelle fut ma surprise et ma joie , lorsque j'ap- pris que mon père étoit ici , et lorsque ma mère me raconta ce qu'il lui avoit dit après avoir reçu ma lettre ! — (( Le découragement qui s'est » emparé de ce jeune homme , ne me surprend » point 5 il n'est pas le premier qui, dans des cir- )) constances semblables, en ait été atteint; mais » au lieu de s'embarquer , de fuir sa terre natale, » que ne venoit-il me trouver ? Ne savoit-il pas » que j'étois son père et son ami , et toi sa mère,
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 27^
» sa tendre mère ? Pour le dégoûter de ses pro- )) jets maritimes et le fixer irrévocablement, je )) ne connois que deux moyens : je vais louer six )) bons travailleurs , qui y avec les quatre laissés )) à Skonomonk , feront beaucoup d'ouvrage )) pendant son absence. A son retour , étonné , )) flatté de nos progrès , il rougira de son incar- )) tade 5 et sentira le prix de la leçon que j'ai )) voulu lui donner. Cela ne vaudra-t-il pas mieux )) que toute autre espèce de réprimande ? Bientôt )) il oubliera le passé, et moi aussi. Quant au )) second moyen , je ne t'en parlerai qu'à son )3 retour )) .
ce Ce moment fut un des plus beaux de ma vie. Quelques jours après, je vins ici retrouver ce bon père, qui me dit, en m'embrassant tendrement, les yeux baignés de larmes: — (c Eh bien , Jessé î )) ce pays-ci ne vaut-il pas mieux que Surinam ? )) A la vérité on n'y devient pas un riche et )) voluptueux colon , un millionnaire , mais un )) cultivateur , un laboureur plein de santé et 5) d'aisance , qui ne rougit pas de manier la )) hache et d'empoigner la charrue »,
— «Ah, mon père ! lui répondis-je, ce climat , ce pays me paroissent aujourd'hui comme un pa- radis terrestre, comparé à celui d'où je viens 5 si vous me pardonnez, je ne cesserai de me vouer à l'industrie la plus assidue , jusqu'à ce que
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j-aie accompli vos projets devenus les miens »!
— (( Depuis ton départ^ reprit-il , j'ai fait net- )) toyer , enclore et semer en bled un champ de )) 27 acres , arracher , brûler un grand nombre )) de souches, détruire deux digues de castors, » élever enfin un moulin à scie , pour pouvoir )) te faire construire une maison décente et com- )) mode, ainsi qu'une grange proportionnée aux )) récoltes considérables que tu auras un jour. )) N'ai-je pas bien employé les cinq mois de ton )) absence )) ?
a J'ai un autre présent à te faire , Jessé, con- )) tinua-t-il, c'est celui d'une femme comme il » en faut une , sage , saine , laborieuse et enten- )) due. Tu connois S. B. du district de Cornw^all , 7) embrasse-moi. Si tu n'as rapporté de Surinam , )) ni sucre , ni indigo , tu as acquis pendant ce )) voyage quelque chose qui vaut mieux, mille fois )) mieux pour un jeune homme comme toi, c'est )) l'expérience ; car la vie est comme les glaces )) de l'hiver sur lesquelles on n'apprend à mar- )) cher , à se tenir ferme , qu'après s'être relevé y) des premiers faux pas : et puis tu sauras mieux )) connoître ton père ». — (( J'ai fait une grande faute , lui répondis- je ; et si vous me la par- donnez, ce sera la dernière. — Oui, j'en suis sûr, me dit-il, embrasse-moi î Que tout eeci soit oublié»!
DANS LA HAUTE PENSYLYANIE. 27.5
(( Heureux les enfans à qui la nature a donné des pères, ou plutôt des amis semblables au mien ! Ils leur doivent plus que la vie. Malheureuse- ment il est mort 5 mais sa mémoire, que je bénis tous les jours, après avoir offert mes prières à
A.
l'Etre suprême, vivra dans la mienne aussi long- temps que moi. Ma bonne mère existe encore à S. George , sur Fîle de Nassau (8) )).
(( Le lendemain, la hache à la main, j^allois partir pour les bois , lorsqu^il m'arrêta et me dit : (( Jessé, repose -toi 5 va voir la femme que je te destine ; et mérite son affection : moi je resterai ici jusques au commencement de l'hi- ver )).
(( Je l'épousai six mois après, cette chère et pré- cieuse femme 5 et depuis, elle a fait mon bon- heur. Elle m'a rendu père de neuf enfans, et est justement renommée pour son intelligence dans les affaires du ménage , département bien im- portant ici )).
(( Comme pour mettre le comblé à ma félicité , I un frère chéri , professeur au collège de New^-Ha- ven , vint passer avec moi les vacances de cette même année , c'est à lui que je dois plusieurs améliorations importantes en agriculture. Il a dans les environs de cette ville une petite plan- tation , sur laquelle , à force de soins, de persé- vérance et de connoissances , il a réuni tout ce
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qu'on cultive d'utile et d'agréable dans ces Etats. On peut le dire , son jardin et sa terre sont un épitome du continent. Une fois l'an , il donne à son président et à ses collègues un grand dîner, qu'il appelle d'un nom grec que j'ai oublié. Le linge de sa table vient de quelques cotoniers qu'il . cultive ; ses serviettes sont bordées de raies bleues, teintes avec de l'indigo , dont il fait an- nuellement deux à trois onces. Je ne vous parle pas des viandes, des légumes et des fruits pro- venant de sa basse-cour et de son potager j le sucre d'érable , l'huile de sézamen , l'eau-de- vie de pêches, le sirop et le vinaigre d'érable (9), le cidre , l'hydromel , le vin de cerises , les confitures, une espèce de thé de ce pays ( Labra- dor ) , le café même , tout vient de ses champs , de son jardin, ou de sa serre : oui, tout, jusques à sa bougie (10). Mais ce qui vous étonnera en- core plus, c'est le pz/Tzc^ dont il les régale. L'acide de cette liqueur vient aussi de son jardin. C'est moi qui, en parcourant les bois , il y a quelques années , découvris ce charmant arbuste ; il rap- porte des bayes grosses comme un œuf de pigeon du plus bel incarnat, remplies d'un jus trans- parent de la même couleur , que nos médecins ont trouvé aussi bon que celui des citrons de la Jamaïque , ou de Bahama ; c'est exactement le même que celui du cramberry (11) des marais»
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 277
Il est assez singulier qu'une plante et un arbre rapportent le même fruit, sans autre différence que la grosseur )).
Le lendemain n'ayant pas trouvé le colonel dans son salon , nous ne tardâmes pas à décou- vrir qu'il étoit occupé à raccommoder le soc d'une de ses charrues. — « Ce n'est point, nous dit-il, par économie , que je frappe quelquefois sur mon enclume, mais pour gagner du temps, qui fait ici toute notre richesse. Le temps est plus rapide que l'eau de ma rivière. Combien de jours n'ai-je pas souvent perdus pour un ou- vrage d'une demi-heure, lorsque je me servois du maréchal voisin )) !
— (c Pourquoi le temps seroit-il plus rapide ici qu'ailleurs? demanda M.Herman)). — «Parce que nous n'avons point de printemps , et que l'été succède à l'hiver si promptement, que soU' vent il est difficile de confier à la terre les grains de cette première saison , avant que celle de la fenaison ne soit venue. D'un autre côté, la lon- gueur de nos hivers nous oblige d'avoir une grande quantité de fourrages ; le travail néces- saire à le procurer, dure quelquefois six semai- nes 5 car je fauche annuellement près de cent acres, et pendant ce temps-là, nos charrues se reposent. Vous voyez bien que nous n'avons pas de temps à perdre , et que , si nos hivers
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étoient moins longs, nos récoltes seroient beau- coup plus considérables ».
((D^un autre côté, comme sbérifF du Comté , je suis obligé de passer plusieurs jours à Gos- liem (12), toutes les fois que les cours inférieures et supérieures viennent y tenir leurs séaiices : comme colonel de la milice du même Comté , quatre grands exercices annuels et de fréquentes inspections m^oblîgent de quitter souyent mes champs. Tous ces devoirs extérieurs, unis aux soins indispensables qu^exige une aussi grande entreprise, et une famille composée de trente- cinq individus , qu^il faut vêtir et nourrir , con- tribuent à rendre le temps encore plus rapide et plus précieux pour moi que pour bien d^autres » .
— c( Mais pourquoi , lui demanda encore M. Herman , un état de milices dans un pays qui jouit d'une profonde paix? N'avez-vous pas des troupes réglées»?
(( Nous n'en avons que ce qui est indispensa- blement nécessaire pour garder nos frontières et protéger les nouvelles colonies qui se sont formées au-delà de l'Oliio. Il li'y a pas un seul soldat dans nos villes 3 d'ailleurs la Constitution exige que tout citoyen, depuis l'âge de dix-liuit jusqu'à cinquante ans, soit enrôlé, armé et prêt à marcher. Le repos et la tranquillité des villes
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. SyQf
et des campagnes n'étant confiés qu'à la sauve- garde des loix 5 il est nécessaire qu'en cas de besoin, les magistrats puissent appeler à leur secours des détachemens de la milice : par qui peuvent-elles être mieux conservées , préservées de toute atteinte, que par les citoyens » ?
Le soir, mon compagnon s'étant apperçu que les chandelles qui éclairoient le salon étoient vertes , en demanda la raison au colonel. — ce C'est qu'elles ne sont pas faites avec du suif , répondit - il , mais avec de la cire végétale , produite par des buissons très- communs dans ce canton : le plateau de la montagne de Sko- îiomonk en est entièrement couvert. Rien de plus simple ni de plus facile que de s'en procu- rer autant qu'on en veut. N'observez - vous pas combien la fumée en est suave et odorante? Déjà on a essayé avec succès de la blanchir. Encore quelques années, et nous serons en état de perfec- tionner plusieurs nouvelles branches d'industrie et de commerce. Déjà on en envoie avec celle de nos abeilles aux îles espagnoles et portugaises , dont le culte exige la lumière des cierges , lors même que celle du soleil luit )) .
(( La même activité , le même degré de soins et de prévoyance qui préside aux travaux de nos champs , préside aussi à l'économie de nos ménages. Ici on file annuellement assez de
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coton, de lin et de laine pour entretenir la maison et vêtir toute la famille. Les différentes étpffes qu'on en fait, sont tissues sous mon toit j celles qui doivent être teintes , y subissent aussi cette opération. Ma femme est notre grande teintu- rière: nous en faisons ordinairement 8 à 1200 aunes par an. Il en est de même du savon : chaque famille fait annuellement tout celui dont elle a besoin , avec de la graisse et de la cire végétale. Cette opération est plus facile et plus prompte encore que la manipulation du sucre d'érable».
« Je dois à la nature trois à quatre cents de ces arbres si utiles , que j'ai fait soigneusement 'Wclore, et dont j'ai élagué tous les voisins im- portuns pour augmenter la vigueur ainsi que la quantité de leur sève. Ce beau verger, devenu notre petite Jamaïque , me fournit annuellement au mois d'avril tout le sucre, le sirop et le vinai- gre dont nous avons besoin. Chaque arbre en donne de trois à quatre livres; mais pour ne les point fatiguer, je les ai divisés en trois classes , dont on n'en saigne qu'une tous les ans. Depuis que je les aï débarrassés de tout ce qui les gênoit et les étouffoit, et que le soleil les inonde de ses rayons bienfaisans, j'observe que leur sève de- vient annuellement plus riche et plus abon- dante. Dans quelques années, j'espère que cha-
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 281 cun d'eux me donnera cinq livres de sucre. Déjà on commence à le raffiner. Celui que je viens de recevoir de New- York m^a paru aussi beau et aussi éclatant 5 que celui de la Jamaïque ou d'An- tiga. Quant au vinaigre, je n'en connois ni de meilleur , ni de plus fort » .
Enfin, précédés du cJief de cette bonne fa- mille, nous partîmes de Skonomonk pour Ster- ling, dont nous ne tardâmes pas à entendre les gros marteaux, et où nous arrivâmes de bonne heure (*).
(^) Les détails intéressans que renferme ce chapitre, suffiroient pour prouver , si elle n'étoit pas déjà recomiue depuis long-temps, cette vérité devenue triviale à force d'être évidente, savoir, que le besoin est le père de l'in- dustrie. J'ajoute que les succès (toujours chèrement achetés) de l'industrie, procurent pourtant à l'homme le bonheur , qu'il ne trouve ni dans les faveurs de la for- tune, ni dans les faciles jouissances du luxe. Voilà ce dont est bien convaincu , et par sa propre expérience , l'actif et laborieux colon : voilà ce que ne soupçonne même pas , bien loin de le comprendre, l'oisif ou frivole habitant des villes en Europe, (^Nota communiquée à V éditeur par le cit. J3. . . . )
282 VOYAGE
CHAPITRE XVI I.
A peine avions-nous mis nos chevaux à l'écu- rie, que le propriétaire, M. Townsend, vint au- devant de nous, et nous reçut avec la politesse d'un homme accoutumé à voir souvent des étrangers et des voyageurs. En effet , son hos- pitalité est si bien connue depuis long-temps , que, soit qu'on vienne de Tintérieur ou de New- York, on s'arrange toujours de manière a loger chez lui , en passant les montagnes. Ayant ap- pris que le motif de notre voyage étoit d'exa- miner avec attention ses dilférens ouvrages^ il offrit de nous en montrer tous les détails.
D'abord, il nous conduisit à sa grande four- naise où le minerai étoit fondu et ensuite con- verti en saumons de 60 à 100 livres pesant. Elle étoit située à peu de distance de la principale digue, qui, par la position favorable des rochers, lui avoit procuré à peu de frais une retenue d'eau très-considérable. D'un simple ruisseau , il avoit fait un petit lac de quinze mille acres de surface , rempli de poisson , et sur lequel il avoit un joli bateau. Cette fournaise étoit ani- mée par deux immenses soufflets de quarante- huit pieds sur sept , qui n'étoient faits que de
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 285
bois sans fer, ni cuir. La violence , le bruit da Tent qu^ils produisoient , ressembloit à celui d^une tempête.
(( Cette fournaise, nous dit-il, produit annuel- lement, quand il ne lui arrive point d'accident, de deux mille à deux mille quatre cents tonneaux de fer , dont les trois quarts sont convertis en barres, et le reste fondu en boulets , canons, etc. à l'usage du commerce. Ces montagnes dont les coupes n?e procurent le charbon , fournissent aussi plusieurs espèces déminerai, d'une excel- lente qualité, connu sous des noms différons ». De-là nous fumes voir la raffinerie ; six gros marteaux étoient occupés à forger des barres de fer et des ancres , ainsi que plusieurs pièces à l'usage des vaisseaux. Plus bas , sur le même ruis- seau, étoit la fonderie avec son four à réverbère. Il nous fit observer plusieurs machines ingénieu- ses , destinées à différens usages , dont on lui avoit envoyé les modèles , qu'il avoit fondus avec un potin nouvellement découvert dans ces montagnes , dont le grain , après deux fusions, acquiert la finesse et presque la couleur de l'étain.
(( Je puis en faire , nous dit-il , les choses les plus délicates et les plus légères. Quel dommage que vous ne soyez pas venus ici huit ou dix jours plutôt ! je vous aurois fait voir, i°. trois nouvelles espèces de charrues , dont j'ai fondu
284 VOYAGE
les principales pièces , et qui cependant ne sont pas plus pesantes que les anciennes. Chacune d^elles est pourvue d^une espèce de romaine graduée , au moyen de laquelle on peut voir avec la dernière précision à combien se monte la puissance de l^attelage, et conséquemment la résistance, c'est-à-dire, la ténacité du sol, 2°. un moulin portatif, destiné à détacher le grain de la menue paille. Cette invention n^est que la suite d'une autre , au moyen de laquelle tous les épis d'un champ pourront être facilement enlevés, sans qu'on soit obligé de le couper par le pied pour en faire des gerbes, suivant l'ancien usage. Tout cela est parti pour le Mont-Vernon (1)3 car, continua-t-il, quoique le général Washington remplisse avec des talens aussi distingués la pré- sidence de FUnion , à laquelle il a été appelé par la voix unanime de TafFection et de la recon- noissance,et que le siège du Gouvernement soit à cent lieues de sa belle terre , il surveille son immense culture, et en dirige les opérations avec un discernement et une attention dignes d'élo- ges. Toutes les semaines il en reçoit les détails , comme un négociant , le compte courant de ses aifaires. A l'aide d'une très- grande carte qu'il m'a fait voir, il connoît tous ses champs , sait ce qu'ils ont rapporté , et préjuge ce qu'on doit y semer. Jamais on n'a poussé plus loin l'ordre ,
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îa méthode et Féconomie du temps. C'étoit la même chose durant la guerre. Le Congrès et le public ne furent pas peu étonnés, lorsqu'après être rentré dans la classe des citoyens , il rendit au premier les comptes de son commande- ment^ parmi lesquels on trouva celui de la dé- pense particulière des services secrets pendant «ept ans, entièrement écrit de sa main, et qui ne se montoit qu^à douze ou quatorze mille gui- nées. Pendant ce long intervalle , ainsi que de- puis qu^il est devenu chef du Gouvernement général, cet illustre Agricola n'a jamais cessé d'être un des cultivateurs les plus éclairés des Etats-Unis. Avant la révolution , il avoit qua- rante charrues, et en 1772 il récolta près de dix mille boisseaux de bled)).
De la fournaise nous allâmes voir les fours dans lesquels le fer étoit converti en acier. — a II n'est pas encore aussi bon que celui de Suède , nous dit M. Townsend , mais nous en appro- chons. Encore quelques années d'expérience, et nous parviendrons à la perfection. Le fer qui sort de dressons mes marteaux , jouit depuis long -temps d'une bonne réputation, et se vend de 28 à 5o pounds le tonneau de- 567 à 590 livres pesant (*) )).
C^) Le tonneau pèse 2200 livres.
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(( Voyez-vous , continua-t-il, ce bel et vaste herbage , environné par les deux branches de la rivière? c'est ce que j'appelle le chef-d'oeuvre de mon industrie j il n'y a pas encore dix ans que ce bas-fond étoit le cloaque de ces mon- tagnes. J'essayai de le faire défricher à la hache ; mais les haliers et les broussailles dont il étoit couvert ne présentant aucune résistance, cet instrument devint inutile. Je ne savois comment m'y prendre , lorsque l'idée me vint d'y mettre trois cents chèvres, et de les y retenir jusqu'aux approches de l'hiver. Pressées par le besoin, elles firent mourir les buissons les plus vivaces , en les dépouillant de leur écorce. L'été suivant, un embrasement général fit tout disparoitre; j'ensemençai mon terrein en trèfle et en timtchy , et l'année d'après , cet amas impénétrable de ronces et d'épines fut remplacé, à ma grande joie, par une abondante récolte de foin. Cette île est devenue, depuis, une des meilleures prai- ries du canton. Plusieurs cultivateurs ont suivi mon exemple » .
Après avoir passé deux jours à examiner ces constructions si diverses , à admirer l'art avec lequel on avoit combiné le mouvement des eaux, ainsi que l'ordre et l'arrangement des coupes de bois , nécessaires à la fourniture du charbon qu'exige une entreprise aussi considé-
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rable, nous quittâmes M. Townsend, etleméme jour nous arrivâmes à Ringwood, dont nous sa- vions que le propriétaire, M. Erskine, avoit passQ trois ans en Europe , à visiter les principales forges de l'Ecosse , de la Suède et de FAllemagne. Quoique moins considérables , les ouvrages de celle-ci ne nous parurent pas moins intéressans. La combinaison , le mécanisme des différentes machines destinées à simplifier les travaux , étoient encore plus parfaits que ce que nous avions vu à Sterling. Un grand mouvement destiné à platiner et à fendre le fer en baguettes, parut à M. Herman un chef-d'œuvre de sim- plicité j mais ce qui le rendoit encore plus cu- rieux, c'étoit le moulin à farine dont il étoit surmonté, et qu^on pouvoit baisser quand on vouloit s'en servir, ou exhausser aussi-tôt que la mouture étoit finie. Toutes les pièces en. étoient de potin. Non loin de -là, étoit une autre mécanique destinée à forer les canons. M. Erskine nous dit qu'année commune, il veli- doit 5oo tonnes de fer en barres , 200 d'acier , sans parler des fontes : mais Ringwood, outre l'abondance des eaux et du bois , jouit d'un avantage inappréciable , celui de n'être qu'à une petite distance de la rivière Hakinsack, qui verse ses eaux dans la grande baie de New- York. « Quelles ressources , lui dit M. Herman, ces
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montagnes n'offrent-elles pas aux habitans des deux Etats de New- York et du Jersey ! L^im- niensité des forets dont elles sont couvertes jus- qu'à leurs plus hautes cimes ; les différentes espèces de minerai qu'on trouve dans leur sein avec autant de facilité que d'abondance ; les riches et fertiles vallées, les nombreux ruis- seaux qui les arrosent , ainsi que les sources qu'on rencontre à différentes hauteurs , et qui sont si utiles à l'irrigation des prairies et des champs : quels moyens de prospérité et de ri- chesse ! Si votre postérité conserve ces beaux bois , elle jouira pendant bien des siècles des avantages précieux d'avoir le charbon néces- saire à la fabrication du fer , la facilité de ré- parer les bâtimens et les écluses, ainsi que tous les moyens de puissance dont elle aura be- soin)).
(cVous avez raison, dit M. Erskine; il est probable que cela arrivera, puisque la chaîne entière est devenue, depuis long-temps, la pro- priété de plusieurs individus extrêmement in- téressés à la conservation de ces forêts. Depuis les limites du Connecticut jusqu'à celles du Jer- sey , on compte dans ces montagnes sept four- naises et six grosses forges , sans parler des fon- deries et de plusieurs raffineries, qui produisent annuellement peut-être i4o,ooo quintaux de
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fer forgé , beaucoup d'acier , cF ancres , de ca-* nons, etc. Si, d'un autre oôté, je pouvois savoir à combien se monte le produit de la vente des récoltes , des bestiaux qu'on élève dans les val- lées, je suis persuadé qu'une plaine riche et fertile de 882 milles quarrés ( c'est à quoi j'es- time l'espace occupé par ces montagnes), ne seroit pas aussi productive )).
Le lendemain ,° nous fûmes à Charlotten- bourg, à travers ^n pays très-montueux. Les constructions en avoient été érigées, avant la révolution, par une compagnie anglaise , que la guerre avoit ruinée. La fournaise venoit d'éclater , et le propriétaire étoit absent. Nous y vîmes une clouterie immense , extrêmement simplifiée au moyen d'un grand nombre de petits marteaux , mis en mouvement par un tournant extérieur. On y forgeoit des boulons , ainsi que, plusieurs autres ferrures à l'usage des vaisseaux» Nous y vîmes aussi une platinerie de tôle et de lames de fer , nécessaires à la fabrication de bêches et de pelles. Là , comme à Sterling et à Ringwood , la retenue des eaux étoit immense. On nous dit que l'année précédente , on y avoit fondu 46,000 quintaux de saumons.
De Charlottenbourg , nous devions aller vi- siter Bellevale 5 mais ayant appris qu'on n'y yoyoit que de gros marteaux j il fut résolu que
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Sgo VOYAGE
nous abandonnerions ce projet, pour aller voir une prairie naturelle contenant près de 70,000 arcs (2) , située au centre d^un pays qui com- mençoit à être bien cultivé.
La nature , comme pour en ôter la nudité , a embelli cette prairie immense de plusieurs îles de grandeurs différentes , dont le sol est extrê- mement fertile 5 les unes sont couvertes de cè- dres rouges , les autres de cèdres blancs très- élevés. C^est avec le bois de ces derniers qu'on couvre les maisons et les granges, et qu'on fait cette belle tonnellerie, dont Fusage est si ré- pandu et si varié. Cette prairie est traversée dans toute sa longueur, qui est de 4^ milles, par une rivière large et profonde ( le Wallkill) : mais depuis le pont construit à son extrémité orientale, jusqu'au fleuve Hudson, ses eaux bruyantes et rapides ne servent qu'à mettre en mouvement un grand nombre de moulins des- tinés à différons usages.
Accompagnés de M. John Allison , un des plus riches propriétaires de ces cantons, nous allâmes voir une île qui lui appartenoit, à un demi-mille du rivage, sur laquelle paissoient 52 vaches. La vue de ce superbe troupeau , ainsi que celle de son immense laiterie et du mécanisme employé à battre le lait , surprit beaucoup M. Herman.
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<( Quoi ! dit-il, vous m'appreniez tout-à-l'heure que la centième partie de la surface de ces îles et de cette plaine étoit à peine cultivée, soumise à la faulx , ou convertie en herbages , et voilà déjà un troupeau si nombreux? Que sera-ce donc un jour)) ?
(( Il est encore bien éloigné ce jour, répondit M. Allison, où tout ce que nous voyons sera couvert de grains et- d'herbes utiles. La culture de cette vaste plaine est une conquête réservée à notre postérité ^ ici , comme en Egypte , il faudra couper des canaux d'écoulement, quoi- que cette prairie soit peu sujette aux inonda- tions ; il faudra élever des digues et des chaus- sées, diviser les propriétés par un grand nombre de fossés , placer des bornes durables pour dé- terminer les limites et les subdivisions , tracer la ligne de démarcation du nouveau Jersey, la- quelle la traverse dans toute sa largeur. Ces limites ne pourront être que des arbres : alors de toutes parts on verra s'élever des saules, des ypreaux , des peupliers , des sycomores. Quel ornement ! quelle richesse ! De quelle utilité ne .sera pas la fraîcheur de leurs ombres pendant les chaleurs de l'été ! La monotonie qu'on ob- serve aujourd'hui, sera remplacée par la va- riété; le vert sombre de ce triste horizon ne se confondra plus avec le brillant azur d'un beau
5292 VOYAGÉ
jour j notre population sera alors décuplée. — - Mais que la multiplication des hommes est loin de contribuer à leur bonheur ! Dans l'enfance des sociétés, jouissant de plus d'espace, moins exposés à Faiguillon des besoins , ils sont plus heureux , et conséquemment moins pervers. Peut-être même notre postérité considérera-t- elle comme l'âge d'or , celui dans lequel nous •vivons. La main- d'oeuvre sera moins chère, il est vrai , les jouissances de la vie seront mieux senties, mieux connues , les maisons plus spa- cieuses et mieux distribuées ; mais il y aura des riches et des pauvres ; les crimes deviendront plus communs et les loix plus sévères; peut- être même la forme de notre heureux Gou- vernement aura-t-elle changé avec les circons- tances ».
(c Ce seroit cependant un spectacle bien inté- ressant pour un homme né , comme moi , dans ce pays à l'époque de sa première enfance , s'il pouvoit le revoir lorsque ces grands espaces , aujourd'hui inutiles et incultes , seront cou- verts de belles moissons ; lorsque ces îles et ces coteaux seront décorés de bonnes habitations, et environnés de beaux vergers j lorsque la pente douce des rivages de cette vaste prairie sera cultivée jusqu'au lieu où la charrue ren- contrera la faulx ! Quel luxe de végétation ne
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déploiera pas alors cette terre grasse et fé- conde, formée par le long séjour des eaux! Quelle quantité de chevaux , de bestiaux , naî- tront, s'engraisseront sur ce sol, aujourd'hui surchargé d'herbes inutiles et de plantes sau- vages ! Quelle quantité de beurre, de fromages, de chanvre et de lin sortira de ces cantons ! Les germes de ces productions existent cependant , et n'attendent pour se développer que les pro- grès du temps et de l'industrie ; l'un et l'autre avancent avec rapidité )).
Ce colon instruit , magistrat du canton , ve- noit de finir une maison en briques , assez élé- gante et commode, sous le toit de laquelle nous éprouvâmes , pendant deux jours , la bonne hospitalité, et jouîmes du plaisir de sa conver- sation. Il nous fit boire du vin de groseilles si vieux et si boa , que M. Herman le jugea être venu d'Europe. Il nous dit qu'il envoyoit tous les ans à New -York 4ooo livres de beurre, 200 livres de fromage , 4o barriques de lard , et quelques tonnes de chanvre (5) ; ce qui lui rap- portoit de 1 2 à 1 5oo piastres ; que le produit de ses récoltes , de ses élèves et de sa forêt de cèdres blancs , lui en rapportoit presqu' autant ; que ses impositions ne montoient qu'à quatre piastres 5 que son père avoit commencé cet établissement 22 ans auparavant. Il nous parla beaucoup aussi
Sg4 VOYAGE
de la loi que les Etats du Jersey et de New- York avoient passée pour encourager le dessèche- ment 5 il ajouta que déjà les travaux étoient commencés , et avoient produit un grand effet. c( Quelle conquête, nous dit-il, quand on pense que pour trois mille guinées on va dessécher une surface de 70,000 arcs » !
Les affaires du colonel Woodhul l'ayant obligé de nous quitter plutôt qu^il ne s'y atten- doit , nous nous séparâmes à Wawayanda, dans le Haut-Jerse}?" , d'où nous repassâmes les High- lands (4) : elles nous parurent beaucoup plus élevées que celles qui avoisinent le fleuve. Le lendemain nous vînmes coucher à Basking- Ridge, pour y admirer l'ingénieux mécanisme d^un moulin , destiné à briser , à couteler le chanvre et le lin. Le jour suivant, à Princeton , à dessein d'y voir le chef-d'oeuvre de Ritten- house. C'est une machine qui représente , avec la plus grande exactitude , les mouvemens des corps célestes , leurs éclipses , leurs oppositions , ainsi que tous les phénomènes astronomiques que les modernes ont découverts. (( Cette ma- chine , dit M. Jetterson , que , faute de nom , on appelle Orréry y est peut-être la plus belle pièce de mécanique qui soit sortie de la main de l'homme. Rittenhouse n'a pas créé le monde , mais par la puissance de l'imitation , il a ap-
DANS LA HAUTE PENSYLVANIE. 2g5
proche plus près du grand Créateur qu^aucun homme qui ait existé )) .
Nous nous étions proposé de voir les mines de cuivre de Rocky-Hill et de Sckyler, mais ayant appris que les dommages qu^elles avoienl essuyés pendant la guerre n^avoient point en- core été réparés , nous revînmes à Nevr-Ark , village le plus élégant et le plus champêtre des Etats-Unis j d'où , après avoir passé deux ponts qu'on venoit de terminer sur les rivières Pas- saick et Hakinsack , nous arrivâmes à New- york.
Il paroît y avoir encore ici une grande lacune.
NOTES.
NOTES DE L'EPITRE DEDICATOIRE.
(i)(jEORGE Washington , né en Virginie le 1 1 février 1/52, dans la paroisse de Washington, comté de West- nioreland, fut envoyé par cet Etat, comme député au premier Congrès, qui s'assembla à Philadelphie le 5 sep- tembre 1774. '
(2) L'année suivante, il fut nommé commandant en chef de l'armée continentale, commission qu'il n'accepta qu'avec méfiance , et non sans beaucoup de difficulté. Ce choix, sanctionné par la voix, ou plutôt par l'acclamation publique , produisit un si bon effet, qu'un grand nombre de jeunes gens s'empressèrent d'aller le joindre au camp de Roxbury , près Boston , où bientôt il se trouva à la tête de 5o,ooo volontaires»
(3) Un mécontentement général régnoit depuis plu- sieurs mois dans l'armée continentale , alors campée à New-Bourg, sur le rivage occidental du Hudson : il étoit fondé sur l'insuffisance des mesures que le Congrès avoit prises pour payer ce qui étoit dû aux soldats, et fixer la quotité des récompenses promises, les seules cependant que , dans son extrême dénuement de moyens , il pût adopter. Ce mécontentement ne tarda pas à produire une fermentation d'autant plus alarmante , qu'il n'y entroit ni licence , ni tumulte. Les soldats envoyèrent plusieurs députations au Général , et quoique je n'aie jamais su ce qu'elles éloient chcirgées de lui dire , il est aisé de deviner
NOTES. 297
que des hommes armés , irrités , ii'avoient besoin que d'un chef pour se faire justice j il eut le bonheur, non sans avoir rencontré de grands obstacles , d'appaiser ces mouvemens orageux, d'adoucir l'aigreur des esprits, de dissiper des projets qui auroient pu avoir les conséquences les plus funestes , et enfin de licencier cette armée. Il étoit difficile de se trouver dans des circonstances plus délicates , et d'en sortir avec plus d'honneur.
Quel est le citoyen des Etats-Unis qui, aujourd'hui comme dans la suite des temps , pourroit se rappeler cette époque de la vie du général Washington , sans se sentir pénétré d'un mélange d'admiration et de reconnoissance ? Quel changement dans les destinées du continent , un seul monosyllabe n'auroit-il pas pu produire ?
(4) La lettre que le Général adressa de ce même camp (le. 11 juin 1783) aux Gouverneurs des treize Etats , est un chef-d'œuvre de sagesse. Prévoyant dès-lors les mal- heurs, les déchiremens qui dévoient nécessairement ré- sulter , à la paix , de l'insuffisance de la confédération et de la foiblesse du Congrès , il en place l'énergique tableau sous les yeux de ses concitoyens , ainsi que celui des mesures qu'ils doivent adopter pour s'en garantir. Il leur dit que les dangers de la guerre dont ils viennent de sortir avec tant de gloire, ne sont rien , comparés à ceux qui les attendent, si les Etats ne consentent point à céder au Congrès une partie de leur souveraineté , pour assurer la tranquillité intérieure , et pour établir la justice sur des bases inébranlables.
Mais ilfalloit que l'expérience de quatre longues années justifiât les pressentimens de ce grand homme ; il falloit que les habitans de ces Etats eussent été entraînés jusques sur les bords du précipice que sa profonde sagacité leur
2Ç)8 NOTES,
avoit signalé de loin. Quand on se transporte en imagi- nation, à cette époque critique, qu'on se rappelle les cir- constances dans lesquelles ces Etats se trouvèrent à la^ paix, lorsque les foibles liens qui les unissoient, étoient près de se briser, il est difficile de ne pas remarquer quelque chose de bien extraordinaire dans cette lettre dictée par la sagesse , ainsi que par la prévoyance et le patriotisme le plus éclairé : tel est du moins l'effet qu'elle a produit sur mon esprit.
(5) Je fus témoin de l'alégresse générale , des mouve- mens d'ivresse qu'occasionna son entrée modeste, et pour- tant triomphante, dans la ville de New- York (le 25 no- vembre 1783), ainsi que de son humanité envers les royalistes , dont les affaires n'étoient pas encore ter- minées ; j'admirai , comme tant d'autres , sa modestie , son affabilité , la sagesse des moyens qu'il employa pour adoucir l'aigreur des deux partis , qui , après sept ans de séparation , se trouvoient réunis. Je partageai , avec ces habitans, la tristesse, les regrets, la consternation , que fit naître l'annonce de son départ, fixé au 4 décembre. J'étois parmi eux et les officiers de l'armée, réunis pour recevoir ses derniers adieux.
Rarement les passions humaines ont été plus vivement agitées , qu'elles ne le furent pendant cette scène atten- drissante. Quel spectacle ! tous les coeurs étoient émus , tous les yeux étoient baignés des larmes silencieuses et expres- sives du respect et de la tendre affection. Jamais je n'ou- blierai les dernières paroles qu'il adressa à ses compagnons d'armes, dont il alloitse séparer pour toujours^; jamais ne
* « Braves et chers compagnons , je vous quitte avec un cœur plein d'affection et de reconnoissance j je prends con§é ds
N O TE S. 299
Veffaceracle mamémoire la profonde impression que firent sur mon esprit l'imposante dignité de sa contenance , le son de sa voix, altéré par des émotions intérieures qu'il s'ej0Porçoit de comprimer , et plusieurs autres nuances in- descriptibles.
(6) Malgré les rigueurs de l'hiver, les habitans des lieux par lesquels il passa , s'empressèrent de venir le saluer , et lui offrir les témoignages de leur vénération et de leur reconnoissance : les femmes, les enfans même, tous vouloient jouir du plaisir de voir celui qu'ils nommoient che father of Jiis country (le père de la patrie), sur la tête duquel ils appeloient les bénédictions du ciel. Ce fat un mouvement, ou plutôt une impulsion générale dans tout le Jersey. Environné d'une partie des habitans de Philadelphie , qui étoient venus à sa rencontre , il entra dans cette ville au milieu des acclamations , du bruit des <îloches et du canon.
Parmi les nombreuses adresses qu'il a reçues durant sa vie publique , celles qui lui furent présentées à cette époque par les corps et les sociétés de cette ville, sont très- remarquables , non -seulement par l'éloquence du style , mais aussi par les grandes et intéressantes idées c[u'elles contiennent. On conçoit difficilement comment il a pu mettre autant d'élégance et de variété dans ses réponses. En voici quelques passages.
* (( La Société philosophique américaine , qui se glo-
vous , en désirant bien sincèrement que le reste de votre vie puisse être aussi tranquille et aussi heureux , qu'ont été glorieux et honorables les jours que nous avons passés ensemble ». 27 novembre 1783.
^ Adresse de là Société philosophique américaine de Phila-r delphie , le 9 décembre 1783.
OOO NOTES.
rifie depuis long-temps de vous compter parmi ses dis^ ciples , est heureuse d'avoir à vous féliciter aujourd'hui sur le retour de la paix , et sur votre présence dans cette ville. Prévoyant, comme nous le faisons, l'heureuse in- fluence de ce grand événement sur l'objet de notre insti- tution, nous espérons que les arts et les sciences, com- pagnes de la liberté et de la vertu , en vous offrant le juste tribut de leurs louanges et de leurs acclamations , contri- bueront à transmettre votre nom à la postérité la plus reculée. Puissiez-vous jouir d'un bonheur inaltérable dans la vie privée que vous allez mener, et ajouter encore un nouveau lustre à la célébrité de votre nom ! vous êtes bien sûr d'y être accompagné par l'amour, l'affection et la reconnoissance de votre patrie )).
Extrait de sa réponse.
<c Si mon cœur forme un sou- hait ardent et sincère, c'est celui d'être l'associé d'hommes vertueux et instruits-, c'est celui de voir les sciences et les arts continuer d'être prisés , cultivés parmi nous : c'est celui de les voir éclairer de leurs lumières salutaires et bienfaisantes, toute l'étendue de ce grand continent. Je penserai souvent, soyez-en bien assurés, à l'utilité de votre institution , dans les loisirs de ma retraite )>.
. . * « Ce combat, si long-temps
douteux , est donc enfin terminé, grâces à votre sagesse et à votre courage ! Nous jouissons donc enfin des béné- dictions de la paix et de l'indépendance ! Au nom des
^ Extrait de l'adresse du clergé , des avocats et des médecins de Philadelphie , du i3 décembre 1785.
NOTES. OÔl
âifferens corps que nous sommes chargés de représenter aujourd'hui , nous vous saluons avec les émotions de la joicj de l'affection et de la reconnoissance la plus sincère. Que d'autres parlent de vos exploits militaires, et les comparent à ceux des anciens héros de l'histoire ! Nous vous considérons comme environné d'une splendeur et d'une gloire bien supérieure à celle d'Alexandre et de César. Ce n'est ni l'ambition , ni la folie criminelle des conquêtes qui vous a conduit dans les camps. Vous n'avez jamais, cherché à vous élever sur la ruine de vos conci- toyens; c'est la voix de votre patrie qui vous y a appelé. C'est l'amour de la liberté qui vous a fait prendi^e les armes ; ces armes ont été consacrées par la religion , par la loi et l'humanité. Les principes les plus purs ont dirigé votre conduite , et la vraie piété a fait descendre la pro- tection du ciel sur vos efforts )>. P « La vertu et les sciences étoient vivement intéressées
dans la cause que vous avez défendue avec tant de pru- dence et de gloire : notre liberté est établie , confirmée j les sciences vont fleurir , là vraie philosophie va nous éclairer , une nouvelle scène de bonheur se présente aux hommes )>.
« Vous quittez votre carrière militaire au miKeu des acclamations d'un peuple reconnoissant. Quel plus beari triomphe méritèrent jamais la modération et la victoire î Puissent votre exemple , ainsi que les leçons que vous venez de nous donner*, n'être jamais oubliés ! Votre patrie ne cessera de fixer ses yeux sur vous , et de s'inté- resser à votre bonheur. EUe exige que , dans votre retraite,
* La lettre qu'il publia de sou camp de Newbourg, le ii juin 1785.
5c2 NOTES.
vous continuiez de nous aimer encore et de nous éclairer ». « Les professions savantes , en particulier , vous consi- déreront toujours comme leur protecteur et leur ami, et se ressouviendront toujours, avec la plus tendre recon- noissance , de celui qui , protégé par le ciel , vient d'ouvrir une nouvelle carrière de bonlieur et de repos , et de fonder une époque nouvelle, d'où dateront les progrès des sciences et des arts ».
Extrait de sa réponse.
(( Désirant mériter l'estime de
mes concitoyens , cette douce récompense de tant de sol- licitudes et de travaux, j'avoue que la bonne opinion des hommes vertueux , éclairés , me flatte et me touche infi- niment. Si j'ai détesté la folie et l'ambition des conquêtes, si les principes les plus purs ont dirigé mes actions , si l'objet de la guerre, et la manière dont elle a été conduite, ont été justes et conformes aux loix de l'humanité , que la foiblesse humaine ne s'en arroge aucun mérite ! Attri- buons , au contraire , la gloire et les succès de cet heureux événement à une cause bien plus élevée. C'est au premier des êtres, ce principe de toutes choses, que nous devons le rétablissement de nos droits envahis , la confirmation de notre indépendance , la protection de la vertu , de la philosophie et de la littérature , l'état florissant des arts et des sciences , et enfin la nouvelle carrière de prospérité et de repos qui se présente aux hommes m.
<( Oui ! ma vie publique et militaire est terminée ; oui ! je l'avoue, c'est avec un plaisir inexprimable que je vais rentrer dans les paisibles sentiers de celle d'un simple citoyen. Mais le bonheur de ma patrie sera toujours l'objet le plus cher de mes vœux. Jamais je n'oublierai combien
NOTES. 5o3
les sociétés savantes et les hommes instruits sont utiles à la société , combien les lumières et les sciences noiis apprennent à jouir, à préserver la liberté, et combien enfin elles contribueront un jour à la tran(juillité et à la gloire de ce nouvel empire m.
( 7 ) De toutes les époques de la vie du général Wa- shington , celle où il remit sa comn^ission au Chef de l'Union * est une des plus glorieuses et des plus instruc- tives. Le grand intérêt qu'excita cette scène , si nouvelle dans ces temps modernes ; l'idée que cet acte étoit la clô- ture de la lutte sanglante au prix de laquelle ces colonies étoient devenues des Etats indépendans; celle que l'homme qui , huit ans auparavant , avoit reçu du même Congrès les pouvoirs militaires les plus illimités , et dont il n'avoit jamais abusé , alloit bientôt paroître pour les lui remettre , et rentrer dans la vie privée, après les douceurs de laquelle on savoit qu'il soupiroit depuis long-temps ; le grand nombre de spectateurs dont la salle des séances étoit rem- plie , le profond silence qui y régnoit , les divers mouve- mens d'attendrissement et d'admiration qui , tout-à-coup, se manifestèrent dès qu'il entra ; le calme et la dignité de sa contenance , sa taille élevée ; la présence des aides-de- camp dont il étoit environné ; la noble sim^icité de son discours, digne de l'antiquité **; l'éloquente et tou-
* A Annapolis , le aS décembre 1783.
■^^ «Monsieur le président, les grands événemens dont j'avois été chargé par ma commission , étant enfin accomplis, j 'ai l'hon- neur d'offrir au Congrès mes sincères félicitations , et de me présenter aujourd'hui devant lui, pour remettre entre ses jnains le commandement dont il m'avoit chargé , et lui de-
5o4 NOTES.
cîiaiite réponse du président "^ : telles furent les princi- pales circonstances qui frappèrent les esprits des specta- teurs, et y laissèrent de profondes impressions.
mander en même temps la permission de me retirer du service de la patrie ».
« Heureux de voir notre indépendance confirmée , et les habi- tans de ces Etats à même de devenir une nation respectable, je résigne avec joie une commission qui n'avoit été reçue qu'avec beaucoup d'inquiétude et de méfiance. Cette méfiance dans mes talens a heureusement été encouragée par la bonté de notre cause , par la coopération du pouvoir suprême de l'Union , ainsi que par la protection du Ciel ».
« Les succès de la guerre ont justifié nos plus hautes espé- rances , et ma profonde reconnoissance envers la providence , dont j'ai reçu tant de faveurs , et envers mes compatriotes , qui m'ont si puissamment secondé , augmente encore à mesure que je pèse toute l'importance du grand différend qui vient ■d'être terminé ».
a En remettant sous vos yeux les obligations infinies que je dois à la bravoure et à la conduite de l'armée, je trahirois mes sentimens les plus chers, si j'oubliois de vous parler des ser- vices essentiels , et du mérite rare des officiers qui ont été atta- chés à ma personnp pendant le cours de la guerre. Le choix que j'en avois fait ne pouvoit être plus heureux. Permettez-moi aussi, monsieur le Président, de vous recommander ceux qui ont continué leur service jusqu'à ce jour 5 ils sont dignes de toute l'attention et de toute la protection du Congrès ».
« Je considère comme un devoir indispensable de terminer la dernièrç scène de ma vie publique, en recommandant les intérêts de notre chère patrie à la protection du Dieu tout-puis- sant , et ceux qui en conduisent les affaires , à sa sainte garde ».
« Ayant accompli la tâche qui m'avoit été imposée , je quitte ce grand théâtre en prenant congé de ce corps auguste, sous les ordres duquel j'ai si long-temps agi. Recevez ma commis- sion : je quitte tous les emplois de ma vie publique ».
* ce Monsieur, les Etats-Unis reçoivent avec les émotions le*
NOTES. 5o5
(8) Peu de temps après son retour chez lui; le général Washington s'occupa de projets extrêmement utiles à sa. patrie j entr'autres , de celui d'améliarer la navigation du
plus vives y la résignation solemnelle de l'autorité sous laquelle vous avez conduit leurs troupes avec tant de prudence et de succès, pendant le cours de cette longue et périlleuse guerre. Appelé, par votre patrie, à la défense de ses droits envahis, vous vous êtes chargé de ce devoir sacré , avant qu'elle tût formé des alliances , établi des fonds et un gouvernement. Vous avez conduit ce grand différend avec sagesse et courage , sans jamais avoir envahi les droits du pouvoir civil , au milieu même des malheurs et des désastres ».
ce Vos compatriotes, animés par l'amour et la confiance que vous leur aviez inspirés , ont déployé , sous vos ordres , leurs talens, leur génie militaire , et ont transmis leur réputation à la postérité ».
c( Vous avez persévéré , sans jamais désespérer de la chose publique, jusqu'au moment où les Etats-Unis, devenus les alliés d'un roi et d'un,e nation généreuse , ont eu le bonheur , sous lès auspices de la providence , de terminer la guerre avec hon- neur, et d'obtenir la sûreté et l'indépendance. Nous acceptons vos félicitations sur cet heureux et grand événement avec joie et sincérité ».
« Après avoir défendu l'étendard de la liberté sur ce nouvel hémisphère , après avoir donné une leçon mémorable aux oppresseurs et aux opprimés , vous vous retirez du grand théâtre des affaires publiques avec la bénédiction de vos compatriotes. Mais la gloire de vos vertus ne finira pas avec votre comman- dement , elle s'étendra jusqu'aux lieux les plus éloignes ».
ce Ainsi que vous , nous recommandons les intérêts dé notre chère patrie à la protection du Très-Haut : nous le supplions de disposer les cœurs et les esprits des habitans de ces Etats , à profiter de l'occasion favorable que leur offre sa providence divine , de devenir une nation heureuse et respectable ».
«Et quant à vous , nous lui adressons nos prières les pins ferventes, pour que des jours qui nous sont aussi chers , puissent
I» V
3o6 , NOTES.
Potowmack , obstruée par deux chutes conside'rables , situées à quelque distance au-dessus d'Alexandrie. Après avoir attentivement considéré ces grands obstacles , et s'être convaincu de la possibilité de les surmonter ,il pro- posa à ses compatriotes le plan d'une souscription de i,5oo,ooo francs, divisée en 5oo actions. Aussi-tôt qu'elle fut remplie, les deux Etats limitroplies,de Virginie et du Maryland , accordèrent aux souscripteurs une charte d'incorporation (en 1786) , et un droit de péage à perpé- tuité ; et dès leur première séance, le Général fut élu pré- sident de cette grande et utile association.
Ces deux canaux sont terminés. Le premier a 1 320 toises de longueur , et quatre écluses de dix à onze pieds , dans une pente de soixante-quinze. Le second, 2200 toises, dix écluses, et une pente de 28 toises, en y comprenant la hauteur de la cataracte , qui est de i3 toises. On a élevé , au-dessus des premières , un pont de bois , dont l'ouverture est de 120 pieds. Il a été construit par le même homme (John Coxe) , au génie duquel , sans le secours d'aucune éducation , l'Irlande , et quelques-uns de ces Etats, doivent l'exécution de plusieurs ponts qui ont mérité les suffrages du public. Que n'auroit pas fait cet homme, si, dès son jetme âge , il eût été instruit dans les grandes écoles de l'Europe ?
La même association va s'occuper de faire enlever les obstacles qui se trouvent à l'embouchure du Cumberland, fiinsi que dans le voisinage des Shawanèse-Fields , à
devenir l'objet de ses soins particuliers , et que ces mêmes jours soient , dans la suite aussi heureux , qu'ils ont été jusqu'ici remplis de gloire , et qu'il daigne enfin vous accorder sa récora- j>ense éternelle ^x
NOTES. 5o7
200 milles d'Alexandrie : alors , de cette ville maritime , quoiqïie situe'e à 4oo milles des caps de la Cliesapeat , on pourra facilement transporter les marcliandises, pendant quatre mois de Fanne'e , jusqu'à 35 ou 4o milles d'une des branches de la Monongaliëla ( the Cheat ) , qui verse ses eaux dans l'Oiiio ou Belle-Rivière ; avantage de la plus grande importance j puisqu'à l'exception de ce portage , le Potowmack ouvrira une communication avec les }?ay3 Trans-Allégliëniens ; et comme tout est relatif, cet obs- tacle n'est rien , comparé à l'immense étendue de la navi- gation intérieure de cette vaste région.
Le perfectionnement de celle du Shénando , est aussi tin des objets indiqués dans la charte d'incorporation, et dont la même association doit s'occuper.
(9) Après avoir éprouvé , pendant quatre ans , tous les inconvéniens qui résultoient de la foiblesse de la confédé- ration, et avoir vu le Congrès faire des efforts inutiles pour y apporter quelques remèdes , les Etats , effrayés des progrès de l'anarchie qui commençoit à dévorer ce pays, €6 déterminèrent, en 1786, à envoyer des députés à Annapolis, qui, l'année d'après, se réunirent à Philadel- phie , chargés de proposer un nouveau système d'union , une nouvelle forme de gouvernement qui pût maintenir la tranquillité intérieure, établir la justice, concilier les intérêts , et assurer le bonheur civil de tous. Le général Washington fut élu un des trois députés de la Virginie, La première fois que les membres de cette Convention se réunirent à Philadelphie * , ils alloient choisir pour prési- dent le vénérable Franklin , alors gouverneur de la Pen- sylvânie , et membre de cette même Convention , lorsque
^ Le i2 mai 1787.
5o8 NOTES.
celui-ci , après leur avoir rappelé ses longs services et son grand âge (il avoit alors 82 ans), tourna ses yeux vers le General, en leur disant : — (( Voilà celui qui doit remplir les devoirs de la présidence )). — A la voix unanime du consentement, ce respectable vieillard le prit par la main, et l'installa dans le fauteuil.
Washington , prévoyant le danger de permettre la publicité de leiirs débats , proposa et obtint la promesse d'un secret inviolable , jusqu'à ce que leur tâche fût rem- plie. Idée heureuse ! . . . mille et mille fois heureuse ! à laquelle l' Amérique-Unie doit peut-être le sage Gouverne- ment qui la régit aujourd'hui.
Lorsqu'on considère l'effervescence dans laquelle se tï-ouvoient alors les esprits, les intérêts si divers de ces colonies, tout-à-coup devenues des Etats souverains indé- pendans , le nouveau Gouvernement fédéral, malgré ses imperfections (pourroit-il n'en pas avoir , puisqu'il est l'ouvrage des hommes ! ) , doit paroître un chef-d'œuvre de raison-, et son acceptation, un événement inattendu, miraculeux. Très-certainement , si les débats de la Con- vention eussent été publics , les agens des puissances euro- péennes , les hommes , parmi les Américains , qui ne revoient que de la démocratie athénienne, ceux à qui leurs passions et leurs intérêts faisoient redouter le retour de l'ordre et de la justice , auroient triomphé ; la Con- vention n'auroit jamais pu terminer son importante tâche , et l'union de ces Etats n'auroit pas eu lieu. A quoi donc tiennent les destinées des individus, des empires et des nations ? Lorsqu'on lisant la lettre que le Général écrivit , de son camp de New-Bourg , aux Gouverneurs des treize Etats , on se rappelle toutes ces circons- tances , il est difficile de ne pas admirer de nouveau la
NOTES. ÔO9
propliéticiite sagacité, la profonde sagesse de ce grand homme.
(10). Il étoit, depuis quatre ans , occupe des soins de l'agriculture ; souvent visité par des Européens , ainsi que par les personnes les plus distinguées du continent , il jouissoit , dans sa belle terre du Mont-Vernon , des douceurs de Ja retraite et du repos , lorsqu'il reçut la nouvelle officielle de son élection à la présidence du nou- veau Gouvernement (le 3 avril 1789). Quoiqu'extrême- ment flatté d'un témoignage d'estime et de confiance aussi éclatant de la part des électeurs du continent, il ne quitta ses foyers qu'avec beaucoup de regret. Ses réponses aux adresses qui lui furent présentées à cette occasion par toutes les corporations , par les sociétés particulières et religieuses-, celles qu'il fit aux lettres de ses amis "^j attes-
'^ Voici ce qu'il m'écrivit , en réponse à ma lettre de félici- tation :
Mont-Vernon, le lo avril 1789.
Une combinaison de circonstances ,
un enchaînement d'événemens que j'étois bien éloigné de pré- voir, ont rendu indispensable la nécessité , dans laquelle je me trouve , de m'embarquer une seconde fois sur la mer orageuse des affaires publiques. Je n'ai pas besoin de vous dire combien cette résolution contrarie mes désirs et mes inclinations les plus cbères : mes amis , tous ceux qui me connoissent , en sont, je l'espère , intimement convaincus. Si j'accepte la présidence des Etats-Unis , c'est avec les intentions ies plus pures ; j'en appelle au grand Scrutateur, qui seul connoît le fond de nos cœurs : il sait si aucun objet , quelque flatteur qu'on pût l'ima- giner , si l'appât d'aucun avantage , quelque séduisant qu'il pût être , si enfin le désir de la réputation , quelqu'aisément qu'elle pût être acquise , m'auroit jamais déterminé , à mon âge et dans
5lO NOTES.
îent qu'il ne s'embarqua de nouveau sur rélement ora- geux des afîaires publiques , qu'avec beaucoup de crainte et de méfiance : et en effet, que manquoit-il à sa gloire, à sa réputation si belle et si pure ? Il étoit bien éloigné alors de prévoir les peines et les inquiétudes que devoit lui susciter le nouveau Gouvernement d'une nation aux généreux secours de laquelle l'Amérique devoit en partie son émancipation. Parmi ce grand nombre d'adresses qui lui furent présentées > la postérité ne lira pas sans atten- drissement celle de ses bons voisins les magistrats et la commune d'Alexandrie , ainsi que la belle et touchante réponse qu'il leur fit»
Quant aux détails de îa réception qui lui fut faite , tant dans les villes qu'il traversa pour venir à New- York , où siégeoit alors le nouveau Congrès, que dans cette dernière ville, et ceux de son inauguration, dont j'ai été témoin, ils sont devenus l'apanage de l'iiistoire. Arrivé le 22 avril 1 789 , il fut inauguré le 3o du même mois.
(11) Soupirant depuis long-temps pour le repos et la tran- quillité, dont sa santé avoit le plus grand besoin , après vingt- trois années consacrées au service de sa patrie , il informa le public, dèsle mois d'octobre 1 796, de la résolution qu'il avoit prise de retourner à la vie privée , aussi-tôt que le temps de sa magistrature seroit expiré. Le lendemain de ce jour (le '4 mars 1797) vit l'illustre Washington , redevenu ,
ma situation , à ■abandonner les tranquilles sentiers de la vie privée. Très- certainement non r j^en Gonnois trop bien le bonheur et le prix. Mais si les habitans de ces Etats pensent que mes services peuvent encore être utiles à la chose publique, je les leur offre , puisqu'ils l'exigent. Cet espoir peut seul com- penser les nombreux sacrifices que je vais faire , en m'éloi- gnant de mes foyers, et en abandonnant mon repos, etc» etc»
NOTES. 3ll
pour la seconde fois simple particulier, et Jolin Adams, un des plus savans personnages du continent, et, depuis huit ans, vice-président des Etats-Unis, élevé à la magis- trature suprême de l'Union. La présence du Général, con- fondu dans la foule des spectateurs, ajouta beaucoup d'intérêt à la cérémonie de cette installation, qui d'ail- leurs fut aussi dénuée de formes et de pompe, que l'étoit jadis celle des archontes d'Atliènes.
Quelque temps après qu'il fut rentré dans ses foyers , plusieurs circonstances ayant exigé que les Etats-Unis se préparassent à la guerre, il fut nommé lieutenant-général des troupes et des milices qui dévoient être mises en état àe service ; mais ces nuages s'étant heureusement dissi- pés , son repos n'en fut point interrompu. Quoique con- sidérablement vieilli par les inquiétudes et les fatigues d'une guerre de huit ans , qui ne fut pas toujours heu- reuse, ainsi que par les travaux d'une administration, dont les grands changemens qui avoient eu lieu en Europe, rendirent les dernières années extrêmement épineuses et difficiles, il monte encore à cheval, parcourt ses champs et surveille sa grande culture.
A l'ombre des palmes qu'il a si bien méritées , puisse le déclin d'une vie illustrée par tant d'actions utiles, être aussi heureux qu'ont été glorieuses les années qu'il a consacrées à établir et affermir la liberté et l'indépen- dance de sa patrie !
Pour prouver que ces éloges et ces détails ne sont qu'un foible écho de l'opinion publique , j'ai cru devoir rap- porter ici l'inscription que le corps législatif de la Vir- ginie ordonna de graver sur le piédestal de la statue qu'il lui décerna le 17 décembre 1781, et qui, depuis, a été exécutée par le célèbre sculpteur français , Houdon , ainsi
5l2 NOTES.
que l'adresse de la ville d'Alexandrie ^ et la réponse qu'il lui fit. s
L'assemblée générale de la république de la Virginie a fait ériger cette statue (c comme un monument d'affec- )) tion et de reconnoissance à George Washington , qui , )) unissant aux qualités et aux talens du héros , les vertus » du citoyen , s'en est servi pour établir la liberté de sa )) patrie , a rendu son nom. cher à ses compatriotes , et î) donné à l'univers un exemple immortel de vraie » gloire )).,
^dresse du Maire et des Echepins de la ville d'Alexan- drie , présentée à George Washington , la veille de son départ pour New-York , alors le siège du Gou- vernement, oïl il doit être inauguré Président des Etats- Unis,
<c lia voix de votre patrie vous appelle donc de nou- » veau ! Pour remplir ses vues et combler ses espérances , 3) elle exige une seconde fois l'emploi de vos talens et de » vos vertus. Non , ce n'est pas sans un mélange de regrets )) et d'admiration que nous vous voyons à la veille d'aban- y> donner les soins d'une agriculture éclairée , ainsi que la 3) tranquillité de la vie domestique , au détriment de votre )) bonheur ; et cela, à l'époque de la vie où la nature pres- » crit et justifie le choix du calme et du repos )>.
<( Nous ne vous parlerons pas aujourd'hui de la gloire » que vous avez si justement acquise, ni de la profonde )) reconnoissance qu'exigent les services longs et pénibles 5) qiie vous avez rendus à ces Etats , devenus , par votre r> valeur et votre sagesse , libres et indépendans. Nous no )) vous parlerons pas de l'honneur, jusqu'ici sans exemple, » du suffrage unanime de trois millions d'hommes , qui
NOTES. 3l5
y) vous élève à la magistrature suprême ; ni enfin de ce )) dévouement généreux, de ce patriotisme éclairé, qui, )) depuis tant d'années , a dirigé votre conduite. Vos voi- )) sins et vos amis , pénétrés dans ce moment d'objets moins )) brillans , il est vrai , mais non moins cliers à leurs coeurs, )) vous présentent leur adresse respectueuse et leurs 3) tendres adieux ». ,
« Faut-il donc que le premier , le meilleur de nos ci- 3) toyens , s'éloigne encore de nous ? Faut-il que nos an- )) ciens perdent l'ornement de leurs sociétés; notre jeu- î) nesse , son modèle 5 notre agriculture , l'exemple le plus 3) utile et l'améliorateur le plus éclairé ; notre commerce , )) son protecteur ; notre collège , son fondateur -, nos indi- » gens, leur bienfaiteur et leur père? Faut -il enfin que )> la navigation intérieure du Potowmack , indiquée par 3) vos lumières , et déjà commencée par vos soins, voie D) s'éloigner son promoteur et son appui )) ?
<( Partez , cber et grand homme ; partez , puisque vous 3) êtes appelé à contribuer au bonheur d'un peuple recon- 3) noissant: il le sera doublement , nous en sommes sûrs, )) en réfléchissant au nouveau sacrifice que vous allez lui » faire. Du plus profond de nos cœurs , nous vous recom- )) mandons à la protection du grand Etre, duquel émanent 3) tous les événemens humains )) .
(c Après avoir achevé l'œuvre mémorable auquel sa 3> providence universelle vous destine , puisse-t-elle ra- 3) mener parmi nous le meilleur des hommes et le plus )) chéri de nos citoyens )).
(( En séance publique , au nom de la corporation et des r/ habitans de la ville d'Alexandrie )).
Le 16 avril 178^.
(( David Ramsa y , Maire n.
5l4 NOTES,
Réponse,
V. Messieurs, quoique je ne puisse cacher, cependant je 7i ne sais comment exprimer les pénibles et douloureuses y\ sensations , et les inquiétudes qui m'ont assailli , lors- 3) qu'il m'a fallu décider si j'accepterois ou si je refuserois j) la présidence suprême des Etats-Unis. L'unanimité du » clioix , le désir de mes amis , celui même de ceux qui 7) n'approuvent pas entièrement la nouvelle constitution, >) l'espoir enfin de devenir le foible organe employé à con- » cilier, à réunir les opinions de mes concitoyens-, tels » sont les grands, les puissans motifs qui m'ont déterminé 5) à l'accepter » .
<f Ceux qui me connoissent, et vous , mes bons voisins , 5) plus encore que les autres liabitans de la Virginie , devez 3> savoir combien je suis attaché à l'agriculture, combien » j'aime la vie douce et tranquille de la campagne. Soyez- j> en bien persuadés , la conviction intime d'un devoir » sacré, auquel il semble que je sois appelé, est la seule » considération humaine qui ait pu suspendre la résolution •)) que j'avois formée depuis long- temps, de ne me plus » mêler des affaires publiques. En effet, à mon âge , dans i) la situation où je suis , quels avantages puis-je espérer 5) en m'embarquant de nouveau sur cet océan incertain, » agité , et si souvent orageux » ?
« Je n'ai pas besoin d'avoir recours à des déclarations » publiques , pour vous convaincre de la sincérité de mon » attachement , et du vif intérêt que je prends à la pros- » périté de votre jeune ville , ainsi qu'à tout ce qui vou s :» touche. Né dans ce voisinage , ma vie entière vous est )) connue : les actions dont elle a été remplie deviendront, )) je l'espère , des garans de ma conduite future , plus satis-
NOTES. ' 3lS
5) faisans et plus sûrs que tout ce que je pourrois dire )>.
« Je vous remercie des sentimens d'affection exprimés 3) dans votre touchante adresse : je l'avoue cependant , )) cette dernière preuve d'intérêt et d amitié renouvelle )) les profonds regrets que je ressens dans ce moment, où je » suis obligé de m'éloigner de vous, de ma famille, et )) d'abandonner les douceurs de la vie privée ».
« Je finis en me recommandant , ainsi que vous , dignes )) magistrats, et vous, habitans d'Alexandrie, à la pro- » tection de l'Etre tout-puissant, qui, après une absence )) de sept années passées au milieu des dangers, des peines j) et des inquiétudes de la guerre , me ramena dans mes » foyers à la fin de 1783. Mais , forcé par l'insuffisance de )) mes paroles , j'abandonne à l'expression du silence celle j> des nombreuses sensations dont je suis ému )).
« Cbers et bons voisins, recevez mes tendres adieux )).
Mont-Vernoii , le 17 avril 1789.
«George Washington».
NOTES DU CHAPITRE PREMIER.
(1) Colonel Crawgan. Il fut long-temps employé par îe Gouvernement anglais , dans ce qu'on appeloit alors le département des affaires indiennes : peu d'Européens ont mieux connu les nations indigènes, et en ont été plus aimés et plus estimés ; peu de personnes ont fait plus d'ef- forts pour les engager à cultiver la terre, et pour leur ouvrir les yeux sur les dangers de l'ivresse. Quel dom- mage qu'il n'ait pas rédigé les nombreuses observations que ses longs voyages lui avoient permis de faire , sur la botanique , l'histoire naturelle et la géograpliie î elles.
3l6 ' NOTES.
anroientété, et seroient encore infiniment intéressantes , quoique l'intérieur du continent soit aujourd'liui beau- coup mieux connu qu'il ne l'étoit alors.
(2) Saguenay. Rivière considérable du bas Canada , dont le confluent avec le Saint-Laurent , à i5o milles au- dessous de Québec, est connu sons le nom de Tadoussac : c^est là que commencent les grandes pêches du fleuve. Cette rivière sort du petit lac Mistassing , formé par la réunion des eaux qui , de toutes parts , arrosent cette triste région, jadis le séjour favori des castors. En remon- tant le Saguenay , on est étonné que , sous la latitude de 48 deg. 3o sec. , la terre soit aussi ingrate et stérile , le climat aussi humide et froid , et les forêts uniquement composées de sruces , de bouleaux et de hemlocs. Sur les âpres rivages de cette rivière , et sur ceux du lac d'où elle sort, vivoit jadis la nation Mistassing, dont il ne reste plus que le nom donné à ce lac , ainsi qu'à un autre beau- coup plus considérable, dont les eaux tombent dans la partie méridionale de la baie de Hudson, non loin du fort Rupert.
(3) Confédéj'ation Creek ou Muscogulgé. C'est la plus considérable qu'on connoisse sur ce continent. Après l'anéantissement de la nation Natchée , dont les Creeks étoient les alliés , ils firent la guerre aux tribus Flori- diennes, et, semblables aux Romains , ils eurent le bon esprit d'incorporer les vaincus parmi eux. C'est après avoir sub- jugué leurs voisins, qu'ils fondèrent ce qu'on peut appeler une Puissance. Elle est devenue beaucoup plus formi- dable, depuis qu'ils ont connu la propriété et la culture , établi un conseil national , et des chefs qui savent main- tenir la paix et le bon ordre , et prévenir autant que pos- sible l'introduction des eaux spiritueuses. De toutes les
NOTES. - 017
nations de cet hëmisplière , la Muscogulgé est; sans con~ tredit , la plus civilisée et la plus intéressante à connoître. liCurs villes , telles que Uclié , Apalacliicola (capitale) , Talassé , Coolomé , etc. sont régulièrement bâties : la première contient plus de quinze cents liabitans : les mai- sons en sont de bonne charpente , couvertes de bardeaux. Tout y annonce l'aisance, la propreté et le bonheur. Ils ont un culte national , qui paroît dériver de celui d«s anciens Natchées , ainsi que des jeux, des danses, et des assemblées régulières. Leurs femmes jouissent de beau- coup plus de considération que parmi les indigènes du nord , et sont en général propres , entendues , économes : elles ont de beaux traits , et des 3^eux étincelans.
On parle en ce pays trois langues absolument distinctes , et chacun est invinciblement attaché à la sienne, La pre- mière est, dit-on, celle des anciens Natchées j lasecondej celle des anciens Floridiens ; et la troisième , celle des Creeks ou Séminoles.
C'est sous ce nom qu'on connoît les tribus qui habitent la partie maritime des deux Florides ; comme ils sont moins avancés dans la culture et la civilisation que leurs aînés , on ne traverse leur pays qu'avec quelques précau- tions. Chez les Creeks supérieurs , au contraire , les voya- geurs sont toujours sûrs d'être reçus et traités comme des amis, non pour quelques jours, mais pour autant de temps, qu'ils veulent rester parmi eux. Rien n'est plus intéressant à voir que la paix , l'abondance , la gaîté qui y régnent. Un jeune homme qui n'auroit ni parens , ni amis , ni for- tune, et que le hasard auroit conduit chez eux, s'il étoit expert à la chasse , à la pêche , et à la culture du maïs ^ seroit bientôt tenté de prendre une femme et de s'y éta- blir. Entourés de vastes forêts remplies d'ours , de che^
Ol8 NOTES.
Vreuils , àe dindes, etc. de lacs abondans en poissons , de savannes sur lesquelles ils élèvent autant de chevaux et de bestiaux qu'ils veulent, de champs fertiles , plante's d'orangers naturels , de figuiers , et d'autres arbres à fruit, sous un climat doux et tempéré, ils mènent une vie beau- coup plus heureuse et plus indépendante , que s'ils étoient plus avancés dans la civilisation.
D'un autre côté , ils ont à craindre le danger du voisinage des blancs, l'exemple funeste de leurs mœurs dépravées, de la conduite souvent immorale et honteuse des trafiquans qui résident parmi eux ; et celui enfin de l'influence que doit nécessairement avoir un jour l'indispensable besoin de marchandises européennes. Cette confédération est composée de plus de soixante villes, villages ou tribus, dont la population se monte, dit-on, à vingt mille per- sonnes.
(4) Poohatans. Cette confédération, jadis composée de trente tribus , occupoit toute la basse Virginie , c'est- à-dire le pays compris entre les rivages de la mer et les premières chutes. Les petites nations qui habitoient depuis ces premières hauteurs jusqu'aux grandes montagnes, ennemies implacables des tribus maritimes , étoient obli- gées de réunir leurs forces pour résister, non-seulement aux Poohatans , mais encore à une autre association non moins formidable , qui occupoit la chaîne entière des AUéghénis , laquelle avoit pour ennemies des nations plus éloignées. Ces hordes étoient dans un état continuel d'ef- forts ou de résistance, état qui, en Europe comme ici, paroît être naturel à l'homme. Si ces tribus avoient eu des historiographes , les pages de leur histoire auroient pré- senté en miniature les mêmes tableaux que celle des grandes nations asiatiques et européennes.
NOTE S. 5l9
liBS langues de ces diverses nations confédérées étoient si différentes, qu'il leur falloit des interprètes toutes les fois qu'elles avoient quelques rapports entre elles. Quel dommage que ni le Gouvernement colonial, ni aucun individu n'ait pensé à en recueillir les élémens ! Peut- être l'étude et la comparaison qu'on enauroit faites, au- roient- elles contribué à nous apprendre si cette diffé- rence provenoit de leur haute antiquité, ou si, au con- traire , elle indiqïioit l'arrivée récente de ces nations dans cette partie du continent.
Soixante ans après celle des blancs en Virginie, la moi- tié de ces tribus , devenues victimes des nouveaux fléaux qu'ils avoient introduits parmi eux (la petite vérole et les eaux spiritueuses ) , n'étoit déjà plus. Les débris de la seconde et troisième confédération , connus sous le nom de Tuscaroras , se réunirent , en 1 7 1 2 , à la ligue Moliawk , leur ancienne ennemie , et ces derniers touchent au dernier chapitre de leur histoire. Les indigènes qui habitoient les contrées aujourd'hui connues sous le nom de basse Pen- »;ylvanie , étoient dans le même état de guerre contre leurs voisins de la Susquéliannah, lors de l'arrivée de William Penn. Ce qui restoit encore des Lénopys et de leurs con- fédérés , anciens propriétaires des pays compris entre les montagnes de Kittatiny et la mer , alloit être exterminé , lorsque ce célèbre fondateur et ses paisibles compagnons débarquèrent à l'endroit même où est aujourd'hui Phila- delphie. La curiosité qu'excita un événement aussi ex- traordinaire , suspendit la fureur de ces tigres : en faisant des présens aux oppresseurs et aux opprimés, en leur don- nant des vêtemens, des subsistances, il ne tarda pas à s'en faire aimer et respecter. Ces indigènes ne savoient que penser de l'amvée soudaine au milieu d'eux , de ces
520 NOTES.
hommes blancs et barbus , ni de? grands vaisseaux q^ui les avoient apportés , ni enfin quel nom leur donner : sans le secours des armes ni celui de la violence, par le seul exer- cice de la douceur, de la justice et de la fermeté , ce grand liomme parvint à les désarmer , et à leur faire connoître les douceurs de la paix *, et , dès l'été suivant , les deux peu- ples cultivèrent ensemble le maïs et les patates. Après en avoir acbeté les terres dont ilavoit besoin pour sa colonie , William Penn promulgua les loix, établit le Gouvernement à la sagesse duquel la Pensylvanie a dû. son étonnante prospérité. Tels furent les heureux auspices sous l'in- fluence desquels il fonda cette province au mois d'oc- tobre 1682.
lia justice et la douceur de son administration , ainsi que la conduite exemplaire de ses colons , pendant un grand nombre d'années , avec les indigènes , leur inspira un SI grand degré d'estime et de confiance, que, dans une de leurs invasions sur les frontières de la Virginie , ne connoissant point les limites de ces deux colonies, ils alloient incendier les maisons et massacrer les habitans de la haute Pensylvanie , lorsqu'un oJQ&cier de milice ayant eu la présence d'esprit de leur représenter qu'ils étoient fils d'Onas '^, à qui ces terres avoient été vendues par leurs ancêtres, soudain se rappelant la vérité de ces paroles, ainsi que leur ancien respect pour la mémoire de ce fon- dateur , et pour le nom qu'ils lui avoient donné quarante ans auparavant , ils éteignirent leurs torches , et renon- cèrent à leur cruelle entreprise.
Il n'existe aujourd'hui en Virginie, que quelques foibles
* Nom qu'ils donnèrent à "Willi^iu Penn , peu après sou arrivée.
NOTES» 021
restes des anciennes tribus Pooliatans : la paix, le repos > la culture de champs fertiles , n'ont pu retarder leur anéantissement. Voilà ce qu'il est impossible de com- prendre, à moins d'admettre que ces races sont différentes de celles de l'ancien Monde, et que, comme celle des loups, elles n'ont été créées que poin^ habiter les forêts. Par-tout, les mêmes causes secrètes et puissantes ont produit les m^êmes effets, excepté seulement parmi les Muscogulges. Pas une famille Poohatan , Pamonky , Nottoway , n'a résisté à l'empire de cette étonnante destinée ; pas une ne s'est augmentée en cultivant ses propres champs, à l'ombre d'un Gouvernement qui avoit promulgué des loix pour les protéger , nommé des hommes chargés d'écouter leurs plaintes , et d'y faire droit. Le dernier individu qui par- loit encore le poohatan dans toute sa pureté , est njort il y a vingt ans, sur les bords du Pamonky.
(5) Pays des Illinois. Ce pays , situé sur les deux rives du Mississipi , à 4oo lieues de la mer , étoit une colonie canadienne , quoiqu'à 700 lieues de Québec. Il s'étend depuis le confluent de l'Ohio jusqu'à celui du Missouri , dans un espace de 76 à 80 lieues. Il y a peu de contrées sur la terre qui aient été plus favorisées de la nature. Sa situation imposante au centre du continent, ses communications avec le golfe du Mexique , les grands lacs , le Missouri et la haute Louisiane , la fertilité du sol, les prairies naturelles dont il est entrecoupé, la beauté des forêts, les rivages élevés du fleuve, un climat doux et salubre, à l'abri dés rigueurs de l'hiver ; tels sont les principaux avantages dont jouit ce bçau pays. Quelle activité, quel mouvement n'y verra-t-on pas un jour , lo^^sque > des régions les plus éloi- gnées, les productions de la culture et de l'industrie y seront amenées par la navigation intëi^ieure, pour y être I. X
522 NOTES.
transportées à la Nouvelle -Orléans, dans des vaisseaux qui tireront plus d'eau ?
En considérant que cette colonie fut fondée dans le der- nier siècle , on est étonné du peu de progrès qu'elle a fait. A l'époque de la conquête de ce pays par le général aiuéri- cain Clark , à peine comptoit-on trois mille blancs sur les deux rives du Mississipi ; et, chose non moins extraordi- naire ! ces colons n'avoient jamais reçu de titres du sémi- naire de Saint-Sulpice , auquel ce pays avoit été concédé par Louis xiv. Placés au centre du continent, vivant dans la paix et l'abondance , n'ayant d'autres voisins que quel- ques restes de tribus indigènes, parvenus au dernier point de dégradation, ils ne s'étoient jamais douté que pour posséder des terres et les transmettre à leurs enfans , il fallût un arpentage , des contrats, des enrégistremens, etc. liCs limites de leurs plantations se rétrécissoient ou s'aug- mentoient au gré de leurs fantaisies , ou plutôt , suivant leur industrie et leurs besoins. Cet étrange oubli , prove- nant sans doute de l'ignorance de leurs ancêtres ou de^ l'éloignement de la métropole , auroit pu les exposer à beaucoup de tracasseries et de contestations avec le nou- veau peuple qui venoit de s'emparer de leur pays , si la justice du Congrès ne fût venue à leur secours. Aussi-tôt qu'on l'informa de cette singulière circonstance, non- seulement il confirma tout ce que chacun d'eux voulut appeler sa possession, mais y ajouta encore un don de terres , dont la quantité étoit proportionnée au nombre des membres de chaque famille. Malgré la générosité de ce procédé , qui auroit dû leur donner une haute idée de la justice du Gouvernement des Etats-Unis , presque toutes ces familles canadiennes ont été s'établir à Missire , Sainte- Geneviève, Pancore (Saint -Louis), sur le rivage occi—
NOTES. SaS
dental du Missîssipi. On dit que cette dematclie a été causée par la crainte de perdre leurs nègres , ainsi que par un éloignement invincible pour les loix , les usages , et sur-tout pour la religion des Américains , auxquels ils ont préféré le culte et le gouvernement espagnol.
Le pays des Illinois a fourni pendant long-temps des farines , du lard , des jambons, etc. et même du vin , aux habitans de la Nouvelle-Orléans. On dit qu'en a 745, ils en expédièrent 4oo pièces. Frappés de la grande quantité de raisins que les vignes , qui par-tout croissent sponta* nément , produise ient tous les ans , quelques colons es- sayèrent d'en faire du vin , et réussirent : ils seroient par- venus sans doute à en avoir du meilleur encore, s'ils avoient pensé à former des vignobles avec ces beaux sau- vageons, ou s'ils les avoient greffés avec du plant de Madère ou d'Europe. Sur presque tous les rivages et les îles du Mississipi et de l'Oliio , on remarque des -vâgnes dont la force végétative paroît bien extraordinaire; les unes enve- loppent de leurs rameaux les buissons et les arbustes qu'elles rencontrent ; les autres, à l'aide des branches , s'élèvent jusqu'au sommet des plus grands arbres. J'en ai vu dans les environs de Louisville ^ , qu'on estimoit avoir 80 pieds de hauteur , et dont le raisin auroit pu faire une feuillette de vin. On en connoît de trois espèces : la pre* niière vient snv des terres humides; la seconde, sur des terres élevées ; et la troisième , sur la pente méridionale des montagnes. Peut-être , dans la suite des temps, par- iera-t-on des vins de Missire , de Pancore , des Illinois, du Kentukey , etc. comme on parle aujourd'hui de ceu^ de Bordeaux , de Bourgogne ou de Champagne.
* Principal embarcadère de l'JStat de Kentukey, sur rOhio.
024 NOTES.
Dei;x compagnies ont obtenu du Gouvernement fédéral , la concession d'une grande quantité de terres dans ce beau pays^ qui, sous peu d'années, sera rempli d'activité et d'habitans. A en juger par l'empressement avec lequel les petits colons des Etats maritimes vendent leurs pro- priétés, pour aller former de nouveaux établissemens à 5oo lieues de leur patrie , on croiroit que la population de ces Etats est parvenue à son dernier terme , et il s'en fatit bien que cela soit. C'est à ce désir d'être encore mieux., quand on est passablement bien ( illusion sans cesse agis- sante, et si souvent trompeuse), qu'est dû ce grand nombre de petites colonies , disséminées comme des points sur l'immense surface des Etats-Unis, qui , dans itn court espace de temps , deviendront des districts florissans. Après les avoir perdues de vue pendant quelques années , tout- à-coup on entend parler de leur nombre et de l'étendue de leurs défriche mens.
On ignore aujourd'hui les noms des différentes tribus dont la confédération des Wheylénis étoit composée : il n'en reste plus que quelques familles sur le bord des rivières Kaskaskias , Kahokias et Illinois , tombées au dernier degré d'abrutissement : à peine peuvent - elles chasser pour se procurer des hardes et de l'eau-de-vie. En vivant au milieu des blancs , ces indigènes sont de- venus mente ar s, fourbes, voleurs, et très-certainement les plus méprisables de tous ceux que j'ai connus.
(6) JSatiûns des grands Lacs et de l'Ohio.
Les plus considérables sont les Chippaway , Winébago , Oatagamy, établies sur les rivages et les rivières de la Baie-Verte -, les Kikapoos , Menomonies, Pootooatamys , SLir le Michigan; les Outawas, Missisagés, sur le Huron ) les Delawares, Wyandots , Cagnawagas , Shawanèscs ,
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MiiîgotS;, Oyatanons, sur l'Erië , l'Ohio et le Wabash. Ces nations^ jadis nombreuses et guerrières, terrassées par le double poison de la petite- vérole et des eaux spiri- tueuses, marchent à pas redoublés vers l'anéantissement. La dernière guerre* , à laquelle les Anglais les ont poussées sous le prétexte de prévenir l'établissement des colonies américaines au nord-ouest de l'Ohio, leur est devenue funeste par la perte de leurs plus braves guerriers , et la destruction de leurs principaux villages. Ils jouissent enfin des douceurs de la paix ; les limites de leur pays sont fixées -, le Gouvernement a fait élever des forts , a pro- mulgué des loix pour prévenir les invasions, les injustices et les querelles. Mais un nouveau danger les menace ; c'est le voisinage des colons qui vont bientôt s'établir sur ks terreins concédés par le traité qu'on a fait avec eux. Plus rapprochés des Européens qu'ils ne l'ont jamais été, ils en obtiendront facilement des eaux spiritueuses, et fieront plus exposés à la contagion de la petite -vérole, maladie qui , pour eux , est au^si désastreuse que la peste Test parmi nous. Si, il y a trente ans, oubliant leurs rivalités et leurs haines nationales , ils eussent réuni leurs forces , de concert avec les Cherokees et les Creeks , il est probable que les progrès des colonies européennes auroient été considérablement retardés.
La décadence de ces nations est devenue beaucoup plus rapide depuis la conquête du Canada. Maîtres de tout le nord du continent , les Anglais ont porté leur commerce jusqu'à des distances immenses , et fait connoitre à toutes ces nations l'attrait des marchandises européennes , et celui bien plus pernicieux encore , des eaux spiritueuses.
* Ea 1791.
b
52G NOTES*
Pour bien concevoir l'étendue de ces importantes dëoon- vertes, il faut voir les belles cartes d' Arro^v-Smitli , pu- bliées à Londres en 1796, sur lesquelles sont tracés les voyages de Hearne, qui , parti de la baie de Hudson dans une direction nord- ouest , parvint à la mer en suivant le cours d'une rivière appelée du Cuivre ; ceux bien plus importans encore de Mackenzie , qui , du lac Supérieur , est allé à la rivière , ou plutôt au golfe de Cook , sous le 60^ parallèle de latitude , d'où un vaisseau anglais , charge de pelleteries , venoit de faire voile pour Canton. Ce voyage de 8 à 900 lieues , à travers ces vastes et inhospi- talières régions , est peut-être un des plus hardis et des plus extraordinaires qu'on ait jamais fait parterre.
(7) Nation Mohavk. Jadis considérée comme une des plus puissantes des Etats du milieu , et chef d'une confédé- ration long -temps connue sous ce nom., composée des tribus ou nations Onondagas , Onéidas , Cayugas , et Se- nèccas. Lors de l'arrivée , en i6i4, des premiers Hollan- dais, à ce qu'on appelle aujourd'hui New -York, cette confédération venoit de subjuguer les Wabingas, Mo- liégans, Manhattans, Méhicanders, etc. tribus mari- times et ichtyophages. Elle étoit montée au faîte de la puissance , puisqu'elle comptoit alors 10,000 guerriers. Ces nations confédérées habitoient les bords de la rivière Mohawk, la haute Susquéhannah , ainsi que les bords des rivières et des petits lacs qui versent leurs eaux dans l'On- tario.
L'alliance que firent les Hollandais avec eux, et que > es Anglais, leurs successeurs, ont soigneusement main- tenue jusqu'au moment de la révolution , contribua beau- coup à faciliter les commencemens de cette belle colonie , et fut, au contraire , une des principales causes qui retar-
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clèrent pendant long-temps les progrès de celle que les Français fondoient à la même époque dans le Canada. Cette jalousie nationale, qui, en Europe , a occasionné des guerres si fréquentes et si longues , fut la cause de tous les mallieurs que cette colonie éparouva durant son en- fance. Moins nombreuse , plus éloignée de la mer , dont elle étoit séparée par 1^ glaces pendant sis: mois de l'année, on ne conçoit pas comment elle a pu résister aux inva- sions et aux attaques de cette puissante ligue. Il faut voir, dans l'histoire , les assauts fréquens que ces braves colons eurent à supporter, leur infatigable persévérance , et leurs ressources. Des hommes moins patiens et moins aguerris auroient succombé , et le Canada seroit devenu une co- lonie anglaise.
Ah ! si , dès l'origine, on eût donné à ce pays \me religion moins exclusive , un gouvernement tel que celui de Mas- sachussets ou de Pensylvanie , par exemple , jamais les escadres anglaises n'auroient remonté le fleuve Saint- Laurent, jamais le général Amlierst ne l'auroit descendu depuis Katarakouy jusqu'à Montréal , parce qu'au lieu de 90,000 habitons qu'il y avoit lors de la conquête , il y en auroit eu 4oo,ooo. Mais malheureusement, depuis l'ori- gine de cette colonie , on avoit voulu , ainsi que dans l'Arcadie ^, que pas un arbre ne fût renversé, que pas un enfant ne fût procréé qpe par des catholiques romains j comme si le soleil et les rosées n'eussent pas également fécondé des champs défrichés, ensemencés par des bras luthériens ou calvinistes !
Les Mohawks , entraînés par leur ancien attachement pour les Anglais , les ont suivis dans le Canada , oùl'on dit
■^ ■
* Aujourd'hui la Nouvelle-Ecosse.
I
528 NOTES.
que leur nombre a considérablement diminué; et leur pays est couvert d'habitations , ainsi que de champs cul- tivés. Il ne reste plus de leurs confédérés, que quelques familles Onéidas , Cayugas , Onondagas , Tuscaroras et Sènnèccas , qui ont dernièrement vendu leurs terres , on plutôt leur pays, à l'exception de quelques réserves ^ an Gouvernement de New- York. Grâces au zèle des mis- sionnaires , on a imprimé dans leur langue, ainsi que dans celle des anciens Natticks , plusieurs livres de religion et de prières : j'en ai même vu quelques grammaires.
(8) Buffles des savannes. Avant que les blancs eussent franchi les AUéghénis , et fondé les belles colonies du Tènézee, de Kentukey, de Cumberland, de Washing- ton , etc. des troupeaux considérables de buffles ou bisons paissoient dans les prairies naturelles de ces vastes régions, et avoient prodigieusement multiplié j mais depuis quel- ques années on n'en voit plus : une grande partie a été détruite , et les autres , fuyant un ennemi si redoutable , ont traversé leMississipi, et rejoint leurs semblables dans les vastes plaines herbées qui s'étendent du rivage occi- dental de ce fleuve jusqu'à des distances inconnues. En con- sidérant le nombre de ces bisons, la facilité de les rencontrer et de les atteindre, on ne peut guère concevoir comment, pendant le long cours des siècles, il n'est jamais, venu dans la pensée des indigènes d'apprivoiser les jeunes , d'enclore quelques acres de ces prairies naturelles pour les y élever , et les soumettre peu à peu à la domesticité. Il est probable que la race des bestiaux européens est originairement venue de bisons semblables à ceux-ci , que les premières sociétés auront apprivoisés. Quels avantages inappré- ciables ces nations américaines n'auroient-elles pas tirés de ces essais , qui les auroient conduites insensiblement
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NOTES. 3i29
à la culture ! De ce qu'une idée aussi simple , un projet aussi facile à exécuter ne leur est jamais venu en pensée , ne doit -on pas conclure que leur organisation intellec- tuelle est inférieure à celle des nations européennes et asiatiques ?
(9) Minerai de fer. On trouve à peu de distance sous terre, et même souvent à la surface des prairies natu- relles du Nouveau- Jersey et de la Pensylvanie, des blocs de ce minerai (connu sous le nom de bog-ore'), pesant depuis 26 jusqu'à 100 livres. En les examinant avec atten- tion, on croiroit qu'ils ont subi l'action du feu. Je connois plusieurs bloomeries , ou petites forges , dans lesquelles on ne fond que ce minerai, qui, dit-on, est plus aigre que celui qu'on trouve en fouillant dans les montagnes.
(10) Riz sauvage. Il croît sur les rivages de l'Ontario, du Michigan , du petit lac des Winébagos , ainsi que sur les bords des rivières qui y versent leurs eaux; les Cana- diens le connoissent sous le nom de folle-avoine, les Amé- ricains sous celui de riz sauvage. Il est extrêmement nourrissant , et croît dans certains cantons avec une telle abondance , que les indigènes en font des récoltes consi- dérables ; ils en attachent les tiges par poignées ; chaque famille reconnoissant sa marque, les coupe au niveau des eaux, lorsque le temps de la maturité est venue, et les emporte dans son canot.
Ce grain est devenu la principale nourriture des Outa- gamis, Ménomonis et Winébagos , qui habitent la région comprise entre le rivage occidental du Michigan et le Mississipi. Après avoir éprouvé , depuis tant d'années , les avantages de ces récoltes , il est inconcevable que le •^ièsir de les augmenter , et celui d'obtenir une subsistance plus assurée , ne les ait pas déterminés à en semer dans
>3o NOTES.
des endroits plus convenables, et_, en imitant la nature?, le faire croître au milieu des eaux. L'inattention , ou plutôt l'aveuglement des autres nations , qui , depuis des siècles, ont entendu parler de ce grain, sans clierclierles moyens de le naturaliser chez elles , me paroît plus incon- cevable encore, et prouve ce que j'ai déjà avancé, l'infé- riorité de leur intelligence.
(il) Dépérissement des nations Nattich et Pécocl. Quand on pense aux obstacles de tous les genres que les colons des quatre Etats septentrionaux (jadis connus sous le nom de Nouvelle -Angleterre) eurent à vaincre pendant l'enfance de leurs premiers établissemens , on est étonné qu'ils aient pu les surmonter ; on ne l'est pas moins , en voj'^ant que leur persévérance et leur industrie sont de- venues, depuis, l'exemple du continent. Pendant combien d'années n'eurent-ils pas à lutter contre l'opiniâtre résis- tance des indigèiies , qui ne cessoient de les harceler ? Semblables aux habitans du Canada , jamais ils n'alloient aux champs sans que leurs fusils ne fussent attachés à leurs charrues -, la loi leur ordonnoit même de les porter à l'église, oti, saisissant le moment de leurs prières, les indigènes venoient les attaquer.
De ce long état de guerre , est venu ce grand nombre d'emplacemens , connus dans les cartes sous le nom de villes , qui jadis n'étoient que des enclos palissades , où les familles , éparses sur les plantations du voisinage , se refugioient au premier signal d'alarme. Peut-être même ces quatre colonies auroient - elles succombé, en 1668 , sous les efforts de la coalition de toutes les nations voi- sines, si elles n'avoient pas réuni et confié leurs intérêts à un Congrès, qu'elles investirent du pouvoir dictatorial^ «t dont on voit encore quelques monnoies. MaisMétacomct,
NOTE S. 55l
clief de cette formidable coalition , ayant été trahi dès la seconde année, la mort de ce jeune héros, digne d'un meilleur sort, occasionna tant de divisions et de défaites, que ces guerriers acceptèrent les ternies de la paix qui leur fut ofiPerte : ime partie se retira dans l'intérieur du continent ; on persuada à l'autre de s'établir à Chappo- quidick , Nattick , Suckiang , Nantuket , etc. où l'on espéra qu'avec les secours de la religion et de l'exemple, ces hommes apprendroient enfin à cultiver les terres qu ils s'étoient réservées , et que , comme les blancs, ils multi- plieroient au sein de l'abondance et de la paix.
Ces projets, ces espérances, inspirés par Famour de la justice et de l'humanité , s'évanouirent après quelques années : en cessant d'être chasseurs , ils devinrent indo- lens , paresseux , insensibles à l'aiguillon des désirs et de l'émulation , et , comme dans les bois , soi^rds aux con- seils de la prévoyance.
De tant de familles devenues cultivatrices , pas une ne s'est élevée à l'aisance; toutes se sont éteintes, sans qu'on ait pu savoir comment , tandis que le nombre des blancs a augmenté au-delà de ce qu'on avoit vu dans les temps modernes. Les mêmes causes secrètes ont produit les mêmes effets, dans le Jersey, la Pensylvanie , la Virginie, par-tout où l'on a tâché de les réunir sur leurs propres terres. En 1 763, on comptoit encore près de 800 indigènes domiciliés dans l'Etat de New -York : peut-être n'en existe-t-il pas aujourd'hui 5o,
(12) Elever leurs wigwhams ailleurs. Soit que cela vienne du climat , ou de quelque différence dans leur orga- nisation, les nations septentrionales sont d'une disposi- tion plus errante , et beaucoup moins attachées aux lieux de leur naissance que cçlles de la Géorgie et de la Floride,
ÔD2 N O T K S.
Quoique la plupart de leurs villages soieiît favorablement situés sur les bords des rivières navigables ; et à proximité de terres d'alluvion , ils ne considèrent leurs habitations, et sur-tout la jeunesse, que comme les soldats , la tente sous laquelle ils campent. Une épidémie, quelques rêves fàclieux , l'arrivée des abeilles dans les arbres du voisi- nage, tels sont , entre plusieurs autres, les motifs qui les déterminent à quitter leurs villages pour aller élever leurs wigwbams ailleurs.
Il faut en convenir , des hommes qui n'ont souvent d'autre mobilier que leurs peaux d'ours , lem^ chaudière et leur carabine, et qui trouvent par -tout de l'écorce de bouleau , changent facilement de demeure. Ils sont cepen- dant quelquefois retenus par leur respect pour les lieux consacrés depuis long-temps à la sépulture de leurs pères ; l'idée qu'après qu'ils auront abandonné le village , la charrue des blancs exposera à la pluie et à la rosée ces dépouilles vénérables , prévient quelquefois leur émigra- tion : cette pensée est une des plus affligeantes qu'ils con- noissent. Mais depuis que les tribus voisines des frontières ont perdu, par l'exemple et par la fréquentation des blancs , ces nuances primitives qui distinguent encore les nations des grands lacs ; depuis qu'avec l'appât irrésistible des eaux spiritueuses , on les a conduits à la plus honteuse dépravation , ces moeurs , ces traits distinctifs qui les ren- doient jadis respectables aux yeux de l'observateur , ont entièrement disparu.
Ce ne sont plus les mêmes hommes ; ils vendent aujour- d'hui leurs terres , sans penser aux cendres de leurs parens , de leurs amis , et se contentent d'en réserver quelques milliers d'acres , que le voisinage des blancs , la rareté du gibier, et leur éternel mépris pour l'industrie et la c allure ^
NOTES. 335
îes forceront d'abandonner dans un peLit nombre d'an- nées.
(i5) Occupations dignes d'un Nishy - Norhay. C'est sons ce nom que, dans la langue chippaway , on distingue les indigènes, ou la race des chasseurs. Il contraste avec celui de Saganash (homme rouge ), sous lequel ils con- noissent les Anglais, à cause de l'uniforme de leurs soldats.
(i4) Grandes chasses d'hiver. L/Csindigène&ont deux saisons de chasse ; l'été et l'hiver. La première, celle du chevreuil , lear fournit les viandes dont ils ont besoin , et qu'ils savent conserver par le secours de la fumée ; la seconde leur procure les belles fourrures qu'ils Vendent aux Européens ; ce sont des peaux d'ours, de renards, d'orignals, de castors , de loutres , de rats-musqués, de martres , etc.
Ces fauves ne se trouvant que dans les régions froides et solitaires du nord,. pour y parvenir, ils sont obligés d'entreprendre de longs et pénibles voyages, en remontant les rivières, qui, pour la plupart, ne sont qu'une suite de chutes , de rapides et de portages \ mais comme il leur est impossible de se munir de provisions , à cause de la foiblesse de leurs canots , ils sont obligés de s'arrêter sou- vent , pour pouvoir chasser et pêcher : ces chasses et ces pêches n'étant pas toujours heureuses , ils sont exposés à des privations auxquelles il n'est pas rare de les voir suc- comber. Telle est leur manière de voyager, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus aux lieux qu'ils s'imaginent être remplis de fauves.
Après y avoir construit une wigwham , dont la gran- deur est proportionnée à leur nombre, chacun choisit son canton de chasse, souvent à des distances très-considé- rables du quartier - général, Là, ils tendent des lacets, creusent des fosses, préparent des pièges, et mettent en
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usage tous les moyens que l'expérience leur suggère ; plus ]a saison est rude, et plusieurs cliasses sont heureuses. C'est au milieu des neiges profondes et des fortes gelées de ces climats glacés , cpie ces hommes peu vêtus passent trois à quatre mois , exposés à des fatignes dont on ne pent pas se former d'idée précise, à moins de les avoir partagées avec eux.
J'ai connu un Européen qui , rempli de toute la con- fiance qu'inspirent la jeunesse et des forces d'Hercule , voulut suivre une compagnie de ces indigènes pendant leur campagne d'hiver •, il lui fallut deux mois de soins, de repos , de bonne nourriture , avant qu'il fût entièrement remis de ses fatigues , et sur-tout de l'abstinence à laquelle il avoit été exposé durant cette longue et sévère épreuve.
A peine les glaces de l'hiver sont-elles fondues , qu'ils se hâtent d'arriver aux lieux où les trafiquans les attendent avec nn assortiment de marchandises analogues à leurs goûts ; car , bien dilFérens des Em^opéens , leur goût est invariable : ils se vêtissent encore des mêmes étofîes qu'on leur lit connoître dans l'origine. La peau de castor sert de ba.se à ces échanges ; c'est comme la monnoie de ce com- merce ; tel objet est estimé , de tous les temps, en valoir un nombre plus ou moins considérable.
C'est là aussi que , sous le prétexte de se délasser de leurs fatigues , ils boivent avec excès , et ces excès occa- sionnent toujours des rixes plus ou moins sanglantes. Comme le matelot, qui, revenu des grandes Indes, pro- digue dans peu dé jours en bombances et en folies, l'argent qu'il a si péniblement gagné, de même ces insoucians chasseurs dissipent dans l'ivresse les fruits de leurs longues et laborieuses chasses. Au lieu de repos, de bonne nourri- ture , dont ils auroient un si grand besoin , ils s'exposent
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aux nouveaux dangers des inflammations;, des pleurésies, qui en moissonnent annuellement un grand nombre : des corps de fer ne résisteroient pas à un régime aussi violent.
(i5) Motifs de leurs guerres. Comme la peste et les maladies épidémiques , la guerre est un mal inévitable , puisqu'elle est la conséquence de nos passions, qui sont, à peu de chose près, les mêmes dans les forêts de l'Amé- rique que dans les plaines de l'Europe.
Il est même vraisemblable que le motif qui réunit en hordes et en tribus les premières familles éparses, fut celui d'attaquer ou de se défendre. Tel étoit l'état dans lequel leicélèbre Cook a trouvé les habitans des terres et des îles qu'il a découvertes , et celui des nations de ce continent , lors de l'arrivée des premiers Européens.
Mais quels pou voient donc être, demandera-t-on , les motifs qui les excitoient à la guerre , séparées , comme l'étoient ces tribus , par des forêts , des marais impéné- trables, des fleuves rapides ou des lacs orageux; ne con- noissant ni la cupidité, ni le désir des conquêtes? Quels motifs ! I/n rêve , ini faux rapport , la bouillante impa- tience d'une jeunesse long-temps oisive, le désir d'élever la gloire de leur nation et de faire parler d'elle , celui de mériter les applaudissemens et l'admiration des femmes^ en chantant devant elles leurs prouesses et leurs vic- toires.
Que l'aigle ou le vautour osent affronter les orages à la poursuite de leur proie , l'impérieuse nécessité du besoin les excite : mais que des hommes non encore sortis de cet état primitif que les poètes ont appelé l'âge d'or, aban- donnent leurs villages , où ils vi voient dans la paix , pour àllet; à de grandes distances, exterminer d'autres hommes.
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et, semblables à des loups afîkmës , se repaître de leurs carcasses , célébrer leurs barbares triomphes en buvant le bouillon de leur^chair !..!..! Quelle inconcevable destinée ! Voilà cependant comment toutes les nations ont com- mencé.
Aussi-tôt que la guerre est résolue , la jeunesse s'as- semble , élit un chef j tous se peignent le visage et le corps, suspendent la chaudière , autour de laquelle ils dansent en hurlant leurs chansons de Cannibales, et s'imposent une abstinence rigoureuse : car, disent - ils , pour être inexorable , il est nécessaire d'avoir été long -temps aigri par les irritations de la faim. Qui leur a enseigné ce nou- veau moyen d'exciter leur férocité ? Seroit-ce l'instinct ? C'est donc celui des démons !
Depuis que les blancs ont dirigé leur activité du côté de la chasse , en leur faisant connoître l'usage de leurs marchandises , les guerres sont devenues plus rares parmi eux ; l'espoir d'une rançon les a rendus moins cruels envers les prisonniers blancs.
(16) Pondiach. Ancien chef de la nation Ontawa, lonfî^ -temps célèbre par sa bravoure , son éloquence , la sagesse et la vigueur de ses conseils. C'est à lui que l'His- toire attribue la coalition des grandes nations de l'Ohio et des lacs , après la prise du Canada, en 1763 , pour chasser les Anglais des pays d'en haut , et s'emparer de leurs forts de traite et de guerre. La constance des eflPorts de ces nations , la rapidité de leurs mouvemens , l'étonnante exactitude de leurs attaques , quoiqu'à des distances aussi considérables j la défaite d'un de leurs corps dans les mon- tagnes de la Pensylvanie , après un combat sanglant et opiniâtre j le blocus qu'ils firent de la ville du Détroit et du fort Pitt j le traité de paix conclu aux fourches du
NOTES. , 507
MusHnghum ; tous ces détails sont consignés dans l'His- toire , et justement considérés comme le plus formidable essai de leurs forces qui eût eu lieu depuis la fondation des colonies anglaises sur ce continent. Ces projets s'éva- nouirent à la mort de ce grand chef;, qui fut assassiné en conséc|uence , dit-on , d'ordres secrets.
Les Anglais s'étant emparés , après là conquête du Canada, de tout ce qu'on appelle le commerce indien, depuis les rives du Mississipi jusqu'aux terres arctiques de la baie de Hudson , le Gouvernement dépensant an- nuellement en présens plus de 20,000 livres sterl. , d'un autre côté, les traiteurs n'étant pas restreints , comme du temps des Français , dans la quantité des eaux spiritueuses qu'il leur est permis d'envoyer àsais, les pays d'en liant , le nombre des indigènes diminue avec une étonnante rapidité. On prétend quo les six dixièmes de leur popula- tion ont disparu depuis que la liberté du commerce anglais a succédé au régime plus restrictif des Français.
(1^) Quelle éducation! Quel ordre de choses f "Pour convaincre plus particulièrement encore le lecteur, de la force des opinions sur lesquelles l'antlu^opopliagie est fondée , je crois devoir rapporter ici une conversation qui eut lieu au camp devant le fort George, en 1758, entre un chef Pootooatamy et un ofEcier français, servant sous le marquis de Moncalm , quelques jours après que ces féroces indigènes eurent attaqué la garnison anglaise, qui, conformément à la capitulation conclue avec le colonel Monroe , se retiroit sans atmes au fort Ed-ward , et eurent enlevé la chevelure d'un grand nombre de soldats , dont quelques-uns furent dépecés et niis dans leurs chaudières. J'ai entendu cet officier raconter tous les détails de cett© épouvantable boucherie,
I. Y
558 N O T E s^
L,^ Officier français. — « Toi^ homme , dis -tu ! Non, tu es pire que le loup et la panthère )>.
Kanna-Satègo. — «Moi, pire que le loup et la pan- thère ! ! ! Tu extra vagues, tout chef de guerriers que tu €s , entends-tu )> ?
L'O. F. — (c Ne manges -tu pas ton semblable, qui, commetoi, est fils de femme, et conséquemment ton frère»?
K. — (( Mon frère ! non. C'est mon ennemi , puisqu'il m'auroit dévoré , s'il eût été plus fort ou plus adroit. Qu'importe à l'homme mort d'être digéré dans mon esto- mac ou dans celui d'un loup )) ?
L' O. F. — (( Est-ce qu'en dépeçant un corps fait comme le tien , tu ne sens pas quelque chose qui te répugne » ?
K. — « Je n'entends pas ce mot. Et toi, quand tu fais arrêter un homme, ton semblable et ton frère , parce que le vent du malheur ayant soufflé sur lui , il ne peut pas payer ce qu'il te doit , et quand , en le privant de sa liberté , tu fais mourir de faim et de chagrin sa femme et ses enfans , ne sens-tu pas aussi quelque répugnance » ?
L'O. F. — « C'est la loi qui le confine, et non pas moi )) ?
X, — (( Eh bien ! avec ta loi tu tues cet homme, comme je tue mon ennemi avec ma carabine ou mon toméhawk ; et peux-tu te croire aussi brave que Kannasatégo ? Non , puisque , comme lui , tu ne cours pas le risque de ta vie )>.
L'O. F, — (( D'où l'usage de dévorer tes prisonniers ».-t-il pu venir )) ?
K. — (( Du cri souterrain de nos braves , morts en combattant , dont les ombres poursuivent nos guerriers jusqu'à ce qu'ils les aient appaisées en couvrant leurs corps, en effaçant de la terre les traces de leur sang, et aiettant leurs ennemis dans la chaudière. D'ailleurs, ne
NOTES. , ùùg
faut-il pas que nos femmes et nos enians participent à notre triomplie ? C'est le meilleur bouillon que nous puis- sions leur donner. Seroit-ce en dansant autour de nos chau- dières , lorsqu'elles ne sont remplies que d'ours ou de clie- vreuil,que nous pourrions chanter nos chansons de valeur? Non j c'est le repas du chasseur , et non le festin de la vic- toire. Toi; dont l'esprit est au bout de ta langue, ex- plique mes paroles ! Quant au mien , il est au bout de mon bras )) .
L'O. F. — « Que ne cultives -tu, comme nous, ces petites graines , avec lesquelles on satisfait si facilement la feim , quand elle vient » ?
K. — « Pourquoi ferions-nous ce que nos ancêtres n'ont jamais fait ? A la longue, tes petites graines tueroient nos braves, qui , ne redoutant plus le besoin de manger, pas- seroient leur temps à fumer et à dormir : notre jeunesse n'étant plus obligée de chasser et de pêcher pour vivre, oà appr endroit- elle à devenir rusée , patiente à supporter le mal et la faim ? Bientôt elle oublieroit à manier le toméhawk de la guerre )).
« De plus , qui nous fourniroit des vêtemens ? Pour- rions-nous dire au cerf: — J'ai besoin de mokissons; viens, que je t'écorche?- — Au buffle, au castor, à la loutre: — < J'ai froid, mes épaules sont nues ; donne-moi ta fourrure »? Ij'O. F. — ({ N'as-tu jamais connu la pitié » ? K. - — (c Oui , envers les foibles , les malades et les femmes. Si l'œil d'un homme doit toujours être sec, com- ment celui d'un guerrier pourroit-il être humide 3» ?
L'O. F, — «Tout ce que tu viens de dire me fait horreur )>.
K. — (c Eh bien ! va-t-en dans ton pays y cultiver tes petites graines ; et laisse-nous vivre ici comme nos an-
54o NOTES/.
cêtres ont vécu ! Le soleil et la lune se lèvent et se Cou- chent , riiiver succède à l'ëtë, comme de leur temps, rien ne change : pourquoi changerions-nous » ?
(18) Iles ^rsacides et Dandaman. Situées au nord- OLiest de la pointe d'Achem , dont les habitans nègres sont cannibales. Ces îles ont été découvertes par les capi- pitaines Bougainville , Surville et Shortland.
(19) Pootooatamis. Nation jadis puissante et nom- breuse , dont les débris habitent encore les rivages méri- dionaux du lac Michigan. Les Français fondèrent une mission parmi eux , sur les bords de la rivière Saint- Joseph , qui a été long-temps célèbre ; ils y construisirent aussi un petit fort, dans les environs duquel plusieurs familles canadiennes s'étoient établies. Ce lieu , tombé au pouvoir des Anglais après la conquête du Canada, fut emporté par les gens de Pondiack , et la garnison , ainsi que celle de Michillimakinack , entièrement dé- truite.
(20) Wigwham. C'est le nom que, dans plusieurs langues , les indigènes donnent aux habitations qu'ils construisoient avant d'avoir connu l'usage du fer, et dont ils se servent encore dans plusieurs cantons. La charpente en est à-la-fois simple , légère et solide. C'est une suite de petites pièces faites du bois le plus durable ; elles ont de six à sept pieds de hauteur , mais au lieu de chevrons , ils les surmontent avec des cei-ceaux semi-circulaires , recou- verts , ainsi que les parois ou murailles , de grands morceaux d'écorce de bouleau noir, artistement cousus, et dont les coutures sont enduites de térébenthine. La porte , montée sur un petit cadre qr\i bat contre le seuil et le linteau , est recouverte de la même écorce. Dans le jtnilieu du toît ^ ils pratiquent une ouverture circulaire
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pour laisser sortir la fumëe , et ils y suspendent un bâton crocliu j auquel la cliaudière est attacliëe.
Si c'est la wigw^liam d'un guerrier ^ on y voit quelques clievelures , dont la peau a été soigneusement i;année et peinte en rouge , attacliée sur un cerceau , et dont les che- veux conservent la même longueur qu'ils avoient lorsque cet ennemi fut tué. Le soir , on déroule autour du feu les peaux de castors, de buffles, ou d'ours, qui leur servent de lit. Leurs ustensiles sont en très -petit nombre. Il s'en faut bien que la propreté règne sous ces toits enfumés. Leur attacliement à ce genre de vie est cependant si grand, que 'lorsqu'ils viennent parmi les blancs , ils aiment mieux camper dans les bois voisins , où ils élèvent un petit abri, que d'habiter nos maisons et coucher sur de bons lits.
(21) Oppoygan. C'est le nom qu'ils donnent à une espèce particulière de pipe , dont la tête , façonnée avec assez d'art, est toujours de marbre rouge ou noir, qu'ils vont chercher dans le voisinage du Mississipi. Ils introduisent tm tuyau de bois léger vers la partie inférieure de cette tête , à laquelle est constamment fixée une petite chaîne de cuivre, pour empêcher qu'elle ne tombe. Lorsqu'il a une certaine longueur, celle de trois à quatre pieds, par exemple , et qu'il est revêtu d'une peau de serpent mou- chetée , et orné d'un mélange particulier de plumes , il est considéré comme le symbole de la paix; l'envoyé ou l'am- bassadeur qui le porte , jouit de la plus parfaite sûreté, et même dans les villages qui sont ennemis du sien ; à sa vue, les haines et les vengeances se taisent,.
On s'en sert aussi dans les adoptions , dans les mariages, ainsi que dans toutes les fêtes pacifiques. Il est aussi le signal de la guerre , lorsqu.e les plumes dont il est orné , sont rouges : il précède oti accompagne toujours les danses
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destinées à représenter l'attaqne ou la victoire. De-îà les tnétapliores dont ils font si souvent usage. — «Levons le toméha^vk de la guerre, arborons le grand oppoygan du sang». Ou : — (c Fumons dans l'oppoygan de paix, de bonne intelligence, de bon souvenir : que nos pensées soient unies, bonnes et douces, comme la fumée de nos oppoy- gans )).
Les carrières où ils vont cher cher ce marbre , sont des lieux qui, de temps immémorial, ont été consacrés à la paix; c'étoit là que jadis les premières paroles en étoient portées : quiconque déclare y aller ou en revenir, est res- pecté par-tout où il passe. Mais comme dans les voyages, ainsi que dans l'usage journalier , cet oppo^'-gan seroit très-incommode à cause de sa longueur , ils en ont de plus petits , ou bien ils adaptent sur l'arrière de leurs tomé- iiawks une tête de pipe en fer ou en cuivre , qui y est retenue par un écrou , dont le creux communique à celui du mancîie , à l'autre extrémité duquel ils mettent un tuyau d'aigle , pour pouvoir fumer plus commodément.
C'est leur occupation constante lorsqu'ils sont chez eux, et ils y attachent beaucoup de dignité et d'importance , mais ils poussent plus loin que nous le luxe de cette jouis- sance. Au lieu de tabac pur, souvent acre et désagréable, ils .y mêlent quelques feuilles aromatiques , telles que celles duségokémack,du sumack. Rien n'est plus agréable à sentir que ce mélange , dont ils portent toujours une provision dans une peau tannée de loutre , de canard ou d'oppossum , suspendue à leur ceinture.
(22) Abeilles. Persuadés que les abeilles sont venues d'Europe, ce qui cependant est très - douteux ,, les indi- gènes les voient de mauvais oeil , et considèrent leurs pro- grès dans l'intérieur du continent , comme un présage de
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l'approclie des blancs : aussi , dès qu'ils en découvrent , cet événement , en passant rapidement de bouche en bouclie , répand la tristesse et la consternation dans tous les esprits. Un jour que j'allois au village d'Osséwingo, je rencontrai un Cayuga que je connoissois depuis plusieurs années -, il étoit assis au pied d'un arbre , et les yeux fixés sur la terre , fumoit gravement dans son toméliawk.
Comme il paroissoit peu disposé à me parler , je lui dis : — (( Ta langue seroit-elle desséchée , et ta main para- lysée?— Mon esprit est dans les ténèbres, me répondit-il, et mes yeux voient sans voir , quand je pense à ce mau- vais génie qui ne cesse de nous tourner le dos. — Comment cela ? j 'ai peine à te comprendre. — Ne sais-tu pas qu'il prit tes gens par la main dès le premier jour de leur arrivée sur cette terre , et que depuis , il a constamment nettoyé leurs sentiers , et couvert les nôtres de ronces , de halliers et de pierres? Ne voilà- t-il pas leurs mouches qui arrivent parmi nous, pour effrayer notre gibier?-— Eh bien ! sais-tu ce qu'il faut faire? — Non. — Je vais te le dire. Aye un champ , ayes - en même deux , si cela est possible ; cultive-les bien ; que tes compagnons imitent ton exemple : alors ces mouches , qui t'effrayent tant au- jourd'hui, te porteront bonheur; car elles sont un modèle d'industrie , de bon accord et de bon gouvernement. — Tu dis vrai ; mais le mauvais Génie ne veut pas que nous cul- tivions la terre comme les blancs. — Ton mauvais Génie n'est qu'une ombre , un fantôme , et un fantôme n'est rien. Si tu méprises l'industrie des blancs, imite du moins celle du castor-, que le soleil de la raison éclaire ton village , et alors tu verras ce fantôme , cette ombre , passer comme le bruit que j'entends , et qui n'est déjà plus; comme le vent qui frise la surface du lac, et est déjà bien loin. — Porte tes
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paroles au village , que tous nos gens disent : Oui , oui ^ oui 5 alors j'y consens ».
(23) Shawanèse. Cette grande et belle nation habite les plaines qu'arrosent le Scioto et ses branches, une des plus considérables de toutes les rivières qui tombent dans l'Ohio. Son confluent avec ce fleuve est à i3o lieues de Pitt'sboiu^g , et à 266 du Mississipi. Du temps de William Penn , cette nation étoit composée de dix-sept tribus , et comptoit dix à douze mille guerriers. Mais, comme toutes celles qu'on connoît , dédaignant de s'attacher, par la cul- ture, au sol fécond qui lui appartient, elle rejetta les idées de civilisation que ce célèbre fondateur lui transmit par Kélappama , uu de leurs chefs les plus éclairés , qui étoit venu à Philadelphie pour le voir. Quelle peut être la cause de ce prestige , de cet aveuglement ?
De toutes les nations du continent, la Shawanèse est la plus avantageusement située pour devenir cultivatrice ; douceur du climat, fécondité du sol, grand nombre de petites rivières navigables , proximité de l'Ohio, et des grands lacs, prairies naturelles , sur lesquelles ils auroient pu, comme les Muscogulges et les Séminoles des deux Florides, élever, sans soins et sans peine, des chevaux et des bestiaux : car c'est sur les bords de cette rivière qu'on commence à voir ces plaines couvertes d'herbes ou de ro- seaux, connues dans les Etats méridionaux sous le nom de saT amies ; c'est là aussi que l'on voit des arbres , des plantes et des fleurs bien différentes de celles du nord, ainsi que les beaux oiseaux du midi.
Quel dommage aussi que leur langue harmonieuse , douce et expressive , n'ait point été cultivée , et que le zèle des missionnaires n'ait point encore fait imprimer, à l'usage de leurs Néophites , quelques livres de prières
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dans cette langue , comme on en voit dans celle des Mo- liawks et des anciens liabitansdc la baie de Massacliussets ! Il est à craindre que bientôt il n'en reste plus de vestiges. XiCs pertes que les Sliawanèses ont essuyées dans la der- nière guerre avec les Etats-Unis , le traité qu'ils viennent de faire avec eux , les ont enfin déterminés à vivre tran- quilles sur les terreins immenses qu'ils se sont réservés. Eli bien ! il est probable que dans ce dernier asyle , ils n'adopteront pas le seul remède qui puisse encore pré- server leur existence , la culture.
(24) M^yandots du Sandusky. Les débris de cette ancienne nation, jadis vaincue et chassée des montagnes d'Ouasioto par les Cliérolcées , s'emparèrent des bords de cette rivière , dont ils exterminèrent les anciens pro- priétaires Sanduskys ; car à peine peut-on arrêter les yeux sur quelques parties de la terre qui n'aient été abreuvées de sang humain. De même que les grandes nations de l'Europe et de l'Asie, celles de ce continent paroissent avoir toujours été dans un état de guerre presque continuel. Les tribus qui périssoient victimes de ces vengeances , étoient remplacées par de nouvelles hordes, dont les ja- lousies, les haines et les dissentions ne tardoient pas à exciter de nouveaux combats. Ainsi que les Shawanèses leurs voisins , ils ont essuyé des pertes d'autant plus con- sidérables , qu'elles se réparent lentement parmi ces na- tions de chasseurs.
La rivière sur les bords de laquelle ils habitent , est Une des plus douces et des plus constamment navigables de toutes celles qui tombent dans le lac Erié , dont l'embou- chure est susceptible de devenir un port excellent.
(26) MushingJiuJTi. Grande et belle rivière qui tombe dans rOhio; à 5 8 ] ieues de Pit t'sbourg , et à 33c) du Mississipi.
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Elle est infiniment intéressante par ses sinuosités , ainsi que par l'étendue de sa navigation jusqu'à Tuskaraway, confluent formé par la jonction du Némenshéliélas et du X-amensliicola , et célèbre par le traité de paix que fit le général Bouquet en 1 764 , avec les nations de l'Oiiio. Ainsi que ce fleuve , le Muskinglium a des crues régulières , mais qui ne causent jamais de débordement. Les villages des Délawares, situés sur des terreins fertiles, offroient aux yeux l'imagée de l'abondance et du bonheur , dont ils jouiroient encore sans cette guerre funeste , dans laquelle la politique anglaise les a entraînés. C'étoit sur cette rivière que les frères Moraves avoient établi une colonie considérable d'indigènes, qu'ils civilisoient par l'ensei- gnement de la religion et de la culture. Des événemens fâclieux ra3'-ant malheur eu sèment dispersée , le Gouver- nement vient de leur donner dix mille acres de terre dans un canton plus éloigné des chances de la guerre.
L'embouchure de cette rivière deviendra un jour fa- meuse dans l'histoire , par les premiers établissemens du nouvel Etat de Washington, qui y furent formés cm 786, ainsi que par la fondation de la ville d' Adelphy , nommée depuis Marietta , sur les ruines du célèbre camp retranché qui fut découvert en 1780, dont le plan et les détails se trouvent au chapitre viii , tome m de cet ouvrage.
(26) TVar-lioop. Ce cri est , je crois , le plus perçant qu'il soit possible à l'homme de produire j nul autre ne retentit aussi loin dans les bois ni sur les eaux. Suivant les circonstances , les indigènes peuvent en rendre les modulations plus ou moins désagréables ou efirayantcs, par le battement plus ou moins rapide des quatre doigts de la main sur les lèvres pendant les efforts de l'aspiration. C'est le cri de la victoire j semblable au rugissement du
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lion, c'est aussi celui de la fe'rocité , par lequel les indi- gènes s'animent au fort de la mêiëe : souvent aussi ils s'en servent en terminant leurs chansons de guerre.
(27) Sir TVilliam Johnson. Il fut pendant long- temps intendant-général des affaires indiennes pour les colonies du milieu , et long- temps aussi le dispensateur des pré- sens que l'Angleterre prodiguoit annuellement aux six nations et à leurs alliés. C'est avec ces moyens irrésistibles que j depuis la conquête de cette colonie sur les Hollan- dais , en 1 ÇiÇtZ , cette Puissance s'est assuré leur amitié et leur assistance , toutes les fois qu'elle en a eu besoin dans ses guerres contre les Français du Canada. Cette alliance contribua beaucoup aux progrès des établi sse- mens , à la tranquillité et à la sûreté des liabitans de la colonie de New- York, et facilita l'acquisition des terres, à mesure que l'avidité des Gotiverneurs ou des compa- gnies de spéculateurs en avoit besoin.
Pour s'assurer une plus grande influence dans les con- seils de cette confédération , sir William Johnson épousa une femme d'une des plus considérables familles Mohawlc ( O wentawégan ) , dont l'esprit naturel et la pénétration lui devinrent extrêmement utiles dans l'administration de ce département. EUe lui découvroit leurs secrets , leurs intrigues, leurs mécontentemens. Il lui a dû en partie d'avoir pu gouverner et conduire , pendant un grand nombre d'années ,'ces enfans de la nature, qui n'avoient d'autre volonté que la sienne, et dont il se servit avanta- geusement pendant la guerre du Canada.
n faut en convenir , la longue durée de son gouverne- ment fut, pour ces indigènes, celle du repos , delà paix et de l'abondance. Si jamais Européen avoit pu les conduire à la culture, c'étoitsir William Johnson, et il n'y a pa»
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réussi , qnoiqu'ayant fait bâtir une grande et belle maison au milieu de ce qu'on appeloit alors the Mohawh Castles ( les châteaux Mohawks ) ^ et faisant cultiver sous leurs yeux les terres fertiles qu'ils lui avoient données.
Sa fortune lui permettant de se livrer à son pencliant pour l'hospitalité j sa maison étoit toujours ouverte aux étrangers et aux colons , que la curiosité de voir et d'étu- dier les mœurs et les usages des indigènes , et la certitude d'une réception simple et franche , attiroient chez lui. Sa table abondante n'étoit que rarement présidée par sa femme Agonétia , qui , parlant imparfaitement l'anglais , craignoit de se trouver déplacée au milieu d'un grand nombre de personnes qu'elle ne connoissoit point.
Persuadée par l'habitude qui nous fait attacher des idées de convenance à suivre les usages que nous avons eus sous nos j^eux depuis l'enfance , elle s'imagina toujours qu'il seroit ridicule à une femme Moha^vk de paroître sous des vêtemens européens ; et elle ne quitta jamais le cos- tume de sa tribu.
Quelques personnes peut-être auroient désiré que son maintien fût orné de grâces ; niais les charmes de la dé- cence et de la modestie qui se faisoient remarquer en elle, frappoient seuls le plus grand nombre ; son ensemble naturel , doux et simple , s'emparoit de la bienveillance , avant qu'on eut le temps d'examiner si ses manières avoient besoin de plus d'élégance ; et on ne songeoit point ensuite à leur en désirer davantage.
Née sur les bords de l'Oriskany ^ et sous l'écorce de bouleau, elle prouvoit que la nature, sans l'aide de la civilisation , sans le secours de l'art , peut imprimer à ses
* Branche du Mohawk.
N o 1* îî s. o^g
âoils îe pouvoir de plaire. On la voyoit toujours avec plaisir présider la table de sir William Joli tison. Cette femme , bonne et généreuse envers les blancs , comme envers ceux de ses compatriotes qui avoient éprouvé des mallieurs, fut toujours aimée et respectée des deux peu- ples. Qii'aur oit- elle donc pu être , si elle eût pris naissance à Londres ou à Edimbourg, et qu'elle eût reçu la meil- leure éducation de ces capitales ?
(28) Henrique Nissooassoo. Ce respectable Mobawfc, Sachem héréditaire de la tribu Garalcontié ( canard ) , mourut en 1775, dans tm âge avancé. Parlant bien l'an- glais ainsi que le hollandais, il étoit toujours un des indi- gènes avec lesquels les étrangers qui venoient voir sir William Joîmson, conversoient le plus souvent, et, cliose assez remarquable , jamais sa complaisance à répondre aux questions dont il étoit souvent accablé , ne s'est démentie. Je me suis moi-même entretenu avec lui pendant des heures entières, sans avoir observé le plus petit mouve- ment d'impatience.
Quoique né , pour ainsi dire , au milieu des blancs , il savoit aussi peu convenablement s'habiller à l'européenne que s'il eût vu le jour sur les bords du Ouisconsing, ou sur les rivages du lac Supérieur. Je me rappelle qu'en l 'J^i^, la duchesse douairière de Gordon , qui venoit d'arriver à New- York , a3^ant été informée que les députés de plu- sieurs nations dévoient s'assembler chez sir William Johnson , partit sur-le-champ pour assister à ce congrès. Le jour même de son arrivée , il eut soin de placer auprès d'elle à table , Henrique Nissooassoo, dont il connoissoit la complaisance et les talens.
Ce chef sachant que, comme lui , cette dame étoit d'une famille distinguée, voulut se faire beau, et pour cet effet
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il employa, dit-oiî , beaucoup de temps à sa toilette. Sa tète ëtoit rase , à rexception d'une petite touffe de cheveux sur l'arrière, à laquelle pendoit un blocquet d'argent. Quant au cartilage de ses oreilles , qui , suivant l'usage , avoit été découpé et considérablement alongé dans sa jeu- nesse , il le revêtit d'un fil d'arcbal ployé en spirales très- serrées, ce qui , en effet , le cachoit, mais ne le raccour- cissoit pas. La girandole étoit suspendue au craquelin de son nez. Un large liausse-col couvroit sa poitrine. Par- dessus sa veste d'écarlate , qui n'étoit pas boutonnée ( ce qui auroit été trop gênant ) , il avoit mis un habit bleu galonné d'or , dont la taille et l'ampleur n'étoient pas cal- culées sur la sienne. Jusques-là cependant, sa toilette étoit un peu européenne : ce qui suit le paroîtra moins.
Comme de tous nos vêtemens , la culotte est celui au- quel les indigènes peuvent le moins s'accoutumer , il y avoit adroitement suppléé, à ce qu'il croyoit, par des hauts-de-cliausses de drap , frangés de verroteries , qui couvroient la partie inférieure de ses cuisses : le reste étoit caché par le bas d'une chemise longue et ample. On voyoit encore sur son visage , qu'il avoit peint la veille pour recevoir plusieurs chefs étrangers , quelques restes considérables de couleurs. Il portoit à ses pieds des mokis- sons de peau de chevreuil tannée, élégamment brodés en plumes de porc-épic , et garnis de grelots d'argent.
Ainsi accoutré, il dîna à côté de la curieuse douai- rière, qui l'accabla de questions auxquelles il répondit avec toute la complaisance possible. Toutes les fois qu'elle assis toit aux séances du Congrès, elle l'appeloit toujours auprès d'elle , pour lui servir d'interprète. Extrêmement satisfaite , et pleine d'affection pour ces indigènes , elle entreprit de remonter la rivière Moh§.wk ? à dessein de
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îes voir de plus près dans leurs villages; et elle parvint au fort Stanwick. Là, escortée par pUisiem^s cliasseurs, clic traversa des forêts , alors sans sentiers , et arriva lieu- reusement, après sept jours de fatigues, au petit lac Otzègè , ori elle s'embarqua, et descendit la Stisquéliannali pendant plus de 200 milles , jusqu'à l'emboucliure de la Juniata, d'oii on la conduisit en voiture à Phila- delphie.
Les indigènes furent si frappés de son courage , et si reconnoissans des présens qu'elle leur fit , qu'ils l'adop- tèrent sous le nom de Cherry Moyamee (Femme de l'Est), et lui donnèrent cinq ou six mille acres de terres choi- sies, situées dans le voisinage d'Anaquaga, sur cette même rivière , afin , dirent-ils , qu'elle eût un lieu à elle , sur lequel elle pourroit élever sa wigwham , allumer son feu et suspendre sa chaudière toutes les fois qu'elle viendroit les voir. Il faut observer qu'à cette époque , les cantons qu'elle traversa ( aujourd'hui couverts d'habitations ) ïi'étoient que des forêts illimitées.
C'est la première fois, depuis l'établissement de ces colonies , qu'on ait vu une femme d'un rang aussi élevé , d'une fortune aussi considérable , et d'un âge aussi avancé , traverser l'Océan pour voyager dans un pays encore si nouveau , et oser s'enfoncer dans des forêts sans chemins , coupées de rivières et de creeks sans ponts , sous la con- duite d'indigènes qui , avec tout leur zèle , ne pouvoient prévenir ni les inconvéniens , ni les fatigues inévitables d'un pareil voyage. Quels progrès ce pays n'a-t-il pas faits depuis cette époque ! Qu'est devenue cette nation Mo- liawk , qui comptoit encore dans ce temps-là près de deux jaiille guerriers ?
(29) Mis^isagés. Nation jadis nombreuse, dontla langue
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ëtoit parlée jusqu'à la baie de Hudson. Une partie liabitoit les* grandes îles Moutonallin , le rivage oriental du lac Huron, ainsi que les eaux tortueuses qui y commu- niquent depuis la baie de Quint3^ Les autres avoient élevé leurs villages au fond des baies de Toronto ; de Kata- rakouy , de Niagara , etc. dont la pointe occidentale , formée par l'eniboucliure de cette dernière rivière dans l'Ontario , porte encore le nom de Missisagé.
Peu de temps après leur établissement à Montréal , les Français contractèrent avec eux une alliance , qui , dans la suite , leur devint bien utile, lorsqu'ils furent attaqués par les Anglais et les Mobawks. Depuis cette ancienne époque j ils n'ont jamais cessé d'être leurs constans et fidèles alliés , jusqu'à la conquête du Canada. Ge fut d'eux qu'ils reçurent les premières belles pelleteries qu'ils en- voyèrent en France, pelleteries que leurs infatigables chasseurs alloient cbercber dans le voisinage des lacs Né- pissing , Témiskaming , et Abitibee. Quoique très-éloignés des blancs , et habitant une région trop froide pour que des colonies s'y établissent , cette grande nation s'est éteinte, et a presqu' entièrement disparu. De ces tribus jadis si nombreuses, de tous ces guerriers qui aimoient tant à raconter les prouesses de leurs ancêtres, en aidant aux Français à repousser leurs ennemis à Hotchélaga , Misiskouy, Tikondéroga, etc. j de ce grand nombre de chasseurs qui alloient à la poursuite du castor jusques dans le pays des Esquimaux , il ne reste plus aujourd'hui que quelcjues familles errantes , dégénérées, dégoûtantes de malpropreté , qui vont de temps en temps à Niagara , Katarakouy , échanger le produit de leurs foibles chasses et de leurs pêches , pour du pain et de l'eau-de-vie. La petite -vérole les a détruits par milliei"s dans le cours
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de quelques années. Tel est le sort auquel toutes ces nations paroissent être irrévocablement destinées.
(5o) Petites graines merveilleuses. Le bled, le seigle et l'orge que semèrent les Français qui s'établirent dans le Canada. Quelle dut être , en eifet, la surprise des indi- gènes la première fois qu'ils virent des chevaux, et ces chevaux attelés à une charrue, et cette charrue laboiu^arit la terre, et les colons confiant à son sein ces petites graines merveilleuses , destinées à produire d'abondantes récoltes dont ils composoient une excellente nourriture ! Ne doit-il pas paroître étonnant qu'ils n'aient jamais désiré imiter un si bel exemple , qu'ils n'en aient point semé quelques poignées sur les terres d'alluvion, auprès desquelles, en général , ils placent leurs villages ? Mais non ; l'étonné- ment qu'occasionnèrent les premiers récits de Korey-^ jioosta , les larmes que l'inquiétude de la prévoyance ar- racha de ses yeux, ne firent aucune impression sur l'es^ prit de ces chasseurs.
Se pourroit-il donc que , différente de celle des autres îiommes, leur imagination se refusât invinciblement à la contemplation de l'avenir , et que , comme les animaux ^ ils fussent destinés à ne composer leurs vies que du mo^ ment présent ? La nature leur auroit-elle refusé l'étendue de compréhension nécessaire pour appercevoir l'utilité des choses nouvelles ? Seroit-il préordonné que jamais ils ne connoîtroient la culture, les soins domestiques , la civilisation, la morale et les loix? Cela est très-probable.
NOTES DU CHAPITRE IL
(A) Collège de Franklin. Ce vénérable personnage ayant depuis long- temps observé combien l'attachement des Allemands de la Pensylvanie à leur langue, apportoit I, z
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d'obstacles à l'introduction de la jeunesse dans les écoles anglaises , avoit conçu le projet de fonder tin collège où. les sciences seroient enseignées en allemand.
Aussi-tôt qu'il fut nommé Gouverneur de cet Etat , après son retour de France^ en 1786, profitant de son influence sur l'opinion publique , il obtint facilement du Corps législatif le terrein et les sommes nécessaires , et dès l'année suivante , ce collège fut fondé à Lancaster, et incorporé , ainsi qu'une grande école. '
Qiioiqu'originaire de Boston, oti il naquit en 1706, il vivoit à Philadelphie depuis 1723. Dégoûté de la profes- sion de son père , qui étoit chandelier , il étoit venu cher- cher fortune dans cette ville , qui n'étoit encore, à cette époque , qu'une grosse bourgade. Ne sachant comment se procurer des li^'^res, il se fit garçon imprimeur : le jour, il travailloit; la nuit étoit consacrée à l'étude. Bientôt on vit jaillir de sa plume des étincelles de génie qui annon- çoient qu'un jour il deviendroit un des hommes les plus éclairés du continent.
liCs notables de presque toutes les colonies s'étant as- semblés à Albany en 1744 , pour convenir entre elles d'un pacte d'union, et déterminer leurs rapports avec la mé- tropole, ainsi que le montant des subsides qu'elles dévoient lui donner , le projet que Franklin proposa fat accepté. L'Angleterre le refusa. Quelle différence aujourd'hui , dans l'état des choses en Amérique et en Europe, si l'An- gleterre eut pu prévoir alors que, trente-deux ans pins tard, elle dépenseroit inutilement cent millions sterling, et sacrifieroit la vie de cent mille hommes, pour s'opposer -à l'émancipation de ces colonies , dirigée et conduite par ce même Franklin ! A quoi donc tiennent les destinées des Empires et des Nations?
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C'est à l'heureux génie de cet llomme célèbre qu'on doit plusieurs découvertes importantes, entr' autres, celle des paratonnerres , éternisée par la médaille qui fut gravée à Paris en 1784^ avec cet exergue : Eripuit ccelo ful^- men , sceptrumque tyrannis. Possédant à un degré émi- nent le talent de déduire des observations utiles de tout ce qu'il voyoit^ rien n'écliappoit à sa profonde sagacité. On en sera plus amplement convaincu, lorsque son petit- fils, M. Temple Franklin, aura publié les nombreux Mé- moires qu'il lui a léguési
Non content d'avoir enrichi le monde par ses décou- vertes , quels services n'a-t-il pas rendus à sa patrie , long- temps avant la révolution , comme agent des colonies de Massachussets et d« Pensylvanie , et depuis , comme membre du premier Congrès qui commença, conduisit et termina la guerre de l'indépendance, avec tant de pru- dence , de fermeté et de gloire ; et enfin comme ambassa-^ deur en France ! C'est à lui que Philadelphie doit ses plus beaux établissemens , la Bibliothèque publique, l'Univer- sité , et la Société philosophique , dont il a été président pendant plus de vingt ans , quoiqu'absent.
Né de parens honnêtes , mai^ peu fortunés , il n'a dû qu'à son génie les nombreuses connoissances qu'il a ac- quises , ainsi que le rôle important qu'il a rempli sur la scène du monde: et, chose très -rare, le bonheur, le succès , l'estime et la considération publique l'ont cons- tamment accompagné dans le cours de sa longue vie. Peu de personnes ont acquis plus de droits à l'éternelle recon- noissance de ses compatriotesi
Il a légué mille guinées à la ville de Philadelphie , pour être employées à la construction d'une pompe à feu, qui élèvera l'eau de la rivière Scbuylikill, pour la conduire à
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cette ville, vers l'époque où, d'après ses calculs (insére's dans son testament), celle des puits sera devenue insa- lubre. Il a légué à sa ville natale une semblable somme , destinée à donner des encouragemens aux jeunes gens sages et industrieux, qui , à la fin de leurs apprentissages, auroient besoin de secours pour commencer leur carrière.
La postérité ne se rappellera qu'avec admiration les grandes ciioses qu'il a exécutées par les seules forces de son génie, sans aucunes de ces ressources qui ont secondé les entreprises de tant d'autres. Voici l'épitaplie qu'il fit pour lui-même peu de temps avant sa mort , qui arriva le 17 avril 1790 : il étoit aloi-s âgé de 84 ans etixois mois. c( Ci gît le corps de Benjamin Franklin , comme un vieux î) livre abandonné aux vers 5 mais ils n'en rongeront que )) l'extérieur; l'ouvrage restera intact, et ne tardera pas à )) reparoître sous une nouvelle forme , dont l'impression 5) sera plus correcte et plus durable )) .
(1) Esquimaux. Cette race paroit être extrêmement diiférente des autres aborigènes du continent , non-seule- ment par le teint, la couleur des cheveux et des jevos. , mais aussi par le langage, les habitudes et les mœurs , qui sont infiniment plus douces que celles de leurs voisins. On en voit à Terre-Neuve , sur les côtes du Labrador, sur les rivages de la baie de Hudson, et jusqu'au 67^ degré de latitude , dernières bornes de la vie et de la végétation. Ils sont tous harponneurs et pêcheurs. Sans habitations fixes, ils passent leur vie à errer à travers ces déserts inhospitaliers, ou sur le bord des baies, des lacs et des rivières , couvertes de glaces et de neiges éternelles. Il est difficile de concevoir l'idée d'une existence plus malheu- reuse ; ils y sont cependant si attachés , qti'ilest presqu'im- possible de les apprivoiser. J'en vis un à Québec , il y a
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quelques années ; malgré tous les soins qu'on lui prodi- guoit , il ne cessoit de soiipirer après le moment de son retour , et il mourut de regret et de chagrin au bout de six mois.
Cette éternelle suite de misères et de privations qu'ils éprouvent sous ces affreux climats , n'est cependant pas le seul malheur auquel la nature les ait condamnés : ayant voulu que , dans tous les pays , l'homme fût l'ennemi de son semblable , elle a placé , depuis un temps immémorial, dans le cœur de leurs voisins la haine la plus implacable. Ces voisins , connus sous le nom d' Aratapeskow*, occupent les régions à l'ouest et au sud de la baie de Hudson, et font aux Esquimaux une guerre continuelle. Ils détruisent impitoyablement tous ceux qu'ils surprennent, vieillards, hommes , femmes , enfans : des tribus entières ont été massacrées dans le même jour. On ne conçoit pas com- ment cette race infortunée existe encore. Il paroît cepen- dant , d'après les découvertes de M. Hearne (aujourd'hui Gouverneur de la factorerie anglaise de la baie de Hudson), qui , en 1771 et en 17 7:^, parvint à plus de 4oo lieues au nord-ouest de cette baie, que l'on trouve des individus de cette i-ace jusqu'aux dernières régions habitables de cette partie du continent, et que leur stature décroît à mesure qu'ils approchent du pôle.
(2) Détroit de Bering. Ce détroit, qui sépare le con- tinent de l'Asie de celui d^ l'Amérique , dont les naviga- teurs russes nous avoient parlé, et que le célèbre Cook a traversé en 1778 , n'a que six lieues de largeur. Le froid y est excessif. Quelle peut être la cause de cette rigueur
* De celui d'un grand lac placé au centre de cette partie du continent.
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de climat qui se fait sentir en Amérique par des latitudes sous lesquelles, en Europe, on jouit des bienfaits de la culture , celle de ce détroit n'étant que de 66 degrés ? Quelle différence entre les douces températures de l'an- cien monde sous le 45® degré , et les rigoureux Mvers du Canada sous le même parallèle !
(3) Rivière Saint-Pierre. Cette rivière , qui vient dies montagnes de la Californie , connue par les indigènes sous le nom de Wadappa - Ménésoter , est profonde , et a 5oo pieds de largeur à son emboucliure. La longueur de son cours , ainsi que les vastes pays qu'elle arrose , sont çncore peu connus-, mais ce qui la rend intéressante, est le voisinage du saut Saint- Antoine , dont elle n'est qu'à dix ou douze milles»
Cette cataracte , la seule du Mississipi qu'on connoisse , est située sous les 44 deg. 5o min. h. 56j lieues géomé- triques de la mer, et à 790, en suivant le cours de ce fleuve. Bien différente des autres , celle-ci se trouve au milieu d'un pays fertile , orné de collines , de plaines , et de prairies naturelles. Combien n'est-il pas à regretter que le iiom d'un obscur hermite de l'ancienne Egypte ait remplacé celui sous lequel les indigènes la connoissoient ! Ce n'est pas la seule perte qu'ait occasionné cette manie monacale. C'est sur-tout dans les colonies catholiques que ces pertes sont irréparables ; au lieu de conserver les noms indigènes des rivières, des montagnes et des lacs de ces pays, la plupart gracieux et sonores , on les a remplacés par ceux du calendrier romain. Quelle absurdité , de don- ner le nom d'une femme au d'un liamme à une île, à un grand fleuve , à une cataracte î Encore si ces hommes eussent été des navigateurs tels que sir Francis Drake, Hvidson , Cook , Bougainville , etc. ou des bienfaiteurs!
NOTES. 55^
du genre humain , la reconnoissance les auroit con- sacrés.
La largeur de cette belle cataracte est de 7 à 800 pieds, et sa hauteur de 35 à 4o : elle n'est partagée dans le milieu que par un immense rocher , estimé en avoir 4o à 5o. Oa voit au milieu des rapides occasionnés par cette prodi- gieuse chute, une île couverte d'arbres très-élevés, qui servent d'asyle à tous les oiseaux de proie du voisinage. A l'abri des incursions de leurs ennemis , heureux et pai- sibles, ils vivent, de génération en génération , des débris de poissons et d'animaux que le fleuve entraîne.
(4) Nadooassés et Padoocas. Nations nombreuses, divisées en plusieurs tribus, connues sous différens noms, lies unes habitent les plaines , les autres , les parties boi- sées des vastes régions situées à l'ouest de ce grand fleuve : voilà pourquoi on les distingue sous ceux de Nadooassés, des plaines ou des bois. Nées sous un climat tempéré , pos- sédant un sol fertile , un pays extrêmement abondant en gibier , elles sont devenues un peu plus cultivatrices que celles du nord , et elles ont des mœurs beaucoup plus douces, quoique, comme ces premières, elles aiment la guerre, et qu'elles l'aient faite pendant long-temps aux Espagnols du Nouveau -Mexique. C'est de-là que sont venus les bestiaux et les chevaux dont ces nations se servent \ voilà pourquoi il n'est pas rare d'en rencontrer de nombreux escadrons , sur-tout vers le haut Missoury , montés sur des andalous , qui conservent encore le feu et la vitesse de leurs ancêtres.
Semblables aux Tartares , ces peupfes établissent leurs camps dans les lieux les plus abondans en pâturages : ils ont des esclaves , qu'ils vont enlever parmi les nations voisines des montagnes de la Californie, connues sous le
56o NOTES.
nom de Panis , dont j'ai vu plusieurs individus^à Montréal. Us e'cliangent les fruits de leurs chasses pour des mar- cliandises européennes, à Pancore (Saint-Louis), ville bâtie par les Français de la haute Louisiane, au confluent du Missoury avec le Mississipi, à 4o2 lieues géomé- triques de la mer , et à 54 au nord de l'embouchure de rOhio.
Leurs plaines et leurs forêts sont remplies de cerfs, de buffles , d'ours , de dindes , faisans , grues , pélicans , courlis de plusieurs espèces ; et leurs rivières abondent en pois- sons. Séparées des féroces indigènes du nord par ce grand fleuve, ainsi que parleurs vastes plaines, libres, indépen- dantes , plusieurs tribus luènent une vie douce et tran- quille au sein de l'abondance. Cet état intermédiaire , également éloigné des inconvéniens de la vie sauvage comme de ceux d'une trop grande civilisation , est peut- être le plus heureux dont on puisse se former une idée.
( 5 ) Lexington. Ville du nouvel Etat de Kentukey , fondée en 1 780,3 peii de distancedes sources de l'Elkhorn*, au milieu d'une des plaines les plus fertiles de ce beau pays : elle est le point où. se réunissent un grand nombre de chemins , et en a été jusqu'ici considérée comme la capitale. On y comptoit quatre cents maisons en 1796, et 1800 habitans : elle est à 346 lieues de Philadelphie en ligne droite , à 8 de Frankford , dans le comté delà Fayette , û4 de Louisville sur l'Ohio, 17 de Washington, dans le district de Limestone, 10 de Dan ville, et 83 de Nashville sur le Cumberland, dans l'Etat de Tènézée. On y voit une imprimerie , la première qui ait été établie à l'ouest des Alléghénis. On y voit aussi plusieurs filatures de coton ,
* Branche principale de la rivière Kentukey.
NOTES, 36l
^ont ringéiiieux mécanisme fut envoyé de Philadelpliie , en 1786, par M. Brown , aujourd'lmi sénateur des Etats- Unis. C'est dans le voisinage de cette ville que sont les vestiges des deux camps retranchés : le premier couvre une surface de trois acres , le second, de six.
( 6 ) Les deux Myamis. Deux rivières de ce nom tom- bent dans rOliio ; la première à 1 72 lieues de Pitt'sbourg, la seconde, à i84 : elles ne sont navigables qu'à l'époque des crues du printemps. L'intervalle qui les sépare, est l'emplacement de la colonie que le colonel Clèves-Symes y conduisit en 1785. Ces terres fédérales, lès premières qui aient été vendues par le Congrès , sont très-produc- tives, ainsi que dans le Kentukey; les colons y cultive- ront un jour la soie , le coton, le tabac^ et tous les grains du nord. On y voit déjà trois villes, Colombia, Cincin- natus et Washington. Cette dernière est estimée être à 507 lieues de la Nouvelle-Orléans, en suivant le cours de l'Ohio et du Mississipi. La première concession fut d'un million d'acres , mais depuis , cette colonie a étendu sa propriété jusqu'au Petit -Myami , par de nouveaux achats. On a trouvé à vingt milles de son embouchure , des vestiges d'anciennes fortifications faites en terre , moins considérables^ mais très - semblables à celles du Muskinghum.
(7) Big-Grave-Creeh. Cette petite rivière, qui tombe sur le rivage sud-ouest de l'Ohio , à 3o lieues de Pitt's- bourg , dans le territoire d'Indiana , a tiré son nom d'un tombeau de forme conique, et semblable à ceux que les anciens Calédoniens appeloient Kromlaech , les Gallois, Carneds , et les Bretons , Ban^ows. On y a trouvé des ossemens humains d'une grandeur ordinaire ; mais ce qui rend ce tombeau plus digne d'attention, est une suite de
562 NOTES.
retranchemens avec leurs fosse's , qui commencent quatre milles plus bas sur le fleuve ; les uns sont circulaires , les autres qiiarrés. On voit aussi quelques redoutes élevées à des distances inégales les unes des autres , sur une plaine assez étendue; mais telle est l'épaisseur des forêts et le grand nombre d'arbres dont ils sont couverts , qu'il est presqu'impossible , sur-tout dans l'été , d'examiner ces ouvrages avec succès : on croit avoir tout vu, et quel- quefois on apprend , par des chasseurs , que ces ouvrages s'étendent encore plus loin.
( 8 ) Vestiges d'anciens monumens. Voyez tome m , chapitre viii.
La note dans laquelle l'auteur parle de ces restes d'an- ciennes fortifications, découvertes depuis quelques an- nées sur les bords des rivières Muslcinghum , Bald Eagle , Big-Grave-Creek et ailleurs, est si longue, que le traduc- teur a cru devoir la placer au nombre des chapitres, sans rien changer à la forme : il s'est cru d'autant plus aiitorisé à ce déplacement, que cette note étoit accompagnée (bx plan de deux de ces camps retranchés.
NOTES DU CHAPITRE ÏII.
(i) Onondaga. Ancien chef -lieu de la tribu de ce nom , situé sur un creek considérable qui tombe dans le lac Salé , à 4u milles du fort Stanwick , à 25 d'Onéida , et à 48 d'Os- wégo sur l'Ontario. La route nouvellement tracée depuis ce fort jusqu'au pays des Ténézées, le traverse. Ce village n'est qu'à une petite distance des lacs Oxaruatetés , Os- tiko , Owasco , qui , avec huit ou neuf autres , contri- buent beaucoup à féconder , lier et embellir cette partie , d'ailleurs si belle, de l'Etat de New- York. Le nombre des indigènes de ce viUage, jadis célèbre, est considérable-
NOTES. Î565
ment climinué : encore quelques années , il n'en restera que le nom , qui sera donné , soit à une petite ville ou à un district.
(2) Fort Stanwîch. Quoique cette petite forteresse, que les Anglais construisirent pendant la guerre du Ca- nf.da, n'existe plus , et que même le nom en ait été rem- placé par celui de Scliuyler , les cartes et l'habitude le lui conservent encore. C'est là que commence la navigation du Mohawk , dont les sources sont à vingt milles plus au nord dans le pays de Castorland; et la hauteur des terres de cette partie de l'Etat de New- York. Cet emplacement n'est qu'à un mille des eaux du Wood-Creek, qui cotilent en sens contraire dans le lac Onéida, et de-là dans l'On- tario par rOnondaga, à 94 milles de distance.
Le canal destiné à ouvrir cette importante communi- cation; vient d'être terminé. La même compagnie fait couper les nombreuses péninsules de cette tortueuse ri- vière, si convenablement nommée Wood-Creek \ ce qui abrégera considérablement la longueur et l'ennui de sa navigation. Cette compagnie fut incorporée en 1 792.
(3) Shippenhourg. Petite ville située dans le comté de Cumberland, à i4o miUes de Philadelphie , et à 21 de Carlisle. Elle est bâtie sur une des branches du Conédog- winet j et sur la grande route qui conduit à Pitt'sbourg : elle a 200 maisons e?t 1100 habitans. On n'y voit rien de remarquable, sinon |e bonheur et la paix dont ils jouissent; elle est aussi le séjouy de ses respectables fondateurs, qui possèdent beaucoup de terres et plusieurs moulins dans le voisinage. Ce pays ne produit que du bled, dont les farines sont envoyées à Philadelphie. On espère que la grande route de Lancaster, qui doit la traverser, sera prolongée jusqu'aux montagnes. J'ai connu cette ville dans sa prej-
564 ' NOTES.
inière enfance ; j'ai vu les forêts du voisinage devenir des champs fertiles, et les bas-fonds , de belles prairies. Jamais les regards de ma pensée ne se porteront vers ce lieu , sans ressentir les émotions de la plus vive reconnois- sance.
(4) Dihenson. Membre du premier Congrès qui fonda l'indépendance de ces Etats , et un des personnages les plus estimables du continent. Long-temps avant que la nécessité eût mis les armes dans les mains de ses compa- triotes j il traça leurs droits comme colonistes , ainsi que les injustes prétentions de la Grande-Bretagne , dans un ouvrage bien connu sous le nom de Lettres d'un Cultiva- teur de la Pensylvanie. Pendant qu'il étoit Gouverneur de cet Etat, il obtint du Corps législatif une charte et des fonds, auxquels il ajouta une somme considérable , pour établir un collège à Carlisle. La reconnoissance publique a donné à ce collège son nom , depuis long-temps inscrit sur la liste des fondateurs de la liberté et de l'indépen- da:nce de sa patrie.
(5) Logghouse. C'est le nom qu'on donne aux habita- tions des colons, par opposition kframed-house (maison de charpente ) ; ces troncs d'arbres emboîtés aux encoi- s^nures, sont placés les uns au-dessus des autres, et l'in- tervalle qui se trouve entre eux , est rempli de bois et de mortier. C'est le premier asyle de l'homme qui va s'établir au milieu des bois : elles sont plus ou moins décentes , plus ou moins bien finies , suivant le goût , ou plutôt sui- vant les dispositions morales du propriétaire. Il est facile de juger des différens degrés de la prospérité et de l'indus- trie des colons , par la seule inspection de leurs granges , de leurs basses-cours et de leurs habitations ; elles ne sont d'abord couvertes qu'avec l'écorce des premiers arbres
NOTES. ' 565
qu'ils renversent ; ce n'est que cinq ou six mois après leur établissement, qu'ils peuvent se procurer ou faire eux- mêmes des bardeaux avec les cèdres , les pins ou les cliâ- taigniers du voisinage. Rien de plus triste que ces îogg- îiouses, lorsqu'elles ne font naître ni l'idée de l'industrie , ni celle de la propreté.
(6) MasJioping. Creek considérable qui tombe dans la Susquéhannah quelques milles au-dessous de la jolie ri- vière de Wy-o-Lucing. Il est navigable jusqu'à douze milles de son emboucbure. C'est la route que prennent les voyageurs qui vont à Albany , et cette route n'est encore qu'un mauvais sentier.
(7) Colons de la Nouvelle- Angleterre. Dans le temps colonial , on connoissoit sous ce nom ce qu'on appelle au- jourd'hui les quatre Etats septentrionaux , savoir, New- riampshire , Massacîîussets , l'Ile-de-Rhodes et Connec- ticut. Les premiers colons débarquèrent aii nombre de 101 à Plymouth, dans la baie de Massachussets , le 3 1 dé- cembre 17 PO. En voyant, dans l'histoire de ces Etats, les innombrables obstacles qu'ils rencontrèrent , les difficultés de tous les genres que le climat, la disette de vivres, la jalousie des indigènes firent naître , on conçoit à peine comment ils purent les surmonter ; mais soutenus , excités par l'invincible courage qu'inspire l'enthousiasme reli- gieux, encouragés par l'assistance de leurs amis d'Angle- terre , ils parvinrent enfin à former, sur plusieurs points , des établissemens respectabk^s , et à résister à la fureur des indigènes. Ce ne fut que quatre ans après leur arrivée, qu'ils reçurent trois vaches et un taureau , d'où sont des- cendus les innombrables bestiaux qu'ils ont aujourd'hui.
C'est peut-être à ces pénibles commencemens qu'ils doivent l'infatigable industrie . l'intelligence et l'activité
v^66 N O T E S.
clont ils sont le plus parfait modèle. Sur mer , ils ont la î'éptitation d'être les premiers baleiniers du monde , ainsi que des pêcheurs de morue très-habiles* Leurs vaisseaux jiarcourent toutes les parties connues du globe. Sur terre, ce sont les meilleurs colons; infatigables, perse'vërans , rien ne les décourage. Il est très-rare que le même homme ne soit pas à- la-fois charpentier, tisserand, tonnelier, maréchal. Pendant les premières années de leur établisse- ment , la plupart de ces colons savent, comme des Ro- binson Crusoé, se suifire à eux-mêmes.
C'est la seule race anglaise qu'il y ait sur le continent* licur population ayant toujours été considérable relative^ ment à l'étendue de leur pays j ils n'ont point eu besoin d'étrangers : aussi ont-ils une religion, des mœurs, des habitudes et un génie national. Quoiqu'un grand nombre de jeunes gens émigrent tous les ans pour aller s'établir dans les autres Etats , on estime leur population à près d'un million , en y comprenant la province de Main.
Ce pays est renommé pour ses collèges , les mieux dotés et les plus anciens du continent , ainsi qne pour l'instruc- tion , à laquelle tous les habitans participent au moyen des écoles établies d'après les loix dans tous les districts. Combien n'est-il pas à désirer qu'un si bel exemple soit suivi par les autres Etats, sur-tout par ceux du sud! Aussi la Nouvelle- Angle terre est-elle beaucoup plus que les autres , remplie d'hommes éclairés et savans. L'aspect et la culture de plusieurs cantons ressemblent à ce qu'on voit de beau en Europe.
Il est cependant nécessaire d'excepter l'Ile -de-Rhodes , dont le Gouvernement, trop démocratique, a toujours été agité par les partis. Au lieu de travailler , les colons perdent u^ne partie de leur temps à donner leurs suffrages,
NOTES. 567
à catialer dans les élections trop fréqnentes de leurs magis^ trats et de leurs députés. Par quelle fatalité n'ont-ils jamais voulu imiter la sagesse de leurs voisins de Massachussets «t de Connecticut ?
(8] Germes d'industrie, de religion et de civilisation. Par-tout où les colons de la Nouvelle -Angleterre s'éta- blissent en nombre un peu considérable^ ils portent avec eux et manifestent un esprit d'ordre , d'industrie et de religion , qui les distingue de tous ceux qui viennent de l'Europe ou des autres Etats de l'Union, fruits précieux de la sagesse des loix de leur pays , et du système d'éduca- tion qu'elles y ont établi depuis plus d'un siècle. Elevés dans la connoissance de ces loix , babitués aux formes municipales ainsi qu'aux institutions religieuses de leur canton, à peine ont-ils nettoyé quelques champs et sur- monté les premières difficultés , qu'ils sentent la nécessité d'établir des magistrats , d'appeler un ministre , de cons- truire une église et des écoles. Onze ans avant que la grande ligne de démarcation qui divise aujourd'hui les Etats de New- York et de Pensylvanie , eût été tracée depuis la Délaware jusqu'au lac Erié , dix-sept familles de Massa- Xîhussets furent s'établir sur les bords d'une des branches du Tiogo , canton alors éloigné et solitaire , sans savoir sous quelle jurisdiction elles étoient placées. Aussi-tôt après être arrivées sur lem^s terres , elles élirent trois personnes ^selectmen) pour juger les différends et les contestations qui pourroient s'élever dans la communauté.
Ces familles vivoient depuis long- temps à l'ombre de cet arbre de paix qu'elles avoient planté , lorsque les progrès rapides de la grande société atteignirent cette petite co- lonie , si long -temps perdue dans l'éloignement et la solitude des forêts. Pendant cet espace de temps, ces
568 N O T F. s.
dix-sept familles, originairement composées de 102 indi- vidus , ont produit quarante-un mariages , et à l'époque de leur incorporation dans le nouveau comté de Tiogo , le nombre total des liabitans se niontoit à 274.
Aussi-tôt que le gouverneur Clinton , de qui je tiens ces détails , en eut été informé , il envoya des commissions de paix à ces respectables Magistrats. Avec quelle rapidité plus considérable encore , les défrichemens , la prospérité des colonies intérieures , n'augmenteroient-ils pas , si les colons qui viennent des autres Etats ou de l'Europe , ap- portoient avec eux l'industrie , l'activité; les mœurs et les principes religieux des habitans de Massacbussets ou de Connecticut !
( 9 ) Rivière de Swatara. Rivière de la Pensylvanie , qui tombe dans la Susquéliannali , à douze milles de Har- ry'sbourg , à six du creek de Conéwago , et à quarante- cinq de Lancaster , et de laquelle l'emboucliure est dis- tinguée dans les cartes sous le nom de Middletown-Creek* Cette jolie rivière est navigable pendant l'espace de trente milles, d'où un canal, qui sera bientôt terminé, doit ouvrir une communication avec les eaux duTulpéhoken, branche navigable de la Scliuyllkill. Cette entreprise assurera à Philadelphie l'arrivée de tous les grains et de toutes les farines , ainsi que des autres denrées que produit déjà l'immense pays qu'arrose la Susquéhannah : elles y par- viendront bien plus facilement encore , lorsque le canal destiné à unir les eaux de la Schuyllkill avec celles de la Délaware , qui commence à Norristown ( petite ville située à 17 milles de Philadelphie), sera terminé/ Alors cette capitale de la Pensylvanie, Ne w- York , Washington (la ville fédérale), Charlestown, devenues le centre d'un vaste commerce intérieur, s'accroîtront, s'embelliront , à
NOTES. B6g
î'egal des métropoles de l'Europe; et deviendront lé séjour des sciences et des arts.
( 1 o ) Sortie des feuilles. Pour que les colons puissent consumer plus facilement les buissons , les broussailles et les brandies des arbres qu'ils ont coupés , essartés ou mis en tas , il est nécessaire que cette opération ne soit faite qu'après la sortie des feuilles, quir, plus promptement des- séchées et plus combustibles, accélèrent la conflagration de ces dépouilles.
(il) Herser la terre. J'ai connu plusieurs Européens étonnés de voir les colons ensemencer leurs champs sans les labourer , et se contenter de les herser avec une tête cl'arbre de moyenne grandeur , traînée par des bœufs. La raison de cette pratique est que , pendant quelques années, après que le sol a été essarté , la quantité des racines est si considérable , qu'il seroit impossible d'y introduire la charrue, ou même de le herser ; il faut donc nécessaire- t nient attendre que ces racines pourrissent ; c'est l'ouvrage du temps. Il en est de même des souches , qui souvent durent de douze à quinze ans.
(12) Pommiers et pêchers. Il est peu de plantations depuis le New-Hampshire jusqu'à la Pensylvanie, qui n'aient un verger de pommiers plus ou moins considé- rable. Ainsi que dans le sud, ils en ont aussi de pêchers \ mais souvent, faute de soin, ces arbres, qui quelquefois îie sont pas même greffés , rapportent peu , ou ne donnent que de mauvais fruit. Dans les comtés plus rapprochés des villes , on fait du cidre d'une excellente qualité > tel que ceux de West-Chester , de New- Ark , de Wood-Bridge , etc. et on en envoie beaucoup dans les Etats méridionaux.
Les vergers d-e pêchers deviennent journellement plus communs et plus étendus dans les Etats méridionaux de I» A a
370 , NOTES.
l'intérieur : outre le plaisir de manger leur fruît , on en eneiaisse les codions et on en fait cle l'eau-de-vie, à la- quelle on sait donner de la couleur et un goût très-agréable , en mettant dans la cliaudière de distillation des poires tapées et d'autres ingrédiens. L'Etat de Kentukey , ainsi t[ue les nouveaux établissemens à l'ouest des Allégbénis, en ont beaucoup planté ; mais pour que ces arbres , qui prennent un accroissement très-rapide, soient plus du- rables , il est nécessaire de les écussonner avec leurs propres bourgeons-, par ce moyen, ils vivent long -temps. C'est en greffant sur le pommier sauvageon des forêts du Nou- veau-Jersey , qu'on est parvenu à obtenir de nouvelles espèces de pommes, telles que le spitzenberg , le newtown- peppin , fruit délicieux , dont on envoie des cargaisons à la Havane, à la Jama"ique , etc. où souvent elles se vendent très-clier.
(i3) Fairfield. Jolie petite ville , capitale du comté de Fairfield , située à peu de distance du Sond , au centre d'un pays extrêmement fertile. Rien n'est plus frais ni plus riant que ses environs. On y voit à -la-fois des champs couverts de belles récoltes , des vergers fleuris et des prairies émaillées. Deux packet-boats en partent toutes les semaines pour New- York, chargés de denrées du pays, et des fruits de l'industrie des liabitans. Ainsi que celle de toutes les autres villes du Connecticut,la jeunesse va tous les ans former de nouveaux établissemens dans la profondeur du continent, ou s'embarquer pour des voyages de long cours. Ces petites villes maritimes sont des pépi- nières intarissables d'hommes entreprenans , industrieux et actifs. Ainsi que New-London , Norwalk, Grotton , Greenfield et plusieurs autres , elle fut détruite par le gouvernetir Tryon , qui, sans remords, auroit dévasté la
NOTES* 071
côte entière de cet Etat , si le commandant en clief de l'armée anglaise , sir Henri Clinton , ne l'eût pas rappelé. Il faut en convenir , c'étoit une gloire bien honteuse que celle d'incendier de jeunes villes sans portes , sans fortifi- cations , dans lesquelles il n'y avoit que des vieillards , des femmes, et pas un canon. Ce qui rendit la destruc- tion de Fairfield plus lionteuse encore , c'est que ce Gou- verneur , au moment où l'on distribuoit des torches aux soldats , promit de conserver l'église , dans laquelle les femmes et les enfans se retirèrent , et à laquelle néan- moins il fit mettre le feu : il eut cependant la générosité de ne pas les y renfermer !
NOTES DU CHAPITRE IV.
(1) Incorporation. Voyez tome m , cliap. ix.
(2) -Usage du sel. Voyez tome 11, chap. xiv.
(3) Arbres. Loin d'admirer la beauté, la majesté d'un chêne ou d'un pin , loin de réfléchir sur l'utilité de ces beaux arbres, sur l'état dans lequel seroit la surface du continent , sila nature ne l'eût pas couvert d'épaisses forêts, le vulgaire des colons est si accoutumé à les détruire, et cette destruction est si pénible , qu'un d'eux, appelé en Irlande pour quelques affaires , s'écria en débarquant sur une plage nue : — (( Ah ! le beau pays ! je n'y vois pas un seul arbre )).
(4) Ruisseaux. Le tarissement des ruisseaux, qui ne viennent pas de terreins élevés , l'entière disparition d'un grand nombre , sont l'effet du dessèchement des marais et du défrichement des .terres. Cette diminution commence même à se faire sentir dans les grandes rivières , telles que la Délaware , le Mohawk , le Potawmack. J'ai vu des ruines de moulins au milieu des champs , où, vingt ans
072 NOTES.
auparavant, cotiloient de gros ruisseaux, et cependant il tombe beaucoup plus d'eau annuellement ici qu'en Eu- rope. Que sera-ce donc dans un siècle ou deux ?
(5) Chanvre. Cette culture a considérablement aug- menté depuis que le Congrès a accordé une prime considé- rable aux cultivateurs * j mais les bras sont trop cbers et trop rares encore. La nature en fait croître dans plusieurs cantons , dont les indigènes font usage. Il est plus fort et plus soyeux que celui d'Europe. On en envoya, il y a quelques années, à Londres-, le résultat des expériences qu'en firent les cordiers , fut d'encourager les Américains à le transplanter des bois dans leurs cbamps.
(6) Potasse. Cette manufacture, connue depuis long- temps dans les Etats septentrionaux , augmente tous les ans. La valeur de ce qu'on en embarqua à New- York, pour l'Ecosse et l'Irlande, en 1797? montoit à la somme de 4,037, 5oo ^^^* ^^ \i^^^ de répandre sur la terre les cendres des tas énormes de broussailles que les colons sont obligés de brûler pour nettoyer leurs cbamps , ils les enlèvent aussi -tôt qu'elles sont froides , et les vendent aux petites ma- aiufactures du voisinage , où elles sont lessivées et conver- ties en potasse. On observe que les cendres qui proviennent de branches menues et vertes , donnent une bien plus grande quantité de sel, que celles des troncs et des racines. Il en faut cinq cents boisseaux pour faire un tonneau de potasse, pesant 2200 liv. Cette brandie d'exportation, ainsi que celle de la graine de lin , qui se monte annuelle- ment à plus de 3oo mille boisseaux**, est extrêmement avantageuse aux Etats-Unis.
* Dans quelques Etats , elle est d'une piastre (51. 5 s. ) par quintal.
* * Le boisseau contient 60 liv. de bled.
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NOTES. 575
(7) Sucre d'érahle. Les malheurs de Saint-Domingue ont beaucoup contribue à augmenter cette nouvelle bran- die d'industrie , et non moins la prime de deux sols par livre , offerte par la société des Quakers de Philadelphie. L'arbre qui produit cette sève précieuse en si grande abon- dance , se trouve depuis le 34^ jusqu'au 45® degré de lati- tude, c'est-à-dire, depuis le Tènézée jusqu'au Canada: c'est un des plus vigoureux qu'on connoisse. Les souches de ceux qu'on a coupés, survivent à celles du chêne. Pen- dant deux ou trois ans, on voit , au retour du printemps, les extrémités des troncs abattus donner encore de la sève et du sucre. Ses branches sont une nourriture excellente pour les bestiaux et les moutons , sur-toiit durant l'hiver. Dès qu'on émoiide un de ces arbres , on les voit accourir de tous côtés. Son bois est aussi combustible que celui du liycory. L'écorce de ceux dont la sève est la plus abondante en sucre, est toujours noire, ce qui vient de ce que les piverts , qui n'attaquent que les meilleurs , en laissent écouler une partie qui , exposée à l'air , se coagule et noircit. ^
Chose étonnante ! plus il y a d'années que l'on saigne ces arbres , et plus est grande la quantité de sucre qu'ils donnent. Par exemple, celui qui n'a été saigné, pour la première fois, que depuis un an, donnera à peine une demi-livre de sucre ; et celui , au contraire , dont les cica- trices sont nombreuses , en fournira de deux à deux et demie , et souvent davantage , sur-tout si l'on a eu soin de l'exposer aux rayons du soleil , en abattant les arbres inii- tiles du voisinage.
J'en connois à Clavérac, dans l'Etat de New -York, qu'on saigne depuis trente-quatre ans , et qui paroissent sains et vigoureux. Il est vrai que le propriétaire en prend
074 NOTES.
lin soin très-particulier : il a détruit leurs voisins et leurs rivaux. Au lieu de bouclier les trous qu'il leur fait , avec du bois sec , ou de les laisser ouverts , comme font tant de colons insoucians et paresseux , il y met un morceau de la branche du même arbre , c|ui bientôt s'unit et s'incorpore avec le tronc.
La saison convenable à faire le sucre dépend du climat. Dans le Kentuke}'' , on les saigne dès le mois de février : dans la Pensylvanie , cette opération ne commence que vers les premiers jours d'avril. Pour cela^ on se sert d'une tarrière d'un demi-pouce de diamètre , qu'il ne faut pas enfoncer à plus d'un pouce de profondeur , qu'on augmente ensuite jusqu'à trois , lorsqu'on s'a]^perçoit que l'écoulement de la sève diminue : c'est toujours du côté sud qu'on les attaque. La quantité de sève qu'ils donnent , dépend de l'état de l'atmosplière , et il n'y a pas de baromètre plus sûr. Elle coule plus abondamment lorsque les nuits sont fraîches et les jours chauds. J'ai vu un arbre donner dans vingt-quatre heures , 23 pots et une pinte de sève , dont on fit 2 livres 7 onces de siCLcre; d'autres, au contraire, qui n'en donnoient que cinq à six : chacun de ces arbres est estimé en fournir d'une à deux livres par saison; celle qui coule vers la fin d'avril devient si foible , qu'on se contente d'en faire du sirop et du vinaigre. Quelques personnes en ont distillé du rhum. Quel beau présent de la nature !
Si, avec le peu de soin que les colons ont mis jusqu'ici à cette opération , ils obtiennent d'aussi grg-nds avantages , que sera-ce dans la suite, lorsque l'art et la culture diri- geront l'éducation de ces arbres, et qu'on mettra plus d'at- tention à les saigner et à en extraire le sucre , le sirop, le vinaigre et le rhum ? Combien les produits ne seront-ils pas plus considérables, lorsqu'ils seront plantés en vergers^
NOTES. 575
et exposés à l'influence des rayons du soleil ! Dans moins d'un siècle , on les verra entretenus avec autant de soin que ceux de pommiers et de pêckers.
(8) Ginseng. Panax. Depuis que les vaisseaux des Etats- Unis vont à Canton, la racine de cette plante est devenue une nouvelle brandie d'exportation. Pendant mon séjour à New- York, j'en ai vu embarquer 80,000 livres à bord du même vaisseau , qui représentèrent autant de piastres dans la cargaison de retour : c'étoit en 1 788.
(9) Seine. Filet dont on fait un grand usage dans les Etats-Unis : j'en ai vu qui avoient plus de 200 brasses de longueur. Pendant la saison de l'alose , de la basse et du liareng , chaque associé reçoit une certaine quantité de poisson, proportionnée aux avances qu'il a faites •, usage extrêmement avantageux aux colons dont les plantations sont éloignées des rivières.
NOTES DU CHAPITRE V.
( 1 ) Le sel. Plus on s'éloigne de la mer , et plus frë- qu.emment on rencontre ces endroits salés, connus sous le nom de Salt-Licks , dont, avant l'établissement des Euro- péens , les'^ buffles , les cerfs , et tous les anciens habitans des forêts , excités par le besoin d'en manger , venoient souvent lécher la terre. Ces sources sont plus communes encore à l'ouest des montagnes. Depuis long-temps, les colons du Kentukey, qui en ont découvert douzeprinci- pales dans leur territoire , font tout celui dont ils ont besoin. Durant les premières années, ils étoient obligés d'évaporer huit cents pots d'eau pour en obtenir un bois- seau , mais depuis qu'ils ont creusé des puits de 4o à 5o pieds de profondeur , ils sont parvenus à se procurer une saumure beaucoup plus forte.
576 NOTES.
(a) Sterling. Voyez tome i , chap. xvii.
(3) Olivier Ëv ans. C'est à ce grand niécanieien qu'on doit un nouveau perfectionnement dans le mécanisme intérieur des moulins à farine , et qui a pour but de sim- plifier toutes les opérations , conséquemment les frais de cette fabrication ^ cliose extrêmement importante dans un pays où les hommes sont encore si rares et si ehers.
Voici en quoi consistent ces améliorations. La pre- mière est un cylindte de huit à dix pouces de diamètre ^ placé horizontalement , et traversé par un axe auquel sont fixées , dans une direction spirale , et sous un angle parti- culier , un grand nombre de languettes de bois qui ont trois pouces et demi de longueur sur deux de largeur. Cet axe , mis en mouvement par celui du moulin , transporte les farines , à mesure qu'elles sortent des meules , dans un appartement voisin , qui en est le premier dépôt. La se- conde de ces améliorations ^ appelée élévateur "*" , est une boîte de huit à dix pouces d'équarrissage , qui , du plan- cher de ce dépôt , atteint jusqu'à celui du dernier étage : aux extrémités sont placées deux roues qui font mouvoir un chapelet garni de petits godets , grands comme des^ tasses à thé ; les farines , ainsi élevées , sont versées sur un vaste plajicher appelé le refroidisseur "^ "^ : après y avoir été doucement agitées et soulevées par des pièces de bois qui tournent horizontalement , et , comme tout le reste , re- çoivent leur niouvement du moteur commun du moulin , elles descendent à travers plusieurs orifices dans les diffé- rens bluttoirs , et de-là dans un appartement inférieur , où elles sont mises dans des barrils faits d'après les dimen-
■^ Elevator. ** The cooler.
NOTES. ^77
sions prescrites par la loi, et qui , en conséquence, pèsent toujours un quintal et trois quarts : cette même loi exige aussi que ces barrils soient timbrés du nom du proprié- taire et de celui de son moulin. Ces farines ne peuvent cependant être exportées qu'après avoir subi l'examen des inspecteurs. Toutes les autres opérations, de nettoyer, cribler , ventilater le bled avant de le conduire aux tré- mies , ont aussi été simplifiées. De la Pensylvanie , ce nouveau perfectionnement s'est répandu dans tout le con- tinent. Le Gouvernement , comme de justice, lui a accordé un privilège exclusif pendant quatorze ans ; jamais in- vention nouvelle n'a été plus rapidement adoptée»
NOTES DU CHAPITRE VI.
( 1 ) Chippavay. Cette nation étoit , il y a un demi- siècle, la première de cet hémisphère • et quoique consi- dérablement diminuée, elle est encore très - nombreuse dans le voisinage des lacs Supérieur , des Pluies , des Bois et Winipeg. On en parle la langue jusqu'à la baie de Hudson. Une de ses tribus existoit encore il y a quarante ans , vers les sources d'une rivière qui tombe dans FErié, dont aujourd'hui il ne reste plus que le nom qu'ils lui avoient donné.
( 2 ) Outawas. Nation qui , comme tant d'autres , a éprouvé de grandes pertes. Elle occupe la grande pénin- sule qui divise les lacs Huron et Michigan , dont l'extré- mité septentrionale forme le détroit connu sous le nom de Miehillimakinack , nom commun au fort que les Fran- çais y construisirent il y a soixante-dix ans, pour com- mander ce passage , ainsi que le détroit de Sainte-Marie , par lequel les eaux du lac Supérieur coulent dans le Huron. Ce lieu fut long-temps le rendez- vous où les indi-
OJÔ NOTES.
gènes du nord venoient ëclianger leurs pelleteries contre des marchandises d'Europe ; mais depuis les découvertes que les Anglais ont faites jusqu'au 60^ degré, le lac Wi- nipeg, à 3oo lieues de distance, en est devenu le centre.
(3) Ravages de la petite- vérole. De toutes les mala- dies que les Européens ont introduites parmi les indi- gènes , il n'y en a point qui leur ait été aussi funeste : sou- Tent il arrive que des villages disparoissent dans le cours de quelques semaines -, et même des compagnies entières de cliasseurs ont péri dans leurs voyages. Elle est presque toujours confluente. Ainsi ces hordes étoient destinées à être halayées de la surface de la terre par une branche de peste venue d'Asie en Europe dans le douzième siècle , et transportée dans leur pays cinq cents ans après , par quel- ques habitans de l'ancienne Albion.
(4) Onéida. Nation jadis nombreuse, la seconde des six qui composoient la ligue Mohawk , si long-temps for- midable et célèbre. Elle a dû à la sagesse de quelques-uns de ses chefs d'avoir résisté au torrent qui a englouti ses voisins , les Cayugas , Séneccas , Tnskaroras et Onondagas. Plusieurs d'entre eux connoissent la propriété et la cul- ture , ont des chevaux et des bestiaux : mais malheureuse- ment leur jeunesse considère encore le titre de guerrier comme infiniment supérieur , et même comme incompa- tible avec celui de cultivateur.
Cette nation est la seule, de toutes celles que j'ai con- nues , qui ait sincèrement désiré de devenir cultivatrice. Réunis en assemblée générale , en 1 788 , au village de Skanondoé, aidés des lumières de l'Ambassadeur de France , les chefs convinrent d'une forme de gouverne- ment , rédigée en vingt articles ) ils proposèrent de diviser leurs terres, d'en déterminer les limites, d'appeler dans
NOTES. ^ 57g
leur sein les débris épars des nations voisines , d^établir clés écoles , de faire voyager quelques-uns de leurs jeunes gens. -Cet acte fut revêtu de vingt signatures, parmi lesquelles on voyoit celles de deux femmes-chefs Kononwayété et Owartinda.
Soit que, mécontent de cette mesure, le Gouvernement de New- York ait fomenté , depuis , des divisions parmi eux , soit que les chefs n'aient pas trouvé dans la jeunesse la déférence à laquelle ils s'attendoient , ce projet n'a pas eu d'exécution : ils ont subi le sort de leurs voisins , et vendu leurs terres, à l'exception d'une réserve de soixante mille acres , dont le grand village d'Onéida est le centre. Cet ancien chef-lieu est situé sur un creek qui tombe dans le lac Onéida , à huit milles de distance , à quinze du fort Stanwick , et à vingt de l'embouchure de l'Oriskany dans le Mohawk.
(5) Pays d'Onas, C'est sous ce nom , donné par 1^ indigènes au célèbre fondateur delaPensylvanie,en 1682, et qui , comme celui de Penn, veut dire plume , que ce pays a été désigné et connu parmi eux depuis cette époque; et pays d'Onas est devenu synonyme à Pensylvanie, comme fils d' Onas à Pensylvanien.
(6) Cherry hum - Sagat. Homme du jeune Soleil, ou homme de l'est.
(7) Tocksikanéyou , VAnier. Nom que les Canadiens donnèrent jadis à la tribu Mohaw^k , qui , après avoir été christianisée par leurs missionnaires , vint s'établir sur les bords du fleuve Saint-Laurent, vis-à-vis Montréal. n est difiScile de concevoir comment du mot Caug-na^ TVagas , nom de cette tribu , on a pu former celui d' Anier» Il en est de même de ceux de Huron, Sauteurs, Iro-' quois, etc. qui n'existent dans aucunes de leurs langues ^^
o8o NOTES.
pas même par approximation : ii' est-il pas étonnant que leurs missionnaires , qui parloient ces langnes et qni ont long-temps résidé parmi ces nations, n'aient pas rectifié de pareilles erreurs dans les cartes , ainsi que dans les his- toires qu'ils ont écrites de ces pays ?
( 8 ) Osséppingo. Ancien village Onéida , situé sur le Kanaséragé , qui , conjointement avec le Butternut, verse ses eaux dans le lac Onéida , à dix milles au-dessous , et à dix-huit du village d'Onéida. Il a été conservé dans la réserf^e de soixante mille acres.
( 9) Tierces et Quintes. Si , à l'enseignement des pré- ceptes salutaires de l'Evangile , les premiers missionnaires eussent pu unir ceux de la musique , je suis persuadé que , semblables à Orphée ou à Amphion , ils seroient parveims à adoucir la férocité de leurs néophites, et à leur faire con- noître les avantages de la vie sédentaire et cultivatrice^ Combien , sous ce rapport , les anciens n'étoient-ils pas supérieurs aux modernes ? Il m'est souvent arrivé de voir l'effet subit que l'harmonie de deux instrumens seulement produisoit sur ces physionomies planes et imperturbables , semblables aux rides qu'imprime à la surface des eaux , dans un jour calme , le passage de la brise légère : ces mou- vemens étoient évidemment ceux du plaisir , les indices d'un épanouissement j d'une dilatation intérieure, qu'ils me dirent n'avoir jamais ressentie auparavant. Combien ces effets n'auroient-ils pas été plus considérables encore , si le nombre des instrumens eût été plus grand et la mu- sique meilleure !
NOTES. 58l
NOTES DU CHAPITRE VIL
( 1 ) Agan - Matchee - Jkfanifoo. Littéralement , très- mauvais Génie ; c'est leur Arimane. En considérant les fléaux et les calamités auxquels les hommes sont ex- posés, il n'est point étonnant que depuis l'origine des sociétés, ils aient cru à l'existence de deux Génies ; l'un à qui on doit les beaux jours , la santé, les succès, le bon- heur 5 l'autre , les orages , la peste , la guerr-e et les épi- démies.
( 2 ) Souffler sur le tison. La première démarche que fait un jeune guerrier, est de présenter à la fille qu'il vou- droit épouser, un tison enflammé; si elle soufîle dessus, c'est lui faire entendre qu'elle ne désapprouve pas sa dé- marche , et qu'il peut espérer \ alors il entonne sa chanson de guerre, c'est-à-dire, il lui fait, en chantant, le récit de ses prouesses , des dangers qu'il a courus , des cheve- lures qu'il a enlevées : rien n'excite plus vivement l'ad- miration des filles , et ne les conduit plus promptement à l'intérêt et à l'amour. Voilà pourquoi , avant de présenter leur tison, les jeunes gens ont un si grand désir de se dis- tinguer ; voilà ce qui jadis les excitoit à la guerre, et, en- core aujourd'hui , les porte à entreprendre les chasses les plus lointaines et les plus pénibles.
« Voilà mon tison , dit un jeune homme à la fille qu'il )) aime ; tu sais ce qu'il signifie : je l'ai pris de mon feu, et » non de celui d'un autre. Ouvre la bouche , soujffles-y )) l'haleine du consentement , tu me rendras content. Tu » baisses les yeux ; je continue. Pour te convaincre que je )) suis un brave, regarde le manche de ce toméhawk; voilà y> les marques de sept chevelures sanglantes. Mais si , comme » un nuage noir et épais qui tout-à-coup obscuixit la
582 NOTES.
» Itimiëre du soleil, le doute veiioit embruij^er ton esprit, )) suis-moi , je te les montrerai : elles sont suspendues dans » ma wigwliam* Tu y verras aussi de la viande fumée , du )) poisson grillé , des peaux d'ours , et abondance de pelle- )) teries. Veux-tu avoir pour mari unguerrier ?Prends-moi, » j'en vaux bien un autre. Veux-tu un cliasseur infati- )) gable ? Prends-moi ; tu. verras si jamais la faim vient )) frapper à ta porte. Veux- tu un pêclieur patiefnt et subtil ? )) Viens ce soir dans mon canot, au clair de la lune -, tu » verras ce que je puis faire. Si l'eau des nuages ou le froid » de l'hiver entrent dans ta wigwliam , je saurai bien les en )) chasser : l'écorce de bouleau ne manque pas dans les bois , ^ » et voilà mes dix doigts. Quant à ta chaudière , elle sera )) toujours pleine , et ton feu bien allumé. Tu ne dis rien : 3> je m'arrête. Pais -je revenir encore t'apporter mon 3) tison )) ?
(3) Briser le seuil de la porte. De tous les accidens y c'est un des plus fâcheux qui puisse leur arriver , cette pièce étant considérée comme l'emblêmè du bonheur do- mestique , de la sûreté et de l'abri. C'est la seule de leurs petites charpentes à laquelle ils paroissent attacher des idées mystiques. On pourroit enlever la porte de leur ha- bitation, la briser, pourvu que le seuil reste intact j alors ils en reconstruisent une autre avec confiance : si , au con- traire , il arrive une efîraction , même involontaire , de ce seuil , cela suffit pour inspirer des rêves funestes , et faire naître le désir d'aller élever leur wigwham ailleurs. Comme ils se sont toujours refusés à répondre aux ques- tions que je leur ai faites relativement à ce sujet, il m'est impossible de rien dire de plus satisfaisant.
( 4 ) Catamonts. Chats de montagnes j espèce de lynx qui grimpent sur les arbres , s'élancent de branche en
NOTES. 583
brandie avec une inconcevable légèreté. Telle est leur adresse et leur férocité , que les indigènes les redoutent et ne les tirent jamais , à moins d'être plusieurs ensemble.
(5) Loups, renaj'ds. C'est la métaphore dont ils se servent ordinairement , lorsqu'ils parlent de leurs rap- ports avec l^s blancs , par allusion , d'un côté , à leur état de cliasseur , qui exige du courage , de la patience et de l'adresse ; de l'autre , à l'astuce et à l'art de mentir, dans le€|uel ils conviennent que les Européens les surpassent. Souvent, se disent-ils entre eux, ces hommes sont fourbes et menteurs , comme les ombres du soleil couchant.
( 6 ) Mergum - Mégat. Ce mot fait naître dans leurs esprits la même idée que celui de peste parmi nous ; et si ce fléau étoit connu chez eux , ils w'gyi invcnteroient pas d'autre.
(7) Rien de vivant que leurs chiens. Plusieurs canots d'indigènes revenant , il y a quelques années , de Niagara, où ils avoient été vendre leurs pelleteries , furent saisis de la petite-vérole à la longue pointe du lac Erié. Tous pé- rirent ; leurs chiens vivoient encore , lorsqu'un bateau de blancs , long -temps après , s'arrêta au même endroit- Us trouvèrent les ossemens de ces infortunés , dont les cadavres avoient été dévorés par les loups du voisinage.
(8) Cris plaintifs de l'ours, u Mon compagnon étant avec moi , et ayant découvert deux ours , tira son coup^ et étendit mort sur la place le plus grand. L'autre, ne paroissant nullement e^rajé du bruit du f tisil , s'approcha du mort , le flaira , le mania, et semblant très-afîligé , com- mença à gémir, et à regarder d'abord en l'air, puis de notre côté , puis se mit à crier comme un enfant. Les cris con- tinuels de cet animal, privé de sa protectrice, m'affec- tèrent sensiblement : je me sentis touché de compassion.
584 NOTES.
et me reprochai d'avoir été complice de la mort de cet ours. Mes intercessions ayant été inutiles , mon compa- gnon lâcha son second coup , et coucha l'enfant sur le corps de la mère ». (Voyage de Jofm Bartram dans les deux Florides , vol. i^^j J^age i6). Note du traduct.
(g) Pleurs du castor. Il n'est aucune des personnes c[ui ont accompagné les indigènes à la chasse des castors , q^ui n'en ait vu gémir et pleurer, sur-tout lorsqu'ils voyent leurs enfans dans les douleurs de la dernière agonie. Sou- vent, les yeux remplis de larmes et élevés vers leurs agresseurs , ils paroissent en implorer la pitié ; mais les chasseurs sont inaccessibles à ce sentiment , ainsi qu'aux émotions de ces malheureux animaux.
(lo) Toronto , Niagara. Ports considérables de l'On- tario : le premier , situé à l'ouest de ce lac , est formé par une baie profonde et commode , où le Gouvernement an-' glais fait construire im chantier , et une ville à laquelle on a donné le nom d'York ; le second , situé au sud-ouest , est formé par l'embouchure de la rivière Niagara, à l'est de laquelle est la forteresse du même nom , et à l'ouest , la pointe des Missisagès, sur laquelle on construit une nou- velle ville , destinée à être la capitale du haut Canada.
(12) Hotchélaga. Ancien nom indigène de l'île appelée, depuis, Montréal, après avoir été long-temps connue sous celui de Sainte-Marie , que lui avoient donné les prêtres de Saint-Sulpice , qui en avoient obtenu la concession de I>ouis XIV.
(i3) Labourer les os de leurs ancêtres. Une des opi- nions les plus profondément enracinées chez les indigènes, avant que nous les eussions corrompus , étoit leur respect pour les cendres de leurs ancêtres, et pour les lieux où elles avoient été déposées, et qui souvent étoient communs
^ ]sr o T E â. 585
à plusieurs tribus, jamais ils n'en approchoient sans aller y passer quelques instans. Une des conditions des pre- mières ventes de terre qu'ils firent aux Européens , fut que ces lieux seroiént à jamais respectés ; et même encore aujourd'hui , ils ne parlent qu'avec liorreur de la profa- nation que les colons en ont faite. Une de leurs plus éner- giques malédictions , est de souhaiter que les ossemens de leurs ennemis soient foulés sous les pieds des passans , ou blanchis par les pluies et la rosée.
(i4) Toméhawl:. C'est une petite hache d'acier poli, proprement emmanchée, dont la contre - partie est un morceau de fer octogone et creux , avec lequel ils fument. C'est sur le manche de cette arme qu'ils marquent le nombre de chevelures qu'ils ont enlevées , ainsi que celui des ennemis qu'ils ont tués.
(i5) Corléar. C'étoit le nom d'un des premiers inter-» prêtes que les Hollandais employèrent dans leur com- merce avec les six nations, alors formidables. L'équité de cet homme, qui ne les trompa jamais (comme cela arrive si souvent ) , et ses bons procédés envers eux , lui méritèrent leur confiance et leur estime pendant un grand nombre d'années. Devenu vieux et riche, il se retira à New-York , alors foible bourgade , où il obtint la conces- fiion d'une pointe à l'est de la ville , connue encore aujour- d'hui sous le nom de Corléar's-Hook. Toutes les fois que les chefs des six nations venoient pour traiter avec le Gouverneur, la maison, la chaudière de cet honnête inter- prète étoit la leur : de -là est venu parmi eux l'usage de substituer son nom à celui de la ville et de la colonie, et l'expression d'aller ou de revenir du pays de Corléar.
(16) Toméhawherai. Puisqu'on dit ; Je le fusillerai , je le sabrerai; pourquoi n'exprimeroit-on pas aussi par lé .1. ^ B b
ZSG NOTE S.
substantif tomahawk coiiveï"ti en verbe , l'action de tuer son ennemi avec cette arme ?
(17) Dent et chaudière de V ennemi. Cette expression vient de ce que jadis rien n'ëtoit plus commun pour les vainqueurs que de dépecer les vaincus , en mettre les membres dans la chaudière^ en boire le bouillon ^ et en manger la chair. Leurs anciennes chansons retracent en- core les mêmes affreuses et dégoûtantes images.
(18) Cawen. Particule négative non.
(19) Cayugas y Sénèccas , Tiùscaroras. Noms d'an- ciennes tribus ; qui, conjointement avec les Onéidas et les Onondagas, formoient la ligue Moliawk, qui en a toujours été considérée ci)mme le chef, ou la nation pré- pondérante. Cette puissance a disparu presqu'entièrement j à peine en reste-t-il 200 familles aujourd'hui éparses.
NOTE DU CHAPITRE IX.
(1) Belt de TVanpun. Collier ou branches composées de petits cylindres faits avec la partie transparente et inté- rieure des écailles de clam , artistement arrondis, polis et percés dans leur longueur , qui est communément de trois lignes sur une demi de diamètre. Les uns sont bleus , les autres blancs. Pris séparément , ces petits cylindres peuvent être considérés comme la monnoie courante des indigènes. 5ont-ils enfilés dans une certaine longueur, et plusieurs de ces enfilages cousus ensemble ? Alors c'est un collier (belt). Porté sur la poitrine , c'est l'ornement le plus pré- cieux : donnés après une promesse , un marché , un acte d'adoption , un discours , ces colliers en sont considérés comme la garantie : c'est le grand sceau de leur chancel- lerie.
NOTES. 387
NOTES DU CHAPITRE X.
(1) Gelinottes , ou drumming-partridges. Ces beaux oiseaux , connus dans quelques Etats sous le nom de fai- sans ou de gelinottes , sont une espèce particulière au con- tinent. Les plumes du dos et des ailes ressemblent à celles des poules faisandes ; celles du ventre et des cuisses , à celles des grosses grives d'hiver : felles sont bottées comme des pigeons pattus , et portent une belle aigrette sui' la tête. Le nom de drumming-partridges est venu du bruit sourd et rotdant qu'elles font avec leurs ailes lorsqu'elles sont perchées , bruit qu'on entend à plus d'un mille de dis- tance , et qui ressemble à celui d'un tambour. Ces oiseaux, très-communs , sont la ressource ^ et sotivent le pain quo- tidien des voyageurs.
(2) Neu>-Haven. Anciennement connue sous le nom indigène de Quinipiack : elle fut fondée en 1 Çi'5'è , époque ^e la première colonisation du Connecticut. Cette ville est située à 45 railles de Hartford , à 3ode New-London, au fond d'une baie , dont les rivages doux et bien cultivés, offrent la plus intéressante perspective. Cette baie^ extrê- mement poissonneuse , communique avec le Sond , bras de mer qui sépare l'île Longue du continent, et conduit à New- York. C'est une des plus jolies et des plus agréables villes du Connecticut : elle a été tracée en quarrés de 100 perches , dont plusieurs sont ornés d'ormes pleureurs d'une grande élévation. Celui du centre, également en- touré d'arbres , est occupé par l'église , le collège et quel- ques bâtimens publics. Quoique les rues ne soient point pavées, elles sont larges et propres : on y compte 5oo mai- sons , presque toutes en charpente , élégantes et bien peintes ; et 4ooo habitans. Pour avoir une plus giande pro-
2
588 NOTES.
fondeur d'eau , on vient de construire une Jetée qui a 2000 pieds de longueur, la plus belle , sans contredit, qu'il y ait sur le continent. Quoique léger, le sol des envi- rons est extrêmement productif, et couvert de magni- fiques vergers. On y voit plusieurs manufactures, ainsi qu'un heureux mélange d'activité rurale et commerciale. Sans être riches , les habitans y sont dans l'aisance.
La communication journsflière avec New -York, par terre et par mer , au moyen de paquebots élégans et com- modes , et des nombreuses diligences qui vont dans les Etats du nord , l'abondance des comestibles , l'excellent esprit des habitans, rendent le séjour de cette nouvelle ville infiniment agréable. Elle fut incorporée en 1782.
(3) Collège de New- Haven. Connu aussi sous le nom de Yale , d'après celui de son principal bienfaiteur , fut fondé en 1 700 , et incorporé un an après. Cet édifice , bâti en briques^ a 100 pieds de longueur, 4o de largeur, et trois étages. Sa bibliothèque , qui avoit beaucoup soufîert du séjour des Anglais pendant la guerre , vient d'être con- sidérablement augmentée par la générosité de plusieurs personnes, en reconnoissance de l'excellente éducation que leurs enfans y avoient reçue. Ce qu'on appelle le muséum est encore dans l'enfance. Le Gouverneur et les principaux Magistrats de l'Etat, conjointement avec un certain nombre de ministres , sont les administrateurs de cette université. C'est devant eux , et en présence de pres- que tous les habitans de la ville , que les écoliers sont strictement examinés deux fois par an. Le cours de l'édu- cation comprend le cercle ordinaire de la littérature , les trois langues savantes , et autant de sciences particulières qu'on peut en apprendre pendant quatre ans.
Le Gouvernement , protecteur de ce collège , vient
NOTES. 38g
â'ajoutei' à son revenu une somme conside'rable , avec laquelle on va faire construire un autre édifice , et com- pléter le cabinet de physique. On y envoie des jeunes gens , non-seulement des Etats méridionaux j mais aussi des îles occidentales et des Bermudes.
(4) Vin de cerises. Ce vin est fait avec un mélange de jus de cerises, de framboises, de groseilles et de petites merises , auquel on ajoute une certaine quantité de sucre : après avoir été fermenté et bien clarifié , il est mis en bou- teille. J'ai connu plusieurs Européens qui, trompés par sa couleur, sa transparence et son parfum , le croyoient être du Frontignan, ou venir de Provence.
(5) Eau- de -vie de pêches. Rien n'est devenu plus commun aujourd'hui que cette eau-de-vie , particulière- ment dans les Etats méridionaux et trans-allégliéniens : Voilà pourquoi on y voit un si grand nombre de vergers de pêchers. Un boisseau comble de ce fruit en donne com- munément un gallon ou quatre bouteilles. Ainsi que toutes les autres eaux-de-vie , elle a besoin de vieillir pour de- venir bonne et onctueuse.
NOTES DU CHAPITRE XL
(i) 3farais d'un accès difficile. La plupart des marais boisés, et même ceux qu'on distingue sous le nom de Bog-meadows, ne sont, à quelques pieds au-dessous de la surface , qu'un tissu d'arbres renversés on ne sait à quelle époque ni par quelle cause. Ces réserves offriront un jour de grandes ressources à la postérité , lorsque les défrichemens auront rendu le bois aussi rare qu'en Europe. Je connois ^ans le voisinage de Bàskind-Ridge, jadis la belle propriété du lord Sterling , un marais de cinq mille acres , couvert des plus beaux frênes aquatiques, d'érables,
5go NOTES.
de hycoris, etc. Pour s'assurer d'une manière positive de la quantité de bois qui se trouvoit sous une surface de dix perches quarrées, il fit abattre le bois qui couvroit cette même surface , la fit creuser à quatre pieds de pro- fondeur ; et , à son grand ëtonnement , il observa que la quantité' de bois souterrain excédoit de beaucoup celle des arbres vivans.
(2) Piazza. C'est le nom qu'on donne, dans quelques Etats, à la projection du toit des maisons, supportée par de petites colonnes de cèdre , expédient qui en éloigne le soleil de 8 à g pieds pendant l'été , et les neiges et la pluie pendant l'hiver. Je connois des maisons qui en sont entièrement environnées , ce qui , de loin , leur donne la forme et l'apparence d'une marquise , et les rend sèches et fraîches.
(3) Ile de Rolland et rivière de Sierra-Léona. Ani- mées du désir d'introduire sur les côtes d'Afrique la cul- ture du sucre, et d'anéantir insensiblement le commerce impie de la traite des nègres , un grand nombre de per- sonnes en Angleterre , à la tête desquelles étoit Thomas Fothergill ( ce héros de l'humanité ) , après avoir souscrit la somme de 3oo,ooo liv. sterl. , envoyèrent , en 1786, des agens sur la côte d'Afrique , où elles firent l'acquisition du bel et salubre emplacement compris entre les rivières Sierra-Léona et Sherbo, dans une longueur de i5 milles sur 20 de profondeur. Le centre de cette acquisition est une baie siire et commode , connue sous le nom de Saint- George. Elles acquirent aussi l'île de Bolland , voisine de cette côte.
Tout étant préparé , on y envoya un grand nombre de nègres libres , qui se trouvoient alors en Angleterre , sous la conduite de personnes qui dévoient aussi se fixer dans
NOTES. Sgi
cet établissement. Ils étoient accompagnés d'habiles jardi- niers , de botanistes , de cultivateurs , et de tous les secours nécessaires. On devoit y cultiver le sucre , le coton , l'in- digo, la gomme copal, etc. Malgré quelques désastres, quelques retards , cette colonie , franche dès l'origine , commençoit à prospérer , lorsque des vaisseaux français parurent sur la côte et entrèrent dans la baie : tout ce qu'ils ne purent enlever fut détruit.
J'ai entendu dire que ces malheurs n'ont point refroidi le zèle de ces illustres fondateurs ; que ces pertes ont été ^ promptement réparées , et que cette colonie franche (ainsi qu'ils l'appellent) commence enfin à prendre de la consis- tance. Puissent ces germes précieux fructifier au-delà de leurs espérances , et l'exemple de l'industrie et du succès de ces noirs colons , ouvrir enfin les yeux de leurs compa- triotes, et convaincre leurs princes, ou plutôt leurs tyrans, qu'il leur seroit beaucoup plus avantageux de faire cul- tiver la canne à sucre par leurs sujets , que de les vendre comme de vils troupeaux.
NOTES DU CHAPITRE XII.
(i) Vermonf. Les premiers défrichemens de ce terri- toire , alors dépendant du Nouveau-Hampshire , commen- cèrent en 1762. Pendant long-temps , les familles qui vin- rent s'y établir sous la conduite du général Bayley et du colonel Johnson , isolées au milieu de ces vastes solitudes , se trouvèrent à plus de 100 milles d'aucune habitation. Assises sur des terres fertiles , elles prospérèrent : insensi- blement leur nombre s'accrut ; mais bientôt , sortant de leur profonde obscurité, ces colons devinrent l'objet des conversations piibliques , et furent connus sous le nom
59*2 NOTES.
dérisoire de Green mountain Boys (Garçons des mon- tagnes Vertes).
Aussi-tôt après la conquête du Canada , le Gouverneur de NeAV-York , soutenu par les ministres anglais, prétendit q^u'à tort celui duNew^-Hampsliire avoit concédé des terres à l'ouest de la rivière Connecticut , et déclara que d'après les nouvelles limites indiquées dans la charte de sa colonie , tout le territoire compris entre le lac Cliamplain et cette rivière lui appartenoit. Indignés d'une détermination aussi injuste et tyrannique ; qui annulloit leurs droits et enle- voit leurs propriétés , ces paisibles cultivateurs se réu- nirent pour la première fois , résolurent de présenter une requête au roi , et s'il étoit sourd à leurs plaintes , d'op- poser la résistance des loix par l'organe des premiers avo- cats du continent.
D'un autre côté , le Gouvernement de Ne w- York divisa , suivant l'usage , leur pays en comtés et districts , nomma des magistrats , établit des cours de justice.
Cependant , soit que les juges fussent convaincus de la légitimité des droits de leurs compatriotes , ou intimidés par la crainte de leur ressentiment, leur opinion étoit presque constamment favorable aux plaignans. Irrité de cette condescendance , le Gouvernement de New- York y envoya des grands-juges de la Cour suprême , et quelques colons écossais , sous la conduite de leurs officiers , aux- quels on avoit concédé des terres.
Informés de cette démarcbe , les jeunes gens prirent les armes ; et précédés de quelques-uns de leurs principaux cliefs , allèrent au-devant de ces étrangers sous pi-étexte de les escorter et de les conduire. Les Cours^ de justice furent ouvertes avec beaucoup de décence et de tranquil- lité; mais vers la fm de la session, ces juges ayant voula
NOTES. og3
influencer Topinion du juré , ces chefs se levèrent , et après leur avoir vivement reproché l'infraction à la loi dont ils se rendoient coupables , leur firent signer un acte par lequel ils s'engageoient à ne jamais rentrer dans leur pays. Quant aux colons écossais , dont ils renvoyèrent aussi les officiers avec beaucoup de modération , ils con- firmèrent le don des terres qu'on leur avoit promises , et ne tardèrent pas à leur inspirer les mêmes opinions , en leur disant : uhi benè , ihi patria.
On se proposa à New- York de les réduire par la force , mais dans la crainte d'allumer une guerre civile, ce projet, n'eut pas lieu : les choses restèrent indécises jusqu'à l'époqu^ de la révolution. Abjurant alors la jurisdiction du New- Hampshire et celle de New- York , ils déclarèrent leur territoire indépendant sous le nom de Vermont, et eux- mêmes investis de tous les pouvoirs de la législation. Peu de temps après _, ils envoyèrent deux beaux régimens au général W^ashington , auquel ils écrivirent une lettre justi- ficative , et ils formèrent tine constitution semblable à celle du Connecticut, à l'exception d'un conseil de censeurs renouvelé tous les sept ans, et furent enfin reconnus comme le quatorzième membre de la Confédération, le 4 mars 1 7 9 1 ; trente et un ans après que le premier arbre de ce vaste défrichement eut été renversé. Ils ont , depuis cette époque, fondé un collège sur les bords du lac Cliani'- plain , ouvert des chemins , élevé des ponts , doté des églises et des écoles dans les parties anciennement culti- vées. Par une loi que le Corps législatif vient de passer , il est ordonné que deux lots de 35o acres seront réservés dans chacun des deux cents districts dont cet Etat est comjDOsé j l'an destiné à l'entretien des ministres du culte , et lautre à celui des écoles de canton.
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é)94 NOTE S.
Ce pays , très-abondant en pâturages , fournit les plus beaux bestiaux dti continent , des chevaux, du lard, des pois, du lin, de la potasse , et une grande quantité de sucre d'érable. Il contient i3o mille habitans.
(2) Tyrannie inconnue. Aussi -tôt que les mesures prises par le Gouvernement de New-York , pour incor- porer dans son vaste territoire celui connu alors sous le nom de Montagnes-Vertes ., furent transmises en Angle- terre , chacun s'empressa de solliciter des concessions , non de terres boisées , mais de cantons défrichés , cultivés depuis long-temps. Rien en efiPet n'étoit plus commode que d'obtenir d'un trait de plume, de beaux herbages , des champs , des vergers et des moulins , et d'en évincer les propriétaires. Chose étonnante ! ce dernier excès d'injus- tice, inconnu jusqu'à ce jour, ne révolta point dans le pays de l'Europe , où la propriété est la plus respectée.
Quelques officiers ayant obtenu la concession de deux dés plus anciens districts , contenant , suivant l'usage , chacun 234oo acres , s'embarquèrent pour venir en prendre possession. Leur arrivée à New- York, ainsi que le but de leur voyage , ayant été mis dans les gazettes, les propriétaires envoyèrent plusieurs personnes à Benington, oii ces étrangers dévoient nécessairement passer \ ces com- missaires étoient porteurs d'un mémoire dans lequel , après avoir exposé l'horrible injustice de les dépouiller de leurs biens , les propriétaires annonçoient la ferme réso- lution qu'ils avoient prise de résister au péril de leurs vies. — (( Que feriez-vous, leur dirent-ils-^, si votre Parle- ment rendoit une loi pour enlever vos châteaux, vos parcs et vos futaies? Eh bien ! nos champs et nos chaumières nous sont bien plus chers encore , puisque c'est à la sueur de nos fronts que nous les avons défricliés et construits ».
NOTES. 595
Frappes de la justice de ces réclamations^ ainsi que de la mode'ration de leurs procédés, les officiers se désistèrent des prétentions que les ordres dont ils étoient porteurs ne pou voient pas justifier , signèrent un acte de renoncia- tion , et demandèrent seulement la permission de visiter un pays habité par d'aussi braves gens. Ils y furent reçus et traités avec beaucoup d'égards et d'hospitalité. Depuis leur retour en Angleterre , on n'a plus entendu parler de ces concessions.
(3) Lac Champlain. Bien différent des grands lacs, dont l'immensité ne fait naître que l'étonnement et sou- vent l'effroi , celui-ci , contenu dans des bornes beaucoup plus resserrées, excite des idées douces et agréables : l'oeil, en le traversant , voit presque toujours quelques parties de ses rivages , ou se repose sur les nombreuses îles dont il est orné ; les premiers, souvent escarpés, toujours pit- toresques , sont composés de rochers dont l'âpreté , les formes et la hauteur , représentent à l'imagination une foule d'objets bizarres et fantastiques.
Ce beau lac a 120 milles de longueur , depuis le fond de South -Bay jusqu'à la Pointe-aux-Fers, à l'entrée du Canada • sa largeur n'est qUe de deux milles jusqu'à Ticon- déroga , dans une distance de 5o milles ; c'est plutôt une rivière profonde et tranquille , dont les rives commencent à être bien cu.ltivées. Les environs de cette forteresse consistent en herbages d'une grande étendue : de -là à Crown-Point , dans une distance de i5 milles, la largeur du lac est plus considérable ; c'est un fleuve majestueux, dont les bords fertiles sont couverts d'habitations très- rapprochées. Sur les premières chutes dû Fair-Haveh- Creek, qui verse ses eaux dans cette première partie , on a établi , depuis vingt ans, les gi'osses forges les plus con-
596 NOTES.
sidérables du continent \ on y voit une immense clou- terie et une fournaise à réverbère. Le propriétaire ( le co- lonel Lyons) tire tout le minerai dont il a besoin , d'une chaîne de rocliers qui forme le rivage occidental du lac, depuis Crown-Point jusqu'à Will'sborougli. C'est l'aggré- gation de parties ferrugineuses la plus riclie et la plus extraordinaire qu'on connoisse : on y trouve aussi du cuivre et du plomb. Ici , la largeur du lac est de cinq à six milles; mais plus au nord , il en a dix-huit; c'est là aussi qu'on commence à voir les îles nombreuses qui occupent une partie de cet espace pendant 5o milles.
La plus considérable (South-Hero) a 16 milles de lon- gueur sur 1 4 de largeur , et est habitée par cinq cents fa- milles vermontoises. Insensiblement le lac se rétrécit jus- qu^à la Pointe - aux - Fers , d'où, semblable à une belle rivière j il roule ses eaux à Saint-John, Chambly et Sorrel , avant de s'unir avec celles du fleuve Saint-Laurent.
Un des points les plus frappans du rivage occidental , est cette longue et large péninsule , jadis connue sous le nom de Shenonton (Chevreuil), aujourd'hui Cumberland- Head. On voit peu de situations plus belles et plus impo- santes , et dont le sol soit plus fertile. A deux milles de la ligne de démarcation qui sépare les Etats de Vermont et de New- York du Canada (le 45'^ parallèle) , on trou.ve sur le côté oriental un moulin à vent d'une construction très- remarquable , le premier qui ait été élevé dans ces can- tons éloignés. Les comtés de Washington et de Clinton, qui occupent l'occidental , fondés en 1 783 , contenoient en 1797 , 22473 habitans. La surface de ce lac est estimée être de 5oo,ooo acres.
(4) Pont du Cohos. Ce beau pont , élevé sur le Mohawk il y a cinq anS; est situé à trois quarts de mille du Cohos,
NOTES. 597
fet à trois milles du confluent de cette rivière avec le Hudson. Sa construction ayant fait naître des difficultés imprévues, le Gouvernement, pour encourager l'associa- tion qui l'avoit entreprise, lui donna 7600 piastres (près de 4o,ooo liv. ). Il a 900 pieds de long, 4o de large. La cliarpente, qui est très -belle, repose sur 27 piles bâties en pierre.
(5) Ville maritime , presqu'île. Péninsule située sur îe rivage méridional du lac Erié , à soixante milles de Nia- gara , qui , ainsi que l'embouchure du Cayalioga , forme xin liavre extrêmement utile aux navigateurs , cette côte n'étant qu'une suite de rochers très-élevés. Il est situé sur le territoire de la Pensylvanie , dont la largeur n'est que de 4o milles , étant fort resserré , d'nn côté, par les limites occidentales de New- York , et de l'autre , par celles de la réserve du Connecticut. On vient de tracer une ville dans les environs de ce havre.
(6) Navigation du Potowmack. Ce fleuve, dont les sources découlent de la chaîne des AUéghénis , tombe dans la baie de Chesapeak , après avoir serpenté à travers un pays fertile pendant plus de 4oo milles : son confluent dans cette baie en a 7 et demi de largeur, et 7 brasses de profondeur , 4 aux quais d'Alexandrie , et 3 à ceux de Washington*, 7 milles plus haut, dernier terme de sa navigation maritime , situé à i5o milles de cette grande baie , et à 438 des caps de la Virginie.
Ce fleuve est devenu beaucoup plus intéressant, depuis que les canaux et les écluses , entrepris pour éviter les chutes , sont terminés. Le premier a i3!20 toises de lortg, quatre écluses de 10 pieds de hauteur, dans une pente de
* La ville fédérale.
SgS NOTES.
76 pieds ; le second, 2200 toises , et dix écluses , dans une pente de 1 68 pieds , en y comprenant celle du terrein , de 90, et celle des chutes , qui en ont 78.
De ce point , son cours est doux et tranquille jusqu'à Will's-Creek , et aux Sliawanèse-Fields , où il y a trois rapides , auxquels on travaille depuis quelques mois -, de-là , on se propose de perfectionner le chemin des montagnes, qui fut tracé en 1 755 , pour l'expédition de Braddock contre le fort Du-Quesne : alors, à ^7 milles près, les eaux de l'Atlantique communiqueront avec celles de rOliiopar le CJieat jhjdiwche navigable delaMonongahéla, objet d'une haute importance , considéré sous les rapports politiques et commerciaux : peut-être même que dans les temps à venir , on parviendra à raccourcir cette distance , en réunissant les eaux des montagnes pour en former des canaux navigables.
(7) Canal de Norfolk. Ce canal doit, dans un espace de 28 milles, traverser le Dismal-Swamp. Bien différent des autres marais, celui-ci est un mélange bizarre de terres sèches, humides, fangeuses, ou entièrement couvertes d'eau. Sur les premières , croissent les plus beaux chênes qu'on puisse voir; les secondes n'offrent aux yeux que des forêts de roseaux d'une grande élévation, qui, apperçues de loin , lorsque le vent les agite , ressemblent aux lentes et longues ondulations de la mer dans un jour serein : aussi appelle-t-on ces grandes clairières, mers vertes [green seas), I^a troisième n'est couverte que de cèdres, de cyprès, de pins d'une hauteur prodigieuse.
Au milieu de ce vaste marais est un petit lac ( Drum- ttiond's-Pond ) , dont les eaux , noircies par la réflexion des arbres toujours verds du voisinage , ressemblent à celles de l'Averne j ces forêts sont si épaisses , si sombres et si
NOTÉS. 399
lugubres, que le soleil n'y pénètre jamais ; aussi n'y voit-on ni reptiles, ni insectes, ni oiseaux.
Ce marais , qui commence à 9 milles de Norfolk , a 5o milles de long du nord au sud, et 12 de Testa l'ouest j il contient 192,000 acres. Une partie appartient à la Vir- ginie, et l'autre à la Caroline. Cinq rivières sortent de ses vastes réservoirs ; savoir, les branches méridionales de l'Elisabeth et la Nausémond , qui versent leurs eaux dans la baie de Chésapeak ; le Nord, le Nord- Ouest , et le Per- quimons , qui coulent dans le Sond d' Albemarle.
Une grande partie de la surface de ce marais ne paroît être qu'une croûte supportée par une immense accumu- lation d'eaux j car à peine a-t-on creusé un fossé, même dans les parties les plus sèches , qu'à l'instant il en est rempli. Presque par -tout on peut enfoncer une gaule , quelque longue qu'elle soit, sans éprouver aucune résis- tance ; nulle part on ne voit des arbres d'un plus grand diamètre ni d'une plus grande hauteur ; mais le fond sur lequel ils croissent étant très-mou , ils sont souvent ren- versés par les vents; ce qui rend ces parties absolument impénétrables aux hommes , ainsi qu'aux bêtes fauves, lies autres endroits , dont le sol est plus sec , viç.^ sont pas moins difficiles à traverser , à cause des vignes épi- neuses et traînantes, et sur-tout des ronces-bambou , dont la surface est entièrement couverte.
Long-temps avant la révolution , le Gouvernement de Virginie, désirant ouvrir un canal depuis l'Elisabeth jus- qu'au Paskotang de la Caroline , avoit incorporé un grand nombre de personnes qui s'étoient chargées de cette belle et utile entreprise , et , pour les encourager , leur avoit concédé 80,000 acres de ce marais ; on y travailloit avec succès, lorsque les Anglais , dans levn; première invasion
4oO NOTES.
de ce pays, enlevèrent les nègres , détruisirent les outils et les maisons. Ce n'est que depuis 1793, qu'encouragée de nouveau par les législateurs de la Caroline et de la Vir- ginie j cette compagnie a recommencé ses travaux.
En y comprenant la longueur du petit lac , celle de ce canal sera de 28 milles. En 1796 , il y en avoit déjà douze de creusés. Le général Washington a été , depuis l'origine de ce projet, auquel il avoit beaucoup contribué , un des associés de cette nombreuse compagnie. J'ai oui dire qu'il devoit être terminé en 1800.
(8) Canal de Richmonf. Depuis que, par un acte de la Législature , le siège du Gouvernement a été transféré de Williamsbourg à Richmont , et que conséquemment cette ^dernière ville a été considérée comme la capitale de cet Etat , on s'est occupé de perfectionner la navigation de la rivière James , au pied des chutes de laquelle cette ville a été fondée. Le plus grand obstacle étoientces mêmes chutes, ou plutôt ces rapides , qui , dans l'espace de six milles , tombent de 80 pieds. On forma alors le projet d'un canal qui vient d'être terminé : les denrées de l'intérieur arri- vent actuellement à Richmont , du pied des montagnes Bleues, à 200 milles de distance , ainsi que de la Ri vanna. Avec des dépenses modiques, on pourra rendre cette der- nière rivière navigable jusqu'à Carpenter's-Creek , situé à 25 milles d'une des branches du Green-Bryar.
( 9 ) Fondation du nouvel Etat de TV^ashington sur les hords du Mushinghum. Parmi les officiers de l'armée continentale qui se trouvoient dépourvus de ressources après le licenciement de cette armée , quelques-uns em- brassèrent de nouveau les professions et les occupations qu'ils avoient abandonnées au commencement de la révo- lution , pour voler au secours de leur patrie^ envahie par
NOTES. 4oi^
une armëe de 70^000 hommes. Un plus grand nombre se réunit en socie' tés , pour établir les terres neuves que le Congrès et les Etats leur avoient données (comme récom- pense de leurs services) sur les bords de l'Oliio et ailleurs. Ces chefs s'étant associés avec ceux de leurs anciens sol- dats qui voulurent les suivre, et ayant porté dans la for- mation de ces colonies nouvelles un grand esprit d'ordre , beaucoup de sagesse et de prévoyance , elles ont toutes réussi , et sont devenues , dans un petit nombre d'années , des cantons florissans , où, à l'ombre de leurs lauriers, ces braves militaires cultivent leurs champs. -
Les principes sur lesquels la colonie du Muskinghum , par exemple , ou , ainsi qu'ils l'appellent , le nouvel Etat de W^ashington , a été fondée , pou voient servir de modèle à ceux qui , dans la suite , voudroient exécuter une sem- blable entreprise. Les terres que ces fondateurs avoient reçues du Gouvernement , ainsi que celles qu'ils en acqui- rent avec leurs certificats , ayant été arpentées et sub- divisées avec beaucoup de soin, ils envoyèrent d'abord un certain nombre de travailleurs pour défricher , planter le maïs j et construire quelques logg-houses. Tout étant pré- paré , les familles arrivèrent heureusement , accompa- gnées d'un ministre et d'un maître d'école, apportant même avec elles une cloche , destinée à l'usage de l'église qu'elles se proposoient de construire ; c'est la première qui ait jamais été entendue à l'ouest des montagnes d'Allé- ghénis.
Le partage des terres, le dessèchement des marais, les secours mutuels qu'ils dévoient se prêter , tout , jusqu'à la nomenclature de leur ville ,, de ses rues , de ses places , et des districts de leur territoire , avoit été si bien prévu et arrangé; que rien n'a retardé les défrichemens et les I, ce
4o3 NOTES.
progrès de cette belle colonie d'anciens militaires, malgré la gnerre des sauvages. Ces soldats , élevés dans les prin- cipes religieux de leur patrie , accoutumés aux formes municipales , à la subordination , sont devenus tout-à- coup des colons laborieux , et des pères de| familles res- pectables. Il faut en convenir, leurs progrès n'auroient pas été aussi rapides , si une partie eût été des étrangers sans mœurs ni principes religieux.
NOTES DU CHAPITRE XII I.
(i) Voyage à Alhany en cliquante- quatre heures. Il arrive assez fréquemment, pendant l'été, qu'en partant de New- York avec un vent du sud et le commencement de la marée, on remonte la rivière jusqu'à Albany en très- peu de temps , quoiqu'à 66 lieues de distance, sur-tout si ce vent n'est pas réprimé par celui du nord, qui occupe presque toujours la chaîne de montagnes ; parce que le progrès du vaisseau étant égal à celui de la marée , on l'a constamment favorable.
C'est un spectacle bien intéressant que celui des rivages de ce beau fleuve , tantôt âpres et sourcilleux , ombragés par des arbres antiques ; tantôt plus adoucis , couverts de vergers et d'habitations ; que celui des vaisseaux , qui sans cesse le remontent et le descendent ; et ces embarcadères qu'on voit sur les deux rives, accompagnés de lem^s quais, de leurs magasins et de leurs grues. C'est sur-tout dans la belle saison que les différens aspects de ce fleuve mérite- rpient toute l'attention du poète , du naturaliste et du peintre. On ne se lasse point d'en admirer les beautés pit- toresques variées , ni ses eaux tranquilles et profondes , traversant majestueusement ce long et tortueux détroit, connu sous le nom de passage of the Highlands. Chose
NOTES. 4o5
étonnante ! la marée remonte quarante lieues au-delà*
(2) Trois familles Erses. Nom antique , sous lequel sont connus les liabitans des. montagnes de l'Ecosse , que les Romains dësignoient sous celui de Picts ou Picti. Le langage qu'ils parlent est celui dans lequel écrivoient , il y a 1 600 ans , leurs célèbres bardes Ossian , Fingal , etc. Ils conservent encore quelques-uns des usages de ces temps reculés. C'est une des races aborigènes de l'Europe les plus respectables , et le pays où l'éducation est plus généralement répandue parmi toutes les classes.
(3) Silver-eels. Espèce d'anguilles qui , au commence^ ment de l'automne , descendent les rivières pour se rendre à la mer , et dont le ventre est d'une blanclièur remar- quable. Elles sont grasses , délicates , et très-recberchées , sur-tout après avoir été fumées pendant quelque temps.
(4) Accroissement des pêchers. On ne connoît point ici d'arbres qui prennent un accroissement aussi rapide ; il n'est pas rare d'en voir qui rapportent du fruit dès la troisième année de la plantation du noyau ; mais aussi leur existence est très-courte , et sujette à beaucoup d'ac- cidens et de maladies. Les insectes les dévorent ; ils de- viennent gommeux; leur bois tendre se casse facilement > et leur fruit n'est pas bon. Pour remédier à ces inconvé- niens , il faut les écussonner , art que très-peu de colons connoissent encore , et introduire dans la tige une petite quantité de mercure, ce qui, d'après les expériences du docteur Franklin, en éloigne les insectes sans nuire au fruit.
La culture de cet arbre est devenue beaucoup plus com- mune depuis l'établissement des colonies ultramontaines, les pêches étant également propres à engraisser les co- chons et à faire de l'eau-de-vie; à laquelle ils savent donnai"
3
4o4 NOTES.
un goût et une couleur particulière, en y infusant du
raisin sauvage , des pommes et des poires sèches.
(5) Dernières limites cultivables des Etats- Unis. D'après les traites , ces limites sont déterminées par une ligne c[ui est censée diviser le fleuve Saint -Laurent , les lacs Ontario, Erié , Sainte -Claire, Supérieur , etc. jusqu'à celui des Bois , d'où une autre ligne va à l'ouest, jusqu'au Mississipi : de ce point , le milieu de ce grand fleuve les sépare des possessions espagnoles jusqu'au 3i^ degré , un peu au-dessous des Natchees , où commencent les limites de la Géorgie. Mais quoique sous des latitudes aussi tem- pérées, toutes les terres qui avoisinent le lac Supérieur, les rivages du Micliigan et de la Baie-Verte , ainsi que la cataracte du Mississipi (la clmte de Saint- Antoine) , sont sous un climat si rigoureux , qii'il n'est guère probable , que les cbarï^ues américaines aillent jamais plus loin que le Ouisconsing , ou que cette même cataracte , située à SGQ lieues géométriques de la mer, à moins que le défri- cliement du reste de ce continent n'occasionne un grand changement dans la température. La surface de la terre comprise entre ces limites et les rivages des Etats Atlan- tiques , est estimée être d'un million de milles quarrés , égale à 65o,ooo,ooo d'acres , dont il faut déduire 5 1 mil- lions pour les lacs et les rivières j restent 589 millions : les indigènes en possèdent encore 220 millions-, restent 329 millions , auxquels il faut en ajouter 23 cédés par le traité avec l'Angleterre j ce qui donne 58o millions pour \a. surface que possèdent aujourd'hui les Etats-Unis»
NOTES. 4o5
NOTES DU CHAPITRE XIV.
(i) Narrows. Ce détroit, qui n'est qu'à deux lieues de New- York , est formé par le rapprocliement de la partie occidentale des îles de Nassau et des Etats. Il a environ mille toises de largeur , et une grande profondeur d'eau. CTest le passage de tous les vaisseaux qui partent de la ville ou qui arrivent de la mer , après avoir mouillé à Sandy-Hook , neuf lieues plus loin. C'est peut-être le seul endroit d'où on pourroit empêcher l'approche d'une es- cadre ennemie. Au moyen d'un vaste cône submergé dans le milieu de ce détroit, dont le feu seroit soutenu et croisé par celui des batteries à boulets rouges , placées sur les rivages les plus rapprochés , il seroit facile de fermer l'en- trée du port de ce coté. La nature a suffisamment défendu celui de Heligate , dont les dangers sont bien connus des navigateurs.
(2) Satellites de Herschel. Ce grand astronome vient d'en découvrir quatre nouveaux, qui, ajoutés aux deux premiers et aux deux autres que le docteur Wurm a aussi découverts, forment une cohorte de huit lunes dont cette dernière planète de notre système est accompagnée. Son. année est de 83 des nôtres , et 33 jours.
(3) Etendue du pas de VOhio. Cette partie trans-allé- ghénienne du continent, est destinée à en devenir un jour la gloire. Ce beau fleuve, dans lequel se jettent plus de vingt rivières considérables , la traverse pendant 396 lieues, dej)uis Pit^sbourg, sous le 4o® 3i' 44", jusqu'à son confluent avec le Mississipi, sous le 36° 43', et par- court dix degrés de longitude. Il y a peu de contrées sur la terre dont la fertilité et la situation promettent à l'in- dustrie des récompenses plus assurées. Pour se former un©
àoFi NOTES.
idée de l'étendue de cette région, qu'on se représente un parallélogramme dont la longueur seroit de 5oo lieues ( retranchant 96 pour les sinuosités du fleuve ) ; qu'on suppose encore que les rivières venant du nord et du midi , qui y apportent le tribut de leurs eaux , n'aien t que 25 lieues de cours, ce qui endonneroit 5ode largeur à ce parallélogramme j et conséquemment i5,ooo lieues quarréesj dont on estime les sept dixièmes susceptibles de culture. Si aux productions de l'industrie agricole, on ajoute celles des forêts de cèdres , de pins, de mûriers , d'érables, celles des carrières et des mines, alors on aura un léger apperçu de ce que ce vaste pays fournira un jour. Et si, d'un autre côté, on ne considère l'Ohio que comme ivae des brandies du Mississipi , il est facile de concevoir que la Nouvelle- Orléans est destinée à devenir le centre d'un commerce immense.
( 4 ) Indiana. Voyez tome 11 , cliap. xv, (5) Limestone, Cette petite rivière tombe sur le rivage sud-ouest de l'OMo, à 167 lieues de Pitt'sbourg, et tra- verse un des cantons les plus fertiles et les plus agréables du Kentukey , dont Washington , situé sur la route de Ealchutta , est le chef-lieu. L'embouchure de cette rivière est le lieu où débarquent les colons qui descendent l'Ohio pour aller s'établir dans les parties méridionales de ce fleuve. Mais ee qui le rend plus remarquable aux yeux des voyageurs, est la différence qu'ils observent entre le climat de Pitt'sbourg, où ils se sont embarqués , et celui de Lime-Stone. Rien en effet n'est plus frappant, sur- tout dans le printemps , que ce passage subit de la nudité et de la tristesse de l'hiver, à l'éclat du soleil et à la beauté de la végétation. Après avoir débarqué, on monte une pente longue sans être rapide, et au lieu d'arriver sur le sommet
NOTES. 407
d'une montagne , on se trouve dans un pays plat , enrichi de tous les trésors de la nature , bien cultivé et couvert d'habitations ; on y voit des buissons odorans , et des fleurs inconnues plus au nord. C'est-là qu'on commence à entendre le ramage des oiseaux du midi. Cette fertilité continue jusqu'à Washington ; Johnson , Bourbon , Lexin- gton : tout ce qui n'est pas terre boisée est couvert de roseaux, de ray et de buffalo grass , ainsi que des trois espèces de trèfle. On estime que, pendant les années i 787 et 1788 , il y passa plus de douze mille colons venant de l'Europe , ainsi que des différens Etats de l'Union.
(6) Grand Kanhawa. Ce fleuve prend sa source dans les montagnes de la Caroline-Nord , connues sous le nom de Iron-Hills (montagnes de Fer) , du vaste sein desquelles découlent aussi les principales rivières de la Virginie et du Tènézée. Il verse ses eaux dans l'Ohio, 2l']Ç> lieues de Pitt'sbourg, et à 32o au-dessus du confluent de l'Ohio avec le Mississipi , après avoir parcouru un espace de i33 à 160 lieues. Quelques-unes de ses branches, telles que le Green-briar, celle de Louisa, etc. ont des intervalles pro- fonds et navigables ; mais , à l'exception de quatre à cinq lieues, depuis le commencement des rapides jusqu'à l'Ohio, tout le reste de son cours n'est qu'un long et sinueux tor- rent , sur-tout dans sa descente des montagnes d'Ouasioto et dans son passage à travers la chaîne du Laurier. Ce vaste espace n'est qu'une profonde et inutile solitude, composée de masses de rochers âpres et nuds , de vallons étroits et stériles, dans lesquels la lumière du soleil n'a jamais pénétré, sur lesquels la toute-puissance des siècles et du temps n'a pu faire croître que quelques cèdres isolés, ou. quelques buissons de savine. Qu'il est à regretter que les célèbres poètes de l'Europe , ces grands peintres de la
éoS NOTES.
nature , qui ont décrit tout ce que les Pyrénées et le.< Alpes contiennent de grand, de beau et de majestueux, ne puissent se transporter ici ! Combien d'objets dignes de leurs pinceaux et des lyres les plus éloquentes ne pour- rois-je pas leur indiquer ! D'un autre côté, on ne connoît pas de terres plus fertiles que celles qui accompagnent le Kanbawa, quatre à cinq lieues avant de tomber dans l'Oliio : elles appartiennent au général Washington , qui, en 1785, y envoya cinquante-trois familles, devenues atijourd'liui beaucoup plus nombreuses. Elles n'ont d'autre débouclié que l'Ohio..
(7) Gallipolis^ Petite colonie française , qui , originai- rement , devoit s'établir sur les bords du Scioto , 38 lieues plus au sud , mais à laquelle, d'après de nouveaux arran- gemens , on a concédé des terres sur l'Ohio, vis-à-vis l'embouchure du grand Kanhawa. Cette colonie com- mence à prospérer , après avoir langui à cause de la guerre contre les indigènes. On estiuie qu'elle contient déjà de sept à huit cents familles.
(8) Scioto. Grande et belle rivière qui tombe dans l'Ohio à i3o lieues de Pitt'sbourg, et à 266 du confluent de ce fleuve avec le Mississipi. Elle est navigable l'espace de 66 lieues ; les terres qu'elle arrose, les plaines que tra- versent ses nombreuses branches , sont d'une grande fer- tilité, et ont été habitées par la nation Shawanèse jusqu'au dernier traité de paix avec les Etats-Unis , par lequel cette nation a été forcée de les abandonner et de se retirer plus en arrière. Les crues de l'Ohio se font sentir jusqu'à une distance considérable de son embouchure.,
(9^) Kentuhey. Pays que la fécondité de son sol, Iq. douceur de son climat , l'étonnante rapidité de sa popula- tion et l'urbanité de ses habitans , ont rendu célèbre : c'est
NOTES. 4og
■nn démembrement de la Virginie , situé sur rOhio , à 209 lieues de Pitt'sbourg. Le Gouvernement de la Vir- ginie émancipa ce pays aussi-tôt que , devenus assez nom- breux, les colons furent en état de sradministrer et de subvenir aux frais. Il fut admis comme quatorzième Etat dans la confédération , le 4 février 1791, dix-sept ans seulement après sa première colonisation.
Le climat et le sol conviennent également à la culture du tabac j du coton, de la soie et de la vigne , comme à celle des grains. Dans aucune autre partie des Etats-Unis , on ne voit d'aussi beaux moutons, ni de la laine plus fine. Les premiers chevaux étant venus de Virginie , la race eit est excellente. On y cultive aussi le chanvre et le lin.
De leurs salines, ils tirent tout le sel, de leurs forêts, tout le sucre dont ils ont besoin ; des pêchers et du raisin des vignes sauvages , qui croissent avec un luxe extraor- dinaire , ils commencent à extraire de l'eau-de-vie et à faire du vinaigre. On a découvert du fer dans les mon- tagnes de Balchutta et de Cumberland , oii il est probable qu'ils ont établi de grosses forges. En 1 784, on y comptoit 3o,ooo habitans, en 1790, 70,000, et aujourd'hui, près de 167,000^ Dans le cours de l'année 1787 , plus de 20,000 colons y arrivèrent , tant des deux Carolines et de la Vir- ginie , que des Etats septentrionaux et de l'Europe. C'est dans le comté de Woodfort , à quelques milles de l'Ohio, qu'on a découvert sur la surface d'un terrein ou marais salé ( hig hones lick) , les énormes dépouilles du mamoth j dans plusieurs autres endroits, on a découvert des tom- beaux de formes coniques , dont les couches intérieures sont en pierres ; des vestiges de camps retranchés , ainsi que des tessons de poterie , qui annoncent quelque élé-; gance dans les formes.
4lO NOTES.
li'liistoii'e naturelle de ce pays n'est pas moins inté- ressante : presque toutes les rivières coulent au fond d'en- caissemens d'une grande profondeur. Dans plusieurs en- droits, les eaux sont à 3oo pieds j)lus bas que le sol qu'elles traversent, ce qui en rend le passage extrêmement diffi- cile. Les rochers de ces escarpemens sont de marbre ou de pierre calcaire, percés de souterrains et de grottes, dont les parois abondent en nitre. Toutes les rivières secon- daires tarissent dès le mois de juillet , et ne se remplissent de nouveau que vers la mi-octobre. En suivant les traces ou plutôt les excavations qu'avoient faites les buffles et les autres bêtes fauves, on a découvert douze à quinze petits marais salés , dont ils venoient lécher la surface ; de-là le mot lichs , si fréquent sur les cartes de ce paj's. Au moyen de puits , on est parvenu à obtenir en abon- dance l'eau dont on fait de très-beau sel : on 5'^a découvert aussi phisieurs sources bitumineuses et sulfureuses.
Il seroit difficile , je crois , d'imaginer un mélange plus étonnant que celui de la population de ce nouvel Etat. Il n'y a peut-être point de nation en Europe , et pas un Etat dans l'Union , dont on n'y trouve un gi^and nombre d'in- dividus. C'est sans doute à cette cause, ainsi qu'à l'ar- rivée de plusieurs familles riches et instruites , que sont dus non-seulement la tranquillité et le bon ordre qu'on y observe, mais aussi les progrès de l'industrie, l'urbanité des mœurs , l'établissement d'un grand nombre d'églises-, d'écoles , et la fondation d'un collège {salera) , auquel le nouveau Gouvernement a donné dix mille acres de terre et des fonds considérables. Il y avoit une imprimex'ie dès l'année 1783, la première qui ait publié une gazette, à l'ouest des montagnes AUéghénis , et à plus de 3oo lieues de Philadelphie.
1
NOTES. 4ll
De cette nouvelle ruche sont déjà sortis plusieurs es- saims pour aller s'établir sur le Mississipi , le Wabash , les Illinois, etc. La milice est composée de 1 7,000 hommes. La constitution fédérale a servi de modèle à celle qu'ils formèrent et adoptèrent en 1 792. La laine, le coton , la soie et le vin , seront un jour les principales branches de leurs exportations. Déjà ils envoyent beaucoup de tabacs et de farines à la Nouvelle-Orléans.
(10) Lac Peppin. Situé à 547 lignes géographiques de la mer , et à peu de distance du confluent de la grande rivière Chippaway. Là, tout-à-coup le Mississipi s'élar- git ; cette extension , à laquelle on a donné le nom de lac Peppin , a vingt milles de longueur sur six de largeur. Cette siTrface est constamment couverte d'oiseaux aqua- tiques , tels que canards , cygnes , oies , grues. Jadis une famille canadienne s'étoit établie sur ses bords , pour faire la traite avec les nations Nadooassés. C'est sur le côté oriental que Carver découvrit, en 1766, les traces d'ua ancien camp retranché, dont le terre-plein avoit quatre pieds de hauteur et un mille de long. Ce lac n'est qu'à vingt lieues au-dessous du saut Saint- Antoine.
(11) Nadooassés et Padoohas. Voyez note 4, chap, ti.
(12) Missouri. Rivière qui, par la prodigieuse lon- gueur de son cours et le volume de ses eaux, devroit être considérée comme fleuve , et non comme une des branches du Mississipi. Plusieurs de celles-ci viennent des mon- tagnes de la Californie , et du royaume de Santa-Fé , dans le Nouveau-Mexique. Elles traversent des plaines im- menses , dont l'étendue n'a encore été soumise à aucunes observations géographiques. C'est depuis son confluent dans le Mississipi que les eaux Limpides de ce fleuve devien- nent tout-à-coup épaisses et bourbeuses. Les nombreuses
4l2 NOTES.
tribus Nadooassés, qui habitent sur les rivages, et cbassent à cbeval dans ces vastes plaines lierbëes , vendent leurs peaux aux négocians de Pancor (Saint- Louis) et de Mis- sire , jolies villes bâties par les Français de la haute Loui- siane, sur les bords du Mississipi, à 4io lieues géomé- triques du golfe du Mexique.
(i3) Chikago. Petite rivière douce et tranquille, qui tombe sur le rivage sud- ouest du lac Michigan , et par laquelle , au moyen d'un court portage de quatre milles , on arrive au Théakiky, branche de l'IUinois qui coule dans le Mississipi. Du temps des Canadiens , ce passage dans la haute Louisiane étoit très- fréquenté.
(i4) Michillimahinach. Fort jadis construit par les Français sur l'extrémité septentrionale de la grande pénin- sule qui divise les eaux du Michigan et du Huron. Il vient d'être cédé par l'Angleterre aux Etats-Unis, conformément aux traités. Ce lieu étoit jadis le centre d'un grand commerce avec les indigènes, aujourd'hui transporté au lac Winipeg , près de 4oo lieues plus aunord.
(i5) Lac Supérieur. D'après les cartes françaises, cette vaste mer est entre les 46^ et 5o^ degrés de latitude^ et a 5oo lieues de circonférence. Elle contient plusieurs îles , dont celle dite Royale a 4o lieues de longueur. Ce lac reçoit les eaux d'un grand nombre de rivières , et se décharge dans le lac Huron par le détroit de Sainte-Marie. Sa surface est estimée égale à 21,952,780 acres. Il est, comme l'Océan, sujet aux tempêtes, et ses vagues s'élè- vent aussi haut. Il abonde en poissons de plusieurs es- pèces. Du côté méridional , on rencontre la péninsule de Chigomégan , qui a plus de vingt lieues de long , dans le voisinage de laquelle on trouve du cuivre vierge en blocs considérables. Ses rivages ne sont; à quelques endroits
NOTES. 4l3
près , qu'une suite de rochers extrêmement escarpés* Quoique sous une latitude aussi douce , le climat en est rude et le sol peu fertile.
(] 6) Le lac Huron. D'après les cartes françaises, il est entre les 43° 5o' et 46" 3o' : c'est le second des grands lacs, n a 34o lieues de circonférence , et sa surface est de 5,009,920 acres. Il communique avec le Michigan par le détroit de Micliillimakinack.
(17) Détroit. Ville bâtie par les Français il y a près d'un siècle , sur les bords fertiles du Détroit , ou rivière qui porte les eaux des grands lacs Supérieur^ Huron et Micliigan , à l'Erié. Elle contient trois cents maisons : les rues, qui se coupent à angles droits, sont alignées pa- rallèlement à la rivière. Depxiis la conquête du Canada, les Anglais l'ont environnée de fortes palissades flanquées par quatre redoutes. Les environs, ainsi que les rivages du Détroit, présentent aux yeux de belles et riches cam- pagnes , couvertes d'habitations décentes , environnées de cerisiers , de pêchers et de vergers : nulle part on ne peut manger de meilleur fruit ; les pommes cailles sont les meilleures qu'on puisse von\ L'intérêt que cette belle agriculture fait naître , est encore augmenté par l'idée du prodigieux éloignement de ce canton des derniers établis- semens du Canada , dont il est à plus de 1 5o lieues dans la profondeur du contiij^ent. Les indigènes qu'on y voit quel- quefois en grand nonîbre , sont les débris de l'ancienne et belliqueuse nation Huronne , pour lesquels les Français avoient fait bâtir une église de l'autre côté de la rivière.
Quoiqu'à 4oo lieues dti golfe Saint-Laurent , le com- merce de cette ville est très-considérable; la beauté de» quais , le nombre des vaisseaux qui partent et arrivent , y représentent l'activité et le mouvement d'un port de
4l4 ' NOTES.
îiier. Elle possède douze vaisseaux de 5o à i oo tonneaux : on n'en est point étonné , lorsque l'on considère l'étendue delà navigation intérieure dont elle jouit. D'un côté, le lac Erié, qui a plus de cent lieues de longueur; de l'autre , le Huron , le Micliigan et la Baie-Verte, encore plus éloi- gnés. Depuis la reddition des forts, cette ville est devenue le quartier général des forces américaines dans les cantons éloignés. Elle est sous les 42° 43'.
NOTES DU CHAPITRE XV.
(1) Passage du Potowmack. Le passage de ce fleuve à travers la chaîne des AUégliénis, connue sous le nom de Blue-Ridge, est un spectacle bien imposant. Le Sliénando, après en avoir baigné le pied pendant plus de trente lieues, paroît sur la droite ; sur la gauclie arrive le Poto wmack , et à l'instant où ces deux rivières unissent leurs eaux, elles francliissent cette chaîne, estimée avoir 3i4o toises de largeur. Pour quiconque a considéré attentivement ce grand et intéressant phénomène, il est évident que les rivières n'ont commencé à coiiler que très-postérieure- ment à la formation des montagnes -, qu'avant d'avoir pu se frayer un passage , elles remplirent toutes les vallées , jusqu'à ce que, parvenues au sommet de la Blue-Ridge , elles renversèrent , déracinèrent ces obstacles. Les frag- mens, les blocs de rochers éparssuï- les' rivages et au milieu de la rivière , l'examen des parois déchirées de cette mon- tagne , tout atteste une rupture , un passage obtenu par les eflbrts lents , mais non interrompus pendant le cours des siècles , d'un des plus puissans agens de la nature.
(2) Passage du Kanliawa. Semblable à celui du Vo- towmack à travers la Blue-Ridge , après avoir été grossi par le Shénando; le grand Kanhawa ne franchit les chaînes
N O T E S. 4l5'
da Laurier et crOuasioto qu'après avoir reçu dans son sein • les eaux duGreen-briar ; mais, soit que le volume n'en soit point assez considérable , ou que la masse des rochers dont -elles sont composées leur ait opposé une résistance invin- cible , l'ouverture n'est pas aussi profonde que celle à tra- vers laquelle coule le Potowmack. Dans plusieurs endroits, elle paroît n'être qu'une descente rapide. Ce spectacle n'en est pas moins intéressant à contempler , lorsqu'assis sur la cime d'un des promontoires de ces hideux rivages, on voit cet immense volume d'eau, dont la largeur est de cinq à six mille pieds , tombant de précipices en précipices avec un bruit déchirant : c'est plutôt un torrent impé- tueux qu'un grand fleuve , et ce torrent a plus de qua- torze lieues de longueur. Dans plusieurs endroits , il est divisé par des îles , ou arrêté par des rochers , contre les- quels il se brise avec une violence incalculable : dans d'au- tres encore , soulevés par les couches intérieures , ces cou- rans deviennent tou.t-à- coup des remoux couverts d'écumes, se précipitant en sens contraire. Matin et soir, ce conflit éternel remplit l'atmosphère de vapeurs qui obscurcissent la lumière du soleiL
Quels que soient un jour le nombre et l'industi-ie des habitans de ces cantons , la région que traverse ce fleuve depuis sa jonction avec le Green-bi-iar jusqu'à dix ou douze lieues de l'Ohio, ne sera jamais susceptible d'aucune cul- ture , tant cette grande chaîne d'Ouasioto est nue , âpre et brisée- Ces tristes solitudes , image la plus frappante de la nature brute et informe , ne seront jamais le séjour de la végétation ni de la vie.
(3) Canal de Hadley, La péninsule située à huit milles de Springfield, sur laquelle ce canal de deuxiHilles vient d'être établi, étant trop élevée pour que ses. eaux
fcK
4l6 NOTES.
pussent communiquer avec celles de la rivière Connecticu t, les bateaux , charge's et placés sur une forme ou berge , y montent et en descendent à l'aide d'un plan incliné fait en bois ; ils sont tirés par un cable et un cabestan qu'une roue fixée sur le bord de cette rivière fait tourner. Soi- xante à quatre-vingts milles plus haut, sont les chutes de Bellones, dans l'Etat de Vermont, auprès desquelles la même compagnie vient de couper un canal beaucoup plus commode , puisqu'au moyen d'écluses , les bateaux y entrent et en sortent de niveau avec les eaux de la rivière , dont la navigation intérieure s'étend aujourd'hui bien au-delà du collège de Dartmoutb.
(4) Canal de South-Bay. Vers l'extrémité méridio- nale du lac Cbaniplain, longue , étroite et profonde, con- nue sous le nom de Soutb-Bay, tombe la petite rivière de Wood-Creek; navigable pendant quinze milles, jusqu'à l'ancien fort Anne : une compagnie , incorporée en 1792, se propose d'en désobstruer la partie supérieure, et de couper un canal qui conduiroit à King'sbury , sur le Hudson. Les avantages qui en résulteroient sont si con- sidérables , que , quelque grandes que soient les dépenses , il convient au Gouvernement de New- York, le plus riche de tous ceux de l'Union , d'en faire les avances : alors les denrées de Vermont et des comtés de Washington et de Clinton, situés sur les rivages du lac Champlain, au lieu d'aller dans le Canada par Saint-John et Chambly, ser oient aisément transportées à Albany , et de-là à NcAv-York. Cette importante entreprise ne tardera pas à être exécutée.
(5) Poughépsie. Capitale du comté de Duchesse , dans l'Etat de New- York, située à un quart de lieue du Hud- son , sur la grande route d' Albany , et isur celle qui vient de Litchfields dans le Çonnecticut. Et^nt extrêmement
NOTES. 4l7
irnodemcj les maisons en sont bien bâties , les rues alignées et ornées d'arbres : elle a 35o maisons^ et près de 1800 lia- bitans. Avant la révolution , ce n'étoit qu'une petite bour- gade 011 résida le Gouverneur dé l'Etat de New- York , tant que les Anglais furent maîtres de la bapitale. Le paya dont elle est le centre , peut être considéré comme un des plus fertiles et le mieux cultivé de cet Etat. Le froment €st une des principales productions. Ceite jeune ville en- tretient six vaisseaux continuellement occupés au trans- port àes denrées du pays à Ne^v-York. Il y en a peti qui soient d'un produit aussi avantageux.
(6) Isle de ManJiatan. C'est le nom indigène de celle à l'exlTemité occidentale de laquelle est construite la ville de NcAV-York; elle a quinze milles de long sur un mille et demi de largeur. Quoique le sol en soit extrêmement ingrat et couvert de rochers , les riches habitans de cette ville st3||)t parvenus , à force de dépenses et de travaux , à vaincre la nature. De tous côtés , on voit des maisons d'une jolie forme, environnées de jardins productifs , d'arbres à fruit, d'acacias , de tulipiers , sur-tout sur les rivages de l'est et de l'ouest. Cette surface stérile et nue , ne ressemble plus à ce qu'elle étoit avant la révolution : les terreins en sont devenus aussi chers que dans le voisinage de Londres et d« Dublin. Il est peu d'étrangers et de voyageurs qui n'aient goûté , sous ces toits élégans , les charmes de l'hos- pitalité. Non loin de ces lieux pittoresques , vit le général Horatio Gates (le vainqueur de Burgoyn „), dans une jolie maison située dans le voisinage des rivages du Sond, dont les eaux , très-abondantes en poisson , sont sans cesse couvertes de vaisseaux qui vont aux Etats septentrio- naux ou en viennent. *
(7) Echos. M. John Watts, membre du conseil de
4l8. NOTES.
New- York en 1 764 , parlant an général Gage , alors com- mandant en chef dans les colonies , et résidant à New- York; des échos qui habitent cette chaîne de montagnes, l'engagea nn jonr à venir, par eau , dîner dans une maison qu'il y avoitfait construire. Pour le convaincre de la fidé- lité avec laquelle ces hamadriades transmettoient ce qu'on leur disoit jusqu'à une distance considérable, il plaça lui-même la musique militaire du Général, à 3l45 toises de-là, au milieu des bois et sur les bords du fleuve. Tout étoit favorable ; la marée montoit , le ciel ëtoit sans nuages , et l'atmosphère calme. Conformément à ce qu.e lui avoit dit M. Watts , le Général entendit dis- tiisr.tement les airs dont il avoit ordonné l'exécution. Les instrumens étoient un mélange de cors , de clarinettes , de flûtes , de haut-bois et de cimbales d'airain ; tantôt ils jouoient ensemble , tantôt séparément , suivant les ordres qui avoient été donnés par écrit aux musiciens , et dtfftt les convives avoient chacun une copie. — <( De tous les H) concerts auxquels j'ai jamais assisté, dit le général Gage, 5) je n'ai jamais rien entendu d'aussi pénétrant, d'aussi y) touchant , ni d'aussi suave ; ces accords , adoucis et trem- y* blans , produisent un effet harmonique qui m'élève et 3) m'attendrit. Voilà comme il faudroit en avoir aux spec- 5) tacles et dans les églises. Ce concert aérien a tous les 3) charmes de l'illusion , dont nos cœurs et nos imaginations )) ont souvent besoin )). — D'après les recherches les plus exactes , c'étoit la voix du cinquième écho qu'on enten- doit. Je parle de ce petit essai avec d'autant plus de con- fiance , que j'étois un des convives.
(8) (c Nous nous embarquâmes dans la barge du Général pour traverser la rivière , qui a près d'an mille de largeur. A mesure que nous approchions du rivage opposa, le fort
îsr o T E s, 4 19
Westpoîjit , qui , vu de la rive de l'est , paroissoit humble- ment situé au pied des montagnes , s'élevoit à nos yeux, iet sembloit lui-même le sommet d'un roclier escarpé ; ce rocher n'étoit cependant que le bord de la rivière. Quand je n'aurois pas remarqué que les fentes qui le partageoient en dififérentès places n'étoient que des embrasures de canons et de batteries formidables, j'en aurois été averti par treize coups de canon de 24, tirés successivement. C'étoit un salut militaire dont le général Heatb. vouloit bien m'bonorer au nom des treize Etats. Jamais honneur n'a été plus imposant ni plus majestueux : chaque coup de canon, après un long intervalle , étoit renvoyé par la rive opposée avec un bruit presqu'égal à celui de la décharge même ». (Voyage de Chastelux , tome i , page yo.) Note
INSEREE PAR LE TRADUCTEUR.
(9) Aigle pêcheur. J'étois chez M. S. Verplank, dont la pfantation n'est qu'à une petite distance de Fish-Kill ^, lorsqu'il me dit : — « Suivez-moi ; je veux vous faire voir avec quelle adresse mes pourvoyeurs vont prendre le poisson dont nous devons dîner aujourd'hui ». — Par- venus dans le plus profond silence jusqu'au dernier es- carpement du rivage, et cachés sous d'épais buissons ^ nous examinions attentivement la partie du fleuve qui se présentoit à nos yeux , lorsqu'à quelque distance de l'ar- rière d'un vaisseau qui le remontoit à pleine voile, j'ap- perçus une ondulation considérable dans le milieu du chenal, comme si on y eût lancé une grosse pierre; d'où, bientôt après, je vis un aigle pêcheur sortant péniblement du sein des eaux, tenant dans ses serres un poisson dont la longueur et les mouvemens tortueux paroissoient retar-
* Situé sut les bords du Hudson.
420 N O T E Si
der son vol : alternativement il s'élevoit , s'abaissdit coninïè près de succomber, s'élevoit encore : enfin ^ après bien des elForts, profitant d'une bouffée de vent favorable, il se dirigea lentement vers son aire, située non loin du lieu où nous étions cachés, lorsque M. Verplank me fit observer au-dessus de nos têtes son fier antagoniste, l'aigle à tête cliauve , lequel, à en juger par le trémoussement de ses ailes et ses regards agités, se préparoit au combat , ou plu- tôt à exercer le droit du plus fiDrt. Trop surchargé , l'aigle pêcheur ne fit aucune résistance, et abandonna sa proie j elle alloit échapper à l'avidité de son ennemi , lorsque celui-ci, par un effort d'adresse et un incroyable redou- blement de vélocité , s'en saisit au moment même où elle atteignoit le fleuve. Il approchoit de son nid , lorsque sur- pris, intimidé peut-être par le bruit que fit M. Verplank, il la laissa tomber. C'étoit une basse de mer (sea bass) pesant 21 livres. — « C'est ainsi, me dit mon ami, que souvent la proie du plus foible devient celle du plus fort. Cependant, continu a-t-il, dans la crainte d'éloigner ces oiseaux , dont le vol , l'adresse et les combats sont si inté- ressans à voir, il m'arrive rarement de les déranger; je n'ai commis aujourd'hui cette indiscrétion que pour vous faire jouir d'un des plus singuliers spectacles d'histoire naturelle que présente ce beau fleuve )>.
<{ De même, ajouta-t-il, que le corsaire à qui un ennemi enlève sa prise à la vue du port , entreprend une nouvelle croisière dans l'espérance d'être plus heureux ; ainsi l'aigle pêcheur s'élève de nouveau au haut des airs , d'où , avec la rapidité de la foudre , il se précipite sous les eaux , et reparoît tenant dans ses serres une nouvelle proie, qu'il parvient enfin à préserver de la violence de son ennemi , sur-tout lorsqu'elle est moins pesante. Ces oiseaux lestent
NOTES. 421
ici jusc[u'à ce que la basse retourne à la mer •, alors l'aigle à tête chauve part pour ses montagnes , et l'autre pour les bords de l'Océan , où il n'a plus de tribut à payer )>.
Ce talco jpiscatorius est grand;, a le vol élevé et rapide : ses ailes , longues et pointues , lui donnent une envergure considérable , proportionnellement à la grosseur de son corps. Il ne vit que du poisson qu'il prend; dédaignant celui que la mer rejette sur les rivages.
(lo) Pooplo^skill. Ce n'est qu'après avoir mis en mou- vement les marteaux de deux grosses forges et les soufflets de deux fournaises , connues sous le même nom , que cette petite rivière unit ses eaux à celles du Hudson , en s© précipitant du haut des rochers de la rive occidentale. Dans un temps calme, le bruit de cette belle cascade re« tentit au loin,
(il) Canon de retraite. Le fort Westpoint étant coU'- sidéïé comme place de guerre , dans laquelle le Gouver- nement a fait déposer une partie de sa grosse artillerie , ainsi que celle qui fut prise à Saratoga , il y entretient uns garnison de 200 hommes \ voilà pourquoi , soir et matin , GJi y tare un coup do canon.
(12) Duchesse et Colomhia. Comtes limitrophes,, situés sur le rivage oriental du Hudson. Ils occupent tout l'espace compris entre les montagnes et Albany , pendant trente-cinq lieues. Cette partie de l'Etat de New- York est extrêmement fertile, peuplée, et peut-être aussi bien^ cultivée qu'elle puisse l'être. L'art de l'irrigation y est connu depuis long-temps , non-seiilement pour l'arrose- ment des prairies, mais aussi pour celui des vergers. Nulle part on n'en peut voir d'aussi beaux que dans le district de Nine-Partners, d'Oswégo et d'Oblong, où l'on est étonné è. I9. vue de magnifiques herbages qiii tajnsseiit les hauteups
422 NOTES.
ainsi que la pente des collines. Ces cantons sont liat)ites par lin grand nombre de familles opulentes , qui , à l'habi- tude des voyages et à l'instruction , unissent le goût de l'agriculture.
NOTES DU CHAPITRE X V I.
(i) Hessian Fly. Les colons de l'île Longue s'éjant apperçus qu'un insecte, jusqu'alors inconnu, détruisoit leur bled dans le voisinage du camp des troupes Hessoises , lui donnèrent ce nom -, c'est une moucbe en effet. Aussi-tôt que la tige et l'épi sont formés , elle blesse avec son ai- guillon les parties supérieure et inférieure du premier joint de cette tige, dans lesquelles elle dépose ses œufs microsco- piques. A peine les petits vers sont-ils éclos , qu'ils inter- ceptent la sève et s'en nourrissent , et la plante meurt.. C'est de l'île Longue que ce nouveau fléau s'est répandu dans plusieurs Etats ; mais à mesure qu'il avance dans l'intérieur,* on observe que cette mouche abandonne les premiers lieux qu'elle a ravagés.
Il est très-douteux que cet insecte soit venu d'Europe, Le bled qui croît dans des terreins maigres ou mal cul-i tivés , est plus exposé à ses dégâts que celui qui pojissa dans des terres fortes ou bien fumées.
(2} Shelltngs et Piastres. La piastre, devenue la mon-» noie de compte , est divisée , d'après le nouveau calcul décimal, en cent parties, représentées par autant de pièces de cuivre appelées pence (sols). Avant la révolution, cette même piastre se divisoit en shellings, dont le nombre varioit dans les différentes colonies , depuis quatre et demi jusqu'à huit ; d'où il résultoit que le pound , tou- jours composé de vingt shellings , n'avoit pas une valetiï^ Informe. C'est pour ren^édier à ce grand inconvéïwerit ^
N O T B S. 423
que le Congrès a introduit la manière de compter en piastres, et parties décimales de piastres.
(3) Acheter des terres pour ses enfans. Les terreins que le Gouvernement général ou les Etats ont acquis des indigènes , sont devenus un grand objet de spéculation ; on en vend, ou on en acquiert lo, 20, 3oooo acres , avecaatant de facilité qu'une simple plantation. Cependant cet agio- tage ne se fait sentir que dans les villes. Plus timides ou plus sages , les cultivateurs se contentent d'en aclieter dea morceaux choisis , qu'ils conservent comme une réserve précieuse pour leurs enfans. Si ces acquisitions sont faites ' dans leur bas-âge, ils sont sûrs qu'à leur majorité , les pro- grès delà population en auront décuplé la valeur. L'achat de ces terres est beaucoup plus avantageux qu'un place- ment dans les fonds publics.
(4) Surinam. Chevaux. Avant la révolution, les colo- nies de la Guyane hollandaise n'admettoient dans leurs ports les vaisseaux du Connecticut , de New- York et de la Pensylvanie , chargés de comestibles , que sous l'ex- presse condition qu'il y auroit à bord un certain nombre de chevaux ; mais comme il arrivoit quelquefois qu:e l'on étoit obligé de les jeter à la mer dans un coup de vent, les capitaines , pour prouver qu'ils s'étoient conformés à la loi, en apportoient les queues ; de-là l'usage d^eu. avoir toujours un certain nombre à bord.
(5) Bermuda. La latitude de ce petit archipel , situé à 3oo lieues du continent , ainsi que celle dn cap Hatteras, sur les côtes de la Caroline septentrionale , étant l'inter- valle qui sépare les vents variables des alises, est très- sujette aux tempêtes-, de-là le proverbe marin: — Si le cap Hatteras ne vous dit rien, prenez garde aux Bermudes,.
(6) Surinam^ Rivière considérable de la Guyane liol-
A2i NOTES.
landaise , sur les bords de laquelle on a construit la viUe de Paramai^aïbo , qui en est considérée comme la capitale. On ne peut voir sans un mélange d'étonné ment et d'admi- ration , ce que la persévérance et l'industrie ont fait dans ce pays marécageux depuis un siècle. La grandeur des canaux, la richesse des plantations, l'élégance des maisons élevées sur leurs bords , tout y est frappant.
(7) Esséqidbo. Autre rivière à l'ouest de la précédente y sur laquelle on a bâti une ville du même nom , apparte- nant aussi à la Hollande.
/ (8) Nassau, Nom légal de l'île Longue, c'est-à-dire, celui dont on est obligé de se servir dans tous les actes publics et particuliers.
( g ) J^inaigre d'érable. Il ne se fait qu'avec la dernière sève du mois d'avril. Sa force dépend du plus ou moins grand degré d'évaporation qu'on lui donne.
(10) Cire verte. Les buissons ('myr/c» cerifera) , avec les baies desquels on fait cette cire , sont si communs depuis la Caroline jusqu'au Massacliussets, qu'on s'en sert pour difféï*ens usages. On en fait des bougies et des clian- délies, en y mêlant une quantité égale de suif j elle entre aussi dans le mélange avec lequel on espalme les vaisseaux. Je suis étonné que ces buissons ne soient pas encore cul- tivés en Europe.
(il) Cramherry. Le fruit de ce bel arbrisseau res-» semble beaucoup , par la couleur et l'acidité de son jus , à l'airelle des marais , connue dans ce pays sous le nom de cramberry, et à ce qu'on appelle en Géorgie, limoxis d'Ogeechée,'
(12) Goshem. Jolie bourgade , cbef-lieu du comté d'Orange , dans l'Etat de New- York , environnée de prai- ries et de cbamps bien cultivés. Les maisons , au lieii
NOTES. 425
d'être contiguës , sont séparées par des clos , des jardins oa de beaux vergers. Les liabitans y ont fondé nne académie incorporée , où un grand nombre de jeunes gens sont ins- truits et préparés à entrer à l'université.
NOTES DU CHAPITRE XVII.
( 1 ) Mont-Vernon. Cette demeure, à laquelle lïUustre Washington a donné une grande célébrité, est située sur le rivage occidental du Potowmact , rivage qui s'élève à 200 pieds au-dessus du niveau de ses eaux, et dont la largeur est de plus d'une lieue. Sur la gauche, on perd bientôt la vue du fleuve ; sur la droite , on en voit le cours pendant plus de cinq lieues ; en face , cette grande pers- pective est terminée par les collines éloignées , par les forêts et les plantations du Maryland.
Ira maison est revêtue de planches de cèdre peintes ,. et représentant des assises de pierre. On y arrive par une belle pelouse, environnée d'allées sablées, et plantée d'ar- bres. L'arrière est orné d'un portique qui a 96 pieds de long, supporté par huit colonnes. En le quittant, on se trouve sur une seconde pelouse, qui s'étend jusqu'à mi- côte ; là commence la clôture d'un grand parc boisé, dans lequel on voit bondir plusieurs d9,ims et chevreuils , les uns envoyés de l'Europe au Général, les autres venus des forêts de l'intérieur.
Deux galeries semi- circulaires conduisent aux ailes, aux basses-cours et au jardin, dans lequel on voit avec plaisir des pépinières d'arbres utiles , tirés en partie d'Eu- rope. Les terreins environnans sont bien cultivés ; mais les grandes fermes sont à trois ou quatre milles de distance. La grange est un immense édifice de brique , qui a plus de cent pieds de longueur, et presqu'autant de largeur, et
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dans laquelle le General a réuni des écuries , des étables^ et toutes les commodités nécessaires à une aussi grande exploitation. Il possède 1 6,000 acres dans ce voisinage ^ et peut-être 200,000 dans l'Etat de Virginie. Avant la révolution , il étoit considéré comme le premier agricul- teur du continent ; il avoit quarante cliarrues , et vendoit annuellement de lO à i4 mille boisseaux de bled. Comme un second Cincinnatus, il s'occupoit de ses travaux cham- pêtres, lorsqu'en 1789, la voix de sa patrie le força une seconde fois de quitter ses honorables foyers , pour re- prendre le timon des affaires et remplir les devoirs de la présidence , qu'il vient de quitter pour retourner encore aux douces et paisibles occupations de la culture. Veuille îc ciel prolonger jusqu'au dernier terme possible , les jours d'un homme, le premier, sans contredit, le plus grand de ce nouvel hémisphère , puisque son exemple est aussi utile à sa patrie pendant la paix , que sa sagesse et son courage l'ont été lorsqu'il cemmandoit les armées !
(2) Drowned- Lands. Prairie naturelle estimée con- tenir 70,000 acres, située en partie dans l'Etat de New- York et dans celui du Jersey j elle renferme plusieurs îles considérables couvertes de cèdres. La loi que les deux Etats viennent de promulguer , fait espérer que les travaux commencés depuis long-temps pour en désobstruer la partie orientale , seront bientôt terminés j alors cette immense surface étant entièrement desséchée , deviendra la princi- pale source des richesses de ces cantons.
(3) Beurre y fromage. Long-temps avant que les pro- priétaires de cette vaste prairie eussent réuni leurs efforts pour faire écouler les eaux , ses bords étoient cultivés , couverts de bestiaux et de chanvre. La quantité de beurre et de fromage qu'on exporte de ce canton est prodigieuse.
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et augmente tons les ans : on en embarqua à Ne w-Burgli, l'année dernière; près de 90 milliers.
( 4 ) High-Lands. Nom sons lequel on connoît cette cliaîne de montagnes qui traverse l'Etat de New- York à vingt lieues de la ^ler *, elle n'en a que sept de largeur. C'est une branche de celle qu'on appelle en Pensylvanip^ Kittaling-Mountains.
FIN DU TOME P R E 3VÎ I S R.
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