Li »” 09 40 AdVUS t-eriduns Fe nm SaaH9N x > à æ, à 7 éd VOYAGE D’'EXPLORATION Vin tÉ SUR LE LITTORAL DE LA FRANCE ET DE L’ITALIE 3 D VOYAGE D'EXPLORATION SUR LE LITTORAL DE LA FRANCE ET DE L'ITALIE PAR M. COSTE | STE MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR AU COLLÉGE DE FRANCE DEUXIÈME ÉDITION SUIVIE DE NOUVEAUX DOCUMENTS SUR LES PÈCHES FLUVIALES ET MARINES PUBLIEE PAR ORDRE DE S. M. L'EMPEREUR SOUS LES AUSPICES DE S. EXC. LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE, DU COMMERCE ET DES TRAVAUX PUBLICS PARIS IMPRIMERIE IMPÉRIALE M DCCC LXI Une L | Ô M AOATON LOL FT ï nu? MUETE A 0 UP NA PAF A LNANESENE MINRMUNTN A SA MAJESTÉ L'EMPEREUR NAPOLÉON Hi. SIRE. Le 10 mars 1858, Votre Majesté daigna visiter mon labo- ratoire du Collége de France, et, après y avoir été témoin des résultats que donne l'application des méthodes artificielles, soit pour le repeuplement des fleuves, soit pour la mise en culture de la mer, elle me fit l'honneur d'ordonner la réim- pression de l'ouvrage où J'avais décrit ces méthodes, en m'au- torisant à y ajouter l'exposé de tout ce qui se serait accompli depuis sa première publication. J'ai la bonne fortune, Sire, au moment où cet ouvrage va paraitre, de pouvoir annoncer à Votre Majesté que l'idée abs- traite dont il est l'expression à déjà créé des richesses qui s accroissent à mesure qu'on pénètre plus avant dans les détails de la pratique. Je remercie Votre Majesté de m'avoir placé aux avant-postes, dans la plus grande entreprise du siècle sur la nature vivante. J'aurai plus de persévérance qu'on ne pourra me susciter d'obstacles, pourvu que l'Empereur me conserve le privilége d'en appeler à sa haute intervention toutes les fois que la ré- sistance menacera de compromettre le succès de l'œuvre. Je suis avec un profond respect. Sire, de Votre Majesté. le tres-humble et tres-fidèle serviteur, CosTE, Membre de l’Institut. Paris, le 20 mars 1861. INTRODUCTION DE LA PREMIÈRE ÉDITION. A MONSIEUR LE MINISTRE DE L'AGRICULTURE, DU COMMERCE ET DES TRAVAUX PUBLICS. Monsieur Le MinisTRe. Lorsque, à la suite de lun de mes rapports, el sur la proposition de M. Heurtier, directeur général de lagricul- ture et du commerce’, le Gouvernement fonda, près d'Hu- ningue, l'établissement de pisciculture, à l’organisation du- quel je fus chargé de présider, et que, par une initiative jusque-là sans exemple, l'État essaya de faire passer une conquête de la physiologie dans le domaine de application, Jacceplai, sans hésiter, la responsabilité d’une entreprise dont le succès pouvait-créer un précédent favorable aux dé- couvertes qui, dans l'avenir, seraient susceptibles d'aboutir à une question d'économie publique. ! Moniteur du 5 août 1852. Mon rapport, celui de M. Heurtier et la déci- sion ministérielle qui accorde 30,000 francs pour la fondation de létablisse- ment d'Huningue, ont paru dans ce numéro. Ji INTRODUCTION. Considérée à ce point de vue, la création de l’établisse- ment d'Huningue avait un autre caractère que celui d’une expérience plus ou moins heureusement conduite : elle était, à mes yeux, une voie nouvelle ouverte par la France, et un enseignement donné en son nom. Aussi, les délégués de toutes nos provinces, de toutes les parties de l'Europe, attirés par le bruit et la nouveauté d'une pareille entreprise, vinrent-ils en foule visiter les lieux où elle allait s'accomplir, et y recevoir, des mains gé- néreuses de l'État , l'initiation aux pratiques d’une industrie qui promettait au monde une source féconde d'alimentation. En présence de ce mouvement, auquel les classes supé- rieures ont pris une part qui les honore, il me sembla qu'il y avait, pour en favoriser l'élan, un moyen plus eflicace encore que l'exemple de la création de l'établissement d'Hu- ningue, et qu'il n'existait pas un seul point de la France ni de l'Europe où cet établissement ne püt porter lexpé- rience, et, en la mettant sous les veux de tous, faire préva- loir partout à la fois les pratiques de la nouvelle industrie. Il suflisait, pour celà, d'imaginer un appareil d'incuba- tion facile à manier, et de trouver un procédé qui permit de transporter les œufs fécondés à de grandes distances, sans que leur séjour hors de l’eau devint une cause d’altéra- tion. Mes ruisseaux artificiels, dans lesquels ces œufs, suspen- dus sur des claies, éclosent sans qu'on ait, pour ainsi dire, aucun soin à en prendre, répondirent à la première de ces conditions; la seconde fut remplie par l'usage de boîtes garnies de végétaux aquatiques humides, au milieu des- quels le frai se conserve vivant, pourvu qu'on ne y intro- INTRODUCTION. ml duise qu'au moment où les yeux des embryons se distinguent nettement à travers la membrane de la coque. A l'aide de ce double moyen de démonstration, l'envoi des appareils et celui des œufs fécondés, l'établissement d'Huningue a pu, Monsieur le Ministre, étendre son heu- reuse influence à tous nos départements à la fois, et faire assister les populations de nos provinces au curieux spec- tacle de l'éclosion des espèces les plus estimées, prises sur les bords du Rhin, des lacs de la Suisse, du Danube, etc. et donner la preuve matérielle qu'il n’y avait pas de contrée, si éloignée qu'elle fût, dont l'industrie ne pût désormais 1m- porter les produits. Nous avons distribué, cette année, pour atteindre le but que nous nous proposions, plusieurs millions d'œufs fécon- dés, soit de saumon, soit de truite commune, soit d'ombre- chevalier, soit de fera, soit de grande truite des lacs', parmi lesquels un assez bon nombre ont été expédiés aux éta- blissements fondés, à limitation de celui d'Huningue, en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, alin que la grande expérience qui louche au problème de Falimentation des peuples eût un caractère européen. Aussi, dès le 21 dé- cembre 1853, lisait-on déjà dans la Gazette de Munich : La pisciculture artificielle gagne tous les jours du terrain. S. M. le Roi vient de visiter en personne notre établissement de l’école vété- rinaire, et S. M. la Reine a demandé des renseignements sur les procédés de cet art nouveau. Grâce à l’'habile ingénieur d'Huningue, nous avons reçu de vrais saumons du Rhin. Puissent les lois sur la pêche ètre plus sévèrement exécutées. 1 Voir, à l'appendice, le rapport de l'ingénieur en chef chargé de la direc- tion de l'établissement de pisciculture d'Huningue. IV INTRODUCTION. Pendant que la Gazette de Munich annonçait l'éclosion des œufs envoyés de l'établissement d'Huningue, le Cour- rier de la ville et de la campagne signalait, dans les termes suivants, le même fait qui se passait à Wurtzboure : L'établissement de pisciculture des environs d'Huningue a expé- dié à celui qui a été créé à Wurtzbourg une certaine quantité d'œufs fécondés de saumons du Rhin. Honneur et reconnaissance pour ce précieux cadeau! Nous nous empressons de le témoigner publi- quement, et prenons ici l'engagement d'appuyer en tout, et par tous les moyens possibles, les efforts des pisciculteurs de cette lo- calité, pour la poursuite et le perfectionnement d’une entreprise aussi intéressante qu'importante dans ses résultats futurs”. M. le major List, qui est le fondateur de ce second éta- blissement de la Bavière, était venu visiter en détail celui d'Huningue, en septembre 1853 : c'est trois mois plus tard qu'on lui envoya les œufs fécondés dont il est question dans le Courrier de la ville et de la campagne, et dont il a bien voulu notifier léclosion, par une lettre en date du 7 fé- vrier 1804. On lit également dans un travail sur la pisciculture, pu- blié par M. Ruelf, professeur au célèbre Institut agrono- mique de Hohenheim : Le roi de Wurtembere a établi, dans son domaine de Monrepos. près Ludwigsburg, une pisciculture, pour donner aux habitants de la contrée un exemple instructif et édifiant. Quoique la nouvelle méthode fût employée en Allemagne avant de l'être en France, nous 4 = S 4 A , °7 . ] . sommes néanmoins obligés de reconnaître l'établissement d'Huningue comme le point principal d'où est partie l’impulsion qui a donné à cette méthode une si grande propagation. C’est là que le roi de ! Courrier de la ville et de la campagne. Wurtzboure, 19 décembre 1853. INTRODUCTION. v Hollande députa MM. Verstadt, de Mulvenhorst et Molterbecs. La se réunirent M. le professeur Siebold, le directeur Kraus, le pro- fesseur Fraas, le pêcheur Kufler, le docteur Balling, et plusieurs hommes dé science et de pratique de Autriche. C'est là aussi que l’auteur de cet écrit a lui-même fait ses études’, Le roi de Hollande, en effet, comme le dit M. le pro- lesseur Ruel, après avoir institué une commission de Pis- ciculture, envoya au Collése de France et à l'établissement d’'Huningue des délégués, dont l'arrivée me fut officiellement notifiée par une dépêche que l'ambassadeur de Sa Majesté à Paris, M. le baron Fagel, voulut bien m'apporter lui- même, en me demandant, au nom de son souverain, tous les renseignements relatifs à la nouvelle industrie, Aussitôt après que ces délévués eurent rempli leur mission, la Ga- zelle de la Haye annonça que le roi avait fait établir, dans son palais du Bois et dans celui de Woss, en Gueldre. des appareils à éclosion, sur le modèle de ceux qui sont figurés dans le Traité de pisciculture dont j'eus l'honneur, lors de mon passage en Hollande, de faire hommage à Sa Majesté, qui avait déjà recu, par l'intermédiaire de M. le baron Fa- gel, les plans de l'établissement d'Huningue. Le Gouvernement belge, à son tour, ayant résolu de laure étudier la question de la reproduction artificielle du poisson, chargea de cette mission, au mois de novembre 1893, M. de Clerq, ingénieur des ponts et chaussées. Les renseignements recueillis par ce fonctionnaire furent consi- gnes dans deux rapports officiels, qui ont été insérés dans les Annales des travaux publics de la Belgique, et où se trouvent les passages suivants : l'Agronomische Zeitung , Leipzig, 9 juillet 1854, n° 27, p. 418. VI INTRODUCTION. À mon arrivée à Paris, j'eus l'honneur de voir M. Duméril, de lnstitut, qui eut l'extrème obligeance, pour accélérer l'accomplis- sement de ma mission, de parler à son collègue, M. Coste, du but de mon voyage, et de lui demander pour moi la faveur d’une entre- vue. M. Coste m'a donné, avec une complaisance rare, tous les renseignements que je désirais. I m'a montré et les boîtes dans lesquelles on lui envoie les œufs fécondés à l'établissement d'Hu- ningue, et son appareil à éclosion , et les bassins en pierre où sont renfermés les poissons qu'il a élevés et conservés vivants. C’est à M. Coste aussi que je dois les échantillons que j'ai rapportés. On: a déballé, sous mes yeux, les œufs de saumon envoyés d'Huningue par M. l'ingénieur Detzem. Ces œufs étaient renfermés dans une boîte en bois, et disposés par couches, qui alternaient avec des vé- gétaux aquatiques. Hs étaient, à leur arrivée, dans un parfait état de conservation... M. Detzem a fait opérer, sous mes yeux, la fécon- dation artificielle en deux endroits différents, et, pendant trois jours, il ma conduit partout où il y avait pour moi quelque chose d'inté- ressant à voir. C'est à lui que je dois d’avoir vu, à Bâle, féconder des œufs de truite avec la laitance de saumon , et pratiquer ainsi la méti- sation, et d'avoir vu, à Huningue, féconder des œufs de saumon avec la laitance de saumon... La: réussite de la fécondation artificielle des œufs de poisson ne peut plus ètre mise en doute aujourd'hui : la possibilité de produire un nombre illimité de jeunes poissons doit être considérée comme un fait acquis, et il serait aisé d'établir, à Bruxelles, à peu de frais, un appareil à éclosion dans le genre de celui que M. Coste emploie au Collége de France. MM. Coste et Detzem ont bien voulu, tous les deux, m'offrir de concourir au succès d’un essai de ce genre, en m'envoyant des œufs de l'éta- blissement d'Huningue !, Après la publication des deux rapports officiels dont je ! Annales des travaux publics de la Belgique, tome XL; Rapports adressés à M. le ministre des travaux publics par M. de Clercq, sous-ingénieur des ponts et chaussées, 13 décembre 1853. INTRODUCTION. VI] viens de donner ici quelques passages, l'Indépendance belge annonçait la formation d'une société de pisciculture, dans les termes suivants : Nous avons appris avec intérêt qu'il existait un projet de for- mer une association ayant pour but d'introduire et de vulgariser en Belgique les méthodes praliques de la science retrouvée que l'on est convenu d'appeler pisciculture. Nous pouvons dire au- jourd'hui que ce projet est devenu un fait accompli. Notre pays ne restera donc pas en arrière de ce qui se fait à l'étranger pour l'accroissement de cette partie de la richesse et de l'alimentation publiques. En Angleterre, en Écosse et en Irlande, l'industrie nou- velle se développe sur une échelle immense, depuis que l'établissement fondé en France a fixé attention des pro- priélaires; depuis que MM. Edmund et Thomas Ashworth ont traduit mon Traité de pisciculture ?, sont venus à Hu- ningue, en ont reçu des œufs, et se sont livrés à des essais dans la pêcherie de Lough Corrib, en Irlande, où, l'année dernière, deux cent soixante mille saumons sont éclos par leurs soins. À leur exemple, et sous leur direction, M. Ramsbottom en a obtenu trois cent cinquante mille sur les bords de la rivière du Tay, et M. W. Ayrton une quan- lité à peu près égale dans la Dee”. Lord Grey m'adresse une note pour m'informer que l'association des propriétaires pour la propagation du sau- mon dans la rivière du Tay a fait creuser, près de Perth, l Indépendance belge du 6 février 1854. 2 Voyez la traduction de mon ouvrage et des rapports qui lui sont annexés: A Treatise on the propagation of salmon, ete. London, 1853. 3 Perthshire Courier, 6 avril 1854. VIII INTRODUCTION. un réservoir où l'alevinage en grand, pratiqué suivant la méthode du Collése de France, réussit d'une manière inat- tendue. Trois cent mille jeunes poissons provenant de fécondations arlficielles, provisoirement détenus dans ce réservoir, y sont nourris avec de la viande pilée, et gran- dissent rapidement sous l'influence de ce régime. Le ré- sultat que me signale le noble lord se trouve confirmé, dans les termes suivants, par le compte rendu d’une visite qu'a faite l'association au bassin dont il s’agit : Nous avons visité les poissons de notre réservoir, le 27 octobre 1854. En jetant dans ce réservoir un peu de foie bouilli dont on les nourrit, l’eau parut vivante, lant ils élaient nombreux et alertes à s’en saisir, et leurs flancs argentés reluisaient au soleil, quand, après avoir saisi leur proie, ils se retournaient pour redescendre au fond : c'était un spectacle fait pour intéresser les plus indifférents. Le gardien jeta de la nourriture dans les diffé- rentes parties du bassin, pour montrer qu'elles étaient toutes également peuplées... et, quoique auparavant on n'y aperçüt pas un seul poisson, tout à coup le fond s'anima et une myriade en sortit, dévorant la pâture avant qu'elle y fût tombée. Ces poissons avaient de cinq à six pouces anglais de long et paraissaient prendre leurs écailles... .. Il est étonnant, nous dirons même merveilleux. que tant de milliers de poissons puissent vivre et grossir comme ils le font dans un si petit espace !. En Suisse, on se préoccupe aussi beaucoup de cette question, depuis que M. Verdun, au nom du conseil de Neufchâtel, M. le docteur Chavannes, au nom du grand conseil du canton de Vaud, MM. Duclosal et Major. de Genève, poursuivent leurs expériences sur les bords des 1 Extrait du Daily Mail du 27 octobre 1854. INTRODUCTION. IX lacs, et sont venus visiter l'établissement d'Hunmeue, d'où 7 des œufs de saumon et de truite leur ont été expédiés. Voict, à la date du 7 décembre 1 85/1, une lettre de M. Mavor, fils du célèbre chirurgien que la science vient de perdre, dans laquelle, en demandant de nouveaux œufs à M. Detzem, il annonce que les jeunes saumons et les jeunes truites sortis de ceux qu'on leur avait expédiés d'Huningue, Fan- née dernière, ont aujourd'hui, dans leur établissement, une taille égale à celle de nos élèves du Collége de France. A M. Detzem, ingénieur des ponts et chaussées. Mowsteur , Je n'ai pas l'honneur d'être connu de vous, aussi est-ce au nom de mon père, qui deux fois a été vous rendre visite à Huningue que je m'adresse à vous. J'ai eu le malheur de le perdre, il y à deux mois, des suites d’une attaque d'apoplexie, qui a coupé court à tous les projets qui charmaient les loisirs de sa vieillesse, Un de ses amusements scientifiques a été l'étude de la pisciculture, que uous poursuivions en commun. I y a un an qu'avec un docteur de nos amis, le docteur Duclosal, nous avons acheté, sur les bords du Rhône, une petite propriété bien placée pour faire cette étude; c'est là que nous avons élevé, au milieu de beaucoup de péripéties, des truites et quelques saumons, que mon père a dus à votre complai- sance, l'année dernière, Une partie des œufs avait gelé : deux ou trois cents ont échappé; et, actuellement, nous avons, dans un bassin alimenté par l'eau du Rhône, quelques centaines de truites, de 9 à 12 centimètres de long, au milieu desquelles il existait encore. comme j'ai pu m'en convaincre par une petite pêche faite hier, 3 décembre, quelques saumons parfaitement bien portants, el ayant 8 à o centimètres de long. Nous venons de recommencer une ré- colte d'œufs de truite, et nous désirerions bien, si cela était possible , recevoir d'Huningue quelques milliers d'œufs de saumon pour N INTRODUCTION. suivre l'idée de mon père, c'est-à-dire élever des saumons dans un de ces réservoirs, et les lâcher dans le Rhône l'année prochaine à pareille époque. Signé Maxon. Le conseil d'État de Zurich, suivant l'impulsion donnée dans les autres cantons, a décidé que, cette année, une somme de 3,000 francs serait consacrée à des essais de ce genre. Le journal de Bâles-Campagne annonce de la ma- mère suivante : On va faire 1ei de la pisciculture artificielle. L'assemblée de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne s'en est préoc- cupée à plusieurs reprises, comme d'une entreprise dont l'État devrait prendre l'initiative. Dans ce but, une somme de trois mille francs sera inscrite cette année au budget de l'État?. Je pourrais vous parler encore, Monsieur le Ministre, du Piémont, dont le prince royal m'a fait Fhonneur de visiter mon laboratoire pendant le séjour de Son Altesse à Paris ; de la Suède, dont l'ambassadeur m'a demandé des ren- selonements, ele. ele. mais ce qui précède suflira pour vous donner une idée du véritable état des choses. C'est donc grâce à la fondation de l'établissement d'Hu- ningue, comme ces documents en font foi, que la piscicul- ture a pris dans le monde le rang qui lui appartient, el que le problème s'élève à la hauteur d’une question sociale. Tel est, en effet, Monsieur le Ministre, le grand acte par lequel cet établissement, malgré les innombrables dif- ficultés de son installation encore inachevée, a inauguré la première période de son existence, qui aura été, si Je puis ainsi dire, a période d'initiation. H ne reste done plus main- ! Bundesfreund, 11 mars 1854, p. à. INTRODUCTION. XI tenant, pour aller au fond mème de la question, qu'à le mettre en mesure de continuer son œuvre, en lui donnant, avec la permanence, une liberté d'action sans laquelle toutes ses opérations, entravées par les lenteurs administratives, pourraient trop souvent échouer, comme cela nous est arrivé pour la saison du Danube. Cette seconde période sera celle de la production. Mais, qu'on le conserve où qu'on le sup- prime, 1l n’en restera pas moins démontré, si la nouvelle industrie s'organise à la fois sur tous les points du globe où la civilisation pénètre, que c’est à la généreuse initiative de la France que revient l'honneur de ce bienfait. Et quand Je considère par quel modique sacrifice elle obtient un pareil résultat, je ne puis que nr'applaudir d'avoir engagé l'État dans la voie où les besoins du siècle exigent qu'il se place désormais. À une époque, en eflet, où, par Fincalculable portée de ses applications, la science accomplit tant de merveilles, la force irrésistible des choses impose aux gouvernements le devoir et la responsabilité de l'exemple. Eux seuls, dans ces grandes entreprises du génie humain sur la nature vivante, auront le pouvoir, sans que personne en souffre, de courir, pour une chance de succès, lous les périls d’une déception, et l'industrie privée, guidée alors par le flam- beau dont ils éclaireront ses pas, développera partout son action dans la sécurité que lui fera leur prévoyance. Cest dans cet esprit, Monsieur le Ministre, que j'ai conseillé à l'Administration de créer l'établissement d'Hu- ningue. Mon but aura été doublement atteint : l'État à pris limiliative, et, par son exemple, la nouvelle industrie est passée dans le domaine des faits. Ma mission serait done XII INTRODUCTION. aujourd'hui remplie, et, après cette rude campagne dans la voie de l'application, il me serait bien permis de rentrer dans mon laboratoire, pour y travailler, sans partage, au progrès d'une science, l'Embryogénie comparée, qui touche aux plus hautes questions de la philosophie naturelle ; science nouvelle aussi, à laquelle, grâce à l'amitié de M. Guizot, J'ai eu le rare honneur d'élever une tribune. Mais vous avez voulu que l'épreuve fùt poussée jusqu'au bout : je suis aux ordres de l'Administration. L'établissement d'Huningue va donc continuer son œu- vre en entrant dans la seconde phase où votre bienveillance l'engage. Il réduira son rôle à celui d’une pépinière qui distribue des graines, et où se font des essais d'acclimata- lion. Il versera tous les ans ses produits dans les établis- sements secondaires que l'industrie privée ou les conseils généraux organisent dans les départements, et, par lin- termédiaire de ces établissements, dans toutes les eaux de la France. Ce laboratoire modèle, toujours ouvert, comme nos fermes-écoles, à ceux qui voudront s'exercer aux mani- pulations, sera le permanent théâtre du perfectionnement de toutes les pratiques, et les fera prévaloir par l'exemple de leurs heureuses applications. Son action sera done à la fois spéciale et universelle : spéciale, par la production, lalevmage, l'acclimatation des espèces les plus estimées; universelle, par le lien que ses distributions annuelles de graines animales lui donneront avec les piscines régionales dont il aura provoqué la créa- lion, ou qui fonctionneront, comme succursales, dans l'or. ganisation définitive de cette mdustrie en France, sans qu'il soil nécessaire d'avoir recours à aucun personnel nouveau. INTRODUCTION. «ui Ce service rentre naturellement dans celui de notre système hydraulique et doit lui appartenir, à moins que des com- pagnies ne se forment, et ne donnent à l'État une garantie suflisante pour une meilleure et plus lucrative exploitation des eaux. Pendant que ces piscines régionales recevront de léta- blissement d'Huningue les espèces estimées qui n'existent pas dans les contrées où ces piscines se fondent ou qui y sont assez rares pour qu'il soit urgent de les y multiplier, ces mêmes piscines, parmi lesquelles se placent, au pre- mier rang, celles qu'établissent M. Caron, dans le départe- ment de lOise, M. le marquis de Vibraye, au château de Cheverny, M. le docteur Lamy, dans le pare de Maintenon, M. le professeur Pouchet, à Rouen, M. Blanchet, à Rives, M. Berthot, sur les bords du Doubs, ete. auront aussi mis- sion de travailler à la multiplication des espèces communes, par des procédés plus eflicaces encore que celui de la fécon- dation artificielle. Je veux parler de Forganisalion des frayères, à laide desquelles Findustrie humaine peut dé- terminer {ous les poissons d’un fleuve, d'un lac, d’un étang, d'une pièce d’eau, à venir déposer leur semence dans les points qu'elle leur assigne, et d'où elle peut ensuite les transborder dans d’autres fleuves, d’autres étangs, de ma- nière à entreprendre leur repeuplement sur une échelle immense. Ces frayères, dont la mise en pratique fut, de tout temps, pour les Chinois, la source d’un grand commerce, ont été employées, par les soins de M. le docteur Lamy, sous les auspices de M. le duc de Noailles et de M. le duc d'Ayen, dans les eaux du pare de Maintenon, avec un tel succès, que XI INTRODUCTION. l'une de ces frayères chargées de semence, transportée au Collége de France dans une bourriche, m'y a donné des éclosions par milliers. Elles peuvent être constituées de deux manières, soit à l'aide de fascines substituées aux plantes aquatiques que, dans ce cas, lon supprime, soit par ces plantes aquatiques elles-mêmes, dont on ne conserve alors que des toufles isolées, sur lesquelles les poissons sont obligés de venir déposer leurs œufs, puisqu'il ne leur reste plus, après cet aménagement, d'autres corps où ils puissent les attacher. Cette pratique est d'autant plus précieuse, qu'elle concilie parfaitement les opérations du repeuplement avec les be- soins de la navigation dont, au temps des fortes chaleurs et de l'abaissement des eaux, une végétation trop abon- dante gêne le libre exercice. Elle permet de supprimer tous les obstacles à la circulation, sans détruire les conditions favorables à la ponte. L'organisation de ces frayères, leur distribution, le choix des lieux où il faudra les abriter quand elles seront chargées de semence, devront donc être. de la part des agents de l'Administration, Fobjet d'une étude spéciale; car il ne s’agit de rien moins que d'assurer l'éclosion des espèces si nombreuses dont le frai, pour se développer, a besom de s'attacher à des corps étrangers. Les curages à sec, qui anéantissent ce qu'on à lant d'in- térêt à ménager, seront done sévèrement interdits pendant les saisons de la reproduction, et c'est aux machmes à dra- ouer qu'en tout temps il faudra confier le soin de nettoyer les cours d'eau. Quant aux espèces qui déposent leurs œufs sur le gra- vier, où qui les cachent dans ses interstices, comme celles INTRODUCTION. NN de la famille des salmonidés, par exemple, c'est à leur pro- pagation que sera plus particulièrement consacré le pro- cédé de fécondation artificielle; mais il ne s'ensuit pas pour cela, même en ce qui concerne ces espèces, qu'on doive négliger d'avoir recours aux moyens naturels, par- tout où on pourra le faire avec avantage. Il faudra done que, dans les diverses localités où, non loin de leurs sources, des eaux limpides couleront sur un lit peu profond, lon couvre le fond d'une couche épaisse de galets et de cail- loux, afin que les femelles soient tentées d'aller y cacher leur progéniture. Elles y iront, en effet, car, à l’établisse- ment d'Huningue, nous avons vu nos élèves de deux ans venir frayer dans les ruisseaux artificiels, jusque sous le hangar à éclosion. Cet établissement pourra donc, quand les bassins y seront convenablement aménagés, devenir à la fois un laboratoire pour la propagation artificielle, et une vaste frayère pour la propagation naturelle. Cependant, malgré son incontestable utilité, la méthode naturelle ne saurait jamais, en ce qui concerne la famille des salmonidés, suflire seule aux besoins du repeuplement : car la durée de lincubation de ces espèces précieuses, la longue immobilité à laquelle sont condamnés les jeunes après leur naissance, les tiennent trop exposés à la voracité des ennemis qui veillent autour de leurs retraites, pour que l'art nouveau ne vienne pas ici au secours de la nature. La fécondation artificielle, lincubation arüficelle, Falevi- nage artificiel, sont done des moyens sans lesquels le but ne saurait être complétement attemt”. 1 Pour toutes ces pratiques, aussi bien que pour l'établissement des frayeres. voir, à l'Appendice, le Précis de pisciculture artificielle. XYI INTRODUCTION. J'ai eu l'honneur, Monsieur le Ministre, de mettre sous vos yeux la preuve matérielle que ce triple problème était définitivement résolu. Vous avez vu, au Collése de France, dans la piscine consacrée à mes expériences, des myriades de jeunes saumons, de jeunes truites, de Jeunes ombres- chevaliers, provenant d'œufs fécondés artificiellement sur les bords des lacs de la Suisse, du Rhin, du Danube, éclos dans les appareils à incubation de mon laboratoire, rece- voir leur pâlure dans cette étroite encemte, comme des troupeaux soumis au régime de la stabulation. Trois mois de séjour dans ces conditions peu favorables avaient suffi, grâce à l'eflicacité du mode d'alimentation, pour les amener à l’état de Jewlle, c'est-à-dire à l'état où l'on peut, sans danger, les mettre en liberté. Vous avez vu aussi, dans l’un des compartiments de cette piscine, des saumons et des truites de l'année précédente qui, sous l'influence du même régime, avaient acquis une longueur de trente centimètres, un poids de trois quarts de livre, et étaient déjà comestibles; en sorte que, par cette double expérience, lalevinage en grand dans un espace restremt et lapprovisionnement des viviers domestiques deviennent des pratiques aussi faciles que l'élève des poules dans une basse-cour. Ces pratiques démontrent que lim- portation et lacclimatation des espèces étrangères n'offrira pas autant de difficulté qu'on l'avait supposé jusqu'à ce jour, pourvu qu'on les fasse éclore dans le milieu où on voudra les conserver; car ic, non-seulement ces espèces sont étran- oères, mais les eaux elles-mêmes sont contenues dans un bassin arüliciel. Le bassin est en ciment romain, et l'eau vient d'Arcueil. INTRODUCTION. XVII Je puis invoquer aujourd'hui, en faveur de l'acclimata- lion des poissons dans les eaux où ils n'ont jamais vécu, un si grand nombre d'expériences, que le fait ne saurait plus désormais être l'objet d’une sérieuse contestation. Il me suflira d'en citer quelques exemples, pour que chacun puisse en Juger. M. Reonault, mon confrère de l'Académie des sciences, prit, vers la fin de mai 1853, un certain nombre de Jeunes truites et de jeunes saumons éclos au Collése de France, les transporta à la manufacture de Sèvres, dont il est le di- recteur, les jeta dans un bassin en maçonnerie de quarante mètres de superficie, d’un mètre de profondeur, construit pour le service de l'établissement, et où, pendant six mois de l'année seulement, un simple robinet renouvelle l'eau qu'un trop plem évacue. Une grande quantité de feuilles mortes s'étant accumulées au fond de ce réservoir, M. Re- gnault craignit que la putréfaction ne fit périr ses élèves, et avec d'autant plus de raison, qu'il en avait déjà vu quelques- uns monter à la surface. [l ordonna done qu'on mit le bas- sin à sec, et, en attendant que l'opération fût terminée, on entreposa les saumons et les truites dans un baquet placé sur le bord. Mais bientôt la plupart s’élancèrent hors de l'eau sans qu'on s’en aperçüt. Parmi ceux qui périrent, il y en eut huit qui pesaient près d'une livre, quoiqu'ils ne fussent âgés que de dix-huit mois. Tous étaient saumonés comme ceux qui vivent dans leur milieu naturel, et leur chair avait un goût exquis. Ce résultat est d'autant plus im- portant, que ces poissons ont vécu de la seule nourriture que le bassin leur fournissait. Pendant que M. Regnault expérimentait dans le pare de XVII INTRODUCTION. la manufacture de Sèvres, M. le commandant Desmé, ofli- cier d'ordonnance de M. le maréchal Saint-Arnaud, faisait, de son côté, un essai dans son domaine de Puypgiraut, près Saumur, avec des jeunes du même âge qu'il avait emportés dans un simple bocal. Le vivier qui les renferme ne con- tenant que cent cinquante hectolitres d’eau, M. Desmé à supposé qu'ils n'y rencontreraient pas une nourriture sufli- sante. Il leur a donc fait jeter, tant qu'ils étaient encore Jeunes, de la chair de limace broyée, et, plus tard, coupée par morceaux plus ou moins volumineux, jusqu'au moment où 1] a cru qu'il pouvait les leur livrer entières. Sous lin- fluence de ce régime, qui ne lui a occasionné aucune dé- pense, attendu que ce mollusque abonde dans tous les potagers, ses élèves ont acquis, dans le même laps de temps, la taille et le poids de ceux de M. Repnault. Des résultats analogues ayant été obtenus au Collége de France, dans un bassin en ciment romain, véritable appa- reil de laboratoire, qui n'a pas plus de douze mètres de superficie; au château d’'Osmond, chez M. de Montagu; au château de Cheverny, chez M. le marquis de Vibraye; au château du Mesnil, chez M. le comte de Polignac; à Rives, chez M. Blanchet, je me crois suffisamment auto- risé à dire, après d'aussi éclatantes expériences, que, grâce aux heureuses tentatives de l'établissement d'Huningue, l'industrie se trouve irrévocablement en possession de pra- tiques qui, non-seulement lui assurent le succès de lalevi- nage en grand des espèces les plus précieuses, mais aussi de leur acclimatation dans des eaux où elles n'avaient jamais vécu. Ce n’est pas à dire pour cela qu'on réussira dans {outes INTRODUCTION. XIX celles où se feront des essais de ce genre, mais la voie esl ouverte, lopinion publique est saisie, et il n'a plus qu'à laisser aux efforts de chacun le som de continuer l'œuvre commencée. L'importation à laquelle l'établissement d'Huningue at- tache le plus grand prix est celle du saumon du Danube, poisson à chair blanche, d’une qualité excellente, et dont le poids s'élève quelquefois jusqu'à cent kilogrammes. Les jeunes de cette espèce qui sont éclos l'année dernière dans nos viviers y ont déjà acquis une taille trois fois plus grande que les truites communes du même âge, qui vivent natu- rellement dans les eaux de cet établissement. Le succès est ici d'autant plus certain, que celle espèce gigantesque n'a pas besoin, comme le saumon ordinaire, d'aller à la mer. et qu'on la conserve d’une manière permanente dans cer- tains viviers de l'Allemagne. Des mesures seront prises pour que, au mois de mars prochain, un million d'œufs de ce saumon nous soient réservés par le roi de Bavière, dont le gouvernement à toujours saisi l'occasion de favoriser notre entreprise. Je tiens, Monsieur le Ministre, à faire cette belle expérience avant de déposer dans vos mains les pouvoirs qui m'ont élé donnés; mais, en attendant, il me reste encore un devoir à remplir : c'est de vous faire con- naître le résultat de mes études sur la pisciculture marme. et sur les diverses industries qui S'y rattachent. La décision ministérielle insérée au Moniteur du 6 août 1892, qui ouvrait un crédit pour la fondation de l'établis- sement d'Huningue, annonçait, en même temps, que je serais invité à explorer le littoral de Flalie et de la France. afin de déterminer dans quelles conditions on pourrait ten- xx INTRODUCTION. ter des essais en grand sur la propagation et lacclimatation des animaux marins; entreprise hardie, dont le rapport officiel parle en ces termes : En ne s'appliquant qu'à la fécondation artificielle des poissons d’eau douce, la question ne me paraît qu'incomplétement résolue. I n'importe pas moins, en effet, d'étendre l'application de cette dé- couverte aux poissons de mer, Aujourd'hui surtout que nos grandes lignes de chemins de fer ont fait disparaitre, en quelque sorte, les distances, les poissons de mer pourront facilement être transportés dans presque toutes les villes, mème les plus éloignées. Pour quelques-unes seulement, mais en petit nombre, ils n’y arriveront que conservés. Il serait donc également utile, tout en cherchant à multiplier le poisson de mer, les crustacés et les mollusques, de s'enquérir des meilleurs moyens de préparation et de conservation. Déjà, en 1851, M. Valenciennes, membre de FInstitut, a rapporté de sa mission en Prusse de précieux renseignements sur ce dernier point : vous jugerez sans doute convenable, Monsieur le Ministre, de les compléter. M. Coste, qui va, sous peu de jours, poursuivre sa tournée scien- üfique dans l'Isère, pourrait, en descendant le Rhône qu'il doit ex- plorer, visiter les étangs ou lagunes si fréquents sur une partie du littoral de la Provence, du bas Languedoc et du Roussillon, et plus particulièrement l'étang de Berre, les lagunes de la Camargue, les étangs de Thau et de Leucate. Ces eaux, pour la plupart salées, mais qui se trouvent parfois mêlées d'eau douce, serviraient à des fécon- dations et à des acclimatations intéressantes, et se changeraient, si les prévisions de la science se réalisent, en riches réservoirs de pois- sons de toute sorte. De 1à ce naturaliste, afin d'étudier les modes de conservation des poissons et la préparation qu'on leur fait subir en Italie, pour- rait également visiter les lagunes de lAdriatique voisines des embou- chures du Pô, de lAdige et de la Brenta. H se rendrait surtout à Comacchio, où se préparent, de temps immémorial et sur une vaste INTRODUCTION. XXI échelle, des conserves de poisson dont le goût est excellent. Tous ces renseignements recueillis, des mesures eflicaces seraient alors prises pour garantir le succès des travaux à entreprendre. Ainsi, dès à présent, affecter sur le budget de l'exercice de 1855 un crédit de 30,000 francs, qui permette à MM. Berthot et Detzem de créer à Huningue un vaste établissement de fécondation et d’é- closion; inviter M. Coste à parcourir, dans son prochain voyage, une partie importante du littoral de la Méditerranée, et à étudier, en Italie, ce qui se fait à Comacchio, telles sont, Monsieur le Ministre , les propositions que j'ai l'honneur de vous soumettre, Si vous voulez bien les approuver, je vous prierai de revêtir de votre signature le présent rapport. Agréez, etc. Sioné Heurrier. M. le comte de Persigny, alors ministre de Fintérieur, ayant donné son approbation aux conclusions du rapport de M. le conseiller d'État, directeur général de l'agriculture et du commerce, la mission dont ce rapport détermine le but me fut confiée. Les documents que j'ai recueillis en la remplissant seront la preuve que l'industrie humaine, gui- dée par l'expérience des siècles et les nouvelles découvertes de la science, pourra organiser, sur tous les rivages, de véritables appareils d'exploitation de la mer, où les fruits de cet inépuisable domaine, attirés, müris et multipliés par ses soins, seront récoltés avec autant de profit et moins de labeur que ceux de la terre, Les étangs salés du midi de la France, le bassin d'Arcachon, les réservoirs de Maren- nes, les côtes de la Bretagne, etc. ete. deviendront facile- ment le théâtre des premières tentatives de ce genre, si Monsieur le Ministre de la marine prèle son concours à XXI INTRODUCTION. cette grande entreprise; car, ici, bien plus encore qu'à l'écard de l'exploitation des eaux douces, c’est à l'État qu'appartient l'initiative et le droit de règlement, le domaine des mers élant une propriété sociale. Mais, pour que la récolte ne soit point détruite avant sa maturité, el qu'elle puisse, par le progrès de son dévelop- pement, devenir lune des sources les plus abondantes de l'alimentation publique, il faut que l'Administration inter- dise, sous les peines les plus sévères, autant que cette interdiction sera compatible avec les besoins de la consom- mation, le colportage et la vente de certaines espèces comes- tüibles, non-seulement pendant la saison de leur reproduc- tion, mais encore pendant leur jeune âge. L'application de cette mesure à l'exploitation des bancs naturels d'huîtres à déjà, grâce à la vigilance de l'Administration de la marine, donné des résultats tellement satisfaisants, qu'il ne saurait y avoir de doute sur l'importance de ceux que promet son extension à tous les animaux aquatiques qui servent à la nourriture de l’homme. Cependant cette mesure serait insuflisante, et le but ne serait qu'incomplétement atlemt, si, après avoir réprimé le colportage et la vente d’une marchandise prohibée, on laissait subsister les pratiques désastreuses à l'aide des- quelles, pour se procurer les générations adultes, on fait périr les générations naissantes : je veux parler, Monsieur le Ministre, de ces instruments de dévastation qui, au mépris des plus formelles prescriptions de la loi, portent encore le trouble dans tous les lieux où les animaux marins trou- vaient un abri pour déposer leur fra, et où une aveugle industrie ne leur laisse plus maintenant ni le temps de INTRODUCTION. XXII grandir ni les moyens de se multiplier. J'ai vu, comme Je l'ai déjà dit ailleurs, ces immenses filets trainants, tirés par deux lartanes accouplées, labourer le oolle de Foz, déraci- ner et engouflrer dans leur vaste poche les plantes marines auxquelles sont attachés les œufs des espèces comestibles. et broyer, sous la pression de leurs étroites mailles, tous les jeunes poissons, tous les Jeunes crustacés, auxquels ces plantes servaient de refuge. C’est un spectacle profondé- ment triste que celui de voir cette œuvre de destruction consommée par les bras mêmes de ceux dont elle prépare la rune. Le Gouvernement ne saurait donc tolérer plus longtemps un abus qu, s'il se prolongeait, finirait par larir la source de toute production. Je prends la liberté d'appeler sa sollicitude sur cette grave question. Ce n'est qu'à une assez grande distance de la côte que de pareilles pratiques peuvent être permises; sur tous nos rivages elles sont désastreuses. Telles sont, Monsieur le Ministre, les considérations dans lesquelles j'ai eru utile d'entrer avant de vous faire con- naître le résultat de mes investigations sur les industries de Comacchio, du Fusaro, de Marennes et de la baie de lAiguillon. C’est avec le concours de M. Gerbe, mon pré- parateur au Collége de France, que j'ai recueilli la plupart des renseignements qui se rattachent à ces industries: je me fais un devoir de le rappeler 1er. Paris, ce 1° janvier 1855. COSTE. Membre de lInsütut. PC LU | : 4 EE RE ds bn 10 vies CETTE fut “uit 17 à snibiehsanistt ak ed spi DT LUE IN SUR S pos 5 {Aire Dix OM 4. hi sl telle à anrinbtet es PL sih:al@ ti Léa AE MTL rune Ge Ü : Ÿ LE t ' | | als Murs nf afin imtolt Dyir us Fiona art tn a en _ d 0 ! | | : : : s Û s fe h ne 77 $ | | y uo ritiuns Slt Reg sé, Mn), nul & ; eq dr. Mise ket de Bi dE AA LE EUR | : cannes fs. £a FM Lu rh PTE LIEN rue FE mérité CARE GR avi au | L irotadéte a Ja lard as pr 4! à ; il TR +. Jr “nerf Al: tent pu f à . PA : nn. : Hal oh y LE éd d sù. | ls F4 MF acte Hi HOT EU haut vhusae FRE | - se bu ath AuuE dre tic thel ni us 6] mai: 7 - L aurilausite lié » | sde. INDUSTRIE DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. Le, RAT TAN ù OH) NOS AU AMAR 1 ” Re s e n c \ FR 0 | à ' é . 0 14 INDUSTRIE DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. APERÇU GÉNÉRAL. Lorsqu'on a parcouru la terre riante, fertile et peuplée, de la Lombardie, et qu'on arrive à Ferrare, il suflit de quelques heures de marche, dans la direction de l'Adriatique, pour se trouver tout à coup au cœur d'une campagne plate, sablonneuse, désolée, où règnent le silence et la misère. Les rares habitants de cette plaine déserte ont si peu de communications avec les contrées environ- nantes, que, pour se rendre aux confins de leur territoire, il n'y a pas même une seule voiture publique, quoique le chemin qui le traverse soit l'unique voie de la colonie industrielle la plus curieuse, mais la moins connue peut-être, de toutes celles qui existent à la surface du globe : je veux parler de cette population intéressante de Comacchio, qui, dans les temps anciens, au moment sans doute où les barbares chassaient devant eux les peuples civilisés, vint, comme les fondateurs de Venise, se réfugier au sein de l'immense l INDUSTRIE marécage que, depuis des siècles, elle est occupée à transformer en un véritable instrument d'exploitation de la mer, et où son in- génieuse industrie attire le jeune poisson éclos dans l’Adriatique, et le récolte, quand il est adulte, par des procédés aussi rationnels que ceux des agriculteurs pour ensemencer la terre et en cueilhr les fruits. Moins favorisée que Venise, sa voisine, et ne pouvant, à cause de l'infériorité de sa position, aspirer comme elle à la souveraineté commerciale, ni aux bénéfices des conquêtes, elle appliqua son génie à combiner un admirable système de digues formées avec la fange de ses lacs, aflermies avec les débris des coquillages qui en habitent les eaux, coupées par de nombreuses écluses, reliées à des canaux bien ménagés, qui, en donnant accès aux flots de l'Adriatique et à ceux des rivières qui bordent deux des côtés de la lagune, permettent d'opérer à volonté sur cette lagune tout entière ou sur chacun de ses compartiments, avec autant de fa- cilité que s'il s'agissait d’un simple appareil de laboratoire : tra- vail gigantesque, mais jusqu'ici sans gloire, modestement ac- compli par des hommes simples, résignés à la rude discipline du vaisseau , à la vie monotone et sobre de la caserne, au sacrifice de leur sommeil pendant ces nuits orageuses où la tempête tourmente la lagune et en soulève les flots; satisfaits, pour prix de tant de la- beur, d'un modique salaire et de la part de poisson qu'une admi- nistration paternelle leur distribue chaque jour. La médiocrité de leur condition ne les porte jamais à chercher ailleurs une existence plus lucrative, ni à y contracter des alliances. Ils naissent et meurent dans le lieu qui les a vus naître, prenant pour un exil temporaire tout ce qui les éloigne du clocher natal ou de la bourgade hospitalière. Mais les devoirs de l'hospitalité ne s'étendent pas, chez eux, jusqu'à une facile concession du droit de cité. Les nouveaux venus qui aspirent à la faveur de s'incorporer à la colonie doivent justifier d’un riche patrimoine et d’un séjour non interrompu de plusieurs années, et encore sont-ils toujours considérés comme des étrangers. De longues générations suflisent DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. FE] à peine pour consacrer leur adoption; car leur intronisation est un empiétement sur un privilége héréditaire, le droit au travail, que la féodalité légua aux habitants comme une transformation de la glèbe. Il y a cependant, à l'heure qu'il est, une exception à cette règle ordinairement inflexible. Mais il n'a fallu rien moins que des ser- vices rendus à la communauté pour apaiser les susceptibilités d’une répugnance instinctive. La famille qui a eu les honneurs de ce rare privilége est origi- naire de Marseille, Son chef, Claude Girard de Bayon, vint à Co- macchio en 1810, chargé par Napoléon d'y réorganiser des salines qui, sur linjonction de la République de Venise et d’après les termes d'une transaction conservée dans les archives de la maison d'Este!, avaient été détruites vers la fin du xiv° siècle, et que le duc Alphonse, limplacable ennemi du Tasse, n'eût pas manqué de rétablir au commencement du xvi, si, dans l'intérêt de celles de Cervia, le pape Adrien VI ne l'eût contraint de renoncer à ses desseins, et de signer l'engagement de ne jamais rien entreprendre sur aucune autre partie de son territoire ?. L'établissement que fonda Claude Girard de Bayon était déjà, dès 1813, en mesure de fournir, comme aujourd'hui, vingt millions de kilogrammes d'un sel aussi blanc, aussi grené, aussi consistant, que ceux du midi de la France, malgré la différence des climats. Sans les événements politiques de 1814, cet établissement aurait pris de bien plus grandes proportions; mais, tel qu'il est, ses produits suflisent à la consommation des États-Pontificaux, à celle d'une partie de Venise, au duché de Modène, qui, en vertu d'une convention à * En 1405, le marquis Nicolo d'Este souscrivit à une convention formulée en ces termes : « Quod de cætero in dicto Comacli, vel in alio loco dicti domini marchionis. «non possint componi, nec denuo fieri, nec elevari, aut refici, vel aliquæ salinæ, vel «levari aliquod sal.» (Bonaveri, Della città di Comacchio, p. 39.) ? En 1514 et 1599, le duc Alphonse s'engagea à n'établir aucuné saline : «In #civitate, comilatu, sive valle Comacli, aut alio loco in territorio aut dominio.» (Bonaveri, op. cit. page 39.) 6 INDUSTRIE perpétuité conclue entre les deux gouvernements, y fait ses pro- VISIONS. La création de cette nouvelle industrie est devenue, pour la co- lonie, dont les habitants, à l'exception des membres de quelques familles aisées, vivent tous du travail de leurs mains, une ressource de plus, qui concourt à l'amélioration de leur sort. M. Édouard Cu- satelli, directeur actuel de la fabrique et membre de la famille adoptive, perfectionne les procédés tout en conservant les traditions de son aïeul, et, par ses bons offices, n’a pas peu contribué à ser- rer les liens qui unissent désormais sa maison à la population dont il sert les intérêts. Les habitants de Comacchio, ceux du moins qui sont occupés de la pêche et des industries qui s’y rattachent, n'ont pas, après le vin, la polenta et quelques fruits, d'autre nourriture que le poisson de la lagune, et surtout que l’anguille, dont ils font un orand commerce, Cependant ce genre d'alimentation, loin de nuire à la santé publique, l'entrelient au contraire dans l’état le plus florissant. Les individus soumis à la permanente influence de ce régime sont robustes, et poussent aussi loin leur carrière que ceux des contrées où lon ne mange que de la viande. Leur stature éle- vée, l'ampleur de leur poitrine, la muscularité de leurs membres, la souplesse de leur corps, leur regard vif, leur teint animé, leurs cheveux noirs et épais, annoncent une vigueur dont on ne voit pas de plus frappants exemples dans tout le reste de Fltalie. On remarque aussi de belles natures de femmes au profil grec, à la taille élancée, à la chevelure abondante, aux formes correctes, finement accusées, et dont les admirables proportions ne subissent jamais les disgrâces de l'obésité. Ce sont des mères fécondes, qui, après avoir payé leur tribut à la race dont elles conservent l'inté- grité, arrivent souvent jusqu'à la décrépitude sans qu'aucune in- firmité vienne condamner à l'inaction leur verte vieillesse. Exclusivement vouées à l'éducation de leur famille et au som du ménage, elles ne sont point admises à quitter le foyer domes- tique pour prendre part aux travaux d'exploitation de la lagune, DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 7 ni même à y visiter leurs pères, leurs maris, leurs frères, leurs enfants, qui y vivent en commun dans les nombreuses casernes de ce singulier phalanstère. Les sévères prescriptions d'un règlement dont la volonté souveraine du gouverneur peut seule, dans les occa- sions graves, tempérer la rigueur, leur interdisent d'avoir avec eux aucun commerce, si ce n'est aux jours de permission, quand, à tour de rôle, les hommes sont autorisés à rentrer à la ville, où elles restent solitaires. Mais, à ce retour périodique au sein de la famille, ne tarde pas à succéder une nouvelle absence; car, pour que d’autres puissent jouir du même privilége , 1l faut que ceux qui en ont déjà goûté les douceurs viennent bientôt au poste pour y reprendre le service. Comme les femmes de l'Orient, elles ne sortent jamais sans être enveloppées d’un voile qui couvre leur front, encadre leur figure régulière, et donne un charme de plus à l'expression pleine de mélancolie dont leur douce physionomie est empreinte. Les cou- leurs vives leur plaisent; leur chaussure, garnie d'un fond de bois, semble, comme le béret grec et le bonnet à long flocon dont les hommes sont coifés, le dernier vestige du costume de ces colonies pélasges qui, sous la domination romaine, peuplèrent le littoral de l'Adriatique. Ces obseurs pêcheurs seraient-ils les descendants de l’une de ces colonies célèbres? Cette pensée se présente naturellement à l'esprit, non-seulement lorsqu'on a égard au caractère physique de la race, mais surtout quand on se rappelle que non loin de là, près de l'embouchure la plus méridionale du Pô, au voisinage de Ravenne, une cité grecque, du nom de Spina, florissait jadis dans ces parages ?. [ n'y aurait done rien d'étonnant que les habitants de cette ville, à laquelle on donne Diomède pour fondateur, et dont le reflux de l’Adriatique découvre quelquefois les ruines, fussent venus, par suite d'une invasion des barbares ou par un excès de ! Pline, Hist. Mundi, lv. HT, chap. xvi. 8 INDUSTRIE population, se réfugier sur l'île de Comacchio, comme ceux d’A- quilée sur celle de Rialto, où ils assirent Venise. Mais ce n’est là qu'une conjecture probable, en faveur de laquelle on ne peut in- voquer encore le témoignage d'aucune médaille, d'aucune inscrip- tion, d'aucun monument historique. C’est un curieux problème qui mérite l'attention des antiquaires. Le plus ancien document sur cette question est celui qu'on trouve consigné dans la grande collection des actes des conciles, publiée par Labbe. On y voit qu'au commencement du vi siècle, sous le pontificat de Simmaco, un évèque de Comacchio, du nom de Pacaziano, a souscrit au mi et au 1° concile romain. Or, si, à celle époque, il y avait déjà un siége épiscopal à Comacchio, il est probable que sa création devait remonter à des temps plus reculés; car alors l'Église, dans le but d’asseoir son action civile sur les contrées où la loi romaine avait régné, mettait sa politique à n'insttuer ses prélats que dans les villes anciennes, afin d'y effacer jusqu'aux dernières traces de la civilisation mourante dont elle recueillait l'héritage. Pacaziano avait done eu des prédécesseurs, et, en se plaçant à ce point de vue, l'antiquité de la ville de Go- macchio serait mise hors de toute contestation, si une inscription latine, gravée à l'entrée d’une cathédrale, dont il ne reste plus aujourd'hui de vestiges, ne semblait, au premier abord, prendre la forme d'une objection. On y lisait, en eflet, que le fondateur de cette basilique, construite au commencement du vi siècle, en fut le premier pasteur, sous le nom de Vincent. « Tempore domini Fœ- « lieis ter beahssimi archiep. sanctæ Ecclesiæ Ravvenatium, favente Deo, «fecit Vincentius primus episcopus cathedralis ecclesiæ sanctè Cassiani e Cymachi cum primum ædificium posuit. Indictione sexta 4 fœliciter. » Mais il est évident, quand on va au fond de la pensée de cette inscription, qu'elle exprime, de la manière la plus formelle, que c'est de la cathédrale, attendu qu'il en fut le fondateur, et non de la ville, que Vincent fut le premier évêque. I n’y a donc, en réalité, aucune contradiction entre son vrai sens et le fait de l'existence antérieure d'autres pasteurs. DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 9 Si je m'attache avec une certaine insistance à mettre en relief l'antiquité de la ville de Comacchio, ce n’est pas pour répondre à une simple question de curiosité : une entreprise plus sérieuse me préoccupe. Je veux démontrer qu'une colonie tout entière, réfugiée dans une île solitaire qu'une immense lagune isole de toutes les contrées voisines; réduite, pour vivre, à exploiter les eaux comme les autres exploitent leurs champs; soumise à un régime ali- mentaire toujours identique, à un régime presque exclusivement formé de trois espèces de poissons, le muge, l'anguille, lacqua- delle, a pu traverser une longue série de siècles en conservant le type de sa race dans un état aussi florissant que les populations des plus riches territoires. Ce mémorable exemple des bienfaits d’un pareil régime semble être resté là en réserve dans ce coin obseur du globe, comme pour faire éclater aux yeux de tous, quand il en serait temps, la preuve des services que les gouvernements peuvent rendre à l'hygiène publique en favorisant la multiplication d’un aliment qui n'entre presque plus pour rien dans la nourriture des peuples. IH leur en- seigne dans quelle voie, et par quels moyens, leur intervention peut contribuer à créer des ressources proportionnées aux besoins que suscite l'accroissement des populations, ou à relever les races défaillantes. Sans doute, même à Comacchio, ce mode d'alimentation n'opère pas seul cette merveille. Un air salubre, renouvelé sans cesse par les vents qui soufllent dans ces parages, vivifié par son contact perpétuel avec des eaux salées que le flux et le reflux de l'Adria- tique épurent en les agitant, fortifie les organismes; mais son in- fluence salutaire s'exercerait en vain, si la digestion ne faisait pénétrer dans ces mêmes organismes tous les éléments capables de suflire à la plus active nutrition. C'est à cette double source que la ville de Comacchio puise les conditions de sa prospérité physique et de l'état sanitaire de ses habitants. Les fièvres intermittentes, à l'invasion desquelles sont, en général, vouées les populations qui vivent au sein des 10 INDUSTRIE marécages, n'y sont pas fréquentes, et, d'après le témoignage de Bonaveri, qui y exerça longtemps la médecine au commen- cement du dernier siècle, le scorbut lui-même ne sy montre que par exception. Aussi, lorsqu'il se rencontre, dans les pays environnants, quelques jeunes gens d’une constitution débile, ou menacés de consomption, les envoie-t-on se rétablir dans ces marécages, en leur faisant partager la table et les travaux des pècheurs. Quand des épidémies se développent, leur cause tient à des émanations putrides accidentelles, qui ne se produiraient jamais, si l'on creusait assez profondément les canaux de communication avec l’Adriatique, pour pouvoir, au temps des grandes chaleurs ou des fortes gelées, inonder largement la lagune, et prévenir ainsi la mortalité du poisson, comme j'aurai soin de l'expliquer en faisant connaître les motifs de ces désastres. Mais ces rares malheurs n’in- firment en rien l’eflicacité de ce régime, qui est démontrée par la plus éclatante de toutes les expériences, et par une expérience unique dans l'histoire du monde civilisé. On objectera peut-être qu'en prenant des mesures pour multi- plier le poisson et le faire entrer en grande proportion dans l'ali- mentation des peuples, au lieu de subvenir aux besoins suscités par l'accroissement des populations, on ne réussira qu'à aggraver ces besoins, à cause de la prétendue puissance prolifique que l'usage continu de cet aliment développe. Et, pour en donner la preuve, on ne manquera pas de citer l'éternel exemple des popu- lations maritimes, que la crédulité publique investit de ce redou- table privilége. Ce préjugé, introduit par Hippocrate, accueilli par Montesquieu et propagé sans examen par tous ceux qui ont écrit sur cette ma- tière, avait conduit limmortel auteur de l'Esprit des lois à se de- mander si les règles monastiques, qui imposent à des religieux voués au célibat le poisson pour nourriture, ne seraient pas con- traires aux vues mêmes du législateur, dont les prescriptions mop- portunes, au lieu d'être une cause d’apaisement, condamneraient DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. Il leurs innocentes victimes au supplice de la pénitence !. L'autorité d'un si grand nom, la confiance absolue qu'une telle opinion à partout rencontrée, ne permettent pas de laisser échapper locca- sion de demander à des observations précises jusqu'à quel point cette opinion concorde avec les données de l'expérience, et si elle ne serait pas tout simplement l'écho d'un préjugé vulgaire. Jabor- derai done librement ce sujet, comme c'est le droit de la physiologie. Sans me préoccuper des causes générales, diverses, mal dé- finies, qui concourent à l'accroissement de la population, et parmi lesquelles la volonté de homme prend une part qui déjoue tous les calculs, il me suflira, pour répondre à lobjection dont je viens de parler, d'ouvrir les registres de l'état civil de Comacchio. Fy vois d'abord que, au commencement du xvur siècle, le nombre des habitants s'élevait à 5,000, chiffre mvariable alors aux yeux de ceux-là mêmes qui, comme Bonaveri, croyaient le plus ferme- ment à l’excessive fécondité de la colonie. Je cite textuellement, afin qu'on puisse juger de la légèreté avec laquelle cette question a toujours été envisagée : + La città di Comacchio non conta più di «cinque mila anime, essendo invariabile per altro il tenore della + popolazione sebbene col riflettere alla fecondità delle donne, ed «alla facilità con eut ognuno si congiunge in matrimonio, fosse ra- + gionevole che il popolo avesse a riuscire assai più numeroso?.» Depuis le moment où Bonaveri écrivait ces lignes jusqu'en 1835, c'est-à-dire dans l'espace de cent trente ans environ, cette popu- lation ne s'est accrue que de {oo âmes; mais, à partir de 1834, elle prit un tel essor, qu'en ces vingt dernières années elle à * Dans les ports de mer, où les hommes s’exposent à mille dangers, et vont mourir ou vivre dans des climats reculés, il y a moins d'hommes que de femmes. Cependant on y voit plus d'enfants qu'ailleurs : cela vient de la facilité de la subsistance. Peut-être même que les parties huileuses du poisson sont plus propres à fournir cette matière qui sert à la génération. Ce serait une des causes de ce nombre infini de peuples qui est au Japon et à la Chine, où l’on ne vit presque que de poisson : si cela était, cer- taines règles monastiques, qui obligent de vivre de poisson, seraient contraires à l'esprit du législateur même. (Montesquieu, Esprit des Lois, livre XXIIE. chap. x.) * Bonaveri, op. cit. p. °0. 12 INDUSTRIE éprouvé une augmentation de 1,345 habitants, ce qui a porté son chiffre de 5,400 à 6,661. Cependant, malgré cet élan inaccoutumé et soutenu, le nombre des naissances n’y est point encore arrivé au niveau de celui des contrées de Ftalie où on ne mange que de la viande, ainsi que j'aurai le soin de le montrer, après avoir fait connaître le relevé officiel de la période exceptionnelle dont je viens de parler. TagLeaAu DES NAIssANcEs, des décès et des doubles naissances de la ville de Comacchio, depuis 183/ jusqu’en décembre 1853. DIFFÉRENCE DOUBLES ANNÉES. NAISSANCES. | DÉCÈS, NAISSANCES. 204 116 203 188 211 115 223 143 204 203 220 177 201 178 216 137 222 166 212 186 210 140 225 130 216 153 252 160 216 180 279 176 245 143 252 168 286 202 218 139 EE DERERES EG ED GO D EE D OBSERVATIONS. La population totale de la ville de Comacchio, au( 3,375 hommes. 30 novembre 1853, était de 6,661 âmes, dont :| 3,286 femmes. 6,661 DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 13 En prenant la moyenne des chiffres contenus dans ce tableau, on trouve qu'elle s’est élevée, pendant la période dont il est l'ex- pression, à 227 par an, ce qui donne une naissance pour 29 ha- bitants, et, par conséquent, la preuve directe de linfériorité de la ville de Comacchio sur les provinces de l'intérieur des terres; car, en Lombardie, pays limitrophe, les naissances sont de 1 sur 26,06, et, dans le reste de italie, de 1 sur 27. Les faits sont done ici en opposition formelle avec l'opinion de Montesquieu. [ls démon- trent que le mouvement ascensionnel de la population a moins tenu, pendant cette période de vingt ans, à l’augmentation des naissances qu'à la réduction de la mortalité, dont la proportion n'a été que de 1 sur Lo. Comme toutes les contrées où la crédulité publique nourrit quel- que vieux préjugé, la lagune de Comacchio a aussi sa légende, et, par conséquent, son île de la fécondité, restée célèbre par l'aventure dont on raconte qu'elle fut le théâtre. Un gentilhomme de Ferrare, le marquis de Villa Guaruno, ayant cédé au conseil d'aller s'établir, pendant quelque temps, avec son épouse qui avait jusque-là été stérile, sur cette île privilégiée où, dit-on, les femmes deviennent si facilement enceintes, y obtint un héritier qui, par ses exploits. fut l'honneur de sa race, et donna son nom au lieu de sa naissance, comme l’assure Biagio Albertini, dans son oraison funèbre du vail- lant capitaine? Mais, en prenant la légende pour une réalité, il n'y aurait rien, dans ce fait, qui impliquàt l'existence d’une vertu prolifique de l'alimentation par le poisson, car l'influence du milieu ambiant sur l’ensemble de l'organisme à pu, en rétablissant l'har- monie de toutes les fonctions, éveiller celle qui n'avait point en- core été mise en jeu, sans qu'on soit obligé d'en attribuer pour cela le résultat à une action spécifique. Toutes les femmes sont faites pour être fécondes : celles qui sont stériles ne se trouvent pas dans l'état normal ; et il ne serait pas rationnel de dire Annuario statistico d Italia. * Sancassani, Scanzie Cinelliane se. XIX , p. 20, et Bonaveri, op. cit. p. 144. 14 INDUSTRIE d'une cause générale qui guérit une maladie, qu'elle exagère la fé- condité. Ce n'est point par des preuves directes ou par des caleuls sta- üstiques réguliers qu'on a été conduit à admettre que les popula- üons ichthyophages étaient plus fécondes que les autres, et qu'elles devaient cette fécondité à l'action spécifique de leur mode d’ali- mentation sur la fonction génératrice. On a déduit cette consé- quence du simple soupçon que la chair du poisson posséderait des propriétés aphrodisiaques, comme si l'orgasme sexuel dans la race humaine, et surtout dans la race humaine civilisée, était, comme chez les femelles des animaux, le signe certain de la maturité des germes que les ovaires renferment; comme si la maturité préalable de ces germes n'était pas la condition nécessaire de la conception ; comme si cette maturité n'était pas indépendante de l'acte sexuel; comme si le penchant sexuel lui-même ne survivait pas à l'âge de la stérilité naturelle, c'est-à-dire à l'âge où il ne saurait avoir aucun résultat pour la propagation de l'espèce. Mais il ne s'agit ici, en ce qui concerne Comacchio, d'aucune influence de la nature de celle dont je viens de parler. Si un air vif et salé, une nourriture substantielle, un travail modéré, y en- tretiennent la santé publique dans un état florissant, et y déve- loppent tous les attributs de la force, ce sont des bienfaits à la réalisation desquels l'alimentation par le poisson concourt au même ütre que pourrait le faire le régime exclusif de la viande. Si donc l'instinct sexuel prenait réellement, comme on le sup- pose, une certaine place dans la vie de cette population robuste, ce n'est point à une prétendue influence aphrodisiaque de son ré- gime qu'il faudrait lattribuer, mais à une vigueur normale qui n'a. pour se partager, ni les inquiétudes des transactions commerciales. ni la concurrence de l'ambition, ni les agitations de la politique. ui ces luttes ardentes de la pensée pour lesquelles se passionnent les hommes des contrées que l'esprit énervant du sièele a visitées. Qu'on suppose une flotte sous le gouvernement absolu d'un amiral chargé de pourvoir à tous les besoins. ayant jeté l'ancre au milieu DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 15 de l'Océan, condamnée à y vivre du produit de sa pèche, ne com- muniquant avec le reste du monde que pour transborder le poisson dans les barques qui viennent le chercher, et lon aura l'image de cette colonie, dont les établissements sont disséminés sur les îles de son lac immense, comme Îles vaisseaux d’une escadre. Placée toujours entre le ciel et l'eau, au milieu de l'éternel silence que trouble seul, pendant le calme, le bruit monotone des rames, et, pendant l'orage, le mugissement des flots, elle n’a d'autre soin et d'autre souci que ceux de la vie matérielle. En réduisant donc les choses à leur juste valeur, et en prenant l'histoire entière de cette colonie comme point de départ, on arrive à cette conséquence : que la chair de poisson est une substance alimentaire aussi bienfaisante que la viande, dont nos préjugés nous font estimer plus haut la valeur. Pourquoi en serait-il autre- ment? La fibre musculaire, ee riche composé de matière nutritive, n'y est-elle pas plus abondante encore? I faut done que les gouvernements, stimulés par ce mémorable exemple, ne perdent aucune occasion d'encourager les entreprises particulières qui auraient pour but de donner à la pisciculture fluviatile ou marine tout le développement dont elle est susceptible; qu'ils assurent la conservation de ses produits par des lois protec- trices sérieusement appliquées; qu'ils mettent un terme à ces pra- tiques désastreuses qui tarissent la source de toute production; qu'ils prennent les mesures les plus sévères pour arrêter les mains coupables qui ne craignent pas de porter le poison dans nos cours d'eau pour y faire une plus abondante moisson. C'est pour mettre en relief la portée sociale d’une si grave ques- tion que j'entreprends, aujourd'hui, de faire connaître la curieuse organisation de la lagune de Comacchio, et de montrer comment l'industrie de ses paisibles habitants est parvenue à transformer cette lagune en une fabrique de substance alimentaire, en un véritable appareil d'exploitation de la mer. 16 INDUSTRIE IT. DESCRIPTION DE LA LAGUNE:. La lagune de Comacchio, autrefois partie intégrante des do- maimes de la maison d'Este, incorporée à ceux de l'Église depuis 1598, époque à laquelle le pape Clément VIII s'empara de Ferrare après la mort du due Alphonse If, est située sur les bords de l'Adriatique, entre l'embouchure du P6 et le territoire de Ravenne. à 44 kilomètres de Ferrare. Elle forme 1à un immense marécage, de 140 milles de circonférence, de 1 à 2 mètres de profondeur, qu'une simple bande de terre sépare de la mer, avec laquelle le port de Magnavacea lui ouvre une communication permanente. Deux rivières, le Reno et le Volano, qui furent jadis des branches du Pô, mais qui naissent maintenant d’un canal commun situé hors de Ferrare, près de Saint-Georges, célèbre monastère des pères olivétains, embrassent ce vaste marécage dans une espèce de delta, comme le Rhône les marécages de la Camargue. Elles en côtoient les rives, du sud au nord, et descendent à la mer, où leurs embou- chures forment deux ports, distants l’un de l’autre de 20 kilomètres. entre lesquels se trouve celui de Magnavacca. Bordée par ces deux rivières limitrophes; donnant jadis accès * Voir la carte et le plan théorique de la lagune. DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 17 aux flots de l'Adriatique par des fossés irréguliers qu'inondait le canal Magnavacca; alimentée, pendant l'hiver, par les eaux plu- viales qu'y introduisent de nombreux canaux d'écoulement, la lagune de Comacchio offrait donc, dans les temps anciens, les conditions les plus favorables pour que la main de l'homme pût facilement la convertir en un champ d'exploitation, où le mélange des eaux douces et des eaux salées devint la base de l'industrie. Ce fut, en effet, dans cet état que ses premiers habitants la rencontrèrent, quand ils vinrent sy établir. Parmi les îles nombreuses qui s'élèvent à la surface de ces eaux, il en est une, étroite et longue, un peu plus spacieuse que les autres, placée au cœur même de la lagune, à 2 milles du littoral de la mer vers le levant, à 3 milles du continent vers le nord, à plus de 15 milles vers le couchant et le midi. Cest là que ces pêcheurs industriels vinrent chercher un refuge, et fondèrent, sur un ruban de terre de 1,250 mètres de long, de 200 mètres de large dans sa partie moyenne qui est la plus renflée, une ville qui compte au- jourd'hui 6,664 habitants, et dont la forme générale fut évidem- ment déterminée par celle du sol sur lequel ils l'établirent. Elle s'allonge done, d’un bout à l'autre de cette île, en une seule rue, qui commence par un monastère et finissait naguère encore par une forteresse, dont la révolution de 1848 a fait disparaître jusqu'aux derniers vestiges. Les maisons qui la composent, ordinai- rement à un seul étage à cause de la violence des vents, sont uni- formes et d’une assez modeste apparence. Vers le milieu de sa longueur, là où le terrain sur lequel elle repose est un peu moins étroit qu'à ses deux extrémités, cette rue principale s'élargit en une place irrégulière sur laquelle s'élève la cathédrale, vaisseau sans caractère, modifiée à plusieurs reprises selon les besoins de la population; une tour isolée, autrefois, sans doute, un moyen de défense ou un clocher, et du haut de laquelle on découvre le panorama de la lagune; une grande auberge, vieux palais humide dont les fresques dégradées, les pavés disjoints, les portes mal fermées, annoncent que les étrangers ne viennent pas 3 18 INDUSTRIE souvent visiter ces parages, où aucune voiture publique ne les con- duit, et d'où les dépèches elles-mêmes ne partent que deux fois la semaine. C’est dans ce palais que Dom Massari de Ferrare, alors fermier général, donna l'hospitalité à Spallanzani, lorsque l’auteur du Voyage dans les Deux-Siciles vint à Comacchio pour y étudier la génération des anguilles. Enfin, à droite et à gauche de cette place, un certain nombre de maisons, alignées sur quelques rues transversales, donnent à la cité, qu'un fossé d'enceinte protége, la forme de la croix. Les descendants de cette race antique, solitaires et sans ambition dans lobseure retraite où les pêches de la lagune suffisent à leurs besoims, y sont restés, jusqu'à ces derniers temps, sans établir de communication directe avec les contrées environnantes. Leurs bar- ques furent toujours leur unique moyen d'aborder le continent, dont les populations n'avaient pas d'autre voie pour venir à leur rencontre. Mais, à mesure que les membres de la famille se multi- plièrent, et que le perfectionnement de l'industrie fit naître le besoin de donner à l'exportation un plus grand développement, un chemin régulier conduisit de lune des extrémités de l'ile vers Ra- venne, et, de l’autre, une digue étroite, formée avec la vase extraite des bassins, s'étendit vers le territoire de Ferrare, comme un câble qui attache le navire au rivage. Ces deux voies de communication, dont la dernière n'a été construite qu'en 1844, amenèrent à Comacchio quelques mar- chands de plus, mais contribuèrent peu à faire sortir son mdustrie de l'obscurité où la dissertation confuse de son historien Bonaveri et les documents incomplets publiés par Spallanzani l'ont laissée. I me sufhra, pour lui donner toute la célébrité qu'elle mérite, de dire clairement par quelle ingénieuse combinaison le bon sens pratique de ces modestes pêcheurs a transformé un marécage de 30,000 hec- tares en un appareil hydraulique qu'ils manœuvrent comme une armée d'exploitation. Et je ne doute pas que désormais les curieux ou les artistes qui se dirigent vers Ravenne ou Ferrare, pour y faire leur pèlerinage aux reliques du Dante, à celles de l’Arioste DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 19 ou au cachot du Tasse, ne se détournent de leur chemin pour ad- mirer l'œuvre immense de cette colonie sans pareille. L'idée d’une si ingénieuse organisation leur fut imspirée par la découverte de l'instinct particulier qui porte certaines espèces de poissons à remonter les cours d'eau par légions innombrables, quelque temps après leur éclosion, et à regagner la mer quand ils sont adultes; curieux phénomène, qui se répète chaque année, sur tous les points du globe, aux embouchures des canaux qui se dé- chargent dans la mer ou que la mer alimente. On voit, en effet, vers des époques fixes, aux embouchures de ces canaux, s'élever à la surface des myriades de très-petits poissons diaphanes, qui s'avancent par masses plus où moins compactes, et qui sufliraient au repeuplement de toutes les eaux de la terre, si des lois protectrices les préservaient des causes de destruction, ou en ordonnaient le transport dans des réserves où ils pussent, comme à Comacchio, se convertir en abondantes récoltes de chair alimen- taire. Mais telle est l'imprévoyance des sociétés, qu'elles ne semblent pas même se douter de l'étendue des ravages que leur ineurie laisse s accomplir. Aussi, dans certaines contrées, les populations riveraines, Con- fiantes dans leur impunité, accourent-elles aux lieux où ces appa- ritions se manifestent, armées de longues perches au bout desquelles sont emmanchés des tamis, pour se livrer à ce plaisir de destruction. Elles plongent ces tamis dans l’eau jusqu'au tiers de leur diamètre, et, après les avoir promenés quelques instants afin d'écumer tout ce qui surnage, elles les retirent chargés d’une matière vivante qu'on verse dans des barriques où on lentasse. | Cette matière vivante, quand on l'examine de près, se montre exclusivement formée, tantôt par des animalcules filiformes, qui ne sont autre chose que de jeunes anguilles nouvellement écloses, quittant le lieu de leur naissance pour se disperser dans les ruis- seaux et les lacs qui communiquent avec les fleuves dont elles re- montent le cours; tantôt des soles, des plies, des muges, des loups, des dorades, ete. ete. dont on détruit des générations entières. 3 20 INDUSTRIE C'est à ces migrations périodiques qu'on donne le nom de montée. Elles durent depuis le mois de février jusqu'à celui d'avril ou de mai, selon la température ou la différence des climats. Frappés de ce fait immense et toujours en présence de ce grand spectacle, les habitants de Comacchio furent naturellement con- duits à se préoccuper des moyens de le faire tourner au profit de leur industrie, Is imaginèrent donc, pour atteindre ce but, d'avoir recours à un double mécanisme, qui, après avoir attiré ces bancs de semence dans leur lagune, les entrainerait ensuite, quand les poissons seraient adultes, vers des magasins où la récolte irait elle- même se rendre, el voici par quelle combmaison leur bon sens réalisa cet admirable projet. Pour donner à cette semence un accès facile dans la lagune et l'inciter à y entrer, ils ouvrirent, en plusieurs endroits, de larges tranchées à travers les digues naturelles qui séparent cette lagune des deux rivières qui en bordent les côtés. Sur ces larges tranchées, dont plusieurs forment d'assez longs canaux, ils jetèrent des ponts, ordinairement à double arcade, et à ces ponts ils articulèrent de fortes écluses, mises en jeu par une manivelle ou une vis. Ces écluses sont autant de portes qu'on ouvre à la semence, et qu'on referme dès que cette dernière s'est répandue dans les bassins de la lagune, Les ponts à double arcade qui supportent ces écluses monu- mentales, soutenus par des assises profondes, entièrement construits en pierres de taille qui leur donnent une solidité suflisante pour résister aux plus grandes crues, ont été élevés, à grands frais, par la munificence des papes, ou bien par des subsides que la Chambre apostolique ajoute aux contributions spéciales que certaines clauses du contrat de fermage imposent aux entrepreneurs des pêches. Dans le premier cas, cest le nom du pontife qu'on leur donne; dans le général; et quelquefois une inserip- lion consacre le souvenir de cet acte de bienfaisance et rappelle les second, c’est celui du fermier conditions dans lesquelles il fut accompli. L'écluse Lepri est ainsi désignée du nom du fermier général qui, en 1719, la fit construire à ses frais, avec une subvention de 2,000 seudi (10,800 francs). DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 21 Celle de Pédone porte quelquefois le nom de l'entrepreneur Tho- masi, qui, en 1720, l'érigea aux frais du trésor pontifical. En résumé, l'organisation de toutes ces écluses, espacées sur une longueur de 16 kilomètres environ du eôté du Volano, de 0 ki- lomètres du eôté du Reno, mettent au service de lexploitation vingt courants qui permettent de mêler aux eaux salées de la lagune celles des deux rivières qui en suivent les bords, et de faire con- courir ces deux rivières, pour la part qui leur revient, à l’ense- mencement de cette lagune. Voyons maintenant quel rôle doivent jouer les eaux de lAdriatique dans cette opération importante. Entre l'embouchure du Volano et celle du Reno, à 9 kilomètres de la première et à 12 de la seconde, se trouve, avons-nous déjà dit, le port de Magnavacca, canal antique, de 44 mètres de large, qui remonte vers la lagune à travers listhme étroit qui la sépare de la mer. Ce canal, si peu profond, que des navires d’un port supérieur aux grandes barques de pêche ne peuvent y entrer, con- duisait autrefois, après un trajet de 1,000 mètres, les eaux de l'Adriatique à des fossés irréguliers, tortueux, qui les amenaient dans Comacchio, ou dans la lagune elle-même, par des voies dont les atterrissements menaçaient de compromettre l'industrie, si on n'avait pris des mesures pour conjurer le péril. Le cardinal Palotta, frappé des inconvénients d'un pareil état de choses, et voulant, dans sa sollicitude pour la colonie, porter remède à un mal qui s’'aggravait sans cesse, forma le hardi projet, pendant sa légation de Ferrare, de 1631 à 1654, de prolonger le port de Magnavacca, non-seulement jusqu'à la ville de Comacchio, mais de le conduire, à travers toute la lagune, au delà même des limites de cette dernière, le ereusant dans des langues de terre quand il s'en rencontrait, lenfermant dans des digues artificielles quand la terre ferme faisait défaut, afin d'aller, sur la rive opposée. chercher, à 10,000 mètres du point de départ, un vaste bassin d'eau douce, le Mezzano, qu'il incorpora, en linondant d'eau salée, à l'appareil hydraulique dans lequel son œuvre concourait si puis- samment à transformer cette mer intérieure. Ce canal, dont Île € 2 2 INDUSTRIE tv tronc principal n'a pas moins, comme je viens de le dire, de 10,000 mètres de long sur 6 ou 7 de large, fournit, à droite et à gauche, sur tout son trajet, des branches principales qui vont se divisant et se subdivisant, sans jamais diminuer de calibre, porter les flots de l'Adriatique vers tous les points de la lagune qui ont paru les plus commodes pour le rôle qu'on leur assigne dans le jeu de l'im- mense machine. C'est, en général, vers les principales îles dont cette lagune est parsemée que ces branches ont été dirigées, afin que l'embouchure de chacune d'elles püût y être encaissée dans lune des tranchées rectilignes qui coupent ces îles de part en part, et où leurs extré- mités, béantes au bout de ces tranchées, permissent d'articuler, chaque année, aux époques des pêches, un curieux appareil (lavo- riert), à droite et à gauche duquel se trouvät assez de terre ferme pour y établir une caserne, un magasin pour les instruments d'ex- ploitation, et, dans les grands quartiers, une chapelle. Ces embouchures, béantes au bout des tranchées où on les a, pour ainsi dire, soudées, forment une centaine de bouches toujours prètes à vomir dans la lagune les eaux de lAdriatique, qui, à chaque reflux, traversent les ramifications du canal Palotta, comme le sang parcourt les artères d’un organisme à chaque pulsation du cœur. Chacune des îlés choisies pour l'établissement de ces lavorier devient donc une espèce de métairie, ayant, comme je le dirai plus loin, son chef d'exploitation, ses valets de ferme, ses instruments de travail, sa maison d'habitation, ses magasins pour la récolte, car c'est là que le jeu de l'appareil la fait aboutir tout entière. Cette comparaison se présente si naturellement à l'esprit, que les habi- tants de Comacchio, frappés eux-mêmes de lanalogie de leur in- dustrie avec l'art agricole, ont désigné, de tout temps, les bassins dont ces îles reçoivent les produits, sous le nom de champs (camp) . comme s'il s'agissait de la culture de la terre; et, pour eux, la montée devient la semence de ces champs. Aussi les vallanti ne se tiennent-ils pas pour des pêcheurs ordi- DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 23 naires. Dans l'estime qu'ils ont de la dignité de leur art, ils consi- dèrent ce nom comme une qualification humiliante pour la profession qu'ils exercent. Si on le leur donne, on ne tarde pas à s’'apercevoir que, malgré leur respectueux maintien, au fond, leur fierté s'en offense. Honorés de donner leurs soims à une industrie dont toutes les pratiques reposent sur des procédés ou des mécanismes dont ils sont les artisans, ou dont leurs ancêtres furent les inventeurs, ils ne permettent pas qu'on déchire ainsi leur blason. Je dis leur blason, car, parmi ces travailleurs, il est une famille qui porte sur son éeu une otela d'or, sur fond d'azur, en mémoire du perfectionnement que lun de ses aïeux introduisit dans l’art de la pèche. Les travaux de canalisation et d'ajustement dont, il y a deux cent vingt ans, le prélat novateur dota l'industrie de Comacchio, furent le pas le plus décisif vers la transfiguration définitive de la lagune en un mécanisme entièrement soumis à la volonté de l’homme. Hs ‘ Le souvenir de cette grande œuvre et de ce grand bienfait a été conservé dans la cathédrale par les soins de l'évêque Pandolfe, sur une table de marbre blanc, où on lit l'inscription suivante, que je transcris textuellement : «Jo. Babtistæ S. R. E. presbitero card. Pallotto cum enim in Comaclensem urbem «singulari arderet amore, ipsam diuturnam cæreis ægestate fatigatam , copioso rei fru- +mentariæ provisa procreavit. «Mox Caprasiæ portum connexis trabibus, et sico ilhrico solidatum, in ulterioris «maris sinum ad allicienda navigia, et densiores piscium phalanges m vallium campos “educendos produxit. Canalem insigni latitudine, et longitudine conspicuum utrinque aggere septum «construxit, el ut a mari naves mareimoniis onustæ intra pennates faucibus deduce- “rent ac remearent,. “Alique receptacula aquarum arundinibus coacta cancellis per medium vallium fe- «rendis navigiis, et civium desideriis accomodata composuit. «Ex Pineto portu labentibus aquis ostium in valles pandit in quas copiosiores ca- «lerva e mari pisces erumpunt. « Urbis canales expurgatos lateritis margine aquarum opulenti salubritate, et forma «consulens amplificavit. «Super quibus ingentes pontes magnifice constructos in magnam antiquissimæ ci- rvitatis pulchritudinem imposuit. «Qui tanquam triumphales arcus suæ beneficentiæ sistantur. «Monialium condendo cœnobio situm, et pecuniam, atque loca in urbano collegio “ad Comaclensem adolescentiam excolendam decoravit. 2h INDUSTRIE livraient, en effet, à son omnipotence la masse des eaux, car, en abaissant à la fois toutes les écluses, celles des deux rivières comme celles du canal Palotta, cette lagune devenait une mer intérieure complétement indépendante; et, en les ouvrant, les flots de l'Adria- tique venaient s'y mêler à ceux du Reno et du Volano, dans des proportions qu'on était désormais en mesure de régler. Mais, pour que cette omnipotence pût s'exercer aussi bien pour chaque point particulier de Fimmense machine que sur l’ensemble, il fallait encore ajouter un perfectionnement de plus à ceux qu'on avait déjà réalisés, et c'est ici que commence une entreprise non moins con- sidérable que la première, celle de lendiguement Ce dernier perfectionnement eut pour but de diviser la lagune en un grand nombre de compartiments, et de faire que chacun de ces compartiments fût en communication directe avec un ou plu- sieurs rameaux de Adriatique, et, en mème temps, avec les eaux douces de lune ou de l'autre des deux rivières limitrophes, C'est-à- dire que chacun d'eux devint l'image raccourcie de la lagune elle- même; en sorte que les manœuvres d'exploitation se trouvant par là à la fois réparties et concentrées, Taction devint plus intense, dans ces loges restreintes, que si l'on avait été réduit à la nécessité d'o- pérer sur un espace immense , où l'on n'aurait jamais réussi à faire sentir partout également lartifice du mécanisme. On a donc, pour attemdre ce but, fait des levées de vase, que l'on a encaissées dans de doubles haies de roseaux ou de faseines, soutenues, de distance en distance, par de forts piquets. Cette vase. coulée, si je puis ainsi dire, dans ces espèces de moules à claire- voie, affermie par les débris de coquillages qui s'y trouvent mêlés en abondance, se dessèche au bout d’un certain temps et finit par former des cloisons solides, d’un ou deux mètres d'épaisseur, qui s'élèvent de 50 centimètres au-dessus du plus haut niveau des eaux, «Assiduo in ovium augmenta decora emolumenta patrocinio Alphonsus Pandulfus , «Ferrariensis hujus Ecclesiæ antistes, tanto principi, ac patrono beneficentissimo grali, et obsequientissimo animi ergo P. M. «A. M. DC. XXXVIII. » DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 25 et deviennent, quand cela est utile, des voies de communication avec les autres quartiers de ce vaste champ d'exploitation. Ces digues artificielles, dont l'ensemble représente une longueur de Ao,ooo mètres, ont été combinées de manière à relier entre elles les diverses îles à travers lesquelles s'ouvrent, dans la lagune, les rameaux du canal de l'Adriatique, puis ces îles aux langues de terre qui se détachent du rivage, et, à défaut de langues de terre, au rivage lui-même. Celles qu'on a dirigées vers les parties de ce rivage que longent le Reno et le Volano y ont été rattachées de facon à comprendre toujours, dans les bassins qu'elles concourent à circonscrire, une ou deux écluses destinées à y verser les eaux douces ou à en précipiter les eaux salées aux époques de l'année où le niveau des unes est plus élevé que celui des autres. Quant aux compartiments du centre, ils ne reçoivent ces eaux que par l’'inter- médiaire de ceux de la circonférence, au moyen de portes qu'on n'ouvre qu'à l'époque de lensemencement. On compte, dans toute la lagune, environ quarante de ces bas- sins où champs (camp). Le plus grand nombre et les plus importants appartiennent à l'État. Les autres sont des propriétés communales ou privées. En résumé, après la triple modification introduite par la rupture des rives des deux rivières limitrophes et la construction des écluses destinées, tour à tour, à livrer passage à leurs eaux ou à opérer l'interruption de leur cours; après le creusement du canal Palotta et la soudure de l'extrémité de ses rameaux aux îles où ce canal conduit les flots de lAdriatique; après les travaux d'endiguement qui divisent une lagune de trente mille hectares en quarante bassins, où le mécanisme hydraulique le plus simple attire le jeune poisson qui vient d'éclore dans le golfe, et le conduit ensuite au lieu de la récolte, on peut bien dire que ces travaux ont organisé sur le rivage un véritable appareil d'exploitation de la mer. En présence de cette merveille anonyme, qu'on me permette cette expression, c'est moins la grandeur de œuvre qui étonne, que la raison supérieure et pratique qui en a réglé les travaux. Il hi 26 INDUSTRIE n'y a pas un seul détail, dans ce smgulier organisme, qui ne ré- ponde à quelque susceptibilité de Tinstinet des êtres qu'il s'agit d'inciter à se rendre, peu de temps après leur naissance, en un lieu déterminé, de contraindre à y rester jusqu'à l’âge adulte, de solliciter à en sortir, à des époques fixes, pour les diriger vers des embüches où ils viennent se livrer à la main de l’homme. La manœuvre qui met à la fois en communication, par toutes les écluses ouvertes, les eaux de la lagune avec celles du canal Pa- lotta et les deux rivières limitrophes, satisfait à la première de ces conditions : c’est l'opération de lensemencement. Celle qui abaisse toutes ces écluses après l'entrée de la semence, ferme hermétiquement toutes les issues et retient la montée pri- sonnière, satisfait à la seconde condition : c'est l'opération prépa- ratoire à l'élève du poisson. Celle qui ouvre seulement les portes du canal Palotta, et livre passage aux courants salés qui attirent le poisson adulte vers les embouchures béantes des branches de ce canal où se trouvent les labyrinthes, répond à la troisième indication : c'est l'opération de la récolte. Cet appareil hydraulique, unique dans le monde, met donc aux mains de ces obscurs pêcheurs un instrument de production dont la puissance serait illimitée, si, aux pratiques consacrées par le temps, ils ajoutaient, comme je leur en ai déjà donné.le conseil, les ressources que l'application du procédé de fécondation artifi- cielle peut fournir. H n'y a pas sur la terre une seule contrée où se trouve un pareil laboratoire pour cette entreprise gigantesque. En voyant ces hommes simples et doux se livrer à leurs travaux, Jéprouvais, dans ma vive sympathie pour la prospérité de leur inpénieuse industrie, une véritable joie à la pensée qu'il me serait peut-être donné d'appeler sur eux la faveur publique, lorsque, la veille de mon départ, au moment où, monté sur la gondole muni- cipale, que le gonfalonier de la ville, M. Ducati, avait bien voulu mettre à ma disposition pour visiter les différents postes de la lagune où on m'initiait à toutes les pratiques, l’un des vallanti rompit les DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 27 rangs et m'adressa ces paroles pleines d’une mélancolique résigna- tion, dans un temps où la moindre doléance touche à la révolte : Que Dieu vous accompagne, et qu'il fasse que vous soyez venu «parmi nous pour l'amélioration de notre sort.» Cest sous l'im- pression de ces paroles que j'écris ces lignes. Puissent-elles réaliser les espérances de celui qui les à prononcées! INDUSTRIE 15 a YPA: CONTRAT DE FERMAGE. La portion des habitants de Spina qui, pour échapper à la mal- heureuse destinée de la patrie, prit refuge sur Pile de Comacchio, fut d’abord, de la part de ses voisins, objet d’une profonde pitié pour s'être choisi une demeure où elle ne pourrait rencontrer que la misère ; mais, lorsqu'on s’aperçut que son courage, supérieur à son infortune, avait fait naître l'abondance [à où on la croyait con- damnée à un éternel dénûment, la pitié se changea en convoitise, et la convoitise en tentatives de spoliation. L'instinet de la rapine déchaîna contre ce peuple sans défense ceux-là mêmes qui, la veille, le prenaient en commisération , et fit de tous ses voisins des ennemis ou des assaillants. Ne pouvant done se préserver des malheurs d’une invasion sans cesse renaissante, et contre laquelle l'alliance de Ravenne ne lui donnait pas un appui suflisant, cette colonie industrieuse, voyant le succès des armes d’Azzo d'Este, le proclama seigneur de Gomacchio, vers la fin du xm° siècle, en 1297 '; confiant ainsi le soi de sa dé- fense à la bravoure d’un prince redouté des étrangers, respecté des Ferrarais, qu'en sa qualité de vicaire du Saint-Siége 1l tenait sous Ferry, /stor, dell antica eittà di Comacchio, 1701, Ferrara, p. 315. DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 29 sa dépendance. Mais, en retour de ce puissant protectorat, elle fit, au souverain de son choix, la concession de tous les bassins du pourtour de sa poissonneuse lagune, qui prirent le nom de valli du Prince, ne se réservant que ceux du centre, c'est-à-dire le Campo et le Fattibello, où la ville se trouve comprise. L'intervention des dues dans le gouvernement de la lagune ne fut pas seulement un bienfait pour l'industrie, elle devint, pour la population, une source de richesse. Leur royale munificence mit à la disposition des habitants de ce nouveau domaine les sommes d'argent nécessaires à une organisation plus régulière des valh, en même temps qu'elle leur laissait la jouissance de tous les produits de la pêche, afin que les profits qu'ils en retiraient pussent les encourager à y introduire tous les perfectionnements qu'ils juge- ralent utiles, l'État ne se réservant qu'un simple tribut en nature. dont la contribution était plutôt le symbole que l'exercice réel de son droit. Grâce à cette généreuse impulsion, la lagune fut bientôt convertie en une mer fermée, où un membre de la famille des Guidi, élevant tout à coup l'art de la pêche au niveau de la plus ingénieuse industrie, substitua aux anciennes pratiques ce merveil- leux labyrinthe que le Tasse célébra dans ses vers, et qui fut pour les dues une occasion d'honorer le travail, en créant. dans la fa- mille de l'inventeur, un titre héréditaire de noblesse. dont je prends plaisir à reproduire ici le blason. Les récoltes de la lagune, progressivement accrues par les soins 30 INDUSTRIE que ces encouragements firent donner à sa culture, devinrent peu à peu assez abondantes pour que, dès 1597, la maison d'Este, après avoir distribué à chacun sa large part dans les bénéfices, en retirät un revenu annuel de 55,000 scudi (297,000 francs). Les habitants de la colonie n’eurent done qu'à s'applaudir d’avoir sous- crit au pacte qui leur assurait un si bienveillant patronage. Par cette habile convention, 1ls se mirent, en effet, à l'abri de tous les agresseurs, attendu que, pour arriver jusqu'à eux, il fallait désormais traverser le nouveau domaine seigneurial, dont les armes du duc interdisaient l'entrée. Mais ce pacte protecteur, en donnant la sécurité à la colonie, la mettait en état de servage: il attachait ses habitants à la glèbe de leur lagune aliénée, car, confinés sur une île dont le territoire suffisait à peine à leurs habitations, 1l ne leur restait plus, après cette abdication volontaire, d'autre res- source que celle de devenir les instruments d'exploitation des valli de la couronne, et d'y obtenir le droit au travail, dont le temps a fait un privilége héréditaire, qui ne s'éteint encore aujourd'hui dans les familles qu'à défaut de succession mâle. C'est dans des conditions impliquant une si bizarre conséquence que le Saint-Siége trouva Comacchio, lorsque, à la fin du xvr siècle. le pape Clément VII s'empara de Ferrare. Le souverain pontife fut donc obligé de tenir compte, dans son mode d'administration de la lagune, de ce développement historique, et voilà pourquoi l'on re- marque, dans le contrat de fermage, ces clauses singulières qui paraissent des anomalies, mais qui, au fond , ne sont que le respect d'un droit social aussi exceptionnel que la contrée où un précédent féodal l'a créé. Le gouvernement pontifical, ayant trouvé des inconvénients à exploiter lui-même les pêches de la lagune de Comacchio, délégua ses pouvoirs à des fermiers généraux, qui, moyennant une rede- vance et la garantie de tous les droits des habitants, firent de cette entreprise une spéculation commerciale. L'acte par lequel il constitue cette délégation est le même que celui de la location d’un immeuble quelconque; il commence par un état des lieux, que le tenancier DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 31 s'engage à entretenir en bon père de famille et à rendre plutôt améliorés que détériorés. On dresse, après évaluation d'experts, un inventaire détaillé des écluses, des chaussées, des canaux, des maisons d'exploitation, des meubles que ces maisons renferment, des barques, des ustensiles de pêche, sans en excepter le bois de construction, le bois à brûler, le vinaigre, l'huile d'olive, les ro- seaux, ele. afin que, à l'expiration du bail, une contre-expertise de confrontation établisse la différence. Si, par suite de quelque accident dont le gouvernement doit supporter le dommage, l'entrepreneur se trouve créancier de l'État, il peut, à défaut de remboursement, prolonger sa gestion jusqu'à ce que, en retenant sur le prix du loyer qui reste son gage, il soit complétement couvert de ses avances. Il a droit à dédommagement dans le cas d'augmentation d'impôts sur l'exportation du poisson salé, mariné, fumé, établie par les États limitrophes; dans les cas de débordement du Pô, de guerre, d’émeute, de pestilence, qui seraient un obstacle à ses débouchés. La Chambre apostolique s'oblige à obtenir de l'Autriche une ré- duction, sur le pied antérieur, des droits qu'elle perçoit, et, en cas de non-succès, le Saint-Siége est redevable d'une bonification de la différence de l'ancien au nouveau tarif, pour toute la quantité de poisson exporté. Elle lui accorde aussi l'exemption du droit de douane ou d'octroi sur le vinaigre qu'il fait venir de Vasto pour les préparations de sa manufacture, et lui fournit, au prix de fabrique , le sel gris de Cervia. A ces conditions, le fermier général se substitue à l'État dans l'administration souveraine de la lagune, en possession de laquelle il entre comme un haut baron du moyen âge recevant l'investiture de son fief. Mais il est obligé d'exploiter ce fief à l'aide d’un per- sonnel dont le nombre, la hiérarchie, les fonctions, la solde, les rations, la part dans les bénéfices, sont réglés sur le principe hé- réditaire d’un droit au travail, dont la déchéance n’a lieu dans les familles qu'à défaut de succession mâle, ou pour cause d'indignité. Le nouveau gouverneur ne peut done rien changer, ni au fond ni 32 INDUSTRIE à la forme de ce droit social, quoique cependant son pouvoir soit une véritable dictature. Si, pour sa convenance, il juge à propos d'employer quelques ouvriers étrangers, ces ouvriers, le bail expiré, n’ont aucun titre à la considération de l'État, dont le devoir est de respecter les priviléges héréditaires de ses sujets. Leur admission provisoire ne saurait done porter aucune atteinte aux droits légi- times des fonctionnaires qui sont au service caméral. Le fermier général, outre les priviléges des cinq cents fonction naires attachés au service de l'exploitation, doit maintenir aussi ceux des familles de la ville qui sont investies du droit de fabri- cation, c’est-à-dire du droit de préparer du poisson pour le compte de l'administration, moyennant un bénéfice déterminé par le règle- ment et proportionné à la quantité que ce règlement leur accorde. Si, par défaut de succession mâle, le nombre de ces familles vient à diminuer, il propose de les remplacer par d'autres, en tenant compte, dans ses tableaux de présentation, des services rendus par les compétiteurs où par leurs ancêtres. Mais, pour que la tradition des bons procédés de fabrication ne se perde pas, il entretient lui-même une manufacture modèle, la plus considérable de toutes, à laquelle il ne doit cependant donner qu'une certaine extension, afin qu'il reste aux usines particulières une quantité suflisante de poisson pour occuper leur activité et remplir les prescriptions du règlement. Les intérêts des orphelins, des veuves, des infirmes et des pauvres, n'étant jamais oubliés dans aucun des actes où le sou- verain pontife stipule pour ses sujets, le fermier général est tenu de consacrer, tous les ans, sur le revenu de la lagune, une somme de 700 seudi pour constituer des pensions aux uns, et deux valli spéciales sont livrées aux autres pour y exercer le droit de pêche, au temps et suivant des règles déterminées. S'il s'agit d’une veuve ou d’un impotent, la pension est viagère; si c'est un orphelin, elle dure jusqu'à l’âge de dix-huit ans; si c'est une orpheline, jusqu'à celui de vingt, et, en cas de mariage, elle touche deux annuités. Enfin , aux diverses clauses de ce contrat bilatéral, vient se joindre DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 33 celle de la redevance, qui se compose d'une certaine quantité des plus beaux poissons de la récolte, distribués en offrande aux membres de la Chambre apostolique, bienveillants protecteurs de l’industrie . et d’une contribution en argent, dont le chiffre s'élevait, en 1792, sous la gestion de Dom Massari de Ferrare, à 65,000 scudi romains (331,000 francs). Une clause du contrat, laissant à cet entrepre- neur la faculté de payer son fermage en papier, lui donnait, chaque année, outre les bénéfices ordinaires de l'exploitation, un gain de 50,000 francs, qu'il percevait sur le change. Aujourd'hui que la fertilité de la lagune a été affaiblie pour un certain temps, à cause des désastres survenus depuis le commen- cement du siècle, la redevance des fermiers généraux est provisoi- rement réduite à 18,000 scudi, dont 15,000 sont versés dans le trésor pontifical et 3,000 dans la caisse de la commune, C'est M. le prince Torlonia qui en est le dernier tenancier : il est repré- senté à Comacchio par M. Chersoni, homme intelligent et ferme, qui exerce le pouvoir en son nom. L'État ne se réserve que le droit d'inspection, afin de S'assurer que la foi des traités n'est pas violée, et qu'aucune innovation dans le mode d'exploitation ne s'introduit sans son consentement: car l'entrepreneur des pèches s'engage à se conformer, dans ce mode d'exploitation, aux usages établis. 34 INDUSTRIE LV. GOUVERNEMENT DE LA LAGUNE. Le gouvernement de la lagune appartient done exclusivement au fermier général ou à son représentant, qui, en vertu des clauses de son contrat, exerce le pouvoir absolu, à la charge par lui de remplir toutes les obligations que ce contrat impose. Parmi ces obligations, la plus importante est, sans contredit, celle qui fixe irrévocablement, pendant la durée entière du bail, les cadres du personnel, et lui prescrit de garder à sa solde les cinq cents hommes dont ce personnel se compose; véritable armée de travailleurs, soumise aux règles de la hiérarchie militaire, à la discipline de la caserne, au régime de l'obéissance passive. Cette armée de travailleurs a été divisée, pour suflire aux di- vers besoins du service, en trois brigades distinctes : 1° La brigade d'exploitation de la lagune, dont le contingent est d'environ 300 hommes; 2° La brigade de police, dont le contingent est de 120 hommes: 3° La brigade administrative et manufacturière, dont le con- tingent est de 100 hommes environ. BRIGADE D'EXPLOITATION. Les 300 travailleurs qui composent la brigade d'exploitation DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 39 sont préposés à l'entretien et à la construction des digues, à la manœuvre des écluses aux époques de l’ensemencement, à l'orga- nisation des labyrinthes aux époques des pèches , au transhordement de la récolte dans les barques qui doivent la porter à la fabrique , ou à son entrepôt dans les borgazzi, espèces de réservoirs en oser où ils conservent le poisson vivant, en attendant que les marchands viennent l'acheter sur place. Pour que toutes ces opérations marchent régulièrement, s'ac- complissent partout sans confusion, et qu'il n'y ait pas un seul acte dont l'administration ne soit à l'instant informée, cette brigade a été subdivisée en autant de pelotons qu'il y a de métairies d'ex- ploitation, c'est-à-dire en 33 famulles, car c'est ainsi que l'on dé- signe le personnel attaché au service de chaque quartier. Chacune de ces familles, qui se composent de 10 ou 12 tra- vailleurs selon l'importance du quartier, est à demeure dans la valle, dont elle habite la caserne sous le régime de la discipline la plus sévère et de la vie en commun. Elle a pour chef un caporione (maître), qui exerce le pouvoir absolu sur son domaine, comme le fermier général dans la lagune tout entière, reçoit pour salaire h seudi 75 baiocchi par mois, livres 1/2 de poisson par jour (cibaria), et, aux époques où la pèche manque, durant l'été, par exemple, un supplément de solde en compensation. [ a, en outre, comme, du reste, la plupart des employés de l'administration, un bénéfice sur le produit des pêches, qui, dans les bonnes années, s'élève, pour chacun des employés, jusqu'à 12 éeus romains. Res- ponsable de tout ce qui se passe dans la valle qu'il commande, c'est lui qui donne l'exemple de la bonne conduite morale, de la tenue du costume, de l'activité; il se montre le premier à l'œuvre, fait régner partout l'ordre et la discipline, conserve soigneusement Îles instruments de travail que l'administration confie à sa garde, en fait tous les samedis le recensement, en ordonne la réparation quand ils se dégradent, en propose la suppression lorsqu'il les juge hors de service. Si quelqu'un de ces ustensiles manque , il fait une en- quête, et, si on ne découvre pas l’auteur de la soustraction frau- J. 36 INDUSTRIE duleuse, la famille est tenue de remplacer l'objet dérobé. Dans les cas où ses subordonnés sont indociles ou manquent à la disci- pline, il est obligé, pour ne pas enfreindre lui-même le règlement et encourir une punition, d'en faire son rapport impartial au chef de la division de la lagune dans laquelle sa valle se trouve com- prise. Il est tenu, en outre, de se rendre, à des jours fixes, au siége de ladministration, pour donner une relation verbale des opérations qu'il dirige, et indiquer celles qu'il conviendrait d'en- treprendre. Le caporione, chef suprême de la valle, a sous ses ordres un solto-caporione (contre-maître), qui recoit ses instructions pour les transmettre à la famille, et un serivano (secrétaire), tenant les re- gistres des opérations. Ces deux fonctionnaires ont lun et l'autre pour solde 4 seudi 70 baiocchi par mois, et, comme le caporione, 2 livres 1/2 de poisson par jour. Les ordres du caporione, transmis par le sotto-caporione ou le serivano, qui peuvent le remplacer au besoin, sont exécutés, sous les yeux de lun ou de l'autre, par les vallanti, travailleurs dociles, à L sceudi Lo baiocchi par mois, outre la part quotidienne de pois- son qui leur revient. Enfin, pour compléter la famille, il y a aussi, dans chaque valle, des ragaza et des sotto-ragazai, espèces de mousses ou d'apprentis, les premiers à 22 pao, les seconds à 1 écu de gages par mois, et un alunno, qui est comme le serviteur ou le messager de la com- munauté, C'est lui qui approprie la maison, balaye les salles, va chercher les provisions à la ville, se charge de toutes les commis- sions qui intéressent l'administration. Exilée dans la valle qu'elle exploite, chaque famille s'y trouve dans la nécessité de vaquer elle-même à tous les soins de sa vie matérielle. Les vallanti sont donc, à tour de rôle, de service à la cuisine, comme nos soldats dans celle de leur caserne. Ils mettent en commun la portion de poisson (cibaria) qui fait partie de leurs gages, y ajoutent les provisions que l'alunno rapporte de la ville, préparent le repas, auquel ils doivent tous prendre part, depuis le DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 37 chef jusqu'au plus humble serviteur, mais où les droits de la hié- rarchie sont aussi rigoureusement observés que dans les occasions les plus solennelles. Le caporione occupe la place d'honneur à l’une des extrémités de la table commune, ayant le sotto-caporione et le scrivano à ses côtés, et, à la suite de ces deux fonctionnaires, les vallanti, les ra- gazzi, les sotto-ragazzi; puis, après la bénédiction d'usage, il exerce lun des priviléges de son patriareat en se servant le premier, et distribue ensuite à chacun sa portion, en respectant le droit de préséance avee autant de serupule qu'il la fait pour son propre compte. L'anguille forme la base de ce repas. Ils apprètent ce poisson de la manière la plus simple : après lui avoir ouvert le ventre de la tête à la queue pour enlever Fintestin et lépine dor- sale, ils lui font plusieurs entailles, la saupoudrent, la mettent sur le gril, la tournent et la retournent, jusqu'à ce que la cuisson en ait pénétré toutes les parties. La graisse qui en découle constitue seule l’assaisonnement, car on n'emploie jamais ni l'huile, ni le beurre. Comme Spallanzani, qui visita cette contrée vers la fin du siècle dernier, j'ai goûté ce poisson sur place, et j'ai trouvé sa chair non-seulement très-délicate, mais encore d’une digestion facile, ce qui provient sans doute de l'habitude dans laquelle sont ces pé- cheurs de lapprèter vivant, c'est-à-dire avant qu'il ait souflert de longs jeùnes ou séjourné longuement dans les barques où on l'entasse pour l'exportation. La polenta, gäteau de farine de mais, figure aussi, en guise de pain, sur cette table frugale, à côté du vin du Bosco-Eliseo, le meilleur que l'on récolte dans la province de Ferrare, et qui complète le menu de ce régime salutaire. Le repas terminé, les travailleurs se remettent à l'œuvre, et. quand vient le soir, les uns veillent assis dans de grandes chaises de paille à bras, les autres se couchent dans les lits assez durs du dortoir de la caserne. Aucun des employés de la valle ne peut s'en absenter ni se rendre à Comacchio pendant la semaine, sous aucun prétexte, à moins qu'une circonstance impérieuse, dont le chef de la famille est seul 38 INDUSTRIE juge, n'en fasse une nécessité. Dans ce cas, le caporione délivre un permis éerit, indiquant le jour, l'heure et le motif du départ, que l'employé autorisé est tenu d'aller présenter à l'administration cen- trale. On profite alors de ces occasions exceptionnelles pour charger cet employé de faire les provisions que l’alunno va chercher ordi- nairement à la ville tous les mercredis, et, dans ce cas, l’alunno reste à la valle, afin que le service n’y souffre pas d’une double absence. Selon l'usage, on accorde au suppléant temporaire une demi-journée de vacance, si la valle est proche, une journée tout entière, si elle est éloignée. Celui qui est surpris en route pour Comacchio sans une autori- sation écrite, ou à Comacchio mème sans avoir présenté cette auto- risation à l'administration, ou dont l'absence se prolonge au delà du terme qui lui a été accordé, est puni, la première fois, d'une suspension d'emploi, la seconde, d’une retenue d’un à six mois de gages, selon la gravité de l'infraction, et, à la troisième récidive, d'une expulsion définitive. Les mêmes peines sont applicables au chef de la famille qui, le sachant, n’mforme pas l'administration de la désertion temporaire d’un subordonné qui aurait quitté la valle sans permission. Cependant, pour que les travailleurs cantonnés dans ces valli n°y soient pas condamnés à un éternel exil, l'administration leur con- cède le droit de venir, à tour de rôle, tous les quinze jours, passer le samedi et le dimanche au sein de leurs familles, pourvu que la répartition des congés soit faite de manière à laisser dans la valle la moitié des employés de service. Les chefs règlent cette réparti- tion chaque vendredi soir, délivrent les congés, et, le lendemaim matin, la moitié de la brigade d'exploitation se met en marche pour la ville, où les mères, les sœurs, les filles, les épouses, les at- tendent. Toutelois, ils ne rentrent à leur domicile qu'après avoir présenté à l'administration centrale leur carte de libre circulation. Ceux qui viennent des valli les plus proches ne sont tenus d'y retourner que le lundi matin de très-bonne heure; mais ceux qui arrivent des valli plus éloignées, comme celles de Cona, de Venighi, DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 39 de Rillo, de Spavola, d'Isola, de Fattibello, sont obligés de s'y rendre le dimanche soir après le salut, parce que, s'ils ne partaient que le lundi, ils ne seraient à leur poste qu'à une heure avancée de la journée, ce qui pourrait nuire à la régularité du service. Les chefs de chaque valle ont le soin de déposer, tous les samedis, à l'admimistration centrale, un relevé exact du nombre d'hommes en permission et de ceux qui sont restés au travail; en sorte que cette administration se trouve ainsi au courant de tous les mouve- ments du personnel et en mesure de faire observer les règles éta- blies sur cette partie de la discipline, de découvrir toutes les supercheries qu'on pourrait imaginer pour les enfremdre; car les heures de rentrée à la caserne lui sont aussi bien notifiées que celles du départ. Pendant l'absence des vallanti qui sont en congé, ceux qui res- tent aux valli y travaillent jusqu'à midi, nettoient les barques, plient les cordages, mettent les manteaux de garde en bon ordre, font, en un mot, tout ce qui peut être utile à l'économie de l'exploitation. Le dimanche, s'il n’y a pas d'oratoire dans le quartier où ils de- meurent, ils vont à celui du voisinage, y assistent à l'office divin. et retournent immédiatement après à leur poste, car le règlement leur inflige une punition s'ils y manquent. QUARTIERS GÉNÉRAUX DE LA LAGUNE. Le personnel de chaque valle, constitué comme je viens de le dire, soumis à l'autorité d'un patriarcat qui dispose à son gré des serviteurs qu'on lui donne, forme un corps dont tous les membres concourent à mettre en jeu le rouage spécial confié à ses soins: mais ce rouage n'étant qu'une partie intégrante d’un organisme plus complexe, il fallait, pour assurer la fonction de l’ensemble, que ce rouage fût enchaîné à tous les autres, de manière à aboutir à un moteur commun. Cest pour cela que toutes les valli dont la lagune se compose ont été groupées en cinq quartiers généraux : le Caldirolo, le Paisolo, le Guagnino, le San-Carlo, le Pega, qui sont la résidence de cinq ofliciers supérieurs ayant une autorité A0 INDUSTRIE plus haute, et qui émane directement du pouvoir central dont ils sont les agents. Ces officiers supérieurs, qui ont de 10 à 12 scudi d'appointe- ments par mois, portent le nom de fattori (directeurs); ils sont, par rapport à la division qu'ils commandent, ce qu'est le caporione par rapport à la valle qu'il dirige. Tous les caporioni de leur dé- partement deviennent, par conséquent, les intermédiaires à l’aide desquels leur pouvoir s'exerce sur chaque famille, en fait concourir tous les membres aux manœuvres générales. Is veillent à l'économie de tout le matériel, à l'observation de la discipline et du bon ordre dans les différents postes, reçoivent les rapports des ofliciers subal- ternes, conservent les remblais, font la provision de roseaux et de piquets nécessaires pour la construction des labyrinthes, à l'orga- nisation desquels ils président, chaque année, sous la direction des ingénieurs, et, de concert avec ces dermiers, font ouvrir les écluses au moment de la montée et à l'époque des pèches. La supériorité de leur grade et les rapports fréquents que les besoins du service les obligent d'avoir avec l'administration centrale leur donnent le privilége de venir à la ville, sans autorisation préa- lable, toutes les fois qu'ils le jugent utile aux besoins de lexploi- tation, et, de plus que tous les autres employés, les jours de fête obligatoire. Mais, en dehors de ces circontances particulières, ils ne peuvent, à l'exception des samedis et des dimanches, quitter Îles quartiers généraux où, en signe de leur suprématie, ils habitent un appartement particulier et même une maison distincte. Hs ont sous leurs ordres un sotto-fattore (sous-directeur), qui les remplace en cas d'absence et jouit d’une solde et de droits analogues. Tous les soirs ils font au fermier général un rapport écrit sur les opérations de la journée, et reçoivent ses ordres pour celles du lendemain. Jusque-là le pouvoir, en s’élevant du chef de la famille (caporione) aux directeurs (fattori), a bien été en se concentrant, mais il est resté divisé cependant entre les mains de cinq personnes dont les résidences sont éloignées les unes des autres; l'unité n'existe par conséquent pas encore, il s'agit done de la constituer. DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. Al Un conseil supérieur, formé par les ingénieurs de la lagune, les fattori, les sotto-fattori, les surveillants, se réunit tous les dimanches au siége de l'administration , sous la présidence du fermier général ou de son représentant; là sont discutées toutes les affaires qui con- cernent le gouvernement de la lagune, les travaux à entreprendre pour l'accroissement de ses produits, les mauvaises pratiques à réformer, les désordres à réprimer. Le conseil entendu, le fermier général, qui a pris part à ses délibérations, guidé par l'expérience d'un état-major qui est la re- présentation intelligente de tous les travailleurs, exerce alors son pouvoir absolu. Sa volonté, portée par ses ofliciers d'ordonnance, qui, la veille, faisaient partie de son conseil, s'irradie, en suivant la voie hiérarchique, dans tous les quartiers de la lagune, comme à travers un fil électrique qui en mettrait les divers rouages en mou- vement, et, au premier appel, chacun se trouve à son poste pour exécuter ses ordres. BRIGADE DE POLICE. Les 120 gardiens (guardiani) préposés à la surveillance de la lagune ont une organisation à peu près analogue à celle des doua- niers de nos côtes maritimes : ils font des rondes de jour et de nuit, sous le commandement général d'un inspecteur qui recoit directement les ordres de l'administration centrale, les transmet aux D capitoni et aux 7 sotto-capitoni dont il est le chef, espèces de sergents et de caporaux qui dirigent chacun une des douze escouades dont ce bataillon se compose. Ces gardiens ont done un service distinct de celui de lexploi- tation des champs. Ms se bornent, et ce n’est pas pour eux une tâche facile, à défendre la lagune contre les tentatives des maraudeurs ou les abus de confiance dont les employés eux-mêmes pourraient se rendre coupables. Leur surveillance permanente et active ne réussit cependant que d'une manière incomplète à préserver la récolte. La police qu'ils exercent s'étend à une si grande surface, ô 12 INDUSTRIE que l'administration se tient pour satisfaite quand ses pertes an- nuelles ne s'élèvent pas au delà de la moitié de ses produits. Cette brigade a une demeure à part, qu'on nomme apposlamento. La solde des employés qui la composent est, selon le grade, de 5, 6 ou 6 écus 1/2 par mois. BRIGADE ADMINISTRATIVE ET MANUFACTURIÈRE. Le personnel des bureaux, chargé de toutes les affaires de l'ad- ministration de la lagune et des transactions commerciales, compte 25 employés : 1 directeur, 1 secrétaire général, 1 secrétaire ad- joint, 1 teneur de livres, 6 adjoints à ce teneur de livres, 2 adjoints de commerce, 2 aspirants, L copistes expéditionnaires, 1 archiviste. 1 caissier, 1 sous-caissier, à inspecteurs de fabrication. Ces em- ployés ont leur résidence à Comacchio, dans l'un des bâtiments de la manufacture. Les 3 inspecteurs de fabrication qui font partie de ce personnel administratif dirigent toutes les opérations qui se rattachent à la préparation du poisson, à sa conservation, à son exportation. [ls ont sous leurs ordres un certain nombre d'ouvriers chargés des manipulations de ce vaste laboratoire où, contrairement à ce qui a lieu dans la lagune, les femmes sont admises à prendre part aux travaux; mais, comme les procédés qu'on y met en pratique doivent faire l'objet d'un chapitre spécial, j'en parlerai plus loin avec tous les détails que leur importance réclame. DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 13 ENSEMENCEMENT DE LA LAGUNE. Le » février de chaque année, les vallanti sont dirigés vers tous les points de la lagune où se trouvent des écluses. Les uns vont sur les rives du Volano, les autres sur celles du Reno, et d’autres enfin sur le trajet du canal Palotta. Là, sous la direction des ingénieurs, et après avoir préalablement placé des filets destinés à retenir les poissons adultes qui tenteraient de s'évader, ils ouvrent ces écluses et laissent tous les passages libres jusqu'à la fin d'avril. Grâce à cette manœuvre, les eaux de la lagune, dont les pluies d'hiver ont élevé le niveau au-dessus de celles de PAdriatique, dé- terminent, en s'écoulant par les tranchées qui les mettent en com- munication avec celles du Reno, du Volano, du canal Palotta, des courants que l'on peut modérer ou activer à volonté. Or, comme c'est précisément à cette époque que les jeunes poissons nouvelle- ment éclos quittent spontanément la mer pour s'engager dans les canaux dont leur instinct précoce les porte constamment à remonter le cours, il s'ensuit que, incités par cet instinct, ils affluent dans la lagune, guidés par les nombreux courants qui en descendent. Is s'accumulent donc, trois mois durant, dans tous les champs d'exploitation, comme les grains dont on jonche la terre au temps des semailles. hA INDUSTRIE Cette première opération, de la bonne direction de laquelle dé- pend la fertilité des eaux et la fortune de l’industrie, à une trop grande importance pour qu'on ne l'entoure pas de toutes les pré- cautions qui peuvent en assurer le succès. Aussi l'administration et l'État rivalisent-ils de zèle, l'une pour lui donner ses soins les plus minutieux, l'autre pour lui garantir une eflicace protection. Une législation prévoyante, qui fait honneur à la sagesse du gouver- nement pontifical, interdit, sous les peines les plus sévères, sur toute la portion du littoral qui correspond à la lagune, l'usage des filets traînants à petites mailles, avec lesquels, en tout autre temps, on a coutume de pêcher jusqu'aux bords du rivage; tandis que, au moment de la montée, les filets à larges mailles ne sont tolérés eux-mêmes qu'à une certaine distance de la côte. La mise en vigueur de ce règlement salutaire, à l'exécution du- quel la vigilance de l'administration de la lagune est intéressée à tenir la main, préserve la montée du jeune poisson de toutes les perturbations qui, en troublant le libre développement de ses ins- tincts, pourraient la détourner de sa marche, l'empêcher de s’en- vager dans les embouchures vers lesquelles ces mêmes instincts la dirigent. Quand la tête de colonne de ces longues trainées de semence en a pris le chemin, tout le reste continue à suivre, à MOINS qu'un incident imprévu ne vienne rompre cette chaîne sans fin. Il faut donc redoubler d'attention au moment où elle arrive au niveau des écluses ouvertes, afin que rien n'y fasse obstacle à son passage. Des vallanti, préposés à la garde de chacune de ces écluses, sont chargés de ce soin; ils éloignent toutes les barques, et, si les besoins du service exigent qu'on en laisse circuler quelques-unes, c'est par des canaux Spéciaux , pratiqués à cet usage à côté de ceux d’ense- mencement, qu'ils les dirigent. Ils ont cependant, en ce qui concerne les anguilles, un moyen de reconnaître, sans troubler sa marche, si la montée en est abon- dante ou elair-semée. Ge moyen de reconnaissance consiste à former, avec des branches de menu bois, des fascines qu'ils descendent, à DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 45 l'aide de pieux, au fond des canaux d'ensemencement, où elles restent jour et nuit. Le vallante de garde les retire de temps en temps, les secoue contre terre, fait ainsi tomber toutes les jeunes anguilles qui sont prises entre les branches, et, selon que le nombre en est plus où moins grand, il juge de l'abondance ou de la mé- diocrité des semailles. On à recours à cet artifice, comme je viens de le dire, en ce qui concerne la montée d’anguille, parce qu'elle rase toujours le fond et ne se montre point à la surface, du moins pendant le jour, tandis que les jeunes du muge, de la sole, de la dorade, ete. c'est- à-dire de toutes les autres espèces dont les migrations ont lieu à la même époque, se font voir à fleur d'eau, ou à peu de profondeur, et qu'on peut, à leur égard, juger par les yeux de la quantité dont les eaux sont chargées. Cependant, vers le soir, quand vient Fobs- curilé, les jeunes anguilles elles-mêmes s'élèvent aussi vers la sur- face, comme le savent, en France, les habitants des bords de l'Orne, qui, au temps de ces apparitions nocturnes, en écument la rivière, et se livrent ainsi au plaisir de la pêche aux flambeaux. Si, à Co- macchio, les vallanti de garde avaient recours au même procédé, il leur serait facile de se faire une idée du véritable état des choses, mais une semblable opération pourrait porter le trouble dans les rangs de ces légions en mouvement, et ils s'en abstiennent. Le mélange d'une certaine proportion d'eau douce avec les flots salés de la lagune est une opération qui concourt à en augmenter la fertilité, par le double motif qu'il y introduit de la semence, et que son action, favorable au développement du jeune poisson, donne à sa chair un meilleur goût. Mais, dans les crues excessives, quand la fonte des neiges des Apermins, ou des pluies diluviennes, menacent de linondation, excès de ce mélange peut devenir une cause de désastre. Il dépose alors, sur le fond gras des bassins, dans lequel les anguilles aiment tant à s’enfouir, et où, comme toutes les autres espèces, elles trouvent une nourriture abondante, un limon malsain , qui porte quelquelois, pendant plusieurs années, un pré- judice sensible à la récolte. A6 INDUSTRIE Pour remédier à ce grave inconvénient, qui, heureusement, n'af- flige la contrée qu'en de rares occasions, on n'aurait qu'à introduire dans la lagune, en quantité proportionnelle, les eaux de lAdria- tique, afin de maintenir ainsi un certain équilibre; mais le port de Magnavacca et le canal Palotta n'ont pas une suflisante profon- deur pour permettre à l'industrie de lutter ainsi avec les éléments. Le résultat cependant ne serait pas difficile à obtenir. Ce n'est, en définitive, qu'une question d'argent, qui mérite bien qu'on en fasse l'objet d'une étude sérieuse; car on réussirait ainsi à donner à cet appareil, unique dans le monde, toute la perfection dont il est susceptible. Quoi qu'il en soit, après trois où quatre mois de durée, le phé- nomène de la montée cesse. L’Adriatique ne fournissant plus alors de semence à la lagune, il serait à craindre, si on continuait trop longtemps à laisser les passages libres, que les jeunes poissons ne désertassent, avant l'époque normale des pèches, à travers les mailles des filets d'attente, les lieux où ils grandissent. Pour prévenir ces migrations préjudiciables à lindustrie, on abaisse donc toutes les écluses, et, vers la fin d'avril, la lagune se trouve de nouveau convertie en un bassin hermétiquement clos, qui retient la montée prisonnière dans chacun des compartiments où, pêle-mèle, se sont répartis les jeunes de toutes les espèces. Ces troupeaux aquatiques, séquestrés désormais dans les limites des champs particuliers dont on ferme aussi les portes de commu- nication, sont contraints de les habiter jusqu'au moment où le fer- mier général juge à propos de les mettre en vente. [ls y vivent, chaque espèce selon son penchant, cherchant leur pâture au milieu des conditions qui leur sont imposées. Les soles, ordinairement couchées sur la vase, y font la chasse aux vers et aux insectes dont elles se nourrissent; les muges, voya- geurs intrépides, vont et viennent en tous sens comme des curieux en perpétuelle exploration, donnant aussi la chasse aux animaux plus faibles qu'eux, mais dévorant surtout les plantes marines ou les matières organiques qui les couvrent. J'ai vu ces êtres singuliers, . DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 47 quand ils se sentent pris dans les grands compartiments des laby- rinthes, monter à la surface, sortir leur tête volumineuse de l’eau, tracer un sillon bruyant, et, dans leur détresse, suivre tous les mouvements des vallanti qui marchent sur la rive, comme s'ils en attendaient leur délivrance. Jai compris, en assistant à ce spectacle étrange, comment les nomenclateurs des piscines de Lucullus, d'Hortensius, de Pollion, avaient pu réussir à dresser ces espèces de manière à les faire obéir à la voix : Nomenculator mugilem citat notum, Et adesse jussi prodeunt senes mulli. (Mart. X, xax.) L'acquadelle?, poisson nain qui n'atteint pas la taille du goujon, mais qui forme, dans ces bassins, des bancs innombrables, y semble la victime prédestinée de cette population carnassière. Les anpguilles, surtout, lui livrent des assauts cruels. Elles se rassemblent, pour lui donner la chasse, dans les endroits où il y a des chutes d’eau, et où ces petits poissons se plaisent; s'élancent à leur poursuite, fondent sur leur proie, et s’entrelacent de manière à former de volumineux pelotons. La passion qui les domine alors est poussée si loin, qu'elles n’ont mème plus souet des dangers qui peuvent les menacer; ni le bruit des barques qui passent et repassent sur leur tête, ni l'approche des filets, ne les détournent de leur but. Elles persévèrent jusqu'à complète satisfaction de leur appétit fé- roce; puis, quand elles sont repues, elles vont s'enfouir dans la vase, où elles gisent tant que la faim ne les pousse plus à sortir de leurs retraites. Chacune de ces retraites, qu'elles creusent en se glissant sous la fange, est un canal à deux ouvertures, à l'une des extrémités duquel ! L'acquadelle est une espèce du genre Athérine (Atherina, Lin.). Elle se multiplie en si grande abondance dans la lagune de Comacchio , qu'indépendamment de la quantité que l'on prépare pour le commerce, on en consomme encore des masses pro- digieuses pour les engrais. J'ai vu de grandes barques entièrement pleines de fretin de cette espèce transporter cet engrais animal vers le territoire de Ferrare. 48 INDUSTRIE on voit la tête, et à l'autre la queue de l'animal. Un léger soulè- vement du sol en indique quelquefois la place, en sorte que, pour en retirer l'anguille qui s'y cache, on n'a qu'à traverser la tumeur au moyen d'un trident, exercice auquel les vallanti se livrent avec un succès constant : c'est de ce gîte qu'elle guette les proies vivantes sur lesquelles elle s'élance à mesure qu'elles passent à sa portée. Si on la force à déloger, elle s'éloigne de quelques pas seulement, puis disparaît de nouveau dans la fange, où elle se creuse une autre demeure. Quand la température s'élève ou s'abaisse d’une manière sensible et incommode pour elle, son instinet la porte à se mettre à l'abri de ces variations de l'atmosphère en s’enfonçant davantage dans le sol, soit avec la tête, soit avec la queue, dont elle se sert également pour se frayer un chemin, choisissant les parties de ce sol où la terre est assez tendre pour lui permettre de descendre plus profondément. Il faut que les bassins de la lagune soient, pour les anguilles et les autres espèces qui l'habitent, un lieu de délices, puisqu'elles y entrent peu de temps après leur naissance, et qu'elles ne cherchent réellement à en sortir qu'à l'âge adulte. L'instinet de la reproduction les incite alors à retourner à la mer, d'où elles sont venues, et, comme, à cette époque de leur vie, elles ont déjà une assez grande taille pour être comestibles, on profite de cet instinct pour en faire la récolte. Mais, jusque-là, elles se trouvent si bien dans cette la- gune, que, sauf quelques exceptions, elles persévèrent à y rester, même dans les cas où les communications avec l'Adriatique ou avec le Pô sont rétablies. Spallanzani rapporte qu'à une époque de grande crue, le fleuve, ayant grossi plus qu'à l'ordinaire, surmonta les digues, de manière que les bassins ne formaient plus ensemble qu'un seul lac. On eraignit qu'à l'exemple de tous les autres poissons les anguilles ne se fussent évadées pour suivre le torrent de ce fleuve débordé; mais l'événement ne justifia pas ces craintes, la récolte fut aussi abondante que celles des années précédentes. Si l'on consulte les pêcheurs de Comacchio pour savoir avec précision combien de temps mettent les anguilles à prendre tout DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 19 leur accroissement, on trouve que leur expérience ne fournit, sur ce point, aucune donnée certaine. Les uns veulent que ce soil cinq ans, les autres six, huit ou dix, mais sans qu'aucun d'eux ait jamais fait un essai pour arriver à une détermination rigoureuse. En 1848, lorsque j'ai appelé l'attention publique sur les béné- lices qu'il y aurait, en France, à utiliser la montée dont les embou- chures de la plupart de nos fleuves abondent, et à la faire transporter, par des moyens éprouvés, dans nos étangs, dans nos lacs ou dans nos marécages de la Sologne, j'ai publié une série de recherches dont les résultats ont été vérifiés, depuis, par un grand nombre de propriétaires. Ces résultats, qui ont donné naissance à quelques in- dustries privées, démontrent qu'il suffit de quatre où cinq années pour que de jeunes anguilles de 7 millimètres de long, mises dans des bassins où on leur donne une nourriture suflisante, y acquièrent un poids de quatre, cinq ou six livres (accroissement inespéré quand on réfléchit qu'on peut en accumuler un si grand nombre dans un espace restreint), ce qui conduit à cette conséquence, qu'une livre de montée, composée de dix-huit cents jeunes, peut, au bout du laps «le temps dont je viens de parler, produire 3,000 kilogrammes de chair. Les récoltes de la lagune de Comacchio attestent que ce calcul n'est point exagéré : or, au prix où, dans l'état actuel des choses, ce poisson se vend sur nos marchés, 3,000 kilogrammes ne représentent pas moins d’une somme de 10 à 12,000 francs. On peut juger par là des bénéfices qu'on doit attendre d'une pareille industrie. Dans les valli de la lagune, comme dans les bureaux de l'admi- nistration, on a coutume de donner aux anguilles des noms diffé- rents, selon leur taille. Prenant pour des caractères spécifiques ce qui n'est, au fond, qu'une variété de couleur ou de corpulence, on appelle maplioramenti, celles de cinq à six livres; roche, celles de quatre livres; anguillaci, celles de trois livres; anguilles communes et priscelh, celles qui n'ont pas encore atteimt tout leur développe- ment, mais dont le poids, pour les premières au moins, s'élève cependant à une livre. Ces noms, qui ont une véritable utilité dans 7 50 INDUSTRIE les transactions commerciales, attendu qu'ils expriment la valeur mercantile de chaque catégorie, ne sauraient être pris en considé- ration par la science, car les variétés qu'ils désignent ne forment, en réalité, qu'une seule et mème espèce. Si les pêcheurs de Comacchio ne sont pas en mesure de fournir des renseignements précis sur le temps que mettent les anguilles à prendre tout leur accroissement, il n'en est pas de même en ce qui concerne les muges, qui, après les anguilles, sont les poissons dont ils font la plus grande récolte. Cette appréciation est devenue facile depuis que l'un des ingénieurs, M. Baroni, a eu lheureuse idée de creuser un vivier spécial, disposé en labyrinthe, offrant, sur son trajet, des puits plus ou moins profonds, où les poissons descendent pour se mettre à l'abri des fortes gelées ou des cha- leurs excessives. Ce vivier est destiné à recevoir les éclosions tar- dives que les vallanti vont planer, si je puis ainsi dire, au bord de l'Adriatique, ou aux embouchures des fleuves, lorsque les écluses sont refermées, et que lensemencement naturel de la lagune est terminé; aussi a-t-on l'habitude de désigner cette montée tardive sous le nom de semence artificielle (semine arhficiale), par oppo- sition à celle qui est introduite par la voie ordinaire. Is se servent, pour la recueillir, de petits filets en canevas ou en étamine, dont les mailles sont assez serrées pour retenir des poissons qui n’ont pas plus d’un centimètre de long et de deux millimètres d'épaisseur, poissons qu'ils apportent dans ce vivier spécial, où on les laisse une année entière. I est done possible, pendant cette période, de suivre leur accroissement successif, de les mesurer, de les peser jour par jour, en quelque sorte, semaine par semaine, mois par mois. M. Chersoni, représentant du prince Torlonia, m'ayant permis d'en prendre une série complète, que je conserve dans ma collection, je me trouve, grâce à sa courtoisie, en mesure de donner, sur ce point, les renseignements les plus exacts et les plus circonstanciés. [ls seront la preuve que cette espèce est l'une de celles dont l'élève peut fournir les plus grands produits, car non-seulement elle pul- lule à l'infini, mais son développement est assez rapide pour qu'elle DE LA LAGUNE DE COMACCHIO. 51 devienne l'objet d’une récolte annuelle. Voici le tableau des dimen- sions qu'elle prend dans les douze premiers mois de son existence : 1 mois.|2 mois.|3 mois.|5 mois.|6 mois.|7 mois.|g mois.|10 mois|19 mois] OBSERVATIONS. Longueur totale | c. de l'extrémité du Ces chiffres museau à celle S expriment une de la queue... moyenne résul- lant de mesures | prises sur plu- sieurs sujets. Circonférence pri- se dans la plus} 1 grande épaisseur Quand le muge a atteint l’âge d'un an, il pèse alors, en moyenne, de 130 à 150 grammes, c'est-à-dire qu'il n'en faut pas plus de quatre pour une livre, tandis qu'il en fallait 6,000 environ à l'é- poque où il était à l'état de montée. Par conséquent, une livre de montée de muge, introduite dans la lagune de Comacchio, s'y trans- forme, dans l'espace de douze mois, en autant de livres de substance alimentaire que le nombre 4 est contenu de fois dans le nombre 6,000, ce qui donne, somme toute, 750 kilogrammes. L'agriculture n'a rien qui, avec si peu de frais d'exploitation, puisse lui fournir de pareilles récoltes. Elle obtient ses produits à grands frais; ceux de la pisciculture, au contraire, se développent sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à ces moyens dispendieux qui absorbent la plus grande partie du revenu. “soquuÂqe Sp XNEWHJEUL Sa] J9 SJUOUNNJSUL Sa] auod uiseSeur $ charrettes équipées. . . es: 341000 idem 2.600 DORA RM RU cette 0 696.660 Chaque bout hote EN AR AN RUE 2,049 34o bouchots coûtent. .................. CE 696.660 DÉPENSES ANNUELLES POUR L'ENTRETIEN DE 3/40 BOUCHOTS. 102,000 Journées d'hommes à 1 fr. 5o cent... ...... LEP h2,000 journées de femmes à 1 fr. 95 cent................. Nourriture de 138 chevaux, entretien des harnais. charrettes. etc. 1.800 jours de pavé et d'attache à la Rochelle à 50 centimes. . . Loyer des logements de 140 familles à 60 franes chacun... ... Journées pour recueillir Ja semence. ...................... Vieux filets pour les poches: journées pour les placer. ......... dns 34,833 64,000 11,000 153.000 2.500 h1.4o0 g00 8.400 1,400 18,807 OA Eee LA eee 386.240 Chaque bouchot dépense annuellement... ......... 1.136! 3ko/bouchots dépensenten. Msn nee du ns 0 386,940 PRODUIT ANNUEL EN MOULES, POISSONS, GIBIERS, POUR 9/40 BOUCHOTS. Pour la Rochelle, 60 chevaux font par an 18,000 voyages à Meme En. 28 charrettes......... 7.000 idem... à Rochefort. ... 192 idem. ......... ” 8ho idem... à ! A reporter... .. Terme moye 990,000 110.000 33,600 263.600 y n { 150 INDUSTRIE REDON EEE 263,600 Surgeres . ... 16 charrettes, font par an 1.120 voyages ÉUTOE 29,400 S'-J:-d'Angély. 28 idem... ....... 1.120 dem... à 20 29,400 Augoulème. . PLONCREVAUSE Er 1.600 idem... à 5 8.000 ITEMS ee 8 charrettes. ........ 390 idem... à 20 6,400 Niort "2. SION Le 1,960 dem... à ho 78,400 Poitiers... ITEM RE ue 160 idem... à Lo 6.400 Mauzé. RS TIEM. PRE ide À 390 dem... à °5 8,000 OULSe PM NIUE ere TL ho idem... à 930 7:200 Angers. ... Ten RE #.aË 80 idem... à Lo 3,400 SAUNUr . GITE. RUE 160 dem... à do 6,400 Bordeaux. .. 32 barques... ...... : 198 dem... à 300 38,100 Îles de Ré et d'Oléron. . 4 idem. .... PANNE h8o idem... à 30 7.200 Sab=d'Olpnne. (Otaems PERTE 150 dem... à 30 h,5oo Poissons pris dans les bouchots, gibiers pris dans les fisc 27,00 RO TADE 2 ee M CE 510.000 Chaque bouchot produit annuellement. ................. 1.500! 00° Sa dépense annuelle est de." "1 MN Ne 1,130 00 BÉNÉFICE NET. ........ RE te 364 00 À quoi il faut ajouter l'intérêt du capital de ».049 francs, qui este er An PME ne RE 109 45 TO TA A ME CC LE DCR 166 45 Plus les Journées d'hommes et de femmes portées en dépenses annuelles. Si le relevé statistique publié par M. d'Orbigny père est bien l'expression exacte de ce qui existait en 1846, l'industrie aurait pris depuis cette époque un développement considérable. Au lieu de 340 bouchots que l’on comptait alors dans la baie de Aïguillon il y en a maintenant près de 500; el je ne puis douter que mes informations ne soient exactes, car, après les avoir prises sur les lieux, une lettre que je reçois de M. le maire d'Esnandes me con- firme dans toutes mes appréciations. M. Belenfant. commissaire de la marine à la Rochelle, a aussi DE LA BAIE DE L'AIGUILLON. 151 beaucoup contribué, par les renseignements qu'il a bien voulu me fournir, et par le soin qu'il a pris de m'accompagner pendant mon exploration, à me mettre au courant de toutes les pratiques de 7 cette industrie. APPENDICE (A LA PREMIÈRE ÉDITION. DOCUMENTS RELATIFS AUX PÈCHES MARINES. E. RAPPORT A SA MAJESTÉ L'EMPEREUR SUR L'ÉTAT DES HUITRIÈRES DU LITTORAL DE LA FRANCE ET SUR LA NÉCESSITÉ DE LEUR REPEUPLEMENT. Paris, le 5 février 1858. Sire, Le domaine des mers peut être mis en culture comme la terre; mais ce domaine étant une propriété sociale, c’est à l'État qu'il appartient d’ac- complir ce grand dessein par lapplication des méthodes dont la science garantit l’eflicacité, et de livrer ensuite aux populations reconnaissantes les récoltes préparées par ses soins. J'aurai donc honneur de soumettre à Votre Majesté , suivant son ordre. toutes les propositions qui peuvent assurer le succès de cette innovation d'utilité publique. Je commencerai par celle qui est relative à la multipli- cation des huîtres sur le littoral de la France. L'industrie huîtrière tombe en une telle décadence que, si on n'y porte un prompt remède, l’on aura bientôt épuisé la source de toute production. A la Rochelle, à Marennes, à Rochefort, aux îles de Ré et d'Oléron. sur vingt-trois banes formant naguère l’une des richesses de cette portion de notre littoral, il y en a dix-huit de complétement ruinés, pendant que ceux qui fournissent encore un certain produit sont gravement compromis par l'invasion croissante des moules. Aussi les éleveurs de ces contrées, ne pouvant plus y trouver une récolte suffisante pour garnir leurs pares et leurs claires du coquillage qu'ils y engraissent ou qu'ils y perfectionnent, sont-ils contraints d'aller le chercher à grands frais jusque sur les côtes de la Bretagne, sans suffire pour cela aux besoins de la consommation. La baie de Saint-Brieuc, si admirablement et si naturellement appro- 158 APPENDICE. priée à la reproduction de Fhuître, et qui portait autrefois, sur son fond so- lide et toujours propre, quinze bancs en pleine activité, n’en a plus que trois aujourd’hui, dont avec vingt bateaux on enlèverait en quelque jours jusqu’à la dernière coquille, tandis que, au temps de la prospérité du golfe, plus de deux cents barques, montées par quatorze cents hommes, étaient occupées, chaque année, à l’exploiter du 1° octobre au 1° avril. et y trouvaient de 3 à Loo,00o francs de récolte. Dans la rade de Brest et à l'embouchure des rivières de la Bretagne, la décadence fait de moins rapides progrès, parce que ces parages fertiles n’ont pas encore subi une aussi active exploitation. Mais comme le dépeuplement des autres parties de notre littoral oblige d'aller leur demander ce qu'on ne rencontre plus ailleurs, ils marchent visiblement vers la même ruine. À Cancale et à Granville, dans ces deux quartiers classiques de la mul- tiplication du coquillage , ce n’est qu'à force de soins et de bonne adminis- tration qu’on réussit, non point à accroître la récolte, mais à modérer son déchin. Cependant, à mesure que l'industrie s'affaiblit ou reste stationnaire . les voies ferrées, multipliant les communications de notre littoral avec lin- térieur des terres, appellent un plus grand nombre de consommateurs au partage des fruits de la mer. Ces fruits, renchéris par suite de l'insuffisance de la récolte, prennent sur nos marchés une valeur que la concurrence surexcite, et les populations maritimes, pressées par le besoin ou entraînées par les séductions d’un bénéfice présent, se livrent à des déprédations qui, dans un avenir prochain, aggraveront leur misère. À ce déplorable état des choses il y a un remède, Sire, d’une applica- tion facile, d’un succès certain, et qui fournira à l'alimentation publique d’incaleulables richesses. Ce remède consiste à entreprendre, aux frais de l'État. par les soins de l'administration de la marine et au moyen de ses vaisseaux, l'ensemencement du littoral de la France, de manière à repeu- pler les bancs ruinés, à raviver ceux qui s'éteignent, à étendre ceux qui prospèrent, à en créer de nouveaux partout où la nature des fonds permet- tra d’en établir. Et quand, par cette généreuse initiative, ces champs pro- ducteurs auront pris en tous lieux un développement suffisant, on pourra alors les soumettre au régime salutaire des coupes réglées, laissant reposer les uns pendant qu’on exploitera les autres; régime qui, depuis un siècle , préserve les baies de Cancale et de Granville de la destruction qu'une pêche abusive cause partout ailleurs. \PPENDICE. 159 Pour donner un frappant exemple de la façon dont ces opérations de repeuplement ou de création nouvelle doivent être conduites et des im- menses résultats qu'il faut en attendre, j'ai Fhonneur de proposer au Gou- vernement de Votre Majesté de décider que la baie de Saint-Brieuc soit le théâtre d’une entreprise de ce genre. Là l'expérience s’accomplira dans un espace restreint, la surveillance sera facile, et en moins de six mois l’on pourra déjà estimer les promesses de la future récolte, comme sur un arbre en fleur, pourvu qu’on prenne le soin d'organiser les bancs artificiels en mars ou en avril prochain, c’est-à-dire avant la ponte. Une somme de six à huit mille francs, mise à la disposition du com- missaire de la marine du quartier, suflira pour acheter la quantité d'hui- tres nécessaire à l’ensemencement du golfe. Ces huîtres seront péchées dans la mer commune et, sil se peut, transportées immédiatement par un vaisseau à vapeur de l'État sur les fonds naturellement propres. Mais, dans le cas où lon n’en pourrait réunir assez en un jour pour com- pléter une cargaison, on les déposerait momentanément près de Pléve- non, dépendant de Saint-Brieuc, sous la surveillance des deux postes de douane qui sy trouvent, afin de ne les conduire qu'après com- plète livraison de cet étalage provisoire aux lieux de leur destination définitive. À l’aide de ce moyen bien simple, et avec une dépense relativement in- signifiante, ou pourra créer en quelques années, dans la baie de Saint- Brieuc seulement, un revenu considérable, si Von prend toutes les précau- lions voulues pour le succès de l’entreprise. Parmi ces précautions, je place au premier rang celle de ne laisser séjourner le coquillage reproducteur hors de Peau que le temps indispen- sable pour son transport du lieu de pêche ou de son entrepôt provisoire à celui de sa destination. C’est pour avoir négligé de se conformer à cette règle que l’on a échoué dans des tentatives antérieures; mais toutes les fois qu'on l’a observée, l'expérience a réussi, comme le prouvent les essais de M. de Bon dans la Rance. Une seconde et non moins importante condition à remplir est celle de la surveillance et de la culture de ces champs sous-marins fertilisés par la science , surveillance et culture qui rentrent naturellement dans les attri- butions du commissaire du quartier. Mais pour que les moyens d'action de ce fonctionnaire soient à la hauteur de sa responsabilité , 11 faut qu'il ait à ses ordres une péniche, où mieux encore une chaloupe de huit à dix ton- 160 APPENDICE. neaux, équipée d’un patron, de quatre matelots et d'un mousse, force sul- fisante à toutes les manœuvres de la pêche : chaloupe pouvant à la fois servir comme gardienne et comme instrument d'exploitation des richesses qu’elle aura la mission de protéger et d'accroître. Au moyen de cet instrument d'investigation et de culture, les hui- trières créées par l'État, ou entretenues par ses soins, seront l'objet d’une permanente et facile exploration. Rien ne pourra S'y passer sans que l’Administration en soit à l'instant informée et se trouve en mesure d'agir. Si la vase s’accumule sur les fonds producteurs, ou si les moules et le maërle les envahissent, la drague de l'équipage dégagera les huîtres ensevelies, ou arrachera les parasites, comme la charrue les mauvaises herbes de la terre. Si dans le voisinage des bancs organisés on découvre d’autres fonds propices à la multiplication du coquillage, la chaloupe explo- ratrice, toujours occupée du soin d'étendre son domaine, ira chercher au large, sur les bancs naturels, les huîtres adultes dont elle aura besoin pour peupler ces champs nouveaux, où y sèmera les huîtres de rejet, qu'aux époques des pêches l’on sépare par le triage des huîtres réglemen- taires. En sorte que, soit que l’on considère cette embarcation au point de vue de la surveillance, soit qu’on l’envisage au point de vue de la culture, elle rendra des services qu'on ne saurait obtenir par tout autre moyen. Je voudrais donc en voir partout adopter usage, à l'exemple du chef de service de Saint-Servan. Ces chaloupes formeraient dans la marine militaire une sorte de marine agricole dont l'emploi n’exelurait pas celui des bâtiments affectés à la police générale de la pêche, bâtiments qui exercent sur un plus grand dévelop- pement du littoral. Leur construction, pour répondre aux besoins de l'étude comme à celui du service, devrait être combinée de manière à ménager dans chacune d'elles un vivier où l’on conserverait, au besoin, les espèces sur lesquelles on voudrait expérimenter, ou que l’on souhaiterait trans- porter vivantes d’un point à un autre. Sans doute, lorsque les bancs en souffrance réclameront, pour revenir à leur état prospère, qu'on les délivre, soit d’une invasion générale des moules, comme en ce moment à Marennes, soit de l’envahissement non moins redoutable du maëèrle, comme sur certains points de la rade de Brest, l’embarcation consacrée au service ordinaire d’un quartier ne pourra seule suffire à ce travail exceptionnel; mais, en pareille occurrence, les bateaux pêcheurs de la circonscription, au bénéfice desquels aura lieu l’entreprise, APPENDICE. 161 seront de corvée pour le traitement de ces bancs, au même ütre que les propriétaires des communes, par les prestations en nature, quand il s'agit de la réparation d’une voie de communication. Les huîtres de rejet et celles de la mer commune formeront deux sources où les vaisseaux de l'État iront s’approvisionner pour opérer l’ensemence- ment du littoral; mais, malgré l'abondance de leurs produits, elles ne sauraient suflire à la réalisation de ce vaste projet, si on n'avait un moyen d'employer à cet usage les myriades d'embryons qui, au temps du frai, sortent des valves de chaque mère, comme des essaims d'abeilles de leurs ruches: embryons presque lous perdus en l'état actuel de l’industrie, faute d’un obstacle qui les arrête au passage et où ils puissent s'attacher. C’est à la récolte de ce précieux naissain que devront donc s'appliquer désormais les soins des agents de l'Administration. Chaque huître, en effet, ne donne pas moins de un à deux millions de petits. Or, si de ce nombre il en reste dix ou douze sur les coquilles de la mère, c’est lout ce qu'on peut espérer dans les années d’abondance. Ce qui s'attache n’est donc rien en proportion de ce qui se disperse entraîné par les flots, de ce qui périt sous la vase, de ce qui devient la proie des polypes nourris par les animalcules suspendus au sein des eaux. Le pro- blème consiste donc à trouver un artifice qui permette de recevoir cette inépuisable semence et de la porter sur les fonds à peupler. En procédant ainsi, on ne prendra rien aux gisements naturels de ce qu'ils ont coutume de retenir à chaque ponte, et cependant lon s’appro- priera d’incalculables richesses. On n’aura, pour les obtenir, qu'à faire descendre sur les bancs des fascines, des clayonnages formés de bran- chages revêtus encore de leur écorce, retenus au fond par des poids, cou- chés à plat, de manière à n'être point un obstacle à la navigation, La pro- géniture des huîtres sous-posées s’élèvera, comme un nuage de poussière vivante, à travers ces branchages, et les embryons qui la constituent s’in- crusteront sur tous les points des bâtis dont l'industrie aura fait ainsi des récipients de semence. Les appareils chargés de cette population microscopique devront être laissés sur les bancs producteurs non-seulement pendant toute la durée de la ponte, mais encore jusqu'au moment où les jeunes y auront pris une suffisante dimension pour qu'on puisse les employer à peupler d'autres parages. Les vaisseaux de l'État porteront alors ces bâtis là où l'on aura résolu d'organiser de nouveaux bancs. Quand ils y seront établis depuis 21 162 APPENDICE. un certain temps, le jeune coquillage s’en détachera naturellement, et tombera sur les fonds préalablement nettoyés par la drague, comme le froment du semoir sur la terre préparée par la charrue, Ce transport devra être effectué en février ou en mars, parce que, à cette époque de l’année, le naissain déposé sur le branchage , celui de septembre, comme celui de mai, est assez facile à reconnaître, le premier ayant déjà le diamètre d’une pièce de vingt sous, le second celui d’une pièce de deux francs. On peut donc juger alors sil est rare où abondant, et dans quelle mesure il contribuera à l'œuvre qu’on veut accomplir. D'ailleurs, la force de résistance vitale dont il est doué à cet âge lui permet de supporter sans inconvénient l'influence de conditions différentes de celles d’où on le retire. La possibilité de recueillir la progéniture des huîtres sur des clayonnages en bois est un fait qui ne se démontre pas seulement par les résultats obte- nus de temps immémorial sur les bancs artificiels du lac Fusaro, industrie dont j'ai décrit les pratiques dans Voyage sur le littoral de la France et de l'talie, mais qui ressort encore d'expériences entreprises dans l'Océan lui- même. Des branchages plongés sur les bancs de la Bretagne par M. Mallet, commandant du Moustique, sur ceux de Marennes, par M. Ackerman, ex- commissaire de la marine, en ont été retirés, après plusieurs mois de séjour, garnis de semence. Je les conserve dans ma collection comme un témoignage de leflicacité des méthodes dont Je recommande l'application. I n’y a donc plus, pour tirer de ces méthodes d'incalculables bénéfices, qu'à opérer sur une grande échelle. Jose affirmer, Sire, que si l'administration de la marine puise aux diverses sources que Je signale, et qu'elle emploie tous les moyens dont elle dispose au développement de l'œuvre dont j'ai honneur de proposer à Votre Majesté d’ordonner l’entreprise, elle aura bientôt converti tout le littoral de la France en une longue chaine d’huîtrières, interrompue seulement dans les parties où les vases s'accumulent. Il suflira, pour la réalisation de ce dessein, qu'elle encourage ses agents à y consacrer leur zèle, en les met- tant généreusement en mesure de traduire en actes les projets motivés qu'ils soumettront à son agrément. Elle verra ainsi, comme par enchantement, la rade de Brest tout entière, les baies de la Bretagne et les embouchures de leurs rivières, étendre leurs bancs isolés, et les réunir, par la création de bancs nouveaux, en vastes champs de production; les gisements affaiblis de Cancale, de Granville, se relèveront en S'irradiant vers un grand nombre de localités voisines, dont les fonds propices se préteront facilement aux APPENDICE. 163 tentatives que l'on fera pour les enrichir. Le bassin d'Arcachon, toute la portion du littoral de la Manche qui s'étend de Dieppe au Havre, du Havre à Cherbourg, de Cherbourg à Granville, se couvriront de coquillages, et les bancs éteints des quartiers de la Rochelle, d'Oléron, de Rochefort, de Marennes. ete. seront rétablis dans leur ancienne prospérité. Mais ici, plus que partout ailleurs, il y aura un travail d'aménagement et d’appropria- üon dont heureusement administration de la marine a déjà pris linitia- üve, et dans lequel il est urgent qu’elle persévère : c’est celui de purger, par un draguage réitéré, les fonds producteurs des moules et des vases qui les envahissent. Ce travail accompli, 1l n°y a pas de raison pour qu'on ne puisse rendre à ces parages ruinés leur fertilité première et en accroître la richesse. L'exploration qui m'a permis de constater l'état de souffrance, d'appau- vrissement ou de ruine complète dans lequel se trouvent la plupart des gisements des côtes de l'Océan, m'a également démontré que les fonds dé- peuplés n’ont rien perdu de leur aptitude. Les abus de la pêche, aggravés par lincurie, en ont seuls consommé la dévastation. Une bonne culture réparera, dans un avenir prochain, le mal accompli par le passé, et la mise en rapport de champs jusque-là stériles créera, par une sorte de dé- frichement sous-marin, de nouvelles sources d’abondance. Mais ce n’est pas tout d’avoir créé de nouvelles richesses, il faut encore, pour les perpétuer, définir leur mode d'exploitation, et fixer l’époque de l'année où 1l convient le mieux d'en faire la récolte. L'expérience de plus d’un sièele a déjà donné, dans les baies de Cancale et de Granville, la solution de la première partie de cet important pro- blème : les coupes réglées sont l'unique moyen de retirer des champs pro- ducteurs le plus grand nombre de fruits sans porter atteinte à leur fertilité. C'est donc conformément aux prescriptions de cette méthode généralisée qu'on devra désormais procéder à l'exploitation des huîtrières. On les divi- sera par zones, de manière à ne revenir sur chacune d’elles que tous les deux ou trois ans, selon que les fonds seront plus ou moins hâtifs pour la maturité de la récolte; mais l’on aura toujours le soin d'y laisser un assez grand nombre de producteurs pour que le naissain qu'ils y répandront pendant les périodes de repos puisse y créer de nouvelles et suflisantes moissons. En sorte que, par la généralisation de cette méthode, lapprovi- sionnement de nos marchés et la fécondité des bancs seront assurés. Cependant il n'y a pas de règle si générale, surtout quand elle s'ap- 21. 164 APPENDICE. plique à la reproduction d'êtres vivants soumis à toutes les vicissitudes du monde extérieur, qui ne soit sujette à exception. Des causes inconnues peu- vent en eflet troubler, pour un temps plus ou moins long, la fonction génératrice des huîtres d’une localité ou détruire leur naissain, et, dans ce cas, les gisements reconnus en souffrance doivent être mis en réserve jusqu’au moment où l’on aura constaté qu'ils sont rentrés dans l'exercice régulier de leurs fonctions. Ce moment venu, on les comprendra de nou- veau dans le roulement des coupes réglées. En l'état actuel des choses, les règlements sur la police de la pêche côlière preserivent, pour la première quinzaine d'août, de procéder à la visite des huîtrières, afin de désigner celles qui doivent être mises en exploi- tation au commencement de septembre, époque de l'ouverture officielle de la campagne; mais les commissions chargées de ce soin ne peuvent alors prendre une idée exacte de la situation réelle; car un grand nombre d'huîtres n’ont pas encore frayé, et le naissain de celles dont la ponte à eu lieu en juillet est à peine visible à œil nu. Pour bien le reconnaître, on est obligé d’avoir recours à un instrument grossissant dont l'emploi ne permet de le distinguer qu'après dessiccation et quand on à l'habitude de ce genre de recherches. I faut done, si lon veut obtenir des renseigne- ments suflisants, renvoyer l'inspection des bancs à une saison plus avancée, c'est-à-dire au mois de janvier. Par l'adoption de cette mesure, l’adminis- tration se convainera que ce n’est pas en septembre qu'il convient de fixer l'ouverture des pêches, mais en février où en mars, et, par le seul fait de ce déplacement, elle en aura décuplé les produits. En commandant pour les premiers jours de septembre l'ouverture de la campagne, le règlement a sagement fait sans doute, puisque le coquillage a déjà en grande partie frayé à cette époque, et qu'on n’est plus exposé à retirer des eaux les mères portant encore leur progéniture dans leur sein. Mais cette progéniture, qui, avant la ponte, forme à l'intérieur de chaque huître laiteuse une innombrable famille, vient, après la parturition, se répandre à l'extérieur sur les valves, sy incruste et crée une population nouvelle à la surface de ancienne, Or si, au moment où ce repeuplement est accompli, on livre le banc à l'exploitation, le dommage y sera presque aussi considérable qu'en opérant pendant la gestation, car on enlèvera avec les huîtres adultes la génération naissante qu’elles portent, c’est-à-dire tout ce qui n'a point déserté la souche. La drague dévastera done ces champs en pleine germination, comme un râteau qu'on passerait à travers APPENDICE. 165 les branches d’un arbre en fleur. Aussi n'est-ce pas lune des causes les moins actives de lappauvrissement du littoral. Pour remédier à ce mal, il suflira de déplacer époque de Pouverture des pêches et de la porter en février ou en mars, au lieu de la maintenir en septembre. Alors la plupart des jeunes huîtres de année auront acquis les dimensions des huîtres dites de rejet, et celles qui adhéreront encore aux valves des mères en seront facilement détachées, soit pour être ren- dues au gisement producteur, comme le prescrit le règlement, soit pour être conservées dans des étalages, comme on le pratique à Cancale. On dira peut-être qu'en fixant en février l'ouverture de la campagne on n'aura que trois mois pour exploiter les bancs, attendu qu'en mai les huîtres commencent à être laiteuses et que la pêche en est alors interdite. Mais cette objection n’a aucune portée, car six semaines d’un draguage quotidien sufliraient pour dépeupler tout le littoral de la France. D'ail- leurs l'expérience a déjà prononcé : à Cancale, Pune des contrées les plus fertiles, c'est de mars en mai que se fait la récolte. Les pêcheurs de Ma- rennes , d'après les témoignages que j'en ai reçus lors de mon exploration de l’anse de la Seudre, accueilleront cette mesure avec reconnaissance. Elle contribuera à relever leurs banes éteints, à prévenir la ruine complète de ceux qui sont encore en exploitation, et, par conséquent, à les affranchir en partie du tribut onéreux qu'ils payent aux diverses contrées où ils sont obligés d'aller chercher leurs approvisionnements. On dira peut-être aussi que trois mois d'intervalle entre l'ouverture de la pêche et son interdiction ne seront pas suflisants pour l'écoulement de la récolte, Mais le coquillage livré à la consommation pendant cette période n’est pas celui qu'on retire alors de la mer. Il faut, au contraire . pour qu'on l’admette sur les marchés, qu'il ait séjourné plusieurs mois dans des pares, des claires, des viviers, où les soins qu'on lui donne lapproprient à celle destination. Or les détenteurs de ces pares, de ces claires, de ces viviers de perfectionnement étant toujours en mesure d'y donner asile à une plus grande provision d'huîtres qu'on ne peut leur en fournir, il s'ensuit que les pêcheurs ne seront jamais embarrassés de trouver à leur vendre celles dont ils pourront disposer. Pendant que, par la généreuse intervention de l'État, l'industrie étendra ses domaines sur les différents points du littoral où on pourra l'organiser, Padministration de la marine en suivra facilement les progrès, si elle exige de ses agents qu'ils dressent un plan cadastral, aussi bien des fonds 166 APPENDICE. producteurs du coquillage que des établissements où on le perfectionne . tels que pares, claires, viviers, étalages, bouchots; si elle leur impose lobli- gation d'exprimer, chaque année, sur ce cadastre, la forme des bancs. leur étendue , leur déplacement ; si elle leur enjoint de lui signaler quelles sont les parties en souffrance, quelles sont celles en prospérité; si, enfin, elle leur demande de tenir un compte aussi exact que possible du produit, non-seulement de chaque banc en particulier, mais de tous les bancs compris dans leur circonscription, soit que lexploitation en at lieu au moyen de la drague ou par la pêche à pied. Ce travail statistique, que Je propose d'étendre à tous les produits de la mer, formera, dans les archives de ladmimistration centrale, un ensemble de documents qui permettront d'apprécier pour quelle part ces produits entrent chaque année dans l'alimentation publique, et de constater sils sont en progrès ou en déclin : questions importantes sur lesquelles on ne possède encore que des notions incomplètes, comme je viens de m'en assurer en parcourant le littoral. Les méthodes que je recommande pour la création d'huîtrières artifi- cielles sur les bords de l'Océan seront également applicables à la Méditer- ranée. Mais en attendant, Sire, que je sois en mesure de formuler à ce sujet des propositions spéciales, il serait bon, comme expérience préalable, que MM. les commissaires des quartiers dans lesquels sont compris l'étang de Berre et l'étang de Thau fussent, dès à présent, chargés de recueillir, sur les gisements naturels du golfe de Lion, aux environs de Cette, une quan- tité suffisante d’huîtres, qui, transportées dans ces étangs et semées les unes à côté des autres, sur des fonds solides, plutôt sablonneux et coquil- liers que vaseux, formeraient là des banes d'essai. Ces bancs, qu'une sur- veillance rigoureuse mettrait à l'abri de la dévastation, seraient un premier pas vers les expériences ultérieures dont Votre Majesté souhaite que les lacs salés du midi de la France deviennent le théâtre. Je suis avec un profond respect, Sire , De Votre Majesté. Le très-humble et très-fidèle serviteur, Coste. Membre de l'Institut. IL. RAPPORT A SA MAJESTÉ L'EMPEREUR LES HUITRIÈRES ARTIFICIELLES CRÉÉES DANS LA BAIE DE SAINT-BRIEUC. Paris, le 12 janvier 1859. Sire , ., A la suite d’un rapport dont, au mois de février dermier!, j'ai eu l’hon- neur de soumettre les conclusions à son agrément, Votre Majesté, voulant s'assurer par une décisive épreuve si, conformément aux promesses de la science, la mer pouvait être mise en culture comme la terre, ordonna que le golfe de Saint-Brieuc serait le théâtre d’un premier ensemencement d'huîtres entrepris aux frais de l'État, exécuté au moyen de ses navires, confié à la garde de ses équipages, et destiné, en cas de succès, à servir de modèle, sur tout le littoral de la France, à la création d’une vaste ex- ploitation sous-marine , aussi profitable au développement de la flotte qu'au bien-être des populations riveraines. La rade choisie pour laccomplissement de ce dessein offre sur le fond solide, naturellement propre, composé de sable coquillier ou madréporeux légèrement enduit de marne ou de vase, clair-semé de pailleul, un espace de douze mille hectares partout favorable au séjour du coquillage repro- ducteur. Le flot qui, à chaque marée, y oscille du nord-ouest au sud-ouest et du sud-ouest au nord-ouest, avec une vitesse d’une lieue à l'heure, apporte une eau sans cesse renouvelée , entraine dans son cours tousles dépôts malsains, et contracte, en se brisant sur les nombreux rochers de ces parages, les propriétés vivifiantes qu'une incessante aération lui communique. ® Voir le rapport précédent. 168 APPENDICE. L’excellence du fond, lactive nature des eaux limpides qui le couvrent réunissent done sur cet immense domaine sous-marin toutes les conditions propres à favoriser la multiplication et le développement de lespèce co- mestible que je proposais d'y acclimater, et dont 1l s’agit de transformer chaque année les produits en une inépuisable moisson. Mais ce que, dans son œuvre d'intervention et de conquête, la science conseillait comme une entreprise d'utilité publique, lempirisme et la rou- tine le condamnaient d'avance comme une chimérique témérité. C’est dire assez, Sire, à travers combien d'obstacles il nous a fallu persévérer pour réaliser l’innovation dont j'ai déjà à faire connaître les merveilleux résultats à Votre Majesté; innovation qui consiste à retenir sur les champs produc- teurs, au moyen d'une facile industrie, la semence qu'en l’état de nature les courants dispersent, et à créer des sources de richesse partout où les fonds sont à l'abri de l’envasement. Aucune région de notre littoral ne pouvait fournir un théâtre à la fois plus vaste et mieux approprié pour donner un grand éelat à la solution de ce double problème; car, en même temps que les fonds y sont vierges, le courant les traverse parfois avec une telle violence, que les esprits super- ficiels y voyaient déjà, avant l'épreuve, une cause inévitable de déception. Tout devait done être ici un triomphe de l’art sur la nature, puisque , d'un côté, on avait à transplanter des sujets de diverses provenances sur un sol étranger, et, de l'autre, à dérober au flot perturbateur la progéniture de celte population dépaysée. [ne sera pas indifférent, Sire, pour l'honneur de la science, de dire ici avec détail comment elle rend le domaine des mers accessible à l’indus- trie, car, en dotant la pratique de nouveaux moyens d'application, elle crée pour ses études abstraites des instruments d'investigation qui étendent son regard à des régions inexplorées. L’immersion du coquillage reproducteur, commencée en mars, s’est ter- minée sous mes yeux vers la fin d'avril. En ce court espace de temps, trois millions de sujets pris, les uns à la mer commune, les autres à Cancale, les autres à Tréguier, ont été distribués sur dix gisements longitudinaux, répartis eux-mêmes dans les divers points du golfe, et représentant ensemble une superficie de mille hectares; oisements tracés d'avance sur une carte marine indiquant les champs fécondés, et balisés avec des drapeaux flot- tants destinés à éclairer la marche des navires qui devaient les ensemencer, Mais pour que cet ensemencement se fit avec toute la régularité d’une pra- APPENDICE. 169 tique agricole et que les huîtres mères fussent assez espacées pour ne point se nuire, un aviso à vapeur de l'État, tantôt l'Ariel, tantôt l'Antilope, re- morquant des bateaux et une basquine chargés de coquillage, se présen- tait successivement à l’une des extrémités de chaque quartier balisé, où une embarcation, placée en travers, lui marquait le point par lequel il devait s'y engager. Puis, S’'orientant sur une autre embarcation fixée à l’autre bout, il allait pivoter derrière elle en suivant l'axe longitudinal de l’espace rectangulaire circonserit par les drapeaux flottants. et revenait au lieu de départ, comme une charrue qui trace dans un champ deux sillons parallèles. Pendant que le navire remorqueur exécutait cette manœuvre, les ma- telots de son équipage, établis sur la flottille remorquée, vidaient à mesure les mannes remplies d’huîtres que leurs soins y avaient rangées d'avance pour cette destination, et ces huîtres, tombées dans le sillage, allaient, en s’écartant, peupler les fonds que leur semence fertilise. Mais il ne suffisait pas, pour le succès d’une pareille œuvre, d’avoir placé le coquillage dans les conditions les plus favorables à sa multiplication: 11 fallait encore or- ganiser, autour de lui et au-dessus de lui, de prompts moyens d'en recueillir la progéniture et de la contraindre à se fixer sur les champs où elle commençait à se répandre, car l'immersion avait lieu au moment des premières pontes. Cette seconde opération, qui transforme le golfe ensemencé en une sorte de métairie sous-marine soumise aux diverses pratiques d'une exploitation rationnelle, a été accomplie au moyen de deux arüfices dont l'emploi simul- tané donne déjà des résultats immenses, et qui, dans un avenir prochain , permettront d'augmenter la récolte autant qu’on le voudra, pourvu qu'on les multiplie en proportion des approvisionnements dont on aura besoin. L'un de ces artifices consiste à paver d’écailles d’huîtres, ou de tout autre coquillage, les fonds des champs producteurs, de manière à ce qu'il ne puisse y tomber un seul embryon sans y rencontrer un corps solide pour s’y fixer. Les valves que nous avons employées à cet usage, ramassées sur la plage de Cancale par ordre de M. de Bon, chef du service maritime à Saint-Servan , qui a bien voulu nous prêter son utile concours, ont été apportées dans le golfe par un convoi spécial de bateaux pêcheurs, et semées sur les banes artificiels en ma présence. Ces dépouilles, autrefois inu- tiles, qu'on est obligé de déblayer à grands frais, chaque année, pour éviter l'encombrement des grèves, soigneusement conservées désormais, devien- 22 170 APPENDICE. dront, après complète dessiccation, de précieux instruments de récolte. Le second artifice, celui qui est destiné à recueillir la semence entraînée par les courants et à en faire tomber sur les corps solides sous-posés les tourbillons qui ne s’incrustent pas dans ses mailles, consiste en de longues lignes de menues fascines, disposées en travers comme des barrages éche- lonnés d’une extrémité à l’autre de chaque gisement. Ces faseines, véritables appareils collecteurs de semence, formées de branchages de deux à trois mètres, attachées par le milieu de leur longueur, au moyen dun filin, à un lest en pierre qui les tient élevées à trente ou quarante centimètres au-dessus des fonds producteurs, ont été descendues sur ces fonds par des hommes revêtus d’un scaphandre et chargés de poser alentour un certain nombre d’huîtres en état de parturition. Le filin que, dans la précipitation d’une première expérience, lon a été obligé d'employer pour assujettir ces appareils à leur lest se pourrissant promptement, 1l conviendra peut- être, à l'avenir, de te remplacer par des chaînes en fer galvanisé, fabriquées dans les ateliers de nos arsenaux, chaînes qui feront partie de loutillage permanent de cette culture nouvelle. Des amers, pris avec le plus grand soin, forment, sur des cartes spé- ciales, habilement dressées, des moyens de reconnaissance qui permettent d'aller, à coup sûr, à la rencontre de chaque ligne, d'y relever lune après l’autre les fascines dont elles sont formées, d’en extraire la récolte avec autant de facilité que peut le faire lagriculteur pour celle des espaliers qui portent les fruits de ses domaines. Deux bâtiments de l'État, le Pluvier et l'Éveil, stationnés aux points opposés du golfe, l'un à Portrieux, l'autre à Dahoüet, croisent tous les jours sur les bancs artificiels, pendant qu'un petit cutter, dont, sur ma demande, Votre Majesté a bien voulu ordonner la construction, s’avance du fond de la baie pour compléter la surveillance et concourir, par un travail assidu, aux aménagements qu'exige l'exploitation. Ce petit cutter, véritable instrument de culture, doit, aux termes du premier rapport dont j'ai eu l'honneur de soumettre les conclusions à l'agrément de Votre Ma- Jesté, être placé sous les ordres immédiats de M. le commissaire de la marine de Saint-Brieuc, afin que mes instructions quotidiennes puissent être exécutées, sans intermédiaires, par un équipage du choix de cet agent de administration. Je crois devoir insister ici, Sire, pour que cette partie essentielle du programme ne soit point mise en oubli. Telles sont, Sire, les premières mesures prises pour la fertilisation du APPENDICE. tn 5 octobre 1858 » Saint-Brieuc, relevée le 2 æ ne 5 2 T =! E EC à L= d = S ? Æ = = = LA Ë T e< a ee [= Fascine des Fig. 1. 172 APPENDICE. golfe. Il y a six mois à peine qu'elles sont en voie d'exécution, et déjà les promesses de la science se traduisent en une saisissante réalité. Les trésors que la persévérante application de ces méthodes accumule sur ces champs en pleine germination dépassent les rêves de ses plus ambitieuses espé- rances. Les huîtres mères, les écailles dont on a pavé les fonds, tout ce que la drague ramène enfin est chargé de naissain; les grèves elles- mêmes en sont inondées. Jamais Cancale et Granville, au temps de leur plus grande prospérité, n’ont offert le spectacle d’une pareille production. Fig. 3. Valves de cardium chargées de jeunes huîtres, de grandeur réelle. Les fascines portent dans leurs branchages et sur leurs moindres brin- dilles des bouquets d'huîtres en si grande profusion, qu’elles ressemblent à ces arbres de nos vergers qui, au printemps, cachent leurs rameaux sous l’exubérance de leurs fleurs. On dirait de véritables pétrifications. Pour croire à une telle merveille, il faut en avoir été le témoin. Jai fait transporter à Paris, avec des échantillons pris sur chaque gise- ment, un de ces appareils collecteurs de semence, afin que Votre Majesté juge par ses veux de l'étendue des richesses dont ces échantillons et cette APPENDICE. 173 fascine sont l’éloquent témoignage. Les jeunes huîtres qui les couvrent ont déjà de » à 3 centimètres. Ce sont done des fruits qui n’ont plus qu’à mûrir pour former en dix-huit mois une immense récolte. Il y en a jus- qu'à vingt mille sur une seule fascine, qui n'occupe pas plus de place dans l’eau qu'une gerbe de blé dans un champ. Or, vingt mille huîtres, quand elles sont parvenues à l’état comestible, représentent une valeur de 4oo fr. leur prix courant étant de 20 francs le mille, achetées sur place. Le ren- dement de cette industrie sera done inépuisable, puisqu'on peut immerger autant d'appareils collecteurs de semence qu'on le désire, et que chaque sujet adulte faisant partie d’un gisement ne fournit pas moins de deux à trois millions d’embryons. Le golfe de Saint-Brieuc deviendra, par consé- quent, un véritable grenier d’abondance, si, par la jonction des banes déjà créés, on le convertit tout entier en un vaste champ de production. Les aménagements nécessaires pour réaliser cette entreprise seront promptement accomplis, Sire, pourvu que le soin de continuer l’œuvre soit confié à ceux dont le zèle intelligent m’a si activement secondé jusqu’à ce jour. L'expérience qu'ils ont acquise pendant les premières opérations est la garantie d’un succès certain pour tout ce qu'il reste à faire. Jose donc espérer que, pour me conserver deux collaborateurs indis- pensables, Votre Majesté daignera récompenser leur dévouement, et me permettra d'exprimer le vœu que M. Levicaire, chevalier de la Légion d'honneur, médaillé de Sainte-Hélène, qui, aux meilleures notes, joint trente-neuf années d'excellents services, soit élevé au grade de commis- saire de la marine, hors cadre, à Saint-Brieuc; que M. Bidaut, lieutenant de vaisseau, chevalier de la Légion d'honneur, qui compte dix-neuf ans des plus honorables services, soit maintenu, avec tous ses équipages, dans le commandement du Pluner, au delà du terme ordinaire, c’est-à-dire jus- qu’à la fin de cette expérience désormais célèbre. Avec le concours de ces deux officiers distingués et les soins d’un ins- pecteur des pêches, dont je sollicite la nomination immédiate, afin que la baie de Saint-Brieuc en soit pourvue comme Cancale, comme Granville, comme Marennes, nous opérerons, en moins de trois ans, la jonction de tous les gisements, et mettrons douze mille hectares en plein rapport. Un crédit annuel de dix mille francs, affecté pendant ce laps de temps à cette espèce de défrichement sous-marin, suflira à toutes les dépenses néces- saires, soil pour lachat d’autres huîtres mères prises en France ou à l'étranger, soit pour la confection des fascines, soit pour la récolte des 174 APPENDICE. écailles destinées à recevoir le naissain, soit pour compléter l’organisation du pare d’acclimatation que nous avons déjà établi à Plévenon, soit pour créer des claires de perfectionnement, où le coquillage engraissé s'améliore en verdissant. En sorte que, ce projet accompli, les populations riveraines trouveront dans le golfe, comme en un champ où mürissent les plus abon- dantes moissons, les inépuisables trésors qu'une généreuse prévoyance y aura fait éclore, et, sur les grèves, des exemples de toutes les pratiques qui se rattachent à l'industrie huîtrière. Ce sera à la fois un bienfait et un enseignement. Si Votre Majesté agrée cette proposition , je m'empresserai de transmettre directement à M. le commissaire de la marine de Saint-Brieuc et à M. le commandant du Pluvier toutes les instructions propres à les diriger dans ces opérations délicates. Mais il restera encore une mesure à prendre, afin de préserver nos bancs artificiels du danger de l’ensablement : ce sera d'obliger les dragueurs de sable coquillier à faire leurs approvisionnements à une plus grande distance de ces gisements, là où ils peuvent labourer les fonds sans inconvénient pour une entreprise commencée sous d'aussi heureux auspices. En résumé, Sire, l'expérience faite dans la baie de Saint-Brieuc est trop décisive pour qu’on puisse se dérober à la lumière de son enseigne- ment. Elle prouve, par un résultat éclatant, que, partout où les fonds sont à l'abri de lenvasement, Findustrie, guidée par la science, peut créer, au sein des mers fertilisées par ses soins, de plus abondantes moissons que ne lui en donne la terre. Je me fais done un devoir de proposer à Votre Majesté d'ordonner le repeuplement immédiat de notre littoral tout entier, de celui de la Médi- terranée comme de celui de POcéan, de celui de l'Algérie comme de celui de la Corse, sans en excepter les étangs salés du midi de la France, dont les fruits deviendront, en se multipliant, la richesse des populations pauvres qui en habitent Les bords. Mais pour que ces opérations ne soient entravées par aucun obstacle, il faut qu'un navire à vapeur, à hélice, d’une belle vitesse, d’un faible tirant d’eau, soit exclusivement affecté au service de l’œuvre; navire qu'aux époques des pontes je puisse diriger, à mon gré, vers tous les théâtres de ces grands phénomènes de reproduction naturelle où la science promet à l'industrie de précieuses révélations. M. le capitaine de frégate Isidore Le Roy, connu de l'administration par ses études sur les pêches, pilote expérimenté des côtes où doivent s'ac- complir nos travaux, habile dans les arts mécaniques, officiellement pro- APPENDICE. 175 posé pour la surveillance des 1° et 2° arrondissements maritimes, me prêterait un concours eflicace sil était investi du commandement de ce navire; et dans le cas où Votre Majesté trouverait bon de me le donner pour collaborateur, cet oflicier devrait, selon mon désir, se rendre au Collége de France, afin de s’y préparer, sous ma direction, à cette grande tentative de mise en culture de la mer. Parmi les mesures à prendre pour l’accomplissement de ce dessein, il en est, Sire, dont l'expérience a déjà démontré l'eflicacité, et qui, par leur application immédiate, conduiront à des résultats certains. Mais, à côté de ces connaissances acquises, il y a des mystères qu'une étude persé- vérante pourra seule révéler, et qui devront faire l'objet de sérieuses inves- tigations. Il sera donc nécessaire d'ouvrir sur nos rivages de vastes fabora- toires à la science, où les conquêtes d’une expérimentation permanente fourniront à l'industrie de nouveaux moyens d'étendre son empire. Les étangs salés du midi de la France, les anses de l'Océan, celles de l'Algérie, de la Corse, ete. nous offriront les conditions les plus variées pour lorga- nisation de ces grands cantonnements progressivement transformés, selon le désir de Votre Majesté, en de véritables appareils d’ensemencement et d'exploitation de la mer. Les diverses espèces les plus utiles à l'alimentation publique, admises tour à tour dans les nombreux bassins de ces jardins zoologiques d’un autre ordre, y seraient, comme les animaux terrestres dans les box de nos étables ou dans les pares de nos haras, sous l'œil attentif d’observateurs chargés d'étudier les lois de leur propagation et de leur développement, observateurs placés là comme un détachement de mon laboratoire du Col- lége de France, dont il conviendrait alors d'agrandir les ateliers, d’aug- menter le personnel et la dotation. Un dessinateur habile fixerait par le pinceau les curieuses découvertes faites dans ce musée vivant, et prépare- rait l'album de lune des plus importantes publications dont les annales de l’histoire naturelle se soient enrichies. Les phénomènes imprévus auxquels il m'a été donné d'assister à Concar- neau, dans les étroits viviers du pilote Guillou , ne me laissent aucun doute sur l’immense utilité d’une création qui mettra aux mains de l'État des moyens d'action proportionnés aux besoins d’une œuvre d'économie sociale. Dans le siècle où, par une souveraine application des lois de la phy- sique, une flamme invisible porte la pensée à travers les fils conducteurs dont le génie humain enlace le globe, la physiologie exercera son empire sur la nature organique par une application des lois de la vie. 176 APPENDICE. Je ne puis terminer ce rapport, Sire, sans remercier M. l’amiral La Place, préfet maritime à Brest, du concours énergique qu'il a prêté à une expérience dont il a confié la rapide exécution aux soins combinés de M. le commandant de la station de Granville et de M. le chef du service maritime à Saint-Servan. Je suis avec un profond respect, Sire, De Votre Majesté Le très-humble et très-fidèle serviteur. Coste, Membre de l’Institut. À la suite de ce rapport, M. Levicaire a été élevé au grade d'oficier de la Légion d'honneur, et M. Le Roy a été investi du commandement du Chamois, navire à vapeur mis à la disposition de l'œuvre du repeuplement, M. le lieutenant de vaisseau Bidaut a été maintenu, avec tous ses équipages, dans le commandement du Pluvier. Li is RAPPORT A S. E. LE MINISTRE DE LA MARINE SUR LE REPEUPLEMENT DU BASSIN D’ARCACHON. Paris, le 9 novembre 1859. Monsieur le Ministre, Dans la première édition d’un ouvrage qui se réimprime en ce moment par ordre de l'Empereur, j'ai démontré, il y a cinq ans, à l’aide de faits nombreux observés à Marennes, à la Tremblade, à l’île d'Oleron, que les huîtres se reproduisent avec autant de profusion dans les claires, les viviers, les étalages, que sur les fonds toujours couverts. A la vue de cette richesse dévoilée, j'avais annoncé alors qu’au moyen d'appareils collecteurs de semence, tous les établissements organisés sur le rivage seraient bientôt transformés en de véritables usines où , sans quitier la terre, les populations maritimes auraient dans les mains linépuisable trésor que la science offrait au travail, et je décrivais déjà les instruments qui devaient leur en assurer la possession. Jose espérer, Monsieur le Ministre, qu'aujourd'hui, en présence du prodige accompli sous les yeux des populations étonnées et désormais avides de se mêler à l'œuvre qu'hier encore elles niaient, Votre Excellence me permettra de reproduire ici les termes dans lesquels je traçais la voie, afin de montrer une fois de plus comment, dans le grand atelier où le génie humain soumet le monde à son empire, les données les plus abs- 23 178 APPENDICE: traites de nos connaissances sont partout le levier des plus merveilleuses applications. Je disais : « Chaque établissement transformé ainsi en une véritable “usine, où l’action de l’homme crée toutes les conditions d'influence, les «varie à son gré, fera à la fois fonction de banc artificiel fournissant la se- «mence, et d'appareil de perfectionnement pour la récolte, donnant ainsi, «par ce roulement indéfini, des produits sans cesse renouvelés. Le dépôt «du limon étant le seul obstacle à la conservation de la progéniture des «huîtres dans les claires, il y aurait un moyen bien simple de sauver le «naissain, ce serait de placer, à la portée de ce dernier, à une certaine «hauteur au-dessus du sol, et dans une position telle que les molécules «vaseuses ne puissent ni les envahir, mi les recouvrir, des corps solides «où il pourrait se fixer. Si, pour créer ces points d'appui, on donnait la «préférence aux pieux, il faudrait les planter verticalement, soit au fond «de la claire, soit à des radeaux flottants. Ces radeaux auraient un autre avantage: ils pourraient porter des planches mobiles disposées oblique- «ment les unes à côté des autres, comme les tablettes d’une jalousie, de «manière à avoir une de leurs faces toujours préservée du contact de la «vase. Ces pièces mobiles, quand elles seraient chargées de semence, «pourraient être désarticulées et suspendues verticalement à la charpente «du radeau. Mais ce sont là des détails d'installation dont l'expérience apprendra à varier l'application. » Ces planchers collecteurs, dont l'efficacité comme points d'attache de la semence a été constatée sur toutes les parties du littoral de l'Océan, offrent cependant, sous ce premier modèle, des inconvénients qui les rendent insuflisants dans la pratique. D'une part, ils ne présentent qu'une surface restreinte pour les adhérences; de l’autre la cueillette ne s’y opère qu'avec difficulté, parce que les jeunes huîtres , s’y incrustant par la totalité d’une de leurs valves, ne peuvent souvent en être détachées dans le jeune äge sans laisser cette dernière incorporée au bois. Le problème ne consiste donc pas à savoir si sur les terrains émergents l’on peut récolter le naïssain, puisque le fait, dès longtemps acquis à la science, est connu de tous les parqueurs, mais à trouver un moyen éco- nomique d’accumuler un grand nombre d'embryons sur des espaces res- treints, et de les extraire aisément de ces reposoirs transitoires. Îl faut, en un mot, organiser de véritables ruches où l’huître mère répande sa pro- géniture, comme la reine abeille son couvain sous les cloches articulées APPENDICE. 179 pour l'enlèvement des essaims : appareils de précision qui mettent le tra- .vail de la nature à l'abri de toute perturbation, et portent l’industrie jus- qu'en la demeure de l’homme, là où les eaux salées, rafraîchies par une communication avec la mer, sont retenues par artifice. Avec de pareils moyens il n’y a pas un seul point, si réfractaire qu'il soit à la fixation du naissain, où l’on ne puisse désormais élever et multiplier le coquillage. L'idée d’une application de ces ruches huftrières à la culture des fonds émergents, comme à celle des gisements toujours couverts, a déjà fait un pas décisif dans le bassin d'Arcachon par les soins combinés de MM. les docteurs Lalesque et Lalanne, qui y mettent leurs connaissances physiolo- giques au service des méthodes nouvelles. Le premier de ces détenteurs de pares a converti mes planchers collecteurs en vases clos, c’est-à-dire en caisses immergées, où la ponte des huîtres en lait qu'il y dépose s'effectue aussi sûrement qu'en pleine liberté, et construites de manière à ce que Île naissain ne puisse être emporté par le courant. Le second s'applique à ré- soudre le problème de la mulhplication des surfaces, en doublant le ciel de ces chambres de reproduction de stalactites artificielles, formées d’un mélange de trois quarts de braï sec et d’un quart de goudron. Ce mélange, versé en fusion sur les planchers qu'on prépare, y saisit, en se refroïdissant, les débris de coquillages et de cailloux dont on le sau- poudre, et substitue à un plafond uni et dur une mosaïque hérissée et friable qu'on égrène à volonté, quand elle est peuplée, afin d'opérer, avec le naissain dont on la dégarnit, des semis sur les étalages. L'appareil collecteur, ainsi modifié, prend un caractère de plus en plus pratique, puisque les stalactites artificielles y forment, en vase clos, un ingénieux moyen de multiplier les surfaces et de faciliter la cueillette. Mais il ne saurait encore, malgré son évidente utilité, suflire aux appro- visionnements d’une industrie qui prend tout à coup de si colossales pro- portions, à moins que, par une heureuse association, on n’en garnisse l'intérieur de nombreux branchages dont les courbes infinies offriront aux embryons, sous ce toit protecteur, des reposoirs sans limites. Dans ces conditions d’abri, les rameaux, préservés du contact de la vase, se couvriront de semence plus abondamment qu'à la pleine mer, comme j'en ai depuis longtemps acquis la preuve par expérience. Mais que la récolte s'opère sur des planchers nus ou doublés de stalactites arti- ficielles, sur des fascines enfermées ou libres, qu'elle ait pour théâtre les fonds émergents ou ceux qui jamais ne découvrent, c’est toujours la même 23. 180 APPENDICE. industrie, faisant partout ses preuves avec un incomparable succès, orga- nisant ses instruments de précision pour fertiliser tous les rivages qui se prêteront à son développement. Grâce à de tels progrès si rapidement accomplis, cette industrie est dès à présent en mesure de retenir plus de cent mille embryons par chambre d’un mètre cube de capacité. En sorte que, avec un simple outillage de douze ou quinze ruches de cette dimension, elle obtient le million de sujets qu’elle peut élever par hectare. Or ce nombre d’huîtres représentant dans le parc, quand elles y sont devenues marchandes, une valeur de vingt-cinq mille francs au moins, 1l s'ensuit qu'on pourra créer, quand on le voudra, sur les huit cents hec- tares de terrains émergents de la baie d'Arcachon, susceptibles d’être mis en exploitation, un revenu annuel de douze à quinze millions. Quelle ri- chesse pour la France, et quel enseignement pour les peuples! Un facile aménagement des fonds producteurs, une bonne garde et une installation d'appareils collecteurs de semence, donneront cette richesse et ce salutaire exemple. Quoique la baie d'Arcachon puisse être entièrement transformée en une vaste huîtrière, 11 y a deux emplacements cependant, la pointe de Germanan et l’espace compris entre PEstey de Crastorbe et le port de l’île aux Oiseaux, qui sont encore plus favorables que tous les autres à la repro- duction. Le fond vasard et coquillier de leurs crassats et de leurs che- naux se prêtera admirablement à toutes les expériences. J'ai donc l'honneur de proposer à Votre Excellence d’ordonner que les agents de l'Administration procédent immédiatement à l’organisation de deux espèces de fermes modèles, qui seront à la fois des semoirs publics et de grands cantonnements pour la concentration de la récolte. L’excédant de semence que les appareils collecteurs de ces ruchers de prévoyance ne reliendront pas, ira au loin se répandre sur les coquilles et sur les reposoirs artificiels dont on aura soin de paver les diverses ré- gions de la baie, et fournira, soit à la pêche à pied, soit à la pêche en bateau, un aliment sans cesse renaissant, Ce sera la part commune de la moisson. Tout ce qui se développera dans les cantonnements réservés sera dis- tribué en lots de faveur aux marins les plus zélés, que ce prêt en nature ou ce don généreux mettra à même d'exploiter des parcs concédés par Administration, et de se créer ainsi un premier capital de roulement, qui APPENDICE. 181 les fera passer de l’état mercenaire à la condition d’éleveurs. Ce sera la part des récompenses. Mais pour que la production emprunte à toutes les forces vives ses moyens d'expansion, il sera bon aussi d'admettre, dans une certaine me- sure, la spéculation elle-même au bénéfice des concessions, en obligeant partout à association avec les pêcheurs, dont les droits seront garantis par des contrats passés devant l'autorité dont ils relèvent. En sorte que, sans rien aléner, le Gouvernement pourra ouvrir plus largement la voie et y attirer progressivement ceux que le spectacle des prospérités de l'industrie déterminera à s'y engager. Si Votre Excellence donne son agrément à ce plan d'organisation, M. le commissaire de l'inscription maritime de la Teste aura soin de faire pren- dre immédiatement, soit par le bâtiment garde-pêche, soit par des embar- cations de louage, sur le banc de Matoc, situé à l'entrée du bassin, qui les lui fournira en abondance, des chargements de coquilles destinées à servir de reposoir au naïssain. Mais avant d'en paver la baie, 1l les lais- sera à sec sur le rivage tout le temps nécessaire pour les purger des ani- maux nuisibles qui les habitent ou qu'elles portent, de manière à n’ame- ner sur les fonds à fertiliser que ce qui peut les convertir en un champ de germination. Pendant qu'on poursuivra la réalisation de cet aménagement général, on portera, vers le mois de mars ou d'avril prochain, aux lieux que j'ai désignés pour la création de deux établissements modèles, un million d'huîtres mères prises, soit dans les chenaux où la pêche est interdite, soit sur les marchés. Ces huîtres seront immergées, comme sur les étalages ordinaires, par rangées parallèles, entre lesquelles on ménagera des chemins pour la libre circulation des hommes de service qui, pendant les grandes marées, viendront se livrer aux travaux de l'exploitation. Mais, afin d’évi- ter les inconvénients qu'une trop longue exposition aux chaleurs excessives ou aux froids rigoureux pourrait occasionner, on fera ces installations dans les points qui découvrent le moins longtemps. Au-dessus de chacune de ces plates-bandes, on alignera, bout à bout, des caisses de trois mètres de long, de deux mètres de large, de soixante centimètres de profondeur, construites en planches de sapin, défoncées par la partie inférieure, et maintenues à une certaine hauteur au-dessus du sol au moyen de pieux auxquels on les tiendra liées. Ces caisses, divisées intérieurement en deux étages par des traverses 182 APPENDICE. en bois, à la manière des valises de voyage, recevront dans leur compar- timent supérieur autant de fascines qu'on en pourra loger sous leur cou- vercle garni de stalactites artificielles; couvercle mobile sur des charnières. qui permettra de suivre, sans le troubler, le travail de la nature, et d’en écarter les causes qui pourraient lui faire obstacle. À côté de ces appareils posés comme des cloches, admettant par leur partie inférieure ouverte le naïssain émané des étalages, on en établira de complétement clos, dont les côtés seulement seront percés de trous pour la libre circulation des eaux, et, dans ces appareils, également garnis de branchages, on enfermera quelques huîtres en lait, afin de voir s'ils retien- nent plus ou moins de semence que les premiers. En d’autres endroits, l'installation consistera à placer les fascines sous de simples planchers collecteurs portés par des traverses fixées à des pieux. Mais le ciel de ces planchers, déchiré en copeaux adhérents, offrira au naissain des lambeaux fragiles qui remplaceront les stalactites artificielles. J'ai fait construire par l'équipage du Chamois des modèles de ces divers instruments de récolte, que je mettrai à la disposition de l'Administration quand le moment viendra de procéder à leur installation. Au centre de chacune de ces fermes-écoles, un ponton, surmonté de deux chambres, servira de logement à des surveillants qui contribueront au service des appareils, de concert avec les gardes maritimes Dauris. Séveillard, Daillon, agents dévoués, dont le premier surtout se fait remar- quer par un zèle ardent. Mais, pour que ces agents trouvent dans leur emploi des moyens suffisants d'existence, j'exprime le vœu que leur salaire soit élevé à 800 fr. au moins, soit au moyen d’une subvention tempo- raire, soit au moyen d'un crédit définitif. Les surveillants des deux pontons (2 hommes par ponton) seront pris, à tour de rôle, dans l'équipage du bâtiment garde-pêche, parce que le personnel de la flotte, étant soumis à une discipline sévère, offre une sérieuse garantie. Dans l’état présent des choses, la surveillance générale de la baie est insuffisante, [n’y a, pour un périmètre de dix-huit lieues et pour dix mille hectares de superficie , que trois gardes maritimes, l'inspecteur des pêches et un petit cutter commandé par un simple patron. Un personnel aussi restreint ne peut évidemment suflire aux exigences de sa charge. Je pro- pose done de porter le nombre des gardes maritimes à six, de doubler leur solde, d'élever inspecteur des pêches à la première classe, afin que APPENDICE. 183 la hiérarchie continue à être exprimée par une rétribution supérieure, de faire mouiller le garde-pêche actuel vers le fond du bassin, du côté du Gujan et d’aflecter, en outre, au même service, une chaloupe à hélice de 25 à 30 tonneaux d’un faible tirant d’eau, construite sur le modèle de celles qui servent aux approvisionnements des phares, commandée par un en- seigne où par un lieutenant. Avec ces moyens d'action et le concours de l'industrie privée, une sub- vention de 20,000 francs permettra de transformer en deux ans, au pro- fit de tous et à l'honneur du Gouvernement qui aura donné les mains à une pareille entreprise, le bassin d'Arcachon en un véritable grenier d’a- bondance. Ce bassin portera alors, sur ses fonds ensemencés par des établissements de prévoyance, une immense récolte, dont l'étendue peut se calculer d'avance par les richesses que les dépôts permanents commen- cent à y accumuler. Mais le coquillage n’est pas la seule moisson qu'on puisse tirer de cet admirable domaine. L’Administration sy mettra facilement en mesure de créer sur les bords une source non moins précieuse de production, en y organisant, au moyen de tranchées convenablement ménagées, des réser- voirs qui amèneront l’excédant de la semence du poisson dans l'intérieur des terres; question controversée sur laquelle j'appellerai votre attention , Monsieur le Ministre, dans un prochain rapport. En attendant votre décision, Monsieur le Ministre, je vous prie d’agréer la nouvelle assurance de ma respectueuse considération. COSTE. Membre de l'Institut. Conformément aux conclusions de ce rapport, deux établissements modèles sont déjà organisés et fonctionnent sur les emplacements désignés du bassin d'Arcachon. Un second bâtiment garde-pèche, le brick le Léger, commandé par M. le lieutenant de vaisseau Blandin , y est chargé de la surveillance de la baie, et concourt avec M. Filleau commissaire de l'inscription maritime du quartier, à l'exploitation des deux fermes créées par les soins de l'État. Cent douze concessionnaires, associés à des marins inscrits, exercent la nouvelle industrie sur une étendue de quatre cents hectares de ter- rain émergent, que l'administration leur a livrés. Ep Es L'HSe af 5 vrlihapes cadre el nd che Pi ri dk PL pu LE PT | À 18 L : AS CORTE 0 4U HT sh and 10 MAUR AC ah, Mimet rer mètres 10 centimètres à » mètres 15 centimètres de long, sur 20 à 29 centimètres de large, dont on hérisse l'une des faces, à l’aide d’un ciseau ou d’une herminette, de minces copeaux adhérents. Ces co- peaux, qui ont une saillie de » à 3 centimètres, multiplient les surfaces et rendent très-facile la cueillette des huîtres qui y adhèrent. On peut les remplacer par une couche de valves de bucardes, de vénus, de moules, ou de cailloux du volume d’une noix, que lon fait adhérer aux planches à l'aide d’un mastie de brai sec et de goudron. Enfin, pour fournir au nais- sain un plus grand nombre de points d'attache, on garnit aussi cette face de menus branchages de châtaignier, de chêne, de sarments de vigne, ete. que l’on fixe par des liens passés à des trous pratiqués aux planches (D, D'). 24. 188 APPENDICE. Dans les pares, les viviers, etc. établis sur des roches ou des banches dures, par conséquent sur un fond que les pieux ne peuvent pénétrer, ceux-ci seront remplacés par des bornes en pierre de taille (G), de 70 cen- timètres environ de haut, sur 25 centimètres de côté, percées de part en part, assez largement pour recevoir non-seulement les traverses (B, C), mais encore un coin (H) destiné à les assujettir, et maçonnées à la base ou maintenues à l’aide de crampons en fer. TOIT GOLLECTEUR. Le toit collecteur (fig. 2) peut remplacer avantageusement les pierres dont on fait usage sur certains points de nos côtes pour arrêter le naissain dans les parcs, ou suppléer les collecteurs en bois, partout où lon a à redouter les ravages des tarets et des autres mollusques xylophages. C’est sur des chevalets, formés par des traverses clouées à des piquets qui saillent de 15 à 20 centimètres du sol, que repose le toit collecteur. On augmente ou on restreint le nombre et l'étendue de ces chevalets, selon la surface du terrain à couvrir. Les tuiles, qui sont l'élément principal du toit, se prétant à diverses combinaisons, permettent d'en varier la forme et la disposition. Ces tuiles peuvent être rangées en files parallèles et contiguës, et former une toiture simple et complète. Dans tous les parcs où l’action des flots se fera trop vivement sentir, on devra consolider chaque rangée de tuiles, soit à l’aide d’un fil de fer galva- nisé, soit avec des pierres posées de distance en distance. Fig. 2. Toit collecteur simple. Elles peuvent former double toiture (fig. 3), lune à claire-voie, l’autre à séries continues, placées côte à côte, surmontant et croisant la première. APPENDICE. 189 Fig. 3. Toit collecteur double. Elles peuvent être engagées entre des chevalets de soutien (fig. 4), par files se recouvrant sans se toucher, et formant avec le sol sur lequel elles reposent un angle de 30 à 35 degrés. Fig. 4. Toit collecteur à files obliques et se recouvrant. On peut enfin, comme dans la figure ci-dessous, les disposer sous forme de tentes ouvertes aux deux extrémités et plus ou moins allongées. Fig. 5. Toit collecteur à files opposées. Dans cette dernière combinaison, les tuiles touchant au sol, se prêlant 190 APPENDICE. mutuellement un appui solide par leur petite extrémité, et étant, en outre, consolidées dans cette position par des pierres posées, soit entre deux ran- gées adossées, soit sur la face libre des rangées extrêmes, l'emploi du bois est complétement supprimé : l'appareil est par conséquent ici à l'abri des dégradations des animaux destructeurs. Le détroquage sur ces collecteurs se fait plus facilement et avec moins de pertes que sur les pierres. RUCHER COLLECTEUR À CHÂSSIS MOBILES. Le rucher à châssis mobiles, sous des dimensions restreintes, offre cepen- dant au naissain des points d'attache excessivement multipliés, et les collecteurs indépendants, qui en forment l'élément essentiel, sont la meil- leure des conditions pour le libre et parfait développement des jeunes huîtres qui s’y fixent. Cet appareil (fig. 6) se compose d’une partie enveloppante, consistant en un coffre en bois léger, de forme rectangulaire; mesurant 2 mètres de long, 1 mètre de large et 1 mètre de haut; dépourvu de fond; à couvercle formé Fig. 6. Rucher collecteur, en place. de plusieurs pièces (D), maintenues par une traverse (T) passée dans des taquets à anse (A); percé à ses extrémités d’une double série de trous carrés où ronds, se correspondant et pouvant admettre des pièces de sou- üen de 6 à 7 centimètres de diamètre (S); consolidé enfin sur les côtés par des bandes de bois (R) qui correspondent à des traverses de même largeur, placées d’un bord à l’autre du fond (Q). Pour que leau circule librement dans tout l'appareil, les bandes verticales (R) doivent dépasser APPENDICE. 191 de 10 centimètres environ le bord inférieur du coffre : 1l faut aussi que les planches qui forment les parois aient entre elles un écartement de > à 3 centimètres, ou soient criblées de trous (0). Eee us Fig. 9. Rucher collecteur, dont une des parois latérales est enlevée, pour montrer la disposition des châssis. À ce coffre sont adaptés des cadres en bois de 4 centimètres environ d'épaisseur, ayant sur lune de leurs faces deux anses se correspondant (fig. 7 et 8) et garnis, sur la face opposée, d’un filet eu mieux d'un treillage en laiton, à mailles de 2 centimètres de côté, filet ou treillage que lon tend à l’aide de filins, de clous ou de fil de fer galvanisé. Une traverse médiane (lig. 7), ou deux tringles en cuivre se croisant et s’ajustant par leurs extré- mités, soit aux angles du cadre (fig. 8), soit au milieu de ses bras, en augmente la solidité et contribue encore à soutenir le filet. Pour la facilité des manœuvres, les châssis doivent représenter, en carré, la moitié seulement de la surface interne du coffre, de façon à ce qu'il soit possible d'en établir deux sur le même plan, comme le montre la figure 9. 192 APPENDICE. Du reste, il faut qu'ils aient assez de jeu pour pouvoir être retirés ou mis en place sans efforts. Enfin des coquilles provenant de mollusques de moyenne taille, telles que celles de la moule commune, de la bucarde comestible , vulgairement nommée coque ou sourdon, de nos diverses espèces de vénus, etc. forment le complément indispensable de cet appareil. Le moyen de disposer ces diverses parties, pour en former un tout fonctionnant , est des plus simples (voir les figures 6 et 9). Après avoir posé le coffre sur les bandes qui dépassent le fond, et avoir mis sous ces espèces de pieds une pierre plate qui les empêche de trop s’enfoncer, on dissémine sur le terrain circonscrit une soixantaine d’'huîtres mères, convenablement choisies; puis on engage dans les ouvertures inférieures des extrémités de la caisse deux premiers supports (S S), sur lesquels on place deux cadres préalablement garnis d’une couche de coquilles de bucardes ou de moules, au-dessus de laquelle sont parsemées d’autres huîtres mères. Ce premier plan dressé, on établit de la même façon le second, ensuite le troisième, dont on supprime seulement les huîtres mères. On recouvre enfin le tout de planches jointives (D) que lon maintient au-dessus du coffre, à laide d’une traverse passée dans des anses en fer et assujettie avec des coins en bois (C). Ces anses étant portées par deux pieux solidement piqués aux extrémités du coffre (P), il en résulte que, tout en assujettissant le plan- cher, la traverse maintient aussi sur place l'appareil tout entier, auquel on donne plus de fixité encore en arrétant ses côtés par deux autres pieux indépendants (P'), moins élevés que les premiers, mais tout aussi solide- ment fixés au sol. ; Cinq ou Six mois après les pontes, les jeunes huîtres ayant pris un accroissement convenable, on démonte Fappareil pièce à pièce, par une opération inverse, c’est-à-dire en procédant du haut en bas, et lon dépose avec précaution le contenu de chaque châssis sur le sol d'un parc, d’un étalage ou d’un vivier, dans les points les moins soumis à l’action des cou- rants et à l’envahissement des vases. PAVÉS COLLECTEURS. On recueille encore le naissain des huîtres sur des blocs de pierre dont on pave en quelque sorte les pares, comme cela se pratique aux en- virons de la Rochelle, et notamment à Laleu et à l’île de Ré. Ces pierres, irrégulièrement et obliquement dressées les unes à côté APPENDICE. 193 des autres et se servant mutuellement d'appui, doivent former, dans leur disposition, une foule de cavernes anfractueuses, dont la voûte soit à l'abri de l’envasement et fournisse aux jeunes huîtres de nombreux et larges points d'attache. Les pavés collecteurs peuvent être établis à peu de frais, et chacun d'eux offre encore l'avantage de servir à deux récoltes : il suflit pour cela de les retourner sur place, en les disposant à peu près comme il vient d’être dit. Par cette opération, les huîtres fixées aux parois qui regardaient le sol sont mises en pleine lumière, ce qui ne peut qu'être favorable à leur ac- croissement:; tandis que la face supérieure des pierres, devenue inférieure , offre actuellement aux futures pontes des abris et des conditions favorables à leur adhérence. Mais à côté d'avantages Imcontestables, les pierres, comme collecteurs. offrent de graves inconvénients que la pratique a mis en évidence. Les huîtres, S'y incorporant ordinairement par la totalité de l'une de leurs valves, ne peuvent être détachées sans de très-grandes pertes, et celles dont les adhérences ne sont ni aussi larges, ni aussi intimes, y contractent Je plus souvent des formes défectueuses. I ne suflit pas de produire beaucoup, 1l faut encore que les produits puissent facilement être récoltés, et présentent des formes qui les fassent rechercher. [E ot + + Fes À | Nat MNT UE AS 4 Hit = $ 2 i ) à CEA MEENANT i tah mn to à bg MU 1 SN 2 CLR div PL LP A + PAM {59 de “stef À PE M sw a: 4197770 re wii A LUTLIUNTAIT “ÿ, WATT , ptits LU. # ei d'u Pa Lot AE. à A1 PE : 1. e ie \ js RAPPORT A S. M. L'EMPEREUR SUR LES MODIFICATIONS À INTRODUIRE DANS L'ÉCONOMIE ET L'ADMINISTRATION DES PÈCHES MARINES. Sire . Les populations de notre littoral de l'Océan qui se livrent à la récolte de la sardine exercent cette industrie en jetant à la mer un appàt particu- lier, espèce de caviar, désigné sous le nom de rogue, à laide duquel ils attirent le poisson dans leurs filets. Cet appât, formé avec des œufs de morue ou de maquereau salés sur les côtes de la Norwége, du Danemark, des États-Unis, leur est imposé par la spéculation à un prix tellement onéreux, qu'il absorbe chaque année la moitié du produit total de la pêche. Ruinés par cet écrasant tribut, plusieurs patrons ont déjà renoncé à pratiquer pour leur propre compte, et se sont engagés avec leurs bateaux au service des négociants, condition déplorable dont la persistance finirait par porter atteinte au développement de l'inscription maritime, si lon ne trouvait un moyen de conjurer le mal. 196 APPENDICE. Pour donner une idée de ce triste état de choses, il suffira de rappeler ici ce qui vient de se passer, en 1829, dans le quartier de Concarneau, lun des plus productifs du littoral, où trois cents barques ont pris part à la moisson. Chacune de ces barques, montée par quatre hommes d'équipage, a pris, en moyenne, trois cent cinquante mulle sardines qui, à raison de 7 francs le mille, ont produit une somme de 2,450 francs. Cette récolte a exigé une dépense de trente barils de rogue qui, à 59 francs le baril, représentent une valeur de 1,650 francs. En ajoutant à ce chiftre, pour frais de carénage, pour usure de voiles, de cordages, ete. ete. une somme de 200 francs au moins, on arrive à un déboursé général de 1,850 francs qui, retranché des 2,450 francs, produit brut de la campagne, ne laisse plus que 600 francs à diviser entre quatre personnes el pour cinq mois de labeur. C’est la misère! On réussirait done, Sire, à doubler tout à coup la fortune de ces cou- rageux travailleurs, si lon pouvait substituer une préparation peu coûteuse à lappât ruimeux qu'ils emploient; mais l'esprit de routine se prête difh- cilement aux innovations, et c’est pour vaincre son opiniâtre résistance que J'nvoque aujourd’hui la haute intervention de Votre Majesté dans l’œuvre d’affranchissement en faveur de laquelle elle a bien voulu m'exprimer sa généreuse sympathie. M. le docteur Balestrier, de Concarneau, à fait, en broyant du capelan salé, une pâtée dont la sardine n’est pas moins friande que de la rogue de Norwége. Les essais auxquels il s’est livré depuis plusieurs années en sont une preuve dont l'administration de Brest peut rendre témoignage. Il à obtenu , avec cet appât, des récoltes aussi fructueuses que celles des ba- teaux qui, dans la même localité et à la même heure, opéraient suivant les anciens errements. Or, le capelan étant un poisson extrêmement abondant à Terre-Neuve, il sera facile de s'en procurer autant qu'on en aura besoin. Nos station- naires, qui vont tous les ans dans ces parages pour y surveiller la pêche de la morue et protéger nos nationaux, pourront, s'ils en reçoivent Pordre, en rapporter des chargements dans nos ports. Ces capelans seront, au nom de l'Empereur, et sur la proposition des commissaires de linscription, distribués par les préfets maritimes à des marins d'élite, avec promesse de primes pour ceux qui contribueront le plus eflicacement à populariser une aussi utile pratique. APPENDICE. 197 En donnant un pareil exemple, l'État favorisera une industrie qui mé- rite sa sollicitude à plus d’un titre; car non-seulement elle occupe un grand nombre de bras à la mer, mais ses récoltes, manufacturées sur le rivage, y sont transformées en conserves dans de nombreuses usines où les femmes trouvent un salaire égal à celui des hommes. Elle constitue donc, pour les populations maritimes, une double source de richesse. Je ne terminerai pas, Sire, cette première partie de ce rapport sans ap- peler la bienveillance du gouvernement sur l’auteur de cette heureuse 1n- novation. J'ose exprimer le vœu que Votre Majesté daigne accorder la croix de la légion d'honneur à M. le docteur Balestrier. Une pareille récompense, si l'Empereur l'en jugeait digne, serait le pre- mier pas vers la création d’un système d'encouragement pour les ouvriers de la mer, analogue à celui que les concours agricoles ont institué pour les ouvriers de la terre, création dont j'ai honneur de soumettre le projet à la haute appréciation de Votre Majesté. Pourquoi les pêcheurs, en effet, qui sont, à vrai dire, les agriculteurs de la mer, ne participeraient-ils pas au bénéfice de cette émulation salu- taire ? Leur industrie apporte tous les ans sur nos rivages une denrée alimen- taire qui, par le seul fait de son passage des mains de ces intrépides mois- sonneurs dans celles des marchands qui la livrent à la consommation, re- présente une valeur de plus de deux cents millions de francs, et cette denrée prend chaque jour une plus grande place dans le bilan de nos subsistances, à mesure que les voies ferrées lui permettent d'arriver sans altération sur quelques marchés nouveaux. On ne saurait donc trop se préoccuper des moyens de développer une pareille industrie. Des encouragements, tantôt honorifiques, tantôt en nature, accordés avec une certaine solennité et un certain retentissement à ceux de nos marins qui auront introduit une méthode nouvelle dans l'art de la pêche, dans celui de la multiplication des espèces, et même dans l’industrie des conserves, seraient, à mon avis, un puissant mobile pour entrainer les esprits dans cette voie féconde. [ls exerceraient sur les populations maritimes un excellent effet moral, et deviendraient pour elles le plus noble témoignage de l'intérêt que le gouvernement attache à tout ce qui peut contribuer à leur bien-être et à leur prospérité. Ce principe admis, viendrait alors la question de savoir s'il n'y aurait as convenance et justice de faire à l’industrie des pêches des prêts en J Ï I 198 APPENDICE. argent, comme on en fait à l’industrie agricole. Ces prêts, à la distribution desquels présiderait le personnel du commissariat de la marine, seraient employés à la création d’un outillage mieux approprié, dont la mise en pratique aurait pour résultat immédiat d'augmenter la récolte dans une pro- portion considérable; car ce sont moins les produits qui manquent que les moyens de les atteindre. Il y a telle portion du Finistère ou du Mor- bihan , où les pêcheurs sont si dépourvus d'instruments de travail, que leurs grossières embarcations ne peuvent les porter, sans les plus grands dangers, aux lieux qu'habitent les poissons de grande taille; et, quand leur coura- seuse abnégation les y a conduits, ils n’ont à jeter, sur les fonds fréquentés par ces précieuses espèces, que des engins impropres à en opérer la capture. La paternelle intervention de l'État ouvrirait done à ces populations dé- vouées des horizons nouveaux, et, par cette dotation, les entraînerait dans la voie du progrès. Mais pour que ces vivifiantes améliorations puissent porter leurs fruits, il faut qu'il y ait, au ministère de la marine, une administration des pêches, ayant le devoir de s'occuper exclusivement de ces importants problèmes, et d’en trouver les solutions pratiques. Malheureusement, en l’état actuel des choses, ce grand intérêt n’est représenté, dans la direction générale de l'inscription maritime, que par un sous-chef de bureau, qui cumule cette attribution avec celle de la domanialité. C’est à peine si son intelligente activité peut suflire à l'expédition des affaires courantes. Je crois done, Sire, qu'il y a lieu de reconstituer le service administratif des pêches marines, en le développant dans un sens qui réponde aux nou- veaux besoins d’une industrie sur laquelle repose la force navale de la France, et qu'il convient également, afin de donner à ce service une action directe jusque sur les fonds producteurs eux-mêmes, de modifier la surveillance à la mer, de manière à ce qu'elle suffise à la protection des récoltes, et con- tribue à en préparer de nouvelles, par son concours permanent à l’action du repeuplement. Les explorations auxquelles je viens de me livrer m'ont permis de cons- tater combien cette surveillance est insuflisante sur toutes les parties de notre littoral. Fy ai vu nos champs producteurs les plus fertiles dévastés par la rapine, quand ils ne le sont pas par une exploitation intempestive ou déréglée. Le nombre des bâtiments chargés de la police générale des pêches n’est pas en proportion de l'étendue des espaces qu'ils ont à parcourir, el, vi APPENDICE. [99 comme la plupart de ces bâtiments sont à voiles, il en résulte qu'ils ne peu- vent se porter assez promptement d’un point à un autre, pour y surprendre les maraudeurs ou leur inspirer une crainte salutaire. Il ya donc urgence de substituer, dans la réorganisation de cet impor- tant service, des navires mixtes à ces bâtiments exclusivement voiliers, et de former, au moyen de rapides transports, une chaîne, dont les anneaux rapprochés puissent se mouvoir assez promptement dans chaque circons- cription pour que la ligne ne soit jamais interrompue. Ces navires, qui deviendraient la véritable école des pilotes de nos rivages, de- vront être construits sur le modèle des chaloupes à hélice que ’administra- tion des ponis et chaussées affecte à l’'approvisionnement de nos phares, chaloupes d’un faible tirant d’eau, qui, avec un personnel restreint et une médiocre dépense de charbon, sufliront à tous les besoins, soit comme ins- truments de répression, soit comme instruments de repeuplement. Le commandement en sera confié à des enseignes ou à des lieutenants, que leur grade met à l'abri des influences extérieures, sans les placer assez haut dans la hiérarchie pour qu'il puisse y avoir conflit avec les commis- saires chargés du gouvernement des pêches. Dans cette combinaison, le Chamois, que Votre Majesté a bien voulu mettre au service général de Pœuvre de repeuplement, irait porter à chacun ses instructions pratiques, et si, pour plus d'unité dans l'action, on appli- quait le même principe à nos deux mers, l’on aurait, de la sorte, un moyen facile de tout savoir et de tout faire. En outre des bâtiments chargés d’exercer la surveillance au large, 11 y a, en résidence à terre, un cordon de gardes maritimes, dont l'intervention pourrait être d’un grand secours. Mais la solde de ces modestes agents n’é- tant que de trois à quatre cents francs, ils sont contraints, afin de subvenir aux besoins de leurs familles, d'employer leur temps à d’autres soins que ceux de leur charge. L'État ne pourra done compter sur leur entier dévoue- ment qu'en les affranchissant, par une augmentation de salaire, de la su- jétion forcée dans laquelle les tient leur condition actuelle. Je propose, en conséquence, d'élever les appointements de ces agents à sept ou huit cents francs, et de donner à chacun d’eux une embarcation qui les conduise partout où leur devoir les appellera. Dans ces conditions meilleures, l’œuvre du repeuplement marchera sans entraves; elle s’'accomplira partout dans la plus complète sécurité, et les populations riveraines béniront la main qui, en les préservant 200 APPENDICE. de leur propre entraînement, aura augmenté la source de la produc- tion. Je suis avec un profond respect, Sire, De Votre Majesté Le très-humble et très-fidèle serviteur. Coste, Membre de l'Institut. \ la suite de ce rapport. M. le ministre de la marine a donné l'ordre à nos station- uaires de Terre-Neuve de rapporter du capelan salé pour les pêcheurs de sardines, et M. Balestrier a été nommé chevalier de la Légion d'honneur. Les appointements des inspecteurs des pêches ont été portés à 1200 francs; ceux des syndics de 1" classe à 900; ceux des syndies de 9° classe à 800; ceux des syndics de 3° classe à 700; ceux des gardes maritimes de 1" elasse à 700: ceux des gardes de »° classe à 600. Enfin un bureau des pêches a été constitué au ministère de la marine. YL RAPPORT A S. E. LE MINISTRE DE LA MARINE SUR LA REPRODUCTION DES CRUSTACÉS . \U POINT DE VUE DE LA RÉGLEMENTATION DES PÈCHES. Paris, le 25 décembre 1860 Monsieur le Ministre . Le décret du 27 mai 1857 autorise en tout temps la pêche du homard et de la langouste, à la condition expresse, pour ceux qui se livrent à cette industrie, de rejeter à la mer les femelles grenées, c’est-à-dire celles dont les œufs sont descendus sous la queue pour y subir lincubation. Si cette règle était rigoureusement observée, Monsieur le Ministre, elle ferait perdre aux pêcheurs la moitié du fruit de leur travail dans le pré- sent, et, dans un avenir plus ou moins prochain, elle deviendrait une puissante cause de dépeuplement. En effet, non-seulement il y a des femelles grenées pendant dix mois de l'année, mais la plupart le sont aux époques qui forment la véritable période des ventes lucratives. Or, obliger les pêcheurs à rejeter à l'eau toutes les couveuses engagées dans leurs casiers pendant cette longue pé- riode, n'est-ce pas leur demander le sacrifice de la meilleure part de leur récolte ? Aussi, pour se soustraire à cette ruineuse sujétion, ont-ils recours à 20 202 APPENDICE. un artifice qui déjoue toute surveillance. [ls dépouillent, au moyen d’une brosse ou d’un petit balai de chiendent, les femelles de leurs œufs, et par ce stratagème, dont il est diflicile de distinguer la trace quand lopé- ration est faite avec dextérité, ils transforment la denrée prohibée en un produit de libre circulation. Le règlement n'existe donc qu’en théorie. Il est partout violé dans la pratique, parce que les agents de l'administration, si nombreux qu'on les suppose, ne peuvent être présents à toute heure et partout à la fois pour veiller à son exécution. Loin d’être un frein, la législation actuelle ouvre done carrière aux permanents abus d’une exploitation à outrance. Mais en admettant que, par une soumission volontaire, les populations maritimes consentent à en supporter les rigueurs, le mal sera-t-il con- juré? Évidemment non, car, dans cette hypothèse, les sujets mâles, dont la vente est autorisée en toute saison, incessamment retirés de la mer pendant qu’on y laisse les sujets femelles, ne s’y trouveront bientôt plus en nombre pour suflire aux besoins de la fécondation. L'équilibre entre les deux sexes étant ainsi rompu, la stérilité des pontes sera la conséquence de cet enlèvement inégal. En présence d’une législation qui porte, quand on lobserve, une si grave atteinte à la fortune de nos pêcheurs, et met une ruineuse entrave à la liberté de leur industrie, administration ne saurait hésiter plus long- temps : il faut qu’elle cherche dans une étude approfondie de la nature la règle qui concilie les intérêts actuels des populations riveraines avec ceux du repeuplement progressif de notre littoral. Cette règle, Monsieur le Ministre, se déduit rigoureusement d'expé- riences que M. Gerbe et moi avons entreprises, avec le concours du maître pilote Guillou, dans le laboratoire de Concarneau ; laboratoire où, par la découverte successive de la loi du développement de chaque espèce, nous réussirons à asseoir le gouvernement général des pêches sur les données positives de la science, pourvu que Votre Excellence nous donne des moyens d'action proportionnés à la grandeur du but à atteindre. La précision des résultats obtenus, en ce qui concerne le homard et la langouste, montrera de quelles vives lumières des investigations de ce genre doivent éclairer ces questions obscures. Je vais donc raconter en peu de mots les curieuses observations que nous avons faites dans cette première étude. Fécondation. — La saison des amours commence en septembre pour les sl APPENDICE. 203 langoustes, en octobre pour les homards, et se prolonge jusqu'en janvier. Durant ce laps de temps les sexes se recherchent, se rencontrent et va- quent au soin de la reproduction. L’accouplement consiste dans une sorte de copulation incomplète . pendant laquelle il n’y a pas, comme chez le crabe, par exemple, intro- mission directe des appendices copulateurs dans le sein maternel. Les deux individus sont simplement opposés ventre à ventre, de façon à ce que les orifices externes des organes génitaux du mäle soient à peu près en regard de ceux de la femelle. Dans cette position, la semence, du moins chez la langouste, ne passe pas immédiatement à la manière de celle du crabe et du tourteau, dans le vestibule des oviductes, mais elle est versée au dehors, sur le plastron où elle se fige par plaques irrégulières entre les deux ouvertures de ces canaux. Dense, tenace et gluante d’abord, elle se liquéfie peu à peu, et, à mesure qu’elle fond, les corpuseules fécondants dont elle est formée se dégageant de la substance albumineuse qui les tient en suspension, pénè- -trent dans les oviductes et montent jusqu'aux ovaires pour y opérer la fécondation. Chez le homard, le fluide séminal ne se coagule pas sur le sternum de la femelle, IT passe directement dans le sein maternel sans subir cette mo- dification préalable. Le nombre des pariades et des accouplements , très-restreint au début de la saison, va en augmentant du 1° septembre en fin novembre pour les er langoustes; du 1° octobre en fin décembre pour les homards. En janvier quelques accouplements s'effectuent bien encore, mais ils deviennent aussi rares qu'ils étaient fréquents dans la période intermédiaire. De sorte que l'automne est bien réellement la véritable saison de la plus grande activité du phénomène : circonstance importante à noter, afin de pouvoir détermi- ner avec précision, par la durée de Fincubation, quel doit être le moment de la plus grande activité des éclosions. Ponte. — L'émission des œufs a lieu quinze ou vingt jours après l’accouplement chez les deux espèces dont il s’agit. Elle suit par con- séquent d'assez près le jour de la fécondation. C’est de septembre en décembre que la plupart des femelles se grènent. Celles qui n’ont pas encore pondu en janvier font exception à la règle générale, comme ces arbres tardifs dont les fruits mürissent hors saison ; exception à laquelle la longue durée de lincubation des œufs donne l'apparence d'une preuve 26. 204 APPENDICE. que les homards et les langoustes se reproduisent pendant toute Fannée, tandis que cette fonction est renfermée dans des limites parfaitement définies. Lorsque les œufs sont arrivés à maturation complète dans le sein mater- nel et que leur expulsion est imminente, les femelles en travail appli- quent la face ventrale de leur queue contre leur plastron, de manière à produire une cavité close, dans laquelle sont comprises les ouvertures des oviductes, placées à la base de la troisième paire de pattes. En s’'échap- pant par ces ouvertures, les œufs ne tombent donc pas au dehors, mais dans l'espèce de cuvette que la queue fléchie représente. Ils y sont versés par jets successifs et en une seule journée, au nombre moyen de vingt mille pour les homards et de cent mille pour les langoustes. Pendant que les œufs sont versés dans le récipient naturel où ils auront à subir leur incubation, la paroi de ce dernier, incitée par une de ces correspondances physiologiques destinées à assurer l'exercice des fonc- tions, sécrète une humeur visqueuse qui les englue et les attache, en se coagulant, aux fausses pattes, où elle les tiendra suspendus par grappes serrées jusqu’à l'heure des éclosions. [ls sont donc là désormais à l'abri de tout contact perturbateur, et sous l’action directe de la mère couveuse, aux soins persévérants de laquelle ils restent confiés. Incubation. — Aussitôt que la génération nouvelle à pris place au de- hors en se groupant autour des fausses pattes, le travail d’incubation commence. Pour en favoriser le régulier accomplissement, les femelles grenées peuvent, à leur gré, présenter leur portée à la lumière ou la tenir dans l'obscurité, suivant qu’elles fléchissent leur queue sur leur plastron ou qu'elles la redressent: et quand elles prennent cette dernière attitude, tantôt elles laissent leurs œufs immobiles ou simplement immergés, tantôt elles leur font subir des lavages en agitant doucement les appendices in- cubateurs qui les portent. Sous l'influence prolongée de ces conditions d’abri et de ces soins assi- dus, les couvées poursuivent les diverses phases de leur évolution avec un tel ensemble, que c’est à peine si l’on rencontre cà et là quelques œufs stériles ou quelques rares embryons avortés: tout ou presque tout pros- père et vient à souhait. Cette longue évolution dure six mois: nous nous en sommes assurés en tenant des couveuses prisonnières pendant ce laps de temps, à partir du moment de la ponte. APPENDICE. 205 Or si, prenant septembre, octobre, novembre, pour la principale époque de la ponte des langoustes ; octobre, novembre, décembre pour celle des homards, on compte six mois pour l’incubation, on arrive à la certitude que mars, avril, mai, forment la véritable période des naissances. C'est alors, en effet, qu'ont lieu la plupart des éclosions. Les femelles couveuses redressent et étendent leur queue dont la flexion contre le plastron avait été jusque-là Fattitude ordinaire. Elles impriment aux appendices qui portent leurs grappes d'œufs embryonnées de légères oscillations, comme pour semer les larves qui sont prêtes à déchirer leur coque, et se délivrent en quelques jours de leur portée entière. Nous avons vu une langouste contribuer directement à cette espèce d’échenillage, en promenant sur les grappes d'œufs arrivés à terme les articles bifides et dentelés de sa dernière paire de pattes ambulatoires. Elle se servait de ces espèces de peignes pour débarrasser les filets incu- bateurs de l’arrière-faix formé par la matière coagulable qui tenait la couvée adhérente. Aussitôt nés, les jeunes s’éloignent de leur mère pour monter à la sur- face, abandonner les côtes, gagner la haute mer. Leur premier âge se passe donc au large, où on les voit à fleur d’eau nager sans cesse en tour- billonnant. Mais cette vie pélagienne n’est pas de longue durée, Is la quittent à la quatrième mue, qui survient au trentième ou au quarantième jour après la naissance, et leur fait perdre les organes transitoires qui ser- vaient à la natation. Ne pouvant plus alors se soutenir à la surface, ils tombent au fond pour y séjourner désormais, et, à partir de ce moment, la marche devient leur mode habituel de locomotion. A mesure qu'ils grandissent, ils se rapprochent des rivages qu'ils avaient momentanément abandonnés. Leurs formes primitives diffèrent tellement des formes adultes qu'il se- rait difficile, si on n'avait assisté à leur éclosion, de les rapporter à l'es- pèce dont ils proviennent. C'est à tel point que les naturalistes avaient considéré les embryons des langoustes, jusqu’au moment où nous les avons éclairés, comme des animaux parfaits, et en avaient constitué un genre sous le nom de Phyllosome. Ces embryons portent par paires égales , aux paires de pieds-mächoires, thoraciques ou ambulatoires, et au premier article de chacun de ces pieds, des plumules où panaches cadues, sorte de rames vibratiles, à l’aide des- quelles ils se meuvent et se tiennent en suspension permanente Jusqu'à la 206 APPENDICE. quatrième mue, époque à laquelle une dernière métamorphose leur fait révêtir les caractères extérieurs de leur espèce. Mais si, après l’atrophie et la chute de ces rames transitoires, les Jeunes crustacés ont alors la physionomie de l'adulte, ils sont loin encore d’en avoir la taille. Des expériences faites avec le plus grand soin démontrent que les homards ne parviennent à cette taille et ne sont aptes à se reproduire qu'à la fin de leur cinquième année. Leur croissance n’est pas, du reste, la même pour tous les individus, car, quoique placés dans des conditions identiques, les uns grandissent plus promptement que les autres. Mais pour tous le développement est en proportion du nombre de mues qu'ils accomplissent dans le même laps de temps, chaque nouvelle extension de leur corps étant subordonnée au dépouillement de la carapace inextensible qui létreint. Si toutes les portées prospéraient aussi bien après la naissance que pendant lincubation, efles n'auraient pas besoin qu’on les protégeàt pour en éviter la destruction. Les cantonnements qu’elles fréquentent ne sufli- raient bientôt plus à les contenir, ni à leur assurer leur pâture; car, à chaque parturition, il éclôt, en moyenne, comme nous l'avons dit, vingt mille embryons par tête de femelle de homard, et cent mille par tête de femelle de langouste. Mais ces innombrables générations , sans défense contre une foule d’en- nemis qui s’en repaissent, ne tardent pas, en outre, à être décimées par les crises de la mue ou même par leur voracité réciproque. À leur sortie de l’œuf elles rencontrent, sur les lieux mêmes que les couveuses ont choisis pour retraite, de petites espèces de poissons conti- nuellement acharnés à leur poursuite. Durant leur vie pélagienne, d’autres poissons, pélagiens comme elles, leur font une guerre assidue. Quand elles descendent au fond de la mer, elles y trouvent d’autres ennemis aux en- treprises desquels elles seront longtemps encore impuissantes à résister. La mue enfin cause aussi parmi elles de grands ravages, parce qu'elles ont souvent à en subir les crises, la répétition fréquente de ce phénomène physiologique étant la condition nécessaire de leur croissance. Chaque jeune homard, en effet, perd et refait sa carapace : De 8 à 10 fois en sa première année: De 5 à 7, en la seconde; De 3 à 4, en la troisième : De » à 3, en la quatrième. APPENDICE. 207 Sa taille s'accroît à chaque mue, en moyenne, de 4 millimètres la première année, de 8 la deuxième, de 16 la troisième, de 20 la qua- trième. En sorte que l'individu qui a, en naissant, un centimètre, en ac- quiert : li la première année : 9 la seconde; 1 4 la troisième: 18 la quatrième. I n’atteint donc la taille réglementaire de 20 centimètres que la ein- quième année, à travers des crises périlleuses dont la gravité diminue, sans doute, à mesure qu’elles deviennent plus rares, mais qui restent tou- Jours un danger en ce sens que les sujets temporairement dégarnis de leur carapace sont une proie facile. À partir de la cinquième année, la mue n’est plus qu'annuelle, comme la ponte à laquelle elle est subordonnée, attendu que si le dépouillement était plus fréquent, la nouvelle carapace ne durerait pas assez longtemps pour protéger les œufs adhérents à sa paroi externe pendant les six mois de leur incubation. Si à ces causes naturelles d’incessante destruction, on ajoute l'action plus destructive encore de homme qui éteint dans leur germe des généra- üons entières par la capture des femelles grenées, on s'explique aisément la disparition progressive des grands crustacés de nos côtes. Les pêcheurs eux-mêmes s’en inquiètent. [ls se soumettraient donc avec reconnaissance à une interdiction temporaire, pourvu que cette interdiction ne leur im- posät pas un trop long chômage et ne les mit pas, comme le règlement actuel, dans l'impossible obligation de rejeter à la mer, pendant la saison la plus favorable à la vente, la moitié de leur récolte. Cette double indication peut être facilement remplie, Monsieur le Mi- nistre, si, mettant à profit les enseignements de la science, l’administra- tion fait porter l'interdiction sur l’époque bien précisée des naissances, au lieu de étendre à la longue période des pontes et de l’incubation. Or, comme en temps ordinaire, ainsi que je l'ai déjà dit, le plus grand nombre d’éclosions a lieu en mars, avril, mai, Je propose de décider que pendant toute cette période il sera interdit de pêcher les homards et les langoustes, en laissant, toutefois, aux Préfets maritimes ou à lautorité locale le soin de hâter ou de reculer d’un mois ouverture de la campagne 208 APPENDICE. suivant qu'une température élevée précipitera les naissances ou qu'une température basse les ajournera. Ce court chômage ne portera aucune atteinte sérieuse aux intérêts des pêcheurs, puisque, à ce moment, la mer leur offre d’autres fruits à cueillir. Il protégera les éclosions, comme la loi sur la chasse protége les naissances du gibier. Je ne propose pas, Monsieur le Ministre, d'interdire le colportage. parce que les crustacés dont il s’agit peuvent facilement être conservés vivants, comme on le fait en Angleterre, dans des réservoirs où on les em- magasine. En sorte que, malgré linterdiction temporaire de la pêche. nos marchés n’en seront pas moins approvisionnés quand on aura organisé sur notre littoral des piscines de prévoyance, sur le modèle de celle que je fais construire à Concarneau, de concert avec le maitre pilote Guillou. Enfin, Monsieur le Ministre, pour que le règlement réponde à tous les besoins, 1l y a une dernière mesure à prendre, é’est d'interdire d'extraire de la mer tout homard et toute langouste qui, de la partie postérieure de l'œil à la naissance de la queue, n’a pas 22 centimètres de long. Au-des- sous de cette taille les pêcheurs en retirent peu de profit. Les marchands exigent qu'ils leur en livrent deux ou trois douzaines pour une, au prix de six à sept francs. valeur ordinaire d’une douzaine de sujets de grandeur moyenne. C'est un fait dont j'ai été plusieurs fois témoin à Concarneau. Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, la nouvelle expression de mes sentiments respectueux. Cosre. Membre de l’Institui Nora. Ce travail se rapporte à la reproduction du homard et de la langouste dans les eaux de l'Océan. Dans celles de la Méditerranée , une différence de température ame- nant une différence dans la durée de l'incubation , il y aura lieu d'en tenir compte pour l'application du règlement, C'est une question qui fera le sujet d’un autre rapport FLUVIALES. r A PECHES pa =) = mn 2 — == < = Sp) , DOCUMEN , & Ta 1, RAPPORT A S. M. L'EMPEREUR SUR L'ORGANISATION DE LA PÉCHE FLUVIALE EN FRANCE. Sire, Les pêcheries fluviales d'Écosse et d'Irlande, où tout est subordonné à l'élève de deux espèces, la truite et le saumon, dont on prend autant de soin dans les rivières que du bœuf et du mouton dans les pâturages, fournissent aux détenteurs de ces métairies aquatiques un revenu brut de dix-sept mullions cinq cent malle francs par an, et l'on estime qu’une exploi- tation progressivement perfectionnée en aura bientôt doublé le produit En France, au contraire, où toutes les espèces vivent confondues dans un même abandon, c’est à peine si Pamodiation de tous nos cours d’eau, malgré leur plus grande contenance, donne à l'État le modique tribut de six cent mille francs, qui ne couvre pas la dépense qu’en exige la perception. Ainsi donc, Sire, d’un côté la richesse, par cela seul qu'il y a surveil- lance, culture, aménagement: de Pautre, la ruine, parce que les règles d'une exploitation rationnelle ne sont pont observées. Cette différence, au profit de nos voisins, ne tient pas à une vertu particulière de leurs eaux, car le dépeuplement, quand on n°y obvie pas, s'en accomplit avec autant de rapidité qu'en aucune autre contrée. La Tweed, par exemple, lune des rivières autrefois les plus célèbres de l'Écosse par le nombre et la qualité de ses saumons, donnait, en 1814, à son embouchure, sur un simple parcours de vingt kilomètres, un demi- million de rente; mais, par suite d'incurie, elle tomba peu à peu dans un tel appauvrissement, que le produit de cette même portion de son Hit n'était déjà plus, en 1838, que de cent mille francs, et aurait fini par se 27 27. 219 APPENDICE. réduire à néant, si un nouvel acte du Parlement n'avait mis aux mains des propriétaires les moyens de défendre leur récolte contre les causes naturelles ou artificielles de destruction. L'industrie d'outre-Manche ne se borne pas seulement à repeupler les cours d’eau ruinés par les abus de la pêche ou par laction des substances délétères; elle fertilise ceux qui avaient été jusque-là stériles ou peu pro- ductifs, comme elle en a donné une preuve frappante en Irlande, près de Sligo. Là, trois rivières, Arrow, la Colloones, la Colaney, se précipitent à pie dans la mer, par un déversoir commun, d’une hauteur de plus de vingt pieds. Leur chute verticale les avait donc toujours rendues inacces- cessibles au précieux saumon. Mais, en 1854, un des propriétaires , M. Cooper, de Mackrec-Castle, ayant eu lidée d'adapter à cette petite cataracte lingénieux appareil connu sous le nom d'échelle à saumons, obtint, à laide de cet artifice, ce que la nature n'aurait jamais donné. Dès la première année, quelques saumons suivirent la voie qu'on leur avait frayée; dès la seconde, on en compta quatre cents, et, à la troisième, c'est-à-dire en 1857, un fermier offrit à lintelligent novateur douze mille francs de rente pour la location de la pêcherie qu’il venait de créer’. I dépend donc de Votre Majesté, Sire, que les eaux de la France soient mises en exploitation comme celles de l'Écosse ou de l'Irlande, et que, fécondées par lapplication des nouvelles méthodes, elles deviennent en tous lieux une source intarissable de production. Mais, pour le succès de l'œuvre, 1l y a une première mesure à prendre, c’est d’abroger, par simple voie de règlement, linexplicable anomalie qui consiste à laisser la police de la pêche fluviale aux mains de l'administration qui n’a dans ses attri- butions ni la police générale des eaux, ni leur aménagement, et que d’autres devoirs obligent à résidence dans les forêts. Exclusivement cantonnée dans les régions boisées de la France, où son personnel est organisé pour un service tout à fait étranger à celui du ré- gime des eaux, non-seulement cette administration n’a presque pas d'agents spéciaux pour la police directe de la pêche, mais ilest des provinces entières où elle n’en possède d'aucune espèce. En sorte que, à ce point de vue, son intervention est purement fictive. Quand, par exception, elle fait acte de présence, ce n’est que pour stipuler, dans des contrats, les conditions d'amodiation, la loi actuelle laissant à la charge des fermiers les gardiens * Voir le document relatif à la pêche du saumon en Écosse, p. 259. APPENDICE. 213 des portions de rivières dont ils se rendent adjudicataires:; charge égale- ment fictive à laquelle ils ne manquent jamais de se soustraire, parce que les produits de leur location n’en couvriraient pas la dépense. Aussi le pillage s’exerce-t-1l sans entraves partout où les résidus délé- tères de nos usines, la chaux brûlante, la coque du Levant, le suc de l'euphorbe, le rouissage du chanvre, les barrages, etc. n’ont pas encore amené la stérilité complète, Lei, c’est un bras de rivière qu’on obstrue aux deux bouts, afin que, dans ses eaux passagèrement stagnantes, laction du poison atteigne plus sûrement les espèces sédentaires qui s'y réfugient : ailleurs, des appareils destructeurs adaptés aux chutes y coupent la voie aux jeunes saumons qui, en se rendant à la mer, tombent en telle abon- dance dans ces piéges, qu'en certaines localités, sur les bords de la Loire. par exemple, ne pouvant les consommer sur place, on les donne en pâture aux animaux domestiques. Tout cela, Sire, accomplit au grand jour, en pleine sécurité; car les auteurs de ces désastreuses pratiques savent bien que nul ne viendra troubler leur coupable industrie. A ce mal, Sire, 1 n'y a qu'un souverain remède : c’est de confier la police de la pêche fluviale à ladministration des ponts et chaussées, à celle qui, ayant déjà dans ses attributions l'aménagement général des eaux , dispose, par cela même, de tout ce qui peut faire la prospérité ou accomplir la ruine des pêches. Cette administration sans rivale dans le monde, partout présente, sur nos cours d'eau comme sur nos routes, dispose, pour le double service dont elle y est investie, d’un personnel de vingt-huit mille hommes; véri- table armée de la paix, admirablement instruite et disciplinée pour les grandes entreprises de la paix, qui, par la nature même de ses fonctions et par l'entreprise de l'établissement de pisciculture d’'Huningue, qu’elle dirige, sera l'instrument eflicace d’ensemencement de nos fleuves, depuis leur tronc principal jusqu’en leurs moindres ramifications, si Votre Majesté lui fait une loi de veiller à la conservation de son œuvre. En dehors de son gouvernement, il n°y a rien de sérieux à tenter, On pourra bien créer des fonctionnaires nouveaux et grever le budget de charges nouvelles, mais, à coup sûr, on n'atteindra pas le but. Cette armée du travail, composée de 650 ingémieurs, de 3,600 con- ducteurs, de 24,000 employés secondaires, se partage en deux grands corps d'opération, ayant tous deux un détachement dans chaque départe- 214 APPENDICE. ment, lun pour le service des voies terrestres de communication, l’autre pour le service hydraulique. En sorte que, couvrant la France de son réseau, il n’y a pas un seul point du territoire où elle ne soit en mesure d'exercer utilement la surveillance de la pêche fluviale, surveillance restée purement nominale jusqu'ici dans la direction des forêts, et qui, par un de ces arrêts de développement dont les transformations administratives offrent tant d'exemples, tient encore à la souche comme ces bourgeons cadues destinés à pousser ailleurs de vivantes racines. Le personnel chargé du service hydraulique de la France devient de plus en plus nombreux chaque jour, depuis surtout qu’en vue des inon- dations Votre Majesté lui a donné à résoudre le grand problème d'un aménagement général des eaux qui permette de graduer leur cours de manière à préserver les villes et les vallées de nouveaux désastres. [l compte déjà dans ses rangs, en outre d'un état-major qui en a la haute direction, 650 conducteurs, 1,800 éclusiers, 2,000 employés secondaires, baliseurs, pontiers, gardes, cantonniers de navigation, observateurs des niveaux, ete. résidant tous sur les cours d’eau qu'ils surveillent, qu'ils ont constamment sous les yeux, qu'ils parcourent en bateaux, où dont ils suivent les rives à pied. Tantôt leur investigation périodique se porte sur le chenal pour savoir s'il est libre ou obstrué; sur le fond et sur les bords pour déterminer sil S'y est opéré des changements naturels ou artificiels, pour tracer des ali- gnements à suivre par les ouvrages défensifs des riverains, pour s'assurer sil n’y a pas de leur part des anticipations favorisant les atterrissements, pour poursuivre enfin les entreprises illicites des pêcheurs. Tantôt, c'est le mouvement des eaux qu'ils observent pour en noter les crues ou les abaissements, et, presque partout aujourd’hui, pour en prendre les niveaux quotidiens à des intervalles très-rapprochés. Tantôt, leur vigilance s'exerce sur la cireulation des bateaux, sur les bois flottés et sur la mise en pratique des nombreux règlements relatifs à cette circulation, ete. Comment, Sire, un personnel d'élite appliqué à ces diverses opérations, domicilié aux lieux où il les accomplit, présent partout et toujours sur nos cours d’eau qu'il aménage comme un appareil de laboratoire, dont 1l perfectionne le mécanisme et dont il travaille à régler le jeu, qui en entre- tient la propreté et la libre circulation par les curages, le faucardement des herbes, l’'approfondissement du lit; comment, dis-je, ce personnel n°y ferait-il pas aussi celui de la police de la pêche? Cette extension d’attribu- ï APPENDICE. 215 tion n’est que le complément forcé d’un pouvoir qui lui appartient à tous les points de vue, celui-là seul excepté. Il ne sera pas même pour ses agents un surcroït d'occupation, puisqu'ils pourront l'exercer en vaquant à leurs travaux ordinaires, et sans avoir jamais besoin de s’en détourner. Le gouvernement de la pêche fluviale est une attribution tellement inhé- rente à la fonction de l’administration des ponts et chaussées, que la loi elle-même le lui confère, comme un droit actuel, sur un grand nombre de nos cours d’eau, et le lui réserve comme un futur apanage là où ce droit n’est pas encore clairement constitué. Je m'explique. Le décret du 23 décembre 1810 place dans les attributions de la direc- üon générale des ponts et chaussées l'administration de la pêche dans les canaux appartenant à l'État, au même titre que celle des produits de francs- bords et plantations. Ce décret promulgué, il s’éleva la question de savoir si les dispositions qu'il renferme étaient également applicables aux rivières canalisées au moyen de la confection d'ouvrages d'art. M. le Ministre des finances, consulté à ce sujet, reconnut en principe l'assimilation des rivières canalisées aux canaux, et décida, en conséquence de cette assimilation, le 26 décembre 1831, que la location de la pêche, sur les rivières dont il s'agit, serait confiée à l'administration des ponts et chaussées. Le principe une fois admis, quelques préfets demandèrent dans quelles limites devait s'appliquer cette décision sur les rivières canalisées, ou, en d’autres termes, ce qu'il fallait entendre, au point de vue administratif, par le mot canalisation. Consulté de nouveau, M. le Ministre des finances prit, le 13 septembre 1839, la décision suivante : « Lorsqu'une rivière «aura été rendue navigable par suite d'ouvrages d'art, la location de la «pêche doit être confiée à administration des ponts et chaussées, non- «seulement pour les lieux mêmes où existent ces ouvrages d'art, mais encore «pour tout le cours intermédiaire qui n'est navigable qu'à l'aide de ces mêmes «ouvrages; en d’autres termes, sur toute la partie des rivières comprises «entre les points extrêmes où sont établis les ouvrages d'art les plus éloi- «gnés, l'administration des forêts devant continuer à affermer la pêche «pour les parties de ces rivières situées en dehors de ces limites. » En présence d’une législation qui consacre un droit dont les décisions ministérielles définissent la nature forcément progressive, il ne saurait y avoir de doute. Les ingénieurs des ponts et chaussées sont les administra- teurs de la pêche, par cela même qu’ils sont les administrateurs des eaux. Là où ils ont accompli des ouvrages d'art qui contribuent à rendre les 216 APPENDICE. rivières navigables, ce droit leur appartient, et tout ce qui tend à y limiter leur pouvoir devient une usurpation. Là où les travaux sont en voie d’exé- cution ou en projet, ce droit se crée et s'étend chaque jour, ne laissant plus rien en dehors de son envahissante légitimité; car, par ordre de Votre Majesté, toutes les eaux de la France doivent être aménagées dans un bref délai, en vue des inondations. En conférant done aujourd’hui à Padministration des ponts et chaussées la régie entière de la pêche fluviale, le Gouvernement ne fera pas même une innovation: il complétera, par anticipation, au bénéfice d’une grande indus- trie que les errements antérieurs ont ruinée, ce qui est déjà par ce qui doit être. Quand ce complément de responsabilité sera dévolu aux ingénieurs, la question du repeuplement général des eaux aura fait par cela même un pas décisif ; car ils combineront leurs travaux de manière à les approprier à l’accomplissement de ce grand dessein. Partout où il y a des barrages qui coupent la voie au poisson voyageur. ils rétabliront cette voie sans nuire aux industries riveraines, au moyen d'échelles ou escaliers à saumon, comme c’est la coutume en Écosse et en Irlande, et comme ils l'ont déjà fait en France, sur la Dordogne, près de Mauzac. Quand il s'agira de curages, au lieu de les entreprendre sur un entier parcours à la fois, ils répartiront leurs travaux en plusieurs années, afin de laisser toujours, pour le repos et la reproduction , une partie du fond et des rives tranquilles. S'ils ont à procéder au faucardement des herbes, ils attendront , avant de se livrer à cette opération, que les œufs des espèces qui ont coutume de pondre sur les plantes aquatiques soient éclos, afin de ne point sup- primer cette condition essentielle de incubation; et, dans le cas où les besoins de la navigation les obligeront à passer outre, ils ménageront à l'avance, dans les lieux les plus favorables, des touffes isolées. Là où des eaux limpides coulent sur des bancs de cailloux, ils auront soin d'y entretenir la propreté en temps opportun pour y inciter la truite et le saumon à en faire leurs lits de ponte, et veilleront à ce que nul ne vienne déranger ces lits chargés de semence, tant que la génération nou- velle n’aura pas quitté son berceau. Là où les riverains ont contracté la déplorable habitude de faire rouir leur chanvre dans la voie publique, ils les contraindront, comme la loi leur en donne le droit, et comme cela se pratique en Ecosse et en Irlande, à APPENDICE. 217 opérer dans des réservoirs séparés, que les agents de l'administration pour- ront créer, au besoin, au moyen d'une prise d’eau, laissant à l'évaporation le soin de tarir ces mares empoisonnées. Là où des usines versent leurs produits impurs, ils s’appliqueront, en vertu de leurs pouvoirs sur les établissements insalubres, à préserver nos cours d’eau de ces mortels mélanges, en obligeant Pindustrie, dans la mesure du possible, à avoir recours à des procédés qui coneilient tous les intérêts. En général, Sire, les travaux entrepris pour lamélioration des voies navigables, et qui ne sont pas appelés de canalisation dans le sens vulgaire du mot, ont néanmoins pour effet d'approfondir le chenal de manière à concentrer le volume entier des eaux basses et moyennes dans un seul bras; de substituer à des directions sinueuses des tracés réguliers. Ces opérations transforment réellement la voie naturelle en un canal à pente, au lieu d’un canal à chutes et à écluses, comme cela arrive déjà sur le plus grand de nos fleuves, sur le Rhin, sur le Rhône à un moindre degré, et, par intervalles, sur la Garonne, la Loire, Flsère, ete. Or, en favorisant le colmatage de tous les bras autres que celui réservé au chenal des basses et moyennes eaux, l'on supprime la pêche dans tous ces bras, l’on fait dis- paraître une foule de frayères naturelles et de lieux de repos indispensables aux poissons; tandis que si, par une interprétation plus logique du mot canalisation , les ingénieurs ont la régie des pêches de ces fleuves dans leurs attributions, ils ménageront des courants secondaires dans certaines localités, dans d’autres endroits des profondeurs, des abris. des remises. Et si, par le changement de régime, quelques espèces disparaissent forcé- ment, ils veilleront à la multiplication des autres et à l'introduction de nouvelles, au besoin. Toutes ces améliorations, Sire, qui forment les conditions fondamentales de repeuplement et de conservation, ne seront jamais obtenues, si le gouverne- ment absolu des pêches n’est pas dans les mains de l'administration qui les crée. Je viens de montrer le personnel des ponts et chaussées échelonné sur les bords de nos fleuves, depuis les embouchures jusqu'aux sources, pou- vant partout, sans se distraire du but principal de ses fonctions, y exercer une surveillance eflicace de la pêche, et y favoriser par un aménagement approprié la reproduction naturelle du poisson, la libre cireulation des espèces, la salubrité de leur séjour. Nous allons la voir maintenant bien 28 218 APPENDICE. mieux organisée encore pour y introduire, par les procédés artificiels, les races précieuses dont l'établissement d’Huningue est dès à présent en me- sure de fournir la première semence, et auxquelles les règles d’une exploi- tation rationnelle prescrivent de donner la prééminence dans la mise en culture des eaux, sans négliger pour cela les races vulgaires. Toutes les eaux fluviales de la France se partagent naturellement, par suite de la configuration du territoire, en cinq grands bassins : celui de la Seine, celui de la Loire, celui de la Gironde, celui de la Garonne, celui du Rhône, dans lesquels tous les affluents se rendent à la mer par des troncs principaux, comme les veines du corps aux oreillettes du cœur. Votre Majesté a voulu, pour plus d'unité dans la direction et de prompti- tude dans la manœuvre de ces immenses appareils hydrauliques, que le régime des grands fleuves, ainsi que cela était déjà pour quelques-uns, y fût confié à une seule personne. Elle a voulu également qu’au-dessous de cette responsabilité unique, les ingénieurs attachés à ce service pussent avancer sur place, afin de profiter de leur expérience au moment du péril, et del eur aptitude spéciale dans lexécution des travaux entrepris pour le conjurer. Îl en est résulté une organisation si admirablement coordonnée, qu'au premier signal de l'autorité centrale, une armée d'exploration et de surveillance se lève comme un seul homme, attentive en tous lieux et prêle à agir soudain. Cette armée, Sire, sera aussi celle dont la vigilance protégera, pendant leur migration à la mer où ils vont pâturer, et pendant leur montée vers les sources où ils reviennent déposer leur progéniture, les innombrables troupeaux de saumons qu'une administration prévoyante aura élevés dans les vastes réservoirs qu’elle organise sur les bords de tous nos grands cours d’eau, soit pour en favoriser la navigation, soit pour en éviter les débor- dements : réservoirs que l'établissement d'Huningue transformera en appa- reils d’ensemencement, et dans Pun desquels les ingénieurs du canal du Nivernais et de la rivière de l'Yonne font en ce moment un essai d’ale- vinage. Il y a, en eflet, dans les montagnes du Morvan, comme dans presque toutes les circonscriptions hydrauliques de la France, un immense réci- pient, le bassin des Settons, de quatre cent cinquante hectares de super- ficie, de trente mètres de profondeur au déversoir, établi sur un lit de granit, alimenté par un ruisseau limpide et par des sources pures, tenant en magasin, quand il est plein, quatre-vingt millions de mètres cubes APPENDICE. 219 d’eau pour les besoins de la navigation, et pouvant se vider ou s’'emplir au moyen d’une bonde, au gré de lexpérimentateur. Cet immense récipient dont, au point de vue de la pisciculture, la manutention ne coûte rien à l'État, puisque le service y est constitué pour une autre destination, sufhra à la fertilisation du bassin tout entier de la Seine, depuis l'embouchure jusqu'aux sources, du jour où les ingénieurs en auront fait un pare bien organisé d’alevinage et de reproduction : entre- prise déjà en voie d'exécution, et qu'il ne sera pas difficile de mener promp- tement à bonne fin. L'expérience accomplie à Saint-Cucufa, sous les yeux de Votre Majesté, prouve, en eflet, que, contrairement à la croyance commune, les jeunes femelles de saumon, élevées dans certaines conditions de captivité jusqu’à l'âge de deux ans, amènent, au bout de ce laps de temps, leurs œufs à complète maturation, comme celles qui sont libres d'aller à la mer, et que ces œufs, fécondés sur place avec la laitance des jeunes mâles qui vivent en commun avec elles, éclosent aussi sûrement que ceux de ces dernières. L'industrie est donc en mesure, grâce à cette découverte, de créer désor- mais des saumoneries artificielles, qui seront de véritables fabriques de graine ammale, destinée à remplacer la génération sortante dans le roulement bisannuel de cette exploitation. Or si, en un petit étang qui n’a pas plus d’un hectare de superficie, on à pu élever une assez grande quantité de saumons primipares pour en prendre plus de deux mille d’un seul coup de filet, que ne ferait-on pas dans un récipient comme celui des Settons, où, sur une étendue de quatre cent cinquante hectares, le jeune poisson rencontrera des profon- deurs de trente mètres, c’est-à-dire toutes les variétés de séjour et toutes les conditions de salubrité? Les conséquences d’une pareille entreprise sont incalculables, surtout si, pour lui donner un plus grand développe- ment, on a soin de faire éclore, en temps opportun, au milieu des trou- peaux réservés à l'ensemencement des fleuves, les espèces Inoffensives qui leur servent de pâture. Ceux-là seuls pourront s'en faire une idée qui auront vu au Collége de France, dans six mètres cubes d’eau de Seine, simplement renouvelée par un robinet, plus de cinq cents individus de la famille des salmonides, la plupart en état de reproduction , n'ayant jamais quitté la prison cellulaire où ils subissent depuis leur naissance le régime de la stabulation. Ce pouvoir des méthodes artificielles sur la nature vivante étant ainsi 28. 220 APPENDICE. bien établi, je suppose que les opérations soient assez avancées dans le réservoir des Settons pour qu'il y ait un million de jeunes saumons, aux- quels on puisse ouvrir les portes du bercail, après en avoir extrait les œufs pour un second alevinage. Ces poissons, déjà capables de se défendre par leur propre force contre les espèces voraces qu'ils rencontreront en chemin, protégés sur tout leur parcours contre les entreprises des maraudeurs par le personnel hydraulique, tenu en éveil au moment de leur passage, arri- veront aussi sûrement à la mer que nos troupeaux domestiques aux loin- tains herbages où les conduisent de vigilants pasteurs. Parvenus dans les régions salées, 1ls y trouveront une pâture tellement abondante, qu’au bout de six mois de ce bienfaisant séjour ils remonte- ront vers les eaux natales pesant chacun dix livres, et portant aux popu- lations riveraines inépuisable tribut d’une facile moisson : surprenante croissance qui, en ce court espace de temps, représente une valeur de vingt francs au moins par tête de poisson de graisse, et de vingt millions pour la colonie tout entière, si on suppose qu’elle n'ait pas subi de perte pen- dant sa migration : merveilleux retour, qui met aux mains de l’industrie ces précieuses espèces dont l’homme règle le sort par la connaissance des lois de leur organisation. Croissance et retour mille fois constatés sur des sujets marqués au moment de la descente, soit avec un nœud de ruban attaché à la queue, comme dans l'expérience de Duhamel, soit avec un anneau de gutta-percha, comme dans celle du due d’Athol, soit par ablation de la nageoire adipeuse, comme dans celle de M. Andrew Young; soit enfin par un trou pratiqué à lopereule ou à la nageoire caudale au moyen d'un emporte-pièce. La fidélité du saumon à son quartier natal n’est pas un fait sans excep- üon, puisque M. Cooper, de Mackrec-Castle, a pu en attirer un certain nombre dans des rivières jusque-là inaccessibles, en leur offrant un escalier pour en oravir les cataractes; mais elle est une règle assez générale. On en voit le permanent témoignage dans le golfe de Moray, où se jettent trois rivières : le Ness, le Thin, le Bearlu, dont chacune produit une race par- üiculière, facilement reconnaissable à sa conformation caractérisée. Ces trois variétés vont done, tous les ans, se mêler ensemble dans ce golfe, pour y pâturer sur un fond commun; mais, quand l'instinct de la reproduction les entraîne vers les lits de ponte, les troupeaux se séparent, et chaque colonie rejoint son cours d’eau respectif, comme loiseau voyageur le climat où il doit faire son nid. APPENDICE. 221 La nécessité à laquelle le saumon est astreint de rentrer périodique- ment dans les eaux douces pour y vaquer au soin de sa reproduction, et ses habitudes de fidélité au quartier natal, permettent à l'industrie de pourvoir à l’ensemencement des plus grands fleuves, depuis leur tronc principal jusque dans leurs moindres ramifications, avec un seul réservoir d’alevinage comme celui des Settons, pourvu que le nombre de Jeunes sortis du bercail soit en proportion des lits de ponte que ces fleuves ou leurs affluents peuvent leur offrir au retour du voyage à la mer. Cinq réservoirs comme celui des Settons, un par circonscription hydraulique, sufhront done à peupler toutes les eaux de la France. La hauteur, en eflet, à laquelle cette espèce précieuse remonte vers les sources en s’échelonnant le long des cours d’eau, dépend du nombre de sujets qui s’y disputent la place. Quand il y a peu de concurrents, la colonie s’avance jusqu'aux premiers bancs de cailloux, où chaque couple creuse le sillon au fond duquel il travaille à ensevelir sa progéniture. Si, au contraire, les prétendants abondent , une lutte s'engage. Les plus pressés restent maîtres du terrain, parce qu'ils mettent un plus grand acharne- ment à le garder.Ceux qui peuvent encore attendre vont prendre possession d'une autre partie du fond , où ils s'établissent; puis, à mesure qu'en mon- tant le troupeau se refait par de nouvelles recrues venues de la mer, il s’en détache des colonnes secondaires qui s'engagent dans les affluents et des affluents dans les plus modestes ruisseaux, couvrant successivement de leurs pariades les espaces de leur choix, comme continue à le faire la colonne centrale dans le tronc principal. Quand la source du fleuve est un lac situé à une trop grande hauteur, on voit ceux qui arrivent au pied de la cataracte déployer un courage inutile pour essayer de la franchir et de trouver sur la montagne la place qu'ils cherchent. Dans leur intrépide persévérance, ils s’élancent par bonds de plusieurs mètres à travers les cascades, s'appuyant sur toutes les aspérités de la digue naturelle comme sur les barreaux d’une échelle qui les conduirait certai- nement au but, si elle était continue. Mais cette continuité faisant défaut, ils retombent dans le bassin inférieur et recommencent ce manége jusqu’à ce que, exténués de fatigue, ils ne puissent plus se dérober à la main du pé- cheur qui attend sur les bords le moment de s’en emparer. Intéressant spec- tacle, auquel assistent tous les ans, au mois d'octobre et de novembre, les agents que l'administration des ponts et chaussées envoie à la chute du Rhin pour les approvisionnements de l'établissement de pisciculture d'Huningue. 222 APPENDICE. Or, si, par un aménagement approprié, l'industrie peut conduire partout où il lui convient espèce précieuse qui doit avoir la prééminence dans la mise en exploitation de nos cours d’eau, pourrait-elle raisonnablement ne pas être l’attribut du personnel qui, souverain arbitre de cet amé- nagement, le réalise de ses propres mains? La disjonction sera tou- jours la ruine, parce qu’elle sépare ce qui de sa nature est indissoluble- ment uni. La possibilité d’ensemencer les fleuves au moyen de parcs d’alevinage placés sur un point quelconque de leur parcours n’est plus aujourd’hui une question à l’état de problème. C’est un fait déjà accompli dans l’une des plus importantes rivières d'Écosse, le Tay. Depuis que l'établissement de pisciculture artificielle de Stormonfield y verse ses produits, le revenu de ce fertile domaine a augmenté d’un dixième, c’est-à-dire d’une somme d'environ 100,000 francs, bien que le réservoir de stabulation y soit extrêmement petit, et qu’on y donne la liberté aux jeunes saumons avant l’âge convenable, Mais quand les propriétaires d'Écosse auront compris tout le parti qu'ils peuvent tirer des lacs de leurs montagnes pour l'amé- lioration générale de la pêche, la récolte de l’ensemble de leurs cours d’eau y prendra des proportions inconnues. On dira peut-être que si on introduit le saumon en trop grande abon- dance dans les fleuves, il n’y rencontrera pas la nourriture nécessaire, et que Pindustrie se trouvera, par cela même, circonscrite en des limites restreintes, Mais cette objection ne saurait s'appliquer à une espèce voya- geuse qui ne vient dans les eaux douces que pour y vaquer au soin de sa reproduction, qui jeûne pendant les pariades, qui est toujours libre d'aller pâturer aux embouchures, qui y descendra à travers des myriades de pois- sons herbivores multipliés à l'infini, dont elle fera son profit, en attendant qu'elle absorbe les bancs inépuisables de crustacés, de mollusques, de sardines, de harengs que la mer lui tient en réserve. Le saumon semble done, à cause de ses mœurs particulières, lune des espèces prédestinées à lensemencement artificiel des fleuves, comme le froment à celui de la terre. Par ses migrations alternatives des eaux douces dans les eaux salées et des eaux salées dans les eaux douces, 1l est un des moyens de transformer ces fleuves en instruments d'exploitation de la mer. Tels sont, Sire, les faits et les considérations générales que j'ai l'hon- neur de soumettre à la haute appréciation de Votre Majesté. J’ose espérer APPENDICE. 293 qu'elle les trouvera suffisants pour légitimer la modification administrative dont ils démontrent l'urgence. Je suis avec un profond respect, Sire De Votre Majesté Le très-humble et très-fidèle serviteur. Cosre, Membre de l’Institut. Château de Rezenlieu, près Gacé (Orne), le 21 septembre 1859. Avant de livrer ce travail à la publicité, j'en ai communiqué les épreuves à l'un des propriétaires d’une des pêcheries de saumons les mieux aménagées d'Irlande, M. Thomas Ashworth, de Poynton, qui, avec le concours de son frère, M. Edmond Ashworth, a si eflicacement contribué à la propagation des méthodes nouvelles chez nos voisins. Les remarques que cette lecture lui a suggérées ne sont pas seulement un témoignage de l'exactitude des faits sur lesquels je m'appuie, elles révèlent, en outre, des prodiges de l'art pour la fertilisation des cours d’eau. Je donne done ici sa lettre comme un document précieux. M. Thomas Ashworth à M. Coste. Mon cher Monsieur Coste, j'ai lu, avec une très-vive satisfaction, votre important ret excellent rapport sur les pêcheries de saumons, et vous le renvoie ci-joint. Veuillez me pardonner mes observations : aussi bien personne ne s'intéresse plus que moi au rsuccès qui, J'espère, est réservé à vos eflorts. r Vous avez évalué le produit total des pêcheries de saumons en Irlande à 300,000 livres esterling. Mais les commissions du Gouvernement, dans leur rapport, l'estiment plus haut. Quant à l'Écosse, votre chiffre de 500,000 livres sterling doit être ramené à r400,000; de sorte que le produit total des rivières d'Irlande et d'Écosse représente 700,000 livres sterling. C’est le chiffre du revenu net des propriétaires et des béné- rfices des pêcheurs. Mais, en prenant le produit brut, vous avez la quantité exacte de rdenrées alimentaires sortie des fleuves d'Écosse et d'Irlande. «À la page 212, vous devrez ajouter la déposition du duc de Richmond, faite l'année rdernière devant une commission de la chambre des communes. Le due y a déclaré rque la seule rivière de Spey (en Écosse) lui rapporte net plus de 2,000 livres sterling “par an, et que cette prospérité n'a d'autre cause que l'exécution de bonnes lois et la «protection dont le frai est l’objet depuis six ans. Il a ajouté qu'auparavant cette rivière ravait été presque stérile par la négligence des tenanciers et par des pêches abusives, 224 APPENDICE. + démontrant combien il est facile de repeupler un cours d’eau ruiné et d'en augmenter «la valeur. — La rivière Spey a environ 60 milles de longueur, avec un développement “à peu près égal de ses affluents. «En quelques années le produit du Tay s’est élevé de 8,000 livres sterling à 14,000, “payées aux propriétaires, sans compter les bénéfices des pêcheurs, et cela par suite «de la culture, de la surveillance et de la propagation artificielle. «Je puis vous citer une autre pêcherie de saumons en [Irlande dont le revenu a qua- «druplé en sept années, grâce à l'emploi des mêmes moyens : c’est la nôtre. Nous y “avons commencé par la fécondation artificielle, en 1859. dans des bassins, à Anghterard: «mais le grand essor est dû à une bonne législation et à la surveillance exercée pendant «la saison du frai sur les eaux du lac Carrèle. Dans ce canton, les rivières ont été pro- -tégées et gardées au moment de la reproduction, de 4o milles en 4o milles carrés, par «plus de cent sergents de rivière et par la police d'Irlande. «Mon unique but, en vous donnant ces renseignements, le secret de notre succès. rest de confirmer votre excellent rapport et de vous encourager dans votre grande en- vtreprise nationale. + Vos fleuves de France sont beaucoup plus considérables que les nôtres, et ils n'ont «besoin que d'être cultivés et surveillés pour devenir plus productifs en denrée alimen- «taire que ceux de la Grande-Bretagne. «En Angleterre, nos vieilles lois sur la pêche sont bien surannées et nos pêcheries -sont ruinées en conséquence. Mais, avec l'exemple de l'Écosse et de l'Irlande. nous *sommes en instance pour une meilleure réglementation, et nous espérons l'obtenir «bientôt. «Je vous engage à construire des échelles à saumons aux chutes de Schaffouse. Vous «permettriez ainsi aux poissons prêts à frayer de franchir ces chutes et de remonter “en Suisse. Leur jeune postérité serait protégée dans les petits cours d'eau de ce pays -froid. L'émigration à la mer aurait lieu, et vous pêcheriez au-dessous, dans le Rhin, -le poisson du lac de Constance. Les ruisseaux des montagnes sont indispensables au «frai du saumon, et c’est dans ces petits cours d’eau que la police doit, en décembre, «le garantir de toute destruction, comme nous le faisons en [rlande. Chaque poisson +ainsi protégé peut donner 10,000 œufs, et des milliers de jeunes franchiront les «chutes, s'ils en trouvent le moyen. Nous sommes convaincus que les barrages des mou- “lins et les chutes d’eau auraient détruit nos pêcheries en empêchant les poissons de «remonter les petits ruisseaux, où seulement il peut en sûreté déposer ses œufs: dans «notre propre établissement de Galway, nous avons donc construit des échelles près de «tous les barrages, chutes d’eau, et c’est à ce soin que nous attribuons en grande partie «la prospérité de nos pêcheries, sans oublier la surveillance à l'époque du frai. + Pardonnez-moi la liberté que je prends de vous communiquer mes humbles remar- «ques sur un sujet si important, et, quand vous visiterez l'Angleterre, de grâce, venez nous voir. Envoyez-nous deux exemplaires de votre rapport: adressez-en un à mon “ami, M. Fenerelle, et croyez-moï, etc. «8 juin 1860. - Thomas AsaworTs.» ÉTABLISSEMENT DE PISCICULTURE D'HUNINGUE. RAPPORT DE L'INGÉNIEUR EN CHEF SUR LES RÉSULTATS DE LA CAMPAGNE D'AUTOMNE ET D'HIVER 1857-1858 CONSIDÉRÉS, SOIT SÉPARÉMENT , SOIT COMPARATIVEMENT À CEUX DES CAMPAGNES ANTÉRIEURES CORRESPONDANTES. Une décision nunistérielle du 19 octobre 1857, statuant sur les pro- positions de M. Coste, et sur mon rapport motivé, pour les mesures à prendre au sujet de lexploitation de l'établissement de pisciculture d’Hu- ningue pendant la campagne d'automne et d'hiver 1857-1858, avait réglé les points principaux relatifs aux approvisionnements d'œufs fécon- dés, à leur manipulation dans l'établissement, et à leur distribution gra- tuite à titre d'encouragement à la pisciculture artificielle. L’Administration avait prescrit une récolte plus abondante que celle des années précédentes, quant aux espèces de poissons dont la reproduction artificielle était déjà entrée dans le domaine de la pratique ; et des essais ‘ Depuis 1856, M. Coumes, ingénieur en chef des travaux du Rhin, a pris le gouvernement de l'établissement d'Huningue. Sous la direction de cet administrateur habile, et avec le concours de M. Stæclink, ingénieur ordinaire à Colmar, cet établisse ment a pris un grand développement, et a puissamment contribué à porter l'enseigne- ment de la pisciculture dans toutes les parties de l'Europe. On en jugera par l'extrait que nous donnons ici du rapport dans lequel M. Coumes rend compte des opérations de 1857 à 1858. 226 APPENDICE. simultanés à l'établissement d'Huningue ainsi qu'au Collége de France avaient été autorisés pour les œufs de féra. Les opérations commencées en octobre 1857 se sont succédé sans inter- ruption jusqu'en avril 1858, dans des circonstances tout à fait défavo- rables. D’abord la sécheresse extraordinaire avait tari ou diminué considé- rablement le volume de plusieurs cours d’eau, et avait arrêté la remonte des poissons au moment du frai, de telle sorte que les pêcheries les mieux organisées éprouvaient de grandes difficultés pour nous procurer les sujets d’où l’on devait extraire les œufs et la laitance. Ensuite, les sources qui alimentent l'établissement d’Huningue ont été réduites à un très-faible débit, qui a disparu tout à coup au milieu de la campagne , en nous obli- geant à recourir, pour les incubations, aux eaux beaucoup plus froides du Rhin, qui entraient dans les ateliers à travers des glaçons et venaient se congeler dans les appareils intérieurs. Malgré ces inconvénients et ces obstacles, lon est parvenu à réunir des différents lieux de récolte des approvisionnements un peu plus forts que l'hiver précédent, et même lon a obtenu des résultats finaux supérieurs, en raison de la multiplicité des soins donnés aux manipulations, et de l'énergie employée pour atteindre le but. Les procédés suivis pour les truites, les saumons et les ombres chevaliers ont réussi avec quelques anomalies afférentes aux changements subits de la température et de la nature des eaux. Les essais sur les métis de ces trois espèces ont été plus significatifs que dans les années précédentes, sans prendre encore un caractère normal. Les féras, qui n'avaient donné lieu qu’à des succès problématiques avant 1858, ont présenté de bonnes éclosions dans divers systèmes d’incubation. On a cherché d'ailleurs à réaliser pour cette espèce une expérience sur une vaste échelle, en déposant les œufs, aussitôt après leur fécondation, dans les eaux de deux lacs situés sur le sommet des Vosges, dans le département du Haut-Rhin, et tout fait présumer que cette expérience a réussi d’après les observations faites sur les alevins vus en assez grande quantité au bord de ces lacs entièrement dépeuplés auparavant. Toutefois, c’est lorsque l’année entière sera révolue qu'on pourra se prononcer avec plus de certitude. Au fur et à mesure que les œufs parvenaient à maturité, les expéditions ont été faites aux sociétés savantes, aux établissements publics et privés ainsi qu'aux particuliers s’occupant de pisciculture, et placés dans des con- ditions convenables pour étudier et faire prospérer cette nouvelle branche APPENDICE. 227 d'industrie. Les listes approuvées par M. le Ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics avaient été dressées avec soin, et la clien- tèle de l'établissement gouvernemental d'Huningue, devenue plus nom- breuse, a été servie mieux et plus abondamment malgré les difficultés exceptionnelles des manipulations. Ce qui a été ainsi réalisé est d’un bon augure pour les opérations de l’année prochaine, qui pourront s'accomplir dans des locaux plus vastes et plus convenablement appropriés. Le moyen le plus simple de faire apprécier les progrès de l'établisse- ment d’'Huningue, consiste à résumer dans quelques tableaux statistiques les travaux de la dernière campagne, comparée à celles qui l'ont précédée. En comparant les chiffres finaux de cette campagne à ceux des campa- gnes précédentes, voici ce qui en ressort : DEMANDES D'OEUFS DÉSIGNATION DES CAMPAGNES sans distinction d’origine , d'automne et d'hiver ———— — —— inscrites. servies. 1854-1855. 1855-1856 1856-1857 1857-1558 — Non-seulement les demandes deviennent tout les ans plus nombreuses, - . = \ . \ ! mais la pisciculture tend à se vulgariser et à se répandre sur toute la sur- face de notre pays, aussi bien qu'à l'étranger, où notre Gouvernement a pays» Ï 8 l'honneur de donner un bel exemple. En outre, le nombre d'établissements subventionnés et de sociétés s’occupant de pisciculture grandit chaque année, ainsi que le constate l'extrait suivant : NOMBRE DE DÉPARTEMENTS FRANÇAIS de pays étrangers, établissements ou sociétés en France et à l'étranger DÉSIGNATION" DES CAMPAGNES ayant participé aux distributions de l’élablissement d'Huningue. © — d'automne et d'hiver. ; Etablissements Départements Pays ou sociélés en France français. étrangers. 7 5 et à l'étranger. Le] NOTES 5 D, Meuse 1855-1856 1856-1857 1557-1858 1 — I © NW 228 APPENDICE. Pour la première fois, des renseignements positifs et très-essentiels sur les résultats des expéditions d'œufs de l'établissement d’Huningue jus- qu'au moment de leur arrivée m'ont été fournis par les destinataires. Il résulte de ces renseignements que les expéditions ont été faites avec soin et en temps opportun, puisque le nombre des œufs altérés à l’arrivée ou éeclos en route n’équivaut pas au dixième du nombre envoyé. Il en résulte aussi que les destinataires se sont, en général, empressés d’accuser récep - tion, et d'envoyer les renseignements réclamés, ce qui est un signe de Pintérêt qu'ils attachent à leurs opérations. Enfin une enquête d’une portée plus utile encore a été commencée par mes soins, depuis le mois de mai dernier, sur les résultats de l'élevage des poissons provenant des œufs expédiés par l'établissement d'Huningue, au moyen de formules posant des questions auxquelles les destinataires sont priés de répondre. Cette partie de la pisciculture ne pourra pas être traitée encore dans le présent rapport; mais avant un an les documents recueillis fourniront matière à une analyse intéressante. Strasbourg, le 14 septembre 1858. COUMES, Ingénieur en chef. Depuis l'envoi de ce premier compte rendu des opérations de l'établissement d'Hu- ningue, M. l'ingénieur en chef des travaux du Rhin a adressé à S. Exe. le ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics deux autres rapports, relatifs aux campagnes de 1858-1859 et 1859-1860. Voici les conclusions du dernier de ces rapports : ; « En résumé, le présent compte rendu met en évidence les faits suivants : » «Les opérations pour les approvisionnements et les manipulations de l'établissement «d'Huningue ont été améliorées pendant la dernière campagne, puisque les pertes «d'œufs ont diminué, les proportions distribuées ont augmenté, les envois aux desti- «nataires ont fait ressortir moins d’altération durant le transport. «L'influence de l'établissement sur la pisciculture s’est développée, car les demandes “ont été plus nombreuses et les destinataires ont apporté plus de soin, à leur tour, dans «leurs essais d'éclosion et d'élevage. L'emploi des poissons provenant des œufs distri- «bués a été appliqué enfin dans une plus forte proportion aux grands bassins et aux «cours d'eau. «Slrasbouro, le 24 octobre 1860.» IT. PRÉCIS DE PISCICULTURE ARTIFICIELLE. Voulant réunir dans cette publication tous les documents rela- tifs à la multiplication des espèces aquatiques qui servent à l'ali- mentation de l’homme, j'ai jugé utile d'y exposer, en résumé, les procédés de pisciculture artificielle. La miscicuvrure est l’art de peupler les eaux; de multiplier, de perlec- tionner, d’acclimater les poissons qui servent de nourriture à l'homme. Elle atteint le but qu’elle se propose à laide de procédés naturels et de procédés artificiels. Quoique les uns et les autres de ces procédés soient applicables à tous les poissons, cependant les premiers sont plus particulièrement réservés pour ceux dits poissons blancs, tels que la carpe , le gardon, la perche, ete. et les seconds pour les truites et les espèces de cette famille. NATURE DES EAUX. Toutes les eaux ne conviennent pas indifféremment à toutes les espèces. Celles qui sont vives, claires, froides; qui coulent ou reposent sur un fond de sable, de cailloux, et dont la température, au moment des fortes chaleurs, ne s'élève pas au-dessus de 16 degrés, sont généralement favorables à tous les salmonidés; celles qui offrent des conditions con- 230 APPENDICE. traires, qui reposent sur un fond vaseux ou marneux plus que grave- leux, et dont la température, l'été, s'élève et se maintient au-dessus de 20 degrés, conviennent plus particulièrement aux carpes, aux tanches, aux anguilles, etc. Selon que lon veut élever telle ou telle espèce, il faut donc avoir égard à la qualité, à la température des eaux et à la nature des fonds. ÉPOQUES DE LA REPRODUCTION. Les époques de la reproduction ne sont pas moins nécessaires à con- naître, soit pour établir en temps opportun les frayères artificielles sur lesquelles on veut'attirer les poissons, afin de rendre plus facile la récolte des œufs qu'ils y auront déposés; soit pour obtenir des sujets dont la ponte est imminente. Quoique ces époques varient selon les climats, on peut cependant les fixer d’une manière générale, d'octobre en Janvier pour les truites, les saumons, la lotte commune; en février et mars, pour le brochet; en avril et mai pour le barbeau, la brême, le sandre, l'ombre commune; et de juin en fin août pour les carpes, la tanche, le goujon, le meunier. SIGNES CARACTÉRISTIQUES DE LA MATURITÉ DES OEUFS ET DE LA LAITANCE. Quelle que soit l'espèce, on ne peut opérer avec succès si, du côté du mäle comme du côté de la femelle, les produits de la génération ne sont pas mûrs et sains. Tant que les œufs sont enfermés dans le tissu de l'ovaire et forment dans l'abdomen deux énormes masses, toute tentative pour provoquer la ponte serait infructueuse; leur expulsion n’est possible que lorsqu'ils sont libres dans la cavité du ventre. Cette liberté, qui est un indice de maturation, se traduit à l'extérieur, et sans qu'il soit nécessaire d'ouvrir les poissons, par des signes apprécia- bles. Le pourtour de l'anus, rouge et gonflé, proémine en forme de bour- relet. Dans beaucoup de cas, des œufs, descendus par leur propre poids, y sont engagés. Le ventre est mou, cède facilement à la pression, et l’on sent à travers ses parois les œufs se déplacer sous les doigts; enfin, le plus léger eflort, souvent même la simple suspension de l'animal suffit pour provoquer la ponte. Mais ces signes de maturation se manifestent aussi bien quand les pro- duits sont sains que lorsqu'ils sont altérés, et lon ne peut juger de leur état qu'après en avoir reçu quelques-uns dans un vase contenant de l'eau. APPENDICE. 231 Les œufs sains, au moment de leur chute, sont plutôt transparents qu'opaques, ont une teinte franche et un léger enduit visqueux qui ne blanchit pas au contact de l’eau. Les œëffs altérés ont des teintes louches, sont parfois totalement ou partiellement opaques; d’autres fois, avec une transparence extrême, 1ls ont un noyau central plus ou moins volumineux, résultant de la condensation de tout leur contenu, et la mucosité qui les enveloppe est ordinairement sanieuse, blanchit et trouble l’eau du réci- pient. Tenter la fécondation avec des œufs qui offrent de pareils carac- tères serait peine perdue. ‘ Chez le mâle, aptitude à la reproduction s'annonce par les mêmes signes extérieurs; seulement le bourrelet anal est moins proéminent et le ventre moins distendu que chez la femelle. Si la semence est mûre, de légers frottements le long des flancs, les efforts que fait l'animal en se débattant, produisent son écoulement : elle est dans de bonnes conditions, si elle a la couleur, la consistance et la fluidité de la crème. La laitance que l'on obtient à l’aide de fortes pressions; qui sort par gouttes épaisses, difli- ciles à délayer dans l’eau, et dont la teinte est jaunâtre ou rougetre, n'a plus toute sa vertu prolifique; aussi doit-elle n’être employée qu'à défaut d'autre. PROGÉDÉS DE FÉCONDATION ARTIFICIELLE. Pour accomplir avec succès et rapidement la fécondation artificielle, 1l faut avoir égard à la taille des poissons; il faut considérer si les œufs que l’on va féconder restent libres, ou se fixent aux corps étrangers (cette diffé- rence dans la manière dont ils se comportent en entraînant une dans le mode d'opération); il faut enfin, préalablement et quelle que soit l'espèce placer dans deux baquets pleins d’eau , d’un côté les mâles, de l’autre les femelles. Cette dernière précaution prise, et après s'être pourvu d’un vase en terre. en faïence, en bois, en fer-blane, etc. à fond large et plat, et l'avoir rempli à moitié ou au tiers seulement d’une eau pure et limpide, dont la température, en supposant qu'il s'agisse de saumons ou de truites, soit de 5 à 10 degrés, voici comment on procède à la fécondation de ces espèces. On s'assure d’abord d’une femelle, que l’on saisit des deux mains, mais de telle sorte que la gauche, si c’est possible, corresponde à la tête et la droite à la queue, Dès qu'on en est maître, on l'approche du réci- pient et on la délivre en lui pressant légèrement les flanes entre le - 22 pouce et les autres doigts de la main droite, que l’on fait glisser de haut 232 APPENDICE. en bas, autant de fois qu'il est nécessaire pour l'expulsion complète des Fig. 1. Opération de la ponte artificielle. œufs. Il arrive parfois qu’une première tentative reste sans résultats : de violentes contractions de l'animal arrêtent les œufs au passage; mais quel- ques secondes suffisent ordinairement pour faire cesser cet état spasmo- dique, et les organes, reprenant leur souplesse, la ponte peut alors être provoquée. Après cette première opération, on change l'eau du vase, si, pendant la manœuvre, elle a été salie par des mucosités ou des déjections de la femelle: puis l’on saisit immédiatement un mâle dont on extrait par le même procédé quelques gouttes de laitance, et pour que les molécules fécondantes se répandent uniformément partout dans le récipient, on 1m- prime une légère agitation à Peau et aux œufs, soit avec la main, soit avec la queue du poisson que l’on tient encore. Une minute environ de repos rendant limprégnation suflisante, on lave les œufs en renouvelant plusieurs fois l’eau du vase qui les a reçus. Si leur incubation doit se faire non loin du lieu où les opérations se sont accomplies, on les y porte sans retard pour les placer sur les appareils dont il va être ; question; si, au contraire, la distance est de plusieurs heures, on les met à sec, par couches Fig. . Boîte à transport, garnie superposées, dans une boîte en bois ou en fer- de mousse et d'œufs. blanc, criblée de trous, entre de la mousse ‘V4 \PPENDICE. 233 et des herbes légèrement humides. Emballés de la sorte, ils arrivent sûre- ment à destination et avec moins de pertes que si on les laissait dans l’eau. Toutes ces manœuvres, si les sujets sont de petite taille, peuvent être exécutées par une seule personne: mais des sujets de une à trois livres réclament déjà Passistance d’un aide, dont le rôle consiste à maintenir la queue du patient pour empêcher ses contractions. Un aide et quel- quefois deux sont également nécessaires pour des poissons de six livres et au-dessus. L'opérateur qui provoque l'expulsion des œufs ne le peut bien alors qu'en comprimant avec ses deux mains, qu'il promène de la tête vers l'anus, les flancs de la femelle. Un premier assistant la suspend et la maintient au-dessus du récipient par les ouies, pendant qu'un deuxième lui saisit fortement la queue, pour prévenir tout mouvement brusque. Une femelle de truite ou de saumon produisant, ordinairement, mille œufs par livre, 1l n’est pas rare de rencontrer, chez ces espèces, des sujets de forte taille qui en fournissent de 10 à 20,000. Dans ces cas, au lieu de laitancer à a fois tous ces œufs, il est préférable de les répartir dans des vases distincts, par lots de 3 à 5,000 , et de faire des fécondations partielles. S'agit-1 d'espèces telles que la carpe, la perche, le soujon, ete. dont les œufs s'attachent aux corps étrangers sur lesquels ils tombent, on opère dans des conditions un peu différentes : un baquet de capacité conve- nable, renfermant de Veau à la température de 16 à 0 degrés, des plantes aquatiques ou de petits balais de bruyères, de brindilles, de che- velu de certains arbustes, sont alors nécessaires, et trois personnes doivent concourir simultanément à la fécondation, L'un des opérateurs saisit la femelle, et, par le procédé indiqué plus haut, la délivre d’une partie de ses œufs; en même temps, un second prend le mâle dont il exprime un peu de laitance, pendant qu'un troisième reçoit les deux produits sur des toufles d'herbes ou des bouquets de bruyères plongés dans le baquet, et favorise le mélange en agitant doucement ces touffes et en les retournant pour que les œufs se fixent un peu partout. ; lei, les fécondations sont nécessairement partielles. Lorsqu'une toufte est suffisamment garnie d'œufs, et après une minute ou deux de repos, on la retire pour lPimmerger provisoirement dans un autre récipient: puis, l'eau qui a servi à cette première fécondation étant renouvelée, on prend une seconde toufle sur laquelle on fait de nouveau tomber des œufs et de la laitance, et l'on agit ainsi tant que les poissons dont on dispose ne sont pas complétement épuisés. 231 APPENDICE. Pour ces dernières espèces, les fécondations demandent done plus de soins : si elles ne sont pas bien faites, le résultat ne répond pas aux peines qu’elles ont données; aussi est-il préférable de récolter leurs œufs sur les frayères naturelles, et, lorsqu'il n’en existe pas dans les bassins qui les ren- ferment, sur des frayères artificielles préparées et disposées d'avance dans des lieux convenables. FRAYÈRES ARTIFICIELLES. Les frayères artificielles peuvent varier dans leurs dimensions, leurs formes, leur structure. Les plus simples sont celles que lon construit avec Fig. 3. Caisse dans laquelle sont groupées des plantes aquatiques formant frayère. quatre lattes ou perches d'un mètre et demi à deux mètres de long, dont on fait un cadre, auquel on fixe parallèlement à lun des côtés, et à des Fig. 4. Frayère en place, das une position horizontale. distances à peu près égales, cinq ou six autres perches. Des toufles d'herbes ou de racines, des balais de bruyère ou de menu bois, placés à côté les uns des autres de manière à former de petits massifs, et attachés APPENDICE. 239 aux perches transversales, sont le complément de ces frayères. On peut Fig. 5. Frayères arüficielles mises en place sur une berge. encore en former de très-simples à laide de gâteaux de gazon un peu dru, que lon arrange côte à côte, ou bien avec des plantes aquatiques, enlevées avec la terre qui les soutient et groupées ensuite dans des caisses plates en bois (fig. 3). C'est un mois environ avant l'époque présumée de la ponte que ces frayères doivent être mises en place. On les établit, en général, à de pe- tites profondeurs, sur les bords en pente douce, dans les lieux exposés au soleil, et dans une position oblique ou horizontale, selon que les localités le commandent (fig. 4 et 5). Un lest en pierre sert à les couler. Quant aux salmonidés, lorsque les cours d'eau où on les retient sont dépourvus de lits de ponte, on peut y en établir d’artificiels, en jetant à de petites profondeurs, sur les acores des courants un peu rapides, et dans une étendue de deux à trois mètres carrés, des masses de petits cailloux roulés, mêlés à du gravier. INGUBATION ARTIFICIELLE ET APPAREILS QU'ELLE NÉCESSITE. Quel que soit le procédé à l'aide duquel on s’est procuré des œufs, que ces œufs soient libres ou adhérents, il faut les mettre à l'abri des causes de destruction qui, dans la nature, en font périr plus des deux tiers. On 30 236 APPENDICE. y parvient en les plaçant dans des appareils particuliers, dont le choix n'est pas indifférent, Ceux dans la composition desquels des métaux entrent pour une bonne part doivent être rigoureusement proserits, si l’on ne veut aboutir à de fächeux mécomptes. Un succès garanti par l'expérience de plusieurs années a fait généralement adopter, pour lineubation des sal- monidés, l'appareil du Collége de France. Get appareil se compose de ri- goles ou augettes en terre vernie, de 50 centimètres de long sur 1 5 de large, et 10 de profondeur, dans lesquelles s'adapte, sur des supports saillants (fig. 6, Aaa), une claie destinée à recevoir les œufs, claie dont les barreaux, formés par des baguettes de verre que maintient de A à A a 2 Fig. 6. À, auge ou rigole factice de poterie chaque côté une très-mince lame emaillée. B, claie retirée en cette auge. de plomb, ont un écartement de > à 3 millimètres (fig. 6, Bbb). On peut, selon les besoins, le réduire à Fig. 7. Appareil incubateur simple. Fig. 8. Appareil incubateur composé, à gradins parallèles, une seule rigole (fiz. 7), alimentée par l'eau d’une fontaine, d'un tonneau ou de tout autre réservoir; on peut en multiplier les rigoles, les disposer par séries parallèles sur des échafaudages en forme de marchepied (fig. 8), APPENDICE. 237 ou les étager, à côté les unes des autres, au-dessus d’une auge en bois ou en pierre, Sur un double rang de gradins se correspondant comme les marches d’un double escalier (fig. 9). Un petit filet d’eau, qu'un robinet Fig. 9. Appareil incubateur composé, à double escalier. règle à volonté, entretient, dans ces appareils, un courant suflisant pour le développement régulier des œufs. Je me suis servi d'un autre appareil, qui rappelle celui dont Jacob faisait usage pour lincubation dans les cours d'eau (fig. 10). Cet appareil consiste en une caisse en bois de 1 mètre de long sur bo centimètres de large et de profon- Fig. 19. Boîte à incubation de Jacob. deur, s’ouvrant aux deux extrémités par un couvercle simple, et, au-dessus, par un couvercle double, dont le’vide central, comme pour les couvercles des extrémités. est garni d’une toile métallique galvanisée (fig. 1 1). Des tasseaux placés à 238 APPENDICE. 15 centimètres du fond supportent les claies superposées, sur lesquelles on étale les œufs, au lieu de les placer, comme faisait Jacobi, sur un lit de gravier, dont il garnissait la boîte. Des piquets en- foncés dans le sol, ou un cadre flottant. servent à fixer cette caisse, qui doit pré- senter au courant une de ses extrémités, si ce courant est modéré, un de ses angles, s'il Fig. 11. Boîte à incubation pour les cours d’eau. est trop fort. À défaut d'appareils de cette nature, qui sont d’une parfaite innocuité, on peut faire développer les œufs des truites, des ombres, des saumons, ete. dans de petits ruisseaux naturels à fond graveleux, à condition qu'ils } seront à l'abri de tout accident, et que l'eau ne sera ni très-profonde, ni très-courante, ni trop froide, ni trop chaude. La température la plus convenable pour lincubation des œufs de ces espèces, dans quelques conditions qu’on les place, est celle qui, offrant le moins de variations, se maintient entre 6 et 10 degrés au-dessus de zéro. SOINS À DONNER AUX OEUFS DURANT LEUR DÉVELOPPEMENT. Dans aucun cas les œufs ne doivent être abandonnés au hasard, en pleine rivière ou dans un lac. Les soustraire aux soins qu'ils réclament serait s’exposer à un insuccès. , Ces soins consistent à entretenir autour d'eux la propreté, à les débar- rasser avec un pinceau (fig. 12) des sédiments que les eaux non filtrées dé- posent abondamment, et de tous les petits animaux aquatiques qui les E — altèrent en les piquant; à ne pas les laisser entassés, et à retirer soi- Fig. 19. Pinceau pour nettoyer les œufs. se dre À gneusement, au moins tous les deux \PPENDICE. 239 jours, à l’aide d’une pince (fig. 13), les œufs blancs. Ces œufs étant frappés de mort, de- viennent le siége d’une végétation parasite Fig. 13. Pince pour enlever les (fig. 14) qui nuit aux autres, lorsqu'on né- œufs altérés. : glige de les enlever. Les œufs adhérents demandent à être protégés autant et plus que les œufs libres; car, indépendamment d’une foule de petits animaux, tous les poissons, ceux mêmes qui les ont produits, en font leur pâture, On les soustrait à leur Fig. 14. OEuf de truite envahi pardesbyssus. non plus dans des rigoles, mais dans des caisses, et mieux voracilé en renfermant les corps sur lesquels ils sont fixés, dans des paniers (fig. 15), des mannes en osier, ou des boîtes à claire- s voie, que l’on place NN en pleine eau. Si « PURE =: sont des œufs aux- quels linsolation est nécessaire, des flot- teurs en liége adap- tés aux paniers, aux Fig. 15. Pamer pour l'incubat on des œufs adhérents, boîtes, dans lesquels armé de flotteurs: on les loge, les main- ennent à la surface des eaux; si, au contraire, ils ne prospèrent qu'à de certaines profondeurs et au courant, des lests en pierre servent à couler, à fixer au fond les mannes ou les cages qui les contiennent, Du reste, la température doit ici guider pour le choix des lieux où ces engins doivent être mis. Les milieux froids, qui sont favorables au déve- loppement des truites, des saumons, ne sauraient l'être aux poissons d'été. Les œufs de ceux-ci ne prospèrent bien que dans des eaux tem- pérées : ainsi, il faut qu'elles aient de 19 à 15 degrés pour les meu- uiers, les perches, 20 au moins pour les carpes, et de 20 à 25 pour les tanches. MODIFICATIONS QUE SUBIT L’OEUF APRÈS LA PONTE ET LA FÉCONDATION. Les œufs, après leur expulsion et une incubation de quelques heures, subissent des modifications qui se manifestent aussi bien sur ceux qui ont reçu l'influence du fluide séminal que sur ceux qui ne l'ont pas subie. Tous, 210 APPENDICE. sans exceplion, lorsqu'ils ne sont pas le siége d’une altération prononcée , deviennent plus transparents. En même temps, on voit paraître sur un point de la surface du globe intérieur, au milieu d’un amas de gouttelettes d'huile, une petite tache circulaire blanchâtre qu'on à crue, à tort, être le signe de la fécondation (fig. 16). Chez les poissons d'été, une heure ou deux suffisent pour que celte tache , qui représente le germe, se réa- lise ; tandis qu'il en faut huit à dix chez les salmonidés. Si l'œuf est infécond. le germe reste en quelque sorte immobile el persiste même quelquefois, mais avec des FA #5 contours altérés, jusqu'au terme du développement: il Fig. 16. OEuf de sau- mon de grandeur naturelle, douze l’œuf est imprégné. Alors, en eflet, on voit ce germe heures après Ja ee DE pe 5 À ponte, el même s’affaisser, diminuer d'épaisseur, mais en même temps éprouve, au contraire, des changements profonds si œuf grossi quatre fois. Le germe s’y : : : 5e dessine en noir. augmentant de plus en plus, il envahit le tiers, la moitié, s’agrandir et se transformer en membrane. Son extension enfin la totalité du globe intérieur de lœuf, qui offre alors sur lun de ses points, mais transitoirement, l'apparence d’un trou. En même temps l'embryon se manifeste sous la forme d'une ligne blanchâtre, occupant un quart de la circonférence de l'œuf. MANIPULATIONS ET TRANSPORT DES OEUFS FÉCONDÉS. Durant cette première période du développement, 11 faut se varder de soumettre les œufs à de fréquentes manipulations ou de les transporter au loin : on doit, au con- traire, les laisser dans une immobilité complète. et ne leur faire subir d’autres déplacements que ceux que lon ne peut éviter en enlevant, avec des pinces, les morts, qui se reconnaissent à leur couleur blanc opaque. Plus tard, quand les formes du jeune poisson se dessinent bien à travers la Fig. 17. Ouf de saumon membrane externe, quand ses yeux apparaissent grossi quatre fois, à un L D ab degréde développement comme deux points noirâtres (fig. 17). les mouve- qui assure le succès du ents, l'agitation qu'on imprime aux œufs n'ont plus transport. [e] le même danger. On peut alors, S'il y a nécessité de nettoyer les appareils, les retirer de Peau, les transborder d’une elaie sur APPENDICE. une autre. soit en les versant directement. Fig. 18. Instruments propres aux manipula- lions. À, pipette droite. B, pipette courbe. C, pelle criblée Donne S Fig. 19. Manœuvre de la pipette courbe. 241 soit en s’aidant d'une petite pelle ou d'une pipette droite ou courbe (fig. 18, ABC). La manœuvre de la pipette consiste à saisir l’instrument de la main droite par lex- trémité a, dont on bouche hermétiquement l'ouverture avec le pouce, puis à pré- senter aux œufs plongés dans l'eau l'extrémité opposée, et, cela fait, à relever subitement le pouce (fig. 19). Aussitôt le liquide se précipite dans la pipette, en entraînant avec lui tout ce qui est compris dans le courant que le phénomène détermine, et lorsque le ni- veau est rétabli, on retire avec l'instrument, dont on re- bouche l'ouverture a, tout ce qui s'y est engagé. Si les œufs sont destinés à être envoyés au loin, c’est aussi cette période du développement qu'il faut choisir. Ils peuvent alors supporter, sans trop double boîte à trans- de perte, un voyage de dix, quinze et vingt jours. Pour le transport à de grandes distances, A et surtout lorsqu'on a des froids à redouter, 1l faut renfermer dans une seconde boîte plus spa- Fig. 20. Coupe d'une cieuse (fig. 20, A) celle où les œufs sont rangés port, garnie d'œufs par couches, entre de la mousse ou des herbes ‘5 disposés par couches. les vides que ces deux boîtes laissent entre aquatiques humides (fig. 0, E), et combler elles avec de la mousse par- faitement sèche, du son. de la sciure de bois, du foin, ou tout autre corps qui s'oppose à l’action trop directe du froid. Après leur déballage, les œufs remis en incubation poursuivent leur développement et ne tardent pas à éclore. 242 APPENDICE. DURÉE DE L’INCUBATION. Le terme de l’évolution est très-variable selon les espèces et le degré de température du milieu ambiant. Dans les conditions normales et ordinaires, les uns, tels que la carpe, le barbeau, la tanche, etc. éclosent après une semaine ou deux d'incubation; les autres, comme le brochet, l’ombre commune, vers le vingtième jour; d’autres enfin, comme les truites, les saumons, n’atteignent leur développement complet qu’au bout de deux, et quelquefois trois mois. SOINS À DONNER AUX JEUNES POISSONS APRÈS LA NAISSANCE, ET MOYENS DE LES TRANSPORTER. En naissant, les jeunes ne montrent pas tous le même instinct. La plu- part des poissons blancs errent, se dispersent presque aussitôt dans l’eau, et se dérobent par leur viva- cité et leur petitesse aux soins qu'on pourrait leur donner. I n’en est plus de même des salmonidés. Ceux-ci, au sortir de l'œuf, portent une énorme vésicule ombilicale (fig. 2 1 , A) qui les condamne à l’immobi- lité, etles rend incapables de se soustraire, par la fuite, à la voracité de leurs ennemis. L'action de l’homme doit done ici intervenir, et elle le peut , RO. d’une manière eflicace, en conservant pendant quelque Fig. 21. À, truite à la naissance. B, même sujet à 5 de l’âge d’un mois. C, même sujet après la résorp- temps ces espèces précieuses lion de la vésicule ombilicale. dans les appareils. Mais on doit les y laisser dans le repos le plus absolu, à Pabri de la vive lu- mière, et sans chercher à les nourrir, par la raison que, durant un mois après leur naissance, les éléments renfermés dans leur énorme poche abdominale suffisent à leurs besoins. Lorsqu'ils ont presque perdu leur vésicule ombilicale (fig. 21, B), ou lorsque cette vésicule est complétement résorbée (fig. 21, C), ce qui arrive vers la fin de la cinquième ou de la sixième semaine, leurs appétits s’éveillant, on les retire alors des aupgettes, APPENDICE. 243 soit pour les mettre dans des bassins plus spacieux, pourvus d’abris, de retraites (fig. 22), \ ; ® \ où on fournit à leur alimentation, en leur donnant par petites quantités, deux ou trois fois par jour, de la chair musculaire crue ou Fig. 22. Abris pour les jeunes poissons. du foie haché, pilé et réduit en une sorte de pâte; soit, ce qui est préférable, pour les jeter en pleine eau, dans des étangs, dans des ruisseaux, etc. que lon aura préalablement purgés, autant qu'on le peut, de tout animal nuisible. Par ce moyen, on supprime une des pratiques de la pisciculture, celle de l'ali- mentation arbficielle, laissant aux jeunes le soin de pourvoir eux-mêmes à leur subsistance, Du reste, si les poissons sont destinés à peupler des pièces d’eau éloignées du lieu où ils viennent d’éclore, l'expérience démontre qu'on aura d'autant plus de facilité à les y porter qu'ils seront plus jeunes. Au moment où ils vont perdre leur vésicule, on peut leur faire parcourir de très-grandes distances dans de simples bocaux, de la capacité de deux à Fig. 23. Bocal pour le transport des jeunes poissons. Fig. »h. Panier à compartiments, destiné à recevon les bocaux de transport. trois litres (fig. 23), à la seule condition d’en renouveler l’eau toutes les deux ou trois heures, ou de l’aérer, en se servant pour cela d’une pipette. Ces bocaux, dont le transport se fait facilement dans des paniers à com- partiments (fig. 24), peuvent être multipliés selon le besoin, et renfermer environ 5 à 600 jeunes poissons. Pour l’alevin, dont la taille est de 5 à 2 o1 24h APPENDICE. 6 centimètres, les bocaux devenant insuffisants, leur transport doit se faire dans de petits tonneaux , à large ouverture sur l’un des côtés, bien dépouillés, par une longue macération, des substances nuisibles dont le bois aurait été pénétré, et remplis, aux deux tiers, d’une eau à basse température, que l’on renouvelle, si c’est possible, durant le trajet, et que l’on aère de temps en temps, à l’aide d’une petite pompe à jet continu, plongeant dans le tonneau et y rejetant l’eau. On transporte aussi, par le même moyen, des poissons d'assez grande taille. Parmi les espèces estimées et qui peuvent être la source d’un grand produit, 1l en est une, l’anguille, qu'on n’a pu jusqu'ici obtenir à l’état d'œuf, ni par la ponte naturelle, ni par la ponte artificielle. On ne la re- cueille, aux syzygies d'avril et de mai, près de l'embouchure des fleuves dont elle remonte le cours, qu'à l'état d’alevin, auquel on donne le nom de montée. Cette montée, qu'il est facile de se procurer en aussi grande abondance qu’on le désire, se transporte, non plus dans des bocaux ou des tonneaux, mais, à sec, dans des paniers à mailles serrées, dont on Fig. 25. Panier organisé pour le transport de la montée. recouvre le fond avec un vieux linge ou avec du papier assez fort, et que l’on emplit ensuite, sans toutefois la tasser, de paille bien imbibée, à tige entière, à laquelle on associe quelques plantes aquatiques (fig. 25). Des pa- niers ainsi organisés peuvent recevoir deux, et même trois livres de montée, c'est-à-dire de 4 à 5,000 anguilles, et arriver aux plus lointaines destina- tions avec des pertes relativement insignifiantes. Tel est, en substance, l'exposé des pratiques usuelles auxquelles la pisciculture doit des succès incontestables. LV. DE LA PÈCHE DU SAUMON EN ÉCOSSE. LÉGISLATION QUI LA RÉGIT. La pêche du saumon, ayant formé de tout temps, pour l'Écosse, une des sources les plus productives de la richesse nationale, a été, depuis les époques les plus reculées, l’objet d’une législation spéciale. D’après les lois du pays, le droit de pêcher le saumon est regardé comme un droit régahen, et, en conséquence, ne peut être exercé par les particuliers qu'en vertu d'une concession de la couronne, soit expresse, soit impliquée !. Le premier cas se présente quand il existe une charte de concession portant l'autorisation cum piscationibus salmaunis. Une concession tacite ou impliquée a lieu quand les mots de la charte sont simplement ceux-ci : cum piscationibus (sans addition de salmaunis) ou quand il y à concession de baronnie. Il faut, dans les cas de cette condi- ! En Angleterre, au contraire, la pêche est libre et publique dans les rivières navi- gables et sur les côtes de la mer, c'est-à-dire qu'il n'est pas besoin d'une concession de la couronne pour l'exercer. Les dernières concessions de cette nature remontent au règne de Jean, et ont été formellement interdites par la grande charte. Le nom de fluvii regales , et de haut chemin le roi, qu'on a conservé aux fleuves navigables de ce pays. ne vient donc pas d’un droit de propriété royale qui n'existe plus, mais de l'idée du domaine publie, confié à l'administration et à la protection du souverain. C'est ainsi que les grandes routes de terre sont appelées altæ viæ regis. Quant aux cours d'eau non navigables, ils appartiennent aux riverains, qui ont le droit de pêcher sur leurs pro- priétés respectives, ad filum mediæ aque. 246 APPENDICE. üon tacite, qu'elle ait été suivie de lexercice du droit de pêche, non pas seulement au moyen de la ligne, mais sur une grande échelle. L'autorisation de pêcher le saumon, en Écosse, n’exige pas la sanc- tion du parlement, et les concessions sont également valables, à quelque époque qu'elles aient été délivrées. Ainsi il n’y aurait pas de raison pour qu'aujourd'hui la couronne ne püût accorder une de ces permissions, dont le concessionnaire pourrait parfaitement user, pouvu qu’elle ne génât la jouissance d'aucune ancienne concession expresse ou tacite, et que, dans celte dernière hypothèse, il y ait eu possession prescriptive. Pour acquérir la propriété par prescription , il faut quarante ans, à partir d’un ütre suflisant, c’est-à-dire que cette propriété n’est définitive que si, pendant quarante ans, il y a eu possession publique et non inter- rompue du droit de pêcher le saumon. C'est à titre de revenu que la pêche du saumon appartient, en Écosse , au souverain, et non à simple titre d'administration publique, comme les hauts chenuns le roi. Aussi toutes les concessions faites jusqu’à ce jour par la couronne ont-elles été accordées à titre onéreux, quoique le payement de cette rétribution (un penny par an, par exemple) soit devenu presque illusoire. Le droit de pêche à été très-largement concédé par la couronne le long des rives des rivières navigables et sur les bords de la mer. I doit être regardé comme tout à fait distinct de la propriété du sol riverain. De sorte que la concession de la pêche du saumon peut n'être pas la conséquence de la possession des deux rives, et que le concessionnaire peut n'être propriétaire ni des rives ni de la côte maritime. Ces droits réguliers n’ont jamais été constitués par des actes du parlement d'Écosse, mais font partie des usages immé- moriaux du pays. La pêche du saumon peut être l’objet de trois concessions différentes, selon les lieux : 1° Sur le bord de la mer et dans la mer. Ce droit, rentrant presque dans le droit de pêche en pleine mer, est moins surveillé que les autres, et iln’y a pas de doute qu'un grand nombre de propriétaires ne exercent à tort, quoiqu'il soit incontestable que le droit de pêcher le saumon le long des côtes de la mer appartient exclusivement à la couronne, à moins de concession spéciale à un vassal: * Voir la note de la page précédente. APPENDICE. 247 2° Autorisation de pêcher le saumon à l'embouchure des fleuves, c’est- à-dire, selon la vieille définition du parlement, en un lieu d’eau douce où le flux de la mer se fait sentir; 3° Autorisation de pêcher le saumon dans les fleuves, à la hauteur où l’eau est toujours douce et toujours descendante. La protection et la reproduction du saumon dans les rivières d'Écosse semblent de tout temps avoir attiré l'attention du législateur, et de nom- breuses ordonnances ont été rendues à ce sujet. Quelques-unes sont exclu- sivement relatives aux filets et autres engins, sans distinction de lieux. I est probable que, dans l'origine, c'était cette question qui préoceupait le plus. Mais, avec les progrès du temps, quand l'importance des pêcheries commença à être reconnue, d’autres lois furent faites, non plus seulement pour régler les filets et les piéges (cruives), mais même pour les prohiber complétement dans certaines conditions où leur présence menaçait d’ame- ner la diminution du saumon. Dans ce but, une longue série d’ordon- nances fut publiée depuis le règne de Jacques [* jusqu’à l'union des deux royaumes. Voici le texte des derniers actes du parlement votés en 1828 et 1844. ACTE DU PARLEMENT AYANT POUR BUT LA SURVEILLANCE DES PÊCHERIES DE SAUMON EN ÉCOSSE (15 JUILLET 1828) IX° ANNÉE DU RÈGNE DE GEORGES IV. « Vu l'acte passé dans le parlement d'Écosse, l'an 1494, par lequel il est défendu de prendre aucun saumon depuis la fête de PAssomption jusqu'à la fête de saint-André, en hiver, et vu plusieurs autres lois et actes ren- dus par le parlement d'Écosse au sujet de la pêche du saumon en temps prohibé et de la destruction du fretin ou smolt de saumon, lesquels lois et actes furent confirmés par un acte passé dans ledit parlement l'an 1696, et intitulé, Acte contre la destruction de poisson noir \, de fretin et de smolt? de saumon, et vu qu'il est urgent, pour la prospérité des pêcheries de sau- mon en Écosse, d'élever les pénalités prononcées par ledit acte et de chan- ger, en le prolongeant, le temps de la fermeture, et d'établir plusieurs autres règles : il est décrété par Sa Majesté, avec le concours des lords spirituels et temporels et des communes en ce parlement assemblés, que ledit acte passé en Van 1424 est et sera rapporté, et que ni saumon ni * Le législateur veut sans doute parler ici du poisson pêché après la ponte. © Voir plus loin, page 250, la définition du smolt et du grilse. 248 APPENDICE. grilse, n1 truite de mer, ni aucun autre poisson de la famille du saumon ne peut être pêché dans aucune rivière, cours d’eau, lac, embouchure de fleuve ou sur aucune partie du littoral maritime, entre le quatorzième jour de septembre et le premier jour de février de chaque année, par quelque personne que ce soit et nonobstant toute loi, statut ou usage contraire. «Arr. 1%, [Il est décrété que si, entre le 14 septembre et le 1° février, quelqu'un prend, ou pêche, ou essaye de pêcher un des susdits poissons, il payera une amende de!. «iv. I est décrété qu’à partir de la promulgation de cet acte, si quel- qu'un prend, par quelque moyen que ce soit, ou consomme, ou vend, ou poursuit, ou détruit volontairement le frai, le fretin ou le smolt de sau- mon; ou de quelque manière obstrue avec intention leur passage, ou dé- truit, ou dérange le frai ou fretin sur les lits de ponte ou les bancs et les bas-fonds sur lesquels ils se tiennent, il payera, etc... «v. Il est décrété qu'à partir de la promulgation de cet acte : 1° si quelqu'un, à quelque époque que ce soit, prend, tue, détruit ou expose en vente aucun poisson rouge ou noir, sale, malsain ou hors de saison, il payera, etc...... «vi. Îl est décrété qu’à partir de la promulgation de cet acte, si quel- qu'un se sert de lumière ou de feu de quelque nature que ce soit pour pêcher ou essayer de pêcher le saumon, il payera, ete... » | L'article vn confirme un acte du parlement d'Écosse de 1477, qui pres- erit d'ouvrir les trappes du samedi soir au lundi matin. Le vi‘ ordonne de retirer les bateaux, les filets, engins, etc. pendant la fermeture de la pêche. Le 1x° prescrit, pour les procès en matière de pêche, une procédure sommaire. Le x° accorde à deux propriétaires de pêcheries le droit de convoquer un meeting des autres propriétaires des pécheries de la rivière pour aider à l'exécution de cet acte. Les trois autres articles ont pour but de donner à la justice une plus grande latitude. En vertu des dispositions qu'ils contiennent, toute personne, sans autre autorité que celle que cet acte lui confère, a le droit d'arrêter, brew manu, * Les diverses amendes prononcées par ces lois varient de une à vingt livres sterlinp. APPENDICE. 249 tout délinquant. Un magistrat, quoique partie dans l'aflaire, peut juger, et les propriétaires riverains, même intéressés, sont admis comme témoins. Le xiv° et dernier article déclare que les effets de cet acte ne s’étendront ni à l'Angleterre, ni à l'Irlande, ni à la Tweed, n1 à aucun point de la frontière. Le plus récent document législatif relatif à la pêche du saumon en Écosse est un acte du parlement de 1844, qui a pour objet d'étendre à l’embou- chure des fleuves, aux baies, golfes, etc. ete. jusqu'à une distance d’un mille de la côte à marée basse, toutes les dispositions portées par la loi de 1898. Il paraît que les termes trop peu précis de cette dernière lot avaient donné lieu à des contestations sur le point de savoir si ces dispositions étaient applicables aux côtes maritimes : l'acte de 1844 à décidé afhirmati- vement la question. Telle est aujourd’hui la législation en vigueur sur toutes les rivières d'Écosse, la Tweed exceptée. Grâce à ces sages mesures et au concours éclairé des propriétaires, l’industrie de la pêche n’a pas cessé d’être pour le pays une source féconde de richesse. On en jugera par les chifres suivants, fournis par les propriétaires des pêcheries du Tay, l'une des plus grandes et des plus fécondes rivières de l'Écosse. L'absence de toute action centrale et le nombre presque infini des cours d’eau en Écosse, surtout dans la partie septentrionale, ne permet pas d'évaluer exactement le pro- duit général de la pêche; cependant on estime qu'il ne s'élève pas à moins de dix millions cinq cent mille francs. Ce relevé n'existe que pour une seule rivière, le Tay, et encore s’arrêle-t-il à l’année 1844, mais il suflira pour donner une idée d’une industrie presque inconnue en France et pour prouver que, malgré de fréquentes variations dans le résultat des pêches annuelles, il n’y a pas décroissement sensible depuis vingt ans. En effet, le nombre des saumons péchés de 1830 à 184/ dans le Tay et dans l’Earn, un de ses affluents, a été, En 1830, de 80,907; En 1836, de 60,195; En 1840,de 9,819; En 1842, de 107,318: En 1844, de 62,566. On évalue en moyenne à 60,000 le nombre des saumons pêchés ac- tuellement dans le Tay seul. Le poids moyen de ces poissons étant de dix 39 250 APPENDICE. livres, et la livre se vendant en moyenne un schelling!, il en résulte que la pêche d'une seule espèce donne aux trente-quatre propriétaires du Tay un produit brut annuel de 790,000 franes, c’est-à-dire beaucoup plus que tous les poissons de toutes les eaux fluviales de la France. Disons maintenant quelques mots de certains faits d'histoire naturelle observés en Écosse et relatifs aux habitudes du saumon. La ponte a lieu, comme partout, depuis le mois d'octobre jusqu'en décembre, et l'éclosion varie, selon la température, entre 90 et 140 jours. Deux mois après son éclosion, le jeune poisson cesse d’être regardé comme fretin, et la crois- sance, à partir de ce moment, est divisée en quatre périodes, Pendant la première, le petit poisson, alors âgé de deux mois à un an, s'appelle par; il quitte ce nom pour celui de smolt, et se rend alors, par bandes, à la mer, d’où il revient sous le nom de grilse, c’est la troisième époque. Enfin, à trois ans seulement, 1l parvient à l’état de saumon. Ces divisions ne sont point infaillibles, et surtout la transition du par à l'état de smolt donne lieu à de vives discussions. Quoi qu'il en soit, il est incontestable que le Jeune poisson ne se rend à la mer qu’au mois d'avril de l’année qui suit celle de sa naissance, c’est-à-dire quand il a au moins un an accompli et de 10 à 19 centimètres de long. On a en outre remarqué que, sur une cer- taine quantité de smolt provenant de la même ponte et de la même’éclosion, une moitié seulement quitte la rivière dès le commencement de la deuxième année, et que l’autre moitié attend le printemps suivant. Cest à l'influence salubre des eaux de la mer, et surtout à l’abondante nourriture qu’elles renferment, que les saumons doivent leur rapide erois- sance. On s'en est assuré au moyen de marques faites à leur corps, et lon a vu des individus, dont la taille n’excédait pas cinq ou six pouces au moment d’un premier départ, revenir au printemps suivant pesant sept à huit livres, et treize ou quatorze après une seconde émgration. Duhamel raconte qu’un saumoneau qui n’était pas plus gros qu'un gardon, et auquel on avait attaché un ruban à la queue au moment où il descen- dait à la mer, revint six mois après ayant la taille d’un gros saumon ?. * Le prix du saumon varie beaucoup selon la saison. Ainsi, au mois d'avril, la livre se vend jusqu'à quatre et cinq schellings, à cause de la primeur: plus tard, elle ne vaut que quelques pence. Mais on peut en établir le prix moyen entre huit pence et un schelling. * Duhamel, Traité général des pêches. Paris. 1979. — A partie. $ 11. art. 1144 p. 189. 1" col. APPENDICE. 251 Un autre exemple bien frappant de la prompte croissance du saumon est certifié par le duc d’Athol, lun des propriétaires de la rivière du Tay. Un superbe saumon lui fut expédié de la partie inférieure du fleuve, I 0 portait sur un anneau de gutta-percha la marque n° 1. Six semaines auparavant 1l avait lui-même pêché et marqué ce même poisson, et note avait été prise sur un registre du n° 1, de l'anneau et du poids du poisson ainsi marqué, Ge poids était de dix livres lors de la première capture, et de vingt et une lors de la seconde. Au printemps de 1837, M. Andrew Young prit un certain nombre de smolt, juste à l’époque de leur descente, et les marqua, au moyen d'un trou pratiqué dans la nageoïre de la queue, par deux épingles de fer construites à cet eflet. Dans le cours de la saison, il repécha un nombre considérable - d’entre eux à leur retour dans la rivière. Tous étaient à l’état de prilse, et leur poids variait, suivant qu'ils avaient séjourné plus ou moins longtemps à la mer, de trois à huit livres. En avril et mai 1842, il renouvela son expérience en coupant la nageoïre adipeuse à une grande quantité de Jeunes sujets qui pesaient à peine quelques onces. Dans le courant de juin et juillet suivants il les reprit à la remonte, et tous se trouvaient dans le même état que les précédents. L'un d'eux, repêché le 28 juin, pesait quatre livres; deux autres, repêchés le 15 juillet, pesaient cinq livres; un qua- trième, repêché le 25 juillet, en pesait sept, et un autre, repêché le 30 du même mois, pesait trois livres et demie !. Cette opinion sur la rapide croissance du saumon a rencontré un contra- dicteur dans M. Paulin, agent de la compagnie à Bonwist. Il a pris la moyenne d'observations faites de 1845 à 1851, et a constaté que des sau- mons pesant trois livres en juin pèsent quatre livres sept onces trois quarts en juillet; cinq livres et deux onces et demie en août; cinq livres et dix onces et demie en septembre; six livres et onze onces en octobre. D’après ces faits, il serait impossible, d'après M. Paulin, d'admettre qu'un poisson , qui ne pèse en avril et mai que quelques onces, puisse arriver en Juin à peser cinquante- neuf onces, c’est-à-dire vingt fois son poids primitif en six ou huit semaines; tandis que le même poisson, pesant trois livres et demie en juin, ne double pas son poids en quatre mois. Les habitudes des saumons à la mer sont assez curieuses. Ces poissons ne s'écartent jamais du bord à la distance de plus d’un mille : au delà on ! On a pris récemment, en Suède. une femelle du poids de 83 livres. 32. 252 APPENDICE. n’en rencontre aucun; ils voyagent en longeant la côte, et vont fort loin. souvent à trente milles de l'embouchure de la rivière qu'ils ont adoptée; enfin ils reviennent toujours dans leur rivière natale, Ce dernier fait a donné lieu à d’intéressantes observations. Dans le golfe de Moray, par exemple, viennent se Jeter trois rivières : le Ness, le Thin, le Bearlu. Les saumons appartenant à chacun de ces cours d’eau ne les confondent jamais et remon- tent toujours dans leur fleuve respectif. IL est aisé de vérifier l'exactitude de cette assertion, car, outre les marques qu'on leur adapte souvent, les sujets de chaque rivière possèdent des caractères distinetifs de poids et de conformation. Malgré l’état florissant de leurs pêcheries, les propriétaires écossais ont craint l'avenir, et leur attention s’est tournée vers la fécondation artificielle !. Plusieurs journaux, surtout le Field, le Country Gentleman's Newspapers, le Perthshire Courier, le Macclesfield Courier, le Nation et le Morning- Post, se sont faits les propagateurs de cette science nouvelle, et, dès 1853, les propriétaires des pêcheries de saumons du Tay, réunis en meeting, ont voté des fonds (5 p. o/o de leurs revenus) pour la création à Stormontfield, près de Perth, d’un établissement de pisciculture à peu près sur le modèle réduit de celui d’'Huningue. Nous n’entrerons dans aucun détail ni sur la construction de l'établissement, ni sur les phénomènes de fécondation et d’éclosion qui s’y produisent comme partout. Cependant il faut remarquer que les surveillants de cet établissement prétendent que leurs pertes sont presque nulles; résultat qu'ils attribuent aux soins qu'ils prennent de pré- server les œufs de tout contact avec l'air extérieur. Pour y parvenir, les surveillants de Stormontfield expriment ces œufs sans sortir de l'eau la partie inférieure de la femelle. Nous nous bornerons enfin à citer le compte rendu publié par le Perthshire Courier, du 12 février 1857 : Ris + Sur chaque centaine de saumoneaux sortis de l'établissement de Stormontfield et marqués, quatre sur cent ont été repêchés à l'état de grise ou de saumons. En conséquence, calculant que plus de 300,000 poissons élevés dans les bassins de Stormontfield ont été lâchés dans le Tay, on peut avancer que Lo poissons sur 1,000 proviennent de cet établisse- ment, ce qui, en suivant la proportion, donnerait 19,000 pour 300,000, soit 6,000 chaque année, depuis deux ans que les expériences ont com- * L'auteur de l’article Fisheries (pêches) dans l'Encyclopédie britannique se montre aussi partisan du système de fécondation artificielle. dont 1l cite les plus heureux effets. APPENDICE. 253 mencé. Ainsi donc, évaluant à 70,000 le nombre total des prilse et saumons pêchés chaque année dans le Tay, il en résulte évidemment qu'un dixième du poisson péché sort des bassins de Stormontfield, soit 10 p. 0/0 du produit annuel. + En outre, il est incontestable que, depuis l'année dernière, 11 y a eu accroissement dans la quantité de saumons pêchés dans notre rivière, tandis que partout ailleurs, au contraire, il y a eu diminution sensible, On peut donc en conclure, sans hésiter, que c’est à la fécondation artificielle qu'on doit cet heureux résultat. » Si, à l'égard de la fécondation artificielle, nos voisins d’outre-Manche ne se sont montrés qu'intelligents imitateurs et habiles praticiens, 11 est d’autres procédés de pisciculture dont ils peuvent revendiquer l'invention. Tels sont, entre autres, les échelles ou escaliers à saumons (salmon's ladders, salmon’s star). Ces appareils ont été imaginés pour permettre au poisson de franchir les barrages naturels ou artificiels qui existent sur un grand nombre de rivières. I arrive souvent, en eflet, que la hauteur des chutes, leur pente trop roide, quelquefois à pic, la rapidité de leur courant et le trop peu de profondeur de l’eau interceptant l'ascension du saumon vers les parties du fleuve qui sont au-dessus des obstacles à franchir, les pro- priétaires de ces fonds seraient privés des plaisirs et des bénéfices de la pêche, s'ils n’annulaient en quelque sorte ces obstacles par Pemploi des appareils en question. Les escaliers et les échelles, construits d’après le même principe, varient cependant quant à leurs formes, à leurs dimensions, à leurs dispositions. Le système dit 4 escalier consiste en une série de réservoirs carrés en bois posés les uns au-dessus des autres, à la hauteur de deux pieds, comme autant de grandes caisses. Ces bassins, dont le dernier communique de plein pied avec le haut de la chute, pendant que le premier se trouve au niveau de la partie inférieure du fleuve, sont construits et superposés de telle sorte que l'eau se précipitant dans le réservoir le plus élevé rencontre à angle droit la paroi qui lui fait face, et est forcée de s’écouler par une large ouverture latérale. Elle tombe ainsi dans le second bassin, puis dans le troisième , et successivement dans tous les autres par de vastes échancrures qui alternent et produisent dans leur ensemble une série de cascades serpentantes. Ce procédé permet aux saumons et aux truites, quelle que soit la hauteur du barrage, de passer de Paval à amont du fleuve, en sautant d'auge en auge sans trop d'effort et de fatigue, 251 \PPENDICE. Les bassins formant escalier peuvent aussi être rangés sur deux files parallèles, adossées l’une à l'autre par un de leurs côtés. Cette forme n’est , il est vrai, qu'une modification de la précédente : l’eau, en passant des compartiments de droite dans ceux de gauche, et, alternativement, de ceux- ei dans ceux-là, y serpente également; mais les points de repos sont plus mul- tiphiés, et les chutes moins élevées, ce qui rend l'ascension du poisson plus fa- ile. Ge double escalier (fig. 1 ) a,en outre, l'avantage de pouvoir s’adapterà desloca- lités où 1] serait impossible de donner à l'escalier simple un développement suf- fisant en longueur. Fig. 1. Double escalier, à chutes serpentantes. Les échancrures par lesquelles l’eau s'écoule d’un bassin dans un autre, au lieu d’être sur l’un des côtés des cloisons transversales et d’alterner, peuvent oceuper le milieu de ces cloisons, de manière à produire non plus des cascades serpentantes, mais une série de chutes qui se succèdent en ligne droite, depuis le haut jusqu'au bas de l'escalier (fig. 2 ). L'autre système, dit à échelle, est plus simple encore et présente plu- sieurs variétés. Voici la description du moins dispendieux de ces appareils. APPENDICE. 255 Fig. 2. Echelle à chutes en ligne droite. Dans le sens du courant et sur un plan incliné de vingt pieds pour un, 256 APPENDICE. Fig. 2 bis. Coupe et élévation de l'échelle à chutes en ligne droite, on construit, au moyen d'un terrassement et de deux fortes cloisons !, une sorte de longue stalle, large d'environ vingt pieds et qui rejoint par une pente douce les deux parties de la rivière. Puis de dix en dix pieds on établit graduellement, entre ces deux parois, une série de cloisons transver- sales formant autant de bassins d’une profondeur convenable. Le milieu de ces cloisons, légèrement échancré, est recouvert par l'eau qui se préci- pite, tandis que leurs extrémités, s’élevant au-dessus, opposent au courant une suite d'obstacles suflisants pour permettre au saumon d'opérer son as- cension successive de bassin en bassin. Une échelle d’un autre genre est celle que l’on vient d'établir au bar- rage de Mauzac, sur la Dordogne. Nous nous faisons un devoir d’en repro- duire la description et les plans qu’en a donnés M. Fargaudie, ingémieur ordinaire à Bergerac. «Le barrage de Mauzac (lig. 3,4, 5) est à parement vertical de 2",50 de chute à létiage; il présente par conséquent au poisson un obstacle à peu près infranchissable, «Le projet qui s'exécute en ce moment pour faciliter la remonte de ce poisson consiste en un pertuis (ou échelle) de 3",50 de large, fermé à ses deux extrémités, et dont le radier présente une pente uniforme qui rachète la chute du barrage. «Le mur de tête d’amont, de 1",20 d'épaisseur, repose sur la maçon- nerie même du barrage; celui d’aval, de 1 mètre d'épaisseur seulement, * En général, on construit l'échelle à saumon sur le côté de la chute et de manière à appuyer l’une des cloisons latérales contre la berge, si elle est escarpée, ou contre les ouvrages qui peuvent y exister, un quai ou une digue, par exemple. APPENDICE. 957 Fe AU S SAME 5 Lg Fig. 3. Plan général de léchelle à pertuis. Fig. 4. Coupe en long de l'échelle à pertuis sur la ligne médiane. 258 APPENDICE. est directement fondé sur le rocher; enfin le radier, maçonné sur 0",50 d'épaisseur, consiste en un massif d’enrochement, maintenu par les murs de tête et les bajoyers latéraux du pertuis. «Six cloisons intérieures, parallèles aux murs de tête, maçonnées en m pierres de taille de 0",50 d'épaisseur et d’une hauteur égale au-dessus du radier, divisent le pertuis en sept compartiments égaux de 3",50 de lar- geur et de 1",80 de longueur. « La longueur d’un compartiment, mesurée entre les axes de deux cloi- sons consécutives, est ainsi de 2",30. m « Huit orifices de 0",30 de largeur, dont le seuil est sur le radier même, sont pratiqués dans ces cloisons, et dans les murs de tête, le long des bajoyers latéraux, alternativement d’un côté et de l'autre du pertuis. Les cloisons, au droit de ces orifices, sont arrondies en forme de musoir demi- arculaire, et les murs de tête présentent une disposition analogue, de manière que, entre les axes des orifices inférieurs et supérieurs du pertuis. il y ait une distance totale de 16,10. «Enfin, le seuil de lorifice inférieur est au niveau de l’étiage d’aval, tandis que celui de lorifice supérieur est à o",30 en contre-bas de l’étiage d’amont. Par suite, la pente totale entre les axes de ces deux orifices est m de 2",90 , ce qui correspond à une pente par mètre du radier de 0",13665. et à une pente, par compartiment, de 0,3143 d'un axe d'orifice à l'autre. «À l'étiage, il y aura une lame d’eau de o",30 d'épaisseur sur le seuil de orifice d’amenée, et cette eau, en se déversant dans le compartiment immédiatement inférieur, tendra à s’y élever de façon à ce que la hauteur, sur le seuil de Porifice suivant, soit aussi d'à peu près o",30. « La section de l’eau dans ce compartiment sera donc celle d’un triangle d'environ 0,30 de hauteur, et comme la pente transversale du radier, dans cet intervalle, est de 0",3143, il S'ensuit qu'en tenant compte de la pente de superficie d’un orifice à l’autre, le niveau de cette eau s’élèvera à peu près à la hauteur du seuil de l'orifice d’amenée. « Les choses se passeront de même dans les autres compartiments, ou biefs intermédiaires; et il s’'établira, dans le pertuis, un courant général qui se dirigera à peu près suivant les diagonales des biefs, comme l’in- dique le plan, et s’accroitra au passage de chaque orifice. À ce passage il n’y aura pas d’ailleurs une chute proprement dite, mais une lame déver- sante, raccordant les niveaux des deux biefs consécutifs. «+ La tendance du poisson à remonter les courants est tellement irrésis- APPENDICE. 259 üble, qu'il faut admettre comme une conséquence nécessaire de son organi- sation, qu'une fois appelé par l'agitation qui se pro- duira à l'entrée du per- tuis, et engagé dans le premier bief, 1l suivra fatalement la route qui lui est offerte, pourvu que les difficultés à vaincre, qui ne font d’ailleurs qu'exer- cer sur lui une agitation salutaire, ne soient pas au-dessus de ses forces. Oril est facile de s'assurer que la vitesse moyenne dans les biefs sera d’en- viron 0",30,etau passage des orifices, de 1,70, vitesses de beaucoup infé Fig. 2. Coupe longitudinale. rieures à celles que les poissons rencontrent dans les rivières libres, et Echelle à saumons établie dans le Lay. — Fig. 1. Plan. qu'ils remontent sans dif- ficulté !.» Le mode de construc- 7. tion des échelles et des ! La dépense est évaluée par le projet à 5,272 fr. 02 cent. non compris 927 fr. 98 cent. de somme à valoir pour les batardeaux, épuise- ments et cas imprévus. Une soumission au rabais de 1/3 p. 0/0 ayant été faite, la dé- pense s'élèvera à 5,400 francs environ. 33. 260 APPENDICE. escaliers à saumons dépend de la hauteur de la chute et des accidents du terrain, mais, quel qu'il soit, lutilité de ces appareils est reconnue partout. Il en existe plusieurs en Écosse, entre autres à Deamton près Sürling, sur le Teith, et à Blantyre, sur la Clyde; mais c’est surtout en Irlande, où la pêche a pris des proportions énormes, que ces appareils sont établis et ren- dent de grands services. Leur prix est relativement modique, puisque cer- tains propriétaires peuvent retrouver dans le revenu d’une seule année de la pêche, ainsi créée, le capital même de leurs déboursés. Nous citerons comme exemple le fait suivant: En Irlande, près de Sligo, trois petites rivières, lArrow, la Colloones et la Colaney se réunissent sur un même point et se précipitent à pic dans la mer d’une hauteur de plus de vingt pieds. Toute communication entre la mer et la rivière étant ainsi impos- sible pour le poisson, ces trois rivières se trouvent privées du précieux saumon. Un propriétaire, M. Cooper, de Mackrec-Castle, eut l'idée d'éta- blir près de ce petit Niagara une échelle à saumons, et son essai réussit au delà de ses espérances, Dès la première année, on vit quelques saumons remonter l'échelle, l'année suivante on en compta jusqu'à 4oo, et la troi- sième année (1857), un fermier demanda à louer la pêche du saumon au prix annuel de 500 livres : aujourd’hui ce revenu a déjà doublé de valeur. Outre l'évidence de l'utilité des échelles à saumons, il ressort de cette expé- rience un autre fait important à constater : c’est que, malgré la tendance habituelle du saumon à remonter dans ses eaux natales, 1l n’est pas impos- sible de l’attirer et de l’acclimater dans des cours d’eau où jusqu'alors il n’a existé aucun poisson de cette espèce. Quant aux modes de pêche autorisés en Écosse, dans la mer ou dans l’eau douce, ils ont été en partie réglés par les divers actes du parle- ment. Ce sont en général, outre la ligne, dont l'usage est permis en tout lieu et pendant toute la durée de la pêche, les filets fixes, soit re- tenus par des pieux, soit par des flotteurs!, les filets mobiles, qu'on manœuvre en bateau pendant qu'une des extrémités du filet est maintenu sur le rivage, et enfin les cruives. On appelle cruives des piéges construits en travers de la rivière avec deux côtés en pierre. Au milieu se trouve une chambre fermée par des cloisons entre lesquelles le saumon passe fa- clement pour entrer, mais par lesquelles 11 ne peut sortir. Tous les engins fixes sont prohibés dans les endroits où la marée se fait sentir?, Quant aux * L'usage de cette sorte de filet n’est autorisé que dans la mer. * Ces endroits sont ceux où le poisson est toujours le plus abondant. APPENDICE. 261 engins fixes (filets et trappes) autorisés seulement dans l'eau toujours douce, les portes et les mailles doivent laisser une ouverture suffisante pour per- mettre la descente du jeune poisson vers la mer et même jusqu'à un cer- tain point la montée du poisson déjà développé. En outre, les loquets des trappes doivent être levés pendant la saison de la pêche, depuis le samedi soir jusqu'au lundi matin. Il va sans dire qu'aucun barrage de la rivière n'est permis. Mais au milieu de cette prospérité des pêcheries écossaises, la Tweed , l'une des plus importantes rivières du pays, autrefois célèbre par le nom- bre et la qualité de ses saumons, semblait menacée d’un prochain dépeu- plement. Quelques chiffres en feront juger, et, quoiqu'on ne connaisse que la quantité de poissons pêchée depuis l'embouchure du fleuve jusqu’à vingt milles en amont, ils sufliront pour établir la proportion. En 1814, le revenu des propriétaires fut de 20,000 livres; en 1823, de 10,000; en 1831, de 4,691; en 1838, il tomba à 3,759, puis il se releva un peu jusqu'en 1859, pour baisser de nouveau et ne plus cesser de décroître. On attribue cette décroissance à plusieurs causes : 1° aux travaux d'irriga- tion pratiqués sur les rives du fleuve; 2° à la destruction du fretin et du poisson pendant la saison du frai; 3° à l'usage de certains filets; 4° à l’em- poisonnement par les substances nuisibles employées dans les usines et fabriques établies le long de la rivière. Pour obvier à ces causes de destruction et empêcher le complet dépeu- plement, le gouvernement britannique vient de voter une loi spéciale relative aux pêcheries de la Tweed'; en voici le titre et les principales dispositions. #ACTE DESTINÉ À FORTIFIER ET À AMÉLIORER LES ACTES ANTÉRIEURS AYANT POUR OBJET LA CONSERVATION DU SAUMON AINSI QUE LES RÈGLEMENTS DES PÊCHERIES DANS LA RIVIÈRE TWEED (17 AOÛT 187). «Vu, etc. ete. . ! La Tweed servant de frontière aux deux royaumes d'Angleterre et d'Écosse est et a été de tout temps régie par des lois particulières. C’est ainsi que l'institution des com- missaires existait déjà pour la surveillance des pêcheurs, et que le dernier acte du parlement se borne, en beaucoup de points, à fortifier les dispositions antérieurement établies. 262 APPENDICE. «xxx. Chaque propriétaire de pêcheries de saumon du rapport annuel de 30 livres, ou d’un terrain riverain de la longueur d'un mille, sil n’a droit à la pêche que sur une des rives, ou d’un quart de mille, quand la pêche lui appartient sur les deux côtés; le mari de toute propriétaire via- gère; le tuteur de chaque mineur propriétaire; le gérant de chaque do- maine, et un membre ou un gérant de chaque corporation ou société pos- sédant des pêcheries du revenu fixé ci-dessus, aura le droit, en cette qualité, de nommer un commissaire comme son représentant pour l'exécution du présent acte. Ce commissaire sera révocable au gré du propriétaire. Les commissaires se réunissent tantôt en meetings généraux, tantôt en spéciaux de districts, pour discuter les intérêts de la pêche. Chaque dis- trict envoie son rapport annuel à lassemblée générale. La valeur des votes des commissaires varie suivant l'importance de la pêcherie qu'ils re- présentent, mais elle ne peut jamais excéder trois voix. Les assemblées générales ont le droit de nommer les secrétaires, les trésoriers, superintendants, baillis ou sergents de rivière, pour le soin de la comptabilité des finances, pour la protection des pêcheries et larres- tation des délinquants. exxxvi. Le superintendant et les baillis de rivière nommés comme il est dit ci-dessus, après avoir prêté serment, sont investis du droit d’exer- cer les pouvoirs de constable à l'égard des affaires relatives à la pêche, comme si ces délits étaient des infractions à l'ordre public, soit pour prévenir les délits, soit pour détenir et arrêter les délinquants. Ils ont le droit d'entrer dans toute propriété riveraine dans tout temps, avec leurs bateaux ou autrement, pour surveiller ou verbaliser contre tout acte illégal. exxxvur, [l'est permis à tout superintendant ou sergent de rivière, ou à toute personne quelconque, sans autre autorité que celle émanant de cet acte, de saisir, brevi manu, et d'arrêter toute personne qui sera surprise commettant quelque infraction aux dispositions de cet acte. «x. Les magistrats, même intéressés dans les pêcheries, ont le droit de prononcer l'arrêt. exc. [ n’est permis à personne de pêcher le saumon dans la rivière de Tweed depuis le 1° octobre jusqu’au 1° mars de l’année suivante; cette période s’appellera la clôture annuelle. exLt. Du 1% mars au 1° octobre, la pêche est interdite à partir du APPENDICE. 263 samedi à six heures du soir jusqu’au lundi matin à six heures. Cet inter+ valle s’appellera la clôture hebdomadaire. «xuv. Toute personne qui enfreindra cette défense sera condamnée à une amende supplémentaire de dix schellings par saumon pris, et, en outre, à la confiscation du poisson, des filets, bateaux, etc. «Toute personne qui, pendant la fermeture de la pêche, détiendra. vendra un poisson qu'elle saura avoir été pêché dans la rivière, sera con- damnée à une amende d’un maximum de 2 livres par poisson, outre la confiscation de, ete. ete. Il est interdit, pendant le temps prohibé, de pé- cher dans la Tweed avec quelque filet que ce soit. Tout bateau, filet, ete. doivent être retirés du bord de l’eau, sous peine de confiscation. Il est même en tout temps défendu, à tout individu n'ayant pas le droit de pé- cher le saumon dans la Tweed, d’avoir en sa possession, à la distance de cinq milles du fleuve, aucun filet propre à pêcher le saumon. «uv. I est défendu de poser ou de tendre dans la rivière aucun engin ou filet fixe destiné à pêcher le saumon, sous peine d’une amende de 20 livres au maximum; plus une amende supplémentaire de 1 0 schellings pour chaque jour que ces filets auront séjourné dans l’eau; plus, une autre amende de 10 schellings pour chaque poisson pris de cette manière, +Lvr. Tout réservoir, écluse, chute d’eau , digue et autres objets permanents au parcours du saumon dans le lit de la rivière devront être construits, et. s'il est nécessaire, modifiés de manière à permettre le libre passage du saumon par-dessus, soit en temps ordinaire, soit pendant les basses eaux: et si les propriétaires ou détenteurs desdits réservoirs, ete. ete. refusent ou négligent de construire dans ces conditions, les ayants droit pourront faire exécuter ces travaux aux frais de la caisse des commissaires, si les ouvrages existaient déjà lors de la promulgation de cet acte, et aux frais des propriétaires, si les ouvrages sont postérieurs. Îl en est de même pour l'enlèvement des rochers, bas-fonds, amas de pierres, vase, gravier, ete. formant des obstacles naturels dans le lit du fleuve. sache! Il est interdit, sous peine d’une forte amende, de battre leau ou d'y établir quelque objet de couleur blanche ou quelque filet dans ou À travers la rivière, dans le but d'interrompre la montée ou la descente du saumon dans la rivière. Il est aussi défendu de se servir de trident ou de lance pour pêcher le saumon. La possession même de ces instruments à la distance de cinq milles du fleuve est considérée comme un délit. IT est 264 APPENDICE. défendu, en quelque temps que ce soit, de jeter ou de laisser tomber dans la rivière de la chaux brûlante ou des produits de gaz, ou de Pacide prus- sique, ou de la potasse, ou de l'eau dans laquelle le lin vert aurait séjourné, ou toute autre matière susceptible d’empoisonner le poisson. Il est aussi défendu de jeter dans la rivière les cendres de charbon, les immondices et tout autre débris. «Lxvi. Tout individu qui, n'étant ni propriétaire ni détenteur d’une pécherie sur la rivière, ou investi du droit de pêcher le saumon, sera sur- pris péchant le saumon dans la Tweed, sera condamné à une amende dont le maximum est de 10 livres, outre une amende supplémentaire de 10 schel- lings par saumon pris et la confiscation du poisson et de tous les instru- ments de pêche, ligne, filet, bateau, ete. ete. L’abord même des proprié- tés riveraines, dans cette intention, est considéré comme délit... ...... +... Ilest défendu sous peine d'amende, même pendant la saison de la pêche, de prendre aucun saumon malsain et décoloré à la suite du frai, ni de le mettre en vente. Si, en pêchant, on prend un saumon dans cet état, il faut le remettre à l’eau, en lui faisant aussi peu de mal que possible. Enfin les peines les plus sévères sont prononcées contre ceux qui, volon- tairement, troubleront ou poursuivront le smolt, le fretin et tous les jeunes saumons, s’opposeront à leur passage ou dérangeront le frai, les lits de frai ou les bancs sur lesquels le frai est déposé. Le seul mode légal de pêcher le smolt est la ligne, et encore n'est-il permis de s’en servir qu’à partir du 1° juin. «LxxIx. Pour couvrir les dépenses nécessaires à l'exécution de cet acte. les commissaires, réunis en meetings généraux ou spéciaux, ont le droit d'établir, d'imposer et de lever une contribution annuelle de 20 livres p. 0/o sur le produit des pêcheries, jusqu’à ce que les dettes et obliga- tions contractées par les commissaires qui ont agi en vertu des anciens actes aujourd'hui rapportés aient été acquittées. Une fois cette dépense couverte, les commissaires pourront fixer cette contribution au taux qu'ils jugeront convenable, pourvu que la somme n'excède pas 0 p. 0/0 par an; cette laxe devra être payée par tous les propriétaires des pêcheries de la rivière, en proportion du revenu annuel de leurs pêcheries, évalué par les commissaires ou par le sheriff, si les propriétaires se croient lésés. «Lxxxt. Les contributions levées en vertu de cet acte seront consacrées, Ce] o 1° aux dettes susmentionnées; 9° aux dépenses faites pour obtenir le présent acte; 3° aux salaires et gratifications des secrétaires, trésoriers, APPENDICE. 265 collecteurs, superintendants, sergents de rivière, ete. et autres dépenses nécessaires pour l'exécution de cet acte. La dernière partie de la loi sur les pêcheries de la Tweed est entière- ment consacrée au recouvrement des amendes, à la compétence judiciaire et aux détails de procédure anglaise et écossaise. L'acte se termine par une réserve des droits, pouvoirs, priviléges et juridiction du lord grand anural du Rovaume-Uni. LE - DT CU Ë Uesgié ét de orders fr déve éentistdelée en va es = she 11 D 7 ja ô nt ir loet x 7 | PLU TE dur) Le dit œnrlobse "ri ah LISE | fr t'es oui: 3 luñe ad weti De L | CT 0 . | 4 à ct d s$ . | - es : | sal e a : hi : < + » _ E o = “ x > < ; = . e =. # ji a il = à | hs à à à : ae | : Fr EF + ? tai s Tv = 1 ES | L 7e - L - | : Æ a « ES e e ‘7 de DE LA PÈCHE DU SAUMON EN IRLANDE. LÉGISLATION QUI LA RÉGIT. La pêche du saumon en Irlande est un peu moins importante que dans la Grande-Bretagne, et le public est appelé à en jouir dans une proportion très-supérieure dans les estuaires où embouchures et dans la partie des fleuves où la marée se fait sentir. Elle donne un revenu brut de sept mil- lions cinq cent mille francs. En Écosse, il existe un bien plus grand nombre de droits particuliers, possédés mille par mille, le long de l'embouchure et de la côte maritime, et aflermés par les propriétaires. En Irlande, au contraire, les droits individuels, que nous appellerons exclusifs', sont rares ou exceptionnels, et c’est sans doute la cause pour laquelle la législation des deux pays est différente sur ces matières. Tou- tefois, un certain nombre de concessions royales ont eu lieu antérieure- ment au roi Jacques [*, mais c’est surtout ce prince qui, apportant sur le trône de la Grande-Bretagne les idées écossaises au sujet de la liberté de la pêche, a concédé la majeure partie de ces droits exclusifs. * Le mot de droit individuel de pêche s'applique à toute pécherie exclusive, possédée en vertu d’une concession royale, d'un privilége, d’une charte ou d'un acte du parlement ou de la prescription, soit dans la partie salée, soit dans la partie douce du fleuve. Dans toute rivière où la marée ne se fait pas sentir ou qui n'a pas été déclarée navi- gable par la loi, et dans laquelle n'existent pas les pêcheries exclusives dont il est parlé ci-dessus, les propriétaires riverains seront considérés comme propriétaires d'un droit de pêche exclusif, dans les limites de leurs terrains et jusqu'au point où le sol et lit du cours d'eau ou du lac leur appartiennent, pourvu, toutefois, que cette disposition ne soit jamais interprétée de manière à restreindre ou à supprimer aucun droit publie de pêche, exercé et octroyé légalement dans les limites de ces pêcheries. (Art. extv de l'acte du parlement de 1849, sur les pêches d'Irlande.) 3! 268 APPENDICE. Quant aux barrages échelonnés sur la plupart des rivières d'Irlande, ils doivent leur origine à l'église. C’étaient des usurpations des prieurs et des abbés des monastères irlandais sur les rivières du roi. Leur droit. dit l'auteur de l'Histoire des pêches de lfrlande, soit qu'il fût fondé sur le droit de l'église de saint Pierre, soit qu'il résultât de la nécessité où le clergé se trouvait d'assurer son approvisionnement d’un article d’ali- mentation dont l'usage est recommandé par la religion catholique, paraît avoir été reconnu par la couronne, la noblesse et le peuple. Il a donné naissance, maloré la défense de la loi, à de nombreuses constructions, organisées à travers le lit des rivières sur les bords desquelles les établis- sements religieux étaient plus maltipliés que dans tout autre pays de la chrétienté. Ces barrages illégaux ont survécu à la réformation, en passant dans d'autres mains, et constituent encore aujourd’hui d'importants priviléges. L'absence de grandes cités manufacturières, le grand nombre de cours d’eau rapides et clairs roulant sur un lit de gravier, ont permis au saumon de se multiplier extrêmement dans ce pays, malgré la destruction énorme qui résulte des barrages et de Femploi des filets fixes. Quelques chiffres donneront l'idée de ces pêches vraiment miraculeuses, En 1847, on éva- luait le produit total de la pêche du saumon à 300,000 livres sterling (7,500,000 francs) au minimum, et l'on prétendait qu'avec une meilleure législation , telle que celle qui depuis a été promulguée, le produit pourrait s’en élever jusqu'à 2,000,000 de livres sterling. Mais, en nous en tenant au chiffre de 300,000 livres, nous trouvons que la rivière Barrow, d’une superficie totale de 3,400 milles carrés, entre dans cette somme pour 17,000 ou 18,000 livres; Le Slaney (815 milles carrés), pour 2,000 livres; Le Shannon (4,544 id.), pour 20,000 livres; Le Blackwater (1,219 id.), pour 3,500 ou 4,000 livres. Si on évalue le produit en nombre de têtes de saumons, on trouve que le Lifley (568 milles carrés) a donné de 5,000 à 7,000 saumons du poids moyen de 7 livres et demie, au prix moyen de 8 pence à 1 schelling la livre. Le Ballinahnich produit 5,114 saumons représentant un poids de 34,747 livres, plus 14,385 livres de truites, Enfin, le nombre moyen des saumons pêchés annuellement dans la Foyle est de 53,603, représentant une valeur d'environ 17,000 livres. On comprend aisément qu'une branche aussi importante de la richesse APPENDICE. 269 publique ait dû être, depuis les temps les plus reculés, l'objet d’une légis- lation spéciale. Quand, en 1842, on entreprit de reviser ou d’abroger la législation antérieure, il fallut remonter jusqu'à Édouard IV, roi d’Angle- terre, dont les ordonnances sur la pêche n'avaient cessé d'être exécutées concurremment avec un grand nombre d’autres actes postérieurement édités par le parlement d'Irlande, et à dater de 1800 par le parlement britan- nique. L'acte de 1842, où se retrouvent plusieurs articles empruntés à l’ancienne législation, est devenu la loi fondamentale de la matière, le véritable code des pêcheurs irlandais, Il embrasse la pêche maritime et la pêche fluviale. Nous ne nous occuperons que des dispositions relatives à la pêche du saumon dans l'eau douce et Veau salée. Elles reproduisent beau- coup des mesures en vigueur en Écosse. ACTE DU PARLEMENT DU 10 AOÛT 18/2. « Aur. u. Les commissaires des travaux publics sont institués commis- saires pour l'exécution de cet acte. Ils pourront, avec l'approbation des commissaires de trésorerie de S. M. nommer autant de personnes qu'ils le jugeront à propos pour être inspecteurs des pêcheries, secrétaire, ou autres oMciers, et ils fixeront le salaire de ces agents. «xv. Dans le but de rendre plus facile la mise à exécution du présent acte, les commissaires susdits partageront la côte d'Irlande en autant de cantonnements ou zones. «xvi. Considérant qu'il existe des doutes relativement au droit de faire usage de nasses et de filets à pieux, de filets à poches et autres filets fixes destinés à pêcher le saumon dans la mer et dans ses courants, le long des côtes d'Irlande, il est arrêté : qu'il est permis à tout individu possesseur légal ou autorisé d’une pécherie exclusive dans où à proximité d'un estuaire où d’une partie de la côte maritime, d'établir dans les limites de cette pêcherie, mais en se soumettant aux prescriptions édictées par cet acte et aux règlements et mesures restrictives qui pourront être impo- sées par les commissaires, en vertu des pouvoirs qui leur sont réservés dans les articles suivants, d'établir, disons-nous, toute espèce de nasses et filets à pieux, filets à poches ou autres fixes, propres à la pêche du saumon. 270 APPENDICE. «xx. Les propriétaires tenanciers des terrains formant les rives de l'estuaire ou le rivage de la mer auront le même droit. Il est entendu que ce fait ne constituera aucun droit de propriété proprement dit, réservant à la reine et à tous les sujets de ce royaume le libre et entier exercice et la pleine jouissance de tous droits de pêche et autres quelconques sur ou à proximité dudit rivage de la mer ou des bords d’un estuaire. «xx. ne sera fait usage, pour la pêche du saumon, sur la côte ou dans les estuaires , que de filets ou engins ayant des mailles ou ouvertures d’une dimension supérieure à deux pouces et demi entre chaque nœud , ou de dix pouces mesurés autour de chaque maille à l’état humide. Quant aux engins de bois, de fer ou corps dur, les ouvertures seront de trois pouces sur chaque côté du carré. Les infractions à cette disposition seront punies d'une amende qui ne pourra excéder 10 livres sterling, outre la confis- cation de l'engin. «Il est entendu qu'aucun de ces filets ou engins fixes n’entravera la na- vigalion. «xx. Sauf le propriétaire d’une pêcherie exclusive, personne n'aura le droit d'établir des filets fixes à une embouchure ou dans un courant où la largeur du canal, à marée basse, est inférieure à trois quarts de mille, Si la rivière a moins d'un demi-mille, il est défendu d’y établir aucun filet fixe à la distance d’un mille de l'embouchure de ce fleuve, soit du côté de la mer, soit en amont. L’embouchure sera délimitée par les commissaires. «xx. Les filets et engins fixes établis dans les fleuves ne s’étendront pas au-dessus du lieu où la marée se fait sentir. Tous ces filets seront disposés de la manière la plus favorable pour laisser passer le petit poisson. «xxv. L'époque de la clôture de la pêche du saumon est fixée du 20 août au 19 février, mais les commissaires sont investis du pouvoir d'avancer ou de reculer l’époque, selon les districts et les rivières, sil y a lieu. Des amendes sont infligées aux pêcheurs, vendeurs et détenteurs de saumons pendant la clôture. Tout instrument de pêche, etc. doit être enlevé pendant cette époque, et les trappes et filets, ouverts du samedi soir au lundi matin. #xxix à xLI. Une ouverture d’au moins Lo pieds, ou d’un dixième de la largeur de la rivière, dont le bas sera de niveau avec le fond de la rivière, sera pratiquée dans tout barrage, qui occupera plus de la moitié de la largeur de la rivière ou d’une de ses branches, pour le passage libre du APPENDICE. 271 poisson ou réserve de la reine, et cela dans toute rivière ayant une largeur de 400 à 100 pieds. Si la rivière a de 100 à 50 pieds de large, l'ouverture sera de 10 pieds. «xui. Cette disposition ne sera pas interprétée de manière à nuire aux barrages ou levées servant à fournir de l’eau aux moulins, manufactures, ete. et qui, en vertu d’un acte du Parlement, d’une charte ou de prescription, serviraient à pêcher le saumon. St RSR RQ NL NE Fee Te «Lvi. Aucun obstacle ne sera placé auprès ou devant l'ouverture destinée à la réserve de la reine, et personne n’aura le droit d'y pêcher, soit à la ligne, soit au filet, à la distance de 50 yards. Le maximum de l'amende est de 30 livres. «iv. Toute boîte ou trappe employée pour pêcher le saumon sera construite de telle sorte que la partie supérieure du fond sera de niveau avec le lit naturel de la rivière, et les parois de cette boîte ou trappe seront construites de manière qu’aucuns de leurs barreaux ne soient rapprochés de plus de deux pouces; ces barreaux seront mobiles, pour pouvoir être enlevés tous ou en partie, soit pour la clôture hebdomadaire, soit pour la clôture définitive. «zvur. On seflorcera de débarrasser le lit des rivières des obstacles na- turels, rochers, banes de sable, ete. qui en obstruent le cours, de manière à faciliter le libre passage du poisson, pourvu que ces travaux ne nuisent pas aux usines ou au drainage des terres. «Lit. Dans tous les barrages ou digues qui seront construits à l'avenir, on ménagera un passage pour l’émigration du poisson, et, dans ceux qui existent déjà, on en pratiquera , en ayant soin, toutefois, de ne pas nuire aux usines et aux besoins de la navigation. En outre, toutes les roues des machines seront arrêtées chaque semaine pendant vingt-quatre heures, du samedi soir au lundi matin. «Lxiv. Excepté les propriétaires d’une pêcherie exclusive, il est défendu à tout individu de pêcher le saumon avec quelque filet que ce soit, dans toute partie des rivières où l’eau n’est pas salée. «Lxv. Les propriétaires de pêcheries exclusives en eau douce, eux-mêmes , ne pourront se servir de filets dont les mailles auront moins de 2 pouces 272 APPENDICE. 1/4 d'un nœud à l'autre, mesurées sur le côté du carré, soit 9 pouces carrés à l’état humide. Aucun filet fixe n’est toléré. «Lxvi. Les commissaires, en cas de réclamations des propriétaires de pêcheries exclusives en eau douce, relativement à la dimension des filets, en donneront avis au public par insertion dans les journaux des comtés que traverse la rivière, et inviteront tous les intéressés à présenter leurs obser- vations. Puis, enquête terminée, ils pourront autoriser l Ppier de filets à mailles plus serrées ou de forme différente, ete. «Lxvi. [l'est bien entendu qu'aucune disposition du présent acte ne sera interprétée de manière à empêcher les propriétaires de terrains atte- nants à un lac ou à une rivière en eau douce, et qui ne se trouveraient pas compris dans les limites d'une pêcherie exclusive, de pêcher à la hgne le saumon, la truite, etc. pendant la saison de la pêche. «Lxx. Excepté les propriétaires de pêcheries exclusives, personne ne pourra se servir de lignes en croix. «xx. Il est interdit, sous peine d'amende, de prendre et de vendre aucun saumon rouge, noir, malade et hors de saison. «Lxxiv. Attendu qu'une destruction considérable de poisson et de fretin a lieu dans les barrages destinés aux usines, etc. nous arrêtons : qu'une amende sera payée par tout individu qui, dans une saison quelconque de l'année, pêchera avec autre chose qu’une ligne dans une réserve d’eau ou dérivation destinée à une usine, et prise sur la rivière. Le propriétaire de l'usine sera responsable des délits de cette nature commis sur sa pro- priété. «Lxxv. Dans tous les canaux, dérivations ou écluses construits dans le but d'amener l'eau d’une rivière fréquentée par le saumon pour l'approvi- sionnement des villes, l'irrigation des terres ou toute destination autre que celle de fournir Peau nécessaire à la navigation, ou de servir de puissance motrice aux machines ou d'alimenter les viviers, il sera placé à demeure, par le propriétaire desdits canaux, à leurs points de départ et de retour, en amont et en aval de la rivière, un grillage dont les barreaux ne seront écartés que de deux pouces au plus, et qui s’'étendra à toute la largeur de ce canal, depuis le fond du lit jusqu'au niveau le plus élevé des eaux. En outre, pendant les mois de mars, avril et mai, ou autres époques de l’année où le fretin de saumon ou de truite descend dans les rivières, 1l sera placé, APPENDICE. 273 au-dessus de la surface de ce grillage, un treillis en fil métallique suffisant pour empêcher le fretin de pénétrer dans lesdits canaux. «LxxvI. Payera une amende toute personne qui, entre le coucher et le lever du soleil, au moyen de lumière ou feu, et de harpon ou lance, tentera de pêcher le saumon; idem toute personne qui chassera, troublera ou dé- truira le poisson frayant ou les lits de frai, ou endiguera ou videra une rivière ou canal de moulin, dans le but de prendre le saumon. «zxxvur. Îl est défendu de jeter, répandre dans un lac ou rivière au- eune matière tinctoriale ou autre liquide délétère et vénéneux, ou d'y jeter de la chaux, de l’euphorbe, ou dy faire tremper du lin ou du chanvre. +zxxx. Tout bateau servant à la pêche doit porter le nom de son pro- priétaire. «Lxxxt, Pour mieux protéger et conserver les pêcheries, et pour assurer l'exécution des lois qui les régissent, nous autorisons toute personne inté- ressée, ou toute autre association de personnes formée dans le but de sur- veiller lesdites pêcheries, de désigner, sous son bon plaisir et par acte sous seing privé, un individu ou plusieurs, à leffet de remplir les fonctions de sergents de rivière, pour la protection des pêcheries sur les côtes ou dans les rivières. Cet agent ne pourra agir que quand sa nomination aura été raüfiée par deux juges au moins, assemblés à l’époque de la petite session dans le district où le sergent doit exercer. «xxx. Tout sergent de rivière, nommé comme il est dit ci-dessus, est autorisé à exercer les pouvoirs et l'autorité d’un constable, pour assurer l'exécution de cet acte, et a la premission, en tout temps et en toute saison , de passer sur les bords des lacs ou rivières fréquentés par le saumon, dans le but de protéger les pêcheries pour lesquelles il aura été désigné; de pé- nétrer partout en bateau; d’inspecter toutes digues, écluses, tous barrages: d'entrer dans toute embarcation employée à la pêche; d’inspecter tous les filets, de les saisir en cas de contraventions. Un mandat du juge de paix lui est cependant nécessaire pour entrer dans les maisons habitées ou dans les jardins clos de murs. eLxxxnr. Tous les officiers ou hommes d'équipage des croiseurs de Sa Majesté, et tous les gardes-côtes, sont invités à assurer l'exécution de cet acte, et sont investis, dans ce but, de l'autorité des constables. *35 274 APPENDICE. «Lxxxvr. Îl est permis aux commissaires des travaux publies, suivant les circonstances, de faire et de promulguer telles lois locales, et régler tels règlements (outre ceux exigés spécialement ici) qui leur paraîtront utiles pour la direction, surveillance, protection et amélioration plus eflicaces des pêcheries d'Irlande; quelquefois aussi de révoquer ou changer lesdites ordonnances et de leur en substituer d’autres; d'imposer et de prescrire des conditions et mesures restrictives, pour le maintien du bon ordre parmi les pêcheurs, et relativement aux époques et saisons de l'ouverture et de la clôture, pour la pêche des diverses espèces de poissons; ou encore aux épo- ques et localités, ou au mode suivant lequel seront employés le tramail ou autres filets et engins dont il sera fait usage dans lesdites pêcheries, et pa- reillement à la description et à la forme des filets, à la dimension des mailles et à toute matière enfin qui, à un titre quelconque, se rapporterait à la protection desdites pécheries. Il est encore permis aux commissaires d’im- poser des amendes jusqu’à concurrence de 5 livres sterling dans tous les cas où une amende n'aura pas été fixée par cet acte, et de prononcer la confiscation de tous les engins de pêche. Ces ordonnances, quand elles auront été approuvées par le lord lieutenant d'Irlande, en conseil, auront force de loi. « Lesdits commissaires, avant le dernier jourde janvier de chaque année, présenteront au lord lieutenant un rapport sur les faits accomplis pendant l'année précédente, sur la recette et dépense des sommes qu'ils auront encaissées ou dépensées sous le requis du présent acte; indiquant exacte- ment le chiffre reçu pour toute espèce d'amende, et ce rapport contiendra, autant que possible, un tableau statistique desdites pêcheries!. Un exem- plaire de ce rapport sera mis sous les yeux de chacun des membres du Par- lement. » En 1844, un nouvel acte du Parlement investit tous les officiers et hommes composant les corps de constables, en Irlande, de la même auto- rité que les sergents de rivière, pour l'exécution de l'acte de 184. Un troisième acte intervint en 1845, et autorisa plus spécialement les commissaires des travaux publics à délimiter embouchure des fleuves. I étend aussi leurs pouvoirs relativement aux mesures à prendre pour faire * Depuis l'acte de 1848, le rapport annuel présente le montant des droits de licence perçus en Jrlande, par les bureaux des conservateurs, pendant l'année qui vient de s’écouler. N contient aussi un extrait des observations envoyées par ces bureaux aux com- missaires au sujet de l’état des pêcheries de saumon et de la pêche intérieure. APPENDICE. 275 disparaître les barrages illégaux, et pour défendre ou permettre l'usage de tels ou tels engins. Par l'acte de 1846, l’époque de la clôture de la pêche du saumon, dans la mer et dans les parties des rivières où l’eau est salée, est fixée du 1° sep- tembre au 28 février (du 1* septembre au 15 septembre on ne peut faire usage que de la ligne). Mais les propriétaires de pêcheries exclusives ont le droit de commencer la pêche dès le 1“ février de chaque année. Le tout sous réserve des modifications faites par les commissaires, en vertu des pouvoirs qui leur ont été conférés par les actes précédents. Un cinquième acte du Parlement, promulgué en 1848, contient une importante innovation : « Désormais, les districts de pêche seront subdivisés en circonscriptions électorales, etils éliront chaque année des conservateurs des pécheries. Leur nombre, par circonscription électorale, sera fixé par les commissaires. Les propriétaires de pêcheries exclusives seront de droit conservateurs. Les autres conservateurs élus seront choisis parmi les personnes payant une licence. A l'avenir, tousles engins, filets, ete. destinés à la pêche du saumon seront l’objet d’un droit annuel. Tout individu qui aura payé une licence aura le droit de voter pour l'élection des conservateurs. Pour les premières élections, les commissaires sont chargés de fixer le montant de chaque licence. Is con- voqueront ensuite et présideront, dans chaque district, un meeting élec- toral de toutes les personnes ayant payé cette taxe. On procédera alors à l'élection du bureau des conservateurs, lequel, une fois élu, approuvera ou modifera les droits de licence établis dans son district! par les commis- saires, Ces mêmes conservateurs détermineront aussi l'époque et le lieu des meetings futurs. Is fixeront également , avec l'approbation des commissaires, le montant du supplément de taxe à payer par chaque propriétaire de pé- cherie exclusive, pourvu que ce droit n'excède pas 10 p. 0/0 du revenu total, évalué d’après la loi des pauvres. Le bureau des conservateurs, dans chaque district, nommera en outre des secrétaires, des inspecteurs et des sergents de rivière. Ces derniers jouiront des pouvoirs des constables. « Les commissaires ont le droit, sauf avis au public, de changer l'époque de la clôture de la pêche?. » * Le montant des droits varie selon le district et selon l'espèce d'engin. Dans tous les districts, cependant, la ligne n’est imposée qu'à dix schellings. Le maximum du droit est de quinze livres, et il frappe les filets à pieux, qui sont les plus destructeurs. ? Ces époques varient également suivant les divers districts et suivant qu'il s'agit de où. 276 APPENDICE. Un dernier acte fut promulgué en 1850. Il a eu pour objet principal de réglementer les engins destinés à la pêche du poisson sur les côtes et dans les rivières d'Irlande. Les commissaires sont, dès le début, investis du pouvoir de remanier de temps en temps la carte des districts de pêche. Toute pêcherie évaluée d’après la loi des pauvres devra payer, à l'avenir, un supplément au droit de licence, comme les pêcheries exclusives, c’est-à-dire un droit qui n’excédera pas 10 p. 0/0 du revenu total. Les commissaires décideront sur les plaintes relatives à des pêches illé- gales, et auront le droit d’ordonner la destruction des barrages dans les ri- vières, sauf appel de la partie lésée. (Art. xiv et xv.) [est interdit à tout individu autre que ceux qui ont qualité pour exercer ce droit, d'établir aucun barrage, ou filet ou engin fixe sur la côte d’Ir- lande ou dans les parties des fleuves où l’eau est salée. Tout délit de cette nature entraîne une amende dont le maximum est de dix livres sterling, et, en cas de récidive, de 20 livres, plus 10 livres pour chaque jour pendant lequel ce barrage ou engin fixe aura subsisté. (Art. xvr et xvir.) La loi se borne ensuite à répéter la plupart des dispositions contenues dans les actes précédents, telles que celles relatives à ouverture légale, dans les barrages, pour la réserve de la reine; elle accroît cependant les pouvoirs des commissaires en les autorisant à ordonner, sur la demande des inté- ressés, qu'il soit pratiqué des ouvertures dans certains barrages exempts jusqu'alors de cette obligation par prescription ou autre titre, sauf paye- ment d’une indemnité et appel des propriétaires ; les barrages destinés aux usines sont exceptés de cette disposition. La loi investit de nouveau les commissaires du droit de délimiter l'embouchure des fleuves. Elle défend, sauf le cas de possession de la pêcherie vingt ans avant la promulgation de la loi, l'emploi de filets à la distance de 200 yards d’un barrage. Elle pro- hibe de nouveau l'emploi des lances, harpons, et édicte des amendes plus sévères que les actes précédents contre ceux qui pécheront ou vendront du poisson en temps prohibé. Elle contient un article spécial pour prévenir l’empoisonnement ? des cours d’eau. Il est en outre prescrit aux propriétaires la pêche en eau douce ou en eau salée; dans ce dernier cas, elle s'ouvre plus tard. Dans le district de Kellaney, elle ferme dès le 31 juillet; dans celui de Herford, le 28 septembre seulement. L'ouverture varie du 1° janvier au 1° avril. La pêche à la ligne se prolonge d'environ quinze jours plus tard que celle au filet. ! Dans toute l'Irlande croît, dans les bois, une sorte d’euphorbe appelée euphorbta APPENDICE. 277 d'usines de laisser toujours un passage libre pour la migration du saumon pendant que les machines ne travaillent pas. Enfin la loi décide que la elô- ture hebdomadaire sera également exécutoire dans les parties douces ou sa- lées des fleuves: que les barrages pratiqués dans cette dernière partie re- cevront une ouverture , et que, si embouchure du fleuve a moins d'un quart de mille de largeur, personne, sauf le propriétaire d’une pêcherie exclusive , ne pourra pêcher avec un filet dans cet endroit, ni à un demi-mille en aval et en amont. hibernica. Cette plante renferme un jus blanc, dont une faible quantité, jetée dans une rivière quand les eaux sont basses, suflit pour tuer tout le poisson à une distance con- sidérable. Le poisson ainsi empoisonné remonte bientôt à la surface et est encore malheu- reusement propre à l'alimentation de l'homme, Les riverains alors se partagent le produit de cette pêche destructive. ET” db pabuiiée LS uvre heonii Sté d ETES ES af ilot? PAT ICO TETE 4 De 2 0 @ De here-rhcir os LL 7R TIRE m'atr-nt Cho. etre il RAI TTE) + ee als CR UEUUES PAT: | 8, Svyiari! 7 suit 4 OT TT uyrpere] où line, area ah asit Éd bre; | nr ;froabipe pet sonsstit ss avé vof Dash . % LR —— ee É— A Hariou dr br à s dre gérées. La sun bats. à r L ERA ER ae see AR à as Wto ess Lens 1j md lenauas van - otre 4 À Miam lauren Labcasaqn Baie mentst à 1 delle ALT UC! EU ENN PES CR 10 bon ; core ad du) dé 4, amp LT 4€; de : nr “ LA = Lai 1 8 RAPPORT A S. M. L'EMPEREUR SUR L'ORGANISATION DES PÊCHES MARINES. RAPPORT À $S. M. L'EMPEREUR SUR L'ORGANISATION DES PÈCHES MARINES AU POINT DE VUE DE L’ACCROISSEMENT DE LA FORCE NAVALE DE LA FRANCE. Paris, 29 mars 1861 S1RE . L'idée de la mise en culture de la mer n’est plus une contestable pro- messe de la science, que le dénigrement, cet éternel parasite de la vérité en ce monde, puisse faire ranger désormais au nombre des chimères, comme il la essayé tour à tour pour toutes les grandes découvertes qui sont aujourd'hui la gloire et le trésor de Fhumanité; car, en pénétrant dans l'esprit de nos populations riveraines, cette idée transforme lOcéan en une véritable fabrique de substance alimentaire, où l’industrie attire et fixe à son gré la récolte dans les lieux qu’elle lui assigne. En sorte que, soumettant la nature organisée à son empire par une souveraine applica- tion des lois de la vie, elle fait de nos rivages un champ de production capable d'approvisionner tous les marchés de l'Europe. 30 282 APPENDICE. [L est vrai que ses entreprises n’ont encore sérieusement porté que sur la multiplication du coquillage; mais, dans cette voie, elle a accompli en deux ans de tels prodiges que, en certaines localités, les richesses déjà créées ont changé la condition sociale des populations maritimes. Dans l’île de Ré, par exemple, plus de trois mille hommes, prolétaires de la veille, sont descendus de l’intérieur des terres sur le rivage pour \ prendre possession des fonds émergents que l'administration leur a concé- dés par lots individuels, afin de donner à chacun son intérêt particulier dans l'œuvre commune, L'intrépide persévérance de cette armée de travail- leurs n’a reculé ni devant la nécessité d’écouler immense vasière qui, sur un développement de plusieurs lieues, couvrait ce stérile domaine, ni de- vant la difficulté de se procurer les matériaux pour la construction des pares destinés à le mettre en culture. Is ont donc déchiré, par la mine et par le fer, les bancs de roche énor- mes dont le pourtour de leur île était bordé, et, avec les fragments, ils ont formé des enceintes sur toute l'étendue de la plage envasée dont ils voulaient purger le sol. Puis, dans l’intérieur de ces enceintes, ils ont planté des pierres verticales assez rapprochées les unes des autres pour que, en se retirant, le flot, brisé contre ces obstacles, se divise en rapides courants et entraîne la boue délayée vers la partie déclive, où un égout collecteur la conduit au large. Chaque parc ainsi organisé devient, par conséquent, un appareil de curage, que le jeu des eaux convertit en un champ de production. yen a déjà quinze cents en pleine activité, régulièrement alignés comme les maisons d’une ville, ayant leurs grandes voies pour le service des voitures, et leurs petits sentiers pour les piétons, occupant, de la pointe de Rivedoux à la pointe de Loix, sur une longueur de près de quatre lieues, une surface de six cent trente mille mètres carrés : travail gigan- tesque, poursuivi avec un entraînement sans exemple dans le reste du pourtour de l’île, où deux mille établissements nouveaux sont en voie de création. À peine les terrains émergents, théâtre de cette merveilleuse conquête, avaient-ils subi Ja préparation qui les rend aptes à porter des fruits, que la semence, amenée du large par les courants, sy répandait et y contractait adhérence avec une incroyable profusion. Les fragments de roche formant les murailles des parcs, ceux qu’on à accumulés dans les espaces que ces É : : : : Le : RL murailles circonserivent, disparaissent sous l'immense gisement d’huîtres, APPENDICE. 283 bientôt marchandes, comme le sol de nos pâturages sous l'herbe müre qui le couvre. C’est un fait que chacun peut vérifier à son gré, quand la mer abandonne ces enclos collecteurs, où l’on ramasse, à pied sec, le coquillage, avec autant de facilité que s'il s'agissait d’un vignoble ou d'un potager. Les agents de autorité locale y ont compté, en moyenne, six cents huîtres par mètre carré, ce qui donne, pour ensemble des pares en acti- vité, un total de trois cent soixante et dix-huit millions de sujets, repré- sentant une valeur de six à huit millions de francs. La foi de ces modestes ouvriers, éclairée par un rayon de la science abstraite, a done réussi à eréer, sur quelques kilomètres d’une plage int- productive, une plus abondante moisson que n’en fournit annuellement tout le littoral de la France. Que sera-ce quand le pourtour entier de l'ile aura été mis en exploitation? Mais, ce qui me frappe davantage dans le succès de cette courageuse entreprise, c’est moins la grandeur du résultat matériel que le but moral auquel ce résultat a conduit. L'industrieuse colonie, en effet, n’a pas borné son action à l'effort isolé de chacun de ses membres: elle a porté plus haut la dignité de son œuvre, en l’élevant jusqu'à l'idée d’une association dans laquelle tous sont soli- daires, en ce qui touche les intérêts généraux, sans que, pour cela, Pinté- grité ou la valeur de la possession individuelle soit en rien affaiblie par l'institution collective. Le pacte qui consacre cette association la divise en quatre communau- tés, portant chacune le nom de son quartier respectif, celle du Vert-Clos, celle du Préau, celle de Saint-Laurent, celle de Rivedoux. Chaque communauté nomme trois délégués chargés de son administra- tion particulière et de ses rapports avec l'autorité maritime. Chaque communauté vote un impôt fixé à sept centimes par mètre carré, destiné à subvenir à toutes ses dépenses. Chaque communauté élit un garde juré préposé à la surveillance de sa récolte , et dont elle prélève le salaire sur son budget spécial. Toutes les communautés, enfin, se réunissent en assemblée générale dans le théâtre de l'ile, pour y délibérer sur les besoins de l'industrie, sur le perfectionnement des méthodes, sur les expériences à inslituer, comme on le fait dans une académie pour les questions de science abs- traite. I y a là, évidemment, Sire, le principe d'une salutaire organisation 506, 28h APPENDICE. du travail qui, étendue à toutes les branches de l'industrie des pêches, permettra de constituer la famille maritime sur des bases nouvelles, en faisant à la fois de son foyer domestique le siége de sa richesse et lins- trument de la défense du littoral; grand problème dont Votre Majesté a bien voulu m'encourager à l’entretenir. Mais, pour que cette constitution nouvelle, dont lorganisation de lin- dustrie huîtrière donne le signal, se réalise, il y a une urgente et double indication à remplir : premièrement, mettre la famille maritime en mesure d’avoir sur le rivage des piscines où elle puisse emmagasiner les espèces susceptibles d'y être nourries; secondement, lui fournir les moyens de se pourvoir de bâtiments mixtes, capables d'affronter les périls de la grande pêche et de ramener en tout temps, dans leurs flancs convertis en viviers, la récolte au bercail ou sur le marché. La sole, le turbot, la barbue. le homard, la langouste, la raie, le congre , etc. s’accommodent parfai- tement au régime de la stabulation. Ils s’engraissent à ce régime , comme les animaux de nos basses-cours. J'en ai fait l'expérience dans mon labora- toire de Concarneau. Quand nos pêcheurs auront ainsi des bergeries aquatiques à leur dis- position, ils seront libres de ne porter la récolte sur le marché qu'au mo- ment où 1l y aura chance d’une vente lucrative; tandis que, en l'état actuel des choses, ils se trouvent placés entre la nécessité d’une livraison à tout prix et celle de la perte du fruit de leur travail, car leur denrée se dété- riore si elle ne passe pas sans délai dans la consommation. Les clients, de leur côté, pourront désigner d'avance, pour le service de leur table ou le besoin de leur commerce, le nombre, la taille, le poids des sujets dont ils réclameront l'envoi, et les détenteurs de ces garennes les leur feront parvenir au jour et à lheure convenus. Il n’y aura donc plus, grâce à cette facilité d'expédition, ni perte, ni avarie. Le négoce des fruits de la mer s’opérera avec autant de sécurité et de précision que celui des fruits de la terre. J'ai vu, sur les côtes d'Angleterre, des piscines où l’on emmagasine des chargements de homards et de langoustes, que des viviers-navires vont chercher en Norwége, en Irlande, et plus particulièrement encore en Bre- lagne. Ces grands crustacés, parqués par troupeaux de trente, quarante ou cinquante mille à la fois, dans les eaux de ces piscines rafraîchies par la marée, y sont nourris et tenus en réserve pour les approvisionnements de la ville de Londres, où, en général, on trouve à vendre trente et quarante APPENDICE. 285 francs la douzaine ce que nos pêcheurs livrent à la spéculation étrangère au vil prix de quatre ou cinq francs. Quand la denrée est arrivée sur le marché, le détenteur ne s’en sépare qu'à la condition d’un bénéfice suffisant. Dans le cas contraire, il remet sa marchandise en bourriche, ramène son troupeau au bercail , et attend une occasion meilleure. Une bonne installation le met done à l'abri de toute surprise. Or, si, avec les produits de nos rivages, l'industrie étrangère peut appro- visionner de lointains marchés, et, après avoir fait face aux énormes dé- penses d'exportation , s'enrichir à ce commerce, quels bénéfices nos popu- lations maritimes n’obtiendront-elles pas en organisant cette industrie au profit de la consommation française ? Je fais construire, en ce moment, à Concarneau, grâce aux moyens que Votre Majesté a bien voulu mettre à ma disposition, un vivier-laboratoire de quinze cents mètres de superficie, qui servira de modèle aux pêcheurs disposés à entrer dans la voie du progrès. Ils y verront par quel artifice la science crée, dans des espaces restreints, les conditions de la pleine mer, comment y vivent ct prospèrent les nombreux troupeaux qu'on y enferme. Le concours que le pilote Guillou me prête en cette occasion me permettra de montrer, par un frappant exemple, de quelle importance seront, au point de vue commercial, des établissements de ce genre. Les étangs salés de l'intérieur des terres pourront aussi être facilement affectés à cet usage, pourvu qu'un aménagement approprié y entretienne la libre circulation et le renouvellement des eaux. Lorsque, derrière ses bergeries aquatiques et ses champs de coquillage, la famille maritime se sera constituée en métairies d'exploitation, elle étendra peu à peu son industrie au delà des étroites limites où sa condition actuelle lemprisonne. Son foyer domestique élargi deviendra en même temps un atelier de conserves el une fabrique de préparations fertili- santes. Tout ce qui n'aura pas chance d'arriver frais ou vivant sur le marché sera mariné ou fumé ou salé par ses soins, afin de ne rien perdre du produit de la pêche; tout ce qui ne sert point à la nourriture de l’homme ou nuit au développement des espèces comestibles formera une source d'engrais concentrés, où viendra puiser le laboureur étonné de la fécondité de son sillon. Les astéries desséchées et réduites en poudre, les vases formées de ] 286 APPENDICE. débris organiques, les prairies sous-marines mises en coupes réglées, les banes d’anomies, les poissons chargés de graisse, les têtes de sardines et de morue, les gisements de maërle et de tangue, fourniront des éléments capables de suflire à tous les besoins de la terre, si perfectionnée qu'on en suppose la culture, si loin que lon étende lentreprise de son défrichement. L'emploi isolé de chacun de ces éléments, leur action combinée, leur pondération dans le mélange, permettront de soumettre le sol à des traite- ments variés, qui lui donneront plus que la récolte ne pourra lui ravir, et préserveront ses fruits des influences morbides que suscite le défaut d'équilibre entre les divers principes de nutrition. L’Angleterre demande en vain au guano des îles de FOcéan Pacifique et aux ossements des champs de bataille le phosphore dont la science lui démontre que son territoire se dépouille. La Sicile, exténuée par les excès de récolte qui, pendant plusieurs siècles, en firent le grenier d’abondance de l'empire romain, a perdu dans celte production à outrance les sels fécondants que limprévoyance hu- maine n’a pas cherché à lui rendre à mesure qu’elle les lui enlevait. Sur plusieurs points du olobe, le répime des assolements, ne répondant pas à toutes les indications d’une végétation normale, fait de la plante et de ses fruits le territoire vicié où se propagent, comme une levüre funeste, ces êtres microscopiques ou infusoires capables de mettre en péril lexis- tence des nations, quand ils envahissent la pomme de terre, la vigne, le froment, ou qu'ils s'attaquent à l’homme lui-même. Un seul de ces impalpables organismes, dont les germes remplissent l'univers, dont les cadavres accumulés forment le sol de provinces entières, peut produire, en quatre jours, jusqu’à cent quarante billions d'individus. Leur ténuité est telle que, d’après les calculs d’un savant illustre de Berlin, il ne faudrait pas moins d'un billion sept cent cinquante millions de sujets pour faire le volume d’un pouce cube. Ce sont, dans l'économie générale de la nature, d’incessants multiplica- teurs de la matière vivante, destinés à servir d’aliment à des espèces un peu plus grandes qui, absorbées à leur tour par d’autres espèces que l'œil distingue, établissent entre le monde invisible et le monde apparent une manifeste et fondamentale solidarité. Mais cette harmonie ne se conserve qu'à la condition d’un antagonisme toujours prêt à tourner au détri- ment du monde apparent, lorsqu'une défaillance y ouvre carrière à de dévorantes invasions. APPENDICE. 287 La souveraine ambition de la science, à travers ce conflit à la fois salu taire et menaçant, doit donc être d'obtenir la virile expansion des espèces utiles, sans jamais permettre à ces ferments impalpables d'en devenir les parasites victorieux ou les agents perturbateurs. Or, comme les parasites ne prévalent jamais que sur les organismes malades, il s'ensuit qu'un bon assolement deviendra l’héroïque préservatif de ces désastreuses épidémies: car, en développant une végétation normale, 1l formera, pour les animaux qui se repaissent de cette végétation, une nourriture saine. La mer renferme et élabore dans son sein les principes sans cesse re- nouvelés de cet assolement. Tous les résidus organiques que les déjections des grandes villes renferment; ceux qui émanent des filtrations de la terre, conduits par l’entremise des fleuves dans cet immense récipient, viennent s’y mêler aux matériaux de nutrition dont il est déjà si largement pourvu. Les habitants des eaux, animaux ou plantes, en transforment les parties assimilables, ici, en une denrée alimentaire pour l’homme, là, en une substance propre à être convertie en préparations fertilisantes. [n’y a donc qu'à paiser à cette source intarissable, et, à mesure que, pour féconder la terre, on purgera les fonds des espèces nuisibles qui les encombrent, les races utiles s'y répandront comme une nouvelle moisson sur un sol où la mauvaise herbe cesse d’étouffer le bon grain. La multi- plication de l'élément comestible s’opérant alors en proportion de l'étendue des champs appropriés à son développement, ajoutera aux richesses natu- relles celles bien plus grandes encore que l’art y aura créées. Mais, pour laccomplissement d'un tel dessein, 1l faut qu'un capital gé- néreux, conviant les populations riveraines au bénéfice de l'association, mette aux mains des ouvriers de la mer un matériel d'exploitation conforme aux besoins de leur périlleuse culture. À défaut de ces moyens d'action, ces intrépides moissonneurs épuisent nos rivages où glane leur misère; tandis que, en face d’eux, les pêcheurs anglais, montés sur des navires qui leur permettent de tenir en tout temps le large, munis d'engins perfectionnés, opèrent, sur les fonds où se rassemblent les troupeaux de grande taille, les plus abondantes captures. Nulle classe d'hommes n’a les mêmes droits aux largesses de l'État; car, par une de ces inimitables combinaisons qui ne sont possibles qu'à une certaine heure de l'évolution sociale, le génie de Colbert en a fait, dans l'organisme de la France, l'organe voué à la défense du pavillon: pensée féconde, qui porte en soi le germe de la prépondérance maritime. 288 APPENDICE. Nulle classe d'hommes ne se trouve en d’aussi bonnes conditions pour ürer avantage de ces largesses, car le domaine des mers dont, en échange d’une héroïque mais libre soumission , le grand ministre lui octroya le mo- nopole, est une véritable communauté. L'esprit d'association ne saurait donc y être entravé par les limites de la propriété individuelle, comme cela arrive pour la culture de la terre; et quand les prêts en argent viendront lui offrir l’occasion de se déployer librement, 1l y rencontrera une organi- sation administrative merveilleusement appropriée à ce besoin, parce qu’elle est moulée sur la nature même des choses. Dans chaque localité, en effet, le commissaire de l'inscription maritime vit en père de famille au milieu de la tribu soumise à sa juridiction. I y üent registre des noms et des services de chacun, afin de pourvoir au re- crutement de la flotte et de régler les droits des pensions de retraite. Mé- rites ou défauts, aptitudes intellectuelles ou incapacité, misère ou aisance, rien n'échappe à l'attention de ce confesseur vigilant, toujours en mesure d'éclairer le Gouvernement sur le meilleur emploi de ses subsides, sans qu'il soit nécessaire d’avoir recours à d’interminables et ruineuses enquêtes. Les trésoriers des Invalides, ces détenteurs des premières caisses d’é- pargne qui aient existé dans le monde, seront les banquiers désintéressés de celte œuvre de régénération sociale. [ls feront passer directement aux mains des pêcheurs les avances destinées à favoriser leurs associations ou leurs entreprises personnelles, sans payer rançon à de dévorants intermé- diaires. Lorsque la famille maritime aura mis son matériel d'exploitation à la hauteur des nouveaux besoins de son industrie, elle opérera le rembour- sement de ses emprunts par une voie qui luiest depuis longtemps connue, et par le soin des mêmes agents qui les lui auront transmis. Au lieu de ne verser, dans la éaisse des retraites, comme elle le fait en tout temps, que trois pour cent par mois, sur les produits de la pêche, elle en versera six. el, à mesure qu'à son insu l'amortissement de ce dépôt périodique éteindra sa dette, le moissonneur à gages se transfigurera en propriétaire affranchi. [y a donc qu'à mettre en jeu les admirables rouages de notre inscrip- tion maritime, pour en faire sortir et la richesse et la force. En France, les voies ferrées tuent le cabolage, qui est la pépinière na- turelle de la flotte, parce que tout passe directement dans l’intérieur des terres. En Angleterre, elles le font vivre et le développent, parce que tout APPENDICE. 289 y aboutit à un convoi par mer. Le progrès de la civilisation met done en lumière, par une saisissante opposition, combien la création de Colbert est en harmonie avec les destinées de la nation que dota sa prévoyance. L'idée d'un apanage pour les pêches maritimes n’est point chose nou- velle, puisqu'une somme de plusieurs millions figure tous les ans au budget pour celle de Terre-Neuve. Mais cet opulent subside n'est pas le partage des ouvriers de la mer. Il se distribue , en primes, aux armateurs qui pren- nent ces ouvriers à leur service, et, moyennant un modique salaire, les conduisent à la récolte de la morue dans une région du globe où, au pre- mier signal d’un conflit européen, quinze mille hommes seraient prison- niers de l'Angleterre, souveraine en ces parages. Une pareille dotation qui, en quarante années, s'est élevée à plus de cent soixante millions, si elle eût été consacrée au développement de la pêche cô- üère, l'aurait mise depuis longtemps à la hauteur de toutes les éventualités, car c’est à elle seule qu'il faut demander désormais les vrais éléments de de la force navale de la France. Elle offre assez de périls et de rudes la- beurs pour façonner à l’héroïque métier de la mer les défenseurs hérédi- taires du pavillon; elle peut prendre d'assez grandes proportions pour en accroître le nombre au delà de toutes les prévisions, si les populations ri- veraines y trouvent le bien-être de leurs enfants. La combinaison financière qui permettra d'atteindre ce but n'aura pas seulement élaroi le cadre du recrutement de la flotte, elle formera encore, par le groupement des familles autour de leur matériel d'exploitation , des colonies à la fois industrielles et militaires, dont les membres, après avoir payé leur tribut à Parmée navale, pourront être utilement aflectés au ser- vice sédentaire des batteries échelonnées sur nos rivages. La défense de la côte se confondra avec celle du foyer domestique, et sera placée au cœur même des richesses que la généreuse intervention de l'État aura concouru à y créer. Elle ouvrira carrière à tous les dévouements que l'Administration aura aussi le moyen d'encourager, en concédant autour de la batterie la jouissance d'une certaine étendue de terrain pour les fruits et les légumes nécessaires à la consommation du ménage. Les capitaines des bâtiments chargés de faire respecter les règles éta- blies pour la culture et Fexploitation de la mer seront les ofliciers instruc- teurs de ces colonies organisées au double point de vue de la pêche et de la défense. Ils les suivront au large, comme les ingénieurs d’une grande manufacture, les dirigeront dans l'application des nouvelles méthodes, leur 37 1 290 APPENDICE. donneront la remorque au besoin, quand la tempête rendra le retour au port dificile ou dangereux. A terre, ils les exerceront à la manœuvre pen- dant les jours de loisirs , afin de ne rien dérober au travail. Déjà, sur ma proposition, et à la suite d’un rapport soumis à l'agrément de Votre Majesté , l'Administration de la marine a bien voulu accueillir en principe l'idée de consacrer à la police de la pêche un cordon de chaloupes mixtes, à hélice, que leur faible tirant d’eau permettra de conduire dans toutes les anfractuosités du littoral, et qui deviendront, par cela même, la seule école pratique possible des vrais pilotes de nos rivages. Mais ces ra- pides transports, dont les premiers modèles sont en construction dans les ateliers de M. Arman, ne répondront complétement au double but de leur institution qu’à la condition d’en confier le commandement à un cadre spécial d'officiers, voués d’une manière durable aux soins de ce service et pouvant faire leur avancement sur place, afin que le légitime espoir d’une récompense méritée entretienne parmi eux une salutaire ému- lation. Ce détachement du service militaire de la flotte, sujet à y être rappelé en tout temps, dressera, suivant un programme de la science, la carte des fonds sous-marins au point de vue de la production des espèces comesti- bles. IT déterminera les régions où se rassemblent les troupeaux de grande taille, les cantonnements où ces troupeaux établissent leurs lits de ponte, et préparera les voies à une rationnelle mais sobre réglementation, qui, sens entraver l’industrie, contribuera à lenrichir. I y aura alors une di- rection et une responsabilité qu’en l’état actuel des choses on ne rencontre nulle part, à cause de la déplorable mobilité des commandements. Le Chamois, que Votre Majesté a bien voulu mettre à ma disposition, fera, dans cet ensemble, l'office de garde général. Il portera à chacun ses instructions pratiques, s’assurera, par des inspections réitérées, si les opé- rations sont bien conduites, et mettra la main à l'œuvre quand il y aura urgence. Les services exceptionnels qu'il a déjà rendus me font un devoir d'appeler l'attention de l'Empereur sur les mérites de son infatigable com- anandant. Jose donc exprimer le vœu que Votre Majesté daigne élever au grade d'officier de la Légion d'honneur M. le capitaine de frégate Isidore Le Roy, qui est depuis dix-sept ans chevalier de l’ordre. Je considère aussi comme un devoir de signaler à la bienveillance de M. le ministre de la marine les services rendus par M. Tayeau et le docteur APPENDICE. 291 Kemmerer dans Pile de Ré; par M. Filleau et le lieutenant de vaisseau Blandin dans le bassin d'Arcachon ; par M. Levicaire et le lieutenant de vaisseau Bidault dans la baie de Saint-Brieuc. Les récompenses, Sire, quand il s’agit d’une œuvre nouvelle, ne sont pas seulement un acte de justice envers les artisans de son triomphe. Elles deviennent le signe visible du prix qu’attachent au succès de l’entreprise ceux qui ont mission de faire qu'en ce monde livraie n'étoufle pas le bon grain. Tel est, Sire, dans son expression la plus générale, le plan d'organisa- tion des pêches que j'ai honneur de soumettre à la haute appréciation de Votre Majesté. Si elle souhaite que j'entre plus avant dans le détail des applications, je lui demanderai de m'adjoindre un capitaine de vaisseau et un fonctionnaire de la marine, dont les connaissances spéciales me seront nécessaires pour compléter ce travail. Je suis, avec un profond respect, Sire, De Votre Majesté, Le très-humble et très-fidèle serviteur, COSTE, Membre de l'Institut. \ RÉNTEr CAL ; : . _—— s dUtaadf. sels) 45 eat Hit 8 sh afimelninenres: isa} 4 ES CET | RE TN PTT OT | safe het AT: | vaut of auf} MAIN 5 -uge : h ! a LT CE Gin diiéer ie dd L DSL AL ! LORS TO Die CO | longs à 72 : Î ‘ Fitèr eg y! 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Pour montrer dans leur ensemble, avec leur forme générale, leur dis- position, et aussi distinctement que possible sur une aussi petite échelle, les parties principales qui composent ce système , les proportions ont dû être sacrifiées : ainsi les digues artificielles (a) qui circonserivent ou di- visent les bassins; les nombreux canaux (b) dans lesquels sont établis les labyrinthes ?; le canal Palotta, le port de Magnavacca , auxquels tous ces canaux aboutissent et qui portent dans la lagune les eaux de l'Adriatique, ont ici, non en longueur mais en largeur, des dimensions exagérées re- lativement à celles que l'on a conservées à la lagune en général et aux divers bassins qui la divisent. Le Reno et le Volano, qui entrent dans le jeu de cet immense appareil de pêche, en ce que leurs eaux mises en communication, à l'époque de la montée, avec celle des bassins contri- buent pour leur bonne part à lensemencement de la lagune, y sont également très-grandis, ainsi que les canaux qui en partent et les doubles écluses (e) établies sur ces canaux. j C’est aussi pour mettre mieux en relief le rôle des eaux dans ce vaste appareil, que lon a eu recours à l'emploi de couleurs conventionnelles. Le bleu clair est affecté, soit aux eaux saumâtres des bassins, soit aux eaux pluviales qui s’écoulent dans la lagune par de nombreux fossés d’as- séchement , soit à celles des deux rivières limitrophes, le Reno et le Vo- lano; le bleu verdâtre indique les eaux salées qui de Adriatique pé- nètrent dans la lagune en passant par les divers canaux où sont établis les labyrinthes. Tout ce qui est terre ferme, digue artificielle ou ilots, est coloré en bistre : les chemins et les sentiers le sont en jaune pâle. ! Voir la page 59, sur laquelle un de ces labyrinthes est figuré. vaces Port Magna als 2 ” TABLE DES MATIÈRES. Dénicace. Inrronnenonide talpronieretédiont 2e... 0M 1. 164 puce. INDUSTRIE DE LAN DAGENE DE UOMAGCHLO. ee eu eat ele o + ce + ARE RENTAL ES de SA AU E tant - + 1 IDE cupionndetaslanme terre CRE CC HE Contattde férmape ee 2 Enunf ol dote : 4 INAGouvemementidedatapune REP EPP ETS ET Bersade d'exploration hentai er. 9 Quartiers généraux dela lagune..:...:.1.41:...... ENOde RUE DONC Re RE EC Es 0e Brigade administrative et manufacturière... .......... CNEnsemencementidedaslaqunes te REP CC VmRéclie de dañlagnnes tante x oem 7e Organisation des labyrinthes. : .…. ................... Ouverture desypéches RM... use 2 tanenes. Mortalité dupoisson: 24 - pe «2 amp sure mis see ne VIE. Manufacture pour la préparation du poisson... ........ Première méthode de conservation... ............... Cuisson et salaison acétique..................... Les CREME reine Mo ep Anpuiles asie broches. "mm stt Open. Survellance des broches. 2-2. mec. Mestoirneaut eee Cle Me cb une Barillage et salaison acétique.. .............. Le caprione et la gélatina.. ..................... Deuxième méthode de conservation, . ................ Saltison> Simple... Jamo maatrr ele donpe ne = Troisième méthode de préparation. ................. Dessiccation.. . . . .. Re ere re MA ral ve SAIAO]A ne - mate dl Cl ce. ee 296 TABLE DES MATIÈRES. RÉSUMÉS eee Te LC PR ne ne Cortes COTE 40 po dobocodras se Eee Vente du poisson frais............. Re InpusrriE pu Lac Fusaro, bancs artificiels d’huîtres.. ............... INDUSTRIE DE MARENNES, Quttres vertes... INDUSTRIE DE L’ANSE DE L'AIGUILLON, bouchots.. . ................... APPENDICE A LA DEUXIÈME ÉDITION. 1. DocumMENTSs RELATIFS AUX PÈCHES MARINES. Rapport à S. M. l'Empereur sur l'état des huitrières du littoral de la France et sur la nécessité de leur repeuplement. ... Rapport à S. M. l'Empereur sur le résultat des expériences de latbale detsamtibrieuc. PRRPR CR ERP PRES Rapport à S. Exe. le Ministre de la marine sur le repeuple- ment dubassin dATCACRONE EE PP EN E E PE ET EEE Appareils propres à recueillir le naissain des huîtres... .... Plancher -collecteurseet 8 ie HO EEE Morcoliecteur- eee à AE LE is PA Rucher collecteur à châssis mobiles... ............... Pavés collecteurs... .. PE MP EMPIRE Da Rapport à S. M. l'Empereur sur les modifications à introduire dans l’économie et l'administration des pêches marines... Rapport à S. Exe. le Ministre de la marine sur la reproduc- lion des crustacés, au point de vue de la réglementation JESpECRES PRE PP EEE CEE EES SUPMNRRETIE A IT. DocumENTs RELATIFS AUX PÊCHES FLUVIALES. Rapport à S. M. l'Empereur sur l'organisation de la pêche fluviale enErance ru ER NOR Me Rapport sur les résultats de la campagne d'automne et d'hiver 1857-1858 considérés, soit séparément, soit comparative- ment à ceux des campagnes antérieures correspondantes. . Précis de pisciculture artificielle" MERE EEE Nature: des CAR AMErRENRS EME RAMRENE CR ne : Époque de latreproduchon APE PE PEEEEEE TETE Signes caractéristiques de la maturité des œufs et de Ja lditances Ar RARE ER Lee IERMATE Re Re Procédés de fécondation arüficielle.. ................ 201 2:49) ib. 231 TABLE DES MATIÈRES. 297 Pages Frayères-arfificielles.. .. :...:...........1........ 23/1 Ineubation artificielle et appareils qu’elle nécessite... .. 23) Soins à donner aux œufs durant leur développement... .. 238 Modifications que subit l'œuf après la ponte et la fécon- ODA CE ee ce eeisieeie sc ete 239 Manipulations et transport des œufs fécondés.. . ........ ho Durée de incubatiOon eee ner cu 49 Soins à donner aux jeunes poissons après la naissance, et moyens de les transporter... ................:... ib. IV. De la pêche du saumon en NÉ RER Nr PETER 245 Faits relatifs aux habitudes du saumon............... 250 Bscaliers et échelles a/SaumMOnS.. 254 V. De la pêche du saumon en Irlande.................... 267 IT. Rapport à Sa Majesté l'Empereur sur l'organisation des pêches ma- rines au point de vue de l'accroissement de la force navale de la Brance RER ice En RER EE US DT EE Re ns 281 Explication du plan théorique de la lagune de Comacchio.. .... 293 FIN. 38 de a RE, ne DIET Mine Te CPP ET L LI QUIL Il a ui É o 1 z É DE = ao 2 z & z le] F1 Z È 2 ao | 3 9088 00077 3762