' '< I ^ *.s ■***&È »* w* * i. L? VOYAGE L'ASTROLABE. LE VOYAGE DE L ASTROLABE se compose des parties suivantes : première Biwsum. V Histoire dc Voyage, rédigée par M. Dumont d'Urville; j^ volumes grand in- 8, papier grand-raisin superfin ; avec plus de 100 Vignettes en bois ou en taille-douce , 5 Cartes grand in-folio , et un AUas dc au moins 240 Planches lithographiées sur demi-feuille jésus-vélin. Météorologie, Magnétisme, Température de la Mer, etc. , Mémoire rédigé par M. Arago, de l'Académie des Sciences; t volume in-8. Deuxième Dbistort. I Botanique. Texte par MM. Lesson jeune et A. Richard; 1 volume in-8; r Atlas de 80 Planches au moins en taille-douce, la plupart coloriées, sur demi-feuille jésus-vélin. QLroisièmc Bioision. Zoologie, rédigée par MM. Quoy et Gaimard; 5 forts volumes in-8, avec Atlas de 200 Planches au moins, gravées en taille-douce, imprimées en couleur, relevées au pinceau; sur demi-feuille jésus-vélin. €Luatrième Dioisioit. Partie Entomologique , rédigée par M. Latreille , de l'Académie des Sciences; 1 volume in-8, avec 12 Planches en taille-douce, imprimées en couleur et relevées au pinceau, sur demi-feuille jésus-vélin. Cinquième Dioiôion. Hydrographie. Atlas d'environ 53 Cartes ou Plans, gravés par les soins du gouvernement , suivi d'un volume de texte , rédigé par M. Dumont d'Urville. imprimerie de j. tastu. VOYAGE LA CORVETTE L'ASTROLABE «Êmutc par (Drùre lui î\oi , PENDANT LES ANNÉES 1826-1827- 1828-1829 «OIS l.r COMMAMDIME? DE M. J. DUMONT D'URVILLE, CAPITAINE DE VAISSEAU. POBLtl Par (Prùonnatuc bt Sa fila\cttt. HISTOIRE DU VOYAGE. # TOME PREMIER. PARIS J. TASTU, ÉDITEUR-IMPRIMEUR, W° 36, RUE DE VAUGIRARD. 1830 Digitized by the Internet Archive in 2011 with funding from Duke University Libraries http://www.archive.org/details/voyagedelacorvet11dumo DISCOURS PRELIMINAIRE. L'immortel Colomb venait de découvrir un nou- veau monde, et Ton savait seulement qu'un Océan immense le ceignait à l'ouest comme «à Test, mais on ignorait, l'étendue, les limites de ce bassin, et Ton n'avait aucune idée des terres qui pouvaient se trouver sur sa surface. A peine écbappée à l'ignorance du moyen-âge , l'Europe était encore bien loin d'avoir atteint ce baut degré de civilisa- tion, ce noble amour des sciences et de la gloire qui la caractérise aujourd'hui, et. qui a conduit plusieurs souverains à faire exécuter de nos jours tant de belles expéditions pour l'intérêt seul de la science et de l'humanité. Au commencement du seizième siècle , la soif des conquêtes et les spécu- lations mercantiles pouvaient seules déterminer les monarques ou les gouvernemens à montrer n DISCOURS PRELIMINAIRE. leur pavillon à l'extrémité du globe, tandis que les hommes qui montaient ces vaisseaux n'étaient guère animés que par l'appât du gain et l'espoir du pillage. Des aventuriers avides ne voyaient que l'or pour but de leurs travaux , ils ne de- mandaient que de l'or aux terres qu'ils décou- vraient , et celles qui n'offraient point à leur cupidité ce métal précieux , cessaient à leurs yeux de mériter le plus léger intérêt. On sent qu'avec de telles dispositions et sous l'influence exclusive de pareils sentimens , ces navigateurs ne purent rendre de grands services à l'hydrographie : aussi leurs découvertes furent-elles souvent enveloppées d'incertitude et même de doutes sur leur exis- tence. L'identité des terres vues jadis par Mindana avec les îles Salomon d'aujourd'hui était encore un fait contesté par divers géographes, quand l'in- génieux travail du sage Fleuri eu répandait déjà une lumière très-vive sur ce sujet ; mais il fallut les beaux travaux de M. d'Entrecasteaux, et le témoi- gnage de divers capitaines anglais , qui passèrent près de cet archipel, pour décider la question. Combien d'iles vues jadis par Quiros, Tasman et Roggewin , ont été long-temps regardées comme imaginaires , jusqu'au moment où des navigateurs DISCOURS PRELIMINAIRE. in modernes les ont retrouvées et placées d'une ma- nière plus exacte! Combien d'autres îles, enfin, restent à découvrir une seconde fois ! Cependant , comme il est juste de rendre à chacun ce qui lui est dû, indépendamment du motif qui a pu le guider, liàtons-nous d'énumérer les noms et les voyages des capitaines que l'ambition ou la cupi- dité seules attirèrentdans ces mers, avant que de plus nobles sentimens y conduisissent les Européens. Le premier, traçant la route à ses successeurs, en l'an i5^o, l'audacieux Magellan, s'élance dans l'Océan-Pacifique par le détroit qui porte son nom, le traverse dans toute son étendue , n'y rencontre que trois ou quatre petites îles dont la position n'est pas encore bien connue, découvre ensuite les iles des Larrons ou les Mariannes, et enfin les Phi- lippines , où il est tué en combatlant contre les naturels , et laissant un nom désormais célèbre dans les fastes de la navigation. Garcia deLoaysa, qui le suit en i5a5, meurt sans faire aucune découverte importante , ainsi que le fameux Sébastien del Cano son vice-amiral, qui avait ramené le vaisseau de Magellan. Leur successeur, Alfonse de Salazar, n'ajoute à la géographie que la petite île de Saint-Barthélémy (dans les Caro- iv DISCOURS PRELIMINAIRE. Unes) et quelques îles dans l'archipel des Larrons. En i52Ô, Fernand Cortez, alors gouverneur du Mexique, avide d'étendre ses conquêtes, expédie son parent Alvar de Saavedra vers les Moluques. Sur sa route , ce voyageur découvre un groupe auquel il donne le nom ailles des Rois, et, en re- venant de Tidor au Mexique , il a la première con- naissance de la Nouvelle-Guinée , île immense et destinée à rester si long— temps imparfaitement connue. On ne sait pas trop ce que peuvent être ses Iles des Barbus, à 10 à i3° de latitude N. Hurtado et Grijalva, envoyés sept ans après par le même Cortez, découvrent une île Saint-Thomas aussi mal constatée que les précédentes. Le voyage de Juan Gaëtan , en i542, offrirait un grand intérêt , puisqu'il vit une foule d'îles dans la partie septentrionale du Grand-Océan, et surtout plusieurs de celles qui prirent ensuite le nom de Carolines, comme les Jardins, Arrezife, Matelote, Rocca-Partida, etc. Mais toutes ces dé- couvertes furent si vaguement indiquées qu'elles restèrent long-temps douteuses. Il en est de même de la reconnaissance qu'il paraît avoir faite de la Nouvelle-Guinée, et dont les détails demeurèrent ignorés du reste de l'Europe par une consé- DISCOURS PRÉLIMINAIRE. y qùence de l'esprit mystérieux du cabinet espagnol. Plus fécond en découvertes que tous les précé- dens, le voyage de Mindana parti du Pérou en i56j, procure à la géographie la connaissance de la petite île Jésus et de ces fameuses îles de Salomon qu'il explora avec tant de soin , et dont la position fut néanmoins si long-temps incertaine. Dix ans plus tard l'intrépide Drake est le pre- mier Anglais qui renouvelle l'entreprise de Magel- lan; et, comme lui, ce capitaine ne rencontre que quelques îles qu'il signale si vaguement que , par la suite, on n'a pu retrouver leur vraie position. En i587, Thomas Candish passe des'côtes de la Californie aux îles Marianne s sans rien voir. Alvar de Mindana , ardent à poursuivre ses pro- jets de colonisation, repart de Payta en i5q5; il ne retrouve point ses îles de Salomon, mais dé- couvre l'archipel des Marquises, les îles Saint- Bernard (qu'on croit être les îles du Danger, de Byron), l'île Solitaria qui est à revoir, et enfin la belle et grande île de Santa-Cruz; il tente vai- nement de fonder une colonie dans cette île où l'on perd la trace de son histoire. De Cordes et Van-Noort, en 1600, traversent l'Océan-Pacifique sans faire de découvertes car yi DISCOURS PRELIMINAIRE. on ne peut guère deviner ce que peuvent être de prétendues îles vues par le vice-amiral Beunin- gue par i6° latitude N. et habitées par des antro- pophages , à moins que ce ne soit quelqu'une des Ues Sandwich. Nous arrivons à un navigateur d1un ordre supé- rieur pour ces temps d'ignorance. La marche de son voyage, combinée avec plus de méthode, donne lieu à de nombreuses découvertes ; et des observations moins vagues que celles de ses devan- ciers ont fourni le moyen de les retrouver toutes, à peu de chose près. Je veux parler de Fernand Quiros, pilote de Mindana dans son dernier voyage, et qui, pilote encore en 1608 sous les ordres de Paz de Torres, parait néanmoins avoir dirigé la campagne. Sa Sagittaria est certaine- ment Taïti; Tikopia a été retrouvé , et ses îles du Saint-Esprit sont les Cyclades de Bougainville ou la partie septentrionale des Nouvelles-Hébrides. On a cru voir Encarhacion dans Pitcairn, Dezena dans Maïtea, et Gente-Hermosa dans les îles du Danger. Enfin , Mallicolo vient d'être reproduit dans Vanikoro, et son île Taumako existe certaine- ment peu loin de Santa-Cruz. Une nouvelle explo- ra! ion des îles de l'archipel Dangereux fera con- DISCOURS PRELIM1NA1RK. yn naître probablement San-Jaaii-Batista , Sant- Elmo, la Conversion de San-Pablo. Passons promptement sur le voyage de Spilberg en i6i5 et 1616, qui, n'ayant rencontré au nord de la ligne que deux ou trois îlots encore indé- terminés, ne devra peut-être sa triste célébrité qu'au traitement injuste et barbare que cet amiral eut à exercer, au nom de la Compagnie, envers le célèbre et malbeureux Jacques Lemaire. Celui-ci, de concert avec Scbouten, venait d'im- mortaliser son nom par la découverte du détroit de Lemaire , des îles des Chiens, Sans-fond, TVatei\ des Mouches, des Cocos, des Traîtres, Espérance, Horn ; il avait encore reconnu les îles nommées par Tasman, Ont on g- Java , Vertes, Saint- Jean , Moïse , et plusieurs autres sur la côte nord de la Nouvelle-Bretagne et de la Nouvelle-Guinée , qu'il avait laissées sans nom, car il avait prolongé pres- que entièrement toute rétendue de cette grande terre. Je ne parlerai point ici des découvertes faites successivement de 1616 à 162g sur divers points de la Nouvelle-Hollande par Hertog, Zeachen, Edels, Nuitz , Witt, Carpenter et Pelsart. Je mention- nerai à peine Jacques Hermile qui, en i6?4> se tiii DISCOURS PRELIMINAIRE. rendit d'Aeapulco à Guam sans rien trouver 'sur sa route. Mais on doit citer avec honneur, Tasman , le plus remarquable des navigateurs du dix-sep- tième siècle, après Lemaire et Dampier. Dans un premier voyage , en 1642 et i643, il découvre la Nouvelle-Zélande , File des Trois-Rois , File Pyls- tart, plusieurs des îles des Amis, quelques-unes des îles Viti, les îles Antoine, Caens, Gardener et Vischers, et prolonge une partie de la côte-nord de la Nouvelle-Guinée. Dans un second voyage ce capitaine paraît avoir fait d'importantes décou- vertes sur la côte méridionale de cette grande île , mais la politique de la Compagnie hollandaise les a constamment tenues cachées au reste de l'Europe. Le voyage de Cowley, en i683, ne mérite guère d'être cité que parce que ce capitaine reconnut d'une manière positive les îles Gallapagos jusqu'a- lors très-vaguement indiquées. En 1696, vingt-neuf habitans des îles Palaos sont jetés, par une tempête, sur les côtes de Samaî, et procurent ainsi la première connaissance de leur archipel. Dans l'espace de quinze à vingt ans après cet événement , elles sont visitées par divers navires espagnols qui les déterminent d'une ma- nière assez précise pour ces temps. DISCOURS PRELIMINAIRE. ix Dampier, le plus judicieux des navigateurs de cette époque, est expédié en 1699 pour faire de nou- velles découvertes dans les mêmes parages. Son expédition n'eut pas tout le succès qu'on eût pu attendre d'un marin si expérimenté et d'un ob- servateur si laborieux. Cependant il vit encore la côte nord de la Nouvelle-Guinée , découvrit les îles Mathias et Orageuse, reconnut la côte orien- tale de la Nouvelle-Irlande , et la côte méridionale de la Nouvelle-Bretagne, et, franchissant le premier le détroit qui porte son nom, sépare cette dernière île de la Nouvelle-Guinée. Il découvre ensuite les îles du Volcan, Couronne, G. Rook, Longue, Rich, le long de cette terre. Toutes les descrip- tions de ce navigateur sont exactes : mais, comme ses prédécesseurs, privé de moyens sûrs pour dé- terminer les longitudes , son voyage ne peut que prouver l'existence de ces terres sans assurer leur position. Huit ans plus tard , il parcourt encore , en qualité de pilote, l'Océan-Pacifîque avec le capitaine Rog- gers, mais sans rien trouver de nouveau. François Padilla, en 1710 , commence la recon- naissance des îles Palaos ; le mauvais temps le force de les quif ter sans l'avoir terminée. x DISCOURS PRELIMINAIRE. La Barbinais traverse en 1716 ce même Océan , sans rien voir. Roooewin, en 1722, découvre l'île de Pâques, 00 ■ les îles Pernicieuse, Aurore, Vêpres, Labyrinthe, Récréation, Bauman, Tienhoven, Groningue et les Mille-Iles. Dans ce nombre quelques-unes sont à retrouver. Là s'arrêtent les voyages de découvertes entre- pris dans Tunique but de conquérir de nouvelles terres, et d'y chercher de For ou des productions précieuses. Car on ne peut placer dans cette caté- gorie le voyage d'Anson, entrepris seulement pour ravager les possessions espagnoles, saisir leurs na- vires et ruiner leur commerce ; d'ailleurs il ne produisit rien autre pour la géographie que quel- ques documens plus détaillés sur quelques mouil- lages peu connus. Plus de quarante années s'écoulent avant que le goût des grandes navigations se réveille en Eu- rope ; mais un nouvel esprit doit caractériser celles qui vont suivre. Le noble amour de la gloire , le désir de perfectionner la connaissance de notre globe, en seront le principal but; désormais des actes de cruauté souvent aussi inutiles que honteux ne signaleront plus l'apparition des Européens DISCOURS PRÉLIMINAIRE. x, chez, des peuples enfans. Nous devons convenir que F Angleterre donna la première ce bel exemple aux autres nations, mais aussi nous pouvons ajou- ter que la France le suivit avec honneur. Ce fut sous de pareils auspices que Byron navi- gua dans la mer du Sud, en 1764 et 1766. Cepen- dant son voyage fut peu fructueux , et la géogra- phie n'en retira que la connaissance des petites îles Désappointement, Roi-Georges, Prince de Galles, Duc d'York et Byron. Wallis le suit de près. En 1767, il signale les îles Pentecôte, Reine-Charlotte, Egmont, Glo- cester, Cumberland, Prince-Henry, Osnabrugli; vi- site Ta'iti, découvre celles du Duc-d'York (Eiméo), Charles-Saundcrs, Lord-Howe, Scilly , Boscawen , Kcppel, Wallis, et reconnaît les îles Pcscadores. Dans la même année et dans la suivante, son com- pagnon Carteret découvre les îles Pitcaim, Évcque- d'Osnabruck, Duc-de-Glocester , reconnaît les îles de la Reine- Charlotte (Santa-Cruz de Mindana), découvreles îles Gower, Simpson, Carteret, Charles- Hardy, JVinchelsea, le Canal Saint-Georges, et sépare ainsi la Nouvelle-Irlande de la Nouvelle- Bretagne, la Nouvelle- Hanovre, les îles Portland, de V \imirau(('\ Duroin, 1/7//7» , Stephens, Freesvill kil DISCOURS PRELIMINAIRE. et Courant. Il eut (Tautant plus de mérite à exé- cuter ces nombreuses découvertes que son na- vire était fort mauvais et privé de toutes les muni- tions nécessaires à un pareil voyage. Dans les mêmes années encore , notre célèbre Bougainville, ouvrant la carrière de ces navigations aux Français, ajoute à la géographie les îles des Çuatre-Facardins , des Lanciers, de La Harpe, onze îles dans l'archipel Dangereux; visite Ta'iti , découvre l'archipel des Navigateurs, V Enfant- Perdu; retrouve les terres du Saint-Esprit de Quiros qu'il nomme Cyclades ; découvre les îles de la Louisiade ; reconnaît plusieurs des îles Salomon, et termine enfin ses nombreuses découvertes par les îles des Anachorètes et de l'Echiquier. Ce voyage, déjà fort important par lui-même, l1 aurait été bien davantage si Ton eût pu fixer exactement la position des îles aperçues , et si les détails géo- graphiques eussent été plus soignés. A Cook était réservé l'honneur d'ouvrir une nouvelle ère pour la géographie dans ces para- ges. Non content de voir et d'annoncer de nou- velles terres , comme avaient fait ses devanciers , il détermina leur position avec soin , et cher- cha à tracer leurs gisemens et les contours de DISCOURS PRELIMINAIRE. xm leurs côtes avec toute la précision que pouvaient comporter les méthodes en usage de son temps. Aussi toutes ses découvertes sont restées authen- tiques, et il a fallu que les opérations hydro- graphiques fussent portées à un très-haut point de perfection pour qu'on pût se convaincre que ses reconnaissances laissaient encore beaucoup à dé- sirer. Toutefois on ne saurait lui refuser le titre de fondateur de la véritable géographie dans l 'Océan-Pacifique ; ceux qui sont venus après lui sur les mêmes lieux n'ont pu prétendre qu'au mé- rite d'avoir plus ou moins perfectionné ses travaux. Les fruits de son premier voyage en 1769 et 1770, sont la découverte de l'île de la Chnmc, des îles de la Société qui environnent Taïti; la reconnaissance complète de la Nouvelle-Zélande , de toute la côte orientale de la Nouvelle-Hollande, et enfin du détroit de Torrès. Ces trois derniers travaux lui valurent l'admiration générale des ma- rins et des géographes, ils relevèrent en un instant au-dessus de tous les navigateurs qui l'avaient précédé , et donnèrent la mesure de ce qu'on pouvait attendre du courage inébranlable , de la profonde sagacité et de la persévérance opiniâtre de ce grand homme. xiv DISCOURS PRELIMINAIRE. Surville, en 1769, reconnut plusieurs des îles Salomon , qu'il prenait alors pour la suite des terres du Saint-Esprit de Quiros , et découvrit la vaste baie d' Oudoudou sur la partie N. E. de la Nouvelle-Zélande , où il était mouillé , tandis que Cook traçait les contours de ces grandes îles. Quinze mois plus tard, en mars 1771 , l'infor- tuné Marion mouilla ses vaisseaux dans la baie des Iles; il y trouva la mort, mais ses compagnons recueillirent une foule de documens intéressans sur les mœurs des naturels, documens dont les voyages subséquens ont démontré l'exactitude. L'Espagnol Domingo Boenecheo, dont l'expédi- tion à Taïti est si peu connue , paraît avoir décou- vert, en 1772 et 1773, les îles San-Simon, San- Quintin, Narcisso. La seconde n'a pas été revue depuis. Le célèbre Cook reprend la mer en 1772, et, dès l'année suivante, découvre les îles Douteuse, Harvey, Palliser, Palmerston, Sauvage, Tortue, la Nou- velle-Calédonie, des Pins, Botanique, Norfolk, et reconnaît avec son exactitude accoutumée les ar- cbipels des Amis , des Marquises , des Terres du Saint-Esprit (Nouvelles-Hébrides suivant lui). Cette expédition confirme sa réputation , et le DISCOURS PRÉLIMINAIRE. xv gouvernement anglais lui décerne la juste récom- pense de ses glorieux travaux. Mais cet infatigable marin ne peut résister à l'attrait d'ajouter d'autres lauriers à ceux qui cei- gnent déjà sa tête; un nouveau voyage, qui doit lui être funeste , élèvera son nom au plus haut degré de gloire. En i777, il découvre les îles Mangea, ÏVatiou, Okatootaïa, Toubouai, Noël, l'impor- tant archipel des îles Sandwich; c'est en voulant l'explorer avec plus de soin, au retour de ses belles reconnaissances vers le détroit de Behring, qu'en février ,779 ce grand homme succomba sous les traits des naturels d'Owhyhee. Les voyages de Cook eurent le mérite , alors tout-à-fait extraordinaire, de ne pas enrichir la navigation seule, mais toutes les sciences; celles qui tiennent à l'histoire naturelle, durent surtout à ces expéditions de précieuses acquisitions. Les observations en tout genre des Banks, des Solan- der, des Anderson, et surtout des deux Forster, donnèrent de nouveaux aperçus sur la géographie physique du globe, en même temps qu'elles firent le charme principal de ces voyages, lors de leur publication. Quelque incorrectes que l'on trouve ses positions, xvi DISCOURS PRELIMINAIRE. et tout arriéré qu'il soit pour son siècle, nous devons mentionner rapidement les découvertes de l'Espa- gnol Maurelle. Parti de File Luçon , il découvre, en 1 78 1 , les Ercmitanos, Monjos, Amargura, Latta, Mayorga ou Vavao , et Vasquez qui n'a plus été retrouvé, Consolation, Gran-Cocal et Saint-Au- gustin. Comme ses longitudes sont très-fautives, on a souvent éprouvé de rembarras pour constater l'identité de ces îles avec d'autres îles aperçues aux mêmes lieux par les navigateurs postérieurs à lui. Ce fut dans le même esprit que celles de Cook , et sur une échelle plus libérale encore, que le gouvernement français conçut et prépara l'expé- dition aux ordres de notre illustre La Pérouse, en 1785. Si la fortune lui eût permis de revoir sa patrie, nul doute que ses travaux géographiques n'eussent rivalisé avec ceux de Cook , et ne les eussent surpassés en précision , grâce au- perfec- tionnement des instrumens et des méthodes. Les autres sciences aussi pouvaient tout attendre du zèle infatigable et du mérite éclatant des savans qui accompagnaient cet infortuné voyageur. Nous savons du moins qu'en 1786 il découvrit dans l'Océan-Pacifique l'île Necker , et l'anne'e sui- vante plusieurs des îles des Navigateurs, indé- DISCOURS PRELIMINAIRE. xvn pendamment de ses belles explorations sur la côte nord-ouest d\Amérique, sur celles du Japon et dans la manche de Tartarie. G. Bligh, expédié en 1787 pour aller prendre aux îles de la Société des plants d1 arbres à pain, des cannes à sucre et autres plantes utiles , découvre au sud de la Nouvelle-Zélande le petit groupe des îles Bounty, File Whytoutaki. Abandonne' dans sa chaloupe, en 178g, parles mutins de son vaisseau, il parvient à opérer sur un si frêle esquif son retour à Timor, et découvre sur sa route plusieurs des îles Viti , un nouveau groupe au nord des Nouvelles- Hébrides qu^il nomme îles de Banks , et qui avaient été jadis vues par Quiros; enfin plusieurs îles nou- velles dans le détroit de Torrès. Immédiatement après son retour, Edward Ed- wards, envoyé en 1790 à la recherche des mutins du Bowity, découvre dès Tannée suivante dans ces mers les îles Ducie, Ilood, Cary s fort, York, Cla- rence, Grenville ou Ro tourna, Mitre et Cherry. Il avait en outre reconnu les îles des Navigateurs , et celles de Vavao encore peu connues. Marchand, parti de Marseille pour une spécula- tion commerciale, reconnaît en juin 1791 cette partie dies îles Marquises à laquelle il donne le 6 xvi ii DISCOURS PRELIMINAIRE. nom d'îles de la Révolution, et qui comprend les iles Noukahiva, Uahuga, Uapoa, etc., que quel- ques semaines auparavant venait de découvrir l'A- méricain Ingraham. Vancouver ne peut être comparé à son maître Cook, pour l'importance et la quantité des tra- vaux , mais le surpasse beaucoup pour l'exactitude et le mérite des reconnaissances. C'est à lui que commence la bonne géographie de détail. On re- grette seulement que son voyage n'ait pas rendu les mêmes services aux autres sciences , parce qu'il manquait de collaborateurs capables de les enri- chir par leurs observations. En Polynésie , il dé- couvre dans le cours de 1791 les Embûches et Oparoj Broughton , qui commande sa conserve, découvre de son côté les îles Chatam et Vavitou. Nous ne suivrons pas les deux voyageurs dans leurs belles explorations de la côte nord-ouest d'Amérique. Le général d'Entrecasteaux est envoyé en 1791 à la recherche de La Pérouse, et pour exécuter de nouvelles reconnaissances dans cet Océan. Par leur suite, par leur exactitude, et par la confiance qu'ils peuvent inspirer , ces travaux surpassent tout ce qui avait été fait jusqu'alors, et n'ont en- DISCOURS PRELIMINAIRE. xix core été surpassés par aucun de ceux qui ont été exécutés depuis. La géographie doit à la campagne de d'Entrecasteaux la reconnaissance détaillée de toute la côte occidentale de la Nouvelle-Calédo- nie , et des immenses brisans qui la ceignent au nord, de plusieurs des îles Salomon, du canal Saint- Georges , des îles de l1 Amirauté , de l'archipel de Santa-Cruz, de toute la partie septentrionale de la Louisiade, des îles au nord de la Nouvelle- Bretagne et d'une partie de la Nouvelle-Guinée, près du cap de Bonne-Ëspérance. Dans ces belles explorations se trouve comprise la découverte d'un grand nombre d'îles et îlots inconnus jusqu'alors. L'Espagne aussi eût pu s'enorgueillir des esti- mables travaux exécutés, par Malespina, dans les mêmes mers et à peu près à la même époque. Mais le traitement odieux qu'elle fit subir à ce grand capitaine et à ses dignes compagnons de voyage lui a pour jamais ravi l'honneur qu'elle eût pu retirer de leurs observations. Ce sera même à d'autres nations qu'on devra la connaissance dé- taillée de cette expédition. Les deux voyages de Vancouver et de d'Entrecas- teaux, exécutés à peu près dans le même temps, et fous deux également estimables pour le prix et le b* xx DISCOURS PRELIMINAIRE. nombre des résultats , semblent avoir simultané- ment épuisé le zèle de la France et de F Angleterre. L"une et l'autre renoncent à envoyer de nouvelles expéditions scientifiques dans les mers du sud, en sorte que les découvertes qui s'y font ne sont dues qu'à des marins en retour ou à des baleiniers qui rencontrent des îles sans les chercher. Elles ne font partie d'aucun plan suivi de recherches ; aussi, par une conséquence naturelle, leurs positions re- latives laissent souvent des doutes. Cependant, grâces au perfectionnement des chronomètres et à l'excellente précaution qu'ont les Anglais et les Américains naviguant dans ces mers, d'en être toujours pourvus , les erreurs sont resserrées dans des limites assez étroites, et il est rare que l'on ne puisse retrouver ces terres sur les indications des premiers découvreurs. C'est ainsi que l'Océan-Pacifique se peuple suc- cessivement des îles suivantes que j'ai réunies sous la forme d'un tableau. DISCOURS PRELIMINAIRE. XXI NOMS DES CAPITAINES NOMS DES ILES ou ÉPOQUE. DÉCOUVERTES. NAVIRES QUI ONT DÉCOUVERT. Mathews (rocher). Gilbert (capitaine). 1788 Charlotte (banc). Idem. Id. Gilbert (île). Idem. Id. Rnox (île). Idem. Id. Charlotte (île). Idem. Id. Mathews (ile). Idem. Id. Shortland (île). Shortland (capitaine). Id. Middloton (île et banc). Idem. Id. Henderville (île). Marshall (capitaine). Id. Hopper (île). Idem. Id. Harbottle (île). Idem. Id. Mulgraves (ile). Idem. Id. Macanley et Curtis (îles). Watts (capitaine). Id. Penrhyn (ile). Sever (capitaine). Id. Howe (ile). Bail (capitaine). Id. Stewarl (îles). Hunter (capitaine). I791 Muskito (groupe). Royal- Admirai (navire). 1792 Barings (ile). Idem. Id. Hunter (ile). Fearn (capitaine). 1793 Seven Islands et un autre groupe. Sugar-Canc (navire). Id. Saint-Yincent (port). Kent (capitaine). Id. Durand (récif). Butler (capitaine). r794 Walpolc (ile). Idem. Id. Rennel et Bcllona (ile). Idem. Id. Young Williams (ile). Young- Williams (navire). I795 Caroline (ile). Broughton (capitaine). Id. Mortlock (ile). Mortlock (capitaine). 1796 Barwell (ile). Baiwell (navire). 1798 Drummond (île). Bishop (capitaine). '799 Sydenham (île). Idem. Id. Peuantipode (ile). 1800 Pleasaut (ile). Fearn (capitaine). r8or Mattouchy (ile). Bishop (capitaine). Id. Flint (ile). Id. Palmyre (île). Sawle (capitaine). 1802 Margaret (île). Turnbull (capitaine). i8o3 Buyers (groupe). Idem. Id. Philips (ile). Idem. Id. Holt (ile). Idem. Id. Loyalty (îles). // alpolc, Britania (navires). 1800 XXII DISCOURS PRELIMINAIRE. NOMS DES CAPITAINES NOMS DES ILES ou ÉPOQUE. DÉCOUVERTES. NAVIRES QUI ONT DECOUVERT. Océan (ile). Océan (navire). 1804 Strong ou Ualan (ile). Crozer. Id. Auckland (iles). Bristow (capitaine). 1806 Sydney-Shoal (écueil). Forrest (capitaine). Id. Hope (ile). Elizabeth (navire). 1809 Paterson (ile). Idem. Id. Banham (ile). Idem. Id. Campbell (ile). Hazelburgh (capitaine). 1810 Macquarie (ile). 1811 Laughlan (île). Laughlan (capitaine). 1812 Dublon (ile). Dublon (capitaine). 1814 Souworoff (île). Lazareff (capitaine). Id. Arthur (île). 1818 Nicholson (deux écueils). Nicholson (capitaine). Id. Peyster (île). Peyster (capitaine). 1819 Ellice (île). Idem. Id. ■Elisabeth (ile). King (capitaine). Id. Jarvis (ile). Brown (capitaine). 1822 Minerve (île). Minerve (navire). Id. Hunter (île). Hunter (capitaine). 1823 Bordelaise (île). Saliz (capitaine). 1826 Fo veaux (détroit). Chase. 1809 Banks (presqu'île). Idem. Id. Dans Tannée 1792, le capitaine Bligh fît un second voyage dans la mer du Sud pour remplir la mission dans laquelle il avait échoué quelques années auparavant. Il découvrit de nouvelles îles, surtout dans F archipel VitiJ; mais son voyage n'ayant point été publié, je ne puis en signaler exactement les résultats. D'ailleurs ce marin n1a DISCOURS PRELIMINAIRE. xxm jamais apporté une grande précision dans ses opé- rations. Wilson , en 1796, fut chargé de conduire des missionnaires dans les diverses îles de la Polynésie ; il a le mérite d'avoir opéré avec méthode, d'avoir visité plusieurs de ces îles, et surtout d'avoir donné une bonne relation de son voyage. Ce navigateur découvrit, en 1797, les îles Creseeni , Gambier , Séries parmi les îles basses; Danger, Middleton , Direction, Ross, Clusters et Farcwell dans l'archipel Viti , le groupe de Duff^vhs Santa- Cruz, et enfin dans les Carolines les îles Tucka\ Swede, Sis t ers et Treize-Iles. Une nation qu'on ne s'attendait guère à voir pa- raître en lice dans ces climats, la Russie fut la pre- mière , au dix-neuvième siècle , à y renvoyer une expédition , et Krusenstern le premier promena le pavillon des czars dans la mer du Sud. Son voyage, qui s'effectua en 1804 et i8o5, tenait plus à la diplomatie qu'à la science; il produisit cependant des résultats estimables, mais n'ajouta aucune terre nouvelle à la Polynésie. Son élève , Kotzebue , conduisit peu d'années après dans les mêmes parages le brick le Rurick , armé par la munificence du comte Romanzoff. Les xxiv DISCOURS PRELIMINAIRE. îles Romanzoff, Spiridoff, Krusenstern , dans l'ar- chipel Dangereux, et plusieurs îles basses dans la Chaîne de Radack dans les Carolines , sont des découvertes qu'il fît en 1816. Les observations du savant Chamisso ajoutèrent un grand prix à la relation de so» capitaine. Enfin, la France, rendue à la paix après de lon- gues agitations , songe à montrer de nouveau à rOcéan-Pacifique un pavillon qui plusieurs fois déjà y avait flotté avec honneur. M. de Freycinet y dirige l'Uranie, en 1819; mais cette expédition, plus spécialement destinée à des expériences de physique, ne rend à la géographie que de médio- cres services. Ses résultats se bornent à la recon- naissance de quelques îles Carolines , de la plus grande partie des Mariannes; le petit écueil Rose, dans l'archipel des Navigateurs , est Tunique dé- couverte du voyage qui, du reste, produisit d'im- menses matériaux pour toutes les branches de l'histoire naturelle , grâces au zèle et au mérite de MM. Quoy, Gaimard et Gaudichaud. Presqu'au même temps, le Russe Billinghausen parcourait la même arène. Les résultats de son voyage ne me sont pas bien connus ; cependant , je puis indiquer la découverte des îles Moller, DISCOURS PRELIMINAIRE. xxv Arackeef, JVolchonsky, Barcley de Tolly, Nigery, Tchitchagoff, Miloradowitch, TVitgenslein , Greig et Lazareff 'dans l'archipel Dangereux, et Pile Ono avec deux petites îles voisines au sud de l'archipel Viti. M. Duperrey est expédié en 1822 pour opérer de nouvelles reconnaissances dans ces mers. En 1823 il découvre les îles Clermont-Tonnerre et Lostangc, et il exécute diverses reconnaissances sur la Nouvelle-Irlande et les îles Schouten de la Nouvelle-Guinée. En 1824 il prolonge de près les îles Mulgraves dont il assure la position ; il visite File Strongou Ualan; découvre les îles Duperrey, d'Ur- ville; il explore le groupe considérable d'Hogoleu dont on ne connaissait encore que l'île haute de Dublon, et y retrouve plusieurs des îles de Cantova ; il découvre l'îlot Bigali, reconnaît l'île Tucker, et termine enfin ses travaux dans cet Océan par la reconnaissance de la partie de la Nouvelle-Guinée comprise entre Dorey et le cap de Bonne-Espé- rance. Du reste , cette expédition surpasse en- core celle de M. de Freycinet par la prodigieuse masse d'objets d'histoire naturelle qu'elle rapporte au Muséum. Jaloux d'en consacrer le souvenir, le gouvernement français a fait publier l'un et xxvi DISCOURS PRELIMINAIRE. l'autre voyage sur l'échelle la plus magnifique. Des expéditions russes se sont succédées à de fré- quens intervalles dans ces mêmes mers; je ne con- nais guère que les noms des commandans, savoir : Schismareff, Kotzebue, de Wrangel et Lutke : mais je ne puis citer leurs travaux. Je sais seulement, par une note que m'a communiquée le gouverneur de Guam, que celui-ci , en 1827, avait découvert ou reconnu dans les Carolines le groupe des îles Se- niavine , les Valiantes de Tompson , les îles Young- Williams de Mortlock qu'il a trouvées très-nom- breuses , les îles Namolouk , les îles Pisenas vues quelques mois auparavant par James Duncan , Pi- guela (sans doute Bigali de Duperrey), Fayeou et Ualan . Enfin , dans ces dernières années, diverses îles , îlots ou récifs ont encore été signalés dans la même mer par différens navigateurs; leurs positions ne sont pas toujours bien authentiques, et souvent leurs prétendues découvertes s'appliquent à des terres déjà connues. Aussi me contenterai-je d'in- diquer l'île Fanning revue dernièrement par M. le Goarant, les îles Abgarris dont deux capitaines dif- férens m'ont donné la position sans s'être commu- niqués; Washington, l'île aux Noix de Cocos près DISCOURS PRELIMINAIRE. xxv.i Amargura , Harbuck , New-Nantucket , Massa- chuset, Gasper, Basker\ les Récifs de Clcrk où nau- fragèrent, en 1822 , les navires Pearl et Hernies, le groupe de Mitchels , File Falsham, Pile Rourou- tou récemment découverte par le capitaine Henry, près de Mangea, etc. On a dû remarquer que je n'ai point mentionné les expéditions qui ont eu pour objet spécial les archipels de l'Asie , les côtes de l'Amérique ou celles de la Nouvelle-Hollande. C'est pourquoi j'ai passé sous silence les voyages de Baudin, Flinders, King, etc., malgré les services éminens qu'ils ont rendus à la géographie. Mais je devais me borner aux travaux exécutés dans la Polynésie , dont les archipels seuls entraient dans notre plan de cam- pagne. Bien que j'aie fait en sorte de rendre aussi com- plète qu'il m'a été possible la revue des décou- vertes ou des reconnaissances opérées par les na- vigateurs qui nous ont précédé dans l'Océan-Paci- fîque , sans doute quelques documens ont échappé à ma mémoire ou ne sont point parvenus à ma connaissance; ce ne serait guère qu'en Angleterre qu'on pourrait achever cette revue sans y laisser de lacunes. De nombreuxbaleiniersparcourent chaque vxvm DISCOURS PRELIMINAIRE. année les divers parages de cet immense bassin, et c'est à eux qu'il sera probablement donné désormais de signaler le petit nombre d'îles encore ignorées des Européens. Aujourd'hui le véritable but des missions scientifiques doit être plutôt de compléter la géographie des côtes imparfaitement figurées, et des archipels peu connus, surtout d'assujettir, au moyen des chronomètres , la position d'une foule d'îles et d'écueils dont la position est encore douteuse, relativement à des points regardés comme fixés d'une manière positive par un grand nombre d'observations. Je proposai et entrepris la cam- pagne de V Astrolabe dans cet esprit qui n'a cessé de présider à mes opérations durant tout le cours du voyage. Les parties de l'Océan-Pacifique qui me sem- blaient réclamer plus impérieusement l'attention du géographe navigateur , étaient la Nouvelle- Zélande , les îles Viti , les îles Loyalty , la Nouvelle- Bretagne et la Nouvelle-Guinée ; et ce fut vers ces divers points que se dirigèrent tous mes efforts. La relation du voyage fera voir ce qu'il nous a été possible d'exécuter, et on appréciera sans doute les raisons qui nous ont contraint à laisser incom- plètes quelques parties de ce plan. DISCOURS PRELIMINAIRE. xxix Pour mettre le lecteur entièrement à même d'avoir une juste idée de notre campagne, j'ai fait précéder mon récit par les instructions que m'avait données le ministère, et par l'excellent mémoire explicatif qui avait été tracé pour le voyage de V Astrolabe par les savans chefs du dé- pôt de la marine. En cela j'ai suivi l'exemple des plus illustres capitaines; c'est avec une vive satis- faction que l'on retrouve en tête des voyages des Cook, des La Pérouse, des d'Entrecasteaux , les instructions de leurs gouvernemens. Elles sont de glorieux témoignages des sentimens nobles et désin- téressés qui animaient les souverains au nom des- quels elles furent données , et du courage persévé- rant et réfléchi de ceux qui se dévouèrent à les suivre. En outre, ces mêmes instructions peuvent par la suite offrir long-temps encore d'utiles ren- seignemens aux navigateurs que le sort conduira dans ces parages. Celles de La Pérouse , que rédi- gea l'habile Fleurieu, ont toujours été regardées comme un modèle en ce genre , et celles de V As- trolabe prouveront , je l'espère , que l'esprit de cet hydrographe célèbre revit encore chez un de ses plus estimables successeurs. La liste générale des officiers , marins et soldats xxx DISCOURS PRELIMINAIRE. composant l'équipage de V Astrolabe , avec leurs divers mouvemens durant la campagne , viendra après les instructions , et sera suivie par le rap- port de MM. les Membres de l'Académie des sciences chargés d'examiner les travaux de la mission ; puis nous passerons à la relation même du voyage. Ici je dois une explication au lecteur; jusqu'à M. de Freycinet, tous les récits de voyages ma- ritimes, constamment soumis à l'ordre historique, n'étaient en quelque sorte que le journal du bord dépouillé d'une partie de sa sécheresse habituelle, et plus ou moins animé par des épisodes , par des observations sur les mœurs des naturels, et les productions du sol , et quelquefois aussi par des réflexions philosophiques. M. de Freycinet, le pre- mier , dans la rédaction du voyage, de Baudin , en vertu des ordres qu'il reçut alors , adopta une autre marche , et, se contentant de faire précéder l'ouvrage d'un simple itinéraire, divisa les obser- vations faites pendant la campagne en divers cha- pitres qui ne reconnurent d'autre loi que celle des localités et des matières. Il a suivi à peu près le même système dans la publication de son voyage sur l'Urémie, qui offre plutôt un immense DISCOURS PRELIMINAIRE. xxx. recueil de recherches laborieuses qu'une véri- table relation. De cette manière, il est possible de présenter sans doute un travail plus complet , et qui peut en quelques circonstances devenir plus utile à con- sulter , puisqu'alors le narrateur ne se borne plus à ses propres observations ou à celles qui y ont un rapport direct. Les diverses relâches de la campagne deviennent ainsi en quelque sorte au- tant de sujets de dissertations que Ton peut rendre d'autant plus complètes que l'on ne néglige au- cun des auteurs ou des voyageurs qui ont traité la même matière. Mais on ne doit pas se dissimuler que d'un autre côté cette méthode entraine de grands inconvéniens. D'abord elle nécessite dans la publication de longs retards , puisqu'il faut connaître tout ce qui a été écrit sur chaque sujet , étudier , discuter , analyser des versions sou- vent bien différentes, et faire, en quelque sorte, un traité de géographie pour chaque mouillage. Ensuite les observations du voyageur lui-même disparaissent confondues avec celles des autres personnes qu'il a fallu citer, et son ouvrage perd alors ce cachet d'originalité si agréable au lec- teur, pour les savans le meilleur garant de sa xxxn DISCOURS PRELIMINAIRE. sincérité. En même temps cesse aussi cet intérêt qui ne manque guère de se rattacher à la personne de celui qui raconte ce qu'il a vu , ce qu'il a fait , ce qu'il a observé dans ses voyages : inte'rêt dont la vivacité dépend sans doute à la fois du talent du narrateur, de l'importance des événemens qu'il doit retracer, ou du mérite de ses observations. Toutefois cet intérêt se retrouve jusque dans les Voyages les plus insignifîans, et suffit pour les sau- ver de l'oubli. Malgré la simplicité , et Ton pour- rait dire la naïveté avec laquelle ils sont écrits , les Voyages de Dampier offrent un grand exemple de cette vérité ; et qui n'a pas relu quelquefois avec plaisir les narrations si ingénues du bon Lery ! — Décidé par ces considérations et surtout jaloux de mettre sous les yeux du public , dans le plus court délai possible , le résultat de nos efforts , je suis revenu au mode adopté par la plupart de mes devanciers. Ma relation sera tout simplement le journal du voyage, et, comme je m'étais scrupu- leusement imposé la loi de retracer chaque soir les événemens et même les réflexions de la jour- née , je ferai en sorte de m'écarter le moins possi- ble des sentimens et même des expressions qui me furent inspirées par les circonstances sous Tin- DISCOURS PRELIMINAIRE. xxxm fluence desquelles je me trouvais. Mon savant com- pagnon M. Quoy m'a remis un journal de son voyage dont j'ai extrait les passages les plus remar- quables pour les ajouter textuellement «à mon récit, en ayant soin seulement de les renvoyer à la fin de chaque volume pour ne pas rompre le cours de la narration. Le dernier volume de l'ouvrage réunira les ta- bleaux des routes, les observations d'inclinaison et d'intensité magnétiques , les expériences de température à profondeur , les vocabulaires des langues sauvages, enfin tous les mémoires qui ne seront pas de nature à être insérés dans le texte. Quelquefois il m' arrivera de présenter au lecteur des documens étrangers, mais qui auront un rapport immédiat et naturel avec les lieux que nous aurons visités , et j'aurai soin de ne choisir ces documens que parmi ceux que je croirai encore inconnus ou au moins à peine connus en France ; dans tous les cas, ils ne seront jamais postérieurs à l'époque de notre voyage. Enfin, attentif à citer mes autorites, je me propose aussi de distinguer les observations des autres de celles qui me seront propres. Etat nominatif des Officiers, Officiers- Marinier s , Corvette de Sa Dumont d'Urville (Jules-Sébas- tien-César), Jacquinot (Charles-Hector), Lottin (Victor-Charles), Gressiew ("Victor-Amédée), Guilbert (Pierre-Edouard), Bertrand (François-Esprit), Quoy (Jean-René-Constant), Gaimard (Joseph-Paul), De Sainson (Louis-Auguste), Lesson (Pierre-Adolphe), Paris (Edouard), Faraguet (Henri), Girard-Dudemaine (Esprit- Justin- Gustave), Collinet (Pierre- Jean-François), Vicnale (Michel), GRADES. Capitaine de frégate, commandant; capitaine de vaisseau le 8 août 1829. Lieutenant de vaisseau, chargé du détail. Enseigne de vaisseau; lieutenant de vaisseau le ier juillet 1827. Enseigne de vaisseau ; lieutenant de vaisseau le 3i décembre 1828. Enseigne de vaisseau; lieutenant de vaisseau le 3o octobre 1829. Commis aux revues. Professeur et naturaliste; deuxième médecin en chef de la marine , en avril 1828. Chirurgien-major et naturaliste. Dessinateur ; commis entretenu de la marine le Ier novembre 1829. Chirurgien de troisième classe; chi- rurgien de deuxième classe en juillet 1826. Élève de première classe; enseigne de vaisseau le 29 octobre 1826. Élève de première classe; enseigne de vaisseau le to janvier 1828. Élève de deuxième classe; enseigne de vaisseau en juin 1829. Second maître de manœuvre, faisant fonction de maître ; maître de deuxième classe le ier octobre 1827; maître de première classe le 14 mars 1828. Quartier - maître de manœuvre de première classe; second maître de manœuvre de deuxième classe le icr octobre 1827. Marins et Auxiliaires , composant l'équipage de la Majesté /'Astrolabe. DATES DE NAISSANCE. 2 3 mai 1790 4 mars 1 7 96 26 octobre 1795 9 novembre 1798 1 1 septembre 1800 i3 septembre 1795 n novembre 1790 3i janvier 1 793 26 avril 1801 24 mai i8o5 2 mars 1806 Jt décembre 180 3 a€ avril 1807 28 décembre 1791 i/9° LIEUX DE NAISSANCE. Condé - sur - Noireau (Calvados). Nevers (Nièvre). Paris (Seine). Paris (Seine). Lorient (Morbihan). Toulon (Var). Maillé (Vendée). Saint-Zacharie (Var). Paris (Seine). Rochefort ( Charente- Inférieure). Paris (Seine). Sedan (Ardennes). Marseille (Bouches-du- Rhône). Toulon (Var). Toulon (Var). OBSERVA TIONS. Resté malade à Bourbon, le 24 novembre 1828. Resté à l'hôpital de Bourbon, le 24 novembre 1828. Mort à Manado , le 2 août 1828. (Dysenterie.) XXXVI NOMS ET PRÉNOMS. Ranccrel (Savournin), Doche (Jean-Joseph-Marie), Raynaud (François), Rey (Jean-Baptiste), Jacon (Jacques-Philippe-Esprit), Laurenzi (Antoine-Joseph), Béringuier (Alexandre), Chieusse (François-Bernard), GRADES. Quartier-maître de manœuvre de deuxième classe; quartier-maître de manœuvre de première classe le icr octobre 1827; second mai tre de manœuvre de deuxième classe le 14 mars 1828. Quartier - maître de manœuvre de deuxième classe; quartier-maître de manœuvre de première classe le 1 ei octobre 1827; second maître de manœuvre de deuxième classe le 14 mars 1828. Maître canonnier de deuxième classe ; maître canonnier de première classe le ier octobre 1827. Matelot de première classe ; quartier- maître canonnier de deuxième classe le 1" octobre 1827 ; quar- tier-maître canonnier de première classe le 14 mars 1828. Quartier-maître de timonnerie de deuxième classe; second maître de timonnerie de deuxième classe le 1 er octobre 1827; second maître de timonnerie de première classe le 14 mars 1828. Matelot de première classe; quartier- maître de timonnerie de troisième classe le ier octobre 1827; quar tier-maître de timonnerie de pre mière classe le 14 mars 1828. Maître charpentier. Quartier-maître charpentier de pre- mière classe ; second maître char- pentier de deuxième classe le ier octobre 1827; second maître charpentier de première classe le 14 mars 1828. vwvn DATES DE NAISSANCE. ii novembre 1798 ier mars 1800 12 juill I 7 Su i3 janvier 1805 »2 août 1800 r 3 mars 1 797 a5 juin 1 780 aa avril 1 ~<)- LIEUX DE NAISSANCE. OBSERVATIONS. La Cadière (Var). Resté à l'hôpital de Bourbon , le 24 novembre 1828. (Dy- senterie.) Marseille (Bouches-du Rhône). La Valette (Var). Toulon (Var). Toulon (Var). Bastia (Corse). Six-Fours (Var). Toulon (Var). Resté à l'hôpital de Bourbon , le 24 novembre 1828. (Pa- ralysie.) Resté à l'hôpital de Bourbon , le a', novembre 1828. (Dy- senterie.) Mort en nier, le 29 novembre 1827. (Inflammation d'en- trailles.) XXXVIII NOMS ET PRENOMS. Nivière (Joseph-Marie), Richaud (Jean-Baptiste-Mathieu), Acdibert (Joseph-Antoine), Daniel (Jean-Louis), Moreau (Joseph), Bernard (Frédéric), Quemener (Guillaume), Gemier (Jean-Julien), Bérenguier (Jean- Joseph), Le Court (Jean-Baptiste), ' Berre (Jean-François-Guillaume), Maurice (Pierre), GRADES. Maître calfat de deuxième classe; maître calfat de première classe le icr octobre 1827. Quartier-maître calfat de deuxième classe ; quartier-maître calfat de première classe le 1 cr octobre 1827. Maître voilier de première classe. Matelot de deuxième classe; mate- lot de première classe le ier oc- tobre 1827; quartier-maître voi- lier le 14 mars 1828. Maître armurier-forgeron. Matelot de première classe ; quartier- maître de manœuvre de deuxième classe le Ier octobre 1827. Matelot de deuxième classe ; matelot de première classe le 1 er octobre 1827. Matelot de deuxième classe ; matelot de première classe le ier octobre 1827. Matelot de deuxième classe; matelot de première classe le ier octobre 1827; quartier - maître de ma- nœuvre de deuxième classe le 14 mars 1828. Matelot de deuxième classe ; quartier- maître de manœuvre de deuxième classe le icr octobre 1827. Matelot de deuxième classe, infir- mier; matelot de première classe le 1" octobre 1827; quartier- maître de manœuvre de deuxième classe le 14 mars 1828. Matelot de deuxième classe; matelot de première classe le 1" octobre 1827 ; quartier-maître de manœu- vre de deuxième classe le 14 mars 1828. XXX IX DATES LIEUX OnSERVATIONS. ni NAISSANCE. DE NAISSANCE. 24 avril 1779 Six-Fours (Var). 1 3 juin 1797 21 octobre 1778 Toulon (Var). La Seyne (Var). Mort en mer dans les Molu- ques, le i3 août 1828. (Dysenterie.) 6 août 1802 La Seyne (Var). 1788 6 août 1 7 98 20 mars 1796 Manosque ( Basses- Alpes). Bordeaux (Gironde). Lorient (Morbihan). Resté à l'hôpital de Bourbon, le 24 novembre 1828. (Dy- senterie.) ■>. avril 1789 1 8 avril 1 806 Trinsaint ( Cotcs-du- Nord ). Toulon (Var). Mort en mer dans l'Océan Indien , le 19 septembre 1828. (Dysenterie.) 10 mars 1793 17 septembre. 1790 Bastia (Corse). Bormes (Var). Resté à l'hôpital de Bourbon, le 24 novembre 1828. (Dy- senterie.) 9 novembre 1802 Pouillac (Gironde). NOMS ET PRÉNOMS. GRADES. Escale (Jean-Baptiste), Matelot de troisième classe; matelot de deuxième classe le ier octobre 1827; matelot de première classe le 14 mars 1828. Crocq (Jacques-Jean), Matelot de troisième classe; matelot de deuxième classe le ier octobre 1 8 2 7 ; matelot de première classe le 14 mars 1828. Gratien (Jean), Matelot de troisième classe; matelot de deuxième classe le ier octobre 1827. Matelot de troisième classe; matelot De La Maria (Joseph-Louis), de deuxième classe le icr octobre 1827 ; matelot de première classe le 14 mars 1828. Caravel (Joseph), Matelot de troisième classe ; matelot de deuxième classe le 1e1 octobre 1827. Simonet (Charles), Matelot de troisième classe. Aubry (François-Pierre-Michel), Matelot de troisième classe ; matelot de deuxième classe le ier octobre 1827 ; matelot de première classe le 14 mars 1828. Jacques (Jean), Matelot de troisième classe; matelot de deuxième classe le ier octobre 1S27. Matelot de troisième classe; matelot Lisnard (Antoine-Honoré), de deuxième classe le iel octobre 1827 ; matelot de première classe le 14 mars 1828. Boutin (Antoine), Malelot de troisième classe ; matelot de deuxième classe le ier octobre 1827. Bertrand (Jean-Pierre-Melchioi), Matelot de troisième classe; matelot de deuxième classe le iev octobre 1827. Matelot de troisième classe ; matelot (aindrii.ler (Jean), de deuxième classe le icr octobre 1827. XL! DATES LIEUX OBSERVATIONS. DE NAISSANCE. DE NAISn\nCF. •- novembre iSo5 Cette (Hérault). 1804 Granville (Manche). 1806 Saint- Jean- de-Luz Mort en mer dans l'Océan- 2 mars 180?. (Basses-Pyrénées) . Marseille (Bouches-du- Rhône). Indien, le 27 septembre 1828. (Dysenterie.) » août 1800 Saint-Blaisc (Var). Resté «à l'hôpital de Bourbon, le 24 novembre 1828. (Dy- senterie.) 1" janvier 180? Pérols (Hérault). Déserté à Tonga -Tabou, le i3 mai 1827. 26 septembre 1806 Toulon (Var). 3 mai i8o5 Lagarde-Freynet (Var). Resté à l'hôpital de Bourbon, le 24 novembre 1828. (Dy- senterie.) 27 juin 1800 Marseille (Bouches-du- Rhône). 10 juillet 1806 Valoury (Var). Resté à l'hôpital de Bourbon , le 24 novembre 1828. (Dy- senterie.) - avril 1802 Toulon (Var). Mort à l'hôpital de Maurice, le 17 octobre 1828. (Dy- senterie.) • > juin 1801 Toulon (Var). Resté à l'hôpital de Bourbon, le 24 novembre 1828. (Dy- senterie.) XL1I NOMS ET PRÉNOMS. GRADES. Guérin (Laurent-Joseph), Matelot de troisième classe ; matelot de deuxième classe le i" octobre 1827 ; matelot de première classe le 14 mars 1828. Bellanger (Antoine-Augustin), Matelot de troisième classe; matelot de deuxième classe le ier octobre 1827; matelot de première classe le 14 mars 1828. Boror (Benoit-Antoine), Matelot de troisième classe. Bi-anchet (Jean), Matelot de troisième classe; matelot de deuxième classe le ier octobre 1 8 2 7 ; matelot de première classe le 14 mars 1828. Gossy (Jean-Étienne), Matelot de troisième classe; matelot de deuxième classe le ier octobre 1827; matelot de première classe le 14 mars 1828. Vignau (André-Vincent-Désiré), Matelot de troisième classe ; matelot de deuxième classe le ier octobre 1827. Matelot de troisième classe; matelot Gras (Joseph), de deuxième classe le ier octobre 1827. Matelot de troisième classe. Reboul (Barthélémy), Lajjtier (Joseph), Matelot de troisième classe; matelot de deuxième classe le ici octobre 1827; matelot de première classe le 14 mars 1828. Martineng (Louis-Alexandre), Matelot de troisième classe; matelot de deuxième classe le ier octobre 1827 ; matelot de première classe le 14 mars 1828. Bouroul (Etienne), Matelot de troisième classe ; matelot de deuxième classe le icr octobre 1827 ; matelot de première classe le 14 mars 1828. Cankac (Jean-Victor), Matelot de troisième classe; matelot de deuxième classe le 1" octobre 1827; matelot de premicrc classe le 14 mars 1828. DATES DE NAISSANCE. LIEUX DE NAISSANCE. OBSERVATIONS. 22 décembre 1806 Marseille (Bouches-du- Rbône). 2 3 septembre i8o5 La Seyne (Var). 1 3 juin 1800 4 août 1800 Toulon (Var). Beaucaire (Gard). Tombé à la mer et noyé, le 12 septembre 1828. 1 1 décembre 1792 Nice (Piémont). 1 5 novembre 1796 1 5 mars 1806 12 novembre 1807 s mai 1802 Marseille (Bouchcs-du- Rhône). Antibes (Var). Agde (Hérault). Toulon (Var). Resté à l'hôpital de Bourbon, le 24 novembre 1828. (Dy- senterie.) Resté à l'hôpital de Bourbon, le 24 novembre 1828. (Dy- senterie.) Déserté à Tonga -Tabou, le 20 mai 1827. 24 mars 1806 Toulon (Var). 2 5 octobre 1807 Nice (Piémont). a'i mai 1807 Agde (Hérault). XL1V NOMS ET PRÉNOMS. Fabry (Lambert-Marius), Maille (Marius-Isaac-Blaise), Deleuze (Gabriel-Marius), Martin (Louis), Long (Pierre-Sébastien), Richard (François), Divol (Simon), Gocx (Claude), Spire (Jean-Pierre), De La Noy (Victor-Marie-Denis), Coulon (Jean-Joseph), Imbert (Joseph), Gcirard (Noël), Castel (Joseph-Victor), Guinaud (Honoré-Marius), Meilleur (Charles), Denis (Bernard- Alexandre), GRADES. Matelot de troisième classe ; matelot de deuxième classe le ier octobre 1827. Novice. Novice ; matelot de troisième classe le icr octobre 1827; matelot de deuxième classe le 14 mars 1828 Novice; matelot de troisième classe le Ier octobre 1827; matelot de deuxième classe le 14 mars 1828 Novice; matelot de troisième classe le ier octobre 1827; matelot de deuxième classe le r4 mars 1828. Caporal du 2« régiment d'infanterie de marine. Fusilier du 2e régiment. Fusilier du 2e régiment. Fusilier du 2e régiment. Fusilier du 2e régiment; caporal le 1 4 mars 1827; sergent le 1 4 mars 1828. Fusilier du 2e régiment. Commis aux vivres de deuxième classe. Boulanger. Coq. Domestique. Domestique. Domestique. DATES HE NAISSANCE. a octobre 1809 > - décembre 1808 ra avril 1800 6 mars c8og Bcausset (Var). LIEUX DE NAISSANCE. Marseille (Var). Brignolles (Var). Livourne. Toulon (Var). Mort à Manado , le a 7 juillet i8a8. (Dysenterie). Mort en mer dans les Mo toques, le 1«> juin 1828 (Dysenterie.) 1 8<>o 1800 1801 1801 1796 1 7 février 1785 • ; décembre 1793 a 8 février 1788 a6 juin 1800 1801 >- avril 1810 Luxeuil (Haute-Saône). Beaulieu (Ardêche). Corbonod (Ain). Étival (Vosges). Montreuil - sur - Mer (Pas-de-Calais). Maudun (Doubs). Brignolles (Var). Bcausset (Var). La Valette (Var). Toulon (Var). Toulon (Var). Toulon (Var). Assassiné par les sauvages de Tonga-Tabou, le t3 mai 1827. Resté à l'hôpital de Bourbon, le a ', novembre 1828. (Dy- senterie.) Désertera Port - Jackson , le 19 décembre i8a8. XL VI NOMS ET PRÉNOMS. GRADES. Coulomb (Honoré-François), Sper (Michel), Lauvergne (Barthélémy). Domestique. Domestique. Secrétaire du commandant. XL VII DATES LIEUX OBSERVATIONS. DE NAISSANCE. DE NAISSANCE. i"mai 1797 Toulon (Var). Resté à Hobart - To\vn , le 5 janvier 1828. i5 mai 1809 Toulon (Var). Mort à la mer dans les Mo- [•'juin i8o5 Toulon (Var). luques, le 9.4 juin 1828. (Dysenterie.) LETTRE MINISTRE DE LA MARINE A M. 1)1 MONT D'URVILLE, CAPITAINE DE FRF.C.ATF, COJUI ANIlANT LA CORVETTE DO ROI l'aSTROI ABE , \ TOULON; Pcwv lui scroir ïi'Jnstniittcin rrlatiiicmrut au Dopage îir Dcrouocrtra qu'il va cutrcprrnîtrc. Var^, le H avril i8a("). Le Roi, Monsieur, en vous confiant le commandement de la corvette l'Astrolabe , a voulu vous mettre en mesure d'explorer quelques - uns des principaux archipels du Grand-Océan , où la Coquille n'a fait que passer rapi- dement, et vous donner les moyens d'augmenter, autant que possible , la masse des documens scientifiques qui ont été le fruit du voyage exécuté par ce bâtiment dans les années 1822, 1823 et 1824. Sa Majesté sait que vous avez beaucoup contribué au succès de cette dernière expédition dans laquelle vous secondiez M. le capitaine Duperrey. Appelé à diriger en chef celle qu'il s'agit d'entreprendre, vous réaliserez, sans d l LETTRE Joule , toutes les espérances qui en ont fait concevoir le projet , et la marine aura encore une fois à se féliciter des services qu'elle rend aux sciences , en s'associant aux tra- vaux de ceux qui les professent, et en livrant à leurs médi- tations des matériaux recueillis avec autant d'habileté que de zèle dans toutes les parties du globe. L' Astrolabe doit être actuellement prête à prendre la mer. J'avais donné les ordres les plus formels à Toulon pour que cette corvette fût mise dans le meilleur état, et munie de tous les objets nécessaires pour une campagne qui durera près de trois ans. Comme vous avez assisté à cet armement , et que vous avez pu y mettre à profit l'expérience acquise sur la Coquille , je dois croire que rien ne manque à bord de ce qui pourra contribuer au succès de votre mission , et je n'ai plus qu'à vous faire connaître le plan des opérations dont vous aurez à suivre l'exécution. Je pense que vous partirez de Toulon peu de jours après le 15 de ce mois, et qu'avant la fin de mai vous suivrez votre route dans l'Atlantique, vers l'hémisphère austral, après avoir fait, à Sainte-Croix de Ténériffe, une relâche de quelques jours pour y vérifier la marche de vos chro- nomètres. Parvenu au sud du cap de Bonne-Espérance , vous por- terez votre route dans l'est , pour vous rendre directe- ment au détroit de Bass, qui sépare la Nouvelle-Hollande de la terre de Van-Diémen. 11 est probable qu'arrivé dans ces parages vers la fin d'août, vous pourrez passer quelques jours au port Dal- rymple , et de là gagner Port-Jackson au commencement de septembre. , Vingt ou trente jours passés dans ce chef- lieu des éta- DU MINISTRE DE LA MARINE. u hlissemens anglais à la Nouvelle-Galles du Sud, suffiront au repos de votre équipage et aux dispositions nécessaires pour entreprendre les recherches qui devront vous occu- per dans le Grand-Océan. Au commencement d'octobre vous quitterez Port-Jack- son pour aller explorer la partie septentrionale de la Nou- velle-Zélande. Vous vous dirigerez sur le détroit de Cook, pour de là vous porter le long de la côte N. E. , afin de faire la reconnaissance de divers points de cette partie de l'île. Vers le 1" décembre, vous partirez de la Nouvelle-Zé- lande pour vous rendre à Tonga-Tabou , où vous verrez finir l'année 1826. Laissant, dans les premiers jours de janvier 1827, les îles des Amis, vous irez reconnaître l'archipel des îles Fidji, où vous ferez en sorte de ne pas rester plus tard que l'équinoxe de mars ; et de là vous vous rendrez suc- cessivement à la Nouvelle-Calédonie et à la Louisiade , d'où vous vous dirigerez sur le cap Rodney, de la Nouvelle- Guinée. Vous emploierez cinq ou six mois à parcourir les cotes méridionales de cette dernière terre , en passant par le détroit de Torrès que vous explorerez ainsi que les régions voisines où se trouvent un grand nombre d'îles et de ca- naux à peine connus. De la Nouvelle-Guinée vous vous porterez à Amboine où vous ferez en sorte d'arriver au commencement d'oc- tobre 1827. Vous y resterez jusqu'à la fin de novembre pour ravitailler votre bâtiment , et faire reposer son équi- page. Puis, vers le 1er décembre, retournant en quelque sorte sur vos pas, vous reviendrez vers les côtes de la Nouvelle -Guinée pour en reprendre l'exploration, \n d' lu LETTRE commencement de janvier 1828, vous ferez une courte relâche au port Dory que vous quitterez pour aller recon- naître toute la côte septentrionale de la même terre , jus- qu'au détroit de Dampier. Dans le mois de mars suivant , vous visiterez les côtes de la Nouvelle-Bretagne , et vers le 20 avril vous irez relâcher dans l'une des îles Carolines, dont la position exactement constatée , lors de l'expédition de la Coquille , pourra servir à vérifier vos dernières explorations. Pendant un mois environ vous parcourrez la partie occi- dentale de l'archipel des Carolines jusqu'aux îles Pelew où vous relâcherez à la fin de mai , pour donner quelque repos à votre équipage. Partant des îles Pelew dans les premiers jours de juin , vous serez à Sourabaya au commencement de juillet ; vous pourrez y rester mie vingtaine de jours , et de là vous diri- ger sur l'Ile-de-France , d'où , après un séjour d'environ un mois, vous partirez au commencement d'octobre, pour passer à Bourbon, et opérer votre retour à Toulon. Vous arriverez probablement en ce port dans les pre- miers mois de l'année 1829. Cet itinéraire que vous avez vous-même tracé à Paris , de concert avec M. le contre-amiral chevalier de Rossel , se trouve développé fort en détail dans le mémoire ci-joint ( sous le n. 1 ) qui a été rédigé au dépôt des cartes et plans de la marine , et que M. le vice-amiral comte de Rosily m'a transmis comme contenant toutes les indications propres a vous diriger dans le cours de votre navigation. Il ne m'a point échappé, Monsieur, qu'en désignant les parages où l'astrolabe devra se porter, vous n'avez eu en vue que le désir de tirer le plus grand parti du temps , et d'éviter les longues traversées que vous auriez eu à DU MINISTRE DE LA MARINE. lïh faire dans des mers ouvertes , s'il se fût agi d'un voyage de circum-navigation. Mais quoique vous n'ayez point à faire le tour du globe, la campagne que vous allez entreprendre n'en sera pas moins remarquable ; elle vous donnera d'autant plus de droits à l'estime et à la reconnaissance des navigateurs, que vous aurez mis plus de soins à explorer des terres encore peu connues , et à signaler les nombreux écucils qui en rendent l'accès difficile et dangereux. Un autre intérêt se rattachera à votre voyage si vous parvenez à découvrir des traces de La Pérouse et de ses compagnons d'infortune. Un capitaine américain a dit avoir vu entre les mains des naturels d'une île située dans l'intervalle de la Nou- velle-Calédonie à la Louisiadc , une croix de Saint-Louis et des médailles qui lui ont paru devoir provenir du naufrage du célèbre navigateur dont la perte cause de si justes re- grets. Sans doute, ce n'est là qu'un bien faible motif d'es- pérer que des victimes de ce désastre existent encore ; cependant, Monsieur, vous donneriez à Sa Majesté une satisfaction bien vive , si , après tant d'années de misère et d'exil, quelqu'un des malheureux naufragés était rendu par vous à sa patrie ! Il suffit assurément de vous faire entrevoir la possi- bilité d'un tel résultat de vos recherches pour que vous ne négligiez rien de ce qui pourra les rendre fruc- tueuses. Après vous avoir tracé la marche que vous avez à suivre et le plan des principales opérations auxquelles vous devez vous livrer dans l'intérêt de la marine, et pour les pro- grès de l'hydrographie , il me resterait à vous parler de ce que les savans attendent de votre expédition ; mais je •\ ï.iv LETTRE nie borne à vous remettre, ci-joint, n. 3, les instruction-, particulières qui m'ont été adressées pour vous par l'Ins- titut royal de France; reconnaissant, d'ailleurs, votre expérience , votre savoir et le zèle éclairé de tous vos collaborateurs , j'ai la conviction que vous réaliserez com- plètement les espérances que vous avez fait naître, et qu'à votre retour, le voyage de V Astrolabe sera classé parmi ceux dont les résultats auront le plus contribué aux pro- grès des sciences. Une collection nombreuse de livres , d'instrumens , de cartes , etc., a dû vous être envoyée par les soins de M. le directeur-général du dépôt de la marine ; vous en trouverez ci-joint l'état (sous le n. 4). Il vous a de plus été envoyé récemment trente mé- dailles en argent , et quatre cent cinquante en bronze . que j'ai fait frapper pour perpétuer le souvenir de l'expé- dition de l' Astrolabe ; vous pourrez les distribuer dans les pays que vous visiterez , et où vous jugerez utile de laisser des traces de votre passage. Je vous fais remettre , avec cette dépêche , des passe- ports des puissances étrangères , au moyen desquels vous recevrez , dans les divers établissemens de leur dépen- dance, un bon accueil en toute circonstance, et des secours en cas de besoin. Chez les peuples dont la civilisation est moins avancée , vous suppléerez aux recommandations officielles par le moyen des objets de traite dont j'ai ordonné que vous fussiez pourvu en suffisante quantité. A cet égard , comme pour toutes les autres dispositions propres à vous assurer des ressources dans les diverses circonstances de votre navigation, l'armement de la Coquille a dû servir de guide pour celui de l'Astrolabe, sauf les seules modifications que DU MINISTRE DE LA MARINE. i.v l'expérience a fait juger nécessaires, et que vous avez vous-même indiquées. Ainsi, Monsieur, les mêmes moyens de succès vous sont donnés , et sans doute le même bonheur signalera le nou- veau voyage que vous allez exécuter. Vous avez beaucoup contribué aux bons résultats de la campagne de la Co- quille, et vous savez qu'ils ont été dus autant à l'union qui a régné à bord , qu'aux mesures adoptées pour maintenir, parmi les marins de l'équipage , une exacte discipline , en même temps que les plus grandes précautions étaient pri- ses pour éloigner d'eux les dangers des maladies auxquelles les exposaient les fatigues de la mer et l'insalubrité de quelques-uns des pays dans lesquels ils abordaient. Je ne puis trop vous recommander de consulter à ce sujet les instructions sanitaires de M. le docteur Keraudren , ainsi qu'une note ci-jointe (n. Ô) que cet inspecteur-général a rédigée spécialement pour le voyage de l'Astrolabe. Les journaux, cartes, plans et autres documens qui se- ront le fruit de la campagne, devront être réunis par vos soins, et m'ètre adressés à votre retour à Toulon. 11 en sera de même des collections de toute espèce d'ob- jets d'histoire naturelle. Aucun de ces objets ne devra être distrait de la masse des produits de l'expédition, et je vous charge expressément de me rendre compte de la manière dont chaeun de vos eollaborateurs aura contribué aux tra- vaux qui devront se faire en commun. Dans quelques voyages précédens , des officiers , des maîtres , et même des matelots ont acheté et gardé pour leur compte des échantillons d'histoire naturelle , qui n'é- tant point entrés dans la collection destinée au cabinet du Roi , n'ont pu être ni décrits ni publiés. Il est à désirer, dans l'intérêt de la scienec et pour le renom qui doit s'al- lvi LETTRE DU MINISTRE DE LA MARINE. tacher à l'expédition" de l' Astrolabe , que la même chose n'ait pas lieu dans cette nouvelle campagne. Vous voudrez bien faire connaître à toutes les personnes embarquées sur ce bâtiment , que les espèces rares et nouvelles d'animaux , de plantes ou de minéraux, qui entreront à bord, devront, sans aucune exception, faire partie de la collection du Roi, et resteront , à cet effet , entre les mains des naturalistes , sauf à tenir compte du prix d'achat à ceux qui en auront fait l'acquisition ; et , pour faciliter les transactions de ce genre avec les habitans des pays que vous visiterez, vous aurez soin de mettre à la disposition des naturalistes du bord une certaine quantité des objets d'échange qui ont été embarqués à Toulon. Enfin, Monsieur, je vous recom- mande de faire en sorte que les échantillons qui devront faire partie de la collection destinée au Muséum royal, soient placés à bord dans des lieux où leur conservation soit parfaitement assurée. Vous aurez soin de profiter de toutes les occasions qui s'offriront à vous pour m'adresser des détails sur votre navigation; il me sera fort agréable, Monsieur, en mettant vos rapports sous les yeux du Roi , d'avoir à faire remar- quer à Sa Majesté que vous aurez complètement justifié, par vos travaux, la confiance qu'elle a daigné vous accor- der en vous chargeant d'une mission aussi importante pour les sciences et pour la marine , qu'elle est honorable pour vous. Recevez , Monsieur , l'assurance de ma parfaite consi- dération , Le Pair de France Ministre Secrétaire d'État de la Marine et des Colonies, Signé : Comte de CHARROL. MÉMOIRE tour servir d'instruction A M. DUMONT D'URVILLE, < APIIAINE DE FRÉGATE, COMMANDANT LA CORVETTE DU ROt I.'aSTROLA DE ; Pcnoant lo campagne oc Dccouocrtcs bout .le Uoi lui a confie l'crccution. Il est probable que M. Dumont d'Urville , capitaine de frégate, à qui Sa Majesté a confié le commandement de la corvette V Aslrola.be , pour faire un voyage de décou- vertes dans le Grand-Océan , et pour compléter par de nouvelles recherches l'exploration de plusieurs parties que les navigateurs ont précédemment visitées , pourra quitter les ports de France au 1er avril , ou vers le 1er avril prochain. Il est essentiel que le départ de l'Astrolabe ne s'écarte pas beaucoup de cette époque. L'itinéraire de son voyage a été tracé de manière que, pendant les traversées qu'il devra faire pour se rendre d'un lieu à un autre, il puisse profiter des saisons les plus favorables. Il serait à • •raiudrc que si son départ était de plus d'un mois et demi postérieur au tc' avril , il ne fîii exposé à se trouver à lviii MEMOIRE D'INSTRUCTION. contre-saison dans quelques-uns des parages où il doit aller, et par conséquent dans le cas de ne pouvoir plus suivre le plan de sa campagne, ainsi qu'il est arrivé à quelques-uns des officiers qui ont commandé de pareilles expéditions. Ce qui vient d'être dit relativement à l'époque du départ de l'un des ports d'Europe , d'où l'expédition mettra à la voile , doit s'appliquer au départ de tous les lieux où M. Dumont d'Urville sera dans le cas de relâcher ; c'est-à-dire qu'il fera toujours en sorte de combiner ses traversées , et de ne mettre à faire les découvertes dont il sera question dans la présente instruction , que le temps nécessaire pour qu'il puisse arriver à chacun des ports de relâche , et en partir à peu près aux époques qui y sont désignées. Il est néanmoins possible que des contrariétés ou des événemens imprévus s'opposent à ce que cette partie de ses instructions puisse être aussi fidèlement rem- plie qu'il pourra le désirer. Alors, afin de se rattacher dans son voyage à quelques-unes des époques subsé- quentes à celle dont il aura été forcé , contre sa volonté , de s'éloigner , il négligerait plutôt quelques-unes des découvertes ou des recherches qui vont lui être recom- mandées , que d'abandonner entièrement l'ordre qui va être suivi dans ses instructions. Au reste , quoique tous les objets que l'on va indiquer comme devant fixer son attention soient très-utiles , il ne doit pas en regarder la recherche comme obligatoire. On s'en rapporte à son zèle et à ses lumières , persuadé qu'il fera toutes les re- connaissances que le temps et les circonstances lui per- mettront de compléter. Si la corvette V Astrolabe part des ports d'Europe le lrr avril 1 8 2 G , ou dans les premiers jours d'avril, elle MEMOIRE D'INSTRUCTION . lis pourra arriver à Ténériffe le 25 du même mois. On l'en- gage à observer à terre , avec beaucoup de soin , le mou- vement des montres marines. L'ile de Ténériffe a été visitée par un grand nombre de navigateurs ; sa longitude a été déterminée par des montres un grand nombre de fois ; néanmoins , il reste encore sur cette longitude de petites incertitudes qui proviennent de ce que les résul- tats , qui devraient être les mêmes , diffèrent de quantités assez considérables. On doit attribuer ces différences à ce (jue les montres marines , exposées à un changement de température subit , n'ont pas pris au commencement des diverses campagnes la régularité de mouvement qu'elles ont eue dans la suite. Ce n'est qu'en multipliant ces sories d'observations que l'on parviendra à obtenir la précision désirable ; certainement les résultats des trois montres de V Astrolabe nous donneront les moyens d'en approcher beaucoup, et peut-être de l'atteindre. Dix jours de relâche à Ténériffe doivent suffire pour se procurer des rafraichissemens , remplacer les vivres et l'eau consommés , faire les observations astronomiques pour régler les montres , et enfin pour se préparer à une très-longue traversée. L Astrolabe partira de Ténériffe aux environs du o mai , et se hâtera de se rendre immé- diatement dans les parages qui doivent être le théâtre de ses principales découvertes. Ainsi on passera sanss'arrèier au sud du cap de Bonne-Espérance ; on traversera la mer des Indes , et l'on viendra dans le détroit de Bass qui sépare la Nouvelle-Hollande de la terre de Van-Diémen , enfin on ira relâcher dans le port Dalrymple. On suppose que trois mois et dix jours suffiront pour cette traversée ; inisi ï Astrolabe arrivera aux environs du 2ô août au port Dalrymple. Les accroissemens que cette nouvelle colonie lx MEMOIRE D'INSTRUCTION. anglaise a reçus font espérer que M. d'Urville y trouvera tout ce qui est nécessaire pour procurer des rafraîchisse- mens à son équipage. Les recherches relatives aux sciences naturelles ne pourront manquer d'être d'un très-grand intérêt. On pourra également se livrer, dans le port Dalrvmple , à tous les genres d'observations propres à déterminer la position de ce lieu , la déclinaison et l'incli- naison de l'aiguille aimantée, et faire les autres genres d'observations dont les savans de l'Académie des sciences désirent obtenir les résultats , dans l'intention d'accroître et de perfectionner les différentes branches des connais- sances humaines. On n'a pas cru nécessaire de recommander à M. d'Ur- ville de prendre connaissance de quelques-uns des lieux qui doivent se trouver à peu de distance de la route qu'il devra parcourir après avoir doublé le cap de Bonne- Espérance, pour se rendre au détroit de Bass. Cepen- dant, comme il passera à peu de distance de quelques lieux dont la position a été déterminée pendant le voyage du contre-amiral d'Entrecasteaux, il ne serait pas inu- tile qu'il vînt en vue de quelques-uns des mêmes lieux pour en déterminer la longitude avec ses montres. De pareilles vérifications , qu'il aura plusieurs fois occasion de faire pendant son voyage , donneront les moyens de lier entre elles ses découvertes avec celles de plus anciens voyageurs, et d'augmenter, s'il est possible, la précision des positions tant en latitude qu'en longitude observées pendant plusieurs voyages. La position des îles Saint- Paul et Amsterdam , et principalement celle d'un des points les plus remarquables de la terre de Nuitz , se- raient très-propres à remplir cet objet. M. d'Urville fera en sorte de quitter le port Dalrymple vers le 25 août, MEMOIRE D'INSTRUCTION. i.xi pour arriver à Port- Jackson à peu près le 1er septembre. La relâche de Port-Jackson sera de plus d'un mois ; toutes les opérations , tant pour ravitailler le bâtiment que pour faire des observations astronomiques et d'autres observations de tous genres, relatives à la vertu magné- tique et à l'histoire naturelle, devront être combinées de manière que l'on puissepartir de Port-Jackson le ô octobre. La première terre dont on devra prendre connaissance après avoir quitté la Nouvelle-Hollande , est celle de la Nouvelle-Zélande , dont il serait utile que quelques por- tions de la côte nord-est fussent reconnues avec soin. Il semble que la route la plus avantageuse à faire pour venir chercher cette cote , serait de passer par le détroit de Cook , en allant de l'ouest à l'est ; et ensuite de remonter vers le nord, en se tenant à peu de distance de terre. M. d'Urvillc pourra juger, d'après les relations des dif- férens voyages qu'il a entre les mains , d'après les cartes publiées dernièrement par l'amiral Krusenstern et les dernières reconnaissances faites par M. Duperrey, quelles sont les parties les moins connues de cette côte , et par conséquent celles qui méritent de fixer le plus particu- lièrement son attention. Quel que soit le parti qu'il juge à propos de prendre à cet égard , il lui est recommandé de ne pas rester sur cette côte plus tard que le 1er décem- bre , afin de pouvoir arriver à Tonga-Tabou à peu près le 20 du même mois. Il fera dans ce dernier lieu une re- lâche de dix à onze jours. Le havre de Tonga-Tabou est un des points déterminés pendant le voyage du contre-amiral d'Entrecastcaux. Il l'avait été précédemment par le capitaine Cook. H y a lieu de penser que la longitude de Pangaïmodou , déter- minée pendant le voyage du contre-amiral français , ne , \i; Ml MOIHE D'INSTRUCTION. s'éloigne pas beaucoup de la véritable. Cependant on devra s'attacher à la rectifier ou à la confirmer par de nourelles observations, mais surtout on comparera les longitudes obtenues par les montres de l'Astrolabe à celles de la montre de la frégate la Recherche , dans l'intention de lier à la longitude de Tonga-Tabou la po- sition des terres dont on aura connaissance, après avoir quitté cette île. Il serait inutile de recommander parti- culièrement de répéter, dans ce dernier lieu, autant que les circonstances et les localités pourront le permettre, tous les genres d'observation que l'on a dû faire à Port- .ïackson et au port Dalrymple. Depuis trente-sept ans que les bâtimens la Recherche et l'Espérance ont visité les habitans des îles des Amis , ces peuples ont dû avoir des communications plus ou moins fréquentes avec des bâtimens anglais et des États-Unis. On présume, d'après une relation qui a été publiée il y a plusieurs années , que le mode de gouvernement et les meurs des naturels des îles des Amis ont éprouvé de grands changemens. Il serait curieux de faire connaître quelle a été leur nature , et de rassembler un assez grand nombre de faits pour s'assurer si la civilisation y a fait quelques progrès , et si le sort des habitans s'est amélioré, soit par la culture des terres ou toute autre espèce d'indus- I rie. La connaissance que M. Dumont d'Urville a acquise des grands progrès des habitans des îles de la Société en civilisation, en morale et en industrie, peut lui fournir des points de comparaison d'un grand intérêt pour le public en général, et d'une grande utilité pour ceux qui étudient I " i ialement la marche que les peuples sauvages suivent, en partant de leur situation primitive, pour se rappro- cher de l'étal parfait de civilisation. MEMOIRE D'INSTRUCTION. lxiiï L' Astrolabe quittera Tonga-Tabou le 1er janvier 1827. 11 est fort à désirer que M. tl'Urville s'occupe, après avoir quitté cette île, de visiter l'archipel des îles Fidji qui n'en est pas très-éloigné dans le nord-ouest. Krusenstern place l'île de la Tortue, la plus sud de ces îles, par 19° 48' de latitude sud, et 179° 40' de longitude orientale. Lors du séjour du contre-amiral d'Entreeasteaux à Tonga- Tabou, les insulaires lui parlèrent d'un peuple très-en tre- prenant qui faisait souvent des descentes sur leurs îles avec tant de succès , qu'ils y étaient singulièrement re- doutés. Les insulaires des îles des Amis s'étaient cependant défendus contre eux avec avantage. Ils lui montrèrent, des prisonniers faits sur ces peuples , qu'ils avaient incor- porés dans leur nation. A en juger par ceux que l'on a vus , la race d'hommes des îles Fidji est moins belle que celle des îles des Amis. Leur stature est moins haute , les membres n'ont pas d'aussi belles proportions , et leurs traits sont moins réguliers , mais leur physionomie et leur attitude avaient quelque chose de plus caractérisé. Les ustensiles de ménage et les armes conquises par les habi- tant des îles des Amis, annonçaient un peuple plus indus- trieux quoique d'un caractère moins doux que ceux-ci. Rien long-temps avant le voyage du contre-amiral d'Entreeasteaux , Abcl Tasman , voyageur hollandais , après avoir découvert les îles Tonga-Tabou et Anamouka, auxquelles il avait donné le nom d'Amsterdam et de Rot- terdam , vit pour la première fois des îles et des récifs appartenant à l'archipel des Fidji. Les îles furent nommées par lui îles du Prince Guillaume ; et les récifs , basses du Hemskirk , nom de son vaisseau. Il se faisait alors par 16° â0' de latitude sud, et 179° 40' de longitude orientale. lxiv MEMOIRE D'INSTRUCTION. Krusenstern croit que la partie vue par Tasman com- prend les récifs indiqués dans son Atlas sous le nom de récifs du Duff, avec les îles qui les environnent. Il serait à désirer que M. d'Urville, lorsqu'il visitera l'archipel des Fidji, pût restituer les noms du Prince Guillaume et du Hemskirk aux îles et récifs découverts par Tasman. Il serait même digne d'un navigateur français de faire reparaître sur ses cartes le nom du Hollandais célèbre qui , le pre- mier, a eu connaissance de ces îles. La seule trace qui nous reste du voyage d'Abel Tasman, se trouve dans l'ouvrage de Valentyn. Cet auteur dit peu de chose de la découverte des îles Fidji , mais on trouve une carte qui , quoique mal dessinée et peu détaillée de cette découverte, en donne des idées plus précises que le texte du voyage. Un calque de ce fragment de l'ouvrage de Valentyn est envoyé à M. d'Urville. L'archipel des îles Fidji est d'une grande étendue ; il a plus de quatre-vingts lieues du nord au sud, depuis la petite île de la Tortue qui est la plus méridionale , jusqu'à l'île Farewell la plus au nord; et à peu près autant de l'est à l'ouest. 11 comprend un grand nombre d'îles et de dangers. Si V Astrolabe peut partir de Tonga-Tabou à l'é- poque indiquée, qui est le 1" janvier, il sera possible d'em- ployer soixante-dix-huit jours à la reconnaissance de cet archipel ; ainsi , en supposant qu'il y arrive le 7 janvier, il en partira le 27 mars. Cette dernière époque est de rigueur, et dans aucun cas il ne devra quitter ces îles plus tard. La première partie de la carte n. 14 de l'Atlas de Kru- senstern pourra servir de guide à M. d'Urville. Les vents dominans dans ces parages sont les vents de sud-est. La Tortue , qui est l'île la plus sud , paraît donc le premier MEMOIRE D INSTRUCTION. lxv objet dont il faut prendre connaissance. Ensuite , en fai- sant route du nord-est au sud-ouest, ou dans d'autres direc- tions , suivant la position des terres et des dangers , on fera en sorte que l'espace visité soit divisé en deux parties égales, par une ligne dont la direction serait à peu près nord-ouest et sud-est, laquelle passerait dans le groupe où se trouve l'île Tongue , et se continuerait jusqu'à l'île Pago , la plus grande des iles Fidji. La reconnaissance de cet archipel n'a pas été complétée, ainsi on croit devoir re- commander de ne pas regarder les extrémités indiquées par la carte comme les véritables, et l'on engage M. d'Ur- ville à pousser ses recherches au-delà , en se tenant cepen- dant dans de certaines limites. 11 est essentiel de le prévenir que la navigation entre ces iles est embarrassée par un très-grand nombre d'écueils et de récifs. Il sera nécessaire de mettre la plus grande précaution à cette reconnaissance. Les habitans , d'après les récits du peu de navigateurs qui ont eu connaissance de ces iles , confirment ce que les insulaires des iles des Amis avaient dit au contre-amiral d'Entrecasteaux de leur férocité. On a lieu de croire , néanmoins, que M. d'Ur- ville entretiendra parmi ses équipages un ordre et mie discipline tels que les communications indispensables qu'il aura avec eux seront sans danger. Il pourra obtenir de quelques-uns d'entre eux des renseignemens sur la position des iles voisines par rapport au lieu où il les aura obtenus, ainsi que sur les principaux écueils ou récifs dont elles sont environnées. Quelles que puissent être les imperfections de pareils renseignemens , ils aideront ce- pendant M. d'Urville à se diriger, mais surtout ils empê- cheront qu'il ne soit exposé à n'avoir pas connaissance de quelques-unes des iles dont cet archipel est composé: car, lxvi MÉMOIRE D INSTRUCTION. comme on l'a déjà dit , la carte de l'ouvrage de Krusen- stern est très-incomplète, de l'aveu même de son auteur. Les différentes îles y ont été placées , d'après les routes de navigateurs qui n'ont pas eu connaissance des mêmes points , et il serait très-possible que ces îles n'eussent pas absolument entre elles les positions relatives qui leur ont été données sur la carte. On a dit précédemment que M. d'Urville pourrait con- sacrer soixante-dix-huit jours à la reconnaissance de l'ar- chipel des îles Fidji, s'il part de Tonga-Tabou le 1er janvier 1827, ou plutôt s'il y arrive le 7 janvier suivant. Il serait à désirer que dans cet intervalle de temps il pût en com- pléter la reconnaissance ; mais, en raison de son étendue , des difficultés de la navigation et des contrariétés que l'on doit prévoir, il serait imprudent d'y compter. On est donc obligé , quoiqu'on lui recommande de re- connaître en entier cet archipel , de supposer qu'il ne pourra en visiter qu'une partie ; mais , dans cette supposi- tion , il s'attachera à compléter ce qu'il aura vu, et à nous en donner des cartes exactes. Il ne doit , en conséquence, passer légèrement sur aucune des parties dont il aura connaissance pour aller en reconnaître d'autres. 11 visi- tera en détail toutes les portions de cet archipel , comme s'il ne devait s'attacher qu'à celles-là, et si, le 27 mars, époque à laquelle il doit s'éloigner de ces parages, le temps ne lui a pas permis de reconnaître toutes ces îles , il doit être persuadé qu'on lui tiendra compte des travaux qu'il aura faits , comme s'il avait pu lever la carte de l'ar- chipel entier. Il est à présumer que si la corvette V Astrolabe quitte les îles Fidji le 27 mars, elle pourra se trouver aux envi- rons de la Nouvelle-Calédonie le 6 avril suivant. La route MEMOIRE D'INSTRUCTION, lxvii sera dirigée à l'ouest , de manière à passer en vue des iles les plus méridionales de l'archipel des Hébrides appelées Erronan et Anatom; ensuite on se tiendra entre les paral- lèles de 20° et 21° de latitude. Les côtes de la Nouvelle- Calédonie, et les récifs dont elles sont environnées, ont été reconnus par Cook et le contre-amiral d'Entrecas- teaux ; il serait sans objet de s'en occuper ; mais un groupe d'îles qui porte, sur la nouvelle carte, le nom de Loyalu- Islands, situé à environ 20° 60' de latitude sud, et dont l'extrémité occidentale se trouve à peu près sur le même méridien que les iles Beaupré , reconnues par d'Entre- castcauv, mérite toute l'attention de M. d'Lrville. >.ous n'avons aucun détail certain sur l'étendue et la position de ces iles. Krusenstern dit qu'elles ont élé vues en 1800 par le vaisseau Tf'alpoole, et, selon d'autres, en 1803 par le vaisseau la Britannia. Il serait utile que M. d'Lrville pût nous en donner une carte complète; mais il est impos- sible de s'en flatter parce qu'il n'aura, selon toute appa- rence , à y consacrer que dix jours ; c'est-à-dire depuis le 6 avril , époque où l'on suppose qu'il en aura con- naissance, jusqu'au 16 avril, qu'il devra continuer sa route pour remplir les autres objets de sa mission. La carte de l'A lias de Krusenstern, où se trouve la Nouvelle-Calédonie , semblerait indiquer que les côtes occidentales des deux iles les plus méridionales des Loyalty-lslands, ainsi que les côtes sud des trois autres iles, ont été visitées. M. d'Lrville tâcherait donc de venir reconnaître l'extrémité la plus sud de ces iles les plus méridionales qui se trouvent par environ 21° 32' de lati- tude, et 165° 28' de longitude orientale. Mais cette longitude est incertaine, et ne mérite aucune confiance. En partant de l'extrémité dont on vient de parler, il lxviii MÉMOIRE D'INSTRUCTION. serait possible, avec des vents de sud-est, de prolonger les côtes orientales des deux îles qui se dirigent du nord au sud, et ensuite de suivre les côtes septentrionales des trois îles rangées à peu près sur une ligne est et ouest. En quittant ces îles , il serait avantageux de rattacher leur position à quelques points dont la position géographique a été antérieurement déterminée par le contre-amiral d'Entrecasteaux; les îles Beaupré offriront cet avantage, mais il faudrait passer au sud de ces îles , parce que c'est la partie nord qui a été vue précédemment. Il est inutile de dire que , si le temps ou les circons- tances ne permettaient pas d'aller prendre connaissance des îles Beaupré , il faudrait aller chercher un des points de la Nouvelle-Calédonie , déterminé précédemment par le contre-amiral d'Entrecasteaux. On fera en sorte de quitter, ainsi qu'on vient de le dire , les Loy alty-Islands , le 1 6 avril ; ensuite on fera route pour attérir sur le cap de la Délivrance de la Louisiade, où l'on tâchera d'arriver le 1er mai. Cette route fait traverser un espace de mer peu connu, et dans lequel il est à présumer qu'il peut se trouver des écueils ou des îles qui n'ont point encore été décou- verts. Dernièrement un bruit a couru , fondé sur le dire d'un capitaine américain , d'après lequel on pourrait supposer que sur la ligne que l'on tirerait de l'extrémité septen- trionale des récifs de la Nouvelle-Calédonie . jusqu'au cap de la Délivrance de la Louisiade', ou dans les environs de cette ligne, il aurait découvert un groupe d'îles bien peuplées et entourées de récifs. Ce même capitaine a dit avoir eu des communications avec les habitans , et avoir vu entre leurs mains une croix de Saint-Louis et des mé- MEMOIRE D'INSTRUCTION, mx dailles telles que La Pérouse en avait sur son expédition pour distribuer aux peuples de la mer du Sud. Ces indices lui ont fait croire que les bàtimens de l'infortuné La Pérouse avaient péri sur ces îles , et ont réveillé , dans toute l'Europe , l'espoir perdu depuis long-temps de re- trouver les traces de La Pérouse et de quelques-uns de ses malheureux compagnons de voyage. Les récits du capi- taine américain sont si vagues , qu'il est impossible de donner aucun détail sur cette découverte à M. d'Urville. Le désir de retirer quelques Français malheureux des mains des peuples sauvages des des de la mer du Sud , l'engagera sans doute à rechercher les îles dont il est question avec le soin que mérite un but d'humanité de cette importance. M. d'Urville déterminera la position géographique du cap de la Délivrance , le plus oriental de la Loui- siade , pour rattacher ses opérations à celles du contre- amiral d'Entrccasteaux; il prolongera ensuite les côtes méridionales de ces îles, d'assez près pour bien les re- connaître , mais il évitera de compromettre la sûreté de son bâtiment. Toutes les fois qu'un canal lui paraîtra na- vigable et exempt de danger, il cherchera à y pénétrer et à reconnaître quelques points antérieurement placés par le navigateur français qui nous a donné le plus de détails sur ces îles. M. d'Urville se ménagera , dans tous les cas, les moyens de retourner sur ses pas , et de venir repren- dre la reconnaissance de la partie méridionale qu'il conti- nuera jusqu'au cap Rodney que l'on croit être le plus oriental de la Nouvelle-Guinée. Lorsque M. d'Urville sera arrivé au cap Rodney, son but sera de reconnaître la côte méridionale de la Nou- velle-Guinée ; puis la corvette /' .islrolabc se rendra di- lxx MEMOIRE D'INSTRUCTION. rectement à Amboine , où l'on suppose qu'elle pourra arriver aux environs du 10 octobre. La relâche d' Amboine offrira toutes les ressources que l'on peut désirer, tant pour procurer des rafraîchisse- mens aux équipages , remplacer les vivres , que pour faire des observations astronomiques. Amboine a été déterminée en longitude pendant le voyage du contre-amiral d'Entrecasteaux , c'est le résultat d'une observation d'occultation faite à Sourabaya , lequel a servi à déterminer toutes les longitudes absolues des lieux situés entre Sourabaya et les petites îles Mispalu qui sont à peu de distance , dans l'ouest du cap de Bonne- Espérance, de la Nouvelle -Guinée. Ce nouveau point liera les longitudes des montres de V Astrolabe aux lon- gitudes du contre-amiral d'Entrecasteaux et des autres navigateurs français qui ont relâché dans cette île. Toutes les autres expériences ou observations de nature à agrandir le domaine de nos connaissances , pourront être répétées pendant cette relâche. Il sera nécessaire d'attendre à Amboine , non-seulement que la mousson d'ouest se soit établie , mais encore que le temps orageux et les vents violens, par lesquels cette mousson commence , se soient apaisés ; ainsi V Astrolabe ne quittera Amboine que le 1er décembre pour aller visiter les parties de la cote de la Nouvelle-Guinée les moins connues. M. d'Urville choisira, parmi les détroits qui conduisent au nord de la Nouvelle-Guinée en sortant des Moluques, celui qu'il jugera à propos , et comme toute la côte nord de cette grande île , depuis son extrémité occi- dentale , n'a aucun danger, et d'ailleurs est bien connue , il passera légèrement le long de cette côte , et viendra relâcher au port de Dory. On croit, néanmoins, devoir MEMOIRE D'INSTRUCTION. lxxi lui recommander particulièrement de prendre connais- sance des deux petites îles Mispalu déterminées par d'Entrecasteaux , et dont la position en longitude est liée aux positions des îles Moluques et des îles de la Sonde. On admet que la corvette l'Astrolabe arrivera le 1er janvier 1828 au port de Dory. Une relâche de neuf jours parait devoir suffire pour faire dans ce port des ob- servations astronomiques et des collections d'histoire na- turelle ; ainsi on quittera Dory le 10 janvier. L'objet que l'on doit avoir principalement en vue après cette re- lâche, est la reconnaissance des côtes nord de la Nouvelle- Guinée jusqu'au détroit de Dampier.-Deux routes se pré- sentent pour traverser la baie du Geelwink. L'une ferait passer dans le détroit de Jobie qui n'est pas très-bien connu. L'autre conduit au nord de l'île de William Schou- ten. En suivant celle-ci, on pourrait vérifier si les îles Stephen de Carteret sont les mêmes que les îles de la Pro- vidence. Il serait bon de vérifier également si les îles Freewill sont les mêmes que le Jf'anvick a vues en 1761. M. d'Urville trouvera dans l'ouvrage de Krusenstern les renseignemens nécessaires pour le guider dans ses vérifi- cations. Parvenu à la pointe orientale de la baie du Geel- wink , on suivra la côte de la Nouvelle-Guinée d'assez près pour la bien reconnaître. Les îles découvertes par Schou- ten seront également reconnues avec soin, et rien ne sera négligé pour déterminer leur position à l'égard de la côte la plus voisine. 11 sera essentiel de lier les positions en longitude nou- vellement déterminées à celles du contre-amiral d'Entre- casteaux. Les opérations précédentes seront subordonnées au temps qu'il sera possible d'y employer , c'est-à-dire que l'on ne restera sur ces côtes que depuis le 10 janvier ,xxn MEMOIRE D'INSTRUCTION. jusqu'au 10 mars. Le temps écoulé du 10 mars au l« avril sera employé à visiter les côtes de la Nouvelle-Bretagne , de manière à pouvoir s'assurer si ces terres sont réelle- ment séparées en deux parties au port Montague. Ensuite on remontera au nord par la route que M. d'Urville ju- gera à propos de suivre pour aller prendre connaissance d'une des îles Carolines reconnues précédemment pen- dant le voyage de la Coquille. On suppose que l'astro- labe arrivera à une de ces îles le 20 avril. Du 20 avril au 20 mai , on visitera la partie occidentale des îles Carolines jusqu'aux îles Pelew. Pendant le mois entier qu'on y con- sacrera, il sera possible de nous donner une connaissance, sinon complète, du moins très-étendue, de cette partie. Il est en conséquence recommandé à M. d'Urville de ne rien négliger de ce qui pourra contribuer à compléter cette reconnaissance, et pour qu'il ne soit pas exposé à aller chercher , au hasard de les manquer , la multitude de petites îles détachées dont cet archipel est composé , partout où il aura des communications avec les habitans , il s'enquerra soigneusement de la position des îles voi- sines, et, à l'aide de ces renseignemens, il conduira le fil de ses opérations avec l'espoir de ne rien manquer d'une certaine importance. L' Astrolabe s'arrêtera du 20 mai au 5 juin à l'une des îles Pelew, où l'on pourra procurer des rafraîchissemens aux équipages et se livrer à tous les genres d'observations. M. d'Urville , en quittant les îles Pelew, se rendra di- rectement à Sourabaya , situé près de l'extrémité orien- tale de l'île de Java. Cette route , qui le mettra dans la nécessité de traverser les mers des Moluques et des îles de la Sonde, lui offrira un grand nombre de passages différcns. Il choisira, d'après les vents régnans, un de MEMOIRE D'INSTRUCTION. lxxiii ceux qui , ayant été le moins fréquenté , lui donnera le plus d'espoir d'augmenter nos connaissances hydrogra- phiques. La partie de la mer des Moluques , qui est entre Gilolo et Célèbes , principalement du côté de cette der- nière île , est celle qui a été traversée par le plus petit nombre de routes. Cependant comme il pourrait être dif- ficile de gagner vers le sud pendant cette saison , il sera important de suivre la direction la plus propre à abréger la traversée , et surtout il faudra combiner les routes de manière à arriver le 5 juillet à Sourabaya. Une relâche de vingt jours dans ce port parait suffire pour réparer et approvisionner le bâtiment ; ainsi on pourra reprendre la mer le 25 juillet. La position géographique de Sourabaya a été déter- minée pendant le voyage du contre -amiral d'Entrecas- teaux , par des observations dont les résultats méritent la plus grande confiance. La latitude a été conclue par un grand nombre de hauteurs méridiennes d'étoiles , obser- vées avec un cercle astronomique. La longitude est le résultat d'une occultation calculée avec les lieux de la lune, corrigés par des observations du passage au méridien, faites à Greenwich le même jour. C'est à cette longitude , comme on l'a déjà dit , que celles de tous les lieux compris entre les méridiens de Soura- baya et des petites îles Mispalu, ont été rapportées. La comparaison des longitudes obtenues par les montres de V Astrolabe avec celles-ci , fournira des moyens de vérifi- cation dont il sera possible de tirer de grands avantages. De Sourabaya la corvette V Astrolabe se rendra direc- tement à l'Ile-de-France , où l'on suppose qu'elle arrivera le 25 août. Elle pourra quitter cette île le 1" octobre pour revenir dans un des ports de France. i xxiv MEMOIRE D'INSTRUCTION. On doit présumer que M. d'Urville , avant d'effectuer son retour en France , sera bien aise de toucher à l'Ile-Bour- bon. On lui recommande de mesurer avec ses montres ma- rines , dont le mouvement aura sans doute été observé avec beaucoup de soin à l'Ile-de-France , la différence en longitude qui existe entre le port Louis et la ville de Saint- Denis de l'Ile-Bourbon. La longitude du port Louis a été observée par l'abbé de La Caille et mérite une grande confiance. Il nous reste encore quelques incertitudes sur celle de Saint-Denis ; et , si M. d'Urville nous procure les moyens de la faire disparaître , il rendra un grand service à l'hydrographie ; car c'est à Saint-Denis , Ile-Bourbon , que tous les bâtimens du Roi ont l'habitude de relâcher avant d'aller dans l'Inde ; et c'est à ce point que l'on rap- porte toutes les longitudes obtenues par des montres, tant sur la côte de Madagascar que dans les archipels de la mer des Indes. Dans tous les cas , M. d'Urville combinera ses routes et la durée des dernières relâches, de manière à arriver dans un des ports de France dans le courant de janvier ou février 1829. RAPPORT SDR LA NAVIGATION DE L'ASTROLABE, COMMAKDt.E PAR M. DUMONT D'URVILLE, CAPITAINE de vaisseau; £u a l'ZUabéttùt royale ors Sciences, bans la séance on 17 août 1829, PAR M. LE CHEVALIER DE ROSSEL. Malgré le peu de succès des recherches faites avec zèle et persévérance pour retrouver les traces de l'expédition de l'infortuné La Pérouse , ses compatriotes n'avaient jamais perdu de vue cet illustre navigateur ; ils avaient au contraire toujours conservé l'espoir de retrouver quel- ques-uns de ses compagnons de voyage , ou au moins de recueillir quelques indices de nature à fixer les idées sur le sort qui leur avait été réservé. L'intérêt général ne s'était jamais ralenti à cet égard; les bruits les plus vagues en apparence étaient saisis avec empressement; ils ve- naient ranimer l'espoir que l'on avait conservé de retrou- ver, de sauver peut-être quelques-uns de nos malheureux i.xxvi RAPPORT compatriotes, tristes débris d'un naufrage dans quelque ile inconnue, ou perdue au milieu de l'Océan- Pacifique ou Grand-Océan. Divers bruits de cette nature se succédèrent presque d'année en année ; mais ils parurent trop peu fondés pour mériter de fixer l'attention. Enfin, quelque temps avant le départ de M. d'Urville, un officier anglais , d'un caractère respectable , répandit dans le public les particularités suivantes. Il tenait, disait-il, d'un capitaine américain que celui-ci, après avoir décou- vert un groupe d'îles bien peuplées et entourées de récifs, avait eu des communications avec les habitans, et avait vu entre leurs mains une croix de Saint-Louis et des mé- dailles telles que La Pérouse en avait sur son expédition. Ces indices pouvaient faire croire que les bâtimens de La Pérouse avaient péri sur ces îles. Il ne manquait à des renseignemens aussi bien circons- tanciés que de faire connaître le nom et la position du groupe d'îles , où avaient été découverts ces témoignages irrécusables de la présence des bâtimens de La Pérouse. Quoique l'espoir de le retrouver fut presque évanoui, et que le récit du capitaine américain manquât de l'objet le plus important, c'est-à-dire de celui qui pouvait aider à diriger les recherches , on ne crut pas devoir négliger un bruit qui avait ranimé l'espérance dans tous les esprits. On se décida par cette raison à entreprendre une nou- velle campagne de découvertes qui devait , dans sa route , passer au milieu des parages où l'on pouvait supposer que devait se trouver le groupe d'îles visitées par le capitaine américain. Assurément il n'était guère possible de se Mai ter de le retrouver, d'après des renseignemens aussi vagues que ceux qui avaient été donnés sur sa position. DE M. DE HOSSEL. lxxvii Quelques personnes auraient même pu croire que les bruits répandus sur le témoignage de ce capitaine amé- ricain étaient dénués de fondement. Je ne serais même pas éloigné de penser qu'elles eussent eu raison , car depuis on n'a plus entendu parler ni du récit du capitaine américain, ni de la croix de Saint-Louis, ni des médailles qu'il aurait vues entre les mains des habitans du groupe d'îles dont il s'agit. C'est par des renseignemens bien plus circonstanciés, obtenus peu de temps après le départ de M. dlrville, que nous avons enfin pu concevoir légitimement l'espérance de retrouver des traees de La Pérouse. Le récit du capitaine américain, quoiqu'il laissât tant à désirer, vint à l'appui du désir que l'on avait de favoriser les progrès de l'hydrographie et des sciences en général, et contribua beaucoup à faire entreprendre une cam- pagne de découvertes dans l'Océan -Pacifique. L'on s'y détermina avec d'autant plus de ebances de succès, qu'elle pouvait être confiée à un officier distingué qui avait fait précédemment plusieurs campagnes de cette nature, et avait acquis toutes les connaissances que l'expérience peut donner , ainsi que celles que l'on obtient par l'étude et la méditation. Des instructions furent rédigées de manière que M. d'L'rville pût remplir ces deux objets en même temps, c'est-à-dire qu'il visitât les parages où l'on pouvait sup- poser que les bàlimens de La Pérouse avaient péri, qu'il nous fit connaître quelques-unes des parties de notre globe qui n'avaient pas encore été explorées, et où il pût , par conséquent , contribuer à l'accroissement des con- naissances dans toutes les branches des sciences natu- relles. Ce dernier but a été atteint au-delà de nos espé- ..xxvii. RAPPORT raines pendant l'expédition de M. d'Urville, et, par un de ces hasards heureux qui sont hors de la prévoyance humaine , il a aussi retrouvé des traces de l'expédition de La Pérouse : que s'il n'a pas pu jouir d'un bonheur com- plet en ramenant dans leur patrie quelques-uns de ses infortunés compagnons de voyage, M. d'Urville a eu du moins la consolation de leur élever, sur le lieu même de leur désastre , un monument qui témoignera l'intérêt que leurs compatriotes ont pris à leur sort , et les regrets que leur perte n'a cessé d'inspirer dans les lieux où ils ont pris naissance. M. d'Urville s'est attaché avec un zèle et une persévé- rance infatigables à remplir tous les objets de la mission qu'il avait reçue ; il a été secondé avec le même zèle et une activité surprenante par tous ceux qui ont servi sous ses ordres : les résultats de sa campagne sont immenses. Cinquante-trois cartes ou plans des côtes, des ports ou mouillages, ont été rédigés pendant la campagne , douze autres plans ou cartes n'ont été qu'esquissés. Les cartes terminées ont été levées d'après les meilleures méthodes , et rédigées avec un soin digne des plus grands éloges. Elles donneront aux navigateurs qui visiteront les mêmes parages, le moyen de se conduire avec la plus grande sécurité. Les cartes ou plans incomplets auront sans doute la même précision. Les dessins destinés à faire connaître l'aspect des lieux, l'espèce d'hommes qui les habite , leurs costumes , leurs armes , leurs habitations, etc., sont très-nombreux; ils se montent à huit cent soixante-six : on les doit à M. de Sainson. Si à ce nombre déjà assez considérable on ajoute quatre cents dessins de vues de côtes , par M. Lau- vergne, la totalité des dessins qui sont le fruit de la DE M. DE ROSSEL. lxxix campagne de M. d'Urville se portera à douze cent soixante -six , consacrés seulement aux parties histori- que et nautique du Voyage. Sans doute il sera im- possible de les publier en totalité ; mais M. d'Urville , par un choix judicieux et rempli de goût , en retranchera les dessins qui offrent un moindre intérêt ; l'on peut s'en rapporter au discernement qui le guidera pour être per- suadé que les savans et les curieux n'auront rien d'essen- tiel à regretter. Je n'entrerai pas ici dans les détails de tous les différons titres sous lesquels on peut comprendre la masse considérable des dessins dont il vient d'être question ; je ne puis cependant passer sous silence les réflexions que m'a suggérées la belle collection des por- traits des habitans, composée de cent cinquante-trois figures. Dans les Voyages publiés jusqu'à présent , on ne trouve que des portraits isolés , et en petit nombre. Ils ont fait connaître, à la vérité, les traits et la conformation de quelques races d'hommes; mais la collection de M. d'Ur- ville offre un bien plus grand intérêt, en raison du grand nombre de portraits dont elle est composée. Cette collec- tion représente les traits et la conformation de plusieurs individus choisis dans chacune des races d'hommes qu'il a eu occasion de voir pendant son voyage. Elle nous fait connaître les grands caractères propres à distinguer celles qui diffèrent le plus entre elles, en même temps qu'elle met sous les yeux les diverses nuances par les- quelles de légers changemens se laissent apercevoir dans plusieurs races différentes , et lient ces races entre elles , ainsi qu'il arrive à l'égard de tous les autres êtres de la nature. Cette collection , dont les dessins paraissent être d'une grande fidélité , mérite donc de fixer particulière- mi RAPPORT nient L'attention , et il est à désirer qu'elle soit publiée en entier. Quant à la collection des cartes dont il a été question précédemment, elles ont été levées et rédigées, ainsi qu'on l'a déjà dit, d'après les meilleures méthodes, et sont assujetties aux résultats d'observations astronomiques sus- ceptibles de précision, et aux longitudes obtenues par des montres marines dont les mouvemens ont été observés avec le plus grand soin. Un examen attentif des résultats de ces observations, et la comparaison des latitudes et lon- gitudes des différens lieux placés précédemment sur le globe par d'autres navigateurs , et particulièrement pen- dant la campagne du contre-amiral d'Entrecasteaux , offrent l'accord le plus satisfaisant. On ne peut s'empê- cher de remarquer, à cet égard, que tous les travaux des campagnes où l'on a fait usage des montres marines et de l'observation des distances de la lune au soleil et aux étoiles , concourent à confirmer l'excellence de ces deux moyens de déterminer la longitude. Il n'est pas rare que des positions fixées par des observateurs ou marins éga- lement soigneux, ne diffèrent pas entre elles de plus de deux ou trois minutes de degré ou même quatre minutes. La grande précision des tables astronomiques et celle des instrumens peuvent donc faire regarder le problème des longitudes en mer comme résolu. Il n'y a que les personnes privées de la connaissance des moyens généra- lement employés , qui cherchent encore la solution de ce problème. 11 n'appartient qu'aux savans du premier ordre d'améliorer les méthodes connues et pratiquées , en perfectionnant la théorie des mouvemens des corps rélestes. Les artistes les plus distingués peuvent éga- lement y contribuer , en donnant un grand degré de DE M. DE KOSSEL. lxxxi précision aux instrument qui sortent de leurs mains. Je ne parlerai pas des dessins qui se rapportent à l'his- toire naturelle ; ils ont été vus et jugés par d'illustres savans qui leur ont aceordé leurs suffrages : je me con- tenterai de dire que le nombre des planches est de cinq cent vingt-cinq , contenant près de quatre mille dessins. Ainsi le nombre de planches se rapportant à la partie historique et à l'histoire naturelle est de mille sept cent quatre-vingt-onze , nombre considérable, d'après lequel on peut juger de l'activité qui a régné dans les travaux , du zèle et de l'amour de la science dont étaient animés tous ceux cjui y ont coopéré. Le récit de M. d'Urville , lu dans une des séances de l'Académie, a fait connaître la route qu'il a suivie. Userait inutile, dans ce Rapport, d'entrer dans les mêmes détails ; il suffira d'en rappeler certaines circonstances pour mettre sous les yeux l'ensemble de ses opérations, et donner une idée nette et précise des services qu'il a rendus à l'hydro- graphie. Vous avez appris qu'après le départ de l'astrolabe du port de Toulon , M. d'Urville a relâché à Ténëriffe , à la Praya, a vérifié et déterminé la position de l'ile de la Trinité située dans l'océan Atlantique, cherché inutile- ment l'ile de Saxembourg qui n'en doit pas être très- éloignée ; qu'il a visité le port du Roi-Georges , situé à la terre de Nuitz; qu'en passant dans le détroit de Bass, il s'est arrêté au port Western; et enfin qu'il est arrivé à ï'ort-Jackson. Les grandes opérations de la campagne ont commencé après le départ de Port-Jackson, sur les côtes de la Nou- velle-Zélande ; une portion de la côte nord-ouest de l'ile la plus sud a été reconnue. L' Astrolabe est entrée dans le / Lxxxii K APPORT canal qui sépare cette ile de celle qui est le plus au nord, et a exploré toute la côte orientale de la dernière île jus- qu'au cap Nord. Cette reconnaissance exigeait d'autant plus de fermeté et de persévérance, que la Nouvelle- Zélande est par une latitude sud assez élevée , et que les coups de vent y sont par conséquent très-fréquens. M. d'Urville s'est trouvé sur cette côte dans des positions très-épineuses dont il a su se tirer avec habileté. Sa navi- gation nous procurera la connaissance entière des parties qu'il a visitées , et qui n'avaient été vues que superficiel- lement. Ses travaux sur la côte du détroit qui sépare les deux îles, en raison des baies et des canaux qu'il a décou- verts , méritent surtout de fixer l'attention. De la Nouvelle-Zélande , l'expédition est allée aux îles des Amis. C'est dans la passe qui conduit au mouillage de l'île Tonga-Tabou qu'elle a couru les plus grands dangers. Les détails que M. d'Urville a donnés de la position où s'est trouvé son bâtiment pendant plusieurs jours , et qui était telle qu'il pouvait s'attendre à tous momens à le voir perdu sans ressources , ont sans doute inspiré un grand intérêt. On a dû remarquer que tout en s'occupant essen- tiellement de la conservation de son bâtiment , il n'a pas perdu de vue celle des fruits de sa navigation précé- dente. Les communications qui ont eu lieu avec les habitans des îles des Amis ont dû fixer aussi l'attention. Le ca- ractère de ces hommes est resté à peu près le même qu'il était lors des séjours du capitaine Cook et du général d'Entrecasteaux, malgré quelques progrès sensibles qu'ils paraissent avoir faits dans la civilisation. Ces hommes , en apparence si sociables , et dans le fait si séduisans , ne sont jamais plus à craindre que lorsque l'on croit pouvoir DE M. DE UOSSEL. lxxxiii vivre au milieu d'eux avec l'abandon de la plus entière confiance ; c'est alors qu'ils se livrent à des voies de lait que l'on est obligé de réprimer par des actes de rigueur. Le capitaine Cook et le contre-amiral d'Entrecastcaux , après les avoir regardés comme des amis , ont été obli- ges de sévir contre eux; et, plus tard, provoqué par des actes de violence qui prenaient sans doute leur source dans la cupidité plutôt que dans la méchanceté ou la cruauté , M. d'Urville a été contraint à son tour de punir l'audace et l'astuce de ces insulaires. Les personnes qui ont fait partie de l'expédition à la recherche de La Pérouse ont appris, avec quelque sur- prise , que les vaisseaux de cet infortuné navigateur s'é- taient arrêtés pendant dix jours à l'île d'Anamouka. M. d'Urville nous assure qu'il lient cette particularité de la bouche même de la reine Tamaha. À la vérité, cette reine s'était expliquée en langue du pavs , ce qui serait de nature à faire naître quelques doutes sur le véritable sens de ce qu'elle a dit ; mais 31. d'Urville ajoute que sa déposition fut accompagnée d'explications , de dé- tails si positifs , que ce fait lui parut à peu près dé- montré ; par conséquent il doit être adopté comme tel , d'après un témoignage aussi digne de confiance. Ce qu'il y a de certain et ce qui doit redoubler l'étonnement , c'est qu'à l'époque du séjour du contre-amiral d'Entre- castcaux qui était à Tonga-Tabou trente-cinq ans avant l'expédition de l'Astrolabe, et par conséquent à une époque beaucoup plus rapprochée du passage de La Pé- rouse à Ànamouka , on n'ait rien remarqué dans les com- munie at ions que l'on a eues avec les naturels du pays, qui ail pu faire naître l'idée d'un fait si important, et de la nature de ceux vers lesquels tous les esprits et les imagi- y* lxxmv RAPPORT nations étaient tendus , puisqu'il se rapportait au but principal de la mission. L'événement arrivé à l'Astrolabe qui a été jetée, pen- dant le calme , par des eourans , sur un écueil dangereux, en occasionant la perte de la plupart de ses ancres , a en- travé singulièrement les opérations subséquentes de la campagne, et M. d'Urville, qui jusque-là s'était attaché à suivre ponctuellement ses instructions , s'est trouvé dans l'obligation de s'en écarter sur plusieurs points. Néan- moins , quoique dépourvu de câbles et d'ancres , il a entrepris la reconnaissance des îles Fidji qui lui avaient été indiquées comme composées d'un grand nombre d'îles et parsemées d'écueils très-dangereux. La reconnaissance de cet archipel présente un fil d'opérations liées entre elles , et dirigées avec un grand discernement. Elle a procuré une carte sur laquelle on peut compter que les îles et les dangers aperçus par M. d'Urville seront placés avec exactitude : nous n'avions que des connaissances impar- faites de la position de ces différentes îles. La carte que Krusenstern en a donnée est très-incomplète , de l'aveu même de son auteur, car il a été obligé d'y placer des îles vues isolément par différens navigateurs, et a été privé des moyens de rectifier les positions qui leur avaient été assignées. Nous remarquerons, en parlant des îles Fidji, que M. d'Urville s'est attaché à restituer aux îles découvertes par les navigateurs de diverses nations , les noms que leur donnent les habitans de ces îles , et qu'il l'a fait toutes les fois qu'il lui a été possible. C'est par cette raison qu'il a changé le nom des îles Fidji en celui de Viti. Néanmoins , voulant rendre hommage au célèbre navigateur hollan- dais qui a eu le premier connaissance d'îles et de dangers DE M. DE ROSSEL. i.wxv sit ués à la partie orientale de l'archipel , il a donné le nom de Tasman à une des îles , et conservé à un danger pré- sumé découvert par cet illustre navigateur , le nom du bâtiment qu'il commandait. Les opérations de la campagne de l' Astrolabe ont été liées à celles du vovage du contre-amiral d'Entrecasteaux , en prenant connaissance des îles les plus méridionales de l'archipel du Saint-Esprit; ensuite on a reconnu cl levé la carte d'un groupe d'iles nommées îles Loyalty , décou- ver! es par les Anglais , et sur lesquelles ils ne nous avaient transmis que des idées très-confuses. Le travail de M. d'Ur- ville remplit cette lacune qu'ils avaient laissé subsiste] dans 1'hvdrographie. Les îles Loyalty ne sont pas très- éloignées au sud d'un groupe de petites îles entourées d'un récif très-dangereux , appelées îles Reaupré par le eoiiire-amiral d'Entrecasteaux qui en eut connaissance à la pointe du jour, presqu'au moment où les bàtimens qu'il commandait allaient s'y briser. Enfin on vérifia que la grande chaîne de récifs qui se prolongent au nord-ouest de la Nouvelle-Calédonie, se termine exactement aux der- niers qui ont été vus par le contre-amiral d'Entrecasteaux. 11 était à présumer, d'après les bruits que le eapitaine américain avait répandus relativement aux vestiges que l'on aurait retrouvés de l'expédition de La Pérouse, que les lies dont la position avait été si vaguement indiquée, devaient être aux environs de la route que l'on aurait à suivre pour se rendre de l'extrémité nord de la Nouvelle- Calédonie à la Louisiade. Aussi M. d'Urvillc redoubla-t-il d'attention pendant ce trajet. Il ne fit route que pendant Le jour, afin qu'aucun des objets environnans ne pût lui échapper. Aucune île ne fut découverte, et les faibles espérances qu'il avait pu concevoir furent évanouies. i.xxxvi RAPPORT M. d'Urville, conformément à ses instructions, avait un très-vif désir de passer entre la Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Hollande, pour revenir dans les Moluques ; mais, dépourvu d'ancres et de câbles , la prudence ne lui per- mettait pas de s'engager dans un passage aussi difficile , dont l'entrée est fermée par une chaîne de brisans de l'espèce de ceux près desquels il avait couru de si grands dangers à Tonga-Tabou , et qui ne laissent que de loin en loin quelques ouvertures étroites dans lesquelles il soit possible d'entrer. Pour rendre sa route utile à l'hydro- graphie , il eût fallu chercher quelques nouvelles passes rapprochées de la Nouvelle-Guinée , avec la certitude de se trouver ensuite dans un parage parsemé de récifs de même nature , de bancs de sable et de rochers sous l'eau peut-être plus dangereux encore que les récifs, parce qu'il est impossible de les voir. M. d'Urville fut obligé de diriger ses vues d'un autre côté , et de rendre sa na- vigation utile en visitant d'autres portions de côtes mal connues. 11 quitta les terres de la Louisiade, remonta au nord, et fit la reconnaissance complète des îles Laughlan ; de là il se rendit au havre Carteret de la Nouvelle-Irlande , où il fit une courte relâche. Ensuite la côte méridionale de la Nouvelle-Bretagne , qui n'avait été vue que de très-loin par le capitaine Dampier , fut reconnue de plus près , et l'on vérifia que le passage que l'on soupçonnait pouvoir se trouver à l'anse qui avait reçu le nom de port Montague, n'existe réellement pas. On découvrit, à l'ouverture de la vaste baie dont il est question , un groupe d'îles remarquables auxquelles on donna le nom d'îles du duc d'Angoulême. C'est après avoir dépassé l'extrémité occidentale de la DE M. DE ROSSEL. i.xxxvu Nouvelle-Bretagne et le détroit auquel Dampier a donné son nom, que M. cl'Urville rendit un éminent service à l'hydrographie , en entreprenant la reconnaissance de cette longue suite de côtes comprenant l'espace qui est entre le détroit de Dampier et la baie du Geclwink, et qui borne la Nouvelle-Guinée du côté du nord. L'expédition fut favorisée par un très -beau temps; ainsi on put eu lever une carte exacte sur laquelle toutes les îles qui l'avoisinent se trouveront placées avec précision. Plu- sieurs de ces îles avaient été vues précédemment ; mais nous n'en avions que des notions imparfaites. Un grand nombre d'autres, très-rapproebées de la côte, ont été dé- couvertes pendant cette nouvelle reconnaissance. Ensuite on fit une relàcbe au port de Dorey, et l'on vint à Am- boinc prendre le repos dont les équipages avaient besoin après une si longue navigation. L'astrolabe y mouilla le 24 septembre 1827 à minuit. L'expédition quitta Àmboine le 12 octobre suivant. L'intention du commandant était de rentrer dans la Mer Pacifique ou Grand-Océan, et. d'y travailler à enrichir rbvdrograpbie par de nouvelles découvertes. Il se dirigea en conséquence sur l'extrémité méridionale de la terre de Yan-Diémen , et vint mouiller dans le canal de d'Entre- castcaux. Les côtes de ce beau canal qui, en 1792 et 1793 , épo- que où d'Entrecasteaux en fit la découverte , étaient dé- sertes et sauvages , mais présentaient cependant l'aspect d'une végétation vigoureuse , offrirent à M. d'Urville des plantations, des habitations agréables, qui indiquaient que des hommes civilisés étaient venus s'y établir. Une cité naissante, qui commençait à prendre de l'accroissement, venait d'être fondée dans un grand bras de mer auquel ixxxvm RAPPORT le contre-amiral d'Entrecasteaux avait dorme le nom de rivière du Nord, parce qu il se trouve au fond une rivière qui reçut ce nom. Les Anglais ont jugé à propos de le changer, et l'ont appelée rivière Derwent; ils ont nommé la ville qui est sur ses rives Hobart-Town. M. d'Urville mouilla le 20 décembre sous les murs de cette ville. C'est là qu'il apprit que le capitaine Dillon avait trouvé sur les îles Mallicolo des traces de l'infortuné La Pérouse, et que , pour la première fois , il reçut des renseignemens certains sur la route qu'il devait suivre pour remplir l'ob- jet le plus important de sa mission. Ces renseignemens obtenus à Hobart- Town lui avaient appris qu'à l'île Ticopia il trouverait peut-être des natu- rels ou quelqu'un des étrangers dont avait parlé le ca- pitaine Dillon , qui lui indiqueraient la route à suivre pour se rendre au lieu du naufrage de l'infortuné La Pérouse. M. d'Urville se hâta de quitter Hobart - Town et de faire route pour se rendre à cette ile. Il y arriva le 10 février 1828. Il trouva effectivement le Prussien Buchert qui y était arrivé depuis peu ; mais ni lui , ni aucun des naturels de l'ile ne voulut consentir à lui servir de guide. Tous parurent effrayés de l'influence pernicieuse du climat ma- récageux de l'île Mallicolo, que nous appellerons désor- mais Vanikoro , parce que c'est ainsi que M. d'Urville, d'après les communications qu'il a eues avec les habitans de l'île , a jugé à propos de rectifier la prononciation de ce nom. Le 1 2 février on eut connaissance des sommités de l'ile , mais ce ne fut que le 19 qu'il fut possible d'approcher les côtes, et le 21 V Astrolabe vint mouiller entre les récifs situés à la partie orientale de l'île. Des canots furent DE M. DE ROSSEL. lxxxw immédiatement expédiés dans toutes les directions pour visiter les côtes, et chercher le lieu où les bàtimens de l'ex- pédition de La Pérouse avaient fait naufrage. M. Jacqui- not , embarqué en second sous les ordres de M. d'Urville, y fut conduit par un des naturels du pays; là il en vit les malheureux restes disséminés au fond des eaux dont la transparence lui permit devoir distinctement des ancres, des canons , des boulets , et une immense quantité de plaques de plomb , dont le témoignage irréfragable attes- tait qu'il se trouvait sur les lieux où nos malheureux compatriotes avaient fait naufrage. M. d'Urville, après avoir conduit l'Astrolabe dans un mouillage à l'abri de tous les vents, poursuivit ses recher- ches avec une nouvelle ardeur. La chaloupe fut expédiée pour visiter les récifs de Païou et de Vanou où les deux bàtimens étaient supposés avoir trouvé leur perte, et tâcher de recueillir quelques débris qui pussent attester que les bàtimens qui s'y étaient perdus étaient véritable- ment ceux de La Pérouse. Une ancre de dix-huit cents livres et un canon court en fonte, du calibre de 8, tout corrodés par la rouille, ainsi que deux pierriers en cuivre assez bien conservés , confirmèrent que les débris que l'on avait sous les yeux étaient bien réellement ceux de l'expé- dition de La Pérouse, et renouvelèrent l'impression pro- fonde de regrets que sa perte avait occasionés. M. d'Urville voulut laisser un témoignage des sentimens qu'il avait éprouvés sur les lieux mêmes où les bàtimens de La Pérouse avaient péri ; en conséquence un monument modeste, tel que le comportaient les moyens qu'il avait à sa disposition , fut érigé en l'honneur de La Pérouse et de nos infortunés compatriotes. Son inauguration eut lieu en présence de la majeure partie de l'équipage qui était des- xc RAPPORT cendu à terre, au bruit de la mousqueterie des troupes qui environnaient le monument, et de l'artillerie de l' As- trolabe, avec le recueillement et la tristesse qu'inspire une cérémonie funèbre. Quelque temps après l'arrivée de M. d'Urville à Vani- koro, l'influence pestiférée du climat se fit sentir. Qua rante hommes de l'Astrolabe étaient sur les cadres lorsque M. d'Urville quitta le mouillage où il s'était réfugié. La santé du reste de l'équipage était chancelante, et lui-même, atteint de la fièvre , avait a peine la force nécessaire pour veiller à la conduite du bâtiment dans la passe étroite et difficile par laquelle il devait s'éloigner des lieux qui ne lui avaient présenté que des images douloureuses , sources d'éternels regrets. Les renseignemens obtenus par M. d'Urville firent juger que les frégates commandées par M. de La Pérouse au- raient rencontré inopinément, dans une nuit obscure et pendant un vent violent de sud-est , les récifs qui entou- rent l'île de Vanikoro , et s'y seraient brisés. L'un d'eux serait venu heurter un de ces récifs taillé à pic et aurait coulé à fond presque immédiatement. L'autre vaisseau, plus heureux , serait entré dans une des coupures de ce récif; mais , n'ayant pas trouvé assez d'eau , il se serait échoué et aurait demeuré en place. C'est celui dont les débris aperçus au fond des eaux attestent le naufrage. Trente hommes du bâtiment coulé à fond auraient pu gagner la terre. M. d'Urville ne parle pas du sort qui leur a été réservé ; mais les récits du capitaine Dillon tendent à faire croire qu'ils auraient été massacrés par les naturels de l'ile. Quant à l'équipage du bâtiment qui s'est échoué et qu'il a été impossible de relever de la côte, M. d'Urville a entendu dire qu'il aurait débarqué dans le district de DE M. DE ROSSEL. xci Païou, lieu voisin du naufrage, et aurait construit, avec les débris qu'il aurait pu sauver , un petit bâtiment à l'aide duquel tous les Français se seraient mis en mer après un séjour de sept lunes dans l'île , pour venir dans quelques- uns des établisscmens européens des Moluques ou de la Nouvelle-Hollande. On ne peut malheureusement que trop prévoir le sort qui a été réservé à ces infortunés dont depuis plus de quarante ans on n'a pas entendu parler. Quelques récits cependant assurent que deux hommes de l'équipage restèrent dans l'île , mais qu'ils mouru- rent en moins de deux années. /Vinsi le fruit de toutes nos recherches a été de nous procurer quelques canons , une ancre rongée par la rouille, qui, en nous faisant connaître le lieu du naufrage des compagnons de La Pérouse , nous enlèvent l'espoir de jamais en retrouver un seul. Si quelque chose peut adoucir les regrets de ceux qui ont accompagné le contre-amiral d'Entrecastcaux , chargé spécialement de rechercher les traces de La Pérouse, c'est que dans le cas même où ils auraient abordé à l'île Vani- koro pendant leur expédition , il est probable qu'ils n'y auraient, retrouvé que les témoins muets de la perte de ses bàlimcns. La seule différence qui eût existé , c'est que ces témoins n'eussent pas été endommagés par le temps. En effet, les bàtimens de La Pérouse, partis de Botany-Bay au commencement de l'année 1788, doivent avoir péri sur l'île de "Vanikoro dans le courant de la même année , ou au plus tard au commencement de 1789. Ce n'est qu'au mois de mai 1793 , c'est-à-dire quatre ou cinq ans après l'époque présumée de la perte des bàtimens de La Pé- rouse, que le contre-amiral d'Entrecasteaux aurait pu aborder les lieux du naufrage. Les renseignemens obtenus xcii RAPPORT et transmis par M. d'tlrville doivent faire supposer, s'ils ne donnent pas une entière certitude, que le contre-amiral ill.ntn iMsieauv serait encore arrivé trop tard pour sauver la vie à quelques-uns des malheureux naufragés , puisque deux ans après la perte des bàtimens il n'en restait plus un seul sur l'île. Qu'il me soit permis d'exprimer les regrets que doivent éprouver les personnes qui ont fait partie de l'expédition à la recherche de La Pérouse, et que je ressens aussi vive- ment qu'aucun autre. Le 19 mai 1793, les frégates la Recherche et l'Espérance ont eu connaissance du somme! de l'ile Vanikoro ; elle était alors à quinze lieues au vent. Le nom de la Recherche lui fut imposé , et cette île fut alors confondue dans notre opinion avec la multitude d'autres îles que nous avions vues, et qu'il nous avait été impossible de visiter en détail. Nous étions loin de penser que c'était là où se trouvaient le but et le terme de nos re- rherches et de tous nos vœux. Il ne peut pas rester de doute à l'égard de l'identité de l'île de Vanikoro et de l'île de la Recherche de d'Entrecasteaux. La position géographique tant en latitude qu'en longitude, assignée par M. d'Ur- ville à l'île de Vanikoro, s'accorde d'une manière surpre- nante avec la position assignée à Vile de la Recherche pendant le voyage de d'Entrecasteaux. Lorsque M. d'Urville quitta l'île de Vanikoro , le nom- bre de malades et de gens hors de service lui imposait la nécessité de se rendre par le plus court chemin dans quelque port habité par des Européens. Deux seuls offi- ciers alors n'étaient point alités , et lui-même se trouvait abattu par la maladie. Il ne pouvait donc plus songer à s'engager dans le détroit rempli d'écueils , qui sépare la Nouvelle-Hollande de la Nouvelle-Guinée. Il fit route pour DE M. DE KOSSEL. xcui se rendre directement à Guam, île principale de l'archipel des Mariannes. L'accueil que M. de Freycinct , eoinman- dant de l'Uranie, y avait reçu, les ressources qu'il y avait trouvées et la salubrité du climat , donnaient la certitude que l'équipage épuisé de l Astrolabe pourrait s'y rétablir en peu de temps. La route qui menait à Guam faisait traverser l'archipel des Iles Garolines. On eut connaissance des îles Dublon, dont M. Duperrey, commandant, la Coquille, avait reconnu la partie occidentale. Malgré le désir qu'avait M. d'IJrville et la nécessité dans laquelle il se trouvait de ne point s'ar- rêter dans sa course , il crut néanmoins devoir reconnaître la partie orientale de ce groupe d'iles , et compléter la reconnaissance du navigateur qui l'avait précédé. Enfui le 2 mai 1828, à une heure après midi, ï Astrolabe mou'Ah dans la baie d'Umala. Après une relâche de vingt-huit jours, pendant laquelle son équipage se rétablit, M. d'IJrville quitta la baie d'U- mala, et fit route pour se rendre à Amboine. Plusieurs tics iles qui forment la prolongation de l'ar- chipel des Carolines du coté de l'ouest, furent reconnues, et on en leva le plan. La plus importante de ces décou- vertes est un groupe que les habitans appellent Elivi , et qui, d'après leur récit, est composé d'une vingtaine d'iles. Le 7 juin, on passa à trois ou quatre milles de distance de la plus grande des iles Pelew ; ensuite , après avoir pris connaissance de la Nouvelle-Guinée, on se rendit à l'île Mouron en passant au nord de l'île Waigiow, et de là V Astrolabe vint faire une seconde relâche à Amboine. Au lieu de revenir à l'île de France par les détroits de Timor et d'Ombay, M. d'Urville acquiesça aux proposi- xcxiv RAPPORT tions que lui fit le gouverneur d'Amboine de l'accompa- gner jusqu'à Ménado , situé sur l'île Célèbes , pays peu connu, et par conséquent où on pouvait espérer d'ac- croître nos connaissances en hydrographie et en histoire naturelle. Enfin, après avoir réalisé ses espérances, il mit à la voile le 4 août, fit un très-court séjour sur la rade de Batavia, et arriva le 29 septembre 1828 à l'Ile-de- France. Il est inutile que je répète , en terminant ce Rapport , ce qui a été dit au commencement , relativement à l'im- mensité des travaux accomplis dans toutes les branches de connaissances, travaux dont il avait été recommandé à l'expédition de s'occuper. Je me permettrai seulement d'insister sur le zèle et l'habileté avec lesquels ils ont été exécutés. Tous les officiers de V Astrolabe y ont contribué à l'envi les uns des autres. On doit cependant distinguer M. Jacquinot, commandant en second, qui a fait les obser- vations astronomiques avec tout le talent et l'assiduité dési- rables, malgré la multitude d'autres devoirs qu'il avait à remplir. Il faut aussi faire mention de M. Lottin, lieutenant de vaisseau , qui a levé et rédigé plusieurs cartes ; cet offi- cier est occupé actuellement , par ordre supérieur, à y mettre la dernière main. M. Gressien, également lieute- nant de vaisseau, a levé un grand nombre de cartes , et mérite d'être honorablement cité. On doit aussi plusieurs cartes à MM. Guilbert et Paris , enseignes de vaisseau. Il est rare de voir sur un seul bâtiment un aussi grand nombre d'officiers se livrer à un même genre de travail. Tant de zèle leur fait honneur, et nous apprend avec quel talent, quel discernement, le commandant de l'expé- dition a su maintenir une si grande activité pendant une campagne où les fatigues de toute espèce , les maladies DE M. DE ROSSEL. xcxv auraient pu , non-seulement ralentir l'action de tous les individus , mais encore leur inspirer des dégoûts. M. d'Urville parle avec éloge de MM. Quoy et Gaimard , dont les travaux ont été hautement appréciés par les sa- vans appelés à en juger : si j'en fais mention dans ce Rapport, ce n'est que pour attirer toute l'attention sur l'ensemble , au-dessus de tout éloge , qui a régné dans les travaux de l'expédition. Nous devrions terminer ce Rapport en exprimant le désir de voir publier le plus tôt possible de si grands et de si importans travaux ; nous pourrions être assuré de l'assentiment de l'Académie : mais Sa Majesté a devancé nos vœux; elle a ordonné la publication de tous les fruits recueillis pendant la campagne de l'Astrolabe. Elle a pris , avec une bienveillance toute particulière , en con- sidération les services de M. d'Urville qui a dirigé cette expédition, en lui accordant le grade de capitaine de vaisseau. 11 ne reste plus qu'un dernier vœu à former, c'est de voir que les officiers et les naturalistes qui ont secondé M. d'Urville avec tant de succès, soient jugés dignes de recevoir la récompense due à leur talent , à leur zèle et à leur persévérance. INSTITUT DE FRANCE Paris, le i>'< octobre iHjr). Le Secrétaire perpétuel de l'Académie, pour les Sciences Naturelles, certifie qtie ce qui suit est extrait du procès-verbal de la séance du lundi ?.fi octobre 1829. L'Académie, qui a déjà entendu avec intérêt le rapport qui lui a été fait par M. de Rossel, sur le voyage de décou- vertes exécuté sous les ordres de M. le capitaine d'Urville, a désiré qu'il lui fut rendu un compte particulier des tra- vaux des naturalistes attachés à cette expédition, et elle nous a chargés , MM. Geoffroy-Saint-Hilaire , Latreille , Duméril et moi, d'en examiner la partie zoologique. Il nous a été d'autant plus facile de nous acquitter de ce devoir, que déjà quatre fois nous avons eu occasion d'en- tretenir l'Académie des envois de ces savans navigateurs , et que nous n'avons en quelque sorte aujourd'hui qu'à résumer nos rapports précédens , et à les compléter par une indication des objets qu'ils en ont déposés eux-mêmes, à leur retour, soit à l'Académie, soit au Muséum d'histoire naturelle. xcvm RAPPORT MM. Quoy et Gaimard, zoologistes de l'expédition, étaient déjà glorieusement connus de l'Académie et de tous les amis de l'histoire naturelle par leur participation au Voyage de M. le capitaine de Freycinet, et par le vo- lume plein d'observations curieuses et nouvelles dont ils ont enrichi sa Relation. On ne pouvait pas douter que l'ex- périence acquise lors de cette première expédition, et les études qui leur avaient été nécessaires pour en publier les résultats, ne les eussent mis à même de rendre la seconde encore plus profitable à la science ; et on l'espérait d'au- tant plus que le capitaine d'Urville devait se rendre dans des parages encore plus abondans en riches productions, et encore moins connus des naturalistes que ceux qu'avait traversés le capitaine de Freycinet. Ces espérances n'ont point été trompées. Malgré les malheurs et les contre-temps que l'expédition a éprouvés, et bien qu'elle n'ait pu séjourner autant qu'il eût été à désirer sur ces côtes encore presque neuves pour la science, de la Nouvelle-Guinée, MM. Quoy et Gaimard ont envoyé et rapporté des collections plus considérables qu'il n'en avait été formé jusqu'à ce jour, ni par leurs prédéces- seurs, ni par eux-mêmes. Fidèlement déposées au Cabinet du Roi , il en a été fait des catalogues exacts qui spécifient classe par classe les nombres des genres, des espèces et des individus de chaque espèce ; tous ces animaux, depuis les plus grands jusqu'aux plus petits et aux plus frêles, sont d'une conservation qui annonce la plus grande habileté et la patience la plus sou- tenue. Nous ne répéterons point ici ce que nous avons dit dans nos quatre Rapports précédens, sur les nombres des espèces et des individus qui ont composé ces envois. Les catalo- DE M. CUV1EH. xcix gués les comptent par milliers, et rien ne prouve mieux l'activité de nos naturalistes, que l'embarras où se trouve l'administration du Jardin du Roi , pour placer tout ce que lui ont valu les dernières expéditions, et surtout celle dont nous rendons compte. Il a fallu descendre au rez-de- chaussée , presque dans les souterrains , et les magasins même sont aujourd'hui tellement encombrés , c'est le véritable terme , que l'on est obligé de les diviser par des cloisons , pour y multiplier les places. Nous ferons remarquer seulement que dans les catalo- gues généraux qui ont été présentés à l'Académie, ne sont pas comprises de nombreuses petites espèces contenues dans six cent cinquante bocaux, dont plusieurs en renfer- ment dix ou douze , l'examen que MM. Quoy et Gaimard en font eux-mêmes n'ayant pas encore été terminé. Une partie des objets auxquels leur nature donnait du prix ont été achetés des deniers de ces naturalistes, et même M. Gaimard a fait à lui seul les frais de son excur- sion particulière à Madagascar. On conçoit , d'ailleurs, tout ce qu'il a dû en coûter de fatigue, ce qu'il leur a fallu d'attention et d'adresse pour ne rien laisser échapper de tant d'êtres fugitifs, surtout, de ceux que l'œil même a peine à saisir au milieu des va- gues dont ils ne se détachent point par la couleur; aussi se font-ils un plaisir de reconnaître que le zèle de tous les officiers, de tous les hommes de l'équipage, pour ce genre de recherches, la complaisance qu'ils ont mise à les se- conder, les ont puissamment aidés à remplir cette partie de leur mission. Le corps de la marine française est trop éclairé aujourd'hui pour dédaigner rien de ce qui se rap- porte aux sciences, et nous regarderons toujours comme un devoir de la part des naturalistes de témoigner publi- RAPPORT quement toute la reconnaissance qu'ils lui doivent. Depuis plusieurs années, l'histoire naturelle, et surtout la zoologie, s'est plus enrichie peut-être par suite des ordres donnés de la part du ministère de la marine, et du zèle que MM. les officiers ont mis à les exécuter, que par les efforts particuliers d'aucun de ceux qui la cultivent, et même que par les expéditions scientifiques d'aucune des époques précédentes. Dans cette occasion, ce zèle a pu se montrer d'autant mieux , que le commandant de l'expédition , M. le capitaine d'Urville , lui-même très-profond dans plusieurs branches de la science, a partagé, autant que ses devoirs de chef le lui ont permis, les travaux des natu- ralistes; et qu'on lui doit personnellement une grande partie des insectes de la collection. On en doit aussi beau- coup à M. Lottin, l'un des officiers, et leurs contributions, pour cette partie seulement, montent à près de cinq cents espèces. A Madagascar, M. Ackermann, chirurgien-major de rétablissement français, en a usé également envers M. Gai- mard avec la plus grande générosité. Ce qui ajoute encore à la reconnaissance que les amis de l'histoire naturelle doivent au ministère de la marine et au. gouvernement du Roi en général, c'est l'attention que l'on met aujourd'hui à publier aussitôt les résultats des expéditions et avec une magnificence égale, à quelque science qu'ils se rapportent. On se souvient comment tout ce qu'avaient produit le voyage de Bougainville, et le séjour de Commerson dans les mers de l'Inde, s'est trouvé dispersé. Je ne parlerai pas de l'expédition de La Pérouse, ni de celle de d'Entrecasteaux, l'une et l'autre si malheu- reusement terminées , quoique d'une manière différente ; mais Péron lui-même, dont l'activité, lors de l'expédition DE M. CUVIER. ci de Batidin , avait été si productive , n'a j)u obtenir que la publication d'un mince atlas , et le grand nombre de des- sins qui avaient été faits sous ses veux , ont même disparu après sa mort, sans qu'aucune autorité se soit mise en peine d'en faire la recherche. Il n'en a pas été de même îles trois derniers voyages. Celui de M. de Freycmet a déjà produit, pour la seule zoologie, un volume où l'on ne peut reprendre que deux ou trois figures faites sur des dessins non vérifiés d'un artiste qui n'était pas naturaliste. Celui de M. Duperrev se publie maintenant avec encore plus de magnificence, et l'ordre a été donné de publier également celui dont nous rendons compte. Rien ne lui manquera en exactitude, sous le rapport des dessins. M. Quoy, pour beaucoup d'objets, ne s'en est reposé que sur lui-même; il s'est en quelque sorte adjoint à M. Sainson , peintre de l'expédition, et son talent , comme dessinateur , ne se montre pas moins dans les recueils que nous avons sous les yeux, que ses connaissances comme naturaliste. Tous les objets dont l'art ne pouvait entièrement préserver les formes ou les Cdttlèurs, ont été représentés d'après le vivant, ou au moins sur le frais, et, ce qui est vraiment prodigieux, ils ont tous été dessinés deax fois; les auteurs ont gardé par-devers eux les premiers dessins, et, dans la crainte d'événemens qui pourraient anéantir leurs travaux, ils ont saisi toutes les occasions d'en envoyer des copies cof- reeles à l'Académie, qui, déposées au secrétariat, leur ont été* exaetement remises lors de leur retour. Ces dessins, que rien ne pourrait remplacer, ne por- tent , comme celàjétait naturel , ni sur les Mammifères , ni sur les Oiseaux, ni sur les Insectes, trois classes qui se cou en RAPPORT servent assez bien en nature pour ne pas exiger cette pré- caution ; mais ils représentent quelques Quadrupèdes (à cause de leurs attitudes), et tous les Reptiles, les Poissons, les Mollusques, les Annélides et les Zoophytes qui ont paru offrir quelque intérêt. Ils forment cinq cent vingt-cinq planches in-4°, conte- nant trois mille trois cent cinquante figures ou détails ana- tomiques relatifs à douze cent soixante-trois espèces dif- férentes d'animaux des classes que nous venons d'indi- quer. En même temps que ces observateurs pleins de zèle se livraient à ce pénible travail, ils consignaient dans des registres tenus dans le meilleur ordre tout ce qu'il y avait à remarquer d'intéressant sur chaque espèce. Des numéros de concordance fort exacts renvoient , de l'observation écrite, au dessin, et à l'objet même conservé en nature, en sorte que, par la combinaison de ces trois documens, on peut toujours en compléter l'histoire. L'examen de ces riches recueils est fait à la fois pour effrayer l'imagination sur les prodigieuses richesses de la nature, et pour rendre modestes les naturalistes les plus habiles, en leur apprenant combien ils sont encore reculés dans la connaissance de ces êtres dont ils prétendent dresser le catalogue. Chaque pas, chaque coup de filet, pour ainsi dire , a fourni à nos voyageurs des choses sin- gulières et inconnues. L'Académie se souvient que, dès la baie d'Algésiras, pendant un séjour que les vents con- traires les obligèrent d'y faire, ils découvrirent en quelque sorte une famille tout entière de Zoophytes, celle des Diphydes, dont on n'avait encore qu'une seule espèce et en individus mutilés. Ce sont des animaux presque incompréhensibles , tou- DE M. CUVIER. cm jours se tenant deux à deux, mais où les individus de chaque couple ne sont pas semblables ; l'un des deux em- boîtant l'autre en partie , et fournissant une guirlande d'ovaires et de tentacules qui traverse un canal de l'em- boîté pour pendre dans la mer. Cet arrangement dont on ne se faisait aucune idée, qui ne se laisse pas même bien expliquer maintenant qu'on le connaît, se répète cepen- dant en huit ou dix espèces différentes, toutes d'une mer très-voisine de nous, et tellement communes, qu'il n'a fallu que quelques jours à nos observateurs pour les ras- sembler. Depuis lors ils en ont trouvé plusieurs autres exemples dans d'autres mers, et nous ne doutons point que les navigateurs, maintenant avertis, ne les multiplient encore beaucoup. MM. Quoy et Gaimard eux-mêmes ont découvert et décrit plusieurs genres qui conduisent par degrés de ceux- là aux Àcalèphes hydrostatiques ordinaires , dont la série se termine aux Physalies. Les formes et les combinaisons les plus extraordinaires se rencontrent dans ce groupe dont les Physsophores de Forskal ne donnent qu'une lé- gère idée. Il y en a dont les vésicules, prenant des formes stéréométriques prononcées, se rassemblent en prismes, en pyramides , en sphères. Les guirlandes de tentacules , de suçoirs, d'ovules, suspendus à ces amas de vésicules, présentent aussi les formes et les couleurs les plus variées. C'est encore là une famille d'êtres qui promet les obser- vations les plus curieuses. Marsigli , Donati , Ellis , nous avaient fait connaître les animaux du Corail, des Gorgones et des Pennatules. M. Sa- vigny avait donné des idées encore plus précises de ceux des Alcyons; mais on n'avait encore que des idées assez vagues de ceux des divers sous-genres que l'on a établis civ RAPPOKT dans le genre des Madrépores, tels que les Garyophylliesr les'Méandrines , les Astrées. Nos voyageurs les ont observés avec soin , et nous en donnent'des figures coloriées ; on voit que, dans les Méan- drines , ce sont des oscules ouverts çà et là dans les sil- lons ; que les Astrées ont des Polypes assez voisins des Actinies ; que dans les Caryophyllies chaque extrémité de branche fait sortir un faisceau de tentacules. Plus de cent planches , contenant pour la plupart de nombreuses figures, sont consacrées aux animaux des Co- quilles. La conchyliologie ne sera plus réduite, comme elle l'était presque encore il y a trente ans, à jouer, comme disait Millier , avec de petites productions pierreuses , plus ou moins bien colorées. Ce qu'Adanson avait com- mencé , ce que Millier lui-même, malgré son ironie, n'a- vait pu porter bien loin , se trouve fort avancé par les observations de nos savans voyageurs. Il n'est guère de genre ni de subdivision de genre dont ils n'aient repré- senté l'animal dans toute son expansion et avec ses cou- leurs naturelles. Deux de ces genres cependant restent encore dans le doute. Ils n'ont eu du Nautile que des fragmens; encore n'est-ce que par conjecture qu'ils les supposent appartenir à cette coquille. Quant à l'Argo- naute, l'Académie a déjà appris, par une de leurs lettres, qu'un Hollandais établi depuis long-temps aux Moluques, les a assurés que cette coquille est habitée par un Mollus- que dont il a fait de mémoire une esquisse , et qui parai- trait de l'ordre des Gastéropodes ; mais MM. Quoy et Gaimard eux-mêmes n'ont vu ce Mollusque ni mort ni en vie , en sorte que ce problème , qui a tant occupé dans ces derniers temps quelques naturalistes , ne peut être encore considéré comme tout-à-fait résolu. DE M. CUV1ER. (v MM. Quoy et Gaimard , ayant bien voulu se souvenir que l'un de nous s'occupe d'un grand ouvrage sur les Poissons, ont donné une attention particulière à cette classe d'animaux. Ils lui ont consacré cent trente-six plan- ches , dont la plupart contiennent plusieurs figures , en sorte que le nombre des espèces représentées va à près de trois cents. Les auteurs se sont concertés avec leurs collègues MM. Lesson et Garnot, qui publient en ce moment la partie zoologique du Voyage du capitaine Duperrey , et avec MM. Cuvicr et Valenciennes , auteurs de l'Histoire générale des Poissons, afin que les espèces qui seront représentées dans un de ces ouvrages , ne soient pas répétées dans les deux autres, et que l'on n'y figure, autant qu'il sera possible, que des espèces qui n'aient point encore paru ailleurs, en sorte que si l'on y réunit la partie zoologique du Voyage du capitaine Freycinet, la France aura produit, en peu d'années, une masse de figures de Poissons coloriées d'après le frais, qui enrichira considérablement l'ichthyologie. Parmi ceux que l'on devra à MM. Quoy et Gaimard , nous ferons remarquer particulièrement un grand nombre de grands Squales et de grandes Raies difficiles à rapporter, ileux nouvelles espèces de Moles, un nouveau Sternoptyx, et cinq ou six Poissons qui forment des genres nouveaux, et dont, avec la permission de nos voyageurs, l'un de nous a déjà indiqué une partie dans la nouvelle édition de son Règne animal, mais qui exigeraient trop de détails pour être expliqués ici. Ce qui, dans cette partie des travaux de MM. Quoy et Gaimard, plaira surtout aux amateurs, ce sera une suite de Poissons de couleurs charmantes qui n'avaient cvi RAPPORT DE M. CUVIER. point encore été rendus avec cette vivacité. On ne peut revenir de la beauté de ces inimitables assortimens de couleurs dont la nature s'est plu à revêtir des êtres des- tinés à demeurer dans les profonds abîmes de la mer. Nos naturalistes n'ont pas négligé l'anatomie des Pois- sons. Leurs planches représentent les viscères de plusieurs espèces , et ils se sont attachés surtout aux cerveaux des grands Squales et des grandes Raies. Ils ont rapporté aussi plusieurs pièces anatomiques re- latives aux animaux supérieurs, et , dans ces classes supé- rieures elles-mêmes , ils ont assez d'espèces nouvelles pour enrichir leur ouvrage de planches intéressantes. D'après cet exposé , il nous paraît que les travaux exé- cutés pour la zoologie par les naturalistes de l'expédition commandée par le capitaine d'Urville , répondent parfai- tement à ce que les amis des sciences pouvaient attendre , et que l'ouvrage où ils en rendront compte ne pourra que faire honneur à la France et à son gouvernement. Signé GEOFFROY SAINT-HILAIRE, LATREILLE, DUMÉRIL, Baron G. CUVIER, rapporteur. L'Académie adopte les conclusions de ce Rapport. Certifié conforme, Le secrétaire perpétuel, conseiller a" Etat, grand-officier de l'ordre royal de la Lé g ion-d' Honneur, Signé Baron G. CUVIER. INSTITUT DE FRANCE. 2Uadfmii roijalc ï>e$ ôrimm. Paris, le 16 novembre 1831) Le Secrétaire perpétuel de l'Académie , pour les Sciences Naturelles ' certifie que ce qui suit est extrait du procès-verbal de la séance du lundi 16 novembre 1829. Les collections géologiques, faites pendant le voyage de l'astrolabe , sont le résultat des recherches actives et du zèle éclairé de MM. Quoy et Gaimard, médecins de la marine royale, naturalistes de l'expédition. Elles se com- posent de cent quatre-vingt-sept espèces de Roches , ou variétés principales, qui ont été recueillies dans vingt-deux contrées différentes. Le nombre des échantillons est d'en- viron neuf cents. On remarque d'abord des Brèches osseuses et du Cal- caire compacte de la montagne de Gibraltar; des Grès quartzeux et de la vase marine d'Algésiras ; des Ponces , de l'Obsidienne et du Porphyre trachy tique moderne, pris dans la région supérieure du pic de Ténériffe ; et des Laves basaltiques massives ou scoriformes provenant de Santiago , l'une des îles du Cap-Vert, qui montrent le eu- «vin RAPPORT ricux passage du Basalte au Verre volcanique appelé Galli- nace. La série des roches qui proviennent de l'Ascension, ilonne une idée très-détaillée de la constitution de cette île qui est presque entièrement volcanique. Cette série offre deux cent cinquante échantillons appartenant à cin- quante espèces ou variétés principales, parmi lesquelles une seule est étrangère au domaine du feu. Cette dernière est un Calcaire globulaire peu ancien, formé par l'agglo- mération de débris de Madrépores et de Coraux parfaite- ment arrondis et renfermant des fragmens de coquilles (Huîtres, Murex, etc.) roulées, qui ont en partie conservé leur couleur originaire; on s'en sert comme pierre de taille ; elle constitue le sol des rivages sur plusieurs points. Elle n'a d'analogues qu'à des distances immenses , c'est- à-dire à la Guadeloupe et dans l'Océanie. Les autres roches offrent une grande partie des matières volcaniques, tant pyroxéniques que feldspathiques , qu'on rencontre habi- tuellement réunies sur beaucoup d'autres points de la terre ; nous citerons, en outre de l'Obsidienne verte chatoyante, de la Gallinace , du Silex en rognons dans les Tufas, et du Gypse grenu dont il n'a pas été possible de déterminer le gissement. Les îles de Sainte-Hélène et de Bourbon , dont la nature volcanique a été constatée depuis long-temps , ont, ainsi que le cap de Bonne-Espérance , fourni plusieurs échan- tillons qui aideront à compléter les notions précédemment acquises sur ces contrées. Parmi les échantillons de Sainte- Hélène il faut distinguer une Hélice fossile qui pro- vient des amas coquilliers marins, si remarquables, qui ont été observés par M. Seale , naturaliste du pays , sur la montagne de Flagslaff-Hill, à six cent quatre-vingt-douze DE M. COHDIEU. eix mètres au-dessus du niveau de l'Océan, el qu'on retrouve sur le penchant de la même montagne , à des hauteurs de quatre cent onze, cinq cent vingt-trois et cinq cent soixante- dix-neuf mètres. Plusieurs échantillons de Mimosite pris à l'Ile-aux- Cailles , laquelle est située près de l'île Sainte-Marie de Madagascar, annoncent, sur ce point dont la nature était inconnue, l'existence d'un vieux terrain volcanique dé- mantelé. Cent quatre-vingt-dix échantillons appartenant à dix- huit espèces, ont été recueillis pendant les quatre relâ- ches qui ont été effectuées sur une étendue de côte d'en- viron sept cents lieues dans la partie méridionale île la Nouvelle-Hollande , savoir : au port du Roi-Georges, au port Western, à la baie Jervis et à Port- Jackson. Les environs du port du Roi-Georges ont offert du Granité ordinaire avec des filons de Pegmatite, du Pétrosilex talci- fère, île la Dolérite, de la Houille commune mêlée d'Anthra- cite fibreuse, du Pisasphalte, des Grès quartzeux mélangés d'Hydrate de fer, de l'Ocre rouge, matière dont les natu- rels du pays font un grand usage pour se peindre le corps, enfin plusieurs belles variétés de ce Calcaire madréporique qui joue un si grand rôle dans toute l'Océanie, et dont la formation remonte , suivant nous, aux derniers temps de la période tertiaire. Les environs du port Western ont fourni des Minerais de 1er hydraté stratiformes ou disséminés en rognon* dans des Argiles, des Laves basaltiques et des Waekes à différens états de consistance. A la baie Jervis on a pris de beaux Grès quartzeux mêlés de kaolin ou Métaxytes , au milieu desquels on dis- tingue des empreintes de Spirifère analogues à celles de terrains d'Europe qui appartiennent à la période Phylla- . s. Accompagné de la plupart des officiers , le jour suivant je traversai la rade et me rendis à Gibraltar où M. Sylvestre de Sacy, notre consul, et fils du savant membre de l'Académie, nous fit l'accueil le plus honnête et m'offrit tous ses services. Nous obtînmes sur-le-champ du major de la place la permission de visiter en détail les fortifications de ce rocher fameux. C'est un travail digne des Romains ou mieux encore des cyclopes de la Fable ; il semble qu'en cette occa- sion l'orgueil anglais se soit plu à faire parade de tout son pouvoir, à prouver aux nations de l'Europe qu'au- cune force humaine ne pourrait jamais le chasser d'un DE L'ASTROLABE. 17 point aussi important. En effet, ce serait une entre- ifcaô. prise chimérique que de vouloir réduire par la force Ma1- ce rocher inaccessible , percé dans toute son étendue de casemates , de magasins et de batteries , et défendu par plus de six cents canons de gros calibre. La famine, la trahison ou la nécessité des traités pourront seules un jour remettre Gibraltar aux mains de ses maîtres légitimes et naturels. Une race de singes , la même que celle qui habite la cote d'Afrique, vit sur les flancs de ce rocher escarpé des fruits du Chamœrops humilis et des jeunes pousses du laitron ; les autorités locales protègent sa conservation. La végétation a beaucoup de rapport avec celle du Levant, et surtout avec celle de file de Malte. On nous fit voir la grotte de Saint-Michel, Pi. i. remarquable par ses énormes stalactites et ses beaux effets de cristallisation variés sous toutes les formes. De larges crevasses sillonnent ses flancs et doivent s'enfoncer à de grandes profondeurs , comme l'atteste le bruit, prolongé des cailloux qu'on lance dans leurs cavités. Nous rentrâmes dans la ville par les jardins qui raccompagnent vers le sud. Délicieux et parfaite- ment tenus , comme tout ce qui appartient aux An- glais , ils forment une promenade charmante et repo- sent bien agréablement la vue fatiguée de l'aspect sauvage et dénudé du mont qui les domine. Gibraltar compte une population de 20,000 aines , mélangée d'Anglais , Espagnols , Génois et Juifs ; ceux-ci , dit-on , forment à eux seuls le quart de ce 18 VOYAGE 1826. nombre, et envahissent presque tout le commerce. Mal Le gouverneur en titre est lord Châtain qui n'y réside que le moins qu'il peut, et le général Don, com- mandant en chef des troupes , est celui qui remplit vraiment les fonctions de gouverneur. 24. Le 23 et le 24 , je me promenai sur les bords de la baie ; tout ce que j'observai me rappela parfaitement la Provence, à l'exception d'un très-petit nombre de végétaux déjà africains , et d'une culture en général bien plus négligée. a5- Jusqu'alors assez faible, quoique constante, le 25 la brise fraîchit à l'O. N. O. , vers onze heures, avec des rafales. L'ancre chassa , et voyant qu'elle ne re- prenait point, quoique nous eussions filé jusqu'à soixante-dix brasses de câble, je mis sous voiles; après avoir remis l'ancre en haut , et couru des bordées dans la rade , à sept heures du soir je pi. 11. mouillai devant la ville d'Algésiras, par seize brasses vase et coquilles. Vingt-trois personnes de l'équipage parties dans le grand canot expédié à l'eau manquaient à bord, et ne le rejoignirent qu'au moment où nous eûmes laissé tomber l'ancre. aG- Vers dix heures, accompagné de MM. Gaimard, Lesson et Dudemaine, je fus rendre visite aux auto- rités de la ville ; la plupart des membres de ces auto- rités ne purent me recevoir, malades d'une fièvre dont ils attribuaient la cause aux vents d'ouest qui ré- gnaient depuis si long-temps. Le gouverneur actuel se trouvait être le maréchal-de-camp don Joseph de Miranda, auparavant gouverneur de Ceuta. DE L'ASTROLABE. 19 Je trouvai la ville petite, pauvre, mal bâtie, mal i,s?.r>. percée et malpropre ; mais les maisons en étaient Mal tout récemment recrépies à blanc , ce qui leur don- nait un certain air de fraîcheur et de nouveauté. La place est peu vaste, mais jolie et parfaitement tenue, avec une fontaine qui donne de lcau en abondance. Cette eau est amenée dans la ville par un aqueduc Pi- hl qui traverse quelques ravins considérables. Sur une éminence près de la ville on me montra remplacement de l'ancienne cité maure rasée par les Castillans qui semèrent ensuite du sel sur ses ruines; sur une autre colline je vis un cirque en bois, entouré de palissades, destiné aux combats de taureaux, spectacle pour lequel l'Espagnol se passionne comme l'Anglais pour les courses de chevaux , le Français pour la comédie, et l'Italien pour les processions. A cette époque une contrebande très-aclive, qui s'exerçait. à Algésiras, procurait à ses habitans une certaine aisance, tandis que tout le reste de l'Espagne gémissait dans la plus profonde misère. Un brick de guerre anglais qui était appareillé ce 27. matin , après avoir couru long-temps d'inutiles bor- dées , prit enfin le parti de se faire remorquer par le bâtiment à vapeur de Cadix, et par ce moven il franchit assez promplemcnt le pas difficile qui nous séparait de l'Océan. J'eusse vivement désiré trouver une occasion semblable. Le 28 fut consacré à une excursion près de la tour as. de l'Almirantc sur les bords delà rivière Palmene. Sesrivcsolïrentun coup-d'œil assezpittoresque, et son &a6. 29. 20 VOYAGE cours dans ses sinuosités s'approche souvent de celui Mai du Guarranque situé un peu plus au nord. Ce jourétait un dimanche, et, pour un peuple aussi dévot, je fus surpris de voir un bon nombre d'habitans occupés à bêcher leurs champs. A l'observation que je leur lis ils ne donnèrent que cette réponse du reste bien naturelle : Nous sommes bien pauvres. \ Vers neuf heures du matin, suivi de quelques offi- ciers , j'allai débarquer au pont de la Mayorga , et de là me dirigeai vers Saint-Roch, distant d'une demi- lieue environ. Quoique sablonneuse, la route est assez belle et bordée de champs de blé. Saint-Roch n'est qu'un village perché sur le sommet d'une col- line , assez agréable , quoique dépourvu d'ombrages. Un grand nombre d'Anglais distingués de Gibraltar viennent y passer l'été, et la dépense qu'ils y font pro- cure à ses habitans des ressources inconnues à leurs voisins. Nous revînmes prendre notre canot par une route plus longue et dirigée vers l'ouest , et près de la mer, une pierre blanche élevée sur le bord du chemin m'indiqua le lieu où un directeur des postes de Saint-Roch et sa malheureuse femme avaient été fusillés, en juin 1823, par un parti de constitution- nels. Je sus aussi que quinze jours venaient à peine de s'écouler depuis que l'officier qui fit commettre ce crime en avait reçu le juste châtiment à Algésiras. 3o Dès le matin une salve de treize coups de canon tirée par les forts de la ville nous annonça la fête du roi d'Espagne. A midi elle fut répétée; les canons de l'Astrolabe saluèrent du même nombre, et à trois DE L'ASTROLABE. 21 heures, suivi de M. Gressien , je me rendis à l'invita- i8a6. tion du gouverneur. Les convives étaient nombreux ; Mai- il régnait aussi parmi eux plus degaieté que jen'en aurais attendu de la gravité espagnole. Malgré l'abondance et la variété des mets, et surtout des viandes, ce banquet ressemblait plus aux noces de Gamache quau festin d'un grand seigneur. Du reste M. le baron de Mi- randa me combla de politesses et d'offres de services, dont je lui témoignai ma reconnaissance, bien que je n'eusse absolument besoin de rien pour le moment. Le jour suivant je tentai , à l'aide d'une petite brise 3i. de S. S. E. , de mettre à la voile pour taire route; après avoir varié en divers sens, dès une heure le vcnl était revenu à l'O. S. O., et ce fut avec beaucoup de peine queje me remis en position de mouiller devant le fort Sant- Antonio par quinze brasses et demie vase et coquilles. Plus de soixante-dix navires avaient comme Juin. nous tenté la fortune, la plupart revinrent aussi au mouillage. Voyant les vents opiniâtrement fixés à l'ouest, je ■?.. me déterminai à exécuter une course sur le sommet des montagnes qui dominent Algésiras. Suivi de MM. Lottin et Lesson, je gravis à leur cime, et, quoiqu'un peu pénible, cette excursion me donna sujet de faire quelques observations curieuses. La zone qui s'étend depuis le rivage jusqu'aux flancs de la montagne est occupée par des champs de blé entre- mêlés de pâturages verdoyans; elle n'offre guère d'au- tres plantes ligneuses que des buissons de Nerium, de Cytise épineux, de Chamœrops , cl pas un seul 22 VOYAGE 1826. arbre. A une certaine hauteur seulement, commence juin. ^ paraître le chêne liège , arbre assez gros et touffu , mais le plus souvent tortu , difforme et d'un aspect peu agréable. Les terrains incultes de sa pente sont couverts par la fougère commune. Quelques petites habitations se retrouvent encore à une grande hau- teur ; aux deux tiers de la montagne le liège dispa- raît entièrement pour faire place aux cistes de diverses espèces , au garou , aux fougères , aux cytises et à diverses sortes de graminées et de composées. A cin- quante toises , au plus , du sommet, règne une longue esplanade naturelle en pente douce , d'une forme très-remarquable , qui semble bordée de trois rangs de murailles. Sur une épaisseur de trois à cinq pieds, elles s'élèvent au-dessus du sol souvent à douze ou quinze pieds, dirigées du nord au sud, et inclinées de 45° environ vers l'ouest. Toutes m'ont paru, comme à Gibraltar, formées par des assises d'un calcaire grossier. En botanique, je recueillis avec plaisir une fougère à tige ligneuse et grimpante , très-voisine du Davallia epiphylla; en entomologie, une jolie es- pèce du genre Psyché. Tandis que je faisais un dé- jeuner frugal sur la cime de ce mont , quatre aigles sillonnaient avec majesté les plaines aériennes , tantôt élevant leur vol rapide vers les nuages où ils dispa- raissaient presque à mes regards , tantôt s'enfon- çant dans les anfractuosités des roches suspendues sous nos pieds. De ce point l'observateur peut con- templer à la fois l'extrémité méridionale de cette Eu- rope si célèbre par ses lumières , et la partie boréale DE L'ASTROLABE. 23 de celte Afrique encore plongée dans les ténèbres de la plus profonde ignorance. Comme une barrière in- surmontable , deux lieues au plus de mer séparent ces deux continens , et semblent être pour l'intelli- gence humaine les limiles de la mort et de la vie. Par les observations que firent MM. Jacquinot et Lottin dans ce jour, la hauteur de cette montagne se trouva être de sept cent quinze mètres au-dessus du niveau de la mer; et sa base est éloignée de huit mille mètres de Torre de Villa-Vieja. Le vent varia au N. et N. N. E. Encore une fois je tentai d'en proliter, et déjà V Astrolabe se trouvait devant la tour de Gualmcsi , quand l'éternel vent d'ouest revint encore, soufflant assez frais. Inutile- ment je tentai de me soutenir en courant des bordées sous toutes voiles , le courant nous entraînait sensi- blement; ainsi à quatre heures je laissai porter de nouveau pour le mouillage. Après avoir passé entre le rocher de Palomes et la Perle, à moins de trente toises du premier, et contourné les brisans de Carnero, je laissai tomber l'ancre près de la pointe de Getares i8a6. Juin. 24 VOYAGE 1826. par douze brasses et demie , sable et gravier. Ce fond 5 juin. est (pune mauvaise tenue , car le jour suivant , dans une risée assez faible, nous chassâmes et fûmes obligés d'aller reprendre le mouillage d'Algésiras. Peu après , les deux canonnières françaises la Bombe et le Tocsin, commandées par MM. Toulon etBellan- ger (Michel), laissèrent tomber l'ancre près de nous. Ces deux navires destinés pour la station de Cadix avaient employé le mois entier pour se rendre de Toulon à Gibraltar. 6. Ce matin, de nouveau séduits par une petite brise de N. E., à l'exemple de plus de quatre-vingts navires qui mettaient à la voile , nous en faisons autant. Au moment où nous doublons la Perle , nous sommes tout-à-coup enveloppés d'une brume si épaisse qu'on distinguait à peine les objets de l'arrière à l'avant du navire. Cependant je serre la côte le plus près possible, afin d'éprouver un courant moins fort ; à onze heures , en passant à quatre-vingts toises environ de la pointe Acebuche, un coup de talon assez fort se fait sentir; heureusement nous filions cinq à six nœuds , la corvette ne s'arrête point , le vent se soutient , nous doublons Tarifa, et le soir à quatre heures nous nous trouvons à deux lieues au nord de Tanger. Alors la brise tombe , et nous restons en calme ; je redoutais d'être encore entraîné dans l'E. durant la nuit ; mais là je trouvai la force du courant bien amortie , et j'ai lieu de croire que le jusant même y reporte sensiblement vers l'O. Vers deux heures DE L'ASTROLABE. 25 du matin, la brise s'est peu à peu établie à l'E., et nous avons cinglé à toutes voiles dans l'océan Atlan- tique. 1826. Juin. C'est ainsi que le vent d'ouest nous a retenus du- rant trente-quatre jours à l'entrée de ce détroit, malgré la constance opiniâtre que j'ai déployée, et les efforts journaliers que je n'ai cessé de tenter pour surmonter cet obstacle. On sent tout ce qu'une con- trariété si prolongée a dû m'offrir de dégoûts et d'en- nuis au début d'une campagne comme celle que j'en- treprenais, avec le désir que j'avais de ne perdre aucun de ses momens. Pour cette raison, et d'autres plus péremptoires encore, le capitaine qui voudra tenter une pareille entreprise, devra préférer tout autre des ports de France à celui de Toulon. Conve- nons cependant que ce triste retard fut bien mis à profit par M. Quoy qui amassa les matériaux d'un mémoire fort important sur les mollusques de la Méditerranée. Nous-mêmes nous réglâmes nos mon- tres sur le méridien d'Algésiras , et commençâmes nos observations de tout genre. 1826. i2 juin. 26 VOYAGE Nous naviguâmes dans l'Océan avec des vents varia- bles en force et dans les divers aires du compas. A midi trente minutes , le 12, nous aperçûmes l'île la plus au nord des stériles Salvages à toute distance devant nous h l'O. S. O. De quatre à six heures nous prolongeâmes de très-près toute la partie orien- tale de ce petit groupe dont M. Lottin leva le plan détaillé. Celle du nord est la plus grande , bien qu'elle ait à peine trois à quatre milles de circuit ; elle peut avoir deux à trois cents mètres d'élévation , et sur sa partie de l'O. et N. O. offre quelques rochers détachés. De toute part sa côte n'est qu'une falaise escarpée et en apparence inaccessible ; la mer brise avec fureur sur ses flancs , et à la distance où nous l'avons prolongée, environ deux milles, nous n'avons discerné aucune plage, aucune crique praticable. Sa surface n'offre que quelques broussailles rampantes sur les hauteurs ; des espaces d'une couleur jau- nâtre assez prononcée semblent être des terrains argileux, tout-à-fait à nu. Des légions innombrables d'oiseaux voltigent tout alentour, et seront sans doute DE L'ASTROLABE. 27 d'ici à long-temps ses uniques habitans. L'ilol du i s v» « » . piton n'est qu'un pic peu élevé, déchiré, noirâtre et lMI" entouré de plusieurs autres petits rochers qui en sem- blent séparés , mais qui doivent s'y réunir par des ramifications peu profondes. A sept heures quarante minutes du soir, l'exploration de ce groupe était terminée; nous fîmes route au S. S. O. vers l'île de Ténériffe. Dés le point du jour, à cinq heures trente minutes > ! du matin, nous entrevîmes la masse entière de l'île au travers de nuages assez épais qui nous dérobaient le plus souvent la vue du pic. Poussés par une forte brise de N. E. , bientôt nous eûmes doublé la pointe de Nega ; déjà je n'étais plus qu'à une petite distance de la rade, quand, le vent fraîchissant encore, je jugeai à propos d'attendre qu'il eût calmé pour aller prendre un mouillage par lui-même peu abrité. Ainsi, je courus un bord au large; le soir i ,. il surventa, je passai la nuit sous voiles. Le lende- main nous nous rapprochâmes de Sainte-Croix, et, à quatre heures après midi , nous mouillâmes par vingt- cinq brasses, sable vasard, à peu près devant le fort du nord. i»i. mi L'entrée du port nous fut accordée; j'en profitai pour aller sur-le-champ rendre ma visite aux auto- rités de la place, qui nous reçurent fort poliment. M. Brelillard, consul de notre nation en cette colonie, m'apprit que le capitaine King venait d'v passer cinq jours , et ne l'avait quittée que le 1 2 , m'ayant attendu deux jours dans l'espoir de me voir arriver. 11 avait 28 VOYAGE 1826. sous ses ordres le sloop Adventure et le brick Beagle, juin. capitaine Stocks ; sa mission était de faire la reconnais- sance complète des terres et des îles Magellaniques ; son voyage devait durer quatre ans; il emportait à bord pour deux ans de vivres. Sur sa route il devait toucher aux îles du Cap- Vert. DE L'ASTROLABE. 29 CHAPITRE III. KXCIÏRSION AV PIC DF TFNKRIFKF. Je méditais depuis long-temps le projet de gravir l8,r>. jusqu'au sommet du fameux pic de Ténériffe; résolu 1 5 juin. d'exécuter ce projet, je chargeai M. Bretillard de nous procurer sans retard tous les moyens de transport nécessaires à cette excursion. Je désignai pour m'ac- compagner MM. Quoy et Gaimard, regrettant beau- coup qu'une indisposition subite ne permit pas à M. de Sainson de se joindre à nous. De bon matin nous nous rendîmes chez M. Bre- 16. lillard où les montures nous attendaient; bientôt nous commençâmes à cheminer jusqu'à Laguna. Sans être pourtant très-difficile, le chemin est assez mau- vais , mal entretenu et souvent hérissé de gros blocs volcaniques ; les campagnes environnantes sont cou- vertes de scories au travers desquelles les céréales poussent péniblement leurs chaumes; la végétation naturelle se réduit à peu près aux tiges rares et dé- pouillées des Cactus et des Eaphorbia cancuiensis. 30 VOYAGE 1826. La scène s'embellit à mesure qu'on s'approche de Juin. Laguna, ville assez grande et bien bâtie, mais peu peuplée. L'herbe pousse dans la plupart des rues , tout annonce qu'une grande misère a dû succéder dans cette ville à, l'opulence qui y régnait aux jours brillans de la monarchie espagnole. A la hauteur de Laguna, qui est de quatre cents toises environ, la température a tout-à-fait changé, et m'a rappelé le climat de la France méridionale. Aussi les plaines voisines de celle ville offrent-elles l'aspect le plus riche et le plus varié; ce sont des champs de la plus belle verdure , plantés en blés , pommes de terre , lupin, mais, etc. Dès qu'on arrive sur la côte occidentale de Pile, la vigne avec ses pampres ver- doyans achève de rendre l'illusion plus frappante. Il est un lieu sur la route d'où la vue domine les plaines riantes et fertiles de Tacoronte, l'un des sites les plus délicieux de l'île. A onze heures nous arri- vâmes à Matanza, lieu célèbre par le revers insigne qu'y éprouvèrent les Espagnols combattant contre les Guanches. Cette fois au moins, ceux-ci guidés par leur valeureux chef, le dernier prince de Tahouro, firent sentir à leurs cruels oppresseurs ce que peut le courage inspiré par le désespoir. Depuis ce lieu jusqu'à l'Orotava, la nature offre la plus brillante végétation. Ce revers de l'île n'est qu'un amphithéâtre continuel de verdure, parsemé de jolies habitations semblables aux bastides des Pro- vençaux. Après avoir traversé les villages de Viloria et de Santa-Ursula , on aperçoit sur la pente de la DE L'ASTROLABE. 31 montagne la petite ville de TOrotava. Mon intention 182& étant d'abord de visiter le port , nous nous dirigeâmes vers les bords de la mer, en passant près du jardin de botanique. Arrivés dans la ville du port, nous nous présentâmes chez M. Antonio Cologan pour qui M. Bretillard m'avait donné une lettre. Il nous reçut poliment et nous fit servir des rafraîehissemens , sans cependant nous offrir l'hospitalité. En conséquence , après avoir jeté un simple coup-d'œil sur le port de l'Orolava qui n'est qu'une petite calanque sous le vent de l'île , mal abritée, et où la lame vient briser avec violence , je repris sur-le-champ le chemin de la ville où je comptais coucher. Arrivés près du jardin de botanique, nous mimes pied à terre pour le visiter; il est assez bien tenu , et renferme une belle collection de plantes rares et cu- rieuses. Nous y rencontrâmes 31. Berthelot, ancien aspirant de la marine à Toulon, et M. Aubcrt, autre Français établi comme lui à la ville de l'Orotava. Ces deux messieurs s'occupent avec zèle et succès de diverses branches d'histoire naturelle , et surtout de botanique. Le premier dirige un collège dans lequel l'instruction publique est enseignée sur le même plan que dans les collèges de France. Cet établissement a prospéré durant le court règne de la constitution ; mais depuis que les moines avaient recouvré une partie de leur influence, il avait beaucoup déchu et courait même le risque d'être bientôt fermé. Du reste, M. Berthelot nous offrit l'hospitalité chez lui; à la cordialité d'un compatriote il joignit le zèle 32 VOYAGE 1826. d'un homme instruit qui s'intéresse aux progrès des Jlun- sciences. Sans lui nous eussions été peut-être fort embarrassés de trouver un gîte , vu qu'il n'y a point d'hôtel à l'Orotava : ses utiles conseils nous don- nèrent en outre le moyen de rendre, à la fois, notre excursion et plus complète et plus économique. Par une rencontre heureuse , le jardin même du collège contenait cet énorme pied de Dracœna draco tant célébré par divers voyageurs ; à mon réveil ce fut le premier objet qui vint frapper mes regards. -Nous mesurâmes son contour à sa base, et trouvâmes qu'il était de quarante-huit pieds : M. Berthelot nous assura que sa hauteur était de soixante-quinze pieds , bien qu'elle paraisse beaucoup moindre , eu égard à sa prodigieuse grosseur; cependant, en juin 1819, un coup de vent avait abattu près de la moitié de ce monstrueux végétal. A peu de distance , un beau dat- tier mâle balançait sa cime élégante à plus de cent pieds dans les airs. Du balcon du collège on jouit d'une vue admirable : après avoir erré sur les sites les plus pittoresques , sur les habitations les plus riantes, l'œil va se reposer sur l'immensité de l'Océan , qui , tel qu'un cadre d'azur, entoure le tableau le plus gra- cieux et le plus animé. i7. Après avoir réparé par un sommeil paisible nos forces affaiblies , et pris un utile déjeuner, vers huit heures et demie nous nous remîmes en route. La petite ville de l'Orotava est bien bâtie , bien percée , mais ses rues offrent pour la plupart une pente si roide que la circulation y est très-pénible, DE L'ASTROLABE. 33 A peine hors de ses murs, nous commençâmes à 1S16. monter par un chemin très-roide , et pavé de laves si J,,in- glissantes qu'on ne saurait s'y hasarder avec d'autres chevaux que ceux de l'île ; car je redoutais à chaque instant de leur voir faire un faux pas dont la moindre suite eût été de casser le bras ou la jambe de leur cavalier. Durant trois quarts d'heure nous traver- sâmes des campagnes bien cultivées, jusqu'au mo- ment où nous arrivâmes à la région des châtaigniers, qui offre encore quelques plantations. Cette région occupe une zone d'une demi-lieue de largeur, sur deux cents toises environ de puissance en hauteur. Vers sa limite commence la région des nuages , dans laquelle le voyageur se trouve enveloppé d'une brume épaisse, très-pénétrante par son humidité, qu'on dit presque perpétuelle au printemps. Là vivent encore plusieurs plantes de la plaine déjà confondues avec diverses espèces particulières à cette élévation, comme les Renoncules , le Doronic, les Cistes, etc. On entre ensuite dans la région des bruyères qui doit avoir au moins trois cents toises de profondeur sur deux mille d'étendue ; c'est là que les nuages sont le plus concen- trés , et que la brume devient une véritable rosée. La bruyère qui lui a donné son nom est un arbrisseau de six à douze pieds de hauteur, et se trouve entremêlée ftHypericum canarie?ise en grande abondance , de thym rabougri et de plusieurs autres arbrisseaux et plantes herbacées ; on traverse cette bande par un chemin assez agréable et peu difficile. Cependant l'atmosphère s'éclaircit peu à peu, la 34 VOYAGE 1826. verdure disparaît, les bruyères aussi, le Cytisus fo- Juin- liosus se montre, d'abord rare et rabougri, bientôt plus vigoureux , plus touffu à mesure que le terrain devient lui-même plus maigre et plus stérile. La région du cytise m'a semblé occuper une bonne lieue de pente sur trois cents toises au moins de hauteur. \JIIypericum, le thym, de petits cistes et quelques graminées suivent le cytise jusqu'au milieu de son empire , et disparaissent enfin peu à peu. Vers le milieu de cette région dont le sol est partout jonché de laves décomposées , de scories et de ponces en pe- tite quantité , la brume disparaît entièrement , et les nuages se présentent sous vos pieds sous la forme d'une mer immense de flocons épais et blanchâtres, telles que doivent apparaître les mers toujours glacées des pôles , ou mieux encore les tourbillons écumans d'un torrent qui se précipite en cascades , et qu'une gelée intense a rendus immobiles dans leur chute. Spectacle vraiment admirable , peut-être le phénomène le plus curieux à observer dans cette longue course!.... Déjà tous les animaux ont disparu, plus d'oiseaux ; seulement, reste chétif de ce règne , quelques diptères voltigent encore sur les fleurs du cytise , et une lourde pimélie circule lentement entre les cailloux. Jusqu'alors caché par les nuages ou masqué par les montagnes de sa base, le sommet du Pic, qui de la mer ne semblait qu'un piton peu considérable, com- mence à se détacher, comme un mont conique, d'une masse imposante. La pente devient moins roide , et vous vous trouvez sur les bords de cette plaine im- DE L'ASTROLABE. 35 mense légèrement ondulée, d'abord parsemée d'énor- jSiG. mes blocs de laves , ensuite tapissée en grande Juin partie d'une couche épaisse de fragmens très-divisés , de ponces et d'obsidiennes. heSpartiumsupranubium, arbrisseau charmant et le plus élégant de son genre , est le seul qui rompe l'uniformité de ces vastes et tristes solitudes que les Espagnols ont nommées Ca- nadas à cause de leur affreuse nudité. En ce moment il était onze heures ; avant de passer outre, nous nous arrêtâmes dans une grotte située à l'entrée même de ces plaines, qui porte le nom de Cucva del Piiw. Nous y déjeunâmes et trou- vâmes à l'ombre la température très-agréable el l'air très-facile à respirer, bien que la hauteur de cette grotte au-dessus du niveau de la mer doive s'estimer à douze cents toises au moins. A son entrée, je remarquai avec surprise quelques plantes de nos pays, telles que l'or- tie, la pariétaire, le géranium, larénaire, etc., dont les graines auront sans doute été introduites en ces lieux par les Européens dans leurs fréquentes visites. Nous y ,(, VOYAGE 1826. fîmes une longue halte pour mieux reposer nos che- juin. vaux et laisser passer l'ardeur du milieu du jour. A deux heures nous remontâmes à cheval. Nous traver- sâmes les énormes blocs de basalte qui, disposés circulairement et d'une manière assez régulière tout autour du Piton, représentent l'enceinte primitive du cratère, lorsque ce volcan se trouvait dans toute son énergie, et rejeta au loin ces longues coulées de laves qui formèrent successivement toute l'île. Nous arrivâmes ensuite au milieu de ces Canadas qui occu- pent aujourd'hui le fond même de l'ancien cratère, peu à peu comblé et nivelé par les cendres et les ponces du Pic. Cette vaste enceinte peut avoir un rayon d'une lieue d'étendue, le sol est assez compacte, et les chevaux y marchent et même y galopent sans fa- tigue; mais la chaleur, qui se concentre et se réfléchit en tout sens dans ce lieu , en rend le trajet fort maus- sade. Le Spartiam est le seul végétal ligneux qui puisse croître là ; je recueillis en outre un sisymbre à fleurs jaunes, un Hieraciam, une Scrophulaire et un Ne- peta, tous très-rares et fort clairsemés. On laisse à peu de distance une petite montagne surmontée d'un cra- tère parfaitement dessiné , qui dut fumer long-temps encore après la destruction du grand volcan. Dans les ponces écrasées, jusqu'au pied du Pic, paraît cette jolie violette à fleurs jaunes récemment publiée par M. Berthelot sous le nom de Fiola teydensis. Dernier effort du règne végétal , elle continue d'exister pres- que jusqu'au sommet du mont , et ne s'arrête qu'à la limite des ponces, où commence la lave nue. DE L'ASTROLAlïE I 7 Nous attaquâmes le cône par un monticule latéral rS*6. formé par un amas de ponces sur la gauche , et ne Juin- nous arrêtâmes à peu près qu'au tiers du mont, sur une petite esplanade connue sous le nom de Estancia de los Ingleses. Le vent qui soufflait avec force était assez gênant, mais de petits murs de pierres, adossés à de gros blocs de basalte , nous servirent d'abris, et nous nous y établîmes pour la nuit, auprès de bons feux entretenus avec les liges du Spai tium. A cinq heures et demie du soir, le thermomètre à l'ombre marquait 15° centigrades; à huit heures, au moment où nous nous couchâmes, il était à 1 3° ; et le matin, en nous relevant, à 9°; je ne pense pas qu'il ait descendu au-dessous de 6° à 7° dans la nuit. Du reste, l'air était très-pur, je n'éprouvai aucun de ces violens malaises ou de ces suffocations ressenties par divers voyageurs. M. Quoy seul souffrit des maux d'estomac, et M. Gaimard dormit toute la nuit sans rien éprouver. Pour moi , étendu près du foyer, sous ma couverture , la chaleur m'excitait souvent à mettre ma main à l'air, et chaque fois je ne lardais pas à res- sentir au petit doigt un engourdissement marqué qui s'étendait rapidement dans le reste de la main , et me forçait enfin à la cacher de nouveau. M. Aubert, h qui je communiquai ce fait, m'assura qu'il avait éprouvé ce même engourdissement à un degré violent , debout cl en marchant. A celte hauteur la voix se propageait à une distance étonnante, et avec une grande clarté. Sous le rocher qui nous abritait, je m'entretenais à demi-voix avec 38 VOYAGE 1826. M. Gaimard, tandis que M. Quoy, à plus de cinquante J,,in pas de distance, debout sur un autre rocher un peu plus élevé, entendait parfaitement tout ce que nous disions. Bien loin sous nos pieds, la mer de nuages, immo- bile et constante comme un voile impénétrable, dé- robait à nos regards tous les détails de l'île, et nous ne distinguions que quelques sommets de Canary qui dépassaient son niveau et semblaient autant d'îles semées sur sa surface. A huit heures , nous nous étendîmes tous les trois côte à côte pour dormir, mais M. Gaimard seul goûta cette douceur : dévorés par les puces, M. Quoy et moi nous ne pûmes fermer l'œil de toute la nuit. Plus aguerris contre leurs piqûres , nos conducteurs et notre guide dormaient dans d'autres enclos , avec les chevaux autour d'eux. Malgré la pureté du ciel, l'éclat des étoiles parut très-faible. 18. Dès deux heures nous étions debout ; mais, comme il faisait encore complètement nuit, ce ne fut qu'à quatre heures que nous nous mîmes en route. Pré- cédés par notre guide , nous marchâmes environ une demi-heure sur les ponces écrasées , entre deux coulées de laves , avant d'arriver à une petite espla- nade connue sous le nom iïAlta-Visla. Immédiate- ment après , on se trouve obligé de faire route sur les laves nues , ce qui la rend fort pénible , bien qu'on y retrouve souvent les traces légères du sentier formé par les visites des voyageurs. Nous vîmes le soleil percer la voûte de nuages sus- DE L'ASTROLABE. 99 pendue sous nos pieds , et les rayons de cet astre , réfléchis par leur surface , vinrent frapper nos yeux d'un éclat éblouissant. Quoique l'air fut très-piquant, nous n'éprouvâmes aucun froid ; mais nous étions fréquemment obligés de faire halte pour reprendre haleine, essoufflés par l'extrême rapidité de la pente. En approchant du Pain-de-Sucre , on aperçoit de temps en temps, dans les crevasses des rochers, de petits amas de neige , que leur position protège contre l'action du soleil. Il faut cheminer durant une heure environ, conti- nuellement au travers des laves, pour arriver au pied du Pain-de-Sucre. Celui-ci peut avoir soixante toises de hauteur ver- ticale, tandis que le Piton tout entier en a près de six cents ; le Pain-de-Sucre couronne le Piton de même que celui-ci domine la masse entière de la montagne. Seulement bien moins vaste à proportion, la plaine qui domine le Pic n'a que deux à trois cents pas d'étendue depuis ses bords jusqu'à la base du Pain-de- Sucre , et elle se compose encore de débris de ponces et d'obsidiennes ou de gros blocs de basalte. Le Pain-de-Sucre ou Pilon offre une pente très- escarpée; les ponces mobiles qui la recouvrent en grande partie rendent son accès très-difficile, parce que ces mêmes cailloux, cédant trop facilement sous les pieds, vous permettent à peine de faire la valeur d'un pas en avant quand vous pensez avancer de deux et même de trois. Aussi nous fallut-il employer près de trois quarts d'heure avant de parvenir au sommet i8a6. Juin. 40 VOYAGE 1826. de ce petit cône. Vers le milieu de sa hauteur, j'ob- jum. servai un soupirail elliptique de quatre pouces de lon- gueur sur deux de largeur, par où s'exhalait une fumée sulfureuse très-chaude. Plongé dedans, le ther- momètre s'éleva promptement de 13° à 70°. A six heures trente minutes nous arrivâmes à la cime du Pain-de-Sucre ; c'est évidemment un cratère à demi- oblitéré, à parois peu épaisses et échancrées, dont la profondeur est de soixante à quatre-vingts pieds au plus, et semé sur sa surface de fragmens d'obsidiennes ou de ponces et de blocs de lave. Des vapeurs sulfu- reuses s'exhalent de ses bords, et forment pour ainsi dire une couronne de fumée , tandis que le fond est tout-k-fait refroidi. J'observai, et je n'en fus nullement surpris, que le vent, assez fort à cette hauteur, soufflait du S. O., direction précisément opposée à celle de l'alise, à peu près constant au niveau des mers. A la cime du Pilon, le thermomètre était à 11°; mais je soupçonne qu'il se ressentait encore de l'expo- sition à la fumarole ; car , arrivé au fond du cratère , de 1 9° au soleil, il descendit en peu de temps à 9°, 5 à l'ombre. Nous déjeunâmes avec autant de gaieté que de frugalité dans ce lieu, avec un morceau de pain, des fraises et quelques gouttes d'eau-de-vie. ISous nous féli- citions d'avoir terminé avec autant de succès une entre- prise dont beaucoup de voyageurs ont singulièrement exagéré les difficultés et les dangers. Nous faisions des projets pour l'avenir; laissant de côté la France, nos parens et nos amis , nous ne pensions qu'aux con- DE L'ASTROLABE. il trées lointaines que nous allions visiter, aux obser- 1826. vations que nous devions y faire, aux trésors en tout Ju,u< genre que nous allions conquérir pour la science!... Brillantes illusions, douces chimères, nécessaires à l'esprit dans ces sortes de voyages , pour en adoucir les ennuis et en varier la triste monotonie ! — Du sommet de ce mont sourcilleux, nous pûmes à notre aise contempler toute la portion du Pic qui s'é- lève au-dessus des nuages, saisir au gré de notre curio- sité l'ensemble de ses divers accidens , ou les détailler l'un après l'autre, et surtout suivre à la fois de l'œil et de l'imagination les phases successives , et l'accroisse- ment progressif de cet énorme protubérance du globe terrestre. Essayons en peu de mots d'en donner ici une idée succincte. Le volcan primitif, réduit pour la hauteur aux deux tiers environ de son élévation actuelle, offrait une bouche immense de deux à trois lieues de diamètre, dont les parois s'élevaient sur l'emplacement aujour- d'hui occupé par ces massifs immenses de laves qui ceignent les Canadas. Sur plusieurs points, comme autant de vieilles ruines encore debout, ils représen- tent parfaitement ce qu'ils durent être jadis. Après avoir vomi ces immenses coulées de laves qui forment la grande charpente de File , la violence des feux s'a- mortit ; les éruptions , au lieu de remplir en entier la bouche énorme du volcan , devinrent partielles ; une foule de petits volcans secondaires se formèrent dans son intérieur. Le plus grand nombre sans doute 42 VOYAGE i8?.r,. ne subit aucun développement ; quelques-uns, éteints Jum- depuis long-temps, sont encore bien dessinés. Celui qui occupait à peu près le centre resta seul en activité , et , par la suite des temps , devint ce cône énorme qui prit proprement le nom de Pic. Cependant le cratère primitif, qui dut être d'une grande profondeur , ne tarda pas à se combler peu à peu , tant par les matières que vomirent les volcans secondaires , que par les attérissemens entraînés par les pluies aux dépens de leurs masses , et il finit par former ces vastes plaines, \esCa?ïadas, aujourd'hui presque de niveau avec les bords de l'ancien volcan. Tant que l'action des feux souterrains permit au pic de lancer des matières, il continua de s'élever jusqu'au point où commence le Pain-de-Sucre. Parvenu à ce point , sans doute il y eut encore une grande inter- mittence ou du moins une diminution considérable dans le pouvoir des feux, jusqu'au moment où , rallu- més de nouveau , ils élevèrent peu à peu le pain de sucre. Enfin ils se sont tout-à-fait éteints, et de la puis- sance prodigieuse qu'ils durent avoir pour opérer d'aussi grands effets, il ne reste plus que les innocentes fumées qui couronnent les bords du Pain-de-Sucre. Telle est en abrégé, et suivant les idées que j'ai pu m'en former, l'histoire de cette énorme montagne. On voit qu'elle offre dans son accroissement successif quatre périodes séparées par trois époques ou âges bien tranchés; savoir : 1° le temps que sa base dut employer à s'élever jusqu'à la hauteur des Canadas, et durant lequel la bouche primitive produisit ou DE L'ASTROLABE. 13 donna naissance aux montagnes qui forment l'île ; 1826. 2° le temps que le Pie dut mettre à s'élever jusqu'à J,,in- la hauteur où commence le Pain-de-Sucre ou Pilon; 3° tout l'intervalle du temps durant lequel le pilon lui-même fut en activité et travailla à sa formation ; enfin le temps depuis lequel il est tout-à-fait éteint. Que de siècles durent se succéder pour amener ces divers résultats! Quel pouvoir immense put arracher des entrailles de la terre ces masses énormes pour les amonceler à sa surface ! Et quelle raison nouvelle a suspendu ce pouvoir et totalement arrêté ses effets ! . . . Cette dernière expression n'est pas littéralement exacte; car il y a moins de trente années que des érup- tions s'opérèrent encore par les lianes du Pic, et don- nèrent lieu à des écoulemens considérables de lave qui firent d'assez grands ravages dans les endroits qu'ils traversèrent. Mais ce ne sont que de faibles accidens auprès des grandes convulsions dont nous venons de parler. A sept heures nous commençâmes à redescendre, et huit à dix minutes suffirent pour nous rendre au pied du Pain-de-Sucre. Sur les bords de l'esplanade d'où le Pilon s'élance, je remarquai un rocher d'où je voyais sortir des fumées ; c'était encore une fumerolle, mais d'une température moins élevée que celle que j'ai déjà mentionnée ; car le thermomètre n'y monta qu'à soixante degrés. Les vapeurs qui s'en dégageaient se condensaient bientôt en gouttes d'eau. A cette tempé- rature vivaient deux mousses bien organisées don! j'ai rapporté des échantillons. 44 VOYAGE 1828. De-là notre guide nous conduisit à la Cueva de la juin. Nieve , grotte naturellement formée au milieu des amas de lave, abaissée de dix à douze pieds au-dessous du sol, et disposée en voûte assez régulière, oblon- gue, de trente pieds de large, et peut-être triple en longueur. Nous attachâmes M. Quoy avec une corde par le milieu du corps ; il put ainsi descendre dans la grotte, tandis que nous le soutenions. Une masse d'eau, qui en occupait la majeure partie, était presque entièrement gelée, et nous offrit une espèce de con- ferve dont M. Quoy recueillit des échantillons qui furent ensuite perdus dans le voyage. De retour à neuf heures au lieu où nous avions passé la nuit, sur-le-champ nous nous remimes en route. Quelque temps je pris le devant à pied pour ramasser encore des plantes, et surtout du Viola tey- densis ; ensuite je remontai à cheval et n'en redes- cendis guère. La route avait presque entièrement dé- truit la paire de souliers que j'avais emportée , qui la veille au matin était encore fort bonne. Nous nous étendîmes sous le beau pin de dornajito (petite auge) pour faire un léger déjeuner au milieu de la région des nuages ; j'errai le long du ravin , glanant quelques plantes curieuses, et M. Quoy découvrit des par- mac elles. Ce pin , qui est le canariensis , est le seul que l'on rencontre en ces lieux. En rentrant à l'Orotava, nous trouvâmes la popu- lation en mouvement et dans ses habits de gala pour la fête solennelle et les processions de la Candelaria. M. Berthelot et Aubert nous accueillirent de nouveau, DE L' ASTROLA.BE. 45 et nous entretinrent fort agréablement des connais- 1826. sances qu'ils avaient acquises sur les lieux. J,u" Le premier surtout , parfaitement au courant de l'histoire des Canaries par Vieja y Glavijo , nous donna une foule de détails sur la race infortunée des Guanches, sur les cavernes funéraires qu'il avait visi- tées, sur les objets qu'il y avait trouvés et sur ce qu'il se proposait encore de faire. Dans la soirée il me donna des plantes desséchées, ainsi que des insectes du pays, et, sur le désir que je lui témoignai , il consentit à m'accompagner le len- demain à Santa-Cruz. Je préparai ensuite les plantes que j'avais recueillies et qui formaient une masse assez considérable. D'après ce que j'ai vu moi-même , et l'examen des insectes de 31. Berthelot dont le petit nombre peut s'élever à cent soixante au plus, j'ai conclu que tous appartiennent à l'Europe méridionale, excepté un seul papillon que j'avais trouvé deux ans auparavant à l'Ascension. Encore 31. Berthelot m'affirma que cet insecte ne se rencontre à Ténériffe que depuis que l'on v cultive X Asclepias fruticosa. Les papillons les plus communs de l'île sont : le Cardai, le Daplidice , le Brassicœ, Y H y aie et le Mœra. J'avais emporté l'un des baromètres de Bunten; mais il fut cassé dès Laguna par la sottise du guide maladroit auquel je l'avais confié , et nonobstant mes recommandations instantes. Cette perte me fâcha d'autant plus que je manquais par là l'un des princi- paux fruits de mon voyage, la détermination précise 46 VOYAGE [826. de la hauteur absolue du pic, el celles des diverses Juin- zones végétales. r,,. Dès huit heures trente minutes du matin nous étions remontés à cheval et sur la route de Santa- Cruz. Jusqu'à Matanza je ne mis pied à terre que deux fois : la première, pour récolter le Rumex lu- naria et le Saccharam canaviense ; l'autre, pour re- cueillir Xllex perado, au bord même du fameux ravin où les Guanches taillèrent en pièces les troupes d'A- lonzo de Lugo. Le long du chemin qui domine Taco- ronte , sur les fleurs du Carduus mariana, je pris plusieurs individus superbes du Cxjnara, papillon cu- rieux , rare en France, et que M. Berthelot m'assura propre à cette localité. Arrivés près d'un aqueduc à mi-chemin environ de Matanza à Laguna, il nous fit détourner vers la droite ; à deux cents toises de distance au plus, notre surprise fut extrême quand nous nous trouvâmes à l'entrée d'une belle et majestueuse forêt. On la connaît sous le nom d'Agua-Garcia ; elle est traversée par un ruis- seau très-limpide qui coule avec un doux murmure au travers des basaltes ; et de jolis sentiers bien percés en font une promenade délicieuse. De superbes lau- riers des Indes, Xllex perado, le Viburnum glulino- sum, etc., en forment la base, tandis que d'énormes bruyères de quarante à cinquante pieds de hauteur en peuplent la lisière. Par le ton général, l'aspect et la forme des végétaux, et surtout des fougères, cette forêt rappelle parfaitement celles des îles de l'Océan-Paci- fique, de la Nouvelle -Guinée, et surtout d'Ualan,etc. DE L'ASTROLABE. 47 J'y remarquai entre autres XExacum viscosam, le c8a6. Géranium vitjfolium, Blechnum radicans, Asplenium Jlun- trichomanes canariensis, et une Clavaria , singulière et fréquente sur les lauriers. Après avoir erré une heure sous ces délicieux ombrages et rempli mon porte- feuille , je sortis enfin de ce lieu, non sans éprouver le regret de n'y pouvoir rester plus long-temps ; et je me promis bien, si la fortune me ramenait jamais à Ténériffe, de retourner visiter les bois charmans d'Agua-Garcia. Nous passâmes à Laguna ; à six heures nous étions de retour à Santa-Cruz , et à sept heures trente mi- nutes à bord *. Là j'appris avec satisfaction que toutes les observations étaient terminées, et que, confor- mément à mes ordres, M. Jacquinot avait tenu tout prêt pour l'appareillage qui fut fixé au surlendemain. L équipage s'était bien comporté, et le service n'avait nullement souffert de mon absence. * Voyez la note n° t. 48 VOYAGE CHAPITRE IV DE TENERIFFE A LA TRINITE. 1826. Ce jour je fermai le rapport que j'adressais au 20 juin, minisire de la marine, touchant les opérations delà campagne jusqu'à ce jour. MM. Quoy et Gaimard pré- parèrent de leur côté un Mémoire important sur les mollusques recueillis depuis le départ, pour l'Académie des Sciences, accompagné de dessins par M. Sainson, et d'une caisse de ces petits animaux conservés dans l'alcool. D'après le compte que nous a remis M. Bretillard , notre excursion au Pic a coûté à la mission soixante- douze piastres et demie , indépendamment de la nour- riture qui ne s'y trouve point comprise. On nous a assuré qu'elle coûte ordinairement à un Anglais qui l'entreprend au moins cent cinquante piastres. Le soir, M. Bretillard me conduisit chez le major Megliorini dont on m'avait vanté le cabinet d'histoire naturelle. En effet, j'y trouvai une foule d'objets, comme armes, coquilles, animaux, poissons, oiseaux DE L'ASTROLABE. 49 et tableaux divers, le tout daus un désordre assez i826. grand , car le respectable major n'est qu'un curieux T,:in qui connaît peu le prix de ce qu'il possède. Ce qui fixa le plus mon attention , dans cet amas d'objets assez hétérogènes , fut une momie complète de Guan- che, qu'on me dit être celle d'une femme. Elle était en- veloppée de plusieurs bandes de peaux cousues; les traits du visage semblaient avoir été réguliers , les mains très-grandes, et la taille de l'individu desséché atteignait encore cinq pieds quatre pouces. Du reste, ce procédé de conservation pour les cadavres est bien inférieur à celui des IXouveaux-Zélandais, vu quilnc reste guère du corps que la peau plus ou moins raccor- nie, comme aux momies de Païenne. Dans les grottes sépulcrales des Guanches, on a aussi rencontré des bâ- tons en bois dur à poignée ronde, tout-à-fait semblables à ceux des Nouveaux-Irlandais; des vases en terre et en bois assez bien tournés , des espèces de petits cachets triangulaires en terre cuite, et surtout une foule de petits disques de la même matière , ayant trois lignes de diamètre, enfilés comme des chapelets (qui leur servaient peut-être au même usage que les quipos chez les Péruviens), des aiguilles en os et une sorte d'étoffe tressée de fibres ou écorces roussâtres. Cette étoffe enveloppait quelquefois les momies, mais bien plus rarement que les peaux de chèvre cousues. M. Megliorini possédait des échantillons de tous ces objets; je contemplai avec émotion ces uniques vestiges d'une race d'humains douce, paisible et digne d'un meilleur sort, si l'on en croit les historiens qu'a TOME I. 4 50 VOYAGE 1826. produits la nation même qui les a tous exterminés jus- juin, qu'au dernier. Cependant , tout en détestant la féro- cité des conquérans , il est permis de ne pas trop se passionner en faveur des Guanches ; car on a acquis la certitude que, comme parmi tous les peuples à demi- sauvages , chez ces Guanches si vantés , la caste privi- légiée affectait le plus profond mépris pour les indivi- dus de la basse classe, et souvent même les traitait de la manière la plus inhumaine. Pendant la durée du mouillage, le vent fut variable en force et en direction, quoique soufflant le plus souvent du N. E. au S. E. Du reste, le jour même où nous l'observions, soufflant assez frais du S. O. à la cime du Pic, au mouillage il resta constamment à l'E. et au N. E. assez faible. Le thermomètre, à 1 7° à quatre heures du matin, montait ordinairement à .21° et 22° au milieu du jour , et a été une fois jusqu'à 25°, tandis que la surface des eaux s'est toujours main- tenue à 21° environ. Assez de navigateurs ont parlé du mouillage de Té- nériffe, de ses avantages et de ses inconvéniens ; je ne répéterai point ce qu'ils en ont dit. Cette relâche nous fut très-utile pour remplacer l'eau et le bois consom- més au détroit de Gibraltar; nous prîmes , en outre, quatre pièces de vin ordinaire, contenant environ neuf cents litres. En le mêlant avec égale quantité d'eau , il contenait autant d'alcool que celui qu'avait fourni le port; et à cet état il se trouvait encore préférable, pour la salubrité, à l'eau-de-vie. ai. A huit heures et demie , mes lettres , le paquet et la DE L'ASTROLABE. Si caisse de MM. Quoy et Gaimarcl furent expédiés chez, i8a6. le consul; au retour du canot, je mis à la voile. La Jum< brise incertaine et le courant nous retinrent quelque temps en suspens, je vis même le moment où j'allais tomber sur un brick portugais mouillé près de nous. Enfin, vers onze heures trente minutes, il s'éleva une jolie brise d'E. N. E., et nous fîmes route, contour- nant l'île à bonne distance, pour éviter les calmes de la côte. L'île était enveloppée d'une bruine épaisse qui nous cacha entièrement les flancs du Pic; sa cime seule se montrait de temps en temps au-dessus des nuages comme une île suspendue dans les airs. Toute la journée je ressentis une lassitude extrême dans toutes les parties du corps, suite naturelle de mon excursion au Pic. Le vent fraîchit à l'E. et au N. E., et nous cin- glâmes sous toutes voiles à l'O. S. O. Le 22 au matin nous vîmes encore la tète du Pic au travers des nuages, elle disparut tout-à-fait vers huit heures. Quoique le soleil se trouvât presque au zénith , la température était délicieuse. Dans la journée du 23, nous com- a3. mençâmes à voir flotter sur les ondes ces belles phy- sales aux reflets purpurins, qu'on rencontre si souvent entre les îles Canaries et les îles du Cap-Vert. J'ai voulu employer un des thermométrographes de Bunten , pour observer les maxima et minima de chaleur, chaque jour. Mais j'ai remarqué qu'il donnait constamment un maximum plus élevé que le thermo- mètre de Le Noir, parce qu'il est situé dans ma cham- bre de la dunette , réchauffée toute la journée par les 52 VOYAGE 18*6. rayons du soleil qui donne sur le plafond, tandis juin. qUe }es autres thermomètres sont plus à l'abri de cette influence, près la barre du gouvernail. Les localités du navire ne permettent pas d'obvier à cet inconvé- nient, ainsi qu'à beaucoup d'autres, qui s'opposeront toujours à ce qu'on puisse rendre les observations de physique aussi rigoureuses qu'on le désirerait. - a.,. Vers quatre heures du soir , me trouvant précisé- ment vent arrière, j'ai voulu mesurer la vitesse de la lame par le moyen qu'indique Horsburgh. Elle était assez longue et d'une profondeur médiocre, ce qui la rendait peu sensible. J'ai trouvé que l'intervalle de deux lames consécutives était de cent vingt pieds , et leur vitesse de six secondes; ce qui, joint à la vitesse du navire , de six nœuds , donne environ dix-neuf nœuds pour la vitesse absolue de la houle. Il serait assez curieux de répéter ces expériences, et on le ferait sans peine sur ces bâtimens qui n'ont d'autre but dans leur navigation qu'une traversée d'Europe aux colonies, et vice versa. 26. Jusqu'à ce jour, favorisés par de bons vents de ]N. E. et un temps superbe, nous avons promptement approché des îles du Cap-Vert. De brillantes phy- sales passent fréquemment le long du bord , mais le sillage est trop fort , et le remoux trop considérable pour qu'on puisse en prendre. On distingue aussi de petites velelles dont l'azur ressort au milieu de l'écume blanchissante des flots. Mon intention était d'abord de passer entre les îles Sant- Antonio et Santa-Lucia , pour en faire la géo- DE L'ASTROLABE. 53 graphie. Mais je me rappelai que le capitaine King iS?.g. pourrait encore se trouver à la Praya; que, si je l'y Jl11"- rencontrais , il pourrait me donner des renseignemens précieux pour la navigation des côtes de la Nouvelle- Guinée. Cette puissante considération me détermina à passer en vue du port de la Praya, pour reconnaître s'il ne serait pas encore en ce mouillage, n'étant parti de Santa-Cruz que deux fois vingt-quatre heures avant notre arrivée. En conséquence, à trois heures je mis le cap au S. S. E. et au S. S. E. '/^S-* hlant sept ou huit nœuds sous les hasses voiles et les huniers. Le jour sui- 27- vant l'horizon fut fortement embrumé, l'atmosphère épaisse, humide et d'une couleur blanchâtre. A huit heures du matin je gouvernai au sud , pour recon- naître plus vite l'île de Sal. Ne pouvant l'apercevoir, à quatre heures quarante-cinq minutes du soir, je mis le cap au S. 40° O.., pour courir précisément dessus. Nous cherchions à la découvrir de l'avant, lorsqu'à cinq heures quarante-cinq minutes, M. Gressien vit tout-à-coup ses pitons élevés presque par notre travers 54 VOYAGE 1826. à tribord, et bientôt après une terre plus basse de juin. l'avant que je supposai être Buena-Vista. Ces relèvemens ne cadraient nullement avec nos observations et la position de ces îles sur les caries. Il faut qu'elle soit très-défectueuse, ou que nous eus- sions nous-mêmes une grande erreur en latitude. Lorsque la nuit nous eut dérobé la vue de ces îles , je revins jusqu'au S. S. E., pour doubler auvent, et à une distance convenable , les récifs dangereux qui s'étendent assez loin à l'E. et au S. E. de Buena-Vista. La nuit fut sombre , la mer houleuse , et nous res- tâmes sous les huniers , filant cinq ou six nœuds. 2g. Vers midi et demi, ayant le cap à l'O., nous aper- çûmes File de Mai à six ou sept lieues. A trois heures , nous n'en fumes qu'à deux milles et demi , et quatre- vingts brasses de lignes à cette distance ne trouvèrent point le fond. Nous prolongeâmes à moins de deux milles toute la côte S. E. de cette île , pour en lever le plan. Elle est nue, généralement basse , et bordée d'une ceinture de brisans qui semble s'étendre unifor- mément à une demi-encàblure au large, et sur la- quelle la mer brise avec une fureur inconcevable. À six heures nous quittâmes cette île ; à dix heures quarante-cinq minutes , m'estimant à peu près à mi- canal entre Mai et Santiago , je mis en panne pour attendre la fin de la nuit qui fut très-s ombre. 29. Au point du jour, je restai fort étonné en relevant Santiago à l'O. N. O. , et non au S. O. , comme je m'y attendais. L'île de Mai restait au N. E., et il était évident qu'un courant très-fort nous avait considéra- DE L'ASTROLABE. 55 blement portés au S. Nous mimes le cap au N. O., en i8a6. forçant de voiles, et bientôt nous eûmes rallié la terre. JlMI1- Il ne nous fut pas difficile de distinguer le morne isolé à TO., donné comme principale reconnaissance, et qui servit à nous guider vers le mouillage. Dès sept heures un navire anglais se dirigeait éga- lement vers la baie, à trois ou quatre milles devant nous; nous-mêmes, à huit heures cinquante minutes, nous doublâmes, en la serrant de très-près, sa pointe de l'E. Le vent refusa tout-à-fait; il fallut laisser tomber l'ancre par douze brasses , fond de gros sable gris. A dix heures, j'expédiai M. Guilbert chez le gouverneur, pour lui présenter la lettre de son gou- vernement ; cet officier fut reçu avec la plus grande honnêteté, et on lui fît beaucoup d'offres de service. Ensuite les diverses personnes de l'état-major des- cendirent à terre pour vaquer chacune aux fonctions dont elles se trouvaient chargées. J'avais appris de suite que le capitaine King venait de quitter la Praya depuis trente- six heures seule- ment, après y avoir séjourné trois jours. La corvette anglaise, qui avait mouillé sur rade peu avant nous, était leLevel, commandée par le capitaine Owen, et employée depuis quatre années et demie à la recon- naissance détaillée des côtes orientales de l'Afrique et de Madagascar. A onze heures il vint lui-même nous rendre visite ; je fus très-flatté de faire sa connais- sance ; de son côté , il parut charmé de trouver dans noire corvette un navire qui venait déjà de faire le tour du monde , et qui se préparait à de nouvelles 56 VOYAGE 1826. recherches scientifiques. Cet estimable officier, qui jum. parait unir la franchise d'un marin à des manières simples et même un peu originales , me fit beaucoup d'amitiés ; nous nous entretînmes long-temps de ses travaux qui étaient à leur terme, car il retournait en Angleterre. Il avait beaucoup souffert de l'influence pernicieuse du climat et des maladies , puisqu'il avait perdu trente-cinq officiers et plus de cent matelots. Il avait aussi dès le principe avec lui deux naturalistes qui avaient succombé ; perte irréparable, et qui rédui- sait les résultats aux seules observations géographi- ques. Du reste, il avait admirablement rempli son mandat sous ce rapport; il me montra toutes les cartes qu'il avait dressées. Ce travail excellent méritera de prendre place à côté de ceux de Flinders et de King. C'est ainsi qu'on doit travailler quand on veut rendre de véritables services à la navigation. Outre le Level, qui était une corvette de vingt-six caronades de 32, du port de quatre cent soixante tonneaux , et montée par cent cinquante hommes d'é- quipage, M. Owen avait aussi à sa disposition un petit navire nommé le Baracouta, et une petite goélette appelée V Albatrosse. On sent bien qu'avec de tels moyens il lui était facile de faire beaucoup. A une heure je descendis à terre avec M. Lottin, pour aller rendre visite au gouverneur-général. Il faisait sa sieste. Alors je parcourus la ville , qui n'est qu'un méchant village composé de chétives ca- banes ; le logement du gouverneur lui - même n'a qu'une bien triste apparence. Trois maisons seule- DE L'ASTROLABE. 57 ment offrent un aspect plus décent ; elles appar- 1826. tiennent aux consuls anglais et américain et à un né- Juin- gociant. La ville de la Praya et son fort, qui me parut PL vin etrx. en bien mauvais état, sont assis sur une éminence sur- montée d'un plateau, et qu'entoure de tous côtés un vallon planté de quelques palmiers et cocotiers , les seuls arbres que l'on puisse y remarquer. Tout ce que la vue peut saisir des montagnes voisines respire cet air de sécheresse et d'aridité qui m'avait déjà frappé à l'Ascension. On dit qu'à peu de distance, dans l'inté- rieur, la scène change, et qu'il y a même des sites fort agréables. Mais je n'avais pas le temps de songer à y pénétrer; dégoûté du triste spectacle que j'avais sous les yeux , accablé de la chaleur que j'éprouvais , je ne restai qu'une heure à terre, et m'empressai de retourner à bord, où je respirais du moins la brise de la mer. Au mouillage nous relevions la pointe O. de la baie au N. 87° O. du compas. La pointe E. au S. 86° E. , et le fort de la Praya au N. 36° O. Le thermomètre variait de 1 8° à 24°, de la nuit au jour. J'observerai ici que la relâche de la Praya me pa- raîtrait préférable à celle de Santa-Cruz sous tous les rapports , le vin seul excepté , pour un bâtiment destiné comme le nôtre à une longue campagne. Elle est plus éloignée du point de départ ; l'eau s'y fait plus commodément, et l'accès de la terre est plus facile. Surtout, et il faut noter cette remarque comme un point essentiel, un navire affourché ou mouillé avec une chaîne convenable, n'a rien du tout à y redouter. 58 VOYAGE 1826. Juin. 3o. Cette dernière condition est de rigueur, attendu qu'on est fort mal sur un seul câble à cause des variations perpétuelles du vent et des courans qui tiennent sou- vent évités en travers. Les bœufs et les légumes y sont à bon compte , et le prix de la volaille le même qu'à Ténériffe *. Ayant manqué le seul but qui m'avait appelé à la Praya, l'espoir d'y rencontrer le capitaine King, je ne voulus pas y faire un plus long séjour. Dès six heures du matin V Astrolabe remit à la voile, et je prolongeai la cote méridionale de Santiago , pour en faire la géographie. Santiago dans toute son étendue offre le même ton d'aridité que la Praya ; je n'ai remar- qué qu'un petit vallon, dont l'aspect vert et riant contrastait agréablement par sa fraîcheur avec les coteaux dépouillés qui l'environnent. Nous avons par- faitement distingué une petite ville, désignée sous le nom de Santiago sur la carte de d'Après. Je me pro- posais de prolonger également la côte sud de Fogo, * Voyez note 2. DE L'ASTROLABE. 59 et de reconnaître enfin Brava, pour lier leurs positions iSa6. entre elles avant de faire route. Mais à neuf heures , Juin- le vent ayant varié au N. O. etO., en mollissant, et ne voulant pas perdre plus de temps, je me déterminai à gouverner au S. S. E. Bientôt le vent revint à TE. N. E., et, dès une heure quarante-cinq minutes, nous perdîmes la terre de vue. A cinq heures trente mi- nutes , un brick , faisant voile au sud, passa à environ un mille de l'avant à nous. Toute la journée nous n'avons éprouvé que des ie» juillet. brises très-faibles d'E. S. E. et de S. E. On a pris un grand nombre de mollusques, telles que Phy sales, Fêle lies, Porpites, un petit requin, et même quelques animaux nouveaux. J'ai suivi quelque temps des yeux, entre deux eaux , un gros mollusque cylindrique dan moins trois pieds de long, sur quatre ou cinq pouces d épaisseur , et d'une couleur bleu clair , qui a passé sous l'arrière du navire. M. Quoy a pensé que ce devait être un Be'roé. A neuf heures du matin , nous avons aperçu dans 3. le S. S. O. un navire à trois mats qui faisait route au nord, et à dix heures a passé par notre travers à deux milles environ, sans mettre de pavillon. Depuis hier la chaleur est accablante, surtout quand le vent vient à tomber. Déjà moins régulier depuis trois jours , l'alise a tout-à-fait manqué aujourd'hui par 11° N. et 24° 30', longitude O., pour faire place aux folles brises de S. et S. S. O. La pluie est tombée par torrens , avec une grosse houle et de violentes chaleurs. Tel 60 VOYAGE 1826. a été Tétat du ciel durant les quinze jours que nous juillet. avons employés à franchir cette zone de vents va- riables. Ce que nous avons éprouvé touchant la limite de l'alise, concorde, ainsi qu'on peut le voir, avec les in- dications d'Horsburgh, qui désigne 1 2° pour la latitude moyenne à laquelle ces vents s'arrêtent au mois de juil- let. J'ai de fortes raisons pour croire qu'on ne gagne- rait rien à s'avancer plus à l'O. en longitude , dans le but de les conserver plus long-temps. D'un autre côté , il serait plus désavantageux encore de trop ser- rer la cote d'Afrique. 6. J'ai profité d'un calme plat de midi à trois heures , pour faire une expérience de température à profon- deur. Le thermométrographe n° 9 de Bunten a été descendu à quatre cents brasses de profondeur, dans une direction parfaitement verticale. Bien que le cy- lindre en cuivre qui renfermait l'instrument fût à moitié rempli d'eau , lorsqu'on l'a ouvert , le mercure ne s'était nullement dérangé , et il en est résulté que la température des eaux de la mer qui était à 26°, 8 à la surface, n'était plus qu'à 5°, 2 à la profondeur de quatre cents brasses ou deux mille pieds. Cette expé- rience a prouvé combien étaient imparfaites celles que l'on faisait en se contentant de puiser l'eau à de gran- des profondeurs , et de mesurer la température lors- qu'elle était ramenée à bord ; attendu que l'index du minimum était déjà remonté de 4°, 8 à 14°, quelque diligence qu'on eût d'ailleurs employée, en retirant la sonde. L'instrument était resté une demi-heure en- DE L'ASTROLABE. 61 1826. lière au fond , et il a fallu autant de temps pour le ra- mener à bord. Juillet. On peut aussi juger par là de ce que ces expériences doivent avoir de pénible pour des hommes déjà soumis aux divers travaux du bord, et la moitié du temps cou- verts d'eau sous cette zone à la fois humide et brû- lante. Ni l'Institut , ni le ministère ne peuvent assez apprécier les fatigues des marins dans de semblables campagnes. C'est une lutte perpétuelle contre les tempêtes, les écueils, les dangers et les privations de toute espèce , un fréquent assujettissement à des tra- vaux extraordinaires et. souvent bien étrangers au service habituel du marin. Dans l'intérêt de la science, comme dans l'exacte équité, ne serait-il pas conve- nable de dédommager ces hommes par des récom- penses honorables et proportionnées à [la nature de leurs services? Impatient d'obtenir une donnée plus positive sur la 10. limite du refroidissement des couches sous-marines , ce jour-là je mis à profit un calme profond, pour ten- ter une nouvelle expérience à une très-grande profon- deur. Dix lignes de cent brasses chacune furent prépa- rées sur le pont ; le thermométrographe n° 9 fut placé dans le cylindre en cuivre, de deux lignes d'épaisseur, fabriqué à l'atelier des boussoles à Toulon. J'y plaçai aussi un petit flacon d'huile d'olive pour connaître si elle se congèlerait. Un plomb de trente kilogrammes était attaché au bout des lignes, à quatre ou cinq pieds au-dessous du cylindre, et un peu au-dessus de celui- ci, une sphère en verre très-forte et creuse à lin- 6g VOYAGE 1826. teneur, que j'avais t'ait faire à la verrerie de Toulon. juillet. ^ une }ieure cinquante-deux minutes on commença à filer, et à deux heures quinze minutes toutes les lignes furent à la mer. Comme elles semblaient venir un peu de l'arrière , je fis mettre un canot à la mer pour remorquer le navire dans cette direction, et bien- tôt la ligne devint tout-à-fait verticale. A deux heures cinquante-cinq minutes on commença à retirer la ligne ; tout l'équipage fut obligé de donner la main à ce tra- vail; le plomb ne revint à bord qu'à quatre heures trente minutes : il n'avait point rencontré le fond. La pression des couches supérieures avait tellement com- primé le cylindre , qu'elles l'avaient complètement aplati. L'échelle en cuivre du thermométrographe était restée serrée et contournée contre ses parois, et le tube brisé en mille pièces avait disparu, ainsi que la fiole d'huile. Le globe en verre revint intact; pas une goutte d'eau n'avait pénétré à l'intérieur. Il avait néan- moins subi une pression de cent cinquante-six atmos- phères ! . . . Je regrettai beaucoup que cette expérience n'eût pas mieux réussi; car, faite avec tout le soin possible, elle nous eût donné la vraie température des mers, à cette immense profondeur de cinq mille pieds. En outre, je me vis obligé de faire construire un nouveau cylindre par notre armurier, et, pour cet objet, je destinai d'é- paisses plaques en tôle qui nous avaient été données à l'armement pour la réparation de la cuisine. Hier on avait déjà pris un requin , aujourd'hui on en a saisi deux autres de six à huit pieds. Il est dilfi- DE L'ASTROLABE. 63 file de peindre la joie, l'espèce d'ivresse qu'excitent 1826. toujours dans l'équipage ces sortes de captures. C'est Juillet réellement le ravissement du sauvage qui tient entre ses mains son plus cruel ennemi, et s'apprête à le dévorer. Ce spectacle donne une idée du surcroît de jouissance que le sentiment de la plus terrible des vengeances peut ajouter au simple appétit créé par la nature dans l'animal, comme dans l'homme , sous L'empire absolu des passions , et sur lequel la voix de l'éducation a peu ou point d'influence. La plupart de nos officiers ont toujours mangé avec plaisir la chair du requin ; pour moi , sans être in- fluencé par aucun préjugé, et sans la trouver préci- sément mauvaise , j'ai toujours trouvé à cette chair un goût particulier qui me déplaisait; si bien que je lui préférais encore de bonne viande salée , malgré le peu d'attrait que ce dernier aliment a pour moi, surtout à la mer. Ames propres dépens je suis enfin convaincu que t-?.. Horsburgh a raison en conseillant, contre l'avis de d'Après, de passer la ligne autant que possible entre 20° et 25°, et de ne rallier en aucune manière la cote de Guinée. Cette dernière manœuvre est surtout à éviter dans les mois de juillet et d'août, où l'alise du N. E. manque dès 1 1 à 12° N. , et où l'intervalle de celui-ci aux vents généraux est presque entièrement occupé par des vents de S. S. O. et S. avec une grosse mer et des grains de pluie. En effet, en suivant le conseil de d'Après , me voici parvenu par 1 8° '/2 de longitude, et 7" seulement de latitude, et, depuis hier, 64 VOYAGE 1826. nous avons éprouvé durant vingt-quatre heures près juillet. (je qliarante milles de courant à l'E. N. E. , ce qui nous laisse peu d'espoir de pouvoir nous rapprocher de la ligne. Aussi ai-je pris le parti définitif de gagner désormais à l'ouest le plus que je vais pouvoir, afin de m'élever ensuite vers le sud en louvoyant. Manœuvre lente et pénible , j'en conviens , mais bien plus sûre au moins et accompagnée de moins de dangers, sur- tout moins exposée aux chances de maladies pour 1 équipage, que le parti d'aller s'enfoncer dans les chaleurs brûlantes et les calmes désolans du golfe de Guinée. 1/,. A deux heures trente minutes après midi, nous aperçûmes droit devant nous, dans l'ouest, un brick courant au plus près tribord. A trois heures il laissa porter sur nous , en hissant pavillon russe. A quatre heures il resta en panne sur notre route, et mit son canot à la mer. Il fut bientôt le long de notre bord , et le capitaine se fit reconnaître pour celui du navire P Er- cole, qui avait été long-temps à l'ancre près de nous à Sandy-Bay et à Algésiras. Il venait nous demander à vérifier sa longitude , n'ayant pas relâché depuis son départ de Gibraltar, et n'ayant vu aucune terre depuis Brava , qu'il avait reconnu le 1 9 du mois dernier. Je lui donnai le point de quatre heures; il n'avait pas moins de 6° d'erreur dans la longitude, qu'il estimait à 25°, tandis qu'elle n'était effectivement que de 1 9°, telle- ment qu'en poursuivant deux jours encore sur le même bord, il eût fort bien pu tomber inopinément sur la côte de Guinée. Je lui conseillai en outre de préférer DE L'ASTROLABE. G 5 la bordée de l'ouest à l'autre , quelque mauvaise qu'elle semblât au premier abord. Tant que nous fûmes dans la région des vents va- riables, les courans furent très-irréguliers. Du 11 au 16 ils portèrent de trente à quarante milles par jour à l'E. N. E. , à l'E. et à l'E. S. E , du 16 au 1 ? de qua- rante-huit milles au S. O., le jour suivant de qua- rante-sept milles à l'O. i\A S. O. , et enfin le 1 9 ils nous avaient entraînés de quarante-sept milles précisément à l'ouest. Dans la soirée par 2° latitude N. , et 2 1 ° longitude O . , nous avons décidément rencontré le vent général du S. E., qui nous a ramené le beau temps, modéré la ehaleur et nous a permis de gagner vers le sud. Nous avons passé la ligne entre trois et quatre 1826. Juillet. iS. 66 VOYAGE 1826. heures du matin. L'équipage a célébré joyeusement la juillet. f£te ju baptême , et , malgré quelques libations assez copieuses de la part de certains individus, il n'y a eu ni querelle ni tumulte. A Toulon, pour obliger M. Robert, directeur du jardin des plantes de cette ville, je m'étais chargé de deux caisses contenant de jeunes plants d'oliviers et figuiers de choix , qu'il envoyait à M . Mac-Arthur, à Port- Jackson. Malgré les secousses de la navigation , ils ont admirablement prospéré, et sont couverts de la plus agréable verdure. Au milieu de l'assommante monotonie de l'Océan , cette végétation flatte la vue , récrée l'imagination abattue, et la ramène vers des pensées moins tristes. Si je commandais une frégate ou un vaisseau , j'aimerais à orner ma chambre de quelques caisses de fleurs , sans avoir égard à leur prix, mais pour leur verdure seulement. 25. Depuis quelques jours , au coucher du soleil, le ciel prend une teinte purpurine et violette très-remar- quable , tandis que les nuages qui passent sur ce fond se colorent en vert sale. Cet effet de lumière se dé- clare toujours du côté du couchant. Il n'y a presque plus de crépuscule ; dès que le soleil a disparu sous l'horizon , la nuit ne tarde pas à étendre ses sombres voiles. 28. A dix heures trente minutes du matin, nous filions à peine deux nœuds ; j'ai mis en panne et envoyé le thermométrographe n° 7 à deux cents brasses , pour essayer le nouveau cylindre en tôle. L'expérience a réussi, et il n'est entré qu'un demi-verre d'eau dans le DE L'ASTKOLABE. 67 cylindre. La température de 23°, 2 à la surface a des- 1826. cendu à 10°, 8 à cette profondeur. Juillet. Ce même jour il ne restait plus aucun malade au poste, et l'on peut affirmer que tout l'équipage se por- tait beaucoup mieux alors qu'au départ de Toulon. (58 VOYAGE CHAPITRE V. 1>K LA TRINITE AU TORT DU ROI-GEORGES. ïSaô. A deux heures quinze minutes du matin, on m'a 3i juillet, prévenu qu'on apercevait la terre de l'avant, un peu à bâbord; au point du jour, nous avons clairement dis- tingué les rochers de Martin-Vaz à trois milles environ au vent, et l'île de la Trinité à dix-huit ou vingt milles sous le vent. A six heures vingt-deux minutes du malin, après une station géographique, nous fîmes route à l'ouest sur le milieu de l'île ; à neuf heures trente minutes, ne nous trouvant plus qu'à trois milles à l'est du Pain-de-Sucre, une seconde station eut lieu ; DE L'ASTROLABE. 09 et le thermométrographe fut envoyé à cent brasses; 1826. mais une dérive trop forte dérangea tout-à-fait l'expé- Juillet- rienee. Nous fîmes servir à dix heures ; alors le vent avait un peu rangé le sud , et le courant portait le long de nie; de sorte que je vis le moment où j'allais com- promettre la sûreté du navire en voulant doubler l'île par le sud. Cependant à dix heures trente minutes nous rangeâmes à moins d'un mille les brisans qui bornent le morne immense, aride et sauvage, qui termine l'île de ce côté, puis nous continuâmes de la contourner en nous maintenant à deux milles au plus de distance. La partie occidentale de la Trinité offre les accidens du sol les plus remarquables , savoir : à partir du sud, cette masse singulière , a arêtes très-droites , qui de loin semble un énorme édifice , et dont la base offre une ouverture à demi elliptique qui traverse sa char- pente entière, et permet d'apercevoir le jour de l'autre bord. Sur sa gauche vient ce gros rocher incliné, isolé, dépouillé, que les Anglais ont nommé le Pain- de-Sucre, de onze cents pieds de hauteur. C'est au pied de ce rocher que sont les deux seuls mouillages de l'île, si toutefois on peut leur donner ce nom. L'un est au S. E. , et l'autre au S. O. de l'île. C'était sur les bords de la première , près de la petite plage qui l'entoure, qu'était établie la colonie portugaise qu'y trouva M. de La Pérouse en 1785. En effet, voilà le seul endroit de l'île où l'homme puisse faire quel- ques pas en droit chemin. Au N. O. on admire un rocher non moins surprenant que les précédens; 1826. Juillet. 70 VOYAGE sa forme est presque cylindrique , sa hauteur de plus de huit cents pieds sur quatre-vingts ou cent au plus de diamètre. Presque entièrement détaché de la masse de l'île , ses pans sont verticaux, et quelquefois un peu rentrans vers sa base. On dirait de loin une tour immense élevée par la main des hommes. Les sommets de l'île sont hérissés de petites pointes cylin- driques , déliées , qui paraissent souvent posées en équilibre sur les cônes qu'elles couronnent. L'île en- tière paraît très-stérile- à l'exception d'une maigre verdure aux environs de l'anse du S. E., et de quel- ques bouquets d'arbres dans les ravins près du som- met, ce ne sont que des rochers nus. J'avais le dessein de tenter une excursion à la côte avec les naturalistes ; mais le ressac y était si violent , et la mer brisait avec tant de fureur sur tous ses points , que je ne jugeai pas à propos d'y hasarder une embarcation. A midi , nous trouvant sur le pa- DE L'ASTROLABE. 71 rallèle de sa pointe nord, nous finies encore une sta- 1826. lion , et nous gouvernâmes ensuite au sud avec une Aoùt- forte brise d'E. S. E. et une grosse mer *. La chaleur diminue rapidement; le 1er aoùt au tn. matin nous voyons le premier pétrel damier par 22° latitudeS. Le jour suivant nous passons le tropique du Capricorne; le ciel et l'atmosphère ont quitté ce ton vaporeux et blanchâtre habituel aux régions équa- toriales, pour reprendre cette pureté, et rendre à l'ho- rizon ces lignes claires et bien arrêtées des zones tem- pérées dans le beau temps. Par 27° 301 S., le premier albatros paraît; les 4. damiers et les pétrels bruns sont devenus communs. Nous déverguons et ramassons peu à peu nos menues voiles , pour alléger le grément et nous préparer aux rudes secousses des mers australes. Le temps était superbe , la mer très-belle ; poussés 6. par une jolie petite brise d'E. N. E. , nous courûmes sur la position de Saxembourg. A huit heures trente minutes du soir, nous nous trouvions précisément sur celle qui lui fut assignée par les navires Colombus et Brothers en 1808 et 1809, d'après Horsburgh. Nous ne découvrîmes rien , pas même d'indices d'au- cune nature , tels qu'oiseaux , bois ou plantes flottant sur la mer; pourtant, durant le jour, nous eussions pu distinguer, au moins à vingt milles de dislance, une terre basse, et à six ou sept milles durant la nuit qui était très-claire. * Voyez note 3. 72 VOYAGE 1826. Alors je revins au vent et mis le cap à l'E. S. E. , Août. agn çjg prolonger encore quelque temps le parallèle de 30° 20' S. Bien que nous fussions depuis bien long- temps hors des tropiques , je donnai l'ordre de con- tinuer les distributions de café trois fois par semaine , et de punch tous les dimanches ; persuadé que ces boissons fortifiantes étaient encore plus convenables h l'équipage dans les climats frais qu'entre les tropi- ques. 9. Les damiers sont devenus nombreux ; nos marins en ont pris une douzaine à la ligne. Cet oiseau a des formes très-élégantes, et beaucoup du port du pigeon. Quelque vigoureux que soit son vol, une fois à terre, il ne peut plus s'enlever ; nous nous amusions à voir une douzaine de ces oiseaux se promener maladroite- ment sur le pont, sans pouvoir profiter de leur liberté pour s'envoler. 11. Notre navigation depuis le détroit avait été en gé- néral assez tranquille , quoique souvent contra- riée par des houles assez pesantes, des grains, des vents défavorables et de grandes chaleurs. Mais nous avons atteint le trentième degré de latitude méridio- nale, et ces vastes mers de l'hémisphère austral sont sujettes à de bien mauvais temps , surtout en juillet , août et septembre. Aussi, après avoir soufflé à l'O., assez frais durant quelque temps , le 1 1 il sauta subi- tement au S. , où il souffla grand frais avec quelques gouttes de pluie. La mer devint très-grosse , le navire roulait beaucoup, il fallut mettre à la cape. Le coup de vent fut de courte durée , mais le vent DE LWSTKOIAIîE. 73 continua de souffler avec force les jours suivans , et la , s .,,-,. mer resta très-grosse. Le 1 3 il lit beau, le 1 4 aussi, et " 3 août. à neuf heures trente minutes du soir nous nous trou- vions sur la position précise qui a été assignée à Saxem- hourg par Gallowav, celle-là même qui a été adoptée dans la dernière carte publiée par le dépôt de la ma- rine. Aucun indice de terre ne s'offrit encore à nos regards. On doit en conclure que cette île n'existe pas davantage sur cette position (pie sur celle que lui a donnée le pilote Long du (C//i///ùns, et que le mieux sera de la rayer définitivement des cartes, comme ont déjà fait les Anglais. Il serait du reste assez curieux de constater ce qui a pu donner lieu aux contes absurdes débités par Long et Gallowav louchant l'existence de cette île ; mais cela ne pourrait se faire qu'à l'inspection de leurs tables de Loch. Le 15 au soir, nous eûmes un nouveau coup de xj vent de S. O., avec une mer énorme. Il varia au S. dans la nuit, et passa au S. E. le jour suivant , où sa fureur diminua sensiblement. Il est bien digne de remarque que dans ces coups de vent que nous venons d'éprouver, et dans ceux qui suivirent, le plus souvent, le baromètre n'a subi aucune variation ; le niveau du mercure a au contraire conservé des stations très-élevées , comme 281' 4'; 28n 51, et même 28p 6'. Il en résulte que ces indications of- frent bien moins d'intérêt que dans notre hémisphère: j'en vins enfin au point d'y faire peu d'attention. Dans un moment de calme le thcrmoniélrographo 74 VOYAGE 1 8a6- n° 7 de Bunten tut envoyé à trois cents brasses, et la température de 17°, 5 à la surface , se trouva à cette profondeur de 1 0°. L'index du maximum avait aussi monté de 4°, ce qui indique que l'instrument avait traversé une couche de fluide dont la température était de 4° supérieure à celle de la superficie. J'avais en- fermé et solidement fixé dans une simple boîte en bois de noyer un des thermométrographes de Spinelli; descendu à la profondeur de trois cents brasses, il revint broyé en mille pièces par la pression des cou- ches qui avaient pesé dessus ; le bois de la caisse , complètement imbibé d'eau , avait prodigieusement augmenté de poids. i9- Depuis quelque temps, au moyen du pendule et du cadran gradué, adaptés à notre habitacle, je me suis occupé d'observer les effets du roulis , d'après l'in- clinaison du navire et les circonstances qui en résul- tent. A 5° d'inclinaison, le roulis commence à de- venir sensible; à 10 et 15°, il suppose déjà une grosse mer et devient incommode. Il fatigue le bâti- ment à 20° ; enfin à 25 et 30° qui , jusqu'à présent , m'ont paru les limites de l'inclinaison , les porte-hau- bans sont soulevés par les lames, la cloche tinte, et les secousses sont très-dures , surtout quand le vent est droit de l'arrière , et la houle du travers , comme c'est le cas aujourd'hui. Du reste , ces grands roulis sont rares, et ne reviennent qu'à des intervalles assez éloignés , autrement ils démoliraient la corvette. Dès que le vent vient un peu de la hanche, ils sont moins répétés. DE L'ASTROLABE. 75 Coup de vent de S. O. le 20; et le jour suivant iSsfi. tourmente de S. S. O. , avec des grains de pluie, des 2° aoiU- raffales très-pesantes et une mer terrible. Dans tout le voyage de la Coquille, le coup de vent que nous reçûmes vers la Nouvelle-Zélande, nous offrit seul des lames d'une aussi prodigieuse hauteur. L'inclinaison du navire a été jusqu'à 33°. Malgré ces violentes se- cousses la corvette se comporte très-bien et ne fait point d'eau. Dans la journée le temps s'embellit un peu, nous iX avons des vents de N. O. Accablés parles mauvais temps des jours passés, nous semblons renaître à la vie, et nous goûtons vivement quelques momens de repos. Ce bien-être dure peu ; dès le jour suivant au soir, le vent souffle déjà grand frais du nord. Insensible aux tempêtes du sud , par celle-ci le baromètre descendit à 27p 9', 5. De cette partie aussi, quoique creuse, la houle est cependant plus dure et plus pénible que celle du côté opposé; les roulis qu'elle occasione sont d'une force et d'une fréquence extraordinaire. Les paquets flottans de Laminarïapy lïfera ont commencé à paraître. Prenant en considération la longueur des nuits, la rigueur de la saison et la durée de la campagne, à dater d'aujourd'hui l'équipage est mis aux trois quarts , ce qui procurera aux hommes un plus long repos, et les exposera moins aux maladies occasionées par d'exces- sives fatigues. D'un autre côté je serai obligé d'exercer une surveillance plus active, surtout de redoubler de prudence pour la voilure. a 8. 7 G VOYAGE 1S26. Nouveau coup de vent de N. N. O. qui dure toute 29 août. ja nuit, et qui le 30 , au jour, devient une tempête des plus terribles. A onze heures elle était parvenue au plus haut degré de violence ; les lames, formant de vraies montagnes, atteignaient au moins quatre-vingts à cent pieds de hauteur. Heureusement leurs sommités seules déferlaient , autrement elles eussent promptement en- glouti la corvette. Jamais je n'avais vu une mer aussi monstrueuse, je ne croyais pas même qu'en aucune circonstance l'équilibre des eaux pût être renversé à ce point. En ce moment , nous nous trouvions , il est vrai, sur les Acores même du Banc-des- Aiguilles; et l'on sait ce que les navigateurs ont raconté des fu- rieuses tempêtes de ces parages si redoutés en hiver. Après avoir tout serré , nous avons été réduits à courir sous le petit foc seul ; la corvette s'est bien comportée , mais elle a beaucoup fatigué , et quelques paquets de mer qu'elle n'a pu éviter ont fait donner quelques cou- tures , car elle a commencé à faire de l'eau pour la pre- mière fois depuis son départ. Nous avons remarqué que les lames que nous recevions nous causaient, pour ainsi dire, l'effet d'une eau à demi tiède, ce qui indiquait, pour la sur- face de la mer, une température bien supérieure à celle de l'atmosphère. La tempête a soufflé avec une fureur égale et conti- nuelle jusqu'à six heures du soir; alors les raffales ont diminué, et le vent s'est soutenu bon frais au N. O. et O. N. O. durant deux jours, circonstance très-heu- reuse pour nous; car terrible comme elle était, la DE L'ASTROLABE. 77 houle nous eût cruellement fatigués, si le calme fut 1826. aussitôt revenu. Aujourd'hui, brises faibles et variables. A dix heures i« septembre. trente minutes du matin , presque calme. J'en profite pour envoyer le thermométrographe à cinq cent vingt brasses de profondeur parfaitement verticale, avec un plomb de vingt-quatre kilogrammes. Il revient en bon état, bien que le cylindre soit plein d'eau, jusqu'à deux pouces du bord. Au moment où on l'a ouvert , un souffle d'air très-sensible se fait sentir, une fumée légère s'en exhale , et l'eau pétille au-dedans comme du vin mousseux. L'index du minimum a descendu de 1 2°, et la température à cinq cent vingt brasses de profondeur n'était que de 5°, 4. Pour compléter l'expérience , deux heures après le même instrument est envoyé à cent dix brasses seule- ment ; cette fois l'index ne descend que de 4 à 5° ; il reste prouvé qu'à ce niveau la température de la mer s'écarte peu de celle de sa surface. Nous faisions route, àl'E. S. E., avec une faible 2. brise d'O. N. O. , et une mer assez tranquille , quand à huit heures nous crûmes apercevoir dans le sud , à peu de dislance, un espace de mer où la lame brisait très-sensiblement. Examiné attentivement, et suivant toute apparence, cet objet semblait être une tète de roche ou une coque de navire élevée seulement de quelques pieds au-dessus de l'eau. Des taches blan- châtres bien marquées donnaient lieu de croire que'ce devait être plutôt un rocher; en outre plusieurs hiron- delles de mer, et des nuées de petits pétrels cendrés , 78 VOYAGE 1826. prenaient leurs ébats alentour. Pour fixer toute incer- septembre. t jtuc|e j je gs mettre le cap directement dessus -, bientôt je ne tardai pas à m'apereevoir que notre prétendu bri- sant changeait de position, puis il finit par disparaître en- tièrement. Alors je restai convaincu qu'une baleine de grande taille , et couverte de coquilles et de madré- pores, avait seule causé cette apparence. Nul doute, et c'est l'opinion d'Horsburgh , que d'immenses céta- cés dormant à la surface des eaux et produisant de semblables illusions , ont donné lieu à ces dangers pré- tendus, à ces rochers que divers navigateurs assu- rent avoir rencontrés dans ces mêmes parages. Les coups de vent que nous venons d'éprouver et notre température actuelle assez régulièrement de 8 à 9°, ont porté un coup funeste à ma petite pépinière. Les figuiers sont morts , et les oliviers ont considéra- blement souffert. Pour transporter avec quelques succès des végétaux vivans , les bâtimens à batterie couverte sont à peu près indispensables. 3. Par 37° 17' latitude S. et 27° longitude O. , la brise irrégulière au S. O. nous a amené de la pluie par in- tervalles, et deux ou trois grains de grêle très-abon- dans. 4. Le jour suivant, un gros vent de S. S. O. fait mon- ter le baromètre jusqu'à 28p 61, 5 , ce qui justifie les observations déjà faites par divers navigateurs. 5. Du 5 au soir jusqu'au 10 inclusivement, les vents restent fixés à l'E. S. E., à l'E. N. E. et au N. E. , généralement frais et accompagnés de beau temps. Le baromètre s'élève jusqu'à 28p 7', 28p 8l et même 28p DE L'ASTROLABE. 79 9'. Obligés de serrer lèvent, bâbord amures, nous 1826. sommes très-contrariés durant tout ce temps. Septembre. A midi précis, les observations placent l'Astrolabe 7. à huit ou dix milles au IN. des Sondes du Brunswick sur la carte anglaise , et précisément dessus sur la française. Sans le courant qui a varié , nous passions sur le point de la carte anglaise. Du reste, rien n'an- nonce la proximité' d'un haut - fond , et il vente beau- coup trop pour qu'on puisse faire une sonde considé- rable. MM. Jacquinot, Gressien et Lottin observentet cal- 9. culent des distances lunaires , et les longitudes qui en résultent s'accordent à la minute avec la position don- née par la montre n° 38 de Motel. Durant la nuit le vent soufflait au nord, bon frais, I3. avec quelques ral'fàles par intervalles, un temps cou- vert et une mer houleuse. A une heure trente minutes j'avais fait carguer la grande voile, et je dormais assez profondément, lorsqu'à six heures quinze minutes je fus réveillé en sursaut par des cris lugubres et le bruit d'une manœuvre précipitée. Ayant sauté sur le pont, enveloppé de mon seul manteau, j'eus bientôt appris qu'un homme était tombé à la mer. Déjà l'officier de quart, M. Guilbert, avait exécuté toutes les manœu- vres convenables en pareille circonstance ; il avait jeté deux cages à poules à la mer, mis en travers, et travail- lait à mettre le petit canot à la mer, ce qui fut fait à l'ins- tant. Comme je distinguais encore à sa chemise rouge le malheureux surnageant au-dessus des flots, et qu'il n'était qu'à deux encablures du navire et à une demi- 80 VOYAGE 1826. encablure des cages , je ne cloutai pas qu'il ne pût être septembre. sauvé f et craignis seulement pour l'embarcation dont la chaleur avait ouvert les coutures. Pour m'éloigner moins , je virai lof pour lof, et revins m'établir en panne, tribord amures, à une encablure environ, sous le vent du lieu où l'homme nous semblait surnager. En même temps le canot s'en approchait en toute hâte; mais, durant cet intervalle qui dura à peine six à huit minutes, il avait disparu. Il ne savait pas nager, ainsi que je l'appris de ses camarades, et, après avoir pu se soutenir quelques momens sur l'eau , à l'aide de ses vètemens , une lame aura fini sans doute par le faire couler. Après une demi-heure d'efforts et de recher- ches sans succès , quand nous fûmes convaincus qu'il ne restait plus aucun espoir, je rappelai le canot à bord , et nous continuâmes notre route , consternés de ce funeste accident. L'homme qui périt alors si malheureusement se nommait Binot (Benoit), âgé de vingt-deux ans et gabier de misaine. Au moment où il tomba à la mer , de concert avec le chef de timonnerie Jacon , il tra- vaillait à dégager un seau engagé dans les chaînes des grands porte-haubans, où une lame assez forte vint le saisir à l'improviste et l'entraîna au large. S'il eût pu se soutenir quelques minutes de plus , il eût été infailliblement sauvé!... Quelque répréhen- sible que leur conduite ait été depuis , je dois rendre justice aux matelots qui se précipitèrent dans le canot pour aller sauver Binot. Malgré le vent, la grosse mer et le danger qu'ils couraient eux-mêmes, Simonet, DE L'ASTROLABE. 81 Condriller, Gossy, Le Court, etc., déployèrent un 1826. courage et un dévouement vraiment louables. septembre. A peine le canot était bissé , que le vent fraîchit beaucoup, et, trois heures après, il ventait grand frais de N. N. O. avec des raffales et une grosse mer. Malgré nos soins, malgré notre prudence, les voiles , la coque et surtout le grément commencent à se ressentir de cette opiniâtre série de temps forcés. Je me décide à relâcher au port du Roi-Georges, d'au- tant plus que ce point me promet une mine féconde à exploiter en tout genre. Le ciel au soir a pris une apparence sinistre, le ■;. mauvais temps est revenu, et le jour suivant, de huit heures du matin à dix heures du soir, nous sommes obligés de rester sous le petit foc seul. Le vent souf- flait, avec fureur à l'O. S. O., accompagné de raffales impétueuses, de pluie et de grêle. Quoique moins grosse que dans la journée du 30 août, la mer était affreuse, et peut-être plus dangereuse, en ce qu'elle était bien plus dure, et déferlait souvent en entier sur la corvette. Nous n'avons pu éviter d'embarquer quel- ques lames , qui chaque fois semblaient menacer de nous engloutir , et qui ont pénétré dans toutes les parties du navire *. La fureur du vent s'apaise un peu le 16 au soir, 17. pour reparaître avec une nouvelle force dès le 17 au matin. Mais cette fois la température est plus éle- vée, les raffales sont sèches, et n'amènent ni pluie, ni * l'oyez note 4. TOME I. G 82 VOYA.GE i826. grêle, ce qui les rend plus supportables. Quatre ma- scptembrc. telots se plaignent de maux d'estomac , et le quartier- maître Vignale , dans un coup de roulis , tombe sur le pont et se blesse à la tète. 19. Le vent continue de souffler sans interruption, grand frais à l'O. S. O., avec une mer très-dure et un temps sombre. Le 1 9 au soir, comme fatigué de ses ef- forts, le vent avait suspendu sa violence et laissait un court repos aux flots de la mer. En ce moment , les lames, moins irrégulières, semblaient autant de chaî- nes de coteaux mobiles, coupés par autant de vallées, et sur le dos desquels notre corvette glissait paisi- blement. Spectacle vraiment majestueux , admirable, et dont la plume la plus habile ne saurait donner qu'une faible idée ! . . . . 20. Nouvelle tempête du N. N. O., aussi violente qu'au- cune des précédentes, et de plus accompagnée d'un ciel très-chargé et d'une pluie continuelle. La nuit a été affreuse et l'obscurité complète. Comme je gou- vernais sur le parallèle de l'île Saint-Paul, redoutant de tomber dessus inopinément, par suite d\in cou- rant imprévu ou d'une erreur très-possible dans nos montres après une si longue navigation , je pris le parti de courir des routes obliques sans quitter ce parallèle. La corvette a beaucoup fatigué sur quel- ques-uns de ces bords , principalement les amures à bâbord. "• A six heures je mets le cap à l'E. S. E. ; à sept heures trente minutes, M. Gressien, qui se trouvait de quart , voit passer le long du bord le premier pa- DE L'ASTROLABE. 83 quel de Lamina) ta pyrifei af et, depuis ce moment, 1826. ils ont passé avec profusion jusqu'à quatre heures du septembre soir où ils ont tout-à-fait cessé. Ces fucacées, avec les albatros qui nous ont entourés en grand nombre , sont l'unique indice que nous ayons pu avoir de la proximité des îles Amsterdam et Saint-Paul ; car nous n'avons rien aperçu du tout. Cependant, en corri- geant nos routes par les latitudes observées la veille et le jour suivant , il est probable que le 21 , à six heures du matin, nous devions nous trouver à six ou huit milles au plus dans le nord de Saint-Paul. S'il n'y eut pas eu de courant , ou s'il eut porté au sud , comme le vent semblait l'annoncer , nous atterrissions précisé- ment dessus. Du reste, avec un temps aussi détes- table et un ciel aussi chargé , il n'est pas surprenant que nous n'ayons rien vu ; notre horizon s'étendait au plus à un mille dans les instans les plus lucides *. Les laminaires qui habitent ces mers ont les bulles de leurs frondes plus grosses et plus turbinées que l'espèce des Malouines. Mon intention était de visiter en canot l'ile Saint-Paul , son cratère et son lagon. Je regrette vivement les observations de physique et d'histoire naturelle quece point m'eût offertes. Surtout j'étais curieux de savoir à quel système se rapportent les végétaux qui peuvent l'habiter à La fureur du vent s'apaise, le ciel s'embellit, et a3. noire navigation s'adoucit. La mer reste très-grosse , ce qui indique que plus au sud le mauvais temps se * Voyez note 5. 81 VOYAGE 1826. prolonge. La journée du 23 est même agréable, et septembre. semble annoncer le retour d'une saison plus tempérée (le printemps des régions australes commençait ce jour même). **■ Dès le jour qui suit, le vent d'O. N. O. revient lourd et pesant, accompagné de pluie et de grêle. Le 25 nous prenons un albatros qui pesait quatorze livres et avait neuf pieds deux pouces d'envergure. A mon dîner je mange du fuligineux , dont je trouve la chair bonne , et bien préférable à celle du damier que je trouvais déjà passable. a7- Ce jour et le lendemain, coup de vent furieux d'O. et O. S. O.; temps couvert, grains et pesantes raf- fales. Le 28 à trois heures du soir, la tempête est au plus haut degré de force , la mer monstrueuse , et les lames , devenues de nouveau de vraies montagnes , secouent cruellement notre pauvre navire. Aussi fait- il en ces momens sept pouces d'eau en six heures ; l'eau pénètre par l'arrière dans ma chambre , en sorte que tous mes livres, mes cartes, mon linge, etc., sont trempés et dans un état funeste à leur conservation. 29- Le vent , quoique violent encore, devient plus ma- niable; il se modère le 29 au soir , et le 2 octobre nous 2 octobre, pouvons rétablir les huniers depuis si long-temps ser- rés. Nous voyons aussi un pétrel géant [quebranta- huessos), le premier de toute la campagne. 3. Enfin nous respirons, et, malgré la grande houle qui persiste, l' Astrolabe poursuit une route plus tran- quille. 5, Nous filions vent arrière avec une jolie brise d'O. DE L'ASTROLABE. 35 et une mer assez belle, le cap à l'E. */4 S. E., et je iSa6. faisais veiller avec attention l'approche de la terre. A Octobre, une heure après midi le jeune Cannac aperçoit la côte du haut des barres de perroquet dans le N. E., à quinze lieues de distance environ. Cette terre appar- tenait aux caps Leuwin et Hamelin, et se montrait alors sous la forme de mondrains élevés et blanchâ- tres. A deux heures trente minutes on la vit de des- sus le pont, et la sonde donna alors quatre-vingts brasses , corail rougeâtre et gros sable blanc. Nous approchâmes pour mieux la reconnaître; à six heures du soir une grosse pointe, qui doit être celle de d'Entrecasteaux , nous restait au N. 77° E. , à pe- tite distance. Pour la nuit je gouvernai au S. E. */4 S., pour passer au large des écueils signalés près de ce cap. Toutes les terres que nous eûmes en vue ce jour sont assez élevées et escarpées du côté de la mer; mais en général d'un aspect aride et la plupart dépouillées de grande végétation. Depuis que nous sommes près de la côte, la température a subitement augmenté de 4 ou 5°, et l'effet en est particulièrement sensible dans les chambres. A quatre heures du matin, nous trouvons soixante- c. cinq brasses , sable blanc et corail. Au point du jour je remets le cap à TE. N. E. , et prolonge la côte à six ou huit milles de distance. Nous avons passé à un mille de la pointe Hilliers de Flinders, et gouverné ensuite sur le cap Howe. Près de la pointe Hilliers, les terres sont hautes , avec des plages sablonneuses a droite, et 8(; VOYAGE ,s2g. de belles forets à peu de distance du rivage. En s'ap- octobre. prochant du cap Howe, la cote devient triste et stérile. A six heures du soir nous n'étions qu'à quatre milles au sud de ce promontoire, et nous distinguions par- faitement Peak-Head et l'île de l'Éclipsé, vraies recon- naissances du port du Roi-Georges. Là nous avions quarante-trois brasses , fond de corail et sable. Nous avons passé la nuit, partie aux petits bords et partie en panne, ayant soin de me maintenir à six ou sept milles au vent de l'entrée de la baie , et de ma- nière à donner facilement dedans au point du jour; mais le vent qui soufflait à PO., varia au N. O., et ?• même au N . dans la nuit. En outre , au point du jour, je reconnus avec douleur que nous nous trouvions déjà au sud du mont Gardner, le courant nous ayant en- traînés en dix heures de quatorze milles au moins dans l'est. Ainsi ceux qui ont le dessein de mouiller au port du Roi-Georges , surtout avec les vents à la partie de l'ouest , doivent avoir soin de rallier la côte à douze à quinze lieues au moins dans l'ouest , afin de recon- naître l'île de l'Eclipsé, qui est une excellente remar- que, parce que c'est la seule au large, et qu'elle forme en même temps la terre la plus au sud de toute cette partie de l'Australie. La cote est saine, et peut se pro- longer sans danger à la distance de deux milles. Seu- lement il faut se défier des vents de S. O. qui battraient droit sur la plage; car l'on n'y trouverait aucun abri, s'ils étaient trop violens pour ne pas permettre de s'é- lever au vent. DE L'ASTROLABE. 87 INous profitâmes du vent du nord pour courir une 1826. bordée à l'ouest, et nous replacer devant l'entrée de la Octol)re- baie. De dix heures à une heure il fit calme; la pe- tite drague, ramenée plusieurs fois à bord, procura une foule d'objets intéressans pour les naturalistes. A une heure , à laide d'une légère fraîcheur de S. O. , nous mimes le cap sur Bald-Head. A quatre heures nous rangions cette partie à un demi-mille de distance. Nous nous avancions paisiblement vers le beau port du Roi-Georges, et mon intention était d aller mouiller dans le havre de la Princesse-Royale, mais lèvent mollit tellement , qu'après avoir rangé l'île Seal et l'île de l'Observatoire, je m'estimai heureux de laisser tom- ber l'ancre à six heures devant l'entrée du goulet par sept brasses , fond de sable. 88 VOYAGE 182G. CHAPITRE VI. SEJOUR AU TORT I>U ROI - GEORGKS. Il faut avoir passé cent huit jours consécutifs à la octobre, mer, comme nous venions de le faire , dont la moitié par des temps affreux et des mers assommantes , pour se faire une idée du bien-être que nous éprouvâmes en jouissant enfin d'un repos presque parfait. Nos membres, notre corps entier, accablés par des secousses si violentes et si prolongées, reprenaient avec délices leur assiette naturelle. En outre, une soirée charmante, la vue d'une terre verdoyante, de ses ombrages et d'une rade tranquille et sûre, contrastaient vivement avec le spectacle d'une mer presque toujours en fureur, et les tourmentes réitérées auxquelles nous venions à peine d'échapper. 8. Dès deux heures après minuit le vent d'ouest se mit à souffler avec violence, et dans une raffale nous chas- sâmes. Nous filâmes soixante brasses du câble en mouil- lant l'ancre de bâbord, ce qui nous arrêta. J'eusse dé- siré entrer dans le havre de la Princesse , mais crai- DE L'ASTROLABE. 89 gnant d'en être empêché par les vents d'ouest, je me 1826. décidai à reconnaître l'entrée du havre aux Huîtres, oaotae. afin d'y conduire la corvette , s'il me paraissait plus facile à gagner. A sept heures du matin je m'embarquai avec M. Lot- tin dans la haleinièrc ; nous prolongeâmes la longue plage de sable qui s'étend au nord de la presqu'île de l'Aiguadc, et nous reconnûmes que l'entrée de ce havre offrait une barre sur laquelle on ne trouvait que quatre et même trois brasses dans une certaine étendue. En outre la direction du goulet est très-sinueuse, de sorte qu'il faudrait avoir vent sous vergue pour sV hasarder sans accident avec un navire comme l'Astrolabe. Du reste le havre aux Huîtres offre un superbe bassin , d'une eau très-paisible , et dont les bords sont couverts de la plus agréable végétation , excepté vers le sud-ouest, où la plage devient marécageuse. Comme un parterre de la plus fraîche verdure , la petite île du Jardin s'y dessine de la manière la plus pittoresque, et c'est aux buissons de mauves ou d'althées , ainsi qu'aux robustes graminées qui la couvrent , qu'elle doit cet agréable aspect. Au moment où nous en approchâmes, nous vîmes s'élever dans les airs un vol de trente à quarante pélicans. Aussitôt débarqué, je me dirigeai vers le lieu où ces oiseaux m'avaient semblé établis ; nous y trouvâmes une douzaine de jeunes pélicans que je fis ramasser par les canotiers. Après avoir déjeuné et tué quelques oiseaux de mer sur cet îlot, nous nous rembarquâmes, et je con- duisis lr canot vers un endroit sur la rive du hâ- 90 VOYAGE 182G. vre, où les matelots m'avaient assuré avoir observé octobre. une fumée. C'était un indice certain de la présence des naturels, avec lesquels je désirais entrer en com- munication. Effectivement , nous ne tardâmes pas à distinguer un feu près de la grève , et peu après une pi. xvn. figure humaine, couverte d'une simple peau. Bientôt ce sauvage (car c'en était un) s'avança vers nous d'un air assez résolu ; mais à mesure qu'il s'approchait , sa hardiesse semblait l'abandonner , et , malgré mes si- gnes pour le persuader, il allait rester en suspens près du canot, quand je m'avisai de lui présenter un mor- ceau de pain. Il y mordit aussitôt à belles dents, et cet argument produisit sans doute un grand effet sur son imagination ; car ayant perdu en un instant toute sa défiance , il se mit à rire , danser, chanter, et appeler ses camarades. Il monta sans crainte dans le canot , où il se com- porta très-décemment, tout le long de la route. C'était un homme de quarante ans environ , assez bien fait , à cela près des bras et des jambes toujours grêles , comme dans les habitans de la Nouvelle-Galles. Il avait absolument le même teint , les mêmes traits et les mêmes manières que ces insulaires. Sa taille était de cinq pieds deux pouces ; son nez écrasé , la cloison des narines percée , ses dents très-belles et larges; il portait des moustaches et une longue barbe au menton ; ses cheveux n'étaient nullement crépus. Il pouvait passer pour être propre dans son genre. A bord , il ne perdit pas un instant sa gaieté et sa confiance; tout le monde le combla d'à- DE L'ASTROLABE. 1)1 initiés, et il fut bientôt accablé de présens qui le trans- 1826. portèrent d'abord de joie , et ne tardèrent guère à lui Octobre. causer bientôt presque autant d'embarras pour les conserver. Il venta grand frais tout le soir, et il fut impossible de le reconduire à terre. Mais il prit joyeu- sement son parti , et dormit à merveille à bord, où on lui lit avec des voiles et des prélats le meilleur lit qu'il eut sans doute eu de sa vie. A la nuit on vit un feu à la côte , et notre hôte nous indiqua qu'il avait été al- lumé par ses compatriotes. Le vent continuant à souffler avec force à l'O . et auS. 9- O., et impatient que j'étais de pouvoir commencer nos travaux, je pris le parti d'affoureber l' Astrolabe au il. x. poste même où nous nous trouvions à peu près j\. et S., avec quatre-vingt-cinq brasses à bâbord et cent vingt-cinq à tribord , l'ancre de ce bord empenellée. Ce mouvement exécuté , je me rembarquai dans la baleinière, pour aller reconnaître sur la côte voisine le lieu le plus convenable pour établir notre observa- toire et la tente des ouvriers. En même temps je dé- posai à terre notre sauvage, qui, déjà inquiet de son séjour forcé a bord , se désolait , et pleurait comme un enfant. Un de ses camarades, vêtu et tourné comme lui, l'attendait au rivage, et sollicita la faveur de prendre sa place à bord. Je ne voulus point de lui, avec d'autant plus de raison que je trouvai la côte ina- bordable tout autour de la pointe des Patelles, à cause du violent ressac soulevé par les vents qui venaient de régner. Désolé de ce contre-temps, à une heure je retournai 92 VOYAGE i8a6. visiter les environs du havre aux Huîtres, tandis que octobre, j'envoyais MM. Jacquinot et Lottin reconnaître celui de la Princesse-Royale. Je m'assurai qu'en cas de né- cessité , un navire pourrait s'amarrer par quatre ou cinq brasses d'eau près du goulet aux Huîtres , et trouverait à peu de distance de l'eau et du bois. Mais il n'aurait pas de chasse du tout, et les vents de N. O. se feraient sentir avec la plus grande violence. Je consacrai ensuite une heure ou deux a recueillir des plantes qui sont ici aussi nombreuses qu'élégantes dans leurs formes , et variées dans leur structure et leurs couleurs. Des monceaux d'écaillés d'huîtres m'annonçaient l'existence de ces testacés , mais je n'en rencontrai aucune sur les rochers. Un gros Eu- calyptus scié par la base, et un fond de barrique planté sur un roc , me prouvèrent également que des Eu- ropéens avaient récemment paru sur ces côtes. Je remarque en passant que toutes les roches sont d'é- normes blocs d'un très-beau granit. Plus heureux que moi dans leurs recherches , MM. Jacquinot et Lottin découvrirent sur la rive droite du goulet de la Princesse une fort belle ai- guade, et , à peu de distance, une esplanade très-com- pi. xin. mode pour établir notre observatoire et nos tentes. IO- Dès le point du jour, la chaloupe est allée faire de l'eau et du bois à cet endroit , et y porter les voiliers et leurs tentes. A une heure après midi, voyant tous les travaux en train, je suis descendu à terre près de la pointe des Patelles, suivi de M. Lottin, et de Siinonet que j'ai DE L'ASTROLABE. 93 choisi pour compagnon de mes courses, à cause de son adresse à tirer un coup de fusil. JNous avons parcouru i8a6. Octobre. le coteau qui domine la presqu'île, recueillant à cha- que pas de ces belles plantes si communes en ces con- trées. Le sol, quoique sablonneux, m'a semblé sus- ceptible de fertilité, s'il était soigneusement cultivé ; on rencontre assez fréquemment sur son chemin des lieux marécageux qui décèlent des sources dont il serait facile de réunir les eaux dans un canal. A mesure que nous avancions vers le sommet de la colline , nous enten- dions des cris qui nous annonçaient l'approche des na- turels. En effet, dès que nous eûmes répondu à leurs voix, bientôt huit d'entre eux, tous vêtus de peaux de pi. xi et xn. kangarous , se présentèrent à nous , et parurent en- chantés de nous voir. Leur âge semblait varier depuis seize jusqu'à quarante ans; aucun n'avait les cheveux 94 VOYAGE 1826. vraiment crépus , el tous offraient le vrai type austra- octobre. lien, tel que je l'avais déjà observé à Port- Jackson , et au-delà des montagnes Bleues. Je leur fis signe de nous suivre vers l'observatoire ; ils y coururent en sautant et gambadant. Arrivés à la tente , nous vîmes trois autres sauvages qui s'y trouvaient déjà, et qui, depuis le matin , avaient tenu fidèle compagnie à nos gens. Sans doute le premier qui était venu nous voir à bord avait instruit ses camarades des mauvais effets de l'eau-de-vie dont il avait beaucoup souffert ; car, non- seulement ils ne demandaient point de cette liqueur, mais s'enfuyaient même quand on leur en offrait. Leur conduite fut très-paisible, aucun d'eux ne tenta de com- mettre le moindre vol, quoique nos ouvriers prissent très-peu de soin de surveiller leurs affaires. Je jetai un coup-d'œil sur la chaloupe , et m'assurai que l'eau et le bois se faisaient avec facilité. Sous ce pi. xvi. double rapport, cette station est très-recommandable, et bien préférable à celle où s'était établi Flinders. Elle aurait encore plus d'avantages si le navire était af- fourché dans le goulet même; car alors il n'y aurait qu'à peine une encablure de distance du bord à l'aiguade. Les oiseaux paraissent très-rares sur cette partie de la côte ; je n'ai observé qu'un petit quadrupède qui s'est enfui d'entre nos jambes. On voit à la plage nombre de coquilles roulées et brisées , et surtout des pha- sianelles ; mais on ne peut guère se procurer vivans que des patelles , des lépas , des moules et de petits buccins noirs. DE L'ASTROLABE. 95 MM. Quoy, Gaimard, Guilbert et Sainson , ont 1826. employé toute la journée à faire le tour entier de la Oc,obre- baie de la Princesse, sans avoir rien observé de bien remarquable. 31. Dudemaine, que la lassitude avait contraint de rester en arrière , a été obligé de passer la nuit sous la tente. Tous les sauvages ont témoigné le désir de me suivre à bord ; mais je n'ai accordé cette faveur qu'à un seul d'entre eux , content d'avoir en sa personne un garant de la conduite qu'allaient tenir ses cama- rades envers les hommes que nous laissions à terre. Ce nouvel hôte, qui pouvait avoir trente-cinq ou trente-six ans, était un des mieux tournés de sa tribu. J'eus beaucoup de peine à obtenir qu'il abandonnât un c6ne de Banksia ail mué, qui lui servait h conserver long-temps du feu, surtout à se chauffer le ventre et tout le devant du corps. Pour les sauvages c'est un objet d'une haute importance, et je ne me rappelle pas qu'avant nous aucun voyageur en ait fait l'observa- tion. Ils portent partout avec eux ces cônes enflam- més; grâces à cette précaution, ils n'ont pas besoin de rallumer à chaque instant leur feu par le frotte- ment, procédé qui paraît même leur être peu familier. Ils se servent, en outre, de leurs cônes pour mettre par- tout sur leur passage le feu aux broussailles et aux herbes sèches ; c'est ce qui lait qu'en général les forêts de la PSouvelle-Hollande sont, si dégagées et d'un accès si facile. La journée a été très-pluvieuse, et le vent n'a «. cessé de souffler avec violence au N. O. Le naturel 06 VOYAGE 1826. a passe gaiement son temps , buvant, mangeant et se octobre, chauffant au feu de la cuisine. Les matelots lui ont fait des cadeaux , et l'ont même habillé. Il a répondu avec intelligence aux questions qu'on Lui a adressées, tant qu'elles ne l'ont pas ennuyé ; comme le premier naturel qui nous a visités , dès qu'on lui a montré un morceau d'ocre, il l'a nommé boyel , et sur-le-champ il en a raclé avec l'ongle du pouce , puis nous l'avons vu, avec la poussière de cette substance recueillie dans le creux de sa main , se barbouiller le visage non sans quelque symétrie. Bien qu'il eût témoigné le désir de retourner à terre , il s'était résigné d'assez bon cœur à passer une seconde nuit à bord; mais MM. Gaimard, Guilbert et Sainson m'ayant demandé à coucher sous la tente pour observer de plus près les manières des naturels , je profitai de cette circonstance pour le renvoyer avec eux , ce qui lui fit beaucoup de plai- sir. Les naturels continuent de se montrer très-paci- fiques , et l'on m'a appris qu'ils avaient déjà amené trois enfans au camp , preuve infaillible de leur con- fiance et de leurs bonnes dispositions. iié Vers neuf heures et demie du matin, accompagné de Lauvergne et de Simonet, je débarquai sur la longue plage de sable qui s'étend de la pointe des Patelles jusqu'au havre aux Huîtres, et me dirigeai vers les bois de l'intérieur; a un demi-mille du rivage, dans un lieu abrité des vents d'ouest, je rencontrai PL xviii. quelques huttes de sauvages. L'une d'elles, bien con- servée , offrait tout-à-fait l'apparence d'une ruche de trois ou quatre pieds de rayon coupée en deux par un DE L'ASTROLABE. 97 plan vertical. De menues branches formaient sa char- xs^g. pente, et des feuilles de Xanthorrhœa la recouvraient octobre. en guise de chaume. Quatre ou cinq autres n'offraient plus que les débris de leur charpente. Devant la pre- mière se trouvait une pierre qui avait servi à brover l'ocre que les sauvages emploient dans leur toilette. Après avoir traversé de belles forets d'eucalyptus, où je ne trouvai que très-peu d'oiseaux , j'arrivai sur la plage du havre aux Huîtres , vis-à-vis l'îlot du Jardin, près d'une petite rivière de quinze à vingt pi. xix,. pieds de large, dont le lit bien dessiné est assez pro- fond. Cette partie du rivage est très-basse et jonchée de valves et de débris de moules , de venus , de bulles et autres coquilles. Aucun naturel ne s'était offert à mes regards dans cette longue course, lorsqu'en suivant la plage de sable pour revenir à bord, un d'eux sortit d'entre les brous- sailles et vint à ma rencontre. Il portait à la main un couteau fabriqué d'un morceau de quartz fixé à une espèce de manche avec de la résine de Xanthorrhœa; je lui donnai en échange un couteau véritable, marché dont il fut ravi. Vers trois heures je fus de retour à bord ; MM. Gai- mard, Guilbcrt et Sainson m'y suivirent de près; ils étaient très-contens de leur nuit et de leurs commu- nications avec les naturels *. On me montra des racines de restiacées, et de petits lézards dont ces malheureux peuples font une des bases de leur nourriture. A neuf heures, une embarcation qui nous parut l'oyez note 6. TOME I. 7 98 VOYAGE jSyG. moulée par des Anglais, accosta le long du bord; Octobre, l'un deux répondit à mes questions qu'il avait appar- tenu , ainsi que ses compagnons , au schooner Go- vernor Bvisbane, destiné pour la pèche des phoques le long de ces côtes ; que leur capitaine , après avoir abandonné six hommes de son équipage dans Coffins- Bay, les avait eux-mêmes laissés à Middle-Island, au nombre de huit , et était ensuite parti , lui quatrième , pour Timor, à ce qu'ils supposaient. Ils vivaient du produit de leurs pêches , et avaient établi leur domi- cile sur l'îlot de Break-Sea. Depuis sept mois ils menaient l'existence la plus misérable; ils se plaignirent beaucoup des fatigues et des privations qu'ils avaient essuyées, dans l'attente d'un navire qui pût les em- mener. Je leur proposai de les recevoir à bord comme passagers, jusqu'à Port-Jackson; mais cette offre fut froidement accueillie , d'où je conclus que la plupart d'entre eux devaient être des convicts échappés de leurs fers , et peu empressés d'aller se remettre sous l'ac- tion des lois. Cependant, après quelques momens de réflexion, trois. d'entre eux se déterminèrent à embar- quer sur V Astrolabe. Ils nous offrirent un paquet de pétrels bruns qu'ils avaient attrapés dans les fentes des rochers ; je leur fis distribuer dubiscuit et del'eau-de-vie, en leur accordant la permission de passer la nuit à bord. J'y consentis d'autant plus volontiers qu'ils auraient pu se diriger vers notre établissement , et que je me souciais fort peu de leur visite, jusqu'à ce que mon jugement fût formé sur leur compte. DE L'ASTROLABE. 99 Singulière destinée que celle de huit Européens ainsi . ;><;. délaissés avec un frêle esquif sur ces plages stériles , et livrés entièrement aux seules ressources de leur in- dustrie ! . . . Un casoar a été aperçu aux environs de l'Aiguade. J'ai fait appeler ce matin , devant moi , mes Anglais , ■ 3. et leur ai demandé leur dernière résolution. Un d'eux s'embarque comme matelot , deux autres comme pas sagers jusqu'à Port-Jackson ; les cinq autres se dé- cident à rester sur ces plages. Parmi ceux-ci un jeune homme, au teint fortement basané , avec une figure large et le nez aplati, me présentait un type différent de celui des Anglais ; j'appris bientôt, en le questionnant, que c'était un Nouveau-Zélandais, natif de Kidi-kidi, attaché dès son bas âge, depuis près de huit, ans, au misérable sort de ces aventuriers. 11 parle anglais et semble avoir presque complètement oublié sa patrie. Les Anglais ont. en outre avec eux , sur Break-Sea, deux femmes indigènes qu'ils se sont procurées de gré ou de force. Us assurent au reste qu'ils ont toujours trouvé les naturels très-doux et bien disposés.* Cet hiver ils ont éprouvé des vents violens et un froid ri- goureux le long de ces côtes. Depuis notre arrivée, le thermomètre ne s'est guère élevé au-dessus de 12 à I ">", et les vents de l'O. au N. O. ont presque tou- jours soufflé avec impétuosité. Aujourd'hui même leur violence nous force encore d'interrompre les travaux hydrographiques commencés hier matin. Nous avons profité du beau temps pour reprendre i ; nos opérations ; après mon déjeuner j'ai fait une pro- r 100 VOYAGE 1S2G. menade sur la presqu'île de Possession que j'ai par- ociobre. courue dans tous les sens ainsi que les deux plages et le morne plus au sud. Du sommet de celui-ci on jouit de la vue complète du port entier et du havre de la Princesse-Royale ; mais tout le terrain environnant est aride , pierreux , dénué d'eau douce, et par lui-même très-peu intéressant. Sous tous les rapports la pres- qu'île de l'Aiguade lui est infiniment supérieure ; je n'hésite pas non plus à penser que si l'on voulait éta- blir une colonie sur ce point , on ne trouverait pas de station plus convenable que celle où nous avons placé notre observatoire. 1 5. J'avais destiné cette journée à visiter, au nord du havre aux Huîtres, la rivière des Français, que l'expé- dition de Baudin avait reconnue jusqu'à quatre milles et demi de son embouchure. En conséquence, dès cinq heures et demie du matin, je partis dans le grand canot , accompagné de MM. Quoy, Lottin , Gaimard, Sainson et Lesson. En passant nous finies une courte halte sur l'ilot du Jardin où nos chasseurs tentèrent vainement de surprendre les pélicans. Ces oiseaux font une garde si vigilante qu'il est impossible , même en se cachant, de les approcher d'assez près pour les tirer. Nous traversâmes le havre dans toute sa longueur, et ne découvrîmes rien qui parût convenir à la direction de la rivière des Français. Je tentai alors de m'en- foncer dans un bras de mer, qui , après avoir couru l'espace de trois quarts de mille au S. O. , reprend en- suite son cours au N. et N. N. O-, et forme le lit d'une rivière que j'ai nommée rivière des Anglais , parce qu'il DE L' ASTROLABE. 101 m'a paru indiqué sur le plan de Vancouver. Mais à l'em- bouchure on trouve à peine deux pieds d'eau; après avoir, avec beaucoup de peine , fait traîner le canot l'es- pace d'un mille environ, je renonçai à le conduire plus loin. Nous nous arrêtâmes sur les bords de ce canal pour déjeuner et chasser. Ici les oiseaux étaient plus va- riés et plus nombreux qu'aux environs de notre mouil- lage; nous eussions fait une bonne chasse, sans la pluie qui tombait presque sans relâche, et les moustiques dévorantes qui nous poursuivaient partout ne contri- buaient guère à rendre notre promenade amusante. Plusieurs bandes de pélicans, de céréopsis et de cygnes noirs, se montraient par intervalles, mais en se main- tenant toujours bien au-delà de la portée de nos armes. A quatre heures nous nous transportâmes, près de la pointe des Cygnes, sous un beau massif d'eucalyptus, Octobre. * . 102 VOYAGE 1826. qui avait attiré notre attention. Là nous eûmes le re- octobre. prêt de voir la pluie redoubler de force et tomber par grains violens qui nous empêchèrent de rien faire. Il fallut nous contenter d'allumer un grand feu pour nous réchauffer, et dîner tant bien que mal. A huit heures du soir nous décampâmes tout trempés encore; en passant près du jardin , nos chasseurs sautèrent à terre dans l'espoir de surprendre les pélicans. Mais ils dé- logèrent de bonne heure; d'ailleurs les hirondelles et les huîtriers firent à notre arrivée un si terrible tinta- marre , qu'ils semblaient prendre à tâche de découvrir notre supercherie à leurs compagnons. Nous nous di- rigeâmes alors vers la corvette , où nous fûmes de re- tour à dix heures , aussi fatigués que mouillés et re- froidis. M. Guilbert a tué dans cette course un serpent de cinq ou six pieds de longueur, qu'à ses dents M. Quoy a jugé devoir être fort dangereux. ,6. M. Guilbert avec la yole poursuit le plan du port depuis la pointe des Patelles jusqu'au havre aux Huî- tres. La forge est montée à terre, et l'on continue le travail du grément. Vers midi la pluie recommence ; 17. tout le reste du jour et le suivant, elle ne cesse de tomber par torrens , et suspend presque tous nos tra- vaux. En outre les vents du sud amènent dans la rade une forte houle qui déferle partout avec fureur ; pour communiquer avec notre poste , il faut maintenant ac- coster dans l'ouest de l'observatoire. A midi nous avons aperçu deux baleinières étran- gères, voguant à l'aviron, entre l'île de l'Observatoire DE L'ASTROLABE. 103 et celle de Seal , et nous avons jugé que les aventuriers i8a6. qui les montaient étaient plus nombreux que nous ne octobre- le pensions d'abord. A trois heures leurs canots sont venus le long du bord , et m'ont appris que le second était monté par cinq Anglais et un Australien de Port- Jackson , tous provenant du schooner le Hanter. J'ai autorisé trois hommes du premier canot à rester abord, savoir : Hambilton, Brook etCloney; et je n'ai reçu de l'autre canot qu'un Américain de couleur, nommé Richard Symons. Celui-ci se dit originaire du Canada, et parle assez bien français. D'autres ont ensuite solli- cité la même faveur, mais je la leur ai refusée, parce qu'ils avaient trop hésité à se décider, et que je vou- lais ménager nos vivres. Je ne voulus pas non plus les laisser coucher à bord ; car ces gens ne m'inspiraient qu'une confiance fort équivoque, et je ne sentais que trop ce que pouvaient oser de nuit une douzaine d'in- dividus audacieux et déterminés ; j'ignorais d'ailleurs leur véritable nombre qui pouvait excéder leur nombre présumé. A cinq heures du matin la yole partit sous les ordres x8. de M. Gressien, qui consacra toute la journée à son- der la baie de la Princesse et à en lever le plan. Vers dix heures trente minutes, avec MM. Quoy, Gaimard, Guilbert etSainson, je débarquai derrière la pointe des Patelles; là chacun se dirigea comme il lui plut; pour moi, suivi seulement de Lauvergne et de Simonet, je m'enfonçai dans les grands bois qui dominent les étangs de la plage. Malgré la beauté, pi. xv. l'étendue et la fraîcheur de ces ombrages, j'y ren- 104 VOYAGE 1826. contrai peu d'oiseaux. Je suivais depuis quelque octobre, temps un sentier assez battu, qui m'avait conduit à d'énormes blocs de granit arrondis et tout-à-fait dé- pouillés, quand je vis un gros kangarou s'élancer d'entre mes jambes , et s'enfuir rapidement en bondis- sant seulement sur ses jambes de derrière. Peu après, cinq naturels , dont deux à peine âgés de huit à dix ans, sortant des broussailles, se présentèrent tout- à-coup à mes yeux, en paraissant d'abord inquiets de nous voir en ces lieux. J'en conclus que leurs habita- tions et leurs femmes étaient peu éloignées ; sans af- fectation, sans paraître même beaucoup m'occuper d'eux , je continuai ma route du côté opposé , ce qui les tranquillisa bientôt. Ces sauvages ne font aucun cas de nos ustensiles, et vivent strictement au jour la journée , sans s'occu- per du lendemain. De tout ce que nous pouvions leur offrir , ils n'estimaient que le biscuit et la viande ; en échange, ils donnaient volontiers leurs haches de pierre et leurs couteaux de quartz, quelque peine qu'ils eussent eue à les fabriquer. Dans ma promenade j'ai observé une espèce de Xanlhorr'hœa* , remarquable par sa taille élevée de huit à dix pieds et ses épis nombreux, courts et raides. L'eau ne manque point dans ces bois ; le revers de la presqu'île de l'Aiguade, vers le nord, offre des * En parcourant à mou retour l'ouvrage du capitaine King , j'ai reconnu que c'était la même plante que M. Brown avait décrite sous le nom de Kingia oiislralls (R. Brown ). Appendice de la Relation du Voyage du capitaine King, tome II, page 535. DE L'ASTROLABE. 105 étangs d'eau douce , et alentour un sol noirâtre qu'il serait sans doute possible de cultiver avec succès. Du reste, la plupart des pâturages près de la mer ne sont guère composés que de joncées ou de resliacées, peu propres à la nourriture des bestiaux. 1826. Octobre. Les deux baleinières anglaises sont revenues avec du poisson, des pétrels, des huîtres, un phoque fe- melle, un petit phalanger et quelques manchots bleus. Tout cela a été acquis pour la nourriture de l'équipage et pour l'histoire naturelle , moyennant un peu de poudre et du fil de caret. Les Anglais avaient à leur suite cinq Australiens, savoir : d'abord deux jeunes femmes de la terre de Van-Diémen, près du port Dal- rvmple , toutes deux courtes , trapues , assez bien faites, mais avec des traits fort grossiers, le devant de la figure très-proéminent, et un teint noirâtre comme celles de Sydney. On ne peut rien prononcer sur la nature de leurs cheveux, car ils étaient coupés au ras de la tête. Une de ces femmes , assez intelligente, a «9- 106 VOYAGE 1826. donné à M. Gaimard un grand nombre de mots de son octobre, langage. Deux autres individus , l'un mâle, l'autre fe- melle, âgés de dix-huit à vingt ans, proviennent du continent vis-à-vis l'ile des Kangarous. Ceux-ci, pas- sablement proportionnés, ont un teint plus foncé, des traits réguliers , d'assez beaux yeux , et des che- veux noirs très-unis; ils sont loin d'être repoussans comme la plupart des indigènes de l'Australie, et. sem- blent appartenir à une race moins dégradée. Enfin une petite fille de huit ou neuf ans, provenant du con- tinent vis-à-vis l'ile Middle, semblait tenir le milieu, pour les traits et la constitution . entre ceux de l'ile aux Kangarous et ceux du port du Roi-Georges. Tous ces individus vivent depuis plusieurs années avec les Anglais , excepté la petite fille qu'ils n'ont que depuis sept mois. Je ne me lassais point d'admirer la bizarre réunion de ces misérables mortels, si différens d'origine et d'éducation, que le hasard s'était néanmoins plu à rassembler pour les soumettre à une existence aussi chélive , aussi précaire !... Leurs deux barques com- posaient toute leur fortune, c'était sur elles que repo- sait toute leur puissance ; la perte de ces chétifs canots eût rendu la condition de ces malheureux cent fois pire que celle des sauvages mêmes de ces contrées. M. Guilbert a profité d'un temps plus beau que de coutume , pour travailler avec ardeur au plan du havre aux Huîtres. Un des Anglais a été retenu à bord , avec ses chiens, pour accompagner demain nos chasseurs à la chasse aux kangarous ; attendu que les DE L'ASTROLABE. 107 naturalistes paraissaient attacher un vif intérêt à pos- séder au moins un de ces animaux, M. Lottin, parti dès le point du jour dans la yole avec M. Faraguet, a reconnu Break-Sea, Michael- Mas et la côte voisine, en sondant avec soin tout cet espace, et n'est rentré qu'à huit heures du soir. MM. Gressien , Guilberl , Gaimard et Sainson , débarqués aussi dès le point du jour, avec l'Anglais et ses chiens, pour chasser le kangarou, ont poussé leur course jusqu'à la rivière des Anglais. Ils sont 189.6. 20 octobre. M Es rentrés à cinq heures, très-fatigués, sans avoir tué ni forcé aucun de ces animaux , bien qu'ils en aient fait lever cinq. JNos chasseurs croyaient avoir remonté la rivière au-delà du point où nous étions arrêtés di- manche dernier , et n'avaient presque pas vu d'oiseaux sur leur route. Après mon déjeuner, accompagné de Lauvergne et de Simonet , j'ai moi-même mis pied à terre en tète de la grande plage ; après avoir indiqué aux charpentiers 108 VOYAGE 1826. à deux cents pas du rivage une forêt de beaux Euca- octobre. lyptas et de Banksia , pour couper de grosses pièces de bois nécessaires au service du bord, je me suis promené doucement sous l'ombrage , tirant des oi- seaux et ramassant quelques plantes. Le terreau de ces coteaux m'a semblé substantiel et bien propre à la culture. La hutte dont j'ai déjà parlé a été considérablement réparée et augmentée ; à un demi-mille plus loin j'en ai observé dix à douze autres de la même forme, qui m'ont paru la résidence habituelle de la tribu qui peuple ces plages. Aujourd'hui sans doute elle s'est retirée plus loin vers l'intérieur, afin de soustraire les femmes à nos regards, ai. MM. Gressien et Paris ont travaillé au plan du havre de la Princesse, tandis que M. Lottin faisait une station avec le théodolite sur le point culminant de la presqu'île de l'Aiguade. Dans l'après-midi le vent soufflait avec violence à TO. ; sur les cinq heures une brume épaisse, semblable à des tourbillons de fumée, s'est élevée du fond du havre de la Princesse, et, depuis ce moment, le vent a soufflé grand frais par raffales. Aujourd'hui la tem- pérature, qui n'était à quatre heures du matin qu'à 12°, 8, atteignait 21° à midi; cette ascension produisit sur le corps humain une impression de chaleur très- sensible. a2. Temps pluvieux et vent violent qui m'ont contraint de garder le bord. Les canots des Anglais nous ont apporté du poisson et de jolies tourterelles à reflets DE L'ASTROLABE. 109 métalliques, que nous avons achetées pour du lard et 1826. du biscuit. La journée s'annonçait sous les auspices les plus a3 octobre. favorables; tous les membres de l'expédition l'ont mise à profit, chacun suivant ses goûts et la nature de ses occupations. A quatre heures, MM. Lottin et Fa- raguet sont partis dans la yole pour travailler au plan de la baie extérieure , et ont en même temps conduit MM. Quoy et Gaimard au pied de Bald-Head qu'ils voulaient explorer. A quatre heures trois quarts je suis parti dans la baleinière avec MM. Guilbert et Sainson, pour rechercher de nouveau la rivière des Français; vingt minutes après, MM.Gressien et Paris ont été déposés sur la pointe Possession pour faire le tour du havre de la Princesse. Je me dirigeai immédiatement sur Pile du Jardin où la planche du micromètre fut plantée ; sa dis- tance, à un point sur la côte S. E. du havre, servit de base pour le plan. MM. Guilbert et Sainson firent le tour de la plage pour en tracer les sinuosités, tandis que je traversais avec le canot vers la partie de la baie où je supposais l'embouchure de la rivière. Au moment où je quittais ces messieurs, trois sauvages sortirent du bois et accoururent vers le canot; par précaution je gardai l'un d'eux avec moi. En appro- chant de la partie N. E. de la baie, un banc, qui s'a- vance très-loin au large , me contraignit à me mettre à l'eau , tandis que les canotiers halaient l'embarcation à force de bras. Mais bientôt nous reconnûmes le véritable lit de la rivière, dont le milieu est occupé par 110 VOYAGE 1826. un chenal régulier de cinq ou six pieds de profondeur octobre. ^ marée basse. Là nous fûmes rejoints par MM. Guil- bert et Sainson. JNous ne tardâmes pas à nous trou- ver dans la rivière elle-même ; son cours est bien dessiné , son lit fort beau , et sa profondeur assez ré- gulièrement de huit à dix pieds dans presque toute sa largeur, dès qu'on s'est éloigné d'un mille environ de l'embouchure. Nous rencontrâmes sur notre route des troupes de pélicans , des céréopsis , des cygnes noirs , des hérons blancs, des canards musqués, et deux autres espèces de ce dernier genre. Nous tuâmes un cygne noir , un canard brun et deux hérons. La journée était char- mante, la température délicieuse, et nous éprouvâmes une vive satisfaclion en naviguant à pleines voiles sur ce beau canal, entre deux rives ombragées par d'im- menses eucalyptus, tapissées par les plus jolis buis- sons et émaillées des fleurs les plus élégantes. Nous avions parcouru cinq milles environ sans éprouver le moindre obstacle , lorsqu'à deux heures le canot se trouva arrêté par de gros rochers qui bar- rent la rivière dans un endroit où sa pente devient plus rapide. Depuis long-temps ses eaux étaient en- tièrement douces. Je fis faire halte , et nous nous éta- pi. xiv. blimes sur la rive gauche sous de beaux eucalyptus. Près de cette barre les indigènes ont profité de trois îlots qui rompent la vitesse du courant et dé- tournent sa direction , pour construire des pêcheries assez bien entendues. Ce sont des digues en pierres, figurant de petits parcs arrondis dont l'orifice est DE L'ASTROLABE. 111 tourné vers la mer. Sans doute, le flot monte jus- rSafi. qu'à celle distance, et y amène des poissons qui (>t°iire. restent engagés dans ces petits labyrinthes , d'au- lant mieux que leurs issues ont l'ouverture intérieure plus étroite que l'extérieure. Sur la droite de la rivière les bois sont traversés par de petits sentiers bien battus, et l'un de nos matelots y rencontra une hutte. Je descendis sur la rive opposée , dont le sol est obstrué de broussailles, et surtout de hautes fougères à rameaux entrelacés, qui embarrassent à chaque instant les pas du voyageur. A un mille environ de la première barre , la rivière, qui continue d'offrir un lit de douze à quinze brasses de largeur, se resserre et se trouve de nouveau barrée par une cascade de deux ou trois pieds de hauteur. Son cours était encore le N. E. et l'E. ; il reprend ensuite un peu plus au IV . , et s'élargit jusqu'à un mille et demi, où il est barré une troisième fois. Un peu au-delà je le tra- versai sur un énorme tronc d'arbre abattu en travers, ce que j'avais inutilement tenté jusqu'alors. Ce serait à peu près jusque-là qu'une embarcation, tirant quatre ou cinq pieds d'eau , pourrait facilement remonter le cours de cette rivière , soit en faisant sauter les bar- res, soit en établissant des bassins et des écluses. On peut estimer cette étendue à six ou sept milles de son embouchure, en suivant les sinuosités. Plus loin la rive droite s'élève beaucoup, le lit s'encaisse, et, quoi- que le plus souvent large encore de quatre ou cinq brasses, ce n'est plus qu'un torrent rapide et trop 112 VOYAGE 1826. obstrué de rochers, pour que l'on puisse en tirer parti octobre. p0ur autre chose que des moulins ou des irriga- tions. Je le suivis encore un bon mille, et le trouvai tou- jours le même; puis, observant que le terrain m'of- frait constamment le même aspect jusqu'à des mon- tagnes assez élevées dans le N. N. O. , d'où cette rivière semblait découler, je me décidai à revenir sur mes pas. Ce côté de la rivière , quoique souvent coupé par des ruisseaux qui s'y déchargent , est beaucoup plus agréable que l'autre et d'un accès bien plus facile. Le sol m'en a paru excellent , et je ne doute pas que l'on ne put y faire avec succès des plantations en divers genres. Près du canot je tuai de jolis petits coucous à reflets verts sur le dos. Nous dînâmes à cinq heures, et à six heures nous nous mîmes en route pour le bord. Mal- gré les efforts de six hommes , qui ramaient avec vi- gueur et sans interruption, il fallut au canot une heure et demie pour revenir à l'embouchure. Là nous fûmes souvent engagés sur les bancs de l'entrée, parce que nous voulions toujours couper trop vite au sud, tandis qu'il faut aller attaquer de près la côte occi- dentale du havre avant de reprendre cette direction : toute la partie E. et N. E. de cette baie ayant à peine un ou deux pieds d'eau à basse mer. Le ciel se couvrit de nuages épais, circonstance qui nous contraria beau- coup dans nos efforts pour retrouver la passe du gou- let ; mais aussitôt que nous l'eûmes franchie , nous aperçûmes le fanal du bord qui nous servit de guide , i8?.6. DE L'ASTROLABE. 113 de sorte qu a onze heures nous fûmes de retour , très- contens , quoique bien fatigués de notre excursion. octobre. M. Lottin était rentré à bord une heure avant nous, et avait fait deux stations complètes : Tune sur file Seal, où il avait observé des phoques et des manchots ; l'autre sur File de l'Observatoire. Dans les préten- dus coraux du sommet de Bald-Head, MM. Quoy et Gaimard n'avaient trouvé que des coquillages in- crustés dans une espèce de pâte de grès et de sable , et s'en étaient revenus par terre jusqu'à la pointe Pos- session. Enfin MM. Gressien et Paris avaient exé- cuté leur course, qui sera très-utile à la configuration exacte du havre de la Princesse. Deux hommes ont toute la journée péché à la ligne dans le Bot, entre les rochers de la côte, où ils ont pris près de deux quintaux de poissons, tous de bonne qualité, et quelques-uns fort beaux. Le départ étant fixé à demain, la tente et la forge ■?■>. ont été démontées et rapportées à bord ; l'ancre de tri- bord a été désempenelée , et les officiers , chargés de la géographie, ont donné la dernière main à leurs travaux. Moi-même j ai fait une dernière course à terre : puis on a tout disposé pour l'appareillage. Avant de quitter définitivement ce mouillage , bien certainement l'un des plus heureux de la campagne, récapitulons rapidement les avantages qu'il nous a procurés, et le parti que nous en avons tiré pour la science. L'équipage s'y est parfaitement remis de la pénible traversée qu'il avait eue à supporter depuis Ténérifïe : TOME I. S 114 VOYAGE 1S26. l'eau et le bois ont été complètement remplacés, le Octobre, grément presque entièrement visité , et diverses ava- ries réparées. M. Jacquinot a réglé les montres. Les plans complets du port et des deux havres, avec de nombreuses sondes, ainsi que le plan topographique de la presqu'île de l'Aiguade , ont été dressés par MM. Lottin, Gressien et Guilbert, assistés des élè- ves. MM. Quoy et Gaimard ont déjà amassé d'amples collections de zoologie dans cette station, et toutes les plantes ont été recueillies par M. Lesson. Enfin M. Sainson n'a négligé aucun des objets qu'il était intéressant , et même curieux , de retracer au moyen de ses pinceaux. Le mouillage est fort commode à prendre; malgré les vents forcés qui y régnent souvent, les navires de toute grandeur n'ont rien du tout à craindre , s'ils sont bien amarrés , et surtout s'ils peuvent se placer à l'entrée même du havre de la Princesse. Comme nous l'avons déjà dit , l'eau et le bois se font facilement , les naturels en sont pacifiques , et le cli- mat nous a paru très-salubre. D'après toutes ces considérations , je pensai alors qu'il eût été difficile de rencontrer un lieu plus favora- ble pour établir une colonie ; aussi ne cessais-je de m'é- tonner de ce que les Anglais ne l'avaient pas déjà fait , surtout quand je réfléchissais que ce point se trouvait admirablement situé, tant pour les navires qui se ren- dent directement d'Europe à la Nouvelle-Galles du sud , que pour ceux qui veulent se rendre du Cap en Chine, ou aux îles de la Sonde à contre-mousson. DE L'ASTROLABE. 115 De l'examen que j'avais fait de la rivière des Fran- is26. çais et de tout le terrain qui avoisine le port , je con- Oc,0,)re- cluais aussi que dans le cas où une colonie s'établirait au port du Roi-Georges , nulle position ne convien- drait mieux à la ville que celle de notre observatoire. En effet, elle réunit presque tous les avantages désirables en pareil cas : bonne eau, bois abondant, défense facile, côte abordable aux canots de tout temps, et parfaite sécurité de mouillage pour les navires, soit en rade au- debors , soit dans le goidet ou dans le havre même de la Princesse. Les premiers grands défrichemens , les plantations considérables auraient lieu le long de la rivière des Fiançais , et les communications par eau avec le chef-lieu seraient directes , et des plus aisées. La pèche singulièrement abondante offrirait aux premiers colons de grandes ressources dans les commencemens de leur établissement. Enfin, il n'est pas douteux qu'au bout de quelques années les pro- ductions du sol, tant en grains qu'en bestiaux, ne pussent suffire amplement à leur consommation *. Le résultat des observations de M. Jacquinot a donné pour l'observatoire du port du Roi-Georges : Par deux séries de hauteur eircuni-méridiennes du soleil; latitude S 35° 2 ?.c>" Par la moyenne des trois montres nos 26 et 38 (Motel), et no 83 (Berthoud), avec la marche du départ. Longitude E. de Paris u5° 33' 5i" Déclinaison de l'aiguille aimantée. ( Moyenne de 66 azimuts) 5<> 33' 16" If'. O. * ' oyez- notes 7 et 8. 116 VOYAGE CHAPITRE VII DU TORT DU ROI-GEORliES JUSQU AU DEPART DE TORT-WESTERN- ï.826. A onze heures vingt minutes du matin, la yole est a5 octobre, partie sous les ordres de M. Guilbert pour faire une ligne de sonde entre la terre ferme et file Michaelmas; et , quelques minutes après , la corvette elle-même a mis sous voiles avec un temps couvert et une forte brise d'O. S. O.; elle a couru trois bords en dérivant sous le petit soc et la voile d'étai de cape pour multi- plier les sondes de la rade , puis elle a laissé porter entre les deux îles de Break-Sea et Michaelmas. Le canal qu'elles forment n'a pas plus de six cents toises de large, mais il est très-sain ; d'ailleurs la côte des deux îles est si acore, que l'on ne rencontre pas moins de soixante à quatre-vingt brasses presqu'à toucher terre. A deux heures nous reprîmes la yole qui nous attendait à l'abri de Break-Sea , puis nous fîmes route au S. E. V4 S. Bientôt le vent refusa jusqu'au S. S. O. en fraîchissant et soulevant une grosse mer qui nous DE L' ASTROLABE. 117 força de laisser porter jusqu'au S. E. 1/4 E. en dimi- 18&6. nuant de voiles. Ce temps et ce vent durèrent toute la nuit et la 26 onobre. journée suivante, et firent monter le mercure dans le baromètre jusqu'à vingt-huit pouces huit lignes ; il re- descendit graduellement en même temps que la force du vent s'apaisa. Le matin le vent est bien modéré , et l'après-midi il 27. fait tout-à-fait calme. Malgré la grosse houle, on en- voya le thermométrographe à trois cent douze brasses de profondeur verticale; il résulta de cette observation que la température des eaux de la mer, qui était de 1 3°, 7 à la surface, ne descendit qu'à 7°, 4 à cette profon- deur. Le soir le vent s'est peu à peu élevé au N. E., ce qui nous a de nouveau contrariés dans notre route. Voici quelques notions que j'ai recueillies aujour- d'hui de la bouche d'Hambilton , l'un des Anglais qui se sont embarqués à bord , et celui qui m'a paru mé- riter le plus de confiance. Les Australiens du port du Roi-Georges, m'a-t-il dit, sont des hommes très-doux, obligeans et incapables de faire aucun mal. Ils ne sont nullement navigateurs ; Hambilton ne leur a vu aucun genre d'embarcation, pas même en écorce ou en troncs d'arbres. Bien loin de là, ces sauvages semblent re- douter l'eau, où ils ne s'aventurent guère à la nage, et ne fabriquent point de filets ; il en a trouvé quelquefois plus de cent réunis à la plage , hommes , femmes et enfans, quand son navire était mouillé à la rade près de file Seal. Ces Australiens ont avec eux de beaux chiens à poil rouge, qu'ils nomment aussi kcmgarom. 118 VOYAGE 1826. Le soir le vent fraîchit beaucoup au N. E., et il 28 octobre. passe je violentes raffales. La mer est grosse et nous tourmente cruellement. Les petits marsouins à ventre blanc deviennent fréquens. 29. Après avoir successivement varié au N. E., au N. , à TE., le vent se fixe ce soir au S. S. E., et souffle grand frais toute la nuit avec des grains , de violentes raffales et une mer très-dure. Le baromètre qui, hier à midi , marquait encore vingt-huit pouces quatre lignes , était descendu aujourd'hui à midi à vingt-sept pouces neuf lignes ; mais il a progressive- ment remonté, ce qui m'a paru digne de remarque. 30. Le coup de vent qui n'a cessé de souffler toute la nuit s'est apaisé un peu ce matin ; cependant il a en- core venté bon frais du sud; ce n'est que le jour sui- 3i. vant que le ciel s'est embelli , et qu'une brise modérée de S. O. nous a enfin permis de faire bonne route, r novembre. Ce mois qui correspond au mois de mai de nos climats , s'est annoncé sous d'agréables auspices , et nous avons joui d'une journée superbe qu'avait pré- cédée une belle nuit et une abondante rosée. Je tenais beaucoup à reconnaître une petite île vue par un capitaine Hammet, en 1818, par 28° 22' latitude S. et 127° longitude E. de Greenwich. Du moins elle est ainsi placée sur la carte de l'Australie par Flin- ders, corrigée en 1822, et reparait à peu près dans la même position sur la carte générale du premier volume de l'Atlas de Krusenstern. En conséquence, comme je m'estimais, sur les trois heures du matin, à vingt milles à l'ouest de cette île, je mis en panne jusqu'au jour. A DE L'ASTROLABE. 119 midi les observations m'apprirent qu'à huit heures du iSafi. matin nous n'avions dû passer qu'à cinq ou six milles *""■*""■ au nord du point que je viens d'indiquer. Bien qu'il régnât une brume assez épaisse, cependant je pense qu'à cette distance nous eussions distingué cette terre si elle eut existé , ou que nous en eussions du moins observé quelque indice. J'ai donc beaucoup de peine à croire à son existence, d'autant plus que le pilote Siddins m'a assuré par la suite, à Sydney, qu'on devait ajouter très-peu de confiance à cette découverte du capitaine Hammet. Depuis long-temps la mauvaise odeur qu'exhalaient les boites qui contenaient les poules braisées d'Appert, faisait soupçonner qu'il devait y en avoir plusieurs de gâtées. En conséquence j'ai fait apporter toutes ces caisses sur le pont, je les ai fait déballer en présence de letat-major et de l'équipage entier, et on a procédé à leur examen. Par suite de cette visite, il s'est trouvé que sur deux cent quatre-vingt-dix-neuf boites res- tant à bord, cent quarante-quatre seulement sem- blaient dans un état de conservation rassurant, soixante-huit présentaient l'indice de la corruption à un degré médiocre, et le reste, au nombre de quatre- vingt-sept, le même indice au plus haut degré ; quel- ques-unes même exhalaient l'odeur la plus fétide. Toutes celles-ci ont été ouvertes , et ont présenté sans exception une viande corrompue, qui répandait une odeur infecte. Je les ai fait sur-le-champ jeter à la mer ; car la nature de notre campagne et les di- mensions de notre bâtiment ne me permettaient point 120 VOYAGE 1826. de les conserver à bord pour les rendre au retour, Novembre, comme le recommande M. Appert : d'ailleurs, leur plus long séjour sur la corvette eût pu devenir dan- gereux à la santé des hommes et à la conservation des autres vivres. Les soixante-huit boites douteuses ont été séparées et destinées à servir les premières en cas de besoin. Enfin les cent quarante-quatre qui semblaient bonnes ont été refermées avec soin et replacées dans les soutes où elles se trouvaient : elles y étaient à l'abri de toute humidité, ainsi que de toute secousse accidentelle. Aussi chacun de nous est resté convaincu que ces boites étaient déjà avariées au moment de l'embarquement, et nous n'avons pu attri- buer la cause de cette avarie qu'à la mauvaise confec- tion des caisses en bois qui les contenaient , beaucoup trop faibles d'échantillon , à leur emballage négligé (la plupart des boîtes portaient contre les planches mêmes des caisses , ce qui les a froissées considéra- blement), enfin aux secousses qu'elles auront pu rece- voir dans le transport par le roulage. Quoi qu'il en soit , la perte des quatre-vingt-sept boites gâtées est une perte essentielle pour l'expédition , et qui pourra un jour nous devenir bien sensible , si les maladies viennent nous assaillir. 4. Aujourd'hui la Saint-Charles, fête du monarque des Français. En son honneur, les marins de l'Astrolabe ont reçu, en outre de leur ration, le café au déjeuner, double ration de vin au dîner, et un punch après souper. Ce petit extra joint au beau temps les a mis tous en gaieté; la journée s'est passée très-joyeuse- DE L'ASTROLABE. 121 ment, et le soir ils ont joué des farces auxquelles les 1S26. deux nouveaux venus Symons et Cloney ont pris Novembre. une part Irès-active. Les observations d'amplitude et d'azimuth ont donné successivement aujourd'hui 4° N. O., 1°N. E. et 1° N. O., ce qui prouve qu'elle est à peu près nulle pour 38* 40' S. et 1 33° 40' E. Depuis plusieurs jours nous jouissons d'un très- beau temps, et nous n'éprouvons plus que de petits vents variables en diverses directions. Nous profi- lons des avantages d'une aussi douce navigation pour mettre à jour les matériaux en tout genre recueillis au port du Roi-Georges, en sorte que nous serons bientôt prêts pour une nouvelle relâche. Après de mûres réflexions je me suis décidé à échanger la relâche du porl Dalrvmplc indiquée par 122 VOYAGE 1826. mes instructions, contre celle de Port-Western. En Novembre. efret ^ je savais cme l'entrée, et plus encore la sortie du port Dalrymple, étaient difficiles et souvent dange- reuses pour un navire comme le nôtre ; on est quel- quefois obligé d'attendre un mois ou six semaines pour appareiller ; d'ailleurs c'est un point désormais bien connu, et nul besoin ne m'y appelait. Enfin, je n'ignorais pas combien les recherches scientifiques en tout genre se font avec moins d'assiduité et devien- nent ordinairement moins fructueuses dans les relâ- ches où l'on est reçu par les Européens, en raison même des politesses qu'on reçoit , et des devoirs de convenance auxquels on se trouve astreint. Port- Western, au contraire, n'était encore connu que très-incomplètement par les voyages de Baudin et de Flinders ; il offrait pour ainsi dire un sol vierge à ex- plorer, et les hôtes que nous pouvions espérer d'y rencontrer, ne devaient pas beaucoup nous distraire de nos recherches par les agrémens de leur société. Telles furent les raisons qui me déterminèrent à con- duire V Astrolabe à Port-Western. 6. Vers trois heures après midi , un albatros chloro- rynque a été abattu d'un coup de fusil, et, sur le désir exprimé par les naturalistes , j'ai envoyé la yole pour le ramasser. C'est un fort bel oiseau de six pieds d'envergure , et dont le plumage est d'une blancheur éclatante au-dessous du corps. Les fous à tète fauve commencent à se montrer, et annoncent l'approche de la terre. s. Contrarié depuis quelques jours par des vents d'E. DE L'ASTROLABE. 123 fort ennuyeux, je me suis décidé enfin à prolonger la 1826. bordée jusqu'à terre, pour mieux connaître notre po- Nonwwne sition , et en même temps nous désennuyer un peu par la vue de la côte. Nous n'avons pas tardé à être environnés d'oiseaux de rivage , tels que fous à tète fauve, sternes blanches à tète tachée de noir, et petits plongeons. Vers midi de nombreux paquets deLa??i{- naria pyiifera ont passé le long du bord, et les eaux de la mer ont pris une teinte blanchâtre qui annonçait le fond. Le vent soufflait à l'E. S. E. bon frais, avec une forte houle et un horizon très-brumeux. A midi quarante-cinq minutes, la terre a été aperçue courant du N. O. au N. N. E. La partie la plus au nord tenait au mont Saint-Bernard [Freyninet), monts Schanck et Gambier(/7/Wmlm • chien. M. Gaimard, qui les suivit long-temps, rencontra un cours d'eau qui lui sembla appartenir à une rivière, quoique l'eau soit encore saumâtre , et il observa des vestiges récens de la présence des naturels. Pour moi, je ne vis que quelques kangarous et des oiseaux en plus petit nombre qu'à la passe de l'Est. Mais je m'y promenai avec le plus vif plaisir, car le terrain bien dégagé offre les accidens les plus agréa- bles. Tantôt ce sont de beaux massifs d'arbres faciles à pénétrer, tantôt d'immenses clairières couvertes de pelouses charmantes avec de petits sentiers bien battus, et le passage des uns aux autres est le plus . souvent si régulier, si bien tranché , qu'on a peint1 à concevoir comment cela peut avoir lieu sans le tra- vail des hommes. Cette disposition naturelle dans la végétation m'avait souvent frappé dans les forets vierges du Brésil , du Chili , des îles de la mer du sud ; cependant nulle part elle ne s'était offerte à mes re- gards aussi fréquemment et avec une symétrie aussi parfaite que dans cette promenade. A six heures nous quittâmes le rivage , à huit heures trente minutes nous fumes de retour à bord , après avoir reçu un fort grain de pluie qui nous trempa jusqu'à la peau. Il est arrivé dans la journée de tous côtés une im- mense quantité de phasianelles , et la drague jetée le long du bord a rapporté une foule de térébratules la 1 36 - VOYAGE 1826. plupart vides. Un petit nombre, seulement, offrent encore l'animal. 18 novembre. Mon intention était de mettre à la voile aujourd'hui, mais un temps très-couvert et pluvieux m'a décidé à différer le départ jusqu'au lendemain. On s'est contenté en conséquence de relever l'ancre de bâbord et de rester sur quarante brasses de tribord. Le grand canot fut à la pèche , et ne rapporta que peu de poisson, car les marées gênent beaucoup en entraînant et renversant à chaque instant la seine avant qu'on puisse la retirer. Les trois Anglais, Hambilton, Cloney et Symons, sont partis avec leurs confrères de terre , pour aller chasser des phoques sur l'île Seal près le cap Grant ; et ils ont rapporté un phoque adulte et une douzaine d'autres encore tout jeunes. Deux de ces derniers 1 seulement ont été réservés pour l'histoire naturelle. A sept heures du soir, le vent a passé au S. E. avec des éclairs très-vifs , et de fréquens coups de tonnerre, suivis d'une averse abondante qui a été continuelle jusqu'à minuit ; il a passé aussi quelques raffales de vent , mais de peu de durée. Si l'on fait attention au petit nombre de jours qu'il nous a été possible de donner à cette relâche , on con- viendra sans doute qu'ils ont été bien mis à profit. En effet, dans un si court espace de temps, le plan de toute la partie de la baie , comprise entre l'île des Français et l'île Phillip , a été levé en détail , comme celui des deux passes de l'Est et de l'Ouest, et celui-ci a été sondé dans toute son étendue avec un soin particulier. On a DE L'ASTROLABE. 137 répété toutes les observations d'astronomie, de phy- 1826. sique et d'histoire naturelle; cette dernière science ^ovembre- s'est enrichie d'une foule de matériaux très-inté- ressans. Sous les rapports nautiques, Port-Western est du plus grand intérêt. En effet il offre un mouillage aussi facile à prendrequ'à quitter, et, par celte double raison, infiniment supérieur à celui du port Dalrymple. La tenue en est excellente , le bois abondant et facile à faire. En un mot dès qu'on aura découvert une aiguade commode [et elle se trouvera probablement), ce sera un point de relâche très-important dans un détroit comme celui de Bass , où les vents soufflent souvent avec fureur d'un même côté durant plusieurs jours de suite, et où les courans peuvent rendre la navigation dangereuse dans ces sortes de circonstances. La latitude de l'observatoire à Port- Western a été de 38° 27' 46" S. , résultat de plusieurs hauteurs cir- cum-méridiennes du soleil. La longitude de 142° 56' 8" E. , en prenant la movenne de celles données par les montres , avec les marches de départ et d'arrivée , et la variation de l'ai- guille aimantée (moyenne de 40 azimuts), de 7° 53' 51" N. E. 138 VOYAGE CHAPITRE VIII. HE PORT-WESTERN A PORT-JACKSON ET SEJOUR EN CE PORT. 1826. Le temps aëlé pluvieux et couvert durant la nuit, 19 novembre. avec [e vent à FO. N. O., c'est-à-dire directement con- traire. Cependant la corvette a mis sous voiles à quatre heures cinquante minutes du matin ; nous avons couru des bordées dans la passe entre l'île Phillip et les bri- sans , et soutenus par le jusant nous nous sommes assez promptement élevés. Je comptais même sortir avec la marée , lorsqu'à neuf heures le vent qui avait molli a varié au S. S. O. et au S. S. E. Nous n'étions plus alors qu'à trois milles environ de l'entrée du port, et, craignant d'être renvoyé au dedans par le flot qui commençait à se déclarer, je laissai tomber l'ancre à mi-chenal par dix brasses sable et gravier. En prolongeant la dernière bordée vers la côte de l'ouest pour mouiller, il y a eu un instant où la sonde, après avoir rapporté régulièrement quinze , seize et dix-sept brasses de fond , n'a donné que sept et six brasses , sur le prolongement du banc qui partage ce DE L'ASTROLABE. 139 chenal en deux dans le sens de sa longueur. Dans les 1826. gros temps et les fortes marées, il serait possible que Novembre- de basse mer cet endroit fut dangereux , et il serait bon de s'en défier. De la station que nous occupions , nous avions la vue complète des deux côtes, et celle de l'ouest offrait surtout de superbes massifs d'arbres avec de jolis tapis de verdure. Cette partie du continent , plus qu'aucune de celles que j'avais jusqu'alors visitées, annonce un sol fécond et une végétation vigoureuse. J'avais envoyé M. Guilbert sonder à un demi-mille de distance tout autour du navire; il n'a pas trouvé moins de huit brasses de fond , malgré ce que m'a- vaient affirmé Hambilton et Symons , qui me dissua- daient de mouiller en cet endroit, assurant qu'il était semé d'écueils et de hauts-fonds. Au mouillage , on a pris une foule de petits squales, dont un appartenait à l'espèce à sept branchies. A quatre heures du soir la mer étant étale, et la brise ayant repris au S. S. O. , nous avons remis à la voile, et trois bordées nous ont suffi pour nous porter hors des pointes , sous des torrens de pluie. Le ciel s'est dégagé dans la nuit , le vent s'est établi à l'O. S. O., et nous avons gouverné au S. '/4 S. E. Au point du jour nous avons aperçu les hautes terres 20. du promontoire deWilson dans le N. E. 1/4 E., et peu après L'île élevée de Redondo. J'ai mis le cap à l'E. 1li IN. E. en forçant de voiles, et une forte brise d'O. N. O. nous a rapidement rapprochés de terre. MO VOYAGE 1826. Frappé des différences qu'offrent les cartes de Novembre, jyi Freycinet et celles de Flinders, pour cette partie du détroit, j'ai voulu mettre notre passage à profit pour éclaircir ce point de géographie; ainsi chargeant M. Gressien de ce travail, j'ai dirigé la route de ma- nière à prolonger de très-près toutes ces petites îles, et à reconnaître néanmoins les dangereux écueils du Crocodile. A neuf heures nous avons mis en panne à trois milles au sud de Redondo , îlot conique , de toutes parts escarpé à sa base , et couvert d'une végétation très-active. De là nous n'avons pu voir le Crocodile , bien que Flinders ne le place qu'à six milles au S. E. de Redondo. Je désespérais même de pouvoir le si- gnaler, à cause d'une brise forcée d'O. N. O. et d'une grosse mer, qui ne m'eussent pas permis d'en faire une plus ample recherche , lorsqu'à neuf heures trente minutes, M. Dudemaine et Hambilton l'aper- çurent des hunes à quatre milles environ du bord dans la direction des îles Curtis , ce qui le renvoie presque à mi-distance de ces îles à Redondo. Du reste, des relèvemens exacts pris sur cet écueil l'ont placé d'une manière précise. Il est d'autant plus à redouter, qu'on ne le voit briser qu'à de longs intervalles, et que , par une mer calme , on ne doit rien distinguer du tout. Les deux îles Moncur ne sont que des rochers iso- lés et parfaitement nus, ainsi que ceux de Devil's- Tower ; du reste , tout porte à croire qu'il y a grand fond à toucher ces îles. DE L'ASTROLABE. 141 A midi nous finies une seconde station à six milles i$-?.o>. environ dans l'ouest de la pointe sud d'Hogan's- Novembre. Group, ayant alors Redondo et Moncur directement à l'ouest du monde. Nos observations pour Redondo s'accordent très- bien avec celles de Flinders , et en diffèrent peu pour les autres îles , tandis qu'elles ont moins de rapport avec la carte de l'expédition Baudin. Nous doublâmes au vent et à six ou sept milles de distance le croupe d'Hogan. Ces îles, au nombre de six ou sept, sont élevées, et les plus grandes sont boi- sées et paraissent babitables. Au rapport d'Ham- bilton , il y aurait un bon mouillage pour les vents d'ouest. Dans le lointain on distinguait assez claire- ment les terres du groupe plus considérable de Kent. Mais à deux heures trente minutes après midi, nous avons mis le cap à l'E. N. E., fdanteinq ou six nœuds. Le ciel s'est chargé, nous avons eu des grains, et tontes les terres et les îles du détroit ont bientôt dis- paru entièrement. Il a fait calme dans l'après-midi, nous avons sondé 21. et trouvé cent soixante-quinze brasses , sable fin et vaseux. A cette profondeur, le thermoniétrographe, qui donnait à l'air 15°, 5, n'a descendu que de 1°, 5, différence très-peu considérable entre les tempéra- tures de la surface, et d'un fond de près de neuf cents pieds. Le cylindre n'avait pris qu'un demi-verre d'eau. Ce soir on a commencé a discerner les montagnes qui dominent Ram-Head dans le N. N. O., à douze à quinze lieues de distance. 142 VOYAGE 1S26. Le calme a persisté avec de folles brises en tout 22 novembre. sens# On a revu les hauteurs de Ram-Head; et, après midi , le ciel s'étant dégagé , nous avons parfaitement distingué la chaîne des hautes montagnes qui se diri- gent de ce promontoire vers celui de Wilson en sui- vant la côte. Comme une distance de vingt à vingt- cinq lieues environ nous séparait de cette côte , nous devons en conclure qu'elle est d'une grande élévation , et bien supérieure à toutes celles qui ont été obser- vées sur tous les autres points de cette grande terre. Nombre de grosses méduses roses et violettes n'ont cessé de flotter entre deux eaux. Les deux journées suivantes n'ont encore offert que des alternatives de calmes ou de brises légères et in- certaines, avec un temps superbe et une mer très- 24. belle. Cependant, le 24, nous avons réussi à nous rapprocher du cap Howe , et , de six à sept heures du soir, nous prolongeâmes à quatre ou cinq milles de distance la petite île basse qui accompagne ce pro- montoire. Le cap lui-même n'offre qu'une plage sablonneuse dominée à quelque distance du rivage par des pitons très-élevés et couronnés de bois. Sur la partie delà côte qui suit vers le nord , on voit de grands espaces de sables dénués de toute végétation. Tout le jour les terres de l'intérieur sont restées enveloppées d'im- menses tourbillons de fumée occasionés, sans doute, par les embrasemens habituels des sauvages. Les violens clapotis qui ont agité la mer aujour- d'hui , surtout dans la soirée , annoncent qu'il doit DE L'ASTROLABE. 143 exister près du cap Howe de forts courans. Tant que 1826. l'île du Cap nous est restée au nord, ils m'ont semblé Novembre. porter au sud , et le contraire a eu lieu dès qu'elle a été doublée. Nous avions fait quelque route durant la nuit, à »5. l'aide d'une faible brise de S. : mais au jour il a fait calme , et une brume épaisse nous dérobait toute vue de terre. Vers neuf heures trente minutes , une petite brise de S . O . nous a permis de gouverner au N . O . , et à midi nous avons reconnu l'entrée de la baie Twofold à sept ou huit milles dans le S. O. Depuis ce moment U Astrolabe a prolongé la côte à trois milles de distance pour en faire la géographie; M . G uilbert a été chargé de ce travail. Tout le développement compris depuis la baie Twofold jusqu'à une pointe voisine du mont Droma- daire court assez uniformément N. et S., sans aucun accident remarquable. En général elle est formée par une belle plage de sable , dont la monotonie n'est in- terrompue çà et là que par quelques mornes peu saillans. Le sol, à l'intérieur, couvert de beaux arbres, et tapissé d'une pelouse verdoyante, présente un coup-d'œil très-gracieux. Sous les flancs même du mont Dromadaire, on remarque des sites charmans ; la vue de ces délicieux ombrages, qui renouvelaient pour nous le supplice de Tantale , nous faisait en- core ressentir plus vivement les ennuis de notre prison flottante. Ce mont , par sa forme et son isolement, a quelque chose d'imposant , bien que son élévation n'ait rien 144 VOYAGE 1826. d'extraordinaire, puisque je l'estime à quatre ou cinq Novembre. cen{S t0ises au plus . A cinq heures quarante-cinq minutes du soir, nous étions parvenus entre la pointe du Dromadaire et l'île Montague que je comptais doubler en peu de temps, quand le calme vint me surprendre à moins de deux milles de terre. La nuit arriva, et, crai- gnant d'être contrarié par le courant, je me préparais déjà à mouiller en pleine côte par dix-neuf brasses , sable fin, quand une petite fraîcheur d'O. N. O. me permit de gouverner lentement vers le large ; nous doublâmes l'île Montague, et à dix heures nous en étions à trois milles environ au S. La drague fut jetée et retirée plusieurs fois ; parmi divers objets curieux, M. Quoy trouva enfin une pe- tite trigonie vivante , coquille qu'il cherchait depuis long-temps à cet état, et dont il n'avait pu se pro- curer que des valves séparées à Port- Western. A la nuit nous avons aperçu distinctement la lumière des feux dont la fumée seule était visible durant le jour. Un d'eux, établi à peu de distance delà cime du Dromadaire, semblait un fanal allumé tout exprès pour nous guider dans notre navigation. a6. A trois heures du matin, M. Gressien, qui comman- dait le quart, ayant cru distinguer la terre, et en- tendre le bruit des brisans sur l'avant , je fis venir de deux quarts sur tribord : mais ce ne pouvait être qu'une illusion , car la côte en ce moment devait se trouver à deux ou trois lieues de distance au moins. Au jour, une brume très-intense nous cacha entière- DE L'ASTROLABE. 145 ment les terres; ce ne fut qu'après avoir long-temps 1826. couru au N. N. O . , et même au N. O. , que nous pûmes Novembre, les revoir vers midi , aux environs du cap Saint- Georges. Je me disposais à en reprendre l'exploration, quand le vent sauta subitement du O. N. O. au S. S. E. et au S. E. ; à une heure trente minutes il était déjà à f E. La corvette se trouvait alors précisément vis- à-vis l'entrée de la baie Jervis, à moins d'une lieue de distance. Plutôt que de m'exposer à lutter péni- blement contre des vents peu favorables , convaincu d'ailleurs que , dans une campagne du genre de la nôtre , le temps que l'on passe au mouillage est tou- jours bien plus utilement employé que celui qu'il faut consommer sans fruit à la mer , je me décidai à con- duire F Astrolabe dans cette baie encore si peu connue. A deux heures trente minutes nous étions par le travers du cap perpendiculaire, et peu après nous filions rapidement devant l'île Boswen , dont les flancs, taillés à pic et garnis de cordons horizontaux, imitent admirablement, les murailles d'une immense PL xxit. citadelle. Après l'avoir doublée, je laissai porter vers la partie méridionale de la baie ; à trois heures je laissai tomber l'ancre de tribord par neuf brasses , sable fin et coquilles, à trois encablures de la plage. Médiocrement ondulé et de toutes parts revêtu de Pi- xxv. beaux arbres, le rivage nous offrait le coup-d'œil le plus pittoresque. Plusieurs fumées nous indiquaient aussi la présence des naturels ; nous ne tardâmes pas à en voir paraître cinq vis-à-vis de la corvette, TOME I. ÎO 14 G VOYAGE 1826. avec des poissons à la main , qui semblaient attendre Novembre. no^re arrivée à terre. MM. Jacquinot et Lottin allèrent sur-le-ehamp ob- server des angles horaires , et communiquèrent avec ces indigènes ; quelques-uns baragouinaient quelques mots anglais ; tous témoignèrent les dispositions les plus amicales. L'un d'eux a couché à bord. Près du mouillage , une roche s'avançait en saillie dans la mer, plane en dessus et percée d'une large ouverture , imitant parfaitement les ruines d'un aque- duc. Notre observatoire se trouva naturellement éta- bli sur cette plate-forme. Après mon dîner je descendis à terre, où je passai la soirée à chasser , et à me promener avec délices au travers de ces majestueuses forêts. Jamais en- core je n'avais rencontré d'aussi beaux eucalyptus et un terrain aussi dégagé. La fougère seule règne quelquefois sous ces vastes ombrages , et sur les bords d'un torrent, qui pourrait offrir une aiguade en cas de besoin , croissent d'énormes touffes de Todea. Du reste , la végétation , peu variée , est représentée par les mêmes espèces qu'à Sydney, ressemblance toute naturelle. Les officiers et les naturalistes sont aussi descendus à terre; dans la soirée, deux heures de relâche à Jervis-Bay avaient déjà suffi pour enrichir singuliè- rement la mission en tout genre. T.-]. Au point du jour, M. Gressien dans la baleinière, MM. Guilbert et Dudemaine dans la yole, et M. Paris avec le bot, sont partis pour travailler de concert au DE L'ASTROLABE. 147 plan de la baie, tandis que MM. Jacquinot et Lottin is26. s'occupaient des observations astronomiques. Novembre. J'ai encore fait une excursion dans les bois avec Simonet; j'ai admiré de nouveau la beauté des euca- lyptus, et j'ai tué quelques oiseaux; mais les plantes et les insectes n'ont guère répondu à l'espoir que fait naître au premier abord l'aspect de ces beaux lieux. Du reste, la rareté des unes et des autres doit tenir en grande partie à ces fréquens embrasemens opérés par les naturels , qui détruisent sans doute chaque année de nombreuses espèces de plantes et d'insectes. JXos relations avec les sauvages de ce point con- tinuent d'être amicales ; cependant nous n'avons vu que des hommes de cette tribu , au nombre de sept, et deux en fans de huit à dix ans; les femmes sont restées cachées. Ces Australiens appartiennent évidemment au même type que ceux de Port- Jack- son ; mais ils sont moins laids , plus vigoureux , et surtout mieux proportionnés , avantage qui tient pro- bablement à une plus grande abondance de nour- riture. Plusieurs ont un tatouage en cicatrices sur le dos, la cloison du nez percée, et les cheveux disposés en petites mèches ornés de dents ou de griffes de kangarous. Le vent a soufflé bon frais du nord , et m'a em- 2». péché de remettre à la voile. Aussi tous les officiers ont été autorisés à descendre à terre , sous la con- dition seulement de ne point s'écarter, et de rallier promptement au premier coup de canon. Moi-même j'ai voulu encore une fois explorer ce 118 VOYAGE 1S26. pays, qui m'a semblé de plus en plus agréable et fer- Novembre. tjje \ ja suite des grands bois d'eucalyptus dont j'ai déjà parlé, se trouvent de belles clairières entière- ment dégagées de broussailles; j'ai remarqué que ces dernières localités offrent encore moins d'oiseaux et d'insectes que les forêts. Dans celles-ci certains espaces brûlés se sont recouverts de tapis d'une herbe verte et très-tendre; cette végétation semble annoncer que nos céréales et nos légumes d'Europe pourraient également croître en abondance sur le sol de ces forets. Les rochers de la côte nous ont offert de petites huîtres à bords plissés, fort bonnes à manger, des moules chevelues , et dans le sable se trouve une autre espèce d'huître plus grande et plus succulente. Sur cette rade, la pêche est singulièrement abondante ; un seul coup de seine rapporta une immense quantité de poisson ; aussi les naturels , émerveillés d'un spec- pi. xxxiv. tacle si nouveau pour eux , se livrèrent aux dé- monstrations de la joie la plus extravagante. Quand ils virent surtout que les matelots leur abandonnaient plusieurs espèces peu délicates, comme les squales, les balistes , etc. , ils poussèrent des cris d'allégresse si perçans, que, du bord où je les entendais, je craignis qu'il ne fût arrivé quelque événement malheureux. Chaque jour deux hommes allaient dans le bot, pêcher à la ligne sous l'île Boswen , et revenaient le soir avec deux quintaux du plus beau poisson et de la qualité la plus exquise. Durant notre court séjour nous avons joui sur DE L'ASTROLABE. liO cette racle d'une température délicieuse et d'un air 1826. pur et très-salubre. Ces divers avantages réunis nie Novembre, portent à croire que peu de mouillages méritent d'être comparés à celui-ci pour l'agrément et la sécurité. Sans doute si les Anglais ont jusqu'à présent né- gligé une station si intéressante et si bien à portée de leur principal établissement de Port-Jackson, c'est qu'une foule de points leur offrent des ressour- ces d'une autre nature et qu'ils ne sont arrêtés que par l'embarras du cboix. Avant de terminer ce que j'ai à dire de la baie Jervis, je dois mentionner deux bulles de sauvages établies près de notre observatoire. Leur forme était celle d'une ruebe oblongue de six à sept pieds de bauteur ; elles étaient construites en larges bandes d'écorces d'eucalyptus posées debout, rapprochées au sommet, et recouvertes de gramens et de feuilles de zostera. Propres et spacieuses à l'intérieur, cha- cune pouvait recevoir facilement une famille de huit à dix individus, et annonçait, de la part des sauvages, un degré d'intelligence supérieur à tout ce que je connaissais. !Nous avons vu des esquisses de cutters et de chaloupes de leur façon sur les rochers de grès à la côte, assez bien tracées. M. Lotlin, qui avait oublié entre leurs mains une règle en bois de noyer, la retrouva le lendemain enrichie de semblables des- sins. Dans leurs relations avec nous ils n'ont cessé de montrer réunies , une probité , une douceur, et même une circonspection très-remarquables pour celte classe d'hommes. Pas un d'eux n'a tenté le moindre 150 VOYAGE 1826. larcin, et c'est avec plaisir que nous rendons une jus- Novembre. tjce complète à leur excellente conduite. INotre observatoire était placé par 35° 8' 27" lat. S. , résultant de deux séries de hauteurs circum-méri- diennes, et 148° 22' 55" longitude E. , rapportée à Port- Jackson , et déduite des marches de départ et d'arri- vée, qui n'avaient point varié sensiblement dans l'espace de quatre jours. La déclinaison de l'aiguille aimantée (moyenne de 3 azimuts) s'est trouvée de 9° 38' 23" N. E. *9- A huit heures du matin nous avons appareillé avec une petite brise de S. S. O. et de S. et un temps couvert. Près du goulet , nous avons mis en panne pour embarquer la yole qui depuis trois heures pé- chait sous File Boswen, et avait déjà pris plus de deux cents livres d'excellent poisson. Nous éprou- vâmes quelque peine à doubler le cap perpendiculaire, avec un vent mou , un courant contraire et une houle de sud assez creuse. Puis nous prolongeâmes la côte , à trois ou quatre milles de distance, jusqu'à Crook- Haven. Ce n'est qu'une longue falaise abrupte , très- élevée, et contre laquelle un navire forcé par le vent périrait infailliblement corps et biens. Au-delà, la côte s'abaisse en s'enfonçant à l'ouest et se dessine sous des formes moins sévères , car ce sont de belles plages bien boisées sur leurs bords , et dominées par des montagnes en pente douce couronnées de la plus belle végétation. Près de la côte , un morne isolé semblable au mont Dromadaire, mais moins élevé, offre comme lui un DE L'ASTROLABE. 15 1 point de reconnaissance utile. A peu de distance i8a6; dans le sud de cette montagne , on distingue deux ou Novembre, trois coupures à la côte, qui doivent appartenir à des rivières ou à des bras de mer. C'est là qu'en effet la carte de Flinders indique le cours d'un fleuve consi- dérable, mais j'ignore sur quelle autorité il s'est fondé. A dix heures nous nous trouvions par vingt-cinq brasses, sable fin. Vers midi l'horizon s'est tellement embrumé, qu'on ne distinguait aucune montagne de l'intérieur, quoique nous ne fussions qu'à quatre ou cinq milles de la côte. INous avons doublé la pointe Bass ; je comptais doubler aussi Red-Point avant la nuit, car nous voyions déjà très-clairement les cinq îles, à trois ou quatre lieues devant nous; mais le vent a varié à l'E. JN. E., et il a fallu prendre la bordée du large. Nous distinguions en ce moment (à peu près cinq heures du soir) trois chevaux qui paissaient tranquillement dans un vert pâturage au bord de la mer; nous en avons conclu l'existence de quelque métairie dans ces en- virons. Le vent a soufflé toute la journée au N. N. E. et JN., 3o. tantôt faible et variable, tantôt frais et avec de la houle; nous avons été réduits à courir des bords le long de la terre. A sept heures du matin nous nous sommes retrouvés à cinq milles sous le vent du point que nous avions quitté hier au soir ; à midi nous avons viré à trois lieues des cinq îles ; le soir, le vent a ren- forcé au nord avec des raffales et une mer déjà dure; nous avons pris le large. 152 VOYAGE 1826. Sur la lisière d'un bois voisin du pâturage où pais- Novembre. saient hier les trois chevaux , nous avons découvert une longue case construite en planche , comme le sont tous les établissemens que commencent les Anglais dans ces contrées. A neuf heures du soir, un brick-goélette faisant iev décembre, route au S. O. a été aperçu à bonne distance dans le S. S. O. Le vent du nord a persisté , et nous avons forcé de voiles pour revoir la terre, dont une brume très- épaisse continue de nous dérober l'aspect. A onze heures le vent a sauté subitement du N. au S. O., et peu après au S., où il n'a pas tardé à souffler grand frais avec une grosse mer. A midi trente minutes nous avons reconnu la terre près de la pointe Bass, et nous l'avons désormais suivie à quatre ou cinq milles au plus. Près des cinq îles , nous avons aperçu un petit navire qui semblait courir sur terre, mais qui, à notre vue, a fait vent arrière, et s'est mis dans nos eaux. Comme nous filions alors neuf nœuds , nous l'avons promptement perdu de vue dans la brume. A sept heures du soir, nous n'étions plus qu'à sept ou huit milles au sud du cap Solander de Botany-Bay ; j'ai mis à la cape tribord amures, de peur de dépasser dans la nuit l'entrée de Port- Jackson. 2- Vers minuit le vent ayant un peu molli, nous avons commencé à apercevoir dans le nord le fanal de Port- Jackson qui est resté visible jusqu'au point du jour. Alors nous avons laissé porter, et suivi la côte à un DE L'ASTROLABE. 153 mille de distance. A cinq heures trente minutes du 1826. matin , sous les falaises même du fanal , un coup de Derembie- canon a été tiré pour appeler le pilote , et à six heures pi. xxvi et XXVII. nous donnions déjà dans le goulet , quand nous avons aperçu son hateau. Je lai bientôt reconnu pour le même Siddins qui avait entré la Coquille , homme honnête et intelligent , et marin expérimenté , qui a beaucoup navigué sur les côtes de la Nouvelle-Zélande, aux îles Fidji et au détroit de Torrès. Il a conduit la corvette ; en quelques bords et à laide de la marée , nous nous sommes trouvés de- vant la magnifique habitation du capitaine Piper, où nous avons mis en panne pour l'attendre, suivant les réglemens du port. Il est bientôt arrivé à bord, m'a comblé d'amitiés et d'offres de service, et m'a invité aujourd'hui même à dîner, ainsi que MM . Jaequi- not et. Lottin. A sept heures quarante-deux minutes nous avons mouillé près le fort Macquarie , par cinq brasses et demie, au même endroit où nous nous trouvions avec la Coquille, trente-trois mois pi. xxviii. auparavant. 154 VOYAGE 1826. Nous avons trouvé en rade le vaisseau de ligne de Décembre. 74 , le War spite , commandé par le commodore sir James Brisbane, dangereusement malade de la dy- senterie , et les corvettes le Volage et le Success, ca- pitaines Dundas fils de lord Melville, et Stirling. Ces deux derniers n'ont pas tardé à me venir rendre visite et à m'offrir très-obligeamment leurs services. Le premier n'a guère que vingt-cinq ans , et l'autre en a à peine trente-cinq ; du reste ce sont deux officiers d'un excellent ton , et auxquels on accorde générale- ment beaucoup de mérite. A une heure, accompagné de plusieurs personnes pi. xxix. de l'état-major, je fus rendre visite au gouverneur, le major-général Darling, homme âgé, d'une politesse assez froide, et qui me promit cependant ses bons offices pour tout ce qui dépendrait de son pouvoir. M'ayant adressé quelques questions au sujet de notre navigation , il parut étonné des diverses relâches que je venais de faire sans pilote, sur plusieurs points de la Nouvelle-Hollande ; il me témoigna surtout beau- coup d'inquiétude de ce que nous n'avions pas eu connaissance à Port-Western, ni dans le détroit de Bass , du brick qui était parti de Port-Jackson dans les premiers jours de novembre, pour y fonder une nouvelle colonie, ainsi qu'au port du Roi-Georges. Je vis ensuite plusieurs autres personnes en place , et partout je reçus l'accueil le plus obligeant; je terminai ces visites par les capitaines qui comman- daient les bàtimens de guerre en rade. J'admirai leur bonne tenue et leur extrême propreté , surtout le DE L'ASTROLABE. 155 raffinement de luxe qui distinguait la corvette le Fo- is^h. lage. Décembre. Je m'étais flatté de l'espoir de trouver ici un ancien ami, M. Cunningham , botaniste aussi instruit que zélé, et voyageur infatigable; mais il était parti depuis trois mois pour explorer la Nouvelle-Zélande. Son absence m'affligea d'autant plus en cette occasion , qu'elle me privait à la fois d'une société agréable et des matériaux intéressans dont il eût sans doute en- richi la mission de C Astrolabe. Dès le premier abord nous avons vu avec une es- pèce d'admiration combien la ville s'était accrue et embellie depuis trois ans seulement. Toute la journée a été consacrée au repos; une 3. partie de l'équipage a obtenu la permission de se pro- mener dans la ville. Je suis allé faire un tour au jardin des plantes toujours dirigé par 31. Frazier, et tenu avec un soin remarquable. J'ai rencontré le capitaine Simpson avec qui j'ai eu une assez longue conver- sation. Il a commandé long-temps la station de Wel- lington dans l'intérieur, â peu près a deux cent cin- quante milles de Sydney, et ne l'a quittée que depuis six mois. J'ai su de lui que cet établissement prospérait peu en ce moment, et qu'il ny avait plus que soixante convicts. Ce n'est pas que la terre n'y soit fertile et la campagne agréable, mais cette position est trop éloi- gnée de Sydney et des autres lieux habités dans l'état actuel de la colonie. Je me suis transporté dans l'arsenal où je n'ai trouvé ,. que fort peu de secours, à cause de la présence des 161 VOYAGE 1826. trois bàtimens de guerre qui ont absorbé tous ses Décembre. moyens. Point de calfats , point de pontons, ni de ma- gasins disponibles. En outre, M. Nichoison, master- attendant, se trouvait absent, etsonsecond, M. Norry, store-keeper, n'osait rien prendre sur lui. D'après ce que j'ai observé à bord d'un bâtiment de quatre cents tonneaux de plus grande dimension que l'Astrolabe et dont les ancres étaient de la même force que les nôtres , je me suis assuré que des chaînes de douze lignes sont précisément celles qui nous con- viennent. M. Wemyss, commissaire-général, m'en a montré trois de ce diamètre dans les magasins du gou- vernement; mais il lui faut le consentement du gou- verneur pour me les céder, et je lui ai écrit à cet effet. Le capitaine Stirling , chez qui j'ai dîné , m'a appris qu'il devait partir dans deux mois pour la nouvelle co- lonie de M elville , et qu'il était question de la trans- férer sur la presqu'île de Cobourg dont le sol semblait plus favorable à un pareil établissement. 5. La chaloupe est allée faire de l'eau à Vaucluse près de l'habitation de M. Piper, où elle a pu remplir promptement quatre tonneaux d'eau d'une assez bonne qualité, quoiqu'un peu trouble. Nous avons embarqué six milles kilogrammes de biscuit pris dans les magasins de l'Etat. C'est du biscuit d'Angleterre , déjà couvert de petits charançons du genre Calandra ; mais tel qu'il est , je le préfère encore à celui que nous primes dans le dernier voyage , et qui avait été con- fectionné dans la colonie. En moins de deux mois il se trouva gâté , soit que les boulangers de Sydney ne DE L'ASTROLABE. 157 connussent pas encore le moyen de faire de bon bis- i«a& cuit de campagne, ou, ce qui est plus probable, timbre. qu'ils n'eussent pas eu de scrupule de nous fournir du biscuit de mauvaise qualité, sûrs de n'avoir pas à craindre de réclamations de notre part. Les calfats , en travaillant à l'extérieur du navire, 6. ont reconnu qu'un des bordages à tribord était entiè- rement pourri , ce qui donnait de l'eau dans la soute aux biscuits; sur-le-champ on s'est occupé de le dé- livrer et de le remplacer. Tous les habifans de la colonie sont très-intrigues des relâches que j'ai faites sur divers points de la Nou- velle-Hollande. Quelques-uns pensent que j'ai la mis- sion de chercher un lieu propre à établir une colonie dans le genre de Port-Jackson ; un journal s'est avancé jusqu'à annoncer que V Astrolabe avait planté le pavillon français dans les ports du Roi-Georges et de Western. Nous avons embarqué les légumes, le tabac et le 7. sel. La réponse équivoque du gouverneur à la de- mande que je lui ai faite, pour le prier de me céder deux chaînes-câbles, nie laisse à peine entrevoir la pos- sibilité d'en obtenir une seule. Dans la crainte de perdre en délais un temps précieux , et pénétré de la nécessité de me procurer ces objets indispensables , je conclus avec le capitaine du navire Regalia l'ac- quisition d'une chaîne de neuf lignes d'échantillon, moyennant cent soixante livres sterling. Elle con- viendra parfaitement pour notre ancre moyenne, et, si le gouverneur ne veut pas m'accorder l'autre , je 1 58 VOYAGE 1826. suis décidé à l'acheter également à quelques-uns des capitaines sur rade. s décembre. Nous avons reçu le rhum de campagne et la sa- laison. Le vent, ayant fraîchi au N. N. O., a porté l'arrière de la corvette à moins de vingt brasses de terre ; mais le havre est si bon et la tenue si forte , que nous n'avons rien à craindre. Le pilote Siddins m'a donné quelques renseigne- mens sur les îles Fidji, les mœurs et le langage des insulaires. La plupart des personnes que nous rencontrons ici nous parlent avec plaisir des relations qu'elles ont eues avec les officiers français de la Thétis et de l'Es- pérance. Leur séjour à Sydney a été de deux mois et demi , et les habitans sont très-étonnés de ce que je ne veux pas m'y arrêter plus de quinze jours. 9- Le café , le sucre et le charbon de terre ont été em- barqués, et le travail des calfats à l'extérieur du na- vire terminé. 10. J'ai consacré tout ce jour à travailler à ma corres- pondance ; la pluie , qui tombe depuis quelque temps, commence à ranimer les plantes presque entière- ment consumées par une sécheresse absolue qui du- rait depuis plusieurs mois , et qui avait été suivie peu de jours avant notre arrivée d'un embrasement géné- ral de la campagne, causé par les feux des naturels. 11. Comme j'étais aujourd'hui invité à dîner , ainsi que M. Gaimard, chez M. Scott, archidiacre de la co- lonie à Paramatta, nous avons accepté l'offre de M. Piper, qui nous a proposé sa voiture. Traînés par DE L'ASTROLABE. 159 quatre vigoureux chevaux, nous avons franchi en 1826. moins d'une heure et demie les quinze milles qui se- Décembre. parent cette ville de Sydney. Aussitôt je suis allé rendre ma visite à M. Marsden, dont j'avais fait la connaissance lors de mon premier voyage. J'en ai reçu l'accueil le plus obligeant; avec toute la complaisance possible , il m'a donné d'utiles renseignemens sur la Nouvelle-Zélande et les îles des Amis. Il m'a cité les noms de quelques chefs du dé- troit de Cook qui ont vécu chez lui , notamment Tip- pahi, chef d'une île dans le détroit, et Oroura, de la même tribu, qui parle un peu anglais. J'ai su par lui que décidément il n'existait point de missionnaires aux îles Fidji. A six heures M. Marsdern m'a conduit lui-même, dans son char-à-banc, chez M. Scott, qui habite une jolie campagne près Paramatta. Après le dîner, M. Pi- per nous ayant ramenés à Sydney, à onze heures trente minutes du soir nous étions de retour a bord. J'ai trouvé Paramatta peu changé, ou beaucoup pi. xxxm. moins en proportion que Sydney. Cette ville compte maintenant trois mille habitans , suivant M. Marsden. Il y a aujourd'hui un chapelain à Bathurst. Ce soir je me suis promené deux heures dansces jolis 12. bosquets, qui ont pris le nom de Madame Macquarie, pl- xxx- avec M. de Rossi, chef de la police à Sydney, frère d'un des officiers supérieurs de notre marine. Il m'a dit qu'il n'estimait encore qu'à cinquante mille âmes la population anglaise de la Nouvelle-Galles du sud. Maintenant les convicts qui arrivent d'Europe sont 160 VOYAGE 1826. distribués aux propriétaires libres sous certaines con- Décembre. Citions , et ce n'est qu'au bout d'un temps fixé qu'ils peuvent être admis à travailler pour leur propre compte. 13. Je reçois enfin une lettre de M. Mac-Leay, secré- taire du gouvernement , qui m'annonce que la chaîne est accordée. Aussitôt je donne l'ordre d'aller la prendre , et en même temps cinquante brasses de pe- tite chaîne pour la chaloupe. La grosse chaîne a un pouce d'échantillon et cent huit brasses de longueur; elle conviendra parfaitement à nos grosses ancres. Muni de ces objets précieux, désormais je vais entre- prendre , avec plus de confiance , les reconnaissances qui me sont imposées. Cependant je ne me dissimule pas que deux chaînes sont encore peu de chose ; il en faudrait au moins cinq ou six de diverses dimensions ; c'est ce que m'écrivait avant mon départ l'habile capitaine King, qui connaissait parfaitement les dan- gers de nos explorations. Du reste, nous ferons ce que nous pourrons avec ces faibles moyens, et par notre vigilance nous tâcherons de suppléer à ce qui nous manque. Après avoir dîné chez le gouverneur , je me suis entretenu quelque temps avec le capitaine Barlow , qui arrive de l'île Melville où il a commandé près de deux ans. Le pays en est aride, l'eau et le bois y sont très-rares ; les productions sont les mêmes qu'à Sydney. Il n'y a point de palmiers. Les alligators y sont fréquens, et atteignent quinze à dix-huit pieds de longueur. On jouit en général, dans l'île , d'un très- DE L'ASTROLABE. 161 beau temps, surtout en mai, juin, juillet et août. La 1826. colonie ne comptait que cinquante soldats et une tren- Décembre. taine de convicts. Le capitaine pensait que les convicts resteraient encore toute cette année, et doutait même qu'ils dussent être transférés comme on nie lavait as- suré, et comme je lavais lu dans les journaux. Me trouvant à diner chez M. Mac-Leay avec 14. M. Marsden, j'ai insensiblement ramené celui-ci sur le sujet des jXouveaux-Zélandais. Il m'a raconté plu- sieurs circonstances de ses voyages parmi ces peuples extraordinaires; la parfaite concordance de ses ré- cits avec les relations qui en ont été imprimées, m'a fait le plus grand plaisir, parce qu'elle m'a confirmé l'entière confiance qu'on devait leur accorder. Ce matin M. Marsden est venu déjeuner avec moi, 15. accompagné d'un autre ecclésiastique nommé M. Wil- kinson. Le premier m'a remis des lettres pour les missionnaires de Tonga -Tabou ; le second m'a procuré deux crânes et quelques ossemens de deux indigènes de Sydney, l'un adulte, et l'autre enfant. Au point du jour on a reconnu que deux de nos 16. matelots nommés Jean (Jacques) et Lisnard (Antoine) s'étaient enfuis dans la nuit avec le bot, en le lais- sant ensuite aller en dérive; heureusement on l'a re- trouvé au milieu du chenal devant la pointe de Beni- long. Quant aux matelots, ce sont d'assez mauvais su- jets , et je tiendrais peu à les ravoir pour eux-niènies ; cependant, pour saisir l'occasion de donner un exem- ple aux autres , et ôter à leurs compagnons l'envie de les imiter par la suite, j'ai sur-le-champ demandé par TOME I. 11 162 VOYAGE 1826. écrit au secrétaire du gouvernement et au chef de la Décembre. p0]ice ? d'ordonner toutes les démarches possibles pour saisir les fugitifs ; je promettais, en outre, douze piastres pour chacun à celui qui les ramènerait. Toute la farine de campagne a été embarquée au- jourd'hui ; elle est contenue dans cinquante-cinq quarts en bois du pays , qu'il a fallu faire fabriquer. J'ai fait mes visites d'adieux au gouverneur et aux autres personnes de la colonie qui m'ont fait des poli- tesses. Mon rapport au ministre sur les opérations de la campagne et toutes nos lettres ont été renfermés dans un même paquet, adressés à M. l'ambassadeur de France à Londres, et portés chez M. Mac-Leay, qui s'est chargé de les faire expédier par le Regalia. Les quatre caisses d'histoire naturelle que nous en- voyions en France, avaient été remises hier, par M. Ni- cholson, à bord du même navire, et portaient la même adresse. Après midi, je suis allé me promener autour de la ville; j'ai visité la grande caserne que l'on cons- truit pour les convicts, aux portes de Sydney, près de la route du fanal. Le corps principal du bâti- ment sera arrondi, et accompagné de six ailes dispo- sées en hexagone, le tout environné d'une immense enceinte formant un carré régulier. Les murs seuls de celle-ci, qui ont quinze à vingt pieds d'élévation et une prodigieuse épaisseur , sont terminés , et l'on ne voit encore que les fondemens de la caserne. La cons- pi. xxxi. truction de l'église catholique a fait très-peu de pro- grès depuis trois ans ; par un orgueil mal placé , cet DE L'ASTROLABE. 163 édifice a été entrepris sur un plan trop vaste, et les 1826. fonds ont manqué. Dans un dernier voyage à l'eau la cale s'est trouvée 17 décembre. remplie. On a relevé l'ancre de tribord ; celle de bâ- bord , qui était prodigieusement enfoncée dans la vase, a été soulagée , puis on a tout préparé pour l'appa- reillage. Vers trois heures après midi , un habitant qui pos- sède une petite propriété de l'autre côté de la baie, nous a ramené nos deux déserteurs avec leurs effets et divers objets qu'ils avaient emportés avec eux. Cet habitant les a trouvés dans les bois à deux milles de son habitation, et s'est rendu maître de leur personne par surprise , en leur offrant de les conduire chez lui, et de les y receler jusqu'à notre départ. Les vingt-quatre dollars que j'avais promis lui ont été remis , et les deux coupables ont sur-le-champ reçu une punition propor- tionnée à leur faute. C'est ainsi que nous avons employé notre relâche à Port-Jackson. Elle a été très-utile à la mission; nous partons d'ici pour nos travaux ultérieurs , aussi bien pourvus que nous l'étions à Toulon. On pourrait même dire que nous sommes mieux disposés, puisqu'il n'y a pas un seul malade à bord , et que nous nous trouvons maintenant munis de ces précieuses chaînes qui seules peuvent assurer le salut de l'Astrolabe au travers des coraux où elle sera obligée de mouiller. On a vu cependant qu'impatient de commencer les travaux proprement dits de la campagne, j'ai réduit notre relâche au plus court délai possible. Durant ce 164 VOYAGE DE L'ASTROLABE. 1S26. séjour, tous mes momens ont été si complètement rem- Décembre. pjjs ^ sojt p0ur les soins ordinaires du service , soit par les visites et les devoirs de convenance près des auto- rités locales , qu'il m'est resté bien peu de temps dis- ponible pour recueillir des notes touchant cette inté- ressante colonie. Je me bornerai donc à offrir au lecteur un résumé succinct de la fondation, des progrès et de l'état actuel de la colonie. Les deux premiers articles seront ex- traits de divers ouvrages imprimés depuis long- temps , notamment des relations de Barrington et Col- lins, et le troisième le sera principalement des journaux mêmes de Sydney, publiés peu de temps avant notre passage en cette ville. Cette digression formera l'objet or. entier des deux chapitres suivans. NOTES NOTES. Extraits des Journaux des Officiers de l'Expédition. page 47- A six heures, nous étions de retour à Santa-Cruz, et à sept heures trente minutes à bord. Le i4 nous mouillâmes dans la rade de Sainte-Croix de Té- nériffe, et eûmes de suite l'entrée sans être obligés de faire qua- rantaine. Tant de vovageurs ont parlé de cette île et de la ville où l'on aborde, que je n'aurais fait qu'indiquer notre passage et simplement mentionner un voyage que nous fîmes au sommet du Pic , s'il existait de bonnes et récentes relations sur la manière de gravir cette haute montagne. Qu'on me pardonne donc les détails, peut-être trop minutieux, dans lesquels je vais entrer, que passeront ceux qui ne doivent point y aller, mais que consulteront ceux qui doivent y monter ; détails que, du reste , j'aurais été bien aise de trouver ailleurs. Le Pic étant dans la partie de l'île opposée à celle où l'on aborde , pour s'y rendre , on a besoin d'un train de conduc- teurs et de chevaux assez considérable. 11 est même nécessaire d'avoir des vivres qui puissent se conserver plusieurs jours. Le consul voulut bien se charger de nous faire avoir des 168 NOTES. chevaux; et, le îG au matin, le commandant et son domesti- que, M. Gaimard et moi, nous partîmes de Sainte-Croix. Notre bagage , composé de vêtemens pour le froid , de boîtes et de papiers pour l'histoire naturelle, de vivres, etc., le tout réduit au strict nécessaire, était porté par un seul cheval de bât conduit par un homme. Deux guides chargés de nos chevaux de selle suivaient à pied; l'un d'eux portait un baromètre de Bunten. On monte jusqu'à la Laguna , jolie petite ville distante de la mer de deux lieues, par un chemin difficile, mal entretenu et hérissé de grosses pierres volcaniques. On s'occupait cepen- dant alors à faire une chaussée depuis Sainte-Croix jusqu'au fort qui commande la route à gauche. Il faut convenir qu'on aurait une bien fausse idée de TénérifFe , si on la jugeait par ce qu'on en aperçoit de la rade, où tout paraît triste, aride et stérile , où des montagnes déchiquetées et couvertes de laves noires offrent à peine des traces de végétation. Rien n'est plus sombre , surtout la partie droite de la rade , lorsqu'elle est en- veloppée de nuages. Cet aspect est à peu près le même jusqu'à la Laguna. Les céréales ne viennent qu'au travers des scories. Mais passé ce lieu , la scène change , et l'on se croit transporté dans les plaines les plus fertiles de la France; en effet, tout était cultivé et couvert de blé. Bientôt après, en côtoyant la mer d'une lieue , plus ou moins , les vignes vinrent s'y joindre, et nous voyageâmes au milieu de la plus belle végétation, et jouissant à chaque instant des plus beaux aspects. Nous nous demandions pourquoi, au milieu de tant de moyens apparens de prospérité , tant de pauvres couverts de haillons, habitant sous des huttes plutôt faites pour des chiens que pour des hommes, et demandant sans cesse l'aumône, à tel point que le salut des enfans est de vous demander un liard (quartillo). Sur les onze heures nous nous arrêtâmes pour déjeuner à un lieu nommé Matanza , où se trouve une auberge. Il faisait très- chaud, et nos montures étaient terriblement tourmentées par les mouches. C'est là que nous eûmes le déplaisir de voir que NOTES. 169 le baromètre venait d'être cassé par celui qui le portait. En galopant sur le cheval de l'un de nous, il l'avait heurté contre la selle. La perte de cet instrument nous fut d'autant plus sen- sible, que personne n'en avait encore porté d'aussi parfait au sommet de la montagne, et que c'était un moyen de vérifier l'exactitude de la hauteur qu'on lui donne, d'après les travaux de Borda. Le commandant d'Urville voulait aussi déterminer la hauteur à laquelle viennent certains végétaux. Matanza tire son nom d'un ravin profond que nous traver- sâmes, et dans lequel les Espagnols qui occupaient cette île furent défaits par les Guanches. Depuis ce lieu jusqu'à l'Oro- tava nous avons toujours vu la mer à droite , et quelquefois de hautes montagnes à gauche; nous montions et descendions par des chemins très-roides et scabreux. Les cultures étaient le plus généralement en vignes et en maïs ; ce qui donnait au paysage une teinte d'un vert foncé , du milieu de laquelle ressortaient les sommets noircis d'anciens cratères éteints. Ces particularités se remarquaient surtout dans la plaine de l'Orolava. Nous devions aller coucher à la ville de ce nom; mais, comme la journée n'était pas trop avancée , nous descendîmes visiter le port de L'Or o ta va. Il est peu profond, et ne reçoit que des navires tirant peu d'eau. La mer y brise avec force. La ville est propre et régulière. L'architecture des maisons, quoique particulière à l'Espagne et massive, ne laisse pas que d'avoir un certain agrément, et rien même n'est plus élégant que la belle verdure des bananiers que l'on aperçoit dans les cours de quelques-unes. Nous rendîmes visite à M. Cologan pour qui M. d'Urville avait une lettre. Cette famille Cologan a, par ses politesses envers les voyageurs français, rendu , pour ainsi dire , son nom classique. Celui qui existe maintenant est un jeune homme dontles manières sont agréables : il avait passé plusieursannées à Paiis, ainsi que son épouse , et tous les deux parlaient fran- çais. A une demi -lieue environ du port de l'Orolava est le 170 NOTES. jardin botanique, belle demeure où se trouvent d'agréables ombrages qui, il faut le dire, manquent à Ténériffe où l'on paraît avoir sacrifié l'agréable à ce qui est productif. Ce lieu, maintenant négligé par les circonstances malheureuses dans lesquelles se trouve l'Espagne, fut créé, au milieu d'une plaine dépourvue d'eau et d'arbres , par un ricbe habitant qui, depuis, le céda au gouvernement. Il paraît contenir encore un assez grand nombre d'arbres et d'arbrisseaux étrangers au sol des Ca- naries. Nous y trouvâmes , par hasard , M. Berthelot , Français ha- bitant la ville de l'Orotava (qu'il ne faut pas confondre avec le port du même nom), et auquel le consul nous avait recom- mandés. Dans une ville où nous ne connaissions personne , où l'on ne trouve point d'auberge , M. Berthelot nous fut du plus grand secours, non-seulement en nous offrant sa maison, mais encore en nous procurant un guide et en nous donnant tous les renseignemens convenables pour aller au Pic : car ce n'est, à proprement parler, que de l'Orotava que commence l'ascen- sion. Sans lui nous nous fussions trouvés fort embarrassés et à la merci de nos conducteurs. Ceux que nous avions pris à Sainte-Croix ne connaissaient point le chemin de la montagne ; il fallut s'en adjoindre un autre , et de plus un cheval chargé d'eau, et son conducteur, parce que l'on n'en trouve point dans l'endroit où l'on couche. Il faut aussi que toute la troupe, hommes et animaux , aient des vivres pour deux jours. Autre- ment, je lé répète, on peut manquer son voyage. On vient déjà de voir que nous nous étions presque aventurés jusqu'à l'Orotava , croyant y trouver à coucher et des guides. Le mieux est, lorsqu'on a du temps, de s'assurer de ces choses avant de partir de Sainte-Croix. M. Berthelot est créateur et directeur d'un lycée dont l'en- seignement est modelé sur ceux de France. Malheureusement pour les Canaries, on parlait de le faire fermer. Entre autres professeurs, il s'était adjoint, pour les mathématiques, M. Au- bert , Français depuis long-temps fixé en Espagne , et que les NOTES. 171 troubles de la Péninsule avaient forcé de venir à Ténériffe. Tous deux cultivaient les sciences avec succès , et joignaient celles d'agrément aux plus immédiatement utiles. C'est ainsi qu'ils sont très-bien versés dans la botanique, surtout celle du pays. M. Aubert écrit même sur la physiologie végétale, et M. Bcrtbelot adresse de temps en temps des Mémoires aux so- ciétés savantes. Je me souvenais parfaitement d'avoir vu de lui, dans le journal de M. de Férnssac , la description d'une nou- velle espèce de violette qui ne croît que sur les flancs et au sommet du Pie, et qu'il nomme Viola tcydensis. Les momens que nous avons passés dans la société de ces messieurs ont été courts, mais nous pouvons dire très-agréables. La ville d'Orotava est grande, les rues sont larges, bien pavées, mais fatigantes par la rapidité de leur pente; quel- ques maisons sont belles. Celle de notre bote, vaste et propre à un établissement public , contient précisément, dans son jardin, le fameux dragonnier, antiquité végétale à laquelle les amateurs vont rendre visite, et qui, depuis la conquête des Canaries , n'avait varié ni en hauteur ni en épaisseur. Mais dans ces derniers temps un coup de vent avait abattu sa tête respectable. Le reste était entretenu avec beaucoup de soin. Sa circonférence est de quarante-huit pieds ; la hauteur de sa tige, jusqu'à la naissance des branches, de vingt-deux. Le lendemain matin à huit heures, notre petit équipage, composé de neuf personnes et sept chevaux, quitta la ville. Partout nous étions pris pour des Anglais : ce qui indique que ce sont eux qui font le plus souvent de ces courses. Nous com- mençâmes à monter par les chemins les plus scabreux que j'aie vus de ma vie. Mais telle était la bonté de nos chevaux que pas un ne broncha, soit en allant, soit en revenant, sur ces pavés basaltiques qui étaient parfois très-glissans. Peu habitués à des pentes aussi rapides , nous descendions et nous voyions alors ces animaux galoper dans des sentiers en vraie forme d'escalier. Ceux de nos guides qui étaient montés ne descendaient jamais, et allaient presque toujours le trot. Les chevaux de ces îles 172 NOTES. unissent la plus grande sobriété au courage et à la solidité du pied. Peu après l'Orotava on trouve quelques fermes et des bois de marronniers francs. On entre alors dans des nuages épais qui , couronnant pendant plusieurs mois de l'année ce premier plan de bauteur, empêchent de distinguer le Pic , de la ville d'où il paraît très-majestueux lorsque les nuages n'existent pas. Après deux heures de marebe nous déjeunâmes sous un grand et magnifique pin isolé, au bord d'un ravin profond et où l'on trouve de l'eau. C'est el Pino del Tornajito. La température y était très-fraîche. La végétation de ce lieu, presque toute de hautes bruyères, est assez abondante : mais, à mesure qu'on avance, ces arbrisseaux deviennent plus rares, les laves plus amoncelées, et la terre végétale moins abondante. Aux envi- rons de la caverne del Pino , on ne marche même plus que sur des scories légères. Alors on est débarrassé des nuages, et avant que d'y arriver on trouve abondamment le cytise dont les fleurs jaunes répandent dans l'atmosphère une forte odeur de baume du Pérou. A une heure on détourna un peu sur la gauche pour se re- poser dans la caverne et y mettre les chevaux à l'abri du soleil. Cette cavité, où l'on a peine à tenir debout, est à peu près la moitié du chemin pour arriver à la couchée. C'est là qu'on com- menceàvoiren assez grande quantité le Spartiumsupranubium. La montagne deTuffa rougeâtre, qui esta gauche, en abeaucoup à son sommet. Chaque pied de ce grand arbrisseau forme des touffes peu élevées qui s'étalent en rond. Sa couleur est glauque, et ses fleurs blanches exhalent la même odeur que celle de la plante précédente. Les animaux qu'on rencontre à cette hau- teur sont un martinet qui se rapproche beaucoup du nôtre, un lézard d'un gris presque noir, et sous les pierres une grosse pimélie. A deux heures nous partîmes de la caverne del Pino. La cha- leur était assez forte , mais franche et sans accabler; l'air d'une pureté et d'une transparence remarquables; les contours des corps NOTES. 173 se dessinaient avec la plus grande netteté. Me servant habituel- lement d'un verre concave pour voir à distance, j'ai cru m'apereevoir qu'à celte hauteur je n'en avais presque plus besoin : beaucoup plus haut il n'en fut pas ainsi. Nous nous détournions souvent pour voir ce qu'on nomme à juste titre la mer de nuages, dont nous allons bientôt parler. A trois heures et demie environ , nous entrâmes dans les Ca- nadas ; c'est une très-vaste plaine ondulée, ayant peu de végé- tation et remplie de soupiraux éteints, de courans et de murs de laves dirigés dans tous les sens. Le sol est enlièrement cou- vert de très-petits fragmens d'obsidienne jaunâtre et fibreuse, qui ressemble beaucoup à des ponces. Nos chevaux, débarrassés des mouches et facilités par la route, allaient assez vite; ce- pendant nous mîmes plus d'une heure à traverser ce plateau, où, nous dit-on, la chaleur est quelquefois si grande nue des chevaux y périssent : tandis qu'il est une saison où il y fait bellement froid, qu'on nous montra un lieu marqué d'une croix où était morte une pauvre femme qui s'était hasardée à y aller chercher de la neige. Du milieu des Canadas on commence à apercevoir vers l'une des extrémités le dôme immense du Pic dont la forme et les teintes changent à mesure qu'on en appro- che. A cette distance on ne se doute vraiment pas de quel côté on attaquera cette montagne pour y monter. A sa gauche nous traversâmes une petite montagne dont les ondulations, aussi agréables qu'uniformes, étaient produites par de petits morceaux d'obsidienne poreuse dont la couleur jaune offrait plusieurs va- riétés de cette teinte. Les pieds des chevaux y enfonçaient assez avant. A la superficie du sol et à d'assez grandes distances les unes des autres, étaient d'énormes boules de basalte noir à cristaux de feldspath ; quelques-unes avaient de vingt à trente pieds de diamètre, et étaient fendues par le milieu; d'autres avaient quelques-unes de leurs parties façonnées en petits pris- mes. Ces blocs isolés, lancés, dans des temps bien éloignés, de l'intérieur du cratère , semblaient avoir été posés là comme avec la main. On ne voit sur cette montagne d'autre végétal que la 174 NOTES. violette de Teyde, encore y est-elle assez rare; mais plus haut on trouve des spartium rabougris et dont les branches sont étendues sur la terre. Ils donnent abri à quelques lapins qui vivent dans ces régions. Sur les cinq heures nous étions au pied du dôme. Nous pûmes encore le gravir, monter pendant une demi-heure jus- qu'au lieu appelé la Station des Anglais (Estancha de los In- gleses). Toutefois, encore que le sentier allât en zigzag, nos chevaux , enfonçant dans de gros fragmens d'obsidienne , n'en pouvaient plus , et nous fûmes obligés de descendre. C'est dans cet endroit qu'on doit passer la nuit. Cependant on peut encore aller, avec les chevaux , coucher à quelques centaines de pas plus haut, à Alta-Vista, sous des blocs arrondis de basalte ; mais la disposition naturelle de ceux de la Station des Anglais est plus commode et l'espace plus grand. On n'y est point abrité au-dessus, et un vent fort et par raffales y souffle de toutes parts. Nos chevaux déchargés , notre premier soin fut de faire du feu dans l'emplacement où nous devions dormir. Nous nous servîmes des restes de spartium que nous pûmes trouver près de nous, et, quoique le bois fût vert, il brûlait avec la plus grande facilité en jetant de longues flammes vives; ce qui contredit manifestement ce que rapportent certains voyageurs des montagnes d'Europe, sur lesquelles la combus- tion serait lente et difficile. Cependant la hauteur à laquelle nous étions , environ mille six cents toises , égale celle de nos montagnes les plus élevées. On dit aussi que la raréfaction de l'air diminue l'intensité du son. Nous ne nous en sommes point aperçus en tirant un coup de fusil; et nous avons éprouvé, pour la voix, le phénomène contraire à un très-haut degré. Car, m'étant par hasard transporté sur une roche un peu élevée au-dessus de notre camp , et à quarante pas environ de distance, j'entendais MM. d'Urville et Gaimard, qui causaient auprès du feu , comme si j'eusse été avec eux. J'en fis la remar- que ; ils baissèrent la voix, ainsi que moi , et nous finîmes par converser et nous entendre tout-à-fait à voix basse, de telle NOTES. 175 manière qu'en plaine il eût fallu être à dis pieds les uns des autres pour nous entendre. Après souper, nous mîmes des vêtemens plus chauds pour passer la nuit auprès de notre feu. Nos gens, de leur côté , en avaient aussi allumé. Voici quoi fut l'état du thermomètre cen- tigrade. A cinq heures et demie il marquait i5°; à sept heures et demie, i i° 8 ; et le matin , à trois heures et demie, seule- ment 8°. Il e&t probable qu'au milieu de la nuit il avait été près de zéro. La lumière que lançaient les étoiles paraissait singu- lièrement affaiblie. Je ne pus fermer l'oeil de toute la nuit, et cela par une cause dont on ne pourrait guère se douter, par des puces dont ce lieu était plein. MM. Aubert et Bcrthclot avaient aussi éprouvé la même incommodité que nous, ou plutôt que moi; car mes deux compagnons dormirent bien. Seul aussi j'éprouvai une gène dans la respiration , qui me for- çait toutes les cinq minutes à une forte et grande inspiration. De ma vie je n'avais ressenti ce malaise, qui tenait manifeste- ment à une moindre pression de l'atmosphère et qui disparut en descendant. Ne pouvant pas dormir, je trouvai plaisant d'écrire de ce lieu , et au crayon , à un de mes amis de France. J'ignore si ma lettre lui sera parvenue. Dès que le jour parut, à quatre heures, tous trois, sans aucun bagage que de l'eau-de-vie et du biscuit, nous suivîmes notre bon vieux et complaisant guide Antonio. La montée, qui se fait entre deux larges et courtes coulées de laves, devient de plus en plus roide. On trouve encore parmi les obsidiennes vitreuses et fibreuses quelques bouquets de violette, rares à la vérité ; mais, arrivé à l'endroit d'où sont sortis les deux courans, toute végétation a cessé, et l'on ne marche plus qu'en passant d'un bloc de roche à un autre, dont quelques-uns sont quel- quefois vacillans. Il n'y a plus de sentier tracé. S'il peut y avoir quelque danger à monter le Pic, ce n'est que là; et ils se bornent aux fortes déchirures et contusions qu'on pourrait se faire en glissant dans ces anfractuosités. Il serait peut-être pos- sible de s'y casser une jambe , mais jamais d'y disparaître et 176 NOTES. de courir risque de la vie. Ainsi il n'y a point de précipices à craindre. Tout ce qui a été dit à ce sujet est exagéré. Nous en avions été prévenus d'avance par M. Berthelot, qui nous avait dit au juste ce qui en était de ces prétendus dangers. Nous croyons bien , par exemple , qu'il doit être difficile de passer, sans quelques chutes, parmi ces pierres amoncelées, lorsqu'elles sont en partie recouvertes par la neige ; ce qu'il n'est pas facile de constater sans en approcher. A l'époque à laquelle nous y étions, il y en avait encore assez abondamment sous les pre- mières couches de lave. Elle était en assez gros flocons cristal- lisés et agglomérés. Nous en mangeâmes. Il arrive quelquefois, d'après ce qu'on nous a dit , que le matin , avant qu'on soit joint par le soleil , le froid est vif, et devient insupportable aux mains. Pour nous, ce ne fut qu'une grande fraîcheur. Dans tous les cas , il est bon d'avoir des gants. Nous faisions de fréquentes haltes qui me convenaient d'au- tant mieux, qu'à la gêne de respirer s'était joint un malaise d'estomac en tout semblable au terrible mal de mer, que je m efforçais de vaincre vainement; il dura tout le temps que je demeurai dans ces hautes régions. Je le calmais un peu en man- geant de temps en temps des biscotins que me donnait mon ami Gaimard. Plusieurs personnes ont encore éprouvé ce symp- tôme , qui a même quelquefois été jusqu'au vomissement. Ainsi que le précédent, je ne l'avais jamais éprouvé sur les nom- breuses montagnes que j'avais gravies. Il est vrai que leur hau- teur ne dépassait pas sept ou huit cents toises. D'un certain point notre guide aperçut et salua le cône qui s'élève du milieu du grand dôme , et qu'on nomme el Pilon. Au sommet de ce grand dôme est une sorte de petite plaine hérissée de massifs de laves basaltiques. Du milieu de quelques-unes sor- tent des vapeurs aqueuses et très-chaudes, et des mousses tapis- sent ces fissures brûlantes. De là nous voyions s'élever devant nous ce piton que commençaient adorer les premiers rayons du soleil, et dont la pente, recouverte de petites obsidiennes mo- biles, était plus roide encore que tout ce que nous venions de NOTES. 177 franchir. Nous y parvînmes en nous aidant des pieds et des mains. A la base on enfonce au-delà des chevilles; mais vers le milieu on est facilité par des laves basaltiques plus solides auxquelles on se cramponne. Tl est prudent d'aller tous de front, et non les uns au-dessus des autres, afin d'éviter les pierres plus ou moins grosses qu'on fait crouler avec les pieds. Près du sommet sont de petites fumerolles à odeur de chlore , dont la chaleur permet à peine d'y tenir la main. Enfin nous arrivâmes au cratère, qui est tout-à-fait au sommet du cône, à six heures et demie , c'est-à-dire deux heures et demie après notre départ de la couchée. Le ciel était pur, sans aucun nuage, avec cette teinte d'un bleu sombre, propre aux grandes hau- teurs. D'après le récit de divers voyageurs, on y ressent tou- jours de rapides courans d'air. Un vent de la partie du nord , qui soufflait par raffales, interrompait seul le calme et le silence qui régnait dans ces lieux. Quoique la température fût à i3°, nous ressentions assez de froid pour rechercher le soleil. A cet effet , nous descendîmes au fond du cratère où nous déjeu- nâmes. Cet entonnoir, qui semble maintenant réduit à sa plus petite expression, occupe tout le sommet du dôme; il se dirige obli- quement à peu près du nord au sud; ses parois sont irrégulières et formées de gros blocs de basaltes blanchis par les émanations sulfureuses. On ne peut y pénétrer commodément que par le point où l'on arrive ; encore la pente intérieure est-elle rapide. Le dedans offre un assez grand nombre d'ouvertures, ou fume- rolles, de quelques pouces de diamètre, laissant dégager une grande quantité de vapeurs à odeur de chlore. Les bords de quelques-unes sont tapissés de cristaux aciculaires de soufre, et le sol est en partie imprégné de cette substance, de même que d'efflorescences assez régulières d'alumine , et peut-être de sulfate de fer. L'alumine y forme aussi une pâte blanche sur laquelle on glisse. Le guide nous dit que les vapeurs étaient quelquefois plus intenses et sortaient avec bruit. Celles que nous voyions augmentèrent et diminuèrent pendant le peu de 178 NOTES. temps que nous y séjournâmes. A sept heures, au soleil, le thermomètre marquait 19°. C'est de ce point élevé que nous pûmes contempler à loisir cet amoncellement de nuages, qui, ceignant l'île dans tout son contour et à une certaine hauteur, formaient sous nos pieds de vastes plaines d'un blanc cotonneux , nommées avec assez de justesse mer de nuages. L'œil se reportait toujours avec plaisir sur ces flocons légers qui paraissaient immobiles dans leurs li- mites. Quelques-unes des hautes montagnes des îles environ- nantes pointaient au milieu ; et, dans quelques ruptures de ces météores , nous crûmes quelquefois apercevoir la mer à sa teinte bleuâtre. Si nous eûmes ce coup-d'ceil, d'un autre côté nous fûmes privés d'embrasser l'ensemble de l'île. A la droite, au-dessous de nous, nous vîmes sur un sol rougeâtre plusieurs petits cônes de neige qui n'était pas encore fondue. Ce n'est que du sommet du Pic de Teyde, qu'on peut se faire une idée bien exacte de la formation de cette montagne. Elle paraît si simple , qu'au premier aspect elle frappera tout observateur. L'île entière est volcanique , et divers systèmes de feu ont contribué à la former. Celui du Pic a été le plus consi- dérable , et la base, sur laquelle il repose sa masse ou le cône principal , a été elle-même tout un immense cratère de plu- sieurs lieues de diamètre. En effet, tout l'espace connu sous le nom de Canadas est le fond plus ou moins régulier de ce cra- tère, d'où on voit encore des débris de vastes parois parfaite- ment conservés et élevés comme des murs. Deux brisures , l'une du côté de l'Orotava , l'autre par Ico , ont donné lieu à des écoulemens de matière en fusion , d'où ont été formées ces montagnes d'élévation secondaire qui s'appuient sur les flancs de la base du Pic. En faisant entrer, comme cela doit se faire, les siècles dans la production des phénomènes qui nous occu- pent , nous aurons les mille formes et directions de laves qu'on trouve dans la plaine des Canadas. Mais une éruption, plus puissante que toutes les autres , a fait sortir le dôme du Pic avec ses basaltes et ses obsidiennes. Qui sait si à ces époques de NOTES. 179 toute-puissance qui n'existent plus, ce n'est point dans l'espace de quelques jours, dans une nuit peut-être ! Voilà deux montagnes élevées l'une sur l'autre. Mais ce dôme était lui-même en ignition. lia fourni les diverses cou- lées qui sillonnent ses flancs, dont deux surtout entre lesquelles on monte, et terminées brusquement, sont plutôt des amas basaltiques que de vraies coulées. Enfin il a produit de la même manière qu'il l'a été lui-même, le dernier cône ou le piton qui, quelque jour peut-être, remplira son cratère, et élèvera un troisième cône. L'idée aussi simple que juste qu'on doit se faire de cette formation , est représentée par les tuyaux décrois- sans d'une longue vue. Le dernier dôme ou le piton paraîtrait avoir principalement lancé de ces petites obsidiennes pulvérulentes, qu'on pren- drait facilement pour des ponces, car tout le sol des Canadas en est complètement recouvert; une petite montagne sur la- quelle on passe avant que de monter le Pic en paraît entière- ment formée, et on en trou\ (beaucoup sur le Pic même. Là elles sont plus volumineuses et souvent unies à l'obsidienne en verre irisé et verdâtre : ce qui , dans le même morceau , indique des degrés divers de fusion. J'avais beaucoup amassé de ces échan- tillons qui doivent être rares dans les collections; le guide qui en était ebargé les perdit. Cette obsidienne en verre dont on trouve d'assez gros morceaux, variables dans leurs teintes, est remarquable par sa fragilité. En général toutes les laves du Pic se distinguent de celles qu'on voit à Sainte-Croix, en ce qu'elles ne sont point poreuses et manquent d'olivine et de pé- ridot. N'ayant point parcouru les autres parties de Ténériffc, je me suis simplement borné à donner une idée générale du Pic et des moyens d'y monter. Deux savans du premier ordre , MM. Cordier et de Buch , l'ayant exploré avec soin, ont dû donner à ce sujet tous les renseignemens géologiques conve- nables. Toutefois je n'ai point encore eu connaissance de leurs relations. >■>' 180 NOTES. C'est à tort qu'on prend la couleur blanche du sommet du Pic pour de la neige ; ce n'est que celle des obsidiennes. Si on en voit quelquefois dans la saison où il en tombe , ce ne peut être que sur les flancs du grand dôme. La descente del Pilon s'opère avec rapidité. C'est avec plaisir qu'en posant le pied dans ces petites obsidiennes légères, on s'y enfonce à moitié jambe. Il n'en est pas de même dans celles, plus grosses , qu'on trouve après avoir franchi les blocs de basalte , et dont quelques-unes coupent comme le verre dont elles ont l'aspect. Alors il est bon de suivre le sentier tracé. Ne le faisant pas toujours, je me fis en tombant quelques coupures aux jambes. Ayant appris et lu, dans des relations, que les chaussures étaient brûlées au sommet de la montagne parles vapeurs sul- fureuses, et mises en pièces par les rochers , nous nous en étions pourvus de rechange : c'était bien inutile, les nôtres ne furent pas le moins du monde endommagées par le feu , et seulement un peu limées par les obsidiennes. Elles ont servi beaucoup de temps encore à d'autres courses. Il est bon d'avoir des demi- guêtres en peau ou en toile pour prévenir l'entrée des petites pierres dans les souliers. J'allais oublier de parler de la Caverne des Neiges (Cueva de las Nievcs) que nous visitâmes au retour. Comme elle est pres- que sur la route, sur les flancs du grand dôme, on peut aussi bien le faire en allant. Elle est formée de grands blocs basalti- ques entassés les uns sur les autres, sans beaucoup d'ordre. Elle est spacieuse; son entrée droite et profonde a douze à quinze pieds. On m'y descendit avec une corde. J'y trouvai de la neige et une assez grande quantité d'eau gelée jusqu'à la su- perficie. De très-belles et grosses stalactites de glace pendaient à la voûte, et, pendant que je recueillais des conferves dans de l'eau à la température de zéro', le soleil qui pénétrait par l'ou- verture me brûlait le dos. Quoique ce soit là qu'on vienne quelquefois chercher la glace dont on sesertàla ville de Sainte- Croix , on ne s'est point encore avisé d'y placer une échelle à NOTES. 181 demeure au lieu des bâtons qu'on laisse pour y descendre. A six heures nous étions de retour à l'endroit où nous avions eouché, el , comme nos chevaux n'avaient eu que peu à boire avec l'eau que nous avions apportée, et presque point à manger, qu'une petite quantité d'avoine, nous nous mîmes en route et gagnâmes tout d'un trait la station del Pino , dans les nuages, et qui se trouve près de l'Orotav a. Avant que d'y atteindre, nous eûmes un mirage assez fort pour prendre des chèvres pour des chevaux. Ces animaux vivent, dans ces solitudes , dans un état demi sauvage. Ils vont jusqu'aux Canadas, et l'on peut même en tuer pour manger sur le Pic sans que les propriétaires le trouvent très-mauvais, lorsqu'ils viennent à le savoir. A cl Pino nous dînâmes, et nos chevaux trouvèrent de l'eau et de l'herbe; puis nous descendîmes jusqu'à l'Orotav a en chassant. Le pav é était tellement en pente et glissant que sur des che\ aux fatigués nous ne voulûmes pas nous hasarder à le parcourir. Pas un d'eux ne broncha cependant. Des hauteurs, aussitôt qu'on a laissé les nuages, le coup-d'œil est charmant. C'était fête ce jour-là à la ville, aussi eûmes-nous à en traverser toute la population. Nous couchâmes chez M. Berthelot qui , le len- demain, voulut bien nous accompagner à Sainte-Croix, et passer le jour suivant avec nous à bord. Nous laissâmes à l'Oro- tav a notre guide du Pic', qui nous demanda neuf piastres. Nous dînâmes à l'hôtel de Matanza , et, arrivés en cet endroit de la route qui est traversé par un aqueduc en bois supporté par des pieux, M. Berthelot nous dit que nous n'étions qu'à cinq cents pas d'une grande forêt, et cependant nous ne voyions point d'arbres. Mais en s'élevant un peu sur la droite nous aperçûmes celle qu'on nomme d'Aguas-Garcias. Elle est magni- fique, et ressemble aux forêts vierges d'Amérique. Il y a des arbres très-gros; ceux de l'entrée sont des bruyères d'une gros- seur et d'une élévation telles que je n'en avais point encore vu de semblables. C'est le seul lieu de notre course où nous trou- vâmes un petit ruisseau coulant sur les pierres d'un ravin. En général, l'eau manque à Ténérilr'e. Nous v trouvâmes des 182 NOTES. parmacelles et une ancille qui formera certainement une es- pèce nouvelle. Dans la route nous prîmes sur le Carduus-Mariana beaucoup de papillons cardinaux , belle espèce rare et imparfaite dans les parties méridionales de la France. Enfin, le soir, assez tard, chargés de roches et de plantes , et surtout très-fatigués , nous allâmes coucher à bord de la corvette , après quatre jours d'ab- sence , temps strictement nécessaire pour le voyage du Pic. En demeurant un jour de plus à l'Orotava, en descendant, on se reposerait convenablement. L'ensemble du voyage a coûté quatre cents francs, y com- pris les guides et la nourriture des hommes et des chevaux, ce qui était réglé à chaque halte, et ce dont les conducteurs étaient chargés de s'occuper. Sans l'hospitalité que nous trouvâmes chez M. Berthelot, les frais eussent dépassé cinq cents francs. Encore ne faut-il pas faire entrer en compte les vivres que nous avions en assez grande quantité. Ce sont les Anglais, habitués à répandre l'argent avec profusion , qui font monter si haut les dépenses de ces courses ; car les vivres et les autres denrées sont à assez bon compte , et Ténériffe , où les fortunes sont mé- diocres , est loin d'avoir le luxe des colonies. (Journal de M. Quoj.^ page 58. Les bœufs et les légumes y sont à bon compte , et le prix de la volaille le même qu'à Ténériffe. Le 27 nous eûmes connaissance des îles du Cap-Vert (celles de Buena-Vista , de Sal et de Mai), et le 29 nous mouillâmes sur celle de Santiago (Saint-Jacques), dans le fort de la Praya, lieu d'un aspect affreux, formé de rochers abruptes et de laves noires dépourvues de végétation. La ville, qui apparaît au fond de la baie , est assise sur un de ces rochers ; et, après être NOTES. 183 débarqué , il faut faire un assez grand contour pour y arriver. C'est tout ce que nous avons à dire d'un lieu qu'une courte re- lâche nous a empêché d'explorer; mais la grandeur de l'île et la hauteur des montagnes font présumer qu'ainsi qu'à Téné- riffe , les sites intérieurs doivent être plus agréables. Nous croyions aussi trouver les vivres à meilleur compte que nous ne les eûmes. 11 n'y avait cependant que quelques navires sur la rade, au nombre desquels s'en trouvait un avec pavillon anglais, que nous crûmes être celui du capitaine King; mais, par une seconde fatalité, il était parti depuis deux ou trois jours. C'était le capitaine Owen, qui, depuis quatre ans, était occupé de la géographie de Madagascar et de toute la côte d'Afrique, qui s'étend depuis ce point jusqu'au Sénégal. Pendant la durée de ce travail immense, eccommandantavait perdu quarante officiers et cent cinquante matelots. A mesure qu'il en avait besoin, il allait se recruter sur les navires qui passaient à l'Ile-de-France; et ceux qui lui restaient à cette- époque étaient tous de très-jeunes gens. De nos messieurs qui ont vu des travaux de cette expé- dition, les trouvent parfaits et exécutés avec tout le soin et la ténacité que savent y mettre les Anglais. Ce sentiment est celui de M. d'Urville et de trois de nos officiers, qui, dans notre marine, sont au nombre de ceux qui ont probablement fait le plus de bonne géographie. Le capitaine Owen , travaillant en partie pour la Compagnie des Indes, sera , nous dit-on , à son retour récompensé de ses dangers et de ses travaux par une somme de cent vingt mille francs. C'est un homme qui paraît dune grande simplicité de mœurs; et lorsqu'il vint , dans son petit canot, visiter notre commandant , à la longue barbe qu'il portait lui et ses hommes, on eut de la peine à reconnaître un capitaine de vaisseau anglais chargé d'une semblable mission. Mais dans . une pareille dépense et une si grande perte d'hommes, on n'avait pas mis tout à profit et su tirer parti d'une semblable expédition, en négligeant d'y adjoindre des na- turalistes et des personnes chargées d'observer les moeurs des peuplades nombreuses avec lesquelles on communiquait; car 184 NOTES. il n'existe sans doute aucune mer plus riche en zoophytes et en animaux marins de toute espèce. Il est vrai qu'ayant perdu quarante officiers, combien n'aurait-il pas fallu de naturalistes, qui sont plus exposés encore par la nature de leurs recherches! Quand j'en témoignai mon élonnement à M. Owcn, il répondit : « On n'a pas jugé convenable de me donner des naturalistes. » Ce qui me fait croire que ses travaux sei ont purement et simple- ment géographiques. Du reste, l'Angleterre, n'ayant pas comme nous de centre pour ces sortes d'études , paraît les négliger, ou du moins ne s'en occuper que d'une manière secondaire ; car le capitaine King n'avait pas non plus de naturalistes dans son dernier voyage au cap Horn. C'était lui qui se chargeait de- récolter le plus qu'il pouvait. M. Owen dit avoir pénétré bien avant dans une grande ri- vière, et avoir été obligé de se battre contre les sauvages afri- cains. Il louait les travaux hydrographiques de M. Roussin sur la côte d'Afrique. Le capitaine anglais avait toujours eu , pour faire les siens , deux , et même , je crois , trois navires. Il atten- dait sa conserve pour gagner^sa patrie. Dans le peu d'instans que je demeurai à terre , je vis un oi- seau de proie à cou blanc et un martin-pêcheur , que je ne pus me procurer, et que je signalerai comme étant peut-être des. espèces nouvelles. J'y remarquai aussi de gros corbeaux noirs. Nous ne demeurâmes pas un jour entier à la Praya, que nous laissâmes le 3o juin au matin , après y avoir fait une assez bonne collection de poissons riches en couleurs. (Journal de M. Quoy.} page 71 . Et nous gouvernâmes ensuite au sud avec une forte brise d'E. S. E. , et une grosse mer. Le 3i juillet de grand matin, nous voyons les rochers élevés NOTES. 185 de Marti n -Vaz , et bientôt après nous nous rapprochons de la Trinité, de manière à en faire le tour et la géographie complète. Cette île, qui n'a que quelques milles de circonférence, est assez élevée et ne présente aucun port. Plusieurs de ses points sont très-certainement volcaniques; mais je n'assure pas qu'il en soit de même de quelques-uns de ses pitons, un sur- tout qui s'élève du bord de la mer comme un long cylindre isolé. Nous y vîmes des Fous /des Frégates, dont on se pro- cura deux, et un grand nombre d'Hirondelles de mer blanches, qui paraissent semblables à celles du Grand-Océan. (Journal de M. Quoy.^ Et qui ont pénétre dans toutes les parties du na- vire. Le i5, tempête de S. 0.; le vent ne mugissait pas, mais hurlait dans les manœuvres. Nous étions poussés heureusement dans une direction qui nous était assez favorable. Les jours Buivans grosse mer et mauvais temps. (Journal de M. Quoy. ) PAGE 83. Notre horizon s'étendait au plus à un mille dans les instans les plus lucides. Le 21 septembre, nous espérions, après une aussi longue traversée, être récrées par la vue de l'île Saint-Paul que nous annonçaient des fucus et de nombreux albatros fuligineux ; mais un brouillard épais empêcha de la reconnaître. Un homme du bord nous dit que de l'Ile-de-France on y envoie 186 NOTES. quelquefois pour la pêche de la morue. Est-ce réellement de la morue ? Et, dans le cas contraire, quelle est cette espèce si abon- dante de poisson? (Journal de M. Çwoy.) page 97. Ils étaient très-contens de leur nuit et de leurs communications avec les naturels. Le 11 octobre, le commandant nous accorda la permission d'aller coucber sous la tente que nos voiliers occupaient à terre; nous voulions le lendemain commencer, à la pointe du jour, une promenade dans les forêts. Il était six heures du soir lorsque MM. Gaimard , Guilbert et moi, nous descendîmes dans le ca- not ; l'obscurité commençait, et la pluie tombait avec assez de force. Un naturel, qui avait passé la journée à bord, désira profiter de notre embarcation pour quitter le navire. Durant le trajet , ce pauvre homme, bien que garanti par les vêtemcns que les matelots lui avaient donnés , paraissait souffrir du froid, et s'apercevant que M. Gaimard allait tendre son para- pluie , il vint aussitôt se blottir près de lui. Notre débarquement offrit quelques difficultés; une grosse houle battait les rochers de la pointe à laquelle nous allâmes aborder. Nous n'étions pas à une grande distance de la tente, mais au milieu des ténèbres qui régnaient alors nous aurions pu nous égai'er. Nous chargeâmes donc notre indigène de nous guider; il parut comprendre nos signes, et se mit à marcher assez rapidement devant nous en nous adressant sans cesse des paroles que nous prîmes pour des indications complaisantes sur le che- min que nous devions tenir. Un petit marécage se rencontra bientôt ; nous vîmes alors notre guide, pour le traverser, ôter les souliers qu'on lui avait donnés à bord , et relever soigneuse- ment le pantalon qu'il portait. Lorsque nous jugeâmes que le NOTES. 187 terme de notre course n'était pas éloigné, nous poussâmes quelques cris auxquels un assez grand nombre de voix répon- dirent; le naturel avant crié à son tour d'une façon particu- lière, nous entendîmes des acclamations de joie et d'étonné- ment , et peu d'instans après en perçant quelques broussailles nous étions en présence des sauvages. Une douzaine d'hommes et deux jeunes garçons étaient de- bout autour d'un feu. Dès qu'ils nous découvrirent , les cris re- commencèrent ; mais lorsqu'ils vinrent à distinguer leur com- patriote couvert de vètemens , et décoré de colliers , de miroirs, enfin de mille bagatelles dont on lui avait fait présent, il n'v eut plus de bornes à leur gaieté. Tousse mirent à hurler et à chanter à la fois, et c'était un spectacle du plus étrange effet, que ces êtres noirs et maigres éclairés par le reflet des flammes , s'agitant, sautant, et poussant des sons qui ressemblaient à des aboiemens. De temps en temps un cri aigu et général paraissail servir de refrain à leurs chants, car toutes les voix s'accordaient pour le pousser, et il était suivi d'une courte pause. Notre sauvage, cependant, était fêté , caressé, examiné par ses amis; chaque fois qu'une nouvelle merveille frappait leurs regards , les transports renaissaient plus vifs et plus bruyans encore : et lui, pour répondre à tant de politesse, poussait de longs éclats de rire , et s'unissait d'une façon très-énergique au bruit assour- dissant de la joie commune. (PI. 23). A ce tumulte inusité , nos voiliers et nos soldats qui habi- taient la tente jugèrent qu'il se passait quelque événement ex- traordinaire ; ils accoururent sur le lieu de la scène comme pour ajouter un contraste piquant à ce bizarre tableau. Enfin, la lassitude parut mettre fin à ce délire général , et nous nous acheminâmes vers la tente afin d'y préparer les places que nous voulions occuper durant la nuit. Sept indigènes se détachèrent bientôt du groupe principal , et vinrent établir leur siège non loin de notre factionnaire. Ils choisirent suivant leur usage l'abri d'un buisson touffu , et s'ac- croupirent autour du feu alimenté sans cesse par de petites 188 NOTES. branches de bois sec qu'ils trouvaient à leur portée. Les voyant si près de nous , nous leur témoignâmes le désir d'augmenter leur cercle; cette proposition fut accueillie avec empressement, ils nous firent place, et alors commença pour nous une scène singulière, fertile en émotions neuves, et dont on chercherait en vain l'équivalent dans ces spectacles que la civilisation a inventés pour amuser l'esprit. C'est une singulière destinée que celle qui rassemble autour du même foyer des habitans si différens du même globe. Nous faisions involontairement cette réflexion qui en aurait amené bien d'autres si nos hôtes ne nous en eussent détournés. Peu oc- cupés d'idées philosophiques, ils obéissaient en ce moment aux impressions toutes physiques qui agissaient sur eux. Leurs yeux brillans et expressifs nous observaient avec curiosité , et par- couraient toutes nos personnes. Leurs mains dures et maigres touchaient alternativement nos vêtemens et notre peau, et chaque parole que nous prononcions excitait leur étonnement et provoquait leur rire. Un des moyens naturels d'entrer avec eux en conversation était de leur dire nos noms et d'apprendre les leurs. Il fallut bien des répétitions avant qu'ils parvinssent à articuler des mots pour lesquels leurs organes semblent insuf- fisans. Les s et les r surtout échappaient à leur prononciation ; enfin , ils réussirent pourtant à retenir nos noms qu'ils défi- guraient à leur manière. M. Gaimard se nommait Kaimay M. Guilbert Kilberé , notre maître voilier, Audibert, se nom- maitpoureux Ouadibé; quant à moi, ils m'appelaient Tainton. On pense bien que toutes ces épreuves n'avaient pas lieu sans beaucoup de bruit et de gaieté. A peine connurent-ils nos noms, qu'ils voulurent tous à la fois nous dire ceux qu'ils portaient eux-mêmes. Le plus âgé du groupe, assis près de M. Gaimard , se nommait Patêt (PI. 11). Son air était grave et réfléchi, ses yeux intelligens; son corps, calleux aux articulations, était couvert de poussière , et d'une saleté repoussante. Un homme , encore jeune , qui paraissait affectionner particulièrement M. Guilbert, se nommait Mokoré (PI. 11); il avait une phy- NOTES. 180 sionomic ouverte et les manières plus vives qu'aucun de ses compagnons. J'eus le chagrin de ne pouvoir entendre en au- cune façon le nom que portait mon voisin ; il était composé de syllabes sourdes et gutturales, et mon interlocuteur aimait tant à causer, qu'il me fut impossible de rien saisir dans le flux de paroles dont il accompagnait ses explications. Un enfant de douze à treize ans se nommait Yalepouol (PI. il); il nous lit entendre d'une façon fort plaisante que Patêt était son père. Cet enfant faisait à lui seul autant de bruit que tous les autres ensemble; sa petite voix aigre et glapissante dominait toutes celles de l'assemblée, et ses discours ne taris- saient point. Nous comprîmes bientôt que nos hôtes voulaient changer leurs noms contre les nôtres. Cette coutume que les voyageurs ont trouvée répandue dans les archipels du Grand-Océan , eut lieu de nous étonner chez ces pauvres humains qui semblent -i mal partagés sous le rapport de l'intelligence. Elle annonce un état de société déjà perfectionné , et nous ne pouvions pas nous attendre à la trouver établie dans une horde errante de ce pays sauvage. Quoi qu'il en soit, le changement eut lieu à leur grande satisfaction, et plusieurs d'entre eux chantèrent, à cette occasion , des chansons où nous pûmes reconnaître nos noms. Un jeune homme de la troupe paraissait jouir parmi ses compa- gnons de quelque célébrité poétique , car lorsqu'il commen- çait à chanter, le silence s'établissait, et de temps en temps un murmure flatteur semblait l'applaudir. Leur chant monotone et d'un caractère triste commence par des notes élevées , re- tombe graduellement dans un ton grave et sourd qui s'affaiblit insensiblement et finit par un long murmure auquel tous les assistans se joignent à l'unisson. M. Guilbert et moi , nous leur chantâmes un air fort gai à deux voix , et nous eûmes lieu de nous enorgueillir de notre succès , car non-seulement ils obscr- vèrent le plus grand silence, mais à la fin de la chanson ils daignèrent nous applaudir par leurs cris et leurs batlcmens de mains. Cette dernière façon d'exprimer le contentement, usitée 190 NOTES. aussi dans notre Europe , fut encore pour nous un sujet d'é- tonnement chez ce misérable peuple. Pendant que tout cela se passait, le vocabulaire de M. Gai- mard s'enrichissait d'un bon nombre de mots qui ne peuvent laisser aucun doute; car les moyens ne nous manquaient pas de renouveler nos épreuves, et la bonne volonté de nos hôtes, quoiqu'un peu bruyante , nous secondait à merveille. Nos communications avec ces indigènes nous avaient assez appris jusque-là qu'ils se souciaient peu de laisser voir leurs femmes aux étrangers. Nos nouvelles instances , dans cette soirée , furent éludées par une promesse qu'ils nous firent pour le lendemain , et qu'ils avaient certainement l'intention de ne pas tenir. A leur tour ils nous demandèrent avec les gestes les plus .significatifs , si nous étions réellement tous du même sexe. Notre réponse affirmative ne parut pas les convaincre , car ils s'adressèrent assez vivement à M. Guilbert et à moi comme pour éclaircir leurs doutes. Notre jeunesse et nos mentons rasés nous rendirent probablement l'objet de cette galante curiosité. Quant à M. Gaimard qui portait d'épaisses mousta- ches et des favoris, sa dignité d'homme ne lui fut nullement contestée. Nos amis nous demandèrent la permission de relever nos manches et nos pantalons. La contexture de nos vêtemens les arrêta d'abord , et en les examinant avec soin ils répétaient le motkingarou. Ce mot exprimait sans doute une opinion très- conséquente dans leurs idées, car, puisque le quadrupède qu'ils désignaient leur fournit leur unique vêtement, il s'ensuit tout naturellement pour eux que les hommes blancs ont aussi quel- que kingarou dont les dépouilles servent au même usage. La grosseur de nos membres paraissait les étonner, eux dont la charpente grêle est revêtue de muscles si débiles ; mais ce qui semblait surtout charmer leurs regards, c'était la blan- cheur de notre peau. Ils nous caressaient légèrement et pro- nonçaient de ces mots doux et flatteurs qui dans toutes les lan- gues expriment des sensations agréables. Notre couleur est-elle NOTES. 191 réellement pour eux un objet d'admiration? C'est une question que nous n'osons pas résoudre, bien que leurs démonstrations nous fassent peneher pour l'affirmative. Nous remarquâmes en général parmi nos hôtes des manières douces et paisibles ; ils étaient bruyans, mais leurs imporlunités cessaient au moindre geste que nous faisions. Malgré l'esiguité de leur vêtement qui leur couvre à peine les reins, nous crûmes reconnaître en eux des habitudes de pudeur, ou du moins une décence naturelle qui paraissait voiler en quelque sorte ce que leur nudité a de choquant pour nous. La soirée s'avançait et la gaieté cédait peu à peu au besoin du sommeil ; nous nous levâmes alors pour regagner la tente sans qu'aucun indigène tentât de nous y suivre. Vers le milieu de la nuit, pendant que nous reposions sur les voiles étendues dans la tente, nous entendîmes encore les chants tristes et monotones d'un homme et de l'enfant Yale- pouol. Vers deux heures du matin tout était endormi : les sauvages accroupis, le menton sur les genoux, étaient serrés l'un contre l'autre pour résister au froid , et ne remplissaient dans cette posture qu'un très-petit espace. Le feu ne jetait plus qu'une sombre lueur, et le silence qui régnait sur toute la côte à cette heure avancée , contrastait avec les éclats joyeux dont quelques heures auparavant ces solitudes avaient retenti. A la naissance du jour quatre indigènes seulement rani- maient les restes du feu ; ils paraissaient transis de froid, et leur visage n'offrait plus que l'expression stupide de l'engour- dissement. A peine répondirent-ils quelques mots à nos ques- tions. Lorsque nous leur rappelâmes l'engagement qu'ils avaient pris de nous conduire vers leurs femmes , ils gardèrent le silence, et enfin ils nous laissèrent entrer dans le bois sans paraître s'apercevoir que nous les quittions. Nous passâmes la journée dans les forêts , nous y fîmes la rencontre de trois naturels qui nous accompagnèrent assez long-temps. Notre chasse ne fut point heureuse , nous ne vîmes 192 NOTES. qu'un casoar de très-haute taille que nous poursuivîmes sans l'atteindre. A cinq heures nous rentrions à hord. {Journal de M. Sainson.) Leshabitans du port du Roi-Georges, comme tous ceux des plages de la Nouvelle-Hollande , sont peu nombreux et divisés en petites tribus dont chacune paraît composée au plus d'une vingtaine d'individus. Nous ne les avons point vus entièrement réunis. Les groupes les plus nombreux avec lesquels nous avions communiqué comptaient à peine douze à quinze hommes et quelques enfans de dix à douze ans , qui pouvaient les suivre dans leurs courses. Les femmes n'étaient jamais avec eux; et nous sommes fondés à croire que, par crainte ou par jalousie, ils les cachaient avec soin. Il paraît même qu'elles habitent assez loin des bords de la mer. Le caractère de physionomie de ces hommes nous semble à peu près le même dans toute la Nouvelle-Hollande, autant qu'on peut en juger par les relations des voyageurs que parce que nous avons vu nous-mêmes à la baie des Chiens-Marins, à la baie Jervis et à Port-Jackson. Il peut y avoir quelques différences de localités, mais elles ne modifient pas essentiel- lement le type général. Les indigènes du port du Roi-Georges sont en général d'une taille au-dessous de la moyenne ; cependant il y en avait quel- ques-uns d'assez grands parmi vingt-cinq à trente que nous avons pu voir. Au premier aspect on est frappé de la maigreur et de l'exiguïté de leurs membres inférieurs; mais cette dispo- sition ne paraît point le caractère propre à ces peuples; elle tient à l'état de misère dans lequel ils sont et au défaut d'une nourriture suffisante pour le développement de ces parties. Ce qui semble le prouver, c'est ce que nous avons vu dans ces pa- rages : des femmes d'une tribu de la Nouvelle-Hollande qui habite vis-à-vis l'île des Kanguroos, et d'autres du port Dal- rymple , sur l'île Van-Diémen, prises dans cet état d'émaciation NOTES. 193 par les Anglais qui font la pèche des Phoques, vivant avec eux, et faisant usage d'une nourriture abondante et animale, avaient leurs extrémités très-bien développées, et même dans un état d'obésité. Le même cas s'est offert chez plusieurs indi- vidus des peuplades de la Nouvelle-Galles du Sud. Quoi qu'il en soit, ce caractère d'émaeiation est si marqué chez les hommes qui nous occupent, qu'il paraît singulier et vraiment extraordinaire au premier aspect, et que le dessin que M. de Sainson a fait d'un enfant semble être une vraie caricature : on dirait que ses membres inférieurs ne sont autre chose que le fémur et le tibia recouverts de la peau. Si le torse paraît plus développé et plus trapu, on ne peut l'attribuer qu'à l'exiguité des jambes, car il est généralement maigre. Les bras rentrent aussi, mais un peu moins, dans cet état de maigreur. Cependant le ventre est arrondi, et a des propensions à devenir gros; ce qui s'explique facilement par l'habitude qu'ont les peuples sauvages, exposés à de longues abstinences, de prendre des alimens outre mesure quand ils en trouvent l'occasion. Leur tète est assez grosse, la face un peu élargie trans- versalement; l'arcade sourcilière très-saillante, d'autant plus peut-être que leurs yeux, dont la sclérotique est blanc-jaunâ- tre, sont très-enfoncés. Ils ont les narines plus ou moins apla- ties et écartées; les lèvres médiocrement grosses; les gencives blafardes; la bouche grande, très-fendue , ornée de dents fort belles, régulières et serrées, dont l'ensemble ressemble parfai- tement à ces mâchoires artificielles que l'on voit à Paris, au Palais-Roval. Ils ont les oreilles médiocres; les cheveux frisés sans être laineux , mais dont la couleur naturelle n'est pas facile à reconnaître, parce qu'ils sont toujours recouverts d'une couche d'ocre , excepté chez les enfans qui les ont bruns ou noirs. Leur barbe est rare et noire ainsi que les mous- taches. Leur couleur générale varie entre le noir peu intense et le noir rougeàtre. Leur maigreur est quelquefois si grande que tome i. i3 194 NOTES. quelques-uns ont l'air de spectres. Cet état n'est point étonnant quand on sait que la terre ne fournit presque rien à la nourriture de ces hommes qui, pour toute arme, ayant de simples lances, sont obliges de parcourir de grands espaces avant de pouvoir atteindre une petite proie, telle que des Ser- pens, des Lézards, des Scinques, et parfois des Phalangers et des Péramèles qu'ils mangent sans les avoir fait cuire , et après s'être bornés à les présenter au feu. Nous les avons vus quel- quefois dévorer avec le même empressement les intestins de poissons que nos matelots jetaient. D'après ce qui nous a été dit par les Anglais qui font la pècbe des Phoques au port du Roi-Georges, toute l'industrie qui tend à leur procurer de la nourriture, est plutôt le partage des femmes que celui des hommes : elles vont à la chasse avec des chiens du pays, font la pêche et plongent sur le bord de la mer pour avoir des coquillages. La prise d'un Kanguroo est pour eux une chose importante ; et , pour cela , il est nécessaire que toute une peuplade entoure l'endroit où il est cantonné , y mette le feu, et oblige ainsi l'ani- mal à se livrer à ses coups. Outre la nourriture , le Kanguroo leur fournit, par sa peau, le seul vêtement qu'ils possèdent. Ils ont soin de l'assouplir, et le portent sur les épaules, en forme de manteau court. Le froid excessif qu'il doit faire l'hiver dans cette contrée, ne les a point encore déterminés à s'en faire des vêtemens pour les membres inférieurs; et l'usure de ceux qu'ils portaient prouve suffisamment qu'il ne leur est pas facile de s'en procurer. Ces hommes sont très-frileux, et, pour se préserver du froid autant qu'ils le peuvent, ils portent constamment avec eux un cône de banksia desséché, enflammé, et qui brûle lentement comme de l'amadou. Chose singulière ! tous le mettent pres- que à toucher leurs parties génitales , le plus souvent sous leur manteau. Ils s'en servent aussi pour enflammer en un instant, et le plus souvent sans objet en apparence , les lieux par où ils passent , ce qu'ils font avec une prestesse singulière et une ra- NOTES. 19Ô pidité qu'il nous serait bien difficile d'imiter. Aussi, toute cette contrée est-elle tellement brûlée qu'on ne peut y faire un pas sans être noirci de toutes parts. Les grands arbres sont char- bonnés jusque dans leur cime , tandis que le sous-bois meurt et ne pousse que des tiges rabougries. Il est certain que cela doit nuire en partie à la végétation des bords de la mer, et détruire même les animaux qui pourraient scr\ir à la nourri- ture des indigènes, tels que les Mollusques terrestres, les Lézards, etc. Leurs habitations sont des niches arrondies dans lesquelles deux ou trois hommes peuvent se tenir étendus : elles sont for- mées débranches d'arbres recourbées, recouvertes en général de feuilles de xanthoréa. On voit aux alentours lès débris de la plante qu'ils ne paraissent manger qu'à défaut d'autre chose, parce qu'elle ne fournit que fort peu d'aliment; et , dans pres- que toutes ces cases de malheureux qui n'ont pas de quoi vivre, les premières choses qui se présentent, les seules même que l'on voie, sont des objets de toilette! Ce sont de petits morceaux d'ocre rouge dont ils se plaisent à se frotter la figure et le corps, et à se couvrir la tète en grattant ce cosmétique avec l'ongle, ce qu'ils faisaient aussitôt que nous leur en pré- sentions quelque fragment. Sans doute que cette couche sale a un autre but, celui de se garantir des Moustiques, insectes fort communs dans les lieux marécageux ou ils établissent leurs cabanes. L'état de misère dans lequel ces peuplades semblent vivre n'a point anéanti autant qu'on pourrait le croire certaines des facultés propres «à l'homme. Ainsi, par exemple, on ne peut pas dire que les habitans du port du Roi-Gèorges soient stu- pides, quoique leur existence s'écoule presque entièrement dans le repos ou à la recherchede leur nourriture. Notre présence les mettait dans une sorte de gaieté, et ils cherchaient à nous com- muniquer leurs sensations par une loquacité à laquelle nous ne pouvions répondre , n'entendant pas leur langage. Dès que la rencontre s'opérait, ils venaient à nous les premiers en gesti- *3* 196 NOTES. culant et parlant beaucoup; ils poussaient de grands cris, et, si nous leur répondions sur le même ton, leur joie était extrême. Bientôt l'échange de nom avait lieu , et ils ne tardaient pas à demander à manger, en se frappant sur le ventre. Dans une nuit passée au milieu d'eux à terre , nous obtînmes assez faci- lement leurs mots les plus usuels, et ils ne cessèrent de nous montrer les dispositions les plus bienveillantes. Ils nous suivi- rent quelquefois dans nos courses; cependant nous devons dire que constamment ils y montrèrent un défaut d'industrie et une sorte de paresse qui ne les portaient presque jamais à nous aider dans certains travaux que d'autres hommes se seraient empressés de nous faciliter, comme, par exemple, lorsqu'il s'a- gissait de porter nos collections, de chercher des coquilles, etc. Si le besoin de la nourriture ou tout autre motif les oblige à s'éloigner du cantonnement où sont leurs cabanes, on les voit errer cà et là par petits groupes de deux, trois ou quatre, ra- rement de sept ou huit , et ils ne craignent pas de s'établir en plein air, sans aucun abri. Seulement ils allument du feu auprès duquel ils ne cessent de grelotter. Et cependant nous étions dans le printemps de l'hémisphère austral ! Que doit-ce donc être l'hiver?.. Ces hommes de la nature, dont on a fait un si brillant tableau, nous paraissent parfois bien à plaindre. S'ils veulent passer la nuit quelque part, ils font très-promp- tement une petite cabane à peine suffisante pour les garantir de la pluie. Lorsqu'ils éprouvent de la peine, ils pleurent assez facile- ment; c'est ce qui arriva à un vieillard retenu involontaire- ment à bord quelques instans de plus qu'il ne voulait. Ils chantent quelquefois, ou plutôt ils psalmodient. L'amour pa- ternel paraît assez développé chez eux , comme nous l'avons vu dans notre ami Patêt : ce bon Australien prenait beaucoup de soin de son jeune fils, Yalepouol, qui l'accompagnait dans sa course , et qui vint avec lui à bord de V Astrolabe. Leurs instrumens n'annoncent pas une plus haute industrie que leurs vêtemens et la construction de leurs cabanes. Ceux NOTES. 191 de guerre sont de longues javelines minées et droites, dureies au feu, et pointues à une extrémité; nous n'en avons pas vu d'autres. Les haelies dont ils se servent ont la forme d'un grossier marteau : c'est un morceau de pierre dure , de Schiste ou de Basalte, fixé à an manche grêle, à l'aide de la résine de xanthoréa. Ils font des couteaux de la même manière, en ap- pliquant sur une même tige quatre ou cinq morceaux de Quartz réunis entre eux avec le même ciment. C'est à l'aide de pareils moyens qu'ils coupent les arbrisseaux qui les gênent dans leur route, ainsi que nous l'avons vu assez souvent. Ce qu'il y a de particulier, c'est que ces abattis de hautes bruyères qui croissent dans les marais ont une forme demi-sphérique. Lorsqu'ils s'aperçurent que nous voulions avoir de leurs ins- trumens, ils s'empressèrent d'en faire pour nous, avec cette différence qu'ils y mettaient moins de soin , puisque, dans la confection des couteaux, au lieu de Quartz ils se servaient de Feldspath qui n'offre ni la même dureté ni la même résistance. C'est une branche de commerce à laquelle notre présence les força de s'adonner. Ils obtenaient en échange nos petits cou- teaux qu'ils aimaient beaucoup , et du biscuit qu'ils aimaient encore mieux. Celui de leurs travaux pour lequel ils déploient le plus d'intelligence paraît être la construction de leurs pêche- ries, qui sont faites ou en pierres comme sur la rivière des Fran- çais, ou avec de simples petits pieux. Le poisson entre, avec la marée, par une petite ouverture qu'ils ferment aussitôt; et, s'il est abondant, la pèche devient ainsi très-facile. L'état d'a- bandon dans lequel étaient les pêcheries semblerait indiquer que cette ressource est bien précaire. Si notre approche n'a point étonné ces tribus, si elles se sont empressées de communiquer avec nous , si nos armes à feu ne les ont point étonnées, nous devons l'attribuer à la présence des Anglais qui fréquentent et habitent ces parages pendant une grande partie de l'année, pour la pêche des Phoques. Et si nous n'avons pas vu les femmes des indigènes , il faut proba- blement encore en chercher la cause dans la présence de ces 198 NOTES. mêmes Anglais qui en ont enlevé plusieurs pour leur propre ser- vice. Elles leur sont d'ailleurs de la plus grande utilité pour leur procurer leur subsistance, soit en prenant des poissons, des coquillages, des lézards, etc., soit en chassant avec les chiens et même avec les fusils. Elles deviennent promptement fort habiles dans ce dernier exercice. Une fois que ces mal- heureuses femmes ont perdu le souvenir de leur état de liberté , dans lequel cependant elles sont maltraitées par leurs maris, elles ne peuvent que trouver agréable la vie qu'elles mènent avec les Européens qui ont pour elles beaucoup plus d'égards. Nous tenons de plusieurs de ces pêcheurs , abandonnés par leur navire plus long-temps qu'ils ne pensaient , qu'elles leur furent d'un extrême secours , et que sans elles ils seraient peut- être morts de misère. C'est probablement à elles que nous de- vons presque tous les Scinques que nous possédons , animaux dont nous n'avions pu prendre que quelques individus, et dont les Anglais nous apportèrent un très-grand nombre contenus dans plusieurs sacs. Nous mentionnerons ici deux indigènes, homme et femme, nés dans une contrée peu éloignée du port du Roi-Georges, la partie de la Nouvelle-Hollande qui est située vis-à-vis l'île des Kanguroos. Leur caractère de physionomie ne paraissait pas le même que celui des individus que nous venons d'esquisser; il est vrai qu'il s'était amélioré par leur séjour avec les Anglais, et que ces deux indigènes n'étaient pas déguisés par les sales peintures dont les premiers se couvrent. Ils étaient noirs; ils avaient la peau lisse; les cheveux longs, lisses et noirs. Leurs yeux n'étaient pas très-enfoncés, mais la partie inférieure de la face proéminait un peu. Ils avaient l'air plus intelligens que les naturels du port du Roi-Georges, sans qu'on puisse indi- quer par la description en quoi consistait cette différence. Les Anglais vinrent abord avec deux femmes du port Dal- ryniple, situé , comme l'on sait, sur la côte septentrionale de l'île de Van-Diémen , que quelques géographes désignent sous le nom de Tasmanie. Chez elles, le caractère de la physio- NOTES. 199 nomie était tout différent de celui des deux précédens; c'était presque celui du nègre : les pommettes larges , les lèvres grosses, proéminentes, s'alongeant en une sorte de museau. Dans l'une d'elles surtout , ce caractère était très-marqué ; ce- pendant le front ne fuyait point trop en arrière. A ces traits nous ne pouvons point réunir l'aspect et la nature des cheveux, parce que ces femmes les ont coupés très-ras, à l'exception d'un cercle qui entoure le sommet , et qui est formé de cheveux dont la longueur est à peine de quelques lignes : disposition assez justement comparée par Cook à la tonsure des moines romains. Il nous a paru toutefois qu'ils avaient de la tendance à se friser. ISul doute que le type de leur phy- sionomie ne soit pris par des observateurs superficiels ou peu attentifs pour le tvpe nègre, quoiqu'il y ait des différences réelles. Ces deux femmes, excessivement maigres, et sembla- bles, sous ce rapport, aux indigènes du port du Roi-Georges, lorsque les Anglais les prirent, avaient acquis depuis cette époque beaucoup d'embonpoint , surtout l'une d'elles qui était presque dans un état d'obésité. C'est par elles que nous fûmes convaincus que la maigreur des habitans du port du Roi- Georges n'était point naturelle, et dépendait uniquement de leur misère. Le langage des habitans du port du Roi-Georges est exces- sivement doux : c'est une sorte de gazouillement produit par le concours des voyelles. Il nous a paru que plusieurs lettres, telles que le g-, Ys, etc., ne pouvaient être prononcées par eux, et qu'ils les changeaient, la première en / , et la seconde en /. Ainsi, ils disaient Tainfon pour Sainson , Kaima pour Gai- mard. A l'exception des noms de Quoy et de Collinel qu'ils prononçaient parfaitement, ils estropiaient presque tous les autres mots : ils disaient Tchioulcromnl et Turvil pour d'Ur- ville, Pelante pour Bcllanger, etc. Des détails plus étendus sur leur langage doivent être renvoyés plus loin, lorsqu'il sera question du vocabulaire des différens peuples que nous avons visités. (Journal zoofogiaue de MM. Quny et Gaimant.) 200 NOTES. PAGE ll5. Enfin, il n'est pas douteux qu'au bout de quelques années , les productions du sol , tant en grains qu'en bestiaux , ne pussent suffire amplement à leur con- sommation. Il n'est pas de contrée de grande étendue qui offre plus d'u- niformité dans son ensemble que la Nouvelle-Hollande. De Port-Jackson au port du Roi-Georges, la végétation a le même aspect, les animaux sont pour ainsi dire les mêmes, et le sol ne présente que quelques différences locales. Les Zoophytes et les Mollusques, qui vivent dans la mer, sont les seuls qui se ressentent de l'influence des latitudes, et qui soient plus nombreux et plus brillans à mesure qu'on approebe de l'équatcur, etc. , etc. La base du sol du port du Roi-Georges est de Granité à gros grains avec de larges plaques de Feldspath très-souvent de cou- leur rosée. Il est des parties de la rade où le grain de cette roebe, beaucoup plus fin , contient une assez grande quantité de Grenat brun , ce qui lui donne la plus grande similitude avec le Granité de Rio-Janeiro, en Amérique. Toute la contrée est parsemée de collines assez élevées, et qui peuvent même pren- dre le nom de montagnes, surtout à l'entrée de la rade où l'on remarque les monts Gardner et Bald-Head. De grandes et grosses veines de schistes verdatres ou presque noirs traversent le Granité qui s'offre très-souvent en blocs énormes entassés les uns sur les autres. Entre les collines et dans les lieux plats on trouve d'assez nombreux étangs d'eau douce qui presque tous vont se jeter à la mer. Il y a même des parties élevées qui sont marécageuses; ce qui est du à la nature du Granité qui laisse fil- trer de nombreux filets d'eau. Le mont Bald-Head est le seul point qui ne soit pas grani- NOTES. 201 tique. Il est au contraire tout calcaire , mais non formé de Ma- drépores présentant encore leurs branches intactes et comme sortant de la mer, ainsi que le dit Vancouver. Nous étions im- patiens , M. Gaimard et moi, de vérifier ce qu'en dit le voya- geur anglais, et, munis des instrumens nécessaires pour enlever le plus de beaux échantillons possibles, et en faire jouir les amateurs, nous parcourûmes en vain les (rois quarts du sommet de cette montagne sans apercevoir la moindre trace de Madré- pore quelconque. Seulement au bas , sur le bord de la mer, et par le seul endroit où l'on puisse gravir la montagne, nous recueillîmes quelques Coquilles incrustées dans le Calcaire, dont les analogues se trouvent aux environs. Quelques-unes ne tenaient à la roche que par un point de leur surface. Passé quelques toises en montant, et là où la mer ne pouvait plus atteindre dans ses plus grandes crues, on n'en trouvait plus. Cette faculté d'incrustation sur quelques points de la Nouvelle- Hollande est assez remarquable. Péron en a fait mention , et nous l'avons observée aussi à la baie des Chiens-Marins, dans notre précédent voyage avec M. de Frcycinet. Elle s'étend jusqu'aux végétaux, et nous en avons recueilli où des ra- cines forment des noyaux de cylindres assez gros. Serait-ce cela que Vancouver aurait pris pour des Coraux fossiles? Ce- pendant en examinant avec soin le Calcaii'e de Bald-Hcad, on pourrait se ranger de l'opinion de quelques naturalistes qui pensent qu'une grande partie de cette roche doit son origine aux Zoophytes. Le sommet de cette montagne est quelquefois à du et déchiqueté par les météores; mais le plus souvent couvert de plantes et quelquefois de bois assez élevés. Le seul cours d'eau remarquable est la rivière des Français , qui se jette dans le fond du havre aux Huîtres. Partout ail- leurs ce ne sont que de petits ruisseaux qui se perdent dans les sables en filtrant au travers des rochers. La physionomie végétale du pays est formée par les Euca- lyptus, lesBanksias, lés Xanthoréas, des Mimosas, des bruyères «t quelques Casuarinas. Les forêts ne paraissent même formées 202 NOTES. que par les premiers de ces végétaux dont quelques-uns sont énormes ; mais tous paraissent plus ou moins souffrir de l'ha- bitude qu'ont tous les naturels de la Nouvelle-Hollande , de mettre le feu partout où ils passent. Et comme la plupart de ces arbres sont résineux, ou ont une écorce tomenteuse , l'in- cendie se propage avec une rapidité étonnante, gagne jusqu'aux tiges les plus élevées, et charbonne les arbres dans toute leur étendue ; de sorte qu'on revient tout noirci des courses qu'on fait dans les bois. Les arbustes y succombent. Les lieux qui n'avaient pas été brûlés, dans la saison où nous nous trouvions, ressemblaient à un parterre émaillé de fleurs de toutes les cou- leurs et singulières par leurs formes variées. Des Kanguroos, des Phalangers sont les seuls Mammifères que nous y ayons vus. Parmi les premiers il s'en trouve de grande taille. Nous ne pûmes nous en procurer quoique nous les ayons ciiassés avec plusieurs chiens dressés à cet exer- cice. Les Kanguroos, dans leurs bonds, les laissaient toujours loin derrière eux. Si les voyageurs qui nous ont précédés n'ont trouvé que très- peu d'oiseaux, c'est qu'ils ont borné leurs courses au contour de la baie, où en effet ils sont rares. Mais dans les forêts qui bordent les rivières des Français et des Anglais, on en ren- contre encore un assez bon nombre , et de variés, soit parmi les Perroquets, soit dans les Philédons. Dans le journal destiné à l'histoire naturelle, nousentrerons dans plus de détailsàcesujet. Une grosse espèce de Tourterelle à ailes métalliques y est assez commune et constitue un très-bon manger. Les oiseaux de mer y sont nombreux, mais difficiles à tuer, à l'exception cependant des Goélands, des Mouettes et des Hirondelles de mer. On n'a pu approcher des Céréopsis et des Pélicans. Seulement, sur la petite île du Jardin, on en prit plusieurs jeunes qui ne pou- vaient point encore voler. On tua quelques Canards et un seul Cygne noir. Parmi les Lézards , nous eûmes de très-gros Scinques , ani- maux dont les mouvemens sont lents, et plusieurs Serpcns vc- NOTES. 203 nimeux, dont un avait près de six pieds de long. Les mauvais temps et les travaux du bord ne nous permirent point de jeter la seine, moyen de constater les variétés de poisson; mais on en prit beaucoup à l'hameçon , et des pêcheurs anglais station- nés dans ce port en échangèrent tous les jours pour du lard salé. C'était le plus souvent une grosse espèce de Daurade. Soit que la saison ne fût pas assez avancée pour les Insectes, ou que ce lieu en contienne fort peu , nos collections en ce genre ont presque été nulles. Nous avons été plus favorisés relativement aux Mollusques dont on trouve assez d'espèces variées, parmi lesquelles on re- marque les Phasianelles, coquilles élégantes, encore rares dans les collections, et qu'il est bien difficile de trouver parfaites. Nous eûmes bientôt la visite des naturels. A leur empresse- ment et au peu de défiance qu'ils montraient, nous jugeâmes qu'ils devaient avoir quelques relations avec les Européens; ce qui ne tarda pas à se vérifier comme nous le dirons bientôt. Le commandant fut le premier qui les découvrit en visitant le havre aux Huîtres; ils s'approchèrent, et l'un d'eux, assez âgé, ne fit point de difficulté pour s'embarquer et venir à bord. De presque nu qu'il était, il fut bientôt habillé de pied en cap , et coiffé d'un vaste bonnet noir en peau de mouton. Ce qui pa- raissait lui plaire davantage, c'étaient les alimens dont il était pourvu en abondance, et qu'il avalait presque sans mâcher. L'eau-de-vie fut pour lui une boisson trop forte , et il ne s'en trouva pas bien. Le lendemain matin les gens de sa tribu , après avoir fait un grand tour, vinrent visa-vis le bâtiment, et manifestèrent leur présence par leur moven accoutumé, en mettant le feu aux broussailles. Il voulut aller les rejoindre, et, comme on tardait un peu à le porter à terre , il se mit à pleurer et gémir comme un enfant. Du reste ce naturel montrait peu d'intelligence, et était loin de ressembler en cela à ceux que nous vîmes ensuite. Dès que ses camarades le virent si bien équipé, le ventre aussi bien tendu, et muni d'alimens au- tant qu'il en pouvait porter, c'était à qui viendrait à bord. 204 NOTES. Les peuplades du port du Roi-Georges , habitanl un pays aride, stérile, doivent être considérées, ainsi que plusieurs de celles de la Nouvelle-Hollande, comme les plus malheureuses de la terre. A leur seul aspect on reconnaît l'influence d'un sol in- grat qui refuse à ses habitans de quoi fournir à tout leur déve- loppement physique. Aussi ces naturels surprennent-ils par la maigreur de toutes leurs parties, beaucoup plus sensible aux bras et aux jambes. De loin , lorsqu'ils sont couverts de leur morceau de peau de kanguroo , et qu'ils grimpent sur les ro- chers, ils n'ont pas mal l'air de ces oiseaux de rivage à jambes longues et grêles, qu'on nomme Echassiers. En général, ils sont de petite taille, ont la tête grosse, les orbites saillans ainsi que les pommettes, ce qui donne à la face une assez grande largeur transversale ; les lèvres grosses s'alon- gent chez quelques-uns comme un mufle ; la bouche est grande ; les dents sont parfaitement rangées, égales, courtes, et res- semblent à ces râteliers artificiels des dentistes de Paris. Leurs yeux sont petits, un peu obliques, noirs, avec la conjonctive jaunâtre ; ce qui peut tenir à ce qu'ils sont presque toujours accroupis sur les tisons. Dire que la couleur de leur teint est un noir rougeâtre , n'est pas indiquer celle qu'ils devraient avoir naturellement, car la fumée et l'ocre dont ils se frottent la tête et le corps doivent singulièrement modifier cette teinte. Toutefois c'est le noir qui domine. Leur ventre est proémi- nent, arrondi, et ils ne présentent point dans le reste de leurs membres de belles et justes proportions. Mais tout indique que ces défauts physiques dépendent de la misère et du man- que de nourriture. Ce qui le prouve , c'est que les habitans de la terre de Van-Diémen, que des pêcheurs anglais avaient avec eux, et qu'ils avaient pris dans un état de maigreur semblable, sont devenus gros, et ont fini par montrer des membres bien iormés. Plusieurs des habitans de la baie Jervis, qui avoisine Port-Jackson , et qui ont de fréquentes relations avec les colons anglais, nous ont offert le même état d'amélioration; tandis que les peuplades du port du Roi-Georges, n'ayant pour tout NOTES. 205 abri sous un climat rigoureux , en hiver, que de misérables niches ouvertes à tous les vents ; pour vêtement , qu'une mince peau de kanguroo qui leur couvre les épaules, et pour toute nourriture, que des lézards ou de maigres racines, ne peu- vent que végéter sur une terre qui semble tout leur refuser. Leur seule industrie paraît se borner à la fabrication grossière de quelques pêcheries sur la rivière des Français, où ils vont à certaines époques de l'année. Mais ils ne connaissent ni l'arc et la flèche pour atteindre leur proie, ni la pirogue et l'ha- meçon , armes naturelles aux peuples riverains. Cependant ils ne sont point stupides; ils ont de la sagacité , et de la finesse dans le sourire et les manières. Us aimaient à être avec nous , quelquefois à nous accompagner à la chasse. Presque toujours il y en a eu autour de latente que nous avions à terre. Ils se plaisaient à prendre nos noms et à nous donner le leur, usage qui se retrouve dans toutes les îles de la Poly- nésie. Mais , je le répète , cette nécessité de pourvoir sans cesse et tous les jours à une nourriture incertaine doit prendre tout leur temps, et les absorber entièrement. Quoi qu'il en soit, nous n'oublierons jamais nos amis Patèt père et fils. Leurs cabanes sont des branches d'arbres pliées en rond, et couvertes de feuilles séehécs de xanthoréas. On ne peut y tenir que couché, et à peine peut-on s'y étendre. On trouve dans presque toutes une pierre qui sert à écraser de l'ocre avec la- quelle ils se frottent la tète et les joues. Est-ce par une sorte de nécessité ou par coquetterie? Nous pensons qu'il faut l'attribuer à ce dernier motif. Ils font du feu en frottant l'un contre l'autre deux morceaux de bois sec , et ils en conservent toujours dans la main en voyageant, à l'aide d'un cône de banksia qui brûle très-lentement comme une sorte d amadou. Tous tiennent ce réchaud portatif sous leur manteau, et vis-à-vis les parties gé- nitales où ils paraissent le plus sensibles au froid. Nous nous croyions seuls avec nos sauvages dans cette soli- tude , lorsque nous ne fûmes pas peu surpris un soir de voir arriver un canot portant des Anglais pêcheurs de Phoques, qui 206 NOTES. étaient cantonnés sur une des îles environnant le port. Ils avaient aperçu notre navire. Plus de huit mois s'étaient écoulés, nous dirent-ils, depuis qu'ils attendaient le bâtiment qui les avait déposés sur cette côte , et qui devait venir les prendre avec leur cargaison. Plusieurs, craignant d'être abandonnés, demandè- rent à M. d'Urville de passer à Port-Jackson , ce qui leur fut accordé. Le lendemain il nous arriva un second canot faisant aussi la pèche. Celui-ci paraissait plus content de son sort. Il y eut à bord des échanges mutuels de peaux de Phoques ou de Kanguroos pour de l'eau-de-vic et du tabac. Ce sont ces hommes qui nous procurèrent du poisson en abondance, des Tourterelles, un Phoque pour l'histoire naturelle, et des Pétrels noirs tout plumés en grande quantité. Ils allaient prendre ces oiseaux dans des trous, sur les îles qui sont à l'entrée de la rade. Ces pêcheurs avaient avec eux des femmes des naturels de la Nouvelle-Hollande et de l'île de Van-Diémen. Ils parais- saient avoir enlevé de force les premières , ce qui les faisait re- douter sur cette côte. Ces femmes, par leur adresse et leur industrie, étaient de la plus grande utilité pour les Anglais; c'étaient elles qui péchaient, allaient à la chasse au fusil, ou à celle du Kanguroo avec les chiens; qui plongeaient pour nous apporter des Huîtres et autres Coquilles, et qui nous procu- rèrent une grande quantité de gros Lézards qu'il eût été im- possible d'avoir sans leur secours. Elles ne devaient pas se trouver mal avec des hommes qui leur procuraient l'abon- dance, et qui avaient pour elles plus d'égards que n'en ont ceux de leur nation. Nous partîmes un matin avec le commandant pour une course sur les bords de la rivière des Français; nous man- quâmes son entrée et donnâmes dans celle des Anglais, où nous demeurâmes à chasser. Nous fûmes contrariés par la pluie; malgré cela nous tuâmes un assez bon nombre d'espèces diffé- rentes d'oiseaux. Nous étions presque toujours dans l'eau, quelquefois jusqu'à la ceinture, tandis qu'il pleuvait à verse. Nous soupâmes auprès d'un grand feu que, vu la qualité NOTES. 207 résineuse du bois, il ne nous était pas difficile d'entretenir malgré la pluie. Le soir, assez tard, nous rentrâmes à bord de la corvette avec nos collections qui nous présentaient à chaque course toujours quelque chose de nouveau. La veille de notre départ, en revenant péniblement par terre de notre excursion au mont Bald - Head , je fis une chute assez grave sur le genou gauche, qui me le déchira dans trois endroits. Elle fut occasionée par ces troncs d'arbres que brûlent les naturels. L'intérieur est consumé que l'écorce est intacte : mon genou porta sur un de ces contours charbonnés; obligé de faire trois quarts de lieue après ce petit accident , la poussière du charbon s'introduisit dans les plaies, et m'a mar- qué d'une manière indélébile. Heureusement que cela eut lieu au moment de notre départ, car, ne pouvant plus marcher, et obligé de garder le bord, j'aurais été très- contrarié de celte inactivité. {Journal de M. Quoy.) pa«e 137. L'histoire naturelle s'est enrichie d'une foule de matériaux très-interessans. Le 12 novembre au matin, nous mouillâmes dans le port Western. Deux heures après nous étions à explorer le pays. Ce port, situé dans le détroit de Bass , est très-grand, et formé par deux îles considérables nommées îles des Français et des An- glais. Il y a deux issues dont l'une, celle de l'ouest, très-vaste, permetaux navires d'entrer en louvoyant ; tandis que l'opposée, qui est à l'est, étroite, peu profonde et hérissée de récifs, ne peut donner passage qu'aux embarcations. Les terres, tant des îles que du continent, sont peu élevées, en général sablon- neuses, contenant sur quelques points une grande quantité d'oxide de fer très-riche en métal. L'île des Français est remar- 208 NOTES. quable surtout par des géodes arrondies de la même substance, qu'on trouve en grand nombre à l'endroit où la mer s'enfonce dans les terres et forme une fausse rivière. L'établissement an- glais qui va se former sur ce point, y trouvera facilement les moyens de s'y procurer du fer. Là , comme dans plusieurs endroits de la Nouvelle-Hol- lande , nous n'avons vu que très-peu d'eau douce , fournie par de petits ruisseaux. Cependant dans une course faite avec des pécheurs de Phoques, M. Gainiard eut connaissance d'une ri- vière aussi large que la Seine à Paris. La végétation y est en général peu élevée, mais très-pressée, principalement sur les îles, où, quoiqu'il n'y ait pas de lianes, il est difficile de pénétrer. La partie du continent qui avoisine la passe de l'est est celle qui nous a montré les arbres les plus élevés. Tous ces végétaux , du reste, ont le même aspect , et la plupart sont de même espèce que ceux précédemment indiqués. Dans le règne animal , nous commençâmes à trouver de nombreuses différences parmi les oiseaux qui y sont plus nom- breux et plus variés qu'à la terre de Nuitz. Nous y trouvâmes dans ceux de mer : deux Cormorans, un petit Héron blanc et un Chevalier, que nous n'avions pas rencontrés au port du Roi- Georges. Il y existe aussi des Cygnes noirs, des Pélicans, des Vanneaux armés , des légions de Canards , etc. Relativement aux mammifères, nous ne fûmes pas plus heu- reux ici qu'ailleurs pour nous procurer des Kanguroos , quoi- que nous eussions des chiens et des hommes exercés à les prendre. Mais en trouvant la tète d'un Koala , nous cons- tatâmes l'existence , sur le continent , d'un animal qu'on n'a- vait encore rencontré que sur l'île de Van-Diémen. Les pê- cheurs de Phoques , qui habitent ce port , nous procurèrent un de ces animaux adultes et une douzaine de très-jeunes. Ils allèrent les chercher, avec la certitude positive de les trouver, sur les rochers qui sont à l'entrée de la rade. Les jeunes Phoques sont aussi caressans et intéressans que les petits chiens. Ils bê- lent comme les chevreaux , et viennent facilement lorsqu'on les NOTES. 209 appelle. A cet âge leur pelage est noir. Ils sont du genre de ceux qui ont des oreilles extérieures. La mer nous a paru fournir assez de poissons. Si nous n'en avons pas beaucoup pris avec la seine, cela semble tenir à ce qu'on a jeté ce filet à marée basse. Néanmoins on pourra tou- jours fournir aux équipages de la Raie qui y est en grande abon- dance , de même qu'une petite espèce de Squale à long nez. Le naturaliste y fera une ample récolte de Mollusques, de Zoophytes , de Polypiers divers. Rien n'est plus agréable avoir que la passe de l'est, lorsque la mer a mis à découvert le sommet de ces nombreux rochers recouverts de la plus éclatante verdure. Quelques-uns n'apparaissent sur les eaux que comme de lon- gues lignes verdatres sur lesquelles contraste la blancheur des Mouettes et des Pélicans qui viennent s'y ranger à la file. C'est ici plus que partout ailleurs qu'on trouve de ces Fucus, de ces Ulvas, dont les formes, aussi variées que les nuances, charment l'œil par le moelleux et le velouté de leurs teintes, et qu'au- cune végétation terrestre ne peut rendre. Sous ces touffes amoncelées on trouve par centaines les plus élégantes de toutes les coquilles, les jolies Phasianelles qui fuient l'éclat de la lu- mière en attendant que la mer montante les ramène dans ses profondeurs. Il semble que les poètes avaient sous leurs yeux ce brillant spectacle de la vie et du mouvement lorsqu'ils se plurent à embellir et décrire l'empire de Thétis. Les pêcheurs établis temporairement dans ce port parais- sent en avoir éloigné les naturels. Ils ont eu avec eux des dé- mêlés dont les premiers ont été victimes. 11 paraîtrait que ce serait pour avoir voulu leur enlever des femmes, que les na- turels, fondant sur eux à l'improviste, en auraient tué cinq. Nous fûmes contrariés de n'en voir aucun pour les comparer aux diverses peuplades de cette terre que nous avons vues. Avant que de laisser ce lieu nous ferons observer à ceux qui fréquenteront l'île des Français de ne pas attendre, pour y aller ou en revenir, que la mer soit basse , parce qu'elle est entourée d'une vase molle très-profonde, dans laquelle on enfonce jus- tome i. *4 210 NOTES. qu'à la ceinture. Nous eûmes toutes les peines du monde à nous en retirer. Nous croyons que dans l'ouvrage du capitaine Freycinet il est fait mention du même inconvénient pour l'île aux Anglais. Le 19 novembre nous laissâmes Port-Western. Les sept jours que nous y demeurâmes furent suffisans pour nous procurer dans tous les genres une assez bonne récolte d'objets rares et nouveaux, et pour rectifier la géographie de plusieurs points qui n'avaient été vus que par les canots de l'expédition Baudin. (Journal de M. Quoy.} page i44- M. Quoy trouva enfin une petite trigonie vivante, coquille qu'il cherchait depuis long-temps à cet état , et dont il n'avait pu se procurer que des valves sé- parées à Port-Western. Nous côtoyions la côte de la Nouvelle-Hollande de très- près ; quelquefois nous n'en étions qu'à un mille ; et lorsque le calme se joignait à une petite profondeur, nous jetions la dra- gue qui nous apportait toujours quelques objets curieux pour l'histoire naturelle. C'est ainsi que sous le cap Dromadaire nous obtînmes une Trigonie vivante , dont nous n'avons trouvé que des coquilles séparées à Port-Western. Ce mollusque est remarquable en ce qu'on croyait qu'il n'existait plus dans la nature vivante, et qu'il n'était que fossile. On en trouve beau- coup à cet état dans les environs de Paris. (Journal de M. Quoy.} PAGE l49- C'est qu'une foule de points leur offrent des res- sources d'une autre nature, etc. En passant devant la baie Jervis, le commandant y laissa NOTES. 211 tomber l'ancre, et nous y demeurâmes trois jours. C'est un bel et vaste enfoncement dans la profondeur duquel on trouve un assez bon mouillage, d'où l'on n'aperçoit plus l'entrée. De sorte qu'on est environné de toutes parts par la terre. 11 est étonnant que ce port, qui n'est qu'à environ trente lieues de Port-Jackson , n'ait pas un établissement. Celui de Cow-Pasture n'est distant de Jervis que de quinze lieues. La base du sol est un grès blanc friable. On y voit un petit ruisseau. La végétation y est belle et vigoureuse. De grandes et belles forêts dégagées de sous- bois viennent finir sur le bord du rivage, et présentent dans leur massif naturel la disposition des jardins anglais. Elles re- cèlent beaucoup d'oiseaux, principalement la Perruche à tète bleue, et celle à face aurore; et des vols de Kakatoès noirs, espèces que l'on retrouve à Port-Jackson. Cette baie abonde en poissons qu'on peut prendre à la seine, mais qu'il est plus simple de se procurer à la ligne, aux en- virons des rochers, parce que les espèces qu'on se procure ainsi sont meilleures et plus grosses. C'est le pays des Squales. Nous nous procurâmes celui si singulier de Philipp , et un autre ayant sept ouvertures branchiales. A l'endroit du mouillage était une habitation de naturels, qu'à leur air, leur tournure et leur embonpoint, on voyait manifestement se ressentir du voisinage des Anglais. L'un d'eux parlait même cette langue assez bien pour se faire en- tendre. La construction mieux entendue de leur cabane , et une pirogue pour la pêche annonçaient un degré de civilisa- tion plus avancée , et une nourriture plus abondante et plus certaine, dont leur physique se ressentait d'une manière très- sensible, surtout lorsque nous les comparions aux habitans du port du Roi-Georges. ' (Journal de M. Quoy.) 212 NOTES. PAGE l58. La plupart des personnes que nons rencontrons ici nous parlent avec plaisir des relations qu'elles ont eues avec les officiers français de la Thétis et de l'Es- pérance. Nous apprîmes le séjour que venait de faire ici le capitaine Bouffainvîtle , et l'honorable empressement que les états-majors des deux navires qu'il commandait avaient apporté à faire élever à Botany-Bay un monument à la mémoire de La Pé- rouse. On sait que c'est de ce lieu que ce malheureux naviga- teur donna pour la dernière fois de ses nouvelles. Lorsqu'aux îles Sandwich je vis le lieu où le célèbre Cook fut tué , je fus très-étonné de voir que l'Angleterre n'avait distingué par aucun monument la place où fut versé le sang d'un des plus grands navigateurs modernes. (Journal de M. Quoy.) VOYAGE L'ASTROLABE. CHAPITRE IX. HISTOIRE DF. LA COLONIE DE LA NOUVELLE-GALLES DU ST7D. Depuis long-temps l'Angleterre avait adopté le moyen de se débarrasser des malfaiteurs qui s'élevaient dans son sein , en les envoyant dans ses possessions d'Amérique. Par cette mesure à la fois sage et philan- tropique, la société se trouvait délivrée d'une classe d'hommes toujours funeste à sa tranquillité ; ces mal- heureux eux-mêmes , éloignés du théâtre de leur dés- honneur, et revenus à de meilleures dispositions, de- venaient souvent des membres utiles de leur nouvelle patrie, et leur postérité, confondue par le temps avec celle des habitans d'origine libre, formait le germe de colonies puissantes. En effet leurs progrès furent 214 VOYAGE rapides ; des contrées naguère couvertes de forets im- pénétrables , et occupées par des tribus éparses et peu nombreuses , nourrirent bientôt des peuples actifs et industrieux. Traités avec équité par leur mère-patrie, jamais ils n'eussent oublié leur origine et fussent restés ses alliés fidèles et obéissans. Mais une politique mal- entendue , un orgueil insensé de la part du gouverne- ment anglais , lui fit perdre les immenses avantages qu'il pouvait retirer de ses colonies ; long-temps encore celles-ci endurèrent les mépris et les procédés injustes du cabinet de Saint-James ; enfin leur patience se lassa, l'étendard de la révolte fut levé , leur indé- pendance proclamée, et d'en fans soumis et affection- nés , ils devinrent des ennemis irréconciliables. A dater de ce moment , la Grande-Bretagne dut re- noncer au système qu'elle suivait envers ses criminels ; elle se vit obligée de les renfermer de nouveau sur des pontons ou dans des maisons de correction. Banks, au retour du voyage qu'il venait d'exécuter avec le capitaine Cook , fit un portrait si séduisant des contrées qui avoisinaient la rade de Botany-Bay et des ressources qu'elle pouvait offrir, que l'on conçut dès- lors l'espoir d'en faire un lieu de déportation. En effet, l'immense intervalle entre ce point et toute autre colonie européenne , la faiblesse extrême et la profonde misère des indigènes , en ôtant aux condamnés tout espoir d'échapper à leur punition, rendaient cette contrée très-propre à un pareil établissement ; tandis que son admirable situation, à égale distance environ des comp- toirs de l'Inde, de la Chine et de l'Amérique, lui pré- DE L'ASTROLABE. 215 sageait pour l'avenir les plus grands avantages pour le commerce et la navigation. Cependant, détournée par d'autres intérêts, l'Angleterre ne put. d'abord exé- cuter ce projet; ce ne fut qu'en 1 786 qu'elle commença à s'en occuper sérieusement. Neuf bàtimens, du port de trois ou quatre cents ton- neaux, furent frétés pour transporter les criminels qui devaient former le noyau de l'établissement, les provisions et les munitions nécessaires. Arthur Phil- lip, désigné pour être le gouverneur, mit son pavillon sur la frégate le Strias , de vingt canons , et le brick Sapply (capitaine Bail) devint sa conserve. Cette flottille portait mille dix-sept personnes pour la nouvelle colonie, savoir : cinq cent soixante-cinq hommes condamnés , cent quatre-vingt-douze femmes et les diverses autorités nommées pour la régir et l'ad- ministrer. Celles-ci se composaient, outre le gouver- neur, du major commandant les troupes de marine, destiné à être lieutenant-gouverneur, de l'adjudant- quartier-maitre , de quatre capitaines , dont un devait remplir les fonctions déjuge-avocat, de douze lieute- nans, douze sergens, douze caporaux, huit tambours et cent soixante soldats de marine. On mit à la voile le 1 1 mai ; on relâcha à Sainte- Croix de Ténériffe , à Rio-Janeiro et au cap de Bonne- Espérance , où l'on prit des rafraichissemens , des graines et beaucoup de bétail. Le 7 janvier 1788, la pointe du sud de Van-Diémen fut doublée, et le 20 toute l'escadre mouilla sur la rade de Botany-Bay. Trente-deux hommes seulement périrent dans cette *5' 21 G VOYAGE longue traversée, bien qu'un grand nombre fussent malades en quittant l'Angleterre. Phillip ne tarda pas à reconnaître que le ter- rain qui bordait Botany-Bay n'était nullement propre à devenir le siège de la colonie. Le seul endroit qui eût pu convenir à cet objet, près de la pointe du sud, manquait d'eau douce. Il dirigea ses rechercbes vers Port-Jackson, qui lui offrit un bassin magnifique et un mouillage assuré pour des flottes entières; ce fut sur les bords d'une des anses qui font partie de ce bassin qu'il se décida à fonder son nouvel établis- sement. Le 25 Phillip se rendit à Port-Jackson avec quel- ques bâtimens de transport, et le jour suivant, 26 , le capitaine Hunier, du Sinus, mit lui-même à la voile. Au même instant les deux frégates du célèbre et mal- heureux La Pérouse laissaient tomber l'ancre sur la rade de Botany-Bay; chacun sait que c'est de ce lieu que l'on reçut ses dernières nouvelles. Aussitôt on s'occupa de dégager le terrain pour élever les tentes , faire les premières plantations , et parquer les bestiaux. Une petite métairie fut promp- tement établie, sous la direction d'une personne ame- née par le gouverneur ; pour la première fois on vit bientôt croître sur ce sol le figuier, l'oranger, le poi- rier, le pommier et la vigne. Le gouverneur fit lire en public, par le juge-avocat Collins, lacommissiondeSa Majesté, quile nommait ca- pitaine-général et gouverneur en chef de la Nouvelle- Galles du sud et de ses dépendances ; ainsi que les DE L'ASTROLABE. 217 lettres patentes qui établissaient des Cours civiles et criminelles sur ce territoire. Ses limites étaient au nord, le cap York, extrémité septentrionale de la Nouvelle- Hollande , et au sud sa pointe méridionale ; à Tinté- rieur et h l'ouest, le 135° degré de longitude orien- tale , et à Test toutes les îles adjacentes de l'Océan Pa- cifique, comprises entre les parallèles ci-dessus dé- signés. Entraînés par leurs habitudes vicieuses , plusieurs des déportés se livrèrent à de nouveaux crimes , et le premier jugement de la Cour criminelle, qui eut lieu le 1 1 février, ne fil qu'encourager leur audace par son indulgence. Les magasins de la colonie furent pillés ; cette fois une sage sévérité eut des effets plus salu- taires; quelques coupables furent livrés à toute la rigueur des lois ; cet exemple servit de leçon aux autres. La Cour criminelle se composait du juge-avocat et de six officiers de mer ou de terre ; ses attributions étaient d'examiner et de prononcer sur tous les délits commis dans la colonie, suivant les lois d'Angleterre. Lejuge-avocat rapportait l'affaire par écrit, les témoins à charge et à décharge étaient entendus , puis la Cour jugeait à la simple majorité si l'accusé était coupable ou non. En cas de mort il fallait au moins cinq voix pour condamner; les sentences ainsi prononcées avaient l'effet d'une décision du jury, et le prévôt-ma- réchal était chargé de leur exécution par un ordre du gouverneur. La Cour civile consistait dans lejuge-avocat et deux 218 VOYAG£ habilans de la colonie, qui délibéraient et prononçaient sur toutes les affaires litigieuses. La sentence était exé- cutée sur la simple signature du juge-avocat ; mais dans tous les cas on pouvait en appeler par-devant le gou- verneur et par-devant le roi lui-même en son conseil, quand la somme en litige dépassait trois cents livres sterling. En février, le SupphjîxA expédié vers l'île Norfolk pour y former, sous les ordres du lieutenant King, un petit établissement où l'on devait cultiver le lin de la Nouvelle-Zélande. Les naturels se montrèrent d'abord bien inten- tionnés à l'égard des nouveaux venus ; aussi le gouver- neur ne négligea rien pour maintenir de si heureuses dispositions. Mais ses ordres ne furent pas exécutés ; les Anglais se comportèrent quelquefois mal à l'égard des naturels; ceux-ci ne tardèrent pas à user de re- présailles. Avril arriva , et les approches de l'hiver se firent sentir. Chacun se mit à l'ouvrage, et, avec l'aide des marins des bâtimens, on eut bientôt construit assez de baraques pour mettre tout le monde à l'abri. Cepen- dant la colonie souffrit beaucoup des ravages du scor- but et des maladies vénériennes qui ne tardèrent pas à se déclarer. Le recensement qui eut alors lieu, d'après les ordres du gouverneur, prouva que l'établissement comptait cinq vaches, deux taureaux, un étalon , trois jumens , trois poulains , vingt-neuf moutons , dix-neuf chèvres, vingt-cinq cochons, quaranle-neuf pourceaux, DE L'ASTROLABE. 219 cinq lapins , dix-huit dindons , trente-cinq canards , vingt-neuf oies, cent vingt-deux poules et quatre-vingt- sept poulets. Le 1 5 mai, fut posée la première pierre de la maison du gouverneur. Les naturels devinrent de plus en plus audacieux , ils assassinèrent à diverses époques plusieurs Anglais ; le gouverneur se vit enfin obligé de donner la chasse à ces dangereux voisins , pour les tenir à une certaine distance de la colonie. La fin de Tannée 1788 et le commencement de 1 789 furent marqués par de nombreux crimes ; six soldats même prirent part à des tentatives de vols. Il fallut des exemples réitérés pour réprimer ces excès et prévenir les suites funestes qu'ils pouvaient avoir. Le 6 mai, le Sirias , que le gouverneur avait en- voyé au cap de Bonne-Espérance pour chercher des vivres, revint avec cent vingt-sept mille livresde farine, qui furent d'un grand secours; car les blés semés l'année précédente avaient assez mal réussi. Au commencement d'avril 1789, on s'aperçut que quelques grottes, situées sur le bord de la baie, étaient pleines de cadavres des naturels ; bientôt on reconnut que la petite-vérole exerçait ses ravagés parmi eux; un grand nombre devinrent les victimes de celte maladie ; quelques-uns cependant , qui reçurent les soins des chirurgiens anglais, furent sauvés. On observa avec surprise que toutes les espèces d'animaux qui avaient été réservés pour multiplier, produisirent beaucoup plus de mâles que de femelles. 220 VOYAGE Sur une portée de douze petits cochons , il ne se trouva que trois femelles , et une seulement sur sept che- vaux ; il en fut de même généralement de toutes les autres races d'animaux. Cette singularité fît naître alors de sérieuses craintes , en ce que le manque de femelles pouvait retarder de beaucoup l'époque où l'on pourrait se passer des secours de la mère-patrie. Au mois de décembre la récolte eut lieu ; elle pro- duisit, à Rose-Hill, deux cents boisseaux de blé, trente- cinq d'orge , un peu d'avoine et une petite quantité de maïs , qui fut en entier réservée pour semis. En outre, vingt-cinq boisseaux d'orge furent recueillis dans un petit morceau de terre cultivée à Sydney, nommé la Ferme du gouverneur. Tel fut le premier fruit que les Européens retirèrent de leurs travaux et de leurs sueurs sur cette terre lointaine , qui jusqu'alors n'a- vait vu croître que les végétaux qu'elle tenait des mains de la nature. L'hiver de 1790 fut pénible, car les provisions ti- raient à leur fin ; on ignorait quand il pourrait en ar- river de nouvelles d'Angleterre, et l'on fut obligé de faire des réductions sur les rations en tout genre. Heu- reusement la pêche fournissait de grandes ressources ; par ordre du gouverneur, on donna du poisson en ra- tion à raison de dix livres pour remplacer deux livres et demie de porc salé. Pour diminuer encore la consommation de la colo- nie , on fit passer en mars deux compagnies des troupes de marine, cent seize condamnés, soixante-huit fem- mes et vingt-sept enfans à Norfolk , sur les navires le DE L'ASTROLABE. 221 Strias et le Supply. Le sol de cette île s'était montré bien plus fertile que celui de Sydney, et toutes les plantations avaient admirablement réussi. L'inquiétude universelle fut encore augmentée par le naufrage du Sirîas , qui se perdit sur les brisans de l'île IXorfolk , car c'était sur ce navire que se fondaient toutes les espérances ; c'était lui qui devait aller à la recherche de nouvelles provisions. La ration habituelle déjà bien réduite fut encore diminuée ; tous ceux qu'on put assigner à ce service furent employés à chasser et à pêcher pour la subsis- tance de la colonie. Mais de ces deux moyens le der- nier fut insuffisant , et l'autre presque infructueux. La situation de la colonie devenant de plus en plus alarmante , on prit l'unique mesure qui restait à ten- ter, quelque tardifs que dussent être les secours qu'on devait en attendre. Ce fut d'envoyer le lieutenant Bail, avec le Suppù/, à Batavia , pour y prendre huit mois de provisions pour lui-même, y louer en outre un na- vire qui devait l'aider à porter dans la colonie deux cent mille livres de farine , soixante mille livres de porc, quatre-vingt mille livres de bœuf, et soixante- dix mille livres de riz. Il lit voile le 17 avril, et son retour ne pouvait avoir lieu que dans six mois ! . . . Enfin le 3 juin , à la satisfaction générale , un navire parut à la côte. A son arrivée au mouillage, il se trouva que c'était le transport Lad// Juliana, appareillé de Plymouth le 29 juillet , et chargé de deux cent vingt- deux convicts femelles. On sut alors que l'état d'anxiété où se trouvait ré- 222 VOYAGE duit le nouvel établissement, devait s'attribuer à la fois à la négligence et aux délais du ministère , surtout à un événement des plus malheureux. Deux mois après le départ du navire le Lady Juliana, d'Angle- terre, le Guardian, de quarante-quatre canons , com- mandé par le lieutenant Puou, avait aussi appareillé, chargé de provisions , qui , jointes à celles du premier navire , eussent suffi pour alimenter la colonie durant deux années. Par malheur le Guardian, en quittant le cap de Bonne-Espérance , toucha contre une île de glace le 23 décembre , et le choc fut si violent qu'on fut obligé de jeter la plus grande partie de la cargaison à la mer pour empêcher le bâtiment de couler. Par là le navire fut sauvé , il rejoignit le cap au moment même où le Juliana y arriva, et celui-ci embarqua soixante-quinze barils de farine qui avaient été con- servés. On apprit en outre, par le Juliana, que peu après son départ mille autres convicts allaient être expédiés d'Angleterre , et qu'on levait un régiment de troupes à pied pour le service particulier de la colonie. Ce sur- croit de bouches ne pouvait être que fort à charge dans la circonstance où l'on se trouvait. Heureusement le transport le Justinian, qui arriva bientôt chargé de provisions et d'objets de tout genre , fut d'un grand secours ; dès ce moment on rendit à chacun sa ration complète. Dans les derniers jours de juin, les navires le Sur- prise, Neptune et Scarborough , arrivèrent avec les condamnés et les soldats dont nous venons de parler. DE L'ASTROLABE. 223 La santé de ces hommes avait beaucoup souffert dans le trajet ; le 1 3 juillet l'hôpital ne comptait pas moins de quatre cent quatre-vingt-huit malades. Des terres furent accordées aux officiers et aux sol- dats envoyés d'Angleterre, qui voulaient s'établir dans la colonie. Les convicts libérés, soit par émancipation, soit par pardon , qui désiraient devenir cultivateurs, reçurent aussi des terres a raison de trente acres par individu, et ceux qui étaient mariés, à raison de cin- quante acres, plus dix acres pour chaque enfant né au moment de la concession. La seule condition qui leur était imposée, était d'v résider et de cultiver leur terre, en réservant tout le bois nécessaire aux besoins du service de la marine. Les naturels se montraient assez tranquilles; ce fut vers le mois de septembre de cette année que Beni- long , chef de la tribu voisine de Sydney, commença à se lier plus intimement avec les Anglais. En novembre il vint même s'établir près du gouverneur, dans une petite maison que celui-ci lui fit construire ; de cette époque date l'union qui régna dans la suite entre les tribus de Sydney et les colons. Dans le cours de l'année 1 790, il mourut cent qua- rante-trois personnes , savoir : deux marins , un sol- dat , cent vingt-trois convicts hommes , sept idem femmes , et dix enfans. En février 1791 , la chaleur fut si étouffante a Rose- Hill, qu'une quantité d'oiseaux et de chauve-souris tombèrent mortes soit au vol , soit des arbres où elles étaient suspendues. 224 VOYAGE Dans le mois suivant , James Ruse , le premier cul- tivateur, après quinze mois de travaux, jugeant qu'il pouvait suffire à ses besoins avec le produit de sa mé- tairie, renonça à ses droits sur les magasins publics. Le 1 4 juin , le gouverneur donna à la ville fondée près de Rose-Hill , le nom de Parramatta. Durant le reste de Tannée , on vit arriver successi- vement les transports le Mary-Ann, le Matilde, rAtlaritic , le Salamander , le TVilliam el Ann, V Active , le Queen, Albemarle , Britannia et VAd- miral-Barrington , qui renforcèrent la colonie d'en- viron mille sept cents convicts , hommes et femmes , et de divers détachemens du régiment de la Nouvelle- Galles du sud. Le navire de Sa Majesté, le Gorgoji, de 44 canons, capitaine Parker, arriva le 21 septembre, apportant du cap de Bonne-Espérance , un veau mâle , seize vaches , soixante-huit brebis , onze cochons , deux cents arbres à fruit, et quantité de semences de blé et de légumes, Ce navire apporta aussi un sceau pour la colonie , et une commission qui autorisait le gouverneur à re- mettre d'une manière absolue ou conditionnelle tout ou partie des termes pour lesquels les convicts se trou- vaient transportés. A l'époque du départ du Sapply pour l'Angle- terre, le 26 novembre, il y avait déjà neuf cent vingt et une acres de terre défrichées et cultivées. Dans ce mois la mortalité fut si grande qu'il périt cinquante-quatre convicts, cinquante hommes et quatre femmes. La perle totale de l'année, par les maladies, fut de un DE V ASTROLA.BE. 225 fonctionnaire civil , deux soldats , cent cinquante-cinq convicls hommes , huit femmes idem, , et cinq enfans. En 1792 on poursuivit avec vigueur la construc- tion des bâtimens en briques , pour remplacer les ba- raques en bois qui commençaient à tomber en ruines. Les vols se renouvelaient d'une manière effrayante , quoiqu'une punition sévère suivit de près le crime. Ce qu'il y eut de plus triste, c'est qu'ils furent souvent occasionés par la faim , motif qui en tout autre pays eût pu servir d'excuse. Le 24 juillet le transport Britannia apporta pour quatre mois de farine , et huit mois de salaison pour la colonie entière , composée alors de quatre mille six cent trente-neuf individus. On put en conséquence augmenter la ration allouée par semaine à chaque per- sonne. Deux marchés sont élevés, l'un à Sydney, l'autre à Parramatta, sous la direction de deux commis char- gés de veiller à ce qu'on n'y vende , achète ou échange aucuns objets volés. La pierre à chaux est découverte dans l'ile Norfolk; cette utile matière devient d'un grand intérêt pour les habitans de la colonie. Au grand regret de tous les gens de bien, sur la fin d'octobre le gouverneur Phillip fait connaître le désir qu'il a de quitter son gouvernement pour aller rétablir, en Angleterre , sa santé délabrée. Le 1er novembre fut signalé par l'arrivée du brigantin Philadelpfaay capitaine Patrickson, de Philadelphie, qui, ayant appris au cap de Bonne-Espérance la disette 226 VOYAGE de la colonie , se dirigea vers Port-Jackson avec des provisions en tout genre. Le gouverneur en acheta pour la valeur de 2,829 liv. st. pour les magasins pu- blics ; le reste de la cargaison fut vendu aux divers officiers avec beaucoup d'avantages. Le premier numéraire qui vint dans la colonie , pour l'usage du gouvernement , fut une caisse de dol- lars formant 1,000 liv. st., ce qui facilita beaucoup les menues affaires du commerce. V Atlantic mit à la voile le 1 1 septembre , ayant à bord le gouverneur Phillip et deux naturels, Benilong et Jemmera-Wanik , qui s'étaient attachés à sa per- sonne. Les concessions faites aux cultivateurs s'élevaient alors à trois mille quatre cent soixante-dix acres, dont quatre cent dix-sept et demie en pleine culture, et cent seulement éclaircies. En outre mille douze acres et demie étaient défrichées et cultivées pour les besoins publics. Cela prouve combien un petit nombre de con- victs , travaillant pour leur propre compte , opérèrent de bien plus grands résultats que la masse entière employée au compte du gouvernement. Durant Fabsence du capitaine Phillip, sa place fut occupée par Francis Grose , major commandant le corps de New-South-Wales , qui fit remplir par des officiers militaires les charges occupées par des civils. En 1793, plusieurs officiers, avec l'autorisation du gouvernement , choisirent des terres à Parramatta et sur les bords de la baie , afin de les cultiver pour leur propre compte. Chaque officier put employer DE L'ASTROLABE. 227 dix convicts : comme on leur permit de les payer en esprits (rhum), les propriétés furent bientôt d'un grand produit. Le 10 janvier, le transport Bel/ona, chargé de pro- visions, apporta cinq colons libres avec leurs familles ; le lieu où ils s'établirent prit le nom de Liber h/ -Plains. Le gouvernement anglais leur accordait le passage et la nourriture, les outils propres à la culture, leur fournissait les vivres de la colonie durant deux ans, leur concédait des terres sans aucune redevance et les convicts nécessaires pour les défricher, avec la ration de ceux-ci durant deux ans. Le 1 3 mars , les deux navires espagnols Descu- bierta et Atrcvida, commandés par Malespina et Bustamiento, et employés à un voyage de décou- vertes dans la mer du Sud, mouillèrent sur la rade. On leur permit de bâtir un observatoire sur la pointe du port, près de la hutte de Benilong, qui leur servait de magasin pour les instrumens. La présence de ces étrangers rompit l'uniformité des événemens à Syd- ney, et devint une source d'amusemens pour ses ha- bitans. Au mois de juillet fut commencée l'érection d'une église de soixante-treize pieds de long sur quinze de large. Elle devait être construite en pierres , chaux et plâtre , et surmontée d'un toit de chaume. Le samedi 23 novembre de cette année, on fit dans les magasins, pour la première fois, des distributions de grains provenant de la colonie ; on éprouva d'abord quelque difficulté pour la mouture ; mais on éta- 228 VOYAGE blit d'autres moulins, et cet obstacle fut bientôt surmonté. A la fin de l'année, Sydney s'était accru, depuis le départ du gouverneur Phillip , de cent cabanes et de cinq baraques. Des bateaux de passage établis pour communiquer par eau , de Sydney à Parramatta , furent conduits par des convicts qui avaient fini leur temps ; le prix du trajet fut fixé à un schelling par personne et autant pour chaque quintal de port du bagage. L'année 1793 vit périr cent cinquante-trois per- sonnes , savoir : sept soldats , deux cultivateurs , soixante - dix - huit convicts mâles, vingt-six idem femmes, et vingt-neuf enfans. Au mois de mars 1794, la colonie se vit encore menacée d'une nouvelle disette; le jour même où Ton faisait les dernières distributions des provisions des magasins , le William de Londres arriva avec onze cent soixante-treize barils de bœuf, et cinq cent sept de lard; et quelques jours après, l'Arthur, du Ben- gale, avec diverses provisions. Les défrichemens s'étendirent sur une plus grande échelle , et les plantations de l'île Norfolk réussirent au-delà de toutes les espérances ; King , gouverneur de cet établissement , avait acheté des colons onze mille boisseaux de maïs, en billets tirés sur le trésor; mais le lieutenant-gouverneur Grose ne jugea pas à propos de les accepter, et les cultivateurs découragés abandonnèrent leurs terres pour revenir à la Nouvelle- Galles du sud. Vers la fin du mois de décembre , le DE L'ASTROLABE. 229 lieutenant-gouverneur G rose quitta la colonie , et fut remplacé provisoirement par le capitaine Paterson du corps de New-South-Wales. Il ne mourut cette année que cinquante-neuf personnes. Au commencement de 1795, le maïs qui mûrissait sur les bords de l'Hawkesbury, promettait au moins trente mille boisseaux de grains. Mais les pluies abon- dantes qui survinrent alors firent tellement déborder le fleuve, qu'elles causèrent de grands ravages aux ré- coltes des fermiers et du gouvernement. Les naturels n'avaient cessé de temps en temps de se livrer à des actes d'bostilité envers les Euro- péens, et même de commettre parfois des meurtres; cependant on les avait jusqu'alors ménagés. Mais au mois de mars leurs déprédations furent si répétées , ils devinrent si audacieux , que le capitaine Paterson fut obligé d'envoyer des soldats armés pour protéger les colons contre leurs attaques. Plusieurs des natu- rels de la tribu de Bédia-Gal , habitante des bois, qui s'étaient montrés les plus âpres au pillage, furent exterminés. Le Providence de 28 canons, capitaine Broughton, arriva d'Angleterre. Le courant l'avait entraîné jus- que devant Port-Stephens, où le capitaine trouva et recueillit a bord quatre misérables individus qui s'é- taient échappés de Sydney, en 1790, et que chacun croyait noyés , d'après le mauvais état du canot qui les portait. L'histoire qu'ils firent servit quelque temps d'aliment à la curiosité publique. 11 paraît qu'ayant abordé à Port-Stephens, ils vécurent h la TOME I. l6 230 VOYAGE manière des sauvages : mais la nourriture de ceux-ci n'était nullement de leur goût. Chacun d'eux reçut des naturels un nom et une femme, et deux en eurent des enfans. Les naturels les nourrissaient, et les con- sidéraient comme de malheureuses créatures qui avaient droit à leur protection ; lorsque ceux-ci com- mencèrent à se faire entendre des sauvages , ils leur persuadèrent qu'ils étaient les esprits de leurs ancê- tres ; un de ces bons naturels crut si bien à cette fable, qu'il lui sembla reconnaître les traits de son père dans un des convicts , et il le conduisit au lieu où ses restes avaient été brûlés. Le 7 septembre, le gouverneur Hunter arriva sur le navire le Reliance ; il prit les rênes du pouvoir le 1 1 du même mois. Un des premiers actes de son gou- vernement , fut d'ordonner un recensement exact des personnes et des bestiaux vivans dans la colonie. Il recommanda la culture du maïs sur la plus grande échelle pour la nourriture du bétail , et accepta les billets souscrits par le gouverneur de Norfolk , que son prédécesseur avait refusés. Il ne tarda pas non plus à rétablir dans leurs fonctions les magistrats civils. En novembre , la presse apportée par le gouver- neurPhillip, et dont on ne s'était jamais servi, ayant été mise en activité, les ordres du gouvernement furent désormais imprimés. Dans ce même mois, on acquit la certitude que les bestiaux perdus en 1 788 avaient été retrouvés sur les bords du Nepean. En effet , le gouverneur suivi de DE L'ASTROLABE. 231 MM. Collins, Water-Houseet Bass, qui s'étaient mis en marche pour juger de la vérité par leurs propres yeux , trouvèrent bientôt un beau troupeau de soixante bètcs à cornes paissant dans un agréable et fertile pâtu- rage. Afin de s'assurer si ces animaux étaient bien les mêmes qui étaient venus du Cap, le gouverneur donna Tordre de tuer un veau. On ne put y réussir, et l'on fut attaqué par un taureau furieux qui conduisait l'arrière- garde ; on se vit obligé de le tuer pour se défendre de ses attaques ; un examen attentif donna la solution qu'on cherchait. Ces animaux , au nombre de deux taureaux et cinq vaches perdus en 1788, avaient sans doute marché vers l'ouest jusqu'au bord du Nepean, et, l'ayant faci- lement traversé , ils s'étaient trouvés dans un terrain bien arrosé et fertile en pâturages , où ils s'étaient établis et avaient promptement multiplié. Il y eut alors des personnes qui proposèrent de faire des tentatives pour ramener ces fugitifs à rétablisse- ment; mais l'avis du capitaine Collins fut de les laisser tranquilles durant quelques années , vu qu'ils pour- raient, comme dans l'Amérique méridionale , devenir un objet de commerce suffisant , non-seulement pour la consommation du pays , mais encore pour son ex- portation. Le gouverneur, goûtant cette raison, se décida à les protéger de tout son pouvoir, et à les garantir de toutes sortes d'injures. Le naturel Benilong était revenu avec le gouverneur Hunter, et durant son absence avait acquis des ma- nières et une sorte deducation qui relevaient beau- 232 VOYAGE coup au-dessus de ses compatriotes. Il s'absentait souvent du gouvernement, mais quand il revenait, il ne paraissait jamais devant le gouverneur sans s'ha- biller, car il laissait toujours ses vêtemens chez lui quand il entreprenait quelque excursion. Immédiatement après son arrivée , son premier soin fut de s'informer de sa femme Gorou-Barrou-Boullo, qu'il trouva unie à Karuey. A la vue d'un très-joli jupon rouge et d'un corset de gros drap accompagné d'un bonnet de la même couleur, elle quitta son amant pour reprendre son ancien époux. Néanmoins , peu de jours après , à la surprise générale , on vit la dame débarrassée de toute espèce de toilette, et Benilong était absent. On chercha Karuey, et on apprit alors qu'il avait été rudement battu par Benilong, qui avait assez appris de la méthode anglaise pour faire usage de ses poings en place des armes de son pays , au grand regret de Karuey, car celui-ci eût bien préféré se mesurer sur le terrain avec son rival , armé de la lance et du casse-tête. Karuey étant de beaucoup le plus jeune, et la dame n'étant pas femme à demi, suivit son penchant , et Benilong fut obligé de re- noncer à elle sans plus d'opposition. Il parut satisfait de la correction qu'il avait donnée à Karuey, et fit entendre que, pour le moment, il resterait sans femme, et verrait par la suite à faire un meilleur choix. Vers la fin de cette année , un phénomène extraor- dinaire arriva dans l'Hawkesbury. Quatre fermes eurent leurs récoltes entièrement détruites par une DE L'ASTROLABE. 233 pluie de glaçons. Le blé, qui était encore debout, fut mis en pièces , et le grain haché. Les tiges de maïs furent coupées et les épis abattus. Un homme, assez éloigné de toute habitation, fut heureux de pouvoir se mettre à l'abri dans un creux d'arbre. Tous les ar- bres qui se trouvaient sur le chemin de ce grain, et qui eurent le coté exposé à sa fureur, furent maltrai- tés comme s'ils eussent reçu des décharges de mous- queterie. Le temps fut doux durant les deux journées qui suivirent; néanmoins la glace resta sur la terre en aussi gros morceaux qu'à sa chute. On en trouva quelques blocs, qu'on ne rapporta que le second jour; ils avaient de six à huit pouces de long sur deux doigts au moins d'épaisseur. Cette année vingt-six personnes seulement périrent dans la colonie , quantité beaucoup moindre qu'on n'avait lieu de l'attendre. En 179G, la contrebande des esprits se fit avec une telle activité, et il en résulta tant d'excès dans la colonie, que le gouverneur se vit obligé de prendre à diverses époques plusieurs moyens pour arrêter ces abus. Mais ses efforts furent inutiles ; il ne put empê- cher les navires qui touchaient à Port-Jackson , de débarquer frauduleusement cette denrée dont les convicls étaient si avides et qu'ils payaient à si haut prix. Sur une enquête ordonnée par le gouverneur en mai , on reconnut que les colons des districts de Ponds, Field-of-Mars , Eastern-Farm , Prospcct-Hill et Mul- grave-Place, s'étaient endettés jusqu'à la valeur de 234 VOYAGE 5,098 livr. sterl., par suite de leur paresse et de leur ivrognerie, qui les entraînaient dans toutes sortes d'excès. Le 20 juin, le gouverneur et sa compagnie furent visiter le troupeau sauvage , qui se trouva alors composé de 94 animaux. On travailla à construire un palais de justice, et on commença à employer des chariots traînés par des bœufs, pour transporter le bois de construction à Sydney et à Parramatta , ce qui épargna le travail de beaucoup d'hommes. Le recensement des habitans , du bétail , et des au- tres articles^de la colonie, qui eut lieu le 1er septembre de cette année, prouve quels progrès rapides elle avait faits depuis sa fondation , et de quel succès avaient été couronnés les efforts des officiers qui la diri- geaient. Les animaux vivans offrirent un total de 57 che- vaux et jumens ,101 vaches et génisses , 74 taureaux et veaux, 54 bœufs, 1,531 moutons, 1,427 chèvres et 1,869 cochons. Le gouvernement possédait de terre en culture 1,700 acres Les officiers civils et militaires. . . . 1,172 Les fermiers 2,547 Total 5,419 La population consistait en 4,848 âmes pour New- DE L'ASTROLABE. 2SÔ SouLli-Wales et les dépendances, savoir : 3,959 poul- ie continent, et 889 pour File Norfolk. Parmi ceux-là, 321 ne vivaient point aux dépens du gouvernement. Quant aux 3,638 qui tenaient leur subsistance des magasins publics, ils se trouvaient ainsi distribués, savoir : 2,219 à Sydney, 965 à Par- ramatta, et 454 dans l'Hawkesbury. La dépravation des convicls qui augmentait rapi- dement, et la multiplication de leurs délits, enga- gèrent le gouverneur à faire construire deux grandes prisons de bois à Sydney et à Parramalta. Les mai- sons de ces deux villes furent numérotées et divisées par quartiers. Un babitant dut surveiller dans cbacun de ces quartiers la tranquillité publique, et trois watch- men devaient se relever d'année en année avec l'ap- probation du gouverneur. Benilong, ennuyé de la vie civilisée, était retourné à ses habitudes sauvages ; il supplia le gouverneur de le protéger contre la fureur de ses concitoyens, qui voulaient le faire périr pour le meurtre d'un homme qu'on l'accusait d'avoir tué près Botany-Bay, tandis qu'il protestait de son innocence. Le gouverneur, acquiesçant à sa prière, envoya à Brickfield, où les naturels attendaient Benilong, une garde, pour leur expliquer qu'il n'était coupable d'aucun meurtre, et que le gouverneur ne permettrait plus d'approcher de l'établissement à aucun de ceux qui oseraient l'in- sulter. En mars 1797, les naturels exercèrent de grands ravages dans les fermes du nord. Les cultivateurs 236 VOYAGE furent obligés de se rassembler pour se mettre à leur poursuite ; ils les trouvèrent réunis au nombre de cent environ, et les mirent en déroute en les forçant de laisser leur butin. Mais en revenant chez eux, ils fu- rent harcelés à leur tour par les sauvages ; obligés de faire feu dessus, ils tuèrent cinq hommes et en bles- sèrent plusieurs. Du nombre de ceux-ci, se trouvait Pe-Mul-Waï, leur chef; il fut fait prisonnier, mais il réussit de suite à s'échapper avec une chaîne aux pieds. Le 27 juillet, un jeune naturel, accusé d'avoir com- mis un meurtre, subit la peine du talion, ordinai- rement employée en ces sortes d'occasions. Dans le combat, deux lances percèrent sa main; puis ses amis se précipitèrent sur ses adversaires , les défirent et rompirent leurs lances. Benilong fut encore accusé d'avoir tué une femme indigène, parce qu'elle dit à ses amis, à l'instant de sa mort, qu'elle rêvait que Benilong en avait été la cause ; mais il protesta que cette femme lui était parfaitement étrangère, ne l'ayant jamais vue. Vers la fin de septembre , une visite que l'on fit au troupeau sauvage, révéla qu'il en existait au moins deux, l'un de 67, et l'autre de 170 tètes d'ani- maux. A la fin de cette année , trois écoles pour l'éduca- tion des enfans se trouvaient déjà établies à Sydney. Gomme les vacances commencent, à Noël, 102 enfans, proprement habillés et accompagnés par leurs maî- tres , vinrent présenter leurs hommages au gouver- DE L'ASTROLABE. 237 neur, qui examina les progrès des élèves les plus âgés, dans l'écriture, etc. Décembre vit terminer la toiture des nouveaux magasins , la tour qui devait recevoir la cloche qu'a- vait apportée le Reliance, la construction d'un autre moulin à vent, et les baraques des aides-chirurgiens. En janvier 1798, les prisonniers, arrives d'Irlande sur les derniers navires, devinrent si turbulens, qu'il fallut avoir recours aux traitemens les plus ri- goureux pour les fixer au travail. Outre le naturel vicieux de leurs penchans , ils se formèrent l'opi- nion ridicule qu'il existait, à la distance seulement de trois ou quatre cents milles au S. O. de l'établisse- ment, une colonie de peuples blancs où ils pourraient jouir de toute espèce de bonheur sans travailler, pers- pective la plus flatteuse que puissent imaginer des êtres comme eux, aussi fainéans qu'ignorans. Par suite de cette idée, ils formèrent le projet de s'échapper de la colonie, et se proposèrent de l'effec- tuer aussitôt qu'ils auraient pu se procurer une quan- tité suffisante de provisions. Le gouverneur, informé de ces desseins, envoya un magistrat à Tongabbi, où les principaux mécon- tens étaient employés , pour leur représenter le dan- ger auquel une pareille entreprise les exposerait. En outre, il leur annonça que le gouverneur était dis- posé à permettre à quatre d'entre eux d'aller aussi loin que cela leur ferait plaisir, avec autant de pro- visions qu'ils pourraient en porter; que, pour les pro- téger, il ordonnerait à trois autres individus, accou- 238 VOYAGE lûmes à courir les forêts et connus des sauvages, de les accompagner et de les conduire dans toutes les directions qu'ils voudraient désigner. D'après les renseignemens que l'on prit, il paraît que l'histoire de ce prétendu peuple avait pris sa source dans un conte étrange, qu'un convict, qui avait quitté son travail pour vivre avec les naturels , avait recueilli des sauvages des montagnes. L'événement prouva bientôt quel avait été l'effet de cet avis du gouverneur. Il apprit qu'un grand nombre de ces malheureux s'assemblaient pour aller à la re- cherche de la nouvelle peuplade. Une troupe de cons- tates armés fut envoyée pour en arrêter le plus grand nombre possible ; seize furent saisis et emprisonnés. Ils parurent ignorer complètement le lieu où ils voulaient aller. Mais , considérant tout à la fois leur ignorance et leur opiniâtreté , le gouverneur comprit qu'aucun argument ne pourrait mieux les convaincre de leur folie, qu'une correction sévère imposée à ceux qui semblaient les instigateurs du complot. Ainsi sept d'entre eux reçurent deux cents coups de fouet cha- cun, et le reste, après avoir été puni à Parramatta, fut envoyé aux travaux forcés, et bien surveillé. La nécessité de réprimer cette manie d'émigration détermina le gouverneur à les convaincre, par leur propre expérience, des dangers qu'elle entraînait. Ainsi quatre des plus vigoureux furent choisis et pré- parés pour un voyage de découvertes. Ils devaient être accompagnés par trois hommes , qui devaient , lorsqu'ils seraient las de leur excursion , les ramener DE L'ASTROLABE. 239 par les parties les plus difficiles et les plus imprati- cables du pays. Biais ce plan ne fut pas plutôt adopté, que le gouverneur apprit qu'une bande s'était con- certée avec les quatre coquins désignes , pour aller les joindre à un endroit convenu ; là ils projetaient d'assassiner leurs guides, puis de s'emparer des armes et des provisions, et ensuite de poursuivre leur course suivant leur propre caprice. Cet infernal projet fut déconcerté par l'escorte de quatre soldats ajoutés aux guides, et ils partirent tous le 14 de Parramatta. Le 24 les militaires ramenèrent trois de ces mau- vais sujets, qui, à leur arrivée au pied des premières montagnes, se trouvèrent si fatigués de leur voyage, et dégoûtés de la perspective qui s'offrait à leurs re- gards, qu'ils supplièrent les soldats chargés de les aban- donner en cet endroit avec les guides, de les ramener à la colonie avec eux. Un seul homme témoigna le désir de pénétrer plus avant, et fut en conséquence laissé avec les guides. Ceux-ci ne furent de retour à Prospect-Hill que le 9 février, accablés de fatigues et pouvant à peine re- muer leurs membres, tant ils étaient épuisés. Ils avaient erré durant quinze à dix-huit jours dans les forets , les montagnes et les ravins. De beaux pâturages , quel- ques rivières et des terres d'un aspect fertile s'étaient présentés à leurs regards. Ils avaient découvert des carrières de chaux , de sel, de charbon de terre, et communiqué avec des naturels dont Wilson ne pul comprendre le langage, quoiqu'il connût déjà celui des naturels des montagnes. 240 VOYAGE Vers cette époque, M. Bass, chirurgien du Re- liance , revint d'une excursion en canot , qu'il avait faite vers le sud , et qui avait duré douze semaines. Il avait pénétré jusqu'à 40° S. , visité chaque ouverture de la côte ; mais il n'avait trouvé qu'en un seul endroit au S. O. de la pointe Hicks , un havre capable de re- cevoir des vaisseaux. Là il observa aussi l'apparence d'un détroit , ou plutôt d'une mer ouverte entre les la- titudes de 39 et 40° S. , et conjectura que la terre de Van-Diémen devait se composer d'un groupe d'îles si- tuées au S. de la Nouvelle-Hollande. Au mois d'avril, le bruit courut, surtout parmi les Irlandais , qu'une vieille femme avait prophétisé l'ar- rivée de plusieurs frégates ou grands navires de guerre français , qui , après avoir détruit l'établissement , dé- livreraient et emmèneraient les convicts. Ce conte ridi- cule fut propagé avec une rapidité incroyable. En conséquence , un des condamnés de la chaîne de Tongabbi jeta sa pioche, et, s'avançant à la tête de ses camarades , poussa les cris de liberté. Ils furent promptement accueillis par ses compa- gnons ; mais un magistrat, qui se trouvait à portée , mitfin au trouble en faisant saisir ce farouche Irlandais, qui ne tarda pas a être lié et récompensé par une sé- vère fustigation. On sut ensuite que la femme que l'on donnait pour la prophélesse en question , était une vieille Ecossaise qui faisait de la bière et la vendait aux ouvriers. Elle avait tout simplement rêvé l'arrivée des Français , et avait conté son songe à un homme qui l'avait ensuite DE L'ASTROLABE. 241 publié comme une prophétie. Tel était le fondement de cette ridicule histoire. Le i4 mai, le brick Nanti las arriva de Taïti dans un grand état de détresse. Il ramenait plusieurs des missionnaires de cette île, avec leurs familles. Ceux-ci avaient reçu plusieurs mauvais traitemens des naturels qui les avaient même menacés de leur enlever leurs femmes, ce cpii les obligeait à rester à peu près ren- fermés dans leurs palissades. Comme le Naatilus était, hors d'état de les recevoir tous à bord , il en resta six ou sept sur l'île. Les naturels , en mai , renouvelèrent leurs pillages sur les fermes du sud ; ils vinrent en bandes nom- breuses, et brûlèrent plusieurs maisons. Le 6 juin , le gouverneur alla visiter, à cinq ou six milles de Parramatta , un terrain où il établit les mis- sionnaires de Taïti , et quelques personnes libres der- nièrement arrivées d'Angleterre par le Barwell avec leurs familles. A cetteoccasion, Barringtonseplaintde ce qu'on ait toujours , jusqu'à ce moment, laissé partir tous les navires d'Angleterre , sans y embarquer quel- ques personnes libres pour la colonie , pour diminuer les inconvéniens d'une société qui n'était, pour ainsi dire , composée que de convicts. Cette observation prouve évidemment que la population libre de New- South-Wales ne se composait guère alors que des fonctionnaires établis dans le pays , et des condamnés qui avaient été libérés ou émancipés. Le 11 octobre M. Bass et le lieutenant Flinders, du Reliance , mirent à la voile sur un petit bateau 242 VOYAGE ponté, construit à Me Norfolk, et nommé en consé- quence le Norfolk, que le gouverneur avait fait équiper pour cet objet. Leur mission était de reconnaître le détroit qu'on supposait exister par la latitude du 39° S. entre la Nouvelle-Hollande et la terre appelée jus- qu'alors Van-Diemen Land. Dans le cours de cette année, d'une part la cupidité des fermiers pour se procurer divers objets apportés du dehors, et surtout des esprits ; de l'autre, l'empres- sement que mettaient les trafiquans à concentrer ces objets dans leurs mains pour les revendre en détail à des prix exorbitans , devinrent funestes aux pre- miers. Plusieurs d'entre eux s'obérèrent pour des sommes considérables , et se virent obligés de vendre pour ainsi dire à discrétion leurs grains et les produits de leurs terres aux marchands. Malgré l'attention du gouvernement à combattre ces dangereux abus , malgré les mesures tentées par lui à diverses époques pour les réprimer , ses efforts furent inutiles ; voilà l'une des principales causes de l'extrême lenteur des progrès de la colonie. En octobre on jeta les fondemens d'une église en pierre à Sydney ; elle devait avoir cent cinquante pieds de long, et cinquante-deux de large. On se prépara à en construire une semblable à Parramatta, mais dans de moindres dimensions. Benilong, qui eût pu continuer de vivre très-heu- reux dans le palais du gouverneur, préférait la dange- reuse société de ses concitoyens , et ne visitait l'établis- sement que quand il ressentait trop vivement le besoin DE L'ASTROLABE. 243 de quelques-unes des ressources de la vie civilisée. Il reçut plusieurs blessures telles qu'une seule eût sans doute causé la mort d'un Européen. A la fin de 1 708 , le bétail de la colonie se compo- sait de 44 chevaux, 73 jumens, 1G3 taureaux et bœufs, 258 vaches, 2,8G7 cochons, 1,459 moutons, 2,4 13 brebis, 787 boucs, et 1,880 chèvres. Il y avait en pleine culture 4,659 acres de froment, 1,453 de maïs , et 57 ]/<2 en orge. Le 2 janvier 1 799 , on accorda plusieurs certificats à des convicts qui avaient complété leur temps de dé- portation ; ceux qui désirèrent rester maîtres de leur personne, furent rayés des rôles de ration. Le 12 du même mois , MM. Flinders et Bass revin- rent de leur voyage d'exploration à la terre de Van- Diémen sur le Norfolk. Ils reconnurent les îles au nord de Van-Diémen, découvrirent le port Dalrym- ple, passèrent à l'ouest pour se rendre à la rivière Derwent dont ils visitèrent les environs, et revin- rent par l'est aux îles du cap Barren. L'existence du détroit que M. Bass avait déjà soupçonné dans son voyage précédent au port Western , fut ainsi cons- tatée; aussi le gouverneur Huntcr jugea-t-il à propos de lui donner le nom de cet intrépide navigateur. Le 1 1 février, les prisons en bois de Sydney furent consumées par les flammes , et tout porte à croire que cet incendie fut prémédité. Pour en prévenir les réci- dives, on s'occupa sur-le-champ de bâtir un nouvel édi- fice en grosses pierres , entouré de murailles très- épaisses. 244 VOYAGE Les sécheresses excessives qui avaient duré si long- temps et avaient causé tant de tort aux moissons , furent suivies en mars de pluies abondantes qui du- rèrent plusieurs jours et ranimèrent en tous lieux la végétation anéantie. Sur les bords de l'Hawkesbury, les crues d'eaux eurent des suites funestes. Cette rivière , en peu d'heures , se gonfla jusqu'à la hauteur de cinquante pieds au-dessus de son niveau ordinaire , et acquit une telle rapidité quelle entraîna tout ce qui se trouva sur son passage. Les magasins du gou- vernement , les maisons des fermiers, avec leurs effets et une grande partie des bestiaux, furent submergés et détruits. Plusieurs habitans eurent à peine le temps de se sauver en canots , et cependant il n'en périt qu'un seul. Toute la contrée environnante offrit bientôt l'aspect d'un lac immense. La perte fut d'autant plus grande que les fermiers n'ayant reconnu d'avance aucun symptôme qui pût causer cet accident, ne s'y étaient nullement prépa- rés. Cependant les naturels, qui l'avaient prévu, avaient averti les fermiers, mais ceux-ci n'avaient voulu tenir aucun compte d'un si important avis. Nul doute que l'inondation n'eût été causée par des pluies abon- dantes qui avaient tombé dans l'intérieur des monta- gnes , et qui ne purent trouver d'autre débouché que celui de la rivière dont le lit se trouva subitement grossi d'une manière si extraordinaire. En avril le bruit courut que les équipages de deux bateaux envoyés pour charger du charbon de terre sur les bords de la rivière Hunier, avaient été taillés DE L'ASTROLABE. 245 en pièces par les naturels. Le gouverneur envoya à leur recherche Hacking avec sa baleinière bien armée. Celui-ci tomba sur un fort parti de sauvages aux- quels il demanda ce quêtaient devenus les Européens. Les naturels répondirent qu'ils étaient repartis pour Sydney; mais comme il vit entre leurs mains les voiles, les couvertures des hommes, et leurs divers effets, cette réponse ne satisfît point Hacking. Il les menaça de faire feu sur eux s'ils ne disaient pas la vérité sur- le-champ, et les coucha enjoué. Les sauvages se mo- quèrent de lui, et lui signifièrent que s'il ne se retirait pas en laissant le canot et même celui dans lequel il était venu , ils l'allaient percer lui et ses compagnons , et aussitôt ils se mirent à balancer leurs lances d'une manière très-menaçante. Hacking ajusta son arme sur eux et tira la gâchette , uniquement pour les effrayer, mais au contraire ils n'en devinrent que plus auda- cieux et plus turbulens. Jugeant l'attaque inévitable, il chargea son arme avec du plomb à loup, et leur commanda de se retirer ; mais leur audace croissant toujours, il tira enfin sur eux et en fit tomber quatre, dont un se releva bientôt en prenant la fuite : comme les trois autres restèrent étendus par terre, ils furent très-probablement blessés à mort. Toute la troupe disparut, laissant Hacking se retirer sans danger. On n'entendit plus parler des hommes des canots durant quelques jours , ce qui fit craindre qu'ils n'eussent été assassinés ; mais ils atteignirent heu- reusement l'établissement peu de temps après. TOME I. *7 246 VOYAGE Durant l'hiver de cette année, les vols, les meur- tres et les crimes de toute espèce devinrent plus fré- quens qu'ils n'avaient jamais été; les magistrats eurent recours à des moyens plus fermes que jamais pour en arrêter le cours ; le dérèglement des femmes fixa aussi leur attention. Au mois de juin la colonie offrait 4,393 acres de terrain semées en blé , et 1 ,440 en maïs. Certains particuliers possédaient jusqu'à 200 et 290 acres de terre en culture. En vertu des ordres du gouverneur, le 8 juillet, le lieutenant Flinders repartit sur le Norfolk pour explorer avec soin toute l'étendue de côte comprise depuis Port-Jackson jusqu'à la baie Harvey, située par 24° 36' S. Il s'acquitta avec beaucoup de distinc- tion de cette tâche délicate, et rentra le 20 août à Sydney, après avoir fait d'importantes découvertes. Il avait eu pour compagnon dans cette excursion un jeune naturel nommé Boungari, très-intelligent, et qui lui fut fort utile dans ses communications avec les sau- vages de la côte. Plusieurs convicts s'étant échappés à diverses re- prises sur les navires qui quittaient Port-Jackson , on fut obligé de visiter avec soin ceux qui mettaient à la voile , et de décréter des punitions sévères contre les officiers ou les marins qui favoriseraient de sembla- bles évasions. Les terres en culture , à la fin de l'année , montaient à 5,465 acres de blé, 2,302 de maïs, 82 d'orge, et 8 seulement d'avoine. DE L'ASTROLABE. 247 Le bétail comptait 39 chevaux , 72 jumens , 1 88 taureaux et bœufs ,512 vaches , 3, 1 89 cochons , 4,781 moutons, et 2,588 chèvres. Au mois d'août 1 800 , on apprit à Sydney la mort de Wilson. Depuis qu'il se trouvait dans ce pavs , il avait passé la plus grande partie de sa vie dans les bois avec les sauvages. On le soupçonnait fort de leur indiquer les moyens de molester les fermiers avec le plus de succès et le moins de danger possible. Cepen- dant sur la proclamation du gouverneur, il se rendit, et promit de se corriger. Comme il ne pouvait être convaincu que d'un penchant prononcé pour l'oisiveté, on lui pardonna , et on le pourvut même d'un mous- quet et de munitions , pour accompagner ceux qui faisaient des excursions dans les bois. Le reste du temps il allait à la chasse des kangarous et des oi- seaux. Le premier ménure qu'on vit dans le pays fut tué par lui. C'était sa coutume de vivre de la chair des oiseaux qu'il abattait , puis il en apportait les peaux à l'établissement. Il avait acquis sur les naturels des bois une telle influence , qu'il leur avait persuadé qu'il avait été lui- même un homme de couleur de leur race ; il pous- sait le mensonge au point de désigner une vieille femme de leur tribu comme sa mère. Cette pauvre vieille fut assez simple et assez crédule pour recon- naître son fils dans ce vaurien. Les naturels qui ha- bitent les bois ne sont certainement pas aussi rusés que ceux qui habitent le rivage; ce qui dépend essen- tiellement de leur manière de vivre , l'état social in- 248 VOYAGE fluant beaucoup sur l'exercice el le développement des facultés mentales. Wilson profita de la simplicité des premiers : après s'être donné pour un de leurs com- patriotes , et leur avoir inspiré autant de crainte que de respect pour sa supériorité , il se permit de satisfaire ses désirs, en prenant des libertés intimes avec leurs jeunes femmes. Tout dépourvus qu'étaient ces sau- vages de raisonnement, Wilson éprouva cependant par une triste expérience qu'ils étaient susceptibles de ressentiment. Car, ayant soumis malgré elle une femme a ses passions , les amis de celle-ci profitèrent d'une circonstance où il ne pouvait se défendre, pour lui percer le corps d'une lance. Il finit ainsi sa car- rière, et laissa les naturels dans l'attente de le voir revenir un jour sous la forme d'un autre homme blanc. Le gouverneur Hunter quitta la Nouvelle-Galles du Sud sur le Buffalo, le 28 septembre 1800, empor- tant avec lui l'estime et les regrets de tous les habi- tans , pénétrés de reconnaissance pour les sentimens de justice et d'humanité qui l'avaient toujours animé. La direction de la colonie resta entre les mains du lieu- tenant-gouverneur Gidley King. Au départ du gouverneur Hunter, on comptait dans la colonie 60 chevaux, 143 jumens, 332 bœufs et taureaux, 712 vaches, 4,017 truies, 2,031 co- chons, 4,093 brebis, 725 béliers et 1,455 chèvres; 4,665 acres de terre en blé, 2,930 en maïs et 82 en orge, sans parler de ce qui était cultivé en jardins, patates et autres végétaux. DE L'ASTROLABE. 249 La quantité de terre en culture se trouva moindre que l'année précédente par suite de la misère des fermiers, provenant autant de leur extrême impré- voyance que du prix excessif des objets en tout genre, et des gages exorbitans qu'ils étaient obligés de payer aux ouvriers. Du reste le gouverneur Hunter laissa la colonie enrichie d'une quantité d'ouvrages , de monumens et d'édifices publics entrepris et exécutés sous sa direc- tion. Il ne négligea rien de ce qui pouvait tendre à sa prospérité , et sut tirer du travail des convicts le parti le plus avantageux. On sera sans doute curieux de voir d'un seul coup- d'œil la série des navires des différentes nations qui vinrent mouiller à Port-Jackson depuis l'établisse- ment de la colonie jusqu'au 27 novembre 1800. Ce tableau donnera une idée assez juste de son impor- tance progressive sous le rapport des relations com- merciales. vuiAur NOMS DATES LIEUX CARGAISON. DES NAVIRES. DE L'ARRIVEE. DD DÉPART. Supply, conserve de S. M. 25 janv. 1788 Angleterre. Convicts. Syrius, navire de S. M. 26 janvier. Id. Id. Alexander, transport. Id. Id. Id. Scarborough, id. Id. Id. Id. Charlotte, id. Id. Id. Id. Lady Penrhyn , id. Id. Id. Id. Friendship , id. Id. Id. Id. Prince of JFales, id. Id. Id. Id. Fisli-Durn, navire d'ap- Id. Id. Id. provisionnement. Golden-Grove , id. Id. Id. Provisions. Borrow-Dale , id. Id. Id. Id. Syrius, navire de S. M- 6 mai 1789. Cap de Bonne- Espérance. Id. Lady Juliana, transport. 3 juin 1790. Angleterre. Convicts. Justinian , navire d'ap- 20 juin. Id. Provisions. provisionnement. Surprise, transport. 26 juin. Id. Convicts. Neptune, id. 28 juin. Id. Id. Scarborough , id. Id. Id. Id. Supply, navire de S. M. 19 septembre. Batavia. Provisions. TVaksamheid , nav. d'ap- 17 décembre. Id. Id. provisionnement hol- landais. Mary-Ann, transport. 1 9 juillet 1 791 Angleterre. Convicts. Mali Ida, id. ier août. Id. Id. Atlantic, id. 20 août. Id. Id. Salamander, id. 21 août. Id. Id. JJ'iUiam and Ann , id. 28 août. Id. Id. Gorgon, navire de S. M. 21 septembre. Id. Vivres et mu- nitions. Active, transport. 26 septembre. Id. Convicts. Queen, id. Id. Irlande. Id. Albemarle, id. i3 octobre. Angleterre. Id. Britannia, id. 14 octobre. Id. Id. Admirai Barrington , id. 1 6 octobre. Id. Id. Pitt, id. 14 févr. 1792. Id. Id. Atlantic, navire d'appro- 20 juin. Bengale. Provisions. visionnement. Britannia, id. 26 juillet. Angleterre. Id. 1 Royal Admirai, nav. d'ap- 7 octobre. Id. Convicts. provisionnement. DE L'ASTROLABE. 2ol NOMS DES NAVIRES. Plùladelphia , brick amé- ricain. K-ilty, transport. Hope, américain. Cheslerfield , baleinier. Rellona , transport. Hornutzear, shaw. Descubierta, espagnol. Atrevida, id. Dœdalus , navire d'appro- visionnement. Rrilannia, id. Roddington, transport. Sugar-Cane , id. Fairy, américain. William, navire d'appro- visionnement. Arthur. Dœdalus, navire d'appro- visionnement. Indispensable, id. Britannia, id. Speedr, id. Halcyon , américain. Hope, id. Fancy, navire d'approvi- sionnement. Resolution, id. Salamandcr, id. Mercury, américain. Surprise, transport. Experiment. Rritannia. Endeavour , navire d'ap- provisionnement. Providence , naviiv de S. M. DATES DE L'ARRIVÉE. i" novembre. 18 novembre. Décembre. Id. i5 janv. 1793 9 i lévrier. 12 mars. Id. 20 avril. Juin. 7 août. 17 septembre. 2 g octobre. 20 mars 1794. 10 mars. 3 avril. 14 mai. 3 juin. 8 juin. 14 juin. 5 juillet. 9 juillet. 10 septembre. 1 1 septembre. 1 7 octobre. ■iS octobre. 24 décembre. 4 mars 1795. 3i mai. 26 août. LIEUX DU DÉPART. Philadelphie. Angleterre. Rhode-Island. Cap de Bonne- Espérance. Angleterre. Id. Manille. Id. Côte N.O. d'A- mérique. Cap de Bonne- Espérance. Irlande. Id. Boston. Angleterre. Bengale. CôteN.O. d'A- mérique. Angleterre. Batavia. Angleterre. Rhode-Island. Id. Bombay. Angleterre. Id. Rhode-Island. Angleterre. Bengale. Cap de Bonne Espérance. Bombay. Angleterre. CARGAISON. Spéculation commerciale. Convicls. Spéculation. Pour répara- tions. Convicts. Spéculation. Pour rafraî ■ chissemens. Id. Provisions. Bétail et pro- visions. Convicts. Id. Pour rafrai- chissemens. Provisions. Spéculation. Provisions. Id. Id. Id. Spéculation. Id. Provisions. Id. Id. Id. Convicts. Spéculation. Provis. pour les officiers. Bétail. 252 VOYAGE NOMS DATES LIEUX CARGAISON. DES KAVIREs. de l'arrivée. DU DÉrART. Rellance, navire de S. M. 7 septembre. Angleterre. Munitions. Supph; id. Id. Id. Id. Young Jf'illiam, navire 4 octobre. Id. Id. d'approvisionnement. Sovereign. 5 novembre. Id. Id. Arthur. ier janv. 1796 Bengale. Spéculation, Ceres, navire d'approvi- 2 3 janvier. Angleterre. Provisions. sionnement. Experiment. 24 janvier. Bengale. Spéculation. Otter, américain. Id. Boston. Pour rafraî- chissemens. Marq. Cornwallis , trans- 1 r février. Irlande. Convicts. port. Abigàil, américain. Février. Rhode-Island. Spéculation. Assistance. 17 mars. Dusky-Bay. » Susan , américain. 19 avril. Rhode-Island. Spéculation. Indispensable , transport. 3o avril. Angleterre. Convicts. Britannia , navire d'ap- 1 1 mai. Calcutta. Provisions. provisi onnement . Crand-Turk, américain. 2 3 août. Boston. Spéculation. Prince of Jf'ales, navire 2 novembre. Angleterre. Id. d'approvisionnement. Sylpk. 1 7 novembre. Id. Id. Mercury, américain. n janv. 1797 Manille. Pour répara- tions. Supply, navire de S. M. 16 mai. Cap de Bonne- Espérance. Bétail. Britannia, transport. 27 mai. Irlande. Provisions. Ganges, id. 2 juin. Id. Id. Reliance, navire de S. M. 26 juin. Cap de Bonne- Espérance. Bétail. Deptford. 20 septembre. Madras. Spéculation. Nautilus. 14 mai 1798. Olahili. Missionnaires. Barwcll, transport. 18 mai. Angleterre. Convicts. Hun ter. 10 juin. Bengale. Spéculation. Cornwall, baleinier. 2 juillet. Cap de Bonne- Espérance. Pour répara- tions. Eliza, id. 4 juillet. Id. Id. Argo , schooner améri- 7 juillet. Maurice. Spéculation. cain. Sally, baleinier. 8 juillet. Cap de Bonne- Espérance. Pour répara- tions. DE L'ASTROLABE. 253 NOMS DATES LIEUX CARGAISON. DES NAVIRES. DE L'ARRIVÉE. DU DEPART. ' Britannia , transport. 18 juillet. Angleterre. Convicts. Pomona , baleinier. 20 août. Cap de Bonne- Pour répara- Espérance. tions. Sémiramis , américain. Id. Id. Id. Diana. icr octobre. Rbode-Island. Id. Mara. Cornwallu, navire 27 octobre. Cap de lionne- Bétail. d'approvisionnement. Indispensable , baleinier. Id. Espérance. Id. Pour répara- tions. Rebecca, américain. 5 mars 1799. Id. Spéculation. Nostra Senora de Beth- 2 ', avril. Cape-Blanco. Divers articles. léem, prise. Buffalo, navire de S. M. 2 G avril. Cap de Bonne- Bétail. Albion, navire d'appro- 29 juin. Espérance. Angleterre. Provisions. visionnement. Hillsborough, transport. 26 juillet. Id. Convicts. Resource, américain. 6 septembre. Rhode-Island. Pour répara- tions. Jl "alhcr, navire d'appro- 3 novembre. Angleterre. Provisions. visionnement. Plumier, prise. 2 décembre. Cap Corienles. Divers articles. Th rnne. 1 1 févr. 1800. Bengale. Spéculation. Betscy, baleinier. i3 février. Amérique. Pour répara- tions. Fricndship , transport. i5 février. Angleterre. Convicts. Speedy, id. Id. Cap de Bonne- Bétail. Bell Savage, américain. 7 juin. Espérance. Rbode-Island. Pour répara- tions. Porpoise, navire de S. M. 7 novembre. Angleterre. Convicts et pro- visions. Royal Admirai. 22 novembre. Id. Id. Au départ du gouverneur Hunter, deux navires se trouvaient sur les chantiers ; le premier de 1 50 à 1 60 tonneaux, pour le service de Sydney à Norfolk, l'autre, 254 VOYAGE qufdevait porter le nom de Cumberland , de 27 ton- neaux , destiné à être gréé et armé en goélette, pour la poursuite des déserteurs qui avaient coutume d'en- lever les embarcations pour s'enfuir. On s'assura que la construction de ce navire avait coûté la somme de 3,954 liv. sterl. , dont la majeure partie fournie par les cotisations publiques. Pour réprimer la fureur des spéculations mer- cantiles sur les esprits , le gouverneur renvoya trois navires du Bengale, chargés de 54,000 gallons d'es- prits et de vin , sans leur permettre de les décharger. La quantité de billon attendue d'Angleterre étant arrivée, le gouverneur prit les mesures nécessaires pour assurer la circulation des diverses monnaies en leur fixant à chacune une valeur légale, et pro- hibant l'exportation aussi bien que l'importation de toute somme en monnaie de cuivre au-dessus de cinq liv. sterl. Au commencement de l'année 1 80 1 , les provisions salées des magasins publics se trouvèrent encore telle- ment réduites, que le gouverneur, dans la crainte d'une nouvelle disette , envoya un navire à Taïti , sous le commandement du lieutenant Scott, pour y acheter et y saler des cochons. Il portait des lettres du gou- verneur à Pomare, roi de cette île , afin de l'engager à favoriser M. Scott dans sa mission, et à protéger les missionnaires. Mais les présens dont il était pourvu produisirent bien plus d'effet que les lettres sur ce prince sauvage. Dans la crainte des événemens , le gouverneur fit DE L'ASTROLABE. 255 passer l'ordre à Norfolk d'expédier h Sydney toutes les salaisons dont on pourrait disposer, et prit des en- gagemens avee un marchand de l'Inde pour en rece- voir une cargaison complète de bétail et de riz. Au mois de juin , les animaux vivans de rétablisse- ment montaient à 4,766 cochons, 1,259 chèvres, 6,269 brebis, 362 bêles à corne, et 21 1 chevaux. La population , le 30 du même mois , se composait de 6,508 personnes, dont 961 à Norfolk. Les terres cultivées offraient 5,324 acres en blé, et 3,864 en maïs. Le brick Lady-Nelson, commandé par le lieutenant Grant , arriva sans accident en décembre 1 80 1 . Ce fut lui qui passa le premier par le détroit de Bass , en at- terrissant par 38° latitude S. , 4° plus à l'O. que n'é- taient allés MM. Flinders et Bass sur le Norfolk. Il visita aussi le port Western , où il trouva un excellent mouillage. L'expérience de plusieurs années prouva que la co- lonie ne pouvait acquérir une certaine prospérité que par l'envoi de colons instruits , industrieux et res- pectables. Ceux qui formèrent d'abord le noyau de cette partie de la population , au nombre de 87 indi- vidus , avaient été des convicts émancipés , des marins ou des soldats, classe d'hommes pour la plupart trop adonnés à l'ivrognerie pour triompher d'une habitude si funeste à la nouvelle condition qu'ils avaient em- brassée. Heureusement on se vit obligé de les trans- porter de nouveau en d'autres lieux , eu égard à leur incorrigible conduite. A dater de l'année 1802, la 256 VOYAGE classe des colons de New-South-Wales acquit de jour en jour des droits à la considération publique , car elle se recruta principalement de citoyens honnêtes du rovaume , auxquels on facilita les moyens d'aller s'é- tablir dans la colonie avec leurs familles. En effet , depuis cette époque, aucun navire ne parut à Sydney sans y amener des passagers , et l'on peut juger com- bien ses progrès furent désormais rapides , quand on saura qu'elle était assidûment visitée par des navires venant du cap de Bonne-Espérance, de Batavia, du Bengale, de Bombay, des côtes occidentales d'Amé- rique , de la Chine, etc. , etc. Par suite de ce nouveau système, la colonie com- mençait à offrir un coup-d'œil plus intéressant , et les crimes y étaient devenus moins fréquens , quand les vaisseaux de l'expédition de Baudin vinrent mouiller à Port-Jackson en juin 180.2. Chacun a lu avec in- térêt le tableau séduisant que traça le naturaliste Péron de cette colonie naissante, et des espérances que de- vaient faire naître à son avis des progrès si surpre- nans. Sans doute, comme en tant d'autres occasions, cédant aux illusions d'une imagination trop vive , sa plume éloquente fit un éloge outré de cet établisse- ment, de ses avantages, et surtout de la réforme admi- rable , et des sentimens vertueux qui devaient animer les malheureux transportés dans ces climats lointains. L'exposé rapide que nous venons de présenter de la fondation et de l'histoire de cette colonie dans son en- fance, fait voir ce qu'on doit rabattre des pompeuses descriptions de cet écrivain. Notre récit est extrait des DE L'ASTROLABE. 257 relations détaillées d'Anglais déjà plutôt disposés à ap- plaudir aux opérations de leur gouvernement qu'à les déprécier, et nous avons glissé rapidement sur 1 enu- mération des crimes et des forfaits qui viennent se reproduire dans chacune de leurs pages. Toutefois nous conviendrons volontiers que cet établissement a fait beaucoup d'honneur à l'Angleterre sous tous les rapports. Surtout on ne saurait trop admirer la pa- tience , le courage et le noble dévouement du gouver- neur et des officiers , qui les premiers furent chargés d'une tâche si pénible, et surent néanmoins s'en acquit- ter d'une manière si distinguée. Malgré les privations auxquelles ils se virent réduits, les dégoûts qu'ils avaient à essuyer dans leurs rapports journaliers avec une classe d'hommes si méprisable , et même malgré l'abandon dans lequel leur mère-patrie sembla les laisser languir si long-temps, leur énergie et leur amour pour le bien public et la gloire nationale les firent triompher de tous les obstacles, et imprimèrent dès-lors à la colonie cette heureuse impulsion qui ne devait pas tarder à la rendre digne des applaudisse- mens de l'Europe. Je dirai plus , quoiqu'il m'en coûte de faire un pareil aveu , oui , je dirai que, malgré tous les reproches qu'on peut lui adresser sous d'au- tres rapports , la nation anglaise, dans l'état actuel des choses, est probablement la seule aujourd'hui au monde capable de produire de semblables caractères ; du reste elle est aussi probablement la seule capable de les récompenser dignement ! Les Français furent reçus à Svdnev de la manière 258 VOYAGE la plus obligeante. On pourvut à tous leurs besoins avec la plus grande Libéralité , et toutes les personnes distinguées de la colonie se hâtèrent de les assis- ter dans leurs travaux et dans leurs recherches, avec un zèle , un empressement , qui ne pouvaient man- quer d'inspirer h leurs hôtes la plus vive reconnais- sance. Cette conduite généreuse et la satisfaction que ceux-ci durent éprouver d'un semblable accueil, après la navigation triste et pénible qu'ils venaient d'ac- complir , durent influencer d'une manière puis- sante leur disposition à voir et à juger la scène qui les environnait. Il n'est donc pas étonnant qu'ils se soient plu à nous la représenter dans leurs rap- ports et leurs descriptions sous le coup-d'œil le plus favorable. Quoi qu'il en soit, le recensement que cite Péron, et qui eut lieu , dit-il , en 1 802 , nous représente la Nouvelle-Galles du Sud comme peuplée de 13,195 in- dividus, savoir: 370 personnes libres, 3, 170 éman- cipés , 5,772 convicts, 2,063 enfans nés dans la co- lonie, 840 soldats du régiment de New -S ou th-Wales, outre 980 personnes sur l'île Norfolk. Dès le 6 mars 1803, une feuille hebdomadaire commença à paraître à Sydney, avec l'autorisation du gouverneur Ring, sous le titre de Sydney Gazette and New -South-fV aies Advei tiser. Cette feuille, d'abord très-bornée et qui ne paraissait qu'une fois par semaine, s'accrut peu à peu au format grand in-folio , avec six colonnes à la page, et paraissait , en 1826, trois fois par semaine. DE L'ASTROLABE. 259 La ville d'Hobart-Town fut fondée à la fin de 1 803, et eelle de Port-Dalrymple en 1804. Le gouverneur Gidlev King donna sa démission le 13 août 1806; il eut pour successeur le capitaine Bligh, déjà célèbre par la révolte de son équipage sur le na- vire le Bonn h/, et la navigation hasardeuse qui en avait été la suite. Ce marin farouche se porta sur ce nouveau théâtre à de nouveaux excès , et ne justifia que trop par sa conduite la triste extrémité où s'étaient portés Chris- tiern et ses compagnons. Enfin il réussit si complè- tement à s'attirer l'exécration publique, que pour ar- rêter le cours de ses fureurs, le lieutenant-colonel Georges Johnslone, commandant le régiment de New- South-Wales, de concert avec la plupart des gens de considération, fut obligé de le faire arrêter. Il fut traduit devant une cour martiale, et condamné à être suspendu de ses fonctions , comme indigne de les remplir; le colonel Johnstone en fut chargé par in- térim. Malgré les torts de Bligh, on sent bien que le ministère anglais ne put souffrir une pareille infrac- tion à son autorité ; il ne pouvait manquer de se trouver offensé dans la personne de son représentant, tout indigne qu'il était de sa confiance. Aussi le co- lonel Johnstone et tous ceux qui avaient participé à la suspension du gouverneur Bligh , encoururent la disgrâce du gouvernement , et furent punis propor- tionnellement à la part qu'ils avaient prise à cet acte de vigueur. 2 GO VOYAGE Les affaires de la colonie furent ensuite successi- vement administrées par le lieutenant-colonel Joseph Foveaux et le colonel William Paterson, tous deux du régiment de New-South-Wales , qui devint ensuite le 102e. Enfin le 28 décembre 1 809 , le colonel Lachlan Macquarie arriva dans la colonie avec le 73e régiment, et entra en charge le 1CI janvier 1810. A cette époque la colonie s'était déjà considéra- blement accrue; on y comptait près de 15,000 habi- tans, dont 4,277 seulement étaient nourris en tout ou partie aux dépens du gouvernement. La terre cul- tivée montait à 21,000 acres, et 74,000 étaient em- ployées en pâturages. Le bétail se composait de 524 chevaux, 593 jumens, 193 taureaux, 6,351 va- ches, 4,782 bœufs, 33,818 brebis, 1,732 chèvres et 8,992 cochons. Depuis quelques années, quand les inondations du Hawkesbury ne détruisaient point les récoltes, elles suffisaient à la consommation gé- nérale. De tous les hommes , Macquarie était peut-être le plus capable de diriger un pareil établissement. Doué d'un caractère affable et populaire, exempt de pas- sions et de préjugés , surtout profondément pénétré du désir de faire le bonheur de ceux qu'il était appelé à gouverner, il s'occupa sans relâche des moyens de réussir. Peu après son arrivée à l'auto- rité suprême, la colonie reçut de grands embellis- semens. La ville de Sydney fut distribuée sur un nouveau plan, et coupée par des rues régulières. On DE L'ASTROLABE. 261 fonda cinq nouvelles villes sur les bords de l'Haw- kesbury et de George-River, sous les noms de Wind- sor, Richmond, Wilberforce, Pitt et Castlereagh. Les routes de Sydney à Paramatta et au-delà , jus- qu'alors à peine praticables , furent réparées et mu- nies de ponts sur les criques et les torrens. Grâces aux soins du gouverneur, de nombreux troupeaux de bé- tail et de vastes magasins remplis de grains éloignè- rent désormais toute appréhension de disette. On vit paraître en 1811 le premier almanach de JS ew-South-f féales ; outre d'autres détails curieux touchant la colonie , il offrit chaque année la liste des établissemens et des fonctionnaires civils et mili- taires. Après tant de tentatives inutiles , en 1 8 1 4 on réus- sit à traverser ces fameuses montagnes Bleues, que l'on croyait un obstacle insurmontable pour pénétrer vers l'intérieur de l'Australie, et l'on découvre les plaines immenses qui occupent les régions situées plus à l'ouest. L'année suivante un dépôt militaire est établi, sur les bords de la rivière Macquarie, sous le nom deBathurst; et, en 1817, on y fonde une ville qui porte le même nom. Quoique éloignée de Sydney de cent trente-six milles , les communications sont facilitées par des routes praticables, et qui permettent même aux plus pesans attelages de transporter les produits de l'intérieur sur les bords de la mer. Les lecteurs pourront se faire une idée de l'accrois- sement rapide que prit la colonie sous l'administration de Macquarie, quand ils apprendront qu'au 19 no- TOME I. l8 Î63 VOYAGE vembre 1817, la population totale de la Nouvelle- Galles du Sud et de ses diverses dépendances ne mon- tait pas à moins de 20,328 âmes, qui se trouvaient ainsi réparties : Dans la Nouvelle -Galles du Sud, 16,664, dont 610 soldats et 6,297 convicts, le reste en population libre. Dans la terre de Van-Diémen, 3,1 14 , dont 2,554 dans le Derwent, et 560 à Port-Dalrymple. Dans ce nombre, on comprend 200 soldats, et on estime le reste des hommes libres à 2,118. A New-Castle , à soixante milles au nord de Port- Jakson , 550 , dont 70 environ seulement sont libres. Le gouverneur Macquarie ne se contenta pas d'en- richir la colonie d'ouvrages utiles ; il porta aussi toute son attention vers la morale publique , et cher- cha tous les moyens de l'améliorer. Jusqu'alors les convicts émancipés, quoique rendus à la condition d'hommes libres , étaient restés généralement cour- bés sous le poids de l'opinion publique. Ils vivaient séquestrés de la société des personnes d'origine li- bre; ils étaient exclus des fonctions publiques, et leurs droits civils par le fait se bornaient à peu près à être admis à procéder devant les cours civiles. Cet état de choses tenait essentiellement à l'origine même de la colonie, et aux élémens dont sa popu- lation s'était successivement composée. Ainsi qu'on l'a vu , durant les quinze premières années , les grandes propriétés et la majeure partie des intérêts commer- ciaux se trouvèrent concentrés entre les mains d'un DE L'ASTROLABE. 263 petit nombre d'individus qui, sauf quelques excep- tions, exerçaient des fonctions civiles et militaires, ou les avaient primitivement remplies. Ils ne tardèrent pas à former une sorte d'aristocratie, dont les efforts tendirent de suite h envahir tout le pouvoir et à domi- ner la colonie entière. Jouant sous les premiers gou- verneurs le rôle de la haute noblesse dans une monar- chie , ils se regardèrent comme leurs conseillers natu- rels , et exercèrent la plus grande influence sur leurs délibérations. Aux yeux de ces colons la classe entière des émancipistes (je désignerai ainsi ceux des convicts qui recouvrent leur liberté par pardon ou pour avoir rempli leur temps) ne méritait aucune considération, et leur orgueil n'eut pu supporter l'idée de les voir un seul instant rétablis sur le même parallèle que les hommes libres. Vainement on eut pu alléguer les exemples très- rares de quelques particuliers, qui, après avoir été convicts , étaient néanmoins parvenus à une certaine aisance et à un état indépendant. Leur succès , dans ces cas mêmes, ne pouvait s'attribuer qu'au patronage et à la protection que leur avaient accordée quelques- uns des membres de cette sorte de junte aristocra- tique, dont ils avaient été les agens dans leurs affaires de négoce ; car ces nobles de nouvelle date auraient cru déroger à leur dignité en tenant boutique et ven- dant publiquement. Ainsi se trouvaient anéanties de fond en comble les vues philantropiques des hommes qui avaient fondé cet établissement. En effet, ils avaient espéré que sur i8* 2G4 VOYAGE le nombre des malheureux qui seraient condamnés a y subir le jusle châtiment de leurs fautes , on en trouverait qui, susceptibles encore de quelques sen- timens d'honneur, pourraient revenir à une meil- leure conduite, et par conséquent recouvrer dans leur nouvelle patrie les droits qu'ils avaient perclus dans l'ancienne. Les fondateurs avaient considéré cette terre comme un asile pour le repentir, où le coupable, pu- rifié de ses fautes, pourrait un jour redevenir un mem- bre utile de la société dont il allait faire partie. Mais l'imprudent orgueil des colons d'origine libre s'attachait au contraire à les frapper d'un éternel sceau de répro- bation ! En vain de longues années d'une bonne conduite et d'une honnête industrie semblaient mé- riter à un infortuné, jadis atteint par les lois, un juste retour à l'estime de ses semblables; le terrible titre de convict lui restait à jamais imposé, et sa malheu- reuse postérité semblait enveloppée dans la même proscription que lui; car ces fiers patriciens accordaient presque autant de mépris aux enfans des émancipistes qu'aux émancipistes eux-mêmes. La conséquence na- turelle d'une telle injustice était que cette classe, ainsi dégradée dans l'opinion publique , et ne voyant aucun terme à sa honte, finissait peu à peu par s'y accou- tumer, et ne tentait plus aucun effort pour recouvrer un rang dont elle était à jamais déchue. Ainsi l'on voit aux lieux où ils sont persécutés, les juifs justifier volontairement la réputation qu'on leur donne ; les parias de l'Inde vivre contens dans l'état d'abjection où les tiennent les autres castes ; et partout où l'homme DE L'ASTROLABE. . 265 est esclave, on le voit adopter promptement tous les vices de sa triste condition. Il résultait encore de cette proscription qu'un germe éternel de haines et de dis- cordes allait s'établir dans la nouvelle colonie, et ne pourrait manquer de lui devenir un jour funeste , des que les émancipistes ou leurs en fans se trouveraient assez puissans pour se venger des mépris dont ils étaient l'objet. Pour prévenir d'aussi tristes suites, le sage Mae- quarie s'opposa de tout son pouvoir à l'ambition de la faction dominante. Il réprima constamment les pré- tentions de ses membres durant tout le cours de son administration. Pour parvenir plus sûrement à son but, il défendit aux militaires d'occuper aucune pro- priété territoriale ou de se mêler d'affaires de com- merce ; il éleva à la dignité de magistrats plusieurs personnes de mérite, bien qu'elles fussent sorties de la classe des convicts ; en outre il ouvrit tous les ports de la colonie a l'importation libre de toute espèce de marchandises et sans aucune restriction. Le sage ad- ministrateur alla plus loin ; il admit à sa table quel- ques-uns des émancipistes dont la belle conduite et les services lui avaient paru dignes de cette marque d'estime. Il espérait , en donnant un pareil exemple , encourager d'une part le repentir de ceux que la loi avait dû frapper, sans détruire dans leur cœur tous sentimens de vertu , et de l'autre amener à des disposi- tions plus indulgentes, des hommes qui, trop fiers d'une origine sans tache , se croyaient exclusivement appelés aux faveurs du gouvernement. 26 G VOYAGE Quoique rien ne fût plus raisonnable et plus hu- main que les vues du gouverneur Macquarie, tous ses efforts pour rapprocher les deux classes qui compo- saient la population libre de New-South-Wales n'eurent point de succès ; les colons d'origine libre se trouvè- rent à la fois blessés dans leurs intérêts particuliers et dans leur vanité. L'admission des émancipistes à la protection du gouvernement et aux fonctions de la magistrature , leur enlevait le monopole de la fortune et du pouvoir, objet le plus cher de leurs désirs. Loin de vouloir se prêter à aucun rapprochement avec leurs nouveaux concitoyens , leur éloigneraient prit encore un caractère plus marqué , et ils s'en firent publique- ment honneur. Quelques-uns poussèrent même l'oubli des convenances envers leur chef suprême, au point de se refuser à ses invitations, pour ne pas se trouver à la même table que des personnes qu'il avait jugées dignes d'y paraître. Ils ne s'en tinrent pas là ; pour se débarrasser d'un chef dont ils ne pouvaient plus attendre que le ren- versement de leurs projets, ils le dénoncèrent au mi- nistère, et, dénaturant la pureté de ses intentions, ils prêtèrent à ses actions des motifs honteux. Long-temps son intégrité reconnue et son zèle infatigable dans l'exercice de ses fonctions répondirent suffisamment aux inculpations de ses ennemis. Cependant le cabinet de Londres fut ébranlé par des plaintes si souvent réitérées. Il se crut obligé d'en approfondir la source. Un commissaire du roi , nommé Bigg, fut envoyé en 1819 pour examiner en DE L'ASTROLABE. 267 détail la situation de la colonie et la conduite du gouverneur. Durant deux années environ qu'il passa en ce pays , il ne s'acquitta que trop scrupuleusement de sa mission. Il s'enquit minutieusement de toutes les moindres particularités; il remonta à la source de toutes les fortunes un peu remarquables, et on lui a reproché d'avoir souvent prêté une oreille complaisante à ceux qui étaient connus pour être les ennemis dé- clarés du gouverneur. Ce fut vers ce temps que VUranie passa à Port- Jackson , où elle séjourna du 18 novembre au 25 dé- cembre. Durant ce long intervalle, et depuis son re- tour, M. de Freycinet a pu se procurer d'immenses matériaux sur l'état de la colonie à cette époque. Aussi je me contenterai de dire ici qu'il y fut reçu avec une distinction st une générosité remarquables. Le général Macquarie s'empressa de prévenir ses moindres désirs, et procura aux naturalistes de l'expédition les moyens d'exécuter agréablement et utilement une excursion jusqu'à Bathurst. MM. Quoy et Gaudichaud furent les premiers Français qui passèrent les montagnes Bleues. Outre les dégoûts qu'avaient dû nécessairement cau- ser au gouverneur Macquarie les cabales de ses enne- mis et la présence du commissaire, qu'il ne pouvait guère considérer que comme un espion du gouver- nement, il eut à lutter contre un obstacle plus puis- sant, et qui tenait encore au point de vue sous lequel la mère-patrie s'obstinait à considérer la colonie. A mesure que le nombre des déportés et la po- 2 6 8 VOYAGE pulation avaient augmenté , la dépense annuelle avait dû s'accroître proportionnellement. Ainsi , en y comprenant les frais de transport des convicts, de 1788 à 1797 elle avait étéde 1,037, 230 liv. st., environ 86,435 liv. par an; de 1798 à 1811, elle avait été de 1,634,926 liv., ou 116,709 liv. par an; de 1812 k 181 5, elle avait été de 793, 827 liv., ou 198,456 liv. par an;en 1816, de 193,775 liv.; en 1817, de 229,1521iv. Cet accroissement progressif devait s'attribuer en par- tie au nombre plus grand des condamnés, mais sur- tout à l'augmentation continuelle de la dépense inté- rieure. Sans doute , avec les progrès qu'avait faits la co- lonie , ses ressources eussent dû suffire à la partie de la dépense indépendante des condamnés , et c'est ce qui fût arrivé , si des lois salutaires l'eussent régie. Mais elle gémissait au contraire sous des restrictions sans nombre qui s'opposaient au développement de ses forces . Ainsi la prohibition établie sur la distillation des grains pour les convertir en esprits , décourageait l'agriculteur qui ne savait où placer l'excédant de ses récoltes sur sa consommation habituelle et ce qui suffisait à l'approvisionnement des magasins publics. Dénormes droits, assis sur la plupart des objets d'exportation, comme bois, lin de la Nouvelle-Zé- lande , charbon de terre , huile de baleine , sperma- céti, etc., paralysaient tous les efforts du commerce. Enfin la navigation se trouvait à peu près anéantie par les privilèges de la Compagnie des Indes, qui s'étendaient presque sur tous les points où les marins DE L'ASTROLABE. 269 de la Nouvelle-Galles du Sud eussent pu conduire leurs navires. Aussi voil-on la dépense réelle, occasionée par la co- lonie à la mère-patrie, suivre la progression suivante : en 1812, 176,781 liv. st.; en 1813, 235,597 liv.; en 1814, 231,362 liv., et en 1815, 150,087 liv. Le ministère effravé recommanda au gouverneur l'éco- nomie la plus sévère. Celui-ci ne vit d'au Ire moyen de diminuer les charges de TEtat qu'en devenant plus prodigue des billets de liberté, pour réduire le nombre des individus qu'il fallait entretenir aux dépens des ma- gasins publics. C'est ainsi qu'il réussit à diminuer le chiffre des années suivantes , malgré l'arrivée conti- nuelle de nouveaux condamnés. 3Iais ces mesures entraînèrent de graves inconvéniens. Un grand nom- bre de ceux qui furent ainsi rendus à la liberté avaient été éprouvés trop peu de temps pour que leur ré- forme fût sincère ; ils devinrent des membres fort dangereux de la colonie , et leur émancipation préma- turée donna lieu à de fréquens excès. La police se vit obligée de redoubler de vigilance; malgré ses soins, les vols devinrent si fréquens , qu'un ordre émané du gouvernement conseilla aux particuliers, ainsi qu'aux hommes chargés de conduire des voitures , de ne voyager que de jour. Ces diverses contrariétés firent désirer au général Macquarie de voir arriver le terme de sa longue admi- nistration, et ce fut sans peine qu'il en quitta les rênes le 1er décembre 1821, pour retourner dans sa patrie. Tous les honnêtes gens et tous ceux qui s'in- 270 VOYAGE téressaient sérieusement au bonheur de la colonie, le virent s éloigner avec le plus grand regret ; les grands travaux, les établissemens utiles , en un mol tout ce que la colonie possède de remarquable, a été entrepris sous ses auspices et rappelle son souvenir. Aujourd'hui le nom de Maequarie dans la bouche des publicistes de la Nouvelle-Galles du Sud, est prononcé comme l'équi- valent de toutes les idées de bonté , de probité et de désintéressement. Quels progrès avait dû faire la colonie sous ce gouverneur, malgré les vices des lois qui la régis- saient , puisqu'au rapport même du commissaire Bigg, en 1820, elle n'offrait pas moins de 9,000 acres de terre cultivées en blé seulement , plus de 30,000 bêtes à corne et 200,000 brebis! Sir Thomas Brisbane, major-général dans l'armée de terre, succéda immédiatement à Maequarie. C'était un homme d'un caractère doux, honnête et distingué par ses connaissances en astronomie. Mais autant Mae- quarie s'était montré populaire et accessible à toutes les classes de la société, autant le général Brisbane vé- cut retiré et peu communicatif. Effrayé par les fruits qu'avait retirés son prédécesseur de ses tentatives , il ne se permit jamais d'accorder aucune sorte de faveur publique aux émancipés : sous son gouvernement , ils ne reparurent plus a la table de l'hôtel. Mais les chefs du parti libre y gagnèrent peu de chose : naturelle- ment juste et impartial, M. Brisbane ne leur accorda aucune sorte d'influence , et se contenta de faire exé- cuter les nouvelles instructions qu'il avait reçues DE L'ASTROLABE. 271 à son départ de Londres , sans prêter l'oreille à au- cune sorte de réclamations. Malheureusement ces ins- tructions étaient basées sur l'économie la plus rigou- reuse. Nonobstant quelques améliorations qui eurent lieu , telles que l'établissement d'un secrétaire colonial et autres autorités nécessaires au bon ordre, d'une ma- gistrature plus libérale, et la suppression de quelques droits onéreux ; les réductions qu'il lai lut opérer sur diverses branches de l'administration portèrent un coup fatal à une foule d'intérêts. La plupart des grands projets entrepris sous le gouverneur précédent furent suspendus, et l'on ne put entretenir les édifices qui avaient été terminés. Le major Goulburn, secrétaire colonial , fonction- naire sévère et flegmatique , fut chargé de l'exécution des nouvelles mesures pécuniaires, dont il recueillit tout l'odieux. C'est au milieu de cet état de choses que la Coquille parut à Port-Jackson, au commencement de 1824, et y passa deux mois au mouillage. Malgré la gène où se trouvaient les habitans, les Français furent reçus avec la même politesse que de coutume. Sur le désir que je lui témoignai , le gouverneur Brisbane s'em- pressa de me faciliter les moyens de traverser les mon- tagnes Bleues, et de m'avancer jusqu'à dix milles au- delà de Bathurst. J'y trouvai l'hospitalité chez le major Morrisset, commandant Ja station, et je pus contem- pler les changemens étonnans qu'avait opérés l'agricul- ture en quelques années dans ces solitudes naguère inconnues aux Européens. 272 VOYAGE Au moment où nous quittions la colonie , on parlait beaucoup de la création d'un conseil colonial , com- pose des principaux habitans du pays , et qui devait remplir, à certains égards , les attributions du pouvoir législatif. En effet , peu après notre départ , par un acte du Parlement, en date du 19 juillet 1823, qui devait avoir force de loi dans la coloniejusqu'aul "juillet 1827, l'autorité arbitraire qu'avaient exercée les gouverneurs jusqu'à cette époque, ne tarda pas à être considéra- blement modifiée par divers articles dont nous ne rapporterons ici que la substance. « Un conseil législatif était créé pour la colonie, composé de cinq membres au moins , et de sept au plus , nommés par le gouverneur ou son suppléant, et ratifiés par le roi. » De concert avec le conseil ou avec la majorité de ses membres , le gouverneur avait le droit de faire des lois et des ordonnances pour la paix , la sûreté et le bon ordre de la colonie, pourvu qu'elles ne fussent point contraires aux ordres ou lettres-patentes du roi en son conseil, ni aux lois de l'Angleterre. » Le gouverneur avait seul l'initiative de ces lois et ordonnances ; mais pour garantir leur conformité avec les ordres passés dans le conseil et les lois d'Angle- terre , aucunes d'elles ne pouvaient être proposées par le gouverneur à l'avis du conseil , à moins qu'une copie n'en eût d'abord été soumise au grand-juge de la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud, et que celui-ci DE L'ASTROLABE. 273 n'eût transmis au gouverneur un certificat signé de sa main , constatant que la loi proposée n'éta'it point en opposition avec celles de l'Angleterre. » S'il arrivait que la majorité, ou même la totalité des membres du conseil rejetassent la loi soumise à leur approbation, et que cependant le gouverneur ju- geât quelle était essentielle à la paix et à la sûreté de la colonie, il pouvait passer outre , et ladite loi devait avoir son effet jusqu'à ce que le plaisir de Sa Majesté fût connu. » Par le même acte , se trouvait aussi établie une cour suprême, sous le titre de Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud, qui devait être tenue pour le moment par le grand-juge seul ; mais la couronne se réservait le droit de lui associer deux juges avec des salaires raisonnables , pour leur tenir lieu , ainsi qu'au grand-juge , de tous droits et émolumens quelconques. Cette cour, dans toute retendue de la Nouvelle-Galles du Sud et des iles qui en dépendent, réunissait toutes les attributions des tribunaux du royaume , désignés sous les titres de Bancs du Roi, Cours ordinaires, Echiquier et Chancellerie. Elle avait aussi une juridic- tion ecclésiastique. » La couronne se réservait le droit , de l'avis de son conseil privé, d'introduire, en quelque temps que ce lût , le jugement par jury dans telles parties de la Nou- velle-Galles du Sud, dans tels cas et sous telles modi- fications qu'il lui plairait de spécifier. » Enfin une nouvelle Cour était établie sous le nom de gênerai quarter sessions of peace , investie des 274 VOYAGE mêmes pouvoirs que les gênerai qaar ter sessions en Angleterre ; savoir de prendre connaissance de tous les crimes et délits qui n'entraînent pas la peine de mort, tant sur le territoire de la Nouvelle-Galles du Sud, que sur les vaisseaux mouillés dans ses ports ou destinés pour ce pays , et de les punir par des exten- sions des peines primitives ou par des travaux forcés dont la durée n'excède pas trois années. Elle devait aussi prendre connaissance de toutes les plaintes pour fait d'ivresse , désobéissance , désertion , insubordina- tion ou en général toute conduite désordonnée, et punir les coupables par le fouet ou tout autre châti- ment corporel , sans pouvoir l'étendre à la privation de la vie ou d'un membre, ou enfin en les bannissant sur tout autre point de la colonie, suivant la nature et le degré du crime. » Du reste l'aversion et le mépris que les habitans d'o- rigine libre affectaient envers les émancipistes , étaient portés au plus haut degré. Le commissaire Big-g, dans un long et scandaleux Mémoire , avait exposé minu- tieusement le résultat de toutes ses recherches. Une foule de maisons déjà considérables y retrouvaient la source souvent peu honorable de leur fortune : l'on devine facilement que les émancipistes devaient jouer le principal rôle dans les récits du commissaire. Ces renseignemens pouvaient être utiles au ministère pour fixer son opinion sur la moralité des principaux ha- bitans de la Nouvelle-Galles du Sud, et lui faire con- naître quel degré de considération pouvait leur être DE L'ASTROLABE. 275 respectivement accordé. Mais il était tout-à-lait im- politique de rendre publics de tels documens ; c'est cependant ce qui a été fait. Plusieurs colons d'o- rigine libre à Sydney s'en étaient procuré des exem- plaires ; ils s'empressaient de nous les communiquer et de nous en citer des passages , comme pour justifier leur mépris envers certains individus de la colonie, et nous convaincre qu'ils ne pouvaient sans honte souffrir aucun rapprochement avec eux. Grâce à ce funeste écrit , les haines déjà trop enracinées dans le cœur des habitans ne pourront plus s'ensevelir dans l'oubli, et il servira à les rendre héréditaires. En vérité, quand on réfléchit à la conduite de la Grande-Bretagne, dans cette occasion , ainsi qu'aux entraves dont elle se plaît à charger le commerce et l'industrie de la ÎXouvelIc- Galles du Sud, on serait disposé à croire que, déjà jalouse de progrès aussi rapides , la métropole ne cherche qu'à ralentir l'accroissement de la colonie , et reculer le moment où elle pourrait aspirer à son in- dépendance. Ennuyé des tracasseries qu'il avait à éprouver de la part de ceux qu'il gouvernait , et choqué par cer- tains procédés de la part des chefs des bureaux des colonies à Londres , le général Brisbane à son tour ne fut guère fâché de quitter ce poste en 1825. Au moment de son départ, les opinions furent partagées : un petit nombre de personnes ne cacha pas la joie que leur causait sa retraite. Il faut convenir cepen- dant que la majeure partie des citoyens honnêtes, rendant du moins justice à son intégrité, à sa poli- 276 VOYAGE tesse et à la loyauté de ses intentions , se réunit pour lui présenter publiquement et d'une manière authen- tique l'expression de ses sentimens d'estime et de reconnaissance. DE L'ASTROLABE. 277 CHAPITRE X. ETAT ACTl FI. DE LA rOT.ONfF T)F. LA WO0VBLLK-OALLKS l>i $1 D, Bientôt sir Thomas Brisbanc fut remplace par le major-général Darling, qui arriva à Sydney à la fin de Tannée 1825. Ainsi, quand nous y mouillâmes avec V Astrolabe en décembre de Tannée suivante, il n'v avait, qu'un an qu'il était en fonction. Il jouissait de la répu- tation d'un homme juste , mais fort sévère ; et je voyais facilement qu'il était peu aimé. En effet, dans le peu de rapports que j'eus avec lui , il me parut avoir une sécheresse decaraclère, une roideur de manières et une sorte d'austérité, qui doivent d'autant moins convenir dans sa position , que ces sortes de qualités négatives se rencontrent rarement dans les Anglais d'un certain rang, sans être mitigées par des formes gracieuses. Sans doute je ne reçus de la part du nouveau gou- verneur ([ue des politesses, mais je ne retrouvai nul- lement en lui les manières distinguées et la courtoisie de M. Brisbane, encore moins l'obligeante bonté et TOME I. 1<) 278 VOYAGE les soins affectueux que M. Macquarie prodigua aux officiers de l'Uranie. Le conseil colonial se trouvait établi et se com- posait des principales autorités , de deux grands pro- priétaires et d'un négociant. Loin de répondre aux vœux des habitans, sa composition leur déplaisait beaucoup, et devenait souvent l'objet de leurs plus virulentes récriminations. Car on saura qu'une opposition véritable et bien caractérisée s'était déclarée dans le sein même de la population libre, et se composait de plusieurs person- nes instruites qui , d'un côté , se trouvaient choquées de la hauteur et des prétentions excessives des grands propriétaires , et de l'autre étaient sans doute flattées de jouer un certain rôle comme chefs de parti. Cette opposition se composait principalement des médecins ou des hommes de loi qui consignaient leurs opinions dans deux journaux nouvellement en vigueur , sous les noms ft Australian et de Monitor. L'objet ordinaire de leurs réclamations était d'ob- tenir, pour la Nouvelle-Galles du Sud, une assemblée représentative , le jugement par jury et la liberté de la presse. Le bill, passé en 1823 pour l'administration de la colonie, allait échoir en 1827, et ils se flat- taient de l'espoir que le nouveau serait beaucoup plus libéral, et leur accorderait la plupart des droits civils dont l'Anglais jouit dans la mère-patrie. Comme la classe des émancipistes et de leurs enfans comprenait la plus grande partie de la population , c'était à eux surtout qu'ils s'adressaient le plus souvent pour sti- DE L'ASTROLABE. 279 muler leurs passions, et les pousser à réclamer le plein et entier exercice de leurs droits. Soit prudence de leur part, et qu'ils sentissent bien que le temps n'était pas encore venu pour cela, soit simplement indifférence , et qu'ils se trouvassent satisfaits de leur position actuelle, les émancipistes étaient restés tran- quilles et n'ayaient encore tenté aucune déniait lie Mécontens de cette apathie, les partisans de la réforme les traitaient souvent avec mépris , et se permettaient quelquefois à leur égard les sorties les plus violentes. C'est ainsi qu'on voit dans le premier numéro du Monitor, publié le 19 mai 1 82(1 , le rédacteur de ce journal, en faisant sa profession de foi politique, s'ex- primer à ce sujet dans les termes suivans : « Nous avons toujours regretté qu'avec la sanction des magistrats , les noms de plusieurs propriétaires respectables , possesseurs de terres considérables et chefs de famille, n'aient point été portés sur les listes des jurés formées par le shérif, sous le seul prétexte qu'il y a dix, vingt ou trente ans, ils arrivèrent dans la colonie sons le poids de l'infortune. Cependant le fait même, par lequel ils ont pu recouvrer le titre de propriétaires, démontre les intentions du souverain à leur égard. D'ailleurs si leur situation devait les exclure du droit de devenir jurés, elle devrait aussi les priver de celui d'être admis en témoignage. » L'amour du repos et la crainte de la dépense ont empêché cette classe de colons de donner suite à la procédure qu'ils avaient honorablement entamée de- *9* 280 VOYAGE vant la Cour suprême, et qui sans doute eût fini par les rétablir entièrement dans leurs droits. Une telle conduite de leur part est digne des reproches les plus sévères. Préférer leur argent et une honteuse paresse à leurs droits civils, se contenter de vivre et de mou- rir dégradés à leurs propres yeux et à ceux de leurs enfans , c'est donner a ces derniers un#exemple capa- ble de faire rougir les pères , s'ils y réfléchissaient un moment. Nous serons toujours prêts à soutenir les émancipistes , s'ils veulent se soutenir eux-mêmes ; mais ceux qui méprisent eux-mêmes leurs propres privilèges , ne doivent attendre des autres aucune es- pèce d'appui ni d'intérêt. » Cette apostrophe donna lieu à une lettre fort sage et parfaitement raisonnée, qui parut dans le quatrième numéro de ce même journal (9 juin 1826). Ier juin 1826. « Monsieur, n'ayant pas eu plus tôt l'occasion de faire attention à un paragraphe du prospectus du Monitor, dans le premier numéro, relatif à la portion des habitans qu'il vous plaît de désigner sous le nom iïémancipistes , je prendrai maintenant la liberté de répondre aux observations que vous y avez faites. » Vous les avez accablés, Monsieur, de tout le poids de voire censure. Et pourquoi? Parce que leur amour du repos et la crainte de la dépense les ont, dites- DE L' ASTROLABE. 281 vous , détournés de donner suite à la procédure qu'ils avaient entamée devant la Cour suprême. » Certainement il sied fort mal h l'éditeur du Mo- nitor de censurer une classe de la population sur son amour pour le repos. Quoi! voudrait -il persuader aux émancipistes qu'il leur convient d'aller saisir le shérif par les épaules, et de le secouer jusqu'à ce qu'il consente à enregistrer leurs noms sur la liste du jury? Voudrait-il leur conseiller d'assiéger d'une manière tumultueuse le tribunal , et d'arracher par la crainte les décisions de la Cour? Non, monsieur Monitor, les émancipistes savent trop bien ce qui leur est dû. Ils ne suivront point votre avis. Ils ne seront point in- fluencés par de pareils principes. Ils conserveront leur amour pour la paix. » Maintenant , Monsieur , vous me permettrez d'é- tablir, et cela sans crainte d'être contredit, qu'aucune des causes que vous avez assignées, savoir ni X amour de € argent, ni une honteuse paresse, n'ont de part au délai ou à l'interruption de la procédure si hono- rablement entamée auprès de la Cour suprême, et qui devait sans doute, dites-vous, rendre aux émancipistes les droits dont ils sont privés. Car aussitôt qu'ils furent instruits, par la décision du grand-juge, que les ses- sions qui se tiendraient dans la colonie , seraient éta- blies sur les mêmes principes de lois relatives au jury qu'en Angleterre , loin de s'abandonner à une cou- pable paresse , une députation nommée dans leur sein se rendit sur-le-champ chez le docteur Wardell et M. l'avocat Wentworth, deux des plus habiles juris- 282 VOYAGE consultes de la colonie , pour les choisir pour leurs conseils et remettre leur cause entre leurs mains. La cause fut présentée à chaque session devant la Cour par leurs conseils, et chaque fois elle fut rejetée par les objections qu'éleva le conseil opposé, et non pas , vous me permettrez de le répéter , par le désir de la part des émancipistes de sacrifier leurs droits civils à l'amour d'une honteuse paresse. En outre , il n'y a pas long-temps qu'ils consultèrent encore leurs con- seils sur l'utilité de poursuivre leur affaire par-devant la Cour suprême ; leur opinion fut que cela devenait entièrement inutile, vu que toute espèce de raison vraie ou supposée, qui eût pu jusqu'à présent les pri- ver de leurs droits , se trouvait tout-à-fait anéantie par le nouveau bill présenté par M. Peel dans le par- lement. Tels sont, Monsieur, les faits que je vous défie de nier. » Quant à la raison qui a empêché les noms de MM. Terry, D. Cooper et R. Cooper, que vous vous plaisez à faire résonner si souvent, d'être portés sur les listes des jurés, je ne saurais en rendre compte. L'acte du parlement que je viens de rapporter n'est peut-être pas encore parvenu aux autorités judiciaires. Alors le gouvernement local peut bien vouloir ne pas s'exposer au risque d'encourir la responsabilité de rétablir les émancipistes dans leurs droits civils, sans avoir auparavant obtenu l'approbation du gouver- nement du royaume , ou la décision définitive de la Cour. » Quelle que soit la cause de leur exclusion ac- DE L'ASTROLABE. 283 luelle, monsieur Monitor, les émancipistes se conten- teront parfaitement de l'opinion de leurs conseils, et se laisseront guider par leurs avis. Ils conserveront leur amour de la paix. Ils ne se livreront point à une hon- teuse paresse, quand une paisible activité pourra être utile à leurs intérêts , et ils seront toujours prêts à faire usage de leur argent quand il pourra en résulter quelque chose d'utile au Lien public. » Je terminerai , monsieur Monitor, en vous rappe- lant que souvent les bonnes intentions d'un ami indis- cret font plus de tort à la cause qu'il veut servir que toutes les intrigues d'un ennemi déclaré. » ClDSPISANACIFRA-. » Le même journal, cherchant à rassurer les colons d'origine libre sur l'influence que les émancipistes pourraient obtenir dans l'assemblée représentative, fait le raisonnement suivant : « Une assemblée représentative détruirait les moin- dres prétentions des émancipistes , quand bien même ils en auraient : ce qui n'est pas. Quand Edward Eagar, cet homme d'esprit , était à la tête de ce corps , il fit en sorte de leur communiquer une partie de son juge- ment vif et pénétrant. Mais cinq années d'absence ont fait languir les plantes qu'il cultivait , car elles étaient exotiques. Les pounds , les schellings et les pences , vrais produits du sol émancipiste , ont relevé leur tète avec une nouvelle vigueur ; et toute cette végétation ar- 284 VOYAGE lificielle, qui semblait fleurir durant quelque temps, se trouve maintenant dans un état de décadence ra- pide. C'est pourquoi si une Chambre de cent membres allait être maintenant organisée ( ce qui ne pourrait avoir lieu au plus tôt que dans deux ans), nous prions les émigrans de jeter les yeux autour d'eux, de comp- ter les émancipistes , et de nous dire s'ils pourraient en trouver plus de cinq pour cent sur leur chemin à la Chambre? Après avoir mentionné M. R., M. T., M. C, M. L. , et M. H., qui pourrait ensuite se sentir disposé à consumer son temps, s'exposer aux hasards d'une élection , et laisser de côté tous les bons marchés , pour l'amour d'un siège dans le sénat aus- tralien? Mais en supposant même que dix émanci- pistes pussent y arriver, que feraient dix individus contre quatre-vingt-dix? Combien sont absurdes alors les craintes et les jalousies des émigrans, en suppo- sant que cinq ou dix individus pussent lutter contre soixante-dix magistrats, et soixante-dix autres émi- grans parfaitement égaux à ces derniers en opulence , en éducation et en talens ? Ainsi , si les émigrans sen- taient bien toute leur propre force, dans cette cir- constance, ils seraient les premiers à convoquer une assemblée du comté , pour demander au Roi et aux deux Chambres une législation populaire. En vérité ce n'est que depuis très- peu de temps que nous nous sommes nous-mêmes bien assurés de leur supériorité à cet égard sur les émancipistes , quand nous vou- lûmes examiner quel serait le nombre de ces derniers, que leur fortune et leurs moyens intellectuels appel- DE L'ASTROLABE. 285 leraienl naturellement à briguer un siège. Alors les émigrans nous parurent épais sur la liste. Pour être sincère avec nos lecteurs , depuis que nous avons dé- couvert cette grande disproportion de nombre, nous avons cessé d'être si ardcns dans nos vœux pour la formation d'une Chambre. Les émancipistes forment au moins les deux tiers de la population actuelle. Mais ils n'offriraient pas une vingtaine de gentlemen, c'est-à-dire de personnes capables d'être membres de la Chambre. Avec l'aide des gouverneurs, le peu- ple a pu jusqu'ici s'opposer assez bien aux prétentions des émigrans ; mais la perspective dune assemblée représentative, composée de quatre-vingt-dix contre dix, nous a, je l'avoue, causé quelque inquiétude. Cependant si les émancipistes sont assez heureux pour se ménager l'appui d'une vingtaine d'émigrans libéraux, au point d'empêcher le peuple de tomber sous des lois insidieuses et jalouses , c'en sera assez pour maintenir la liberté publique et l'égalité des droits. Sous tous les autres rapports, les besoins croissans du pays demandent des lois d'une nature toute différente que celles qui défigurent aujourd'hui le livre des statuts. Livre, avons-nous dit! Il n'y a rien de pareil dans le royaume , nos lois coloniales ne sont ni lex terrœ, ni lex scripta, » Plus loin on voit le même publiciste, cherchant à réunir les deux partis contre la haute aristocratie, leur adresser ainsi la parole (w° 23, 20 october 1826): 286 VOYAGE « Le mur de séparation élevé enlre les émigrans et les émancipistes vient enfin , du moins suivant notre petite manière de voir , d'être en grande partie ren- versé par le choix unanime de quelques personnes, pour former le comité de certaines institutions pu- bliques. x\insi nous regardons les deux partis des émigrans et des émancipistes, ou des exclusionistes et des colonistes , comme enfin réunis. Ils sont désor- mais fondus ensemble et forment vraiment le peuple. Il y a un petit nombre d'hommes que , par manière de distinction, nous sommes accoutumés à décorer du titre &e faction. Ce parti ne consentira jamais à renoncer à ses prétentions oligarchiques et à se con- fondre avec la communauté. Jadis ils se rendaient for- midables par le crédit qu'ils avaient acquis sur l'es- prit des autorités de Downing-Street *. Mais la liberté de la presse dans la colonie , le dîner public donné à sir Thomas Brisbane, et les adresses du comté aux derniers gouverneurs , ont détruit leur influence. Les ministres ont pénétré le secret de cette famille d'agio- teurs , et leurs perfides intrigues , qui ont toujours tourmenté les gouverneurs de cette colonie, qui ren- versèrent l'un d'eux, ruinèrent presque Macquarie, et déplacèrent sir Thomas Brisbane quelques demi- douzaines d'années plus tôt qu'il ne l'eût été sans eux. Mais la liberté de la presse et le peuple ont tout-à- coup sauvé ce dernier du précipice que la calomnie avait si adroitement creusé sous ses pas. En outre, Nom de la rue de Londres où sont les bureau* des colonies. DE L'ASTROLABE. 287 le major Goulburn et sir Thomas , à l'aide de son ami le duc de Wellington, ont. l'oreille du Roi, de MM. Peel, Horton et de lord Balhurst, sans oublier le duc d'York, aussi bien que sir James Mackintosh, sir Charles Forbes, M. Bright, sir M. Riedley, et d'autres honnêtes gens du parlement. Nous devons donc considérer k\ faction, avec son adresse de vingt- deux signatures, comme entièrement anéantie. La fausseté de ses rapports et de ceux du commissaire d'enquête a été enfin complètement prouvée. » Certaines habitudes sont souvent très- déplacées, et ont besoin d'être réprimées. Les colonistes, ainsi qu'on les désigne d'ordinaire, doivent se rappeler qu'ils ne sont plus une portion distincte, mais seulement une partie de la grande communauté. Une Chambre d'assemblée, le jugement par jury ', la taxe et les im- pôts par représentation, un agent honnête et diligent, et plusieurs autres choses trop longues à énumérer, ne sont pas, il faut bien s'en convaincre, des objets plus utiles aux uns qu'aux autres. Ainsi puisque ce sont des choses d'un intérêt général, il ne faut pas qu'à l'avenir un seul parti fasse les démarches néces- saires pour les obtenir. Si une assemblée du comté est jugée nécessaire pour demander au Roi et aux deux Chambres l'exercice de nos privilèges civils , il ne faut pas que cette réclamation soit faite par une seule classe d'individus. C'est aux chefs de la colonie, dans tous les ordres indistinctement , à se mettre en avant dans ces circonstances, ou bien restons pour toujours muets «m paralysés. Privé de ces avantages , le peuple réus- 288 VOYAGE sira tout aussi bien que les particuliers les plus opu- lens. Si les derniers ne sentent pas la nécessité du ju- gement par jury, et d'une législation coloniale, le peu- ple s'en passera aussi à merveille. Par là nous ne voulons pas dire que les hommes animés de l'amour du bien public doivent céder la place à ceux qui ne sa- vent pas ce que c'est. Non. Partout les affaires de la politique ne doivent être conduites que par des esprits supérieurs. Ce sont les seuls dont le feu sacré peut ra- nimer les étincelles mourantes du zèle pour le bien public. Mais dans ce cas, ils doivent se présenter de tous les côtés à la fois , et non pas d'un seul parti. La prochaine réunion doit offrir les noms des principaux personnages de la colonie dans tous les rangs et de tous les partis. C'est ainsi que nous pouvons nous ha- bituer à voter ensemble , à penser et à sentir de la même manière. La mesure vraiment utile à la prospé- rité de tous les citoyens sera à la fin jugée telle d'un commun accord , et réunira tous les suffrages. Puisque les colonistes furent les premiers en avant dans les deux dernières assemblées du comté, nous leur re- commanderons aujourd'hui de se tenir en arrière , et de ne pas faire un pas en avant à la prochaine assem- blée , jusqu'à ce que les autres ge?itlemen de la colonie se soient eux-mêmes prononcés. S'il arrivait que l'in- dolence ou la paresse pût engager ces derniers à rester passifs , et à se contenter du présent état de choses , ainsi soit-il. Le reste de la communauté ne souffrira pas plus qu'eux à proportion : plutôt que d'entretenir plus long-temps deux partis en activité, nous invite- DE L'ASTROLABE. 289 rions les gens du peuple à s'occuper de leurs fermes et de leurs magasins, veiller aux circonstances, ne songer qu'à leurs propres intérêts, s'enrichir aussitôt qu'ils le pourront, et abandonner la colonie à elle- même , etc. , etc. » Dans la feuille qui venait de paraître au moment de notre arrivée, ce journal se permettait une sortie encore plus virulente contre les chefs du parti d'ori- gine libre. (Monitor, ;*°29, 1 december 1826.) « Les officiers civils sont presque tous à cheval dans leurs départemens respectifs. Mais comme ils possèdent de grandes terres et de nombreux troupeaux, et qu'ils sont accoutumés à participer, avec les gouver- neurs de ces contrées, à l'administration des affaires publiques , ils ont trop de penchant pour l'état de choses actuel , quel que soit d'ailleurs leur méconten- tement, qui souvent s'exhale en murmures et sarcas- mes. Leurs reproches , sans être publics , n'en sont pas moins amers. Pourtant ils se disent en eux-mêmes : « Le général Darling ne sera pas toujours ici ; il vaut » mieux pour nous rester pendant un temps privés de » nos anciens privilèges pour assommer le peuple , » que de nous réunir à celui-ci pour obtenir du parle- » ment des institutions qui anéantiraient pour jamais » nos prétentions oligarchiques. » Toutes les aristo- craties , excepté celle de la Grande-Bretagne , je me trompe j excepté celle d'Angleterre (car celles de l'E- cosse et de l'Irlande furent et sont toujours despo- 290 VOYAGE tiques comme celles du reste de l'Europe) : toutes les aristocraties , nous le répétons , excepté celle d'An- gleterre , ont été ennemies de la liberté , depuis le sénat romainjusqu'au siècle où nous vivons. Elles méprisent également le peuple, et, dans leur opinion, ce n'est qu'à leurs dépens que celui-ci peut obtenir quelque avantage. L'homme hait l'égalité. Un riche mendiant ne peut souffrir l'idée de voir son inférieur et son cadet dans le métier gagner autant de liards que lui , ou vou- loir traiter d'égal avec lui , quand dans leurs orgies nocturnes ils se livrent aux douceurs de l'ivresse , et se moquent de la crédulité de leurs bienfaiteurs. C'est par suite de ce sentiment que les grands d'Espagne vendirent leur pays à Joseph Napoléon, et qu'ensuite ils consentirent à bannir , pendre et incarcérer les patriotes qui avaient chassé les Français de l'Espagne, et rétabli les Cottes. En vérité, il se trouva bien un ou deux Russel parmi eux... Mais espérer que de grands seigneurs puissent hasarder leur fortune, ou même ris- quer la chance de ne pouvoir l'agrandir, pour l'amour des droits civils du peuple , c'est attendre du cœur humain une action contraire à sa bassesse naturelle. Quant à la noblesse française, nous ne pouvons y songer qu'avec un profond sentiment de pitié. Cepen- dant si elle n'avait été entichée du pouvoir à un point si ridicule et si dégoûtant , elle eut pu guider le peuple dans ses délibérations , au lieu de le pousser à cette vengeance atroce qui souillera son nom aussi long- temps qu'il subsistera sur la liste des nations *, Il en * Ici noire Anglais, laissant de côté l'impartialité qu'il se pique de professer, DE L'ASTROLABE. 291 est ainsi chez les seigneurs militaires de la Prusse, et les nobles despotes delà Moscovie, qui ainsi que leurs terres regardent leurs vassaux comme leur propriété particulière. Les nobles en Europe, aussi bien que les riches colons de New-South-Wales , possèdent ou veulent posséder l'oreille du gouvernement. Sembla- bles au regrattier qui réfléchit comment il pourra duper le fermier et augmenter le prix de ses œufs et de ses harengs saurs, sans s'occuper du malheureux, ainsi les puissans du royaume et des colonies calculent comment ils pourront accroître leur influence au meil- leur marché possible. En provoquant la liberté publi- que, en s'unissant au peuple pour solliciter des insti- tutions libérales , ils nivéleraient trop leurs préten- tions. D'ailleurs qui se soucierait de devenir riche, si chaque misérable devait aussi le devenir? Le grand objet de l'homme est de devenir riche exclusivement; d'avancer, sinon aux dépens des autres (ce qui, de toutes les nuances du bonheur, est la plus flatteuse), au moins à quelque prix que ce soit, pourvu que les autres ne sortent point de leur sphère. Mais avancer avec un million d'autres en richesses, en dignités, en privilèges, n'est qu'une perspective sans attraits. C'est pourquoi tout peuple sans propriétés , qu'il soit ancien ou jeune, nombreux ou peu considérable, ne doit at- tendre des grands aucun secours pour obtenir l'exer- se li\re à la basse jalousie qui d'ordinaire anime la canaille anglaise conlre le nom français, et oublie d'une manière trop plaisante que l'Angleterre fut la première à donner aux nations de l'Europe le funeste exemple qu'il re- proobe si durement à la France. 292 VOYAGE cice de ses droits civils. Il peut bien se trouver un ou deux esprits d'une sphère supérieure , et doués par la Providence de senlimens plus élevés , mais ils seront bientôt bafoués et calomniés par ceux de leur propre classe. Leurs faiblesses seront mises en musique et chantées en prose et en vers. Les motifs les plus hon- teux seront assignés h leurs démarches , si bien que pour se rendre utiles au peuple , à moins que leur fortune ne soit immense , et leur conduite d'une pureté angélique, ils se verront bientôt dépouillés de la moitié de leur crédit. » De tout cela l'on doit conclure qu'en tous lieux le peuple doit lui-même prendre le soin de ses propres libertés. Il ne doit attendre aucun appui de l'aristo- cratie, ce serait trop espérer de la bassesse de la nature humaine. Le peuple lui-même n'aime la liberté qu'en ce qu'elle contribue à son propre pouvoir et à sa prospérité. C'est par le même motif que l'aristo- cratie déteste la liberté , en ce que chaque pas que le peuple gagne vers le pouvoir est regardé par elle (bien que ce ne soit pas notre manière de penser) comme autant d'enlevé au sien. Pourquoi donc , ô co- lons de New-South-Wales ! vous flattez-vous du vain espoir de voir les Mac-Arthur, les Jamison , les Cox, les Jone , les Wolstonecraft et les Brown , s'avancer pour vous conduire vers le trône et à la barre des deux Chambres ? Renfermés chaque jour avec le gou- verneur, ou l'ami du gouverneur, ou l'ami de l'ami du gouverneur... revêtus des magistratures... promus au rang de membres du conseil ou des comités... mai- DE L'ASTROLABE. 293 ires de choisir îles terres, quand d'autres ne savent où en trouver, ou ne peuvent s'en procurer quand ils en ont découvert... ayant le pouvoir de faire établir des impôts sur certains produits coloniaux, de ma- nière à élever la valeur de leurs propres domaines par suite même de ces nouvelles taxes... quels insensés vous êtes, ô colons de l'Australie ! d'imaginer que de pareils individus puissent, être de vrais patriotes ! Vous pourriez, avec tout autant de raison, tous at- tendre à voir le léopard changer la couleur de ses taches, et L'Ethiopien celle de sa peau! D'ailleurs, ô stupides cultivateurs! qu'y a-t-il donc de si remar- quable, dans les noms que nous venons de prononcer, qui puisse vous faire augurer que votre gracieux sou- verain et son auguste parlement prêteront plutôt l'o- reille à ces noms qu'à votre propre voix, qu'à celle Aw peuple! Des personnages comblés de titres et de dignités, comme les Northumberland , les Norfolk , les Suffolk, les Warwick, les Essex, les Bathurst et les Liverpool parmi les pairs d'Angleterre, et des noms comme ceux des Canning, des Peel, des 31aekintosh, des Brougham , des Bright, des Forbes , des Denham et des Ridlev dans la Chambre des communes , se sentiront-ils mieux disposés pour votre propre cause, en voyant votre pétition signée par des officiers civils ou ex-civils et ex-militaires , que si elle l'était par des tanneurs, des fabricans de savon, des chapeliers, des cordonniers, des chandeliers, des distillateurs, des brasseurs , des marchands, et de petits proprié- taires de 30 ou 40 acres de terrain? Oui compose la tome i. aa 29i VOYAGÉ masse du peuple? La minorité ou la majorité? Hors du royaume il n'y a plus d'aristocratie. S'il s'agit des autres , les sentimens légitimes du cœur humain re- prennent leur cours naturel : nous osons assurer que l'aristocratie elle-même, en portant ses regards sur une autre nation, se sent plus intéressée au sort du peuple qu'à celui de la noblesse. Outre cela, combien la noblesse de la Nouvelle-Galles du Sud doit sembler méprisable awx nobles et aux gentilshommes de l'an- tique et vénérable Angleterre? L'allusion même que nous faisons de nos gueux parvenus à une vraie no- blesse doit exciter leur dérision. Quelle absurdité donc de votre part '. petits cultivateurs , marchands et fabricans de Sydney et de Paramatta, vous qui for- mez le corps même de la communauté , qu'il est vain et ridicule d'imaginer que votre voix, dans une assem- blée constitutionnelle du comité de Cumberland, ne sera point écoutée .... parce que les débris du régi- ment de New-South- Wales , qui se révolta contre le gouverneur Bligh , et les banqueroutiers de l'Angle- terre , maîtres aujourd'hui des plus riches pâturages de la colonie , affectent de se tenir à l'écart de ces assemblées , et sont décidés à y porter obstacle , de peur que le monopole du pain et du poisson , dont ils ont joui jusqu'aujourd'hui par des intrigues de cour et des tripotages politiques, ne leur soit ravi pour toujours par l'établissement du jugement par jury, et d'une assemblée législative de cent ou deux cents membres choisis par vous ! » DE L'ASTROLABE. 25)5 Au mois de juin, une lettre, qu'on avait lieu de sup- poser écrite par M. B**** p****^ ancien juge de la co- lonie, fournit le sujet dune sortie non moins violente contre les intrigues des grands propriétaires [Monîicf, n°l, 30 juin 1826). « La lettre infâme rapportée dans V Australian ■> d'après le Moming-CHronicle , démontre l'avantage d'une libre concurrence de la presse dans la Nouvel le- Galles du Sud ; elle explique la profonde ignorance dans laquelle les ministres de Sa Majesté restèrent plongés par les faux rapports des démagogues de la colonie et des harpies de Londres, qui leur servaient d'agens, jusqu'à l'époque du rapport de M. Bigg. Nous ne discuterons point ici si ce fut son rapport qui dissipa ces ténèbres, parce que nous allons à la presse , et qu'il nous reste à peine le temps nécessaire pour commenter la lettre en question, qui est évi- demment l'œuvre de cet honnête, sincère , véridique, intègre, ex -juge B**** p****^ écuyer, etc., etc Nous pensons aussi que les personnes qui lui ont fourni les faits (car ils sont forgés) sur lesquels il a si adroitement bâti ses hypothèses et tiré ses consé- quences, étaient d'intelligence avec lui. Ce sont tou- jours les mêmes individus qui , bien que leurs terres aient été défrichées et leurs maisons bâties par les convicts, les ont toujours traités avec dureté et bar- barie; qui, parce que Macquarie, et, après lui, Bris- bane , parlèrent avec humanité au peuple , et le pro- tégèrent dans ses propriétés et ses libertés, tour- 29ti VOYAGE lièrent leur animosité contre le gouvernement local lui-même , et ne cessèrent leurs perfides rapports qu'après avoir forcé Macquarie à résigner et obtenu le rappel de Brisbane ; car ils n'avaient point de presse pour les protéger. Maintenant ils intriguent pour pervertir le général Darling, et l'animer contre le peuple de la colonie. Mais le général est trop vieux pour eux. Il connaît trop bien son monde et les allu- res de Downing-Street. 11 a vu des assemblées , des dîners et des adresses publiques dans le Derwent. Il a reçu du peuple même d'ici une adresse franche, loyale et sincère ; il lit les papiers de la colonie; il voit et juge par lui-même , et il ne se rangera point du parti de la vieille faction ; il sera pour le peuple en dépit de toutes leurs cabales , etc., etc. » La dissertation suivante sur les avantages d'une assemblée représentative et sur les élémens dont elle pourrait se composer, écrite d'un ton plus modéré, donne une idée assez juste de l'état actuel de la colo- nie et des sentimens de la plupart des habitans sages et raisonnables {J\lo?ritor, n° 26, 10 novembre 1826). « Nous allons mentionner un fait qui vient d'arriver à notre connaissance. Le maître du navire Fairfield donna sa parole d'attendre les dépêches du gouver- neur Darling jusqu'à onze heures du matin, le jour qu'il mettrait à la voile. Ce fut un vendredi , le jour même où le révérend Samuel Marsden publia dans V Australian (exclusivement) cette fameuse déclara- DE L'ASTROLABE. 297 tion, par laquelle il condescend à protester de son innocence , pour avoir fait infliger la torture dans une circonstance particulière et spécifiée. Aussitôt que le révérend chapelain et M. John Mac-Arthur eurent remis leurs dépèches à bord ( ce qui eut lieu , nous a-t-on assuré, à neuf heures du matin), le maître, comme par un plan prémédité , mit aussitôt à la voile , doubla la Truie et les Cochons , et se trouvait déjà depuis long-temps au large, lorsque les dépèches du gouverneur se trouvèrent prêtes à être envoyées à bord ! Mais il y a encore un autre tour de maître, bon lecteur ! C'a été de prendre votre argent et de l'en- voyer à M. Barnard, afin de lui donner les moyens de se concerter avec lord Bathurst, pour décourager l'émigration, mettre le pays dans les fers d'un clergé largement doté , et y introduire des impôts sans acte du parlement ni représentation coloniale. » Nul doute que le Fairfield n'a emporté de bonnes et puissantes raisons pour déterminer le parlement à terminer sur-le-champ la nouvelle charte dans sa pro- chaine session , tandis que nous restons tous endor- mis ici, sans avoir même le courage de demander à notre législateur la remise du droit sur le cèdre. Nul doute que Barnard , le jeune avocat Mac-Arthur, l'ex- juge Field , M. John Smith , et une vingtaine de mem- bres du parlement, qui sont chargés des intérêts de la compagnie qui nous a si bien escamoté nos mines de charbon; nul doute que tous ces individus ne s'empressent comme des abeilles à l'arrivée du Fair- field à Londres. Il y aura aussi des amis de l'apôtre 298 VOYAGE de l'Australie , animés d'un zèle égal , mais plus purs dans leurs intentions, qui soutiendront la cause de la piété persécutée avec la chaleur du martyre, même avec l'ardeur irrésistible de la charité chrétienne, principe le plus puissant du cœur humain , supérieur même à toutes les autres passions , ainsi que l'ont suffisamment attesté les souffrances des chrétiens à toutes les époques. Ainsi, tandis que nous prenons nos aises à Sydney, que nous songeons à notre pain et à notre beurre avec une prudence plébéienne, et que nous nous payons de quelques réflexions très-sages, comme charité bien ordonnée commence par soi- même — mêlons -nous de nos affaires — laissons agir le gouverneur — nous serons affublés d'une continuation de la présente charte pour sept autres années. » Le jugement par jury, d'un avis unanime, est re- gardé comme un droit civil et indispensable à appli- quer à toutes les branches de notre jurisprudence. Quant à l'assemblée législative , les opinions sont plus divisées. La grande majorité néanmoins se déclare pour une assemblée élective , mais il y a divers senti- mens sur le nombre des membres dont elle devrait être composée. » JN ous avons conversé avec toutes les classes de la société à ce sujet, et nous avons constamment ob- servé que les colonistes ou emigrans voulaient en ré- duire le nombre en proportion exacte de leur rang et de leur influence supposée dans la société. Ceux qui par leur immense fortune sont persuadés qu'ils en sont DE L'ASTKOIABE. 290 membres de droit , désirent que l'assemblée législative ne dépasse pas le nombre actuel de ses membres. — En tout cas dix ou douze membres seraient déjà trop nombreux à leur avis. La classe suivante pense qu'une vingtaine pourrait être le nombre convenable, et, comme les premiers, répètent les mots de brièveté et célérité comme l'apanage le plus précieux du petit nombre. Beaucoup parler, disent-ils, ne sert à rien , et ne fait qu'ennuyer; pour eux la discussion n'est qu'un véritable épouvantait. La troisième classe, com- prenant que si la Chambre législative se bornait à vingt membres , la concurrence pour y entrer serait trop pénible, et leur coûterait trop d'argent, admet avec beaucoup de candeur et de libéralité que vingt , à leur avis, sont un trop petit nombre; et prenant en considération les maladies , la vieillesse , les affaires urgentes et les caquetages , suggère l'idée que qua- rante à cinquante membres ne formeraient pas une réunion trop considérable. — La dernière classe , c'est-à-dire la masse des hommes pensans qui peuvent payer les taxes requises , d'un autre coté penche pour un nombre qui ne serait pas moins que cent ; car ils affirment que s'ils sont au-dessous , les intrigues de la faction et les commérages de famille rendront le peuple la proie de ses sénateurs. » Il y a dans la colonie plus de soixante-dix ma- gistrats , que nous pouvons considérer, sans crainte d'être réfutés , comme très-en état de faire nos lois , tant par leur rang dans le pays, et leur intime con- naissance des coutumes et des ressources du peuple , 300 VOYAGE que par leurs moyens en tout genre. Maintenant nous prierons les vieux colons de jeter les yeux autour d'eux et défaire attention aux gentlemen de la colonie, qui, sans être magistrats , ne leur cèdent en rien sous les divers rapports de l'éducation, de la fortune, du ta- lent et de la connaissance locale; et nous pensons qu'ils conviendront facilement que cette classe peut tripler le nombre des magistrats. Il y a donc bien trois cents colonistes capables de devenir les législateurs de la colonie. — Puisqu'il en est ainsi, pourquoi borner le nombre des membres de la Chambre à moins d'un cent? » L'avantage d'avoir un grand nombre de per- sonnes est évident. Dans les questions importantes on a vu plus de six cents membres se rassembler dans la Chambre des communes. Nous nous rappelons d'avoir entendu l'immortel Fox parler durant quatre heures dans la chapelle de Saint-Etienne. — La nef et les ga- leries étaient pleines. — Cependant quand il s'agissait de voter sur un point qui réunissait tous les suffrages , le mot ordinaire d'assentiment, savoir : Aye! pro- noncé par l'assemblée entière, retentissait. comme un coup de tonnerre. En d'autres occasions, nous avons vu la Chambre si peu nombreuse, qu'un membre de- mandant à ce qu'on en fit l'appel , il s'en trouva moins de quarante présens , et il fallut ajourner la séance. Il est permis cependant aux membres de poursuivre leurs travaux quand même il y en aurait moins de qua- rante présens , pourvu que personne ne réclame l'ap- pel. C'est un grand avantage en beaucoup d'affaires DE L'ASTROLABE. 301 ordinaires, et une foule de bills particuliers passent ainsi sans occuper l'attention d'autres membres que ceux que cela regarde immédiatement. Nous avons vu quantité de bills passer aussi vite que le speaker pou- vait en répéter les paroles , ainsi que l'exigent les for- malités de la Chambre. Le speaker , en pareille occa- sion, dit en se levant : « Ce bill est pour tel et tel ob- » jet. — Que ceux qui sont de cet avis disent oui. — » Que ceux qui sont de l'avis contraire disent non. — » Les oui l'ont emporté. » L'orateur ne s'arrête jamais pour écouter les oui et les non, sachant bien d'avance qu'il n'y aura point d'opposition. — Ce serait perdre trop de temps que d'en agir autrement à L'égard des petits bills particuliers. Ces bills ensuite vont aux lords , et si aucun membre ne se présente pour les dis- cuter, ils y passent aussi rapidement et reçoivent en- suite l'approbation royale. » Maintenant, bien que dans les questions impor- tantes,telles que les droits sur le cèdre,l'impôt,etc, etc. , il serait fort à désirer d'avoir une Chambre complète pour discuter et débattre tous les pour et les contre , avec toutes les mesures nationales ; cependant , dans une assemblée de cent membres, il ne faudrait pas s'attendre à en voir plus de quatre-vingts réunis à la fois. Il faut laisser une marge de 20 p. °/0 pour les ma- ladies , les mauvais chemins , ies affaires particulières , le manque d'avis, et une foule d'autres accidens. Dans les occasions ordinaires , une cinquantaine seulement s'y 1 1 ouveraient , cl pour les bills insignifians d'un in- térêt purement local , une demi-douzaine suffiraient 302 VOYAGE pour les faire passer ; de sorte que les fonctions des membres seraient faciles à remplir. » Notez bien que par là nous n'entendons point que ce serait toujours les mêmes quatre-vingts , cin- quante, et six membres qui siégeraient habituellement, et que ce serait les mêmes vingt , cinquante, et quatre- vingt-quatorze membres restans qui s'absenteraient. Non pas. — Il y aurait un changement perpétuel de personnes. Les vingt absens aujourd'hui siégeraient , par exemple , la semaine prochaine , et les vingt ou trente autres, qui étaient restés dans la ville pour faire passer leurs bills favoris qui les intéressaient person- nellement, s'en retourneraient à leur métairie. — Non- seulement nous croyons un pareil état de choses extrê- mement avantageux et propre à rendre les devoirs de la législation extrêmement agréables et parfaitement d'accord avec les intérêts particuliers de chaque ci- toyen, mais encore très-utile pour ranimer l'esprit public et les sentimens populaires. Ce soir M. Wols- tonecraft éclairerait le peuple par un examen sage et judicieux de notre position commerciale. — Demain sir John Jamison retracerait les progrès de l'agricul- ture et de l'horticulture, tout à ia fois sous les rap- ports populaires et scientifiques. Un autre jour M. John Mac- Arthur expliquerait à la Chambre comment une heureuse expérience a prouvé que les troupeaux de Saxe, comme les mérinos, s'amélioraient sensible- ment dans le climat uniforme de Cow-Pastares. Dans ces plaines que d'épaisses forêts préservent des cha- leurs brûlantes de l'été , aussi bien que des funestes DE L'ASTROLABE. 303 frimas de l'hiver , la laine acquiert ce tissu soyeux pour lequel elle est si renommée ; tellement que, d'a- près les derniers rapports de Londres, on a reconnu qu'on ne pouvait imiter avec succès, soit à Londres , soit à Edimbourg, les véritables schalls de poils de chameau, qu'avec des tissus de laine d'Australie. M. Lavvson, dans la même séance, féliciterait de bon cœur l'honorable membre et ses amis , sur la posses- sion d'animaux si utiles; mais tout en rendant justice aux louables efforts de ces Messieurs , pour améliorer les laines et mériter à l'Australie une célébrité égale à celle du Thibet et des autres contrées qui nourrissent les chèvres aux poils soyeux , il se sentirait obligé de rappeler à ses confrères de la Chambre , qui comme lui nourriraient des troupeaux de moutons d'une viande savoureuse et bien bardée de graisse , un pro- verbe bien connu : Un tiens vaut mieux que deux tu F auras; qu'en conséquence tout en souhaitant, en bon Australien, toute sorte de succès aux amateurs de laine de Saxe, pour son propre compte, il n'introdui- rait qu'avec circonspection l'année suivante dans ses troupeaux , des béliers qui pourraient bien n'y en- gendrer de trop belles laines qu'aux dépens de la qualité du mouton, etc. , etc. » Telle serait l'heureuse marche que le sénat aus- tralien pourrait imprimer à ses délibérations , en les rendant publiques , et se composant d'un nombre suf- fisant pour en rendre le coup-d'œil imposant toutes les fois qu'on le voudrait. Les dames se rangeraient aussi de notre parti, car lorsqueles sessions commenceraient, 304 VOYAGE sans doute les députés ne laisseraient pas chez eux leurs aimables moitiés et leurs charmantes filles. Il s'en- suivrait qu'il y aurait des réunions pour les bals , les concerts, des spectacles pour celles qui aiment la joie; et pour celles qui veulent du sérieux , nul doute que l'archidiacre n'eût assez de zèle pour ordonner aux chapelains d'ouvrir les églises une soirée par semaine. En tout cas nous sommes convaincus que les ministres méthodistes se trouveraient heureux de pouvoir rendre ce service aux belles religieuses. Alors Sydney pour- rait devenir une ville vraiment sociale ; alors les que- relles actuelles seraient toutes oubliées , et l'on ne se rappellerait qu'avec surprise les anciennes discordes de la colonie. Tous les débats politiques seraient bien- tôt adoucis et modifiés par des débats légitimes , et chacun verrait qu'à moins d'une extrême indifférence, il ne pourrait plus arriver aucune convulsion violente dans l'Étal. Des lois sages, la liberté, la prospérité et la sociabilité générale rendraient peu à peu la Nouvelle- Galles du Sud, ce que la Providence l'a destinée à de- venir un jour, une seconde Bretagne dans l'hémisphère austral. » L'article suivant, dans lequel l'auteur développe la faute que commit le gouvernement anglais en voulant fonder une colonie avec des convicts seuls , et en em- pêchant dès le principe les émigrans de se fixer à la Nouvelle-Hollande, n'est pas moins judicieux, et inté- ressera probablement le lecteur. [Monitor, n° 27, 17 novembre 1826.) DE L'ASTROLABE. 305 « La question du travail des convicts, suivant nous, n'a jamais été bien entendue ni par les ministres du roi, ni par les gouverneurs de la ?Souvelle-Galles du Sud, et nous croyons qu'elle le fut beaucoup mieux dans le siècle dernier. Mais il est assez ordinaire à nos hommes d'Etat modernes , bien qu'ils possèdent par écrit, dans les rayons de leurs bibliothèques, les opi- nions et les faits de leurs ancêtres, d'oublier, au milieu d'une foule de théories nouvelles, l'expérience du passé, et de regarder les choses qui se passent sous leurs yeux comme des questions nouvelles et difficiles, tandis que plus d'un demi-siècle auparavant elles avaient été déjà éclaircies, comprises, et même mises à exécution. ÎXous conjecturons que c'est ce qui arrive aujourd'hui touchant la question du travail des con- victs. Avant que la Aouvelle-Galles du Sud eut une existence comme colonie, tandis qu'elle faisait encore partie de la terra incognito de l'hémisphère austral, le transport des condamnés du royaume coûtait peu de frais à la couronne, et ils ne causaient aucun em- barras. Dès qu'ils étaient une fois arrivés en Amérique, de l'autre bord de l'Atlantique, les colons américains marchands ou cultivateurs s'empressaient de louer les condamnés : ils signaient un acte pour les bien trai- ter, etc. , et la cargaison de chaque vaisseau était bien- tôt disséminée au milieu des bois et des forets de cet Etat libre, prospère, actif et bien gouverné. Alors non-seulement on pensait, mais on sentait et on recon- naissait que les convicts séparés de leurs compagnons, domiciliés et traités comme des hommes, ne conver- 306 VOYAGE tiraient point les serviteurs libres , leurs compagnons de travail , en eonvicts , mais qu'au contraire ceux-ci feraient des autres de bons serviteurs. Les malfaiteurs, isolés et forcés à la réflexion , étaient soumis à l'in- fluence d'un exemple bien puissant en pareil cas; au lieu d'apprendre aux autres à blasphémer, ils rougis- saient bientôt eux-mêmes de le faire. Introduits dans la salle des prières chaque matin au chant du coq, les mœurs simples des puritains gagnaient leur conscience endurcie. C'est pourquoi, il y a une centaine d'années, on savait très-bien que c'était un excellent système d'envoyer des eonvicts dans un pays où l'agriculture avait pris un grand développement, où le travail de la terre réclamait un si grand nombre de bras , qu'il était de l'intérêt même du cultivateur de bien les traiter ; où les habitudes vertueuses étaient si profondément enracinées , que des individus isolés se trouvaient in- sensiblement obligés de se ployer aux mœurs et aux coutumes de la masse. Tout cela était connu en An- gleterre , par exemple, par lord North et ses contem- porains; connu en Amérique par les vice-rois, les gouverneurs et leurs contemporains Washington et Francklin. » Quand l'Amérique eut conquis son indépendance, le gouvernement anglais ne sut plus où envoyer ceux de ses criminels qui se trouvaient condamnés à la dé- portation. A la fin, comme une espèce d'enfant perdu, d'aventure romanesque , d'expérience morale et phi- lantropique , on résolut en dernier ressort de les dé- barquer sur les riantes prairies que sir Joseph Banks DE L'ASTROLABE. 307 avait décrites comme environnant une grande baie sur la côte de Ncw-South-Wales, qui fut ensuite désignée sous le nom de Botan?/-Bai/, tant par compliment en- vers sir Joseph , qu'à cause des nombreuses plantes et des fleurs rares et nouvelles découvertes dans son voisinage. Ce nom élégant, comme tous ceux que l'on voit prostituer à de vils emplois, devint bientôt un terme de mépris et de dérision. Botany-Bai/, du reste, lit bientôt place à Port-Jackson comme établissement pénal , et ce fut dans l'anse de Sydney que la première flotte des criminels anglais vint jeter l'ancre. Ce fut , dit-on communément , sur le lieu même où vient de bâtir Robert Johnson, dans George-Street, que son père le colonel Johnson , alors officier dans les troupes de marine , a posé le premier le pied d'un Anglais , et hissé le pavillon de la Grande-Bretagne. » Depuis cette époque , c'est sur le sol de la Nou- velle-Galles du Sud que l'Angleterre et l'Irlande dé- barquent chaque année leur population criminelle. Cependant les Washington , les North , les Fox et les Pitt étaient tous morts, et avec eux probablement fut perdue la connaissance ou au moins le souvenir qu'une contrée nouvelle , mais étendue, est la plus favorable pour recevoir, domicilier et réformer des convicts employés à la culture des terres , et qu'il est dans la nature même des choses qu'un établissement pure- ment pénal soit une expérience très-hasardeuse , et que la nécessité seule peut justifier. Ce qui nous fait croire qu'on oublia peu à peu les avantages de trans- porter les convicts dans une contrée libre et agricole, N 308 VOYAGE c'est que si le gouvernement fût resté bien pénétré de ce principe, il aurait toujours montré plus de zèle a encourager les colons libres à se hasarder sur le terri- toire de la Nouvelle-Hollande. Il est évident aussi que les ministres, tout entiers aux soins de la guerre der- nière , furent induits en erreur par les rapports con- tradictoires des gouverneurs et des officiers civils et militaires. Car ces derniers détestaient les nouveaux venus , les considérant comme des intrus qui venaient leur ravir le monopole des terres , des troupeaux , des esprits et des provisions du gouvernement, etc. , etc. Ils oublièrent peu à peu l'ancienne expérience du ca- binet, adoptant un jour les suggestions de tel individu, et une autre fois celles de tel autre , suivant que les faits établis dans les lettres publiques ou particulières de la colonie semblaient plus ou moins plausibles. Le plus souvent ces prétendus faits étaient d'insignes mensonges. » En conséquence , fermer toutes les avenues de ce lieu de pénitence; le priver de toute espèce de rapport avec les Européens ; décourager ceux qui voudraient s'y établir, excepté les favoris particuliers du gouver- nement, et les personnes incapables de faire ombrage comme les méthodistes : tel fut le svstème adopté jus- qu'à l'époque où le gouverneur Macquarie fut envoyé dans la colonie. Et bien qu'après cette période, tant à cause des rapports relatifs aux belles laines de la Nou- velle-Galles du Sud, que pour quelques-unes des cir- constances de la rébellion de 1 808 , les ministres aient commencé à se relâcher un peu de leurs principes, et à DE L'ASTROLABE. 309 permettre à des hommes libres d'aller s'y établir ; ce- pendant ils n'agirent pas encore sur un plan régulier, ni en vertu d'un principe général. Ils y envoyèrent des colons comme à la bonne aventure , tout juste pour essayer comment cela réussirait. La guerre les occu- pait trop pour leur permettre de donner à la colonie les soins qu'elle réclamait. » S'ils eussent repris leur ancienne coutume d'en- voyer leurs condamnés en Amérique, où, comme nous lavons déjà démontré, ceux-ci ne pouvaient pervertir les habitons , mais au contraire où ils se corrigeaient; s'ils en eussent bien pesé les conséquences, ils n'au- raient point introduit dans la Nouvelle-Galles du Sud le convictisme seul , mais auraient eu soin d'y envoyer un fermier libre avec sa femme et ses enfans , pour trois ou cinq condamnés à y déporter, afin de co- loniser cette terre inconnue. Jugez , lecteur, ce (pie Sydney serait aujourd'hui , si pour chaque millier de convicts débarqués sur ce sol , il v était aussi arrivé trois ou quatre cents femmes condamnées, et en outre un fermier, sa femme et trois ou quatre enfans pour chaque trois ou cinq convicts!... La Nouvelle-Galles du Sud, au lieu de cinquante mille habitans, en comp- terait peut-être un demi-million!... C'eût été la plus brillante colonie créée en si peu de temps dans les an- nales du monde. » Nous pensons donc que ce doit être une maxime admise dans cette branche de l'économie politique, cpic les obstacles à la réforme des malfaiteurs décrois- sent à mesure qu'ils sont moins rapprochés les uns des 310 VOYAGE autres , et qu'on les force de s'associer à des personnes d'un caractère supérieur au leur, etc. , etc. » Ecoutons maintenant ce journaliste s'exprimer avec non moins d'énergie et de vérité sur les tristes suites du système d'économie introduit dans l'administration de la colonie, à l'arrivée du gouverneur Brisbane. (Monitor, n° 7, 30 Juin 1826.) « Rien n'a paralysé la prospérité de la Nouvelle- Galles du Sud autant que l'économie méprisable, im- politique et vraiment coupable, qui fut introduite dans cette colonie après le départ du gouverneur Mac- quarie. Le zèle avec lequel le major Goulburn pour- suivit sans relâche cette parcimonie ridicule, déplacée, inutile et vraiment stérile , nous donna toujours une fort triste opinion de ses talens en économie politique, bien que nous fussions disposés à avouer que son in- compréhensible manie de mettre à exécution les mes- quines conceptions de MM. Hume et Bigg attestait son intégrité personnelle. Cet honnête secrétaire fut toujours entiché de feuilles remplies de chiffres dis- posés par chapitres et lignes droites, transverses, diagonales , perpendiculaires et horizontales ; et il se glorifiait beaucoup plus de produire des tableaux, sur le papier, qui déployaient la perfection des combi- naisons arithmétiques et typiques , enrichis des ré- sultats et des totaux généraux et subsidiaires, que de s'attacher aux principes libéraux et élémentaires qui seuls peuvent diriger les travaux d'un peuple DE L'ASTROLABE. 311 actif et industrieux, et s'accorder avec une économie libérale. » Mais sur quels principes de police équitable peut- on prouver qu'une réduction dans les traites du com- missaire , sur le trésor, soit une économie réelle pour le royaume? On a démontré par des calculs mainte fois répétés, et particulièrement dans une dernière bro- ebure rédigée avec soin par M. Eagar, et adressée au ministre de l'intérieur, que les convicts employés par le gouvernement à Sydney, le sont à infiniment moins de frais (la dépense du transport comprise), que ces mêmes individus ne l'eussent été dans les galères et les maisons de correction d'Angleterre. D'ailleurs le sens commun démontre que quand la dépense ne se- rait qu'égale, un pays surchargé de population, et dont la classe des cultivateurs a dépassé les moyens d cire employés jusqu'à la valeur de dix millions, trouverait un avantage immense dans la déportation des plus mauvais sujets de cet excédant. » La déportation de médians fabricans en fait de riches consommateurs : il en résulte encore un plus grand avantage, celui de purifier la société en lui en- levant une partie gangrenée , dont la présence est un si grand fardeau pour une vieille communauté, et d'un véritable intérêt pour un jeune Etat. » !Nous savons bien, du reste, qu'on répondra à tout cela en avançant que si l'Angleterre a jusqu'à présent obtenu tous ces avantages en dépensant annuel- lement 150,000 liv. st. , il ne s'ensuit pas qu'elle ne les auraplusàl'avenirenn'yeinployantque 100,000 liv. st. 312 VOYAGE C'est l'argument auquel ont eu recours dernièrement l'inconsidéré M. Hume et le superficiel M. Bigg. Car ils finirent par convenir que les dépenses qu'avait coûtées l'établissement de la Nouvelle-Galles du Sud, avaient été moindres que celles qu'eussent nécessitées la construction et l'entretien des galères et des prisons en Angleterre. M. Bigg ne trouva jamais cela durant son séjour dans la colonie. Mais plus tard il découvrit qu'elle avait été et était encore d'un grand intérêt pour l'Angleterre ; et qu'en comparant le compte entre la Grande-Bretagne et Sydney d'une part, entre la Grande-Bretagne et les galères et les prisons de Mill- bank d'une autre part , la balance était immensément en faveur de la Nouvelle-Galles du Sud. » La raison en est si palpable, qu'il est inconceva- ble comment M . Bigg, qui gagna 1 0,000 liv. st. à pren- dre des renseignemens sur ces objets , ne s'aperçut de cela qu'après la publication de son puéril ouvrage . Pour- tant il est très-clair que les convicts employés comme cultivateurs et comme bergers ne coûtent rien au gou- vernement. En outre les hommes employés par le gou- vernement à Sydney ne lui coûtent rien non plus, parce que les fruits de leur travail , en créant une nouvelle colonie de consommateurs pour les produits surabon- dans de ses manufactures , lui rapportent plus que ne coûtent leur transport, leur nourriture et leur habil- lement réunis. Tout cela est clair et doit frapper au premier abord , car c'est aussi simple que c'est exact. Les convicts entretenus dans les galères et les prisons de la Grande-Bretagne sont une dépense morte. Les DE L'ASTROLABE. 313 produits de leur travail sont une perte et même un mal pour l'Elat : car chaque paire de souliers ou chaque journée de travail laite par un habitant de ces prisons, en enlève l'équivalent au cordonnier ou au journalier, ou du moins en diminue le taux, dans un état de choses où les souliers et le travail opéré sur- passent déjà le besoin qu'on en a. » Il s'ensuit donc que chaque millier de peunds que le trésor anglais dépense dans la Nouvelle-Galles du Sud pour encourager la culture des terres ou lu pèche de la baleine et des phoques, comme pour trouver de l'emploi à l'excessive population du rovaume libre ou convicte (car la population libre est soutenue par les taxes des pauvres à un point qui dépasse toul calcul *), débarrasse la mère-patrie d'un mal pressant, et tend à diminuer les taxes des pauvres , et par con- séquent le nombre des crimes. Les bases d'un journal nous interdisent des calculs aussi complu jués ; autre- ment nous prouverions volontiers que chaque millier de pounds dépensé par l'Angleterre pour faciliter l'é- migration et le transport à la Nouvelle-Galles du Sud, lui est plus profitable que 2,000 liv. st. épargnées à ses * Une note que j'ai trouvée dans un journal anglais [->4ge, 22 april 182(1) justifie parfaitement l'assertion de oe puhliciste au sujet des taxes poui les pauvres : •< La somme fournie pour le soutien des pauvres de l'Angleterre et du pays de Galles, pour l'année qui a fini au 3o mars 182*}, a été de 6,966,1 5i liv. st. 8 s. 6 d. Les taxes des pauvres en Angleterre commencèrent en 1 H- », bien que le premier acte du parlement passé à cet égard ne date que de l'année 1 5 7 « » . Depuis celte époque, il parait, en vertu des calcul* dressés sur des doenmens authentiques, que ce» taxes en suivant une pro 314 VOYAGE taxes pour les pauvres; qu'en conséquence les der- nières épargnes du major Goulburn sur la Nouvelle- Galles du Sud, de 50,000 liv. ou environ, ont em- pêché les taxes des pauvres, en Angleterre, de pouvoir être diminuées déplus de 100,000 liv., comme elles eussent pu l'être en agissant autrement. Il n'a vu l'af- faire que par le trou d'une serrure. Si les ministres du Roi eussent encouragé l'émigration et le transport pour ce pays , sur une grande échelle et par des me- sures positives , les taxes pour les pauvres eussent di- minué dans un rapport qui eût dépassé tout ce qu'on peut imaginer. Car il a été démontré, par XEdinburgh Review, que quand le salaire du travail a été réduit à un vil prix , tel que quinze heures de travail par jour ne peuvent fournir au fabricant de bas de Nottingham, gression continuelle sont arrivées à une somme quarante fois plus grande qu'elle ne l'était il y a deux cent cinquante ans. « Les taxes des pauvres en 1573 montèrent à 17 1,260 liv. st. 10s. 8 d. 1680 665,56a 1698 819,000 1760 i,556,8o4 1783 2,i3r,486 1785 2,180,904 » Suivant les comptes rendus à la Chambre des communes en 1801 , la dépense annuelle pour les pauvres, durant les dix années précédentes, fut de 3,86i,oio liv. st. Par les rapports présentés à la Chambre des communes en 1802 , il parut que la somme entière destinée pour les pauvres de l'An- gleterre et du pays de Galles, de Pâque 1802 à Pâque i8o3, fut de 4,952,421 liv. La charge annuelle pour les pauvres, dans les années 1812, i8i3 et 1814 , fut de 6,147,000 liv.; et depuis lors jusqu'à 1826, il paraît qu'elle s'est accrue par an de la somme énorme de 800,000 liv. •> DE L'ASTROLABE. 315 une quantité suffisante de nourriture de la plus mé- diocre qualité, en pain ou gruau, pour exister, sans lit ni charbon en hiver ; l'éloignement d'un petit nombre d'ouvriers pour un autre pays suffisait à l'instant pour détruire L'immense concurrence pour l'emploi, et re- levait par conséquent le prix des gages à un taux rai- sonnable— » Le plus grand ennemi que ce pays eut jamais, lui le major Goulburn. Ce fut un homme impartial, sur- tout après la seconde année de son arrivée; mais son inflexible avarice ruina presque la colonie : sans l'im- portation d'un certain capital, dû à un grand nombre d'émigrans qui commencèrent heureusement à v ar- river, la banqueroute eût clé parfaitement complète. Mais les cargaisons apportées d'Angleterre par suite du crédit antérieur qui n'était pas encore éteint, el l'arrivée des nouveaux colons donnèrent aux mar- chands et aux cultivateurs le temps de respirer, el même d'emprunter à Londres, c'est-à-dire de retenir les fonds qu'ils eussent du y renvoyer jusqu'à ce que de nouveaux canaux fussent ouverts à l'industrie et aux spéculations. C'est ainsi seulement que par un hasard heureux la colonie a pu se relever, que le major n'a pas été brûlé en effigie , et qu'il a pu quitter le pays avec la réputation d'être resté honnête et impar- tial tout en l'opprimant » Si le gouverneur s'attend à réussir à épargne)' de l'argent pour le gouvernement anglais , il se trompe : car nous sommes convaincus qu'il ne s'abaissera point aux moyens qui ont caractérisé la dernière adminis- 316 VOYAGE tration. En outre, quand il y aurait recours, le résul- tat n'en serait pas si considérable. La dernière admi- nistration trouva des villes en bon état, des ponts presque tous achevés , et des routes toutes faites et aussi unies que des boulingrins. Mais toutes ces choses sont aujourd'hui en ruines. Tous les édifices publics sont en décadence. Les routes sont ruinées, étant cou- vertes de poussière en été, et de boue en hiver. C'est à tel point que tous les prisonniers de Sydnev ne se- raient pas même suffisans pour réparer les nombreux ouvrages que créa l'immortel Macquarie. » On a avancé, dans l'article qui précède, que les dé- penses causées à l'Angleterre par l'établissement et l'entretien des convictsdansla Nouvelle-Galles du Sud, avaient été moindres que celles qu'aurait exigées leur entretien dans les maisons de force ou de correction du royaume. Cette assertion va être complètement prouvée par l'extrait suivant d'une lettre adressée par M. Eagar à M. Peel, secrétaire d'Etat, et que Wenth- worth a insérée textuellement dans la seconde édition de son ouvrage sur la Nouvelle-Galles du Sud [tome II , page 158). « Sous le rapport de l'économie ou de la dépense du système, on peut l'apprécier d'une manière exacte en la comparant avec celles qu'ont nécessitées les au- tres systèmes d'inflictions pénales adoptés en Angle- terre , savoir : les pontons , ou galères , et les maisons de correction. Par les rapports des comités du parle- DE L'ASTROLABE. 317 ment sur la déportation en 181 2 , par l'état des prisons en 1819 , et les écrits représentés au parlement en 1 8 1 9 , 1 82 1 et 1 823 , nous avons la dépense entière de la Nouvelle-Galles du Sud, et le nombre de ceux qui y ont été transportés. Par le vingt-huitième rap- port des finances, par le second rapport de la justice de la métropole, et par les divers rapports du surin- tendant des galères, enfin dans les rapports au parle- ment, par le comité de la maison de correction de Mill- bank pour 1819 et 1823, nous avons la dépense de cet établissement , et le nombre de ceux qui y sont renfermés. Maintenant, pour nous assurer si la Nou- velle-Galles du Sud a été plus ou moins dispendieuse, nous devons apprécier la dépense annuelle de chaque prisonnier dans la colonie et dans le royaume , et com- parer l'une avec l'autre, ou bien estimer ce que le nom- bre des personnes transportées à la Nouvelle-Galles du Sud aurait coûté, si on les avait conservées dans les pontons ou les maisons de correction au même prix que ceux qui s'y trouvent actuellement. La dépense annuelle par tète a été , dans la Nouvelle-Galles du sud, de 1787 à 1797, 28 liv. st. 3 s. 5 d.; de 1797 à 1810, 18 liv. 14 s. 4 d. ; et de 1810 à 1821 , 25 liv. 5 s. 7 d. Va, y compris la subsistance, l'habillement, la surveillance , le gouvernement civil , les dépenses navales et militaires de la colonie aussi bien que le transport des convic's. La dépense annuelle par tête sur les pontons a été, de 1 787 à 1 797 , 23 liv. st. 1 9 s. 0d.; de 1797 à 1810, 27 liv. 1 s. 8 d. ; et de 1810 à 1821 , 33 liv. 1 2 s. 0 d. La dépense de la maison de 318 VOYAGE t Millbank a été très-grande. La dépense pour l'élever, y compris les intérêts, est montée, quand elle a été en état de recevoir mille personnes, à 571 ,460 liv. st., dont l'intérêt annuel à 4 p. °/0 revient à 22,858 liv. pour la dépense annuelle du logement de mille per- sonnes, près de 22 liv. 17 s. 2 d. pour chacune. La dépense de la subsistance et de la surveillance a été , en 1818, 41 liv. st. 17 s. 2 d. % par tète; en 1820, 38 liv. 15 s. 4d. '/,; et en 1821, 31 liv. 0 s. 7 d. %\ moyenne des trois années, 33 liv. 1 7 s. 8 d. 1/2 , à la- quelle on doit ajouter l'intérêt de la dépense des bâti- mens, 22 liv. 17 s. 2 d. ; ce qui fait pour la dépense moyenne de chaque personne renfermée dans la mai- son de Millbank, une somme de 56 liv. st. 1 5 s. 0 d. » Après avoir trouvé les dépenses de la maison de Millbank aussi considérables, je me suis assuré, autant que cela m'a été possible par les documens parlemen- taires , du montant des dépenses des autres prisons , maisons de pénitence et de correction , et je les ai trouvées, comme il suit, en y comprenant l'intérêt des frais pour les logemens, la surveillance, les salaires des officiers , l'habillement et la subsistance. » L'asile pour les abandonnés, moyenne des années 1815, 1816, 1817, 1818 et 1819, par tête [premier Rapport de la police de la métropole) , 37 liv. 2 s. 3 d. » L'institution philanlropique [deuxième Rapport de la police de la métropole), 36 liv. 1 7 s. 6 d. » La maison de pénitence pour les femmes à Lon- dres [deuxième Rapport de la police de la métropole^ 41 liv. 6 s. 4d. DE L'ASTROLABE. 319 » L'hôpital de la Madeleine {deuxième Rapport de la police de la métropole), 42 liv. 8 s. 0 à. » Maison de correction de Cold-Bath-Fields; prison de Clerkenwell et Tothill-Field , Bridewell, moyenne par tète .sans l'habillement {deuxième Rapport sur la police de la métropole), 31 liv. 2 s. 0 d. » Hôpital de Bridewell [Rapport sur les priso?is de la métropole), 42 liv. 5 s. 8 d. » Prison et maison de correction de Worcesler [Rapport sur les prisons à la Chambre des lords), 28 liv. 2 s. 4 d. %. » Prisons , maison de pénitence et maison de cor- rection de Maidstone {Rapport su/- les prisons à la Chambre des lords), 3i) liv. 3 s. 10 d. » En prenant la moyenne de ces différentes prisons et de la maison de Millbank, on trouvera une moyenne générale annuelle, par tête, pour tous ces établisse- mens, de 38 liv. st. 14 s. 0 d. » Le tableau suivant montre les dépenses compara- tives des établissemens de convicts de la ÎNouvelle- Galles du Sud , des pontons et des maisons de correc- tion. La première colonne indique le nombre actuel des condamnés existans dans la colonie pour chaque année; la seconde contient la dépense entière pour le civil, le naval et le militaire, le transport, l'habille- ment et la subsistance des convicts. La troisième in- dique la dépense que le même nombre de convicts renfermés dans les pontons eût coûté, estimée au même prix par tête que ceux qui y sont détenus coû- tent actuellement. La quatrième colonne enfin montre 320 VOYAGE quelle eût été cette dépense, au taux moyen actuel de la maison de Millbank, des4 autres maisons de correc- tion et des prisons du royaume. » La dépense moyenne des pontons par tête a été , del787àl797,de231iv.st. 19s. 2d.;del793à 1810, ensuivant un accroissement graduel, de 23 liv. 19 s. 2 d. à 30 liv. 4 s. 4 d. V2, moyenne 27 liv. 1 s. 8 d. ; de 1810 à 1821 variant de 43 liv. 7 s. 9 d. 3/4, à 27 liv. 18 s. 7 d. 3/4. La dépense présumée des maisons de pénitence, de 1787 à 1810, qui n'existaient pas alors, a été estimée en proportion de celle des pontons , sur le même taux en excès qui s'est trouvé par la suite entre les dépenses de ces deux systèmes. Ainsi celle des maisons de pénitence , ainsi estimée , eût été , del787àl797, de 28 liv. st. 10 s. 0 d., de 1797 à 1810, de 31 liv. 4 s. 0 d.; enfin de 1810 à 1821, 38 liv. 14 s. Od. Nombre Dépense entière Dépense présumée Dépense présumée s -w des de la dans dans les K Convicts < 1 \:>tan=. Nouv. -Galles du S xi. les Pontons. Maisons de correction liv. st. s. .1 Ii%-. st. s. .1 liv. st. s. 1786 28,346 3 6 1787 757 3i,34i 4 s i8,i3o 3 1 1 21,574 10 1788 699 18,008 9 9 16,741 1 0 I9i92r ro 1789 i,66r 88,057 »5 9 39,78o 19 H 47,338 10 1 7()o i,5i8 44,774 4 " 36,356 2 0 43,263 0 1791 3,695 129,019 19 10 88,495 5 H io5,3o7 10 1792 3, fi 1 a 104, 588 2 ; 86,5o7 8 H 102,942 0 «793 3,8oo 69,961 16 6 91,010 0 II 108, 3oo 0 '"'.M 3,85a 79,38i i3 1 1 92,255 8 H 109,782 0 1795 4,i83 75,280 19 T 100,182 17 H 1 19,21.5 10 1796 4,532 83,854 18 II 108,541 8 H 129,162 0 ï'797 5,34o 120,372 4 !» 128,108 11 H i52,3g6 10 1798 5,fio8 11 1,5 14 6 - i5i,883 6 s 159,828 0 *799 5,5 1 8 80,274 4 «i 149,445 i5 II 172,161 12 1800 6,69 3 110,984 11 1 181,268 i5 II 208,821 12 1801 6,8o5 125,563 9 1 184, 3o2 I s 212, 3i6 0 1802 6,973 149,410 10 6 1 SX, 8 52 1 8 217,557 12 iSo3 7,25i 96,961 16 B 196,381 5 0 226,231 4 [804 6,362 46,5i8 19 6 172,304 3 4 198,494 8 i8o5 fi,.,:fi 118,597 6 - ifi4,55S 6 S 189,571 4 1806 5,3o3 105,297 14 - 143,622 18 4 i65,453 12 1807 4,97<> 121,859 10 1 134,604 3 4 i55,o64 0 1S0S 5,275 i3i,542 1 y 142,874 16 8 i64,58o 0 1809 5,164 124,636 16 1 1 i39,858 6 8 161,1 16 16 1S10 5,190 178,699 i5 T I 1 56,8 35 6 3 2oo,853 0 1811 5,548 214,696 5 S 175,095 3 0 214,707 12 1812 5,655 1 85,5; : 16 s 1 86,357 4 4 218,848 10 iSr3 6,288 218,735 1 S 198,674 12 0 243,045 12 18 14 7,037 2 2 5,o8 5 10 0 3o5,33a 10 0 272,331 18 i8i5 7,383 181,589 XI 1 270,540 16 1 2S5,722 2 1816 8,479 216,291 8 : 262,354 7 lu 328,137 6 1S17 10,107 232,585 9 - 379,012 10 0 391,140 18 1S18 12,621 325,i 32 3 lu 474,654 i5 6 488,437 H 1819 i5,447 327,845 0 3 464,375 8 9 597,798 18 1820 i8,568 373,3f5 16 q 612,744 0 0 718,581 16 i8ai T 20,494 OTADX. . 425,35o 14 3 572,444 7 9 793,117 16 5,3oi,o23 16 6 6,814,486 3 6 7,943,221 2 Dépe cofiléc semrn nsc qu'eût ' fttablis- iic 4° 400,000 0 0 pnntor s. Dépe nsc qu'eut eiîgeC scnirti l'étaMi*- de 4° 8,366,640 0 daftBoi Dépe s. nsc totale 1 5,3oi,o23 16 6 7,214,486 3 6 16,309,861 2 322 VOYAGE » La dépense entière de la Nouvelle-Galles du Sud, depuis sa fondation, en 17 88, jusqu'en décembre 1821, a été de 5,30 1 ,023 liv. st. 16 s. 6 d. , qui ont été em- ployés à transporter et entretenir 33, 1 56 personnes, et à subvenir à la solde du civil, du naval, du militaire et autres dépenses coloniales. Si on eût gardé le même nombre sur des pontons , cela eut coûté à la nation , en y comprenant rétablissement des pontons nécessaires, au nombre de quarante au moins, 7,214,486 liv. 3 s. (5 d. Si on eût voulu les entretenir dans des maisons de correction, non pas sur le plan de Millbank, mais bien dans le système le plus économique , il en fût résulté une dépense, pour la surveillance et la nour- riture seules, de 7,943,221 liv. En outre la dépense pour ériger le nombre de maisons de correction con- venable pour cet objet, qui eût été de quarante au moins, à raison de 450 prisonniers pour chacune, et sur le plan le moins dispendieux , sur celui de la maison de pénitence de Maidstone par exemple , eût été pour le moins de 192,000 liv. pour chacune , et par conséquent pour les 40 de 8,366,640 liv. Ainsi la dépense totale occasionée par ces établissemens eût été de 16,309,861 liv. st. » Dans ce calcul , je n'ai point fait entrer la valeur ou le produit du travail des convicts , parce que le travail qu'ils exécutent dans la Nouvelle-Galles du Sud est beaucoup plus prolitable que celui des prison- niers ne peut l'être sur les pontons ou dans les maisons de correction. Dans l'état actuel de la population in- dustrielle en Angleterre , où le nombre des ouvriers DE L'ASTROLABE. 323 est beaucoup trop considérable pour l'emploi qu'on peut leur donner, et les gages nécessaires pour les faire subsister , le travail des convicts ne peut devenir nullement profitable au pays; car si ce travail est né- cessaire ou utile , il eût procuré de l'emploi et les moyens de subsister à un certain nombre d'ouvriers. Le faire exécuter par des condamnés, c'est priver d'ouvrage un nombre égal d'ouvriers libres, et les forcer par conséquent à recourir aux taxes des pau- vres pour leur subsistance ; ainsi l'excès qui en résul- terait sur les taxes des pauvres occasionerait une dé- pense plus grande que ne saurait être toute l'économie qui reviendrait du travail des convicts. Mais en admet- tant que le travail dans les pontons et les maisons de correction ait toute la valeur à laquelle on peut l'es- timer, de quel prix sera-t-il comparé avec les avantages de la colonie de la Nouvelle-Galles du Sud? Cette co- lonie est bien certainement le fruit du travail des con- victs. Elle contient aujourd'hui (en 1824) une popu- lation de plus de 40,000 âmes, qui occupe au-delà de 700,000 acres de terre, et possède plus de 5,000 chevaux, 120,000 tètes de bétail, et350,000moutons. Elle contient cinq villes florissantes , et plusieurs vil- lages , consomme annuellement pour la valeur de 350,000 liv. st. de produits des fabriques anglaises, exporte pour la valeur de 100,000 liv. par an, emploie des navires jusqu'à la concurrence de 1 0,000 tonneaux, cl rapporte un revenu colonial de plus de 50,0001iv. st. » D'après toutes ces considérations , il est évident que la déportation à la INouvelle-Galles du Sud a été le S24 VOYAGE système pénal le moins dispendieux de tous. Jusqu'à ce moment , il a produit une économie directe et posi- tive de plus de 2,000,000 liv. st. en le comparant au mode le plus économique , celui des pontons, et de plus de 1 1 ,000,000, comparé à celui des maisons de péni- tence. A l'avenir l'économie sera de plus en plus con- sidérable. Car en prenant la moyenne dans les trois années 1819, 1820 et 1821 , la dépense annuelle par tète dans la Nouvelle-Galles du Sud a été de 20 liv. st. 13 s. 7 d. ; dans les pontons, de 30 liv. 6 s. 7 d. , et dans la maison de Millbank, de 56 liv. 15 s. 0 d. En outre cette dépense annuelle de 20 liv. st. 13 s. 7 d. par tète , pour la Nouvelle-Galles du Sud, ne renferme pas seulement la subsistance et la surveillance des convicts dans la colonie , mais encore la dépense entière du transport , aussi bien que celle du gouvernement de la colonie et des forces navales et militaires ; en un mot , la dépense entière de tout genre que peut occa- sioner la Nouvelle-Galles du Sud au royaume , soit comme établissement pénal , soit comme colonie. La subsistance et la surveillance des convicts prises à part durant les douze dernières années , n'ont pas monté à plus de 12 liv. st. 13 s. G d. chaque année par tête, et durant les trois dernières années 1819, 1820 et 1821, à plus de 1 1 liv. 6 s. 0 d. Sur les pontons et dans les maisons de correction , toute la dépense au contraire roulait uniquement sur la surveillance , l'entretien et le logement des prisonniers. » Voyons actuellement de quelle manière s'énonce DE L'ASTROLABE. 32$ un autre journal , VAastralian, touchant les mêmes matières , savoir : le jugement par jury et la re- présentation nationale. ( N° 143, 11 novembre 1826.) « Nous touchons à l'année 1827, dans le cours de laquelle l'acte du parlement pour la Nouvelle-Galles du Sud doit expirer. Cependant il n'y a encore eu au- cune manifestation publique du désir qui règne univer- sellement par toute la colonie , pour réclamer de la législation anglaise une extension de ses institutions en faveur de cette partie des domaines du royaume. Quand l'acte qui régla la charte actuelle de la colonie passa dans le parlement impérial, on entendit géné- ralement que si elle continuait à faire, durant les cinq années où cet acte serait en vigueur, des progrès sem- blables à ceux qu'elle avait faits dans le petit nombre d'années précédentes , les ministres seraient très-dis- posés à se montrer libéraux à son égard. Non-seule- ment ils devaient lui donner le pouvoir de dresser ses lois conformément à l'esprit de la constitution anglaise, mais ils devaient encore lui permettre de les faire exé- cuter par les mêmes moyens et suivant les mêmes for- mes que la mère-patrie. L'opposition d'un petit nom- bre d'individus réussit à reculer de cinq ans l'exercice des droits qui sont inhérens aux sujets de la Grande- Bretagne. Cette opposition, du reste, après avoir dé- chu, s'est enfin évanouie. Il n'y aura ni parti, ni fac- tion, ni même d'individu disposé à entraver les efforts des colonistes, qui n'auront à présenter que leurs pro- ,?i; VOYAGE près réclamations, pourvu qu'ils se donnent seule- ment la peine de le faire. » Nous apprenons qu'on se prépare à faire quelques démarches utiles, et qu'il y aune résolution arrêtée parmi plusieurs des personnes respectables, opulentes et influentes de la colonie , de recourir au mode habi- tuel des Anglais pour s'adresser aux premières auto- rités de l'Etat , c'est-à-dire par l'organe d'une assem- blée publique. A moins que les habitans de la Nou- velle-Galles du Sud ne veuillent se soumettre paisible- ment, pour cinq années de plus, à tous les vices d'institutions anti-nationales, à tous les embarras et inconvéniens d'un corps - législatif qui ne peut com- prendre la situation et les besoins de la colonie, qui ne peut que faire marcher les lois à tâtons , sans savoir si elles sont pernicieuses ou utiles , si elles sont con- venables à l'état actuel des choses, ou tout-à-fait en op- position avec chacun des intérêts auxquels elles se rapportent; à moins qu'ils ne désirent voir leurs tri- bunaux accablés sous le poids des affaires comme ci- devant; ils feront entendre un vœu unanime à l'assem- blée générale, et montreront avec quelle sincérité tous les partis, toutes les classes, toutes les dénominations de personnes se réunissent pour attester que rien au- tre chose qu'une législation représentative , et le juge- ment par jury, ne peut satisfaire les colons , et s'allier avec leurs intérêts. » Ceux qui quitteront désormais l'Angleterre pour venir s'établir ici, comprendront parfaitement que leur liberté et leurs propriétés seront en sûreté; ils place- DE L'ASTROLABE. 327 ront leur confiance dans les autorités locales, quand on leur dira qu'ils trouveront dans le lieu où ils vont, des institutions semblables h celles qu'ils ont laissées, qu'ils continueront de vivre sous les lois anglaises, et sous le même système de justice administrative que celui sous lequel ils ont vécu toute leur vie, et avec le- quelils ont toujours été familiarisés. Il est très-essentiel, pour la prospérité du commerce, que les marchands qui ont des rapports avec la colonie, soient bien con- vaincus de l'intégrité de nos Cours de justice. Ils le se- ront dès qu'on leur dira seulement qu'un jury à l'an- glaise sera l'arbitre de leurs discussions, que ce ne sera qu'à un jury à l'anglaise qu'on pourra appeler, et qu'ils pourront avoir autant de confiance dans la jus- tice et l'impartialité de la Cour suprême de iN'ew-Soutli- Wales , que dans les jurés de Westminster. » Le frivole caquelagequi a privé nos Coursdu jury, ne peut l'emporter plus long-temps , si le peuple de la colonie n'est pas trop fainéant pour réclamer son éta- blissement dans les Cours civiles et criminelles ; s'il n'est pas trop paresseux pour rappeler aux ministres anglais que nos villes sont beaucoup plus peuplées , beaucoup plus capables de fournir des jurés que ne l'étaient les villes d'Angleterre , quand les jurés 3 furent institués pour la première fois — » La législation, par représentation , est un droit si •;»ii(;ralemcnt reconnu pour appartenir aux Anglais, quel que soit le lieu qu'ils habitent , quelque soit le coin de l'univers qu'ils veuillent coloniser, qu'il serait dif- ficile à la faction qui entoure ici le pouvoir, quand 328 VOYAGE même elle ne serait pas dépouillée de son influence , de disposer le ministère anglais à agir en opposition avec un droit si généralement reconnu. » Le peuple de la Nouvelle-Galles du Sud n'a qu'une, chose à craindre, et c'est sa propre indolence. S'il n'a- vertit point le parlement anglais qu'il compte être rétabli dans ses privilèges, s'il ne lui déclare point qu'il veut prendre sur lui-même le poids , si toutefois c'en est un, de s'administrer et d'être jugé par ses pairs : doit-il s'attendre a ce qu'on le contraigne à re- prendre ses droits , à ce que les autorités législatives d'Angleterre aillent le chercher dans son obscurité, et lui demander ce qu'il désire? » L'acte du parlement pour la Nouvelle-Galles du Sud sera remis en vigueur pour cinq années de plus , à moins que le peuple ne se mette en avant, et ne re- présente l'injustice d'un tel procédé. L'assemblée pu- blique dont on parle beaucoup , et pour la convocation de laquelle on doit s'adresser au shérif, peut seule prévenir l'événement que nous déplorerons , s'il a lieu, c'est-à-dire la prorogation de la loi actuelle. » Au sujet des droits que le gouvernement venait d'imposer sur les terres à concéder à l'avenir et sur certains rappels qui devaient avoir lieu sur d'anciennes concessions gratuites , on trouve dans le même journal un article plein de sens , quoiqu'écrit dans un style naïf et conforme au langage de son signataire John BnllAAustralian, «° 152, 13 décembre 1826.) DE L'ASTROLABE. 329 « J'ai été très-choqué des menaces qui courent de reprendre la terre de quelques pauvres laboureurs, d'examiner scrupuleusement les bornes de leurs fer- mes, de tracasser, houspiller, inquiéter, et finalement ruiner ceux mêmes qui ont converti ces solitudes en une terre où coulent des flots de miel et de lait. » Si dès le principe on eût suivi le système de tra- casserie qui semble aujourd'hui à l'ordre du jour, la Nouvelle-Galles du Sud serait-elle une grande et impor- tante colonie comme elle l'est? Les ministres de Dow- ning- Street pourraient-ils aujourd'hui récompenser leurs amis et leurs cliens par de larges salaires ou de grasses sinécures à Sydney, en donnant cinq mille pounds par an à l'un , trois mille à un autre , deux mille au vénérable M. ***, et douze cents ou huit cents à une demi-douzaine d'autres? » Le Quarterhj Review, dans un de ses derniers numéros, s'écriait : « Il est impossible de s'aveugler sur la grande et pro- gressive importance de la Nouvelle-Galles du Sud. Il y a quarante ans à peine que ce pays n'avait pas encore vu la figure d'un Européen, et déjà sa principale cité l'emporte sur les villes les plus propres et les plus étendues de plusieurs de nos comtés en Angleterre. Elle marche de pair avec Yarmouth , Hull , Leilh , Aberdeen, Belfast; elle rivalisera bientôt avec les grands ports de Liverpool , Bristol , Portsmoulh et Devonport. Les causes en sont évidentes; un beau climat, des institutions libérales, exemption de toutes charges , ce qu'un homme gagne est à lui ; point de col- lecteurs d'impôts pour fouiller dans nos poches; point 330 VOYAGE de taxes pour les pauvres , ni de mendia ns valides, etc. Naguère les cultivateurs demandaient de la terre, et l'obtenaient sans l'embarras de l'inquisition actuelle pour évaluer le prix d'une truie ou d'une paire de cu- lottes. Naguère on lui donnait vingt vaches à soigner en commençant son établissement , et si c'était dans la bonne saison de l'année, avec celles-là il en gagnait d'ordinaire vingt autres pour lui. Naguère le cultiva- teur recevait six, neuf, douze, et quelquefois dix-huit mois de rations pour lui-même , sa famille et ses do- mestiques , et cela n'était point à titre ^indulgence , suivant l'expression moderne; mais bien à titre iï en- couragement pour se montrer industrieux, habiter sur sa propriété, suppléer aux chances fâcheuses, et compenser, sous quelques rapports , l'absence de ses amis et de ses pénates d'Angleterre, ainsi que de toutes les douceurs qui se rattachent au mot de patrie. C'était, en outre, une récompense pour les frais énormes du passage vers cette contrée lointaine. Un Anglais ou un Ecossais songera-t-il jamais à s'expatrier, si ce n'est pour améliorer sa condition , pour parvenir plus promptement à la fortune? pour se procurer de bonne heure une heureuse indépendance pour lui-même et sa famille? enfin pour se mettre à même d'exercer une douce et raisonnable hospitalité envers ceux que la gène et le besoin obligent à chercher des ressources hors de leur patrie? Le difficile, au reste, est de savoir où s'arrêter : ainsi que le goût de la chair humaine s'est , dit-on , introduit chez les sauvages par suite du premier essai qu'ils en firent , de même la première DE L'ASTROLABE. Ui fois que l'homme commence à manier de l'argent , il devient de plus en, plus exigeant. Le thé, les esprits , le sel et le tabac sont des objets de taxe légitime, et en pareil cas elle fera plus de bien que de mal. Trois de ces quatre objets peuvent se fabriquer chez nous; à l'égard du thé , la livre à deux schellings fera tout au- tant de bien dans le pays que si elle n'était qu'à un schelling. La consommation en diminuera, et Ton s'habituera a notre café de l'île Norfolk et de Moreton- Bay. Les impôts généraux sont mauvais, s'ils n'ont un but d'utilité locale. Je n'approuve que certains droits favorables au pays, et j'espère que le bruit qui court d'un projet pour augmenter le fonds colonial n'est qu'un mensonge. Quoi! le nombre des orphelins se serait-il tellement accru que la recette actuelle de- vint insuffisante? Sans doute on n'exigera pas que les colons de la Nouvelle-Galles du Sud fournissent à l'en tretien de tous les criminels de l'Angleterre. C'est une affaire de 200,000 liv. st. par an. La colonie doit se sut - tire à elle-même, dira-t-on. La chose est impossible, et ce mot n'est qu'une plaisanterie. Le gouverneur est entouré d'hommes trop éclairés pourqu'ïl puisse songer un seul instant de sang-froid à un pareil projet. Ce se- rait le coup de la mort pour la colonie; ce serait tuer la poule pour avoir l'œuf. Une foule d'habitans , jeu suis sûr, vendraient tout ce qu'ils possèdent, feraient leurs paquets , et s'en retourneraient en Angleterre; et le pays retournerait à son état primitif, insensible- ment, mais sans aucun doute. Car sans aucune des ressources de l'Angleterre , et avec tous ses désavan- 332 VOYAGE tages ; sans la société des femmes et avec une bande de voleurs ; sans aucune représentation , et avec des habits rouges sur les bancs du jury, et un système d'impôts odieux , quel est celui qui voudrait rester ici, qui ne s'en irait pas? Je ne crois pas un mot de ces bruits. Qu'un fonds soit levé pour paver, éclairer et arroser les rues , ce sera discuté un jour ou l'autre , je n'en doute pas. Mais ce n'est pas encore le moment; nous sommes trop pauvres pour cela. C'est comme si tout l'argent (20,000 liv. st.) apporté par le navire de Sa Majesté, le Success, devait être débarqué au com- missariat, et jeté par la fenêtre de M. ***, la chose ne se ferait pas. Le bruit qui court est aussi absurde. L'an- cien système d'encouragement réussissait parfaite- ment , et a produit des merveilles. Laissons-le durer vingt ans de plus. En attendant, suivant le vieux pro- verbe, vogue la galère, achetons de la terre et du bétail, sans argent ni valeur. » John Bull. * Voici un autre article non moins fondé en vérité , en raisonnement, sur la nécessité d'encourager les émi- grations de l'Angleterre vers la Nouvelle-Galles du Sud , tant dans l'intérêt de la mère-patrie elle-même que de la colonie. {^Australian, n° 150, 6 décem- bre 1826.) « D'après le témoignage unanime de plusieurs per- sonnes qui viennent d'arriver dans la colonie , nous apprenons que les réglemens sur la terre ont donné DE L'ASTROLABE. 333 naissance à de grands méeontentemens en Angleterre, et qu'ils forment un obstacle direct à L'émigration. Plusieurs personnes qui songeaient sérieusement à se diriger avec leurs familles vers cette colonie ou vers la terre de Van-Diémen, plusieurs même qui étaient sur le point de s'embarquer, ont été si dégoûtées par les conditions vexatoires et impolitiques imposées sur les concessions et les achats de terres, qu'elles ont renoncé à leur dessein de quitter l'Angleterre. C'est précisément ce que nous avions prévu. Il y a excès de population en Angleterre; et, au lieu d'encourager ceux qui étaient disposés à émigrer, on oppose une en- trave directe à leur départ , à moins qu'ils n'apportent du capital avec eux , et qu'ils ne se soumettent à payer presque autant la terre ici qu'ils l'eussent fait en Angle- terre , eu égard à la qualité et a la situation du terrain dans les deux pays. L'administration anglaise entend mal l'état de cette colonie. Nous manquons de popu- lation. Un accroissement de capital, beaucoup de nu- méraire serait à désirer, et sans doute ceux qui peuvent en apporter avec eux sont mieux venus. Mais ceux qui en ont aiment à le placer suivant leurs désirs , et ils doivent naturellement s'attendre à recevoir gratui- tement de la terre, étant venus de 16,000 milles dans cet espoir , et après tout ne la trouvant pas dans un état séduisant, quand ils en prennent pos- session. Le capital, nous le répétons, nous serait très- utile, mais nous manquons d'hommes, nous man- quons de population. Nous avons besoin de paysans qui puissent s'établir à leur aise sur une centaine 334 VOYAGE d'acres de terre chacun , et avec l'espoir d'en obtenir davantage, s'ils peuvent la cultiver. Nous avons besoin qu'ils habitent la campagne. Donnez aux plus indigens des émigrans qui viennent ici telles facilités qu'ils ont droit d'attendre; donnez-leur la chance d'employer leur industrie , avant que leur patience et leur énergie soient épuisées , avant que leur courage soit abattu par le malheur. C'est une opinion erronée, que de penser que le capital seul doive être un litre pour ré- clamer de la terre ; c'est une opinion plus erronée en- core , que de créer des rentes , de charger les conces- sions de conditions onéreuses , dans l'espoir de tra- vailler à la prospérité de la colonie , ou de contribuer à la culture d'une acre de terre de plus , que si le peu- ple pouvait jouir sans aucune restriction du produit entier de la terre qu'il possède. C'est bien assez de dé- fendre la vente de ces terres , pour certaines raisons ; mais hormis celle-ci, toutes les restrictions sont nui- sibles. Il pourrait être excusable ou même convenable de taxer les absens, de taxer ceux qui obtiennent de la terre uniquement dans l'intention de la vendre , et qui n'ont jamais pensé à la cultiver; mais c'est la pro- position la plus inique qui ait jamais été faite et exé- cutée, que de faire payer aux concessionnaires une rente sérieuse pour la terre, tandis qu'ils mettent tous leurs soins à l'améliorer et à se rendre ainsi des mem- bres méritans de la colonie. Il est impossible , nous le présageons clairement, que les réglemens dernière- ment promulgués restent long-temps en vigueur. Nous annonçâmes qu'ils causeraient un mécontentement DE L'ASTROLABE. 335 universel. — Ils ont en effet causé un mécontentement universel, et même détourné une foule d'émigrans de venir s établir dans cette colonie. Nous espérons seu- lement que le gouvernement d'Angleterre se sera aperçu de son erreur, erreur dans laquelle il a été in- duit par quelques grands propriétaires qui ont. conçu la folle espérance que leurs propres terres hausse- raient de valeur, si les nouveaux venus étaient forcés de payer toutes celles qu'ils recevraicntdelacouronne. Nul doute que ce moyen n'ait d'abord réussi; mais ces monopoleurs n'ont point réfléchi qu'ils seraient arrivés au même but par une marche différente ; que la valeur de leurs terres se serait tout autant accrue en encou- rageant de nombreuses émigrations , qu'en faisant rançonner çà et là quelques cultivateurs pour chaque acre de terre qu'ils obtiendraient. On ne peut discon- venir que les réglemens n'aient eu l'effet que nous ve- nons de décrire. On ne peut disconvenir que plusieurs familles , qui étaient sur le point de passer dans ce pays, ne soient restées en Angleterre, détournées de leur projet uniquement par les prix injustes et ef- frayans des rentes imposées sur toutes les terres à concéder. » Nous allons maintenant rapporter en entier les ré- glemens dressés par le ministre des colonies, touchant les concessions à faire, et qui ont donné lieu aux cri- tiques précédentes. (Mom'tor, n° 20, paçe 1 55, 29 sep- tembre 1826.) 336 VOYAGE « Pour l'instruction de ceux qui se dirigent vers la Nouvelle-Galles du Sud et la terre de Van-Diémen, comme cultivateurs , on a jugé convenable de donner l'aperçu suivant des réglemens que le gouvernement de Sa Majesté a trouvé à propos d'établir pour ré- gler les concessions de terres dans ces colonies. » 1°. On s'occupe d'une division du territoire en- tier en comtés et en cent paroisses. Quand cette divi- sion sera terminée, chaque paroisse contiendra une superficie de vingt-cinq milles environ. On fera une évaluation des terres de toute la colonie et de chaque paroisse en particulier. » 2°. Toutes les terres de la colonie , non concédées jusqu'alors et non appropriées au service public , se- ront mises en vente aux prix ainsi fixés. » 3°. Toutes les personnes qui se proposent d'a- cheter de la terre , devront en présenter la demande par écrit au gouverneur, dans une forme prescrite, qui leur sera délivrée au bureau del'ingénieur-général, en payant le droit de deux schellings et six pences. » 4°. Toute correspondance avec le gouvernement local , touchant les concessions de terrain , ne peut avoir lieu que par ce même bureau. » 5°. Le prix d'achat doit être acquitté en quatre termes. L'escompte de 10 p. °/0 sera alloué pour les paiemens en argent comptant. » 6°. Lors du paiement de la somme, la concession sera faite à l'acquéreur en droit simple et pour la rente nominale d'un grain de poivre. » 7°. La plus grande quantité de terre, qui sera ven- DE L'ASTROLABE. 337 due à un seul individu, sera de 1,920 acres. La terre sera généralement mise en vente par lots de trois milles carrés, ou 1 ,920 acres. Les personnes qui désirent faire des acquisitions plus considérables, devront s'adres- ser par écrit au secrétaire d'Etat, en donnant une explication complète de leurs projets et de leurs moyens. » 8°. Tout acquéreur, qui dans l'intervalle de dix ans après son acquisition , par l'emploi et l'entretien de convicts, aura soulagé le public d'une charge égale à dix fois le montant de son prix d'achat , sera rem- boursé de cette dernière valeur, mais sans intérêt. L'entretien complet de chaque convict, employé du- rant douze mois par l'acquéreur, sera estimé a seize livres sterling, épargnées à la dépense publique. » 9°. Les terres peuvent aussi être obtenues sans vente, mais à diverses conditions. » 1 0°. Les personnes qui désirent devenir conces- sionnaires sans achat , feront leur demande au gou- verneur du lieu dans la forme assignée , dont il leur sera délivré copie au bureau de l'ingénieur-général , ce movennant deux schellings six pences. » 11°. La plus grande concession de terre, qui sera faite sans achat, est de 2,560 acres; la plus petite de 320 acres. » 1 2°. Aucune concession ne sera faite à personne sans achat, à moins que le gouverneur ne soit certain que cette personne a tout à la fois le moyen et le désir de dépenser, pour la culture de ses terres , un capital égal à la moitié de la valeur qui leur est assignée. 338 VOYAGE » 13°. Une rente de 5 p. °/0 par an, sur la valeur appréciative , sera établie sur la terre concédée sans rente. » 1 4°. Cette rente pourra se rembourser, dans les vingt-cinq premières années qui suivront la conces- sion , par une somme égale à vingt fois sa valeur annuelle. » 15°. Dans le remboursement de cette rente, le concessionnaire pourra y faire entrer le cinquième des sommes qu'il aura épargnées au gouvernement de Sa Majesté, par l'emploi et l'entretien de convicts. Et, pour établir cette indemnité , on calculera que le gou- vernement aura épargné seize livres sterling pour chacun des convicts employés par le concessionnaire, et complètement entretenus à ses frais sur sa terre pendant le cours d'une année. » 1 6°. Jusqu'à l'expiration des sept premières années qui suivront la concession sans vente, la rente ne sera point due sur les terres de cette catégorie. » 1 7°. Chaque concessionnaire sans achat devra , à l'expiration du terme ci-dessus mentionné de sept années, prouver devant l'ingénieur-général, qu'il a dépensé pour la culture et l'amélioration de sa terre , un capital égal à la moitié de sa valeur, comme elle fut fixée au temps de sa concession, et cela sous peine de voir sa terre retourner à la couronne. » 1 8°. Aucune concession additionnelle de terre ne sera faite à un particulier, qu'il n'ait employé la dé- pense nécessaire de capital sur les terres qui lui sont déjà concédées. DE L'ASTROLABE. 339 » 19°. Les personnes qui recevront une seconde concession de terre sans achat, seront susceptibles de payer une rente sur les terres comprises dans cette seconde concession, immédiatement après qu'elle a eu lieu. » 20°. Les personnes qui désireront recevoir des concessions de terres sans achat, à des conditions dif- férentes de celles qu'on vient d'établir , doivent sou- mettre au secrétaire d'Etat une exposition par écrit et détaillée des circonstances qui , suivant eux , peu- vent les exempter du cours ordinaire des règles générales. - Bureau des colonies, Downing-Slreet , novembre 182/,. -> Le débit du bois de cèdre [Cedn/lis australis , Brown) était devenu un objet de commerce assez important pour la colonie , et fournissait un moyen d'existence honorable pour une foule d'ouvriers qui allaient le couper et le scier librement aux lieux où il croissait. Quelques mois avant notre passage a Syd- ney, le gouvernement avait assis un droit de un half- penny (un sou environ) par pied sur ce bois , ce qui avait mécontenté beaucoup de gens. Le Monilor à cette occasion fait les réflexions suivantes. [Monitoi-, m°11 ,28 juillet 1820.) « Avant l'arrivée de sir Thomas Brisbane, d'odieu- ses prohibitions , résultat de la police de nos premiers gouverneurs , existaient sur presque tous les genres 340 VOYAGE de produits bruts , accompagnés de droits et d'impôts vexatoires sur le chargement et déchargement des navires. Le major Goulburn fut assez juste pour sup- primer tout cela; un ordre général fut publié spécia- lement pour ouvrir la côte entière aux entreprenans scieurs de bois : c'est en vertu de cet ordre qu'ils tra- vaillent maintenant. Les riches propriétaires qui pos- sèdent des terres plus voisines de la capitale , réus- sirent à s'en procurer le monopole au moyen de permis. Cette méthode , sous le prétexte d'arrêter le vagabondage et de détruire les retraites des déser- teurs, est remise en pratique. Ainsi, la politique hol- landaise , sous la forme d'impôt sur le cèdre , tâche de nouveau de reparaître dans cette colonie. Mais il faut que le gouvernement se rappelle que la Nouvelle- Galles du Sud a cessé d'être un simple établissement pénal, et que nous avons droit à tous les privilèges commerciaux, à tous ceux des plantations de Sa Ma- jesté en Amérique. » Dans un long article de V Aiistraliany où l'éditeur de ce journal discutait l'actif et le passif de la colonie, il es- timait à 4,000,000 de liv. st. son capital entier en terres cultivées , maisons , troupeaux , bétail de tout genre , blé , grain , etc. , indépendamment des marchandises en magasin. Si les ressources de la colonie eussent été convenablement dirigées , ce capital eût pu être facile- ment doublé par des valeurs en laine, tabac, sucre, huile de baleine, cuirs, et autres objets d'un grand débit en Angleterre. La dette des marchands de Sydney envers DE L'ASTROLABE. 341 les étrangers pourrait être évaluée à 250,000 liv. st. ; pour y taire face, ils peuvent avoir en ce moment pour 180,000 liv. de valeurs entre les mains, repré- sentées partie par des marchandises en magasin , et partie par des billets de divers marchands en gros et en détail. 00,000 liv. en outre peuvent être repré- sentées par des billets d'autres marchands, du numé- raire en caisse, et des propriétés en terre et en bétail. Enfin les 10,000 liv. restantes pourraient s'imputer à l'intérêt du commerce chez les consommateurs. De tout cela, l'éditeur concluait avec assez de rai- son que , malgré l'état de gène où se trouvait alors la colonie, à cause du grand excès de valeur des impor- tations sur les exportations, il n'y avait nullement à redouter une banqueroute pour les marchands étran- gers; que les propriétaires en quelques années d'éco- nomie et de travail pouvaient rétablir avantageuse- ment la balance en leur faveur, et que les marchands de la Nouvelle-Galles du Sud seuls en souffriraient par la stagnation des affaires. La valeur des objets importés annuellement, depuis un petit nombre d'an- nées, n'est pas montée à moins de 350,000 liv. st. ! [Australian, n? 123 et 124, 2 et 6 septembre 1826.) La quantité de laine exportée chaque année en Angleterre a suivi la progression suivante : En 1817. . . . 73,000 liv. En 1818. . . . 93,000 En 1819. . . . 100,000 ?.3 3*2 VOYAGE En 1820. . . . 95,891 liv. En 1821. . . . 175,433 La grande différence en plus, de cette dernière année , doit s'attribuer à ce que les habitans de Van- Diémen se décidèrent à envoyer aussi en Angleterre leur récolte de l'année avec celles des années précé- dentes. En partant de cette base , on calculait qu'en 1826 la récolte pourrait être de 130,000 livres, et s'élever jusqu'à 200,000 livres cinq ans après. Dans un rapport fait alors tout récemment à la Chambre des communes, on établissait que la valeur des produits et des manufactures de la Grande-Breta- gne , portés à la Nouvelle-Galles du Sud , avait été, liv. H. s. H. En 1819, de 9,000 14 8 En 1820, .40,000 3 7 En 1821, 84,000 1 .» (Monitor, n. 6, 23 juillet 1826.) On peut juger par là combien cet accroissement avait été rapide et prématuré. C'est ce qui avait donné lieu dans la colonie à l'engorgement des marchan- dises dont nous venons de faire mention. Au sujet d'une nouvelle carte de la Nouvelle-Galles du Sud, publiée à Londres en 1826 par Cross, de Holburn , et gravée par J. Lewin , d'après les travaux de M. Oxlev, le Monitoi fait l'observation suivante : DE L'ASTKOLABE. 343 « En faisant attention au très-petit espace que la portion explorée de l'Australasie occupe, comparée au continent entier, nous sommes obliges de convenir que toutes les théories sur les lacs intérieurs , etc. , ne sont fondées que sur les plus frivoles bases. L'Aus- tralasie occupe plus de deux mille milles géographiques de longueur et mille huit cents de large. La plus grande étendue de la partie explorée n'excède pas six cents milles du nord au sud , et quatre cents milles de l'est à l'ouest. ]Nous n'avons qu'une connais- sance fort imparfaite du pays, à deux cents milles de Sydney. » Nous ne serions pas étonnés si on nous appre- nait que nous nous sommes établis sur le plus mauvais coin de l'île entière. » [Monitor, ti° 6, 23 juin 1826.) Au mois de septembre 1826, la colonie comptait 200,000 bètes à cornes, 500,000 brebis, et 15,000 chevaux. Le bœuf et le mouton valaient six pences (environ douze sous) la livre. [Australian, n° 139.) Le prix des vivres au marché, le 16 décembre de la même année, était de : blé (le boisseau), 5 s. 6 d. — Maïs [id.\ i s. — Orge [id.\ 4 s. 6 d. — Belle fa- rine (le quintal), 15 s. — Méteil (le boisseau), 2 s. — Son, bran (id.), 1 s. 6 d. — Patates, ou pommes déterre (le quintal), 18 s. — Poules, 5 s. la couple. — Canards , 6 s. 6 d. — Oies , 1 5 s. — Dindons ,17s. la couple. — Beurre, 2 s. 3 d. la livre. — OEufs, 2 s. la douzaine. — Fromage, 1 s. 3 d. la livre. — Pain, 4 à 5 d. 7? par pain. — Bœuf, 3 s. Il d. par stone 23' 344 VOYAGE (poids de 8 livres). — Mouton, 4 s. 10 d. (id.). — Porc , 4 s. 9 d. {id.). — Foin, 7 à 10 liv. 10 s. le ton- neau (2,000 livres). — Paille, 35 à 45 s. {id.) Les végétaux étaient très-rares à cause de la sé- cheresse qui avait duré si long-temps. Quelques fruits commençaient à paraître , mais à un prix exorbitant. (Aastralian , n° 1 53 , 16 décembre 1 826. ) Par un arrêté du conseil, du 12 juillet 1826, il était défendu d'employer une autre monnaie que celle d'Angleterre , et le prix légal de la piastre espagnole était fixé à 4 s. 4 d. Il était également défendu de faire des billets pour une somme au-dessous de 20 s. (Idem, n° 110.) Le gouvernement louait les pâturages aux habi- tans , à raison de 20 schellings par an , pour cent acres de terre. (Idemy n° 126, 13 septembre 1826.) M. Blaxland continuait avec zèle ses efforts pour cultiver la vigne , et il avait obtenu de tels succès , qu'ils lui avaient valu la grande médaille en argent de la Société d'encouragement des arts et sciences d'An- gleterre. Sa récolte de l'année avait pu remplir six pipes et demie du vin produit sur son territoire. Déjà ces préludes donnaient la plus grande espérance pour l'avenir. (Idem, 16 décembre 1826.) L'établissement de l'île Norfolk était repris depuis quelques années ; c'était là qu'on envoyait les plus mauvais sujets de la colonie, et on en avait retiré toutes les femmes sans exception. Le lin de la Nouvelle-Zé- lande y réussissait bien , et il y avait environ 60 acres de terres en blé. Au mois de juillet 1 826 , on y comp- DE L'ASTROLABE. 345 lait environ 1 10 condamnés, avec une garnison pro- portionnée. (Aastralian , 5 juillet 1826.) Il était fortement question de construire, à Syd- ney, une salle de spectacle agréable et commode : déjà plusieurs réunions avaient eu lieu pour mettre ce projet à exécution , et on estimait que cette dépense pourrait monter à 4 ou 5,000 liv. st. (Idem, 30 avril 1826.) On s'occupait d'établir une poste générale sur un plan régulier, pour les communications des divers points du territoire. Voici les dislances des différons établissemens de la Nouvelle-Galles du Sud entre eux : De Sydney à Parramatta. . . . 15 milles anglais. à Windsor 35 à Liverpool 20 à Bathurst 13 fi à Wellington-Valley 210 De Parramatta à Windsor-Town 20 milles anglais. à Erau-Plains . à Castelreagh. à Liverpool. . 20 23 9 Windsor à Richmond-Town àWilberforce. . . 6 milles anglais. 4 4 Pitt-Town à Wilberforce. . 2 milles anglais. 346 VOYAGE On songeait aussi à ouvrir une nouvelle route entre Bathurst et Sydney, plus commode que la première. « On a grand espoir, dit t'Australian(26 avril 1826), que le passage à Bathurst , par les montagnes , pourra être beaucoup facilité. Une nouvelle route est pro- jetée, et une reconnaissance va être exécutée pour décider si le nouveau plan sera praticable. Le capitaine Dumaresq, à qui on en doit la première idée, est d'o- pinion qu'il pourra s'exécuter facilement. La route qu'il a marquée est très-voisine de l'ancienne, mais évitera le Mont- York et le Mont-Blaxland. Outre ces avantages pour les voyageurs qui échapperont ainsi aux ennuis et aux fatigues de ces montées et de ces descentes , nous devons mentionner que les troupeaux de bétail amenés de Bathurst pourront paître tout à leur aise, durant la nuit, sur les bords de la nouvelle route. » On se plaignait beaucoup du manque d'ouvriers. Il était prouvé que l'ingénieur civil eût trouvé, sur les routes et autres travaux publics , de l'emploi facile- ment pour 3,000 prisonniers, s'il y en avait eu de dispo- nibles. Les cultivateurs eussent aussi employé immé- diatement cinq à six cents artisans , particulière- ment tailleurs , cordonniers , charpentiers , forge- rons, charrons, etc., etc.» (Australian , 31 mai 1826.) A l'occasion du bal donné par le gouverneur, le jour de la fête du roi d'Angleterre, V Australian fait les remarques suivantes , qui donneront une idée du DE L'ASTROLABE. 3i7 degré de splendeur auquel est déjà arrivée celle inté- ressante colonie. (N° 86 , 26 avril 1 826.) « Peu de personnes imagineraient que dans une communauté qui n'a dû son origine qu'aux circons- tances les plus défavorables , et qui ne date son exis- tence que d'hier (car aux yeux des plus vieux habi- îans, il semble que ce ne soit que d'hier seulement qu'ils ont pour la première fois abordé dans un désert et au milieu des rochers d'une terre inconnue), peu s'imagineraient qu'on put parvenir en ce pays, même chez le gouverneur, à déployer autant de goût et d'élé- gance, à présenter une cérémonie capable de rivaliser avec celles de la même nature qui ont lieu dans la mé- tropole. Les membres de l'administration actuelle du pays ignoraient, et les personnes de l'Angleterre, qui ont. acquis le plus de données sur la colonie, ignorent encore qu'une pareille réunion de personnes de mérite et de considération put avoir lieu au palais du gouver- neur le jour de la naissance du Roi. Nous employons les termes de mérite et de considération , comme les plus convenables pour désigner la condition exacte de ceux qui forment la haute société de la Nouvelle-Galles du Sud , et de ceux qui composaient en grande partie le cercle appelé à célébrer la fête du Roi. Les étrangers acquerront une notion plus exacte de l'état de la co- lonie et de la nature de sa société, si on leur dit que la majeure partie de ceux qui se trouvaient invités à celte soirée eussent en Angleterre figuré honorable- ment parmi la petite noblesse , pour ce qui regarde le U8 VOYAGE rang et la dignité. Car Dieu sait que toute autre pré- tention ne serait qu'une pure affectation , et nos amis d'Angleterre trouveraient bien risible le puéril orgueil de nos grands seigneurs de la Nouvelle-Galles du Sud. » Tout cela prouve beaucoup en faveur de l'amélio- ration de la société de cette colonie; c'est une puissante preuve de son accroissement, que de pouvoir avancer qu'elle compte plus de deux cents membres capables d'être réunis, au besoin, comme des connaissances plus ou moins liées les unes avec les autres , et presque sur un vrai pied d'égalité , et qu'en outre ces deux cents personnes appartiennent à une classe qui , en Angle- terre , pourrait se montrer dans les cercles les plus distingués , bien qu'un très-petit nombre pût aspirer à paraître à la cour. » Les possesseurs de ce sol peuvent bien être consi- dérés en masse par ceux qui habitent le royaume , comme des gens indignes d'une vraie considération , sans que nous ayons lieu d'en être surpris. Les pre- mières impressions ne s'effacent pas facilement. La Nouvelle-Galles du Sud sera pour long-temps encore confondue avec Botany-Bay ; il faudra quelque grande secousse , quelque événement frappant , quelque cir- constance extraordinaire, pour détruire cette erreur. Des faits comme ceux que nous venons de publier aujourd'hui produiraient de l'effet, s'ils étaient seule- ment pesés par ceux dont le devoir et le mandat sont d'instruire et de guider le peuple anglais. Chaque cour de justice, chaque assise, chaque ville, chaque pa- DE L'ASTROLABE. 349 roisse en Angleterre, contribue à cacher au public le véritable e'tat de celte colonie ; car dans ce cas le peuple anglais forme son opinion d'après la basse classe qui ne voit qu'une grande prison dans la Nouvelle-Galles du Sud, cette colonie riche et l'on pourrait dire sans rivale. Chaque hameau , chaque recoin de l'An- gleterre contient des individus qui ont des parcns dans cette contrée , et qui malheureusement ne se trouvent dans le cas de s'en occuper et d'y l'aire attention , qu'à cause des fautes de leurs parens ou de leurs amis. C'est ce qui a amené le peuple à n'associer au nom de la Nouvelle-Galles du Sud que les idées d'une prison , et les hautes classes de la société ont elles-mêmes con- formé leur opinion à ces tristes impressions. » La sentence même de transportai ion prononcée sur de misérables criminels dans les tribunaux , au milieu d'une foule de spectateurs, remplit leur ame d'idées semblables, et entretient leur erreur. C'esl ainsi qu'on doit expliquer l'ignorance du peuple an- glais , l'ignorance de la mère-patrie touchant la véri- table situation d'une de ses colonies qu'elle considère avec la plus grande injustice, uniquement comme un insigne repaire de malfaiteurs , comme un lieu de cor- rection , au lieu de lui accorder le nom et la célébrité qu'elle mérite par ses qualités naturelles , ses avantages essentiels , ses attributs caractéristiques , et, nous pou- vons ajouter par le développement précoce et les fruits étonnans dont elle récompense l'industrie humaine. La presse anglaise devrait dissiper ces erreurs, bien (pic des objets d'un intérêt plus immédiat soient tou- 350 VOYAGE jours à sa disposition, et plus rapprochés d'elle pour satisfaire la curiosité de ses lecteurs. » Comme nous l'avons déjà cent fois dit, ce n'est que par la voie de la presse qu'on peut produire de grands effets , et que les impressions perma- nentes et dues aux raisons que nous venons d'énu- mérer pourront être détruites , ou du moins neu- tralisées. Mais est-il surprenant que le mérite et la considération de notre communauté , ainsi que son importance , soient ignorés des habitans du royaume , tandis que ces titres étaient ignorés de ses mem- bres eux-mêmes? Nous le répétons, ces titres sont même inconnus ici.... Autrement, qui eût pu donner lieu à ces continuelles exclamations de surprise de la part de tous ceux qui étaient présens à cette fête, car je ne crois pas qu'il y eût une seule exception. « Qui » eût pu s'imaginer, s'écriait-on de toutes parts avec » emphase , qu'on eût pu réunir une société aussi nom- » breuse, aussi choisie, tant de dames élégantes, une » si belle compagnie. » Nous autres citoyens de la même ville, habitans de Sydney, nous étions surpris ; mais plus que nous encore les habitans de la campagne prodiguaient leurs expressions d'étonnement. A quoi cela tient-il? est-il un bourg ou même une ville de moyenne grandeur, en Angleterre, qui pût offrir parmi ses habitans , une pareille ignorance de leur existence réciproque, pour ne pas dire un pareil isolement les uns des autres? Il est vrai que les habitans n'ont pas été élevés ensemble. Les dernières autorités vécurent tout-à-fait à l'écart ; elles ne donnèrent lieu à aucunes DE L'ASTROLABE. 361 liaisons nouvelles , et même d'anciennes liaisons turent dissoutes , les anneaux en furent brisés par de nou- veaux venus et par un accroissement rapide et presque soudain de la population : enfin la communauté cessa presque entièrement d'exister comme société, ou du moins comme une réunion de sociétés. On n'imagine pas même combien l'habitude influe sur les amitiés. Moins vous voyez vos amis , moins vous vous souciez de les rencontrer. Séparés d'eux d'abord par de sim- ples circonstances accidentelles, vous en restez en- suite éloignés par goût. C'est ainsi que nous pouvons expliquer le défaut de société et les plaintes conti- nuelles que nous entendons sur le défaut de sociabi- lité, dans un lieu où certainement, comme nous ve- nons de le démontrer, se rencontrent tous les élémens qu'on peut désirer pour former des sociétés et cimen- ter des liaisons. » L'exemple, quel qu'il soit, bon ou mauvais, a une puissante influence sur l'homme qui , en dépit de lui- même, a toujours l'esprit imitateur. Ceux qui se trou- vaient placés à la tète de la colonie, nous le redirons sans cesse, ne donnèrent point le bon exemple (il est vrai qu'ils eussent pu alléguer plusieurs excuses pour leur conduite, et en effet quelques-unes de ces ex- cuses étaient fondées). Ils ne se montrèrent point des membres de la communauté , et la société tomba en ruines. Par cela même que les habitans cessèrent de se trouver ensemble , la méfiance , le soupçon et l'en- vie prirent la place de la cordialité, des réunions joyeuses et de ces nombreuses nuances de liaisons qui 352 VOYAGE unissent les hommes entre eux depuis l'attachement le plus intime jusqu'aux plus simples marques de po- litesse. » Le désir qu'ont les habitans de la Nouvelle-Galles du Sud , de voir l'état de leur colonie mieux connu en Europe, leur faisait tenir le langage suivant, touchant le séjour de F Astrolabe à Sydney : « Les officiers français de la corvette l' Astrolabe ne sont pas peu étonnés de voir cette colonie si bien pourvue de protection navale. Un vaisseau de 74, et deux autres navires de guerre, à l'ancre sur cette rade, leur présentent un spectacle auquel ils ne s'atten- daient guère. Les visites fréquentes que les puissances étrangères font à cet établissement , feront bien mieux connaître la condition actuelle de cette colonie sur le continent européen , particulièrement chez les Fran- çais et les Russes, qu'elle ne l'est en Angleterre. Chaque récit d'un officier étranger qui entreprend de décrire ce qu'il voit et ce qu'il rencontre ici , sera reçu avec attention dans son propre pays , quoique de pa- reils récits envoyés en Angleterre par des Anglais n'excitent qu'un intérêt bien mince. John Bull n'est guère jaloux de savoir ce qui se passe dans ses colo- nies, tandis que les Français sont curieux à l'infini sur ces matières. Ils se formeront en peu de temps des notions sur la Nouvelle - Galles du Sud, tout aussi correctes , tant sous le point de vue de la statistique que sous celui de la politique, que les Anglais les mieux instruits de ce qui concerne leur DE L'ASTROLABE. 353 patrie. » (Justralùm, n» 151, 9 décembre 1826.") Dans le précédent numéro de la même feuille on lisait encore à ce sujet (G décembre 1826) : « A L'arrivée du navire français de découvertes l'Astrolabe, le bruit s'était assez généralement ré- pandu qu'il avait non-seulement visité divers ports et mouillages sur la cote de la Nouvelle-Hollande, mais qu'il venait de hisser le drapeau blanc à King-Georges Sound, à Western-Port et Jervis-Bay, et pris posses- sion de ces lieux , dans le but d'y former des établis- semens. On ne saurait douter que ce navire n'ait touché sur ces divers points ; et nous sommes disposés à penser que les Français ont cherché à acquérir au- tant de connaissances de la cote qu'il leur a été pos- sible. Mais quant à leur intention d'y former des éta- blissemens , ce n'est qu'un conte dû à ceux qui aiment à inventer des histoires, et qui se plaisent à se jouer de la crédulité de leurs auditeurs. Pas un mot de vrai à cela, d'après ce que nous avons appris. Ils ne tenteraient jamais de planter leur pavillon, soit à Jervis- Bay, soit a Western-Port, puisque ces points sont compris dans les limites du territoire anglais. Mais il ne serait pas fâcheux pour l'Angleterre de voir des colonies françaises ou russes s'établir à des distances raisonnables de ces limites ; ce voisinage ne devien- drait point un sujet de chagrin pour les peuples de celte colonie; au contraire, il ne pourrait que leur être avantageux. Il engagerait d'ailleurs l'Angleterre 354 VOYAGE à ne point nous tracasser, et la disposerait en outre à nous traiter, non-seulement avec une douceur ordi- naire , mais même avec magnanimité. Alors elle se déterminerait sans doute à nous donner une constitu- tion de notre goût , que nous pourrions respecter , et que nous apprendrions aux autres à respecter. La métropole aurait peur de se brouiller avec nous, si elle voyait le rejeton d'un pouvoir étranger près de nous; et le désir quelle aurait d'éviter tous motifs de malentendu avec la colonie serait pour celle-ci une source d'avantages. Sans doute les visites fréquentes que nous recevons des étrangers mettront l'Angle- terre sur le qui vive ; et probablement elle commen- cera à nous trouver d'un plus grand intérêt qu'elle ne l'avait jugé dans ses rêves. » J'ai déjà dit un mot des incendies qui avaient dé- solé les environs de Sydney peu de jours avant notre arrivée ; voici des détails assez curieux à ce sujet : « De grands feux dans les bois sont des choses si ordinaires, qu'il arrive rarement que cela vaille la peine qu'on en fasse une mention particulière. Le plus souvent l'incendie rend service , en ce qu'il contribue à éclaircir de grands espaces couverts de forêts et de broussailles , et débarrasse de beaucoup d'objets nuisibles. Néanmoins les feux qui commencèrent à brûler vendredi soir, et qui attirèrent l'attention gé- nérale par leur grandeur et l'espace extraordinaire du terrain sur lequel ils se développèrent, ont eu de DE L'ASTROLABE. 355 très-sérieuses conséquences pour la plupart des per- sonnes dont la propriété est située dans leur voisinage. Sur la côte du nord, sur la route de Botany, près Li- verpool, et en d'autres endroits, ils ont occasioné de grands dommages , et sont devenus , pour quelques personnes, la source de pertes considérables et de grands malheurs. On ne connaît encore qu'imparfai- tement toute l'étendue des ravages qu'ils ont causés. M. Wollstonecraft a eu toutes ses palissades consu- mées , et a reçu pour plus de 200 pounds de dom- mages. Un excellent verger et une bonne maison, à King's-Grove, la propriété de M. Lord, de la place Macquarie , ont été réduits en cendres. Plusieurs ponts ont été détruits, ce qui a interrompu les communica- tions en divers endroits , particulièrement à Liver- pool et à Parramatta. Les feux ont sévi avec la der- nière violence partout où ils se sont déclarés , en se propageant avec la plus grande rapidité, et lais- sant à peine aux personnes douées de la faculté de courir assez vite la chance de leur échapper. L'horizon fut complètement obscurci dans une éten- due de plusieurs milles , par les masses de fumée qui s'en exhalaient ; et le navire le Speke , qui arriva dimanche , à une grande distance du rivage , et long- temps avant qu'on pût distinguer la terre, eut son pont couvert de cendre. Plusieurs têtes de bestiaux furent consumées , et on a calculé que le dommage occasioné par cet incendie a été plus considérable que tout ce qui avait jamais eu lieu dans la colonie , par suite d'événemens du même genre. Une maison oc- 356 VOYAGE cupée par Milson , marchand de lait , sur la côte du nord , a été brûlée dimanche. Un homme appelé Mac- namara , qui vivait dans le voisinage de Wilberforce , a péri par le feu. Sa récolte de blé, sa maison et ses autres propriétés ont été complètement détruites. Lui- même, entièrement perdu durant quelque temps, a été enfin retrouvé sans vie au milieu des broussailles consumées. Il y a eu de grands ravages à la ferme de Petersham. Des palissades qui avaient coûté près de 1 00 pounds , ont été brûlées , les arbres à fruit très- maltraités , et une cavalle , montée par Camerton et. estimée plus de 80 guinées , réduite en cendres. L'ha- bitation n'a échappé qu'avec peine à l'incendie. On ne pense pas qu'un seul pont fût resté debout entre Syd- ney et Parramatta, si les serviteurs du gouvernement n'eussent été occupés à temps à dégager les bords de la route à mesure que le feu s'étendait. » Les vents brûlans et les particules pulvérulentes ont affecté désagréablement les yeux de plusieurs per- sonnes. Deux ou trois en ont ressenti de si cruelles souffrances , que le bruit s'est vite répandu qu'une ma- ladie semblable à l'ophtalmie d'Egypte allait combler les calamités du jour, et que ceux qui avaient échappé au catarrhe seraient réservés à un autre malheur, au risque de rester aveugles pour toujours. » [Australian, ?t° 148, 29 novembre 1826.) Huit jours plus tard on lisait dans le même journal : « On peut se faire quelque idée de l'aspect de la DE L'ASTROLABK. 3.57 campagne parce qu'on voit sur la route du Fanal. A la distance d'un mille du goulet , le spectateur se trouve sur un espace d'où sa vue ne peut découvrir que des rochers noircis par l'action du feu. Chaque arhre , buisson, plante ou brin d'herbe, a été brûlé jusqua la racine , et quelque habitués que soient ici les veux à voir avec indifférence de grands espaces de terre, avec des arbres mutilés el à demi consumés , on ne peut contempler la scène dont nous parlons , sans éprouver une sensation tout-à-fait extraordinaire produite par le spectacle de désolation dont on se trouve envi- ronné. » [Australian, n° 151 , 9 décembre 1826.) « Au mois de septembre 1 824 , la frégate le Tamar, capitaine B renier, accompagnée du navire marchand la Comtesse de Harcoart et du brick colonial Lady Nelson , avait porté une nouvelle colonie sur la côte N. O. de la Nouvelle-Hollande. Cet établissement, composé d'un détachement du 3L régiment, et de 45 eonvicls sous les ordres du capitaine Barlow, s'était formé dans le port Cockburn, sur l'île Melville, et le fort situé sur les bords de King's-Cove avait reçu le nom de fort Dundas. Les canons avaient été montés à leur poste, et le pavillon hissé le 21 octobre 1824. » {Narration de King, tome II , page 237.) Cet établissement, pour lequel les Anglais avaient conçu d'assez brillantes espérances, était bien loin d'avoir répondu a leur attente, ainsi qu'on pourra en juger par le passage suivant. (.lustra/ian, n° 150, ago?i, est destiné pour le premier établissement qui aura le capitaine Wright, id VOYAGE du 3e régiment venant de Port-Macquarie , pour commandant, et le lieutenant Burchell, du 57e régi- ment, pour ingénieur. M. Howel a aussi accompagné l'expédition à Port- Western, dans le but d'exécuter une reconnaissance de ses côtes et localités. Il doit, dit-on, s'en revenir par terre, et des chevaux ont été envoyés sur le Dragon pour lui faciliter l'exé- cution de ce projet. Le major Lockyer, du 57e ré- giment, prend le commandement à King-Georges- Sound, et le poste de garde-magasin sera rempli par le plus jeune des fils du major. Le département du génie sera sous la direction du capitaine Wakefield, du 39e régiment. Vingt-trois prisonniers, escortés par vingt soldats, sont suivis vers ce dernier endroit de trois femmes. Pour l'autre, vingt prisonniers, dix-neuf sol- dats et une femme composeront la population. Toute l'expédition est sous la direction du capitaine We- therhall, R. N. Par le départ du capitaine Wright, le commandement de Port-Macquarie est resté vacant, et le capitaine Innés , du 3e régiment, ira le remplacer par la première occasion. » Ces nouvelles colonies ne plaisent nullement aux habitans de la Nouvelle-Galles du Sud, à qui elles en- lèvent pour le moment des bras utiles , et qui ne voient en elles à l'avenir que de dangereux concurrens pour leur prospérité et les secours qu'ils auront à attendre de la mère-patrie. Écoutons l' Auslralian s'exprimer avec amertume sur cette manie de multiplier les co- lonies de la Nouvelle-Hollande. (8 novembre 1826.) DE L'ASTROLABK. 561 « Nous annonçâmes, dans notre dernière feuille, qu'on allait entreprendre la reeonnaissance de la haie du Roi-Georges, dans le but d'y former un établisse- ment. C'est encore un de ces superbes sites remplis d'avantages maritimes et recommandes par leurs rares productions et leurs ressources extraordinaires, une de ces places reconnues à la hâte par nos explorateurs de côtes , enchantés de s'y reposer après avoir passé six mois sur l'immensité des mers. On en prit à peu près possession, il y a long-temps, au nom de S. M. le roi d'Angleterre ; ou du moins un lambeau d'étoffe au bout d'une perche remplissait ce but , si bien qu'à moins de rompre avec la Grande-Bretagne, il était in- terdit à tout pouvoir étranger de s'établir sur aucun point d'un semblable territoire. Du reste, que le mor- ceau de drap rouge et les hommes y fussent ou non , cela ne signifierait pas grand 'chose , dans le cas où l'ennemi voudrait s'emparer de vive force du golfe , de la baie ou du sol. Il s'agit donc aujourd'hui de former en ce lieu un établissement ou une colonie , si le résultat de la reconnaissance qu'on va faire en rend un compte aussi favorable que ceux qui ont été déjà remis au ministère. » S'il est réellement intéressant pour l'Angleterre de répandre ses sujets le long des côtes de la Nouvelle- Hollande, pourquoi ne pas le faire convenablement? pourquoi ne s'y établit -on pas sérieusement, au lieu d'y planter çà et là quelques malheureux avec une garde pour les surveiller, comme autant de chauve- souris nichées sur des masures ? Nous antres habitons 362 VOYAGE de cette colonie, nous n'avons pas le droit de nous plaindre de voir naître des rivaux le long de la côte, bien que ces rivaux , à mesure qu'ils acquerront de la force et de l'importance, nous reculeront de plus en plus de l'Angleterre ; ils alongeront la traversée et accoitront ainsi la distance qui nous sépare déjà de la mère-patrie. Aussitôt que les jeunes colonies auront acquis une vraie importance, les vaisseaux suivront la côte, et toucheront en divers lieux; ils s'arrêteront à King-Georges-Sound, et y passeront huit à dix jours. D'autres endroits réclameront aussi leur attention , car les navires marchands sont à l'affût des consom- mateurs, et la Nouvelle-Galles du Sud n'aura plus que le rebut de toutes ses cadettes. Mais qu'importe? c'est l'effet de sa position. Le temps et les événemens peuvent à leur gré faire naître des avantages et des in- convéniens. Ce sont des choses dont il serait déplacé de se plaindre , quoique la colonie , dans ses raisonne- mens et ses calculs , puisse fixer ses yeux sur ses pro- pres intérêts et sa prospérité. Notre mécontentement tient à ce qu'en voyant comment se forment ces sous- colonies , la parcimonie de l'Angleterre , son ignorance et sa négligence nous assujettissent à des pas rétro- grades qu'elle devrait nous éviter. Toutes les classes d'individus nécessaires aux nouvelles colonies de- vraient être fournies par le royaume, et non pas tirées du sein de la nôtre , qui demande de l'accroissement , et. qui pourrait suffire à une population décuple ; ou bien si l'on prend les sujets dans le sein de la Nouvelle- Galles du Sud , comme mieux appropriés et plus DE L'ASTROLABE. 363 habitués au genre de travail qu'on attend d'eux , qu'au moins on ait soin de les remplacer , et de transporter ici autant de colons qu'on en enlève? Nous saurions gré à l'Angleterre de nous amener de pauvres arti- sans ; mais si cela ne lui convient pas , qu'elle re- nonce à sa misérable économie, et qu'elle lasse passer ces utiles bras, s'il lui plaît, par notre propre pays, pour les diriger ensuite vers les ports, les mouillages, les promontoires et les pays à épices qu'elle prétend coloniser. Qu'elle se garde de priver notre colonie de gens aussi utiles ! qu'elle se garde d'entraver notre population et notre gouvernement , en les forçant de laisser partir des bras que nous ne pouvons perdre sans éprouver de graves inconvéniens et de funestes suites ! » Le gouvernement anglais imagine , et nous crai- gnons que le nôtre ne partage aussi cette opinion , qu'il fait un grand gain par l'économie ou plutôt la parci- monie qu'il apporte dans ces entreprises. Quelques milliers de pounds , à son avis, suffisent pour mettre la machine en mouvement; et plutôt que de les dou- bler, pour l'utilité publique, il renonce au projet qui a occasions les premiers frais, quand bien même il reposerait sur un bon plan , ce qui du reste est. assez rare. Quant à nous , il nous serait agréable de voir des sous-colonies s'établir, si l'on y portait tous les soins nécessaires. La rivalité qui en résulterait se- rait assez compensée par les nombreux avantages aux- quels elle donnerait lieu d'ailleurs pour les habilans de la iNouvelle-Galles du Sud. Mais ces colonies, 364 VOYAGE nous le répétons, doivent être convenablement for- mées , nourries et entretenues , c'est-à-dire par les ressources de l'Angleterre, par les habitans de l'An- gleterre, et non pas par ceux de la Nouvelle-Galles du Sud. Que l'on fonde des colonies çà et là partout au- tour de nous, mais que l'on donne à chacune les moyens de se développer. Chacune d'elles dans son enfance, chacune d'elles même dans un âge plus avancé , deviendra une pratique de la nôtre ; elles s'empresseront de prendre nos produits , , surtout à mesure que leurs localités se rapprocheront des tropi- ques. Elles achèteront notre bétail , notre bœuf , notre porc salé , et autres objets nécessaires qu'elles ne pourront trouver que chez nous ou chez notre sœur, la Terre de Van-Diémen. C'est ainsi que nous désirons voir des colonies s'établir et prospérer, non pas naître pour un jour, un été, et puis périr après avoir néanmoins diminué la prospérité et les res- sources de la Nouvelle-Galles du Sud. Nous ne vou- lons point de colonies que le caprice établit et que le caprice abandonne. » Dans ces cas, le mal tient ordinairement à ce que le système adopté pour créer des colonies n'est fondé que sur des renseignemens très-imparfaits , sui- des notions superficielles de quelque lieutenant pré- somptueux qui affecte de comprendre tout le mé- rite des localités; avoir exploré une côte et donné son rapport comme quelque chose d'authentique, avoir mis le pied sur un sol nouveau, avoir aperçu une crique ou un ruisseau, vu un brin d'herbe ou le DE L'ASTROLABE. M\.) tronc d'un vieux arbre , lui suffisent pour conseille! de tonner un nouvel établissement sur quelqu'un de ces points. Deux ou trois expéditions seront années aussitôt, et après deux ou trois années d'expériences, de travaux et de dépenses inutiles sur le terrain choisi, la place sera reconnue comme tout-à-fait inconve- nable , et sera abandonnée pour quelque autre qui aura bientôt le même sort. » Ce n'est pas agir loyalement avec le peuple an- glais, ni avec les habitans de la Nouvelle-Galles du Sud. On devrait choisir des hommes vraiment ins- truits et zélés pour reconnaître les côtes , faire des voyages de découvertes et choisir des sites pour éten- dre le pouvoir anglais le long de la côte de la Nouvelle- Hollande. Ceux qui ne pensent qu'à la récompense qu'ils recevront , à la promotion qu'ils auront dans leur service , aux concessions de terre qu'ils obtien- dront, aux troupeaux de brebis ou de bétail qu'ils pourront se procurer en se chargeant de ce travail , ne sont pas dignes d'être chargés d'une pareille mis- sion. Deux essais ont eu lieu, et tous deux ont échoué. Deux établissemens viennent d'être récemment, for- més , et tous deux de la manière la plus ignorante. Voilà l'île Melville, qui avait fait naître les espérances les plus brillantes. Quel a été le sort de cette place depuis que les Anglais l'ont occupée? Quel sera le résultat de ce projet insensé? On venait, disait-on , de découvrir un nouveau canal pour faire couler les richesses de l'Orient dans le sein du royaume. Une nouvelle source s'ouvrait au commerce, et l'on acca- 36 G VOYAGE blait d'éloges celui qui avait instruit le ministère de ces avantages. Maintenant il est question d'abandonner File 3Ielville. Les misérables humains qui y ont été expédiés, après avoir éprouvé les horreurs de plu- sieurs maladies , après avoir été plusieurs fois sur le point de périr de faim, après avoir souffert des maux infinis , voient que toute leur peine a été complètement perdue. Les Hollandais ou le diable, ou tous les deux à la fois, pourront maintenant, si cela leur plaît , s'em- parer de l'île Melville et de tous ses embellissemens. » Voilà Moreton-Bay, et nous pourrions y ajouter Port-Macquarie, car une reconnaissance plus exacte de la côte à cette distance seulement de Port-Jackson, a fait découvrir, dit-on , de riches et fertiles étendues de terre , qui décèlent une ignorance honteuse de la part de ceux qui choisirent Port-Macquarie pour y former un établissement , au lieu de cette portion de côte située à quelques milles plus au nord où l'on vient de trouver une superbe rivière. Mais voilà More- ton-Bay! Cet établissement, deux fois recommencé, n'est pas encore sur le meilleur point. Quelle déplo- rable ignorance! quelle triste et superficielle recon- naissance de la côte ! Une rivière de cinq cents ver- ges de large est restée ignorée, nonobstant les ex- plorations scrupuleuses qu'une demi - douzaine de voyages ont permis d'exécuter ! C'en est assez pour dégoûter des nouveaux établissemens ; c'en est assez pour empêcher de courir après des chimères , tandis que les biens réels nous échappent , pour éteindre la manie des expéditions de découvertes, à moins que le DE L ASTROLABE. 3«7 système n'en soit amélioré , et qu'elles ne se forment que sous les auspices d'une administration libérale et sous la direction d'hommes d'un génie supérieur. » Ce même journal rapporte dans sa feuille du 2 août 1826, l'extrait suivant d'un article de XEuropean Review : « S'il arrivait que les révolutions et les combinai- sons , qui dans notre siècle bouleversent , détruisent et rétablissent si promptement les Etals , pussent un jour amener la ruine ou la décadence de notre gou- vernement de l'Inde-Orientale, cette étonnante ma- chine ; en jetant les yeux sur la position et les contours de la Nouvelle-Hollande , nous nous flattons de l'es- poir que ce serait là le siège d'un pouvoir qui répan- drait son empire ou son influence sur les princes de l'Asie. Ce sera sur cet immense comptoir que le gou- vernement devra jeter les yeux pour renouveler ce commerce qui absorbe tous les produits du royaume , et procure en retour les richesses de vingt autres. C'est en partant de ce vaste continent, séparé par une immense étendue de mer de tout le reste de la terre, mais communiquant promptement par ce même moyen avec les îles presque innombrables de l'Inde et des mers du sud , c'est de là que nous pourrons ouvrir mille sources nouvelles d'un commerce inconnu, et, par le moyen d'une chaîne immense de nations amies, acquérir et consolider un pouvoir nouveau et bienfai- sant dans les latitudes les plus méridionales du globe. 368 VOYAGE En faisant naître des alliés et des sujets d'une célébrité plus moderne dans l'histoire des nations , par l'indul- gence d'un pouvoir vertueux, la politique éclairée d'un gouvernement sage et instruit, et par le courage, la libéralité et la fermeté d'hommes libres, nous pour- rons nous ménager sur les plages sans bornes de l'Australasie, un nom aussi puissant, aussi respecté que celui qui a régné durant cent années sur les des- tinées de l'Inde, et une domination aussi glorieuse , aussi impérissable que celle de la Grande-Bretagne elle-même! — » Nous avons pensé, en terminant cette longue di- gression sur l'état actuel de la Nouvelle-Galles du Sud , que le lecteur pourrait bien lire avec plaisir l'extrait suivant du Monitor. L'auteur s'est lancé soixante-quinze ans plus avant dans les temps, et rend compte des événemens qu'il présume avoir lieu à cette époque dans l'état d'accroissement qu'aura pris la co- lonie. Il sera amusant pour nos neveux de pouvoir vérifier, en 1900, jusqu'à quel degré les prévisions de notre Australien se seront vérifiées, en comparant les circonstances qui auront lieu réellement avec celles qu'il aura annoncées. Extrait des papiers-nouvelles de Sydney. Janvier 1900. « Par des lettres que nous venons de recevoir la nuit dernière, par la malle de W estern-Port , nous DE L'ASTROLABE. 369 sommes fâchés de voir qu'il y a apparence de guerre avec la Tasmanic. Le bateau à vapeur n'avait mis que sept heures à passer les détroits ; quand il quitta le Tamar, une chaise de poste , tirée à toute bride par quatre chevaux, venait d'arriver et d'amener un grand personnage avec sa suite qui montèrent à bord , et qui viennent d'arriver à Parramatta , siège du gouverne- ment. » Morts. Hier, dans sa maison, sur l'Esplanade, est mort John Smith, écuyer, un des plus anciens habitans de ce quartier de la ville , et qui venait de compléter sa quatre-vingt-sixième année, ayant con- servé l'usage de ses facultés jusqu'au dernier moment. Il se souvenait davoir vu arriver le gouverneur Dar- ling en 1 826 , et d'avoir vu abattre la vieille prison qui était placée quelque part vers le milieu de Georges- Street. » Hier, les actionnaires de la compagnie du canal de Liverpool et Parramatta , dans leur assemblée de semestre, sont convenus d'un dividende de 50 p. °/0 du montant de leur capital. Rien ne peut surpasser le mouvement et l'activité qui régnent sur toute l'étendue de cet utile et intéressant canal. Durant les six der- niers mois , il y a passé plus de cent cinquante mille barils de farine, et trente-sept mille six cents tonneaux de provisions salées. » Hier, au café de la Tontine, on a vendu une pro- priété de trois cent vingt-quatre acres et cinq per- ches , située sur la rivière Acacia , jadis nommée la Crique du sud , et qui a monté à quatre-vingt-douze 370 VOYAGE mille dollars , ayant été achetée depuis plus de vingt- cinq ans. » Avertissement. Le Happy- Union , bateau de poste à vapeur, part chaque dimanche matin du quai Campbell pour la rivière Boyne , touchant pour pren- dre des passagers à New-Castle , à Hastings et à l'ile Moreton. Le Happy -Union est un très-beau navire de 500 tonneaux et plus ; il tient 166 lits et des rafrai- chissemens de tout genre pour les passagers. Il va en trois jours et revient en quatre. » Par la voie de l'île Norfolk nous apprenons que les amusemens d'hiver, à la mode , continuent d'y at- tirer des visites de toutes les parties du continent. Les bals et les soupers se répètent chaque soirée , et la plus grande harmonie règne dans toute l'île. » Nous sommes autorisés à annoncer positivement que la législature de l'Australasie ouvrira sa session le 1er mai. On s'attend a voir paraître la proclamation ce soir dans la Gazette. On s'attend aussi à voir pa- raître une nouvelle nomination de baronnets austra- liens dans la même feuille. » Bureau des diligences, New Piccadilly. Les di- ligences suivantes partent de ce bureau chaque matin à sept heures précises : YOpossum pour Flinders- Town et Western-Port , prix : 20 dollars en dedans , et 16 en dehors. Le Velocifer pour la ville de More- ton, par Castle-Hill , Coollombi, Jerry-Townet Has- ting's-Bridge , arrive à l'hôtel de Pumice-Stone , rue Haute , à Moreton , à neuf heures du soir ; ne passe que trois nuits dehors. — Diligences le matin et le soir DE L'ASTROLABE. 371 pour Balhurst et Parramatta. Pour Emu, tous les après-midis à trois heures du soir. » Trente-six navires sont en ce moment occupés à charger dans nos ports , pour l'Europe. La laine , le coton, le sucre, le café, les cuirs, le suif, les pro- visions salées et le tabac, forment la hase de l'expor- tation. Celle de la laine , nous nous plaisons à l'an- noncer, décroît rapidement. En l'an 181)8, elle fut de 22,000,000 liv., et pour l'année qui vient de finir, nous avons lieu de penser qu'elle ne dépassera pas 20,000,000 liv. Un changement si surprenant a été occasioné par l'établissement de plusieurs manufac- tures de drap dans ce pays. » Des bateaux à vapeur partent à chaque heure, au son d'une cloche, pour Parramatta et les rives pit- toresques et enchanteresses de Brisbane-Water. Per- sonne ne peut se dispenser de visiter ces lieux char- mans. » Hier arriva le navire à vapeur ïf~ooloo?nooloo en quarante-sept jours d'Angleterre, par le canal Darien. Il apporte trois cent dix-sept émigrés avec leurs fa- milles. Il a mis en panne quelques heures devant Taïti, et a apporté une malle considérable de cette florissante contrée, pour les marchands de Sydney. Le JVooloomooloo s'est arrêté aussi devant l'île Nor- folk , et y a débarqué deux dames passagères de Lon- dres, qui tiennent un fort beau pensionnat pour les jeunes demoiselles , sur la partie nord de l'île. Il est très-singulier qu'il n'y a que soixante ans elle n'était habitée que par des colons pris parmi les prisonniers 372 VOYAGE de la Grande-Bretagne; après quoi ils furent envoyés à la Nouvelle-Zélande , où ils sont devenus , dans ces soixante dernières années , un peuple puissant , et comme les Nouveaux-Zélandais n'ont plus besoin de déportés , le gouvernement anglais s'est déterminé à les envoyer désormais à la Terre de Feu. » On montre aujourd'hui, sur la place du marché, deux naturels australiens qui ont été recueillis à la suite d'un naufrage , près de l'un de nos établissemens au cap Gloucester. Il y a maintenant cinq ans qu'on n'avait vu aucun de ces noirs à plus de cinq cents milles de Sydney. Les maladies, la nudité et la rigueur croissante des hivers en ont presque éteint la race. Prix d'entrée : 25 cent. » Arriva hier, à sa résidence sur la place du Parc, le lord évèque de Sydney, venant des montagnes Bleues. » Une tentative très - téméraire a été hasardée la nuit dernière par un corsaire de la Nouvelle-Zélande, pour pénétrer dans ce port , et piller les villages des pêcheurs dans la baie Walson. Favorisé par l'obscu- rité de la nuit , il avait déjà presque réussi à passer sous les canons du fort Georges , jadis la Truie et les Cochons , quand une sentinelle du 1 4e régiment de ligne australien, alors de garde, ayant donné l'alarme, une seule bordée de la batterie basse coupa le corsaire en deux , et tout l'équipage fut noyé. » Théâtre royal, Georges-Slreet. Ce soir, Mac- beth , avec le divertissement de La Pérouse, qui sera répété chaque soir cette semaine. DE L'ASTROLABE. 373 » Il y a eu quarante-six souscripteurs pour YAus- tralian-Sainl-Léger, pour les courses qui auront lieu sur le Vieux-Cours, le 2 mai. » On fait de grands préparatifs pour la prochaine pèche de sperma-céti. On s'attend à voir partir cette année cent bàtimcns à voiles carrées pour cette pèche , des diverses anses de Port-Jackson. » Quinze navires h vapeur sont maintenant en cons- truction sur les différons quais de la côte du nord. » Le projet d'un pont suspendu, en fil de fer, au travers du canal , qui a , pendant près de cent années, occupé l'esprit des hahitans instruits de Sydney, vient, de se ranimer avec un grand espoir de succès. » La population de Sydney, par le dernier cens, s'est trouvée de 287,652 âmes. » Prix du marché. Froment (boisseau de 56 liv.), 25 à 30 centièmes * ; maïs (boisseau), 18 à 20 cent.; poules (la couple), 1 2 cent. ; œufs (la douzaine), 6 cent. ; chevaux (chaque), 20 à 50 dollars ; bœufs de travail (la couple), 20 doll. ; mouton gras (stone ou 8 livres), 30 centièmes; bœuf (stone), 30 cent. » A la grande foire de fromages tenue à Richmond la semaine dernière , il n'y a pas eu moins de trois cents tonneaux de celte denrée en vente , et elle a été portée à des prix élevés pour les marchés de l'Inde. » On a calculé que les brasseries de bière seules, dans cette ville , occupent un capital de plus de dix millions de dollars. * Cent centièmes font une couronne, environ six francs. TOME i. 2 5 374 VOYAGE » Par un gentleman qui vienl d'arriver hier par terre de l'île M el ville en douze jours , nous apprenons que le commerce est très-animé dans cette colonie. Plus de cent cinquante jonques se trouvaient dans le port , achetant nos objets manufacturés en laine et en coton , ainsi que les fers et les quincailleries fabri- quées dans les fonderies de Surry-Hills. Depuis l'ex- pulsion des Européens de Java, et l'indépendance de cette île importante , le commerce de Port-Cockburn a subi un accroissement régulier. » La ville d'Emu a fait des progrès étonnans. Sa population est déjà de 25,000 habitans. » Les colons qui arrivèrent en 1826 étaient au nombre de 65 personnes; en 1840 elle en comptait 9,542; en 1888, 21,707; en 1899,25,423. » La plupart des navires arrivés l'année dernière avec des émigrés se sont dirigés de suite vers les pro- vinces du sud , ou dans le détroit. On dit qu'ils y pros- pèrent parfaitement , et que de tous côtés des villages et des habitations se sont élevés là où il n'y a qu'un siècle on ne voyait que de mélancoliques forêts. » [Monitor, 7 et 21 juillet 1826.) J'avais entièrement terminé mon travail sur l'état ac- tuel de la Nouvelle-Galles du Sud, quand l'intéressant ouvrage du chirurgien P. Cunningham m'est enfin parvenu. Il m'a présenté des détails si vrais, si bien saisis, si bien rendus sur l'état moral et social de cette population, sur les opinions qui divisent ses habitans, que j'ai cru devoir en donner ici la traduction en en- DE L'ASTROLABE. 375 lier. D'ailleurs, M. Cunningham, en sa qualité de sa- larié du gouvernement, a du nécessairement prendre la couleur du ministère, et il est facile de voir qu'il envisage d ordinaire les choses sous un aspect un peu différent de celui qui règne dans les journaux de l'Opposition que j'ai eu occasion de citer. Sous ce rapport seul son récit serait utile au lecteur pour mieux fixer son opinion , en le mettant à même de prendre un juste milieu entre des sentimens aussi différens. « Notre société est divisée en cercles comme en Angleterre; mais en vertu de sa constitution particu- lière , elle offre encore naturellement plus de nuances qui à diverses époques ont reçu dans la colonie des surnoms distincts. Nous avons d'abord le s ter lins et la courante (currency) *, ou bien ceux nés en Angle- terre et dans la colonie ; les derniers prennent aussi le nom de corn-stalk (épis de blé) pour désigner la ma- nière dont ils poussent. Voilà la première gTande di- vision. Ensuite, nous avons les légitimes (légitimâtes) ou cross-breds, c'est-à-dire ceux qui ont eu des raisons légales pour venir dans ce pays , et les illégitimes (ille- gitimates) ou ceux qui sont exempts de ce titre. Les pars mérinos ne sont qu'une variété de la dernière espèce qui se vante d'être le plus pur sang de la co- lonie. Nous avons également nos caractères titrés Par allusion à la monnaie sterling d'Angleterre et à la monnaie cou- ranle du pays. 2.5' 336 VOYAGE qui portent leurs insignes sur leurs corps, sous la forme de P. B. et C. B. répandus avec profusion sur leurs personnes ; et ceux sans titre [unlitled] , qui , comme moi , n'ont ni marque ni caractères visibles sur leur extérieur. Les litres sont tous des caractères officiels employés, par ordre du gouvernement, à ré- parer les rues , à cuire des briques , et autres fonctions semblables ; car ces initiales titulaires n'annoncent pas qu'ils appartiennent à aucun ordre illustre comme celui du Bain, mais tout simplement qu'ils ont droit B.uxprisoner's barracks ou carter' s barracks pour y élire leurs domiciles respectifs. » Les convictsnouvellement arrivés sont connus iro- niquement sous le nom de canaris à cause du plu- mage jaune dont ils sont accoutrés à leur débarque- ment. Mais quand ils sont définitivement domiciliés , on les désigne avec plus de respect sous le nom loyal d'hommes du gouvernement , le terme de convict ayant été , par une espèce de convention générale et tacite , rayé de notre dictionnaire de Botany-Bay, comme un mot très-chatouilleux dans ces latitudes susceptibles. Peu d'années se sont écoulées depuis qu'un individu transporté à Van-Diemen's-Land pour fait de piraterie, qui avait été émancipé pour sa bonne conduite , obtint un jugement qui condamnait à cin- quante francs de dommages un diffamateur qui avait cherché à noircir son caractère en proférant entre ses dents, avec dépit, l'épithète injurieuse de d — d convict! et sans doute ce jugement fut juste et louable; car, si un pareil langage était toléré, il s'ensuivrait DE L'ASTROLABE. 37 7 d'éternelles disputes ; c'est assez pour un malheureux d'avoir à subir la punition à laquelle il peut avoir été condamné, sans y ajouter les reproches : et si le temps de la punition a été accompli , il n'y aurait ni convenance ni justice à l'injurier pour un fait dont le public a déjà exigé une ample réparation. "Du reste, la grande division des classes libres ici, sans avoir égard aux spécialités coloniales , est celle des émigrans [emigrants\ qui sont arrivés libres d'An- gleterre, et des émancipistes (emancipists), qui y son! venus comme convicts, et ont reçu leur pardon ou ont accompli leur temps de condamnation. C'est entre ces deux grandes classes qu'il y a eu tant de sujets de querelle. Une subdivision de la classe des émigrans a reçu le surnom à'exclasionistes, pour vou- loir exclure rigoureusement les émancipistes de leur société; tandis qu'à son tour une subdivision des émancipistes a été surnommée le parti des confusio- nistes , d'après les efforts qu'ils font pour confondre toutes les classes de la société, au jugement des autres. Comme dans toutes les petites communautés, les que- relles particulières , les caquetages et le scandale ré- gnent dans nos cercles sur la plus grande échelle , ou, pour mieux dire, y ont régné, car à cet égard les améliorations deviennent de jour en jour plus sensi- bles. Mais ceux qui sont tout-à-fait instruits des habi- tudes du pays s'accoutument bientôt à écouter toutes ces balivernes sans v ajouter de confiance, et les ré- pètent uniquement pour dire quelque chose, si bien que ces répétitions peuvent se multiplier à l'infini 378 VOYAGE sans obtenir une ombre de crédit de la part même de ceux qui les débitent. » L'orgueil et la morgue de quelques-uns de nos u lira-aristocrates surpasse de beaucoup celui de la noblesse d'Angleterre. Un de mes bons amis du Yorkshire , commandant d'un navire marchand , ou- bliant les distances et l'étiquette établies dans ce pays, monta un jour chez un de nos éminens jurisconsultes à qui il avait été présenté par hasard peu de jours au- paravant, pour lui faire quelque question peu impor- tante qu'il fit précéder d'un bonjour, Monsieur [gaod moming, M.); sur quoi l'homme de loi, reculant comme si un crapaud s'était présenté sur son passage, répondit avec un air de dédain : Sur ma vie, je ne vous connais point, Monsieur [upon my li/e, I dont know y ou. Si?). Ceci devint ensuite un sujet de plaisanterie pour mon ami qui , lorsque nous venions à nous ren- contrer, ne répondait à mon salut habituel de : Com- ment vous portez-vous? [how d'ye do?) que par un dédaigneux signe de tête, suivi d'un : Sur ma vie, je ne vous connais point, Monsieur. » Un jour que je me promenais avec mon ami, lors de mon premier voyage dans la colonie , il nous ar- riva de rencontrer deux de nos grands personnages ; mon ami accosta l'un d'eux pour une affaire particu- lière , laissant l'autre seul avec moi. Comme la per- sonne m'était connue de vue, et que je savais quelle arrivait dernièrement d'un endroit pour lequel je de- vais me mettre en route le lendemain , je lui demandai sans précaution dans quel état se trouvaient les chc- DE L'ASTROLABE. 370 mins. Mais quelle fut ma surprise, quand mon homme, se rengorgeant avec beaucoup d'importance , répliqua dans les propres termes du jurisconsulte : Sur ma parole, je ne vous connais point, Monsieur (ttpon my word, I don't knowyou, Sir). Etant encore étran- ger à la dignité coloniale, j'en conclus naturellement que quelque mauvais plaisant m'avait placardé sur les épaules un P. B., ou quelque autre décoration sem- blable, comme cela arrivait quelquefois, qui m'avait attiré cette marque de mépris. Mais après m'ctre as- suré qu'il n'y avait eu rien de semblable , je com- mençai naturellement à chercher quel pouvait être cet illustre personnage , cl a supposer que ce ne pou- vait être moins que le duc de las Sierras , ou le mar- quis d'Aguaro , si l'on ne m'eut assuré par la suite que c'était tout simplement un officier d'infanterie re- traité et établi depuis quelque temps dans la colonie. En ce cas, dis-je, ce doit être une terre fertile en grands sentimens d'aristocratie. Et même en grands sentimens d'honneur aussi , ajoutai-je quelques mi- nutes après, apprenant qu'un de nos meilleurs légi- timés , nouvellement élargi d'une réclusion de six mois pour quelque accroc aux lois du parjure, ap- puyait avec chaleur d'un : Sur l'honneur [apon h<>- nour), la vérité d'une assertion qu'il faisait. Oh! c'est très-judicieux de sa part, en vérité, observa un spectateur, de mettre son honneur en gage, car ii sait bien que personne ne voudrait de son serment. 380 VOYAGE » Ce fut durant l'administration du gouverneur Macquarie que naquirent ces querelles qui sont restées depuis un germe de discorde dans la colonie. Jugeant qu'elle avait été fondée autant pour la réforme que pour la punition des coupables, il en conclut avec raison que le moyen le plus sûr, pour y parvenir, était d'ennoblir le caractère des convicts émancipés, en les rétablissant dans un juste état de considération au milieu de la société. Par malheur, le moyen que suivit le gouverneur Macquarie, pour mettre à exécution ces vues raisonnables et bienveillantes, s'opposa complètement à sa réussite. Il s'imagina que la volonté seule du gouverneur devait surmon- ter toute espèce d'opposition, et que V autorité de- vait achever l'exécution de ce que la simple expres- sion de son désir ne pouvait obtenir. Mais, en matière d'opinion , l'homme ressemble au cochon. Si vous voulez le faire marcher par force, il recule en arrière du lieu où l'on veut le conduire , et il faut le caresser tout doucement pour venir à bout de le faire avancer en lui faisant croire directement le contraire de ce que vous avez en vue. Le gouverneur Macquarie trouvant une foule de récalcitrans contre ses opinions , au lieu de les amener tout doucement à ses désirs , ou de fer- mer les yeux sur ce qu'on faisait ou disait , et de con- tinuer à inviter paisiblement à sa table ceux des éman- cipistes qu'il en jugeait dignes , laissant au temps et à la raison le soin du reste , commença à regarder tous ceux qui s'opposaient à ses projets comme ses ennemis personnels, et même à les traiter souvent comme tels. DE L'ASTROLABE. 381 Celte conduite lui aliéna encore plus les esprits ; en outre les attentions plus marquées qu'il témoigna aux membres du corps des émancipistes, comparativement aux colons libres, firent croire à d'autres que son inten- tion était d'élever les émancipistes au-dessus des émi- grans , et par là même indisposèrent ceux qui auraient, probablement soutenu son système. Au contraire , quel a été le résultat d'une conduite toute différente adoptée dans la terre de Van-Diémen par Le sage et judicieux Sorell ! Un individu, du corps des émanci- pistes, a été dernièrement choisi pour directeur de la banque , de préférence aux émigrans les plus respec- tables , et cela par un corps de propriétaires dont la majeure partie sont des émigrans libres. Au départ du gouverneur Macquarie, les émancipistes rentrèrent dans le néant, et jamais un seul d'entre eux ne se trouva chez le gouverneur, dans aucune espèce de réunion; aucun même ne se rencontra jamais en société avec lui nulle part, jusqu'au moment où son administration toucha à sa fin , où , par politique , il jugea à propos de changer de manière d'agir. Cette chute soudaine produisit, comme on peut le supposer, un effet très-pénible sur l'esprit du corps entier; je sais que quelques-uns des membres les plus respec- tables ressentirent amèrement cette disgrâce ; car ils se regardèrent par là , eux et leurs descendans , comme destinés à être pour toujours, ainsi que les cn- làns de Cain, une race réprouvée. En effet, ils voyaient leurs enfans même repoussés de la société du gouver- neur, et par là jugés aussi indignes d'égard» qu'eux- 382 VOYAGE mêmes. Les choses restèrent en cet état jusqu'à l'ap- parition de l'Australian, journal dont les suggestions déterminèrent le corps des émancipistes à s'opposer à la marche suivie jusqu'alors, d'omettre leurs noms sur les nouvelles listes de magistrats, conformément à la réclamation du commissaire d'enquête, et de les repousser ainsi du sein de la société des gens respec- tables, en opposition cependant au désir évident de ce même commissaire. » Les individus qui passaient pour avoir le plus in- fluencé le commissaire , devinrent les principaux objets de l'attaque, et, aux yeux de leurs ennemis, des motifs personnels furent évidemment d'un plus grand poids que leur croyance publique et avérée. On commença par établir que les émancipistes étaient un corps op- primé , foulé par les émigrans , et privé par des moyens illégitimes de ce qu'il regardait comme ses droits. Dans le fait, ni la magistrature ni le conseil ne furent fermés aux émancipistes par aucun acte légis- latif, le gouvernement local ayant le pouvoir de nom- mer à ces fonctions tout individu , soit émigrant soit émancipiste, qu'il en jugerait digne. Le jury était le seul corps dont ils eussent été jusqu'alors légale- ment exclus. Us furent très-jaloux de lever cet obs- tacle; mais le commissaire qui prévit que ce serait donner naissance à une fouie de troubles , que d'ad- mettre les émancipistes ou les émigrans à siéger con- jointement ou séparément dans lesjuris, conseilla d'en exclure ces deux partis, et de ne les composer, comme auparavant, que d'officiers militaires et de la marine, DE L'ASTROLABE. 383 présumés exempts de tous préjugés à l'égard des deux classes. Bientôt un autre cri se fit entendre parmi les émancipistes pour réclamer une Chambre repré- sentative ; mais il fut repoussé avec force par les émi- grans , qui n'y virent rien que des semences de dé- sordre et de confusion. » Soutenir qu'un privilège illimité basé sur le grand principe anglais , de la propriété seule , puisse confé- rer à un individu le droil de siéger sur le banc des ju- rés, serait une chose absurde dans une population principalement composée de gens qui ont eux-mêmes forfait à la loi. » A l'égard des affaires civiles , celles , par exem- ple , qui ont trait à la propriété , la loi telle qu'elle est actuellement est la mieux appropriée à l'état présent de la société. Si les deux parties y consentent, un jury est convoqué; mais si l'une d'elles s'y refuse, le cas est jugé par le juge et les deux magistrats assesseurs. Dans les cas de diffamation et les causes criminelles, lesjugemens par jury ne peuvent manquer d'être aussi d'un grand avantage en faisant dépendre la conduite pour siéger comme membres de jury, autant du carac- tère que de la fortune , réduisant le nombre de ces membres dans chaque jury, dans chaque endroit, sui- vant sa population , et permettant aux décisions d'a- voir leur effet à la majorité seulement, et non à l'una- nimité. Si chaque individu de la colonie était appelé comme membre du jury criminel , en raison seulement de sa propriété, il n'y aurait plus de moyen pour con- trôler la conduite la plus inique, et les suites les plus 384 VOYAGE funestes pourraient en résulter avant qu'on pût chan- ger Ja loi. » En outre, ce même privilège accordé comme droit à l'individu qui fut convict , n'aurait jamais la même in- fluence utile sur sa moralité que lorsqu'il n'est considéré que comme une faveur accordée à sa bonne conduite. L'homme qui pourrait le réclamer comme un héritage, du moment qu'il aurait acquis une certaine propriété, veillerait évidemment moins à sa réputation qu'il ne le ferait en voyant que sans réputation sa fortune ne lui servirait à rien. Exiger pour tous les cas douze jurés , serait très-pénible pour tous les districts peu peuplés. D'ailleurs, pour empêcher un seul coquin sur la liste des jurés d'arrêter le cours de la justice , la majorité devrait décider l'affaire , et le chef des jurés certifierait simplement au juge le nombre des voix pour et contre. Du reste , si la propriété était la seule condition à exiger d'un juré dans l'état actuel des choses de la Nouvelle-Galles du Sud , il vaudrait mieux que les décisions n'eussent d'effet qu'à l'unani- mité, vu qu'on aurait ainsi la chance d'avoir un hon- nête homme sur le nombre, dans le cas de pouvoir jeûner assez long-temps pour forcer les autres à se rendre d'épuisement à une opinion équitable. Per- mettre de nommer les jurés sur une échelle étendue serait très-déplacé dans l'état actuel des choses , car il faudrait en ce cas détourner un si grand nombre de particuliers aisés de la surveillance de leurs propres intérêts, et en même temps de la surveillance des cri- minels qui travaillent pour leur compte , qu'il en ré- DE L'ASTROLABE. 385 sulterait des effets très-pernicieux pour la prospérité de la colonie. En outre, les récusations seraient aussi nécessairement si nombreuses que peu d'individus se- raient, assez hardis pour ameuter contre eux la foule d'ennemis que soulèverait une pareille entreprise, entreprise qui produirait certainement un effet très- actif, semblable à celui qui était dû aux sons de la Ivre d'Orphée, à cela près que les bâtons et les pierres au lieu de danser aux pieds danseraient à la tète du pileux parvenu (comme les patriotes le désigneraient avec indignation) qui aurait l'impudence de mettre leurs droits en question. » Si les magistrats du comté avaient l'ordre de dresser chaque année une liste de tous les individus de la colonie susceptibles, par leur fortune, de figurer parmi les jurés , en ajoutant des marques distinctives en faveur de ceux qui jouissent d'une bonne réputa- tion, pour assurer leur admission sur la liste, et qu'en outre, parmi les noms même rejetés, le gouver- neur eût encore le droit de choisir ceux qu'il en juge- rait dignes, pour s'opposer à toute espèce de vexation de la part des magistrats , certainement on arriverait à un système de jury très- avantageux pour toute la colonie, et capable de remplir tout le but qu'on en at- tend, jusqu'à ce que l'état de la société permît de n'admettre que la propriété pour toute condition. Ou bien encore, en admettant tous les émigrans, tous les émancipistes jouissant d'un pardon libre ou condi- tionnel dans la colonie, dûment qualifiés par leur for- lune, à siéger comme jurés, ainsi que tous les éman- 38 G VOYAGE cipistes libres par servitude, quand leur bonne con- duite les a rendus dignes d'être réintégrés par le gou- verneur dans l'exercice des droits de citoyen, peut-être pourrait-on former un système de jury également sûr et efficace et moins sujet à objections à certains égards que l'autre. Comme on a commencé dernière- ment à n'accorder des pardons dans la colonie que pour une bonne conduite spéciale ou d'importans ser- vices rendus à la société , il n'y aurait pas d'objection raisonnable à élever contre les émancipistes de cette classe comme jurés; quant à ceux qui sont devenus libres par servitude, dont la fortune et le caractère leur ont donné des titres à la considération , il se- rait également injuste de les exclure puisque ce n'est qu'aux autres émancipistes libres par servitude consi- dérés en masse qu'on peut faire des objections, et même des objections d'une nature très-réelle. Dans une colonie , en effet , destinée autant à réformer qu'à punir, le gouverneur devrait avoir le pouvoir de réin- tégrer dans tous leurs droits de citoyen , ceux même qui y ont été condamnés, quand leur conduite ulté- rieure les en a rendus vraiment dignes. » Quant à une Chambre de représentans, si on se rappelle les dissensions amères qui ont si long-temps régné entre les émigrans et les émancipistes , et si l'on fait attention que ces derniers composeraient au moins les quatre cinquièmes des électeurs, il est évident que non-seulement une telle mesure ne tendrait qu'à ra- nimer ces discordes que le gouverneur actuel a presque assoupies, mais encore qu'elle livrerait le corps entier DE L'ASTROLABE. 387 des émigrans à la merci de la l'action des émancipistes. Cependant ces deux objets , savoir une assemblée représentative et le véritable jugement parjurés, ont été sérieusement proposés comme les meilleurs moyens de rétablir l'harmonie. Mais comme les hommes de loi sont des singes, des Iopœans, touchant cette pré- tendue harmonie, nous sommes naturellement dis- posés à admirer quelle raison a pu tout-à-coup pro- duire cette réforme jusqu'alors inconnue dans les principes d'un corps dont la discorde même est le véritable aliment. » Sans doute il n'y aura pas d'homme doué d'un jugement ordinaire qui puisse soutenir honnêtement que, dans un état de société sain, un conseil élu par le souverain puisse être aussi utile et aussi agréable pour la communauté entière, qu'un corps de représentans élu par le peuple ; mais aussi personne n'ose avancer que cet état sain de la société existe aujourd'hui dans la Nouvelle-Galles du Sud. Une centaine de membres, au jugement des partisans d'une assemblée élective, est le moindre nombre dont puisse se composer la Chambre, afin de résister à l'influence que le gouver- neur serait plus capable d'exercer sur une moindre quantité, et ils ne se donnent pas la peine de réfléchir un moment aux maux qui résulteraient pour la colonie, dans l'état actuel des choses, de la nécessité où se trouveraient cent des plus riches et des plus opulens de s'absenter chaque année , durant six semaines au moins, de la surveillance des criminels employés pour leur compte, sans parler du tort que leurs propres 388 VOYAGE intérêts souffriraient d'une aussi longue absence de leurs propriétés. Ainsi, les objections à ce système peuvent se résumer ainsi qu'il suit : 1°. La crainte d'exciter de nouvelles dissensions entre deux corps depuis long-temps en discorde dans la colonie, de donner lieu avec les assemblées élec- tives à des rixes et à des attentats , et enfin de placer les non-convicts à la merci des convicts ; inconvénient grave, et qui en fait une épreuve d'une nature si chan- ceuse qu'elle doit répugner à tout individu sans pré- vention, et doué d'une portion de sens commun suffi- sante pour lui permettre de juger sainement et de peser cette affaire avec tout le calme , le poids et la réflexion que réclame son importance. 2°. Le défaut d'individus, excepté dans la ville de Sydney ou la portion voisine du Cumberland , assez riches pour supporter le tort que leur absence ferait à leurs intérêts ainsi que la dépense de leur voyage et de leur résidence à Sydney ; d'où il s'ensuivrait que peu des habitans des lieux plus éloignés étant assez fous pour devenir volontairement candidats à de pareilles fonctions , la représentation presque entière de la co- lonie serait ainsi dévolue aux habitans actuels de Sydney ou des environs, à moins que les autres ne fus- sent suffisamment indemnisés de leur déplacement , ce qui coûterait chaque année une si forte somme que le public trouverait bientôt qu'ils sont payés trop cher pour avoir le droit de siffler. » Un conseil formé sur une échelle plus étendue que celui qui existe aujourd'hui, est le mode de légis- DE L'ASTROLABE. 589 lation le mieux approprié à l'harmonie et aux intérêts rie la colonie pour plusieurs années encore à venir. Mais ses séances devraient être publiques , ses pro- cédés rapportés , et tous les actes proposés, imprimés et distribués au moins un mois avant la discussion, si bien qu'ils pussent être digérés par le public entier, et leurs vices rendus palpables. Tout corps constitué, quelque populaire qu'il soit, dégénérera bientôt en une ruche de bourdons fainéans, si ceux qui le com- posent ne sont pas convenablement stimulés par l'ai- guillon puissant de la publicité. La conduite des mem- bres du conseil serait ainsi livrée au scrutin, et les motifs de chacun deux pour appuyer ou repousser la mesure proposée seraient connus du public. Mais dans son état actuel il continue d'être regardé plutôt comme un corps disposé a poursuivre des intérêts particuliers qu'à prendre soin de ceux de la communauté. En ou- tre, la publicité stimulerait les membres qui en sont capables, à déployer leurs talens pour le bien public, et inspirerait au peuple de la confiance dans leurs déci- sions. Il faut espérer que quelque disposition sem- blable fournira des articles dans l'amendement attendu pour notre code colonial. » Bien que la non-participation aux vrais droits po- litiques soit l'objet ostensible des récriminations de nos émancipistes, pourtant la non-participation au même bœuf, au même pudding, à la même table, est le véri- table motif de tout leur mécontentement : beaucoup de bruit pour rien, mue h ado aboat nothing. » Mais est-ce le corps entier des émancipistes qui tome i. a6 390 VOYAGE pousse de si hauts cris à ce sujet? Oh! non, ce sont seulement les émancipistes purs , et par excellence , ou bien ceux qui n'ont été punis ni convaincus d'au- cune offense dans la colonie , et dont les réunions de société sont aussi rigoureusement fermées aux émanci- pistes impurs que les autres sont exclus des tables des exclusions tes. Lors d'un des dîners publics donnés par les émancipistes purs, il y a quelques années, un tu- multe épouvantable s'éleva parce qu'un proscrit avait réussi à s'y introduire par inadvertance. Assailli d'un cri universel de : Chassez-le, chassez-le! il s'établit au bout de la table , et commença sa soupe, après s'ê- tre adroitement retranché dans sa posilion en roulant le coin de la nappe autour de son bras, et prêt à en- traîner avec lui tout l'attirail des mets en cas qu'on continuât à le molester. Au repas que ce corps donna aussi à sir Thomas Brisbane, une espèce de comité fut établie pour recevoir tous les billets de demande, et rejeter tous ceux qui avaient été punis ou condamnés par une cour coloniale, afin que Son Excellence ne fût pas exposée à la chance fâcheuse de frotter ses épaules immaculées contre un homme qui eût été flétri par une double condamnation. Ainsi tandis que les éman- cipistes purs n'admettent à dîner avec eux aucun de ceux condamnés dans la colonie, les émigranspursne veulent admettre aucun de ceux condamnés au dehors ou au dedans. Bien que la conduite des premiers soit tant soit peu inconséquente, elle démontre au moins d'une manière satisfaisante qu'une portion con- sidérable de cette classe de notre communauté DE L'ASTROLABE. 391 n'est nullement avilie dans ses principes; puisque nous les voyons, par l'effet d'un juste orgueil dû au sentiment de leur probité depuis l'expiation de leurs torts, rejeter de leur société tout individu dégradé par une punition coloniale ou un châtiment corporel. Si les effets flétrissans de la fustigation sont aussi vi- vement ressentis , même par une population de con- damnés , ne devrait-on pas prendre tous les moyens possibles d'en supprimer l'usage ? » La coutume suivie en Angleterre ne doit point faire règle ici. Si ce pays continue à être un lieu de réforme aussi bien que de punition pour les coupables, pourquoi continuer à regarder ces criminels comme une race proscrite, même après que leur réforme a eu lieu, que leur temps a été terminé, ou leur pardon obtenu? C'est un système aussi injuste qu'impolitique, parce qu'en élevant un homme dans la société, sous le rapport mo- ral, et lui inspirant un amour-propre raisonnable, on le prémunira puissamment contre la tentation de nou- veaux crimes; car où est celui qui, pénétré d'un juste sentiment d'orgueil personnel , et capable d'apprécier la réputation qu'il s'est acquise, sera porté à se souiller d'une action vile? Appeler cette colonie un lieu de ré- forme , n'est qu'un mot vide de sens aussi long-temps que les réformés continueront d'être considérés comme une race de réprouvés. Je ne vois aucune raison pour exclure un homme qui fut jadis convict, de tous les emplois occupés aujourd'hui par les seuls individus qui ne le furent jamais, si le temps de sa punition a été accompli, et si sa conduite a été méritante. Les heu- 2 G' 392 VOYAGE reux effets qui résulteraient de leur admission à l'é- galité ne sont-ils pas évidens! Ce serait un puissant encouragement pour ceux qui ont déjà commencé à marcher sous de meilleurs principes : tandis que ceux qui sont encore corrompus se sentiraient entraînés avec plus de force vers un changement salutaire, en voyant ceux qui avaient eu autant de tort qu'eux- mêmes, réintégrés parmi les honnêtes gens, et de- venus aussi utiles qu'ils avaient été pernicieux à la so- ciété. » Ce système d'exclusion est en effet étendu à un degré tel que peu de personnes en Angleterre pour- raient l'imaginer; le braconnier, le simple coupable d'opinions politiques , et le voleur, sont tous regardés comme également flétris. 11 n'y a point de différence établie entre les crimes les plus odieux et les délits les plus excusables. L'homme qui ne dérobe que pour satisfaire aux tourmens de la faim , ou n'y fut entraîné que par une tentation soudaine , le coquin invétéré , fier de ses cent forfaits , et le malheureux timide et honteux d'un seul écart, sont vus du même œil, trai- tés de la même manière. » Peu, très-peu même, parmi les émancipistes purs, ont des titres pour le banc des jurés : c'est pour- quoi l'élévation de deux ou trois d'entre eux serait de peu d'importance pour le cours ordinaire de la justice, en supposant qu'ils pussent par hasard déshonorer leurs fonctions ; tandis que l'admission de ce nombre sur la liste ordinaire des douze jurés aurait l'avantage de prouver que l'obstacle opposé à leur réhabilitation DE L'ASTROLABE. 393 morale a été détruit. Il est vrai que dernièrement quelques émigrans libres ont assisté à des dîners don- nés par de riches émancipistes, mais ils n'y furent guère conduits que par des motifs particuliers d'intérêt, de commerce ou de semblable nature ; toutefois ce sont des préludes dont on peut attendre avec le temps de plus grands résultats. » Dans l'exacte vérité, notre classe émancipisle forme la portion la plus utile et la plus active de notre communauté. Toutes les distilleries, toutes les bras- series, et le plus grand nombre des moulins et des diverses fabriques leur sont dus; tandis qu'ils non! jamais pris part, du moins que je sache, aux nom- breuses contrebandes qui ont terni la réputation de tant d'autres, si fiers d'être venus hommes libres dans la colonie. Plusieurs de nos plus respectables négocians m'ont dit que dans les nombreuses affaires d'intérêt où ils se sont trouvés en rapport avec les émancipistes, leur conduite a toujours été très - honorable , quoi que certaines personnes fassent pour infirmer ce mé- rite de leur part , en disant que leurs principes n'ont point changé , que la crainte de la loi et l'intérêt per- sonnel seuls les forcent à se montrer honnêtes. Je sou- tiens que cette opinion est tout à la fois injuste et peu généreuse-, car, hormis ces deux motifs, qui peut re- tenir les dix-neuf vingtièmes du genre humain dans le chemin de l'honnêteté? Les principes les plus hon- nêtes ne disparaissent-ils pas souvent du cœur de deux amis intimes quand l'inlérèt vient se jeter au travers d'eux comme une pomme de discorde. Aussi long- 394 VOYAGE temps que les hommes réussiront mieux avec de mau- vais sentimens masqués sous des dehors honnêtes, que par une probité avérée (sans compromettre leur cou, ni leurs intérêts particuliers), ils auront peu de scrupule à cet égard. En effet l'honnêteté est autant une habitude acquise qu'un principe bien fixe; quand ces convie ts l'auront prise, telle que toutes les habi- tudes bonnes ou mauvaises, elle ne sera pas si vite abandonnée. Quand nous voyons un peuple briller à une époque , comme le modèle de tous les sentimens nobles et vertueux , et dans un autre temps avili par tous les genres de vices et de faiblesses, nous ne voyons en cela qu'un changement d'habitude, et non pas de principes naturellement inhérens à leur es- sence ; car tout ce qui est naturel à la constitution hu- maine, comme les passions dont nous sommes généra- lement imbus, ou la couleur de notre peau , restent les mêmes de génération en génération. » [Cunnin- gham, tom. II>pag. 108 etsuiv.) DE L'ASTROLABE. 395 CHAPITRE XI IIKS NATURELS DE LA NOUVELLE-GALLES DU SUD. Après avoir lu l'histoire de la colonie anglaise établie dans cette partie de la Nouvelle-Hollande , et vu quels progrès rapides elle a faits dans le court espace de quarante ans , on ne peut manquer de lire avec inté- rêt tout ce qui a trait aux malheureux indigènes qui occupaient seuls ces vastes contrées avant l'arrivée des Anglais. J'ai donc réuni tout ce qui a été écrit à ce sujet, en y joignant quelques documens plus récens, pour former le sujet de ce chapitre. Rien de com- plet , à ma connaissance , n'avait encore été publié en France sur cette matière , je ne pense pas même qu'au- cun voyageur Tait traitée avec quelques détails. Des notions exactes, sur une race aussi sauvage, aussi dé- gradée, m'ont paru d'autant plus intéressantes à con- signer dans l'histoire , qu'il s'écoulera sans doute un temps peu considérable avant que ces tribus, surtout celles qui avoisinent les établissemens anglais, (missent 396 VOYAGE par s'éteindre entièrement, après s'être par degrés af- faiblies, grâce aux maladies, aux excès et aux maux de tout genre qu'ils doivent à la présence des Anglais parmi eux. Triste et commune destinée des malheu- reuses peuplades auxquelles l'Européen n'a pu ap- porter que ses vices, sans leur communiquer une seule de ses vertus ! Les précieuses relations de Col- lins et de Barrington formeront la base du tableau que je vais tracer , et auquel j'ajouterai quelques articles extraits des journaux de la colonie et un petit nombre d'observations qui nous sont propres. Collins commence par rendre compte de la manière dont il arriva peu à peu à la connaissance des mœurs et des coutumes des naturels. « Après divers événe- mens fâcheux , dit-il , et un long espace de temps , les rapports d'amitié qu'on avait si vivement désirés avec les naturels , furent à peu près établis : comme on les laissa parfaitement libres , ces insulaires ne tardèrent pas à venir vivre en assez grand nombre parmi les ha- bitans de Sydney, sans gène et sans crainte, à com- prendre leur langage, à s'habituer à leurs manières , à jouir des avantages de leurs vêtemens et de la variété de leurs alimens. On vit de ces insulaires mourir dans les maisons des Européens, et les morts furent remplacés par d'autres qui n'avaient rien observé dans le sort de leurs prédécesseurs qui pût les dé- tourner de rester comme eux en toute sécurité chez leurs hôtes. En général , on les laissa parfaitement maîtres de leurs actions, et rarement on porta obs- tacle à leurs désirs. Car on sentit bien qu'en leur DE L'ASTROLABE. 397 permettant de vivre comme ils l'avaient toujours fait , on parviendrait bien plus vite à la connaissance de leurs coutumes et de leurs mœurs , qu'en attendant d'avoir appris leur langage. Aussi toutes les fois qu'ils s'assemblaient pour danser ou pour combattre devant les maisons, on ne les dispersait point; au contraire, ces rassemblemens avaient aussitôt pour spectateurs les personnes les plus distinguées de rétablissement. Cette attention, qui leur paraissait agréable, ne leur était pas moins utile; car si quelqu'un d'entre eux était blessé dans le combat, ils avaient coutume de s'adresser aux chirurgiens anglais en qui ils avaient une pleine confiance , et ils montraient un grand cou- rage et beaucoup de fermeté à supporter les opérations de la sonde et du bistouri. » Peu à peu les deux peuples commencèrent à se comprendre mutuellement ; de leurs deux langues se forma un dialecte corrompu et mélangé d'anglais et d'australien , qui seul par la suite servit à leur usage habituel. C est au moyen de ce langage et d'observa- tions assidues que furent recueillies la plupart des dé- tails suivans sur les naturels de la Nouvelle-Galles du Sud. » GOUVERNEMENT. Les naturels qui habitaient près de Botany-Bay, de Port-Jackson et Broken-Bay, étaient distingués par familles, qui ne reconnaissaient d'autre autorité que celle du plus ancien. C'est, ce que l'on eut oc- 398 VOYAGE casion de vérifier peu après la fondation de la colo- nie : car lorsqu'on rencontrait une famille inconnue, le plus âgé s'avançait pour parler aux Européens , et ces vieillards portaient le nom de biannai ou père, qu'ils donnaient aussi au gouverneur Phillip et à tous ceux des Anglais qu'ils voyaient pourvus de quelque autorité. On découvrit aussi une autre signification dans ce nom de biannai; car on observa fréquemment que des en fans le donnaient à des hommes qui n'avaient jamais été pères. Les renseignemens que l'on se procura pour expliquer ce fait apprirent que, dans le cas où le père vient à mourir, son plus proche parent ou son ami se charge des orphelins qui lui donnent alors le titre de biannai. Chacune de ces familles est désignée par le nom propre du lieu de sa résidence, en y ajoutant la syl- labe gai. Ainsi la côte au sud de Botany-Bay se nomme Gouïa, et le peuple qui l'habite prend le nom de Gouïa-Gal. Ceux qui vivent sur la côte nord de Port- Jackson sont désignés par le nom de Kemmir aï-Gai, parce que cette partie de la baie s'appelle Kemmiraï. Avant que cette dernière tribu fût mieux connue des colons, on entendit souvent Benilong et d'autres naturels en parler comme d'un peuple très-puissant , qui les contraignait d'obéir à toutes ses volontés. Par la suite on vit que cette tribu était la plus nom- breuse de toutes , que ses membres étaient les plus vigoureux des insulaires, et qu'enfin c'était de son sein que sortaient la plupart des singuliers person- DE L'ASTROLABE. 399 nages connus sous le titre de kerredaï et kerre- digang. A cette tribu appartenait aussi le privilège ex- clusif et bizarre d'exiger une dent de chacun des hommes des autres tribus qui habitent la côte, ou de toutes celles qui se trouvent sous leur autorité. L'exercice de ce droit place ce peuple sous un point de vue particulier, et l'on ne peut douter de sa su- périorité prononcée. Plusieurs contestations , ou af- faires d'honneur, ont été différées jusqu'à l'arrivée de quelques-uns de ces personnages; quand ils parais- saient, il était impossible de ne pas remarquer l'in- fluence et l'autorité que leur donnaient leur nombre et leur force physique. Sans doute ils ont pu maintenir cette supériorité depuis un grand nombre d'années, et ce tribut d'une dent qu'ils exigent de tous les jeunes gens des autres familles est probablement le sceau authentique de leur puissance. RELIGION. Quelques théologiens célèbres ont affirmé qu'il n'existait pas au monde un pays qui n'offrit quelque trace de religion; mais tout ce qu'on peut observer de ces insulaires semble démontrer qu'ils forment exception à cette règle. Ils n'adorent ni le soleil, ni la lune , ni les étoiles ; bien que le feu soit un objet nécessaire pour eux , ils ne lui rendent pas de culte; ils n'ont également de respect pour aucun animal 400 VOYAGE particulier, oiseau ou poisson. Jamais on n'a observé qu'aucun objet matériel ou imaginaire pût les dé- terminer à faire une bonne action, ou les détour- ner de ce qu'ils jugent criminel. A la vérité , on retrouve parmi eux quelque idée d'une existence future, mais elle est indépendante de toute notion religieuse; car elle n'a nulle influence sur leur vie actuelle ni sur leurs actions. On les a souvent ques- tionnés sur ce qu'ils devenaient après leur mort ; quelques-uns répondaient qu'ils se plongeaient dans la Grande-Eau (la mer) ou qu'ils s'en allaient au-delà ; mais , sans contredit , la grande majorité indiquait qu'ils s'envolaient dans les nuages. M. Collins, con- versant avec Benilong à son retour de l'Angle- terre, où il avait acquis une grande connaissance des coutumes et des mœurs européennes, désirant savoir d'où il supposait que ses concitoyens pro- venaient , lui fit d'abord observer que tous les blancs de Port-Jackson étaient venus d'Angleterre, et lui demanda ensuite d'où étaient venus les noirs ( ou lord). L'insulaire hésita. Sur la question de savoir si ces noirs venaient de quelque île, il répondit qu'ils ne venaient d'aucune île, mais des nuages [bourou- ivi), et que, quand ils mouraient, ils y retournaient. Benilong paraissait vouloir faire entendre que les morts montaient à leur nouveau séjour sous la forme de petits enfans , en voltigeant d'abord sur la cime et sur les branches des arbres, et, suivant lui, en cet état , ils vivaient de petits poissons , leur nour- riture favorite. DE L'ASTROLABE. 401 Les jeunes naturels qui résidaient à Sydney ai- maient beaucoup à se rendre à l'église le dimanche , mais sans s'inquiéter de ce qu'ils allaient y faire. On les voyait souvent prendre un livre et imiter très- adroitement le ministre dans ses gestes (car on ne saurait trouver de meilleurs mimes), riant et jouis- sant quand on applaudissait à leurs grimaces. On a parlé, dans une brochure ou dans une gazette, d'un naturel qui s'était élancé au-devant d'un homme qui allait tirer sur une corneille, et celui qui rap- portait le fait, en tirait la conséquence que cet oiseau était un objet de vénération pour les sauvages. Mais on peut assurer hardiment que, bien loin d attacher aucune répugnance à voir tuer des corneilles , ils sont très-friands de leur chair, et emploient le stratagème suivant pour les attraper. Un naturel se couche sur un rocher , comme s'il était endormi au soleil , et tient un morceau de poisson à la main. L'oiseau, épervier ou corneille , voyant la proie et l'homme sans mouvement, fond sur le poisson; au moment de le saisir , il est lui-même capturé par le sauvage , qui le jette vite sur des charbons et s'en fait un mets qu'il savoure avec délices. Du reste, disent Collins et Barrington, on ne peut douter qu'ils ne sentent la différence entre le bien et le mal , entre le bon et le mauvais , et ont des termes pour l'exprimer. Ainsi, qu'on leur fasse tort, ou qu'on leur montre une raie puante dont ils ne mangent jamais, ils s'écrient ivbï, mauvais; qu'au contraire on leur rende un service, ou qu'ils voient un kangarou, 402 VOYAGE ils disent boud-jiri , bon. Du reste , les qualités morales sont exprimées par les mêmes termes que les qualités physiques, et paraissent se confondre dans leurs idées. Ainsi leurs ennemis sont wiri, et leurs amis boud-jiri. Si on leur parlait de manger un homme , ils témoignaient une grande horreur à cette idée et disaient que c'était wîri; en voyant punir ceux qui les avaient maltraités, ils exprimaient leur ap- probation en disant que c'était boud-jiri. Les assas- sinats nocturnes , quoique fréquens chez eux par suite de leurs désirs de vengeance, sont blâmés, tandis qu'ils applaudissent à des actions de bonté et de gé- nérosité dont ils sont capables. Un homme qui ne recevrait pas avec courage une lance, mais s'enfuirait, serait traité de lâche ou dji-roun et de wiri. Mais les notions de ces insulaires touchant le bien et le mal bien certainement ne s'étendent jamais au-delà de leur existence en ce monde, et ils ne s'imaginent pas que la pratique de l'un ni de l'autre puisse avoir au- cun rapport avec leur état futur. C'est ce que prouve évidemment leur opinion touchant la manière dont ils doivent quitter ce monde et entrer dans l'autre, sous la forme de petits enfans, qui sera encore celle sous laquelle ils reparaîtront un jour dans celui-ci. STATURE ET EXTERIEUR. Les hommes, comme les femmes, sont générale- ment d'une petite taille, et, dans chaque sexe, très-peu sont bien conformés. Leurs membres sont DE L'ASTROLABE. 191 longs et grêles , ce qui se remarque d'une manière encore plus frappante chez ceux qui habitent les bois, qui ont moins de ressources, et se trouvent souvent obligés de grimper sur les arbres pour y recueillir du miel ou attraper des animaux. Armés dune petite hache en pierre , ils font sur les troncs d'arbres des entailles suffisantes pour recevoir le gros doigt du pied, et c'est en se tenant de la main gauche , et continuant leurs entailles avec la droite , qu'ils parviennent aussi haut qu'ils veulent, souvent jusqu'à quatre-vingts ou cent pieds. Les traits des hommes sont durs et repoussans; l'os ou roseau qu'ils portent à la cloison du nez, leurs cheveux ébouriffés et leurs longues barbes leur donnent un air effrayant. Les femmes conservent quelque chose de la délicatesse dont leur sexe peut justement s'enorgueillir parmi les nations civilisées; on a même saisi quelquefois le rouge de la pudeur sur leurs joues noircies , et on les a vues s'efforcer de cacher par leur attitude ce que leur nudité eût laissé à découvert. Ils ont le nez aplati , de larges narines , les yeux enfoncés dans la tète et surchargés d'épais sourcils. En outre, ils portent autour de la tète un petit filet de poil d'opossum de la largeur du front, qu'ils rabattent jusque sur les sourcils, quand ils veulent y voir plus clairement. Ils ont des lèvres très-épaisses, avec une bouche d'une grandeur dé- mesurée, mais qui ne s'ouvre que pour laisser pa- raître des dents blanches , unies et très-saines. Plu- 404 VOYAGE sieurs ont les mâchoires très-proéminenles , et l'un d'eux, nommé le vieux ïFiran° ', eût fort bien pu passer pour un orang-outang. La couleur de ces naturels n'est pas toujours cons- tante. On en a vu qui, nettoyés de la fumée et de la crasse qu'on trouve toujours sur leur corps, ont paru aussi noirs que les nègres d'Afrique , tandis que d'autres n'ont offert qu'un teint cuivré comme celui des Malais. Leur tête ne porte point de la laine, même chez les individus noirs , mais de véritables cheveux ; c'est ce qui fut particulièrement observé sur Benilong après son retour d'Angleterre, où l'on avait porté quelque attention à sa toilette. Il se trouva avoir de longs cheveux noirs. Le noir est en effet la couleur ordinaire des cheveux de ses compa- triotes. Cependant quelques - uns les avaient rou- geâtres. Leur vue est singulièrement bonne : il est vrai que leur existence dépend très-souvent de cet avan- tage ; car un homme qui aurait une vue courte (mal- heur inconnu chez eux) ne saurait jamais se mettre en garde contre les lances qu'ils savent envoyer avec une force et une rapidité étonnantes. Les deux sexes se frottent la peau d'huile de pois- son qui leur communique une puanteur insupporta- ble, mais qui les garantit de l'atteinte des moustiques, dont quelques-unes, fort grosses, mordent ou pi- quent cruellement. Quelques naturels pratiquent cette opération si malproprement , qu'on voit les entrailles du poisson rôtir sur leur tète à l'ardeur du soleil, DE L'ASTROLABE. 405 jusqu'à ce que l'huile en découle sur leur visage et sur leur corps. On apprend aux enfans à se frotter d'huile dès l'âge de deux ans. Ces sauvages ont divers ornemens. Les uns , au moyen d'une comme, se garnissent les cheveux d'os de poissons ou d'oiseaux, de plumes, de morceaux de bois, de queues de chien et de dents de kangarou. D'autres , au sud de Botany-Bay , se tressent les cheveux avec de la gomme, ce qui les lait ressembler à des bouts de corde. Souvent ils se barbouillent de terre rouge ou blanche, employant la première quand ils veulent aller au combat, et l'autre pour se pré- parer à danser. La forme de ces ornemens dépend tout-à-fait du goût de la personne; et plusieurs poussent cet art si loin, qu'ils se rendent vraiment affreux. En effet, peut -on s'imaginer rien de plus horrible qu'une figure huileuse et noircie , avec un large cercle blanc autour de chaque œil , des lignes de la même couleur ondulées sur les bras, les cuisses et les jambes? Quel- quefois barbouillés de noir , avec les côtes marquées par des lignes blanches , ils ont tout-à-fait l'apparence de spectres. Les cicatrices , chez les individus des deux sexes , sont considérées comme des ornemens très-distingués, si bien qu'ils se font des plaies avec des coquilles , les tiennent ouvertes pour laisser la chair se boursouffler sur les bords ; quand la peau vient ensuite à les re- couvrir, elles forment sur leurs corps des marques honorables, figurant des échelons ou des coutures. 406 VOYAGE Cette opération , qui s'exécute ordinairement dans la jeunesse , laisse des traces durables et qui ne s'ef- facent qu'au déclin de l'âge. Les femmes sont particulièrement assujetties à une opération bizarre : c'est la perte des deux phalanges du petit doigt de la main gauche. Elle a lieu quand elles sont encore très -jeunes, et sous le prétexte que ces phalanges les gêneraient pour rouler leur ligne de pèche autour de leur main. On lie étroi- tement avec un cheveu la seconde articulation , ce qui arrête la circulation du sang, et le bout du doigt tombe ensuite en putréfaction. Très - peu de filles échappent à cette mutilation, et celles qui ne l'ont pas subie sont traitées avec mépris. De leur côté, les hommes, surtout ceux qui ha- bitent la côte, doivent aussi perdre la dent de de- vant, et nous décrirons plus loin cette opération. Du reste , on remarque chez eux très-peu de dif- formités naturelles ; on n'a vu sur le sable qu'une ou deux traces de pieds contrefaits. Il n'y a ni bossus ni tortus; cependant on ne voit nulle part ailleurs des femmes aussi négligentes pour leurs enfans , auxquels il arrive souvent de rouler dans le feu et de s'y brûler horriblement, quand leurs mères dorment près d'eux. Ces peuples sont très-difficiles à éveiller quand ils sont une fois endormis. HABITATIONS. Elles sont aussi grossières qu'il soit possible de DE L'ASTROLABE. 407 l'imaginer. La hutte de l'habitant des bois se forme d'une simple écorce d'arbre, courbée dans le milieu, placée par les deux bouts contre terre, et tout au plus capable d'abriter imparfaitement le malheureux qui s'en sert. Jamais ils ne les transportent avec eux. Sur le bord de la mer, ces huttes sont plus gran- des, formées de plusieurs morceaux d'écorces réunis au sommet, de manière à former une espèce de four avec une entrée, et assez grand pour contenir six à huit, personnes. Leurs foyers sont plutôt placés à l'entrée qu'en dedans de la hutte, et son intérieur est en général le trou le plus sale et le plus enfumé. Outre ces cases d'écorces , ils se creusent aussi des cavernes dans les rochers. Au devant de ces grottes, le sol se faisait remarquer par sa fertilité : en creu- sant la terre , on trouva quantité de coquilles et. autres débris. Cette découverte devint d'un grand avantage pour la colonie; des coquilles on fit de la chaux , et le reste servit d'engrais pour les jardins. Les naturels s'étendent pèle - mêle confondus , hommes , femmes , enfans , dans ces huttes et ces grottes où ils jouissent des mêmes avantages (pie la brute dans sa niche , savoir de l'abri contre le mau- vais temps et des douceurs du sommeil, si aucun ennemi ne vient les y troubler. Ils font très-peu de cas des maisons des Européens, ils n'attachèrent aucun prix à celles que le gouver- neur Macquarie avait eu l'attention de leur faire bâtir; aussi tombèrent-elles bientôt en ruines. Un jour leur 408 VOYAGE chef Boungari, interrogé : Quel cas il faisait des maisons? se contenta de répondre en haussant les épaules : Mari boud-jiri, Massa, 'posse he vain. Très-bien, Monsieur, à supposer qu'il pleuve. ( Cun- ningham, 3e édition, tum. II, pag. 6.) Leur sommeil est si profond que la jalousie ou le désir de la vengeance invile souvent leurs ennemis à en profiter pour les assassiner ; on a vu plusieurs exemples de cette perfidie. Un de ces exemples eut cela de remarquable, que le meurtrier, sur le point de percer sa victime , voulut d'abord retirer l'enfant qui dormait entre ses bras , et le porta ensuite à Sydney pour en prendre soin. Comme les naturels n'ignoraient point le danger qu'ils couraient durant leur sommeil, ils faisaient tout leur possible pour ob- tenir des colons de jeunes épagneuls ou des bassels, qu'ils considéraient comme de précieux gardiens du- rant la nuit. FAÇON DE VIVRE. Les naturels de la côte, qui sont le mieux connus, n'ont guère d'autre ressource que le poisson; leur principale occupation est de le prendre, mais les moyens varient suivant le sexe : les hommes emploient le harpon, et les femmes la ligne et l'hameçon. Le harpon est une canne de quinze à vingt pieds de long , terminée par quatre pointes barbelées ; les barbes sont des morceaux d'os soudés au bois avec de la gomme. Dans le beau temps , ils se tiennent dans leurs piro- DE L'ASTROLABE. Î09 gués, le visage près de la surface de l'eau, el prêts à darder leur proie qu'ils manquent rarement. Les lignes qu'emploient les femmes sont fabriquées par elles-mêmes avec l'écorce d'un arbuste du pays; leurs hameçons sont en écaille d'huître perlicre , qu'elles frottent sur une pierre jusqu'à lui donner la forme convenable. Quoique ces hameçons n'aient point de barbes , ils leur servent avec le plus grand succès. Les femmes chantent en péchant à la ligne dans leurs pirogues, qui ne sont que de misérables barques dont les bords sont à peine élevés de six pouces au- dessus de l'eau. On y trouve toujours un petit feu sur de l'herbe marine ou du sable, qui leur sert à faire tout de suite cuire leur poisson quand ils veulent le manger. A l'exception des animaux qui peuvent s'y ren- contrer, les bois n'offrent aux sauvages que très-peu de ressources; quelques baies, une sorte d'igname, la racine de fougère, les fleurs de différens banksia, et quelquefois un peu de miel : voilà tout ce que leur donne le règne végétal. Les naturels qui vivent dans les bois el sur le bord des rivières sont réduits à chercher d'autres alimens, et forcés à des exercices plus durs pour s'en procurer. Nous avons donné un exemple de ces exercices en ci- tant la façon dont ils grimpent sur les arbres. En outre, ils ont des méthodes pénibles pour prendre les ani- maux au piège. Les sauvages des bois font une pâte avec de la racine de fougère el des fourmis écrasées ensemble, 410 VOYAGE et, dans la saison , y ajoutent les œufs de ces insectes. Très-sales dans leur nourriture , ils dévorent tout ce qui leur tombe entre les mains , même les vers , les chenilles et la vermine. MARIAGE. On a dit qu'il y avait une délicatesse sensible chez les femmes. N'est-il pas choquant de penser que, pour elles, le prélude de l'amour soit la violence, et même une violence de la nature la plus brutale? Ces mal- heureuses victimes d'une passion honteuse et barbare sont, à ce que l'on pense, toujours choisies par les hommes dans une tribu étrangère et même ennemie de la leur. Ainsi le secret est nécessaire, et la pauvre in- fortunée est ravie en l'absence de ses protecteurs. Le barbare alors l'étourdit à coups de casse-tête sur la tête, les épaules, la gorge et toutes les parties du corps , et chacun d'eux fait jaillir un ruisseau de sang ; la saisissant ensuite par un bras , il l'entraîne au tra- vers des bois, des pierres et des troncs d'arbres, avec toute la violence et la vitesse dont il est susceptible. L'amant, ou plutôt le ravisseur, ne fait aucune atten- tion aux rochers , ni aux morceaux de bois qui peu- vent se trouver sur sa route , et ne songe qu'à traîner sa proie au milieu des siens. Là il assouvit sa passion ; et la fille ainsi violée devient la femme de son ravis- seur , et est admise à ce titre dans sa tribu. La tribu de la fille à son tour se venge de cette in- sulte par le système ordinaire des représailles , quand DE L'ASTROLABE. ill elle en trouve l'occasion. Pour la femme, elle se sou- met à son sort, et quitte rarement son mari et sa nou- velle tribu pour une autre. La coutume de ces rapts est si universelle chez eux , que les enfans même s'en font un amusement , une sorte d'exercice. Les femmes sont, maintenues par les hommes dans le plus grand assujettissement. Si une tribu en voyage rencontre des Européens, les femmes ont l'ordre de se tenir à une certaine distance, et n'en peuvent bou- ger sans permission. La plus légère offense de leur part, envers le mari, est punie d'un coup de casse-tète qui ne manque jamais de leur faire jaillir le sang et leur fracture souvent le crâne. Cependant un traitement si barbare semble plutôt fortifier rattachement de la femme que le diminuer, et ces blessures même sont montrées par elles comme des marques d'honneur. Dans un très-petit nombre de cas, les femmes ren- dent ces outrages; après leur dispute, les époux vi- vent en aussi bonne intelligence qu'auparavant. Les hommes ne se bornent point à une seule femme, mais les femmes se vengent en rendant la pareille au mari et souvent en le tuant. Benilong, avant son voyage en Angleterre, avait deux femmes qui vivaient l'une et l'autre avec lui et le suivaient partout. L'une, nommée Barang-Arou, était, attachée à lui dès le temps où il fut amené captif «à l'établissement; avant même qu'elle mourût, il avait enlevé à la tribu de Botany-Bay, Gorou-Barrou-Boulla, de la manière cruelle que nous avons décrite. Celle-ci continua de rester avec lui jusqu'à son départ pour 412 VOYAGE l'Angleterre. On a compris que tous les naturels des bords de l'Hawkesbury ont deux femmes, et généra- lement on trouve plus d'exemples de la pluralité des femmes que de la monogamie chez ces sauvages. Ja- mais on n'a observé qu'il existât dans la famille des enfans des deux femmes. Comme on doit naturelle- ment s'y attendre , les deux femmes sont continuelle- ment jalouses, et se querellent l'une l'autre. Cepen- dant on a cru remarquer que la première, eu égard à la priorité d'attachement, réclamait le droit exclusif aux faveurs conjugales; tandis que la seconde, ou celle du dernier choix , était réduite à devenir l'esclave et le souffre-douleur de la famille. Certainement la pudeur n'était point une vertu dont l'un ni l'autre sexe se fit honneur chez ces sauvages. Pourtant quand les femmes se furent aperçues que les blancs attachaient une idée de honte à se montrer à nu, elles devinrent, au moins plusieurs d'entre elles , extrêmement délicates et réservées à cet égard devant les étrangers ; bien que la nudité continuât de leur être parfaitement indifférente vis-à-vis des hommes de leur nation. Cependant ces êtres ne sont pas toujours étrangers aux vrais sentimens de l'amour dans toute sa pureté, comme le prouve l'anecdote suivante rapportée par Barrington, qui a beaucoup connu le jeune homme dont il est question. Ce naturel, âgé de vingt-deux ans environ , appartenait à la tribu de Parramatla, et avait deux sœurs , l'une de vingt ans , et l'autre seule- ment de quatorze ans. Unjour qu'il revenait de chasser DE L'ASTROLABE. 413 le kangarou, il ne vit pas ses sœurs venir au devant de lui comme de coutume. Imaginant qu elles étaient allées chercher de l'eau ou quelques vivres, sans en- trer dans sa demeure, il se décida à s'asseoir au pied d'un arbre pour se reposer en y attendant leur retour. Le soleil disparut , et la nuit ne tarda pas à étendre ses voiles ; des éclairs très-vifs annoncèrent un pro- chain orage ; en peu d'instans la pluie tomba par tor- rens , et força le jeune homme de quitter son arbre pour chercher un abri dans sa grotte. Mais à peine y mettait-il les pieds qu'un éclair montra à ses yeux ef- frayés le corps de sa plus jeune sœur baigné dans son sang. Déjà troublé par le combat des élémens , à ce spectacle sa détresse fut au comble ; à genoux près de sa sœur il cherchait à la relever, mais elle ne pouvait l'entendre, carelle avait perdu tout sentiment. Il courut chercher de l'eau pour lui en frotter le visage , ce qui la fit revenir à elle-même. « O mon cher frère! s'écria- t-e!le, notre sœur nous est ravie, et j'ai presque été massacrée pour m'y opposer. Le méchant, après l'a- voir frappée de son casse-tète , s'est saisi d'un de ses bras pour l'entraîner hors de la grotte , je me suis at- tachée à l'autre pour la retenir; mais au moment que le barbare s'en est aperçu , d'un coup de son casse-tète il m'a jetée par terre , dans l'état où vous m'avez trou- vée. » En finissant ce récit, un torrent de larmes inonda ses joues, et son frère ne put s'empêcher de pleurer aussi, en même temps qu'il méditait sa ven- geance, et rêvait aux moyens de l'exécuter. Ils passè- rent la nuit dans qe I liste entretien. Hès que le soleil 414 VOYAGE vint les éclairer, ils se mirent en route pour chercher la tribu du coupable. Après un voyage dont leur soif de vengeance abrégea la longueur, ils atteignirent les lieux qu'occupait la tribu qu'ils cherchaient. Alors le sauvage aperçut à une petite distance la sœur de celui- là même qui lui avait enlevé la sienne , et qui s'était un peu écartée pour ramasser du bois à brûler. C'était une belle occasion pour se venger; ainsi ordonnant à sa sœur de se cacher, il courut sur la jeune fille, et leva son casse-tête pour la terrasser et satisfaire son ressenti- ment. La victime trembla, et bien qu'elle connût toute la force de son ennemi, elle s'arma de tout le courage qu'elle put conserver. Elle releva les yeux sur lui, et leurs regards s'étant rencontrés, tel fut l'effet que produisit son admirable beauté sur le jeune homme , qu'il demeura immobile pour la contempler. La pau- vre fille s'en aperçut , et se jeta à ses genoux pour im- plorer sa pitié; mais avant qu'elle pût parler, déjà le sentiment de la vengeance avait fait place à celui de l'amour. Il rejeta son casse-tête , et la serrant dans ses bras , lui jura une constance éternelle. Sa pitié lui valut l'amour de sa belle, et chacun se vit ainsi payé d'un mutuel retour. Il rappela sa sœur qui aurait elle- même assouvi sa vengeance sur la jeune fille , sans son frère qui lui déclara qu'elle était désormais sa femme. Le jeune homme s'étant informé de sa sœur aînée, sa nouvelle épouse lui apprit qu'elle était encore très- souffrante, mais qu'elle serait bientôt mieux, et ex- cusa son frère sur les moyens qu'il avait employés pour en faire sa femme, sur ce que c'était la coutume DE L'ASTROLABE. 415 suivie dans le pays : « Mais vous, ajouta-t-elle , vous avez le cœur plus blanc (faisant allusion aux mœurs des Anglais), vous ne me battez point; moi je vous aime, vous m'aimez, j'aime vos sœurs, vos sœurs m'aiment; mon frère n'est pas un homme bon. » Cet aveu sans artifice lui valut l'amour du sauvage et de sa sœur qui étaient venus en ennemis, et ils vécurent ensemble dans une petite cabane que Barrington leur fit élever à un demi-mille de sa propre maison . COUTUMES ET MOEURS. Au moment où la femme accouche , personne ne peut être présent que des personnes de son sexe. Warri-Wir, sœur de Benilong , s'étant trouvée prise de mal d'enfant tandis qu'elle était en ville, ce fut une occasion favorable de les voir agir dans cette im- portante conjoncture. Quelques femmes qui avaient gagné l'amitié de cette jeune fille en profilèrent, et ce fut d'elles qu'on obtint les détails suivans. Durant l'accouchement une femme était occupée à lui répandre de l'eau froide de temps en temps sur le bas-ventre, tandis qu'une autre, qui avait attaché le bout d'une petite corde autour du cou de Warri-Wir, se frotta les lèvres avec l'autre bout jusqu'à ce que le sang en coulât. Elle ne reçut aucun secours de celles qui l'environnaient , et l'enfant vint au monde par la seule action de la nature ; il ne fut reçu par personne au sortir du sein de sa mère. Mais une des Anglaises coupa le cordon ombilical, et lava l'enfant, du con- 416 VOYAGE sentement de la mère, bien que les autres femmes du pays s'y opposassent fortement. La pauvre mal- heureuse semblait tout-à-fait épuisée. On vit la femme de Benilong, quelques heures après être accouchée , marcher seule et ramasser du bois pour entretenir son feu. L'enfant, dont la couleur de la peau paraissait roussâtre, était étendu parterre sur un morceau d'écorce. Les enfans nouvellement nés sont transportés par leurs mères sur un morceau d'écorce tendre; aussitôt qu'ils ont acquis assez de force , elles les placent sur leurs épaules avec leurs jambes passées sur leur cou. Instruits par la nécessité, bientôt ces petits êtres s'ac- crochent aux cheveux de leur mère pour s'empêcher de tomber. La teinte rougeâtre de leur peau fait bientôt place à leur couleur habituelle , et ce changement est dû en grande partie à la fumée et à la saleté dans laquelle ces petits malheureux sont entretenus dès le premier ins- tant de leur existence. Les parens commencent aussi de bonne heure à les décorer suivant la coutume na- tionale; car aussitôt que leurs cheveux sont assez longs pour cela, on les garnit d'os de poissons et de dents d'animaux collés avec de la gomme. Des pein- tures de chaux ornent leurs petits membres , et les filles subissent l'amputation bizarre, qu'ils nomment malgoun, avant même d'avoir quitté leur poste sur les épaules de leur mère. A peine âgé d'un mois ou six semaines , l'enfant reçoit son nom. C'est ordinairement celui de quel- DE L'ASTROLABE. 4 17 qu'un des objets qui sont continuellement sous leurs yeux , comme d'un oiseau , d'un animal , d'un poisson ; il n'y a pour cela aucune cérémonie accessoire. Les amusemens des enfans sont en petit les exer- cices des hommes faits. Dès l'âge le plus tendre ils s'habituent à jeter la lance et à en parer les coups. A peine âgés de huit ans ils s'amusent à enlever les pe- tites filles , comme leurs pères ont fait pour leurs mères , et ne les traitent guère mieux. De bonne heure, ils aident leurs parens à la chasse et à la pèche. Les enfans sont déjà sensibles aux insultes, et si dans leurs jeux il leur arrive de recevoir d'un cama- rade un coup trop fort , ils le rendent aussitôt dans le même esprit de vengeance qu'à un âge plus avancé. Ils ont beaucoup de talent pour l'art mimique , et se plaisent à contrefaire la tournure du soldat, l'air, l'im- portance d'un officier, et le maintien oisif d'un convict paresseux. Si l'on sourit à leurs grimaces , ils en sont enchantés, et se mettent eux-mêmes à rire aux éclats. A l'âge de douze à quinze ans ils subissent l'opéra- tion qu'ils nomment gna-noang , c'est-à-dire qu'on leur perce la cloison du nez pour recevoir un morceau d'os ou de roseau , ce qui , à leurs yeux , passe pour un grand ornement, bien qu'il rende l'articulation des mots très-imparfaite. Cette opération ne se pra- tique guère que sur les hommes, quoiqu'on ait vu quelques femmes qui l'avaient subie. C'est aussi au même âge que les garçons reçoivent les privilèges qu'ils acquièrent avec la perte d'une des dents de devant. Durant son séjour dans le pays, 418 VOYAGE Collins vit deux exemples de cet usage dont il a pu , la seconde fois , nous retracer les différentes circons- tances, grâce au crayon d'une personne qui raccom- pagnait. Le 25 janvier 1795 , les naturels s'assemblèrent en grand nombre pour cette importante opération; plu- sieurs jeunes gens, bien connus dans l'établissement pour ne l'avoir jamais subie, allaient être admis au rang d'hommes. Pemoul-Waï, habitant des forêts, et plu- sieurs étrangers vinrent au rendez-vous ; mais les prin- cipaux acteurs dans les cérémonies n'étant point arrivés de Kemmiraï, les nuits suivantes s'écoulèrent au milieu des danses ; à cette occasion les sauvages s'ornèrent de leurs plus beaux atours , et déployèrent certainement une singulière variété de goûts. L'un se peignit le milieu du visage en blanc , excepté seulement la barbe et les sourcils ; d'autres se distinguaient par de grands cercles blancs autour des yeux, qui les rendaient aussi affreux qu'on peut se l'imaginer. Ce ne fut que le 2 février que la réunion fut complète. Le soir ceux de la tribu de Kemmiraï arrivèrent , et parmi eux ceux mêmes qui devaient exécuter l'opération. Ils étaient peints aux couleurs de leur tribu , la plupart pourvus de boucliers , et tous armés de casse-têtes , de lances et de bâtons pour les jeter ou tvomeras. Le lieu choisi pour cette représentation extraordinaire se trou- vait sur la pointe de Farm-Cove, et quelques jours aupa- ravant on avait travaillé à le préparer convenablement en le nettoyant d'herbes , de broussailles , de branches d'arbre, etc., etc. Il formait un ovale de vingt-cinq DE L'ASTROLABE. 419 pieds de long sur seize de large, et il prit le nom de Yoa-Lang. Quand L'auteur y arriva, il trouva ceux de la tribu de Kemmiraï debout, et en armes, à l'une des extré- mités du théâtre, et à l'autre bout se trouvaient les enfans destinés à perdre chacun une dent, avec plu- sieurs de leurs amis qui les avaient accompagnés. Alors la cérémonie commença : les hommes armés s'avancèrent en chantant, ou plutôt en poussant un cri propre à la circonstance , et faisant retentir leurs bou- cliers et leurs lances, tandis que de leurs pieds ils fai- saient jaillir la poussière de manière à en couvrir ceux qui les environnaient. Aumomentoù ils arrivèrent près des enfans, un des hommes armés, se détachant de la troupe, avança de quelques pas, et, saisissant un gar- çon, retourna vers ses collègues , qui le saluèrent par un cri, montrant en même temps le dessein de recevoir et de protéger la victime. C'est de la même manière que chacun des quinze enfans présens fut tour à tour saisi et porté à l'autre extrémité du You-Lang , où ils restèrent assis , les jambes croisées sous leurs corps , la tète basse et les mains jointes. Quelque pénible que fût cette position, on assura que de toute la nuit ils ne devaient point en bouger ni lever les yeux en l'air, et que jusqu'à la fin de la cérémonie on ne leur donnait aucune nourriture. Les herredais exécutèrent ensuite quelques-uns de leurs rits mystérieux. Tout-à-coup l'un d'eux tomba par terre, s'y roula en prenant toute sorte d'attitudes forcées , comme s'il eût été tourmenté par des douleurs 420 VOYAGE inouies , et parut à la fin délivré d'un os qui devait servir pour la cérémonie suivante. Durant tout ce temps il était entouré d'une foule de naturels qui dan- saient autour de lui en chantant à grands cris , tandis que quelques-uns le frappaient sur le dos jusqu'à ce qu'il eut produit l'os merveilleux ; puis il était délivré de toute souffrance. Celui-ci ne se fut pas plutôt relevé , épuisé de fa- tigue et baigné de sueur, qu'un autre à son tour re- commença la même cérémonie , qui se termina égale- ment par l'exhibition d'un os dont il s'était prudemment pourvu d'avance, et qu'il avait caché dans sa ceinture. Cette farce grossière a pour but de convaincre les jeunes gens que l'opération qu'ils ont à subir ne leur causera qu'une faible douleur; car plus les kerredais auront souffert, moins ils auront eux-mêmes de mal à éprouver. Il était déjà tout-à-fait nuit, et l'auteur se retira avec l'invitation de revenir de bonne heure le matin suivant. Au point du jour , il trouva les naturels dormant par petits pelotons détachés, et ce ne fut qu'au moment où le soleil se montra qu'ils commen- cèrent à se relever. Les habitans de la côte nord dor- maient à part; les jeunes garçons dormaient aussi sé- parément , bien qu'on eût dit qu'ils ne devaient point bouger de leur position. Bientôt après le lever du so- leil, les kerredais et leurs compagnons s'avancèrent à pas précipités vers le You-Lang, l'un à la suite de l'autre , poussant des cris en y arrivant, et courant deux ou trois fois tout à l'entour. On conduisit les y v\ ^V > X X X K NS , y «) > X X x 5 ^ V « 1 N •V - 3 I \ ■s I V s* sP ^ S\ ^ \ X DE L'ASTROLABE. 421 garçons au you-lang, la tète basse et les mains jointes. Dès qu'ils lurent assis dans cette attitude , les cérémonies commencèrent; les principaux acteurs, au nombre de vingt environ, étaient tous de la tribu de Kemmiraï. Ces diverses scènes furent nombreuses et variées ; mais toutes se rapportaient directement aux jeunes gens, et avaient quelque trait au principal acte de la journée qui devait terminer cette représentation. Les gravures ci-jointes en donneront une idée assez exacte. N. 1 . Les jeunes gens, au nombre de quinze, étaient assis au haut du you-lang, tandis que ceux qui de- vaient faire l'opération défilaient plusieurs fois la pa- rade autour de ce terrain, en courant à quatre pattes, et imitant l'allure de leurs chiens. Leur costume était conforme à ce but, l'épée de bois passée par derrière la ceinture qu'ils portent autour du corps , ne figurant pas mal la queue de cet animal, tandis qu'ils mar- chaient à quatre pattes. Chaque fois qu'ils passaient devant l'endroit où étaient assis les pauvres enfans qui avaient une assez piteuse mine, ils faisaient sauter sur ceux-ci le sable et la poussière avec les pieds et les mains. Durant ce temps, les garçons restaient immo- biles et silencieux, sans bouger de la position qu'ils avaient prise, et sans paraître faire aucune attention aux ridicules gestes des kerredais et de leurs com- pagnons. On comprit que, par cette cérémonie, on leur don- nait le pouvoir sur le chien, et qu'on les douait de TOMF. I. 28 422 VOYAGE imites les qualités utiles que cet animal pouvait pos- séder. N. 2. Les jeunes gens sont encore assis comme ci- dessus. La principale figure représente un naturel vi- goureux et d'une belle taille, portant sur ses épaules un pattagorang ou kangarou en herbe; le second porte un paquet de broussailles. Les autres naturels, assis à quelque distance, sont occupés à chanter et à battre la mesure , selon les pas des deux hommes chargés : ceux-ci semblaient presque incapables de se remuer sous le poids des fardeaux qu'ils portaient sur leurs épaules. Ils s'arrêtaient à chaque instant et boitaient tout bas en marchant; enfin, ils déposèrent leurs charges aux pieds des garçons , et se retirèrent du you-lang comme accablés de la corvée qu'ils venaient de faire. 11 faut observer que celui qui s'était chargé du paquet de broussailles s'était fourré deux branches de fleurs au travers de la cloison du nez, ce qui lui donnait un aspect tout-à-fait extraordinaire. Le kangarou mort désignait le pouvoir qui leur était donné de tuer cet animal, et les broussailles figuraient sa retraite. N. 3. Les enfans restèrent assis au bout du you- lang durant une heure entière. Durant ce temps, les ac- teurs se retirèrent dans une vallée voisine , et s'ajus- tèrent par derrière une ceinture de longues touffes d'herbes pour remplacer l'épée de bois qu'ils avaient quittée. Puis ils se remirent en mouvement comme un troupeau de kangarous, tantôt bondissant sur leurs pattes de derrière, tantôt se posant et se grattant avec DE L'ASTROLABE. 423 leurs patles à la manière de ces animaux. En même temps , un naturel battait la mesure sur un bouclier avec un casse-tête, tandis que deux autres hommes armés les suivaient attentivement, comme pour tomber sur eux h l'improviste et les percer de leurs lances. Ceci était, l'emblème d'un de leurs futurs exercices , la chasse du kangarou, et formait une scène à la fois curieuse et grotesque ; car la vallée où ils se dégui- saient avait quelque chose de très-romantique , et ce spectacle était entièrement neuf. N. 4. En arrivant à la place du you-lang, cette troupe bizarre passa près des enfans , comme un trou- peau de kangarous ; puis arrachant soudain et rejetant leurs queues d'herbes , chacun d'eux saisit un petit vairon, et, le plaçant sur ses épaules, lemporta en triomphe au lieu où devait se passer la dernière scène de cette singulière comédie. On doit observer que les parcns et les amis des jeunes gens n'essayèrent nulle- ment de gêner les naturels de Kemmiraï dans l'exer- cice de leurs fonctions , et que même ils ne s'en mêlèrent en aucune manière. IV. 5. Après avoir cheminé quelques pas, les enfans furent retirés de dessus les épaules des hommes et réunis en un peloton, debout, la tète baissée sur la poitrine et les mains jointes. Quelques-uns des ac- teurs disparurent alors pour dix minutes environ, afin de préparer la scène suivante. Ou ne permit point à l'auteur d'être présent à cette cérémonie , pour la- quelle les naturels semblaient observer un plus grand degré de mystère et d'apprêt qu'ils ne l'avaient fait «8* 42i VOYAGE pour aucune des précédentes. Enfin on l'invita à s'approcher, et il trouva les personnages disposés comme dans le n° 5. Le groupe de gauche représente les garçons et ceux qui les accompagnaient; devant eux se trou- vaient deux hommes, dont fun, assis sur le tronc d'un arbre , portait l'autre sur ses épaules , et tous deux avaient les bras étendus. Derrière eux on voyait plusieurs corps couchés à plat, la face contre terre, aussi près que possible l'un de l'autre et au pied d'un autre tronc d'arbre , sur lequel étaient placés deux naturels dans la même attitude que les deux pre- miers. A mesure que les enfans el ceux qui les condui- saient approchèrent de ces deux premiers groupes, les deux hommes qui le formaient commencèrent à se tourner d'un côté et d'autre , en tirant la langue hors de la bouche , ouvrant de grands yeux et leur donnant l'aspect le plus horrible possible. Quand celte gri- mace eut duré quelques minutes , les hommes se séparèrent pour laisser passer les enfans qui furent conduits par -dessus les corps couchés par terre. Ceux-ci commencèrent à se remuer, se tortillant comme s'ils eussent été à l'agonie, et faisant un bruit sourd et semblable à celui du tonnerre grondant à une grande distance. Après avoir passé par-dessus ces corps , les enfans furent présentés aux deux indi- vidus assis sur l'autre tronc, qui renouvelèrent les grimaces déjà faites par les deux premiers ; puis toute la troupe se mit en marche. DE L'ASTROLARE. 42o Un nom particulier, Bourou-Afenronng , fut donne à cette scène; mais on ne peut connaître que très- peu de choses de son objet. Aux questions faites à cet égard, on ne put obtenir d'autre réponse que c'était très-bon, et que dorénavant les jeunes gens seraient des hommes braves , qu'ils y verraient clair et se battraient bien. N. 6. Toute la troupe s'arrêta à une petite distance de la scène précédente. On fit asseoir les jeunes gens près l'un de l'autre, tandis que devant eux les hom- mes se rangèrent en demi-cercle, désormais armés de leurs lances et de leurs boucliers. Au centre de la troupe , et le visage tourné vis-à-vis d'eux , se trou- vait Boudirro , le naturel qui avait été constamment le principal acteur de la cérémonie. Il tenait un bou- clier d'une main et de l'autre un casse-tète , avec lequel il marquait la mesure en frappant l'un contre l'autre. A chaque troisième coup, tous les autres, après avoir balancé et dirigé leurs lances vers lui , les pointaient en avant et touchaient le centre de son bouclier. Ceci terminait les cérémonies qui devaient précé- der l'opération, et semblait faire allusion à un exer- cice qui allait devenir la principale affaire de leur vie, l'usage de la lance. N. 7. Maintenant ils se préparèrent à faire sauter les dents des jeunes gens. Le premier qu'ils prirent fut un enfant de dix ans -, et il fut assis sur les épaules d'un autre naturel lui-même assis sur l'herbe, ainsi que le montre la planche n° 7. 426 VOYAGE On représenta d'abord l'os que l'on prétendait avoir extrait de l'estomac d'un des naturels, la veille au soir. On avait eu soin de l'aiguiser par le bout, afin de couper la gencive, car, sans cette précaution, il leur serait impossible de faire sauter la dent sans briser la mâchoire entière. On s'occupa ensuite de couper un womera , à huit à dix pouces du bout , et pour cela il faut de grandes cérémonies. Le bâton est posé sur un arbre , et l'on essaie trois fois avant de frapper dessus. Le bois étant très-dur et l'instrument coupant très-mal, il fallut plusieurs coups pour en venir à bout ; cependant on fît constamment trois feintes avant que chaque coup fût donné. Quand la gencive fut convenablement préparée avec l'os aigu, le petit bout du bâton fut posé sur la dent aussi haut que le permit la gencive , tandis que l'opérateur se prépara à abattre la dent avec une grosse pierre qu'il avait de l'autre main. Là , leur attention au nombre trois fut encore remarquable , car aucun coup ne fut frappé sur le bâton avant qu'on eût d'abord ajusté par trois fois. Cette première opération dura dix mi- nutes entières, car, malheureusement pour le pauvre enfant , la dent tenait fort dans sa gencive. Enfin , elle sauta , et le patient fut emmené à une petite distance , où sa gencive fut raffermie par ses amis , et il fut bientôt revêtu , grâce à leurs soins , du costume qu'il devait garder durant quelques jours. On lui passa autour du corps une ceinture où tenait une épée de bois ; sa tête fut entourée d'un bandeau surmonté de bandelettes de xanthorrhœa qui , par la DE L'ASTROLABE. 127 blancheur de leur couleur, produisaient un effet cu- rieux et qui n'était point désagréable. Le pal ici il avait la main gauche posée sur la bouche qui devait rester fermée , il lui était défendu de parler cl de manger de tout le jour o Tous les enfans lurent traités de la même manière, excepté un seul joli petit garçon de huit ou neuf ans, qui, après s être laissé couper la gencive, ne voulut pas supporter plus d'un coup de la pierre, et, se sauvant d'entre les mains des opéra- leurs, réussit à s'échapper. Durant toute l'opération, les spectateurs tirent aux oreilles des patiens un bruil épouvantable (en criant iwâh-iwdh, gaga-gaga sans relâche), suffisant pour distraire leur attention, et étouffer toutes les plaintes qui eussent pu leur éehap per ; mais ceux-ci se faisaient un point d'honneur de supporter leur douleur sans pousser un soupir. Du reste, on observa quelques autres singularités. On n'essuya point le sang qui sortait de la gencive déchirée, mais on le laissa couler le long de la poi- trine de chaque enfant, et tomber sur la tête de l'homme sur lequel il était assis, et dont le nom lui ensuite ajouté au sien. Ce sang desséché resta sur la tète des hommes et la poitrine des enfans durant quelques jours. Les garçons furent ensuite désignés par le titre de kebarra, nom qui par son étymologie a rapport à l'un des instrumens employés dans celle cérémonie , car hebah dans leur langue signifie une pierre ou un rocher. N. 8. Cette planche représente les jeunes gens ajustés et assis sur un troue d'arbre, comme ils paru- 1 28 VOYAGE rent le soir même qui suivit l'opération. L'homme est Kol-bi qui applique un poisson grillé contre la gen- cive de son cousin ZSanbarry qui a plus souffert qu'au- cun des autres. Tout-à-coup, à un signal donné, les patiens se le- vèrent et se précipitèrent vers la ville, chassant devant eux les hommes, les femmes et les enfans qui se hâtaient de s'écarter de leur chemin. A dater de ce moment ils étaient admis au rang d'hommes ; ils avaient le droit de se servir de la lance et du casse-tète, et de figurer de leurs personnes dans les combats; ils pouvaient aussi enlever telles filles qu'ils voudraient pour en faire leurs femmes. Pour mieux dire, il était entendu que s'étant soumis à l'opération , ou ayant enduré la douleur sans murmurer, et ayant perdu une dent de devant, ils avaient acquis un titre qu'ils avaient le droit d'exercer dès que leur âge et leur force leur per- mettraient de le faire. La sœur de Benilong et Daringha femme de Kol-bi, apprenant que M. Collins témoignait un grand désir de posséder quelques-unes de ces dents, s'en procu- rèrent trois qu'elles lui remirent avec beaucoup de mystère , et sous la promesse qu'il ne ferait pas con- naître qu'elles lui avaient fait un pareil présent; elles tremblaient beaucoup d'être découvertes , à cause du ressentiment inévitable de la tribu de Kemmiraï à la- quelle ces dents devaient être livrées. Les médecins auxquels on montra ces dents dé- clarèrent qu'elles n'auraient pas été mieux arrachées par un dentiste pourvu des instrumens nécessaires , DE L'ASTROLABE. 138 quelles ne l'avaient été par ces sauvages au movcn seulement d'une pierre et d'un morceau de bois. Un des garçons qui avaient subi l'opération avait autrefois vécu chez le chirurgien principal de l'éta- blissement jusqu'à son départ pour l'Angleterre. Une parente de ce garçon apporta sa dent à M. Collins , avec prière de l'envoyer à M. White, témoignant ainsi sa reconnaissance, après quelques années d'inter- valle, pour les soins qu'il avait eus de son parent. Les femmes invitèrent ensuite M. Collins à s'éloigner de cet endroit, car elles ne savaient pas ce qui allait se passer. En effet , il avait observé que les naturels prenaient leurs armes ; le tumulte et la confusion se déclarè- rent bientôt parmi eux , et ils parurent se livrer à tout leur naturel sauvage. Comme l'Anglais se retirait, on donna le signal qui devait inspirer aux jeunes gens l'esprit belliqueux qui avait été le but de toute la cé- rémonie du jour ; ils s'élancèrent vers la ville de la manière que nous venons de décrire , mettant le feu aux broussailles partout où ils passaient. En songeant à ces diverses circonstances nous n'eussions considéré cette cérémonie que comme un tribut dû à la peuplade de Kemmiraï; mais il nous fallut suspendre ce jugement quand nous eûmes ob- servé que tous les hommes de cette tribu avaient eux- mêmes subi cette opération, chacun d'eux ayant perdu la dent de devant. Benilong , quand on le connut et qu'on put comprendre son langage , dit d'abord à ses amis qu'un homme du nom de Kemmira-Gal portait toutes ces dents autour de son cou. Mais par la suite on 430 VOYAGE reconnut que ce mot n'était autre chose que le litre distinctif de la tribu chargée d'exécuter les cérémo- nies de l'opération ci-dessus. Benilong en d'autres temps raconta que sa propre dent avait été boarbilli pemoul, cachée en terre, et que d'autres avaient été jetées à la mer. Les naturels, questionnés sur la perte de cette denl, ont toujours eu coutume d'employer les mots yoa-lang irah-badiang ; mais pour exprimer celle de toute autre dent , l'expression boal-bagga était usitée. Le terme you-lang irah-badiang doit donc s'appliquer seule- ment à cette occasion. Il paraît se composer du nom donné au lieu où se passe la scène principale , et du privilège le plus matériel qui dérive de la cérémonie entière, celui de jeter la lance ; c'est ce que semblent désigner les mots irah-badiangy irah étant un temps du verbe lancer, ù'ah, lance; iraelli, lancer. Dès que les jeunes gens ont ainsi acquis les privilè- ges de la virilité , ils poursuivent l'exercice de leurs droits aussitôt que leurs facultés le leur permettent. L'affaire de la nourriture ne parait réellement que se- condaire chez cette race d'hommes ; l'usage de la lance et du bouclier, se dresser à manier les divers casse-tètes employés chez eux, l'agilité à attaquer ou se défendre, et la constance à endurer les douleurs, semblent occuper le premier rang dans les intérêts de leur existence. Les femmes sont aussi accoutumées à porter sur leurs têtes les traces de la supériorité des hommes , et ceux- ci les en décorent presque aussitôt que leur bras a acquis assez de force pour le faire. On a vu quelques- DE L'ASTROLAHE. 481 unes de ces misérables créatures porter sur leurs tètes tondues tant de cicatrices taillées en tous sens, qu'il était impossible de les compter ni de les distin- guer. Quoiqu'elles ne soient que les esclaves des hommes, on a observé, en recherchant les motifs de leurs débats, qu'elles en étaient généralement la cause principale, bien que quelquefois ce fût d'une ma- nière très-éloignée. Elles prenaient part à tous les combats des hommes ; et , dans une de ces querelles qui fut précédée de quelques cérémonies , ce fut une femme qui débuta. Comme ils avaient choisi pour théâtre un terrain dégagé près de la ville , il s'y rendit beaucoup de curieux. Les parties en contestation se composaient pour la plupart des naturels bien connus à Sydney et de quelques-uns de la tribu au sud de Botany-Bay, dans laquelle était Gom-Back. Les assistans arrivèrent sur le terrain une heure avant le soleil couchant, et trouvèrent les naturels assis les uns devant les autres dans une espèce de vallée entre deux collines. Comme prélude de l'affaire, les naturels de Sydney, après avoir attendu quelque temps, se levèrent, et chacun d'eux s'étant ensuite baissé puisa de l'eau dans le creux de sa main et en but. Une femme âgée, dont les épaules étaient cou- vertes d'un manteau en peaux d'opossum très-pro- prement cousues ensemble, et armée d'un casse-tète, s'avança du côté opposé, et, proférant une foule d'in- jures, courut à Kol-bi qui était à sa droite, et lui donna un coup violent sur la tète, qu'il lui tendit 132 VOYAGE exprès avec un mépris affecté. Elle en agit de même à l'égard de tous. Les autres ne firent aucune résis- tance jusqu'au moment où elle arriva à Yera-Nebi , un très-joli garçon qui se trouvait à sa gauche. Celui-ci, peu jaloux des coups que ses compagnons avaient reçus et qui avaient été suivis de sang, lutta avec elle; s'il ne se fût pas montré très-agile, elle l'eût tué avec sa propre lance qu'elle lui avait arrachée des mains. Alors les hommes s'avancèrent, et four- nirent aux spectateurs plusieurs occasions d'admirer la force et l'adresse avec laquelle ils envoyaient leurs lances, et la rapidité du coup-d'œil nécessaire pour en éviter les atteintes. Le combat dura jusqu'à la nuit. Alors l'usage de la lance ne leur parut plus loyal , et ils combattirent avec les casse-têtes, jusqu'au moment où ils convinrent de se quitter d'un mutuel accord. Dans cette dernière partie du combat, plusieurs reçurent des blessures cruelles, et de chaque côté il y eut plus d'une tète ensanglantée. Cependant rien de sérieux n'était arrivé, tant qu'il avait fait assez clair pour éviter les traits des lances. Le sang versé parmi ces sauvages entraîne toujours une punition à sa suite ; le coupable est obligé de res- ter exposé aux lances de tous ceux qui veulent le frapper, car dans ces sortes d'exécutions les liens du sang ou de l'amitié n'ont plus d'empire. A la mort d'une personne, homme ou femme, vieille ou jeune, les amis du défunt reçoivent un châtiment , comme si sa mort avait été occasionée par leur négligence. On a vu des exemples très-barbares de cette coutume. f DE L'ASTROLABE. m Un naturel avait été assassiné. Sa veuve, obligée de venger sa mort sur quelques-uns des parens du meurtrier et rencontrant une petite fille qui lui était tant soit peu alliée , l'emmena dans un lieu retiré ; là avec un casse-tète et une pierre acérée elle la frappa si cruellement , qu'on fut obligé de l'emmener mou- rante à la ville. L'enfant avait six ou sept incisions très- profondes , et une oreille qui avait été coupée jusqu'à l'os se trouvait dans un très-mauvais état, par la na- ture de l'instrument dont on s'était servi. La pauvre petite iille mourut au bout de quelques jours. Les naturels à qui cet événement fut raconté n'y prirent aucun intérêt, mais parurent persuadés que la chose avait été tout-à-fait juste , nécessaire et inévitable. On remarqua que toutes les fois que des femmes avaient une vengeance de ce genre à exercer , elles ne la consommaient jamais que sur des individus de leur propre sexe , n'osant pas frapper un mâle. La petite victime de celte barbarie était chérie dans la ville à cause de ses manières douces et paisibles ; et ce qu'il y eut de plus révoltant dans l'inhumanité de ce procédé, c'est qi^à la mort de l'homme l'enfant avait demandé que sa veuve fût reçue et nourrie dans la cabane de l'officier où elle demeurait elle-même. Sa mort ne fut pas vengée, car peut-être on la considéra comme un sacrifice expiatoire. Watti-wal , 1 homme qui commit le crime dont cette petite innocente fut la victime, échappa sans accident aux lances de Benilong, de Kol-bi et de plu- sieurs autres naturels. Ensuite il fut reçu parmi eux 434 VOYAGE comme de coutume , et 6nit même par vivre avec la veuve de celui qu'il avait tué, jusqu'au moment où il fut lui-même assassiné par Kol-bi durant la nuit. Le sentiment de la vengeance et les idées d'hon- neur que ces sauvages se sont formées, produisent quelquefois des événemens bizarres. Un naturel de Botany-Bay ayant été maltraité par deux hommes d'une autre tribu , un de ceux-ci devait à son tour être battu par le premier. Pour cela, une troupe de naturels se réunit sur les bords d'un ruisseau près de l'établissement pour danser, ce qu'ils firent jusqu'à minuit passé; l'homme destinéà être battu dansa comme les autres, puis se coucha au milieu d'eux. Le matin suivant, tandis qu'il sommeillait encore au pied d'un arbre, celui qui devait le battre et un de ses compa- gnons, armés de lances etde casse-têtes, se jetèrent sur lui; un d'eux lui envoya sa lance, mais le manqua ; alors l'autre lui donna deux coups de son casse-tête. Cela l'éveilla, il se releva ; mais, se voyant désarmé, il baissa tristement la tète. On ne lui fit plus de mal , et son ennemi essuya lui-même le sang de sa bles- sure avec de l'herbe. Ensuite ils furent bons amis , car celui qui avait été offensé, se trouvant vengé, ou- blia l'injure qu'il avait reçue. Voici un exemple plus remarquable encore de leurs idées de vengeance au sujet des insultes reçues et de la réparation qu'ils exigent en pareil cas. Le 10 décembre 1797, deux naturels bien con- nus l'un et l'autre dans l'établissement, savoir Kol-bi, DE L'ASTROLABE. 435 ami de Benilong, et un guerrier d'une autre tribu se rencontrant à Sidoey, s'attaquèrent l'un l'autre. Kol-hi était remarquable par sa vigueur , mais son adversaire était beaucoup plus jeune et bien capable de lui tenir tête. Kol-bi n'avait encore obtenu aucun avantage sur son ennemi quand la poignée du bou- clier de celui-ci vint à manquer, et le bouclier lui échappa des mains. Il se baissait pour le ramas- ser , lorsque Kol-bi le frappa sur la tête, le fit chanceler et redoubla ses coups tandis qu'il était abattu. Kol-bi, certain que cette action lui mériterait le nom de dji-roun ou de lâche, et que les suites en se- raient sérieuses pour lui si le guerrier venait à mourir, parce que ses amis ne manqueraient pas de venger sa cause ; Kol-bi jugea à propos de se cacher. On prit soin du pauvre diable , ce qui ne l'empêcha pas de succomber le 1G. Pendant sa maladie il fut assisté par quelques hommes et quelques femmes qui lui étaient attachés, particulièrement par Collins et Moroubra. lTne des nuits où le chant de deuil avait été répété au- tour de lui par les femmes, les hommes qui étaient ses amis, après avoir écouté avec une grande attention, se levèrent toul-à-coup, et, saisissant leurs armes, se déci- dèrent à venger leur camarade. Sachant le lieu où ils pourraient trouver Kol-bi, ils y coururent, le batti- rent et réservèrent la satisfaction de le tuer pour le dernier acte de leur vengeance , jusqu'au moment où le sort de leur camarade serait décidé. La nuit suivante Collins et Moroubra attaquèrent un parent 43G VOYAGE de Kol-bi nommé Boura-wanaï et le frappèrent à la tète de la manière la plus barbare. Le naturel assassiné fut enterré le jour qui suivit sa mort, le long de la route, au-dessous des baraques des militaires. Ses amis le placèrent sur un grand mor- ceau d'écorce et le déposèrent dans une tombe. Beni- long se trouva au nombre des assistans ; ce fut lui qui plaça la tète du cadavre près de laquelle il planta un beau ivarratau , et recouvrit le corps de la couverture sur laquelle le malheureux était mort. La terre fut re- jetée sur le corps avec des épées de bois, et durant toute la cérémonie les femmes ne cessèrent de pous- ser des cris et des hurlemens. Les hommes eux- mêmes entrèrent dans une telle colère qu'ils s'en- voyèrent plusieurs lances et échangèrent quelques coups de casse-tète; mais cette émeute n'eut point de suites , car chacun parut déterminé à faire périr Kol-bi pour avoir si lâchement tué un homme si généralement aimé. Dans ce but , un bon nombre de naturels se réunirent en peu de jours près des baraques ; un jeune homme, parent de Kol-bi, reçut plusieurs blessures. Un petit garçon de sa famille, qui avait autrefois vécu chez M. White le chirur- gien , aurait péri , s'il n'eut été sauvé par l'apparition d'un soldat envoyé pour le protéger ; car on conjec- turait que quand la rage commune contre son oncle Kol-bi se serait apaisée, on ne penserait plus à l'enfant. Kol-bi, sachant qu'il lui fallait se soumettre à l'é- preuve ordinaire en pareille circonstance , ou vivre dans la crainte continuelle d'être assassiné, se décida à DE L'ASTKOLABE. i 17 subir son jugement. Ayant fait connaître sa résolu- tion, le jour désigné il se rendit en armes sur le terrain près des baraques. La fureur déployée par les amis du défunt était inexprimable, et Kol-bi eût certai- nement perdu la vie , sans la présence des militaires. Quelque agile qu'il fut à se couvrir avec son bouclier, le nombre l'accabla , et, succombant sous les coups des lances , il eut été immolé sur le terrain si plu- sieurs soldats ne s'étaient précipités pour le sauver; car les cruelles blessures qu'il venait de recevoir l'avaient rendu incapable de faire aucune résis- tance. Les soldats le relevèrent et le transportèrent dans leurs baraques. Benilong, l'ami de Kol-bi, était au nombre des spec- tateurs, mais avec l'intention de ne prendre parti d'au- cun côté. La conduite de son ami avait été si indigne qu'il n'eût pu ouvertement épouser sa querelle. Peut- être en effet n'avait-il pas envie de combattre, si un moyen s'offrait d'éviter celte extrémité ; il désirait en paraissant contre lui ne pas augmenter le nombre de ses ennemis. Du reste il était armé et complètement nu , et il resta silencieux spectateur de l'affaire , jus- qu'au moment où les soldats se jetèrent sur Kol-bi pour lui sauver la vie. Alors il entra tout-à-coup en fureur , et décoeba sa lance au travers des soldats avec une telle violence qu'elle entra par le dos de l'un d'eux et sortit par le ventre près du nombril. Il de- vait tomber massacré au moment même, car ii avait déjà reçu sur la tète un coup de crosse de fusil , mais le prévôt -maréchal vint à son secours et l'emmena. TOME I. 2, se précipite sur la. femme, l'entraîne, cl, muni d'un solide gourdin, repousse vigoureusement les sau- vages qui veulent fondre sur lui. Désespérée, la pauvre femme l'embrassait étroitement, et semblait attendre son unique salut de ses efforts. 3Iais un mur- mure général d'improbation s'éleva de tous les côtés , les sauvages s'ameutèrent en troupe autour du couple fugitif, et déjà menaçaient le ravisseur de toute leur fureur; des camarades de celui-ci s'inter- posèrent, lui firent des représentations, et il lâcha enfin sa proie. Toutefois , il suivit encore quelque temps les sauvages qui saisirent la femme, en les menaçant et vomissant contre eux toutes sortes d'im- précations. Ceux-ci ramenèrent leur captive en triom- phe : une lutte de deux hommes corps à corps eut lieu durant quelques minutes , et se termina à l'amia- ble. Il y eut encore des menaces, des provocations, mais sans résultat. Enfin , couverte de sang et de poussière , la malheureuse fut traînée près d'un tronc d'arbre contre lequel elle resta collée , sans force et sans mouvement, tandis que le chef de la tribu qui l'avait enlevée se promenait près d'elle en long et en large , comme pour provoquer au combat quiconque eût été disposé à la réclamer. C'était le vigoureux Douel, et personne , à ce qu'il paraît , ne se soucia de se mesurer contre lui. Je voulus m'en approcher pour lui parler, mais il était tout entier à son rôle , et il ne daigna pas même faire la moindre attention à moi. Autant qu'il est possible de compter sur ce genre d'ex- plications, quelques Anglais qui m'entouraient ra'ap- TOME I. 3o i.Si VOYAGE prirent que la tribu de Douel avait. perdu deux jeunes filles qui avaient été enlevées par les sauvages du nord de la baie de Port-Jackson , et par représailles elle avait projeté d'en enlever deux à son tour à ses agresseurs. Un cordonnier de Sydney (c'était notre vaillant Paris) avait déjà sauvé Tune d'entre elles qui vivait en ville avec lui ; non content de cet exploit ga- lant, en preux chevalier il revenait sur le champ de bataille pour délivrer aussi l'autre, lorsqu'il fut obligé de céder au nombre. D'ailleurs , il paraît que tout cela se passait conformément aux usages et cou- tumes établis , car personne ne se présentant pour ré- clamer la belle affligée , tout rentra dans l'ordre et le silence , et plusieurs tribus firent aussitôt leurs pré- paratifs de départ. Tandis que les hommes préparaient leurs armes , les femmes entassaient dans leurs sacs en filet leurs provisions de pain , viandes , poisson , chiffons , jusqu'à des têts de bouteille, etc. Boungari, Bidgi-Bidgi et Cogai nous assurèrent pourtant qu'il y aurait le soir même un marri-corro- bori, c'est-à-dire une danse générale de toutes les tribus rassemblées , et je m'apprêtais à jouir de ce spectacle, plus curieux pour moi que tous les bals de l'Europe : mais ce jour et les suivans nous eûmes un temps affreux , et ces sauvages , ennuyés d'attendre , et peu jaloux de danser quand il fait mauvais temps, se débandèrent et reprirent la route de leurs foyers , laissant comme de coutume la tribu de Boungari et celle de Sydney habiter seules ces régions. DE L'ASTROLABE. 455 Voyons maintenant ce qui se passe quand un sau- vage a péri de mort naturelle. Un très-beau jeune homme nommé Boni - Dai mourut d'un refroidissement suivi d'une fluxion sur la figure. On apprit qu'il devait y avoir du sang versé dans cette circonstance : et, quelques semaines après, une troupe considérable de naturels appartenant à différentes tribus s'assembla à Panni-Rong, nom du terrain qu'ils avaient souvent choisi pour leurs com- bats, et qui, dans leur langage, signifie sang. Après avoir dansé et s'être régalés toute la nuit, le lendemain de bon matin, Moroubra et Kol-bi, le premier frère et le second parent du jeune défunt, se saisirent d'un garçon nommé Tarra-Bilong, et avec leurs casse-tètes lui firent chacun une blessure qui lui ouvrit le crâne. La sœur de Boni-Dai prit aussi part à ce rit sangui- naire , en frappant le petit innocent avec une lance courte, et le laissant dans un tel état que les chirur- giens de rétablissement décidèrent, d'après la nature de ses blessures, qu'on ne pouvait guère espérer de guérison. Lorsqu'on lui parlait de cet événement il disait qu'il n'avait ni pleuré ni gémi comme un en- fant, mais qu'il avait crié kai-ia à chaque coup qu'il avait reçu : que les personnes qui l'avaient si bien maltraité n'étaient pas ses ennemis, mais qu'A boirait et mangerait avec eux, et les considérait encore comme ses amis. Peu de jours après , un parent de Boni-Dai (un homme âgé' reçut une blessure grave sur le derrière de la tète, à cause de la mort de Tarra- Bilong. La jeunesse, ni le grand âge, les liens de la 456 VOYAGE parenté , ni ceux de l'amitié , ne semblent opposer d'exception à ces coutumes sanguinaires. Quand la femme de Benilong mourut , il y eut plu- sieurs lances envoyées et plusieurs naturels blessés. Benilong lui-même eut une rude affaire avec Willi- Miring, et le blessa à la cuisse. Tandis que sa femme était malade , Benilong avait envoyé chercher Willi- Miring pour l'assister en sa qualité de kerredai; celui- ci ne put pas , ou ne voulut pas obéir à sa réquisition. Pour célébrer des jeux funéraires en l'honneur de sa défunte femme , Benilong avait choisi le temps qu'un régal de baleine avait attiré une foule considérable de peuples , dont plusieurs venus du nord parlaient un dialecte bien différent de celui qui est employé aux environs de Port-Jackson. Quelques officiers se trouvant un jour présens à la mort d'un enfant vers le fond de la baie , virent les hommes se retirer à l'écart et se lancer leurs zagaies les uns aux autres avec une grande colère en appa- rence , tandis que les femmes continuaient leurs la- mentations habituelles. Quand le petit enfant de Benilong mourut , il y eut plusieurs zagaies lancées, et à la mort de la mère il répéta plusieurs fois qu'il ne serait point satisfait jus- qu'à ce qu'il eût sacrifié quelqu'un à ses mânes. Un naturel ayant blessé une jeune femme mariée à un autre homme, et, peu de temps après, celle-ci ayant échangé une vie triste et misérable pour la paix du tombeau, cette mort devint le motif d'un combat. Le coupable fut grièvement blessé, et peu après conduit DE L'ASTKOLABE. 457 à l'hôpital par celui-là même qui l'avait mis dans cet état. Un naturel de Botany-Bay s'éïant emparé de la femme d'un sauvage de Port-Jackson , il s'ensuivit un combat accompagne de quelques cérémonies in- accoutumées. Le coupable parut escorté d'une troupe considérable de ses amis au sud de Botany-Bay. Plu- sieurs de ses compagnons en armes étaient tout-à-fait étrangers à Sydney; et le you-lang fut le lieu du rendez- vous. Au soir, les deux partis se mirent à danser, mais sans se mélanger : un d'eux attendant pour commencer que l'autre eût fini. Dans leur manière de danser, d'annoncer qu'ils étaient prêts, et même dans leur chant , on remarquait des différences sensibles. Les naturels de Sydney parurent avoir quelque crainte que l'événement ne leur fut pas favorable ; car apercevant un officier qui avait un fusil , un d'eux le pressa instamment de faire feu sur ceux de Botany- Bay s'il lui arrivait quelque chose de désagréable. Quelques autres fusils s'étant montrés, les étrangers furent inquiets et alarmés jusqu'au moment où on les assura qu'on ne les avait pris que pour la sûreté per- sonnelle de ceux qui les portaient. L'affaire commença à dix heures précises du ma- tin. Karuei et Kol-bi s'assirent à un bout du you-lang, tous deux armés d'une lance et d'un womerra , et munis d'un bouclier. Ils demeurèrent assis jusqu'au moment où un de leurs adversaires s'avança vers eux ; alors ils se levèrent aussi et se mirent en garde. 468 VOYAGE Parmi les zagaies qui leur furent lancées , quelques- unes furent simplement ramassées et deux rendues par eux-mêmes , tandis qu'ils en renvoyèrent d'au- tres avec une extrême violence. L'affaire était terminée avant deux heures après-midi , et avec moins de mal qu'à l'ordinaire. Du reste , on sut qu'il y aurait une nouvelle réunion pour le même sujet. Cette fois , comme dans la plupart de leurs com- bats, le point d'honneur fut rigoureusement observé. Mais les lances ne sont pas toujours les seules armes qu'on emploie dans ces luttes; les discours y jouent souvent un rôle essentiel , surtout quand les femmes sont en scène. Durant ce dernier engagement, quand un mot très-offensant venait frapper leurs oreilles, toul-à-coup les naturels se mettaient en position de darder leurs lances , et puis quelquefois les laissaient retomber par terre sans les envoyer ; mais ils ne man- quaient jamais d'observer scrupuleusement la posi- tion de leur ennemi , et ne lui eussent jamais envoyé leurs traits avant qu'il se fût couvert de son bou- clier. Ce qu'il y avait de plus extraordinaire , c'était de voir celui qui était exposé aux lances des autres fournir des armes à ses propres ennemis ; car bien des fois , quand une lance tombait derrière lui sans lui faire de mal , on le voyait la ramasser et la ren- voyer négligemment à son adversaire. On n'a point su si cette coutume provenait d'un sentiment de mé- pris ou bien de la rareté des lances. Cette attention scrupuleuse des sauvages au point d'honneur, quand ils combattent loyalement entre DE L'ASTROLABE. i v.i eux, est difficile à concilier avec Leurs assassinats per- fides el nocturnes. ARMES. Leurs armes offensives et défensives sonl la lance, le bâton pour la darder ou uwmerra, le bouclier el le casse-tèle. Ils ont jusqu'à huit sortes de lances distinguées par le nombre des barbes , el qui portent toutes des dards différons . Quelques-unes sont simplement pointues, d'autres ont une ou plusieurs barbes , et quelques- unes sont armées de morceaux de coquilles d'huîtres brisées. Du reste, ils sont fort adroits à les envoyer, et frappent souvent leur but à cinquante, soixante et soixante-dix pieds ; ils savent aussi imprimer une grande violence à leurs lances, et quand elles sont bar- belées ce sont des armes vraiment redoutables. Le bâton pour les jeter ou wvmerra porte trois pieds de long environ, avec un croc à un boulet une coquille à l'autre fixée avec de la gomme. Ce bâton reste à la main quand la lance est partie. Il y en a de deux sortes : Tune est armée d'une coquille qui lui sert de couteau, l'autre a un croc mais sans coquille, et est arrondie par le bout. C'est avec celle-ci qu'ils déterrent la racine de fougère et l'igname. Leurs boucliers sont de deux espèces : l'une en écorce qui ne peut résister aux coups de lance comme l'autre qui est fabriquée avec un bois solide el durcie 460 VOYAGE au feu , mais qui n'est pas aussi usitée à cause de sa pesanteur. Ils ont des casse-têtes ou waddis de plusieurs gen- res ; un d'eux est d'une très-grande dimension ; quel- ques-uns sont très-larges et très-longs , et assènent des coups très-pesans, qui souvent suffisent pour fracturer le crâne, et toujours pour terrasser une femme. Ils ont encore un instrument qu'ils nomment ta-warrang. Il a trois pieds environ, et est étroit, mais il a trois côtés , et sur un d'eux un manche a été pratiqué en le creusant par le feu ; les autres côtés sont grossièrement ornés de lignes courbes et ondu- lées ; ils en font usage dans leurs danses en frappant dessus avec un casse-tête, s Leurs haches en pierre ont de la réputation parce que de toutes leurs armes ce furent les plus funestes aux Anglais au commencement de la colonie. La pierre qui tient lieu de fer est soudée au manche avec une gomme fort tenace. Leurs instrumens sont ordinairement ornés de gra- vures dont les dessins varient généralement suivant les diverses tribus principales , et servent à les dis- tinguer. On observe la même particularité pour leurs lignes de pèche, leurs filets, et même pour leurs danses, leurs chants et leurs dialectes. Ils portent souvent avec eux du feu à cause de la difficulté qu'ils éprouvent pour le rallumer. Quand ils veulent faire du feu , plusieurs se rassemblent en cercle, et, comme c'est une opération pénible, chacun agit à son tour pour remplacer celui qui est fatigué. DE L'ASTROLABE. ici Ils parviennent à leur but en faisant tourner rapide- ment avec les mains une pièce de bois sur un trou pra- tiqué dans une planche jusqu'à ce que le feu y prenne. Ces hommes, d'ailleurs si dépourvus de jugement, montrent sous quelques rapports une adresse singu- lière. On a trouvé certaines ligures de leur façon , tail- lées sur de larges pierres représentant des individus de leur race en diverses attitudes, des pirogues, des poissons et des animaux. Quand on fait attention à la grossièreté des instrumens qu'ils peuvent employer, ces figures offrent un travail bien loin d'être mépri- sable. Les naturels, dans le principe n'avaient aucune idée de fean bouillante. Un jour l'équipage d'un canot faisant bouillir du poisson , un sauvage en l'absence des Anglais y porta la main pour en prendre et se brûla , ce qui le surprit beaucoup. SUPERSTITION. Ces peuples obéissent en esclaves à une foule de superstitions. La jonglerie du kemmiraï kerredai lorsqu'il produit l'os pour arracher la dent en est un exemple frappant , et n'est pas le seul. Après sa bles- sure, Kol-bi accompagna le gouverneur Phillip sur les bords de l'Hawkesbury, et rencontra un kerredai qui, avec beaucoup de gestes et de grimaces, prétendit extraire les barbes de deux lances de son côté ; jamais Kol-bi n'avait eu de lances dans le côté, et d'ailleurs pour les retirer, au besoin, il aurait fallu avoir recours 462 VOYAGE au scalpel plutôt qu'aux enchantemens ; niais le patient fut satisfait et se crut lui-même parfaitement guéri. Lorsque Bou-Roung , jeune naturelle , vivait à Sydney, elle faisait souvent des courses vers le fond de la baie : un jour elle en revint très-mal à son aise , sans aucun symptôme apparent. Interrogée sur la cause de sa maladie, elle déclara qu'une femme kemmiraï avait uriné dans un sentier où elle devait passer, et attribua l'origine de son mal à ce maléfice. Ces femmes étaient d'une tribu ennemie de la sienne , car elle ap- partenait à celle de Botany-Bay, et quand Bou-Roung leur annonça qu'elle était très-malade , elles se vantè- rent avec orgueil de ce qu'elles avaient fait. Cependant, l'effet de cette idée bizarre fut telle sur l'imagination affaiblie de Bou-Roung qu'elle ne se rétablissait point, bien que M. White l'eût saignée. Le mal causé par cette superstition ne put être vaincu que par une su- perstition aussi ridicule qui fit plus souffrir l'opéra- teur que la patiente. On la fit asseoir par terre, sa tête fut ceinte par un de ces cordons que les hommes avaient portés autour de la leur ; on eut soin de placer le nœud au milieu du front , puis une autre fille en prit le bout qu'elle frotta contre ses lèvres pour les écorcher jusqu'à ce qu'elles vinssent à saigner. Celle- ci se mit alors à rejeter le sang qui en découlait en abondance dans de l'eau placée près d'elle , et la pau- vre Bou-Roung crut tout simplement que ce sang sortait de sa tète, et que le cordon le conduisait dans la bouche de l'autre. Cette opération se nomme bi- annaï, et est du ressort particulier des femmes. DE LASTKOLAIJE. ,t,; L'équipage de quelqu'un des eanots de la colonie , retenu au fond du porl par le vent, eut lieu de con- naître un autre genre de superstition. Les matelots avaient ramasse quelques coquillages, et se prépa- raient à les faire rôtir de nuit, quand un naturel qui les observait secoua la tète et s'écria que le vent qu'ils attendaient ne viendrait point s'ils faisaient cuire leurs poissons. Son argument n'empêcha point les matelots de faire leur régal, et le vent étant réel- lement resté contraire, ceux-ci à leur tour donnèrent un exemple de leur propre superstition en maltraitant le naturel , et lui attribuant le mauvais vent qui les ar- rêtait. Quand on questionna le sauvage sur cet inci- dent, on apprit qu'ils ne faisaient jamais rôtir leur poisson durant la nuit. Ces sauvages racontent aussi l'histoire d'une roche qui tomba et écrasa quelques naturels qui sifflaient au-dessous ; c'est pourquoi c'est une règle invariable pour eux de ne jamais siffler sous un rocher. Ils croient aux esprits , et voici ce que leur cré- dulité en raconte. Lorsque les esprits apparaissent , ils s'avancent doucement, le corps courbé, les bras étendus devant la figure , et saisissent à la gorge la personne qu'ils viennent visiter. Les naturels sont gé- néralement persuadés que celui qui peut dormir près de la tombe d'un mort, peut, en vertu de ce qui lui arrive, être délivré pour le reste de sa vie de toute crainte touchant ces apparitions ; car, durant ce terri- ble sommeil, l'esprit du défunt vient le trouver, le saisit à la gorge, lui ouvre le corps , en relire les en- 464 VOYAGE trailles, les replace ensuite, et referme la plaie. Ils convenaient en même temps que très-peu d'entre eux avaient le courage de s'exposer aux ténèbres delà nuit, à la solennité des tombeaux et à la visite de l'esprit ; aussi ceux qui étaient capables de cet effort devenaient aussitôt kerredais , et. tous ceux qui en exerçaient les fonctions avaient dû passer par ces épreuves. « Ils reconnaissent un bon esprit qu'ils nomment Koyan, et un mauvais esprit qu'ils appellent Po- toyan. Le premier passe pour veiller sur eux , pour les proléger contre les pièges du dernier, et les aider à recouvrer les enfans que l'autre surprend pour les dévorer. D'abord ils se rendent Koyan favorable par une offrande de lances , puis ils se mettent à la re- cherche de l'enfant perdu ; s'ils le retrouvent , ils en savent gré à Koyan ; mais si le contraire arrive, ils en concluent que quelque chose leur a mérité sa disgrâce. Potoyan rôde pendant la nuit pour chercher sa proie, mais la vue du feu le repousse et est une sauvegarde contre ses attaques : voilà pourquoi on ne rencontre jamais les naturelsmarchantdurantlanuit, ni dormant, sans un feu près d'eux. Les naturels de Sydney font de grands feux , et dorment à l'entour, mais ceux de l'intérieur n'en font que de très-petits. » On peut provoquer Potoyan en l'interpellant et tournant rapidement autour de sa tête un bâton brû- lant. D'ordinaire il annonce son approche par un sif- flement bas et prolongé , semblable à celui de la brise résonnant au travers des branches d'un arbre : c'est bien certainement alors le sifflement de Potoyan. Un DE L'ASTROLABE. 465 habitant de Norfolk profita un jour de eette idée pour débarrasser sa galerie d'un groupe de ces croyans dans le pouvoir de Potoyan ; ils s'y étaient réunis pour passer la nuit, mais le roulement perpétuel et discor- dant de leurs langues ne permettait pas à leur hôte de fermer les yeux. Ne voyant aucune apparence que cela finît, il ouvrit la fenêtre tout doucement, et poussa le merveilleux sifflet de Potoyan. Un chuchot- lement bas et confus se fit d'abord entendre , et fut suivi d'un silence mortel : ceci annonçait que toutes les oreilles étaient aux aguets. Bientôt le sifflement ayant recommencé , ils se levèrent en sursaut , et dé- campèrent tous delà manière la plus leste, bien réso- lus à ne plus faire leur chambre à coucher de cette même galerie. » (Cunningham, frc'dit., t. 2, p. 36.) Je tiens de la complaisance de M. Cunningham, botaniste à Sydney, la note suivante touchant deux cires qu'il regarde comme tout-à-fait chimériques , et qui n'ont d'existence que dans l'imagination des indi- gènes , surtout de ceux qui habitent les environs de Bathurst , savoir : Dans l'eau , le JVar-wi, monstre amphibie qu'ils décrivent comme un crocodile pour la longueur, et qu'ils disent habiter les rivières d'eau douce, d'où il sort quand il lui plaît, pour se saisir des enfans, et qui retourne ensuite sous l'eau pour les dévorer. Sur terre, le Coapir, monstre à forme humaine, qui habite les cavernes des collines rocailleuses. Il a le pouvoir de se saisir des noirs, mais laisse passer les blancs sans leur faire de mal. 466 VOYAGE Ils attachent beaucoup d'importance à l'aspect d'un météore. Le tonnerre et les éclairs leur causent aussi une grande frayeur, mais ils pensent qu'en chantant certaines paroles , et respirant avec force, ils peuvent les faire cesser. MALADIES. Les naturels qui vivent sur la côte, et surtout ceux qui se nourrissent particulièrement de pois- son , sont sujets à un mal très-voisin de la gale, qu'ils nomment djiball-djiball, et qui devient quel- quefois général. En 1791 il fît tant de ravages que plusieurs de ceux qui venaient à l'établissement se trouvaient dans l'état le plus dégoûtant , et tous étaient attaqués du mal à un degré plus ou moins fort *. En 1 789 , une maladie sévit parmi eux avec tous les symptômes de la petite- vérole. D'après leurs propres récits, elle fit périr un nombre incroyable de person- nes. À ce triste spectacle , un naturel qui résidait alors à Sydney, et qui était allé visiter ses anciens compa- gnons , fut représenté par ceux qui l'accompagnèrent, comme livré aux émotions les plus déchirantes. Il par- courait avec anxiété les diverses grottes qu'ils avaient coutume de fréquenter. Le sable n'offrait pas une seule empreinte de pas humains ; les excavations des rochers * Barrington et Collins parlent ici de cette sorte de lèpre si commune chez toutes les races océaniennes, et surtout chez celles de couleur plus ou moins foncée. DE L'ASTROLABE. it,7 étaient remplies des corps putréfiés des malheureuses victimes de la maladie ; pas un être vivant ne s'offrait à ses recherches. 11 semblait qu'en fuyant la contagion, les naturels n'eussent laissé que des morts pour en- terrer les morts. Le pauvre sauvage leva ses mains et ses yeux vers le ciel dans un silence voisin de l'agonie, et à la fin s'écria : « Tous morts , tous morts ! » puis il laissa retomber sa tète en gardant un profond silence pendant tout le reste de son excursion. Quelquesjours après il apprit que le petit nombre de ceux qui avaient survécu à cet affreux fléau s'étaient enfuis vers le haut de la baie pour en éviter la fureur. Il succomba bien- tôt lui-même victime de son humanité, en prodiguant ses soins à ceux de ses compatriotes qui avaient été recueillis dans la ville. Le mal ne borna point ses effets aux environs de Port-Jackson, car en visitant Broken-Bay on vit en plusieurs endroits le chemin couvert de squelettes , et le même spectacle se repré- senta dans les cavités de la plupart des rochers de cette baie. Quoique la ville de Sydney fût alors remplie d'en- fans dont plusieurs visitaient souvent les naturels qui étaient atteints de cette maladie, aucun n'en fut atta- qué qu'un Indien de l'Amérique septentrionale , ap- partenant au brik le Suppbj, qui mourut. Les naturels donnèrent à ce mal le nom de gai- gala ; on ne peut guère douter que ce ne fût la petite- vérole, car les personnes qui en étaient saisies of- fraient tout-à-fait les mêmes symptômes que les Euro- péens qui ont cette maladie; plusieurs de ceux qui 468 VOYAGE échappèrent en conservèrent des traces , et quelques- uns même les marques sur la figure. Pour se guérir du mal de ventre , jadis ils s'échauf- faient la main de leur haleine et l'appliquaient contre cet endroit du corps en chantant une chanson propre à la circonstance. Ils appliquaient aussi la bouche contre la partie malade, s'arrêtant souvent pour souffler, et s'interrompant quelquefois pour faire un bruit semblable à celui d'un chien qui aboie. Depuis l'arrivée des Anglais , ceux-ci leur ont appris l'usage de la rhubarbe qui leur épargne celte peine. Quand ils éprouvent quelque douleur sur une partie du corps, ils font une ligature très-serrée au- tour de cet endroit, et diminuent ainsi l'intensité du mal en arrêtant la circulation du sang. En général ils se rétablissent très-promptement de leurs blessures ; une fracture au crâne ne les arrête même que fort peu de temps. On ne doit guère s'étonner qu'ils reçoi- vent autant de fractures au crâne, quand on saura qu'ils ne visent qu'à la tête avec leurs massues. Les femmes qui sont frappées de cette arme tombent tou- jours par terre , mais cela arrive rarement aux hommes. Leurs communications avec les Européens leur ont fait connaître les maladies vénériennes qui font sou- vent encore de grands ravages chez eux et les rédui- sent quelquefois à l'état le plus pitoyable. DE L'ASTROLABE. lfiî) PROPRIETES. Elles se bornent à leurs lances, boucliers, casse- tètes cl instrumens de pèche , etc. ; ce sont eux- mêmes qui fabriquent ces divers objets qui consti- tuent tout leur véritable avoir. Cependant, quelque étrange que cela paraisse, ils ont aussi quelquefois un véritable domaine. Benilong répétait fort souvent que file Mcmel (connue des Anglais sous le nom de Goat-Island) , près Sydney-Cove , était sa propriété particulière , quelle avait été celle de son père et qu'il la donnerait à Baï-gôn, son ami intime et son fidèle compagnon. Il semblait tenir beaucoup à ce petit coin de terre , et nommait divers individus qui possédaient également des propriétés héréditaires de ce genre sans aucune opposition. DISPOSITIONS. Il serait bien difficile d'assigner à ces bizarres humains un caractère national, vu qu'ils réunissent les dispositions les plus disparates. L'Australien est tout à la fois cruel et généreux, égoïste et libéral, avide de vengeance et prompt à pardonner, jaloux et confiant, courageux et lâche, sincère et dissimulé. Leur ardeur à se venger par la mort de leur ennemi, aussi bien que la manière barbare dont les hommes traitent les femmes , doit les faire détester des nations civilisées; cependant ils montrent de la constance à TOME r. 3l 470 VOYAGE souffrir la douleur et du courage à combattre seul à seul ou en troupe. Bien instruits du mensonge et de ses effets , ils tachent de vous convaincre que tout ce qu'ils disent est la vérité, et qu'au contraire tout ce que vous entendez d'autre part est faux. L'amitié et les cha- grins ne leur sont pas étrangers , mais ces sentimens ne sont jamais durables. Aux funérailles d'un jeune naturel , on a vu la figure noircie de son père se couvrir de larmes abondantes et silencieuses ; mais quelques momens après , elle était sèche et ne conser- vait que les rides de la vieillesse. Le soin même de leur propre existence ne va jamais au-delà du moment présent, et pour eux il n'est point de lendemain. Ils mangent et s'endorment; ils s'é- veillent et cherchent leur nourriture ; voilà leur vie. Cependant, il n'est pas rare de voir les femmes, assises dans leurs pirogues durant des heures entières à l'ardeur du soleil, chantant leur petite chanson, et occupées à pêcher ; tandis que leurs maris , étendus près d'elles à quelque distance , dorment tout à leur aise; car si elles ne pouvaient leur fournir au réveil de quoi satisfaire leur appétit, elles risqueraient fort d'être cruellement maltraitées. L'air soumis avec lequel ils abordent ceux qu'ils rencontrent armés , ferait croire à ceux-ci qu'ils n'ont à faire qu'à des amis ; mais il en est tout autrement si l'on se trouve sans armes , car on court grand risque d'être attaqué. Ils ont quelques notions légères d'astronomie, mais DE L'ASTROLABE. ,Tl aucune de la forme de la terre ; ils croient que durant la nuit le soleil revient au point d'où il était parti le malin précédent. Le respect qu'ils témoignent à la vieillesse, quelle qu'en soit la cause , leur fait beaucoup d'honneur, et ils le poussent au plus haut degré, si celui qui en est l'objet est aveugle ; car, dans ce cas , on ne permet à personne de se tenir devant lui, et, quand il est dans une pirogue, celui qui rame est obligé de se tenir derrière lui. HABILLEMENT. Les femmes, dans le jeune âge, portent un petit tablier de peau d'opossum ou de kangarou , coupé en lanières et pendant de quelques pouces au-dessous de la ceinture. Elles le gardent jusqu'à ce qu'elles soient nubiles et enlevées par un homme ; alors elles le quittent. Il est singulier que des parens qui trouvent convenable de couvrir leurs enfans de ce léger vête- ment , les laissent ensuite aller dans le pur état de nature , en leur donnant eux-mêmes l'exemple d'une nudité complète. Les hommes et les femmes portent rarement aucun vêtement, et, bien qu'on leur en ait souvent donné, ils ont fini toujours par les abandonner. Quelques- nos seulement, habitués à vivre avec les Anglais, s. couvrent de guenilles ou se ceignent le corps d'un morceau d'étoffe qui dérobe h peine leur nudité. 3i* 472 VOYAGE Les hommes se brûlent souvent la barbe , opération qu'ils regardent comme fort douloureuse. FUNERAILLES. La première chose à remarquer dans ces cérémo- nies est la manière dont ils disposent de leurs morts ; ils enterrent les jeunes gens , ils brûlent les individus qui ont passé l'âge moyen de l'homme. Benilong brûla le corps de sa première femme, Barang-Arou, qui , à l'époque de sa mort, avait plus de cinquante ans. L'en- terrement de Balouderrai , jeune garçon dont nous avons déjà parlé, fut accompagné de plusieurs cérémo- nies. Un jour, après avoir joui d'une santé robuste, il se trouva extrêmement mal ; sur-le-champ on le trans- porta à l'hôpital , où il reçut les soins de Benilong qui se mit à chanter près du malade et à mettre en prati- que tous les moyens que l'ignorance et la superstition purent lui suggérer. Le patient était étendu par terre, en proie à de violentes douleurs. Benilong appliqua sa bouche contre les diverses parties du corps qu'il crut affectées par la maladie , en soufflant fortement dessus et en chantant. D'autres fois il balançait sur le lit de Ba- louderrai des branches trempées dans l'eau, et en tenant une de chaque main , il semblait apporter un grand recueillement à cette pratique. Le matin suivant, le malade fut visité par un kerredai venu tout exprès de la côte du nord. Cet homme exécuta diverses con- torsions, appliqua sa bouche à diverses parties du corps du malade-, à la fin, après avoir souffert en DE L'ASTROLABE. 473 apparence de grandes douleurs et après beaucoup d'ef- forts , il cracha un morceau d'os qu'il s'était procuré d'avance. Là finit la farce, et le kerredai se retira alors pour se régaler des mets que lui avaient donnés les amis du patient. Durant la nuit, la fièvre de Baloudcrrai augmenta, et, le jour suivant, de bonne heure, il expira. Sa mort fut bientôt annoncée par de grands cris poussés par les femmes et les en fans ; Benilong s'étant rendu au gouvernement , il fut convenu entre lui et le gouverneur que le corps serait enterré dans le jardin de celui-ci. Dans l'après-midi , on le déposa dans une hutte près du lieu destiné pour l'inhumer. Plusieurs natu- rels australiens, les femmes et les enfans, se lamen- taient et poussaient des cris aigus , quand tout-à-coup , sans aucune provocation , deux hommes s'attaquèrent à coups de casse-tête ; en même temps quelques coups furent échangés entre les femmes ; il y eut aussi quelques zagaics lancées , mais évidemment comme une simple formalité de la cérémonie et sans intention de faire mal à personne. A la requête de Benilong, une couverture fut étendue sur le cadavre , et Kol-bi , son ami, resta assis près du corps toute la nuit, sans que rien pût l'engager à s'en éloigner. Ils gardèrent le silence jusqu'à une heure du matin, où les femmes commencèrent à crier, et cela dura quelque temps. Au point du jour, Benilong apporta sa pirogue , et l'ayant coupée de la longueur conve- nable , le corps y fut placé , avec une lance , un harpon , un bâton pour jeter la lance , et une ligne 474 VOYAGE que Balouderrai avait à sa ceinture. Durant tous ces préparatifs , les hommes restèrent silencieux , mais les femmes, les jeunes gens et les enfans poussaient les cris les plus lamentables. Le père était debout, à l'écart , sans occupation et silencieux observateur de ce qui se passait près du corps de son fils ; parfaite image de la douleur profonde et sans affectation. Quand tout fut prêt , les hommes et les jeunes gens aidèrent tous à soulever de terre le corps avec la piro- gue et à les placer sur la tête de deux naturels. Quel- ques-uns des assistans portaient dans les mains des touffes d'herbes qu'ils agitaient en avant et en arrière au-dessus de la pirogue, tandis qu'on la levait de terre , comme s'ils eussent voulu exorciser quelque malin esprit. Aussitôt qu'elle fut placée sur la tête des porteurs, ils se mirent en marche, précédés par Be- nilong et un autre homme , tous deux marchant d'un pas précipité. Maugo-Ran, le père du mort, les suivait armé de sa lance et du womerra , tandis que Beni- long et son compagnon ne portaient que des touffes d'herbes qu'ils agitaient en marchant, tantôt en se retournant et faisant face au cadavre , et tantôt en les secouant au travers des broussailles. Quand ils faisaient face au corps , dont la tête était en avant , les porteurs faisaient un mouvement avec leurs têtes d'un côté à l'autre, comme s'ils eussent voulu éviter les re- gards de ceux qui se trouvaient devant eux. Après s'être avancé ainsi à une petite distance, le compa- gnon de Benilong se détourna un peu du chemin , s'enfonça dans le bois , et sembla regarder avec beau- DE L'ASTROLABE. 475 coup d'attention, comme s'il cherchait quelque chose qu'il ne pouvait trouver, et ne cessa d'agiter les touffes d'herbes qu'il portait dans chaque main. Après cette inutile recherche, tous revinrent sur leurs pas, et marchèrent un peu plus vite qu'auparavant. En se rapprochant du terrain où les femmes et les enfans étaient assis avec les autres hommes, Maugo-Ran envoya deux lances sur eux , mais évidemment de manière à ne pas les atteindre. Ici Benilong prit son enfant, la petite Dilboung, dans ses bras, et la pré- senta au cadavre, tandis que les porteurs cherchaient à éviter sa vue, comme on l'a déjà dit. Bidiai-Bidiai , frère du défunt, petit garçon de cinq ans, fut alors appelé; il vint avec une répugnance très-visible et fut présenté de la même manière que l'autre enfant. Ensuite ils s'avancèrent vers la tombe, qui avait été préparée dans le jardin du gouverneur. Onrelevadeux fois le porteur qui marchait en avant ; mais l'ami du mort, Kol-bi, le porta durant toute la roule. Yellou-wai aplanit le fond de la fosse , et y sema de l'herbe ; ensuite il s'y étendit lui-même tout de son long , couché d'abord sur le dos , puis sur le côté droit. A la prière de Benilong , quelques tambours s'étaient rendus à cette cérémonie; ils battirent deux ou trois marches , tandis qu'on préparait la tombe. Cela lui lit beaucoup de plaisir cl parfois il montra le mort, puis le ciel, comme s'il voulait indiquer qu'en ce mo- ment il se trouvait quelque rapport entre ces deux objets. En déposant le corps dans la fosse, on eut grand soin de le placer de manière que le soleil dans 476 VOYAGE son cours pût donner dessus , et dans ce but les natu- rels ne manquèrent pas de couper tous les arbustes qui auraient pu s'opposer au passage des rayons de l'astre. On plaça le mort sur le côté droit , la tète vers le nord-ouest. La tombe recouverte de terre, on ran- gea plusieurs branches d'arbustes en demi-cercle du côté du sud, en les étendant des pieds à la tète. Des branches et de l'herbe furent aussi étendues sur la tète de la tombe et recouvertes par une large planche. Ce morceau de bois semblait jouer un certain rôle dans la cérémonie ; car après avoir tapissé la tombe d'herbe, celui qui l'avait mis en place s'y étendit lui-même de toute sa longueur, la figure tournée vers le ciel. Tout étant fini , la troupe se relira après que les hommes eurent d'abord parlé d'un ton menaçant aux femmes. Kol-bi et Watti-Wal , qui avaient été les principaux acteurs de cette cérémonie, furent peints en rouge et en blanc sur la poitrine et les épaules , et distingués par le titre de moubaX; on apprit que cet honneur leur imposait le devoir d'être très-réservés dans leurs alimens. On défendit aux spectateurs de mentionner sous aucun prétexte le nom du défunt ; c'est une coutume observée rigoureusement par les naturels toutes les fois qu'il meurt quelqu'un d'entre eux. Telles furent les cérémonies qui eurent lieu à l'en- terrement de Balouderrai. Quand Barang-Àrou Da- ringha, femme de Benilong, mourut, celui-ci se dé- termina à la brûler, et pria le gouverneur, le juge- avocat et le chirurgien d'assister à cet acte religieux. DE L'ASTROLABE. 477 Benilong fut accompagné par ses parens et un petit nombre d'autres naturels, pour la plupart des femmes. Le naturel Collins prépara l'endroit où Ton devait élever le bûcher en creusant la terre avec un bâton , h la profondeur de trois ou quatre pouces ; sur l'es- pace ainsi creusé on plaça d'abord de petits bàlons et de légères broussailles; puis on rangea sur les côtés de plus gros morceaux de bois : le bûcher pou- vait avoir ainsi environ trois pieds de haut , ayant les bouts et les cotés formés de pièces de bois sec , tan- dis cpie le milieu n'était composé que de broussailles et de branches rompues exprès et entassées. Quand on eut fini d'arranger le bois , on répandit un peu d'herbe sur le bûcher , puis on y plaça le cadavre couvert d'une vieille couverture qui servait à cette pauvre femme, et la tète fut tournée vers le nord. Une corbeille avec les instrumens de pèche et d'au- tres petits ustensiles de la défunte furent disposés à ses côtés, etBenilong ayant placé quelques gros mor- ceaux de bois sur le corps , quelqu'un de la troupe mit le feu au bûcher. Comme il était construit en bois sec, il fut bientôt enflammé, et Benilong lui-même fit observer à ses amis de Sydney une fumée noire qui s'élevait du centre du bûcher où reposait le corps et qui annonçait que le feu l'avait atteint. Le terrain fut abandonné long-temps avant que la dernière bûche fût consumée, et Benilong parut tout le jour plus joyeux qu'on n'aurait pu s'y attendre; il parla de cher- cher une nourrice parmi les Anglaises de la colonie pour allaiter son enfant. 178 VOYAGE Le jour suivant il invita les mêmes personnes à le voir recueillir les cendres de sa femme; elles l'ac- compagnèrent au terrain en question où il se rendit seul et sans suite. Là il se tint à la tète de ses com- pagnons dans une sorte de silence solennel et sans parler à personne jusqu'au moment où il eut rempli envers Barang-Arou les derniers devoirs d'un mari. Il avait à la main la lance avec laquelle il se propo- sait de punir le kerredai qui n'était point venu près de sa femme quand elle se trouva mal, et c'est avec la pointe de cette arme qu'il ramassa en un monceau les cendres et les os calcinés. Alors, déposant sa lance par terre , avec un morceau d'écorce il dressa un tu- mulus qui eût fait honneur au plus habile fossoyeur, arrondissant avec soin la terre, aplanissant les moin- dres inégalités et portant une attention scrupuleuse à donner à celte sorte de monument une forme régu- lière. De chaque côté de la tombe il plaça un morceau de bois, et sur le sommet le morceau d'écorce qui lui avait servi à l'élever. Le travail achevé , il demanda à ses amis si c'était bien, et parut satisfait de leur ré- ponse affirmative. Dans cette circonstance son maintien fut mâle et solennel, et un silence expressif caractérisa sa con- duite pendant toute la durée de cette scène. Les An- glais gardèrent le même silence et l'observaient avec beaucoup d'attention. Rien ne put le distraire de la cérémonie à laquelle il était livré tout entier ; il ne parut pas avoir le moindre désir de la finir plus vite , mais il l'accomplit dans tous ses détails avec un re- DE L'ASTROLABE. fc?| cueillenient qui faisait honneur k ses sentimens comme homme; car ce recueillement semblait être l'effet et la preuve d'une affection sincère pour l'objel dont il ne restait plus rien qu'un ou deux fragmens d'os calcinés. Quand son triste ouvrage fut terminé , il resta quelques momens debout devant cette tombe, les mains jointes sur sa poitrine et dans l'attitude d'un homme profondément livré à ses pensées. Pour se conformer à la coutume de ne point pro- noncer le nom des morts, deux femmes nommées Barang-Arou le quittèrent pour en prendre d'autres ; l'une d'elles, la femme de Kol-bi, ne survécut à celle de Benilong que fort peu de temps , et mourut d'une consomption qu'elle gagna en nourrissant une petite fille qu'elle avait au sein à celle époque. Cet événe- ment fil connaître une coutume curieuse mais hor- rible en usage chez ces peuples. La mère mourut dans la ville, et quand on la conduisit au tombeau , son cadavre fut présenté devant la porte de chacune des maisons et des cases où elle avait eu coutume d'entrer durant les derniers jours de sa maladie ; ses porteurs observaient les mêmes cérémonies que celles que nous avions vues aux funérailles de Balouderrai, quand la petite Dilboung et le petit Bidiai-Bidiai furent placés devant son cadavre. Le corps descendu dans la tombe, les spectateurs furent bien surpris de voir le père lui-même placer l'enfant vivant avec la mère. Immédiatement après il jeta dessus une grosse pierre, et la tombe fut à l'instant remplie de terre par les naturels. Cette opération se fit en si peu de temps 480 VOYAGE que les Européens présens n'eurent ni le temps , ni la présence d'esprit nécessaires pour l'empêcher. Lors- qu'on en parla à Koi-bi , au lieu de la trouver inhu- maine, il la justifia en disant que comme il n'aurait pu trouver personne pour nourrir l'enfant, celui-ci aurait péri d'une mort bien plus cruelle que celle qu'on lui avait fait subir. Ces exemples s'étant renouvelés par la suite , on doit penser que ce sacrifice des enfans est une coutume générale chez eux ; du reste on évite ce malheur si l'on peut trouver une nourrice, ou si quel- qu'un s'engage à devenir le père de l'enfant , quand bien même le véritable père serait vivant. LANGAGE. Leur langage est très-agréable à l'oreille , car il est en plusieurs circonstances expressif et sonore ; il n'a certainement nulle analogie avec aucune des langues connues , deux ou trois mots seuls exceptés. Le dia- lecte que parlent les naturels de Sydney non-seule- ment diffère complètement de celui que le capitaine Cook trouva chez les peuples du nord sur les bords de la rivière Endeavour , mais même de celui qui est usité par ceux qui habitent Port-Stephen et par les ha- bitans du sud de Botany-Bay, même par ceux des bords de l'Hawkesbury. On a vu des sauvages du nord qui ne pouvaient nullement se faire comprendre par ceux de Sydney ; mais ce fait n'est pas si surprenant que de voir des peuples éloignés de cinquante ou soixante DE L'ASTROLABE. 481 milles seulement donner des noms différens au soleil et à la lune. Deux hommes de la même tribu prononcent sou- vent le même mot d'une manière différente; les lettres b et/?, g et c particulièrement, sont souvent em- ployées Tune pour l'autre. Leur alphabet ne reconnaît ni s ni v, et quelques-uns de leurs sons exigeraient des caractères particuliers pour les rendre avec plus de précision. Après avoir lu tout ce qui précède, on ne peut s'em- pêcher de convenir de la justesse de l'observation que faisait déjà Collins il y a plus de vingt-cinq ans. «Lors- qu'on a mieux connu les habitudes barbares et les coutumes inhumaines des indigènes de la Nouvelle- Galles du Sud , on a cessé de s'étonner de la faiblesse de leur population. Plusieurs causes contribuent à cet état de choses : la guerre continuelle dans laquelle ils vivent, la façon brutale dont ils traitent leurs femmes , l'horrible et cruelle coutume qu'elles ont de se faire avorter en se faisant fouler le ventre pour écraser l'en- fant, ce qui cause souvent aussi la mort de la mère. Les femmes ont recours à cette opération pour éviter l'ennui de porter leur enfant, et ils la nomment Mibra. La coutume d'enterrer l'enfant avec sa mère , quand il est à la mamelle, lorsqu'elle vient à mourir, est en- core un motif de plus pour empêcher la population de s'accroître. (Collins, p. 451.) Dans les premiers mois de l'année 1 826, et surtout 482 VOYAGE en avril et mai , les naturels de l'intérieur, particuliè- rement du pays d'Argyle , se portèrent souvent à des actes hostiles envers les cultivateurs et les bergers ; ils commirent même quelques meurtres. A cette occa- sion un habitant de la colonie inséra dans le Monitov un article où il affirmait que toutes les mesures de dou- ceur qu'on emploierait vis-à-vis des naturels seraient inutiles et même funestes : qu'en conséquence il fallait avoir recours de suite à des mesures de rigueur pour les épouvanter et arrêter leurs excès. Le rédacteur du Monitor répondit à ces conseils par l'article suivant. (2 juin 1826, n. 37.) « Nous avons inséré une lettre d'un de nos corres- pondans, touchant la conduite à observer à l'égard des indigènes dans les temps d'hostilité , parce que nous aimons les avis, même quand nous croyons la thèse erronée et la conclusion plus que douteuse. Nous sommes d'accord avec l'auteur sur la partie de sa note qui décrit le caractère et les habitudes politi- ques (si toutefois on peut accorder cette épithète à leurs notions confuses d'obéissance politique) des na- turels d'Argyle, ainsi que de ceux de Bathurst, de Hunter's-River et de Cow-Pastures. Au reste, le moyen péremptoire qu'il indique nous déplaît extrê- mement. A l'égard de ceux qui ont à l'employer, il peut être admirablement expéditif et commode, mais sa nature tient de trop près au pouvoir absolu pour nous convenir. Nous sommes , au contraire , pour la modération , la magnanimité et l'oubli, précisément Dl< L'ASTROLABE. |$| dans le même rapport que notre pouvoir dépasse celui de ces pauvres noirs , peuple généralement innocent, simple et d'un bon naturel, peuple dont nous avons occupé le territoire sans prendre même la peine de dire aux possesseurs: Av13 jour. Noire bande se composait de dix hommes, huit à neu flemmes et quatorze enfans, le roi, son fils et moi. Tous les hommes portaient leurs filets de pèche et leurs lances, les femmes étaient chargées de poisson, de racine de fougère , etc. Tous en outre , femmes comme hommes, étaient armés de lances et de haches en bois. Le troisième matin nous fîmes halte, et tous les hommes allèrent à la pèche : elle fut très-heureuse; après un bon repas ils commencèrent à se peindre et à s'orner de plumes. Le chef lui-même commença à me couvrir entièrement de cire et de charbon; quand ils eurent tous fini leur toilette, nous nous mîmes en marche, et en peu de temps nous arrivâmes près d'un grand nombre de huttes élevées pour cette circons- tance. Elles étaient si nombreuses que j'eus de la peine à les compter; chaque tribu (car plusieurs s étaient rassemblées pour assister au combat) semblait avoir construit les siennes en groupes isolés et séparés les uns des autres. A peu de distance de cette station notre bande s'arrêta. Aussitôt qu'on nous eut aperçus, la foule assemblée poussa de grands cris, et peu après nos compagnons furent visités par plusieurs de leurs amis. Ceux-ci se réunirent aux nôtres pour pousser de profondes lamentations , et toute la troupe se mit à gémir tristement. Peu de minutes après, le chef de la tribu sur le terrain de laquelle nous nous trouvions vint à nous ; après avoir causé quelque temps avec notre chef, il nous désigna la position où nous devions bâtir nos cabanes. » Les femmes de notre tribu commencèrent ce Ira- 514 VOYAGE vail ; en moins de deux heures elles eurent terminé cinq ou six huttes assez commodes , sous lesquelles nous nous reposâmes durant cette nuit. Le jour sui- vant , de bon matin , une troupe considérable , dont se trouvaient notre chef et ses hommes , partit pour la chasse du kangarou. Elle ne fut pas très-heureuse, car ils ne purent attraper qu'un kangarou d'une grande taille ; cependant ils eurent soin de m'en envoyer un bon morceau de derrière, qui me procura un excellent repas. Je dois observer qu'ici comme en toute autre oc- casion , ils eurent constamment l'attention , soit qu'ils eussent peu ou beaucoup pour eux-mêmes , tant en poisson , kangarou ou toute autre chose , de me donner de leurs provisions autant que j'en pouvais manger. Le même soir, au soleil couchant , tous les hommes de la troupe, munis chacun d'un tison allumé, se rendirent à un mille et demi de distance environ, à l'endroit où le combat devait avoir lieu le jour suivant. Le chef me laissa dans sa cabane avec sa femme et ses deux enfans, et je ne tardai pas à m'y endormir. Du reste , il revint quelque temps après dans la nuit, car je le trouvai cou- ché près de moi en m'éveillant le lendemain matin. Après le déjeuner, la cérémonie de se peindre et de se décorer fut entièrement renouvelée. Les préparatifs achevés , nous marchâmes en ordre régulier ; notre tribu avait été jointe par plusieurs étrangers , qui semblaient tous enchantés de nous tenir compagnie. Nous nous trouvâmes bientôt sur une étendue de terrain uni , où l'on avait préparé un espace circulaire de quarante pieds de diamètre sur trois environ de DE L'ASTROLABE. 515 profondeur. Les deux partis ennemis se placèrent aux côtés opposés ; tous ensemble pouvaient monter à cinq ou six cents personnes. Alors on me laissa sous la surveillance de la femme du chef, à peu de distance de la lice ; mais, poussé par l'envie demieux voir lecombat, je m'en rapprochai malgré les efforts de ma gardienne. Néanmoins elle me suivit en pleurant et criant après moi; alors un des hommes de notre tribu vint à moi et me conduisit vers l'arène. Là je vis une de nos femmes combattant contre celle d'une tribu étrangère avec des haches en bois et à toute outrance. Ces haches sont des bâtons d'environ trente pouces de longueur, ter- mines à l'une des extrémités par un bouton épais et. pesant. Le combat ne lut pas long , car les deux adver- saires semblaient y déployer tout leur acharnement; en cinq minutes environ, leurs tètes , leurs bras et leurs gorges, furent déchirés et meurtris d'une manière affreuse, et la femme de notre parti déclarée vic- torieuse , l'autre ne pouvant plus lui résister. La vic- toire fut annoncée par un grand cri que tout le monde poussa , et les deux amazones sortirent sur-le-champ de la lice , emmenées par leurs amis respectifs. La femme du chef revint encore vers moi et tâcha , par tous les moyens qui étaient en son pouvoir , de me faire retirer ; mais voyant que je persistais dans ma réso- lution, elle alla trouver son mari qui vint aussitôt à moi, et me retirant ma lance, me força de sortir de l'assem- blée. Alors il appela plusieurs autres chefs et me mon- tra à eux. Ils causèrent long-temps, parlant et riant ensemble) très-surpris apparemment de ma couleur cl 516 VOYAGE de ma tournure. Notre chef leur parla ensuite assez long- temps , leur demandant évidemment de ne pas me faire de mal , ce qu'ils s'empressèrent aussitôt de promettre par leurs signes. Puis on me remit encore à la femme du chef, qui me ramena à l'endroit où l'on m'avait laissé la première fois avec elle. De là cepen- dant je pus avoir une vue complète du cercle autour duquel la foule était assemblée. » Il me parut que , tandis que je me trouvais avec les chefs , un autre combat s'était engagé ; car je vis un homme emporté par ses amis , qui appartenait à la tribu que j'avais suivie; le sang coulait en abondance de son côté , où il venait de recevoir un coup de lance. Il fut apporté à l'endroit où je me trouvais et placé sur les genoux de deux hommes , avec quelques peaux de kangarous étendues sur lui. Les hommes, les femmes et les enfans criaient et se lamentaient à la manière du bas peuple d'Irlande. De temps en temps, on le lavait copieusement avec de l'eau ; mais la bles- sure était évidemment mortelle , aussi en moins d'une heure il expira. » La femme du chef m'emmena alors à une petite distance du cadavre ; le reste de la tribu se mit tout de suite aie dépouiller ; mais à la distance où j'étais, je ne pus voir de quelle manière ils s'y prirent. En même temps, deux autres hommes venaient d'entrer dans l'arène pour combattre. (Ici je ne dois pas négliger de remarquer qu'avant chaque combat on observait toujours la même pratique qu'a décrite Pamphlet dans celui dont il fut témoin. ) Le troisième combat allait DE L'ASTROLABE. ôl 7 commencer, tandis que les nôtres s'occupaient à dé- pouiller leur compagnon décédé , lorsqu'un épouvan- table cri annonça qu'un incident imprévu venait d'avoir lieu dans l'arène. En effet, ainsi que je l'appris plus tard, les spectateurs s'aperçurent qu'une per- fidie avait eu lieu entre les deux champions , mais je ne pus jamais me faire expliquer en quoi elle avait consisté. » Sur-le-champ l'assemblée quitta l'arène , et notre troupe, suivie de ceux qui avaient pris son parti , se forma sur une seule ligne, tandis que de leur part les adversaires en firent autant sur le côté opposé. Le combat devint alors général ; plusieurs ensemble de chaque parti s'avançaient, et, après avoir envoyé leurs lances, se retiraient dans leurs rangs, ainsi que le pratiquent les soldats de l'infanterie légère. D'au- tres couraient derrière des arbres et épiaient, le mo- ment d'envoyer leurs lances d'une manière plus sûre. De cette façon , le combat dura plus de deux heures ; pendant ce temps plusieurs combattans rentrèrent dans leurs rangs grièvement blessés , et un autre homme de notre parti fut tué ; mais je n'eus aucun moyen de m'assurer combien l'ennemi avait eu de morts. Les nôtres commencèrent à plier ; ce mouve- ment ayant été observé par les femmes et les enfans avec lesquels je me trouvais, ils me firent signe de les suivre et décampèrent aussitôt , à l'exception de ceux qui étaient occupés à dépouiller le corps mort. Ne pouvant pas courir aussi vile que les autres, je tombai bientôt au milieu de ceux du parti ennemi, TOME I. 34 518 VOYAGE qui, malgré mes craintes , n'essayèrent point de me faire de mal , et se contentèrent de rire et de me montrer du doigt, en passant à côté de moi , avec les mêmes marques d'étonnement que les chefs avaient données dans la matinée. Je regagnai alors les huttes où nous avions couché les nuits précédentes ; mais je n'y trouvai personne. Je m'assis près du feu. Vers le soir ils commencèrent à rallier , en petit nombre à la fois. Précisément à l'entrée de la nuit, je vis appro- cher un groupe considérable , qui me parut porter les corps des deux hommes qui avaient été tués. Us les déposèrent à vingt verges environ des cabanes et recommencèrent là de grandes lamentations. Le pre- mier cadavre avait été entièrement, dépouillé , mais ils n'avaient pas encore eu le temps d'achever de dé- pouiller l'autre. Je voulus m'en approcher, mais je fus aussitôt repoussé par la troupe entière et contraint de retourner près de mon feu. Peu après notre chef et sa femme revinrent et commencèrent à faire sur- le-champ leurs paquets pour décamper. On alluma deux grands feux , les cadavres y furent déposés , et ne tardèrent pas à être consumés ainsi que j'en pus juger par le bruit et l'odeur désagréable qui me frap- pèrent. Cette opération terminée , toute notre troupe décampa; après avoir marché environ un demi-mille, nous nous arrêtâmes pour la nuit. De très -bonne heure le matin suivant, nous fûmes debout, et toute la journée nous cheminâmes en grande hâte , sans faire halte, ni rien manger. Dans notre troupe se trou- vaient quatre femmes et trois hommes blessés, le der- DE L'ASTROIAKK. 519 nier très-cruellement; néanmoins ils faisaientlousleurs efforts , malgré leurs souffrances , pour se maintenir avec nous. J'avais aussi observé, durant la marche de cette journée , deux hommes dont l'un appartenait à notre tribu et l'autre à une tribu amie , qui portaient chacun un fardeau sur leurs épaules ; ils ne suivaient pas la même trace que nous , mais marchaient dans le bois h une petite distance à l'écart. Curieux de connaî- tre ce qu'ils portaient, plusieurs fois je tentai de m'en approcher, mais je fus constamment repoussé par les autres qui observaient mes mouvemens et nie criaient de ne pas aller près de ces hommes. Durant ce jour nous parcourûmes h peu près huit à dix milles ; le soir nous arrivâmes sur le bord d'un grand marais , où nous fîmes halte; les femmes dressèrent tout de suite des huttes , puis elles s'occupèrent de ramasser de la racine de fougère pour tout le monde ; les hommes ne se mêlent jamais que d'attraper le poisson et le gibier. Je logeais comme de coutume avec le chef; à une pe- tite distance de sa cabane, j'aperçus mes deux hommes qui suspendaient leurs paquets à des branches d'ar- bre, et je tentai encore d'approcher d'eux, mais je fus repoussé comme à l'ordinaire. Nous demeurâmes deux jours en cet endroit ; pendant ce temps un grand feu resta constamment allumé au-dessous des arbres, où étaient suspendus les fardeaux sacrés. Le second jour au soir, j'essayai encore une fois de reconnaître en quoi ils consistaient, bien que je soupçonnasse fort que c'étaient les peaux des deux hommes que nous avions perdus. Le vieux chef, me voyant aller 520 VOYAGE de ce côté, courut après moi en me criant de toute sa force de retourner sur mes pas; mais je tins bon, et je réussis à gagner cet endroit. Je jugeai alors de la vérité de mes conjectures ; les deux peaux étaient étendues chacune sur quatre lances et séchaient à l'action du feu ; la peau de la tête était fendue en deux et pendait vers la terre avec les cheveux qui y tenaient encore. Les plantes des pieds et les pau- mes des mains pendaient aussi avec les doigts qui y tenaient solidement. Au-dessous des peaux, plu- sieurs hommes et femmes étaient assis autour du feu et m'invitèrent alors à m'asseoir avec eux , ce que je fis. Ils me donnèrent des bandelettes de peaux de Kangarou pour m'en orner la tête et les bras , et dé- sirèrent m'entendre chanter pour les amuser; mais leur ayant fait entendre que cela n'était pas conve- nable , tant que les dépouilles de nos amis n'étaient pas ensevelies , ils parurent étonnés et bientôt mon- trèrent par leurs signes qu'ils étaient enchantés de mon refus. Je restai assis avec eux une demi-heure environ ; la femme du chef vint et me ramena dans sa hutte ; peu après, tous les hommes, parés de peaux de kangarou , et un d'entre eux vêtu de la vieille jaquette que je portais sur moi , eurent avec une ou deux des femmes une conférence autour du feu, tous portant un tison allumé dans les mains. Au bout d'une demi-heure de consultation, deux de la bande se détachèrent, et, ayant pris les peaux, s'enfoncèrent à toutes jambes au travers des bois, suivis par tous les autres qui poussaient de grands cris et faisaient beau- DE L'ASTROLABE. >21 coup (le bruit. De ce moment, je ne revis plus les peaux et je ne sais pas ce qu'ils en firent. Au bout de trois quarts-d'heure tous étaient de retour ; celui qui avait pris ma vieille jaquette me la rendit. Le lende- main matin , nous nous remîmes en route et retour- nâmes à Pumice-River par la même route que nous avions suivie pour aller au combat. Ensuite les hom- mes reprirent leurs occupations ordinaires de chasse et de pèche , comme si rien n'était arrivé. » Quant à la possibilité d'amener les naturels de la Nouvelle-Galles du Sud à l'état de civilisation, ou même à une condition moins sauvage , moins errante que celle à laquelle la nature semble les avoir spécia- lement destinés , c'est un espoir auquel les Anglais paraissent avoir totalement renoncé. L'établissement formé pour l'éducation des jeunes indigènes, dû aux vues bienveillantes du gouverneur Macquarie, a été peu à peu négligé et se trouve aujourd'hui complète- ment abandonné. Malgré la multiplication rapide des Européens sur ce sol étranger , cette race bizarre y poursuit sa triste existence à peu près comme au temps où ses membres en étaient les seuls possesseurs. En effet le gouvernement anglais ne les tourmente en aucune manière ; pourvu qu'ils ne se permettent rien contre les lois ou la police de la colonie , on peut as- surer qu'ils jouissent encore d'une liberté pleine et entière. Du reste jaloux de m'appuyer à ce sujet d'un témoignage irrécusable , je priai M. Marsden , chape- lain principal de la colonie où il réside depuis plus de 522 VOYAGE trente années, de me donner en peu de mots son opi- nion sur ces peuples singuliers ; il eut la complai- sance de me remettre quelques jours avant mon dé- part la note suivante qui terminera ce que je m'étais proposé d'écrire à ce sujet. « Les observations suivantes sur la conduite des aborigènes de la Nouvelle-Galles du Sud répandront quelques lumières sur le caractère de cette race ex- traordinaire de sauvages. » Benilong fut le premier naturel admis à la table du feu gouverneur Phillip ; cela eut lieu en l'an- née 1788, peu après la fondation de la colonie. Le gouverneur retourna en Angleterre en 1792 et em- mena Benilong , le garda à Londres avec lui jusqu'en 1795 où le feu amiral Hunter fut nommé chef de la colonie. Lorsqu'il quitta l'Angleterre, Benilong l'ac- compagna à la Nouvelle-Galles du Sud. Après son retour il vivait chez le gouverneur et dînait chaque jour à sa table où il continua durant quelque temps de se comporter de la manière la plus décente. A la fin il quitta tous ses vètemens , renonça aux manières qu'il avait acquises et se retira dans les bois qu'il ne quitta plus jusqu'au jour de sa mort. Je l'ai vu souvent errant dans les forêts dans son ancien état de dégra- dation, volontairement assujetti à toutes les privations et les misères de sa tribu ; et il me parut sous tous les rapports ce qu'il était avant que le gouverneur Phillip s'en fût occupé, un sauvage dans toute l'étendue du mot. DE L'ASTROLABE. .523 » Il y eut un autre naturel que je connus dès son enfance, qui appartenait à la tribu de Parramatta. Son nom anglais était Daniel ; c'était un fort beau jeune homme. M. Caley le botaniste l'avait pris chez lui et le garda quelques années. Quand M. Caley re- tourna en Angleterre, Daniel l'accompagna et v resta long-temps. Comme M. Caley était employé par feu sir.loseph Banks, Daniel fut introduit dans les pre- mières sociétés de Londres. Enfin il revint à la Nou- velle-Galles du Sud , et la première fois que je le vis après son retour , il était assis tout nu sur le tronc d'un arbre dans les bois à huit milles environ au nord de Parramatta. Je lui exprimai mon étonnement de le voir en cet état et lui demandai pourquoi il avait quitté ses vètemens pour vivre dans les forets ; il me répon- dit que les bois étaient ce qu'il aimait le mieux. Peu de temps après Daniel rencontra une jeune femme qui était venue libre d'Angleterre , à trois milles envi- ron de Parramatta , comme elle retournait chez son père ; il se permit de l'attaquer et de la violer. Il fut arrêté et exécuté pour ce crime, et mourut comme un sauvage , malgré tous les avantages dont il avait joui dans l'état social de la civilisation. » Pour montrer parfaitement le caractère de ces na- turels , je citerai encore un autre exemple. Un d'eux nommé Mousquito vivait il y a plus de vingt ans sur les bords de la rivière Hawkesbury où résidaient quelques cultivateurs anglais. Mousquito était un sau- vage forcené, il commit plusieurs pillages et même des meurtres sur les Européens de ce district . A In fin il fut 524 VOYAGE arrêté et banni à l'île Norfolk où il demeura confondu avec les convicts condamnés aux travaux forcés. Il resta plusieurs années sur cette île , séparé de tous ses compatriotes. Quand cet établissement fut transféré à Van-Diemen's-Land , Mousquito y suivit les Euro- péens. Quelque temps après son arrivée il s'enfuit dans les bois, se réunit aux naturels de cette île, se rendit encore coupable de plusieurs vols et meurtres , et fut enfin pris , lié et pendu. Durant les vingt années qu'il avait été privé de toute communication avec ceux de sa race, on aurait pu croire qu'il avait fait quelques progrès dans la civilisation et acquis quelque chose des mœurs de l'état social ; mais , suivant toute appa- rence, il vécut, et mourut exaclement avec le même caractère sauvage qu'on lui avait connu trente ans auparavant sur les bords de l'Hawkesbury. » Je pourrais mentionner plusieurs autres circons- tances où il m'a été facile d'observer des indigènes qui avaient joui de tous les avantages propres à améliorer leurs dispositions naturelles, et qui semblaient n'avoir profité en aucune manière du commerce des Euro- péens. Ces exemples prouveraient tous dans quel état de dégradation ces êtres sont plongés , et combien il y a peu d'espoir de les en faire sortir. Ces sauvages n'ont point de besoins ; ils n'ont ni réflexion , ni pré- voyance. Pour eux point de lendemain. Ils n'ont ni magasins, ni greniers. Le jour ils rôdent à l'aventure dans les bois , comme les oiseaux dans l'air, et les animaux sauvages sur la terre ; la nuit ils se couchent dans les broussailles , sous un rocher, un arbre ou un DE L'ASTROIABE. i2ô morceau d'écorce ou tout autre abri , si le temps est pluvieux ou orageux. Depuis que les Européens habi- tent parmi eux , je n'ai pas eu connaissance qu'un seul naturel ait adopté les manières ou les coutumes de la vie civilisée, se soit occupé de l'agriculture ou livré au plus simple des métiers. Mon opinion est que les in- digènes disparaîtront à mesure que les établissemens européens feront des progrès dans ce pays ; avant un certain nombre d'années , il n'y existera qu'un petit nombre de sauvages, si même il en reste. Ces malheu- reux contractent tous nos maux et tous nos vices, mais aucune des coutumes et des manières qui pour- raient leur être avantageuses. V\v-.Sonili-\\ aliN, december la™ iS^ti. » Siened Samuel JMarsden. » P. iSi .rajouterai encore à ce chapitre sur les in- digènes de l'Australie , une observation importante pour ceux qui attachent quelque intérêt à l'étude des races de l'Océanie. Tous les renseignemens que j'ai puisés dans les auteurs, les questions et les recher- ches que j'ai moi-même laites sur les lieux, m'ont conduit à penser que ces sauvages n'ont aucune idée tl'une pratique commune à tous les peuples de la race vraiment polynésienne, et surtout en vigueur au plus haut degré chez leurs plus proches voisins, les Nou- veaux-Zélandais. On sent e l'Astrolabe. \\\i\ Lettre du Ministre de la Marine a M. Dumont d'Urville. m i\ Mémoirf pour servir d'Instruction a M. Dumont d'Urvilt.e. lvii R \pport sur i.a Navigation de l'Astrolabe, par M. le chevalier de Rossel. i w» Rapport de M. Cuvjer. xcvii Rapport de M. Cordier. ,mi Rapport de M. Desfontaines. (\m Chapitre I". — Traversée de Toulon à Gibraltar. i Chapitre II. — Séjour sur la rade do Gibraltar il traversée jusqu'à Ténériffe. i<; Chapitre III. — Excursion au Pic de Ténériffe. 211 Chapitre IV. — De Ténériffe à la Trinité. 43 Chapitre V. — De la Trinité au Port du Roi- Georges. 68 Chapitre VI. — Séjour au Port du Roi-Georges. S S Chapitre VII. — Du Port du Roi-Georges jusqu'au dépari du l'oit Western. 1 il. Chapitre VIII. — De Port-Western à Port-JacksOD et séjour en ce port. 1 18 Notes. i f> - Chapitre IX. — Histoire de la colonie de la Nouvelle-Galles du Sud. 9 1 '• Chapitre X. — Ktat actuel de la colonie de la Nouvelle-Galles du Sud. j-- Chxpitrf XI. — Des naturels de la Nouvelle-Galles du Sud. Iq5 PIN DL I.A TAlil.K DU PP.KMll.li MIM'.II 36 I < ^ k *^** fc* * A ^^1 **