pv of /9 4, | M heun MUSEUM | NATURAL HISTORY |: THE ROLF SINGER MYCOLOGICAL LIBRARY THE GIFT OF Trustee and Mrs. John Runnells 1991 in. La L X * | Ne { EE { N & \ 4 Se \ ; \ C1 LT * Éd f “ A ï D { \ 1 NX: } ÿ # : À x Sù J 9 ' r Rd || RP ZA TS ) ; \, ñ D TN per D RE & / 1 A] RL ET rt he vel le Su LA | < \ ee \ Sn RTS | à ES 2 " £ LÉ A : K NS DES : L D. ER / Et 4 | PRE > À me" À * » f Ad fé “ < À a \ " « L 1104 PRIT 7 | fé: te. | 4\ TE at \ PL GT Ÿ À ui y « LA A a # 1# M VOYAGE PITTORESQUE EN AFRIQUE. TT S ———— PARIS. — IMPRIMERIE D'AMÉDÉE GRATIOT ET Ce, RUE DE LA MONNAIE, N. f1, + Digitized by the Internet Archive in 2011 with funding from The Field Museum's Africa Council http://www.archive.org/details/voyagepittoresquO2eyri LS VOYAGE PITTORESQUE EN AFRIQUE. CHAPITRE I. Égypte. Le voyageur qui sort de l’Asie par l’isthme de Suez ne pénètre en Afrique qu’en traversant des déserts. Le fort d’'El-Arich, près de l'embouchure d’un torrent, dans la Méditerranée, est regardé comme appartenant à l'Egypte; il est sur l’em- placement de Rhinocorure ; les Français l’occu- pèrent presque jusqu’au moment où ils évacuè- rent cette contrée ; des puits, quelques cabanes, des palmiers, des jardins l’entourent. Au-delà de cette oasis, on ne rencontre plus que des sa- bles. Ce désert fait partie de celui d'El-Tib, qui commence en Syrie, que M. Callier a parcouru par une route nouvelle, et qui se prolonge jus- qu’en Egypte. En avancçant le long de la Méditerranée , vers l'O., on voit une plaine couverte d’une épaisse croûte saline blanche, et assez forte pour ne pas rompre sous les pas des animaux ; ensuite, on a à sa gauche des dunes de sable mouvant, à sa droite un golfe qui remplace l’ancien lac Sirbonis, puis des marécages, des étangs, des ruisseaux d’eau salée; ils sont assez profonds pour qu’en les passant les chevaux aient quel- quefois de l’eau jusqu’au ventre. + Iusensiblement les palmiers se montrent et deviennent nombreux; on atteint Tineh , près des ruines de Péluse, Cette ville était a l'extrémité orientale du lac de T'anis, aujourd’hui le lac de Menzaleh, qui n’est séparé de la Méditerranée que par une langue de terre très-étroite, et in- terrompue sur toute sa longueur, de 86,000 mètres seulement, par trois ouvertures corres- pondantes aux bouches pélusiaque, tanitique et mendésieune du Nil; deux fausses bouches sont encombrées par les plantes marines. L’eau du lac est douce pendant l’inondation du Nil; elle devient salée à mesure que le fleuve rentre dans son lit. Ce lac renferme plusieurs îles où on voit des ruines anciennes; très-peu sont habi- tées; il est très-poissonneux, et sa pêche est af- ÂFRe. fermée par le pacha. La surface du Menzaleh est peuplée d’une grande diversité d’oiseaux aquatiques, et ses rives sont bordées de villages, de sorte qu’il offre sans cesse un spectacle très. animé ; il communique par plusieurs canaux avec le bras oriental du fleuve; la moderne Damiette se présente en demi-cercle sur la rive droite de ce bras, à deux lieues et demie de son embou- chure. « Des maisons élevées, élégamment bä- ues, disent MM. Cadalvene et Breuvery, et cou- vertes de terrasses que surmontent des belvc- dères ouverts aux vents frais du N.; des barques nombreuses sillonnant les eaux du Nil; une po- pulation industrieuse qui se presse sur les quais ; des champs de riz toujours verts; des jardins brillans de végétation où croissent jêle - mêle l’oranger, le dattier et le sycomore ; un ciel dont aucun nuage n’altère la pureté, et sous lequel cependant la chaleur ne s’élève presque jamais plus haut que dans le midi de la France : voila le spectacle enchanteur que présentent Damiette et ses environs au voyageur qui arrive à la mer. » Le charme cesse dès qu’on pénètre dans la ville; dès que l’on parcourt ses rues étroites et tortueuses , occupées par des troupes immondes de chiens errans; dès que l’on se trouve au mi- lieu de ses maisons de terre et de paille qui me- nacent ruine; dès que l’on retrouve enfin une bourgade turque avec son hideux ensemble de misère et de dégradation. » Le commerce de riz, qui se fait presque ex- clusivement à Damiette, a conservé à cette viile une certaine importance. Les relations suivies avec la Syrie, qui lui envoie en échange ses tabacs, la maintiennent dans un état voisin de l’aisance. Sa population ne s’élève cependant pas beaucoup au-dela de 20,000 ames. L’air qu’on respire à Damiette est beaucoup plus sain qu’on ne pourrait l’espérer en voyant les riziè- res qui l’entourent à plusieurs lieues; et cette ville est de toute PEgypte l’endroit où l’on jouit de la plus douce température. » Une lieue plus bas, le village de Leshé est 9 VOYAGE EN AFRIQUE. sur l'emplacement de Pantique Damiette sarra- sine, justement célèbre par l’acharnement avec lequel les croisés la disputèrent aux musulmans. = Insensiblement le fleuve s’élargit ; le naviga- teur n’apercoit plus à ia fois les deux rives cou- vertes de villages et de palmiers. Le sable que le Nil charrie en grande quantité est retenu à son embouchure par le mouvement des flots de la mer, et y forme une barre dangereuse sur laquelle beaucoup de navires se perdent chaque année pendant la mauvaise saison. Une seule passe étroite, tracée par le courant au milieu des sables, permet aux barques ou aux bâtimens légers de remonter le fleuve; mais ce n’est que par un beau temps et avec beaucoup de circon- spection qu’on ose s’engager dans ce passage dangereux nommé { Boghaz; il forme l’issue de Ja bouche phatnitique. La côte est partout extrêmement basse, ce qui la rend très-périlleuse; en la suivant, vers lO., on rencontre le cap Bourlos, le plus sep- tentrional de l'Egypte, et à égale distance des deux principales embouchures du Nil; un peu au S. O., on trouve l’issue du lac de Bourlos, grande nappe d’eau, dont la partie S. O. est occupée par d’immenses marécages, et qui n’est navigable que dans sa partie septentrionale. Il recoit de nombreux canaux du Nil. Le passage par lequel il communique avec la mer est l’an- cienne bouche Sebennytique. Un fort est bâti sur ce point. La côte court à l'O. S. O. vers la bouche Bolbitinique, qui sé termine comme celle de Da- mielte par un boghaz, et à 2 lieues de la mer, on trouve, sur la rive gauche du bras oriental du Nil, Rachid ou Rosette, ville qui a beaucoup perdu de son importance. D’après le témoignage des voyageurs cités précédemment, « on y compte maintenant peu d’Européens ; la popu- lation indigène a elle-même considérablement . diminué, et s’élève à peine aujourd’hui à 12,000 ames. Avec les avantages commerciaux ont dis- paru cette gaieté et cette opulence qui donnaient à Rosette une physionomie plus animée que ne l'est ordinairement celle des villes égyptiennes. Ses environs n’ont cependant pas encore perdu l'aspect riant qui semble l'apanage du Delta ; ses jardins surtout sont remarquables, si toute- fois quelques kiosques, entourés de berceaux ou ombragés de bouquets de bananiers et d’acacias suffisent pour faire donner le nom de jardins à de vastes vergers arrosés par de pelits ruisseaux, et où croissent pêle-mêle et presque sans culture les arbres fruitiers de l'Europe et ceux de l’A- frique. » À peu de distance de Rosette est le 7'éié d’Abou-Mandour, situé dans la position la plus pittoresque et sur une petite éminence où la vue s'étend jusqu’à la mer. Ce couvent est habité par quelques derviches chargés d’entretenir une superbe fontaine , fondation pieuse d’un musul- man. Elle mérite à son généreux auteur d’autant plus de reconnaissance, que l’eau est fort mau- vaise à Rosette. » En continuant à suivre la côte vers le S. O., on parvient à la bouche Canopique ; aujourd’hui ce n’est qu’un petit canal qui fait communiquer la mer avec le lac de Madieh, lequel aboutit à VE. par un marécage au lac d’Edkou, qui com- munique avec le lac de Deraït. Le lac de Madieh est séparé par une langue de terre étroite de la rade d’Aboukir, devenue trop célèbre par le désastre de la flotte francaise en 1798; mais, l’année suivante, l’armée de terre vainquit sur la plage voisine les troupes nombreuses des mu- sulmans. La bourgade d’Aboukir, défendue par un château, est voisine de l’ancienne Canope. Après avoir traversé une plaine sablonneuse, on rencontre les faubourgs d'Alexandrie. Mais écoutons ceux qui arrivent par mer dans cette ville célèbre ; voici comme s’exprime madame la baronne de Minutoli : « Alexandrie, avec ses décombres et ses mai: sons grisâtres et à toits plats, ressemble de loin à une ville dévastée par l’ennemi. Tout rappelle ici la marche des siècles, et la nature, comme pour seconder de son côté Pimpression grave qu’on éprouve au souvenir de tant de grandeur passée, n’offre à l’œil attristé du voyageur que les sables du désert. À gauche de la ville s’étend le désert qui conduit à Rosette ; à droite le grand désert de Barca. A l’exception de quelques pal- miers solitaires qui s’élancent tristement dans les airs et qui ressemblent de loin à des colonnes isolées, on n’apercoit sur cette côte aucun vestige de végétation. Voilà Pétat actuel de cette terre qui a subi tant de révolutions, de ce berceau des lumières si fameux par son culte, ses arts, ses philosophes, les voyageurs illustres qui abordèrent sur ce rivage, les conquérans qui vinrent l’envahir.… » L’impression que j'éprouvai en traversant pour la première fois les rues d’Alexandrie se. rait difficile à décrire. Quel mouvement, quel tumulte dans ces rues étroites, continuellement embarrassées par une quantité innombrable de chameaux, de mules et de baudets : les cris de leurs conducteurs, avertissant sans cesse les passans de prendre garde a leurs pieds nus; les vociferations et les grimaces des jougleurs; le k ZT (r TN ON ni Il 2 4 /Z LC Zen l'yve rudes 2e EGYPTÉ, 3 costume brillant des fonctionnaires turcs; la draperie pittoresque des Bédouins , leur longue barbe, et la figure grave et régulière des Arabes; la nudité de quelques santons, autour desquels la foule se presse; la multitude d’esclaves nè- gres ; Les hurlemens des femmes pleureuses, ac- compagnant un convoi funèbre en s’arrachant les cheveux et se frappant la poitrine, à côté du bruyant cortége d’une noce; les chants des muezzims, appelant du haut des minarets à la prière; enfin, le tableau déchirant de malheu- reux mourant de faim et de misère, et les trou- peaux de chiens sauvages qui vous poursuivent et vous harcèlent, tout cela, dis-je, arrête à tout moment les pas et fixe l'attention du voÿa- geur étonné. » On appelle Okels, à Alexandrie, les édifices connus en Turquie sous le nom de Xhans et ail- leurs caravanseraï. Ce sont ordinairement des bâtimens à quatre faces autour d’une cour car- rée, sur laquelle règne à chaque étage un rang de galerie. « Des okels de construction récente, disent les deux voyageurs déjà cités, quelques mos- quées peu remarquables , l’arsenal et le palais du pacha sont les seuls monumens qu'offre la moderne Alexandrie; un château lourd et peu utile à la défense de la ville remplace le phare admirable dû au génie de Sostrate, et rien dans la ville actuelle n’indique même la place d’un édifice antique (Pr. I —1). » Au reste, il ne faut pas chercher dans l’A- lexandrie de Mohammed-Ali la moindre trace ni même l’emplacement de celle des Ptolémées, bâtie sur Pisthme qui joint l’île de Pharos au continent, el qui sépare les deux ports: la capi- tale maritime de l'Egypte, dont la population s'élève aujourd’hui à peine à 30,000 ames, oc- cupe un sol nouveau. » Un vaste espace, fermé de murs récemment reconstruits que protége un large fossé, et qui est défendu par quelques forts établis sans en- semble comme sans discernement, marque hors des limites de la ville actuelle la place qu’occupa celle des khalifes. Cette dernière était ellemême construite sur une partie des ruines de la cité d'Alexandre, dont les débris s'étendent bien au-delà. » Deux monumens, vainqueurs du temps, s’élèvent seuls au milieu des ruines de Pantique Alexandrie; c’est d’une part la colonne de Pom- pée, et de l’autre l’un des obélisques de granit rose connus sous le nom d’atguilles de Cléopâtre, près duquel le second obélisque git renversé dans la poussière. » À peu de distance de la ville antique s’étend le lact Mariout ( Maréolis). Ce lac, aujourd’hui presque entièrement desséché, n’a plus de com- munication avec la mer. Dans les rochers qui servent de base à l’étroite langue de terre com- prise entre le lac et la mer, sont creusées les fameuses catacombes. Quelques tombeaux sou- terrains, en partie habités par de pauvres fel- lahs, et où l’on arrive avec peine en se glissant à plat-ventre, voilà tout ce qui reste de cette nécropole, pieux et dernier asile que PEgypte consacrait toujours aux dépouilles mortelles de ses enfans. Piès de là, quelques excavations taillées dans un roc presque dévoré par la mer, et pompeusement décorés du nom de Bains de Cléopätre, rappellent le souvenir de cette reine fameuse en qui s’éteignit la race des Ptolémées. » Des constructions modernes isolées, des jardins, des tombeaux arabes occupent une partie de l’enceinte de la ville sarrasine... On apercoit cà et là une colonne de granit, un ri- che chapiteau, des vestiges de toutes sorte renversés ou enfouis, et de place en place l’ou- verture de vastes citernes, seuls restes encore utiles d’une ancienne maguificence. ‘» Quelques centaines de huttes en terre, basses et obscures, construites ou plutôi cachées parmi d'énormes amas de décombres, donnent asile à une population dont la misère nous sem- blait dépasser les limites du possible, peu ac- coutumés que nous élions encore au spectacle de la nouvelle civilisation égyptienne... » Des Nubiens, des nègres, esclaves pour la plupart, quelques Juifs, quelques Arméniens, forment, avec les Arabes, les Tures, les Coptes, les Franes et les Grecs, la population d’Alexan. drie , et complètent le tableau de ces races dif- férentes de religion, de mœurs, de costumes et de langage, qui, réunies par le lien du com- merce où comprimées par la force, habitent la même cité. » Bien que le Caire soit le centre du gouver- nement et la véritable capitale de l'Egypte, Alexandrie est au moins pendant huit mois la résidence du vice-roi. La marine et le commerce, ces deux grands leviers de sa puissance, concen- trés à Alexandrie, exigent de sa part la surveil- lance la plus active et la plusassidue. Les affaires administratives, dont le Caire est le siége, peu- vent souffrir quelque retard avec moins de dom- mage; d’ailleurs, le pacha peut y pourvoir plu- sieurs fois chaque jour, au moyen. de la ligne télégraphique établie entre ces deux villes. » En 1830, la marine du vice-roi se composait de 7 vaisseaux de ligne, 6 frégates, 4 corvettes, 4 VOYAGE EN AFRIQUE, 7 bricks, 2 bateaux à vapeur, 23 navires de transport. Il y avait alors sur les chantiers 3 vaisseaux de ligne, une corvette , un cutter. On pouvait évaluer à 12,000 le nombre des marins embarqués à bord de la flotte , dont plu- sieurs bâtimens sont toujours occupés à louvoyer hors du port, pour exercer les équipages. Des que les hommes destinés à la marine sont arrivés àaAlexandrie,onleur graveune ancresur ledosde lamain, afinde pouvoir les reconnaitre en cas de désertion , puis on les embarque pour les former aux manœuvres des voiles et de l'artillerie, dont ils s’acquittent en peu de temps avec beaucoup d'adresse et de précision. L'armée de terre du pacha était, en 1830 ,de 101,000 hommesenrégimentés; outre cessoldats de toutes armes et disciplinés, Mohammed-Ali entretient à son service des troupes irrégulières d'infanterie et de cavalerie, composées d’Alba- nais et de Candiotes; il a de plus abandonné à plusieurs tribus de Bédouins des terres voisines du Nil, pour lesquelles ils ne paient aucune redevance, sous la condition imposée à chaque cheikh de fournir, à la première réquisition , un nombre déterminé d'hommes montés et équipés auxquels une somme annuelle est allouée dès ce moment. « Alexandrie étant la seule place maritime de l'Egypte, c’est là qu'on transporte nécessaire- ment la presque totalité des denrées que le vice: roi livre au commerce. Une administration su- périeure veille à l’exécution des marchés passés avec les négocians européens. La direction de cette administration , dans un pays où le souve- rain s’est réservé le monopole commercial , est confiée au ministre du commerce et des relations extérieures. On peut évaluer , année commune, l'importation en Egypte à 52 millions de francs, et son exportation à 60 millions. » Le port vieux est à l’O. ; le port neuf à l'E. de Visthme sur lequel est bâtie l’Alexandrie mo- derne; ce dernier est un mouillage exposé à tous les vents, et dont le fond est de mauvaise tenue; autrefois le premier était exclusivement réservé aux navires musulmans; Mohammed-Ali en a ou- vert l'accès à ceux de toutes les nations en 1813. Jadis le canal de Cléopâtreunissait le port vieux d'Alexandrie au Nil; mais, par une suite de la négligence des Turcs, il n’était plus d’aucun usage. Mohammed-Ali l’a fait creuser denouveau et la nommé Mahmoudié, d’après le grand-sul- tan. Il a 15 lieues de longueur ; 150,000 fellahs des deux sexes y ont travaillé pendant dix-huit mois , graltant la terre avec leurs mains et por- tent les déblais dans des couffes, Plus de 20,000, moissonnés par Ja faim, la fatigue ou les maladies, . perdirent la vie pendant le cours des travaux ; les berges recouvrent leurs ossemens. Par mal- heur, le Mahmoudié ne procure pas les avan- tages qu’on en avait espérés ; il n’est navigable qu’au moment des plus hautes eaux, et pour des barques d’un assez faible tonnage ; il aboutit à Fouah, au-dessus de Roselte, mais le limon charrié par les eaux du Nil en obstrue tous les ans l'embouchure. Pour obvier à cet inconvé- nient, on a récemment fermé cette issue par un massif de maconnerie, dans lequel on a seule- ment ménagé quelques ouvertures par où on laisse arriver l’eau quand on le juge convenable, et elle est constamment maintenue dans le canal à un niveau assez haut pour que la navigation ne soit jamais interrompue. De grandes roues hydrauliques , établies près du barrage , élèvent à cet effet la quantité d’eau nécessaire, quand la baisse du fleuve rend cette opération indispen- sable. L'avantage de la position de Fouah sur la rive droite du Nil, a déterminé le vice-roi à y établir une filature de coton et une fabrique de /ess, ou calottes de laine, à l’imitation de celles de Tunis. : En remontant le bras occidental du Nil, on voit, près de la rive gauche, Ramanieh, sur le bord du Mahmoudièh, petite ville importante par sa position; plus loin à l’O., près d’un canal, Damanhour ( Hermopolis parva), remarquable par les plantations de coton qui l'entourent; à la droite du fleuve, Kourat ( Naucralis ), floris- sante, sous les Pharaons, par son port, le seul du royaume qui fût ouvert aux étrangers; Sas-el- Hadjar, village près des ruines de Sais, jadis capitale du Delta, célèbre par la culture des sciences , par sa fameuse fête des lampes, par ses édifices magnifiques. Les restes imposans des circonvallations gigantesques de ses trois nécro- poles, que Champollion a visités, sont tout ce qui subsiste de cette grande cité. Mehallet El- Kebir (ÆAoïs), sur le canal Melig , assez grande ville, importante par son industrie. Tantah, presqu’au milieu du Delta, a une belle mosquée; le tombeau de Seyd-Ahmed-el-Bedaouy, y attire trois fois par an un nombreux concours de pé- lerins, ce qui donne lieu à trois foires considé- rables, notamment au mois d'avril; Menouf, sur un canal de son nom, est dans un territoire extrêmement fertile. Portons-nousmaintenantsur le brasoccidental du Nil : noustrouverons, à gauche, Samannoud (Sebennytes ), « couronnée de hauts minarets. Je n’ai point vu, ajoute Savary, de position plus EGYPTE. # agréable que celle-ci; le ciel, la terre, les eaux, les ombrages, la verdure, les fleurs, l'aspect des hameaux et des villes, tout y est rassemblé pour le plaisir des yeux. » Samannoud est de médiocre grandeur, peuplée et commercante ; c’est le port de Tantah. Au N., près du lac Bourlos, Koum-Zalat, méchante bourgade, mar- que l'emplacement de Butis, remarquable par l'immense sanctuaire monolithe de son temple de Buto (Lalone) et par son oracle. Bhabeit, également au N., mais à peu de distance, à les ruines imposantes de la ville d’Isis; les figures qui couvrent ses monumens sont admirablement sculptées. Abousir correspond à Busiris, re- nommée par le grand temple et la fête solennelle d’Isis. Sur la rive droite, Mansourah est dans un canton qui passe pour le plus fertile et l’un des mieux cultivés de l'Egypte; M. Michaux y a encore vu le bâtiment où Saint-Louis fut détenu après la bataille qu’il perdit contre les Sarrasins. On voit à Mansourah de vastes fours où l’on fait éclore les poulets. Du temps de Niebuhr, les habitansd’Athribavaientla réputationde voleurs déterminés. Le nom de ce village rappelle Athribis, dont ses chaumières couvrent les ruines. Un peu au-dessous d’Athrib est un large canal qui coule vers la partie orientale du lac de Menzalèh. Une autre dérivation du Nil, qui commençait au-dessus de la pointe du Delta, venait s’y réunir et ils formaient ensemble la branche pélusiaque. Sur ce dernier canal, on trouve Matarieh, petit village où l’on voitencore les ruines du fameux temple du Soleil, des dé- bris de Sphinx et un superbe obélisque ; ces monumens appartenaient à On ou Heliopolis, une des villes les plus considérables de l’ancienne Egypte. Plus bas, Oxion était remarquable par un magnifique temple des juifs, construit sur le modèle de celui de Jérusalem. Belbeïs, à la jonction de plusieurs canaux , fut fortifiée par les Francais, en 1798. Pietro-della-Valle y vit'des restes d’antiquités. Tell-Bastah, chétif village, remplace Bubaste, ville dont les ruines sont nombreuses. On y adorait Bubaslis( Diane), qui était représentée sous la figure d’une chatte. Hérodote a décrit d’une manière pittoresque le culte qu’on rendait à cette déesse; ces cérémo- nies se répètent, dans l'Egypte moderne, aux fêtes et aux réunions des habitans. Sur le même canal, Hehidèh est une petite ville moderne, florissante par son industrie. Phacusa ( Facous) est située à un point où le canal se partage. Sailegèh correspond à Tacasyris. Au-dessous de Mansourah , un canal coule au N.E., vers Akhmoun ( Mendes ); il est large et profond, et aboutit au lac de Menzaléh, près de la ville de ce nom, qui est peu importante. Tanis (Zan), qui donnait son nom à une branche du Nil, fut la résidence de deux dynasties de rois d'Egypte; on y trouve des débris d’obélisques et de temples. Tmay-el-Emid ( Thmuis ), au S. d’Akhmoun, offre encore un beau sanctuaire monolithe en granit posé sur une base de même matière, et orné d'hiéroglyphes. Présentons maintenant l'extrait des observa. tions de Volney sur le Delta et sur l'aspect gé- néral de l'Egypte. + « Alexandrie, par sa position hors du Delta et par la nature de son sol, appartient au désert d’Afrique : ses environs sont une campagne de sable plate, stérile, sans arbres, où l’on ne trouve que la plante qui donne la soude et une ligne de palmiers, qui suit la trace des eaux du Nil par le Kalidj. » Ce n’est qu’à Rosette que l’on entre vrai- ment en Egypte; là on quitte les sables blan- châtres, qui sont lattribut de la plage, pour entrer sur un terreau noir, gras et léger, qui fait le caractère distinctif de l'Egypte; alors aussi, pour la première fois, on voit les eaux du Nil si fameux ; son lit est encaissé dans deux rives à pic. Les bois de palmiers qui le bordent, les vergers que ses eaux arrosent, les limoniers, les orangers, les bananiers, les pêchers et d’autres arbres donnent , par leur verdure perpétuelle, un agrément à Rosette, qui tire surtout son il- lusion d’Alexandrie et de la mer que l’on quitte. Ce que l’on rencontre de là au Gaire est encore propre à la fortifier. » Dans ce voyage, qui se fait en remontant le fleuve, on commence à prendre une idée géné- rale du sol, du climat et des productions de ce pays célèbre. On voit quelques bois clairs de palmiers et de sycomores, et quelques villages de terre sur des élévations factices. Tout ce ter- rain est d’un niveau si égal et si bas , que, lors- qu’on arrive par mer, on n’est pas à trois lieues de la côte au moment où l’on découvre à l’ho- rizon les palmiers et le sable qui les supporte ; delà, en remontant lefleuve, on s’élève par une pente si douce, qu’elle ne fait pas parcourir à l’eau plus d’une lieue à l'heure. Quant au tableau de la campagne , il varie peu; ce sont toujours des palmiers isolés ou réunis, plus rares à me- sure que l’on avance; des villages bâtis en terre et d’un aspect ruiné; une plaine sans borne qui, selon les saisons, est une mer d’eau douce, un marais fangeux, un tapis de verdure ou un champ de poussière ; de toutes parts un horizon 6 VOYAGE EN AFRIQUE. lointain et vaporeux ; enfin, vers la jonction des deux bras du fleuve , l’on commence à décou- vrir, dans l’'E., les montagnes du Caire, et, dans le S., tirant vers l'O, trois masses isolées que l’on reconnait à leur formé pour les pyra- mides ( PL. I — fig. 2 ). De ce moment, lou entre dans une vallée qui remonte, au inidi, entre deux chaînes de hauteur parallèle. Celle d'Orient, qui s’étend jusqu'a la mer Rouge, mérite le nom de montagne par son élévation brusque, et celui de désert par son aspect nu et sauvage; mais celle du couchant n’est qu'une crête de rochers couverts de sable, que lon a bien définie en l’appelant digue ou chaussée na- turelle. Pour se peindre en deux mots l'Egypte, que l’on se représente d’un côté une mer étroite et des rochers ; de l’autre, d'immenses plaines de sable ; et au milieu, un fleuve coulant dans une vallée longue de 150 lieues, large de 307, lequel, parvenu à 30 lieues de la mer, se divise en deux branches, dont les rameaux s’égarent sur un terrain libre d'obstacles et presque sans pente. « Partout où l’on creuse, en Egypte, on trouve de l’eau saumâitre , contenant du natron, du sel marin et un peu de nitre. Lors même qu’on inonde les jardins pour les arroser, on voit, après l’évaporation et l'absorption de l'eau , le sol effleuri à la surface de la terre, et ce sol, comme tout le continent de l'Afrique et de l'Arabie, semble être de sel ou le former. » Au milieu de ces minéraux de diverses na- ture ( le calcaire coquiller , le granit rouge, la serpentine ), au milieu de ce sable fin et rou- geâtre propre à l’Afrique, la terre de la vallée du Nil se présente avec des attributs qui en font uneclassedistincte.Sa couleur noirâtre, sa qualité argileuse et liante, tout annonce son origine étrangère, et, en effet, c’est le fleuve qui l’ap- porte du sein de l’Abissinie ; l’on dirait que la nature s’est plu à former par art une île habi- table dans une contrée à qui elle avait tout ré- fusé. Sans ce limon gras et léger, jamais l'Egypte n’eût rien produit ; lui seul semble contenir les germes de la végétation et de la fécondité, en- core ne les doit-il qu’au fleuve qui les dépose. » MM. Cadalvène et Breuvery, allant de Da- mielte au Caire, s'étaient embarqués sur un daadie , grande barque pontée qui porte deux voiles latines. Ecoutons leur récit : « Notre bar- que, qui voguait paisiblement, nous permettait d'admirer ces belles plaines du Delta, où la nature étale une végétation si puissante, si va- la canne à sucre et une foule de plantes pota- gères croissent à l’envi de tous côtés. Le saule a chevelure peudante, losier aux branches flexibles, naissent au bord des eaux ; le dattier, le gommier , le jujubier, loranger, le banamier, l'acacia, cent arbres divers, s’elèvent dans la campagne, où de grands sycomures déploient aussi leur magnifique ombrage... L'éducation des vers à soie n’a pas été négligée; on peut évaluer à trois millions le nombre de pieds de mûriers plantés en Egypte... À mesure que nous avancions, les dattiers devenaient plus nom- breux et leur culture était plus soignée... Notre reïs ( capitaine) s’élant arrêté à Kelioub, sa pa- trie, nous parcourûmes celte ville, où sont établis des fabriques et des filätures, et où un marché de bestiaux attire chaque semaine une affluence nombreuse. Nous fimes une longue promenade dans ces rues étroites et enterrées, comme celles de toutes les villes d'Egypte, au milieu de monceaux d’ordures et dedécombres… Nous nous rembarquâmes ; le vent reprit avec force vers le soir, et nous arrivâmes en peu d'heures au sommet du Delda, appelé par les Arabes Balhn-el-Baghar (ventre de la vache). Le fleuve est en cet endroit d’une largeur éton- pante; son aspect magnifique et une foule de barques qui se croisent dans tous les sens , ajou- tent encore à la beauté du spectacle. » Les plus belles choses trop répétées finissent par enunuyer. « Les rives du Nil, dit madame de Minutoli, offrent peu de variété ; les villages, les mosquées, les tümbeaux des santons étant tous construils à peu près de la même manière, ce paradis de l'Egypte me parut d’une uniformité fatigante. Si quelque chose me surprit, ce fut la force et lPagilité de nos bateliers ; allant contre le courant, qui, en beaucoup d’endroits, est extrémement rapide, et souvent avec un vent contraire, je vis une vingtaine de ces mal- “heureux se précipiter à la nage pour tirer la barque , arriver sur le rivage, continuer des demi-journées ce travail terrible, exposés à un soleil brûlant, et obligés, par l'inégalité du terrain et des eaux, de nager et de courir tour. a-tour. Leurs forces me parurent plus qu’hu- maines, et je crois qu’on ne voit qu’en Egypte des mariniers aussi infatigables. C’est encore une des meilleures classes du peuple. On débarque à Boulac, qui est le port du Carré pour toutes les barques qui arrivent du Delta. Il y existe une imprimerie où le pacha fait publier plusieurs livres arabes, tures et per- riée. Le blé, lorge, le doura , le millet ,le maïs, | sans, qui passent pour être assez corrects. le chanvre; lelin, le coton, le carthame, l'indigo, | De Boulac, on se dirige vers la capitale que Le . | | EE nn = likA En pret CNT, EN AFRIQUE j F st of ne . Eur Be | EGYPTE. 7 les Arabes nomment £/-Masr, et qui n’est éloi- gnée des bords du Nil que d’un quart de lieue environ, À peu de distance de Boulac, on aperçoit les greniers d’abondance , nommés vul- gairement greniers de Joseph. On traverse en entraut dans la ville la place de PElzbékièh, la plus remarquable du Caire, qui offre une étendue à peu près égale à celle de l’intérieur du Champ- de-Mars de Paris; elle est entièrement inondée lorsque le Nil arrive à son plus haut point: et dans les années de grandes crues, des barques légères sillonnent ce vaste bassin, où quelques mois plus tard les promeneurs vont prendre le frais sous d’antiques sycomores. Aujourd’hui la population du Caire s’élève encore à 330,000 ames. On peut évaluer à 10,000 le nombre des Coptes. Aux traits de leur visage, et à la couleur jaunâtre de leur peau , il est difficile de ne pas reconnaitre le caractère de figure des anciens Egyptiens que nous trouvons représentés sur les monumens. Le Caire, ville moderne, recut de Saladin un accroissement prodigieux et des embellissemens de tous genres. Grâce à la tolérance religieuse, plus grande aujourd’hui en Egypte que dans aucune autre contrée de l'Orient, les Européens peuvent visiter toutes les mosquées : les plus remarquables sont celles du sultan Hassan (PL.{— 4), et celle d'El Ahsar ( des fleurs ). La hardiesse des coupoles , l'élégance des minarets ornés d’un double rang de galeries, du haut desquelles les muezzims appellent les vrais croyans à la prière , font de ces monumens deux des plus gracieux modèles de l'architecture arabe. La vieille enceinte de la ville est fermée de murailles, plus ou moins hautes et solides, flan- quées de tours rondes et carrées et percées de portes dont plusieurs sont aussi garnies de tours et de tourelles propres à la défense, on peut dire que quelques-unes sont d’une belle architecture (P£. 1—3 ). La citadelle, devenue si fameuse par le mas- sacre des mamelouks, s'élève sur un rocher sé- paré du Mokattan par une vallée ; elle domine la ville, mais elle est elle-même dominée par la montagne. Le palais du pacha en occupe au- jourd’hui la partie la plus considérable. Près de là, une mosquée ornée des magnifiques colonnes de granit rose qui décorèrent le Divan de Saladin, va s'élever sur les débris de cette salle fameuse, et le puits de Joseph rappellera seul désormais, dausla citadelle du Caire, le nom de son fondateur. Joseph était le prénom de Sala- din, Une fonderie de canon , une fabrique d'armes et de machines, une imprimerie et l’hôtel des monnaies, sont renfermés dans cette citadelle. Les rues du Caire sont extrêmement étroites et tortueuses : on se croirait dans un vrai laby- rinthe quand on les parcourt; elles sont encom- brées d’immondices et défendues des rayons du soleil par des lambeaux de nattes suspendus entre les maisons, et fermées par un double rang de palais, de mosquées, de maisons, quelquefois de belle apparence, mais irrégulières et entre- mélées à chaque pas de masures et de mines. Sous un climat aussi brûlant que celui de l'Egypte , dit madame Minutoli, ces rues offrent l’agrément de maintenir pendant une partie de la journée l’ombre et la fraicheur. Champollion, enlevé si prématurément à la science, partage ce sentiment. « On a dit beau- coup de mal du Caire : pour moi je m’y trouve fort bien, et ces rues, de 8 à 10 pieds de lar- geur, si décriées me paraissent fort bien cal- culées pour éviter les trop grandes chaleurs. Sans être pavées, elles sont d’une propreté fort remarquable. » Le pacha a fait bâtir un château de plaisance au village de Choubra, et a fondé à Abou-Zabel une école de médecine et de chirurgie et un hôpital. D’énormes buttes de décombres obstruaient depuis longtemps la route du Caire à Masr- Fostat, Babylone, appelé par les Européens le Vieux-Caire; elles ont été nivelées et de belles plantations couvrent ce terrain. Vis-à-vis de cette ville s’étend l’île de Raoudah , à l'extrémité méridionale de laquelle on voit les restes du fort de Nedjim-Eddin, renfermant le mekias ou nilomètre, aujourd’hui presque abandonné et dans l’état de déläbrement le plus complet. La coupole quile surmontait s’est écroulée, et il ne reste plus debout que la colonne isolée au milieu d’un bassin carré, dans lequel l’eau du Nil est amenée par des canaux souterrains ; « nous essayämes en vain, ajoutent MM. Cadalvène et Breuvery, de distinguer quelques divisions ré- gulières au milieu des milles mesures confuses dont cette colonne est couverte, et l'habitude seule peut donner les moyens de s’y recon- naître, aux crieurs chargés de proclamer chaque jour les progrès de la crue du fleuve. Au surplus, la mauvaise foi apportée par le gouvernement dans ces proclamations, rend à peu près inutile l’usage du mekias, dont on ne constate exac- tement les indications que dans les années où la crue s’élève au niveau le plus favorable à la production. L’année est bonne quand le fleuve $ VOYAGE EN AFRIQUE. monte au Caire à 24 pieds au-dessus du niveau des plus basses eaux ; elle est mauvaise, sil reste au-dessous de 21, ou s’il s’élève-au-dessus de 27. Sur la rive gauche du Nil, en face de l'ile de Raoudah, s'élève Gizeh, petite ville où abordent les voyageurs qui vont visiter les pyramides. A près deux heures de marche au S. S. O., on traverse avec assez de peine un terrain maré- cageux; une demi-lieue après, on atteint la limite des champs cultivés et le pied de la chaine des rochers calcaires sur laquelle les pyramides sont assises. Plusieurs excavations sépulcrales sont creusées dans le flanc de ces rochers et forment des salles dans lesquelles on peut passer la nuit. Autrefois, il était nécessaire de se faire accom- pagner d’une escorte nombreuse, afin de ne pas être exposé aux déprédations des Bédouins, quand on allait aux pyramides ; tandis que, sous le gouvernement de Mohammed-Ali, on jouit de ce plaisir en parfaite sécurité. «Ces merveilles, dit Champollion, ont besoin d’être étudiées de près pour être bien appréciées; elles semblent diminuer de hauteur à mesure qu’on en approche, et ce n’est qu’en touchant les blocs de pierre dont elles sont formées, qu’on a une idée juste de leur masse et de leur im- mensité. ». | Madame Minutoli partage cette manière de voir. « En apercevant de loin ces monumens, ils ne nous parurent pas d’une grandeur co- lossale, et ce n’est qu'après nous en être tout-à- fait approchés, que nous pûmes juger de l’im- mensité de leurs dimensions, par les objets de comparaison qui se trouvaient à notre portée. Un étonnement silencieux, voisin de leffroi , saisit l’ame à la vue de cet amas gigantesque de pierres qui paraît être posé là au milieu de ce désert par enchantement. Quand on considère combien de milliers de bras ont travaillé à élever ces édifices et combien de connaissances les anciens devaient posséder dans l’emploi des moyens mécaniques , non seulement pour par- venir a transporter ces énormes blocs de pierres, mais encore pour réussir à les élever à cette hauteur , on reste frappé d’étonnement à la vue d’une semblable entreprise, et l’on fait des ré- flexions pénibles sur linutilité de la plupart des travaux des hommes. « J'entrai dans la plus grande des pyramides : celle de Cheops. Le chemin voûté et tortueux qui conduit dans l’intérieur de ce monument est très -pénible à parcourir; dans plusieurs endroits, on est obligé de se coucher par terre et de se glisser de cette manière par une ouverture Ur èss étroite; dans d’autres, les degrés sont s1 élevés, que, sans l’aide de deux Arabes qui me sou- tenaient et me portaient, pour ainsi dire, je n'aurais jamais pu parvenir à les escalader. Malgré mon déguisement , ces bonnes gens avaient sans doute deviné mon sexe, car ils avaient pour moi beaucoup d’attentions, me rassurant et me prevenant sans cesse des pas- sages dangereux qu’il fallait traverser ; d’autres Arabes nous précédaient avec des flambeaux ; Pobscurité de cette voûte souterraine , les sin- guliers effets de lumière qui se produisaient sur la figure rembrunie, et expressive de mes con- ducteurs, les cris des oiseaux de nuit et des chauves-souris auxquels ces lieux sombres et solitaires servent de refuge, et l'atmosphère suffocante que nous respirions me faisaient croire par instant que j'étais le jouet de quel- que songe, dans lequel je voyais se dérouler devant moi les scènes de la lampe enchantée d’Aladin. Nous arrivämes pourtant dans la grande pièce de l’intérieur de la pyramide, et je n’y trouvai qu’une espèce de sarcophage, qu’on suppose être le tombeau d’un des Pharaons… J'avoue que j'éprouvai, en sortant, un mou- vement de joie bien vif, quand je revis au- dessus de ma tête la voûte azurée et la clarté du jour. Me sentant trop épuisée, il me fut impossible de gravir au sommet de la py- ramide. » MM. Cadalvène et Breuvery, arrivés le soir au pied de ce monument gigantesque , passèrent la nuit dans les grottes voisines. « Le lendemain, avant que le jour commencat à poindre, nous étions au pied de la grande pyramide, et nous franchissions, sans trop de difficultés , les 203 degrés inégaux que l’on compte de la base au sommet, autrefois plus élevé de quelques pieds. Arrivés avant l’aurore sur le plateau formé par l'enlèvement des assises supérieures, nous pü- mes jouir à notre aise du magnifique spectacle qu'offre, au lever du soleil, l’immense pano- rama que l’œil embrasse de toutes parts. A nos pieds, autour des masses énormes des pyramides, gisaient confondus pêle-mêle les débris des tem- ples et des sépultures de l’antique Égypte, bor- nés vers le S. par les immenses catacombes et par les pyramides lointaines de Sakkara. » Du sommet du plus gigantesque des monu- mens qu’ait élevés la main des hommes, nous embrassions d’un même coup-d’œil les vastes solitudes du désert , et cette fertile vallée de l’E- gypte, si justement nommée le rendez-vous de toutes les gloires du monde. x Nous planions sur la métropole des Arabes EGYPTE. | 9 et sur les débris de celle des Pharaons , sur les champs de bataille illustrés par César et par Bonaparte; sur le fleuve où se sont désaltérés tour à tour les soldats de Sésostris et d’Alexan- dre , de Cambyse et de Saladin. » Presque entièrement dépourvue de son re- vêtement, la grande pyramide est accessible de toutes parts, et les gradins que forment sesassises offrent une espèce d’escalier, sinon commode, du moins suffisant pour permettre de la gravir sans danger. La descente, sans être très-pé- rilleuse, exige cependant des précautions dont quelques accidens récens sont encore venus prouver la nécessité. En 1532, un voyageur an- glais fut brisé en roulant du haut de la pyramide. » Des monticules, mélange des débris du re- vêtement et de sables accumulés par les siècles, occupent le pied de chacune des faces de la pyramide. C’est au sommet de celui du nord qu’est située l’entrée du monument, à 40 pieds environ au-dessus de sa base. | » Parmi les nombreuses pyramides élevées sur le plateau qui domine la pleine de Gizeh, les trois principales, séparées l’une de l’autre par un espace d’environ 500 pas, méritent seules de fixer l’attention par leurs dimensions colossales. La seconde, nommée Chéphren, presque aussi grande que la première, n’offre au-dehors au- cune différence avec elle ; et bien que sa dispo- silion intérieure ne soit pas entièrement la même, on reconnaît qu’un même but a présidé à sa dis- tribution, celui de soustraire à jamais aux re- cherches les salles que renferme le monument. Ce sont, comme dans la grande pyramide, des couloirs rapides et étroits, des rampes raides et ascendantes , enfin des galeries horizontales, construites pour la plupart en larges blocs de granit poli, qui conduisent à une grande salle, dite la chambre du rot, où se trouve un sarco- phage de granit sans ornement et dont le cou- vercle a été brisé. » L'entrée de la deuxième pyramide était de- meurée inconnue quand , en 1818, Belzoni réussit à la découvrir après des fouilles dirigées avec la sagacité qui caractérise les travaux de cet homme remarquable. » Cependant, lorsqu'il ‘pénétra pour la pre- mière fois dans l’intérieur, il y trouva une in- scriplion qui lui apprit que cet asile de la mort avait déja été violé du temps des khalifes, comme l’indiquaient assez d’ailleurs les spoliations exer- cées dans ces sombres demeures et l’état de mu- tilation du sarcophage, dans lequel il ne trouva que des ossemens de bœuf. Le revêtement de l'édifice est encore aujourd’hui presque intact ÂTR, dans sa partie supérieure et y forme un glacis inaccessible ; cependant un soldat eut le courage de la gravir sous les yeux du général Bonaparte, à l’aide de sa baïonnette , et fut assez heureux pour descendre sans accident. » La troisième pyramide, nommée /ycerinus, semblable aux précédentes par la forme, leur est inférieure de beaucoup sous le rapport des di- mensions, mais elle a sur elles l'avantage d’un revêtement de granit rose. Une large tranchée verticale a été pratiquée sur le milieu de la face N. par ordre d’un bey des mamelouks qui voulut tenter d'y pénétrer ; mais ses efforts sont de- meurés infructueux. » Non loin delà, s'élève du milieu des sables qui l’ont peu à peu enseveli jusqu'aux épaules, un sphinx gigantesque, taillé dans le roc même de la montagne. Malgré son état de mutilation et ses proportions colossales , il conserve encore, grâce à leur admirable précision , une expression douce et gracieuse. Des fouilles assez considé- rables, qui furent exécutées il y a quelques an- nées autour de la base de ce sphinx, mirent à découvert la partie antérieure du colosse et ses pattes de devant. À côté, sont un petit temple d’Osiris, enterré maintenant à 40 pieds de pro P P fondeur, et plusieurs autels. La hauteur totale, de la base au sommet de la tête, est de 65 pieds. Il est à l'E. du Chéphren. Autour des grandes pyramides, on en voit une centaine d’autres de moindre dimension qui achèvent de s’écrouler. La construction de celles ci, dont quelques-unes seraient remarquables partout ailleurs, paraît remonter à des époques très-différentes. Deux ou trois d’entre elles con- tiennent des salles décorées d’hiéroglyphes d’une exécution remarquable. Les débris d’un grand, temple, situé à l'E. et ‘au pied de la seconde pyramide, plusieurs chaussées, et enfin nombre de grottes et de puits creusés dans le roc et d’où l’on a, à divers temps, tirés des restes précieux d’antiquités, complètent le groupe des monumens de Gizeh. Le 22 juillet 1798, vingt jours après son dé- barquement en Égypte, l’armée francaise rem- porta, dans la plaine comprise entre les pyra- mides et le Nil, une victoire signalée sur l’armée des mamelouks. Au S. de Gizeh, commence l'emplacement que couvrait Memphis, capitale de l'Égypte à l’époque où elle fut envahie par les Perses. Hé- rodote put encore admirer et décrivit plusieurs monumens de cette cité. Aujourd’hui on n’y voit plus que des ruines éparses entre les villagesde Bedréchein , MivRahineh et Memf. Un im- 2 10 VOYAGE EN AFRIQUE, mense bois de dattiers couvre la terre. « Passé le village de Bedréchein, qui est à un quart d’heure dans les ierres, dit Champollion , on s’apercoit qu’on foule le sol antique d’une grande cité, aux blocs de granit dispersés dans la plaine, et à ceux qui déchirent le terrain et se font encore jour à travers les sables qui ne tarderont pas à les recouvrir pour jamais. Entre ce village et celui de MitRahineh, s'élèvent deux longues collines parallèles qui n’ont paru être les ébou- lemens d’une enceinte immense, construite en briques crues comme celle de Saïs et renfermant jadis les principaux édifices sacrés de Mem- phis. » Champollion vit dans l’intérieur de cette en- ceinte un grand colosse récemment exhumé, et qui, bien qu’une partie des jambes fut dis- parue , n’avait pas moins de 34 pieds et demi de long ; sa physionomie suffisait pour le faire re- connaître comme une statue de Sésostris. À Sakkarah, Champollion visita la plaine des momies, la nécropole de Memphis, parsemée de pyramides et de tombeaux violés, qui ont été recomblés après avoir été pillés. « Ce désert est affreux , ajoute le savant voyageur ; il est formé par une suite de petits monticules de sable, produits des fouilles et des bouleverse- mens, le tout parsemé d’ossemens humains, débris des vieilles générations. Deux tombeaux seuls ont attiré notre attention, et m’ont dé- dommagé du triste aspect de ce champ de déso- lation. J'ai trouvé dans l’un d’eux une série d’oiseaux sculptés sur les parois et accompagnés de leurs noms en hiéroglyphes ; cinq espèces de gazelles avec leurs noms, et enfin quelques scènes domestiques, telles que l’action de traire le lait, deux cuisiniers exercant jeur art. » Les pyramides de Sakkarah sont en briques ou en pierre et les plus hautes après celles de Gizeh ; on a découvert d’immenses galeries sous la plus grande, et des chambres couvertes d’hié- roglyphes en relief ou seulement tracés en noir. On voit aussi des pyramides au village de Dah- hour et d’Abousir, et près de celui-ci de vastes catacombes entièrement remplies de mo- mies d’oiseaux. On a reconnu que tous les monumens de Memphis avaient été construits en pierres tirées des carrières de beau calcaire blanc de la mon- tagne de Thorah, située sur la rive droite du Nil, en face de cette antique capitale. Cham- pollion visila une à une toutes les cavernes, dont le penchant de cette montagne est criblé, etilconstata, par la lecture de plusieurs inscrip- tions tracées en caractères hiéroglyphiques, que \ ces carrières avaient été exploitées à toutes les époques. Ici finit le Bahrié ou la Basse -Egypte. Maintenant remontons le Nil, chaque rive nous offrira des lieux remarquables. Athey (Aphroditopols), à droite, est une petite ville, vis-à-vis de laquelle, sur la rive opposée, on voit des pyramides. Un peu plus bas, on trouve les embouchures du canal qui, au temps du débordement, apporte au fleuve les eaux du Birket-el-Keroun, jadis le lac Mawris, creusé dit-on par un Pharaon pour recevoir l’excédent de l’inondation. Ce lac est à la partie méridionale du Fayoum, fertile plateau, dont la capitale est Medinet-el-Fayoum { Crocodilopolis ou Arsinoë). Des pyramides, des grottes sépulcrales, un obélisque , un temple, ornent encore ce canton, où était situé le Labyrinthe, magnifique édifice dont il ne subsiste plus de traces. Beny-Soueyf, sur la même rive, est commer- cante, industrieuse et très-peuplée. Behnesé (Oxyrinchus) n’est plus qu’un misérable vil- lage ; jadis cette ville fut fameuse par le culte qu’elle rendait au poisson de son nom, et, plus tard , par l’excessive dévotion de ses habitans; le nombre des moines et des religieuses y sur- passait celui des laïques, et tous les temples anciens y avalentété convertis en églises ou en couvens. Minyèh a des manufactures de coton qui font usage de machines à l’européenne, et on y fabrique des Dardacs, ou vases à conser- ver l’eau très-fraîche. Le village de Beni-Hassan , à droite, est voi- sin de grottes que divers voyageurs, et notam- ment Champollion, ont visitées ; ce dernier y trouva une étonnante série de peintures, toutes relatives à la vie civile, aux arts, aux métiers et à la caste militaire de l’ancienne Egypte. Celles de l’un de ces hypogées sont d’une finesse et d’une beauté de dessin fort remarquables ; on peut les comparer à des gouaches très-bien faites. L'entrée de ces grottes offre des colonnes semblables à celles des plus anciens temples grecs. A l’époque de la campagne des Francais, on voyait encore à Cheikh-Abadé les belles ruines d’Antinoe ; un éboulement de la berge du Nil en a fait disparaître une partie; le reste a été dé- truit. À Akhmounein, en face, à l'O., le magnifique portique d’Aermopolis magna atüirait naguère l'admiration par sa double rangée de colonnes d’une dimension colossale ; il a été démoli pour construire une nitrière. Champollion découvrit dans une montagne déserte de la montagne Arabique, vis-à-vis de 4 : d | ei EE = L * + : P 4 PL p . | . … . oO ñ ha LE 8 # à l € | = 5 } 0 « > L | 11 E î à ; r a à F M ’ H L LL En L = L. : À Û AE | : # ù r : 5 Û rt ï 4 ” Û x o [l . * CE ra à “ é dr , : à û J z " û ï . c { + FF EUR OC: ’ ' z : 4 ’ $ “ L @ CA L A L Un ; à a | DESTIN A | | | LA EU Sugar “ j Desis cn ET AN : h | | L Ete RPRPNES tin Po Ne M 3 APRES : E En 4 SORTE T / C D 1 / / AR Cerrihle Le _L'enaern/i ? 107 AS Y / LelEs ec} (lelsque.s 2 ét OT JL Cuuriet de 1h LC. € c Le) TFET INR y e Le Poully de EGYPTE. {1 Beni-Hassan-el-Aamar, un petit temple creusé dans le roc et orné de beaux bas-reliefs coloriés; il répond à la position nommée par les Grecs Speos-Artemidos { grotte de Diane), et est en- touré par divers hypogées de chats sacrés ; de- vant le temple, sous le sable, est un grand banc de momies de chats, pliés dans des nattes et entremêlés de quelques chiens. & Manfalout, à l’O., perd chaque année de son importance, paree que le Nil, en changeant de place, a miné le sol élevé et friable sur lequel reposaient ses maisons de terre, dont plus d’un tiers a été enlevé par l’inondation de 1829. Manfalout est la ville la plus méridionale de l’Ouestanièk (Heptanomide ou Egypte-Moyenne). Plus loin, on entre dans le Saïd ( Thébaïde ou Haute-Egypte). Un peu au-dessus, et de l’autre côté du fleuve, la grotte de Samoun, peu connue des habitans eux-mêmes, a été visitée par M. Pari- set et MM. Cadalvène et Breuvery : elle est d’une étendue prodigieuse ; toutconcourt à faire penser qu’elle a été le foyer d’un vaste incendie. On se traine sur des amas d’ossemens calcinés ; les pa- rois sont revêtues d’une couche épaisse de suie grasse, et on respire une odeur de fumée mêlée à celle que répandent des myriades de chauves- souris. C’est à cet incendie qu’on doit de pou- voir pénétrer aujourd’hui dans ces vastes cata- combes , etil en faudrait un nouveau pour qu’on put aller plus avant; car, après un quart-d’heure de marche , on voit succéder aux ossemens ré- duits en cendres , des restes de momies d’abord à demi-conservées, puis mieux conservées à mesure qu’on avance davantage. Les momieshu- maines et celles des crocodiles forment la presque totalité de celles qu’on rencontre à Samoun ; on y en trouve cependant quelques autres, ainsi que des ossemens de divers animaux et des ver- tèbres de squales. Syout ( Zycopolis ), à l'O. , est la capitale du Saïd et la ville la plus importante de l'Egypte, après le Caire ou Alexandrie. Elle offre, de loin, un aspect gracieux et varié; ses environs sont occupés par de nombreux jardins, et la campagne y est admirable de fertilité. « Des rues, plus larges et plus propres que celles des villes de l'Egypte, des places publiques, des bazars, une fabrique de coton, le palais du gouverneur, etsurtout deux superbes mosquées, ornent l’intérieur de Syout; un bain public, d’une beauté remarquable, s’élève au milieu de la ville. Le commerce a beaucoup diminué depuis que le monopole exercé par le vice-roi a détruit les avantages que trouvaient à venir en Egypte les caravanes du Darfour, qui y arrivaient plusieurs fois l’année, et qui maintenant se dirigent le plus souvent vers les États barbaresques; cependant cette ville a encore conservé quelques relations avec les contrées du S. , et surtout avec le Kor- dofal etle Sennäar, provinces soumises au vice- roi ; aussi le marché des esclaves y est assez im- portant. Les habitans chrétiens ou musulmans de Syout se livrent presque tous à des profes- sions industrielles, et on peut évaluer sa popu- lation à plus de 20,000 ames. La nécropole an- tique, ajoutent MM. Cadalvène et Breuvery, occupe un vaste développement sur le champ de la chaîne Libyque; et, parmi ses hypogées, celui qui se distinguait surtout par la régularité de son travail et la prodigieuse quantité d’hiéro- glyphes dont il était orné, se trouvait, quand nous le visitämes, rempli d'ouvriers qui, sans respect pour les magnifiques peintures dont ses parois étaient revêtues, les expioitaient en guise de carrière. » Favorisés par une bonne brise du N. , nous passâmes rapidement devant Aboutig ( Abous ), Kaout-el-Käbir ( Antæopolis) et Cheikh-el-Aridi ( Passalon). De vieilies fondations, des hypo- gées dégradés, quelques colonnes ou des frag- mens de granit épars sur le sable, voilà tout ce qui atteste aujourd’hui l’existence de ces anti- ques cités ; car là aussi la destruction a fait des progrès rapides, et aujourd’hui on navigue sur l'emplacement qu’occupait le temple d’Antæo- polis, englouti depuis peu d'années par suite d’un changement de direction du fleuve. » El-Akhmin ( Panopolis), à droite, et Men- chyeh ( Ptolemaïs), à gauche, ne présentent plus que des amas de décombres ; les montagnes du voisinage sont, comme ailleurs, percées de grottes sépulcrales ornées de peintures. Un peu au-dessus de Ptolemaïs, Champollion apercut les premiers crocodiles ; ils étaient cou- chés sur un îlot de sable, et une foule d’oiseaux circulaient au milieu d’eux. On ne tarde pas à voir Djirgèh. Quoique singulièrement déchue, celte ville possède encore un vaste bazar, quel- ques maisons assez élégantes, et huit belles mosquées. Entourée de jardins, elle occupe, sur la rive gauche du Nil, un terrain assez élevé ; mais le fleuve, dont le cours, en cet endroit, se rapproche sans cesse de l'O. , a déjà, comme à Manfalout, entraîné le sol sur lequel reposaient les dernières maisons, et chaque inondation menace d’emporter à son {tour quelque nou- velle partie de la ville. À 4 lieues plus au S., mais à? lieues seulement des bords du Nil, sur un canal , Madfounièh ou la ville enterrée ( A4bydos ), s’élève au pied de la 12 VOYAGE EN AFRIQUE. chaîne Libyque , sur un canal; elle était détruite dès le temps de Strabon. Un palais magnifique et un temple y sont enterrés dans les sables ; la dimension des blocs employés dans la construc- tion du palais est vraiment extraordinaire. Les fouilles exécutées dans les catacombes ont pro- duit une multitude d’objets de toute matière, appartenant à tous les usages de la vie publique et privée, civile et religieuse de l'Egypte, dontse sont enrichies les collections de l’Europe. Quant aux édifices et à leurs débris, comme ils sont en pierre calcaire, ils alimentent sans cesse le four à chaux établi près du village. MM. Cadalvene et Breuvery s’arrêtèrent à Samhoud pour visiter le champ de bataille où Desaix remporta limportante victoire qui le rendit maître de toute la Haute-Egypte. Plus au S., ils dépassèrent Farchout, célèbre par ses melons, les meilleurs de l'Egypte. Un canal la- téral, dérivé du Nil, commence à Farchout , et suit constamment le pied de la chaîne Libyque, en communiquant de temps en temps, par des canaux transversaux, avec le fleuve auquel il ne se réunit qu’au-dessus de Terraneh, près de l'issue de celui du Fayoum. Ce canal, encore utile aujourd’hui, serait de la plus haute impor- tance pour l’agriculture de l'Egypte si, dans plusieurs endroits, 1l n’était tellement comblé qu’on a peine à en reconnaitre la place. Kasr Essayad ( Chenoboscion) a quelques dé- bris d’un quai antique. De grands espaces couverts de décombres et de fragmens de poterie attestent que Hou eut jadis une certaine impor- tance. À peu de distance, d’autres monceaux de décombres signalent Pemplacement de Dios- polis parva. Il y a quelques années, on y décou- vrit un petit temple enseveli dans les sables jusqu’au - dessus des combles, et près duquel s’ouvrait la bouche d’un puits conduisant à de vastes catacombes. À mesure qu’on s'éloigne de Djirgèh, on rencontre en plus grand nombre les palmiers doum, dont la tige fourchue contraste agréable. ment avec les flèches élancées des dattiers ; quelques acacias aux fleurs jaunes et odorantes se mêlent à ces groupes et varient un peu l’as- pect du paysage en formant d’élégans bouquets de verdure. « Les murs blanchis d’une fabrique de coton, ajoutent MM. Cadalvene et Breuvery, et les pointes des minarets qui se dessinent au-dessus des grands arbres signalent de loin Keneh (C«- nopolis où Neapolis). Cette ville, la plus impor- tante du Saïd, après Syout, est bâtie avec quelque pendant la saison des basses eaux, située à une assez grande distance du fleuve auprès duquel elle fut originairement bâtie. Mais le Nil prend chaque année son cours plus à l'O. de Keneh ; le bras qui en était voisin s’obstrue davantage à chaque crue, et reste maintenant à sec pendant la plus grande partie de l’année. » Devenu, par sa position à l’entrée de lune des vallées qui du Nil s’étendent vers la mer Rouge, l’entrepôt du commerce entre le Caire et Djidda, Keneh est également le point de ré- union des pèlerins et des marchands maugrébins ou de Barbarie, qui vont à la Mekke par la voie de Kosseïr. Keneh est célèbre en Egypte par sa fabrique de bardacs ou goulés , faits d’une belle argile poreuse, non cuite et seulement séchée au soleil. Ils ont, quand on les expose à un cou- rant d'air, la propriété de rafraichir prompte- ment l’eau qu’ils contiennent, et dont ils laissent suinter une partie. Ceux de Keneh sont préférés aux autres par l'élégance et la variété de leurs formes , qui rappelle celle des vases que l’on voit représentés sur les monumens. On fait aussi à Keneh des jarres qui sont également expédiées en grande quantité au Caire. On tie ensemble, la bouche en bas, un nombre considérable de ces jarres, maintenues par quelques bâtons, et on en forme d'immenses radeaux, souvent de plusieurs rangées d’épaisseur. » Un peu au-dessus de Keneh , sur la rive op- posée du Nil, et au milieu d’une plaine immense aujourd’hui presque inculte, s’élèvent les buttes de décombres qui signalent l'emplacement de Denderah (Tentyris), dont les ruines offrent encore aux voyageurs l’un des temples les plus remarquables et surtout les mieux conservés de PEgypte { PL. II — 1). » Champollion dit que c’est un chef-d'œuvre d'architecture, couvert de sculptures de détail du plus mauvais style. C’est du plafond de l’une des salles supérieures que l’on a tiré le planisphère qui, apporté en 1821 à Paris, a suscité de longues controverses entre les savans. Le petit bourg &e Denderah est re- nommé par ses fabriques de chapelets en noyaux de doum peints en rouge, dont il se fait un bon commerce avec le Kordofal et l’intérieur de l'A. frique. Aujoard’hui, on cherche en vain dans les environs les restes des nombreux couvens qu'y fonda saint Pacôme , et dont le premier fut celui de Tabenne, sur le bord du Nil. Keft (Coptos), à 6 lieues au S. de Keneh, est comme cette ville bâtie à l'entrée d’une vallée qui s’étend à VE. dans le désert. Sous le règne des Ptolémées, elle était l’entrepôt du commerce élégance, et possède de vastes bazars. Elle est, | qui se faisait avec l'Inde par le port de Bérénice, EGYPTE, 13 qui est entièrement ruiné et désert, et où l’on voit encore des débris à moitié enfouis dans les sables. Aujourd’hui, les caravanes de Keneh et de Keft vont à Kosseïr, petit port beaucoup plus au N., et moins éloigné que Bérénice, Les ruines de Kous ( Apollinopolis parva ) pré- sentèrent à Champollion bien plus d’intérèt que celles de Keft, quoiqu’il n’existe de ses anciens édifices qu’un propylon à moitié enterré. En quittant Kous, on s’avance entre deux nappes de verdure qui couvrent les bords du fleuve, puis on aperçoit au-dessus des palmiers les masses énormes des monumens de Thèbes. Les Grecs nommèrent cette ville Drospolts magna ; elle s’étendait sur les deux rives du Nil. Les misérables villages de Louxor, Karnak, Med- Amoud à droite, Medinet-abou, Kournah et d’autres à gauche, sont bâtis sur le terrain oc- cupé par les ruines gigantesques de cette antique métropole, célèbre dès le temps d’Homère par ses cent palais. Ce ne serait pas trop d’un gros volume pour décrire convenablement ce qui subsiste encore de nos jours des monumens de cette ville, dont Paspect, malgré les dégradations qu'ils ont éprouvées depuis Cambyse, produit une impres- sion si vive sur tous les honimes qui les apercçoi- vent pour la première fois. Laissons parler De- non, qui marchait avec nos phalanges : « Ce sanctuaire abandonné, isolé par la barbarie, et rendu au désert sur lequel il avait été conquis; celte cité toujours enveloppée des voiles du mys- tère par lequel les colosses mêmes sont agran- dis; celte cité reléguée, que l’imagination n’en- trevoit plus qu’à travers l’obscurité des temps, était encore un fantôme si gigantesque pour notre imagination, que l’armée, à l’aspect de ses rui- nes éparses, s'arrêta d’elle-même, et par un mouvement spontané battit des mains, comme si l'occupation des restes de cette capitale eût été le but de ses glorieux travaux, eût complété Ja conquête de l'Egypte! Je fis un dessin de ce premier aspect, comme si jeusse pu craindre que Thèbes m’échanpât, et je trouvai dans le comp'aisant enthousiasme des soldats des ge- noux pour me servir de table, des corps pour me donner de l’ombre, le soleil éclairant de rayons trop ardens une scène que je voudrais peindre à mes lecteurs pour leur faire partager le sentiment que me firent éprouver la présence de si grands objets et le spectacle de l'émotion électrique d’une armée composée de soldats dont la délicate susceptibilité me rendait heureux d’être leur compagnon, heureux d’être Fran- çais : » La situation de cette ville est aussi belle qu’on peut se la figurer ; l'étendue de ses ruiries ne permet pas de douter qu’elle ne fut aussi vaste que la renommée l’a publié ; le diamètre de l'Egypte n’étant pas assez grand pour la contenir, ses monumens s’appuient sur les deux chaînes qui la bordent, et ses tombeaux occu- pent les vallées de l'O. jusque bien avant dans le désert. » Maintenant écoutons Champollion : « C’est dans la matinée du 20 novembre, que le vent, lassé de nous contrarier depuis deux jours et de nous fermer l’entrée du sanctuaire, me permit d'aborder enfin à Thèbes. Ce nom était déjà bien grand dans ma pensée; il est devenu co- lossal depuis que j’ai parcouru les ruines de la vieille capitale, l’aînée de toutes les villes du monde ; pendant quatre jours entiers j'ai couru de merveille en merveille, Le premier jour, je visitai le palais de Kournah, les colosses du Memnonium (PL. I — 3) et le prétendu tom- beau d’Osymandias, qui ne porte d’autres lé- gendes que celles de Rhamsès-le-Grand ( Sésos- ris) et de deux de ses descendans; le nom de ce palais est écrit sur toutes ses murailles. » Le second jour fut tout entier passé à Médi- net-abou, étonnante réunion d’édifices.. Le troisième jour, j'allai visiter les vieux rois de Thèbes dans.teurs tombes, ou plutôt dans leurs palais creusés au eiseau dans la montagne de Biban-el-Molouk ; là, du matin au soir, à la lueur des flambeaux, je me lassai à parcourir des en- filades d’appartemens couverts de sculptures et de peintures, pour la plupart d’une étonnante fraicheur. Je ne parle pas ici d’une foule de pe- tits temples et d’édifices épars au milieu de ces grandes choses... Le quatrième jour, je quittai la rive gauche du Nil pour visiter la par- tie orientale de Thèbes. Je vis d’abord Louxor, palais immense, précédé de deux obélisques de près de 80 pieds, d'un seul bloc de granit rose, d’un travail exquis, accompagné de quatre colosses de même matière et de 30 pieds de hauteur environ, car ils sont enfouis jusqu’à la poitrine (PL. II — 2). » J’allai enfin au palais ou plutôt à la ville de monumens, à Karnac. Là m’apparut toute la puissance pharaonique, tout ce que les hommes ont imaginé et exécuté de plus grand. Tout ce que j'avais vu à Thèbes, tout ce que j'avais ad- miré avec enthousiasme sur la rive gauche me parut misérable en comparaison des concep- tions gigantesques dont j'étais entouré. Je me garderai bien de vouloir rien décrire ; car ou mes expressions ne vaudraient que la millième 14 VOYAGE EN AFRIQUE. partie de ce qu’on doit dire en parlant de tels objets, ou bien, sij'en tracais une faible esquisse, même fort décolorée , on me prendrait pour un enthousiaste, peut-être même pour un fou. Il suffira d’ajouter qu'aucun peuple ancien ni mo- derne n’a concu l’art de l'architecture d’une manière aussi sublime, aussi large, aussi gran- diose que le firent les vieux Egyptiens ; ils con- cevaient en hommes de {00 pieds de haut, et l'imagination, qui, en Europe, s’élance bien au-dessus de nos portiques, s'arrête et tombe impuissante au pied des 140 colonnes de la salie hypostile de Karnac. » Dans ce palais merveilleux, j'ai contemplé les portraits de la plupart de ces vieux Pharaons connus par leurs grandes actions, et ce sont des portraits véritables; représentés cent fois dans les bas-reliefs des murs intérieurs et exté- rieurs, chacun conserve une physionomie pro- pre et qui n’a aucun rapport avec celle de ses prédécesseurs ou successeurs. Là, dans des ta- bleaux colossals, d’une sculpture véritablement grande et tout héroïque, plus parfaite qu’on ne peut le croire en Europe, on voit Mandoueï combattant les peuples ennemis de l'Egypte et rentrant en triomphateur dans sa patrie; plus loin, les campagnes de Rhamsès Sésostris ; ail- leurs Sesonchis traïnant aux pieds de la trinité thébaine (Ammoun, Mouth et Kous) les chefs de plus de 30 nations vaincues, parmi lesquelles j'ai reconnu, comme cela devait être, en toutes lettres, le royaume des Juifs ou de Juda. » Entendons encore un troisième témoin, ma- dame de Minutoli : « Nous arrivämes à Thèbes le 17 de janvier, à cette Thèbes dont l’antiquité remonte aux temps fabuleux de l’histoire, et dont les ruines imposantes et gigantesques at- testent encore la grandeur passée. Le portique du temple de Louxor frappe d’abord les regards du voyageur, mais d’autres avant moi ont décrit ces restes magnifiques ; aussi me contenterai-je de décrire ici l'impression que j'éprouvai à la vue des ruines de Karnac. C’était vers l’heure du coucher du soleil que nous approchâmes de ce temple, éloigné de Louxor d’une demi-lieue de chemin. Les avenues de sphinx qui y con- duisent, maintenant à moitié encombrées et mutilées, semblent inviter l’ame au recueille- ment, et paraissent vouloir la préparer à tous les mystères du culte antique et sacré qui fut célébré dans son enceinte; aussi, en apercevant cette forêt de colonnes, ces portiques imposans, ces obélisques encore debout, et ces pylones, que le temps et la fureur fanatique des conqué- rans de l'Egypte n’ont pu réussir à détruire, l’on reste frappé d’un étonnement muet, et Pi- magination s’entoure de toutes les illusions du passé. Montant alors quelques marches dégra- dées, je parvins à une espèce de plate-forme de laquelle je pouvais embrasser toute l’étendue du terrain occupé par le temple et les bätimens qui l’environnaient. Mais comment rendrai-je le spectacle vraiment imposant et sans doute unique qui se développa alors à mes yeux ré- créés encore par les teintes magiques du soleil couchant, dont les derniers feux, dardés sur des obélisques du plus beau granit rose, leur pré- taient les nuances du pourpre, d’une couleur vive et tranchante qui contrastait avec l’azur des cieux, formant le fond du tableau. Des om- bres prolongées se dessinaient à travers une innombrable quantité de colonnes qui s’éten- daient à perte de vue; ici une enfilade d’appar- temens indiquent la demeure somptueuse de ces rois puissans, à la voix desquels toutes ces merveilles s'étaient élevées ; là, mes veux s’ar- rêtaient sur un amas confus de décombres, de colosses mutilés et de colonnes brisées, qui ne permettent plus de se former une idée de l’en- semble de ce bel édifice, mais qui, dans leur état actuel de dégradation, offrent encore les traces de grandeur imposante imprimées à tou- tesles constructions de l’architecture égyptienne, et dont les dimensions extraordinaires semblent avoir été produites plutôt par la volonté toute- puissante d’un génie supérieur que par la volonté de l’homme, » Les ruines d’une jetée antique attestent que Louxor était autrefois, comme il l’est encore aujourd’hui, le port de Thèbes. Autour des rui- nes du palais ont été construites des maisons de boue surmontées de colombiers assez élevés, qui, au nombre de 200 environ, font le village de Louxor ; une fois par semaiue les habitans des villages voisins s’y réunissent pour échan- ger leurs marchandises. Devant les pylones du palais étaient placés, à côté de deux cerlosses à demi enfouis, deux magnifiques obélicques, de l’un desquels la France s’est enrichie en 1835. | Erment (//ermontis), à gauche du Nil, a un temple dont la construction ne remonte qu’au règne de Cléopatre : une partie des colonnes est demeurée imparfaite. Esné (Ses ou Za- topolis) a un temple qui, grâce à sa nouvelle destination de magasin de coton, échappera quelque temps encore à la destruction. « L’ar- chitecture en est assez belle, ajoute Champol- lion, mais les figures en sont détestables. Tout ce qui est visible à Esné est des temps moder- Un 7 ; , c Ne ZE AT. 172 ? AD CE PL preicr des. < Cértique A 2 Land LL re AC A 5 EN AFRIQUE. EGYPTE, 15 nes ; c’est un des monumens les plus récemment achevés. » Ce voyageur avait d’abord débarqué sur la rive droite pour voir le temple de Contra-lato. « Mais, dit-il, j'y arrivai trop tard, on l'avait démoli depuis une douzaine de jours pour ren- forcer le quai d’Esné, que le Nil menace et finira par emporter. » Le 29 au soir, nous étions à El-Kab ( Æ4e- thya), à VE. Je parcourus l'enceinte et les ruines la lanterne à la main, mais je ne trouvai plus rien; les restes des deux temples avaient dis- paru : on les a aussi démolis il y a peu de temps pour réparer le quai d’Esné ou quelque autre construction récente. Avais-je tort de me pres- ser de venir en Egypte? » Esné est le rendez-vous des caravanes du Dar- four et du Sennaar; il s’y tient un grand marché pour les chameaux; on y fabrique des châles nommés mntlaych et de la poterie. Edfou ( Apollinopolis magna), à lO., a un grand temple encore intact, dont la sculpture est très-mauvaise ; cet édifice et un autre sont à moitié enfouis dans le sable (PL. II — 4). Le grand temple domine toute la contrée, c’est pourquoi on l’appelle Æa/a {la citadelle). Le pérystile est un des plus grands de l'Egypte, mais les faces latérales et les entrées sont mas- quées etles toits sont couverts par les huttes des fellahs (PL. III — 1). Le sanctuaire est entouré d’un mur irès-élevé, sans doute afin de le sous- traire aux regards des profanes. L’extérieur , aussi bien que l’intérieur, est couvert d’hiéro- glyphes. De beaux escaliers pratiqués dans lin- térieur conduisent sur des plates-formes. On fa- brique à Edfou des bardacs de tres-belle forme. Les environs sont habités par des Ababdés. Près d’'El-Kalb s'ouvre à l'E. une vallée qui va du Nil à la mer Rouge et conduit à Bérénice. M. Cailliäaud la parcourut en 1816; il y décou- vrit les mines d’émeraudes dont les anciens avaient parlé; il rencontra aussi des routes qui croisaient celle qu’il suivait, et attestaient un travail prodisieux. Il vit des temples semblables à ceux de la vallée du Nil, et ornés de même de sculptures et de peintures. Plus tard, Belzoni a vu les mêmes choses et en a trouvé de nouvelles. Sans doute les voyageurs futurs feront aussi des découvertes. Les ruines des maisons de Bérénice et d’un temple marquent l’emplace- ment probable de cette place de commerce. » À peu de distance au S. d’Edfou, la vallée du Nil se resserre, et à Djebel-Selselé (mont de la chaîne) Silsilis, des roches de grès d’une très-gran de élévation viennent de chaque côte border le fleuve. Tous ces rochers sont percés de vastes carrières dont les plus étendues sont celles de la rive droite. On y distingue encore les routes anciennes qui les traversèrent, et qui sont sillonnées par les traces des roues des chars. Quelques-unes de ces excavations ont jusqu’à 600 pieds de long sur 300 de large et 80 d’élévation. « C’est de là sans doute, ajou- tent MM. Cadalvène et Breuvery, que sont sortis les matériaux des monumens d’Edfou, d’Esné et peut-être de Thèbes. La plupart de ces carrières ont ensuite été ornées d'inscriptions hiéroglyphiques. Les sculptures de ces carrières ne sont qu’a demi terminées; mais les arêtes sont tellement vives, les éclats tellement frais, qu’on dirait que l’artiste n’a quitté ses travaux qu’hier et qu’il doit les reprendre le lendemain, et cependant cet hier date de 2000 ans et ce lendemain ne doit venir jamais. » Plusieurs des bas-reliefs ont été jadis recou- verts de peintures; un sphinx n’est pas achevé; des blocs ne sont qu’à demi détachés. KoumOmbou (Ombos), misérable village à VE., a un temple d’une très-belle architecture et d’un grand effet; ce vaste édifice, dont les ruines ontun aspect imposant, est du temps des Ptolémées. Champollion a reconnu que les ma- tériaux d’un petit temple avaient appartenu à un monument plus ancien. » « Quand on approche d’Assouan (Syene), à PE., l'aspect du pays change entièrement; aux montagnes calcaires de l'Égypte succèdent des masses de granit, dont la couleur sombre donne au paysage une physionomie toute nouvelle. Mais , sous quelque forme que se présentent ces blocs granitiques, on est toujours sûr de les trouver empreints du sceau de la puissance égyptienne , soit qu’ils aient été exploités comme carrières, soit que, convertis eux-mêmes en monumens, ils présentent une surface couverte d'inscriptions hiéroglyphiques. » Assouan, ajoutent MM. Cadalvène et Breu- very, est une bourgade de terre qui mérite à peine aujourd’hui le nom de ville, et dans la- quelle végète misérable une population d’à peu- près 4,000 habitans, mélange confus de fel- lahs , d’Ababdés , de Barabras, d’Albanais et de toutes les races que la guerre y a conduites tour à tour. » L’Assouan actuel s'élève sur la pente peu rapide d’un côteau planté de dattiers. Ses maï- sons étagées, entremêlées de bosquets de ver- dure , présentent de loin un air d’aisance, lors- qu’on arrive par le fleuve; mais, quand on approche davantage , Celle trompeuse apparence 16 VOYAGE EN AFRIQUE. de prospérité disparaît pour laisser apercevoir dans toute leur réalité des masures qui achèvent de s’écrouler parmi d’énormes mouceaux de décombres, au S. de la ville. L’Assouan des Sarrasins couvre les flancs d’une colline élevée des restes de ses demeures en ruines, parmi lesquelles on remarque encore quelques traces de murs et de tours romaines. » Les catastrophes dont Syene fut le théâtre à diverses époques, n’ont presque rien laissé subsister des édifices qui la décoraient. Les restes d’un môle restauré plusieurs fois et ceux d’un petit temple enfoui , dédié aux dieux de la cataracte, sont avec les inscriptions hiérogly- phiques gravées sur les rochers, les seuls ves- tiges antiques qu’on ÿ rencontre aujourd’hui. » Un petit canal étroit, et qu’on peut passer à gué , dans la saison des basses eaux, sépare Assouan de Pile Eléphantine. Les monumens qu’on y admirait encore du temps de l’expédi- tion francaise ont disparu ; convertis en chaux, ils’ont servi à blanchir les casernes et les maga- sins construits avec leurs débris. On voit dans le S. des fragmens de murailles très-anciennes ; un escalier conduit de ce quai au nilomètre découvert par P.S. Girard, et confondu aujour- d’hui avec d’autres décombres. » Les différens noms donnés par les Arabes à Eléphantine signi- fient #/e des fleurs, dénomination qu’elle mérite par ses groupes de palmiers et d’autres arbres, ar ses jardins et par ses champs cultivés ; elle offre l’aspect d’un jardin aux voyageurs qui ar- rivent de la Nubie. 6 Au dessus d’Eléphantine, le Nil, resserré entre deux murailles de rochers granitiques, coule avec fracas sur un barrage naturel formé par des écueils et des îles; ce sont les fameuses cataractes beaucoup trop vantées par lesanciens, et nommées chellal dans le pays. La largeur du fleuve est là d’un quart de lieue, et sa pente de 7 à 8 pieds sur un longueur de 1800 pieds , par- tagée en trois chutes de 30 pieds chacune, et en plusieurs bras séparés par des rochers; les tourbillons qui existent au temps des basses eaux rendent la navigation très-pénible, sinon im- possible; dans les grandes eaux, au contraire, les chutes disparaissent entièrement et le Nil acquiert une telle extension, que les bâteaux et les marins nubiens avec leurs radeaux y passent, mais tion sans danger. Le rétrécissernent extrême de la vallée fait disparaître la culture de chaque côté; les îles même ne sont habitées que par de pauvres pê- cheurs. Mais un grand nombre d'inscriptions et d'hiéroglyphes taillés dans les blocs de granit, rappellent ici les temps de la plus haute anti- quité, où ces solitudes étaient sans doute visi- tées par de pieux pèlerins, comme le sont en- core aujourd’hui les sources du Gange. Une route tracée en ligne droite traverse par terre la chaine de rochers dont nous venons de parler, et où sont des carrières de granit jadis exploitées par les Égyptiens ; les voyageurs mo- dernes qui ont passé par là ont reconnu de toutes parts les traces des travaux anciens. Une seconde route, plus longue que la précé- dente, suit, à peu de distance, le cours du Nil. En une heure et demie de marche, on arrive au village d’'El-Chellal; bientôt on apercoit l’île de Philæ , la plus petite de celles qui se présentent ici à la vue. Elle sort du sein du fleuve brillante de verdure et de fraicheur, couverte de pal- miers et de temples. « Rien, ajoutent MM. Ca- dalvène et Breuvery, ne peut rendre l'effet de ces pylones majestueux, de ces colonnades éblouissantes de blancheur qui se dessinent au milieu des groupes d’arbres dont ils sont entou:- rés ; de ce site si gracieux auquel l’opposition de la nature désolée qui l’environne ajoute encore un charme nouveau (Pc. III — 2).» C’est à Philæ que nos soldats cessèrent de poursuivre les mamelouks auxquels Desaix n’a- vait pas laissé un instant de relâche. Ils ne vou- lurent pas quitter ces lieux, auxquels leurs vic- toires venaient de donner une nouvelle célé- brité, sans y consigner leur succès. Une des faces intérieures d’un pyione n’avait pas recu d’hié- roglyphes ; ils y gravèrent la date du débarque- ment de l’armée et celle de leur arrivée au-delà des cataractes, les noms des généraux qui étaient venus jusque-là et celui du général en chef. Ceux des savans qui avaient accompagné cette division sont gravés sur un mur des terrasses du temple, et suivis de cette indication : longit, à l'E. de Paris 30° 15”, lat. boréale 24° 3°. Au S. de Philæ, l’île nommée Dijezirah-el- Helseh offre une grande surface, mais elle est peu connue. Îci sont les limites de l'Egypte. La longueur de ce pays, du N. au S., est de 210 lieues, sa largeur de 120, sa surface de 24,000 lieues carrées ; mais la plus grande par- tie de cette étèndue est occupée par des déserts, où sont épars quelques oasis, et la portion sus- ceptible de culture se réduit à peu près à 1,700 lieues carrées. Sans le débordement du Nil, presque tout ce terrain ne pourrait être labouré. On a dit avec raison que ce fleuve était pour l'Egypte la mesure de l’abondance, de la pros- périté et de la vie. On évalue la population à 4,000,000 d’ames, NUBIE, 17 L'Égypte est comptée parmi les possessions appartenant à l’empire ottoman, mais le pacha s’y est réellement rendu indépendant, s’est em- paré de la Syrie, et à fait la guerre au grand- sultan. Il administre les contrées où il est le maître d’une manière qui, jusqu’à présent, a rendu les habitans très-misérables. Tous les voyageurs qui ont récemment parcouru l’Egypte sont d’accord sur ce point. Toutes les produc- tions de la terre et de l’industrie sont soumises à un monopole dont il s’est réservé les profits, et qui produit ses résultats ordinaires; d’ail- leurs, il encourage les sciences ; il a introduit dans la contrée qu’il gouverne en maître plu- sieurs établissemens utiles, et il y a fait régner la tranquillité. Les voyageurs peuvent mainte- nant parcourir l'Egypte avec sécurité; aussi plusieurs femmes ont-elles entrepris cette péré- grination qui, auparavant, n’élait pas sans péril. « On pourrait aisément, a dit Badia, former une bibliothèque entière de voyages en Egypte et de descriptions de cette contrée. » Or, le li- vre de Badia date de 1814, et depuis ce temps, le nombre de ces relations s’est encore accru. Le grand ouvrage français de la commission d'Egypte est celui qui contient la plus grande quantité de renseignemens utiles sur tous les points. CHAPITRE II. Nubie, Les Barabras ou Kénous, que l’on rencontre pour la première fois à Eléphantine, habitent la plus grande partie du pays qui s’étend le long des deux rives du Nil, entre la première et la se- conde cataracte , ainsi que le Dar-el-Kourkour (pays des tourterelles), assez vaste contrée du désert occidental ; ils se distinguent par leurs mœurs, leurs traits et leur langue des Arabes du désert et des Fellahs, avec lesquels ils sont en contact à Assouan, et des Noubas, avec les- quels ils se mêlent depuis Ibrim jusqu’à Ouady- Halfa. Quoiqu’ils soient presque noirs, leurs lèvres minces, leur nez fin, leurs cheveux longs et légèrement crépus, sans être laineux , en un mot, toute l'habitude de leur corps les rappro- chent plus des races arabes que des races nè- gres. Les enfans des deux sexes restent nus jus- qu’à l’âge de puberté; on laisse le plus souvent croître les cheveux des jeunes filles ; ceux des garcons sont rasés, mais il leur en reste sur le front un bandeau large de deux doigts et une touffe au sommet de la tête. Les hommes faits Arr. sont, comme les Fellahs, vêtus d’une chemise bleue; quant aux femmes, elles se drapent en outre avec une ample pièce de toile (malaych), le plus souvent bleue ; et, contrairement à l’u- sage musulman , elles ne se couvrent pas le vi- sage, et laissent voir leurs cheveux. MM. Cadalvène et Breuvery, desquels nous empruntons ces détails, estiment la population totale des Barabras à 40,000 ames au plus. « Un grand nombre d’entre eux partent fort jeunes de leur pays pour aller en Egypte se mettre au service des Turcs, et surtout des Francs, qui les préfèrent aux Arabes à cause de leur vieille réputation de probité, et qui les emploient gé- néralement comme porliers ou palefreniers. Dès qu’ils ont amassé quelque petite somme, ils se hâtent de revenir au milieu de leur famille con- sumer doucement le fruit de leur travail et de leur économie, puis partent de nouveau pour gagner quelque argent, et ils renouvellent leurs voyages jusqu’à ce que l’âge et les infirmités les retiennent dans leur patrie. » Les moyens d’existence de ceux qui ne quittent pas leur pays sont assez bornés et con- sistent en grande partie dans la culture des ter rains fertiles qui s’étendent le long du fleuve ; ils tirent en outre du pays de Kourkour du sel, du beurre, du henné et une assez grande quan- tité de charbon de bois d’acacia, qu’ils expé- dient au Caire, et qu’ils échangent contre des céréales. La lisière du désert leur fournit aussi deux variétés de séné très communes dans ces parages ; mais l’exportation de ce dernier pro- duit a beaucoup diminué depuis quelques an- nées. » » Les Barabras ne sont ni aussi féroces ni aussi obstinés que l’ont prétendu quelques voya- geurs, et leurs vices paraissent moins chez eux l'effet de leur caractère que celui de l’état de guerre et d’anarchie dans lequel leurs pays fut longtemps plongé... La crainte est le seul sen- timent auquel on doive de pouvoir aujourd’hui parcourir leur pays en sûreté. » Les relations de Norden, de Burckhardt et des autres voyageurs qui le traversèrent parlent des tracasseries de tout genre qu’ils éprouvè- rent; mais, depuis 1816, MM. Cailliaud, Rup- pel, Hoskins, Drovetti, Linant, Belzoni, Wad- dington et Hanbury, Champollion, Cadalvène et Breuvery, lord Prudhoe et d’autres ont pu le visiter à leur aise. À peu de distance du village de Deboud (7%- bot), sur la rive gauche du Nil, un temple an- tique offre des constructions de plusieurs épo- ques. L'état de dégradation de quelques parties & 15 VOYAGE EN AFRIQUE. de l’intérieur permet aujourd’hui d’apercevoir l'entrée des passages secrets qui règnent dans l’épaisseur des murs, et qui furent sans doute destinés à cacher aux yeux des profanes les fraudes pieuses des prêtres chargés de rendre les oracles. L’effet général de l’édifice est assez gracieux, mais les décorations de la partie mo- derne n’ont jamais été entièrement achevées. À peu près à cinq heures de distance au S. de Deboud, un petit temp'e de la plus charmante architecture, mais ruiné en partie, s’élève à Gartass, sur une colline de grès à peu de dis- tance à l’O. du Nil. À partir de ce point, tout le rocher de grès des coteaux que l’on suit en re- montant le fleuve porte les traces de vastes ex- ploitations. Un peu plus loin, au milieu des tra- vaux confus et des rochers taillés à pic par la main de l’homme, on remarque, dans un en- droit écarté, une porte sculptée sur le flanc du roc; elle donne entrée dans une niche revêtue d’un beau stuc jaune. Tout le rocher voisin est couvert d'inscriptions grecques ou latines en- tourées d’un cadre. À une petite distance, on rencontre une vaste enceinte formée de murs épais construits de pierres peu volumineuses, mais revêtus de gros blocs. On arrive ensuite à Teffah { T'aphys), village à l'O., entouré de ruines coupées de la manière la plus pittoresque par des bosquets de dattiers et de doums. En face de Teffah, on trouve un vaste amas de décombres qui couvrent l’empla- cement de Contra-Taphys. Un peu au-dessus de ces ruines, le grès est de nouveau remplacé par le granit, et les mon- tagnes se resserrent tellement des deux côtés du fleuve, qu’elles ne laissent aucun passage le long de ses rives; des rochers semés dans son lit même pendant l’espace de plus d’une lieue en rendent la navigation difficile, et forment les rapides d'El-Kalabcheh. La montagne prend là le nom de Djebel-Babiti. Un château de terre, sur la même rive, et les ruines d’un autre chà- teau entouré dé quelques habitations sur une petite île, attestent que cètte contrée n’était pas autrefois sans quelque importance, au moins sous le rapport militaire. La plaine commence à s’ouvrir au-delà du village d’El-Kalabcheh (Ta/mis), sur la rive gauche, composé d’une soixantaine de huttes de terre entourant un très-grand temple. Ses habitans, dont le nombre est à peu près de 400, passent pour les plus méchans de la Nubie infé- rieure. Un autre édifice, creusé dans le roc vif, n’est pas moins remarquable par ses dimensions que par la pureté de son style, et surtout par la beauté des bas-reliefs qui décorent les flancs du rocher coupé à pic. La montagne qui domine le grand temple est couverte des ruines d’une vaste forteresse et d’une quantité de tombeaux d'époque récente. Ailleurs , le sol semble avoir été remué pour chercher des tombeaux anciens. Partout on apercoit une énorme quantité de fragmens de poterie, signes certains de l’exis- tence d’une grande ville; la plupart de ces va- ses sont de fabrique grecque. Après El-Kalabcheh, qui est un peu au S. du tropique du cancer, la lisière de terre culivablé, le long des bords du Nil, est toujours fort res- serrée jusqu’à la cataracte d’Abou-Hor, qui n’est guère plus considérable que la précédente. Le fleuve, extrêmement rétréci et semé d’écueils, n’y laisse de praticable dans la saison des basses eaux qu’un étroit passage où les canges peuvent naviguer sans danger en longeant la rive droite. Ce passage était autrefois commandé par un château de construction arabe maintenant en ruines. Le pays présente l'aspect le plus triste et le plus désolé. D’énormes blocs de rochers inter. rompent fréquemment l’étroite ligne de culture ; et dé plac en place, on aperçoit les restes de jetées antiques formées de grandes pierres bru- tes et destinées à protéger les champs exigus des habitans contre les hautes eaux. Au-delà d’Abou-Hor, la vallée s’élargit , et les paysans, plas industrieux que leurs voisins, réussissent à rendre fertile une grande étendue de terrain au moyen de sakiés où machines à élever l’eau, solidement construites en pierres , et qui la recoivent par de petits canaux souter- rains. Les huttes de terre éparses au milieu des dattiers et des doums sont bâties avec plus d’é- légance que celles qu’on à précédemment ren- contrées ‘en Nubie. À deux heures au S. des ruines d’Abou-Hor, le temple de Dandour, à l’O., se montre sur un sol incliné, à 300 pas du fleuve; il est adossé aux rochers de la montagne, et d’un très-joli style. Le village de Dandour est sur la rive op- posée. Le temple de Kircheh, à trois heures plus au S., quoique peu éloigné du Nil, est élevé de plusieurs mètres au-dessus du niveau des hautes eaux. « Les dégradations commises pair les Per. ses, qui ont ruiné le monument de Kircheh, comme la plupart de ceux qui existaient alors entre la première et la seconile cataracte, et la fumée dont il est souillé, ont rendu indéchiffra- ble une partie des hiéraglyphes dont ses murs sont couverts; cependant, ajoutent MM. Cadal- I cd rÉ , À Frs M) nn D Ï) (è LE 7: Cafe / 4 ( \ A LATE role PO/L0L, Je 4 td 9 lagria € € CAR ) ?, " 1/ / MC del, vène et Breuvery, malgré cet état de délabre- ment, malgré les mutilations qu’il a souffertes, ce temple mérite encore un rang distingué parmi les productions si majestueuses de l’art égyp- tien, peut-dtre serait-il vrai de dire qu’il l'emporte sur toutes, par la sévérité de sou style et le caractère imposant et sombre de son ar- chitecture. ) Non loin du temple, s'élèvent quelques ALU de sautons surmontés de dômes...…. Plusieurs lieux , où reposent ainsi les restes de sautous révérés, jouissent en Nubie d’une graude réputation de saintelé, et il est rare que Re Ca- ravanes les traversent sans y déposer quelques offrandes, que recueille un faky, chargé de Pen- trelien de ces chapelles. » Sur la croupe de la montagne qui domine le temple de Kirchch, sont Îles ruines d’une forteresse en terre, et en face, sux la rive arabi- que, dans un lieu appelé Semagora, celles d’un autre fort plus vaste construit en pierres. Au- tour de ces ruines, s'étendent les restes peu re- marquables de Contra-Tutis, si toutefois on doit, comme le supyosent quelques auteurs, voir dans Kircheh lPantique Tulzts, que d’au- tres croient voir à Dandour. » Cette division des villes anciennes en deux parties séparces par le fleuve est générale dans la Basse-Nubie, où l’exiguité des produits de la terre obligeait sans doute les habitans a se divi- ser pour subsister, et il est bien rare qu’en face d’un monument antique on ne rencontre pas d’autres ruines sur le bord opposé. » En continuant à avancer, on apercoit les res- tes d’une ville nubienne du moyen-âge, puis quelques plaines fertiles, etsur une plage aride, le temple de Dekkeh (Pselais ), remarquable par sou état de conservalion presque intact. Vis-à-vis, le village de Kobban est voisin des ruines de Contra Pselcis, encore entources d’un mur de briques crues. Une heure au-delà, est le village d’Allaki, ainsi nommé à cause de sa position à l’extrénuté de la chaîne de monta- gnes du même nom, qui, court a lé E:,.2 a travers le désert, jusqu’au golfe Arabique. «a C’est dans cette chaîne, disent les deux voyageurs déjà cités, que furent exploitées les principales mines d’or qui donnèrent, jusque dans Le xu siècle, une si grande importance au désert situé entre le Nil et la Mer-Rouge, depuis Assouan jusqu’au grand coude du Nil, à Abou- Hammed, vers les 19 de lat... Dans les temps anciens, le besoin d’exploiter ces mines déter- mina souvent les Pharaons à traiter avec les Bedjahs ( Blemmiyes), habitans de ce désert. » Ces mines continucrent à être exploitées, d’a- près la même méthode politique, sous les diffé- rens gouvernemens qui se succédèrent cn Egypte. Des rivalités de tribus troublèrent sou- vent les travaux ; ils furent abandonnées vers le xe siècle. Mohammed-Ali, devenu maître de la Nubie, fit en 1831 quelques tentatives pour les découvrir de nouveau. Découragé par le peu de succès des premiers essais, il donna or- dre de suspendre les explorations. Piusieurs îles divisent le cours du Nil au-des- sus d’Allaki; celle de Dézar est la plus remar- quable par son étendue et par sa belle culture. Vis-à-vis, sur la rive de V'E., on rencontre près du village de Kourtoun les ruines d’un petit temple très-dégradé, et plus loin, dans l’ Ouadv- Meharrakah, celles d’un édifice semblable, qui dut être très-considérable. Mehacrakah fut jadis Hira Sycaminos : c'est la dernière ville dout les inéraires romains fassent mention dans ces contrées. Plus loin, on trouve, sur la rive de l'O., les ruines d’une bourgade arabe, et au- delà, sur des rochers, des restes de construce lion soignée, parmi lesquels on distingue ceux de plusieurs églises chrétiennes. La vallée se rétrécit ensuite, le Nil baigne de chaque côté le pied des montagnes, un sable aride et des rochers d’un grès rougeâtre sont presque les seuls objets que découvre l’œil du voyageur; nulle trace de verdure, nul vestige d’être vivant n'apparaissent dans cette région désolée ; seulement, de loin en loin, d’immen- ses groupes de grues et de cigognes s’enlèvent, à l'approche de l’homme, de dessus les îles de sable que le fleuve laisse à découvert, et tour- noient longtemps dans les airs. L'Ouady-Seboua (la vallée des Lions) est ainsi nommée sans doute des figures de sphinx qu’on aperçoit au-devant d’un temple antique, et que les habitans auront pris pour des lions ; l'édifice adossé à la montagne est construit de pierres assez grandes , mais taillées gros.ière- ment. Les hiéroglyphes gravés sur la surface inégale des murs et des pylones sont d’un tra- vail médiocre; cà et là, on retrouve quelques restes d’un stuc grossier, mais aucune trace de peinture (PL. HI — 3). La quantité de fragmens de briques et de po- teries qu’on rencontre principalement sur les bords du Nil annonce qu’une ville de quelque importance exista jadis dans les environs. On compte aujourd’hui peu d’habitations modernes parmi ces débris; mais, sur la rive opposée, le village de Seboua est assez considérable ; c’est le point de réunion habituel des caravanes qui 20 VOYAGE EN AFRIQUE, viennent de Berber ou qui y vont, en traver- sant le désert des Chaykiés. Les habitans du canton de Seboua ct ceux de lOuady-el-Arab, qui en est voisin, sont des Arabes El-Légat ori- ginaires du Hedjaz. Ces deux vallées forment vers le S. la limite du pays Barabras propre- ment dit; au-delà, il est habité par un mélange de Barabras et de Noubas. Korosko est un bourg où s’arrêtent les cara- vanes arrivant directement du Sennâar; elles emploient, à traverser le désert qui s'étend en-° tre ce bourg et Abou-Hammed, neuf journées d’une marche citée comme excessivement péni- ble à cause de la nature du sol et du manque d’eau. À partir de Korosko, le Nil décrit un coude considérable : il tourne d’abord au N. O. et à l'O. dans un espace de 10 ou 15 milles, puis il reprend sa direction vers le S. O. jusqu’à Ouadi- Halfa. Ce coude du fleuve est un malheur pour les habitans de cette partie de ses rives, les bar- ques se trouvant dans l’impossibilité de profiter des vents du N. ct du N. O., presque les seuls qui soufflent dans ces parages, les riverains sont assujélis à quitter leurs travaux à leur ap- proche et à venir gratuitement tirer la corde pour les remorquer. Ils se relaient ainsi de sakié en sakié jusqu’à Derr, où l’on commence de nou- veau à pouvoir naviguer à la voile. Dans les environs du bourg d’Amada, les bouquets de verdure et les villages deviennent plus nombreux; les sables lybiques couvrent un riche terrain d’alluvion, dont la surface est aujourd’hui au-dessus du niveau des plus hautes eaux. À quelque distance d’Amada, et à 300 pas à peu près du Nil, un temple antique est à moitié englouti sous le sable de la rive O.; les hiéroglyphes des parois et des dalles du plafond sont d’une grande finesse d’exécution ; quelques images du culte chrétien ont remplacé une par- tie de ces sculptures. Ce temple est très-bien conservé. Dans la saison des basses eaux, Derr est éloigné de quelques minutes de chemin des bords du Nil. Ce bourg, composé de huttes épaisses, est la capitale de la Nubie inférieure; sa mosquée est la première que l’on rencontre depuis Assouan. Son temple antique, le plus important de la rive droite du Nil dans cette contrée, est un des mauvais ouvrages du temps de Sésostris. Le bourg a-t-il remplacé Phænicon, lun des quatre principaux établissemens des Blemmyes? C’est ce que les érudits n’ont pas encore décidé. grande partie des Bosniacs, qui, après la con. quête de l'Egypte par le sultan Selim, furent envoyés en Nubie, ct finirent par demeurer maitres du pays. Le doura, ajoutent MM. Ca- .dalvène et Breuvery, le dokn (espèce de millet), l'orge, le henné, le tabac, le coton, le séné, le ricin, et plusieurs variétés de pois et de haricots, sont, avec les dattes, les produits principaux du canton de Derr, comme de tout le pays qui s'étend entre les deux premières cataractes. Les naturels élèvent quelques chameaux et beaucoup de bœufs, de moutons, de chèvres et de volail- les. Le doura, le dokn, le lait aigre et les hari- cots forment la base de leur nourriture. 1ls man- gent en général peu de viande, si ce n’est quel- quefois la chair de chameau. Les sauterelles grillées sont aussi de leur goût, quand ils peu:- vent s’en procurer. L'usage de fumer du tabac n’est pas général chez eux; ils préfèrent le plus souvent de le mâcher après l'avoir enveloppé d’un linge, et y ajoutent ordinairement un mor- ceau de natron. La principale exportation de Derr est celle de ses dattes, qui, comme celles d’Ibrim, jouissent en Egypte de quelque répu- tation. » C’est à Derr que Norden, voyageur danois, fut, en 1738, obligé de retourner sur ses pas, après avoir été vexé de mille manières par le ca- chef qui y commandait à cette époque. » Au S. de Derr, on voit bientôt se déployer les plaines de lOuadi-lbrim, canton populeux où l’on récolte une assez grande quantité de coton. Près du village de Ghetteh, les murs de quelques hypogées d’une petite dimension et creusés dans le roc, conservent une fraîcheur et un éclat admirables. On ne tarde pas à aper- cevoir de très-loin le château d’Ibrim, construit au haut d’une montagne de grès, et qui s’élève à pic à plus de 200 pieds au-dessus du Nil. Ii est aujourd’hui abandonné, et Ibrim, qui a remplacé Premnis, n'offre plus que des amas de décombres dont le lugubre silence n’est inter- rompu que par le cri des chacals. Au N. et au S. de la ville, on distingue encore les traces de deux monumens antiques. En avancçant au $., l’île d’Hogos s'élève au milieu du fleuve, couronnée des restes d’une tour antique. L’absence de végétation sur la rive O. et le rapprochement des montagnes, dont le pied est souvent baigné par les eaux, semblent interdire l’espoir de rencontrer sur cette rive aucun vestige de lhabitation des hommes, quaud toutà-coup, au milieu des rochers qui s’élèvent au-dessus du Nil, on découvre les «Les habitans actuels de Derr descendent en ! deux temples d’Ibsamboul. Ils sont entièrement NUBIE, 21 creusés dans le roc et couverts de sculptures. Mais Champollion parvint à constater, en faisant Selon Champollion, « le grand temple vaut ! sauter le mortier, que les antiques peintures a lui seul tout le voyage de Nubie; c’est une merveille qui serait une fort belle chose, même à Thèbes. Le travail que cette excavation a coûté effraie imagination. La facade est déco- rée de quatre colosses assis n'ayant pas moins de 61 pieds de hauteur; tous quatre d’un superbe travail... C’est un ouvrage digne de toute ad- miration. Telle est l’entrée; l’intérieur en est tout-à-fait digne; mais c’est une rude épreuve que de le visiter, À notre arrivée, les sables et les Nubiens, qui ont soin de les pousser, avaient fermé l’entrée. Nous la fimes déblayer ; iOUS assurâmes le mieux que nous le pûmes le petit passage qu’on avait pratiqué , et nous primes toutes les précautions possibles contre la coulée de ce sable infernal, qui, en Egypte comme en Nubie, menace de tout engloutir. » Il fallut se déshabiller presque complètement, et les voya- geurs se présentèrent à plat-ventre à la petite ou- verture d’une porte qui, déblayée, auraitau moins 25 pieds de haut. Ils crurent être à la bouche d’un four, et, se glissant entièrement dans le temple, se trouvèrent dans une atmosphère chauffée à 51°; ils parcoururent cette étonnante excavation avec un de leurs Arabes, chacun une bougie à la main. La première salle est soutenue par huit piliers, contre lesquels sont adossés autant de colosses de 30 pieds chicun, repré- sentant Rhamsès-le-Grand {P£. IV — I). Sur les parois de cette vaste salle règne une file de grands bas-reliefs historiques, relatifs aux con- quêtes du Pharaon en Afrique... Les autres salles, et on en compte seize, abondent en beaux bas-reliefs religieux offrant des particu- larités fort curieuses. Le tout est terminé par uu sanctuaire au fond duquel sont assises qua- tre belles statues, bien plus fortes que nature et d’un très-bon travail. Burckhardt est le premier des voyageurs mo- dernes qui ait signalé l’existence de ce monu- ment, mais il ne réussit pas à y pénétrer. Plus heureux que lui, Belzoni, sans se laisser dé- courager par le peu de succès d’une première tentative, parvint enfin à y entrer le 1° août 281117. Au S. d'Ibsamboul, on voit le château de Djebel-Abdeh, encore plus ruiné que celui d’I- brim ; le rocher y est percé de quelques hyÿpo- gées d’une belle conservation. Les parois d’un autre petit temple souterrain ont été couvertes de mortier par des chrétiens qui ont décoré cette nouvelle surface de peintures représentant des saints, et surtout saint Georges à ch:val. égyptiennes claient encore intactes sous cet enduit. On voit un autre petit sanctuaire égyptien également creusé dans le roc à Machakit. On aperçoit à Faras quelques colonnes de granit soutenant une mosquée en ruines et plusieurs tombeaux taillés dans le roc, vis-à-vis de l’ile du même nom. La plaine s’élargit de plus en plus, notamment sur la rive droite. Au milieu de bouquets de dattiers, de doums, d’acacias, s'étend un village dont les cabanes sont en- tremêlées de champs de doura et de coton (PL. II — 4); les sakiés, qui se succèdent à de très-petites distances, indiquent, par leur rap- prochement, que l’on est arrivé dans un terri- toire plus riche que les plaines que l’on a ren- contrées depuis Assouan. En avançant, quelques rochers, avant-coureurs de ceux de la seconde cataracte, commencent à se montrer cà et là dans le lit du fleuve. Ouadi-Halfah (la vallée des Joncs) doit son nom à la quantité de plantes de cette espèce qui croissent dans les plaines voisines. Avant l’invasion égyptienne, les habitans en fabri- quaient de belles nattes très-estimées , ce qui donnait une certaine activité à ce canton. Mo- hammed-Ali a fait un monopole de cette pau- vre industrie, comme à Assouan et ailleurs, et l’a étouffée. Les rochers de la seconde cataracte du Nil forment une quantité considérable d’ilots, très- é'evés, pour la plupart, au-dessus du niveau du fleuve; la surface de quelques-uns offre une belle végétation, et est en partie couverte d’ar- brisseaux, ce qui ajoute à la beauté de la scène produite par le contraste de la couleur noire des rochers avec la blancheur des eaux bruyan- tes et la teinte rouge du sable. Les cascades du Nil occupent une longueur d'environ 10 milles; les plus hautes chutes n’ont pas plus de 8 à 10 mètres. Il était autrefois impossible de faire traverser ces rapides aux embarcations, mais aujourd’hui les travaux exécutés par les ordres de Mohammed-Ali ont rendu ce passage prati- cable, bien qu’avec les plus grands dangers, pendant quelques mois de l’année, en remor- quant les barques à force de bras. Les rapides d’Ouadi-Halfah sont les plus con- sidérables de ceux auxquels on a donné le nom commun de seconde cataracte ; les autres s’é- tendent vers le S., sur un espace d’environ 30 lieues, jusqu’au village de Däl. Ces rapides | sont séparés entre eux par des espaces plus ou 22 VOYAGE EN AFRIQUE. moins étendus, où le Nil reprend son cours or- dinaire. En face d’Ouadi-Halfah, on voit les ruines de Behent; trois temples presque entièrement dé- truits sont les seuls édifices dout on retrouve eucore des vestiges distincts ; ils remoutent à une très-haute antiquité. Cliampoliiun décou- vril dans ces debris des iidications précieuses pour l'histoire de ces coutrées, 2,000 ns avant notre ère, Au S. d’Ouadi-Halfah, la cataracte se resserre vers Mirkis, où elle est le plus obstruée par les rochers. Sur un de ceux qui sont les plus sail- lans, se trouvent des restes de grosses murail- les en terre, formant des enceintes qui déno- tent assez l'emplacement d’un ancien village. Plus loin, le Nil paraît navigable; puis il est de nouveau barré par des îles offrant des ruines, de la végétation, et parfois des habitations. « Ou est étonné, dit M. Cailliaud, de rencontrer autant de constructions ayant appartenu aux chrétiens ; elles sont répandues sur la plupart des iles de celte cataracte, toujours situées sur des rochers éleyés et occupant des positions presque inaccessibles. » Où désigne par le nom de Dar ou Baln-el- Hadjar (pays de pierres) la contrée comprise entre Ouadi Hlfah et Dâl, ou sur toute la lon- gueur de la seconde cataracte. Comme cette dénomination l’indique, elle n’offre qu’un sol de pierres, des rocs amoncelés et des sables arides ; à peine y rencontre-t-on de loin en loin quelques champs cultivés ou des dattiers épars. Burckhardt, qui visita ces contrées en 1813, n’estime pas à plus de 200 le nombre de leurs habitans; il n’a pas pu augmenter, « Ces Nu- biens, pauvres, timides et sans cesse exposés à toutes sortes de vexalions, vivent par familles isolées, les uus sur les bords du fleuve, les au- tres sur les îles escarpées dont sou lit est semé. Ils cultivent sur le limon, que le Nil dépose en- tre les rochers, un peu de doura et de lupins (tourmous ), qui, joiut au produit de leur pêche et au lait de quelques chèvres, forment leurs seuls moyens d'existence. Ces insulaires sortent à peine de leurs retraites deux ou trois fois dans le cours de leur vie, et tous sont dans un état presque sauvage et dans une complète ignorance du monde entier. L'absence de toute uniformité dans leurs traits indique le mélange de plusieurs races ; mais le type dominant est celui des Fellahs arabes. » Au S. du Dar-el-Hadjar est le Dar-Sokkot (pays de Sokkot}), séparé par la montagne de Doche du Dar-Mahass, qui s’étend jusqu’à la troisième cataracte. Ces deux contrées peuvent, sous queiques rapports, être comparées à la Basse Nubie, et offreut comme elles, sur les bords du Nit, uue étroite ligue de culture qui s’élargit cusuite. Les voyageurs parcourent ce pays par terre. Jusqu’a Ouadi-Halfah, la scène qui s'offre à leurs yeux esta peu près la une qu'eu Egypte; plus loiu, elle chauge entièrement : ils Y voient l’homme entièrement iuculte, avec sou allure libre et rude. Aux dattiers, élégante mais mo- notone parure des bords du Nil en Égypte , Se mêlent des arbres nouveaux : le gomiuier («ca cia gumnufera), Vachar (asclepias proccra), le lamarisc, l’osier et une foule de vésctaux jus- que-là rares ou inconnus viennent varier l’as- pect du paysage. Tant que l’on suit les bords du fleuve, on contempie toujours une vallée verdoyante, ombragée de palmiers et couverte de riches moissons; mais si on s’eluigne de quelques lieues de ses rives, tout chauge. Nulle trace de culture, nul vestige d’habitation ; point de sentiers tracés; quelques arbustes ra- bougris, quelques puits, placés à de longs inter- valles, sont les seuls siynes de reconnaissance de la route. On n’apercoit de toutes parts que le tableau d’une éternelle stérilité; mais ce ne sont pas ces immenses plaines de sable qui sout pour nos imaginalions européennes Punique image du désert. Tantôt on trouve d'immenses amas de pierres, tantôt des montagnes escar- pées ; ca et là des blocs de rochers épars et ser- vant d'appui aux dunes de sable que le y nt amoucèle derrière eux. C’est au milieu de cette nature désolée qu'après une marche de huit ou dix heures, et lorsque le soleil commence à dar- der ses rayons sur la tête, que l’on plante sa tente, et que l’on attend, en se livrant au soim- meil, que la fraîcheur du soir permette de con- linuer le voyage. À Semneh ( Z'asilia), on voit les ruines d'un temple sur le sommet d’un rocher très-élevé, et en face, la rive E. en offre un autre que M. Cuil- laud a décrit, On rencontre, dans les environs de Semneh, beaucoup de restes de bâtimeus en terre jadis habités par des chrétiens ; on conti- nue à voir pendant longtemps des ruines, tant sur le continent que sur les îles nombreuses du fleuve, notamment sur l'ile d’Argo. Enfin les terres cultivables prennent une plus gran ie ex- tension, et annoncent l’approche des plaines du Dongolah. Les hippopotames commencent à se montrer dans ces cantons, et causent beau- coup de ravages dans les champs culivés. Marakah ou Ourdy, nouvelle capitale du _—_+ j) o d 2, GR / ‘ S. VA » D, ce C4 CT ACTE CCE, = x \ L LÉ D) 2 SD) ; > À CSI 9 4, 22 à Va SA LEO = Aaf 7 EN AFRIQUE, CL 7 Pag. 22. NÜBIE. 25 Dongolab, dont elle a reçu le nom, est à peu près à 600 pas du fleuve : elle prend chaque jour de nouveaux accroissemens ; des fortifica- üons suffisantes pour résister aux attaques des naturels ‘entourent, À quelques pas, au S. de la foiteresse, est un autre groupe de maisons, non fermé de murs; c’est là que se trouvent, avec le bazar, là plupart des habitations des Dongolaoui, dont on peut évaluer le nombre à 1500, Un nombre au moins égal est réparti dans les maisons de paille éparses dans les cam- pagnes, à peu de distance de la ville. Ces mai- sons, consistant én un treillage de bois recou- vert de paille où de tiges de douras, peuvent fa- cilement sé transporter d’un lieu dans un autre. Les Dongolaoui proprement dits descendent des anciens Ethiopiens ; quoique dans la suite des siècles ils se soient mélangés avec les Bara- bras et d'autres tribus, un examen attentif fait reconnaître Chez eux les traits que retracent constamment les monumensde l'antique Egypte. Le visage ovale, le nez bien fait, légèrement rond à l'extrémité, les lèvres un peu épaisses, Ja barbe peu touffue, les yeux vifs, les cheveux crépus, mais non laineux, la taille moyenne, mais bien prise, et le teint couleur de bronze, tels sont les traits qui les caractérisent. Au milieu d'eux, demeurent des Arabes qui ont conservé la physionomie de leurs ancêtres; ils vivent séparés des Dongolaoui comme des Barabras, qu'ils méprisent, et dont ils affectent de né pas parler la langue, tandis que ceux-ci parlent l'arabe. Uñe courte chemise de toile à larges man- ches, ün Calecon ou seulement un morceau de toile de coton roulé autour des reins, forment le vêtement des Dongolaoui : ils portent ordi- nairement au bras droit, et attachées au-dessus du coude avec des cordons de peau tressée, des amulettes roulées dans de petits cylindres de cuir, des pinces à épiler, et quelquefois une pétite corne creuse contenant du muse de cro- codile où d’autres drogues odoriférantes. A leur bras gauche est suspendu, de la même manière, un poignard à deux tranchans, de la longueur de nos couteaux, et qui leur en tient lieu; quel- ques-üns portent un second poignard fixé de même au-dessus du genou. Autrefois, ils ne marchaient guère sans être armés de boucliers: de peau d’hippopotame ou de crocodile et de lances dont le fer avait jusqu’à trois piéds de longueur; mais dans le Dongolah, de même qu’en Egypte, Mohammed - Ali a défendu de porter ces armes, el cet ordre est assez généra- lement exécuté, « La beauté des femmes est remarquable, di- sent les voyageurs déja cités; partout on ren- contre de grandes jeunes filles à la taille svelte, aux yeux noirs et veloutés, aux poses simples et gracieuses, aux cheveux naltés comme à la cour des Pharaons. Dans cette physionomie si naïve, si souriante, dans ce corps si souple et siélégant, dans cette gorge, dont la forme est si pure, que l’âge même ne l’altère que tardive- ment, il est impossible de méconnäître le mo- dèle que cherchaiïent à imiter les artistes de l’an- tique Egypte, et dont is ont souvent heureuse. ment approché. » L’épaisse chevelure des femmes du Dongo:. lah est tressée avec beaucoup d’art et ornée de morceaux de succin, de corail, de cornaline ; quelques-unes y suspendent un anneau d’argent qui vient leur tomber sur le front : les deux sexes portent dans leurs cheveux une longue aiguille de bois ou de métal qui leur sert à ar- ranger les nattes qu’ils défont au plus une fois chaque année { PL. V — 4 ); car c’est un travail de plusieurs jours que l’arrangement d’une semblable coiffure, composée d’une infinité de petites tresses d’égale longueur et artistement travaillées. » Tous se graissent la chevelure et le corps, « notamment les femmes, suivant le témoignage de M. Cailliaud. Elles n’ont pour vêtement qu’un morceau de toile dont un bout est porté en trousse à la ceinture, et le reste se drape sur les épaules et autour du corps; quelquefois, surtout dans leur ménage, elles suppriment cette dernière partie de leur ajustement. Celles qui sont aïsées ont des bracelets d’argent ou d’i- voire, souvent même en cuir garni de quelques boutons d’argent ou d’étain ; elles en portent quelquefois au bas des jambes. Leur cou et leur chevelure sont aussi parés d’ouvrages en verro- terie et de petites plaques d’argent. Les pauvres femmes se contentent de bracelets de bois ou de verre, Îl est du bon ton pour les premières d’a- voir les ongles longs et teints en rouge. Des sandales en cuir sont la chaussure des deux sexes. Les jeunes filles portent autour des reins une pagne (rahad) en peau de gazelle découpée en lanière, et toujours ornée de petits coquilla- ‘ges blancs du genre des porcelaines; elles la quitteut en se mariant, » La nourriture ressemble à ceile des autres ha- bitans de ces contrées ; on fait ici, comme dans les provinces inférieures, du neévile où vin de dattes; quoique doucereuse, cette boisson ac- quiert de la force par la fermentation et n’est pas désagréable, Ils préparent, avec le doura 24 fermenté, le bilbil et la méryse, qui ressemblent à de la bière épaisse, et qu’ils aiment beau- coup. Le dialecte diffère de celui de la Basse-Nubie, mais pas assez pour empêcher les naturels des deux pays de se comprendre entre eux. Il ne pleut que rarement dans le Dongolah, et seulement de septembre en novembre. Mars, juin et juillet y sont les mois les plus chauds. De midi à trois heures , le thermomètre s’élève or- dinairement, en mars, à 280, et en mai et juin jusqu’à 38. La crue du Nil, qui commence à cette époque , amène avec elle de lPAbyssinie une fraicheur salutaire, et le pays est parfaite- ment sain. On fait en général, dans le Dongolah , deux récoltes par an. Les premières semailles ont lieu en septembre, après que le Nil a commencé à baisser, et la moisson se fait en janvier ; elle est suivie immédiatement de nouvelles semailles, et la moisson est mûre en mai. Depuis la con- quête des Eyyptiens, le coton, le safranum, l’opium et l’indigo ont augmenté le nombre des productions de la terre ; mais les impôts exces- sifs ont, comme en Egypte, causé une misère extrême et générale. Malgré leur condition mal- heureuse, les Dongolaoui conservent un grand fond de gaîté, et ils oublient facilement leurs maux, pourvu qu'ils aient de l’eau-de-vie de dattes ou de bilbil. On les dit légers, perfides et paresseux, mais au moins ils ne sont ni fanati- ques, ni vindicatifs, ni enclins au vol. Au-delà de l’île de Ghertot, le Nil décrit un coude vers l'E., et les villages deviennent assez rares dans un assez long intervalle. Dans ce désert, la chaleur est accablante durant le jour, tandis que le soir, on a de la peine à se garantir de la fraîcheur. De midi à trois heures, lether- momètre marque 36° et 38° à l’ombre; à huit heures du soir, il baisse jusqu’à 16°, et même beaucoup plus dans la nuit. Les environs de Basleyn, où l’on franchit des rapides, sont assez bien cultivés; vis-à-vis est une Île du même nom. Les montagnes d’Abd- Abah, que l’on apercoit ensuite, disparaissent a leur tour pour faire place au désert d’El- Keleh. On commence à retrouver de la culture près des bourgs assez importans de Kodokol et d’Olok. Enfin, on atteint Dongolah-el-A gouz(le vieux). Il est sur un rocher d'environ 500 pas de long, qui s'élève à pic sur le fleuve. Cette ville, à moitié enterrée par les sables du désert, qui lP’entourent des trois autres côtés, fat la capitale d'un royaume chrétien puissant au moyen-âge ; | VOYAGE EN AFRIQUE. aujourd’hui, ce n’est presque plus qu'un amas de ruines. Au xv° siècle, le pays fut divisé en plusieurs principautés, dont les chefs, ou me- leks, relevaient des Foungis du Senuäar. Au xvin* siècle, les Arabes Chaykiés devinrent les souverains du pays et le ranconnèrent. Les mamelouks, chassés d'Egypte, délivrè- rent le Dongolah de la tyrannie des Chaykiés, et le gouvernèrent avec douceur; mais en 1820, ils furent obligés d’émigrer dans le Dar-Four, à Papproche de l’armée égyptienne, et le Dongo- lah est aujourd’hui compris dans les possessions de Mohammed-Ali. La capitale a vu sa popula- tion s’eloigner ; c’est à peine s’il y reste 200 ha- bitans. Cependant, la culture est très-soignée sur la rive opposée et dans les îlots du Nil. Debbeh, gros bourg de 2,000 ames, doit son importance à sa position, à l’angle d’un grand coude que le Nil fait vers l'E., ce qui l'a rendu le lieu de rassemblement des caravanes du Kor- dofan. Quaud on a dépassé Debbeh, la direc- tion du fleuve, qui remonte vers le N. E., rend contraires à la navigation les vents du N., qui soufflent presque seuls durant l’été; aussi le hà- lage des barques est très-régulièrement organisé dans cette partie du pays. Peu à peu la ligne de culture qui borde le fleuve se retrécit ; des coteaux de grès se mon- trent sur l’une et l’autre rive; on aperçoit par- fois dans le désert quelques groupes d’arbres d’une belle végétation, et le long du Nil, des ruines de châteaux , lesquelles offrent des vesti- ges de christianisme. Amboukou est un poste fortifié entouré de quelques habitations. MM. Ca- dalvène et Breuvery allèrent, dans ses environs, à la chasse aux girafes et aux autruches. Daïga est près de la limite qui sépare le Dar. Dongolah du Dar-Chaykié; il n’est pas un coin de terre dans celle-ci qui n’atteste l’activité et l'industrie des habitans. Le nom du village de Meraoui frappe naturellement l'esprit du voya- geur qui l’entend pour la première fois; mais ce n’est pas là que l’on trouve les ruines d’un lieu célèbre dans l'antiquité. Barkal, misérable hameau de la rive gauche, est situé près des restes de Napata. Des débris de temples et de pylones sont entassés au N. O. du mont Barkal. Plus loin, vers l’O., s'étendent des pyramides au-delà desquelles on trouvait encore, il y a peu d’années, des puits sépulcraux taillés dans le roc, et aujourd’hui presque entièrement com- blés par les sables. Noari, sur la rive droite, est voisine des py- ramides d'El-Bellal, qui s'élèvent au milieu d'une p'aine inculte, mais où l’on reconnait Lks NUBIE, vestiges d’un canal qui faisait presque le tour de ces monumens, et qui aboutissait au Nil. Leur nombre a dùû être autrefois de plus de 40 ; mais à peine en compte-t-on aujourd’hui 15 qui soient assez bien conservés pour qu’on puisse juger de leur forme : elles varient entre elles de grandeur et d’inclinaison , et ne différent de celles d’'E- gypte que parce qu’elles sont plus efllées. Un peu au-dessus de Noart, une quatrième cataracte obstrue le cours du Nil, qui, arrivé à Abou-Himmed, reprend sa direction au S. On trouve une cinquième cataracte à El-Solimanieh. Vis-a-vis d'Ed-Mossalab, sur la rive gauche, ce fleuve recoit, pour la première fois, un affluent depuis son embouchure; celte rivière est l’At- barah ( 4s/abcras), qui, un peu au-dessus, a été grossie par le Mogren. C’est au confluent du Nil et de l’Atbarah que la nature a placé les limites septentrionales des pluies des tropiques. - L’Atbarah marque au S. les bornes du Dar- Berber. La plus grande partie de cette contrée est en plaines, dont les deux tiers sont cultivées en doura; on ne moissonne ce grain qu’une fois par an; on récolte aussi du coton, un peu de froment, de l’orge, des pois ou ommoss de diverses espèces, dont une est excellente. On n’y fait point d'huile, le beurre la remplace dans tous ses usages, et on en brûle dans les lampes pour s’éclairer la nuit. Le Dar-Berber manque de bois; l'arbre le plus commun est l’a- cacia d'Egypte, dont les branches s’affaissent souvent sous le poids des nids d’oiseaux. Il y croît dans le N. quelques doums et un petit nombre de dattiers d’un faible rapport; ce pal- mier ne se montre plus dès qu’on a passé le canton d’Abou-Egli, et le sycomore devient rare lorsqu’on a quitté le Barabrah. Les pluies périodiques n’y sont point continues, fort heu- reusement, car elles réduiraient en boue les maisons, uniquement construites en terre. Les habitans ressemblent, pour les coutumes et les usages, aux Nubiens que l’on a vus plus au N. A peu près vis-à-vis de l’île de Kourgos, le village d’Assouv, à peu de distance de la rive droite du Nil, est au N. O. des pyramides, qui indiquent l’emplacement de Meroë, antique métropole de l'Ethiopie. Le célèbre géographe d’Anville avait marqué, avec sa sagacité ordi- naire, la situation de cette ville, fameuse par son commerce, par ses monumens, par son oracle. M. Ruppel et M. Hoskins ont aussi visité les ruines de Meroë, et, de même que M. Cailliaud, tous deux ont dessiné leur aspect (Pr IN 2). On voit aussi, à Naya, des restes de sept AFR. 29 temples, et à El-Mecaourat, ceux de huit autres sanctuaires que M. Cailliaud regarde comme ayant appartenu à un collége où les jeunes gens étaient élevés dans la connaissance de la reli- gion. M. Ruppel a observé sur l’île de Kourgos trois groupes de mausolées antiques. Avant l'invasion de l’armée égyptienne, Chendy, près de la rive droite du Nil, était la capitale d’un petit royaume vassal du S :nnâar, et le plus grand marché de la Nubie. En 1821, Nimr, son melek, vaincu par Ismaël-Pacha, fils de Mohammed A'i, perdit le pouvoir suprème. L'année suivante, étant venn avec un autre chef pour rendre ses devoirs à Ismaël, celui-ci lui demanda un sub:ide très considérab'e en ar- gent, en bétail et en esclaves. Nimr protesta, en termes très-polis, de l'impossibilité où il était de faire droit à cette réquisition; le pacha, dans un accès de colère, le frappa de sa pipe. Nimr allait tirer son sabre pour se venger, quand son compagnon le retint. Le soir, ailés de leurs gens, les deux meleks entourèrent d’une grande quantité de bois la maison où Ismaël logeait, et y mirent le feu. Ismaël y fut brûlé avec tous les gens de sa suite. Cet événement se passa dans un village voisin de Chendi. Une iusurrection générale éclata contre les Egyptiens; mais, en 1824, une nouvelle armée vint reconquérir le pays. M. Rappel, qui le visita la même année, a raconté les massacres et les exécutions san- g'antes qui signalèrent le retour des Egyptiens. Chendi fut détruit. Quand M. Hoskins vit cette ville en 1833, elle comptait au plus 700 caba. nes éparses sur un vaste terrain. Beaucoup d'ha- bitans se sont transportés à Métammah, qui est sur la rive opposée du fleuve et la capitale ac- tuelle de cette contrée, mais dont l'aspect est aussi triste que celui de Chendi. À quelque distance au S., M. Cailliaud et M. Hoskins virent à Ouadi-Ouatib ou Mecaou- rat, au milieu d’un désert, de vastes ruines d’un édifice antique, contenant des temples, des cours, des corridors. Leur situation leur parut singu- lière, car, en ligne droite, elles sont à six heu- res de marche du Nil. Un peu plus loin, on rencontre d’autres ruines à Abou-Naga. M. Hos- kins n’alla pas plus loin, parce que la crainte des lions était trop puissante sur les indigènes pour qu’ils se décidassent à lui servir de guide. Mais en 1821, M. Cailliaud, qui voyageait avec l’armée d’Ismaël-Pacha, poussa ses courses plus avant. Près de Gherri, village composé d’une suite de cabanes éparses habitées par des Arabes Hassanyéhs, qui s’occupent de la recherche du sel gemme, des rochers de granit qui dominent 4 96 = VOYAGE EN AFRIQUE. au-dessus du fleuve, et de petites îles couvertes de verdure, rendent cette partie du Nil remaor- quable, et y forment même une cataracte que l’on peut regarder comme la sixième; c’est la plus petite. Halfay, situé à un quart de lieue du Nil, dans une vaste plaine cultivée seulement dans la par- tie voisine du fleuve, occupe un emplacement d’une lieue et demie de circonférence, parce que ses maisons, disposées en groupes épars, sont entourées de grands enclos. À à lieues au S., le Nil recoit à droite le Bahr-el-Azrek (fleuve bleu), qui vient d’A- byssinie. Sa rive droite forme la limite occiden- tale du Dar-Sennâar. La pointe de terre qui est à l’extrémité orientale de cette presqu’ile se nomme as-el-Gartoum ou Æl-Khartoum. Une ville s’y est élevée. Lord Prudhoe, en 1829, y trouva une trentaine de maisons en terre ; le sandjar ou gouverneur y réside. M. Cailliaud et lord Prudhoe virent à Sobah, au N. E. et à une petite distance de la rive droite du Bahr-el-Azrek, les décombres d’une ville ancienne qui couvraient un emplacement d’une lieue à peu près de circonférence, et au milieu desquels ils découvrirent un sphinx couché sur le sol. Plus loin, le Rahad, ensuite le Dender, viennent se joindre à la rive droite du Bahr-el- Azrek ; M. Cailliaud vit, dans une forêt près de Kourd-Levkeh, beaucoup de singes, les traces fraîches de lPéléphant, des pintades et divers oiseaux à beau plumage, mais ne poussant que des cris aigus. « Depuis les Pharaons, ajoute-til, peutêtre aucune barque n'avait déployé ses voiles sur le fleuve où je naviguais... La nature brute et sauvage se montre seule au milieu de cette végétation sans cesse renaissante... Le ‘17 juin, nous essuyämes un orage très-fort : le tonnerre grondait d’une manière épouvantable. Je regrettais le beau ciel d'Egypte. » À Mounä, grand village de la rive gauche, M. Cailliaud observa les traces d’un ancien canal qui semble avoir été destiné à porter les eaux dans l’inté- rieur, Sennäar, capitale du pays, est sur la rive gauche du Bahr-el-Azrek; jadis elle était grande et bien bâtie. En 1829, lorsque lord Prudhoe y arriva, 1l n’y restait que les mosquées, con- struites en belles briques cuites, et dont les jo- lies croisées en bronze sont un ouvrage de l'Iude. Quand Ismaël-Pacha fit la conquête du pays en 1521, presque toute la population s’en- fuit dant l’Aleihé, canton à dix journées de dis- tance au S. E., sur les frontières de l’Abyssinie. Le peu qui est resté vit dans des cabanes de paille, excepté quelques marchands d’esclaves, dont les maisons sont en terre. Le marché est chétif et mal fourni. Le melek détrôné demeu- rait à Dakkina, dans les environs: il était traité avec un certain respect; le vainqueur lui avait promis une pension qu’il ne lui payait pas, et néanmoins on exigeait de lui sa contribution foncière. Les principales places de commerce étaient, en 1829, Misselemieh, dans une grande plaine à quatre heures de marche de la rivière, et Ouelled-Médine ; ces deux villes sont au N. de Sennäar. Le mélange du sang des nègres, des étrangers venus du Soudan, des Arabes nomades et des Ethiopiens avec celui des indigènes proprement dits, a produit, par la suite des temps, six classes tellement distinctes, qu’il n’est aucun individu qui ne sache à laquelle il appartient. Comme dans les provinces du N., les Sen- nâariens couchent sur des engarebs (chalits) re- couverts d’une peau de mouton bien graissée ou d’une natte, et se couvrent de leurs vête- mens ; ils ont aussi l’usage du support semi-cir- culaire de bois qui tient lieu d’oreiller. Ils ont pour s’asseoir de petits tabourets; chaque mai- son en a toujours un certain nombre. Tous ces meubles ont conservé la forme qu’avaient ceux des anciens. Les femmes plus que les hommes ont l’habi- tude de fumer ; leur pipe est en terre, avec un tuyau en bois long de trois pieds environ; les uns et les autres ont adopté, depuis peu de temps, l’usage du bouga : c’est de l’eau saturée d’une forte dose de tabac qu’ils gardent long- temps dans la bouche. Malgré le grand nombre d’esclaves nègres qui habitent le Sennäar, on n’y parle que l’a- rabe, et avec plus de pureté qu’en Egypte. M. Cailliaud fit des excursions au Djebel- Monyl, montagne granitique et bien boisée qui est au S. O. de Sennäar ; ensuite, ce voyageur accompagna l’armée égyptienne dans sa campa- gne au S. Il fallait souvent traverser des forêts remplies d’arbres épineux, et où les bêtes sau- vages seules s'étaient frayé des passages; ail- leurs, la terre, nouvellement imbibée par les eaux, était criblée de trous creusés par les pas des éléphans, et qui, masqués par l'herbe, fai- saient trébucher les chameaux. Le 16 décembre, on s'était éloigné de la ri- vière pour faire route au S. Q Le village d’El- Kérébyn, sur une montagne située par 12 6° de lat., dépend encore du Sennäar. Bientôt on en- QU NUBIE. 41 tra dans le Fazoql. Il prit fantaisie à Ibrahim- Pacha, général de l’armée égyptienne, d’en- voyer ses mamelouks à la chasse de l'éléphant. Guidés par les naturels du pays, ils rencontrè- rent sans peine deux de ces animaux paisibles ; avant de tirer, ils s’approchèrent de très-près, afin que la balle püt percer la peau, et firent feu tous à la fois. Les éléphans, légèrement at- teints, mais épouvantés, devinrent furieux, et blessèrent cinq mamelouks, dont deux mortel- lement ; ils en saisirent deux autres avec leur trompe, et les lancèrent par-dessus les arbres ; ceux-là, on désespérait de pouvoir les sauver. Ces animaux achevèrent de passer leur rage en mettant en pièces les arbres qui les environ- naient. | Les habitans du Fazoql sont des nègres à cheveux crépus, aux grosses lèvres, aux pom- mettes des joues saillantes; peu d’entre eux ont le nez épaté, plusieurs même ont de belles phy- sionomies. Les villages bâtis sur le sommet ou sur la pente des montagnes sont composés de cabanes circulaires en argile et couvertes en chaume; un groupe de quatre à cinq, hées les unes aux autres par de petits murs, entourait une cour peu spacieuse; quelques huttes, plus petites que les autres, servent de poulailler ou de grenier pour serrer le doura. Un esprit d'ordre semble régner dans ces habitations. Ces montagnards recueillent les eaux de pluie dans des citernes et d’autres réservoirs moins considérables. Ils ne descendent dans la plaine que pour soigner leurs champs de doura. Le 29 décembre, l’armée, changeant de direc- tion, fit route à V'E., à travers un pays mon- tueux. Les torrens étaient à sec; un soldat, ayant eu l’heureuse idée de creuser un trou dans le sable, eut l’incroyable plaisir d’y voir filtrer un peu d’eau; aussitôt son exemple fut suivi, et on put se désaltérer. Tous ces torrens viennent du S. O.; leur fond est de sable et d’argile. Arrivée sur les bords du Bahr-el-Azrek, en face du Djebel-Gargadah, situé sur la rive E., l'armée marcha au S. 11 fallut qu’elle s’ouvrit un passage tant soit peu praticable à travers les arbres. Elle eut des torrens à traverser. Le 1‘ janvier 1822, elle parvint à Pembou- chure du Toumat, que le Bahr-el-Azrek recoit a gauche. Les bords sont ombragés par de grands doums, des acacias, des nebkas, des arbres papyrifères et d’autres. Le Toumat vient de vingt jours de marche au S. du village de Fazoql, bâti au pied d’une montagne. Notre voyageur obtint du melek et des savans des ren- seignemens sur le pays; mais aucun ne connais- sait seulement le nom de Tombouktou ni celui du Bahr-el-Abiad (fleuve blanc); personne, parmi leurs compatriotes, n’avait jamais songé à por- ter ses pas de ce côté. Le Baba, que l’armée rencontra plus loin, est un grand torrent que le Toumat recoil à droite. On dit que, comme beaucoup d’autres, il vient de Dar-el.Mokada (l’Abyssinie). Le Dar-el-Key (pays des chevaux) entoure la montagne d’Aqara, dont les points les plus éle- vés au-dessus de la plaine ont de 8 à 900 pieds de haut ; les habitans sont les uns idolâtres les autres musulmans. Après avoir passé et repassé plusieurs fois le Toumat, l’armée longea sa rive droite entre des montagnes très-rapprochées et remarqua- bles par leur belle végétation; la, sa largeur n’était plus que de 60 pas et son cours très-ra- pide. Bientôt on entra sur le territoire de Qa- mamyl. On se dirigeait dans le S. après s’être enfoncé de nouveau dans les bois. « Parvenus à une certaine élévation, dit M. Cailliaud, nous découvrions à PO la longue chaîne des monta- gues d'Obeh. De demi-heure en demi-heure, la route etait coupée par des torrens qui tous allaient aboutir au Toumat,» Le Qamamyl, qui a deux journées d’étendue, passe pour le canton le plus abondant en or de toute cette contrée. M. Caillaud, suivi d’unes- corte de soldats, apercut dans le lit et sur les bords de l’Abqoulghi, torrent venant du S. E., et coulant vers le Toumat, des excavations peu profondes ; auprès étaient des sébiles en bois, et des pieux. Il descendit dans l’une de ces exca- vations, en posant les pieds sur des piquets de bois fichés en terre à droite et à gauche; un homme pouvait difficilement s’y introduire, tant l’ouverture était étroite. Ce puits, creusé jusqu’au roc, avait 20 pieds de profondeur. Là, une petite galerie avait été commencée: il ra- massa une certaine quantité de sable ferrugi- neux qu’elle contenait, et il en fit le lavage dans les sébiles qu’il avait sous la main. Il réussit à dégager quelques parcelles d’or pesant en tout un grain. l les porta au pacha, qui ne parut pas enchanté d’une si riche trouvaille. Le jour suivant on fit des recherches, les Turcs s’y prenaient maladroitement, on obtint qu’une très petite quantité d’or. Un vieux cheikh, du $S. O., et, suivant les renseignemens que | que l’on fit prisonnier , indiqua les endroits les M. Cailliaud put recueillir, sa source est à plus | plus favorables aux recherches et la manière 28 dont il fallait s’y prendre pour le lavage des sa- bles; quelques autres nègres la mirent en pra- tique. Néanmoins, le résultat de tout ce travail ne fut pas plus fructueux que celui des jours précédens. Tous les torrens de ces contrées charrient plus ou moins de parcelles d’or; c’est après les fortes pluies que les naturels se livrent à Penvi à ces recherches et qu’ils fouillent avec une pa- tience et une attention inouies, Lous les ravins qui sillonnent les coteaux. S’il faut les en croire, ils y trouvent, par fois, des pepites d’un assez gros volume : les femmes surtout s'occupent de la recherche de ces dernières. Elles renferment ces grains d’or dans des tuyaux de plumes de vautour qui, ainsi remplis, tiennent lieu de monnaie dans le trafic entre les nègres ; comme ils ne savent pas fondre ce métal, ils le livrent à des Arabes musulmans de Singhé, en échange de bœufs, de moutons et de toiles, Ces Arabes le portent à Fadassy, village dans le S., sur les confins du pays des Gallas en Abyssinie; là, ils le fondent, le tirent à la filière et en forment de petits anneaux : c’est sous celte forme qu'il cir- cule dans le commerce. Le Qamamyl fait partie du Dar-Bertât, grand pays habité par des nègres ido'âtres. « Ils sont généralement, dit M. Cailliaud, bien faits, forts et vigoureux ; quoiqu’ils aient les cheveux cré- pus, cotonnés; le nez épaté et les lèvres épais- ses ; ils n’ont pourtant pas les os des pommettes aussi proéminens que chez les nègres de l’A- frique occidentale. Ces idolâtres sont indociles, belliqueux; on ne doit cependant pas en con- clure qu’ils sont naturellement cruels et féroces comme auraient pu le faire croire quelques actes de vengeance exercés contre Îles Turcs. La guerre aussi atroce qu’injuste que ceux-ci leur faisaient, ne permitlait pas qu’on püût se faire une idée nette des mœurs habituelles de ces hommes poussés au désespoir. Je suis au contraire porté à les croire hospitaliers et paci- fiques ; ce qui me le persuade, c’est l’union dans laquelle il vivent avec des Arabes musulmans et même, dit-on, avec quelques Abyssins, restés dans le pays à la suite d’invasions antérieures. J’ai trouvé, en effet, en parcourant leurs caba- nes, des caras ou vases faits avec des calebasses sur lesquels étaient sculptées des croix chrétien- nes. Quand aux nègres du Bar-el-Abiad, ils passent pour être cruels et perfides.» Le 6 février, M. Cailliaud était au village de Singhé, situé par 100 29 de lat. N. et 32° 20’ de longit. à 'E.-S. de Paris, et composé de 5 à 600 habitations éparses sur des coteaux, Les Arabes VOYAGE EN AFRIQUE. de Singhé tannent et préparent beaucoup de peaux qu’ils exportent jusqu’au Sennäar. Plu- sieurs petits torrens leur procurent l’eau néces- saire à leurs besoins. Leur territoire dépeud du Dâr-Fôc (pays d’en haut), c’est en effet le canton le plus méridional du Bertât; il se prolonge au S. à deux journées de marche jusqu’a Fadassy, bâti sur les bords de l Yabouss, rivière assez forte qui vient, dit-on, du Dar-el-Galla, et se réunit au Bahr-el-Azrek, à deux journées au- dessus du Fazoql; elle a beaucoup d’eau toute l’année, on ne la passe qu’a la nage ou sur des radeaux; les hippopotames et les croccdiles y abondent, Fadassyÿ est un marché ou les Abyssins échan- gent des chevaux, des bestiaux, des fers de lances, des casse-têtes en fer, des haches, du froment , du café, du miel, des épices, des toi- les peintes de l'Inde, des peaux tannées contre de la poudre d’or, du sel, de la verroterie de Venise. Le 11 février, Ismaël-Pacha, ennuyé de lutter sans obtenir de grands avantages contre des peuplades belliqueuses, abandonna ces con- trées, et fit retourner l’armée vers le N. M. Cail- haud n’avait nullement souffert des fatigues de la route ou des diversites de climats; mais M. Le Torzek, officier de la marine, son compa- gnon de voyage, était consumé par la fièvre. Ces deux Francais étaient les seuls de leurs con- temporains d'Europe qui eussent étendu aussi loin vers le S. leurs recherches dans cette par- tie de l'Afrique, en venant d'Egypte par terre. Le 14, l’armée atteignit Adassy, sur les bords de Bahr-el-Azrek; le 18, les deux Français s’embarquèrent sur cette rivière; leur barque courut des dangers et éprouva des dommages à la cataracte d’El-Qerr ; le 26 elle s’arrèta devant la ville de Sennäar. M. Cailliaud ÿ trouva les troupes turques qui avaient fait une excursion dans l’O. jusqu’à Dinka, village situé à peu près sous les 11° de lat. N. et les 29° 5’ de longit. E. Voici les ren- seignemens que lui fournit M. Asfar, médecin copte qui avait accompagné l’expédition : Dinka donne son nom à un pays qui commence près Sennäar, et se prolonge au S. O., le long du Bahr-el-Abiad. Les productions et les habitans de cette contrée semblent être les mêmes qu'au Bertât. Les hommes sont presque nus; les fem- mes se ceignent d’une peau en forme de jupon court ; les filles ne portent qu’une petite peau qui leur couvre la chute des reins et se noue par-devant. Les unes et les autres se parent de colliers et de ceintures en verroteries de Ve- NUBIE; 29 nise, de boutons d'ivoire, de bracelets en ivoire | duquel il n’était éloigné que de deux journées ou en fer, ou de bagues aussi en fer. Lorsque | et demie. Il rebroussa chemin vers le N. jusqu’à les enfans parviennent à l’âge de puberté, on leur arrache les quatre dents incisives inférieu- res, que ces peuples regardent comme inutiles et comme déparant le visage. Un homme peut prendre autant de femmes qu’il peut donner de bœufs ou de vaches. Les femmes sont d’une fécondité étonnante : elles mettent au monde, le plus souvent, deux enfans à la fois. | En hiver, et dans la saison des pluies, les nults étant très-froides, les Dinkaouis se cou- chent, pour dormir, sur des cendres chaudes. Ils fument du tabac qu’ils récoltent. Leurs ar- mes sont des lances de fer très-lourdes, des bâ- tons munis de cornes droites et aiguës, et quel- quefois des dards en fer, enfin de grosses mas- sues courtes qu’ils lancent avec beaucoup d’a- dresse ; 1ls se servent de boucliers faits en peau d’éléphant. Par leur courage et leur nombre, les Din- kaäouis se rendent redoutables à leurs voisins du Bertât, à l’'E., et du Bouroum, à l’O. Ces hostilités leur attirent parfois de fâcheuses re- présailles de la part des premiers, qui se réunis- sent pour en tirer vengeance. Le résultat de ces guerres est de faire des esclaves que l’on vend, et de piller les bestiaux et les récoltes. À l'O. du Babr-el-Abiad, habitent les Chilouks, qui sont également des nègres. Les deux Fraucais partirent de Sennäar le 1er mars ; ils étaient le 14 à Chendi:; ils y ren- contrèrent M. Linant, qui, depuis peu, avait quitté le Sennâar , et venait de visiter les ruines au S. de Chendi. En 1813, Burckhardt, qui avait parcouru l'Egypte, partit le 24 février d’Assouan, où il laissa son bagage, et suivit avec un guide fi- dèle la rive droite du Nil. L’état de la Nubie, à celle époque, présentait beaucoup de dangers pour un voyageur, à cause de la présence des mamelouks. Cependant Buarckhardt parvint sans accident à Ouadi-Halfah, puis à Tinareh, dans le Dar-Mahass. La, il se trouva au milieu des hommes les plus farouches et les plus déré- glés qu’il eût encore rencontrés. Le chef lui dit nettement : « Tu es un agent de Mohammed- » Ali; mais, au Mahass, nous crachons sur la » barbe de Mohammed-Ali et nous coupons la » Lète à quiconque est ennemi des mamelouks. » Ces menaces ne produisirent aucun résultat fà- cheux pour la personne de Burckhardt; mais entrevoyant des difficultés qu’il lui serait proba- blement impossibie de vaincre, il ne poursuivit pas sa route vers le Dongolah, de la frontière Kolbé, où il passa le Nil à la nage, en se tenant d’une main à la queue de son cheval, qu’il poussait de l’autre. Ensuite, il descendit le long de la rive gauche du fleuve jusqu’à Ibsamboul, dont il admira le temple antique, puis à Derr, où il se sépara de son guide, ét le 31 mars il rentra dans Assouan. L’année suivante, il se joiguit à une caravane d’une cinquantaine de djellabs où marchands d'esclaves qui allaient en Nubie. On partit le 2? mars de Daraou, ville d'Egypte, au N.E. d’Assouan ; on marchait sous l’escorte d’une trentaine d’Arabes Ababdelis. Vêtu comme un pauvre marchand et n'ayant qu’un âne pour le porter, ainsi que ses provisions, il eut beaucoup à souffrir de la conduite de ses compagnons de voyage, qui, cependant, le prenaient pour uñ musulman. On traversa le inême désert où Bruce, qui venait d’Abyssinie, avait tant souf- fert de la disette d’eau en 1772. Après avoir enduré toutes les peines imaginables dans le trajet de cette région inhospitalière, on s’avanca le ?3 dans une plaine qui s’abaissait vers Le Nil, et le soir on atteignit Ankeïreh, village qui est le chef-lieu du canton de Berber. Il n’était ha- bité que par des bandits dont le principal plaisir paraissait consister à tromper et à piller les voyageurs. La caravane, diminuée d’un tiers, se remit en marche le T avril. Elle passa par Damer, où l’autorité est entre les mains de fakys où reli- gieux musulmans. Burckhardt n’eut qu’à se louer d’eux. Le 17 avril, il entra dans Chendi. Il eût pu aisément pousser jusqu’à Sennäâar, et de là en Abyssinie, mais il aurait suivi la route déjà parcourue par Poncet et par Bruce: il aima mieux visiter des contrées inconnues. Une ca- ravane se disposait à partir pour le golfe Arabi- que ; il vendit ses marchandises, et, du produit qu’il en tira, il acheta un esclave nègre et un chameau. « Tous mes comptes réglés, dit:il, je reconnus qu’il me restait quatre piastres fortes : l’exiguité de cette somme ne me causa aucun souci, sachant qu’arrivé sur la côte, je pourrais me défaire de mon chameau pour un prix qui me donnerait le moyen de payer les dépenses de ma traversée jusqu’à Djidda, et d’ailleurs j'avais sur cette place une lettre de crédit pour une somme considérable. » La caravane se dirigea vers l’Atbarah, dont les rives sont embellies par une végétation ma- gnifique ; ensuite , elle traversa le pays de Taka, très-fertile, mais habité par des Arabes qui ne 30 VOYAGE EN AFRIQUE, sont nullement hospitaliers, et chez lesquels Buarckhardt, qui avait pris le caractère d’un pauvre derviche, n'aurait pu demeurer ; il re- nouça donc à l’idée de franchir les montagnes pour gagner Massaouah, et suivit la caravane jusqu’à Saouakim, où elle arriva le 26 juin. Cette ville, située au fond d’une baie étroite, est bâtie en partie sur un ilot, en partie sur le continent ; elle fait un grand commerce, no- tamment en esclaves. Burckhardi estime sa po- pulation à 8,000 individus; ce sont, pour la plupart, des Arabes El-Haderah, tribu des Bi- chariens ; ceux-ci occupent la plus grande partie du désert de Nubie, compris entre le Nil et le golfe Arabique; ils ont un port a Olba, miséra- ble village sur la côte. Les Hadanda habitent le Beled-el-Toka et les vallées des montagnes de Langay, qui sont le prolongement septentrional de celles de l’Abyssinie; quelques-uns cultuüvent la terre. Leur principal village est Got Redjah, sur l’Atbarah. Les Hammodah vivent le long de cette rivière, qui donne son nom à leur plus grande bourgade. Les Hallenkahs sont des bri- gands fieffés qui volent et pillent tous leurs voi- sins. À l’O. de Saouakim, s'élève la chaîne du Djebel Dayab (Mont-d’Or), où jadis on exploi- tait ce métal, et où se trouvent les sources du Mogren. La Nubie, comprise entre 9° et 24° de latit. N. et entre 26° et 37° de long. E., a 330 lieues de long du N. au S., et 220 lieues de largeur moyenne de l'E. à l’O. Sa surface est d’environ 60,000 lieues carrées, et on estime sa popula- tion à 2,000,000 d’ames. CHAPITRE III. Abyssinie. Presque tous les Européens qui ont voyagé en Abyssinie ont débarqué au port de Massaouah, sur la côte de ce pays. La ville est située sur une île d’un quart de lieue de long. Le port, qui peut contenir une cinquantaine de navires, est sûr, profond et d’un accès facile , quoique l’en- trée en soit étroite. Massaouah manque d’eau douce; on recueille l’eau de pluie dans de grandes citernes ; mais, comme on la tient pres- que toute en réserve pour les navires du gou- verneur , les habitans vont s’approvisionner d’eau à Arkiko, misérable bourgade éloignée de 3 lieues au S. sur le continent, et qui donne son nom à une vaste baie. Massaouah faisait autrefois un commerce très- étendu, mais qui est bien tombé depuis que cette place est tombée au pouvoir des musulmans ; néanmoins, son port sera toujours assez fré- quenté pour le négoce avec l’Abyssinie. A l'E. de la baie d’Arkiko, s'étend l'ile de Dahalak, qui est très-grande, mais aride et mal peuplée ; Bruce y ayant abordé en 1769, apercut les hautes montagnes de l’Abyssinie ; « elles for- ment, dit-il, une chaîne unie comme un mur, et se prolongent parallèlement à la côte jusqu’a Saouakim. » Elles s’approchent beaucoun die la mer; on ne les franchit pas sans peine. En sor- tant d’Arkiko, on marche entre des jardins. Le chemin quise dirige au S.0. est montant, inégal et rude; Bruce, Salt, M. Gobat, M. Ruppel et d’autres Européens y ont passé. On voyage à dos de mulet; des chameaux portent le bagage. A mesure que l’on avance, le chemin devient meil- leur, quoiqu'il serpente entre des montagnes; il est coupé par des torrens, qui, en été, sont à sec. Le pays est couvert d’acacias qui ont 40 pieds de hauteur, et ont leurs troncs entou- rés de plantes grimpantes; on rencontre des torrens bourbeux. Des hordes de Hazortas ou pasteurs sont campés dans les plaines avec leurs troupeaux de moutons et de chèvres; ils y vien- nent, dans la saison chaude, pour chercher des lieux arrosés par des eaux courantes; leur cam- pement, presque circulaire, est entouré d'épi- nes et de broussailles. On continue à monter, la vallée se resserre ; bientôt ce n’est plus qu’une gorge large seule- ment de 300 pieds, et bordée de chaque côté de hautes montagnes escarpées; un peu plus loin, elles paraissent se réunir. Salt les nomme monts Hamhamou, d’après un petit tertre où il fit halte pendant la nuit, près d’un torrent; elles sont très-hautes, et courent du N. au S.: elles sont habitées par des Hazortas et des Oueillas. Le terrain qui, depuis Arkiko, s’est élevé sensiblement, s’exhausse davantage et plus brus- quement après le cinquième jour de marche, « On voyait de toutes parts, dit Salt, de la fiente d’éléphans ; la plupart des figuiers étaient ébranchés jusqu’au sommet, afin de donner au bétail la facilité de brouter les feuilles et les bourgeons, toute l’herbe étant brûlée par l'excès de la chaleur. On voyait des chaumières et des habitans sur les pentes des montagnes. » Ensuite, il faut monter la Taranta, pour parvenir au col de ce nom. Le chemin est d’a- bord uni et facile, ensuite il devient plus raide et embarrassé de pierres et de grands quartiers de rochers. Toute la montagne est couverte de kolquals, espèce d’euphorbe arborescente et branchue qui atteint à 40 pieds de haut, d’ertés (Oxycedrus virginiana), arbre dont le bois est très- TZ 2 g LP ; : 7 . c'arane ef Casctates [ie Tbrstirtue é WU rest (| A VEN, CE 4 ME Pl, # ; LE ; Wen VA CORTE LE Le phetane 1 VO an nt ABYSSINIE. 31 dur, de fan ouffas (Pterolobium lacereus), arbre à feuiiles composées et garnies d’épines acérées ; enfin de daros. La région froide des forêts d’arzés commence avec l’ouara, dont le feuillage res- semble à celui de l’osier. Arrivé au haut du col, le voyageur, en portant la vue au S., découvre les immenses chaînes des montagnes escarpées du Tigré et les crêtes de celles d’Adoueh; elles sont diversifiées par des tapis de verdure, et coupées par de nombreuses vallées. On ne descend que pendant une heure, mais par une pente très- rapide, pour arriver sur un plateau. Le change- ment de climat y devient très-sensible. Au mois de mars, Salt trouva l’ardeur du soleil dévo- rante, comparée à la chaleur qu’il avait éprou- vée de l’autre côté du Taranta, dans les hautes vallées ; les plantes étaient brûlées, les ruisseaux à sec, et on avait envoyé tout le bétail sur les montagnes pour ÿ chercher des pâturages. Ce voyageur observe que ce changement subit de température est mentionné dans la relation de Nonnosus, ambassadeur de Justinien vers le roi des Axoumites. Quand on est arrivé au bas de la plus mau- vaise partie du chemin, on suit, à travers un pays agreste et hérissé de rochers, un sentier sinueux qui conduit à Dixan. Cette ville est bä- tie autour d’une colline, de laquelle on jouit de Ja vue des montagnes du Tigré et des cantons voisins, toutes couvertes de villages. Les mai- sons n’ont point de fenêtres. Au lieu de chemi- nées, on place, sur une ouverture du toit, qui est plat, deux pots de terre l’un sur l’autre, mais celte issue est si étroite, que seulement une petite partie de la fumée peut s’échapper par-là. Le seul édifice public de Dixan est la chapelle ou l'église. Elle a très-peu d’apparence : les murs sont en terre, et le toit, en chaume, est de forme conique. Les hyènes rôdent dans les environs pendant toute la nuit, et entrent même dans la ville ; au reste, il en est de même dans toute l’Abyssinie. Salt vit ce pays en 1804, et une seconde fois en 1810 ; il ne voyagea que dans le Tigré, où nous le suivrons. Le 5 mars de cette dernière année, il partit de Dixan, et se dirigea vers VO., puis au S., en traversant la plaine de Za- raï, qui était dépouillée de toute verdure; on n’en voyait que dans le lit des torrens et des rivières où il restait quelques flaques d’eau. On suivait les plaines et on traversait les vallées qui bordent le flanc occidental des monts Taranta. Le Devra-Damo, une des plus hautes montagnes de cette chaine, est remarquable parce qu’elle fut choisie, dans un temps, pour y reléguer les princes des branches cadettes de la maison ré- gnante. Ce fait rappela aussitôt à l'esprit de Salt le roman de Rasselas, par Johnson. « Un tel souvenir, dit-il, ne pouvait manquer d’ajou- ter infiniment au plaisir que j’éprouvais de tra- verser les sauvages régions de l’Ethiopie. « La montagne de Devra-Damo paraît être complètement escarpée de toutes parts, et l’on m'a dit qu’elle est d’un accès très-difficile et qu’on ne pouvait arriver à son sommet que par un seul sentier. » Ce sommet est aplati. Au bout de quelques milles, on arrive à un défilé nommé K'ella, parce que les rochers voisins ressemblent à des fortifications, Kella signifiant château en abyssinien de même qu’en arabe. Salt jugea qu’il était parvenu à la plus grande altitude de ces monts, parce que, bien qu’il fit route au S., il trouvait chaque jour le climat plus tempéré et la végétation plus retardée; il éprouva naturellement un vif regret de ce qu’un accident avait mis son baromètre hors d’état de servir. Dans une vallée très-bien cultivée et arrosée par un ruisseau, la première récolte de foin n’a- vait pas encore été faite, quoique la seconde de froment et d'orge approchât de la maturité, et semblât devoir être fort abondante. Cette fécon- dité du sol dépend beaucoup de intelligence et de l’adresse avec laquelle les habitans dirigent l'irrigation; ils creusent plusieurs petits canaux depuis le point le plus élevé du courant d’eau, et la conduisent ainsi dans la plaine partagée en compartimens carrés comme dans l’Inde. Un pays âpre et montagneux fut suivi d’une vaste campagne ouverte. Magga, où le voya- geur et ses compagnons trouvèrent avec peine un chétif asile sous des hangars, est habité par des gens de très-mauvais renom. C’est pourquoi les caravanes évitent d’y passer. Ce canton est un des plus beaux de l’Abyssinie. A l'E. du Ta- cazzé, on voit, dans un vallon voisin du bourg, beaucoup de massifs d’arbres, ce qui n’est pas commun dans ce pays. Ghibba, situé à l’extré- mité d’un ravin âpre et sauvage, est dans un petit vallon écarté, orné de collines boisées, et qu’entoure presque entièrement une rivière abondante en poissons et en oiseaux sauvages. Ce fut là que Salt apercut, pour la première fois, le sanga ou bœuf galla, remarquable par la vaste dimension de ses cornes, particularité que Bruce attribue à tort à une maladie. Au-delà de Ghibba, le pays est très-montueux. On suit longtemps le bord d’un précipice, d'où l'on descend dans la riche et fertile plaine de Gamhéla, puis on gagne le sommet d’une 32 VOYAGE EN AFRIQUE. montagne qui domine la vallée de Tchelicot. Le raz ou souverain réel du Tigré y résidait alors. Salt lui remit les présens du roi d’An- gleterre. Il est difficile de donner une idée de Padmiration que ce chef et ses principaux chefs exprimèrent en les contemplant. 1l y avait, dans le nombre, un panneau de glace peinte, un tableau représentant la vierge Marie et une table de marbre. Tous ces objets furent envoyes à l’église. Le principal prêtre récita une prière dans laquelle le nom anglais fut répété fréquem- ment; et, en sortant du temple, le raz ordonna que toutes les semaines on priât pour la santé du roi de la Grande-Bretagne. Durant la dernière partie du mois de mars, Ja température fut très-douce ; pendant plusieurs jours, il tomba de fortes ondées, ce qui était extraordinaire pour la saison, mais très-favora- ble pour les biens de la terre. Le thermomètre se tenait presque constamment à 17° 32. Comme le carême rendait le séjour des An- glais à Tchelicot peu agréable, Salt demanda au raz et obtint de lui la permission d’aller visiter les cantons arrosés par le Tacazzé. Il partit le & avril avec Pearce et Coffin, ses compatriotes, et deux chefs abyssins. Après avoir traversé la vallée de Tchelicot, une des plus délicieuses de l’Abyssinie, on fit route à l’O.; on traversa deux rivières, le Mac- Afsaol et le Mac-Galoa, coulant à l’'E., puis on monta insensiblement jusqu'à Antalo, capitale de l'Enderta, bâtie sur le flanc d’une montagne; la vue s’étend de là sur un pays qui en est cou- vert, et, par un temps clair, on peut en distin- guer de très-éloignées, On traversa ensuite une contrée très -inégale dont l’aspect rappela au voyageur celui des cantons intérieurs de la co- lonie du Cap de Bonne-Espérance. On tua beau- coup de pintades et de perdrix : elles étaient en troupes nombreuses, et parfois perchaient sur les arbres. Un pays mieux cultivé succède à ces déserts, où le gibier abonde. Il est habité par les Agaous. Agora est une bourgade où l’on percçoit un droit sur le sel qui se transporte dans l’intérieur. Bien- tôt on apercut dans l'O. la chaîne des monta- gnes gigantesques du Samen. L’Arequa, que l’on passa le 8 avril, a, dit-on, sa source au village d’Assa, éloigné de 10 milles au S. S. O. d'Antalo ; c’était la rivière la plus large et la plus considérable que l’on eût rencontrée depuis la côte maritime, Elle coule au N. O. vers le Tacazzé, et recoit probablement toutes celles qui arrosent la fertile province d’'Enderta. Le temps ayant été très-serein dans la matinée, Salt put, pour la première fois, distinguer de la neige sur les sommets du Beyeda et de l’Amba- Haï, les plus élevés des monts du Samen; les Abyssins la nomment berrit. Ouezkétarvé, petite ville sur une montagne, est peuplée entière- ment d’Agaous; ces peuples ne diffèrent des Abyssins que parce qu’ils sont généralement plus robustes et moins vifs qu’eux; mais 1!s par- lent une langue totalement dissemblable de celle du Tigré; elle est plus douce et moins énerzique que celle-ci. La température était plus chaude qu'a Tchelicot : durant toute la journée, le thermomètre ne baissa pas au-dessous de 21° 31, et à midi, il se tenait à 24° à l'ombre. «Aux riches päturages où paissaient de nom- breux troupeaux de bétail et que l’on traversait depuis trois. jours, succéda un terrain aride et sablonneux où s’élevaient quelques arbustes épineux et des acacias. À midi, le thermomètre marquait 25° à l'ombre... Eu ce moment, le so- leil dardait presqu’a plomb sur nos têtes, la chaleur était étouffante, et cependant les mon- tagnes en face de nous étaient couvertes de neige, et nous en distinguions parfaitement de grandes plaques sur leurs flancs. » On voyagea ensuite dans des montagnes tel- lement embarrassées de broussailles et de buis- sons à épines très-longues, que l’on eut beau- coup de peine à y passer sans éprouver trop de dommage, et on descendit dans une gorge pro- fonde et sablonneuse qui, dans la saison des pluies, doit être le lit d’un torrent. Cette gorge ressemble à celle qui conduit de Hamhammo au Taranta, et on y vit de mème des capriers, des genèvriers, des tamariniers , et l’entata, es- pèce de bacbab. Les tamarins, qui étaient mûrs, procurèrent aux voyageurs un rafraichissement fort agréable. Après une autre descente, qui fut tres-douce, on découvrit une vaste étendue de pays, et on se hâta d’arriver sur les bords du Tacazzé. Cette rivière est celle qui, après sa sortie de l'Abyssinie, prend le nom d’Atbara et va grossir le Bahr-el-Abiad, Le cri de gomart! gomari! nom de l'hippopo- tame en abyssinien, se fit entendre, parce qu’un de ces animaux s'était montré à la surface de l’eau; mais il disparut bientôt. Onremontalelong des rochers qui encaissent le lit de la rivière; ‘il est souvent interrompu par des sauts qui le rendent guéable dans presque toutes les saisons : entre ces gués, se trouvent des cavités d’une profondeur presque incommensurable, « De l’é- lévation où nous étions, dit Salt, ces trous res- semblaient à de petits lacs : ce sont ces retrai- tes que les hippopotames prefèrent, Après avoir ABYSSINIE. | 32 un péu marché, nous arrivämes à l’une des plus fréquentées. Plusieurs de ces animaux étaient réunis; nous étant dépouillés d’une partie de nos vêtemens, nous passâmes la rivière avec nos fusils, afin de nous embusquer convenable ment; le Tacazzé avait là 150 pieds de largeur et 3 pieds de profondeur, et coulait assez dou- cement. Placés sur un rocher élevé et saillant, au-dessus du bassin dont j'ai parlé, nous ne tardâmes pas à apercevoir, à 60 pieds de dis- tance, un hippopotame qui, sans défiance, ‘montra son énorme tête au-dessus de l’eau, en ronflant violemment, à peu près comme un marsouin. Trois des nôtres lui tirèrent leur coup de fusil (Pr. IV — 4) : on lecrut atteint au front; il regarda autour de lui en grondant et mugjis- sant avec colère, et plongea aussitôt. On s’at- tendait à voir son corps flotter à la surface de l’eau; mais il reparut presque à la même place, avec plus de précaution, et sans avoir l'air dé- concerté de ce qui venait de lui arriver. Nous fimes feu de nouveau sans plus de succès que la première fois. On continua à faire feu sur eux chaque fois qu'ils paraissaient; je ne puis assu- rer qu'aucun ait été blessé même légèrement. Nos balles en plomb étaient trop molles pour pénétrer dans le crâne très-dur de ces gros ani- maux; elles rebondissaient constamment. Ce- pendant, vers la fin du jour, devenus plus cir- conspects, ils se bornaient à mettre leurs narines hors de l’eau qu’ils faisaient jaillir en l'air par la force de leur souffle. « D’après mon observation, l’hippopotame ne peut pas rester plus de cinq ou six minutes de suite sous l’eau ; il faut qu’alors il vienne à la surface pour respirer; il plonge avec une fa- cilité étonnante, car la limpidité de l’eau me permettait de le distinguer à 20 pieds de pro- fondeur. Je crois que ceux que nous vimes n’a- vaient pas plus de 16 pieds de long; la couleur de leur peau était d’un brun sale, comme celle de l'éléphant. À quelque distance de nous, des crocodiles se montraient à la surface de l’eau; ils me parurent très-gränds et d’une couleur verdâtre; les Abyssins, qui les nomment égous, les redoutent extrêmement. Le thermomètre, à l'ombre, marquait 28° près des bords du Ta- cazzé. » Ou reprit, le lendemain, le chemin de Tche- licot, à travers un pays rocailleux et sablonneux, dont la production la plus importante est le co- ton, que l’on cultive dans les environs du Ta- cazzé. Le 16 avril, on rentra dans Tchelicot, après s’être avancé à 60 milles dans lO. . Le 20 avril, une caravane attendue depuis AFR, longtemps, arriva de la plaine du Sel; elle était composée de plusieurs centaines de mulets et d’ânes chargés. Elle fut accueillie avec de grands cris de joie, parce que les environs de la plaine sont infestés par une horde cruelle de Gallas, Une escorte de 200 hommes, conduite par un parent du raz, avait accompagné les ouvriers, qui sont ordinairement des hommes de la der- nière classe. Les soldats avaient signalé leur courage en se battant contre les Gallas; dans cette campagne, six avaient été tués, ce qui était regardé comme une perte légère. Les sol- dats défilèrent devant Le raz en dansant et pous- sant des cris; ils avaient orné leurs lances de petits morceaux de drap rouge. Un jour, Salt fut invité à être le parrain d’an jeune Bédouin qui était au service de Pearce. La cérémonie se fit au milieu d’une aire voisine de l’église, parce que l'entrée de celle-ci est in- terdite à quiconque n’est pas chrétien. Tout s’y passa à peu près comme dans les autres communions chrétiennes pour les questions adressées au cathécumène et au parrain, et pour les prières qu’ils récitèrent. Le jeune Bédouin avait préalablement été lavé soigneusement par les prêtres dans un grand bassin plein d’eau. Il en sortit bien mouillé, et fut amené nu devant le prêtre officiant. Lorsque le cathécumène eut sausfait à tous les rites prescrits par l’église, le célébrant le prit par une main, plongea l’autre dans l’eau, et lui fit le signe de la croix sur le front, en disant la formule adoptée par les chré. tiens ; alors tous les assistans à genoux récitè- rent avec lui l’oraison dominicale. * Salt dit qu’il s’est un peu étendu sur la céré- monie de ce baptême, afin de prouver que les jésuites avaient avancé à tort qu’un vice dans la forme d’administrer ce sacrement le rendait nul. Ils exigèrent donc que les Abyssins, qui vou- laient être admis dans le sein de l’église ro- maine, se fissent baptiser de nouveau, ce qui causa de grands troubles, et finit par amener l'expulsion de tous ces religieux et produire une haine violente contre tous les catholiques ro- mains. Quand les voyageurs partirent de Tchelicot, ils furent accompagnés, l’espace de quelques milles, par différentes personnes ; de ce nom- bre, était le premier peintre du raz, À considérer le peu de moyens de se perfectionner qu’offre le pays, Salt, qui était un dessinateur habile, marqua sa surprise des progrès que cet homms avait faits dans son art; il se comparait à un homme qui a les yeux bandés. « Je travaille » sans y voir, je ne puis donc rien faire qui soit 7 34 VOYAGE EN AFRIQUE, » bien bon. » « Tous les Abyssins, continue Salt, aiment passionnément les peintures, les murs de leurs églises en sont couverts, et il n’est pas de chef qui ne soit charmé d’avoir un ta- bleau peint sur les murs de sa salle princi- pale. » Salt descendit le col escarpé de l’Atbara, qu’il avait monté précédemment. À peu près à mi- chemin, jaillit une source d’eau minérale qui. tombe successivement dans plusieurs bassins que son aclion continue a creusés par sa chute d’un rocher sur un auire; cette source est tres- fréquentée, et des personnes de marque y vien- nent des provinces les plus éloignées. On tra- versa plusieurs rivières, et, le 8 avril, Salt aperçut d’un lieu élevé les neiges qui couvraient les hautes cimes des monts du Samen. Adoueh, où l’on entra après avoir parcouru un pays montagneux, est situé en partie sur la pente et en partie au pied d’une montagne; les maisons forment des rues régulières, et sont entremêlées d’arbres et de petits jardins, dont quelques-uns sont soigneusement cultivés. La ville est arrosée par trois ruisseaux. Sa popula- tion doit être de 8,000 ames. Adoueh est le principal entrepôt de commerce des provinces à l'E. du Tacazzé; presque tous les négocians sont des musulmans. On y fabrique des toiles de coton communes et des fines ; les premières passent pour les meilleures de l’Abyssinie. Le coton récolté dans les plaines arrosées par le Ta- cazzé est préféré à celui que l’on apporte de Mas- saouah ; toutefois, celui-ci se vend avec profit. Les autres marchandises qui arrivent du dehors sont : un peu de plomb, de l’étain en bloc, du cuivre, des feuilles d’or, de petits tapis de Perse de couleur vive, des soies écrues de la Chine, du velours, du drap de France, des cuirs d’E- gypte teints, de la verroterie et de la verrerie de Venise et divers autres menus objets qui sont fournis par Djidda. Les exportations con- sistent en or, en ivoire, en esclaves, cette mar- chandise que toute l’Afrique fournit avec abon- dance. Les provinces au S. d’Adoueh échangent leurs bestiaux, leurs grains et le sel tiré de ne fron- üère, contre le objets dont elles ont besoin. On fabrique, dans le Samen, des petits tapis qui font honneur à l’habileté des ouvriers ; les habitans d’Axoum et des environs sont renom- més pour la préparation du parchemin. Le cui- vre et le fer sont faconnés dans toute l'Abyssi- nie ; les chaînes de fer les mieux finies viennent du S., et passent pour être faites chez les Gallas, Tous les ouvriers en fer sont désignés par le nom de bada; par une étrange superstition, on leur attribue la faculté de se transformer la nuit en hyènes, et d’être alors antrhopophages : on croit que si, durant cette métamorphose, ils sont blessés, la plaie se retrouve, lorsqu'ils ont repris leur forme ordinaire, sur la pisse cor- Soeur de leur corps. Axoum n’est qu’à 12 milles à l’O. d’Adoueh; pour y aller, on traverse de belles vallées sépa- rées les unes des autres par des chaînes de col- lines hautes, puis on entre dans une grande plaine très-bien cultivée, dont la surface est parsemée d’agates et de fragmens de cristaux colorés. Lorsqu'on approche de cette ville abri- tée par les coteaux voisins, le premier objet qui frappe la vue est un petit obélisque tout uni; vis-à-vis, est une grande pierre carrée présentant une inscription grecque. Lorsqu'on a passé entre ces monumens, la ville et l’église com- mencent à se montrer, et, en inclinant un peu au N., on apercoit, à gauche d’un immense daro, un obélisque haut de 60 pieds, et terminé au sommet par une patère arrondie (PL. V— 3). La surface de ce magnifique monument, formé d’un seul bloc de granit, offre des ornemens en relief d’une exécution très-hardie, ce qui, avec l'espèce de rainure creusée tout le long de sa partie moyenne, lui donne une élégance et une légèreté qui, probablement, n’a jamais été éga- lée. Plusieurs autres obélisques, dont un à très- grandes dimensions, sont couchés à terre dans les environs. Salt suppose que tous sont l’ou- vrage d'artistes venus d'Egypte, vers le temps des Ptolémées. L’extérieur de l’église d'Axoum ressemble à celui des manoirs seigneuriaux de l’Angleterre au moyÿen-âge. La hauteur de ce temple est de 40 pieds ; on y arrive par un escalier séparé en deux parties par une plate-forme (PL. V — 2); on y entre par un pérystule que soutiennent quatre piliers carrés. Salt fit don à l’église d’une pièce de satin rouge. Oa lui montra tous l:s riches ornemens et les livres que ce temp ph .-ede; on l’encensa, on le conduisit sur le toit qui est plat, euduit de mortier et de stue. Sa counuissance de l’Ecriture sainte fut vérifiée ; le grand-prêtre, ravi de sa science, lui baisa la main. Le costume des ecclésiastiques difière un peu de celui des laïques. Outre le manteau d’une grande ampleur et les calecons serrés qui com. posent l'habillement ordinaire, 1ls portent sur la peau une sorte de tunique de toile blanche qui descend jusqu'aux genoux, Leur coiffure RU 2 ABYSSINIE. 35 consiste en un châle de toile de coton mince qui laisse le sommet de la tête à découvert. Ils ont réellement un air respectable, et Salt ajoute que, d’après ce qu’il a pu apprendre, leurs mœurs sont très-pures. Il a donné le portrait de Dofter Esther, homme très-instruit, générale- ment respecté, qui montrait un vif désir de re- cueillir des renseignemens sur l'Angleterre, et en revanche semblait prendre un grand plaisir à répondre à ses questions ( PL. IV — 3). De retour à Adoueh, Salt recut un message d’une ozoro ou princesse, qui l’invitait à venir Ja voir. « Je fus introduit dans son appartement, dit-il, avec deux autres Anglais et un interprète; elle était assise à l’extrémité supérieure du sa- lon, sur une belle couche placée dans une al- côve dont le rideau était tiré en partie. Elle avait le bas du visage couvert et Le teint très-foncé ; plusieurs femmes très-parées se tenaient autour d'elles ; des parfums brülaient sur un réchaud élevé. La conversation fut très-animée ; l’ozoro m'adressa plusieurs questions avec une politesse infinie ; elle se distinguait, par ses manières, des autres Abyssines que j'avais vues. On nous versa d’amples rasades de maize, c’est la bière du pays, et la soirée finit par un souper. Lors- que je pris congé de l’ozoro, elle me fit présent d’une pièce de toile la plus belle qui se fabrique à Adoueh, et me pria de ne la faire servir qu’à mon seul usage (PL. VI — 3). » Salt étant à Antalou, où se trouvait le raz, fut témoin d’une revue. « La cavalerie passa la première, et fit le tour du cirque au galop, chaque homme brandissant sa lance avec beau- coup d’agilité. Presque tous portaient en écharpe sur l’épaule, et fixé par une agrafe d’or sur la poitrine, un manteau soit de satin, soit de da- mas brodé à fleurs d’or, soit de velours noir avec des ornemens en argent, et avaient la tête ceinte d’un bandeau de satin jaune, vert ou rouge, noué par derrière, et dont les bouts, très-longs, flottaient au gré du vent. Quelques- uns avaient remplacé cet ornement par une bande de peau, dont les poils hérissés rendaient leur aspect singulièrement farouche. Un petit nombre avait une corne d’or s’élevant per- pendiculairement au-dessus du front ou faisant une saillie en avaut; plusieurs avaient ün disque d'argent attaché sur la partie supérieure du bras gauche ; d’autres avaient au bras droit des bracelets d’argent de la forme d’un collier de cheval et en nombre égal à celui des ennemis qu’ils avaient tués. Les chevaux étaient riche- ment caparaconnés. Les guerriers d’un ordre inférieur étaient vêtus de’peaux, principalement de mouton, quelques-unes bordées de bleu et de rouge. Il y eut des combats simulés entre les cavaliers et les fantassins, et parmi ceux-ci en- tre les lanciers et les mousquetaires (PL. VI— 2). Les Abyssins me parurent aussi bons cavaliers qu’il est possible de l’être sans discipline, chose dont ils n’ont pas la moindre idée ; un lancier est représenté pl. VI — 1. » Après ce spectacle, on entra dans une grande salle où tout était préparé pour un ban- quet somptueux. La table était fort longue. Le raz se plaça sur une estrade à l’un des bouts, et nous fit asseoir près de lui sur une plus basse. Il n’y avait pas de bancs, les chefs s’accroupi- rent à terre. Des galettes de teff, de deux pieds .et demi de diamètre, étaient posées en piles hautes d’un pied sur les deux bords de la table, sur laquelle il y avait une file de plats conte- nant des carris de volaille chaude, du mouton, du ghr (beurre fondu) et du lait caillé. Plusieurs beaux pains de froment ronds avaient été pré- parés pour le raz. Il les rompit, nous en donna les premiers morceaux, et distribua les autres aux chefs qui l’entouraient. A cette sorte de signal, des femmes esclaves, placées à différen- tes parties de la table, se lavèrent les mains à la vue du raz, puis trempèrent les pains de teff dans les carris et les autres plats, et les offri- rent aux convives. » Durant ce temps, on tuait, à la porte de la salle, les bœufs réservés pour le festin ; on ren- verse d’abord l’animal, puis, avec un djambi (coutelas), on lui sépare presque entièrement la tête du corps, en prononcçant ces mots : Brs millah guebra menfos kcdos ; invocation qui semble empruntée des musulmans ; ensuite on enlève, avec toute la diligence possible, la peau d’un côté de la bête. On ôte les poumons, le foie, les intestins, que dévorent les valets, quelquefois sans prendre la peine de Îles net- toyer. La chair de l’animal, dont le cœur et Ja croupe passent pour les parties les plus déli- cates, est découpée en grands morceaux dont les fibres palpitent encore lorsqu'on les ap- porte aux convives, à la fin du repas. Le /rinde, ainsi nomme.t-on cette chair crue, était en mor- ceaux inégaux, mais tenait ordinairement à un os par lequel les serviteurs le présentaient aux chefs. Ceux-ci en détachaient tour-à-tour, avec leurs couteaux recourbés, une grande tranche qu’ils découpaient ensuite en aiguil- lettes d’un demi-pouce de largeur, en la pre- nant avec les deux premiers doigts de la main gauche, puis ils la portaient à la bouche. Si un morceau ne plaisait pas à celui qui l'avait coupé, 36 VOYAGE EN AFRIQUE, il était passé par celui-ci à un de ses inférieurs; et allait quelquefois jusqu’à la septième main avant que quelqu'un en voulut. » Tandis qu’on dévorait le brinde, dont il fut consommé une quantité vraiment incroyable, on remplit des gobelets de maïze, les cornes ne servant que pour le bouza , autre sorte de bière. Les premiers convives rassasiés, d’autres, d’un rang inférieur, les remplacèrent etmangèrentles restes de la chair crue; un troisième, un qua- itrième, enfin un cinquième rang se succédè- rent ; les derniers furent réduits à se contenter d’un pain de teff grossier et d’une corne de bouza; ils furent même congédiés par le maître des cérémonies avant d’avoir pu se rassasier. » L’étiquette exige qu’à la cour, et partout de- vant le roi ou le raz, on ne se présente que le corps découvert jusqu’à la ceinture (PL. VI— 1); cependant, quelques Abyssins se bornent à mettre leur poitrine à nu, ensuite, ils replacent leurs vêtemens. En retournant vers la côte, Salt logea dans un hangard dont une partie était occupée par des Hazortas, venus là pour aider à faire la moisson. Leur souper ne consista qu’en galettes grossières faites avec du grain recueilli le jour même. « Une vieille femme commença par le dégager d’une partie de son enveloppe, puis elle le broya, à l’aide d’une jeune fille; elle fit ensuite, avec la farine, une pâte épaisse qu’elle versa de sa main sur un plat à moitié cassé et placé sur un feu vif, Les deux femmes ne cessè- rent pas de surveiller avec beaucoup d’attention les progrès de la cuisson. Un vieillard, qui pa- raissait être le chef de la famille, était assis fort tranquillement, fumant son houka; un jeune garcon d’environ seize ans se tenait dans un coin, sur une espèce d’estrade; deux enfans, une vache et quelques chèvres formaient le reste du tableau : il me parut tellement caracté- ristique , que je le dessinai. La famille eut à peine la patience d’attendre que la première ga- lette fût cuite; à peine Ôôtée de dessus le feu, la galette fut mangée avec avidité, et, afin que rien ne fût perdu, la vieille femme chercha dans les cendres les miettes qui pouvaient y être tombées. Tous semblèrent fort contens de leur frugal repas, qu’ils terminèrent en buvant de l’eau fraîche à grands traits (PL. VI — 4). » Salt, dans ses deux voyages, revint par Mas- saouah. En 1805, le naïb était un Abyssin mu- sulman duquel il fait l’éloge (PL. V — 1). Nathaniel Pearce, matelot anglais qui avait accompagné Salt en Abyssinie, lui demanda la permission de rester dans ce pays, Elle Jui fut accordée. Il dessinait passablement , possédait quelques connaissances en médecine, et était doué d’une grande facilité pour apprendre les langues. Le raz promit d’avoir soin de lui. Quand Salt fit son second voyage, Pearce vint au-devant de lui jusqu’à Massaouah. Il lui ra- conta que deux fois il s'était brouillé avec le raz, quoiqu'il eût rendu dans la guerre des services signalés à celui-ci ; enfin ils se réconcilièrent. Il avait parcouru une grande partie du pays, dont il parlait facilement la langue, et fournit à Salt beaucoup de renseignemens importans. 11 con- tinua de séjourner en Abyssinie quand Salt le quitta pour la seconde fois, et, en 1814, lui en- voya un journal de ce qui s’y était passé depuis son départ. Coffin, autre Anglais, subrécargue d’un na- vire marchand, avait étéenvoyé en Abyssinie par Salt, quand celui-ci, avant que de rentrer dans cette contrée, en examinait la côte. Débarqué le 10 avril 1810 au port d’Amphilah, il avait voyagé vers l’O., en compagnie d’un jeune chef abyssin. Chaque jour, ils avaient marché pen- dant douze heures, à travers des montagnes âpres et stériles, entre lesquelles on rencontrait parfois un village ou un petit campement. Le 13, les voyageurs rencontrèrent, à 150 milles de la côte, une vaste plaine où commence le terrain qui fournit dusel. Le lendemain, ils tra- versèrent des montagnes habitées par les Har- tous, tribu des Danakil soumise par les Abyssins, descendirent ensuite dans des plaines pour gra- vir plus tard le Sanafé, qui passe pour être plus haut que le Taranta. Le pays au-delà est fertile; le 18, ils entrèrent dans Tchelicot. Coffin, de même que Pearce, se fixa en Abyssinie ; il y resta. Son compagnon revit sa patrie, où le résultat de ses observations a été publié, L’excursion faite par Coffin d'Amphilah dans l’intérieur de l’Abyssinie est d’autant plus cu- rieuse, que, depuis les Portugais, aucun Euro- péen n’y avait pénétré par là. Le premier de cette nation qui y vint fut Pierre de Covilham ; il y arriva en 1490, et y fut très-bien accueilli; mais, d’après une loi qui existait alors, il ne put obtenir la permission d’en sortir. Toutefois, il réussit à faire parvenir, par la voie de l'Egypte, de ses nouvelles dans sa patrie. D’un autre côté, il ne cessait de vanter la puissance de son sou- verain au roi d’Abyssinie. Celui-ci, alarmé des progrès des Turcs le long des côtes du golfe Arabique, envoya un ambassadeur au roi de Portugal pour lui demander du secours : une flotte parte de Lisbonne parut devant Mas- saouah le 6 avril 1520. Les Portugais furent très- ABYSSINIE. mal accueillis par le peuple, pénétré d’une haine profonde pour les catholiques romains. Cette première tentative échoua; cependant, les pro- grès des musulmans décidèrent le monarque abyssin à solliciter de nouveau l'appui du roi de Portugal. Une troupe de soldats de celui-ci vainquit en 1541 les musulmans, et sauva le pays. Les intrigues des missionnaires avaient déja causé de grands embarras; ils augmentèrent avec leurs prétentions : les jésuites réussirent en 1620 à faire publiquement reconnaître l’au- torité du pape par le roi. Il n’en résulta que des guerres civiles très-sanglantes ; elles n’eurent un terme qu’en 1632, lorsqu’un édit chassa tous les catholiques romains, et rendit la suprématie spirituelle à l’abouna, envoyé par le patriarche copte d'Alexandrie pour être le chef du clergé. Durant leur long séjour en Abyssinie, les Portugais visitèrent toutes les provinces de cette contrée, et les ouvrages qu’ils publièrent en contiennent des descriptions qui sont encore bonnes à consulter. En 1613, le P. Antoine Fernandez traversa les provinces du Sud, puis les royaumes de Na- rea, de Zendero ou Gingiro, de Cambate et d’Alaba, pour arriver à la mer des Indes; mais, après un voyage de dix-huit mois, il fut obligé de revenir sur ses pas. Sa relation très-succincte est intéressante par les détails qu’elle contient sur des pays où , depuis Fernandez, aucun Eu- ropéen n’est allé. Le P. Paez découvrit, en 1618, les sources du Pahr-el-Azrek, et donna la description du canton où elles se trouvent. Le P. Lobo le visita en 1625; vers cette époque, le roi, qui favori- sait le catholicisme , étant mort, Lobo ne put sortir de l’Abyssinie qu’en prenant des chemins détournés. Le récit de ses courses, imprimé en portugais, puis en français, parut aussi en an- glais en 1798. Depuis l’expulsion des Portugais, l’Abyssinie était devenue étrangère à l’Europe, lorsqu’en 1698, le roi, attaqué d’une maladie cutanée qui résistait à tous les remèdes, chargea un de ses facteurs au Caire de chercher un médecin qui püi le guérir. Maillet, consul de France, lui in- diqua Poncet, établi dans cette ville depuis plu- sieurs années. Ce dernier partit donc le {0 juin, accompagné du P. Brevedent, qui passait pour son domestique, et du facteur du monarque abys- sin, Arrivés à Manfalout, les voyageurs se di- rigèrent, avec une caravane, vers la grande oasis, retrouvèrent les bords du Nil à Mochot, et suivirent sa rive gauche jusqu’au faubourg de 2 31 Dongolah. Poncet fut très-fêté dans cette capi- tale pour ses succès dans les cures qu’il entre- prit. Partout où il passait, il recevait des mar- ques non équivoques de respect et de bienveil- lance, parce qu’on savait qu’il allait chez le roi d’Abyssinie. Le 12 mai 1699, il partit de Sennäar, fit route à l’E., etentra en Abyssinie à Serk, Le P. Brevedent mourut à Barko, et Pon- cet fut retenu douze jours, par une maladie, dans cette petite ville, qui n’est éloignée que d’une demi-journée de Gondar, qu’il atteignit le 21 juillet. Il réussit à guérir le roi et son fils en fort peu de temps. « Ainsi, dit Bruce, ül remplit cette partie de sa mission aussi parfaite- ment que le médecin le plus habile eût pu le faire. Quant au second objet dont on l'avait chargé, et qui était d’eugager le monarque à envoyer une ambassade en France, je doute qu’un autre eût pu s'en acquitter autrement qu’il le fit. Le projet d’une ambassade abyssine de- mandée par les jésuites, et vivement sollicitée par Maillet, était une chimère impraticable, mais qui heureusement n’eut aucune suite. » Poncet se conforma donc le mieux qu’il put aux instrucuons du consul, en emmenant avec lui un Arménien nommé Mourat, neveu d’un chré- tien du même nom, qui, depuis longtemps, jouissait de la confiance du roi d’Abyssinie. Ce prince reconnut publiquement Mourat pour son délégué auprès du roi de France, et lui fit re- mettre les présens destinés à Louis XIV. Poncet sortit de Gondar le 2 mai 1700, passa par Adoueb, visita les ruines d’Axoum, traversa les montagnes du Taranta, et descendit à Massaouah, où il s’embarqua. Quand il fut au Caire avec Mourat, Maillet se brouilla avec celui-ci; sa mauvaise humeur s’é- tendit jusque sur le médecin qu’il desservit et calomnia; de sorte que, quoiqu'il eût été pré- senté au roi, qui l’avait accueilli très-gracieuse- ment, la réalité de son voyage fut suspectée. Maillet se garda bien de dire que l'agent du mo- narque abyssin revenu au Caire lui avait remis uné lettre de ce prince, qui le remerciait de lui avoir envoyé Poncet, auquel il devait sa guéri- son. La calomnie avait produit son effet : Pon- cet, déconsidéré, quitta Paris fort chagrin; il retourna dans le Levant, et mourut en Perse en 1708. Le recueil des Lettres édifiantes contient la relation de son voyage et la traduction de la Relation d’Abyssinie par Lobo offre une lettre à Maillet dans laquelle il Pinstruisait des disposi- tions hostiles des Abyssins envers les étrangers. Cette révélation, si contraire aux projets de ce 38 3 dernier, provoqua sans doute sa colère contre Poncet; ses ressentimens furent partagés par plusieurs savans en France, et le pauvre méde- cin fut traité d’imposteur. Bruce, qui, certes, n’est pas indulgent pour les fautes de son pro- chain, prend la défense de Poncet; il atteste que tout ce qu’il a dit de l’Abyssinie est vrai; il reconnaît qu’il lui est échappé des inexactitudes, et qu’on trouve dans son récit des invraisem- blances, mais il les attribue aux écrivains qui ont publié sa relation et qui ont voulu l’embellir. « On l’a critiqué avec tant de dureté et d’injustice, ajoute-t-il, qu’on a fini par le faire tomber dans l'oubli et le mépris. J’essaierai de l’en tirer. Je veux examiner les faits, les lieux, les distances dont il parle; corriger les erreurs sil y en a, et lui rendre enfin la place qu’il mé- rite dans l’histoire des découvertes et de la géo- graphie. On trouve, dans cette relation, le pre- mier itinéraire de ces déserts, et je concois que nous serons longtemps avant d’en avoir un au- tre. » Salt rend également justice à Poncet. Le projet d'envoyer des missionnaires ca- tholiques en Abyssinie n’était pas abandonné en France ; on espéra y réussir par le moyen d’une ambassade. Elle fut offerte à Maillet, et, en homme prudent, il s’excusa, et désig na pour celte entreprise Lenoir du Roule, vice-consul de France à Damiette, distingué par son zèle pour les intérêts de sa nation et par les qualités brillantes de son esprit. Il partit du Caire en 1704. Les ordres les plus précis avaient été donnés pour la sûreté de son voyage ; le roi d’A- byssinie , informé de sa venue, l'avait recom- mandé aux princes de Nubie, ses alliés. Cepen- dant, arrivé à Sennâar, du Roule y fut assassiné, avec toute sa suite, devant le palais du mélek. Ce crime, provoqué par d’odieuses menées de moines, jaloux de ce que, à leur préjudice, les jésuites devaient être chargés de ramener les Abyssins dans le sein de l’église catholique, demeura impuni ; il ne l’eût pas été, si on eût pris en France autant de soin d’en poursuivre les auteurs que fit le roi d’Abyssinie, Les mé- moires de du Roule ont été perdus; ceux que cite d'Anville avaient été écrits au Caire avant son départ pour la Nubie. Au départ de Poncet, l’Abyssinie était tran- quille; mais bientôt des troubles y éclatèrent, et la guerre civile désolait cette contrée, lorsque Bruce attérit à Massaouah en 1769. Il vit les mêmes lieux que Salt a décrits depuis, et, le 10 janvier 1770, il fit d’Adoueh une excursion au couvent de Fremona, principal établisse- ment des jésuites. Cet édifice en ruines occupait VOYAGE EN AFRIQUE: un emplacement d’un mille de circuit sur une montagne qui forme à l'E. et au N. des précipi- ces horribles, et s'incline doucement vers le S.; il est entouré de murailles crénelées et flan- quées de tours, et ressemble plus à une citadelle qu'à un monastère. Jusqu’alors Bruce n’avait pas vu dans tout le pays un lieu plus aisé à dé- fendre. Le 22, il était à Siré, ville bâtie près d’une vallée étroite et profonde , où coule un ruisseau bordé de dattiers qui ne donnent pas de fruits. Ayant traversé de grandes plaines séparées par des coteaux, il atteignit les bords du Tacazzé, qui sépare le Tigré à l'E. de l’Amhara à PO. De même que toutes les rivières du pays, il déborde dans la saison des pluies, etalors cause de grands ravages. Bruce fait une description ravissante des rives du Tacazzé; elles sont ombragées d’ar- bres majestueux et couvertes d’arbustes et de plantes dont les fleurs odorantes peuvent le dis- puter à celles des plus beaux jardins ; son onde est limpide et d’un goût parfait; enfin, on pêche diverses espèces d’excellens poissons dans ses eaux, et ses bords abondent en gibier. Bruce put le traverser à gué dans un endroit où sa largeur était de 200 pas au moins; il cou- lait avec beaucoup de rapidité; c’était le temps le plus sec de l’année. Il s’engagea ensuite dans les montagnes du Lamalmon, qui sont, dans le N. O., une des branches les plus hautes de celles du Samen; les forêts étaient infestées par les hyènes. Il suivait le chemin que sont obligées de prendre toutes les caravanes qui vont à Gon- dar. « Les Falachas, dit notre voyageur, sont les habitans indigènes de ces montagnes; ils conservent la religion, la langue et les mœurs de leurs ancêtres ; ils ne se mêlent pas avec d’autres peuples. Leur nombre est considera- blement diminué; leur courage et leur puissance ont déchu à proportion. Ils sont laboureurs, bûcherons, porteurs d’eau, potiers et macons. Comme ils excellent dans l’agriculture et vivent plus vieux que le reste des Abyssins, ceux-ci ne manquent pas d'attribuer leur supériorité à Ja magie. Les villages des Falachas sont presque tous situés hors des routes fréquentées par les armées quand elles sont en marche, sans quoi ils seraient continuellement exposés à des dé- vastations, tant à cause de l’aversion que l’on a pour ce peuple que par l’espérance de lui extor- quer de l’argent. » L'Ouoggora est un pays de plaines hautes ; au mois de février, les nuits y étaient très-froides, quoiqu'il ne tombat pas de rosée, et que la terre fut brûlée par l’ardeur du soleil pendant le jour, era 0 REC S eu ga veu 229 » Clelisque CCC PTIT. 14 22 Fa) Le LS 2? AE 4 / AFRIQUE ABYSSINIE. Le 14 février, Bruce aperçut Gondar, dont les maisons étaient cachées par la quantité des ar- bres touffus qui croissent dans cette ville. Le 14 mars, guidé par Tecla Mariam, secrétaire du monarque, il fut présenté à ce prince, devant lequel il se prosterna. « Je vous amène, dit Te- cla Mariam au roi, un de vos serviteurs qui vient d’un pays si éloigné, que, si vous le lais- sez jamais s’en retourner, nous ne pourrons ni le suivre ni savoir où il faudra l'aller chercher. » — « Le roi ne répondit rien, du moins autant que je pus en juger, ajoute Bruce, car sa bouche était couverte ; il ne changea même pas de con- tenance. Cinq jeunes hommes se tenaient de- bout, à côté du trône, deux à droite, trois à gauche. L’un de ces jeunes gens, qui était fils de Tecla Mariam, et qui devint par la suite mon intime ami, s’avanca de la gauche où il était le premier, et, me prenant par la main, me plaça au-dessus de lui. S’apercevant ensuite que je n'avais pas de coutelas à la ceinture, il tira le sien et me le donna. Lorsque je fus ainsi placé, je baisaïi de nouveau la terre. » Des questions furent adressées à Bruce, et quand il y eut moins de monde dans la salle d'audience, le roi découvrit sa bouche et lui parla de son voyage à Jérusalem, des armes à feu, des chevaux, des Indes et de la manière dont il se servait de son télescope. « Gondar est bâti sur une montagne très- haute dont le sommet est assez uni; le palais du roi, situé à l'O. de la ville, est un grand bâti- ment carré à quatre étages, et flanqué de quatre tours carrées ; brûlé à différentes reprises dans les guerres civiles, il n’offre presque plus qu'un monceau de ruines, et on n’habite plus que dans le rez-de-chaussée et dans le premier étage. Cet édifice fut bâti du temps des Portugais par des ouvriers venus des Indes et par des Abys- sins, que les jésuites avaient formés à l’archi- tecture. » La montagne sur laquelle s’élève Gondar est environnée d’une vallée profonde, dans la- quelle coule le Kahha,' qui passe au S. de la ville; l'Angrab, qui vient de l'Ouoggora, la contourne au N. O., puis ces deux rivières se réunissent à un quart de mille plus au S. » De l’autre côté du Kahha , est une ville ha- bitée par des musulmans actifs et laborieux qui, pour la plupart, ont soin des équipages du roi et de la noblesse; ils forment dans l’armée un corps commandé par des officiers; mais jamais ils ne combattent pour aucun parti. » Le principal objet du voyage de Bruce en Abyssinie avait été de découvrir les sources du 39 Nil, nom par lequel il désigne le Bahr-el-Azrek, et que nous allons employer. Le 4 avril 1770, Bruce, parti pour son entreprise, fit route au S. Au bout de trois heures, il traversa le Mo- ghetch sur un pont de pierre très-solide, chose excessivement rare en Abyssinie, mais très-né- cessaire dans cet endroit, car le Moghetch, qui descend des montagnes de l’Ouoggora, ne tarit jamais, et dans le temps de la crue des eaux il gonfle tellement, qu’il serait impossible aux gens portant des denrées à Gondar de le passer. Le Moghetch court vers le lac Tzana ou Dembea; son eau n’est pas bonne sans doute à cause des particules minérales qu’elle charrie. Bruce ne tarda pas à voir le lac à sa droite; il chemina dans un canton coupé de montagnes et de ri- vières. Le grand village de Tangouri est peuplé de marchands musulmans qui vont en caravane à l’O., au-delà du Nil et très-avant dans le $., trafiquer avec les Gallas. Emfras, ville sur une haute montagne, est entourée de jardins ; de là, on voit bien l’ensemble du lac et même la cam- pagne qui s’étend au-delà. C’est la plus vaste nappe d’eau de ces contrées. Sa plus grande largeur de VE. à l'O. est de 35 milles; mais il se rétrécit beaucoup à ses deux extrémités. Sa plus grande longueur est de 49 milles du N. au S. Il est traversé, dans sa partie méridionale, par le Nil, qui coule de l'O. à VE. Dans la sai- son de la sécheresse, c’est-à-dire d’octobre en mars, il décroit beaucoup; mais, dans celle des pluies, -il déborde et inonde une partie de la plaine. Si l’on en croit les Abyssins, qui sont de grands menteurs, ce lac renferme 45 îles habi- tées ; je pense que ce nombre peut être réduit à 11. La principale est Dek, située dans la partie moyenne vers la rive occidentale. Autrefois, les grands personnages du pays tombés en disgrâce | étaient relégués dans ces îles, ou bien ils les choisissaient pour leur retraite quand ils étaient mécontens de la cour, ou lorsque dans les temps de troubles ils voulaient mettre en sûreté leurs effets les plus précieux. On voit beaucoup d’hippopotames, mais 1l n’y a pas de crocodiles dans le lac Tzana. Dara, village habité par des musulmans, est voisin d’un canton montäsneux que le Nil tra- verse après sa sortie du lac,'et où il se précipite a Alata d’une hauteur de 40 pieds, par une case cade large de plus d’un demi-mille : elle a été décrite inexactement par Lobo; mais son effet est d’une magnificence admirable. A peu de distance au N. E. d’Alata, des eaux thermales jaillissent à Lebec, PT MERE 40 VOYAGE EN AFRIQUE. Bruce revint à Dara et en repartit le 22 mai, se dirigeant vers le Nil, qui était fort haut ; il le passa à la nage ; à midi, lui, ses gens et son ba- gage étaient sur la rive opposée ; trois heures après, on atteignit Tsoumoua, village éloigné de 12 milles, et situé au S. du lac. La vaste et fertile plaine de Maïtcha se prolonge vers le S. O., à droite et à gauche du Carcagna. Divers incidens forcèrent Bruce à retourner à Gondar, en passant à l'O. du lac. Le 28 octobre, il partit de nouveau, chemi- nant à l'O. S. O., et ayant à chaque pas à tra- verser des rivières coulant vers le lac; le 30, il arriva sur ses bords, et les suivit jusqu’à Bamba, village dans une vallée en partie couverte de buissons et de chétifs arbrisseaux, et en partie bien cultivée. Dingleber, autre village plus au S:, est à l’entrée du pays montueux qui mène au Sakala, canton occupé par les Gallas. On traversa plusieurs affluens du Nil, et, le 2 no- vembre, Bruce était sur ses bords. Le passage en fut difficile, à cause de l’inégalité du fond. La largeur de cette rivière était de quatre pieds dans le milieu de son lit, et de deux seulement le long des rives. Celle de la gauche était om- bragée de grands arbres du genre du saule ; les Abyssins le nomment La, et s’en servent pour faire le charbon, qui entre dans la composition de leur poudre à tirer. La rive droite est hérissée de rochers pointus, entre lesquels croissent des arbres d’un feuillage sombre qui finissent par former une forêt. Les habitans de cette contrée haute sont des Asôs. « Ils accoururent en foule autour de nous, dit Bruce, dès que nous voulümes passer la ri- vière, et nous y aidèrent; mais ils s’opposèrent à ce qu'aucun homme de ma troupe, monté sur un cheval ou sur un mulet, entrât dans l’eau; ils insistèrent pour que chacun ôtât ses souliers, et menacèrent de lapider quiconque ferait mine de laver ses vêtemens dans le Nil ; il s’ensuivit une vive altercation qui me causa un plaisir ex- trême, puisque jy retrouvais des traces du culte rendu dès la plus haute antiquité à ce fleuve cé- lèbre; enfin, on nous permit, ainsi qu’à nos animaux, de boire de son eau. » Le village de Goutto est peu éloigné d’une cataracte qui est appelée la première ; ses bords ne sont ni si bien boisés ni si verdoyans que ceux de la seconde, qui est plus au N. Sa hau- teur n’est que de 16 pieds, et sa largeur, inter- rompue en plusieurs endroits par des rochers, n’a que 180 pieds. Le Nil forme encore d’autres cascades dans ces cantons; quelques-unes sont très-peu considérables, , Continuant à cheminer dans uñ paÿs très- montagneux , coupé de nombreux ravins et de rivières, et couvert de beaux pâturages, Bruce eut , le 5 novembre, la satisfaction de contem- pler la source du Nil, près du village de Ghich; elle consiste en deux filets d’eau sortant d’un tertre herbeux situé au milieu d’un terrain hu- mide. Bruce exprime dans un langage empha- tique les sentimens qu’il éprouva, puis il entame une longue discussion pour prouver qu’il est le premier Européen quai ait vu ces sources sacrées, donne une copie de la description que Paez en a faite, et s’efforce d’en démontrer la fausseté. Ilest fâcheux pour sa mémoire que toute la peine qu’il prend produise un effet tout contraire à celui qu’il attendait; car la description du jé- suite et la sienne ne diffèrent que dans des mi- nuties ; ses compatriotes eux mêmes l’ont sévè- rement blâmé de son outrecuidance. Il croyait être dans les montagnes de la Lune, où, depuis longtemps, on place les sources du Nil. Ii en était bien loin, et cette chaîne de montagnes, dont on ne désigne la position qu’au hasard, attend encore la visite de quelque voyageur in- trépide et heureux. Ivre de joie d’avoir vu le berceau du Nil, et dans un endroit où cette rivière est si étroite, qu’on pouvait sauter d’un bord à l’autre, Bruce s’en donna le plaisir une soixantaine de fois, but des rasades de son eau fraîche à la santé du roi George III et de sa nombreuse pos- térité, à celle de l’impératrice Catherine IF, en- fin à son heureux retour, et il fit participer à ces libations un Grec qui l’accompagnait. Le 10 novembre, il quitta ce canton monta- gneux, et, quand il fut dans un pays moins in- égal, il prit une direction plus orientale que celle qu’il avait suivie en venant. De retour à Gondar, il obtint du roi la permission de sortir de l'Abyssinie. Il n’en put profiter aussi promp- tement qu’il l’aurait désiré à cause de la guerre civile ; enfin, le 21 novembre 1771, il sortit de Gondar, et fit route au N. Le 2 janvier 1772, il était à Tcherkin, où se tient un grand marché. Bientôt il prit son chemin à travers les bois; les villages de cette contrée sont souvent dévastés par les Changallas, peuple nègre qui habite une partie de l’espace eompris entre la rive droite du Tacazzé et le Bahr-el-Abiab. Leur pays est généralement montagneux, assez bien arrosé et couvert de forêts. Ce sont des sauvages conti- nuellement en hostilités avec les Abyssins. Bruce chemina ensuite à l’O., vers le Ras-el. Fil ; il regarde ce pays comme un des plus chauds de la terre; cependant, l’ardeur de ce climat ne ABYSSINIE. 11 produisit pas sur $a personne une impression proportionnée à son intensité. Ce ne fut pas sans peine qu’il échappa aux embûches que lui avait tendues un chef de l’Atbara. Le 23 mai, il passa le Rahad; le 24, le Dender. Un peu plus loin, les forêts cessèrent; il ne voyagea plus que dans des campagnes découvertes et bien cultivées. Les Noubas, chez lesquels il était, ontlescheveux läineux, le nez aplati, et parlent un idiome doux, sonore, et totalement différent de ceux qu’il avait entendus jusqu’alors. Ils sont païens. L’immense plaine qu’ils habitent n’a d’autre eau que celle des puits; Bruce en mesura un qui avait 80 brasses de profondeur. 1l traversa le Bahr-el-Azrek à Basbokh, qui est sur la rive droite de cette rivière. Le 29 mai, il entra dans Sennäâar, où il fut accueilli très-amicalement par le roi. Quatre mois après, il était au village d’Oued - Hodjila, au N. de Cheikh - Amman. « C’est là, dit-il, que l’Abiad, plus considérable que le Nil, se réunit à ce fleuve; cependant, le Nil conserve encore, après sa jonction, le nom de Bahr-el-Azrek...… L’Abiad est très-profond ; il n’a presque point de pente ; il coule lentement ; et cependant ses eaux ne diminuent jamais, parce qu’il prend sa source sous une latitude où il pleut toute l’année, au lieu que le Nil supporte six mois de sec, qui le font décroître. » On voit que Bruce, dans sa prévention d’avoir découvert les sources du vrai Nil, ferme les yeux à l’évidence des faits qui lui démontraient que le Bahr-el- Abiad méritait seul cette dénomination. * On vient de voir le motif qui avait amené Bruce en Abyssinie; Salt y fut conduit par le désir de lier des relations commerciales entre sa patrie et ce pays. En 1830, deux missionnai- res protestans y entrèrent pour travailler à épurer le christianisme de ses habitans, mêlé de beaucoup de pratiques superstitieuses. Abra- ham, savant Ethiopien qui avait accompagné Bruce, étant venu au Caire en 1808, le consul de France concut l’idée de lui faire traduire le Nouveau - Testament en Jangue amharique; ce personnage, après s’être acquitté parfaitement de cette tâche, fit le voyage de Jérusalem, où la peste l’enleva bientôt. Son manuscrit tomba entre les mains de la Société biblique de la Grande-Bretagne, qui le fit imprimer, et pria la Société des missions de l’église anglicane d’ex- pédier quelques missionnaires en Abyssinie; le choix tomba sur MM. Samuel Gobat, de Berne, et Christian Kugler, de Wurtemberg. Ils vinrent au Caire en 1826, et, pendant un séjour de dix mois, ne purent trouver aucun moyen de péné- trer dans la contrée où leur zèle les appelait, Is ArR, parcoururent alors la Syrie et la Palestine, et continuèrent l’étude de l’amharique et du ti- gréen. Revenus en Egypte en août 1827, ils fu- rent contraints d’y rester jusqu’en octobre 1829, attendant avec impatience que la guerre qui dé- solait alors lAbyssinie leur laissât entrevoir l’es- poir d’y entrer. Le 12 octobre, ils purent enfin quitter l'Egypte, accompagnés de G. Aichinger, charpentier chrétien qui devait les aider dans leur œuvre. Le 18 décembre, ils abordèrent à Massouah ; le 15 janvier 1830, ils quittèrent la côte; puis, traversant le Taranta, et après une marche de quatre semaines, arrivèrent à Adi- grat, dans le Tigré. Sabagadis, souverain de cette partie du pays, les accueillit amicalement. Bientôt les deux missionnaires soñgèrent à se séparer ; Kugler et Aichinger demeurèrent dans le Tigré, dont ils possédaient bien la langue; Gobat, qui connaissait le mieux l’amharique, parüt le 25 février pour Gondar. Au moment où il entra dans cette ancienne capitale du royaume, tout le pays qui l’entoure était livré à l’anarchie. La petite caravane avec laquelle le missionnaire voyageait n’avait pu se procurer des vivres qu'avec une difficulté ex- trème. Elle parcourait de longues distances sans rencontrer un seul village, et cependant tout ce territoire est naturellement fertile. Sur une montagne voisine, élait campé Oubié, jeune chef qui gouvernait le Samen. Quoiqu'il dépendit du gouverneur de l’Amhara, ses talens militaires lui avaient acquis une influence qui l’égalait aux raz. M. Gobat, instruit qu’il allait bientôt partir avec son armée, courut à sa rencontre. En ce même moment, des prêtres s’acheminaient processionnellement vers lui. M. Gobat se tint un peu en arrière pour attene dre qu’ils eussent été reçus ; mais aussitôt qu’Ou- bié eut apereu notre missionnaire, il descendit de sa mule et s’avança vers lui. Les prêtres lui adressèrent des vœux pour sa prospérité; les ayant écoutés à peu près trois minutes, il leur dit d'attendre, et fit asseoir M. Gobat à côté de lui. Le missionnaire lui fit présent d’un joli pis- tolet, qui plut beaucoup au jeune chef. Pendant qu'il Pexaminait, M. Gobat lui offrit, en pré- sence de tous ses officiers, un exemplaire des Quatre Evangélistes. Oubié w’eut pas plutôt vu le livre, qu’il le parcourut, et dit à M. Gobat qu'il lacceptait avec le plus grand plaisir. « Mais, ajouta-t-il, pourquoi es-tu venu dans ce mauvais pays, livré à la guerre et aux troubles? — Je connaissais, reprit M. Gobat, l’état actuel de Gondar : je crains Dieu, et je sais qu’au mi- lieu du désordre et des guerres, l'Eternel règne 6 42 pour protéger ceux qui l’invoquent. » Alors Oabié se tournant brusquement vers ses offi- ciers, s’écria : « Voila un vrai blanc, oui, c’est ja perle des blancs; nous n’en avons pas encore eu de semblable. » Ensuite, il appela les prêtres, leur recommanda l'étranger, et les rendit res- ponsables de sa sûreté. L’etchégué (chef de tous les moines abys- sins), chez lequel M. Gobat fut conduit, était à peu près le seul personnage dont lautorité fût respectée à Gondar ; le quartier qu’il habite est toujours sûr, même au milieu des plus grands troubles, aucun chef militaire n'osant y pénétrer par force. Le monarque qui régnait alors passait pour être âgé de quatre-vingt-six ans. Ce fantôme de souverain logeait dans une petite maison ronde bâtie sur les ruines du palais, et qui cepencant était le bâtiment le mieux construit que notre missionnaire eût encore vu en Abyssinie. Trois salles et quelques petites chambres se trouvaient encore en assez bon état; mais le désordre de leur ameublement annonçait que depuis long- temps elles n’avaient pas été habitées. Le roi n’occupait qu’une seule chambre divisée en deux parties par un rideau blanc. Néanmoins, malgré l'aspect chétif de tout ce qui l’entourait, le roi de Gondar ne manquait pas d’une certaine dose d'orgueil et de jactance. « As-tu jamais vu, de- manda-t-il un jour à M. Gobat, un palais aussi magnifique que le mien ? » La réponse affirma- tive du missionnaire lui causa uit étonnement extrême, et il reprit ainsi : « Quoi ! il existe en- core des hommes qui peuvent en construire de semblables? » , Avant que M. Gobat s’embarquât pour retour- ner en Europe, le roi avait été privé du trône, et on lui avait donné deux successeurs. Au com- mencement de 1831, le missionnaire revint dans le Tigré, où il passa deux ans; il y fut té- moin des luttes sanglantes auxquelles se livrè- rent les différens chefs qui se disputaient le pou- voir. Dans ces révolutions, qui se succédaient avec une rapidité prodigieuse, M. Gobat ne courut pas précisément de grands risques pour sa personne; mais il fut contraint de passer trois mois assez désagréables dans un village du pays des Ghohas, qui sont des espèces de sauvages. Aussitôt qu'ils eurent appris la mort du chef abyssin qui les avait soumis, et auquel ils payaient un tribut, ils refusèrent de l’acquitter. Des que- relles éclatèrent dans tous les villages. Les jours de marché, il en survenait toujours quelqu’une ; des bandes de trois ou quatre cents hommes en venaient aux mains : Mais, tout sauvages que VOYAGE EN ASIE: sont ces Ghohas, ils usent de grandes précau- tions pour que personne ne perde la vie dans ces mêlées, parce que, dans le cas où un ho- micide est commis, les parens de l’homme tué ne manquent pas de poursuivre le meurtrier ou un de ses parens même pendant plusieurs géné- rations. Avant cette aventure, M. Gobat avait eu le malheur de perdre Kugler, son compagnon, qui l’avait rejoint dans la. ville d’Adoueh. En ce moment, le charpentier Aichinger était malade. Les cris et les hurlemens que, suivant leur usage, les Abyssins, hommes et femmes, dont la mai- son était remplie, poussèrent quand ils appri- rent que Kugler venait d’expirer, tourmentaient Aichinger; M. Gobat l’encouragea à prendre patience pour quelques instans, afin de ne pas contrarier leurs idées. Au bout d’un quart d’heure, il leur représenta que ces lamentations bruyantes fatiguaient le malade, ne faisaient au- cun bien au mort, et que ceux qui aimaient vé- ritablement Kugler devaient se résigner à la vo- lonté de Dieu. La plupart de ses auditeurs con- vinrent qu’il avait raison ; la nuit se passa dans un morne silence. Aichinger recouvra la santé. Quoique M. Gobat argumentät sérieusement contre les Abyssins toutes les fois qu’il s’agissait de religion, ce qui arrivait très-fréquemment, néanmoins il ne cessa pas un seul instant d’être bien vu, ce qui donne lieu de présumer qu’il dis- cutait avec beaucoup de douceur et sans aucune aigreur, et que, d’un autre côté, les théologiens du pays sont très-tolérans, puisqu'on voulut absolument le nommer abouna. Quand le mo- ment de son départ approcha, un docteur du pays, avec lequel il avait souvent discuté, se sé- para de lui en versant des larmes. Ainsi, la franchise de M. Gobat n’avait pas déplu. Ce- pendant il reprenait durement les prêtres et tous ceux dont il combattait les sentimens er- ronés. | Il attribue la corruption des mœurs en Abys- sinie à la vie vagabonde des habitans : il pense que malgré leurs dissolutions, ils ont pourtant en public plus de pudeur qu’on ne pourrait le supposer d’après les détails donnés par Bruce. Il avoue qu’il a entendu beaucoup de discours scandaleux, mais qu’il a vu bien moins d’actions indécentes dans la capitale de l’Abyssinie que dans celles d'Angleterre, de France et d’E- gypte- M. Gobat disculpe les Abyssins de plusieurs reproches qui leur ont été adressés par d’autres voyageurs européens, et les loue notamment de leur hospitalité. ABYSSINIE. 43 M. Gobat regarde le pays des Gallas comme un vaste champ qui offrirait moins de difficultés aux messagers de l'Evangile que celui de peu- ples dont l'esprit est égaré par des superstitions opposées au vérilable christianisme. Un jeune Galla, qui vint plusieurs fois chez notre mission- naire, et qui, doué des plus heureuses disposi- tions, avait, sans secours et presque sans maî- tre, appris l’éthiopien, qu’il écrivait passable- ment, raconta qu’il était chrétien, et qu’étant allé voir ses parens pour les engager à venir dans l’Amhara pour y embrasser la religion chrétienne, ils n’élevèrent aucune objection sur ce dernier point, mais ils refusèrent de quitter leur patrie. En 1832, M. Gobat quitta l’Abyssinie avec Aïichinger; son zèle l’a ramené de nouveau dans ce pays : vers la fin de 1834, il était à Massouah avec son compagnon, M. Isenberg. M. Ruppel, dont nous avons parlé en dé- crivant la Nubie, était en Abyssinie quand M. Gobat en partit. Ces deux Européens s’é- taient vus. M. Ruppel est revenu en Europe dans le courant de l’année 1835; la relation de son voyage n’a pas encore paru. Deux jeunes Français, MM. Combes et Tamisier, ont récem- ment visité l’'Abyssinie. Déjà ils avaient parcouru l'Arabie et remonté le Nil jusqu’au -delà de Khartoum. Au mois de janvier 1835, réunis à Djidda, ils poussèrent leur course jusqu’à Beit- el-Fakih. Ils revinrent à Mokah, et s’embarquè- rent pour l’ile de Dahalak, où ils débarquèrent le 1° avril 1835. Quatre jours après, ils étaient à Massouah, et bientôt ils entrèrent en Abyssinie. Un marchand leur procura pour interprète un jeune musulman nommé Béchir, qui parlait le tigréen et l’amharique, ainsi que les divers idio- mes de la côte. Nos voyageurs s’étaient munis de marchandises destinées à pourvoir à leurs besoins et à faire des présens aux grands per- sonnages. Ils traversèrent le Taranta, et, après être descendu dans le Tigré, ils eurent le plaisir de rencontrer M. et madame Gobat au village d'Emni-Harmas. M. Isenberg et sa femmeétaient à Adoueh, « Quoiqu’il y eût d’autres blancs dans le pays, nous fûmes, dès le moment de notre arrivée à Emni-Harmas, l’objet d'une vive curiosité; nous avions remarqué depuis quelque temps que, chaque fois que nous ôtions nos {arbouchs (bon- nets), les Abyssins manifestaient une surprise dont nous n’avions pas encore cherché à péné- trer la cause. Cet étonnement fut si général parmi les curieux d’Emni-Harmas au moment où nous . découvrimes nos têtes, que nous ne pûmes nous empêcher d’en demander la cause à notre in- terprète ; 1l nous apprit que c’était nos cheveux noirs qui fixaient ainsi l’attention de ses compa- triotes ; car ils s'étaient imaginé, parce qu'ils n'avaient presque jamais vu que des Allemands ou des Anglais, que tous les blancs devaient être blonds, et ils ne pouvaient se lasser d’admirer la couleur de notre t(éte, qu’ils trouvaient bien supérieure à celle des Européens qu’ils avaient vus avant nous. Nous fûmes très-étonnés nous- mêmes de voir des noirs, pour qui une peau blanche est si précieuse, donner la préférence aux bruns sur les blonds. » Le 2 mai, MM. Combes et Tamisier entrèrent dans Adoueh. C'était jour de marché. De lon- gues files d'hommes couvraient les sentiers qui conduisent à cette ville, où demeuraient plu- sieurs blancs venus d'Arménie, de Géorgie et de Grèce. Les environs étaient occupés par une armée; les généraux de cette troupe indiscipli- née accueillirent bien les deux Français, qui ne tardèrent pas à se mettre en marche avec elle. « La timidité des femmes du camp, qui n’avaient osé encore nous approcher, s’évanouissait peu à peu, et, durant la route, elles nous entourè- rent en grand nombre, et adressèrent à notre interprète les questions les plus singulières. Elles demandaient si nous étions de la même composition que les autres hommes, et si nous n’étions pas différemment faconnés. Béchir s’empressait de nous traduire leurs paroles, qui excitaient notre gaité; et ces femmes, encoura- gées par nos éclats de rire, devenaient de plus en plus libres. La licence des mœurs, portée à l’excès dans les villes, est encore plus effrayante dans les camps, où le désordre est extrême. Ces Abyssines, avec leur caractère si original, nous offraient de continuelles distractions : sans au- cun souci, elles suivaient les soldats en chantant, vivaient au jour le jour; et, malgré leurs fati- gues et les rudes travaux auxquels elles sont condamnées, puisqu’on leur fait porter de lourds fardeaux, elles menaient joyeuse vie sans pen- ser à s'inquiéter des terribles chances de la guerre. » Après de grandes fatigues, on vint camper au N. du Devra-Damô, haute montagne déjà dé- crite par Salt; mais ce voyageur avait été mal informé, car on est obligé de se faire hisser par une corde pour parvenir sur le plateau qui la termine. C’est là que se trouvait encore l’Anglais Coffin; il s’y était réfugié après la mort du chef abyssin auquel il avait voué ses services. Admis chez Oubi, qui était maître du Tigré, les voyageurs lui communiquèrent leur projet 44 VOYAGE EN AFRIQUE, de pénétrer dans le royaume de Choa; ils étaient alors sur les frontières du pays de Lasta. Ayant demandé à Oubi un guide, ce chef les détourna de leur dessein, en leur remontrant les dangers inévitables dont ils étaient menacés. Décidés par ses explications, les deux Français renon- cèrent à leur plan et suivirent l’armée. Après beaucoup de courses, ils arrivèrent à Axoum. Le 30 juin, ils sortirent de cette ville et se di- rigèrent au $., à travers une contrée monta- gneuse. Déjà l’abondance des pluies avait gon- flé les rivières; le lit du Tacazzé avait 90 pieds de largeur; son courant était impétueux ; beau- coup de soldats commencaient déja à tenter le passage. Ils avaient de l’eau jusqu’au cou, et se soutenaient à l’aide d’une longue perche ou de leur lance; ils portaient leurs effets avec la main gauche. Les femmes et les enfans traversèrent avec beaucoup de difficulté sur des muleis, que les hommes tenaient par la bride. « Nous re- marquâmes avec plaisir, disent nos voyageurs, les secours que les forts prodiguaient aux faibles avec cette générosité qu’on trouve surtout dans les camps : quatre nègres, aux formes athléti- ques, se montraient infatigables. Nous étions assis sur les bords de la rivière, et les Abyssins, persuadés que nous redoutions de la traverser, s’avancèrent pour nous prêter leur secours; mais, lorsqu’ils furent près de nous, nous nous élancâmes dans les eaux, et nous disparümes à leurs yeux. Toute la troupe était rassemblée sur le rivage; la frayeur des femmes et des soldats était à son comble; et, quand nous reparûmes, leur étonnement se manifesta par des cris de joie universels : on nous avait crus noyés ou emportés par les crocodiles ou les malins esprits qui, d’après ces gens, résident dans la rivière; ils prétenudirent alors que nous étions des dia- bles, et que nous connaissions l’eau. Quand nous eûmes atteint l’autre bord, tout le monde nous entoura pour nous complimenter. Cette circonstance, si simple en elle-même, nous re- haussa dans l'esprit de la troupe, qui nous prit pour des êtres extraordinaires parce que nous savions nager, Les nègres dont nous avons parlé fivent monter nos deux jeunes domestiques sur les mulets et nous les amenèrent. » Bientôt MM. Combes et Tamisier entrèrent dans le Samen. Devra-Tabour était la résidence de Raz-Ali, qui concut pour eux une vive amitié, et voulut absolument les retenir, en leur faisant les offres les plus séduisantes. Ce ne fut qu’en feignant de renoncer à leur projet de départ, qu Reno a s’échapper, en Jaissant derri ‘1ère eux Béchir, leur fidèle interprète. Le Bachilo, qu'ils trayversèrent, forme, au N., la limite du territoire occupé par les Gallas, qu’on leur avait dépeints constamment sous des couleurs si terribles; aussi, tout en se félicitant d’avoir échappé aux poursuites d’Ali, la juste méfiance que leur inspirait le caractère des peus plades qu’ils allaient visiter les empêchait de goûter une joie parfaite. Leurs craintes ne tar- dèrent pas à se réaliser, et ils coururent les plus grands dangers chez Hassan-Doullo, l’un des roitelets Gallas entre lesquels le pays est par- tagé. Soupconnés, en leur qualité de blanes, de posséder d’immenses richesses, ils furent dé- pouillés de tout ce qu’ils possédaient, et on leur enleva même leurs manuscrits, leur plus pré- cieux trésor. Accusés d’idolâtrie chez ces peu- plades musulmanes, ils se défendirent en récitant leur profession de foi; ensuite, on les enferma dans une chaumière pour leur faire avouer où ils cachaient leurs richesses ; ils furent même condamnés à mort, et les bourreaux se présen- tèrent à eux. Mais la reine s’était intéressée a leur sort; elle leur fit dire par un émissaire qui leur apporta du pain et de la confiture de poivre, que Dieu était grand, et qu’ils ne devaient pas perdre tout espoir. Après quelques jours de captivité, on les remit en liberté, et la reine elle-même leur rendit leurs manuscrits et d’au- tres objets. En passant l’Ouahet, ils se trouvèrent sur un territoire habité par des chrétiens. Chacun, en les voyant passer, se réjouissait et se trouvait heureux de pouvoir contempler des hommes de Jérusalem, car c’est ainsi qu’on les désignait. L’hospitalité généreuse de Sammou-Nougous, gouverneur de Dhèr, les consola des persécutions qu’ils venaient d’éprouver. Il attendait les deux voyageurs avec impatience, et dès qu’ils avaient paru, ils avaient été immédiatement admis en sa présence, quoiqu'ils fussent couverts de miséra- bles haillons. Sahlé-Sellassi, roi de Choa, rési- dait alors dans un palais d’Angolala. Ce monar- que est passionné pour l’industrie; il veut qu’on exécute sous ses yeux tous les travaux de main, et l’intérieur de son palais est rempli par des tisserands , des menuisiers et d’autres ouvriers qui s'occupent à faire la poudre, à réparer les fusils ou à tourner et travailler l'or, l'argent et l’ivoire. Il sort de ses ateliers des toiles magni- fiques, des bracelets, des sabres, des boucliers et des brassarts. Les principaux personnages de sa suite sont tous des ouvriers qu’il entoure de la plus grande considération. Persuadé, comme la plupart des Orientaux, que les Européens sont doués de connaissances ABYSSINIÉ, universelles, Sahlé-Sellassi ne put croire que nos deux voyageurs ne fussent pas des ouvriers, quoique la peau de leurs mains put lui prouver leur sincérité. Il avait bonne envie de les rete- nir; il les questionna sur les arts et les métiers ; mais ils se gardèrent bien de se vanter de la moindre connaissance, et auraient-ils su quel- que chose, ils se seraient bien gardés d’en faire parade. Le roi les mena dans ses ateliers; car, aussi rusé qu'Ulysse, il pensait qu’à la vue des instrumens de travail, nos voyageurs ne pour- raient se contenir; mais, plus prudens qu’A- chille, ils se contentèrent de regarder sans mot dire et sans toucher à rien. Une autre fois, il vint dans l’idée du roi que MM. Combes et Ta- misier pouvaient bien être médecins, et ils ne furent pas peu étonnés de se voir présenter une quantité de médicamens d'Europe venus par l'Inde. Cette tentative ne réussit pas mieux que la précédente. Malgré leur nullité, Sahlé-Sellassi ne cessait de leur montrer une bonté toute pa- ternelle, Enfin, après avoir épuisé tous les moyens de séduction, il les laissa partir à son grand regret. Ankober, capitale du pays de Sahlé-Sellassi, est bâtie sur le penchant d’une colline, que do- mine Îe palais du roi, remarquable par sa vaste dimension : plusieurs églises, magnifiquement ombragées, apparaissent sur les éminences. Les sources du Chaffa et du Denn sortent de la col- line, d’où l’on jouit d’une vue magnifique. Lorsque le roi sut que les deux Francais al- laient s'éloigner, il leur fit témoigner ses re- grets : « Sahlé-Sellassi, leur dit son intendant, m'a chargé de vous faire ses adieux ; il est si chagrin de votre départ, que votre vue lui fe- rait mal; demandez tout ce que vous voudrez pour votre voyage, et soyez certains que mon maitre vous l’accordera. — Touchés de la con- duite loyale de Sahlé-Sellassi, nous ne voulûmes pas, ajoutent les deux voyageurs, abuser de sa générosité; nous nous bornâmes à demander . 20 talaris et deux mulets, qu’on nous donna sur- le-champ. Notre domestique recut l’ordre de nous accompagner jusqu’à la frontière, et de nous faire bien fêter par les chefs des villages qui se trouvaient sur notre route. Nous parti- mes aussitôt le cœur gonflé de joie, et une suite nombreuse nous accompagna jusqu’à la sortie de la ville. » : Les principaux chefs de Choa sont généreux et magnifiques. Si la population de ce pays ne se montra guère hospitalière envers MM. Com- bes et Tamisier, en revanche tous les gouver- neurs les accueillirent avec la plus grande bien- 45 veillance. L'autorité de Sahlé-Sellassi s’étend sur une partie du pays habité par les Galla-Bo- réna, qui sont idolâtres. Ils montrent un vif désir d'être instruits; d’après leur conversation avec un choum, nos deux voyageurs sont persuadés que des missionnaires habiles qui ose- raient s’aventurer chez ces tribus sauvages, mais hospitalières et bonnes, parviendraient ai- sément à les réunir sous une même loi; et que tous ces Gallas, qui vivent aujour@’hui sans croyance et sans liens communs, formeraient alors une nation grande et intéressante. Les deux Francais voyageaient vers l’O.; en- suite, ils se dirigèrent au N. Le 3 janvier 1836, ils arrivèrent sur les bords de l’Oualaka, rivière profondément encaissée, qui, un peu plus bas, se joint au Nil. Le lendemain, ils traversèrent à la nage cette dernière rivière. Les hommes et les femmes qui cheminaient avec eux se dépouil. lèrent alors de leurs vêtemens, les enfermèrent dans des outres qu’ils attachèrent sur leur ven- tre, et arrivèrent ainsi sur la route opposée avec le secours de quelques Gallas, qui, par extraor- dinaire , savaient nager. Avant de s'engager dans le Nil, on avait eu grand soin de jeter des pierres dans l’eau et de pousser de grands cris, afin d’effrayer les crocodiles et les hippopotames qu’on voyait quelquefois paraître à la surface. Les habitans du Gojam se montrèrent très- hospitaliers envers les deux voyageurs : à Bi- chana, ceux-ci, après avoir traversé la place du marché, s'étaient assis sous un grand arbre à l'extrémité du village. « On se précipita en foule sur nos pas; les commercans ne songèrent plus à s’occuper de leurs affaires; les prêtres, les principaux personnages du lieu, les femmes, arrivèrent à la fois; le marché fut entièrement abandonné. On nous entourait, on nous pres- sait à nous suffoquer ; tout le monde voulait nous voir en même temps, et de tous côtés on laissait échapper ces paroles : « Le roi est arrivé (Negous matta). » Nous ne comprenions pas d’abord le véritable sens de ces paroles; mais, à force de les entendre répéter, le souvenir d’une tradition abyssine suivant laquelle un blanc doit un jour régner dans le pays, nous vint à la mé- moire et nous donna l'explication de notre royauté improvisée. Cette croyance est encore plus répandue dans le Gojam que parmi les courtisans de Sahlé-Sellassi ; mais, dans le Choa, cette tradition n’est guère accréditée que chez les grands, qui s’en effraient ; tandis qu’en-decà du Nil, elle est incarnée chez le peuple... » Ce jour-là, les plus jolies femmes du Gojam semblaient s'être donné rendez-vous à Bichana ; 46 nous n'avions jamais vu en Abyssinie uneréunion de femmes aussi généralement belles, et nous pümes alors nous convaincre par nous-mêmes que, sous ce rapport, le Gojam mérite la haute réputation dont il jouit depuis le Choa jusqu'aux dernières limites du Tigré. » Durant le séjour de MM. Combes et Tamisier dans le Gojam, on ne cessa pas de leur mani- fester le plus vif intérêt : le 16 janvier, ils attei- gnirent l’extrémité du plateau du Gojam, et dé- couvrirent devant eux la profonde vallée du Nil. Ils passèrent près du saut d’Alata, que Bruce a visité et décrit. Après avoir traversé la rivière, ils se trouvèrent dans le Béghemder, où règne Raz-Ali, dont ils n’avaient pas eu à se louer. « On était informé jusqu’au Gojam, disent-ils/, des scènes qui avaient eu lieu à Devra-Tabour durant notre séjour dans cette capitale; on sa- vait que le prince, abusant de son autorité, avait voulu nous retenir malgré nous; et, comme la renommée grossit tous les bruits, à entendre certaines personnes, nous avions fait des prodi- ges pour nous soustraire à ses tyranniques bon- tés. À Mouta, principalement, plusieurs soldats qui ne nous connaissaient pas nous racontaient nos exploits : ils nous dirent que deux blancs, qu’on avait cherché à retenir prisonniers, avaient mis Devra-Tabour en émoi, avaient bravé la puissance du raz et de ses troupes, et s’étaient éloignés triomphans de cette capitale. Le prince les avait fait longtemps poursuivre, déterminé à les reléguer sur quelque sommet inaccessible pour les punir d’avoir désobéi à ses volontés ; mais il avait renoncé à ses iniques projets, parce qu’on lui avait prédit que s’il exerçait la moin- dre violence contre ces étrangers, il attirerait la vengeance céleste sur son pays etsur lui-même. » A leur arrivée à Madhera-Mariam, ville sacrée du Béghemder, MM. Combes et Tamisier de- mandèrent des nouvelles de Béchir, leur inter- prète. Ils apprirent avec peine que ce brave homme, désolé de les avoir perdus, avait suivi un chef abyssin dans ses possessions , croyaut ainsi se rapprocher d’eux. « Nous devions, ajoutent-ils, renoncer à le revoir jamais, et nous en éprouvämes un véritable chagrin. » Quoique Raz-Ali eût été informé de l’arrivée des deux Français, il feignit de l'ignorer. Néan- moins, lorsqu'il eut appris par un de ses pages qu’ils avaient visité le royaume de Choa, il leur envoya plusieurs émissaires afin de savoir si la réputation de Sahlé-Sellassi, dont on vantait partout la puissance, n’était pas usurpée ; mais, loin de rabaisser l’importance de ce monarque, comme on s’y attendait peut-être, MM, Combes VOYAGE EN AFRIQUE: et Tamisier vantèrent à l’excès sa magnificence et l’eclat de sa cour. Ils ajoutèrent qu’il était la terreur des peuples Gallas, qui lui payaient de riches tributs. Abbeuto(c’était le nom du page), jeune homme d’une perversité consommée, mit tout en œuvre pour voler à nos voyageurs leur argent; son acharnement à les poursuivre leur fit soupcon- ner que le raz, qui n’osait pas les attaquer ou- vertement, et qui avait néanmoins l'intention secrète de leur nuire, avait autorisé son page à les piller ou à les faire piller. Dès le premier jour, on leur vola un se/; le lendemain, un en- fant, qui leur servait de domestique, leur enleva une Ceinture renfermant neuf talaris, presque la moitié de leur fortune ; mais, effrayé de l’énor- mité de la somme, le voleur la rapporta. Lors- que Abbeuto fut informé de la niaiserie de cet enfant, il en fut désespéré. Des ce moment, ils redoublèrent de précautions et déjouèrent ainsi les tentatives de plusieurs domestiques envoyés par Abbeuto. Pour dérouter cet ennemi, ils ré- solurent de s’éloigner de la ville à l’improviste. Un nouveau domestique leur proposa de les sui- vre dans le Tigré; mais, avant leur départ, il eut avec Abbeuto une conversation mystérieuse qui ne devait pas contribuer à calmer leurs justes appréhensions. Ils avaient échangé un talari au marché de Devrà-Tabour; il leur restait quel- ques sels renfermés dans un petit sac dont ils avaient chargé le domestique. Ils faisaient mar- cher celui-ci devant eux, afin de pouvoir l’ob- server. Il se tournait et se retournait à chaque instant; il regardait de tous côtés avec la plus vive attention, et l’on eut dit qu’il attendait des complices pour tenter un coup de main. « Nous cheminions depuis une heure environ, ajoutent- ils, lorsque, non loin des bords d’un frais ruis- seau, qui coulait à notre gauche, et qui longeait dans ses sinuosités un taillis fourré et couvert d’épines, cet homme nous demanda la permis- sion d’aller boire. Nous nous arrêtâmes pour l’attendre ; mais, au lieu d’étancher sa soif de commande , il s’enfonca brusquement dans le bois et disparut à l'instant. Nous étions nu-pieüs, nos mulets refusaient d’entrer dans les brousse sailles, et il nous fut impossible de poursuivre le voleur. » Quoique dupes encore une fois, nous fûmes heureux d’en être quittes à ce prix, et nous con- unuâmes notre route avec plus de sécurité. » Après avoir traversé le plateau de Devrà-Ta- bour, MM. Combes et Tamisier descendirent de nouveau dans la belle plaine qu'ils avaient déjà traversée quelques mois auparavant : ils se diri- Le | Du LOL Nr L 7 A EN AFRIQUE . ET PA r - . De, ee a ABYSSINIE. gealent vers Gondar; le 25 janvier, ils entrèrent dans cette capitale, qui ne leur offrit, de même qu'aux autres voyageurs modernes, que les res- tes de son ancienne grandeur. Lic-Jatsko, lun des juges, et, suivant M. Ruppel, le seul hon- nête homme d’Abyssinie, les recut avec une grande joie. [Il leur donna, de concert avec Ki- dana-Mariam , homme, ainsi que lui, très-érudit, et le plus riche marchand de la ville, la liste des livres qui composaient autrefois la bibliothèque des rois d’Abyssinie, et qui se trouvent aujour- d’hui dispersés dans les divers monastères du pays et chez les riches particuliers. « Nous avions fait à Gondar des dépenses folles, et nous étions sans argent pour continuer notre route. Kidana-Mariam nous prêta 10 tala- ris au taux ordinaire de l’intérêt du pays, qui est de 10 pour 100 par mois. Son domestique nous accompagna jusqu’à Adoueh, où nous ac- quittâmes notre dette d’après nos conventions. Avant de partir pour le Choa, nous avions laissé un léger dépôt dans le Tigré. Après s'être agréablement délassés de leurs fatigues, les voyageurs partirent de Gondar un lundi, 9 février, traversèrent de nouveau lOuag- gara, revirent Daouarik, descendirent les monts du Lamalmon, et traversèrent le Tacazzé. Un grand nombre d'hommes et de femmes étaient campés avec eux sur le bord de cette rivière. Au soleil couchant, on alluma des feux qui éclai- raient toute la vallée. Un Abyssin avait un bœuf malade; persuadé que cet animal n’aurait pas Ja force de gravir la montagne, au pied de la- quelle on reposait, il le fit tuer ; les membres du bœuf dépecé furent suspendus aux branches des arbres. Tout le monde dormait depuis plus d’une heure; on n’entendait plus le cri de J’hyène ni la voix de l’hippopotame; tout-à-coup un rugissement féroce glaca d’effroi toute la troupe : les hommes, réveillés en sursaut, cou- rurent à leurs armes. Un lion, attiré sans doute par l’odeur du sang qui avait été répandu, se précipita avec furie sur de malheureuses femmes, qui pressaient dans leurs bras et cherchaient à cacher de pauvres petits enfans encore à la ma- melle, Avant qu’on eût eu le temps de se lever et de songer à se défendre, le lion avait fait un effroyable varnage : les deux Français et les plus braves des Abyssins, formant un carré, présentèrent la pointe de leurs armes au lion, qui chercha vainement à les surprendre. Fatigué sans doute de leur résistance, le lion se précipita de nouveau sur les victimes qu’il avait déjà im- molées, les déchira de ses griffes, saisit entre ses dents un malheureux enfant, qui se plai- 41 gnait encore, et s’éloigna en grondant. De temps en temps, il détournait la tête comme s’il eut regretté d'abandonner le champ de bataille ; enfin, il disparut dans les ténèbres. » Quand on fut délivré d’un danger si terrible, on s’empressa autour des cadavres qui ensan- glantaient la terre. Une femme respirait encore; on visita sa blessure, et l’on vit, avec une grande satisfaction, qu’elle était à peine égratignée, et que sa vie ne Courait aucun risque; mais c’était son enfant que le lion avait emporté. Ecrasée sous le poids de sa douleur, qu’elle avait mani- festée par ses cris et ses vociférations, elle tomba épuisée et comme anéantie. Lorsqu'elle se ré- veilla de sa léthargie, elle était plus tranquille ; elle versa d’abondantes larmes, et attendit le jour avec quelque résignation. Le lendemain matin, on creusa un grand fossé où l’on déposa cinq cadavres défigurés. « Lorsque nous eùmes accompli ce pieux devoir, ajoutent MM. Combes et Tamisier, l’aurore commençait à paraître, et nous nous éloignä- mes tristement de la fatale rivière ; nous recûmes les félicitations de nos compagnons d’armes, qui nous appelaient leurs sauveurs. » On était au 18 février. Après une montée lon- gue et raide, on atteignit les vastes plateaux du Siré. La ville de ce nom n’existe plus. Le 21, les deux voyageurs revirent Axoum, et bientôt, en approchant d’Adoueh, M. Isenberg et Joan- nès l’armurier, instruits de leur arrivée par le domestique de Kidana-Mariam, vinrent au-de- vant d’eux et leur témoignèrent leur vive satis- faction de les revoir après une aussi longue ab- sence. Tous se rendirent ensuite dans la maison de M. Gobat, qui était malade; sa femme lui avait récemment donné un garcon. MM. Combes et Tamisier apprirent que l’An- glais Coffin avait abandonné le sommet inacces- sible de Devra-Damo, et qu’il avait été nommé choum d’un village. On assurait qu’il était dé- cidé à passer le reste de ses jours en Abyssinie. Nos compatriotes, qui n’étaient pas dans les mêmes dispositions, partirent d’Adoueh avec une caravane allant à Massouah, et dont le chef les combla d’égards. À leur arrivée dans cette ville, écrivain de la douane, après les avoir considérés pendant quelque temps, les prit pour des marchands d’esclaves. Aussitôt, ils se rendi- rent chez le lieutenant du gouverneur, auquel ils remirent le firman de Mohammed-Ali. Lors- que leur identité eut été reconnue, les offres de service leur furent prodiguées, et ils se dirigè- rent vers leur ancienne demeure, où l’un des fils du propriétaire leur remit tous leurs effets, 48 VOYAGE EN AFRIQUE. qui étaient intacts, Le 17 avril, quoique mala- des, ils s'embarquèrent pour Djidda. Dans la relation de leur voyage, ils ont recti- fié diverses assertions des voyageurs qui les avaient précédés; par exemple, Salt loue les prêtres abyssins de la pureté de leurs mœurs, tandis que, suivant MM. Combes et Tamisier, elles ne sont nullement recommandables.... La phrase que prononce les Abyssins en égorgeant un animal doit s’écrire ainsi : « B’ism abl'oua gucbra oua menfis Godeus.» C’estä-dire, au nom du Père, du Fiis et du Saint-Esprit. D’après les observations de tous les voya- geurs qui ont vécu avec les Abyssins, ce peuple a la taille svelte, élancée, les formes belles, les yeux grands; sa couleur va du brun foncé au brun clair, à l’olivätre et même à la couleur d’encre pâle; quelques femmes même sont as- sez blanches. Ses traits et ses cheveux sont ceux de la race blanche; ceux-ci sont assez souvent crépus, mais ne sont jamais laineux. Les escla- ves abyssines sont recherchées en Egypte et en Arabie. Salt en a représenté une dont la figure justifie les éloges que MM. Combes et Tamisier donnent aux femmes abyssines (PL. IV — 3). Les Gallas ont la chevelure des nègres; mais les traits de leur visage les rapprochent des Abyssins (PL. VI— 1). Plusieurs de leurs tribus sont aujourd’hui bien moins barbares que dans lès premiers temps où les voyageurs européens commencèrent à parler d’eux, et l’on a vu, par les observations de nos compatriotes, ainsi que par celles des missionnaires, que la civilisation peut faire des progrès parmi eux. L’Abyssinie est une contrée trés-montagneuse, et doit à cette circonstance la douce température dont elle jouit, quoique très-proche de l’équa- teur. Ses principales chaînes sont celles du Sa- men et du Lasta; mais leur élévation n’égale pas celle des Alpes ni même des Pyrénées, quoiqu’en aient pu dire certains missionnaires. On peut diviser }’Abyssinie en région haute et région basse. Celle-ci, comprise entre les montagnes du Tigré et le golfe Arabique, se nomme Dan- kali, et les tribus qui l’habitent sont appelées Danakil : sa partie septentrionale est désignée par le nom de Samhar; ses habitans pren- nent celui de Ghoho, probablement les GAo- lias. Des pluies périodiques arrosent cette ré- giou basse depuis septembre jusqu’en mars : elles commencent précisément à l'époque où celles du pays haut cessent complètement, Les habitans sont généralement pasteurs ; ils culti- vent quelques champs; mais les récoltes ne suf- fisent pas à leur consommation : ils se noure rissent de lait, de la chair de leurs troupeaux, et de poissons. Toutes ces tribus nomades, non contentes d'exercer leurs brigandages envers les étrangers, sont entre elles dans un état d’hostilité continuelle. Elles n’obéissent à leurs chefs que lorsque leur propre intérêt le com- mande. Lord Valentia, Salt et quelques navigateurs ont décrit la côte du Dankali. Au S. et à l'O. de la baie d’Azab, qui la termine dans la première de ces directions, s’étend un pays peu fertile que le commerce avait rendu florissant, et dont les agressions firent souvent trembler l’Abyssinie. Le royaume d’Adel avait pour capitale la ville de Haussa, située dans le désert, à l’endroit où le Haouach se perd dans les sables. A V’'E., ha- bitaient les Samaulis; au S. et à l’O., on trou- vait d’autres tribus obéissant à des chefs plus ou moins puissans. Depuis longtemps, quelques- unes sont soumises aux Gallas. Les Samaulis, qui longent la côte depuis la presqu’ile de Zey- lah jusqu’au-delà de celle de Berbera, célèbre par son marché, ont conservé leur indépen- dance. Zeylah, leur port principal, est au S. du détroit de Bab-el-Mandeb; la côte court de Zey- lah vers l’'E., où elle se termine par le cap Guardafui. Les Samaulis sont musulmans. Les traits de leur physionomie indiquent leur ori- gine arabe (PL. V — 4). Au moyen de leurs caravanes, ils font un commerce important avec l’intérieur de l'Afrique. Leur pays et ceux qui les avoisinent n’ont été visités par aucun voyageur, A l'E. du cap Guardafui, on trouve l’ile de Socotora, qui est considérable, mais aride, pier- reuse, et en grande partie dépourvue d’eau et de végétation. On y récolte le meilleur aloës que l’on connaïsse et beaucoup de dattes. Elle dé- pend de l’imam de Mascat. Dans l’antiquité, elle fut un entrepôt de commerce très-fréquenté ; mais, depuis le xvre siècle de notre ère, les Eu. ropéens l’ont entièrement négligée. CHAPITRE IV. Côtes d’Ajan et de Zanguebar. La côte orientale de l'Afrique, au S. du cap Guardafui, présente à l’œil du navigateur une suite presque continue de rochers et de sables. Habitée par des Arabes, elle ne contient aucune ville remarquable au N. de Magadocho, capitale du pays le plus septentrional du Zanguebar. Magadocho , que l’on distingue de loin à trois grandes mosquées , est à une petite distance du bord de la mer, Les violences exercées par les MOZAMBIQUE. . 49 Portugais, qui venaient y enlever des esclaves, sont causes qu’on n’y accueille plus les Euro- péens qu'avec beaucoup de méfiance. A 25 lieues au S. de Magadocho, la ville de Brava offre, vue de la mer, un assez bel aspect; elle fait un commerce actif avec l’Inde. Elle fut conquise, au xvi° siècle, par les Portugais, qui, depuis, l’ont perdue. La côte, en allant au S., continue à être basse, souvent marécageuse ; néanmoins, on peut s’en approcher sans dan- ger, parce qu’elle est libre d’écueils. D'épaisses forêts s'étendent dans l'intérieur. L’équateur coupe le pays à 36 lieues au S. de Brava. Mélinde, dans une belle plaine sur une baie avec un port, est une ville grande et bien bâtie, à l'embouchure du Q iilimanci. Des rochers et des bancs de sable rendent l’accès du port diffi- cile. Ces écueils et des îles de différeutes gran- deurs bordent la côte sur une étendue très-con- sidérable. Milinde est la capitale d’un petit royaume gouverné par un chef d’origine arabe ; mais la plus grande partie de la population se compose de nègres indigènes. M »nbaza, sur une île du même nom, con- serve encore les ruines d’une citadelle construite par les Portugais. L'île de Peimba est basse et a 14 lieues de longueur. Salt en parle comme étant très- fertile et très -boisée. L'ile de Zauzibar a euvirou 15 lieues de loug sur 5 de large; un port, situé sur sa côte occidentale, est excellent et bien’ abrité. Les habitaus, musulmans et d’extraction arabe, sont gouvernés par un cheikh que nomme Pimam de Mascat, souverain de l’ile. Elle fait un gros commerce avec le golfe Arabique, Ma - dagascar et les îles voisines. Ou ignore l’éteudue du cours du Loffih, grand fleuve dont on ren - contre plus bas l’embouchure. L'île de Monfia abonde en bœufs sauvages , : que les habitans de Quiloa viennent chasser. Cette ville, située dans une île qui lui donne son nom, est vis-à-vis d’une péainsule formée par l'embouchure de deux fleuves, le Koavo et le Mongallo. Le roi est nègre et vassal de celui de Zanzibar. Un fort et des vestiges d’anciennes murailles témoignent de la grandeur passée de cette ville. Les relations fréquentes des habitans de Quiloa avec l’île Maurice leur ont rendu la lan- gue française assez familière. Du temps de Vasco de Gama, Quiloa était la capitale d’un royaume puissant par sa richesse et son commerce. Les Portugais, après des attaques réitérées, s’y éta bli- reut en 1529 ; mais, comme ils firent de Mozam - bique le centre de leurs établissemens, Quiloa ne tarda pas à décliner ; ils finirent par la perdre. ÂArR. Le cap Delgado détermine la limite méridio- nale de la côte de Zauguebar. L’intérieur du pays ne nous est connu que par les relations des géographes arabes, dont voici le résumé : un grand fleuve rempli de crocodiles, des déserts sablonneux, un climat brûlant, des léopards d’une très-grande taille, des troupes innombra- bles d’élephans, de girafes, de zèbres; des mines de fer dont les habitans tirent leurs ornemens favoris ; pour toutes plantes alimentaires, le doura et la banane : pour toutes bêtes de somme, des bœufs dont on se sert mème dans la guerre. Des hordes nomades de Cafres, de nègres, d’Arabes au teint très-olivâtre, vivent dans cette immense région, où les géographes ont placé les royaumes du Mouoémugi, des Bororos, de Bo- toua, du Monomotapa, des Micouas, des Mon- jous et d’autres. [ls parlent aussi d’un lac Maravi, dont l'étendue, du N.auS.,estimmense et paraît exagérée. Q rant aux monts Lupata (l’Epine du M rude), ou peut croire que les expressions de Jean dos Santos, qui en parle, ont été mal saie sies, car il dit que c’est une forèt remarquable tant à cause de sa largeur, qui est de plus de 5 lieues, qu’à cause des rochers qui l’environ- nent, rochers si prodigieusement hauts et af- freux, qu’ils semblent, aussi bien que les arbres qui y croissent, porter leurs cimes jusque dans le voisinage des nues. Mais la présence des ar bres sur ces montagnes prouve que leur éléva- tion n’est pas excessive. D'ailleurs, le Z imbèze s’est ouvert un chemin à travers ces rochers. Les Portugais, dans le xvr° siècle, visitèrent ces côtes et les décrivirent; mais il s’écoula plus d’un siècle avant que d’autres Européens en donnassent des relations détaillées. Alexandre Hamilton, navigateur anglais qui les a parcou- rues dans les premières années du xvnir° siècle, de nos jours Lord Valentia, Salt et quelques autres voyageurs en ont parlé. Eufiu, le capitaine Owen a récemment compris ces côtes dans le relevé qu’il a fait du littoral de l’Afrique. CHAPITRE V. Mozambique. Le cap Delgado est entouré d’un groupe d’i- les nommées Querimba, jadis très - peuplées, mais que les incursions continuelles de pirates venus de Madagascar ont ruinées. On trouve également, le long de la côte jusqu’à Mozambi- que, des traces de leurs dévastations. La-ville de Mozambique est située sur une île vis-à-vis de l’ouverture d’une baie profonde. Suivant le 7 ee 00 VOYAGE EN AFRIQUE, récit de Salt, ses habitans offrent un singulier mélange des costuines indiens, arabes et euro- péens, qui former entre eux un contrasté frap- pant. L’insalubrité de son climat a engagé la population à bâtir, au fond de la baie, le bourg de Mézuril, où l’on voit plusieurs jolies maisons de campagne. Celle du gouverneur, bâtie sur un coteau et à peu de distance du rivage, est d’un effet très-pittoresque (PL. VIL— 2). Le terri- toire voisin fournit à la consommation journa- lière de Mozambique. Une grande partie des terres n’est pas cultivée; de nombreux troupeaux de bétail et de pores y trouvent une subsistance abondante. Dans les courses que firent les Anglais, ils ne virent que peu de dames. « En général, elles sont maigres, pâles, affaiblies par la chaleur, et ont cette inertie qui résulte ordinairement d’un long séjour entre les tropiques. De plus, ajoute Salt, elles négligent beaucoup leur toilette, ex- cepté les jours de grande parure. De même que beaucoup de femmes blanches des colonies eu- ropéénnes, elles vont sans bas. Elles aiment beaucoup à fumer. Elles sont vives, et leur con- vérsation est très-animée. » Salt vit à Mézuril des trafñiquans monjous; ils étaient venus avec une caravane d'esclaves principalement composée de femmes ; ils ame- naient aussi de Por ét des dents d’éléphans. Ces Monjous racontèrent qu’ils avaient été en route pendant près de trois mois; qu’ils avaient des relauons avec d’autres trafiquans appelés Evisi et Maravi, qui avaient pénétré assez avant dans l'intérieur pour voir dé grandes eaux, des hom- mes blancs (comparativement sans doute) et des chevaux. Les Monjous sont les nègres les plus laïds que Salt ait vus : leurs armés sont des arcs et des flèchges et de très-courtes lances avec une pointe de fer; leurs flèches sont longues, barbelées et émpoisonnées. Une partie de là garnison de Mézuril est composée de Makouas. Ce peuple nègre occupe une vaste région à l'O. de Mozambique ; il a des formes athlétiques, et s’est rendu très-redoutable aux Portugais par ses fréquentes incursions, Lorsque les Portugais découvrirent la côte orientale de l'Afrique, elle était entièrement possédée par dés Arabes. La réputation des mi- ‘ues d’or dé cetté contrée ét la commodité des ports pour les navires faisant 1e commerce de l'Inde, les portèrént bientôt à eXpulser les Ara- Des. En 1508, ils fondèrent la ville de Mozam- bique; plus tard, ils tâchèrent de s’avancer Gans l’intérieur pour s'emparer des mines d’or et d'argent; mais toutes Iéurs téntatives échouè- rent ; et, comme les Arabes, ils se sont bornés à faire le commerce d’une manière plus paisible à maintenir leur influence, en opposant les uns aux autres les chef des tribus mdigènes, et à se contenter de la possession de la côté, de- puis le cap Delgado, au N., jusqu'à la baie de Lorenzo-Marquès, au S. Mozambique est le cen- tre du commerce des Portugais dans ces con- trées. Les exportations pour Goa, Daman et Diu consistent en poudre d’or, argent monnayé et en lingots, ivoire, cornes de rhinocéros, ambre gris, résine. Jadis, le commerce des es- claves était très-important; ils étaient, pour la plupart, expédiés au Brésil (PL. VII— 1). Un navire peut en trois où quatre jours allér de Mozambique au port de Quilimane, peétité ville à l’embouchure principale du Zambèze. Ce fleuve n’est navigable que pour les petites embarcations ; celles-ci remontent jusqu’à Séna, gros bourg sur la rive droite du fleuve, et dé- feudu par un fort. Le marché principal pour l'or est Manika, située à environ vingt jours de marche au S. O. de Séna, et où se tient annuel. lement une grande foire. La première partie du voyage se fait dans un pays soumis à l’influence des Portugais; ensuite, ou traverse des cantons habités par les indigènes, dont les trafiquans sont obligés de se conicilier l'amitié par de gros présens. Il faut aussi paver un tribut à un chef désigné par le nom de Quitève, et qui réside à Zinboa. En continuant a remonter le fleuve, on passe par le défilé très-resserré qu’il franchit à travers les rochers de Lupata, et Fon arrive à Téte, où il y a un petit fort portugais. C’est là que s’arrêtent les notions à peu prè; positives que l’on à sur ces régions, décrites par Tho- Maun, missionnaire allemand. On dit que le principal marché de lPintérieur est Zambo, où les habitans permettent aux Portugais d’avoir ui petit comptoir, et où l’on arrive, après une marche d’un mois, par terre et par eau. Les cominercans envoient de divers côtés léurs agens avec des marchandis:s, et Ceux-ci teur rapportent en retour, à Zambo, de l'or, de Pivoire et d’autres objets precieux. Plus loiu, auS , les Portugais ont, sur la côté, le village de Solfola, sur la baie et à l’embou- chure d’une rivière de même nom. Le port ne peut recevoir que de petits navires. Salt, qui visité celté baie, dont la côte semble appartenir à un pays à peu près inhabite, dit que les batet nes sont {rès-communes dans ces parageés; l'in térieur du canton de Sofala abonde en mines éë& fer et de cuivre. Il coufine äu S. avec celui d’Inhanibane, qui a un bon port et un territoire 1 2 PS ï AR / V He Tepies de la: VolE dei LE OR / f 4 = = == j l gi 7) /40 Cu me 2 | | CAD» PUR AI 27 2 X MOZAMBIQUE. 5 s'étendant beaucoup dans l’intérieur. L’ivoire que l’on en tire est le meilleur de la côte. Le cap Correntes ou des Courans est au S. de l'embouchure de l’Inhambane. Qn lui a donné son nom à cause du courant, qui est là d’une très-grande force. En 1808, les Français s’em- parèrent d’un petit fort construit sur cette pointe de terre; mais les attaques des indigènes, dirigées par les Portugais, les forcèrent de l’abandonner. _ La baie de Lorenzo-Marquès ou de Lagoa, longue de 15 lieues du N. au $., et large de 10 lieues de VE. à lO., recoit plusieurs fleuves, qui sont le Mafumo où Tembi, le Lorenzo-Mar- quès, le Manica ou Espiritu - Santo, et le Ma- pouta. La quantité de baleines qui la fréquente y attire tous les ans beaucoup de navires. Les avantages que devait naturellement présenter un établissement dans ce lieu détermina plusieurs nations maritimes de l'Europe à s’y fixer; mais les Portugais sont restés les maîtres de la partie septentrionale. Quant à Ja côte de l’O., elle est occupée par un poste anglais. Lorsque le capi- taine Owen longeait la côte orientale de l’Afri- que, il y vint mouiller, dans la baie de Lagoa, avec ses deux vaisseaux. Un de ses officiers, ayant pénétré dans le Tembi, sentit tout-à-coup un choc violent qui frappa son canot, le souleva presque entièrement hors de l’eau, et jeta dans le fleuve le midshipman qui tenait le gouver- mail; mais on eut le bonheur de le rattraper. Cette secousse était causée par un monstrueux bippopotame qui s'était élancé avec furie sur la petite embarcation, et avecses dents en arracha quelques bordages ; il disparut ensuite quelques Secoudes, puis'se leva de nouveau; mais un coup de fusil, tiré à bout portant, le fit renon- cer à son projet. On fut obligé de hâler le canot à terre pour le radouber. On dressa les tentes ; et, pendant que les ouvriers travaillaient , une autre partie de léquipage parcourut les envi- rons, qui n’offraient aucune trace d’habitation. Le botaniste et un autre Anglais s'étant avan- cés dans un bois, se trouvèrent tout-à-coup près d’un énorme hippopotame couché daus la vase. Comme ils ne s’étai-nt pas munis d’armes à feu, ils ne purent profiter de cette occasion favora- ble, et appelèrent du monde. Le lieu du campe- ment était peu éloigné; une troupe de chasseurs se mit aussitôt en marche; 1l était trop tard, l'animal avait déjà disparu. Le seul résultat qu’ils obtinrent fut de jeter l’effroi parmi les nombreuses familles de grands babouins qui se jouaient sur les arbres et sautaient de branche en branche, Le lendemain, on continuait à re- - monter le fleuve, lorsqu'en approchant d’un banc de sable, on se vit à l’improviste au milieu . d’une troupe d’hippopotames tellement serrés les uns contre les autres, que, s'ils ne s'étaient pas enfonces dans l’eau, les Anglais n’auraient pu se frayer le passage que de vive force; ce- pendant il en resta trois, et l’un d’eux, ouvrant une bouche large de trois pieds, lancçait des re- gards menaçaus : ses deux camarades le quittè- rent; mais ie là resta assez longtemps dans la même position pour recevoir une volée de balles, dont une seule le blessa : alors, il poussa un cri affreux, et se précipita au fond de l’eau. La promptitude des mouvemens de cet animal colossal est vraiment extraordinaire ; car Souvent après la lumière produite par Pinflammation de l’amorce, il élait sous l'eau avant que la balle put atteindre. Les Anglais rencontrèrent, sur les rives du Tembi, une troupe de Hollontontes, qui sont une tribu de Cafres. Leur teint est très-noir ; ils sont d’une taille élevée, robustes, belliqueux ; ils ont l’air prévenant sans bassesse, et on éprouva bientôt -qu’ils se defiaient des blancs. On avait campé dans un lieu où les chevreuils abon- daient; on eri avait abattu un que l’on fit cuire pour le souper; la veille, les Hollontontes, en s’en allant, avaient promis de revenir bientôt pour échanger un buffle contre des marchandises. Pendant la nuit, les démarches de ces sauva- ges ayant paru suspectes, on forca ceux qui s’é- taient trop approchés à s’eloigner, et l’on fit bonne garde. Un peu avant minuit, l'attention | d’une sentinelle avancée fut excitée par un ob- jet blanc qui lui parut s’élever peu à peu de terre et s’avancer doucement vers lui à travers les buissons : aussitôt il donna l’alarme, et, au même moment, 1l recut dans la cuisse deux zagaies, et, en se retournant, une autre dans le dos; celle- ci, étant barbelée, resta dans la biessure. Un of- ficier, qui avait veillé jusqu’alors pour observer les astres, courut de toute sa force vers le camp, en criant aux armes. En un clin-d’æœil, tous les Anglais furent debout et accueillirent les Hol- loutontes à coups de fusil et de baïonnette. Les sauvages firent une retraite précipitée, en enle- vant leurs blessés; on présuma que leur chef était du nombre. Il aurait été imprudent de Les poursuivre, puisqu'on ne connaissait be leurs forces, et on eut soin de tenir de grands feux allumés tout le reste de la nuit. Cette précaution n’était pas inutile, car on découvrit que les Hol- lontontes n’étaient pas très-éloignés etse terialent blottis dans les buissons-voisins ; on les enten- dit même parler à voix basse; alors on dirigea sur eux deux fusées volantes qui leur arrachè- re rent des cris de terreur, et bientôt le silence le plus absolu régna partout. Le lendemain, en parcourant le terrain voisin, on trouva quel- ques boucliers, un assez bon nombre de lances, mais très-peu de zagaies. On n’apercut aucune trace de sang; cependant on apprit plus tard, par d’autres habitans des rives du Tembi, que la fusillade avait tué plusieurs Hollontontes. Les attaques des sauvages ne pouvaient guère être aussi meurtrières pour les équipages du ca- pitaine Owen que le furent les atteintes des fiè- vres, si communes le long des côtes de ces con- trées : un grand nombre d’hommes y succomba. Le plus funeste exemple de leurs ravages fut celui qu’offrit une expédition qui remonta le Zambèze jusqu’à Séna. Le 23 juillet, elle partit de Quilimane : elle était composée de cinq hom- mes, savoir : deux officiers, un chirurgien et deux nègres; le 3 août, un officier se trouva si incommodé, qu’il ne put suivre ses compagnons à la chasse. On était logé chez un mulatre por- tugais qui avait le rang de colonel de milice; il faisait en même temps le commerce, et son prin- cipal trafic était en ivoire et en poudre d’or. Dans la soirée du 4 août, le malade, qui parais- sait se remettre, eut une rechute grave, et fut saigné. Le Portugais désapprouva cé traitement, et indiqua celui qui, dans des occasions sembla- bles, était en usage dans le pays. Le chirurgien lui représenta que la constitution d’un Euro- péen exigeait un traitement différent de celui que demandait un homme habitué au climat de l'Afrique équinoxiale. Le voyage fut continué : le 16, le malade mourut; le 4 septembre, l’au- tre officier rendit le dermier soupir; le 28 octo- bre, le chirurgien, qui était allé jnsqu’à Tete, et qui revenait vers l'embouchure du fleuve, fut forcé de s’arrêter chez une Portugaise, qui es- saya, comme son compatriote, de lui persuader d’essayer du traitement usité dans le pays; mais, au lieu de se rendre à ces sages conseils, et quoique auparavant il eut été très-tempéré dans ses habitudes , il chercha de la consolation et du soulagement dans des excès qui terminèrent sa vie. Les deux nègres lui prodiguèrent leurs soins Jusqu'au dernier moment, et, après sa mort, revinrent à Quilimane. CHAPITRE VL Iles Comores et iles Séchelles, À 110 lieues au N. E. de Mozambique, on trouve Angazayè ou la grande Comore, île qui onne son nom à un groupe composé de trois 59 VOYAGE EN AFRIQUE. autres; ce sont, de VO. à V'E., Mohila, Anjouan et Mayota. Anjouan est la plus fréquentée par les navires européens qui traversent le canal de Mozambique, près de l’entrée septentrionale duquel ce groupe est situé, parce qu’elle offre plusieurs rades commodes et des aiguades fa- ciles. Malgré le grand nombre de voyageurs qui ont parlé des Comores, aucun n’en a donné une description qui puisse passer pour complète, Capmartin et Épidariste Colin, tous deux habi- tans de l’île de France, sont ceux auxquels nous devons les détails les plus complets : ils ont été publiés en 1811 : « L'aspect d'Anjouan, disent-ils, est très-pit- toresque; ses montagnes, d’une forme impo- sante, ombragées de bois d’une fraîthe verdure, variées par de belles clairières et coupées par de grandes vallées, s’élèvent majestueusement au- dessus les unes des autres jusqu'a une hauteur de près de 600 toises; elles se terminent à un pic couvert d'une éternelle végétation. L’ile en- tiere paraît avoir subi l’action d’un volcan con- sidérable : partout les pierres sont volcaniques; partout on rencontre les traces d’un feu vio- lent. » Cette baie présente beaucoup de facilité pour faire de l’eau : plusieurs ruisseaux coulent à tra- vers les bois de cocotiers dans les vallons qui séparent les montagnes; l’un d’eux arrose la côte au N.; deux autres ont leur embouchure sur la pla:e où l’on est à l’ancre. Le plus occi- dental offre une aiguade commode, et l’eau qu’on y fait est très-bonne. La baie de Machadon, où abordent ordinai- rement les vaisseaux européens, est sur la côte N. de l’île. C’est à peu près vers le milieu de la baie qu’on laisse tomber l'ancre vis-à-vis d’une plage plantée en cocotiers auprès de hautes montagnes profondément découpées, et que la proximité fait paraître d’autant plus hautes, qu’elles s’élèvent du bord de la mer. Avant même d’être parvenu au mouillage, un grand nombre de pirogues montées par des insulaires et char- gées de fruits viennent à votre bord: on se sert quelquefois de ces embarcations pour se faire remorquer. Ausshôl qu’un navire y jette l'ancre, le roi y envoie son chancelier et quelques per- sonnes de sa maison pour s'informer du sujet de sa relâche ; il est d’usage alors de faire un pré- sent à ce ministre pour le disposer à vous traiter favorablement. « En allant de l’aiguade à la ville, on passe au pied d'une montagne absolu- ment conique, et l’on peut présumer, d’après sa forme et les éboulemens des parties volcaniques ILES COMORES. 58 qui la revêtent, qu’elle a supporté anciennement un cratère. La côte est couverte de galets sem- blables à ceux de toutes les îles volcaniques, et le sable que l’on trouve en quelques endroits contient beaucoup de parties ferrugineuses. La ville est à une demi-lieue du mouillage; elle est entourée de murs bauts de 15 pieds, et flanquée de tourelles carrées; lorsqu'on y est entré, on croit parcourir de longs corridors; le peu de largeur des rues, les murailles mal crépies, les maisons, ou, plutôt, les masures qui composent la ville, contribuent à lui donner une apparence miserable. L'intérieur des maisons est le même dans toutes et aussi chétif que l’extérieur. La première pièce est un appartement ouvert; d’un côté sont des bancs ou estrades, et de l’autre, dans un enfoncement obscur, est un lit élevé de sept à huit pieds au-dessus du plancher ; au-delà d’une petite cour intérieure, est l’appartement des femmes. « Des nattes, des niches pratiquées dans le mur, et qui contiennent quelques vases, des débris de miroir, des étoffes sales servant de ri- deaux , sont les seuls ornemens que nous ayons aperçus, même chez les habitans qui paraissaient les plus aisés. La seule apparence de luxe que nous remarquâmes parmi eux est l’usage immo- déré du muse : les maisons sont tellement im- prégnées de cette odeur, que nous ne pouvions y rester longtemps sans en être incommodé; ce- pendant, malgré leur prédilection pour ce par- fum, les Anjouannais lui préfèrent l’eau de la- vande, pour laquelle ils ont une sorte de passion, et le désir qu’ils témoignent d’en posséder est d'autant plus vif, qu’ils ont rarement l’occasion de le satisfaire. Un autre usage auquel ils tien- nent beaucoup, et qui leur vient certainement des Arabes, est celui de teindre leurs ongles en couleur orange avec le suc du henné ( /awsonia inermis ). » Un petit et chétif édifice, surmonté d’un minaret, sert de mosquée; c’est, avec un fort qui domine la ville, les seuls édifices publics de Machadon. On monte à ce fort par uu escalier de près de 400 marches, renfermé entre deux murailles. La demeure du sultan, qu'un voya- geur a bien voulu appeler un palais, est tout au plus une demeure commode ; elle ne diffère des maisons ordinaires que par un vestibule plus - vaste et un long corridor servant de salle d’au- dience. À son extrémité, est un petit espace borné par une cloison ayant trois grandes fenè- tres fermées par des volets remplis de petits trous, et séparés par une balustrade du reste de la salle : les femmes voient par là, sans être vues, ce qui s’y fait. En dedans de la balustrade, est posé un fauteuil sur lequel s’assied le sultan. Des deux côtés du corridor, sont rangés des bancs sur lesquels se placent les nobles. Cette salle sert aussi d’arsenal, car une grande quan- tité de fusils sont suspendus le long de la mu- raille, et aux plafonds sont accrochées des cor- nes remplies de poudre. » Il y avait autrefois, à 7 lieues à l'E. de Ma- chadon , sur une très-belle baie, une ville nom- mée Johanna. Les notes que nous ont laissées quelques voyageurs en peignent les environs comme singulièrement pittoresques et embellis par des bocages d’orangers et de citronniers, de cocotiers et de bananiers. Johanna fut dé- truite par les Madécasses en 1790. » La campagne est un peu aride dans les envi- rons de Machadon; mais bientôt elle devient plus riante et offre cet aspect qui frappe lors- qu’ou approche de l’île. Le pied des hauts mor- nes est ombragé par des bosquets d’arbres que nous venons de nommer, et de manguiers. On voit des champs de patates et d’ignames; le pourpier croit dans les terrains bumides ; le goyavier, le tamarinier et d’autres arbres de ces climats croissent sur les flancs des coteaux. L'indigo sauvage est très-commun; la canne à sucre pousse à merveille, mais on n’en sait pas tirer parti. Les animaux domestiques sont la chèvre et le zébu, ou bœuf à bosse: le maki brun paraît être le seul habitant des forêts ; les champs fourmillent de petites souris qui doivent causer de grands dommages aux récoltes. Les tourterelles et les cailles abondent; les pinta- des sont moins communes. Les côtes des Co- mores ne sont pas poissonneuses , Ce qu’on peut attribuer à la multitude des requins. Les insec- tes incommodes qui désolent les contrées voisi- nes sont inconnus dans ce petit archipel. Le climat, quoique très-chaud, passe pour sa- lubre. Il paraît probable que les Comores furent primitivement habitées par des nègres, et qu’en- suite les Arabes s’y établirent ve s le xne siècle, Leur mélange avec les Aborigèn :. a produit une race mixte; mais le sultan et le: principaux no- bles ont conservé la physionomie de leurs ancè- tres. La religion des Comores est l’islamisme. Ce peuple est très-affable, hospitalier, pusilla- nime, paresseux, sensé, spirituel et poli. D’a- près leurs fréquentes relations avec les Anglais et les Français, ils ont retenu quelques mots des deux langues; ils parlent cependant le fran- çais avec plus de facilité que l’anglais. Ces insu. laires sont bons marins; avec leurs grandes Do or rm men EE Eee de + — — b4 VOYAGE EN AFRIQUE. barques, ils vont jusqu'a Bombay et à Surate; nous en avons vus qui étaient venus aux îles de France et de Bourbon. Lis ont toujours bien ac- cueilli les Européens que des naufrages avaient jetés sur leurs côtes. En 1774, un vaisseau de la Compagnie des Indes anglaises s’y était perdu : celte société, voulant reconnaître les bons trai- temens prodigués à l’équipage de ce navire, en- voya en présent au sultan d’Anjouan un bassin d'argent du poids de huit marcs, et sur lequel elle avait fait graver une inscription attestant l'humanité des insulaires. Le sultan d'Anjouan exerce également sa souveraineté sur les trois autres îles; il parait qu’en certains cas, il est obligé de prendre la. vis des nobles. La plupart de ceux:ci sont les pourvoyeurs des navires européens; aussitôt qu’il en arrive un, ils se transportent à bord et présentent un petit registre où 1l est d’usage que chaque capitaine inscrive le nom de son ba- timent et le sien propre. Avant le départ, ils ont coutume de demander un certificat qui puisse leur servir à leur attirer la confiance des voya- geurs futurs, et il faut rendre la justice de dire qu’ils mettent dans les affaires la loyauté et la bonne foi que l’on ne trouve pas toujours chez les peuples les plus fiers de leur civilisation. Angazayé n’a aucune rade, et l’extrême diff. culté d’y aborder la rend peu intéressante pour les Europcens. De loin, elle ressemble à une immense montagne dont la hauteur paraît ap- procher de 1,300 toises, En mer, ou la décou- vre à 35 lieues de distance; elle a plusieurs vil- lages, dont le principal est dans la partie du S. O. Mayote n’offre aucune rade abritée; mais on peut, avec des précautions, mouiller sur quel- ques parties de Ja côte du N., où se trouve un village assez considérable, Les habitans crai- gnent tellement les Madécasses, qu'ils ne mar- chent jamais qu’armés de fusils et de zagaies. Mobhila est entourée d'une chaîne de récifs où l’on trouve cependant quelques passes; elle a deux bourgades sitiées l’une au N., l’autre à l'E. Le chef de cette Île s’etait autrefois soustrait à la domination du sultan d’Anjouan, ce qui oc- casionna une guerre entre eux qui fi it par la dépopulation presque totale de Muhila, et les Madécasses n’ont pas peu contribué à l’aug- menter encore. Elle est si grande dans ce petit archipel, que le nombre total des habitans est évalué seulement à 25,000 ames. Le cinquième degré de lat. S. coupe à peu près par le milieu l’archipel des Séchelles; il est composé de deux groupes : celui des Ami- rantes, au S. O., comprend douze îles ou ilots: celui de Mahé ou des Séchelles, au N. E., en renferme trente; elles sont éparses sur deux bancs immenses de corail et de sable, générale- ment hautes et rocailleuses. Mahé, la plus con- sidérable, la plus peuplée et la plus culnivée, of- fre deux bâvres parfaitement sûrs; Pile Praliu en a aussi un excellent. L’atmosphère est cons- tlamment humide. Les sources y sont nombreu- ses. La température est presque toujours d’une chaleur suffocante. Les productions de ce petit archipel sont celles des contrées jutertropicales; la plus curieuse est le coco auquel il donne son nom. Ce fruit étant assez rare, sa forme bi- zarre, son origine inconnue, tout avait contri- bué à lui faire attribuer de grandes propriétés, et à faire imaginer des fables sur son exisjence. Le naturaliste Sonnerat, de qui nous emprun- tons ces détails, ajoute : « L’arbre qui produit le coco de mer, s’élevant, en beaucoup d'’en- droits, de l’ile Pralin sur le rivage même de l’O- céan, la plus grande partie de ses fruits tombe dans les eaux, se soutient à leur surface; le vent les pousse; les courans, dont la direction, dans ces parages, est à l'E. N. O., les porte jusque sur le rivage des Maldives, seule contrée où l'on avait trouvé ce fruit avant la decouverte de l’île Pralin, vers 1744. Les Européens lui avaient donc donné le nom de coco des Maldives, et les Maldiviens celui de 7'racaverne (irésor); il fut ensuite appelé coco de Salomon, pour lui don- ner apparemment un nom qui répondit au mer- veilleux qu’on attachait a son origine. Ne con-. naissant point larbre qui le produisait, ne pouvant découvrir, on avait imaginé que Cc'elait le fruit d'une plante qui croissait au fond de la mer, qui se détachait quand il était mùr, et que sa légèreté faisait surnager au-dessus des flots, Il restait, pour achever la fable, à prêter à ce fruit si extraordinaire les plus grandes et les plus rares propriétés; c’est Ce qui ne marqua pas d'arriver. On débita, et on erut, non-seulemenit aux Indes, mais dans toute l'Asie, que l’amaude du coco de mer a toutes les propriétés que nons attribuons à la thériaque, et que nous exüigé- rons peut-être; que sa coque est un antidote as- suré contre toutes sortes de poisons. Les grands soigieurs de l’Indostan achetèrent longtemps ce fruit à très-haut prix. Ils font faire de sa co- que des tasses qu’ils eurichissent d’or et de dia- mans ; ils ne boivent jamais que dans ces tasses, persuadés que le poison, qu'ils craignent beau- coup, parce qu'ils s’en servent trop eux-mêmes, ne saurait leur nuire, quelque acuf qu'il soit, quand léur boisson a été versee et s’est purifiée | | | | | | 4 D a DENETUSS FES S \\ sos £ CA 7 oo CO ‘ LRO NZ. 7 #4 Gascase AE CA” Portete 242207 Poe Le M AFRIQUE | N À NS à énre MADAGASCAR. 55 dans ces coupes salutaires. Les souverains de îles Maldives mettaient à profit erreur générale ét s’attribuaient la proprieté exclusive d’un fruit, qui, porte sur les eaux et pousse sur les côtes par le veut, aurait dû appartenir à celui qui le ra- Massail., » Ce ne fut qu’en 1768 que le botaniste fran- çais Commerson, venu dans l’ile Pralin, disun- gua ce palmier, qu’il nomma lodoïcea sechella- rum. L'arbre a un bois très-dur à sa surface, tandis que l’intérieur est rempli de fibres molles ; son tronc, après avoir été fendu et dépouillé de sa partie fibreuse, sert à faire des jumeiles pour recevoir l’eau et des palissades pour les habita- tions et les jardins. Les feuilles sont employées à couvrir et à eutourer les cases; avec cent feuilles, on peut construire une maison com- mode, la couvrir, leniourer, faire les portes, les fenêtres et les cloisons des chambres.:Le duvet attaché à ces feuilles tient lieu d’ouate pour garnir les matelas et les oreillers. On fait des balais et des paniers avec les côtes des feuilles ; les jeunes, séchées, coupées en lanières et tres- sées, fournissent la matière de chapeaux pour les hommes et les femmes. Cet archipel, découvert par les Portugais, reçut d’eux le nom général d’fles Amirantes; les Séchelles furent désignées par celui de Selle r- mavs. Un grand nombre d’iles qui s'étendent plus au S., ne consistent, pour la plupart, qu’en rochers entourés de sable et d’écueils, sont très- dangereuses pour les navigateurs ; elles sont cou- vertes de quelques arbres et frequentées par des tortues. La plus remarquable pour l’histoire de la navigation est celle de Jean de Nova, décou- verte en 1501 par un Gallicien au service du Portugal. Les Séchelles appartiennent à la Grande- Bretagne depuis 1814. CHAPITRE VI. Madagascar, Les géograplies arabes parlent de plusieurs îles de la mer des Iudes: il est certain que, dès le xu° siècle, Madagascar était fréquentee par les vavisateurs veuus du golfe Arabique et de la Côte orientale de Afrique. Dès cette époque, des colonies arabes s’établirent sur les côtes de cette grande ile. En 1500, lorsque Pierre Alva- rès Cabral vint à Q'iloa, le sultan qui régnait dans cette ville comptait, parmi ses possessions, les Îles Comores ét plusieurs ports à Madagas- car. D’après le bruit répandu alors que Mada- gascar, ou, comme on l’appelait alors, l’île Saint-Laurent, produisait des épiceries fines, Tristan da Cunha Palla reconnaître avec plus de soin qu'on ne Pavait fait jusqu'alors; il ny trouva que du gingembre, des nègres farouches et quelques Arabes repandus le long des côtes où ils avaient des comptoirs, dont l’importance et la sûreté dévendaient de leurs colonies d’A: frique. Les Portugais essayèrent, à diverses re- prises, de s’y fixer; ce fut toujours sans succès. Les autres natious européennes n’ont pas été beaucoup plus heureuses. Les Français sont ceux qui ont fait les plus fréquentes tentatives de ce genre. Elles ont du moins eu pour résul- tat de faire naître sur Madagascar des ouvrages qui ne sont pas sans mérite : celui de Francois Cauche, qui, de 1638 jusqu’en 1641 sejourna sur la côte orientale près du fort Dauphin, n’est pas un des moins Curieux. La simplicité de son récit inspire la coufiance, et, malgré son peu d’education, il ne raconte pas des faits qui tiennent du merveilleux. Flacourt, qui, de 1648 à 1655, gouverna un établissement francais, publia en 1658 son Histoire de la grande ile de Madagascar. K est le premier voyageur qui en ait douné une description générale; voici sur ce livre le jugement porté par Epidariste Colin, que nous avons cité précédemment : « La véra- cité de Flacourt, l’exactitude de ses descrip- tions, la fidelité de son piiceau condamnent au silence quiconque n’a pas à lui opposer six an- nées d'observations sur les lieux dont il parle, et dans un poste dont les relations le mettaient à même de bien connaître cette île sous tous les rapports. C’est dans le pays même que Flacourt doit être lu, » Un autre Francais, qui n’est connu que sous le nom du sieur de V..., commissaire provincial de Partillerie de France, a également décrit Ma- dagascar, Etant arrivé au fort Dauhin en 1664, il fit plusieurs incursions dans l’intérieur de Pile avec des chefs indigènes contre d’autres chefs, leurs ennemis: il visita l’île Sainte-Marie et la baie d’Antongil, en compagnie de Champmar- gou, qui était gouverneur de la colonie ; il prit part à des guerres de chefs madécasses les uns contre les autres ; il put donc étudier les mœurs des insulaires. Souchu de Rennefort, envoyé en 1664 par la Compagnie des Fndes, fit parai- tre en 1665, après sou retour en France, la re- lation de son voyage à Madagascar ; en 1668, il donna sur cette île un ouvrage plus eonsidé- rable que le premier. Dubois, arrivé au fort Dauphin en 1669, y trouva Mondeyergue rem- 56 plissant les fonctions de gouverneur; Champ- margou élait son lieutenaut-général. En 1671, Dubois, perclus de tous ses membres, quitta l’île où il avait commandé dans le canton d’Anosse, à 150 lieues au N. du principal poste francais. Sa relation parut en 1674. Drant son séjour, de La Haye, chef d’escadre, vint remplacer Mondevergue. Jaloux du crédit de Champmar- gou et de La Case, autre militaire français, parmi les Madécasses, il leur ordonna d’attaquer un roitelet du pays qui ne lui avait pas rendu ses hommazges. Cette expédition injuste n’eut aucun succès. D La Haye en concut un tel dépit, qu'il abandonna le fort Dauphin, et porta ses forces à Surate. Son départ fut suivi de la mort de La Case, et Champmargou survécut peu à ce der- nier. Bientôt il fut impossible aux Français de se maintenir plus longtemps au fort Daujhin : ceux qui échappèrent au massacre se refugièrent à Bourbon et à l'Ile-de-France. Robert Drury, Anglais, embarqué sur un na- vire qui revenait des Indes, et qui, en 1702, fit naufrage sur la côte méridionale de Madagascar, put se sauver avec ses compagnons d’infortune, Menés devant le roi du pays, il leur déclara qu’ils devaient l'aider à combattre ses ennemis; pour toute réponse, ils se saisirent de sa personne et de celle de sou fils, afin de les retenir comme otages pendant qu’ils marcheraient vers le fort Dauphin; mais, au bout de quelques jours, ayant imprudemment relâché ces gages de leur sûreté, ils furent, pour la plupart, massacrés pour les Madécasses. Quelques-uns s’échappè- rent; Drury et trois jeunes gens furent épargnés et menés en esclavage dans l’intérieur du pays. Drury passa ainsi quinze ans, occupé tantôt à labourer la terre, tantôt à garder le bétail. Quel- _quefois on l’employait dans des expéditions guerrières; dans une de ces occasions, il prit une jeune fille qu’il épousa. Malgré l’affection qu'il avait conçue pour elle, le dégoût de la vie ser vile lui fit chercher l’occasion de s'enfuir. Sa femme et un Madécasse, auquel il confia son projet, ayant refusé, par une crainte supersti- tieuse, de partager son sort, il partit seul, et, après une longue marche, arriva près du bord de la mer. Après bien des aventures, ii rencon- tra un de ses compatriotes , qui avait été laissé sur l’île par accident, et qui, n’étant pas esclave, obtint bientôt la permission de s’embarquer. Drury passa le reste de son séjour à Madagascar daus un esclavage moins dur que le premier, et fut enfin racheté par un capitaine de sa nation, porteur d’une lettre de son père, auquel on avait appris qu'il vivait encore, Lorsqu'il rejoi- VOYAGE EN AFRIQUE. gnit ses compatriotes, il avait presque oublié leur langue; il était d’ailleurs tellement noirci par l’ardeur du soleil, qi’ils eurent de la peine à le reconnaître pour un Européen. A son retour dans sa patrie, en 1717, il fut instruit de la mort de son père, qui lui avait laissé une petite for- tune. Sa relation fut imprimée à Londres en 1729. Le Gentil et Rochon, astronomes francais, vinrent à Madagascar, le premier de 1761 à 1763, le second en 1770; ils ont publié une relation de leurs voyages. Du Petit-Thouars, célèbre botaniste mort en 1831, avait visite Ma- dagascar daus les dernières années du xvin° siè- cle; il s’est borné à décrire les végétaux de cette grande île ; Commerson et Michaux, moins heu- reux que lui, y avaieut succombé à l’intempérie du climat. Chapelier, voyageur du gouvernement fran- cais, avait séjourne à Madagascar ; une partie de ses observations fut rendue publique par Epida- riste Colin, qui lui-même avait vu Madagascar, et qui joignit ses remarques à celles de Chape- lier. De nos jours, Goudon, voyageur du Jardin- des-Plantes de Paris, Ackerman, chirurgien de la maison française, sont également allés sur différens points de cette grande île ; voici le ré- sultat de toutes les recherches dont elle a été l’objet : Madagascar, comprise entre 12 et 250 45° de lat. S. et entre 40° 20° et 45° 45° de long. E., a 30 lieues de longueur, 110 dans sa plus grande largeur, et 25,000 lieues carrées, ce qui égale presque sa surface à celle de la France. Sa côte orientale, peu découpée, offre dans le N. la baie d’Antongil; la côte de l’O., plus sinueuse, n’en a pas une aussi grande. L'ile Sainte-Marie, au- dessous de la baie d'Antongil, est la seule un peu considérable, les autres n’étant que des ro- chers ou des récifs. Une chaine de montagnes, qui, dans le N., est appelée Ambohisteniene ou Aquiripi, au milieu Befour , est dans le S. Am- batismènes ou Botismènes parcourt Madagascar dans toute sa longueur ; quelques-uns de ses sommets ont une altitude de 1,800 à 1,900 toi- ses. De ses flancs opposés coulent de belles ri- vières, les unes à la mer des Indes, l’autre au canal de Mozambique; presque toutes ont de superbes cascades, et presque toutes forment des lacs dans la partie montagneuse; on remarque entre autres celui de Manangarè, et, près de la mer, celui de Nossé-Bey, qui renferme des ilots nombreux. Les côtes sont généralement bordées de forêts touffues, qui s'étendent également dans les plaines et sur les hauteurs. Une partie MADAGASCAÏ. hi des côtes est marécageuse, ce qui les rend très- msalubres, notamment pour les Européens. L'intérieur est très-peu connu; on sait cepen- dant que les montagnes recèlent plusieurs mé- taux, et l’on y a trouvé des blocs de cristal de roche d’une très-grande dimension, ainsi que des pierres précieuses de qualité médiocre. De très-beaux arbres remplissent les forêts ; le bois de plusieurs espèces est bon pour la charpente et la marqueterie; toutes les plantes des chmats équinoxiaux y abondent. Parmi les animaux, l’antamba ressemble à la panthère, et le farossa au chacal. Les zébus, les moutons à grosse queue, les chèvres, les sangliers, les ânes sauvages, toutes les espèces de volaille et d'oiseaux aquatiques abondent ; les poissons de mer et d’eau douce sont très- communs. Les rivières sont iufestées de croco- diles ; les insectes pullulent. La population de Madagascar a été évaluée à 4,000,000 d’ames; elle consiste en une race primitive qui ressemble beaucoup aux Cafres, et a laquelle se sont mêlés des Arabes de la côte d'Afrique ; en effet, une partie est très-noire et a les cheveux crépus des Cafres; une autre a le teint bronzé et les cheveux lisses et très-longs. Ces peuples sont de taille avantageuse, assez bien faits, d’un caractère souvent enjoué, mais apathiques et adonnés aux plaisirs des sens ; ceux de la côte de l'E. passent pour plus hospi- taliers et moins cruels que ceux de la côte de PO. Ils sont assez généralement braves, se ser- veut de lances et quelquefois d’armes à feu, et ne manquent pas d'industrie ; ils savent fabri- quer des étoffes de coton et de soie, des outils en fer, des bijoux en argent, des pagnes avec écorce intérieure d’un arbre. Ils pèchent les baleines, assez communes sur leurs côtes, et na- viguent dans des pirogues qu’ils tirent à terre tous les soirs. Une seule langue est parlée à Madagascar, avec quelques différences de dialecte; on y re- connaît un assez grand nombre de mots arabes et malais. Leur religion consiste en pratiques superstitieuses ; la circoncision est en usage. Les Madécasses se divisent en plusieurs na- tions : les unes soumises à des roitelets hérédi- taires, qui sont en guerres perpétuelles les uns contre les autres, pour s’entrevoler et enlever Jeurs bestiaux et leurs esclaves; les autres, gou- vernées par des chefs temporaires, vivent dans üne espèce de liberté turbulente. Depuis quelques années, la nation des Ovas a subjugué celles qui l’entouraient. Leur pays comprend l’intérieur de l’île entre les 16° et 19€ AFR, parallèles. Leur roi KRadama voulut ensuite civi: liser ses Etats. Aidé par des Anglais, il a disci- pliné ses troupes, bâti des places de guerre ; fondé des écoles pour lPinstruction de la jeu- nesse ; il a mème envoyé à l’île Maurice et en Europe quelques-uns de ses sujets pour s’y in- struire de nos arts et de nos sciences, On lui supposait le projet de soumettre l’île entière, lorsqu'il mourut en 1828. Sa veuve Ranavala- Manjoka a continué ses plans de réforme; elle a même fait preuve d'intelligence pour les inté- rêts commerciaux de son peuple! Tananarine ou Emirne, capitale des Ovas, est située au centre d’un vaste plateau, où elle oc- cupe un grand espace; les cases qui la compo- sent étant disséminées sous les arbres et formant plusieurs petites bourgades. Un temple, des pa: lais, le mausolée de Radama, sont construits en pierres, d'après les règles de l'architecture européenne; un architecte francais, venu de Maurice, les a élevés. Des missionnaires anglais ont établi une imprimerie de laquelle est déja sortie une traduction des Saintes-Ecritures en langue madécasse. La partie septentrionale du pays des Antava: res, quis’étendle long dela côteE.,appartientau royaume des Ovas ; ces Antavares faisaient autre- fois de fréquentes excursions dans les îles Como- res, On y trouve la baie Vohiémar, où les Français et d’autres nations font la traite du riz et des bœufs. Sa partie méridionale offre la baie d’Anton-. gil avec le port Choiseul : les Francais y ont eu un établissement. Tinting est la résidence d’un roitelet madécasse qui a été élevé en France; vis- a-vis est l’île Sainte-Marie, occupée souvent par les Francais. Plus au S., Foulpointe est le lieu le plus commercant des Betimsaras. Le territoire des Bétanimènes est le plus peuplé etle plus fertile de tous ceux de la côte. Tamatave, sa capitale, qui n’était autrefois qu’un pelit village de -pê- cheurs, est devenu le principal RÉRORSS sur la côte de l'E. L’air est là plus salubre qu’à Foul- pointe ; il y a beaucoup moins de bois et de ma- rais. Son port est aussi plus fréquenté par les marchands de Maurice et de Bourbon. Il ya une rade spacieuse et un mouillage sûr. On ne voit à Tamalave aucun édifice remarquable, si ce n’est l'habitation royale, dont la construction en bois ne diffère pas de celles de nos colonies: les autres sont des cabanes murées avec des feuilles de ravenal. Quelques établissemens de commerce élevés par les blancs ne sont que des grands magasins bâtis de cette manière et en- tourés de palissades. Les cocotiers sont les seuls arbres que l’on rencontre sur ce plateau aride à FER) 58 VOYAGE EN AFRIQUE. et couvert de sables mouvans. Ivondrou, terri- toire plus méridional que Tamatave, appartient au même chef. Mananzari et Malatane sont deux ports commerçans, surtout en riz, dans le pays des Antacimes. Le pays d’Anossy, le plus méridional de Ma- dagascar, est partagé entre plusieurs petits chefs indépendans et généralement amis des Francais. C’est dans cette contrée que se trouvent l’île Sainte-Luce et les ruines du fort Dauphin. Sur la côte de PO., la baie de Saint-Augustin est entourée de plusieurs peuplades qui sont presque sauvages. Plus au N., le pays des Sé- £laves a le port de Bombetoc, fréquenté par les peuples des côtés de Mozambique et de Zangue- bar. Ceux-ci visitent aussi Mouzangaye, ville la plus commercante de toute cette côte : les Ara- bes forment une partie très-considérable de sa population. M. Leguevel de Lacombe, voyageur francais, duquel nous avons emprunté quelques particu- larités, s'exprime ainsi : « L'ancienne prospérité de nos établissemens sur les côtes de Madagascar ne peut être révoquée en doute, quoiqu’elle n'ait duré qu’un instant. Un homme entrepre- haut, Courageux et capable, Flacourt, chargé de les diriger, ne négligea rien pour établir la domination de la France sur des peuples que la nature à favorisés, en leur donnant, avec un sol ferule, la fièvre, pour les délivrer des étrangers cupides qui chercheraient à s’en occuper. » Flacourt envoyait continuellement des ex- péditions en découverte dans la partie de l’île voisine du fort qu’il commandait, et conservait dans son journal, avec un soin bien admirable, les rapports de ceux qui étaient assez heureux pour en revenir. Lui-même employait la plus grande partie de son temps à étudier les mœurs et les usages de ceux qui l’entouraient. Quel a été le résultat de ses travaux ? Presque nul: car, si l’on en excepte les Antatchimes, les Antam- boules, les Ampales et les habitans de Mandreri, parmi lesquels il a vécu et dont il nous a laissé l’histoire, le reste est insignifiant ou fabu- leux. » En effet, quelles contrées ses envoyés ont- ils parcourues pendant un séjour de plusieurs années qu’il a dû faire au fort Dauphin? Une étendue de 40 ou 50 lieues tout au plus sur le littoral d’un pays qui en a 800 de circuit. Il nous dit luimême que ses agens n’ont pas été plus loin que Matatano, pays des Anta Ymoures, dont il n’a décrit ni les superstitions, ni les usages bi- zarres. On ne trouve pas un mot dans son livre qui puisse donner lieu de penser qu’il a connu l'existence de la nation Ova, ét de celle des Sé- claves, plus remarquable encore. Il parle de ti- gres, de léopards et autres animaux qui nous sont inconnus et qu’il a la bonhomie de décrire, quoiqu'il soit certain que Madagascar n’en a produit dans aucun temps; car s’ils eussent été détruits, les naturels ne manqueraient p«s d’en faire mention dans leurs traditions, qu'ils con- servent avec tant de soin. » Quelques-uns des successeurs de Flacourt furent moins habiles ou plus malheureux que lui; d’autres, n’allant à Madagascar que pour faire fortune, s’enrichirent en peu de temps aux dépens de la compagnie qu’ils représentaient, et s’empressaient de revenir en Europe dissiper le produit de leurs rapines dans la mollesse et les plaisirs. La plupart de ces agens infidèles pas- saient une partie de leur temps à convertir les Madécasses, qui, repoussant avec horreur le christianisme, contraire à leurs mœurs et de- vant les séparer des objets qu’ils aff-ctionnaient le plus, ne cédaient qu’à la violence que leurs oppresseurs étaient presque toujours forcés d'employer; ils passaient les momens que ieur laissait cette fureur de prosélytisme à intriguer, pour s’emparer des places lucratives que la mort des titulaires laissait continuellement vacantes. » Les Madécasses, épuisés par leurs exactions et indignes de leur intolérance, prirent un jour une résolution désespérée et massacrèrent tous ceux que les maladies avaient épargné. On voit encore, sur la côte du S., les débris du fort Dauphin, construit par nos ancêtres, et les ruines de plusieurs maisons religieuses, qui, par un zèle mal entendu, concoururent à notre perte. » Depuis cette époque fatale, à moins qu’on ne compte pour quelque chose les expéditions désastreuses de 1820 et de 1829, les côtes de Madagascar n’ont été visitées que par des capi- taines de Maurice et de Bourbon, qui, n'y res- tant que le temps nécessaire pour prendre leurs cargaisons, n’ont ni la volonté ni le loisir de parcourir le pays, et de s’enquérir de ses res. sources; 1l est vrai qu’on y rencontre quelques marchands créoles et d’anciens matelots euro- péens établis à Tamatave et à Foulpointe, mais la plupart de ces traitans n’ont ni l'intelligence ni l'aptitude convenable pour voyager en ob- servateurs. Ils prefèrent d’ailleurs la vie douce etnonchalante qu’ils mènent dans leurs cabanes à des marches pénibles à travers les bois et les marais ; aussi à peine Connaissent-ils le ruisseau de Maanarèse, quoiqu'il ne soit qu'à un quart de lieue de Tamatave, » : s ® { Es F : { SR | Hz Te Et EU Re ne rl 1 ot Lo So at LR US * 6 À © ns UT à (HT. ! en TMD 2 di # U- BOURBON. D) Le même voyageur donne des détails curieux sur uue classe d’habitans de Madagascar : « Les Ampanyres, qui forment une caste particulière, sont plus pauvres que les autres Madécasses, qui les méprisent parce qu’ils ne veulent pas se donuer la peiné de bätir des cases spacieuses et solides, d’élever des troupeaux, de cultiver du riz. Il est difficile de juger de leur paresse quand on n’a pas passé chez eux. Ils s’établissent près de la mer, où ils construisent de petites cabaves en feuillages tellement fragiles, qu’elles exigent à peine un jour de travail; ils ont toujours au feu plusieurs v'llangues où pots de terre cuite pleins d’eau de mer, et changent le sel qu’elle produit contre des denrées de première néces- sité : c’est ce genre d’industrie qui les fait vivre. Eu entrant dans leur demeure enfumée, je vis des hommes bien différens des autres Madécas- ses, qui sont en général très-propres. Ceux-ci avaient les yeux chassieux, les cheveux et le corps couverts de suie et de crasse. Les hommes et les femmes étaient vêtus d’un ceidic d’écorce d'arbre. Le ceidic est un morceau de toile de coton que les Madécasses croisent sur le ventre. Celui des esclaves est si court, qu’il couvre à peine leur nudité. Le ceidic des femmes forme une espèce de tunique; il est beaucoup plus ample que celui des hommes, et descend au- dessous du genou. » Les Madécasses, naturellement amis du mer- veilleux et portés à l’exagération, prétendent que les hautes montagnes de leur île sont habi- tées par les Æimous, race de nains qui habitent des cavernes et mènent la vie pastorale. Quel- ques voyageurs ayant répété ces fables, M. Le- guevel de Lacombe questionna à leur sujet les Madécasses les plus raisonnables : ils considé- raient l’existence des Kimous comme fabuleuse, CHAPITRE VIII. Ile Bourbon. Plusieurs Français, ennuyés de l’insalubrité de Madagascar, prirent la résolution de quitter celte grande île pour s’établir sur celle de Bour- bon, dont on savait que l'air est extrêmement salubre. Ils eurent la sage précaution de tran- sporter avec eux des vaches, un jeune taureau et des bêtes à laine. Cette île, découverte en 1545 par Mascarenhas, navigateur portugais, était alors inculte, quoique f'lacourt en eut pris possession en 1649 au nom du roi de France; elle recut alors le nom de Bourbon. Dès 1646, des Français exilés de Madagascar s’y étaient réfugiés. Louis XIV la céda en 1664 à la Compa- guie des Indes, qui, l’année suivante, y envoya un commandant et une vingtaine d’ouvriers. Peu à peu la culture de la canne à sucre et du froment y fit des progrès. En 1718, on y apporta de Mokha des plants de cafiers; ils ÿ ont parfai- tement réussi. Dans le courant du xvure siècle, Poivre, iu- tendant de nos îles de la mer des Indes, fut le bienfaiteur de Bourbon par la sagesse de sou administration et l’introduction de plusieurs cultures nouvelles. Il fut puissamment secondé dans ses efforts par plusieurs colons, entre au- tres par Joseph Huber, qui réussit à greffer le muscadier et à faire ainsi porter des fruits par les individus mâles de cet arbre divique. Bourbon, située à 100 lieues à l'E. de Mada- gascar, présente une forme arrondie; suivant l'observation de M. Bory de Saint-Vincent, elle semble composée de deux montagnes volcani- ques, le Gros-Morne, au N., éteint depuis long- temps, et le Piton-de-Fournaise, au S., qui est encore en activité. Le Piton-de-Neige, élevé de 1,800 toises au-dessus du niveau de la mer, est la cime la plus haute de l’ile; le volcan et les deux cimes du Brûlé de Saint-Paul, nommés le Grand et le Peut-Bernard, ont une altitude à peu près égale. Lorsque le ciel est parfaitement pur, le Piton-de Neige est apercu de l’île Mau- rice. On estime la longueur de Bourbon, du N. O. au S. E., à 17 lieues, et sa plus grande largeur, du N. E. au S. O., à 12 lieues, et sa surface à 200 lieues carrées. Depuis le bord de la mer, le terrain va toujours en s’élevant vers le centre. Dans le S., une lisière large d’une demi-lieue, parallèle à la côte et interrompue par le pays brule, est tout ce que l’on a défriché sur la peute des montagnes. Dans le N., la culture occupe un plus vaste espace. Des espèces de bassins ou de vallons, des rivières rapides cernées par des remparts perpendiculaires, des monticules jetés dans ces vallons et dans les torrens, dont ils embarrassent le cours, des prismes basaltiques, souvent disposés en colonnades régulières, des couches de laves les plus variées, des fissures profondes, des indices d’un bouleversement général, tout, comme le remarque M. Borv de Saint-Vincent, annonce d’anciennes et terribles révolutions physiques. Les rivières se changent en torrens dans la saison des pluies ; quelques-unes offrent un as. pect remarquable, entre autres la rivière des Roches, qui se précipite par une fort beile cas- cade (PL, VIL— 4), Uu chemin qui fuit le tour de 60 Vie n’est praticable que dans quelques parties. Les habitans de Bourbon divisent leur île en partie du vent ou de l'E. qui est la plus riante et pailie sous le vent qui passe pour la plus ri- che, quoique la moins arrosée; la première, où la température est rafraîchie par des brises con- tinuelles, rappelle souvent l'a-pect de nos pro- vinces méridionales; elle est la mieux cultivée; le climat est plus doux dans la seconde. Le long de la côte, la chaleur est excessive depuis la fin de novembre jusqu’au commence ment d'avril; heureusement on trouve un re- fuge contre cette température ärdente en mon- tant vers les habitations. Rarement au pied des montagnes le thermomètre marque moins de 14 degrés ou plus de 30. Les vents les plus com- muns sont ceux du S. E. Les ouragans causent souvent de grands ravages; et, comme l’île n’of- fre sur toute sa circonférence ni une rade, ni un port sûr, les navires sont obligés de s'éloigner avec précipitation aussitôt que les signes d’une tempête se montrent. Du reste, le climat est ex. trêmement salubre. Le sol, de nature volcani- que, est très-fertile, et donne les productions des régions tempérées et des contrées équato- riales. La population de l’île est de 86,000 ames, dont 18,000 blancs et 68,000 nègres esclaves. Le commerce, soit avec la métropole, soit avec Madagascar et Maurice, est considérable et em- ploie beaucoup de navires. Saint-Denis, ville principale de l'île, est située sur la côte N. de Vie, Parny, Pun de nos poètes les plus aimables, étail né à Bourbon. CHAPITRE IX. lie Maurice. Mascarenhas, qui avait découvert l’île Bour- bou, aperGut aussi le premier l’île Maurice, qu’il nomma Cerne; elle était imhabitée; les Por- tugais ne s’y étab'irent pas. Les Hollandais en prirent possession et lPappelèrent ile Aaurice, d’après le fondateur de leur indépendance. Hs l’abandonnèrent en 1712, Les Français l'occu- pèrent en 1721, ils Pont gardée jusqu’en 1814, qu'ils la cèdèrent à la Grande-Bretagne. Elle est à 39 lieues à l'E. N. E. de Bourbon; sa forme offre un ovale irrégulier; sa longueur, du N, E. au S. O., est de 14 lieues, et sa plus grande lar- geur, de l'E. à l'O., est de 8 lieues ; sa surface est de 100 lieues carrées; on lui donne 45 lieues de circuit. Ses côtes sont découpées par un grand nombre de caps et de baies, et forment deux bons ports, celui du N. Q. ou Port-Louis, et le grand VOYAGE EN AFRIQUE. port ou Port-Bourbon, au S, S. E. de l'ile. D'après Bernardim de Saint-Pierre, la partie N. ©. de l’île est sensiblement unie, et celie du S. E toute couverte de chaînes de montagnes de 300 à 350 toises de hauteur; la plus haute de toutes, à l'embouchure de la rivière Noire, a 424 toises..… L’ile est arrosée par plus de soixant ruisseaux , dont quelques-uns n’ont point d’eau dans la saison sèche, surtout depuis qu’on a abattu beaucoup de bois. L'intérieur de lie est rempli d’étangs, et il y pleut presque toute l’année, parce que les nuages s’arrètent au som- met des montagnes et aux forêts, dont elles sont couvertes. Ajoutons à cet apercu celui qui a été tracé par M. Bory de Saint-Vincent : « Les ré- cifs plus ou moins éloignés du rivage en rendent abord extrêmement dangereux pour toutes sortes d’embarcations qui tirent un peu d’eau. Le sol va toujours en s’élevant depuis la côte jusqu’au centre, où est un plateau boisé de 200 à 200 toises d’élévation. Au milieu de ce pla- teau, on voit une montagne conique et tres- pointue, absolument en forme de pain de sucre, et que sa situation à fait nommer le Piton du milieu de l’île; son altitude est de 302 toises. Les autres montagnes de l’île, séparées les unes des autres, semblent former de petits systèmes isolés qui ont tous leur pente douce du côté de la mer et des escarpemens plus ou moins brus- ques.vers le Piton du milieu. Le Piter-Boot, au S. S. E. de ce piton, est le point le plus élevé de la chaîne du Pouce. Selon { acaille, son alti- tude est de 420 toises ; sa cime est surmontée par un rocher énorme et inaccessible qui se dis- üngue à une assez grande distance en mer, et ressemble assez à une tête (PL. VIT — 3). De ce point à peu près central partent différentes branches ou arrêtes interrompues par des bri- sures plus ou moins spacieuses ressemblant quelquefois à des embrasures flanquées de cré- neaux.... De la cinre du Pouce, l'œil embrasse toute l’île.» Son aspect annonce qu’elle a été boulever- sée par les feux volcaniques. Le sol est calcaire dans sa partie septentrionale : ailleurs tout an- nonce l'action des volcans, mais il est urès-diffi- aile de trouver aujourd’hui le point où était si tué le cratère principal. « Des secousses, dit M. Bory, des affaissemens , le temps, les pluies, la végétation, les vents, là culture, tout a con- tribué à défigurer la surface de l'ile; on pour: rait seulement présumer, à la disposition des systèmes littoraux des montagnes, que le centre était autrefois la cavité d’un énorme volcan, aont le dôme s’est écroulé, et qu'après ce grand MAURICE. Gi événement, le Piton du milieu fut le dernier soupirail d’une force expirante qui s’éleva sur les débris de l’ancienne montagne dont toutes les autres étatent descendues. » Piter Boot et le Pouce, étant les deux som- mets les plus élevés qui soient à une grande dise tance, leur faîte est souvent environné de nua- ges qu’ils atuirent ou qui s’y forment; c’est sur- tout le matin que des brumes s’y remarquent; et lorsque la fraîcheur de la nuit, qui cesse presque subitement, est remplacée par l’ardeur du jour naissant, on voit ces vapeurs, cédant à la pression du nouveau fluide qui se répand dans l'atmosphère, fuir vers la mer avec plus ou moins de vitesse. » L’humidité que portent ces nuages contri- bue à la force de la végétation qui pare les ro- chers presque nus de ces lieux; les plantes de ces monts sont aussi vigoureuses sur leurs crê- tes qu’elles sont en général maigres et languis- santes sur leurs flancs brûlés. Elles offrent des végétaux de la plus-grande beauté, entre les- quels les fougères se distinguent par leur élé- gance. » Les Créoles ont donné le nom de grand bas- sin à un étang immense situé dans la partie de la plaine la plus élevée de l’île. Ils regardent comme un prodige qu’il soit toujours rempli d’eau; mais, suivant l’observation très-juste de M. Mil- bért, cette particularité s’explique aisément, puisqu’il faut descendre b-aucoup pour arriver sur ses bords, qu’il est comme encaissé au mi- lieu de montagnes bien boisées, que des filets d’eau imperceptibles sortent de leurs bases au travers des laves poreuses, sans parler des con-- duits souterrains que l’œil ne saurait découvrir. 1] est bordé de grands arbres dont les branches touffues se projetient sur sa surface et contri- buent puissamment à attirer l'humidité des nua- ges. Où a dit à tort que ses eaux étaient tou- jours au même niveau, même dans la saison des pluies; M. Milbert a reconuu qu ’elles doivent déborder et que leur niveau varie. Les quatre mois les plus chauds de l’année sont octobre, novembre, décembre et jenvier ; c’est dans ce dernier et en février qu’éclatent les orages et les coups de vent; décembre est le temps des ouragans, qui, parfois, causent tant de dommages aux navires mouillés sur les rades ou marchant le long des côtes, et même aux maisons; le tonnerre se fait entendre rarement; la grêle est encore moins commune. Dans quel- ques plaines, la plus grande chaleur est de 22 degrés et la moindre de 14; rarement le thermomètre à lombre monte à 25 degrés. Les nuits sont généralement fraîches, au point que l’on voit du givre sur les plantes et les arbustes, Le long des côtes, la chaleur est quelquefois de 30 degrés. Les vents de $. E. et de S. S. E. ap- portent une fraîcheur salutaire, tandis que ceux du N. et de l'O., mais surtout ceux du N. O., amènent les pluies et les orages. La fécondité du sol est remarquable dans les quartiers où l’on a su profiter des irrigations baturelles ou les ménager avec art. À peu près un cinquième de l’île est en culture. Mahé de La Bourdonnaie y introduisit la canne à sucre, le coton et lindigo; Poivre y fit ap porter le mus-” cagdier, le giroflier et d’autres végétaux précieux ; le plus remarquable de ceux qui sont indigènes est l’ebénier. Les récoltes de maïs et de froment ne suffisent pas à la consommation. Parmi les animaux, les singes sont extrême. ment incommodes par leurs dégâts dans les champs ; les fourmis sont la terreur des colons, qui ont bien de la peine à garantir de leurs at« taques les fruits et les autres objets comestibles. Le termite et la blatte, ou le kakerlat, ne sont pas moins dangereux pour le bois, les meubles, le papier. Le Port-Louis, la principale ville de Maurice, est bien bâti : parmi les quartiers de l’ile, ce- lui des Pamplemousses offre le beau jardin de l'Etat fondé par Poivre, et dont Céré eut long temps la direction: À l'E. de ce quartier, le vallon appelé Ænse-des-Prétres est arrosé par la rivière des Lataniers ; c’est dans ce vallon soli- taire que Bernardin de Saint-Pierre a placé la demeure de Paul et Virginie. Le voyageur cher- che vainement l'allée de bambous qui conduit à l’église des Pamplemousses. Quoiqu’elle r’ait existé que dans l’imagination de l’auteur, eile a été si habilement dessinée par M. Isabey, que l’ou aime à croire à sa réalité, et les voyageurs regrettent de ne pas la trouver. Le cap Mal- heureux, au S. de l’île, et la baie du Tombeau, sur la côte de VPE., rappellent la catastrophe racontée d’une manière si touchante par Bere nardiu de Saint-Pierre. Ou évalue la population de l’île Maurice à 90,000 habitans, dont 11.000 blancs, 14.000 nègres et hommes de couleur li bres, et 65,000 esclaves. Parmi les gens de cou- leur figurent des Madécasses et des Malabares. L'île Rodrigue ou Diego-Ruys dépend de Maurice, dont elle est éloignée de 125 lieues au N.E Elle n’a que 7 lieues de long sur une lieue et demie de large. C'est un rocher sur lequel une petite pprtion de terre propre à la culture ne présente qu’un espace peu considérable en comparaison des sables arides et stériles; quel-. 62 VOYAGE EN AFRIQUE. ques ruisseaux fournissent de l’eau potable à une population peu nombreuse. Les tortues et les crabes y abondent, et la mer y est très-pois- sonneuse. Ce fut sur cette Île que François Leguat et quelques autres Français, expatriés par suite de la révocation de l’édit de Nantes, séjournèrent depuis 1691 jusqu’en 1693. Ils furent les pre- miers Européens qui habitèrent ce coin de terre. Leguat en a donué la description. D’autres îles se prolongent au N. jusqu'aux Séchelles, et on en voit une suite qui, à diffé- rentes distances, atteignent presque jusqu'aux Maldives. à CHAPITRE X. Cafrerie. En revenant au continent africain, que nous avons quitté à la baie de Lorenzo-Marquès, nous trouvons la coutrée désignée par le nom de Ca- frerie. Ou fixe sa limite, au S., au Groote Vis- Rivicr (grand fleuve des Poissons). Comprisé entre 23° 30° et 33° 20° de lat. S. et entre 24° 20’ et 31° 30° de long. E., sa longueur, du N. au S., est à peu près de 270 lieues, et sa largeur de 100 livues. Le nom de ce pays est dérivé de celui de Ca- fre où Æufir, qui. en arabe, signifie énfidèle. 11 désigne un grand nombre de nations différentes les unes des autres; les géographes arabes l’a- vai-nt appliqué à la totalité de l’intérieur de l'Afrique, où leur religion w’avait pas pénétré; mais graduellement son étendue a diminué sur les cartes, et on l’a restreint à la région dont nous avons indiqué létendue. Elle est encore assez imparfaitement connue. L+s peuples Ca- fres, d’après le témoignage des voyageurs, n'ont rien de commun avec les nègres, sinon la cou- leur de la peau et la chevelure : leur tête n’est point allongée, la ligne, depuis le front jusqu’au meuton, est convexe; leurs cheveux sont noirs, laineux, rudes au toucher, et leur barbe est rare. Alberti, voyageur néderlandais, auquel on doit une bonue description du pays de ces peuples, dit qu’ils sont grands et bien faits. Les femmes diffèrent beaucoup des hommes pour la’taille ; mais leurs contours sont bien arrondis el très-gracieux ; les deux sexes ont la peau unie et douce. Les Cafres s’enduisent le corps d’ocre rouge réduit en poudre et delayé dans l’eau; on y ajoute quelquefois le suc d’une plante odori- férante. Pour que cet enduit tienne bien, on le recouvre d’une couche de graisse. Ils jouissent généralement d’une bonne santé, qu’ils doivent a la simplicité de leurs alimens; ce sont la chair du gibier, plutôt que de leurs troupeaux , ordi- nairement rôtie, le laitage, le sorgo, des fruits. L’eau est leur unique boisson. Ceux qui vivent près des colons européens sont avides du vin et des liqueurs spiritueuses ; ils aiment beaucoup le tabac : hommes et femmes fument celui qu’ils ont récolté et le mêlent avec la feuille d’une au- tre plante nommée dakha. Le principal habillement des Cafres consiste en un manteau de peau, dont le côté velu est tourné en dedans. Celui d’un homme n’a que la largeur suffisante pour pouvoir le fermer par devant ; il descend jusqu’au gras de la jambe et se ferme avec une courroie sur la poitriue quand il fait froid ou humide ; lorsque le temps est doux, on le laisse ouvert, de mauière que le ventre et les cuisses restent nus. Le haut du manteau forme, autour du cou, une espèce de collet ren- versé (PL. IX — 1). Quand il fait très chaud, le Cafre se dépouille entièrement de son man- teau; en voyage, 1] le porte sur son epaule au bout d’un bâton Dès l’âge de puberté, les hommes attachent, à la ceinture du corps, une espece de tablier dont la forme varie, et qu’ils ornent de grains de verroterie ou d’anneaux de cuivre suspendus a une Courroie. Les manteaux des femmes enveloppent le corps de manière que l’un des bouts rentre sous l’autre, de sorte que le sein est couvert. Par- dessous, elles portent une ceinture faite de la- uières minces et nouée au moyen d’une cours role qui passe sur les hanches. Les femmes ne vont pas, comme les hommes, la tête nue, elles la couvrent d’un bonnet fait de peau d’autilope, dont le poil est tourné en dehors; elles l’ornent de plusieurs rangées d’anneaux de cuivre ou de fer, el, comme cette partie de la coiflure est re- courbée en avant, ces anneaux descendent presque jusqu'aux paupières. Des courroies ser- vent à assujelir le bonnet autour de la tête. Les femmes riches recouvrent les coutures de grains de verroterie ( PL. VIII — 1 ). Ce sont les fem- mes qui font les habits pour les deux sexes : au lieu de fil, elles les cousent avec des tendons d’a- nimaux que l’on a fait sécher et que l’on partage ensuite en les frappant avec un caillou, puis en les frottant entre les mains. Les armes des Cafres sont la zagaie, la massue et le bouclier : la massue consiste en un bâton ordinairement long de deux pieds et demi sur dix lignes d'épaisseur, et terminé par un nœud de la grosseur du poing. Ils se servent de cette £ / / 2 9 3 RER 6 Z, SPA / «À CORRE LAS CES à PERL CLSEMCESE ti! / / 7) ( = 7 LUE 7 4: Ahrarl Core PNA. ZEN AFRIQUE LT Fu ré CAFRERIE. 63 arme, dans les combats particuliers, avec une adresse étonnante, portant d’une main des coups avec leur massue, et parant de l’autre ceux de leur adversaire avec leur bouclier (PL. VIII— 1). Attaquer son ennemi à l’improviste et sans Vavoir prévenu par une déclaration de guerre, est regardé par les Cafres comme un acte bla- mable. En conséquence, une tribu qui en veut attaquer une autre, la fait prévenir par des hé- rauts portant, pour marque de leur qualité ou de la nature de leur message, une queue de lion ou de léopard ; en même temps, tous les hommes en état de porter les armes sont avertis de se rendre auprès de leur chef. Quand ils sont reu- ais, une grande quantité de betail est tuée pour Jes régaler ; on danse, et, jusqu’au moment du départ, on se livre à la joie et ou se divertit. Nul guerrier ne peut, sous peine de la confis- cation de téus sés biens, se soustraire à l’appel aux armes. Quand un chef suprême entreprend la guerre, les principaux capitaines et les offi- ciers sont seuls instruits du but de expédition ; les simples combatians sont tenus d’obéir aveu- glément, À vant d'entrer en campagne, le chef suprême distribue aux capitaines, et même aux simples guerriers distingués par leur bravoure, des plu- mes d’awiruche dont ils ornent leur tête; en- suite, l’armée se met en marche, emmenant avec ælle tout le bétail dont elle croit avoir be- soin. Arrivée dans le voisinage du camp de l'ennemi, elle fait halte; puis les hérauts an- noncent son approche et répètent les motifs de la déclaration de guerre. Si celui-ci n’a pas en- core rassemblé toutes ses forces, il en informe son adversaire, qui est obligé'de différer l’at- taque jusqu’au moment où l’autre sera prèt à le recevoir. On choisit pour champ de bataille une plaine unie et dégagée de buissons, où rien ne puisse gêner la vue ni favoriser les surprises. Les eux partis s’avancent l’un contre l’autre, jus- qu’à une distance d’une centaine de pas, en poussant de grands cris. On commence par se lancer des zagaies, qu’on ramasse de part et d’autre pour s’en servir de nouveau. Le chef se tient constamment au centre de sa ligne, sur laquelle les capitaines et les officiers ont aussi leur place ; d’autres sont en arrière pour empê- cher la fuite ou la désertion. On continue à combattre dans cet ordre; les deux partis tà- chent continuellement de se rapprocher davan- tage ; si la résistance est opiniâtre, il s'ensuit un combat corps à corps, et, dans cette mêlée, les massues sont employées jusqu'à ce que l’un des deux partis plie et soit forcé d'abandonner le champ de bataille. Le plus souvent, le parti le plus faible prend la fuite avant d’en venir aux mains de si près. Dès que la déroute commence, les vainqueurs s’empressent de poursuivre les vaincus, surtout afin de s’emparer du bétail, des femmes et des enfans. La poursuite termi- née, le chef victorieux fait tuer tout de suite une partie des bestiaux pour régaler sa troupe. Si la nuit vient séparer les combatians avant que le sort de la bataille soit décidé, on crie d’une armee à l’autre qu’il convient de poser les armes jusqu’au lendemain. Aussitôt, les deux parus s’éloignent l’un de l’autre de quelques mille pas, et posent chacun des postes avancés pour éviter toute surprise. Qurlquefois on pro- fite respectivement de cette suspension d’hosti- lités pour faire des propositions d’accommode- ment. Si l’un des chefs prête l’oreille aux re- moutrances de ses capitaines, qui lui exposent la possibilité d’une chance désastreuse pour ses sujets, il envoie des herauts offrir à son adver- saire les conditions de la paix. Si les négociations échouent, le parti qui s’obstine à la guerre ne peut recommencer les hostilités le lendemain sans l’avoir fait annoncer dans les formes. Quand une paix defiuitive se conclut, la pre- mière condition du traité est toujours que le chef vaincu reconuaîtra le vainqueur pour son supérieur, et lui jurera foi et hommage. Immé- diitement après, les femmes et les enfans sont remis en liberté; une partie seulement du bétail enlevé est rendue ; le reste du butin est distri- bué aux guerriers qui l’ont conquis. Quand les deux partis sont rentrés daus leurs habitations respectives, le vaincu, pour marque de sa sin- cérité, envoie quelques bœufs au vainqueur, et celui-ci régale de nouveau son monde comme avant de le mener à la guerre. Dans les batailles, les deux armées ne font pas des pertes aussi grandes qu’on serait tenté de le croire d’après leur manière de combattre; le nombre des morts de chaque côté est peu cou- sidérable, ce qui vient probablement de la po- sition que le chef garde constamment au centre de sa ligne. Il ne peut exiger de sa troupe plus * de hardiesse qu’il n’en montre; et, comme les guerriers n’ont pas à espérer pour eux-mêmes de grands avantages du succes de la bataille, il ne peut espérer qu’ils s’élanceront avec intrépi- dité dans les rangs ennemis s’il ne donne pas l'exemple ; de sorte que la bravoure d’une ar- mée cafre dépend uniquement de celle que mon- tre son chef. Un ennemi désarmé, saisi avec la main et fait 64 VOYAGE EN AFRIQUE. prisonnier, ne peut être mis à mort; à la con- clusion de la paix, sa liberté lui est rendue sans rançon. La personne des hérauts est toujours respectée; cependant, si lacharnement mutuel semble faire craindre une infraction à cet usage sacré, des femmes sont envoyées en parlemen- taires, notamment pendant la suspension d’ar- mes. Lorsqu'un chef ne se croit pas assez puis- sant pour soutenir ses prétentions ou defendre ses droits par lui-même, il tâche de se procurer un allié; dans ce cas, celui dont on réclame le secours pèse attentivement le sujet de la que- relle avant de s'engager. Si la victoire favorise les alliés, le chef qui a fourni du secours obtient pour sa part la moitié du butin fait sur l’en- nemi, Les détails que nous venons de donner se rapportent surtout à la tribu des Æoussas, l’une des plus rapprochées de la côte. Toutes, sans exception, se sont montrées hospitalières et douces. Si parfois elles ont été inhumaines et cruelles, les voyageurs en ont attribué la cause aux attaques des Européens. Pendant long- temps, celles qui vivent le long des côtes accueillirent les naufragés avec une bonté compatissante, souvent même elles les accom- “pagnèrent, à travers une étendue de plusieurs centaines de lieues, vers le S., au cap de Bonne- Espérance, ou vers le N., jusqu’à Sofala; celles de l’intérieur accueillirent également avec bien- veillance les premiers Européens qu’elles virent. Les historiens portugais racontent que Vasco de Gama trouva les tribus cafres armées de lan- ces de fer et portant pour ornemens des anneaux en cuivre; elles étaiènt si prévenantes, si bospi- talières, si confiantes, qu’il appela eeite côte la Turre de la Paix. Louis Alb-rti était, en 1806, commandant du fort Fréderic, dans la baie d'Algoa; son séjour dans ce lieu et ses rapports fi équens avec les Koussas lui fournirent l’occasion de les bien ob- server. Plus tard, des voyageurs partis du cap sont allés chez plusieurs autres nations compri- ses sous la dénomination générale de Cafres. Leurs relations étant, pour la plupart, très-ré- centes, nous ne nous en ocCcuperons qu'après avoir décrit la célèbre colonie longtemps pos- sédée par les Hollandais, et maintenant au pou- voir de la Grande-Bretagne. CHAPITRE XT. Colonie du cap de Bonne-Esptrance, Ce fut en 1486 que Barthélemy Diaz, naviga- teur portugais, doubla le premier le cap de Borine-Espérance sans l’apercevoir. Batiu par des vents impétueux, 11 passa en s’avancant vers l'E. à la vue d’une baie qu'il somma Dos Vaqueros (des Vachers), à cause de la graude quantité de troupeaux avec leurs bergers qu'il y vit sur la côte : il était alors à 40 lieues à l'E. du cap. De temps en temps, il avait débarqué des nègres qu'il avait amenés du Portugal, et qui étaient richement habillés, afin qu'ils s’attiras- sent le respect des indigènes. 11 leur donnait aussi des marchandises pour faire des échanges, et prendre des informations sur le pays; mais les habitans de ces côtes étaient trop farouches et trop ümides pour que l’on put obtenir d’eux aucun rensei;nement. Quand l’escadre de Diaz, réduite à deux vaisseaux, arriva devant les pe- tites îles situées dans la baie d’Algoa, les équi- pages murmurèrent et demandèrent à s’en re- touruer, parce que les vivres étaient épuisés, Diaz réussit par ses exhortations à leur faire poursuivre leur route 25 lieues plus loin. Les Portugais atteignirent ainsi l'embouchure d'un fleuve qu’ils nommèrent R10-do-In/fant:, avjour- d’hui le Groote-Vis-Rivier. On peut s’imagiuer quelles furent la joie et la surprise de Diaz ei de ses compagnons, en apercevant à leur retour vers l’O., au milieu d’une tourmente affreuse, le promontoire qu’ils cherchaient depuis si longtemps. Ils y élevèrent une croix, et dédiè- rent celte terre à Saint-Philippe. Diaz, après avoir déterminé la position du cap, et reconnu les baies et les ports qui l’avoisinent, poursuivit sa route vers le Portugal. Dans le récit qu’'ii fit de son voyage au roi Jean Il, il s'étendit beau- coup sur les difficultés qu’il lui avait fallu sur- monter pour doubler le promoutoire qu’il avait découvert, et qu’en conséquence il avait ap- pele Cabo Tormenteso (Cap des Tempêtes); mais le roi, persuadé que le passage de ce cap devait ouvrir la route des Indes, le nomma cap de Bonne-Espérance, dénomination que chaque na- tion traduisit en sa langue. Daus leurs fréquens voyages aux Indes, les Portugais s’arrêtaient au cap de Ronne-Espé- rance ; mais ils n’y formèrent point d’etablisse- ment permanent. En 1600, les Hollandais, dans l'enfance de leur commerce avec les Indes, fon. dèrent une station au cap afin de renouveler les vivres de leurs navires qui y passaient; mais ce ne fut qu’en 1652, que, sous la conduite d: Van-Riebeck, ils y bâtirent une ville et com- mepcèrent à étendre leurs conquêtes dans l’in- térieur. Les Hottentots ne leur opposèrent an- cune résistance, La colonie, peuplée d'abord de CAP DE BONNE-ESPERANCE. 06 Hollandais, fut augmentée d’un grand nombre de Français qui avaient fui leur patrie après la révocation de l’édit de Nantes; des Allemands s’y fixèrent aussi. En 1795, les armées britanni- ques s’emparèrent du Cap. La paix d'Amiens (1802) le rendit à la Hollande. En 1806, le sort des armes le fit retomber au pouvoir de la Grande-Bretagne, à laquelle il est resté par le traité de 1814, et qui l’a beaucoup agrandi. Cette contrée est comprise entre 29° 50’ et 34° 50° de lat. S., et entre 15° 15° et 26° 10° de long. E. Sa longueur est à peu près de 200 lieues, sa largeur moyenne de 75, sa surface de 14,500 lieues carrées; elle est bornée au S. par l’océan Judien, à VO. par l’océan Atlantique, ailleurs par des pays où vivent des tribus de Cafres et de Hottentots. Ces derniers sont les indigènes que les Por- tugais y trouvèrent; ils formaient des peupla- des qui furent ou subjuguées ou repoussées vers le N. Ils ont le teint d’un jaune foncé, assez ressemblant à la couleur d’une feuille fanée, les traits fort laids, le nez très-aplati, les yeux cou- verts, ue s’ouvrant qu’en longueur, très-éloi- gnés l’un de l’autre, brunâtres et se relevant vers les tempes ; les sourcils très-marqués, quoi- que minces et non saillans, légèrement crépus; le visage très-large par en haut et se terminant en pointe, les pommettes des joues très-saillan- tes, la bouche grande, mais garnie de dents très-blanches; les cheveux noirs ou seulement brunâtres, excessivement courts, laineux et disposés par petites touffes détachées; le front proéminent, surtout dans la partie supérieure, puis aplati et quelquefois même comme déprimé,. Vue de face, la figure du Hottentot rappelle as- sez exactement celle des peuples jaunes de l’An- cien-Monde et celle de quelques tribus de l’A.- mérique méridionale; mais, vue de profil, elle est bien différente et réellement hideuse; les -levres, lividement colorées, s’y avancent en un véritable grouin contre lequel s’aplatissent, pour ainsi dire, de vrais naseaux ou narines qui s’ouvrentpresquelongitudinalement et de la facon la plus étrange. I! n’existe que très-peu de barbe à la moustache ou sous le menton, et jamais on n’en voit en avant des oreilles, dont la conque est plutôt inclinée d'avant en arrière que d’ar- rière en avant. Le pied prend déjà une forme si différente de celle du nôtre et de celui des nègres, qu’on reconnaîl au premier coup- d'œil la trace du Hottentot imprimée sur le sol. L's sont généralement de taille moyenne , mais bien faits, et ont les extrémités petites. Les femmes, dont les traits diffèrent peu de ceux ! ÂÀrR. des hommes, perdent, aussitôt qu’elles sont devenues mères, les formes gracieuses de leur corps, et, à mesure qu’elles avancent en àge, leur gorge acquiert une grosseur énorme, leur ventre devient saillant et leur fessier prend une ampleur démesurée. Tous les voyageurs dépeignent les Hottentots comme un peuple doux, paisible, inoffensif, honnête et loyal, humain et susceptible d’atta- chement, mais apathique, paresseux et timide, doué de peu d’intelligence, enfin d’une malpro- preté révoltante. Le principal vêtement du Hottentot consiste en un manteau de peau de mouton, de gazelle ou d’un autre animal; une ceinture de peau est découpée en courroie, dont les bouts viennent tomber vers le milieu de la cuisse ; les femmes ajoutent à cette ceinture un petit tablier long de huit pouces, et par der- rière une peau de mouton qui descend jusqu’au mollet, Jadis les Hottentots se chargeaient le cou, les bras et les jambes d’intestins d’ani- maux qu'ils venaient de tuer et qu'ils ne la- vaient même pas, qu’ils laissaient se dessécher et qu’ils finissaient par dévorer. Cette mode n’est pas tout-à-fait passée, et les femmes sur- tout ont substitué à cette sale parure des cor- dons de verroterie ou d’autres petits ornemens en métal, en conservant les plus beaux pour enjoliver leur tablier. Comme beaucoup d’au- tres peuples africains ; les Hottentots se frottent le corps et les cheveux de graisse mêlée d’une couleur noire ou rouge. Depuis que leur pays est en partie soumis aux Européens, leurs mœurs ont subi des modifica- üons, et leur nombre a considérablement dimi- nué. Cette dépopulation a été attribuée à diffé- rentes causes; les principales sont leur coutume de ne jamais s’allier qu'entre familles de mêmes tribus ; leur indolence, qui, souvent, les fait se priver de nourriture plutôt que de se donner la peine de la chercher; enfin et surtout les traite- mens cruels qu’ils ont éprouvés de la part des colons. Ceux-ci les ont réduits à un état de dé- pendance voisin de l’esclavage. Les Hottentots sont adroits à la chasse, et se servent avec habi. leté du fusil ; leur industrie se réduit à faire des arcs, à façonner grossièrement des pots de terre et des flèches, et à coudre des peaux de mouton pour leurs vêtemens d’hiver. L’idiome de toutes les tribus hottentotes, malgré des différences de dialecte très-marquées, présente un caractère général de ressemblance. Suivant la remarque de plusieurs voyageurs, il - se fait remarquer par une multitude de sons ra. pides, âpres, glapissans, poussés da fond de la 3 66 VOYAGE EN AFRIQUE. poitrine, avec de fortes aspirations, et modifiés dans la bouche par un claquement singulier de la langue. Les Hottentots n’ont ni lois ni religion, mais on trouve chez eux des sorciers qui les ont as- servis à des pratiques ridicules où des voyageurs ont cru reconnaître l’existence d’un culte. Des missionnaires européens ont, depuis 1737, es- sayé de leur prècher le christianisme. Le premier qui entreprit cette œuvre méritoire fut George Schmidt, Allemand, qui appartenait à l’église des frères Moraves. Ses travaux ne furent pas sans succès, durant sept ans qu’il passa dans l'Afrique australe. La prédication de l'Evangile, interrompue ensuite jusqu’en 1792, fut reprise alors par les mêmes frères Moraves avec un zèle vraiment exemplaire, malgré les obstacles de tous geures qu’ils eurent à combatire, et qui étaient notamment leur pauvreté, la mauvaise volonté des paysans hollandais, et la guerre qui, de J'Europe, se propagea jusque dans ces régions lointaines. Toutes ces contrariétés furent surmontées; plus tard, des missionnaires de différentes églises protestantes arrivèrent successivement, et aujourd’hui des établisse- mens pour l'instruction chrétienne sont formés dans plusieurs lieux. Les habitations des Hottentots consistent en buttes faites de branchages, et ressemblent à des ruches ; on y entre en rampant ; le foyer est au centre. Pendant la nuit, la famille dort pêle-mêle autour du feu; durant le jour, elle s'étend à terre, en dehors de la cabane, pour se chauffer au soleil. Une réunion de ces cahu- tes compose un #rxal ( village ). Ten-Rhyne, médecin hollandais, donna le premier une description détaillée du Cap de Bonne-Espérance, où il était arrivé en 1673. Sa relation, qui parut'en 1686, est d’autant plus précieuse, qu’elle fut écrite lorsque les Euro- péens n’avaient pas encore, par leurs briganda- ges, forcé les Hottentots à s’éloigner du Cap et à se réfugier dans les montagnes voisines. Au commencement du xvri° siècle, plusieurs expé- ditions furent entreprises de différens côtés, et l'une d’elles pénétra jusqu’en Cafrerie; elles réussirent à trafiquer avec les Hottentôts, qui recevaient de la verroterie, des colliers de grains "de cuivre et du tabac en échange de bestiaux. Quelquefois, dans une route longue et pénible, on ne rencontrait que deux misérables kraals dépourvus de bœufs et de moutons. La liberté du commerce accordée aux Hollandais n’avait pas produit partout les bons effets que le gou- vernement en avait espérés. Des vagabonds de cette nation avaient pillé les kraals, et les mal- heureux Hottentots, dépouillés de ce qu’ils pos- sédaient, s’étaient vus contraints à leur tour de voler leurs voisins, Ces déplorables représailles avaient ruiné tout le pays et fait d’un peuple pa- cifique, et vivant sous ses chefs du produit de ses troupeaux, une horde de brigands réduits à demeurer daus les montagnes et dans,les forêts, et à se fuir les uns les autres. Ce fut vers cette époque que Pierre Kolbe, Allemand né dans le pays de Bayreuth, fut en- voyé au Cap de Bonne-Espérance pour y faire des observations astronomiques; il y resta depuis 1704 jusqu’en 1713, après avoir séjourné quel- que temps dans l’intérieur du pays. Sa relation, qui parut en allemand en trois volumes in-folio (1719), était une des plus curieuses, des plus instructives et des plus complètes qui eût encore été publiée sur une contree quelconque du globe. Elle fut traduite en français et abrégée. Kolbe s’attacha particulièrement à connaitre et à bien décrire les mœurs des Hottentots ; il re- cueillit tous les récits, les notes, les renseigne- mens que voulurent bien lui fournir les Euro- péens au milieu desquels il vecut en Afrique, et qui avaient l’avantage d’avoir pu observer les indigènes à une époque où ils etaient plus rap- prochés des Hollandais. Il decrivit aussi le ter- ritoire de la colonie et en dressa des cartes plus complètes que celles que l’on possedait jusqu'a- lors; enfiu, il dressa le catalogue le plus ample qu’il put se procurer des prouuctions de la na- ture. Son livre a été critiqué avec une dureté extraordinaire : on lui a reproché des inexacti- tudes, sans doute bien involontaires ; l’extrême bonhomie de Koibe lui aura fait ajouter foi aux rapports de colons, ou menteurs ou credules, et réellement son ouvrage reuferme des choses très-singulières. Après avoir parlé de la musique et de la danse des Hottentots, Kolbe ajoute que, pour recom- penser celui qui, dans un combat particulier, a tué un gros animal, on lui decerne une récom- pense dont il se regarde comme très-honore. IL commence par se retirer dans sa hutte. Bientôt les habitans du kraal lui deputent un vieillard qui l’amène au milieu de ses compatriotes; ils le recoivent avec des acclamations. Alors il s’ac- croupit dans une hutte préparée exprès pour lui, et les autres se placent autour de lui dans la même posture. Son guide s'approche et pisse sur lui depuis la tête jusqu’aux pieds, en pronon- cant certaines paroles, et s’il l’affectionne, il Pi- nonde de son urine; plus la dose est copieuse, plus le récipiendaire se croit honoré. Il a eu CAP DE BONNE-ESPERANCE, 67 soin d'avance de creuser avec ses ongles des sillons dans la couche de graisse dont il est en- duit, afin de ne rien perdre de lPaspersion, et il s’en frotte soigneusement le visage et le corps; ensuite, le guide allume sa pipe et la fait cireu- ler dans l’assemblée jusqu’à ce que tout le tabac soit consumé ; puis, prenant les cendres, 1l en saupoudre le nouveau chevalier, qui recoit en même temps les félicitations de ses compatriotes sur sa prouesse et sur l'honneur qu’il a fait au kraal ; ce grand jour est suivi de trois grands jours de repos, pendant lesquels il est défendu à sa femme d’approcher de lui. Le soir du troi- sième, il tue un mouton, 1l recoit sa femme, et fait bombance avec ses amis et ses voisins. La vessie de l’animal dont il a triomphé est le mo- nument de sa gloire; il la porte suspendue à sa chevelure comme une marque de distinction. L’inondation d’urine est aussi, d’après le même auteur, pratiquée à l’égard de l’adoles- cent, qui, parvenu à sa dix-huitième année, est admis au raug des hommes; jusqu’à ce moment, il ne lui est pas permis de converser avec eux, pas même avec son père ; le candidat s’est préa- lablement bien frotté de graisse .et de suic. L'abbé de La Caille, célèbre astronome fran- çais, entraîné par le seul amour de la science, vint au Cap en 1751 pour étudier les astres de l'hémisphère austral et déterminer avec préci- sion la position de ce point très-important pour la géographie; son séjour dans l'Afrique aus- trale ne fut qu’une suite de travaux assidus et pénibles. Eu 1753, il s'embarqua pour l’Ile-de- France. Il a reproché à Kolbe d’avoir exagéré le nom- bre des tribus hottentotes vivant sur un sol aussi stérile que celui des environs du Cap; mais il n’a pas fait attention que le voyageur al- lemand, bien loin de placer toutes les nations qu’il nomme dans le territoire immédiat du Cap, les étend très-loin au N. et à l'E. jusqu’a la côte de la Cafrerie. En 1760, Coetsee, bourgeois du Cap, s’étant avancé bien loin au-delà des limites de la colo- nie, remit, à son retour, au gouverneur Ryk- Tulbagh, la relation de son voyage, dans la- quelle il faisait la description de riches mines de cuivre qu’il avait trouvées sur sa route, et dont il rapportait des échantillons. Il avait aussi entendu parler d’une nation habillée de linge et d’une couleur basanée qui se trouvait au N. Tulbagh, craignant que ce ne fussent des Por- tugais établis à quelque distance de la colonie hollandaise, et désirant mettre à profit, si c’é- tait possible, les mines trouvées par Coetsee, ordonna qu’il serait fait une expédition de ce côté; il permit à treize bourgeois de l’accompa- gner, et nomma Henri Hop chef de la caravane, dont un arpenteur, un jardinier et un chirur- gieu faisaient partie. Les Hollandais, après avoir passé la rivière des Eléphans à un point situé par 18° 15° de long. E. de Paris et 31° 40° de lat. S., poursui- virent leur route dans le pays des Grands-Na- maquas, au N. de la colonie; on s’avanca ensuite dans la même direction, bien plus loin que n’a- vait fait précédemment Coetsee. L'air de ce pays est pur et tempéré; les Grands-Namaquas sout des hommes sains et vigoureux. Leurs richesses consistent dans leurs nombreux troupeaux de bétail ; les objets qu’ils recherchent le plus soit les barres de fer et les verroteries. Le 17 dé- cembre 1761, la caravane reprit le chemin du Cap; les rochers, renfermant le minerai de cuivre, furent examinés; mais, bien qu’il con- tint un tiers de métal pur, on considéra que la dureté de la roche en rendrait Pexploitation très-difficile; que, de plus, les environs étaient dénués de bois, et qu’enfin les bancs et les écueils qui obstruaient le lit d’une rivière voi- sine coulant vers l’océan Atlantique lPempè- chaient d’être navigable. Le 27 avril 1762, on fut de retour au Cap. Aucun voyageur n'avait auparavant pénétré aussi loin vers le N. que Hop. Cette expédition procura aussi des descriptions exactes et des fi- gures bien dessinées de douze des plus grands mammifères de l'Afrique australe; plusieurs étaient nouveaux et d’autrés mal connus. Tous les gens de la caravane revinrent sains et saufs; mais la fatigue et le manque d’eau avaient fait périr beaucoup de bétail. On acquit la counais- sance de plusieurs tribus; quelques-unes von- servaient des usages que les Hottentots, voisins du Cap, avaient perdus. André Sparrmau, naturaliste suédois, vint dans l'Afrique australe en 1772 pour être pré- cepteur des enfans d’un riche habitant de la colonie; il consacrait à la recherche des plantes tous les instans qu’il pouvait dérober à ses fonc- tions. Un singulier hasard vint l’arracher à ces occupations. Cook, ayant abordé au cap, Sparr- man se laissa persuader par les deux Forster, naturalistes de lexpédition, de s’embarquer avec eux; Cook approuva cet arrangement, et Sparrman accompagna ainsi cet illustre naviga- teur dans son second voyage autour du monde. De retour en Afrique au mois de juillet 1775, il y exerca la médecine et la chirurgie, ce qui lui procura les moyens d’entreprendre une longue 68 VOYAGE EN AFRIQUE. excursion dans l’intérieur du pays. Il raconte qu'avant de se mettre en route, il chercha de tous côtés des renseignemens sur les contrées qu’il voulait parcourir; mais le résultat de ses recherches lui apprit qu’elles étaient urès-mal connues des habitans de la capitale, et on lui représenta l’extravagance et même le danger de son projet. Néanmoins, il persista, et prit pour compagnon de route Daniel Immelmann, jeune Hollandais né en Afrique, qui avait déjà visité une partie de l’intérieur, et qui regardait comme une honte pour les colons leur ignorance de ce qui les entourait. Pourvu de tout ce qui était nécessaire pour traverser une contrée où l’on ne rencontre d’au- tre facilité en voyageant que l’hospitalité des habitans, Sparrman partit le 25 juillet, et se dirigea vers l'E. Se tenant à une certaine dis- tance de la mer, sur la partie inférieure de la terrasse des montagnes la plus proche de la côte, il visita la baie Mossel, regagna l’intérieur, et ne se rapprocha que très-rarement de l'Océan. Il alla ainsi jusqu’aux rives du Groote-Vis-Rivier, et remonta ensuite au N. vers l’Agter-Bruynijes- Hoogte, canton élevé voisin de ja chaine des Sneeuw Bergen (monts neigeux). Il était là sous les 28° 50° de lat. S. et à 350 lieues-du Cap. Le 6 février, il reprit le chemin de cette ville, s’é- loignant en quelques endroits de celui qu’il avait suivi précédemment, et arriva le 15 avril avec des dépouilles d’animaux de toutes les dimen- sions et une grande quantité de plantes. Thunberg, compatriote de Sparrman, et G.. Paterson, militaire anglais, voyagèrent aussi dans la colonie du Cap : le premier en 1772; le second de 1777 à 1779; tous deux avaient pour but de recueillir des objets d’histoire natu- relle. Paterson pénétra dans le N. un peu au- delà de la rivière Orange, et à l'E. bien au-delà du Groote-Vis-Rivier, jusque dans le pays des Cafres. , Peu de temps après, les mêmes contrées fu- rent visitées par François Le Vaillant, né, dans la Guiane hollandaise, de parens français. Ar- rivé au Cap en 1780, son adresse à tirer, sa force, son agilité, son courage furent pour lui de puissantes recommandations dans un pays où le besoin d’éloigner et de détruire les bêtes fé- "roces et.de se procurer du gibier rend tous les hommes chasseurs habiles, hardis et infatiga. bles. Ses connaissances en ornithologie et dans l’art de préparer les peaux d'animaux étaient également des titres auprès des habitans du cap, qui formaient des collections ou recher- chaient les oiseaux, soit pour eux-mêmes, soit pour en trafiquer et les envoyer en Europe. Le Vaillant ne manqua donc point de protecteurs et d’amis. Le fiscal de la colonie le prit sous sa protection, et lui fournit tout ce qui lui était nécessaire pour exécuter ses projets et voyager avec fruit : des chariots, des bœufs, des che- vaux, des provisions, du bétail, des objets d'é- change pour les sauvages, des domestiques hot- tentots pour lescorter, des guides pour le conduire, des lettres de recommandation pour les magistrats et les colons. Il partit du Cap le 18 décembre 1781, escor- tant à cheval son convoi, qui consistait en deux grands chariots; son train était composé de 60 bœufs, de 3 chevaux, de 9 chiens et de 5 Hottentots. Il se dirigea vers l’E., choisissant, autant qu’il le pouvait, les lieux les moins fré- quentés, afin de rencontrer plus d'oiseaux peu connus, Il vit des troupes de gazelles et d’autres antilopes, qui se montraient presque familières, et enfin de zèbres et d’autruches qui, au con- taire, étaient très-sauvages. En général, il s’é- loigna peu de la côte. { À Zwellendam, chef-lieu d’un district, il fit Pacquisiion d’une charrette, sur laquelle il plaça sa cuisine et son office; il acheta plusieurs bœufs et un coq, dont il comptait faire un ré- veilkmatin. En effet, cet oiseau s’habitua bien vite à dormir sur la tente de notre voyageur etsur son chariot; il annoncait régulièrement à toute la caravane le lever de l’aurore; il s’apprivoisa tellement, qu’il ne quittait jamais les environs du camp; si le besoin de nourriture le faisait s’écarter un peu, l’approche de la nuit le rame- nait toujours. Quelquefois il était poursuivi par de petits quadrupèdes du genre des fouines ou des belettes ; alors on le voyait, moitié courant, moiué volant, battre en retraite vers le camp et crier de toute sa force ; mais un homme ou un des chiens ne manquaient jamais d'aller bien vite à son secours. Un autre animal, dont Le Vaillant tirait des services plus essentiels encore, était un babouin, espèce de singe très-commune au Cap; il Pavait dressé à lui obéir au moindre signal, l'avait nommé Keés, et en avait fait le dégustateur et la sentinelle de la troupe. Lorsque Le Vaillant trouvait des fruits ou des racines inconnus à ses Hottentots, il ne permettait pas qu’on y touchât avant que Keés en eût goûté; si ce singe les re- jetait, on les jugeait ou désagréables ou dange- reux, et on les abandonnait. Keés était en outre d’une vigilance sans égale ; soit de jour, soit de nuit, le moindre bruit le réveillait à l’instant. Par ses cris et ses gestes de frayeur, on était CAP DE BONNE ESPERANCE. 69 toujours averti de l’approche de l’ennemi avant même que les chiens s’en doutassent; mais, aussitôt qu’il avait donné Palerte, ils s’arrè- taient pour épier le signal, puis ils s’élancaient tous ensemble du côté vers lequel il portait la vue. Dans la marche, quand il se trouvait fati- gué, il montait sur un des chiens, qui avait ia constance de le porter des heures entières. Les chefs des habitations voisines de sa route, chez lesquels, malgré les plus vives instances, Le Vaillant refusait d'entrer, lui envoyaient des vivres, et surtout du laitage. Il partageait sa provision avec ses SUR et avec Keés, très-fr jand d’un tel régal, et qui ne medias jamais d’ aller très-loin au-devant de celui qui l’apportait. Cependant, /les pluies survinrent et tombè- rent avec une telle violence, que les torrens, en se grossissant, dévastaient et entraînaient tout. Le Vaillant et toute sa troupe furent sur le point de périr : ils se refugièrent dans des ar- bres creux, et ne purent plus aller à la chasse ; ils furent trop heureux de trouver un buffle qui s'était noyé, et dont la chair les empêcha de mourir de faim. Vers la fin de Mars, les pluies devinrent moins fréquentes, les torrens dispa- rurent, et Le Vaillant s’empressa de transporter son camp à trois lieues plus loin, sur la colline de Pampoen-Kraal (village aux potirons); il Pa décrit comme étant un lieu enchanteur. Les fa- tüigues qu’il avait éprouvées lui occasionuèrent une fièvre àrdente. Il fit aussitôt arrêter sa ca- ravane, assit son camp dans le voisinage d’un ruisseau, et se saigna. Douze jours de repos et de diète le rétablirent, et il reprit ses occupa- tions ordinaires. Bientôt, en donnant la chasse à des éléphans, il courut les plus grands dangers; il ne fut sauvé que par le dévouement, le courage et la pré- sence d’esprit d’un de ses Hottentots nommé Klaas, qui, dès ce moment, devint son fidèle compagnon et son premier lieutenant dans le commandement de sa troupe. Dans cette occa- sion, quatre éléphans furent abattus; on se ré- gala de leurs pieds bouillis, que notre voyageur vante comme un méls exquis, et on emporta l'ivoire de leurs longues défenses. Plus loin, Le Vaillant rencontra des Hotten- tots fuyant devant des Cafres qui avaient ravagé leur kraal, situé derrière les Agter-Bruyntjes- Hoogte. Les déprédations des colons avaient causé ces représailles des Cafres, et les Boschjes- mans profitaient de ces hostilités pour piller également les Cafres, les Hottentots et les colons. Au-delà des Aster-Bruyntjes-Hoogte, Le Vail- lant parvint à des habitations de colons, qui furent d'abord effrayés de sa longue barbe : il ne se l’élait pas faite depuis onze mois; mais ils furent rassurés en voyant les lettres dont il était porteur. Ils avaient avec eux une troupe de Hottentots métis ; ils sont plus courageux et plus intelligens que la race des indigènes purs. Comme ils connaissaient le pays etla langue des Cafres, Le Vaillant en prit avec lui trois, les envoya en avant, et fit halte au-delà d’une petite rivière qui alors bornait la colonie de ce côté, Le lendemain ils lui ramenèrent un autre mis nommé Hans qui avait toujours vécu parmi les Cafres, et qui nedissimula pas à notre voyageur le danger auquel il s’exposait en s’aveuturant chez ce peuple exaspéré contre les colons. « Néanmoins, ajouta-t-il, votre réputation vous a précédé; vous pourrez aller en sûreté jusque chez le roi de ce territoire où vous êtes déja. » Ce conseil pouvait cacher un piége, mais Le Vaillant, repoussant tout soupcou, crut devoir le suivre ; seulement il commença par proposer à Hans d'annoncer sa visite à ce chef et de lui porter des présens de sa part. Ilans accepta cette mission et partit avec les deux Hottentots les plus fidèles de notre voyageur ; celui-ci alla l’attendre au-delà du Groote-Vis-Rivier. Une dizaine de jours après , il fut très-surpris, à son réveil, de se voir entouré, au muülieu de son camp, d’une vingtaine de Gonaquas; le chef s’approcha pour lui faire complimeut, les fem- mes lui offrirent toutes un petit présent; Le Vaillant se montra reconnaissant et distingua, parmi celles-ci, une jeune fille de seize ans dont il a fait le portraitle plus séduisant qu’il termine par ce trait : « C'était la plus jeune des G1àces sous la figure d’une Hottentote. Je trouvais son nom diificile à prononcer et désagréable à l’oreille ; je la nommai donc Nerina, qui signifie JSleur en langage hottentot. » Cet épisode du voyage de Le TT est un de ceux qui ont été le plus goûtés; des critiques ont prétendu qu’il était étranger à son sujet; le savant M. Walckenaer est d’un sentiment différent; voici comme il s’exprime dans son ZJisloire géné: rale des Voyages : « Nous v’en avons pas jugé ainsi; à part lies couleurs vives dont l'a crné le rédacteur du journal de notre voyageur, il nous a semblé que tout ce récit portait un cachet de vérité et qu’il était plus propre à faire connaître les mœurs de ces SANNAGES qu’une simple description. » Les Gonaquas s'étant acheminés vers leur kraal, Le Vaillant alla leur rendre visite: ce fut un jour de fête. Le lendemain il revint à son 70 camp; quelques jours après, on luiraconta que l’on venait d’apercevoir, de l’autre côté de la VOYAGE EN AFRIQUE: | plus rapprochés de leurs sommets. Il parcourut, autant que les précautions qu’il avait à prendre q P P rivière, une grosse troupe qui se disposait à la | pour sa sûreté le lui permettaient, les rameaux traverser ; on se rangea aussitôt en bataille, et j’on se prépara à la défense; mais les Cafres s’arrêtèreut lorsqu’ils se trouvèrent à la portée de la zagaie, et l’on vit avec une joie inexpri- mable Hans se détacher de la troupe et se diriger seul vers Le Vaillant; il lui apprit qu’il lui était libre de voyager chez les Cafres, et qu'ils lerece- vraient comme un ami et même CoMIME un pro- tecleur ; ils pensaient en cfiet qu'il aurait Île pouvoir de les venger d’un colon de Bruyutjes- Hoogte, dontie nom seul, à cause de ses cruautés, inspirait de l’horreur. Le Vaillant fit signe aux Cafres d’avancer, et bientôt il en fut entouré; il leur distribua du tabac et d’autres présens. Néanmoins il lui fut impossible de dissiper la défiance des gens de sa caravane, qui refusérent d’entrer dans le pays des Cafres. 11 partit donc le 3 novembre, avec Hans, quatre Gonaquas et trois autres Hotten- tots, puis le singe Keés, et chemina vers l'E.; il rencontra des kraals abandonnés, ily en avait un où des huttes paraissaient avoir été brûlées ; enfin , les premiers Cafres qu’il vit eurent besoin d’être rassurés, tant ils craignaient l’approche des colons; d’un autre côté, les Tamboukis, nation voisine de la côte, les massacraient et les forçcaient de se retirer vers le N. Le Vail- laut ayant avancé à 20 lieues plus à l'E. que Sparrman, rebroussa chemin, remonta le long du Groote-Vis-Rivier, et regagna son camp. Delailse porta au N. vers les Sneeuw-Bergen, vit en passant le camp des Gonaquas et Narina, qu’il combla de présens, le 16 décembre tra- versa le Klein-Vis-Rivier (petite rivière des pois- sons), et eut sur ses bords l’occasion d’être témoin , pour la première fois , d’une émigration de sauterelles ; « elles voyageaient en si grand nombre, dit-il, que l'air en était réellement obscurci; elles ne s’élevaient pas beaucoup au- dessus de nos têtes, mais elles formaient une colonue qui pouvait occuper deux à trois milles en largeur, et, montre à la main, elles mirent plus d’une heure à passer. Ce bataillon était tellement serré qu’il en tombait comme une grêle des pelotons étouffés où démontés ; mon Keës les croquait à plaisir, en mème temps qu’il en faisait provision. » Laissant derrière lui les Bruyntjes Hoogte, Le Vaillant apereut au N. O0. les Sneeuw-Bergen qui, bien que lon fut dans le temps des plus fortes chaleurs , conservaient encore de la neige dans les anfractuosités et les enfonéémiens les | deces moutagnes où s'étaient réfugiées des hor- des de Hottentots pour éviter les vexations des colons hollandais; ensuite il marcha au S. O., et, le 3 fevrier 1783, entra dans les plaines arides du Karrô; il souffrit beaucoup du manque d’eau et de la chaleur; le 2 avril il était de retour au Cap après une absence de seize mois. Cette premiere excursion ne l'avait pas entiè- rement satisfait; il en fit quelques autres dans les environs de la ville, et augmenta considéra- blement ses collections. Enfin, il reprit son ancien projet de traverser toute l'Afrique du S. au N., et se remit en route le 15 juin 1784; il avait avec lui 19 personnes, en comptant Klaas et sa femme; de plus, 36 bœufs pour Pattelage de ses trois chariots, 14 pour relais et 2? pour porter le bagage de ses Hottentots; 3 vaches à lait; un bouc et 10 chèvres; 3 chevaux et 13 chiens bien appareiïtlés. Le coq qui, dans le pre- mier voyage, lui avait procuré quelques instans de plaisir, lui fit naître l’idée d’en emmener un dans celui-ci; enfin, Keés compléta la troupe. Lorsque l’on fut parvenu à la rivière des Eephans, elle était débordée. Le Vaillant ne savall pas nager ; il se mit donc à cahfourchon sur un arbre attaché à des cordes que deux forts nageurs tiraient apiès eux; ce ne fut pas sans peine qu’il atteignit ainsi la rive droite. Oa avanca vers le N.; les bœufs étaient trè-affaiblis par la mauvaise nourriture, et deux, ei allant boire, avaient péri, entrainés par les eaux. Le pays n’offrait qu’une surface aride et b: üiée ; on ne trouvait au lieu d’eau qu’une boue huwide ; le nombre des bestiaux diminuait rapilement. On reçut des secours de deux colons métis chez lesquels on s’arrêta, et l’un d’eux Päccompagna. Dans le voisinage des monts Kamis, Le Vail- lant fut accueilli par Vander- Westhuysen , colon allemand; d’autres colons lui vendirent des bœufs : ceux-ci n'avaient pour toute habitation que de méchantes huttes. Pendant la nuit, notre voyageur sentit la température se refroidir considérablement et fut tout surpris de voir à son réveil la terre couverte de neige; dans cer- tains endroits, la glace avait deux pouces d’épaisseur. Le gibier était très-abondanit le long des bords de la Rivière Verte qui arrosait une | vallée riante. | Le 11 septembre, on rencontra un kraal de Namaquas, tribu de Hottentots plus robustes | que ceux du Cap; on en vit successivement plusieurs äutres el on entra dans un désert de EN AFRIOTE PE MÉMIILÉ : À PTS LLLLLL LL 5 RL, LL TÉL 2 2 lotitelchha rte ; ; £ Cars or A y TS 3 ce lnlEtceir- dur: E L ; Ce A CZ, rte Chfheèartec 00 A € ; 7: v So LCA IX Pay pe . : ts : | \ 1 / _ LES s El UD à c LE | GENRE | ? OR KL: ee . Ë ! ’ ! LZ *. EN AUDE - ' . : e pe : DS ‘ . = — ÿ di é :- é pe ; D ' . ., e 4 Sri : L # È ,. CAP DE BONNE-ESPERANCE. 71 sable hérissé de monticules peu élevés. On y apercut des huttes habitées par des Boschjes- mans qui s’enfuirent à l’approche de la cara- vane. On campa dans ce lieu, et à son départ, Le Vaillaut laissa dans la hutte la plus apparente du tabac et divers objets de quincaillerie. La journée suivante fut encore plus pénible, parce que les sables qu’on traversa, en deve- nant plus fins étaient en même temps plus mobi- les. Heureusement quelques heures de marche rendirent l'espoir à nos voyageurs; le sol et le sable se montrèrent couverts d’une espèce par- ticulière de graminée, les coteaux avaient un aspect moins nu, on y découvrait de chétifs arbrisseaux parmi les grands aloës; enfin on entendit au N.-O. le mugissement des flots. Aussitôt toute la caravane se mit à galoper pêle- mêle et arriva ainsi sur les bords de la grande rivière Orange. Le Vaillant ne tarda pas à s’apercevoir qu'il avait eu le tort d’entreprendre son voyage pen- dant le temps de la sécheresse; et les pluies ayant, contre l'ordinaire, manqué pendant la saison humide, ilen résultaitune aridité extraor- dinaire et affreuse; de sorte que les bestiaux ne trouvaient point de fourrage, et étaient réduits à manger les jeunes pousses d’une sorte de roseau. Quant aux hommes, ils ne man- quaient de rien, la chasse et la pêche fournis- saient à tous leurs besoins. 11 fat résolu de remonter plus haut, on y campa; Le Vaillant y tua un grand nombre d'oiseaux et même de grands animaux, surtout des éléphans et des hippopotames; on avait écarté les lions en mettant le feu aux ärbres à plus de cinquante pas à la ronde. Cependant l’état de dépérissement des bestiaux ne permettait pas de se hasarder plus loin avec eux. Le Vail- Jlant se décida donc, comme dans son premier voyage, à laisser son camp sous la garde d’un homme de confiance, et il partit le 28 octobre avec 18 de ses fusiliers, un colon métis, huit Namaquas, son singe, deux chevaux et six bœufs de charge. On traversa larivière sur unradeau, puis on la cotoya en remontant. Après de nombreuses courses, Le Vaillant réussit enfin, le 10 novem- bre, à tuer une girafe; 1l avoue que ce jour fut un des plus heureux de sa vie, et il raconte cette affaire avec un ton d’enthousiasme sincère. Il décrit minutieusement les soins qu’il prit pour que la peau de ce bel animal füt bien conservée ; chacun sait qu'il l’a rapportée heureusement en Europe, et qu’elle figure empaillée au Muséum d'histoire naturelle de Paris, Le Vaillant était là dans le pays des Grands- Namaquas; il y recut la visite d’une horde de Caminouquas qui, plus tard, lui offrirent de l’accompagner et Jui fournirent des bestiaux pour la continuation de son voyage au N. Il laissa donc encore une fois une partie de ses gens dans un camp; mais il marchait avec une caravane plus nombreuse que la première, car elle se composait de 60 personnes et de 40 bêtes, tant de somme que de trait, enfin de chiens. On était alors aux jours les plus longs et les plus chauds de l’année, et chacun était marqué parun orage, mais malheureusement sans pluie. Tout en cheminant, la troupe était grossie par des femmes qui consentaient à suivre les homines dont elles accueillaient les propositions. Elles se montraient plus laborieuses et plus vigilantes que les hommes, et furent tellement utiles, que Le Vaillant n’eut pas à se repentir de son con- sentement à les admettre dans la caravane. On arriva chez les Koriquas; l’anarchie et le désordre régnaient parmi eux à cause de la mort du chef; ils promirent à Le Vaillant d’obéir à celui des prétendans qu’il choisirait. Après s’être informé secrètement de celui qui paraissait réunir les suffrages du plus grand nombre, il désigna un nommé Haripa, âgé d’une quaran- taine d'années, grand, bien fait et très-fort, «et, par conséquent, ajoute-til, appelé par la vature à dominer la tourbe des faibles. » Haripa fut inauguré à la satisfaction de tous, et Le Vaillant obtint de cette horde tous les secours qu’il pouvait désirer, et des guides. Plus au N. E., les Kabobiquas habitaient un pays très-aride : la nécessité les avait obligés à creuser des puits pour leur usage et celui de leurs bestiaux; mais cette ressource précaire leur manquait par fois, et il fallait changer de demeure. Le Vis-Rivier, ou Konoup, était alors à sec. Bientôt des orages violens vinrent grossir toutes les rivières; on se porta en avant, chez des Kabobiquas qui se distinguaient des autres, parce que tout le monde y faisait usage de san- dales. Le Vaillant ayant annoncé son intention d’aller chez les Houzouanas, une terreur sou- daine se répandit dans sa caravane , tant cette tribu était redoutée , et on menacait d’abandon- ner notre voyageur. Cependant , après de vives exhortations, les uns par crainte des Boschjes- mans, les autres par amour-propre, se disposè- rent à le suivre. Le troisième jour, on reconnut la plaine. en- tourée de rochers et de monticules, ainsi que les montagnes désignées par les Kabobiquas- porte-sandales pour être la demeure des Hou: 72 VOYAGE EN AFRIQUE. zouanas; on apercut leurs feux , mais la terreur générale qu’ils inspiraient commandait à Le Vaillant de grandes précautions. Quand on arriva en vue du camp, il n’y avait en dehors que des femmes qui poussèrent un cri d’alarme; à ce signal les hommes sortirent, armés d’arcs et de flèches, et toute la troupe s’enfoncant dans une gorge gagna un terrain d’où elle pou- vait, en sûreté, observer la caravane. Le Vail- lant s’avanca vers les huttes ; elles étaient vides : il y laissa du tabac et de la verroterie, et se retira. Les Houzouanas vinrent ramasser les présens qu’il y avait laissés; ensuite ils se déci- dèrent à communiquer avec lui , etil vint camper sur les bords de leur ruisseau. Il apprit d’eux qu’ils n'étaient pas alors dans le lieu de leur séjour habituel; et qu’ils allaient en ce moment vers l'O. Il fil route avec eux et ils finirent par le conduire jusqu’au Karoup : là, il se sépara d’eux. Il les dépeint comme une race sobre, agile, active et fidèle ; ils sont plus petits et moins noirs que les Hottentots, et on les distingue par le nom de Hottentots chinois. El revint enfin à son camp du fleuve Orange ; ilala chez les Ghossiquas, et après diverses aventures, fut de retour au Cap après une se- conde absence qui, de même que la première, avait duré 16 mois. Ilétait parvenu jusqu’a 250 de latitude. Le 16 septembre 1796, la Grande Bretagne s’empara de la colonie du Cap; en 1797, lord Macariney, quien fut nommé gouverneur, avait pour secrétaire particulier M.J. Barrow, homme d'esprit, très-instruit et habile écrivain. Celui-ci ayant eu à sa disposition tous les papiers de la colonie, put en donner une bonne description ; il la parcourut aussi, et étant parti le {er juillet, avec un détach?ment deses compatriotes, grossi d’une troupe de colons , il traversa le Karrô ou Désert aride, qui forme dans l’E. un vaste pla- teau , long de 200 lieues, et dont la température est plus froide que ne Île ferait supposer sa posi- tion entre les 30 et 33° de latitude S. On y arriva par un k/0of (défilé) qui débouche dans une vallée profonde, unie, longue de 13 milles et large de 2, er où habitent quelques familles; des montagnes au N. étaient couvertes de neige, et cependant, à leur pied, des orangers mon- traient des fruits mûrs. À l’extrémité de cette vallée, les voyageurs dirent adieu à toute habi- tation humaine pour au moins {6 jours, temps nécessaire pour traverser le grand Karrô. Le 12 juillet, la caravane, après 4 heures de marche au N. E., atteignit au sommet des monts les moins hauts de la vallée, On avait monté d'étage en étage, jusqu’à une hauteur d'environ 1,500 pieds, par une route d’a-peu-près 6 milles. Parvenu en haut, l’œil n’apercoit de toutes parts qu’une surface raboteuse, sillonée de quel- ques collines; aucune créature vivante n’anime cette solitude, quelques plantes chétives, épar- ses, rampantes, y végètent sur une argile bru- nâtre. La route était assez bonne et on passait généralement sur des lits de grès mêlé de quartz et sur une baryte ferrugineuse. Quelques rivières traversent le Karrô; bien différentes de toutes les autres, elles diminuent à mesure qu’elles avancent, quoique de petits ruisseaux viennent les joindre. Enfin, on traversa des vallées boi- sées et habitées , et le 28, on dressa les tentes à Poort. Celieu peut être considéré comme l’entrée du Cambdebo, canton montueux et verdoyant. Après s’être reposé à Graaf-Reynet, qui est le chef-lieu d'un district, M. Barrow se dirigea, par un pays habité en partie, vers la baie d’Algoa, où il arriva le 18 août, gagna ensuite les bois de Bruyntjes-Hoogte, et s’avanca par un pays sauvage et inhabité vers la Cafrerie; il ne tarda pas à rencontrer les indigènes de ce pays. I passa le Groote-Vis- Rivier, puis le Ke:is- Kamma, et trouva Gaïka, roi du canton qui, bien que jeune, montra dans ses discours beau- coup de bon sens et de jugement. Il répondait d’une manière exacte, nette et précise à toutes les questions de M. Barrow ; il paraissait que ses sujets l’aimaient et le respectaient. M. Barrow le combla de présens ainsi que sa mère et sa femme, puis, marchant au N., il entra dans le pays des Boschjesmans. I] y visita une caverne sur les parois de laquelle ces sauvages avaient dessiné différens animaux; plusieurs n'étaient que des caricatures, mais les autres étaient assez bien exécutés pour mériter l’attention. Plus loin , il vit une troupe de sauterelles posées à terre, elles couvraient un espace d’un quart de mille. M. Barrow visita les Sneeuw Bergen. Ce qui distingue ce canton montagneux, est l’absence totale d’arbrisseaux ; plusieurs habitans n’ont jumais vu un arbre et ne peuvent se figurer une forèt. Ils n’ont pour se chauffer que le fumier desséché ; du reste, le pays abonde en céréales, mais les récoltes ont à craindre la grêle et les ravages des sauterelles ; le gros bétail et les moutons y prospèrent, et le beurre que l’on y fait passe pour le meilleur de la colonie. Un des principaux motifs du voyage des An- glais était de s'assurer par expérience de la manière dont les paysans conduisaient leurs expéditions contre les Boschjesmans, Qu avait * “ CAP DE BONNE-ESPERANCE. rencontré plusieurs de leurs kraals, mais ils étaient tous déserts, et on reconnaissait qu’ils avaient été récemment évacués; la nombreuse troupe d'Européens, qu’ils regardaient comme des ennemis, leur avait sans doute fait prendre la fuite. Il fut convenu que l’on se bornerait à investir un de leurs kraals, et qu’ensuite on res- terait sur la défensive. M. Barrow exigea que l’ordre positif fut donné de ne pas tirer un seul coup de fusil, à moins que la nécessité n’y for- cat; parce qu’il voulait, s’il était possible, avoir une entrevue avec quelque chef de ces sauva- ges. Ou campa; des partis d’éclaireurs furent envoyés de différens côtés. Le lendemain matin, une de ces escouades vint annoncer qu’elle avait aperçu, à une vingtaine de milles à VE., plu- sieurs feux dans le fond d’un ravin. On se mit en route le soir, et, à l'aurore du jour suivant, on découvrit le kraal. On partit à l’instant au ga- lop, et, dans un moment, on se trouva au mi- lieu de quelques chétives huttes en paille. À ce moment, les Anglais entendirent un bruit hor- rible, semblable au cri de guerre des sauvages, et de tous côtés, en même temps, les cris per- çans des femmes et des enfans. M. Barrow lâcha son cheval au galop, et joiguit le commandant et un autre fermier au moment où tous les deux faisaient feu sur le kraal. M. Barrow arrèta cette attaque inutile et imprudente. Les Boschjesmans ne tardèrent pas à s’apercevoir que, loin de les’ poursuivre sur les hauteurs, comme on le pou- vait aisément, on avait mis bas les armes et là- ché les chevaux dans les pâturages. Rassurés, ils envoyèrent bientôt plusieurs petits enfans dans la plaine. On leur distribua du biscuit et quelques bagatelles, et on les laissa retourner vers leurs parens. Une quarantaine de femmes et de jeunes filles vinrent alors au-devant des Européens, mais sans être entièrement rassue rées; on se conduisit envers elles comme envers les enfans, et on les envoya dire à leurs maris de descendre pour recevoir un présent de ta- bac; mais, bien plus défians qu’elles, ils tour- nèrent longtemps autour du sommet de la mon- tagne, incertains de ce qu’ils devaient faire, et leurs femmes allèrent et revinrent plus de douze fois avant qu'aucun d’eux eut pris son parti; eufiu il en vint un, et, en s’approchant, il don- nait tout à la fois des signes de peine et de plaisir; il riait et pleurait tout ensemble, et tremblait; on aurait dit d’un enfant effrayé. On lui donna un gros morceau de tabac, et on le chargea de dire à ses compagnons que des ca- deaux les attendaient aussi. Trois autres se ha- sardèrent également à descendre; mais il fut AFR, Fr; à 19 impossible d’en engager un plus grand nombre à risquer l’aventure; en effet, la manière dont leur kraal avait été attaqué jusüifiait leurs craintes. La manière dont cette affaire se terminait dut leur paraître bien différente de ce qu’ils avaient éprouvé précédemment dans des occasions sem- blables, l’usage étant de poursuivre et de fusil- ler sans pitié tout ce qui échappait au premier carnage ; les femmes et les enfans étaient saisis et emmenés en esclavage. Cette fois on les traita bien, et on leur laissa la liberté de rester avec la troupe des voya- geurs ou de s’en retourner. Quand on leur té- moigna le désir de parler à leur chef, ils répon- dirent qu’ils n’en reconnaissaient pas, que cha- cun gouvernait sa famille comme il le trouvait bon, et quittait la horde quand la fantaisie lui en prenait. Les trois Boschiesmans accompagnèrent les Anglais jusqu’à leurs chariots. Avant de les ren- voyer, on leur fit à chacun un présent considé- rable en tabac, verroteries, couteaux, briquéts, pierres à fusil. On leur recommanda de dire à tous ceux de leurs compatriotes qu’ils rencon- treraient, que, s’ils voulaient renoncer à leurs pirateries continuelles, les colons les regarde- raient comme des amis, et que, toutes les fois qu’ils viendraient dans une ferme, sans armes, déclarer leurs besoins, on leur donnerait autant ou plus de moutons qu’ils ne pouvaient espérer d’en enlever par la ruse ou la force. On ajouta que, dans le voyage actuel, le gouvernement anglais n’avait d'autre but que de terminer la guerre qu’on leur faisait depuis longtemps, en détruisant le motif des hostilités, que leur.con- duite précédente avait provoquées, et qu’il dé- pendait d'eux d’arrêter pour toujours. Ils res- tèrent volontairement quelques jours avec la caravane, puis ils retournèrent à leur kraal, tiès- satisfaits du traitement qu’ils avaient éprouvé et des présens qu’ils avaient recus. Ce kraal consistait en vingt-cinq huttes de la forme de celles des Hottentots, faites d’une natte de paille, dont les extrémités étaient assu- jéties sur la terre par deux chevilles de bois ; elles étaient hautes de trois pieds et larges de quatre. Au centre, la terre était creusée, et un peu d'herbe au fond de ce trou composait leur lit, dans lequel il paraît qu’ils se couchent en rond et repliés comme certains quadrupèdes. Ils n’ont d'autre animal domestique que le chien. Les seuls vivres que l’on trouva dans les huttes étaient de petites racines bulbeuses, des larves de fourmis et des larves desséchées de sauterelles, 10 É VOYAGE EN AFRIQUE. Les hommes étaient entièrement nus, ainsi que la plupart des femmes; quelques - unes avaient un baudrier de peau d’une espèce d’anti- lope, dont le devant était découpé en franges lon- gues, mais si minces, qu’elles ne pouvaient rien cacher; ces franges tombaient indifféremment par devant, par derrière, sur la hanche ou surla cuisse; parfois elles descendaient plus bas. La tête de quelques-unes de ces femmes était coiffée d’un bonnet de peau de zèbre assez semblable à un casque, et leur cou était orné de morceaux de cuivre, de coquilles et de grains de verro- terie. Quant aux hommes, tous avaient un mor- ceau de bois ou un piquant de porc-épic passé au travers du cartilage du nez. Les Boschjesmans sont très-petits ; le plus grand de ceux que l’on vit n’avait que quatre pieds neuf pouces; et la plus grande des femmes, quatre pieds quatre pouces. Tout leur extérieur annonce qu’ils ont une origine commune avec les Hottentots, et on peut dire qu’ils les surpas- sent en laideur, de même que par leur agilité à la course, par leur gaité, par leur activité con- tinuelle et leur audace. M. Barrow marcha ensuite au N. jusqu'aux cantons arrosés par le cours supérieur du fleuve Orange ; ensuite, il revint au S., traversa des montagnes situées près des frontières de la co- lonie, et entre lesquelles se trouvent, à la suite les uns des autres, quatre lacs salés, autour des-° quels le terrain est aride et recouvert de légères efflorescences salines : le gibier y abondait. Un peu plus loin, près des bords du Vis-Rivier, coulent deux sources d’eau thermales que les paysans fréquentent. On fit une seconde excur- sion en Cafrerie, puis on revint vers Graaf- Reynet; le Karrô était encore plus aride que lorsqu’on l'avait passé précédemment. Au con- traire, le pays plus au S., arrosé par le Knysna et coupé de lacs, est le plus magnifique, le plus verdoyant et le plus majestueux de toute l'Afrique méridionale; les fermes y sont aussi plus belles, mieux entretenues et mieux bâties que celles que l’on rencontre à une aussi grande distance de la ville. Après avoir visité la baie de Plettenberg, M. Barrow se dirigea vers l’O. Il vit la baie Mossel, traversa le Gauritz, fleuve sujet à des débordemens considérables, et entra dans le district de Zwellendam, puis dans celui de Stel- Jenbosch. À Bavian’s-Kloof il y avait un petit établissement de frères Moraves; ces mission- naires avaient réuni une communauté d’à peu près 600 Hottentots, et le nombre en angmen- tait tous les jours, « Ils vivent, dit M, Barrow, dans de petites huttes éparses dans la vallée, et chacune a son petit jardin; tout cela est très- propre. Quelques-uns de ces Hottentots travail- lent à la semaine, au mois ou à l’année chez les colons voisins; d’autres font et vendent des nattes et des balais; ceux-ci nourrissent de la volaille; ceux-là élèvent du gros bétail, des mou- tons ou des chevaux. » Le 18 janvier 1798, notre voyageur fut de retour au Cap après une absence de sept mois. Le gouvernement, ayant décidé de faire exa- miner la partie occidentale de la colonie, en se dirigeant au N., M. Barrow partit le 10 d’avril; il longea la baie de Saldagne, vaste et parfaite- ment sûre, mais dépourvue d’eau douce; plus au N. est la baie Sainte-Hélène. La rivière des Eléphans est du petit nombre de celles de la co- lonie qui ne tarissent jamais. Plus loin, le Bokkeveld était couvert d’un brillant tapis de verdure, grâce aux pluies tombées récemment; il est contigu à un désert désigné, comme celui du S., par le nom de Karrô. M. Barrow y recut la visite d’un parti de Boschjesmans, conduit par son chef, établi de- puis quinze ans dans ce canton; ils y ont vécu paisiblement du fruit de leur industrie. « Il nous assura , ajoute notre voyageur, qu’il ne doutait pas que plusieurs hordes de ses compatriotes ne recussent avec plaisir des propositions d’accom- modement, et que leur détresse était si déplo- rable, qu’ils accepteraient volontiers l’offre de vivre tranquillement au service des colons. » La traversée du désert fut assez pénible; on arriva dans le pays des Namaquas, où tout an- noncCait la stérilité, et on trayersa les monts Kamis. M. Barrow vit, dans un kraal, un Da- mara qui lui donna quelques détails sur sa con- trée natale. On revint ensuite au Bokkeveld, et, par un canton raboteux et pierreux, on parvint au pied des monts Hantam, entourés de fermes; ensuite, M. Barrow marcha au S. E. vers le Roggeveld, dont il escalada les hauteurs; elles sont couvertes de neige pendant plusieurs mois de l’année. Cette division du district de Stellen- bosch passe pour fournir les meilleurs chevaux de la colonie. M. Barrow, ayant descendu dans les plaines du Karrô, prit la route du cap, où il fut de retour le 12 de juin. En 1799, M. Barrow fit un second voyage au pays des Cafres ; le but n’avait aucun rapport avec la géographie. Une épizootie ayant causé d'énormes ravages parmi les bestiaux de la colonie, on songea aux moyens de réparer les pertes que l’on avait éprouvées, et on décida que M. Truter, membre # FA N nu (LME TT l : ' A étèc? (LA dd À // (re CAP DE BONNE-ESPERANCE. 19 de la cour de justice ; et M. Somerville, seraient chargés d’en aller acheter chez les peuplades voisines. Munis des lettres de créance et des in- structions du gouverneur, ils cémmencèérent leur voyage le {*" d'octobre 1801, avec une ca- ravane nombreuse, et se dirigèrent vers le Karrô. Continuant à marcher au N., ils traver- sèrent des plaines verdoyantes où ils rencontrè- rent cà et là des indigènes très-craintifs et mou- rans de faim ; on leur donna des vivres et du tabac. Enfin on atteignit la rive gauche du Ga- riep ou fleuve Orange, sur la rive opposée du- quel était un kraal, habité par des Koras, tribu de Hottentots. On était alors au 29° degré de lat. S. Ces hommes possédaient de nombreux troupeaux. Ensuite, on trouva au-delà d’un dé- sert deux kraals de Boschjesmans réunis sous la conduite de missionnaires. Parmi eux vivaient deux Betchouanas et un paysan hollandais qui avait été forcé de quitter la colonie; ils consen- tirent à servir de guides et d’interprètes. Quand on fut sur les rives du Kourouman, coulant vers le N., on se trouva près du pays des Briquas, tribu des Betchouanas. L’un des guides fut expédié en avant pour annoncer l’arrivée de la caravane. Le messager fut de retour dans l'après-midi avec quatre de ses compatriotes. Le lendemain matin, il en vint quatre autres, parmi lesquels était le frère du roi. On séjourna quel- que temps sur les bords délicieux du Kourouman pour rafraichir le bétail épuisé de fatigue. Quand on se remit en marche, on traversa de grands halliers d’une espèce de mimosa, que broute la girafe. Une députation envoyée par le roi dé- clara que la caravane était attendue avec impa- tience. On rencontra de belles sources. Plus on avançait, plus la campagne était riante, et abondait en bêtes fauves. Quand on sut qu’on était près de la demeure du chef, la caravane fit halte, et les commissai- res continuèrent leur route à cheval, emportant avec eux les présens destinés à ce personnage. Ils avaient déjà traversé des champs cultivés, lors- que, vers le milieu du jour, ils entrèrent dans une sorte de ville spacieuse composée de chau- mières qui n’élaient pas disposées par rues, et entourées chacune d’une palissade. La vue d’an si grand nombre d'habitations humaines après un voyage si long au milieu des déserts fut aussi agréable qu’inespérée. Bientôt les voyageurs parvinrent à l'endroit où le chef, entouré des anciens du peuple, les attendait. 1] les recut de la manière la plus amicale, et accepta leurs présens, qui excitèrent l'attention générale. Chaque objet fut examiné minutieusement, et _il fallut expliquer son usage. En retour, on of- frit aux commissaires du lait caillé. Le chef in- vita ensuite les Européens à l'accompagner a son habitation, où il les présenta à ses deux femmes et à ses deux enfans. Une foule nom- breuse les suivait. Les femmes se montraient les plus curieuses ; elles ne pouvaient se persuader que les cheveux des blancs fussent naturels; elles s’imaginaient que c’était la queue de quel- que animal collée à leur tête. Les chariots étant arrivés vers le coucher du soleil : les voyageurs dressèrent leurs tentes à 600 pas au S. de la ville, le long d’une rivière. La population presque tout entière leur rendit visite, mais sans devenir inportune; toul ce monde paraissait d’humeur fort douce. Les femmes apportèrent, dans des vases de bois, des pots de terre ou des outres, assez de lait pour la consommation de toute la caravane. À mesure que la nuit approchait, la foule aban- donna le camp, et les voyageurs se disposèrent à passer la nuit aussi tranquillement et avec aussi peu de crainte pour leur sûreté person- nelle que s’ils eussent encore été au milieu des déserts. La ville de Latakou est située par 27 6’ de lat. S. et par 21° 59° à l'E. de Paris. Une rivière qui, d’après la largeur de son lit, doit quelque- fois être assez considérable, la traverse. On ju- gea que la population était à peu près de 12,000 ames. Chaque maison est de forme circulaire, de 12 à 15 pieds de diamètre, ouverte par des vant, et généralement tournée vers l'E. Les trois quarts du cercle sont fermés par un mur haut de cinq pieds, fait d'argile et de gravier; un tiers de la totalité de la surface est coupé par un mur de forme courbe, où l’on renferme les vêtemens de peaux, les ornemens d’ivoire, les zagaies, les couteaux et autres objets utiles ou précieux; c’est là aussi que couchent les plus âgés de la famille; les plus jeunes dorment dans l’espace à moitié fermé. L’habitation pose sur une surface en argile bien battue, et élevée de quatre pouces au-dessus du sol du reste de l’en- ceinte. Le toit, de figure conique, est en roseau et en paille de sorgo, arrangé avec beaucoup de soin, et lié avec des courroies. Il est supporté par des piliers engagés dans le mur, et libres sur la facade ouverte. Une enceinte faite des mêmes matériaux ou de branches d’arbres en- toure, à une certaine distance, chaque habita- tion (PL. IX — 2), et laisse ainsi un intervalle où l’on voit un énorme vase en argile, ressem- blant à une jarre, et dans lequel on renferme le produit des récoltes, et qui est placé sur trois 76 VOYAGE EN AFRIQUE. piliers élevés de 6 à 9 pieds. Ces habitations sont bien supérieures à tout ce que lon avait vu en Afrique jusqu’à ce moment; elles lem- portent même sur les huttes de quelijues pay- sans d'Europe. La surface de l'enceinte exté- rieure est disposée de manière à ce que Peau s'écoule tout de suite au dehors, et, comme c’est là où l’on fait la cuisine, l’intérieur de la maison n’est point gâté par la fumée. On devine aisément qu’un spectacle si nou- veau frappa les Européens d’une sorte d’ad- miration. N'ayant pu terminer aussi heureu- sement qu’ils l’auraient désiré l'affaire qui les avait amenés, ils partirent de Latakou le 12 décembre, non sans éprouver de vifs re- grets, et accompagnés d’une foule nombreuse, Le 12 d'avril, ils repassèrent les limites de la colonie. Le bruit de leur découverte engagea plus tard d’autres voyageurs à marcher sur leurs traces. La colonie du cap ayant été rendue aux Hol- Jandais par le traité d'Amiens, conclu en mars 1802, M. Janssens en fut nommé gouverneur. M. Henri Lichtenstein, qui était précepteur de ses eufans, et qui, depuis sa tendre jeunesse, éprouvait le plus vif désir de visiter l'Afrique australe, accompagna M. Janssens, et débarqua au Cap, avec sa famille, en 1803. M. de Mist, commissaire-général de la colo- nie, crut devoir faire un voyage dans les can- tons du N. O. pour examiner l’état de cette contrée, où jamais les autorités supérieures ne s’étaient montrées. M. Lichtenstein fut attaché à cette expédition comme naturaliste, La cara- vane partit le 9 d’octobre. Peu de jours après, on trouva, dans une maisonnette située sur la pente du Klipberg, Jean Slaber, qui, avec son père, mort depuis 17 ans, avait accompagné Le Vaillant dans ses chasses, et dont ce voyageur parle avec éloge. La famille avait gardé un bon souvenir de Le Vaillant, et paraissait très-sur- prise et même mécontente qu’il eut entretenu le publie des détails de leur intérieur; elle ju- geait aussi qu’il avait exagéré les dangers de ses excursions. ‘ Au-delà du fleuve des Eléphans, on éprouva toute la rigueur du froid nocturne de ces ré. gions, et cependant on était en novembre, qui correspond au mois de mai de l’hémisphère boréal. On atteignit le pied des monts Hantam, dont le plateau, semblable à celui de la monta- gne de la Table, s'élève à 1,500 pieds au-dessus de la vallée où coule le Groote-Doorn-Rivier ; les chevaux y trouvent d’excellens pâturages, et y sont à l'abri des épidémies, qui, tous les ans, font de grands ravages dans la colonie. Pendant trois mois, ce plateau est couvert de neige; l’eau est rare dans ce territoire, aussi plusieurs liéux sont inhabitables en été à cause de la sécheresse. En hiver, les sources recom- mencent à couler sans qu’il ait plu, et les eaux saumâtres du Roggeveld s’adoucissent. Dans les Hantam, on cultive peu de grains. La caravane marcha ensuite au S. E. vers le Roggeveld inférieur, en traversant une plaine où s'élèvent des montagnes isolées, toutes de la même hauteur, et terminées les unes en mame- lon, les autres en table. Pendant l’hiver, les habitans descendent, avec leurs bestiaux, dans le Karrô, où chacun possèle un terrain avec des cabanes pour se loger lui et son monde. Les habitans du Bokkeveld, autre canton tres-élevé, viennent également s’y établir ; alors on renou- velle connaissance et on devient voisin pour une saison; c’est celle du repos et des plaisirs sociaux. La surface du Karrô, dont la hauteur moyenne est de 1,000 pieds, qui n’offre en été qu’une plaine couverte d’un melange d’argile et de sable plus ou moins imprégné de particules ferrugineuses, dur comme de la brique, parsemé de quelques ficoïdes et autres plantes grasses, ainsi que de liliacées et de végétaux protégés par une enveloppe de fibres ligneuses, change d’aspect aussitôt que le temps se rafraîchit; les fibres des racines, en s’imbibant d'humidité, se gonflent et soulèvent l’argile; de sorte qu’au moment où les pluies commencent à tomber, l'immense plaine présente un magnifique tapis de verdure ; bientôt les fleurs éclosent, ce tapis est diapré des couleurs les plus vives; toute l'atmosphère est embaumée. Malheureusement ce luxe de la nature ne dure qu’un mois, à moins que des pluies abondantes ne viennent prolonger son existence. La force progressive des rayons du soleil et l’accroisse- ment des jours flétrissent promptement les plantes ; les fleurs tombent ; les tiges se dessè. chent ; l'écorce de la terre, en se gercant, étouffe les nouveaux germes. Les troupeaux ne trouvent plus d'autre pâture que les plantes grasses; les rivières diminuent, les sources donnent à peine un mince filet d’eau; elles finissent par tarir; c’est un avertissement pour le colon de regagner la montagne. Peu à peu on abandonne le Karrô; vers la fin de septembre, ce n’est plus qu’un désert. Ce fut dans cet état que le trouvèrent les voyageurs. Ils virent à Bavian’s-Kloof la mission fondée par Schmidt ; ils allèrent jusqu’à la baie d’Algoa. Le village de Bethelsdorp, fondé en CAP DE BONNE-ESPERANCE. à 1797 par le missionnaire Van-Der-Kemp, ne présentait pas un aspect florissant. Le capitaine Alberti commandait le fort voisin; il accompa- gna le gouverneur-général dans le pays des Ca- fres : le commissaire-général et M. Lichtenstein l'y suivirent; ils furent de retour au Cap le 23 mars 1804, après avoir parcouru 800 lieues. En 1805, M. Lichtenstein fut adjoint à M. Corneille Van de Graaf, landdrost ou admi- nistrateur du district de Tulbagh, chargé d’in- specter la partie N. E. de la colonie et d’aller jusque chez les Betchouanas. La caravane par- tit le 24 avril; on était, le 29 mai, près d’un défilé voisin du pays des Boschjesmans, et où Kicherer, missionnaire allemand, avait fondé un établissement. Les Boschjesmans l’avaient pillé récemment; mais on courut sus aux va- leurs; on reprit quelques têtes de bétail. Les voyageurs s’étant arrêtés la, on amena devant le landdrost plusieurs de ces sauvages qui avaient commis des vols sur le territoire de là colonie, entre autres un qui avait été souvent arrêté, mais qui s’était toujours évadé; tous fu- rent envoyés à Tulbagh. On écrivit au gouver- neur-géneral pour l’informer de la position dé- p'orable des colons ; ils ne demandaient pas mieux que de faire une expédition contre les déprédateurs; mais les deux commissaires fu- rent d'avis que, dans le cas où elle serait auto- risée, il fallait épargner la vie des Boschjesmans ; se contenter de les faire prisonniers et de les réunir près du chef-lieu, dans un endroit où on les accoutumerait au travail. Au-delà des limites de la colonie, M. Lich- tenstein fit une excursion dans les vallées orien- tales des monts Karri; elles sont absolument nues et arides; se joignent et s’entrelacent de manière à présenter l’aspect d’un vaste laby- rinthe: elles sont bordées par des montages isolées , les unes coniques, les autres à sommet aplati; elles se prolongent vers l'E. S. E. : on dit qu’il faudrait voyager pendant six jours pour en voir la fin. Au détour d’un de ces monts, M. Lichtenstein apercut une troupe d’autruches qui prit aussitôt la fuite; elle était suivie d’une troupe de couaggas. Ces deux espèces d’ani- maux se tiennent, par instinct, l’une près de l'autre; les autruches avertissent les couaggas de l'approche du danger, et ceux-ci, par leur fiente, attirent de gros scarabées que recher- chent les autruches ( PL. VIH — 2). Au sortir des monts Karri, on entra dans un pays sablonneux, puis dans des plaines impré- gnées de sel; enfin on campa sur les bords du Gariep, que l’on put passer à gué. Un coup de fusil fut tiré pour avertir de la présence de la caravane les indigènes errant dans les environs. Quelques heures après, parurent effectivement des Boschjesmans, puis des Cafres. Une colonie de Hottentots métis s’étfit éta- blie, sous la direction de deux missionnaires, au milieu de ces déserts; des individus de diver- ses hordes de Hottentots, entre autres des Co- rannas, l'avaient grossie. On y échangea des bœufs fatigués contre des attelages frais, et le 17 juin, on se remit en route. Au-delà d’un dé- filé, l’air était obscurci par une nuée de saute- relles, dont une grande quantité couvrait la terre. Cette masse volante s’avançait oblique- ment, relativement à la direction du vent. Quoiqu’elle ne se fut montrée que depuis une heure, tous les buissons étaient déja dépouillés de leurs feuilles. La colonie se prolonge à travers des collines où, peu de jours auparavant, une caravane de Hottentots métis avait été lâchement attaquée par des Boschjesmans qui étaient venus se join dre à eux, et qu’ils avaient bien traités. Deux frères, des femmes et des enfans avaient été as- sassinés; M. Lichtenstein réussit à guérir les enfans blessés par des, flèches empoisonnées. Des Namaquas accoururent pour secourir ces malheureux; nos voyageurs pourvurent à leurs besoins, et coutinuèrent leur route. Pendant la nuit, on fit bonne garde, parce que l’aboiement des chiens annonçait l’approche clandestine des sauvages, dont le voisinage fut trahi par Parrivée d’un chien étranger, que l’odeur de la cuisine du camp attirait. Le rugissement d’un lion qu'on entendit dans les ténèbres fut pres- que un signal de joie pour la troupe, parce qu’il forca les ennemis à déguerpir. Les premiers Betchouanas qu’on apercut fu- rent trois pasteurs couchés sous un gros mimosa, au milieu des nombreux troupeaux de bœufs qu'ils gardaient. Ils saluèrent les voyageurs du mot #0rra (bon jour ), imité du hollandais, et, voyant dans la caravane le missionnaire Kok, qu’ils connaissaient, 1ls témoignèrent leur joie par des battemens de mains et de grands éclats de rire. Au premier village où l’on arriva, toute là population témoigna également sa joie. On parvint bientôt aux rives du Kourouman, puis au village où demeurait le roi Moulihavang. Les Betchouanas se pressèrent autour de Kok et montièrent le roi qui s’avancçait ; il paraissait âgé de plus de soixante ans, était suivi par qua- tre hommes du même âge, et, plus loin, par une foule considérable. 11 tendit la main droite aux voyageurs, et salua cordialement le mis- 78 VOYAGE EN AFRIQUE, sionnaire, qui lui expliqua le motif de son re- ; M. Lichtenstein, rassemblant tout ce qu’il sa- tour inattendu, et lui raconta le malheur arrivé aux deux familles hottentotes. Nos voyageurs se retirèrent ensuite sur le bord de la rivière, où était située la cabane de Kok. On s’y était à peine arrangé, que le roi vint, avec toute sa suite, leur faire une visite. Kok lui exprima le désir du gouvernement hollan- dais de vivre en bonne intelligence et d’avoir des rapports intimes avec lui. Il ajouta que les deux envoyés étaient chargés de lui porter ces assurances et de lui offrir des présens. La ré- ponse de Moulihavang ne manqua pas de di- gnité, déclarant, comme si les présens lui eus- sent été indifférens, qu’il recevrait avec plaisir tous les étrangers qui voyageaient dans son pays, surtout lorsqu'ils étaient introduits par son ami Kok, qu’il revoyait avec une très- grande joie. Le roi avait avec lui deux de ses conseillers et deux de ses fils, dont l’aïîné, Me- tibi, était d’une physionomie agréable. Tant que le roi parla, le peuple s’était tenu tranquille ; mais, dès qu’il eut fini, quelques- uns des plus éloignés demandèrent à nos gens du tabac. Cela fit souvenir de présenter au mo- narque et à ses fils une pipe garnie. Ils l’'allu- mèrent, puis chacun s’accroupit très-satisfait à terre. Moulihavang passa bientôt la pipe à un de ses conseillers, les princes en firent autant, et elles circulèrent parmi les gens de leur suite. À la chute du jour, le roi, avant de se reurer, dit aux envoyés qu’il était fâché de ce qu'ils avaient placé leur camp aussi loin de sa demeure, parce qu’il ne pourrait pas les voir aussi sou- vent qu’il le désirait, ayant de la peine à mar- cher. Ils s’excusèrent sur ce que le voisinage de la rivière leur offrait l’emplacement le plus com- mode, notamment pour le pâturage de leurs bes- tiaux, et promirent de lui épargner la fatigue de la route par leurs fréquentes visites. Kok le suivit à une certaine distance, et leur dit à son retour : « Le roi m’a pris à part; il désire qu’à l'audience publique vous ne’lui présentiez que les choses qui lui sont destinées comme prince, et que vous réserviez pour une entrevue parti- culière toutes les bagatelles comme friandises et parures que vous comptez lui donner ; car si son peuple le savait, il serait assailli de sollici- tations, et il ne pourrait refuser de partager avec le plus mince de ses sujets tout ce qu’il aurail reçu... » Dès que le roi fut parti, la foule demanda avec instance du tabac, de l’eau-de-vie et d’au- tres objets. On craignait qu’un refus ne causàt du mécontentement et des malentendus ; alors vait de betchouana, leur annonça que les distri- butions de présens ne se feraient que le lende- main. Au lieu de murmurer, ils ne cessèrent pas de se montrer confans, manifestèrent tout haut et à plusieurs reprises leur étonnement de ce qu’un étranger parlait leur langue, puis con- ünuèrent à parler avec une vivacité et une telle volubilité, qu’il ne comprit pas un mot de ce qu’ils disaient, et ne put leur répondre. A la grande surprise des Européens, il n’y avait pas une seule femme dans la foule; ils apprirent qu’elles étaient chez elles à vaquer aux soins du ménage. Le lendemain matin, les Betchouanas reparu- rent parés comme pour un jour de fête, ayant, pour la plupart, de beaux manteaux de peaux de ‘chacal et de genette, s’étant frottés le corps et surtout les cheveux de poudre de mica mêlée à de la graisse, ce qui les rendait brillans; et, comme presque tous étaient venus très-vite et trapspiraient, on aurait dit que les gouttes de sueur qui leur tombaient sur le visage étaient de vif-argent. Bientôt parut un jeune homme à l’air distingué, plus richement paré que les autres, le bras gauche orné de plusieurs anneaux d’i- voire ; il venait de la part du roi pour conduire les étrangers ; ils le suivirent. En route, des femmes, occupées à abattre du bois, quittèrent leur ouvrage pour mendier du tabac ; il empé- cha M. Lichtenstein et ses compagnons de leur rien donner, el renvoya ces importunes à la be- sogne en les menacant de coups de cravache ; mais elles n’en tinrent compte, et obtinrent ce qu’elles désiraient, ce qui attira aux étrangers de justes réprimandes. Ils trouvèrent le roi assis à terre avec ses conseillers sous un grand acacia à girafe; il se leva aussitôt, tendit la main droite à chacun, et de la gauche leur montra l'arbre comme pour les inviter à s’asseoir sous son ombre. Alors Kok lui répéta les assurances d’amitié du gou- vernement hollandais, dont il lui présenta les deux voyageurs comme les délégués ; ensuite, on lui remit les présens : c’étaient une grosse canne longue de cinq pieds, à pomme de métal; sur laquelle étaient gravéesles lettres initiales des mots liépublique balave, la date de l’année et le nom de Moulihavang ; un rouleau de tabac pe- sant dix livres, quelques livres de verroteries de diverses couleurs, quelques douzaines de boutons d'acier, des couteaux, du fil de laiton et d’autres objets. Conformément à son désir, Kok lui apporta en cachette dans la soirée les frian- dises et les choses propres à la parure. , PR < RS ? , r e , CE ’ C? 4 r A c LA € LÉ PE = À Lo Crest de t 2 éd = FMC E / PA A A / 4 C2 LC 277 «Plerriiiie Ke Holerre ee = CAO EE SO ge EN AFKTOTE TT LT » CAP DE BONNE-ESPERANCE. Dans ceite audience publique, il montra un tact admirable des convenances; il répondit à à la harangue de Kok qu’il consentait à recevoir les blancs dans son pays, pourvu qu’ils appor- tassent de quoi vivre; qu’il reverrait avec plaisir les missionnaires qui étaient déjà venus chez lui,'et surtout Kok, parce qu’il connaissait l'agriculture et lui avait enseigné plusieurs procédés utiles. Les voyageurs visitèrent plusieurs maisons où on les laissa entrer et examiner les armes et les ustensiles sans témoigner la moindre méfiance, et parfois les propriétaires restaient même alors dans l’enceinte extérieure. « Kok nous mena ensuite, dit M. Lichtenstein, chez le grand-pré- tre, en nous recommandant d’être aussi altentifs et aussi polis que nous le pourrions envers cet homme, qui exerce une grande influence sur le roi, est très-respecté du peuple et peu porté pour les étrangers. C’était un homme âgé, au visage hargneux ; il nous regarda à peine, et continua de coudre un manteau de peaux de chacals, ne répondant que par monosyllabes au discours de Kok et à notre prière de lui faire un présent de tabac, de verroteries et de boutons ; cependant il les accepta et les placa près de lui sans mot dire, de sorte que nous le laissämes. Ses fonctions consistent à circoncire, tous les deux ans, les jeunes gens parvenus à l’âge de la puberté, de bénir le bétail avant les excur- sions guerrières, et, après la victoire, de prati- quer des cérémonies très-simples. Il possède des connaissances en médecine, sait observer le cours des astres, et taille des dés à jouer, qui, d’après la ferme persuasion du peuple, portent bonheur ; en un mot, tout ce qui concerne la croyance ou la superstition est de son ressort. » Nous employämes le reste du temps à faire une promenade à l'O. de la ville, vers une mon- tagne, d’où nous l’apercevions tout entière. Kok, qui, l’année précédente, avait voyagé plus au N.et vu les tribus des Mouroulong et des Matsaroqua, nous dit que leurs villes principa- les étaient plus considérables que celle des Bet- chouanas. Quand Truter et Somerville avaient visitée celle-ci, elle était plus peuplée que dans le moment actuel, parce qu’alors les Mouron- long étaient unis aux Betchouanas sous le com- mandement suprême de Makraki; mais, l’année suivante, ce chef et Moulihavang s'étaient sépa- rés de bon accord, et plus des deux tiers de la “population avaient suivi le premier. En 1801, la capitale était à trois journées, plus au N. E., à la source du Takouna, ce qui fit appeler ce lieu Latakou par Truter et Somerville; mais ja- 19 mais un tel établissement n’a pris de nom propre; il porte toujours celui du chef et de la localité la plus proche. Ainsi, le nom de la rivière Kou- rouman désignait en même temps le chef. lieu des Matjapins ou Betchouanas. » Ayant observé toutes sortes de figures sy- métriques sur le grès qui forme la base de la montagne, nous nous enquîimes de leur signifi- cation ; Kok et les Betchouanas nous assurèrent qu’elles n’en avaient aucune, et que des bergers les avaient tracées pour passer le temps. On en voit, sur les outils en bois, de semblables, qui sont gravées à l’aide du feu, et montrent des dispositions à rendre les formes avec exactitude. » En revenant à notre camp, je demandai à un vacher, que nous avions pour guide à tra- vers les bois, quel était son nom; il me répondit Manong (vautour); et, quand je lui en témoignai ma surprise, 1l répliqua que c’était l’usage, que son frère s’appelait 7'yont (babouin) et son on- cle P’hnkouie (chacal). Kok m’apprit que le peuple seul portait des noms d’animaux, et que ceux des princes et des grands n’ont aucune si- gnification; je les crois dérivés de l’arabe. Cha- que personnage distingué en a plusieurs; un étranger ne tarde pas à recevoir un sobriquet; on n’appelait déjà T’amma Kouna (cou rouge) à cause de la couleur du collet de mon uniforme, et M. Truter avait été nommé Angokorra (visage Jäché) à cause de son regard un peu sombre et de ses sourcils épais. » Le roi dina au camp des voyageurs. Les mets furent de son goût. Trois verres de vin l’animè-. rent. Il parlait tant, que Kok avait à peine le temps d'interpréter ses discours. Il nous dit : « Vous voyez aujourd’hui tout au plus la sixième partie de mes sujets; un grand nombre des hommes en état de porter les armes est à la chasse; d’autres, sous la conduite de Tellékella, mon second fils, sont allés vers le Gariep pour recruter des alliés, et une autre troupe est chez les Corannas. Je regrette de n’avoir pas assez de monde pour marcher avec vous contre les Bosch. jesmans, afin de venger le meurtre des deux Hottentots. Makraki, mon ancien allié, est un perfide : il enlève mes troupeaux et ceux de mes sujets, j'espère un jour en tirer vengeance. » Nous priâmes Kok de changer le sujet de la conversation, parce que nous ne souhaitions pas de prendre part à ces querelles. Nous par- lâmes donc de ses femmes, que nous n’avions pas encore vues; ilrépondit qu’elles ne manqueraient pas de venir, et fut très-étonné d’apprendre que plusieurs des voyageurs hollandais n’étaient pas mariés, et qu’en Europe chacun n’a qu’une 80 VOYAGE EN AFRIQUE. femme. Ces usages lui semblèrent très-absurdes ; il ajouta qu’il avait cinq femmes, et que son beau-frère, roi d’une des tribus des Mouronlong, en avait eu dix, il y avait huit ans, et, en ce moment, en avait probablement davantage. Vers la fin de leur séjour, les envoyés appri- rent par Kok que Moulihavang désirait vive- ment de conclure une alliance avec les Hollan- dais afin d’obtenir d’eux un secours de chevaux et de fusils pour marcher contre Makraki; leurs instructions ne leur prescrivaient rien à cet égard. M. Lichtenstein aurait bien voulu pour- suivre le voyage vers le N., en laissant à l'O. le territoire des tribus en guerre, et de revenir par celui des Corannas; mais son confrère re- présenta que les chevaux et le bétail étaient épuisés de fatigue; qu’il y avait peu d’espoir de trouver de meilleurs pâturages en avançant vers le N.; que les approvisionnemens de toutes les sortes tiraient vers leur fin, et que les chariots étaient en mauvais état. Il fut donc résolu de regagner la colonie. Les Betchouanas, parmi lesquels il y avait d’habiles forgerons, aidèrent à réparer les voitures, quoiqu’ils n’eussent pour enclumes que des pierres et pour tenailles que de grosses branches d’arbres. On alla chez le roi, auquel on témoigna le plus vif regret de ne pouvoir lassister dans son expédition contre ses ennemis, et la nécessité où l’on était de retourner au Cap. Il parut plus fâché du départ précipité des envoyés que de leur refus. Deux de ses fils les accompagnèrent à une certaine distance, et recurent de Kok la promesse de revenir. Celui-ci ünt sa parole; mais, en 1808, s’étant pris de querelle avec un Betchouana, il fut tué. Le roi s’engagea solen- uellement envers sa veuve, qui revint dans la colonie, de punir le meurtrier, Après diverses excursions, M. Lichtenstein revint au Cap à la fin de septembre 1805. En janvier 1606, une escadre anglaise débarqua des troupes; le 8, la ville capitula; le 23, le gouverneur-général fut obligé de céder à une armée beaucoup plus forte que la sienne. Il s’'embarqua pour l’Europe dans les derniers jours de mars. M. Lichtenstein le suivit. G. J. Burcheil, naturaliste anglais, débarqua au Cap dans les derniers jours de novembre 1810. Son principal objet était d'étudier et de recueillir les productions de la nature. En 1811, il alla au N. E. et traversa le Gariep. Les éta- blissemens des missionnaires avaient fait des progrès. Après être revenu au Cap en mars 1812, il en reparüt le 18 avril, reprit la mème route que dans sa première excursion, et, le 10 juillet, entra dans Latakou. Cette ville n’é< tait pas sur le même emplacement que celle que Truter et Somerville avaient visitée en 1802. Ces chefs-lieux sont sujets à changer de place; ils portent toujours le même nom. Avant 1802, ils étaient sur le Mochoua; à cette époque, sur le Konrouman; en 1806, ils furent transportés ia où Burchell les trouva. Métibi avait succédé à son père Moulihavang. M. Burchell avait pour interprète un homme du pays; on lui dit qu’il était attendu depuis quelque temps; il répondit très - civilement : « J'ai éprouvé un vif désir de connaître votre nation, et je n’aurais pas voulu retourner dans mon pays sans avoir visité votre ville. » On lui répliqua : « Ton discours est très-sage; nous sommes bien aises de t’entendre parler ainsi. » Comme tout le monde était resté debout auprès des chariots, Métibi exprima le désir que l’on s’assit, et se placa en face de Burchell, qui se mit à terre, les jambes croisées, à la mauière africaine; les parens du roi et les principaux personnages formèrent autour d’eux un cercle de deux à trois rangs. Le peuple se tint debout dehors. Métibi était assez silencieux ; son oncle et un de ses frères prirent la principale part à la conversation. Les questions qui furent adres- sées à Burchell roulaient sur le motif qui, dans son précédent voyage, l’avait fait retourner au Cap sans venir jusqu’à Latakou, sur la quantité de tabac et de verroterie qu’il apportait, sur le but de sa venue. Burchell, s’adressant directe- ment à Méubi, lui dit : « J'ai voulu faire con- naissance avec Loi et avec ton peuple, dont j’ai entendu raconter tant de bien. On m’a tant vanté Latakou, que j'ai éprouvé un vif désir de voir cette ville ; mon dessein a été aussi de faire la chasse aux bêtes sauvages. Je me propose de demeurer dans ton pays assez longtemps pour pouvoir en apprendre la langue, afin de dire moi-même à ton peuple beaucoup de choses que j'ai envie de lui faire savoir. J'espère que nous deviendrons de vrais amis, et que, de retour chez moi, je pourrai dire que les Batchapins sont un bon peuple; en sorte qu’en entendant cela, d’autres hommes blancs viennent le voir et lui appoñtent de la verroterie et du tabac en abondance. Approuves-lu tout ce que je viens de dire ?.. » Méuibi répondit : « C’est cela. » Ce qui signifiait qu'il donnait son consentement, La foule qui entourait le cercle ne perdait pas un mot de ce qui se disait ; tous les yeux étaient fixés sur l’étranger , qui se trouvait fort à l’aise qu’elle manifestàt, par ses regards, la satiss faction qu’elle éprouvait, É CAP DE BONNE-ESPERANCE. si Métibi se leva au bout de dix minutes, et prit le chemin de sa maison; puis il revint, appor- tant à M. Burchell une petite calebasse remplie de lait : l'Anglais en but une partie, et donna le reste à un Hottentot qui était resté près de lui. Ensuite, il présenta du tabac en poudre à Métibi et à l'oncle de ce roi; Métibi, prenant un petit couteau suspendu à son cou, distribua de petites prises à tout le cercle, et ne s’en réserva qu’une. ‘ Quant aux présens plus considérables à faire au roi, celui-ci manifesta, comme son père, dans une occasion semblable, le désir qu’ils lui fussent apportés en particulier. Tout se passa à merveille entre l’étranger et Métibi. Un léger nuage vint obscurcir ces heureux commence- mens. Méubi, en butte aux attaques de plusieurs hordes de brigands qui l’environnaient et qui possédaient des armes à feu, souhaitait vive- ment d’en posséder de pareilles; 1l était très- mécontent des habitans d’une mission peu éloi- gnée, parce qu’ils avaient refusé de lui en ven- dre. Il pria Burchell, qui en avait une certaine quantité, de lui en céder quelques-unes. Cette demande embarrassa naturellement notre voya- geur : toutes ces armes étaient nécessaires à sa troupe, et quelques-unes appartenaient aux Hottentots, qui en faisaient usage. Burchell ex- posa nettement ces faits, ajoutant que n’ayant, durant son voyage, d’autres moyens de subsis- ter que par la chasse, son existence et celle de son monde dépendaient de leurs fusils, et que d’ailleurs ils auraient à se défendre en traversant le territoire des Barabras (Boschjesmans). Les Batchapins insistèrent. Burcheli, excédé de leurs importunités, finit: par refuser d’un ton ferme ; mais ils réussirent, par subtilité, à lui enlever un fusil ; ils avaient offert des bœufs en échange, ils n’en amenèrent pas le nombre promis. Alors Burchell, indigné de leur mau- vaise foi, déclara qu’il allait partir, ce qui causa une grande rumeur dans le conseil. Eafin un rapprochement s’opéra ; le fusil fut laissé aux Betchouanas; Burchell y ajouta des munitions; les bœufs promis furent donnés. Notre voyageur aurait bien voulu faire le portrait de Métibi; celui-ci s’y était toujours re- fusé, probablement par quelque idée supersti- tieuse. Molemmi, un de ses frères, après quel. que résistance, se laissa persuader à contenter Burchell, qui fut assez heureux pour attraper la ressemblance. Métibi, en voyant ce portrait, s’écria : Singké! Singhé! (très-bien !) La foule accourut pour voir, comme elle le disait, Mo- lemmi dans un livre; après quelques minutes AFrR, d’étonnement muet, elle éclata de rire. Bur- chell fut moins heureux pour le portrait d’un autre frère de Métibi; aussi les Betchouanas s’é- crièrent : Machoué! Machoué! (laid!) 1l dessina aussi, mais avec succès, Massisan, fille de Mé- tibi. Quand le portrait fut terminé, il attacha au cou de Massisan un joli collier de petites boules noires et dorées, ce qui enchanta la jeune fille. Le père, non moins ravi du portrait, voulut que Burchell écrivitau-dessous : Mossarri o Mor- ropt, Massisan (Massisan, épouse de Morropi). Quoiqu’elle ne fut âgée que de douze à treize ans, elle était déjà fiancée. Depuis quelque temps, les Betchapins avaient commencé à travailler le fer: l’un d’eux avait appris cet art des tribus vivant au N. E. Bur- chell partit de Latakou le 3 août. Une grande foule le suivit. Le nom de Betchouanas, donné par les voyageurs précédens à la tribu qui a Méubi pour chef, appartient à une nation con- sidérable répandue dans une vaste contrée, et composée de plusieurs peuplades; les Batcha- pins, nommés Matchapins par d’autres Euro- péens, en forment une. Burchell regarde les Betchouanas comme appartenant à la grande famiile des Cafres. Nous avons vu précédemment que le mission- naire Van Der Kemp avait fondé une commu- nauté chrétienne parmi les Hottentots près de la baie d’Algoa; d’autres furent ensuite insti- tuées, d’après le même plan, dans divers cantons de la colonie, et même au-delà de ses limites. Van Der Kemp en avait l'inspection générale. La mort l’ayant enlevé, la société des missions choisit, parmi ses membres, Jean Campbell, pour aller examiner les églises, et en même temps pour établir, de concert avec les autres missionnaires, les règlemens les plus propres à opérer la conversion des païens et leur civilisation. Le 23 novembre 1812, Campbell débarqua au Cap. fl remarqua que l’islamisme fait de grands progrès dans cette ville; on y compte cinq mos- quées. Une vingtaine de musulmans libres se réunissent, louent une grande maison, et y at- urent de pauvres esclaves ignorans qui embras- sent leur religion ; les préventions de ces nou- veaux sectateurs du Coran contre les blancs ou les chrétiens en deviennent plus fortes. Les maitres disent que ces maisons sont des caver- nes de voleurs et de receleurs pour les choses que leurs esclaves leur dérobent, « Cette circon- stance, ajoute notre missionnaire, engagera peut-être les maïres à s'occuper davantage de l'instruction de leurs esclaves, ce qui finirait Il 69 VOYAGE EN AFRIQUE: par être ün bienfait et une sécurité pour la colo- nie. Ces infortunés sont généralement bien traités dans la ville du Cap. Dans la maison où je logeais, ils l’étaient comme des membres de la famille; la plupart n'auraient pas voulu la quitter. » Après une première excursion à Caledon, vil- lage à 28 lieues dans l'E. S. E. du Cap, et voisin de sources thermales, Campbellse remit en route le 13 février 1813, et, le 21 mars, atteignit Be- thelsdorp, mission proche de la baie d’Algoa; elle était dans un triste état qui tenait à des causes hors du pouvoir des missionnaires. La stérilité du terrain et d’autres motifs leur ayant fait toujours supposer qu’ils n’étaient pas assu- rés de rester constamment dans ce lieu, ils n’a- vaient bâti leurs maisons qu’en roseaux. Un grand nombre d’Hottentots étaient employés continuellement chez les fermiers: on mettait en réquisition les plus actifs pour marcher con- tre Les Cafres et pour servir de guides aux postes militaires; ils ne recevaient aucun paiement pour ces corvées; il en résultait que leurs fa- milles, restées à la maison, mouraient de faim. Ceux de ces hommes qui avaient commencé à se construire des maisons en terre, étaient obligés de les laisser à moitié finies; à leur retour, ils les retrouvaient dans un grand délabrement : tout cela décourageait quiconque aurait voulu songer à des bâtisses solides. Cependant Campbell vit, parmi les Hottentots de Bethelsdorp, des forgerons, des charpen- tiers, des charrons, des vanniers, des fabricans de couvertures de peaux de mouton cousues très-proprement ensemble, et que les officiers anglais achetaient ; 1l y avait aussi des fabricans de pipes, de nattes, de bas, de savon; des tui- liers, des tailleurs, des couvreurs en chaume, des tonneliers, des chaufourniers, des voitu- riers, enfin un meunier. « Tous ces ouvriers travaillent grossièrement, ajoute:t-il; mais enfin c’est un commencement bien louable chez un peuple accoutumé à ne pas faire grand’chose. » En parcourant le village, j’observai les femmes et les enfans occupés aux différens ouvrages que leurs forces leur permettent d’exécuter. Après un séjour de trois semaines à Bethels- dorp, Campbell en partit le 9 avril; il visita le drosdy d’Albany, comprenant le canton nommé précédemment Zuaure-veld, ainsi que le pays des Gonaquas, tribu éteinte par ses mariages avec les Hottentots et les Cafres, et surtout par ses guerres avec ces derniers, qui s’élaient empa- rés du territoire. On les en avait chassé, il en était résulté des hostilités entre eux et la colo- nie : elles duraient encore. Le nouveau district ne comptait pas encore beaucoup d’habitans, excepté dans les postes militaires bâtis pour empêcher les incursions des Cafres, qui, malgré la vigilance des garnisons, commettaient assez souvent des déprédations. Après avoir examiné dans l'E. divers em- placemens convenables pour des missions, Campbell fit route vers le N. N. O. Il eut le plaisir de rencontrer, à Graaf-Reynet, J. Bur- chell, qui parcourait ces régions pour en exa- miner l’histoire naturelle. Près du pays des Boschjesmans, on tua une lionne; le mâle, lé- gèrement blessé, prit la fuite. Le terrain était montueux et la température très-froide pendant la nuit. Les Boschjesmans accueillirent bien la caravane ; Campbell leur dit : « Nous venons d’un pays très-éloigné; nous avons enseigné plusieurs bonnes choses aux Hottentots ; nous avons aussi le dessein de vous envoyer des insti- tuteurs. » Ces sauvages témoignèrent de la satisfaction de ce discours, et l’un d’eux s’offrit pour ac- compagner Campbeil jusqu’à une rivière loin- taine. Îl fut tres-utile à la caravane, en indi- quant les lieux où l’on trouverait de l’herbe, de l’eau et du bois pour la nuit. Le 20 juin, on entra dans le pays des Bet- chouanas; le 24, on était à Latakou. Lorsque Campbell eut offert des présens à Métibi, ce roi lui dit : « Tu aurais été parfaitement en sûreté quand même tu n’aurais pas eu Kok et ses amis avec Lol, Où que tu ne m’aurais rien donné. » Puis, s'adressant à Kok, il l’invita à se regar- der autant chez lui, à Latakou, qu’au lieu ordi- naire de son séjour. Il écouta favorablement la proposition de fonder une mission dans son territoire. Le 7 juillet, Campbell partit, se diri- geant au S. Il visita les missions établies sur divers points, et des kraals de Corannas (PL. VIE — 4), puis traversa le Gariep, et fit route à l’O., en s’éloignant peu de ce fleuve. Les bestiaux de la caravane furent volés par des Bschjesmans ; on les reprit tous. Un Hot- tentot chrétien,-blessé par une flèche empoison- née, mourut d’une manière très-édifiante. Le 12 septembre, la caravane était à Pella, mission fondée chez les Namaquas, dans un canton extrêmement aride. Ensuite, on chemina au S., et on arriva chez madame Van der Wes- thuys, femme âgée qui recut amicalement lés missionnaires. Elle se souvenait très-bhien de Le Vaillant, qui, disait-elle, passait son temps dans les monts Kamis à chercher des oiseaux, des pierres et des fleurs, ce qu'elle regardait comme L2E AN LÉBUE (EE /, 5 N // Car ZE 4 PEN > 722747 Pbches AIT LE / [Æ £ \ ET (5 plus Hart. a — LA D à, CAP DE BONNE-ESPERANCE. 69 une occupation bien futile. « Puisque je parle de Le Vaillant, observe Campbell, je dois dire que, bien que son livre contienne des choses romanesques, C’est cependant, à mon avis, ce- lui qui donne les notions Ics plus exactes sur les mœurs et les usages des Hottentots. » Le 31 octobre, Campbell fut de retour au Cap. Le 13 février 1814, il s’embarqua pour l’Angleterre. C.-J. Lairobe, missionnaire morave; fut en voyé au Cap en 1815 pour visiter les deux établis: semens de Groene-Kloof et de Guadenthal, et pour aviser aux moyens d’en fonder untroisième. Il ne sortit pas de la colonie, et la quitta en 1816; vers la fin de son séjour, il alla faire une pro- menade àu fameux vignoble de Constance, si- tué à 5 lieues au S. E. de la ville. Voici la des- cription que le Hollandais Corneille de Jong en a donnée. « Ce lieu fut fondé par le gouverneur Van Der Stell, qui aurait eu bien de la joie s’il avait pu prévoir que le nom de Constance, sa femme, qu’il lui imposa, répété un jour de table en table, retentirait dans toute l'Europe. Cons- tance était autrefois une propriété si vaste, qu’après avoir été divisée en trois parties, cha- cune d’elles forme encore un domaine impor- tant; le premier, la grande Constance, est le plus considérable, et fournit le vin le plus es- timé; la petite Constance.a le même terroir ; mais la culture, y étant moins soignée, le vin qu’elle produit n’a pas le même prix. Cependant il y a fort peu de différence entre les qualités des deux vins blancs, et l’avantage est même quelquefois pour le dernier. » La graude Constance appartient à la famille Clocte. Le chemin qui conduit du cap à Cons- tance est bordé de chaque côté de jolies mai- sons et de jardins. Des bosquets de protéa, de chênes, d’ormes et d’arbrisseaux entourent de tous côtés les habitations du village et le vigno- ble, et en dérobent la vue jusqu’à ce qu’on ait doublé une montagne. Les vigues Ge Constance provicnnent de ceps de Bourgogne et du Rhin. Les directeurs de la société des missions de Londres envoyèrent de nouveau Campbeli en Afrique. En conséquence, il s’embarqua le 18 novembre 1818 à Liverpool avec son con- frère John Philip; le 20 février 1819, ils dé- barquèrent au Cap. En mai, ils allèrent, avec deux autres missionnaires, visiter les postes si- tués dans l'E. Une guerre survenue dans la Ca- frerie les empêcha de pousser plus loin leurs courses de ce côté. Campbell revint au Cap en novembre. Plus tard, il fut décidé qu’il con- viendrait d’iuspecter les missions du N., au-delà des limites de la colonie. Comme Campbell et Philip ne pouvaient être absens à la fois, le premier partit seul avec le missionnaire Molffat et sa femme, et une troupe de Hottentots. Quand la caravane fut sur les bords du Gariep, une vingtaine de Corannas d’un kraal voisin vint rendre visite à Campbell; celui-ci alla ensuite au kraal, qui était médiocrement peuplé; à sa vue, une partie des habitans prit la fuite; il supposa que son parasol les avait effrayés. Quand on eut passé le fleuve, à l’aide de Gri- quas, venus exprès pour aller aux voyageurs, on recut de nombreuses visites de Hottentots, de cette tribu et de celle de; Corannas; presque tous prirent part aux prières; quelques-uns étaient en état de lire les saintes écritures. Les missionnaires de Griqua-Town étaient bien por- taus. Les habitans témoiguèrent hautement leur joie de revoir Campbell. Celui-ci observa de grandes améliorations dans celte mission : l’é- cole était plus fréquentée qu’autrefois; il y avait plusieurs maisons en pierre avec des portes et des fenêtres. Les femmes Griquas, vèêtues à l’européenne, étaient occupées à coudre divers objets en toile de coton. CampbIl leur fit pré- sent d’aiguilles, de fil, de dés. Un moulin à fa. rine était mis en mouvement per un pelit ruis- seau. ‘ Plus loin, le chant d'un coq, que les voya- geurs entendirent à leur réveil, leur annonca que leur camp n’était pas loin d’un kraal; des champs cultivés lentouraient. Des Griquas et des Boschjesmans vinrent saluer les missionnai- res, et furent suivis par des Maichapins de Lata- kou; ceux-ci allaient en caravane à Beaufort, village nouvellement établi dans le N. de la co- lonie ; ils comptaient y échanger des peaux de bœufs, des zagaies, des couteaux, des boucliers - et d’autres objets contre des verroterics, Ils pa- raissaient n’avoir d’autres provisions de voyage que deux à trois sacs remplis de lait aigre, privé de sa partie liqui le et extrêmement dur; il avait le goût de vinaigre. Une nouvelle ville de Latakou avait été fondée à 0 milles au S. S. O. de celle où Métuibi avait reçu Campbell en 1812. Celui-ci, accueillicomme un ancien ami, pul s’apercevoir que ce roi et son peuple avaient profité, en quelques points, du séjour des missionnaires parmi eux. Campbell avait projeté, dès le commencement de son voyage, de pénétrer aussi loin qu’il le pourrait dans l’intérieur de l’Afrique. Les circonstances favorisèrent ses desseins : les nations vivaut au N. des Matchapins étaient en paix. Métibi se montrait favorable à entreprise; Monamits, 84 VOYAGE EN AFRIQUE, oncle du roi, consentit à accompagner la cara- vane; Read, Européen familiarisé avec les mœurs et les usages des Betchouanas, et plu- sieurs Matchapins s’y joignirent. Elle partit le 11 avril; le surlendemain, elle était au vieux La- takou, bâu à 6 milles à l'O. de celui que Camp- bell avait vu dans son premier voyage. L’em- placement était couvert de grands buissons de mimosa, qui, en peu de temps, ne devaient pas tarder à former une forêt impénétrable. Une partie de la population de la ville était venue au-devant des missionnaires à leur arri- vée. Elle les suivit à leur départ jusqu’à un co- teau éloigné de plus d’un mille. « Du haut de celte éminence, dit Campbell, le pays que nous avions devant nous présentait un aspect nou- veau. Du Cap à Latakou, la surface de la terre était nue, excepté sur le bord des rivières ; ici elle était couverte de bois partout; les arbres, généralement épars, étaient quelquefois réunis en groupes ; on pouvait se croire dans un beau parc ; de l’herbe très-longue croissait entre les arbres. Quoique l'hiver fut proche, la chaleur de l'air rappelait l'été de l'Angleterre. Ce pays diffère du territoire d’Albany, sur les confins de la Cafrerie, en ce que, dans ce dernier, les forêts sont presque impénétrables, excepté pour des Cafres. Ici, le voyageur s’imagine être entouré d’un bois où il n’arrive jamais, les arbres ayant l’air de se séparer à mesure qu’il avance. Les traces des chariots n'étaient pas visibles; on n’apercevait que des sentiers tracés, sur une longueur de 18 pouces, par les pas des Matcha- pis, qui vont, des kraals à bétail, porter du lait à la ville. Les racines des herbes poussant en touffes isolées étaient si dures, que les chariots étaient cahotés comme s’ils eussent roulé sur des pierres. » Après avoir traversé des montées, des descen- tes, des plaines, on arriva le 20 à Meribôhouey, capitale des Tamahas. Des troupes de femmes et d’enfans quitièrent les champs de sorgho, et ac- coururent pour contempler le spectacle étrange des chariots, qu’ils appelaient des maisons mou- vantes. Tous se tenaient à une distance respec- tueuse ; quelques enfans, plus hardis, s’avancè- rent jusqu’à une trentaine de pas ; le mouvement des roues attrait principalement l’attention de cette foule, qu’il divertissait beaucoup. Quand on approcha de la ville, on en vit sortir un grand nombre d'hommes armés de zagaies, de haches de combat, de longs bâtons, et coiffés de bonnets de peau, vêtus de manteaux de cuir, chaussés de sandales, enfin entièrement peints de rouge. Ils présentaient un aspect formidable, quoiqu’ils vinssent comme amis. Après des sa- lutations mutuelles, tout le monde entra à la fois dans la ville, et les chariots furent placés dans un enclos près de la porte principale. Campbell réussit à se concilier l’affection du chef des Tammahas, qui consentit à recevoir des missionnaires ; il en fut de même chez les Machôs. On traversa deux rivières coulant à l'O., et l’on entra dans le pays des Maroutzis. Des montagnes très-hautes séparent les eaux qui vont à la mer des Indes de celles qui courent vers l’océan Atlantique. Le temps était devenu pluvieux, ce qui incommodait beaucoup plu- sieurs des indigènes. Les chariots causèrent, comme ailleurs, un grand étonnement aux ha- bitans de Kourritchané, grande ville bâtie sur un coteau escarpé et pierreux. « Nos deux che- vaux, observe Campbell, excitèrent autant de curiosité qu’en produiraient deux éléphans tra- versant les rues de Londres. » Le roi paraissait âgé d'environ seize ans. Du- rant sa minorité, Liqueling , un de ses oncles, exercait la régence. Il dit à Campbell : « Les Moroutzis aiment la paix; j’ai appris avec plaisir que les blancs (les missionnaires) enseignent que les hommes doivent vivre paisiblement ; c’est tout ce que je désire. Quand j’ai instruit de ces sentimens mon voisin Makkabba, roi des Ouanketzis, il m'a répondu qu'ils ne lui plai- saient point, parce que cela l’empêcherait de faire du butin. Mon peuple et moi nous ne com- battons que pour rattraper le bétail qui nous a ‘été volé. » Campbell lui ayant demandé pourquoi la ville avait été bâtie sur une éminence , et non dans la vallée voisine ; « c’est, répondit:l, parce que cette position aide à découvrir les ennemis ; par la même raison, plusieurs autres villes sont pla- cées sur des hauteurs ; mais cela est très-incom- mode, parce que l’on est très-éloigné de l’eau et du bois. Un pitso, c’est-à-dire une assemblée générale, se tint ; il dura quatre heures; on y parla, on y chanta, on y dansa. Le régent prononca un dis- cours en faveur de l’admission des missionnai- res. Ensuite un envoyé de Makkabba fut pré- senté à Campbell; on lui remit des présens pour son maître. Il en vint, peu de jours après, un autre de plus grande qualité qui invita les missionnaires à rendre visite à Makkabba. Ils répondirent qu'ils ne pouvaient changer leur premier plan, qui avait été de ne pas aller au- delà du pays des Moroutzis, mais que des hom- mes blancs ne tarderaient pas à s'établir chez ces derniers, et iraient chez les Ouanketzis, CAP DE BONNE-ESPERANCE. 85 Le costume de Liqueling (PL. IX — 2) peut donner une idée de celui des personnages de distinction parmi les Moroutzis. Dans les occa- sions d’apparat, l’ornement de la tête est une sorte de turban fait de peau de sanglier, dont les soies sont d’une blancheur éblouissante. Le manteau est recouvert par un autre plus long, et composé de courroies flottantes. Les femmes en portent de semblables { PL. IX — 1); Camp- bell observe que, malgré leur admiration pour les modes européennes, elles ne sont nullement disposées à les adopter. Korritchané était la ville la Die considérable que l’on eut vu jusqu'alors dans l’Afrique aus- trale; Campbell estima sa population à 16,000 ames. Il loue beaucoup la propreté et la surface parfaitement unie des cours qui entourent les maisons. Le sol est d’abord recouvert d’argile bien battue, ensuite, on fait passer par-dessus - des rouleaux d'argile très-durs (PL. IX — 2). L'intérieur des maisons plaît également à la vue. Campbell en a représenté une dont l’intérieur était crépi; la paroï, peinte en jaune, offrait des dessins de boucliers, d’éléphans, de girafes; enfiu elle était ornée d’une corniche peinte en rouge { PL. IX — 3). Le 12 juin, la caravane partit de Korritchané; quand elle fut dans le pays des Tammahas, elle voyagea directement au S., puis se dirigea vers l’O., revit Latakou, Griqua-Town et le pays des Boschjesmans; ceux-ci continuaient toujours leurs brigandages. Le 10 novembre, elle rentra heureusement dans la ville du Cap après une absence de neuf mois. George Thompson vint au Cap en 1816 pour y faire le commerce. Le désir de recueillir des renseignemens sur les ressources que le terri- toire de la colonie pouvait offrir à un négociant lui fit entreprendre divers voyages dans l’inté- rieur. En janvier 1821, accompagné d’un de ses amis, il gagna par mer la baie d’Algoa; puis, ayant pris des chevaux au Port-ÆElisabeth, qui n’était alors qu’un petit hameau, ils allèrent par Uitenhagen, Graham’s-Town et Fort-Willshire, à la résidence de Gaïvka, chef des Cafres ; ils re- vinrent à travers le pays. « Cette excursion, qui dura six semaines, ajoute le voyageur, me fournit l’occasion de voir les districts situés le long de la côte méridionale de la colonie, jus- qu'aux rives du Keïskamma. Toutefois, j'étais bien éloigné de me regarder comme suffisam- ment instruit sur les points qui m’intéressaient, et ma curiosité était plutôt excitée que satisfaite. En 1822, en conséquence du naufrage d’un na- vire anglais près du cap des Aiguilles, le plus austral de l’Afrique, j'allai visiter ce coin retiré et quelques cantons voisins. Vers la fin d'août 1822, je fis une tournée dans les districts de Zweilendam et de George. » Enfin, le 20 avril 1823, Thompson partit du Cap. Il revit Port-Elisabeth, qui comptait déjà plus de 300 habitans, anglais pour la plupart. Bethelsdorp était devenu florissant ; Uitenhagen promettait de devenir la ville la plus peuplée et la plus importante dans PE. de la colonie. Thomp. son parcourut Île pays jusqu'aux sources du T’koba, fleuve qui est le Grooté-Vis-Rivier des Européens; elles sont dans les Sneeuw-Bergen. « Les habitans de ces campagnes, dit Thompson, étaient très-hospitaliers et très-interrogans, ce qui ne doit pas étonner, puisque, dans leur canton écarté, ils voient rarement un voyageur, et surtout un Européen. Leur curiosité et leur admiration m’out souvent diverti, quand, ayant p'acé devant moi ma carte, mon compas et ma boussole, j’écrivais mon journal, toute la famille se réunissait autour de moi, les yeux ouverts et la bouche béante, comme si j'avais été un magi- cien ou un astrologue. » La mission de Griqua-Town, au N. du Ga- riep, ne prospérait pas à cause de laridité ex- cessive du terrain. Thompson présume, comme Campbell et Philip, que cette cause et l’irrégu- larité des saisons apporteront toujours de grands obstacles aux progrès de l’agriculture et à ceux de la civilisation, qui en sont la suite; de plus, le bois, facile à faconner pour les usages ordi- naires, manque dans le voisinage, et il faut al. ler chercher très-loin celui qui est bon pour la charpente. Quelques jours avant l’arrivée de Thompson, un bruit très étrange s’était répandu : on disait qu’une horde immense venant du N. E. s’avan- çait contre Latakou, ravageant le pays et exter- minant quiconque osait s’opposer à son passage. Bientôt M. Moffat, un des missionnaires établis chez les Matchapins, vint réclamer l’aide des Griquas. Les fugitifs échappés à la rage des en- nemis les représentaient comme composant une armée immense de pillards commandée par plusieurs chefs, et formée de peuples de cou- leurs différentes, noirs pour la plupart et pres- que nus; ils marchaient accompagnés de leurs femmes et de leurs enfans. Ou ne désignait pas avec précision le point d’où ils étaient venus originairement, mais ils avaient fondu d’abord sur les Lehoyas, nation betchouana, dans le S. E.; ensuite, ils avaient pénétré au N. chez les Ouanketzis, qui les avaient repoussés; alors ils 86 VOYAGE EN AFRIQUE, s'étaient dirigés vers les Matchapins, après avoir défait et pillé tous les autres peuples, au nombre de 28, qu’ils avaient rencontrés. Suivant les dernières nouvelles, ils marchaient sur le vieux Latakou; leur dessein était de s’avancer de la contre les Griquas, enfin contre la colonie. On les appelait Mantatis. Méubi se préparait à fuir avec toute sa tribu, à moins que les Griquas ne vinssent à son se- cours. Melvill, agent anglais chez ces derniers, n’était pas peu embarrassé, car la division ré- gnait parmi eux. Cependant, il convoqua tous leurs chefs, même ceux d's mécontens, qui étaient alors au kraal. Thompson et Moffat as- sistèrent au conseil de guerre. Après une déli- bération longue et sérieuse, les Griquas résolu- rent de réunir leurs forces avec toute la célérité possible, et d’aider les Betchouanas; des messa. gers furent aussitôl expédiés aux postes éloignés pour demander des hommes et des armes. Les chefs griquas calculèrent qu’ils pourraient réunir en peu de jours 200 cavaliers armés de fusils ; s’ils avaient eu le temps nécessaire, ils auraient pu en mettre le double en campagne. Ils pro- mirent d’être à Kourouman dans huit jours. Le 11 juin, Thompson partit avec Moffat pour Kourouman. Ils rencontrèrent en route une caravane de Betchouanas, de la tribu des Kallibarris, qui allaient à Griqua-Town échan- ger des peaux de chat sauvage et de chacal contre des verroteries, des boutons de méial et autres menus objets. On estime que leur pays est à 300 lieues au N. Des Griquas, chez les- quels les voyageurs logèrent, ne furent pas plu-. tôt instruits de la levée qui s’efiectuait chez leurs compatriotes, qu’ils convinrent de se tenir tout prêts à marcher avec eux. À huit heures du soir, Thompson entra dans Latakou, sur le Kourouman. Le premier soin des voyageurs fut de ques- tonner le missionnaire Hamilton sur la marche des ennemis : la diversité des bruits qui cou- raient empêchait d’en croire aucun, Le lende- main, Méubi fut ravi de joie en revoyant son ami Moffat, et en apprenant de lui la détermi- nation des Griquas; il ne fut pas moins satisfait de la venue de Thompson. Uu pitso, ou grand conseil, fut annoncé pour le lendemain; des messagers furent dépèchés de tous les côtés pour y appeler les capitaines. Campbell et Thompson ont décrit celte as- semblée; la circonstance et les bruits qui cou- raient sur la marche de l'ennemi donnèrent un intérêt particulier à celle qui fut tenue le 14 juin. « De bonue heure, les chants de guerre des hommes et les voies aiguës des femmes et des enfans se firent entendre. Les guerriers, dis- persés en groupes dans les environs de la ville, avaient l’air de discuter entre eux les sujets qui allaient être débattus. Vers dix heures, la mul- titude s’avanca vers le centre de la ville, en- trecoupant sa marche de chants de guerre et ce danses, de quelques combats simulés dans les- quels on déployait une adresse et une agilité extraordinaires. Les guerriers étaient munis d’un piquet de zagaies, d’un bouclier en peau de bœuf, d’un arc et d’un carquois repli de flè- ches empoisonnées, et d’une hache d'armes. 5 Il y avait, au milieu de la ville, un espace circulaire entouré d’une enceinte en pisé; il est uniquement destiné aux assemblées publi- ques ; son diamètre est à peu près de 450 pieds. Un côté était réservé aux guerriers, qui, à me- sure qu’ils arrivaient, s’asseyaient à terre en rangs serrés, tenant leur bouclier devant eux, et leurs zagaies, dont 7 à 8 étaient fichées en terre derrière chaque bouclier, formaient une longue masse hrérissée. Les vieillards, les fem- mes et les enfans prirent place du côté opposé; le milieu, resté vide, fut occupé de moment à autre par les guerriers privilégiés ou par ceux qui avaieut tué un ennemi; ils y virent danser et chanter leurs prouesses, ce qui dura une de- mie-heure avant louverture des débats, et fut accompagné des gestes et des contorsions les plus bizarres et des applaudissemens bruyans des spectateurs. » Je fus placé, avec les deux missionnaires et un interprète, près du roi et des principaux chefs. Je pus donc noter la substance des dis- cours prononcés et dessiner cette scène remar- quable ( PL. VIII — 3 ). » Métuibi, s'étant levé et placé au centre, commanda que l’on fit silence; les guerriers lui répondirent par un gémissement profond, en marque d’attention. Il tira une zagaie de der- rière son bouclier, et, en indiquant le N. E., il maudit les Mantatis et leur déclara la gucrre. Un bruit sifflant des guerriers témoigna leur approbation. Alors, il tourna sa zagaie au S. et au S. E. pour maudire les mangeurs de bœufs (Boschjesmans). Il obuünt le même signe de consentement. Ayant remis la javeline à sa place, il prononça un discours, dans Icquel il parla des ravages des Mantatis, ne dissimula pas que le danger était pressant pour les Mat- chapins, annonça le secours promis parles Gri- quas et par les blancs que l’on voyait dans l’as- semblée, et invita chacun à dire son opinion. Alors il fit avec sa zagaie les mêuices £estes Et qu DUT ÉTIRET Nr 7 lo 7 D, CRANMOTE dd COUCHE de COLE CCI Ile À E ; > £ Canne. Lérrier - t Le. suloseart 74 J ’ ; VLANER EN AFRIQUE NE, AT. lag. 86 r : » CAP DE BONNE-ESPERANCE. qu’avani de parler, puis il en dirigea la pointe vers le ciel. Tout le monde s’écria poula (pluie ou bénédiction); et il s’assit au milieu de cris répétés et d’autres marques d’approbation. » Ensuite, les guerriers exécutèrent leur danse martiale, qui fut accompagnée des acclamations universelles; et elles furent répétées après le discours de chaque orateur, excepté d’un seul. -Méubi reprit la parole, résuma les diverses ha- rangues en les approuvant ou Îles blämant, gronda les femmes, et exhorta chacun à com- battre vaillamment. L'air retentit de cris de ju- bilation; les guerriers recommenucaient leur danse, à laquelle la multitude se joignait quel- quefois, et, pendant plus de deux beures, fit les gestes les plus extravagans et les plus gro- tesques. Vers la fin de l’assemblée, un messager du roi remit à chaque capitaine une branche de mimosa, ce qui signifiait qu’une assemblée de guerriers se tiendrait le lendemain dans Îles montagnes pour discuter des sujets qu’il ne convenait pas de traiter en présence des femmes, des enfans et des gens de la classe inférieure; ensuite, chacun s’en retourna chez soi. » = Dans la soirée, des Matchapins échappés du nouveau Latakou annoncèrent l'approche des Mantatis. Le lendemain, le conseil secret fut tenu ; rien de ce qui s’y décida ne fut connu du public. Thompson, désireux de‘savoir quelque chose de positif sur les Mantatis, partit à cheval le 16 avec Moffat pour Latakou; ils rencontre- rent en chemin une caravane conduite par Arend, esclave fugitif qui était armé d’un fusil, et qui leur représenta qu’il serait imprudent d’aller plus loin, à cause des détachemens d’en- nemis qui rôdaient de tous côtés : ils se décidè: rent donc à rebrousser chemin. On fut très-sur- pris à Kourouman de leur prompt retour. On avait l’air de se préparer avec beaucoup d’acti- vité à la guerre; mais les nouvelles étant, les jours suivans, devenues très-alarmantes, la frayeur commenca à se répandre.’ Méubi était allé, avec plusieurs capitaines, dans les villages voisins pour lever un plus grand nombre d’hom- mes : « Nous n’étions pas sans quelque crainte, observe Thompson, que l’armée des Mantatis, éloignée seulement de 80 milles, ou un de leurs détachemens, ne fondit à l’improviste sur nous avant l’arrivée des Griquas. » M. Moffat conce- vait qu’il fallait, malgré sa répugnance, songer a la fuite. Les choses prenaient un aspect sé- rieux ; l’inquiétude avait gagné tous les esprits. « Dans ces conjonctures, ajoute Thompson, je peusai qu'au lieu d’endurer plus longtemps l’é- 37 tat de perplexité où l’on se trouvait par une suite naturelle du manque d’avis positifs, le meilleur moyen de calmer l’anxiété générale était d’aller, comme jen avais déjà eu le dessein, reconnaître l’armée ennemie. Ce dessein fut aussitôt effectué que concu. Ayant rempli mon havresac de quel- ques provisions, je partis à cheval avec mon guide betchouana. Je rencontrai Arend à la même place où je l’avais laissé. Dès que je l’eus instruit de mon plan, il réfléchit un moment, et me promit de m'accompagner. Nous nous mimes en route le lendemain, laissant mon guide avec la troupe du voyageur. Parvenus au Latakou de Truter et Somerville, nous ne nous en appro- chames qu’avec précaution , de crainte que cette ville ne fut déjà au pouvoir de l'ennemi. Elle était déserte et silencieuse. Les habitans s'étaient certainement enfuis en grande hâte, car les marmites pleines étaient encore sur le feu et les mets à moitié cuits. Nous conclûmes de cette circonstance que l’approche des enne- mis à l’improviste avait décidé la population à fuir. Le bruit d’un coup de fusil que je urai sur un vautour n’ayant fait paraître personne, il était évident qu'aucun habitant ne se tenait caché. » Arend était d'avis de faire retraite, parce que nos chevaux, harassés de fatigue, ne pou- vaient nous porter plus loin sans nous faire courir le risque de tomber entre les mains des Mantatis. Il avait raison; mais je lui représentai que nous devions avancer jusqu’à ce que nous les eussions aperçus, afin de pouvoir rapporter a Kourouman des renseignemens certains. Nous marchâmes donc avec circonspection au N. E. Nous parcourümèes quelques milles entre des touffes de mimosa : il n’y avait pas de chemin tracé. Indécis sur notre marche ultérieure et très-aliérés, nous nous étions arrêtés dans un endroit d’où nous apercevions la vallée dans laquelle coule la rivière, et nous voulions y des- cendre pour étancher notre soif, quand Arend, dans une agilation extrême, s’écria : « Les » Mantatis! les Mantatis! » Je regardai vers le point qu’il désignait, et je les apercus qui for- maient une immense colonne dans la vallée au- dessous de nous, et s’avancaient vers la rivière. Aussitôt Arend, avec une présence d’esprit ad- mirable, me dit : « Ne bougez pas, autrement .» ils nous découvriront. » Restant immobiles, .novs pûmes, à travers les branches des arbres, observer les mouvemens de ces barbares. Ils ne se doutaient pas de notre préserice. J'avais ‘bonne envie de les aller reconuaître de plus près. Nous passèmes la rivière; puis, donnant 88 VOYAGE EN AFRIQUE de l’éperon à nos chevaux, qui marchèrent plus vite que je ne l’aurais supposé, nous atteignî- mes une position d’où nous dominions sur le vieux Latakou, où il restait une demi-douzaine de cabanes; les Mantatis s’y précipitèrent, et, au même moment, nous remarquèrent. Un dé- tachement considérable marcha vers nous. Une idée de les attendre pour essayer d’entrer avec eux me passa par la tête. Arend m’en fit sentir l’extravagance. Nous gaguâmes au galop une autre éminence où nous fimes volte-face. L’ayant bientôt quittée pour traverser la plaine, nous la vimes occupée par l'ennemi, qui s’en était ap- proché furtivement par un ravin. Ils n’essayè- rent pas de nous poursuivre plus loin, et nous regardèrent jusqu’au moment où nous les per- dîmes de vue. » Le soleil était sur son déclin lorsque les deux voyageurs arrivèrent au kraal d'Arend. Leurs chevaux avaient parcouru, dans cette journée, au moins 80 milles sans manger autre chose que l’herbe qu’ils avaient pu brouter près des sources des ruisseaux. Thompson fit seller aus- sitôt ses deux autres chevaux, et partit, avec son guide betchouana, pour Kourouman, où il ar- riva un peu après minuit. On fut surpris de son prompt retour. 1l raconta ce qu’il avait vu. Les missionnaires commencèrent le 2{ à enterrer leurs effets les plus précieux; la fuite semblait inévitable, car les Griquas ne paraissaient pas ; les indigènes se préparaient à évacuer la ville où règnait la tristesse et l’abattement. Vers neuf heures, on entendit un coup de fusil qui fut bientôt suivi d’un second ; aussitôt, les cris de joie des Betchouanas annoncèrent la venue de deux cavaliers griquas, expédiés en avant par leurs compagnons. Les missionnaires persuadè- rent aux Betchouanas de rester et d'envoyer des éclaireurs pour observer les mouvemens de l'ennemi et revenir en rendre compte. Métibi rentra vers midi, et fut très-déconcerté en apprenant la situation des affaires; tout son monde paraissait peu rassuré et plutôt disposé à la fuite qu’à la moindre résistance si l’ennemi se montrait avant les Griquas. Enfin ceux-ci, au nombre de 80, arrivèrent le 22, et rendirent la confiance aux Betchouanas; le roi leur ex- prima sa reconnaissance par un petit discours qui ne manquait ni de grâce ni d’éloquence. Six bœufs furent abattus pour les régaler. Les fugi- tifs revinrent en foule. Les deux missionnaires réparèrent les fusils endommagés ; les guerriers matchapins nettoyèrent leurs armes. Un pitso fut convoqué : les Griquas, invités à s’y rendre, y allèrent marchant en bon ordre et Parme au bras, ce qui excita l’admiration de ja multitude. Une place d'honneur leur fut assi- gnée. Tout s’y passa comme à l’ordinaire. En- suite, un festin général eut lieu; les mission naires ouvrirent leur chapelle, et le peuple s’unit à eux pour implorer la protection divine. Peu d’instans après, quelques-uns des éclaireurs annoncèrent que les Mantatis étaient encore à Latakou, se régalant des provisions qu’ils y avaient trouvées. Cette nouvelle fut confirmée par des Boschjesmans fugitifs, blessés et dépouil- lés par ces barbares. Les affaires de Thompson le rappelaient au Cap. [Il partit donc le 23 de juin. À une dizaine de milles, 1l rencontra Melvill avec une autre troupe de Griquas qui allaient rejoindre leurs compatriotes, et, 30 milles plus loin, un troi- sième détachement composé de 20 cavaliers et d’une cinquantaine de fantassins, avec des chariots et des bœufs de charge. Le 8 juillet, il revit le Cap. En juillet 1824, il alla au N. jusqu'aux monts Kamis, et visita les établissemens des mission- naires le long du cours inférieur du Gariep. « Je ne puis, divil, pour rendre justice à la vé- rité, m'empêcher d’applaudir sincèrement à leurs travaux dans l’Afrique australe. Il est in- contestable qu’ils y ont non-seulement prêché notre sainte religion aux tribus païennes, mais qu’ils y ont aussi coopéré, avec un zèle infati- gable, aux progrès de la civilisation et de la géo- graphie. » Thompson fut de retour au Cap le 1er de septembre. Il raconte, dans sa relation, ce qui s’était fait à Kourouman depuis son départ. Dès que Mel- vill y fut arrivé, on décida, dans une confé- rence tenue entre les missionnaires et les chefs des Griquas, que Waterboer, l’un de ceux-ci, commanderait l’expédition contre les Mantatis ; que Melvill et Moffat l’accompagneraient, afin d'ouvrir, s’il était possible, des relations amica- les avec ces sauvages, et d’éviter toute effusion du sang humain. Métibi fut invité à se joindre, avec ses guerriers, à la troupe de Waterboer; mais, dans le cas où une bataille deviendrait inévitable, de s'abstenir de tuer, suivant leur coutume, les femmes et les enfans. Tout ennemi qui mettrait bas les armes devait recevoir quar- tier comme prisonnier de guerre. Metibi le promit. Les Griquas partirent le 24 juin. Métibi les rejoignit sur les bords du Maquaria. Le lende- main, un détachement de dix hommes, envoyés en avant, apercut les Mantatis près de Lata- kou, Moffat, à cheval, marcha comme lui sans CAP DE BONNE-ESPERANCE. 8 armes ; il voulait engager quelques-uns d’entre eux à venir conférer avec eux. Pour toute ré- ponse, les Mantatis se précipitèrent avec tant de force et d’impétuosité contre Moffat et son compagnon, que ceux-ci n’eurent que le temps de faire tourner leurs chevaux et de regagner le détachement au galop. Un de leurs hommes fut presque atteint par un coup de massue. Le mauvais succès de cette teñtative pacifique dé- termina les Griquas à faire sentir le lendemain aux Mantatis l'effet des armes à feu, qui, peut- être, arrêterait leur marche. Vers huit heures du matin, ils s’avancèrent au galop ; les Manta- tis étaient campés dans une plaine; ils ne se dé- rangèrent pas. Cette division fut estimée à 15,000 hommes. On était à 300 pas de leur front. Tout-à-coup, avant que la moitié des Griquas fût arrivée, les Mantatis poussèrent leur horrible cri de guerre, et déployèrent leurs deux ailes, comme s’ils eussent voulu envelop- per leurs adversaires. Des centaines de guer- riers se précipitèrent en avant, en lançant des zagaies et des massues ; il fallut s'éloigner au plus vite. Quand on fut hors de la portée de leurs armes, on fit volte-face, et on tira sur les guerriers les plus avancés, qui tombèrent. Un peu déconcertées par cet échec, les ailes se re- plièrent sur le corps de bataille, se cachant der- rière leurs boucliers lorsqu’un coup partait. Sur ces entrefaites , les Matchapins accouru- rent pour se joindre aux Griquas; mais leur aide ne produisit pas un grand avantage, car un petit nombre seulement fut assez courageux pour atteindre l’ennemi avec leurs flèches ; et tous lâchèrent le pied avec promptitude chaque fois que des poignées de Mantatis s’élançaient vers eux. Les Griquas s’étant de nouveau avan- cés et ayant fait feu, puis s'étant retirés pour laisser aux Mantatis l’occasion de traiter s’ils y étaient disposés, et ayant renouvelé plusieurs fois cette manœuvre, le combat dura près de deux heures et demie. Les Mantatis montrèrent d’abord un courage remarquable, beaucoup de hardiesse et de résolution, s’élançant continuel- lement contre les cavaliers, et marchant avec fureur et intrépidité sur les cadavres de leurs compagnons. Enfin, voyant l’inutilité de leurs efforts pour atteindre et envelopper les Griquas et leurs plus braves guerriers atteints par des armes invisibles contre lesquelles leurs bou- cliers ne leur offraient aucune défense, leur au- dace diminua, toutefois sans montrer l'intention de faire retraite. Mais les plus hardis s’étant rapprochés du cercle des femmes et des enfans C rent un terrain élevé, d’où ils purent mieux vi- ser les guerriers. Bientôt une confusion et une terreur extrêmes se manifestèrent parmi les Man- tatis; le bétail finit par s'échapper du milieu de la foule qui l’environnait; les Griquas s’en em- parèrent. Les Mantatis se retirèrent en faisant bonne contenance, et opérèrent leur jonction avec leurs compatriotes restés à Latakou. Ils continuèrent à combattre vaillamment; mais, voyant l’impossibilité d’en venir aux mains avec l'ennemi, qui leur avait fait perdre leurs plus braves capitaines, ils sortirent lentement de Îa ville après y avoir mis le feu; on les poursuivit à 8 milles plus loin dans le N. E. Leurs deux divisions réunies s’étendaient en une masse compacte longue de 1,500 pieds sur 300 de profondeur ; on évalua leur nombre à 50,000 individus. Les Betchouanas furent aussi cruels envers les femmes et les enfans laissés en arrière qu’ils avaient été pusiilanimes pour le combat. Lis les égorgeaient de sang-froid. Les missionnaires et Melvill eurent beaucoup de peine à faire cesser ce massacre; ils n’en vinrent à bout qu’en les battant et les menaçant de leurs fusils. Beaucoup de Mantatis, notamment les femmes et les infirmes, paraissaient souffrir de la fa- mine. Cinq cents cadavres couvraient le champ de bataille; un Griqua seulement fut blessé; un Betchouana fut assommé, et il le méritait, par un blessé qu’il dépouillait, : Ces Mantatis appartiennent à la grande famille des Cafres, qui comprend aussi les Betchouanas. Tous parlent des dialectes de la même langue, et se ressemblent d’ailleurs par les caractères physiques, les mœurs et les usages. Toutes ces tribus tirent leur principale subsistance de la chair et du lait de leurs troupeaux, et pendant leurs guerres, leur agriculture, d’ailleurs bor- née, est souvent négligée totalement. Par con- séquent, les Cafres, privés de leur bétail, sont réduits au désespoir, et il faut qu’ils exercent le brigandage pour ne pas mourir de faim. C’est ce qui était arrivé aux Mantatis. Incapables de résister à leurs voisins les Zoulas, qui les acca- blaient par le nombre, ils furent pillés et expul- sés de leur pays, se joignirent à d’autres tribus qui avaient éprouvé le même sort, devinrent formidables, et se précipitèrent comme un tor- rent fougueux sur celles de, l’intérieur, faibles et peu belliqueuses. D’autres voyageurs ont, depuis Thompson, publié les relations de leurs courses dans la co- lonie du Cap et dans le pays des Cafres, sans qui entouraient le bétail, les Griquas occupè- | agrandir en rien le domaine de la géographie, ÂrTR: 12 Le 90 Il n’en a pas été ainsi des missionnaires francais établis dans l'Amérique australe, près du Ga- riep. Au mois de janvier 1836, il fut convenu, dans une conférence tenue à la station de Bé- thulie, qu’une expédition serait entreprise au N. du pays des Bassoutos pour reconnaître la contrée qui s'étend de chez ceux-ci aux rives du Fal, rivière qui est le prolongement du Nama- gari. En conséquence, MM. Arbouset et Daumas partirent de Morija, poste dans les montagnes du pays des Mantatis ; ils passèrent par trois établissemens de missionnaires vesleyens; celui de Merabing, le plus septentrional, fut le point d’où ils dirigèrent leurs explorations, dans les terrasses inférieures des monts Maloutis. Après une semaine ainsi employée, ils se séparèrent : la plus grande partie de leur petite troupe re- vint à Merabing, et l’un d'eux, accompagné d’un guide seulement, poussa jusqu’au haut des Maloutis, en remontant le long du Caledon, et rencontra deux peuplades de cannibales. Arrivé au point culminant situé à l’extrémité N. E. des Maloutis, il le nomma Mont aux Sources. Ce nœud de montagnes mérite effectivement cette dénomination, car de ses flancs, comme d’un immense réservoir, s’échappent au S. le Sinkou (fleuve d'Orange), qui traverse le continent africain jusqu’à l'océan Atlantique; à VE, le Le- toulé et le Mnomou, qui coulent vers là mer des Indes; au N. le Namagari, qui parcourt près de 200 lieues avant de se joindre au Sinkou; enfin le Caledon, qui court parallèlement à ce dernier, dont il est un affluent. Après s'être réunis à Merabing, les mission- maires reprirent, avec leurs fourgons, la direc- üon du N. Ils virent successivement les terri- toires des Mantatis et des Lighoyas. Au bout de quelques jours, ayant perdu de vue la chaîne imposante des Maloutis, leur chariot roula pen- dant huit jours sur un terrain plus uñi; un si- lence profond régnait dans ces cantons, qui of- fraient le triste spectacle des dévastations de la guerre. Parvenus au confluent du Namagari et ‘du Lekoua, d’où ils apercevaient facilement au N. les monts Français, situés dans les Etats d’'Omsiligas, chefs des Matabilis et d’autres peuples, ils changèrent de route, et tournèrent au $. O., à travers le pays des Lighoyas, aux- quels ils annoncèrent la parole de Dieu. Ces sauvages leur firent un accueil amical, malgré la crainte que leur inspirait d’abord Paspect d'hommes si différens de tous ceux qui les en- tourent. Enfin, les missionnaires rentrèrent sous leur paisible toitde Morija. Leur voyage avait duré VOYAGE EN AFRIQUE. deux mois et demi; ils étaient parvenus au 260 de lat. S. et au 30° de longit. à l'E. de Paris; les monts Maloutis, formant le point de partage des eaux entre les deux Océans, se rapprochent beaucoup de la côte de VE., car leur sommet n’en est éloigné que d’une dizaine de lieues dans sa partie la plus étroite. En 1834, M. André Smith, médecin au Cap, fit un voyage avec une nombreuse caravane. Le rendez-vous avait été donné à Graaf-Reynet, éloigné de 156 lieues à l'E. N. E. du Cap. On en partit le 12 d’août. On était le 28 aux éta- blissemens fondés par des missionnaires chez différentes nations indigènes. On s'arrêta à Verhuel, station dirigée par M. Pelissier, qui est Francais. Le résultat des informations re- cueillies par le voyageur lui prouva que le sort des Africains vivant dans les missions était infi- niment plus heureux qu’il ne l'avait été dans leur état sauvage. Le 8 novembre, M. Smith était près des sour- ces du Caledon. Quand il les eut examinées, il chemina vers l’O., et fit des excursions vers le N. pour constater la possibilité de pénétrer dans le Kalahari, désert situé de ce côté. Le 17, il at- teignit la demeure de M. Lemue, autre mission- naire français. Son grand objet était de se con- cilier l’amitié d'Omsiligas. M. Moffat, qui l'avait rejoint à Kourouman en janvier 1835, lui fut d’un grand secours dans sa visite à Omsiligas. Le pays que les voyageurs virent en marchant ensuite au N. est naturellement fertile; mais il reste inculte, parce que les sujets d’Omsiligas craignent de le cultiver ou d’y conduire leurs troupeaux, exposés qu’ils seraient aux attaques de Dingan, autre chef qui réside plus à l'E. On traversa l’Ouri, on entra dans une contrée sté- rile , ét on se trouva près du point le plus élevé des monts Cachan et des sources de l'Umpéban. Des collines isolées et des chaines de montagnes d’une élévation médiocre, séparées l’une de autre par de vastes plaines, se prolongent au N. E. et à l’'E., seuls points vers lesquels la vue puisse se porter. On n’apercevait que peu de bois : il croissait au pied des montagnes. Vers la fin de juillet, on atteignit les bords du Ma- koua, et on les suivit jusqu’à son confluent avec POuri ; il prend alors le nom de Limpopo. Quand M. Smith fut arrivé à 24° 30° de latit. australe, il reconnut qu’il était sur la limite septentrionale du territoire des Matabilis. Au- delà, le pays lui parut faiblement peuplé. Beau- coup d’habitans souffraient de la faim. On reçut d'eux plusieurs renseignemens remarquables, Ils dirent qu’à une grande distance au N. il y Ji {l #9 77 1: 1) Ctrgr 2 7/1 SE 4 ‘ 4 2) 4 . ARR ARC ce Letbe _ Lruges fe La Lprcpe 7 1 ji ta ÿ | À CAP DE BONNE-ESPERANCE. 9 avait un vaste lac, et qu’au-delà vivaient des tributs de Hottentots et de Corannas obéissant à des chefs de leur propre nation. Ils parlèrent aussi des monts Baka , qui sont du même côté ; ce n’est que dans la saison des pluies qu’il est possib'e de voyager dans le pays qui les avoi- sine. M. Smith souhaitait vivement d’avancer dans cette direction; à son chagrin extrême, il fut convaincu que ses bœufs étaient épuisés de fatigue , et que toute tentative d’aller plus loin serait imprudente ; il fut donc obligé de songer aux moyens de retourner au Cap. Cependant, avant de rebrousser chemin, il fit une petite excursion qui le conduisit à une certaine di- stance au-delà du iropique du capricorne. Du haut d’un très-grand arbre, il put distinguer fa- cilement le sommet des monts Baka, droit au N.; une plaine à peu près unie et couverte de broussailles touffues s’étendait de tous côtés à perte de vue. Suivant le rapport des indigènes, les campagnes, au-delà des monts, offrent fré- quemment un aspect semblable, notamment à lE. et au N. E. En retournant au S., M. Smith passa sur l'emplacement où Campbell avait vu la ville des Marotzis près du sommet du Korritchané, Il avait d’abord eu l'intention de passer une quinzaine de jours à Mosiga, chez Omsiligas ; mais les bœufs se trouvèrent si mal d’avoir brouté de l’herbe nouvelle, qu’il fallut partir presque immédiatement. Ce chef paraissait dé- sirer vivement qu’on lui fit une visite plus lon- gue. Toutefois, il entendit raison, et convint que tout retard serait préjudiciable à la cara- vane; il lui envoya en présent 14 bœufs et 3 moutons, et témoigna le plus vif désir que M. Smith revîut le voir. Celui-ci rentra heureu- sement au Cap avec une très-belle collection d'animaux, de minéraux et de plantes. En 1836, M.J. E. Alexander, capitaine d’in- fanterie, partit du Cap le 10 septembre avec une caravane, et se dirigea vers le N..Le 10 oc- tobre, il traversa les monts Kamis; les mission- naires wesleyens y ont établi une mission où ils ont réuni des Petits-Namaquas. Il visita l’em- bouchure du Gariep, et découvrit, à quatre journées de marche en remontant, une masse de minerai de cuivre extrêmement riche; il trouva aussi du fer à peu de distance, mais au- dela des limites de la colonie. Le pays, des deux côtes du Gariep, est extrêmement aride et sté- - rile à plusieurs milies de distance. Des collines nues et noires sont environnées de plaines de sable jaune où la végétation est chétive. Le 25, on passa ce fleuve à gué au N. des monts Kamis, et, le 27, M. Alexander était à Nabis, poste de mission le plus septentrional de ce côté. Il est à 450 milles au N. du Cap. Elle est principalement composée de Grands-Nama- quas. On y voit une source thermale dont la chaleur est de 31° 54”. Notre voyageur s’y bai- gna avec les gens de sa suite, et leur exemple fut suivi par les Namaquas. Après avoir fait deux excursions dans V’E.; M. Alexander revint à Nabis, où, dans les pre- miers jours de 1837, la chaleur fut accablante, « De temps en temps, dit-il, nous apercevions, à une certaine distance, des nuages chargés de pluie, mais ils ne venaient pas jusqu’à nous. Le ruisseau des eaux thermales diminua; l’ar- deur de l’atmosphère fit noircir l’herbe. Ennuvyé d’attendre inutilement la pluie, je me décidai à avancer; en conséquence, mon chariot allégé, je m’acheminai le 18 vers le N. avec quelques bœufs de charge et un troupeau de moutons. Plus loin, je laissai le chariot sur les bords du Hoom avec la moitié de mon monde pour aller dans les monts Karas, dont la hauteur est de 3,000 pieds au-dessus de la plaine; ensuite, ayant rejoint mon camp, je cCoutinuai ma route à travers des plaines herbeuses. » M. Alexander traversa le lit de plusieurs ri- vières, dont quelques-unes étaient taries, et eut beaucoup à souffrir de la soif. On rencontra des Boschjesmans, Le 30 mars, il passa les défilés du Kopam’naas, qui coupent une chaine de montagnes à sommets aplatis, et hautes de 2,000-pieds ; au-delà s’étendait une plaine où une ligne d’arbres, serpentant vers le S. ©., marquait le cours du Tchantop, rivière dont le gros gibier fréquente les bords. Dans un seul jour, on vit 10 rhinocéros. On entra ensuite dans le désert de Tans, qui est d’une aridité af: freuse, bordé au N. E. par de hautes montagnes noires ; à l'O. s’élevaient des dunes. La caravane manqua de périr de soif. Le thermomètre mar- quait 30 degrés. Le 8 d'avril, on atteignit avec beaucoup de peine les bords du Kuisip; des chevaux, des bœufs, des moutons et des chiens étaient morts de soif. On suivit le cours du Kuisip, dont les eaux étaient taries en divers endroits; elles formaient des étangs séparés les uns des autres; une fois, on parcourut 30 milles sans eñ rencontrer. « Un jour, dit notre voyageur, ayant apercu des pas d'hommes, nous les suivimes, et nous rencontrâmes deux Namaquas appartenant à une tribu. vivant sur les bords du fleuve. Nous les traitâmes bien. Ils nous montrèrent les pla- ces où il y avait de l’eau, puis nous conduisi- 92 VOYAGE EN AFRIQUE. rent à la baie Falvis (des Baleines ), où nous | les Nobbis, peuple rouge, au N. des Damaras. arrivâmes le 19 avril. Nous étions les premiers Européens qui, partis du Cap par terre, y fus- sions parvenus. » Deux navires américains y vinrent mouiller pour faire la pêche ; l’un des capitaines offrit à M. Alexander de le conduire avec ses gens, au nombre de 7, à Sainte-Hélène pour un prix rai- sonnable ; mais notre voyageur voulait pousser plus loin ses explorations. Il fit doné route à VE. le 3 mai, après avoir traversé le Kuisip, n'ayant pu trouver un guide parmi les indigènes, dont le chef était absent. On passa de nouveau le Kuisip le 15, et on entra dans le pays des Damaras, peuple nègre. Le premier de leurs villages que l’on aperçut était au bas d’une col- line, sur un plateau, à pea près à 2 milles d’un étang. Il consistait en 8 huttes coniques ; con- struites en perches fichées en terre, réunies par le haut et recouvertes de branchages. Quelques- unes de ces cabanes avaient une espèce de por- tique grossier fait des mêmes matériaux; toutes ces habitations étaient disposées en cercle. On distinguait, sur la pente des coteaux voisins, des lignes de buissons épineux longues de plusieurs milles, et destinées à diriger les pas des rhino- céros et des zèbres vers des fosses creusées par intervalles pour les y faire tomber. On ne dé- couvrit pas d’habitans, parce que, durant la dernière saison de la sécheresse, l’eau avait été excessivement rare, et les Damaras, suivant ce que l’on apprit des guides boschjesmans, s’é- taient transportés plus à lE.; on se dirigea de ce côté. Ce ne fut qu’au-delà du Tans, montagne dont l'élévation, au-dessus de la plaine, est de 4,000 pieds, que sous 24° 55’ de lat. S. on arriva au premier village damara, situé près des bords | du Keï-Karop, au pied de montagnes pittores- ques, et nommé Niais (ville noire). « Une troupe d'hommes montés sur des bœufs, dit notre voyageur, vint au galop au-devant de nous, et me conduisit très-poliment à la cabane d’Aamarap, leur chef. Nos besoins furent am- plement satisfaits : je troquai des couteaux et des mouchoirs de coton contre des moutons; des châles et des haches contre des bœufs ; des aiguilles contre du lait. On se régala d’hydro- mel. Les Damaras exécutèrent des danses. » M. Alexander obtint des renseignemens pré- cieux sur la géographie de ces contrées recalées. Il était à plus de 200 milles à V’E. de la côte. Il aurait bicn voulu pénétrer plus avant au N. ou à l'E.; personne ne consentit à lui servir de guide, ni même à se charger d’un message pour On dit à notre voyageur qu’un désert imprati- cable s’étendait à l'E. de Ni-ais, et que personne n'avait jamais osé le traverser. En conséquence, il prit le parti de retourner au S., et suivit une route plus orientale que la première. Le 6 juin, il était hors du pays des Damaras. Il traversa les monts Onoma, qu’il avait déjà vus de loin, et, le 13 juillet, arriva à Bethany, poste de mis- sionnaires où il s’était arrêté précédemment. Le 21 septembre, il fut de retour au Cap. Cette ville a été décrite par un très-grand nombre de voyageurs. Elle est dans une situa- tion très-agréable, entre la baie de la Table et les montagnes, qui la dominent. Quand on est sur l’esplanade, au S., on jouit de la vue de la rade et des monts qui l'entourent (Pr. IX — 4). « Les Anglais, dit madame Graham, vivent ici comme partout, et suivent, autant que les cir- constances le- permettent, les usages de leur pays. Les colons hollandais conservent, en gé- néral, leur simplicité et leur hospitalité ancien- nes. J’ai été enchantée du beau teint et des ma- nières franches des jeunes dames hollandaises, surtout en les comparant aux visages pâles et à l’indolente affectation des Anglaises nées aux Indes. Les Hollandaises parlent généralement bien l'anglais, et plusieurs l’écrivent correcte- ment. » Nous avons dit que les Anglais avaient agrandi le territoire de la colonie; autrefois, ses limites, du côté des Cafres, étaient, comme nous les avions marquées, à la rive droite du T'hoba (Groote-Vis-Rivier ); elles ont été por- tées à celle du Kneïba ou Keï; ainsi, une partie du territoire des Kousa, dont le milieu est coupé par le Keisikamma, est occupé aujour- d’hui par les sujets de la Grande-Bretagne. CHAPITRE XII. Congo. Les pays de la côte occidentale d’Afrique sont très-peu connus; au N. des Damaras, dont nous venons de parler, on indique les Cimbébas, tribu nomade, et les Makoss, visités en 1697, par Lojardière, voyageur francais qui fut laissé chez eux par accident; ce qu’il dit des mœurs de ce peuple et de ses voisins, fait penser qu’ils appartiennent à la famille des Cafres. La côte est d’un abord dangereux et très-peu habitée ; les Portugais, quiles premiers la virent, donnèrent des noms à ses caps et à ses baies; L’'Angra do liheo paraît être identique avec la CONGO. 13 baie Walfis. Les Anglais qui ont plus récem- ment exploré ces parages, disent que l’eau potable y est très-rare, que celle des fleuves est saumâtre à leur embouchure, et que l’on n’ap- perçoit que cà et là des traces de verdure. Enfin on arrive an cap Negro, situé par 15° 52 de la- titude S., à l'extrémité d’une presqu’ile recour- bée, ayant au N. une grande baie. Là commence la côte Ge Congo, qui se termine _ au cap Lopez-Gonsalvo, à 30’auS. de l’équateur; on désigne aussi cette vaste contrée par le nom de Guinée-Inférieure. Sa longueur est donc de 400 lieues, on ignore quelles sont ses bornes à l'E. Les côtes baignées par l’Océan atlantique sont bien découpées, tantôt élevées et tantôt plates, souvent marécageuses et boisées, par conséquent très-insalubres, notamment pour les Européens ; la chaleur y est excessive. La saison de la sécheresse ou de l’hiver dure depuis avril jusqu’ en septembre inclusivement. Les premières pluies tombent par petites ondées une ou deux fois dans les 24 heures, depuis la fin de septembre jusqu’au milieu d’octobre ; alors les femmes préparent la terre pour les semailles. Les secondes pluies, qui sont très- fortes, commentent en novembre et finissent en janvier; elles sont suivies de grandes chaleurs mais de peu d’ouragans ; on plante alors le sorgo, le maïs et les autres végétaux qui müris- sent en trois mois; les troisièmes pluies conti- nuent en février et en mars, et sont les plus abondantes; de violens ouragans, le tonnerre, les éclairs et des météores ignés les accompa- gnent. Vers la fin de la saison de la sécheresse, Ja verdure est partout flétrie, et les campagnes sont dépouillées de leur parure. Le Congo fut découvert en 1484 par les Por- tugais, sous le commandement de Diego Cam : ils y subjuguèrent plusieurs territoires et éten- dirent leur domination ou leur influence sur les autres; les missionnaires essayèrent d’y établir la religion chrétienne, leurs tentatives n’obtin- rent que des succès partiels; mais plusieurs d’entre eux, tels que Denis Carli, de Plai- sance, et Angelo de Gattine, en 1666, Cavazzi (1654 à 1670), que Labat a traduits en français ; Merolla (1682 à 1687); Antonio Zucchelli (1698 à 1704), tous capucins ; des prêtres fran- çcais (1766 à 1776), ont publié des relations intéressantes, dans lesquelles on trouve par fois des circonstances fabuleuses. D’autres voyageurs ont également donné le résultat de leurs obser- vations sur le Congo. Ce sont Edouard Lopez, portugais (1578 à 1586); André Battel, anglais (1589 à 1603); Samuel Braun, allemand (1611 à 1621); Jacques Barbot, anglais ( 1700); divers portugais, entre autres, Grégoire Mendes (1770 à 1807); Feo Cardoso, protugais (1816 à 1819); Jacques Tuckey, anglais (1816); Grandpré, francais (1786 à 1787); le marquis d'Étourville (1797 à 1812); J.-B. Douville, également français (1828 à 1830). Ces deux derniers ont pénétré très-avant dans l’intérieur ; la relation de Douville a été l’objet de critiques violentes, on a même prétendu qu’il n’était jamais allé en Afrique; c'était pousser l’hostilité trop loin; s’il n’a pas vu par lui-même tout ce dont il parle, il paraît très-probable qu’il a eu en sa possession des matériaux très-curieux et des cartes dres- sées par une main habile. Sa grande faute a été de n’avoir pas su tirer un parti convenable de ces choses , et de s’être exprimé avec une pré- somption d’autant plus déplacée que trop sou- vent il trahit une ignorance profonde. Quant à d'Etourville, tout ce que l’on sait de ses péré- grinations repose sur une communication faite en 1821, par M. Bory de Saint-Vincent, et insérée dans le tome X des Annales des Voyages. D’après les renseignemens donnés par Feo Cardoso, le Congo peut se diviser en deux parties, savoir : au S., les pays soumis aux Portugais; au N. et à VE., les pays indé- pendans. Les premiers comprennent les deux royaumes d'Angola et de Benguéla avec leurs dépen- dances, qui consistent en petits forts et dans quelques loges sur les autres territoires. Ces deux royaumes composent la capitainerie gé- nérale d’Angola et Congo. De vastes espaces de terrains absolument déserts, et des peuplades indépendantes séparent, les uns des autres, les cantons de l’intérieur. L’Angola est arrosé par le Landa, le Bengo, le Coanza, le Moreno, le Tonga ; le Benguéla, par le Coudo, le Gubororo, le Mombeiro, le Bambarougué. Saint-Paul-de-Loanda, sur une éminence et dans une plaine, près de l'embouchure du Zenza ou Bengo, est une belle ville, défendue par un fort et des batteries. Le gouverneur-général et l’évêque y résident: on y voit plusieurs églises et des couvens. Elle a un bon port; son com- merce est considérable ; sa population, évaluée à 6,000 âmes, se compose principalement de nègres et de mulâtres. Saint-Philippe-de-Ben- guela, au S., sur une baie à l’embouchure du Maribombo , est comme Saint-Paul un lieu d’exil pour les criminels portugais. ‘Au N. de l’Angola, le royaume de Congo est arrosé par le Laindo, l’Ambriz, le Lozé, le x 94 Daudé. Il comprend plusieurs provinces gou- vernées par des chefs auxquels les Portugais ont fait adopter les titres de ducs et autres ; chacune a un banza (chef-lieu). Banza-Congo ou San- Salvador, résidence du roi, est une ville sur une montagne, à 16 lieues au S. du Zaïre; les Portugais y ont conservé une église, mais le monarque est indépendant, et il a pour tribu- taires Bamba, Soundi, Pango, Batta, Pemba et une partie de Sogno, enfin, les Mossossos, qui on! pour capitale Hialala. En allant au N. O., on entre dans le royaume de Loango, qui a pour tributaires Setté, Mayombe. Cacongo ou Malembe, Engoio et une partie de Sogno. Banza-Loango ou Booalis, sFtuée dans une plaine fertile et avec un port peu profond, sur une baie de Atlantique, est la caphale du royaume. Kinghalé est celle du Cacongo ; Malembe, Cabenda, dans l’Engoyo, remarquable par la beauté de sa situation, la fertihté de ses environs et la commodité de son port , étaient des marchés très-fréquentés pour la vente des esclaves, quand la traite des nègres existait, k D'autres royaumes sont situés dans l’inté- rieur; Feo Cardoso en fait mention dans son livre; quelques-uns de ces pays ont été par- courus par Grégorio Mendès, en 1785; Dou- ville en a également vu plusieurs, suivons-le. La province de Golongo-Alto est une des plus orientales du royaume d’Angola, et remarqua- ble par ses sites variés et pittoresques , et par des forêts si touffues, qu’elles présentent à l’œil une seule masse de verdure et de fleurs. Les collines que l’on rencontre en venant de la mer, sont les premières terrasses d’une haute mon- tagne qui paraît s'élever graduellement en se prolongeant vers V'E., où les collines se rami- fient. Près des limites méridionales de cette province, le mont Muria, dont le noyau est composé de grès, s’élève à peu près à 2,500 toises d’altitude ; il ne gèle pas sur son sommet, mais en hiver 1l doit y tomber de la neige que les habitans prennent pour des nuages. Cette province, la plus belle de l’Angola, est habitée par les Dembhas qui, parmr les nègres de ces contrées, sont les plus avancés en civilisation ; ils-apprennent à lire et à écrire afin de pouvoir signaler au gouverneur-général les actes arbi- traires des régens. Les états des Dembas, où les Portugais n’en- treliennentaucune force militaire, sont entourés au N. et à l'O. par les Mihoungos, qui, chaque jour, prennent du terrain ; ils se sont emparés de tout ce qui séparait cette province de la côte, VOYAGE EN AFRIQUE. et peuvent ainsi traiter directement avec les navires qui viennent à Ambriz ou à l’embou- chure du Lozé, du Hezo ou du Onzo. Foutes ces rivières prennent leur source dans une chaîue de montagnes qui se prolonge du N. au S., et dont les branches vont rejoindre la côte. Cette chaîne est coupée par quelques fleuves , tels que le Catumbéla, le Coanza, le Zaïre. À une certaine distance de la mer, le terrain s'élève graduellement. On arrive ainsi à des terrasses dont l'altitude diffère. Celle du Haro est de 194 toises; celle du Tamba, de 677; celle du Bailundo, de 781; celle du Bihé, dans le S. E., de 1,040. Toutes ces contrées sont généralement mon- tagneuses. Dans le Tamba, on voit-moins de planes que dans le Bihé. L'aspect de ces divers pays est sauvage; peu de terrains cultivés, point de routes, et de nombreuses forêts. Dans le Haro, on s’apercoit déjà que la timidité du nègre , vassal des Portugais, a disparu; on est au milieu d'hommes indépendans ; énervés à la vérité par la chaleur du climat, paresseux à l'excès. Jamais un ouvrier ne travaille sans avoir fait des prières et des sacrifices à ses idoles. L'homme du Tamba est plus robuste , plus énergique que ses voisins, mais il n’a pas leurs bonnes qualités ; entreeux, les nègres du Timba sont très-unis et partagent loyalement tout ce qu’ils ont, tout ce qu’ils prennent, où ce qu’on leur donne. Le souverain lui-même distribue au peuple les étoffes qu’il recoit de la vente des esclaves. Le Bihé est le point le plus méridional où où M, Douville soit parvenu dans cette partie de l'Afrique. Jadis le Bihé comprenait les pro: vinces septentriontles du Humbé. Le marché d’esclaves de Bihé est un des plus considérables de l’Afrique méridionale. Les peuples du Bihé et du Humbé sont braves et belligreux ; les derniers sont très-féroces et même antropopha- ges. Douville n’alla pas chez eux. On n’avait que des notions vagues sur le Moulondou-Zambi, montagne volcanique de ces contrées, M. Douville la visita. Tous les habitans avaient vu, par intervalle, des flammes sortir de son flanc. I paraît que récemment il n’a pas eu d’éruption; tout annonce qu’elles ont dû être nombreuses et fortes; son altitude est de 1780 toises; il est un objet de terreur pour les peu- ples du voisinage. Des exhalaisons sulfureuses se manifestent dans différens endroits de ces pays; mais le phénomène le plus remarquable est celui du lac Kouffoua, situé sous le 25me mé. ridien à VE. de Paris, et vers les 5o de latitude WCllTT EE Tt re a RD IE D € Lara taf. É LL z ee du V LL À 1% Zug. 94. > 7 AFRIQUZ LIT CONGO. 9b $.; sa longueur est d'environ 20 lieues, sa plus grande largeur de 10, son altitude de 860 toises ; la végétation diminue à mesure qu’on avance vers ses bords, et, à 2 lieues de distance, dispa- rait totalement. Des vapeurs sulfureuses gênent la respiration, surtout pendant la nuit; il ne recoil aucune rivière, il est probablement ali- menté par des sources souterraines; ses eaux sont couvertes d’une couche épaisse de bitume que les rayons du soleil ne peuveñt percer; leur chaleur est moindre que celle de lair atmos- phérique; leur saveur est désagréable; elles ne renferment dans leur sein aucun être organisé. Le Kouffoua est entouré d’une ceinture de montagnes raboteuses, crevassées, d’où sortent des vapeurs suffocantes; son contour n'offre que trois ouvertures; deux à l'O. donnent nais- sance à six cours d’eau ; une grande rivière s'échappe par celle de l'E. Avant d'aller au Kouffoua, M. Douville avait passé par le Cassange, royaume puissant, dont la capitale est Cassanci, sur une rivière de même nom qui est un affluent du Coauza. Le roi Où jaga est un guerrier redoutable et le plus riche marchand d’esclaves de toute l’Afrique. Cassanci compte 1,500 maisons, bâties sans aucun ordre, mais divisées en plusieurs quar- tiers, dont un , exclusivement habité par le roi et ses nobles, est entouré d’une forte palissade. Il n’y a que trois places publiques, celle où le jaga donne audience, une seconde dans le quar- tier des nobles, la troisième destinée aux sacri- fices humains; car cette coutume affreuse est mêlée à quelques traits d’un état social moins sauvage qu'on ne le supposerait chez ces nègres; comme chez certains peuples de l’antiquité, elle se lie au culte religieux. Le Couango prend sa source dans le pays des Regas, entre les 9 et 100 de latitude S.; ces peuples sont en communication avec la côte orientale de l'Afrique; on voit chez eux des hommes venus du S., qu’ils nomment Biri et qui ont le teint cuivré, ce sont peut-être des Cafres. Le Couango coule au N. O. et prend le nom de Zaïre. Le Coanza, au contraire, sort du mont Hélé, dans le pays des Mumbros, entre les 12 et 13°de latitude S. , et les 15 et 16° de longitude E. Ce mont Hélé est couvert de neige. Au N. du Kouffoua, on trouve le pays des Moulouas qui a deux capitales, savoir, Yanvo, résidence du roi, et, à 50 lieues au S., Tandi- Vouas, où habite la reine. Crtie cité, bâtie daus une île, entre deux bras de l’Azattu, offre un aspect agréable par l’alignement de ses rues et le mélange de ses maisons en briques, et de grands arbres touffus ; de nombreux ruisseaux d’eau vive la traversent en tous sens et contri- buent à y entretenir la propreté. Yanvo est plus grand et plus peuplé que Tandi- Voua; le nombre de ses habitans, y com- pris les esclaves, est à peu près de 40,000 ; après Bihé et Cassanci, c’est le marché central le plus fréquenté. Le palais du mouata ou roi occupe seul une des trois îles que le Rigi entoure de ses bras. Les Moulouas sont les plus industrieux des peuples du Congo; ils savent fabriquer des briques, composent un très-bon ciment, em- ployent le mica pour remplacer le verre à vitre, tissent de jolies étoffes avec les fibres de plusieurs plantes, ficonnent habilement le cuivre, ornent leurs meubles de sculptures, se servent du jaspe pour décorer leurs armes, connaissent l'usage du tour pour tailler et percer les pierres fines dont les femmes font leur parure. Tout ce peuple est d’une grande propreté; sans les su- perstitions grossières et cruelles qui étouffent son intelligence , ses facultés lui ouvriraieut les voies d’une civilisation plus complète. Des mines de cuivre très-riches et peu éloignées d'Yanvo, sont exploitées avec beaucoup d'activité, mais avec peu d’habileté. UÜue longue chaîne de montagnes court au N. des Moulouas; son point culminant est le Zambi, dont laltitude doit être à peu près de 2,458 toises. De son sommet, dénué de végétation, on distingue des ranufications qui se dirigent vers les divers point de l’horizon. A peu de distance, le désert de Tandi se trouve sur le point de par- tage de deux rivières dont les sources sont à moins de deuxlieues de distance l’une de l'autre; V'Agattu coule à l’E., le Hogis à l'O. Les environs d’Yanvo offrent des roches auriferes. Des caravanes viennent du Quilimané et du pays des Cazembis à Yanvo; leur voyage dure 80 jours. Elles rencontrent sur leur route beau= coup de rivières, dont une seule est considé- rable ; c’est le Zamzi, venant du N.; il est large et rapide ; dans la saison des pluies, ses débor- demens forment de vastes marais temporaires, Ces nègres, qui ne connaissent le Kouffoua que par ouï dire, savent seulement que la rivière qu’il envoie à l'E. se dirige vers le N. E.; ils la traversent sur un pont dans le pays des Sa- gniés. Le Rdombegi, qui sort du Kouftoua, en coulant à l’O., finit par envoyer ses eaux au Couango. Le Bomba, royaume au N. des Moulouas, paraît être identique à celui de Mani-Emougi, Sa donunation s'étend vers le N,et le N, E. sur 96 VOYAGE EN AFRIQUE. le pays des Mouenchaï et sur celui des Samouen- chaï. Le Sala, situé à l’O., et dont le roi est connu sous le nom de Micoco-Sala, est probablement identique avec le royaume d’Anzico des anciens voyageurs qui nomment son roi le Makoko. Il réside à Missel ou Monsol, et recoit les tributs de plusieurs chefs ses vassaux. Ea allant au S., on trouve le Cancobella, dont les habitans sont très-féroces; ce pays est baigné par le Bancora, affluent du Couango. On arrive ensuite chez Holoho, duquel dépendent les Mrhungos et les Mouchicongos. Sur le terri- toire de ces derniers est situé Ambriz, qui était autrefois un des principaux entrepôts de la traite des nègres sur cette côte. Les Euro- péens qui la fréquentaient élevaient leurs maï- sons à quelques pieds au-dessus de la terre, afin de se soustraire au désagrément d’habiter dans la poussière. Ces maisons, appelées quibanga, sont construites avec de gros baliveaux, assez longs pour qu’enfoncés en terre il en reste à peu près 7 pieds en dehors ;ilssupportentdes solives sur lesquelles on établit un plancher, et on élève sur cet échafaudage une grande case en paille qui est percée de portes, de fenêtres, tapissée et meublée convenablement. Les nègres, qui en ont le moyen, imitent ces quibangas qu’ils trouvent avec raison plus commodes que les habitations ordinaires (PL. X,—1). Tous les nègres du Congo voyagent à pied, à moins qu’ils n’aient une fortune suffisante pour se faire porter en hamac suspendu à un bambou de 24 ou 25 pieds de long (PL. X,—2). Les nègres du Congo vont presque nus, mais certaines parties de leur corps sont vêtues. Leur grosse cravatte est d'ivoire, il leur faut une longue habitude pour que leur cou endureci n’en soit pas blessé. Leur pagne était autrefois de macoule , c’est-à-dire de paille ; aujourd’hui elle est de toile, d’indienne, de soie, de drap, même de velours. Les riches portent une longue chaîne d’argent qui fait 8 ou 10 tours sur les reius ; ils aiment passionément le corail rouge. La pièce la plus importante de leur toilette est une peau de chat garnie de grelots et de petites clochettes qu’ils mettent sur leur pagne, par- devant. Ce canda, comme ils le nomment, est le cachet de l’honneur. C’est, en quelque sorte, dégrader un homme que le lui arracher; les es- claves'ne peuvent s’en décorer. La pagne des femmes est moins longue que celle des hommes; elles se couvrent le sein d’un morceau de toile; et, quand elles en ont le moyeu, les colliers et les bracelets de corail et de verroteries de diverses couleurs complètent leur parure (PL. X, — À). La langue la plus répandue dans le Congo est le bouuda; elle se subdivise en plusieurs dia- lectes. Cannécattim , missionnaire portugais, a composé une grammaire de cet idiome et un dictionnaire portugais, latin et bounda. Lorsque les voyages effectués dans la Haute- Guinée, à la fin du xvur: siècle, eurent révélé l'existence d’un grand fleuve coulant de l'E. à l'O., les géographes bâtirent à l’envi des systè- mes sur le point de la côte d'Afrique, où devait se trouver son embouchure. Le moins singulier ne fut pes celui qui la supposa identique avec celle du Zaïre. Adopté avidement en Angle- terre, il décida l’expédition, dont le comman- dement fut confié au capitaine Tuckey. Tous les moyens de succès furent prodigués pour la faire réussir, parce qu’on espérait pénétrer par la dans les contrées de l’Afrique intérieure, où une population nombreuse procurerait un dé- bouché assuré aux manufactures de la Grande- Bretagne. Tuckey était accompagné de plusieurs officiers instruits, de Christian Smith, botaniste norwégien, et d’autres savans. Il avait sous ses ordres le Congo et la Dorothée, navires de tran- sport. Parti le 19 mars 1816 de l'embouchure de la Tamise, Tuckey mouilla le 30 juin près de Ma- lembe. Le #a/fouc ( douanier ) du roi nègre fut très-scandalisé d'apprendre que l’on ne venait pas pour acheter des esclaves, et vomit un tor- rent d’invectives contre les rois de l’Europe, qui ruinaient son pays. Le 6 juillet, Tuckey était à l’embouchure du Zaïre, qui est large de 15 milles; son bâtiment ne pouvant remonter le fleuve, il s’embarqua sur /e Congo avec les natu- ralistes. Le 25, on eut en vue le roc de Fétiches, sur la rive droite du fleuve; il est granitique, escarpé et de difficile accès; sa base couverte d’arbres, ses sommets nombreux, la variété et la beauté de la végétation qui orne ses flancs, enfin la longueur de la perspective du fleuve qu’il commande composent un paysage magni- fique (PL. XI, — 1). : Le 5 août, Tuckey passa, avec une partie de son monde, dans des canots et des chaloupes, parce que la hauteur des rives du Zaïre ne per- mettaient plus d’avancer à la voile. Le 10, la rapidité du courant et la quantité des rochers qui obstruaient le lit du fleuve firent penser qu’il conviendrait de continuer le voyage tantôt par terre, tantôt par eau. Il fallut, le 20, pren- dre définitivement la première route, parce qu'une grande cataracte interrompit le cours du _ ne SAÏNT-HÉLENE. fleuve. Les difficultés croissaient à chaque in- stant; les nègres refusaient de porter les far- deaux. Tuckey avait laissé en arrière une partie de son équipage malade. Enfin, parvenu à 280 milles de la mer, il fut contraint de rebrous- ser chemin, et, le 16 septembre, il remonta sur le Congo. Mais la saison des pluies avait com- mencé; chaque jour le nombre des hommes at- taqués de maladies augmentait; la plupart y succombèrent. Tuckey, le cœur navré de tant de pertes, fut conduit, dans un état complet d'épuisement, à bord de la Dorothée; il ÿ mou- rut le 4 d'octobre. Smith le botaniste avait cessé de vivre dès le 22 septembre. CPE Ee CHAPITRE XII. île Sainte-Hélène, — Ile de l’Ascension. Jean de Nova, navigateur galicien au service du Portugal, revenait de l'Inde avec une esca- dre, lorsque le 21 mai 1502 il découvrit Pile Sainte-Héiene. Elle était absolument inhabitée. Un des vaisseaux portugais se perdit sur la côte de cette petite île, éloignée de 450 lieues à l'O. du cap Negro, en Congo, qui en est la terre la plus proche. La longueur de Sainte-Hélène, de VE. à L’O., est de à lieues trois quarts; sa lar- geur, du N. au S., de 2? lieues et demie; sa cir- conférence de 10 ; sa surface d’environ 9 lieues carrées. L’altitude du pic de Diane, point cul- minant de l’île, est de 2,468 pieds; celle des autres montagnes est de 1,400 pieds ; elles sont d’origine volcanique, et forment des groupes aboutissant à une côte escarpée. Les parois des rochers nus et noirs, hauts de 150 à 200 toises, offrent à l’œil une ceinture à peu près continue. Quelques ilots sont répandus le long des côtes. « Du pic de Diane descendent des vallées dans le fond desquelles serpentent de petits fi- lets d’eau douce; les sommets sout presque tou- jours couverts de nuages. La partie au-vent est froide, nue, aride, battue des pluies et d’une humidité intolérable; la partie sous Le vent est sèche et chaude; il y pleut rarement. Si on ex- cepte quelques points privilégiés, la végétation est a peu près nulle. Il fait trop chaud pendant le jour, trop froid pendant la nuit; les fruits n° y mürissent point. Ce n’est qu’à force de soins qu’on peut faire venir quelques raisins, figues et pêches de très-mauvaise qualité, » J.-R. Forster, qui fit avec Cook le second voyage autour du monde, dit que l'aspect de Saiute-Helene, surtout à l’endroit où mouillent les navires, est ce que l’on peut imaginer de AFR, où plus horrible et de plus triste; mais, à mesure que l’on avance, le pays devient moins désolé, et les parties les plus intérieures sont toujours couvertes de plantes, d’arbres et de verdure ; toutefois, on observe partout les marques les plus évidentes d’un grand et total changement causé par un volcan ou par un tremblement de terre qui peutêtre a plongé dans la mer la plus grande partie de l’île. Alexandre Beatson, qui fut, pendant plusieurs années, gouverneur de Sainte - Hélène, pense qu’au temps de sa découverte cette ile et même quelques-uns des précipices penchés vers la mer étaient couverts de forêts de gommiers (conyza gummifera); elles furent détruites par les chè- vres introduites dans l'ile en 1513, et qui s’y multiplièrent tellement, que, suivant le récit de Thomas Cavandish, qui y aborda en 1588, elles composaient des troupeaux innombrables. Elles y sont encore très-nombreuses. On y élève des bœufs et de la volaille. On y voit des sangliers. Les rats y sont très-incommodes, et ravagent les terres ensemencées. La mer est poissonneuse. Sainte-Hélène appartient aux Anglais depuis 1673; Charles IL en fit alors la cession à la Compagnie des Indes-Orientales. Celle-ci a le monopole du commerce de l’île, qu’elle appro- visionne de denrées et de marchandises. La po- pulation est évaluée à 4,500 individus, dont 3,000 esclaves nègres. James-Town, sur la côte N. de l’île, située par 15° 569’ de lat. S. et 8° 9° de lat., sur une baie, est à l’issue d’une petite vallée offrant un des points très-peu nombreux où l’on peut dé- barquer. Tous sont couverts de batteries, no- tamment devant cette bourgade, qui est la capi- tale (PL. X — 3). Les habitans passent presque toute l’année dans leurs maisons de campagne. James-Town est sous le vent; elle a un bon an- crage et de l’eau excellente. Les tempêtes sont inconnues à Sainte-Hélène; les orages y sont très-rares. En 1819, on y ressentit un tremble- ment de terre assez fort qui s’étendit dans la direction de l’Ascension. Sainte-Hélène a, de nos jours, acquis une cé- lébrité impérissable; elle fut, pendant cirq ans et demi, la prison de Napoléon Bonaparte. Après avoir épuisé tous les Benxes de gloire, abattu par Je nombre de ses ennemis, il y fut amené à la fin de 1815, ety mourut le 5 mai 1821.11 yÿ montra une véritable grandeur dans l’adversité. Malgré ses fautes, la France lui doit une reconnaissance éternelle pour l’avoir délivrée de l’anarchie et dotée d’institutions que les gouvernemens pré- cédens wavaient pu réussir à lui donner. 13 PA: « El habitait Longwood, maison située dans Ja partie orientale de l’île, sur un plateau d’une demi lieue de tour environ, à 1650 pieds d’élé- vation, ayant vue sur le côté de la mer, par où arrivent les bâtimens. C’est la partie la plus malsaine, constamment battue des vents alizés, sujette à des variations de température de plus de 20° Réaumur dans l’espace d’une heure et à une humidité insupportable. » Le général Bertrand choisit, pour inhumer Napoléon, le voisinage d’une source où il s’était reposé, et dont il avait bu l’eau dans sa dernière maladie. Sur la côte d’une vallée inculte de plus de 1,000 pieds de profondeur sont quel- ques saules pleureurs forts petits qui ombragent un léger filet d’eau douce. Au milieu d’eux, on creusa la tombe du défunt; il y est descendu enveloppé du manteau de Msrengo. Une pierre la ferme à fleur de terre. Aucune inscription n’apprend qui elle couvre. » Nous empruntons ces détails et quelques au- tres que l’on a lus plus haut de M. E. de Las Cases, qui, avec son père, partagea pendant un an Ja captivité de Napoléon et lui servit de se- crétaire. Lorsque Jean de Nova allait du Portugal aux Indes, il rencontra, par 1° 55” de lat. S: et 160 43° de long. E., une île nouvelle qu’il nomma la Conception. Deux ans après, Albuquerque, qui y toucha dans son voyage aux Indes, appela V Ascension. Elle est à 262 lieues au N. N. O. de Sainte-Hélène, et à 350 S. S. O. du cap des Palmes en Guinée. Elle a environ 3 lieues de long sur 2 de large et 21 de circonférence. Sa surface est couverte de scories volcaniques, et, au centre, s’élève une montagne de pierre ponce nommée par les Anglais Green-Mountain, et dont l'altitude est de 2,400 pieds. Quoique cette cime soit souvent enveloppée de nuages, rarement ils se condensent assez pour donner de la pluie. G. Dampier, célèbre navigateur anglais, en revenant de la Nouvelle-Hollande, échoua sur cette côte le 22 février 1701; son navire, qui tombait de vétusté, ne put se relever, Dampier aborda heureusement à terre sur un radeau avec son équipage. « Le lendemain de notre ar- rivée, dit-il, nous eûmes beaucoup de joie d'y trouver une source d’eau douce à 8 milles de l’endroit où nous avions dressé nos tentes, au- delà d’une fort haute montagne où il fallait grimper... Elle est au S. E., à environ un demi-mille du sommet. Il y avait tout auprès quantité de chèvres et de crabes de terre; mais l'air y est fort malsain à cause des brouillards 98 - VOYAGE EN AFRIQUE. qui s’y élèvent, et qui le rendent excessivement froid. » Le 8 avril, un navire anglais recueillit Dampier et ses compagnons. C’est avec raison qu’on a donné à ces sources le nom de Dampier. Elles sont bien précieuses pour l’île, puisque ce sont les seules. Elles fournissent une si petite quantité d’eau, que chaque homme n’en a que trois pintes par jour. Pierfe Osbeck, naturaliste suédois qui attérit à l’Ascension en 1752 et y demeura trois jours, n’y trouva que 5 végétaux phanérogames et 3 cryptogames. La fréquentation des hommes et des animaux en a augmenté considérablement le nombre. | Autrefois, on ne s’arrêtait à l’Ascension que pour y prendre des tortues et pour voir si quel- que navire n’y avait pas déposé, dans une cavité destinée à cet usage, des lettres adressées aux marins qui y viendraient plus tard. En 1815, la Grande-Bretagne pensa qu’il lui convenait d’é- tablir un poste sur ce rocher, pour la plus grande sûreté de Sainte-Hélène. Aujourd’hui, la petite colonie de lAscension se compose de 240 personnes, hommes, femmes et enfans. Une bonne route mène à la Montagne-Verte, où des étables et des écuries ont été bâtis; un beau réservoir en pierre recoit l’zau des sources de Dampier ; des canaux en fonte la conduisent au rivage. Des cultures en plantes potagères, en cannes à sucre, en arbres fruitiers et forestiers couvrent une surface de 1,200 arpens. Les pou- les et les pintades, abandonnées à elles-mêmes, se sont multipliées prodigieusement. Un réser- voir a été creusé sur la plage pour y tenir des tortues en dépôt. La mer abonde en poissons excellens. « Ainsi, comme le dit avec raison un des officiers de M. d’Urville, cette île de l’Ascension, jadis déserte, commence mainte- nant à offrir un coup d’œil intéressant à l’ob- servateur, et c’est une preuve de ce que peutun bon système administratif, suivi avec constance, dans les lieux qui semblent le moins propres à être habités. » CHAPITRE XIV. Guinée, Les Européens ont donné le nom de Guinée à la contrée de l’Afrique occidentale comprise entre l’embouchure de l’Assazi ( 1° S.), près du cap Lopez Gonsalvo et le Rio Nunez (10 N.). Sa longueur est ainsi de 750 lieues. Ses côtes, baignées par l’océan Atlantique, se dirigent du S. au N., puis de l'E. à l’O., enfin du S. E. au Cité ft € Ze ACTA € om GUINÉE. N. O., et sont appelées côtes de Gabon, de Bia- fra, de Calabar, de Benin, des Esclaves, d’Or, des Dents, des Graines, de Sierra Leone. L’enfoncement formé entre le cap Lopez et le cap des Palmes ( 1° 15? N.) comprend ceux de Biafra et de Benin, séparés par le cap Formoso. Les fleuves les plus remarquables qu’il reçoit sont l’Assasie, le Gabon, la rivière Saint-Jean, le Rio de los Camerones, le Rio del Rey, entre lesquels s'élèvent les hautes terres d'Ambozes, le Calbary, le Rio Formoso, le Rio Benin, qui sont les bras principaux d’un grand fleuve em- brassant un vaste delta; le Rio Lagos, le Rio Volta, l’Ancobra ; puis, en remontant au N., on trouve le Rio Sestos, le Rio Mesurado, le Cherbro et la Rokelle ou rivière de Sierra-Leone.Onare- monté cette dernière jusqu’à sa source; on pré- sume que toutes les autres, jusqu’au Benin, sor- tent de la chaîne des montagnes de Kong, qui se dirige parallèlement à la côte, en courant vers l'E. On ignore où est son extrémité de ce côté; on conjecture que, sur quelques points, elle est couverte de neige, au moins en hiver. Quant aux fleuves au S. du Rio del Rey, à peine les a-t-on remontés à quelques lieues de la mer. Parmi les îles du golfe de Guinée, les plus importantes sont celles de Fernando-Po, du Prince, de Saint-Thomas et d’Annobon. De même que les côtes du continent, en général fort basses, elles sont exposées aux chaleurs les plus ardentes de la zone torride. Le mois d’août est le plus malsain; les brouillards qui s’élèvent alors causent des fièvres; le même effet est produit en mars par le commencement des pluies. Vers la fin de décembre, le harmatian, vent du N. E. très-fort, se fait sentir et dure quelques mois ; il est incommode pour les habitans, qui le trouvent froid; il sèche la terre et assainit l'air. Septembre et octobre sont les mois les plus chauds; novembre, quoique pluvieux, passe pour un mois salubre. Les nuits sont générale- ment très-belles, et la lune y brille de l'éclat le plus pur. Le harmattan est toujours accompagné d’une espèce de brume, ce qui fait paraître le soleil rougeâtre, Comme il dessèche complètement les arbustes et l’herbe, qui jaunit sur pied, les nè- gres profitent de cette circonstance pour y met- tre le feu, et ils détruisent ainsi beaucoup de reptiles et d'insectes malfaisans. Le commence- ment des pluies périodiques en avril est annoncé par de grands coups de vent du N. E., appelés T'ornados, par corruption du mot portugais (ra- vados. {ls sont accompagnés de violens coups de tonnerre, auxquels succède une pluie très-forte 99 qui dure deux ou trois heures. Ces pluies, hu- mectant la surface de la terre, durcie par 6 ou 8 mois d’une sécheresse excessive, dégagent des vapeurs extrêmement nuisibles à la santé des Européens. ; La nature des montagnes n’a pas encore pu être observée en détail; on sait qu’il y en a de primitives; on y a vu du granit et du gneiss; l’or est commun dans plusieurs endroits; on trouve aussi du fer; mais les nègres ne sont pas assez habiles pour le découvrir partout où il existe. De même que dans tous les pays situés sous la zone torride, la végétation est en Guinée d’une richesse extraordinaire. Les bords des rivières, voisins de la mer, sont remplis de mangliers, dont les branches les plus basses sont couvertes d’huîtres. Les palmiers sont très-communs ; et les forêts, tellement fournies d'arbres, d’ar- brisseaux et d'herbes, qu’elles paraissent im- pénétrables. Des plantes sarmenteuses, entortil- lées ensemble et chargées de végétaux parasites, tombent du haut des branches, reprennent ra- cine en touchant la terre, s’attachent, en grim- pant de nouveau, à d’autres arbres, et semblent réunir toutes les forêts en une seule masse; de tous côtés pendent des festons de fleurs aux couleurs les plus vives et les plus variées. Parmi les arbres remarquables, on peut citer le chi ou onoougoa, qui est très-grand et de la famille des sapotilliers ; à sa fleur, de couleur rouge, succède un fruit charnu renfermant une cosse où sont contenues quatre ou six amandes. On fait bouillir celles-ci, puis on en exprime l’huile, ou bien on la retire quand elle surnage sur l’eau. Les voyageurs disent que cette substance, devenue concrète par le refroidissement, a le goût du beurre frais; on s’en sert pour l’assai- sonnement des mets; c’est ce qu’on nomme ail- leurs beurre de Galam. D'autres arbres ont le tronc assez gros pour qu’on y creuse une grande pirogue; d’autres rappellent, par leur aspect, le baniane de l'Inde; on voit, dans ce pays, l'énorme baobab { A4an- sonia digitala), le sablier (Jura crepitans), le goyavier, le tamarinier, le citronnier, l’oranger, le papayer, le bananier, le cotonnier, le tabac, l’ananas, la canne à sucre, le maïs, le sorgho, diverses espèces de melons, de haricots, de pois, l'indigo, l’igname, le manioc, la patate, l’ara- chide et une foule d’autres plantes qu’il serait trop long d’énumérer. Parmi les désagrémens de ces contrées, on peut compter la multitude d’insectes incommc- des et malfaisans. Les termites et les fourmis 100 causent des ravages immenses dans tous les lieux habités et dans les champs cultivés. Les pre- miers Lâtissent en terre des huttes coniques for- tement cimentées, dans lesquelles ils vivent à l’abri de leurs ennemis; ils détruisent toutes les substances animales ou végétales qu’ils rencon- trent; les fourmis se jettent même sur les ani- maux vivans, et ceux-ci ne peuvent s’en débar- rasser qu’en se plongeant dans l’eau. C’est en septembre et en octobre que l’on est le plus tourmenté. Pour se défendre contre elles, le feu, le fer, l’eau, la poudre à canon ne sont pas tou- jours des moyens suffisans. Il y en a une espèce qui construisent, sur des branches, des habita- tions semblables à des ruches. On trouve, dans beaucoup d’endroits, une prodigieuse quantité d’abeilles pareilles à celles d'Europe; elles établissent leurs ruches dans des cavités souterraines ou dans les creux des - arbres. Les nègres savent en tirer fort adroite- ment le miel et la cire. La multitude de cousins, de maringouins et de mouches est incroyable. On est obligé d’em- ployer de jeunes esclaves pour les chasser pen- dant le sommeil ou durant les repas. Les voya- geurs font mention d’énormes scorpions, de scolopendres, de mille-pieds, de plusieurs va- riétés de sauterelles et d’autres insectes qui in- festent ces régions. On y voit, en revanche, de très-beaux papillons et des coléoptères, dont les élytres, à reflet métallique, produisent un effet extrêmement brillant, La mer abonde en nombreuses espèces de poissons bons à manger; quelques-unes sont particulières à ces parages; d’autres se re- trouvent ailleurs. Les descriptions de quelques- uns de ces poissons par des voyageurs peu instraits offrent des traits d’une bizarrerie re- marquable. Les nègres sont très-habiles à la pêche, qu'ils pratiquent de différentes ma- nières, Ils ne sont pas moins hardis à affronter les crocodiles, qui remplissent toutes les eaux de l’intérieur, où ils causent des dommages nota- bles aux hommes, aux bestiaux et aux animaux sauvages. Les autres sauriens, soit terrestres, soit aquatiques, sont de même très-répandus. Les serpens sont très-communs, plusieurs sont venimeux, et d’autres, tels que les boas, d’une grosseur énorme. Ils se tiennent en embuscade dans les lieux aquatiques; et, s’élancant sur leur proie, ils l’étranglent, puis lui brisent les os en la serrant des nombreux replis de leur corps ; c’est ainsi qu'ils viennent à bout des plus gros animaux. Ensuite, ils étendent leur victime sur @ VOYAGE EN AFRIQUE. la terre, la couvrent de leur bave, qui est une salive très-muqueuse, et commencent à l’avaler, la tête la première. Dans cette sorte de dégluti- tiou, les deux mâchoires du boa se dilatent con- sidérablement; il semble avaler un aliment plus gros que lui. Cependant la digestion commence à s’opérer dans l’œsophage : alors le serpent s’en- gourdit, et il devient très-facile de le tuer, car il n’oppose aucune résistance, et il lui est im- possible de s’enfuir; aussi les nègres vont-ils à la recherche de ces serpens afin de s’en procu- rer la chair, qu’ils aiment beaucoup. Enfin di- verses espèces de grenouilles, de crapauds, de tortues complètent la classe des reptiles, si ri- che dans les contrées intertropicales. Menrad, voyageur danois, dit que parmi cette multitude d'oiseaux, qui, dans la Guinée, éta- lent aux yeux des couleurs si belles et si écla- : tantes, il n’en est pas un qui charme par les accens de sa voix. Le soir, un frémissement gé- néral formé par un mélange de bruits confus se fait entendre de toutes parts, mais aucun son harmonieux ne porte à l'oreille de l’homme de douces sensations. Des cris sauvages et des hur- lemens lui rappellent qu’il habite la plus triste et la plus inhospitalière partie du monde. Dans le jour, depuis dix heures jusqu’à trois, il règne un silence tel, que la nature entière semble frappée de mort dans ces régions; la nuit y est le temps du mouvement et de la vie. Parmi les oiseaux domestiques, on voit des poules, des canards, des oies, des pigeons; les pintades et une espèce de perdrix sont très- communes. Les bords des marécages, des étangs et des rivières sont fréquentés par des pélicans, des spatules, des bécasses, des hérons, des ai- grettes, des flamans, des vanneaux, des grues, des grues couronnées et beaucoup d’autres oi- seaux échassiers. Les oiseaux de proie ne sont pas moins nombreux. Enfin les perroquets, d’espèces très-variées, volent par troupes multi- pliées et causent de grands dégâts dans les champs. Beaucoup d’espèces de singes vivent dans la Guinée : le champanzé, le plus grand de tous, a été confondu avec l’orang-outang, qu’il sur- passe peut-être en intelligence ; le mandrill est hideux ‘par son museau de chien; le callitriche ou singe vert, ainsi nommé de la nuance de son _pelage, est le plus doux de cette famille, Les nègres élèvent des bœufs, des buffles, des mou- tons et des chèvres; les moutons ont du poil au lieu de laine ; les chevaux sont petits et laids; l'âne, au contraire, est beau et robuste. Les chameaux sont peu communs; les gazelles et les | GUINÉE: autres antilopes parcourent les campagnes peu habitées. On rencontre, dans les lieux maréca- geux, le sanglier d'Éthiopie à l'aspect hideux ; le sanglier ordinaire est moins gros qu’en Eu- rope, et le cochon est également petit. L’hippo- potame peuple les grands fleuves et les lacs, et l'éléphant habite les forêts et les plaines. Le lion, la panthère, l’hyène, le chacal et d’autres animaux carnassiers vivent aux dépens de ces mammifères paisibles. Le chien est, comme dans nos contrées, le compagnon de l’homme; ‘et, ce qui est réellement surprenant, on ne le voit jamais attaqué de la rage dans ces contrées, dont le climat est si ardent. L’habitant de cette région de l’Afrique est le nègre, reconnaissable à son teint noir, ses che- veux crépus et laineux, son crâne déprimé, son nez écrasé, son museau saillant , ses grosses lè- vres, ses hanches saillantes, ses reins cambrés, ses extrémités inférieures courtes; il exhale une odeur particulière qui se sent de très-loin. Ses traits généraux sont quelquefois modifiés par les localités, et les Européens qui ont vécu long- temps en Guinée et dans tous les pays habités par les nègres, distinguent, au premier coup d'œil, à quelle nation appartient l'individu qu’ils apercoivent de cette race. Ce sont ces nègres qui, depuis le commence- ment du xvr° siècle jusqu’à nos jours, ont été la principale marchandise qui s’exportait par mer. C'était une source inépuisable de revenus pour leurs rois ; ils vendaient non-seulement les pri- sonniers faits à la guerre, entreprise souvent pour se les procurer, mais aussi leurs propres sujets, qu’ils enlevaient du milieu de leurs fa- milles; celles-ci ne se faisaient pas le moindre scrupule de prendre dans leur sein un ou plu- sieurs individus qui étaient livrés en échange de marchandises. La traite s’alimentait ainsi. Au- jourd’hui, elle n’a plus lieu qu’à la dérobée ; mais le sort de la population ne s’est pas amélioré. Suivant une tradition répétée par, plusieurs auteurs, des marchands de Dieppe expédièrent, dès le milieu du x1v° siècle, des navires à la côte de Guinée, et ne tardèrent pas à y fonder une colonie. Le commerce y fut très-florissant jus- qu’en 1413; les guerres civiles, qui commencè- rent à troubler la France à cette époque, le firent tomber dans une langueur telle, que les Normands furent obligés d'abandonner tous leurs établissemens. On allègue, pour preuve de ces faits, les noms de plusieurs lieux, qui sont ceux de villes de France. Mais comme les grands historiens de ce royaume n’ont jamais parlé d'entreprises de cette nature, on peut regarder 101 la tradition que nous venons de rapporter comme dénuée de fondement. Il est avéré, au contraire, que les Portugais découvrirent la côte de Guinée en 1452; ils y souffrirent beaucoup de l’intempérie du climat; leur vaisseau fut poussé sur l’île Saint-Thomas. D’autres expéditions succédèrent à celle-ci; l’une, sous la conduite de Jean de Santarem et de Pierre Escovar, en 1471, s’occupa de bâtir des forts. Par la sute des temps, toutes les nations maritimes de l’Europe fréquentèrent la côte de Guinée, et plusieurs y fondèrent des établisse- mens qu’elles yont conservés. Des navigateurs et des commerçans, qui fréquentèrent cette con- trée, en ont écrit des relations. On en a aussi de quelques missionnaires, que leur zèle y amena. Les plus anciennes sont contenues dans des recueils de voyages ; les plus remarquables de celles qui ont été publiées à part sont celles de Villaut, Français (1666); d'Eibée, Français (1669); Barbot, Français (1680); Loyer, domi- nicain français (1701); Bosman, Hollandais (1704); Desmarchais, Français (1724); Smith, Anglais (1726); Snelgrave, Anglais (1727); Pruneau de Pommegorge, Français (1743- 1769); Rômers, Danois (1760); Norris, Anglais (1772); Isert, Danois (1783); Matthews, Anglais (1785); Beäver, Anglais (1792); Watt, Anglais (1794); Meredith, Anglais (1812); Hutton, An- glais (1816-1320 ); Bowdich, Anglais (1817); Dupuis, Anglais (1820); Laing, Anglais (1821). En allant le long de la côte, du S. au N., puis de VE. à l’O., on rencontre les territoirés des différens peuples qui l’habitent; les Européens les ont appelés des royaumes. Les uns sont très- circonscrits, d’autres ont une grande étendue ; les uns sont tributaires, d’autres indépendans; quelques-uns se sont agrandis aux dépens de leurs voisins; enfin presque tous ont subi les vicissitudes ordinaires aux choses terrestres. La côte du Gabon n’offre que de petits états peu importans ; ceux de l’intérieur, bien plus considérables, ne sont connus que par des rela- tions vagues : les Européens, qui ont voulu y pé- nétrer, ont péri victimes de l’intempérie du cli- mat. Le Benin est puissant : on dit qu’il s’étend à 20 journées de marche de la mer ; le Lagos, le Badagri, l’Ardrah le cèdent en étendue au Da- homey; le Juidah fut jadis important; l’'Achant, fondé depuis plus d’un siècle, compte plusieurs états tributaires ; le Cavally est une espèce de république oligarchique ; le Sangouin est près du cap des Palmes ; le Soulimana, le Kouränko, le Timanni, sont les états les plus septentrionaux. La forme du gouvernement est en général le 102 VOYAGE EN AFRIQUE despotisme le plus absolu; le roi consulte par- fois ses cabocirs ou capitaines. Les villes sont quelquefois très-vastes et entourées de fossés profonds ; les maisons sont en terre, de forme ronde , basses, couvertes en chaume ou en feuilles de palmier ; les palais ne se distinguent que par leurs plus grandes dimensions. La religion ne consiste que dans le fétichisme le plus grossier; tout objet peut être fétiche, et par conséquent sacré ; c’est un crime d’y tou- cher. Des jongleurs exploitent la crédulité pu- blique; on les consulte avant d’entreprendre quelque affaire importante, et leur réponse, qu’il font au nom du féuche, est toujours bien payée. Presque partout le vêtement consiste en une pagne dont la largeur diffère et dont la lon- gueur est de trois où quatre aunes : on la met en écharpe ou en forme de ceinture; on la dis- pose en manteau. Celle des pauvres est siétroite, qu’elle cache à peine leur nudité. Les femmes sont très-oceupées de leur parure; elles se font une étude d’arranger leurs cheveux avec une sorte d'élégance, de les poudrer avec une terre rouge après les avoir enduits d’huile de palmier, de les orner de corail, de verrotérie, d’aigrettes ; elles se parent de colliers, de pendeloques, de bracelets, d’anneaux, de chaînes de métal. La nourriture ordinaire est le mil ou sorgho broyé et cuit à l’eau, ou bien des ignames, des patates, du manioc ou des herbes bouillies sur lesquelles on jette un peu d’huile de palme. Un morceau de poisson est un régal. L’excès de la bonne chère est la viande de mouton, de bœuf et la volaille, Bosman observe que si les nègres sont sobres, c’est par avarice, et qu’en revanche ils sont disposés à boire beaucoup. Leur boisson ordinaire est l’eau ou le vin de palme, qui, d’a- bord , est fort doux , mais qui s’aigrit en vingt- quatre heures; les nègres le gardent ainsi deux autres jours pour avoir le plaisir d’y trouver une, certaine âpreté qui leur râcle la gorge et qui les flatte bien plus qu'un goût emmiellé; enfin ils aiment passionnément le vin, l’eau-de-vie et les liqueurs fortes, que leur donnent les Européens. On conçoit que l’industrie de ces peuples est très-bornée : ils font des gamelles, des plats, des assiettes et d’autres vaisseaux de bois, et des calebasses, des nattes de joncs, des toiles de coton qui n’ont que à à 6 pouces de largeur, et qu’ils joignent par pièces au nombre de 10 à 12 pour qu’elles deviennent des pagnes. Quelques- unes sont teintes en bleu; ils fabriquent aussi des poteries et des pipes à fumer et tannent le cuir. Quelques-uns savent tailler les pierres fines et l’ivoire,, . ….- . | k La profession dans laquelle ils montrent le plus d’adresse et d'intelligence est celle de for- geron : avec un petit nombre d’instrumens grossiers ils faconnent des sabres, des haches, des couteaux, des serpes, des bêches, qui sont d’une dureté passable et d’un fort beau tran- chant. Ces mêmes forgerons font des boîtes à mettre des parfums, des bracelets, des anneaux d’or et d’argent et les bijoux qui entrent dans la parure des femmes. Le long de la côte, les nègres vont à la pêche du poisson ; dans les campagnes ils cultivent la. terre ; les femmes partagent ces travaux, et en outre prennent soin des enfans, broient le mil. Fort souvent elles s’exténuent pendant que le mari reste tranquillement assis à fumer devant sa case. Dès que le soleil est couché, commence le temps des divertissemens : les sons rauques d’une trompette et ceux d’une espèce de tam- bourin se font entendre, et aussitôt toute la po- pulation se livre à la danse, qui dure toute la nuit. Les chants et les concerts d’un village ré- pondent à ceux d’un autre. Les nègres sont extrêmement adonnés au jeu. Celui qu’ils nom- ment ouri offre des combinaisons ingénieusts. Les funérailles d’un nègre sont, comme chez tous les peuples barbares , accompagnées de san- glots, de hurlemens et de cris épouvantables : le corps est mis dans un cercueil avec ses plus beaux habits, quelques ustensiles de cuisine, des bijoux, des armes, et on l’enterre dans un endroit écarté. Cette cérémonie terminée, tous les assistans reviennent à la maison du défunt et l’on se réjouit à boire et à manger pendant plusieurs jours. Les obsèques d’un roi ou d’un personnage considérable se célèbrent par d’effroyables mas- sacres. On immole sur leurs tombeaux leurs femmes, plusieurs de leurs officiers et leurs esclaves , quelquefois au nombre de plusieurs milliers. Ces boucheries ont lieu également aux grandes fêtes. On ÿ sacrifie aussi des animaux. Depuis que les Europcens fréquentent la côte de Guinée , les nègres connaissent l’usage des armes à feu; ils mettent la poudre dans une corne de bœuf, Les cavaliers sont armés d’une lance, d’un arcet de flèches. Les grands person- nages ont des chevaux complètement capara- connés et sont vêtus d’une espèce de grand man- teau ; leurs jambes et leurs cuisses sont envelop- pées de toiles de coton, leur tête est couverte d’une espèce de turban surmonté de cornes et derrière lequel pend une touffe de crins (PL. XI — 2). y, » - C L { À _ f ) 7) « 7, Le € 4 DIHHC CIE Ze Pt e / g/ LANCE ) PAP Vegrefsa de CLoudan/ FAO: IV 1FRIQUE 2 XII. LRg. 102. er” GUINÉE. 3 F Lorsque Bowdich entra dans Coumassie avec quelques-uns de ses compatriotes, plus de 5,000 hommes, la plupart militaires, vinrentau-devant d’eux avec une musique guerrière étourdissante et qui n’était discordante que par sa confusion. Des décharges continuelles de mousqueterie les entouraient d’une épaisse fumée et ne leur per- mettaient pas de voir Les objets quise trouvaient loin d’eux. On leur fit faire halte pendant que les capitaines exécutaient une danse pyrrhique au milieu d’un cercle formé par les guerriers. On y voyait une multitude de drapeaux anglais, hollandais et danois ; ceux qui les portaient les agitaient en tous sens avec un enthousiasme qui ne pouvait se comparer qu’à celui que mettaient à leur danse les capitaines qui, tout en dansant et en faisant des gestes, des contorsions d’éner- gumènes, tiraient des coups de fusil de si près que les drapeaux ne se voyaient qu’au milieu des tourbillons de feu et de fumée. Leur suite, pla- cée derrière l'ambassade, faisait aussi des déchar- ges continuelles. Le costume des capitaines était le bonnet de guerre , orné de cornes de bélier dorées qui leur couvraient le front, chargé des deux côtés d’une immense quantité de grandes plumes d’aigle, et attaché sous le menton par une chaine de cauris. Leur vêtement était de drap rouge qu’on apercevait à peine sous la multitude de fétiches et de grigris en or et en argent, et d’ornemens brodés de toutes couleurs, qui les couvraient et qui battaient contre leur corps pendant qu’ils dansaient. D’autres orne- mens étaient mêlés de petites sonnettes de cui- vre, de cornes et de queues de divers animaux, de coquilles, de couteaux. Leurs bras étaient nus et des queues de léopard y étaient suspendues. Ils portaient des pantalons de coton fort larges et de grandes bottes de cuir rouge qui montaient jusqu’à moitié de leurs cuisses et qui étaient atta- chées à leur ceinture par de petites chaines. Cette ceinture était aussi ornée de sonnettes, de queues de chevaux, de morceaux de cuir et d’un nombreinfinid’amulettes. Un petitcarquois rempli de flèches empoisonnées était suspendu à leur poignet droit er ils tenaient entre les dents une longue chaîne de fer au bout de laquelle était suspendu un papier chargé de caractères mauresques. Ils portaient à la main gauche une petite javeline couverte d’étoffe rouge et de morceaux de soie. La peau noire de leur visage et de leurs bras ajoutait à l’effet de ce costume singulier et leur donnait une figure à peine hu- maine (PL. XI — 4). _ Coumassie est à peu près à 45 lieues de la æôte, sur le flanc d’un immense rocher ferru- 108 gineux. Au N., elle estbornée par un marais qui contient plusieurs sources d’eau potable ; les exhalaisonsquien sortentremplissent l'air, matin et soir, d’un brouillard épais et occasionnent la dyssenterie. Coumassie à près de 4 milles de circonférence ; quatre des principales rues ont un demi-mille de long, et 15 à 30 pieds de large et bien alignées. Toutes ont desnoms etchacune est sous la garde d’un cabocir. Le palais est en- touré d’un grand mur par devantetsur les côtés, le marais lui forme un rempart naturel par der- rière; il comprend les demeures des frères du roi et de quelques grands personnages, ainsi que deux ou trois petites rues où le roi se pro- mène lorsque, pour se conformer aux supersti- tions, il ne sort pas du palais. Bowdich a décrit l’extérieur de la chämbre à coucher de ce monarque : elle forme le côté d’une cour de 30 pieds en tout sens ; les arbres que l’on voit dans un coin sont des fétiches, de même que les chiffons suspendus à de longues perches , et les coupes de cuivre soutenues par des bâtons fourchus. Au-dessus des portes , de forme elliptique, et reconnaissables à leur sur- face qui offre un échiquier en relief, pendent des sacs contenant des amulettes écrites par des musulmans (PL. XI — 3). La doctrine de Mahomet tend à se propager dans la Guinée. Dupuis vit à Coumassie un corps de 300 musulmans, dont l’attitude posée con- trastait fortement avec l'allure bruyante des Achantins : leur costume variait; quelques-uns avaient; une tunique sans manches, tombant jusqu’aux genoux, et par dessous une autre plus longue ; leur coutelasétaitenfermé dans un four- reau attaché à un cordon assez court; ils étaient munis d’une lance et coiffés d’un turban en co- ton, garni de divers ornemens et d’amuleites (PL. XI — 4). Les Néderlandaïs possèdent, sur la côte de Guinée, plusieurs forts et d’autresétablissemens; le principal est celui d’Elmina. Les Danois y ont Christiansbourg et d’autres postes fortifiés : ils s'occupent avec zèle de répandre parmi les nègres les bienfaits de la civilisation. Les Por- tugais ont dans le golfe de Guinée les îles de San-Thomé et Do Principe, toutes deux fertiles et bien boisées. En 1778, ils cédèrent l’ile d'Annobon aux Espagnols, qui n’en prirent point possession. Les Anglais s’y sont établis, et y ont construit le fort Clarence sur un terrain acheté aux indi- gènes : cette colonie est florissante. Ils ont aussi sur la Côte d’Or et sur la Côte des Esclaves plu- sieurs forts, entre autres Anamabou et le Cap- 104 Corse, résidence d’un gouverneur-2énéral. Ils ont essayé de fonder, dès 1787, au S. de l’embou- chure de la rivière de Sierra-Leone , une colonie habitée par des nègres libres qui propageraient le christianisme et la civilisation parmi Les Afri- cains. L’exécution de ce plan louable a coûté la vie à presque tous les blancs qui sont venus y coopérer. La ville de Freetown et plusieurs vil- lages ont néanmoins prospéré: des écoles et une imprimerie y ont été établies. Une tentative semblable a été faite par une compagnie de Nord-Américains : ils ont fondé à VE. S. E. de Sierra-Leone, sur les bords du Mesurado, à l'E. du cap de Monte, la colonie de Liberia ; elle est habitée par des nègres déli- vrés de l’esclavage, et a pour chef-lieu Monro- via, petite ville fortifiée avec un port. Selon les rapports les plus récens, elle est dans un état assez satifaisant ; elle a résisté aux attaques de tribus réunies pour l’anéantir; et son influence bienfaisante se manifeste sur les peuplades voi- sines. Quoique les Européens eussent fréquenté depuis le xv° siècle la côte de Sierra-Leone, dont le nom signifie la montagne de la lionne, ils n’avaient pas essayé de remonter le fleuve, qui a son embouchure au nord du promontoire duquel dérive cette dénomination qu’il partage. En 1822, Gordon-Laing, major d'infanterie en garnison à Free-Town, fut chargé par sir Char- les Maccarthy d'opérer une réconciliation entre deux rois nègres, qui se faisaient la guerre, et de prendre des informations sur l’industrie et le commerce de plusieurs pays de l’intérieur. Laing partit Le 8 février, et revint le 9; et, d’après les renseignemens qu’il rapporta, il fut décidé qu’il irait dans le pays des Soulimas où l'or et l’ivoire abondent. Il seremit en route le 16 avril en suivant la rive gauche de la Ro- kelle, nom du fleuve de Sierra-Leone avant qu’il entre dans l’estuaire formant son embouchure. Laing était alors dans le Timanni. On ne peut cheminer, dans ces royaumes nègres, qu’après avoir terminé des palabres ou négociations avec les chefs ; des présens leur sont faits à cette oc- casion, et tout cela occasionne des délais très- ennuyeux. « À Ma-Boung, au moment où nous allions partir, dit notre voyageur, uh de mes gens s’a- pereut qu’il manquait un fusil dans mon paquet; j'adressai ma plainte au chef du village et à mon guide, qui, d’après l’usage du pays, était tenu de veiller à la sûreté de mes effets. Celui-ci insista pour voir l’homme au grigri ou magicien. Cette demande ne lui fut accordée qu’après une VOYAGE EN AFRIQUE. violente opposition ; alors parut un homme sëtu de la manière la plus extraordinaire : sa tête soutenait un énorme échafaudage de crânes, d’ossemens et de plumes ; il avait les cheveux et la barbe dressés en forme de serpents : son ap- proche fut annoncée par le carillon de morceaux de fer qui, attachés à ses jointures, marquäient chacun de ses mouvemens : il fit plusieurs fois le tour de l’assemblée, puis, se plaçant au centre, il s’informa de la cause qui l’avait fait appeler. Quand on l’en eut instruit, il agita plusieurs fois sa baguette en l’air, et ensuite s’en alla dans un bois voisin où il resta un quart d'heure, À son retour, il parla assez longtemps et finit par nom- mer l’homme qui avait volé le fusil; ajoutant qu’il était bien fâché de ce qu’on ne pouvait pas recouvrer cette arme immédiatement parce quele larron était en ce moment bien loin. Je donnai à l’homme au grigri une tête de tabac pour sa peine, et je m’imaginais qu'il m'avait fait un conte ; je me trompais, car, plus tard, en reve- nant à Sierra-Leone, je retrouvai mon fusil qu’on avait repris au voleur. » En sortant d’un autre village, Laing eut à se plaindre d’un homme qui prétendait être le grigri de Ba-Simera , et qui, accompagné d’une douzaine d’autres, essaya de s’emparer d’une partie des vêtemens des gens de la troupe; heu- reusement on était sur ses gardes et les projets de ces brigands furent déjoués (PL. XIL — 1). Suivant Laing , les femmes de Ma-Boung sont extrêmement jolies, très-agréables et très-aima- bles : elles montrent un si vif désir d’être pré- venantes et attentives pour les étrangers que leurs agaceries causent souvent des accidens sé- rieux et très-déplaisans. Comme toutes celles du Timanni, elles n’ont pour vêtement qu’une pa- gne. Elles aiment beaucoup à orner leur tête, leur cou, leurs bras et leurs poignets de grains de verroterie (PL. XII — 2). Dans le Kouranko, le roi fit un accueil itrès- gracieux à Laing et même lui rendit visite pour lui exprimer ses regrets de ce qu’un long pala- bre avait mis obstacle à son départ; « il ajouta, poursuit notre voyageur , qu’ilavait donné ordre à plusieurs musiciens de danser pour m’amuser, Quelques minutes après, je vis entrer dans ma cour un homme tenant une espèce de violon. « Dès qu’il eut commencé à en jouer, les dan- seurs déployèrent leur agilité avec plus de sou- plesse que de grâce. Les femmes les entouraient, les encourageaient en frappant des mains et ma- nifestaient leur approbation par leurs acclama- tions et leurs gestes (PL. XII — 2), » Laing fut retenu plusieurs jours à Kamato par GÜUINÉE. uñe fièvre violente : le 4 juin, dans la soirée qui était le cinquième jour de sa maladie, il vit ar- river une troupe de soldats avec deux chevaux que le roi des Soulimas lui envoyait. Il se mit en route dès le lendemain et traversa la Rokelle sur une espèce de pont suspendu fait très-gros- sièrement : on le nomme un nyankata. Dans toutes les villes où il s’arrêtait, il était recu par des bandes de musiciens; on le félicitait sur sa venue. Il était abondamment pourvu de vivres de la part du roi : ces marques d'honneur aug- menterent à mesure qu’il approchade la capitale. Le 11 juin, il entra dans Falaba. Le roi lui prit la main et le fit asseoir à côté de lui. Des évolu- tions militaires accompagnées de salves de mous- queterie complétèrent la fête, elles étaient entre- mêlées de danses et de chants qui avaient pour objet l’arrivée de l’homme blanc. Le Guiriot qui conduisait le chœur était élé- gamment vêtu de toile blanche ; il avait le poi- gnet et les coudes ornés de grelots et frappait sur un balafo dont le son était fort doux. Un autre musicien tenait sous le bras gauche un tambour et de la main droite un morceau de fer creux. Les danseuses, parées de belles pagnes blan- ches et jouant avec une écharpe, avaient la tête ornée d’une espèce de diadème en cauris et en toile (PL. XII— 3). Laing, qui souffrait encore, n’était nullement amusé du vacarme qui l’entourait : «Non, jamais, dit-il, je n’ai entendu voix de femme poussée si haut, j'en étais réellement effrayé; j'appréhen- dais à chaque instant de leur voir cracher le sang, surtout quand la mesure était longue et qu’elle s’efforcaient de continuer à vociférer jusqu’au dernier point sans reprendre haleine.» Quand la fête fut terminée, il obtint, nonsans peine, la permission de se retirer. En allant à la maison qui lui avait été assignée pour y loger et qui était éloignée d’un bon demi-mille, il fut obligé de traverser une foule innombrable de femmes et d’enfansravis d’admiration. Tous le saluaientàahaute voix; il fallait à chaque instant qu’il fit une réponse polie ; il suppose que plus d’une fois on ne lui adressa la parole que pour l'entendre parler, car, lorsqu'il avait répondu, on s’écriait : « Il parle, l’homme blanc parle. » Ces importunités qui, dans un autre temps, l’auraient amusé, le fatiguerent et le harassè- rént tellement, que, dès qu’il fut entré dans son logis, il s’étendit sur sa natte et ressentit aussi- tôt le premier frisson d’une attaque de fièvre. Peu d’instans après, le général des Soulimas ar- riva dans la cour, précédé d’une troupe de mu- siciens; mails, voyant que Laing était malade, ÂEFR. 105 il se retira. Malgré de nouvelles interruptions, qui toutes avaient pour motif de l’honorer, il se trouva en état d’assister le 14 à une grande fête, L'usage veut que tous les ans les habitans de Falaba donnent au roi trois jours de leur tra- vail : lun pour semer son riz, l’autre pour le sarcler, le troisième pour le moissonner. Laing fut témoin du labourage et de la semaille. Le roi assista au travail, qui s’exécuta au son des instrumens de musique : les ouvriers étaient divisés en deux lignes, l’une de 500, l’autre de plus de 2,000 individus. Les premiers semaient le grain, les autres le couvraient de terre avec la houe; l’ouvrage semblait marcher comme par enchantement. Le 11 juillet, Laing fut en état d’aller à che- val jusqu’à Sangouïa, ville très-considérable à 10 milles au N. N. O. de la capitale. Elle esi dans une vaste plaine entourée de montagnes en amphithéâtre. Elle est bien bâtie, très-propre et entourée d’un mur épais et très-élevé. De re- tour à Falaba, Laing, qui désirait continuer sa route vers lE., afin d’arriver, si c'était possible, aux sources du Dialhiba, sonda le roi sur cette tentative. Aussitôt ce monarque s’écria : « Al- lah Akbar ! » Puis il ajouta, en secouant la tête : « Homme blanc, cela est impossible; je suis en guerre avec les peuples du Kissi, pays d’où sort la rivière : en apprenant que tu arrives du mien, ils te tueront à l’instant. » Laing, contrarié, fit de nouvelles instances ; le lendemain, le roi s’engagea à envoyer deux messagers à un chef, qui était son allié, et dont la ville était voisine du Dialiba; et il promit que si ce chef consen- tait à lui envoyer son fils en ôtage, il laisserait partir Laing; « car, lui dit-il, tu es mon étran- ger, et je dois veiller à ta sûreté. » Le 19 août, Laing partit enfin pour continuer son voyage à l'E. El avait déjà atteint un village sur la frontière, où il passa le reste de la jour- née. Dès le lendemain, arriva un messager du roi qui était chargé de le ramener à Falaba. La résistance eut été inutile ; les nouvelles objec- tions que le monarque nègre fit, à notre voya- geur, les craintes qu’il lui témoigna sur les dan- gers de son entreprise le déterminèrent à re- tourner à Sierra-Leone. Le roi fut enchanté de cette détermination. Laing obtint, avec beaucoup de difficulté, un guide pour aller explorer le cours de la Rokelle. Cette rivière est la seule qui, suivant l’observa- tion de Laing, dans ces contrées, conserve son nom depuis la source jusqu’à la mer. Il pariit le 2 septembre et chemina vers l'E. ; le 3, il était près de l'emplacement de Berria; le 14 106 VOYAGE EN AFRIQUE. lendemain, il arriva aux sources de la Rokelle, qui sont sous un rocher immense et ombragées par un bouquet de dattiers. Le jour suivant, il grimpa sur une montagne, et put, de son sommet, distinguer le mont Loma, à environ 25 milles au S. E.; c’est le plus élevé de toute la chaine dont il fait partie. Les nègres indiquè- rent à Laing le point d’où sort le Dialiba : il lui ‘arut de niveau avec celui où il se trouvait, c’est-à-dire à près de 1,600 pieds d’altitude. Le mont Loma est situé dans le Sangara, contrée riche en bestiaux, en chevaux, en pâturages, en mil et en riz, divisé en un grand nombre de petites tribus. Les habitans sont belliqueux ; l'arc et la lance sont leurs principales armes. Le roi des Soulimas en a un grand nombre à son service ( PL. XII — 4). À son origine, le fleuve porte le nom de Tembié, mot qui signifie eau Jans la langue du Kissi. De retour à Falaba, Laing fut de nouveau comblé de marques d’amitié par le roi; il recut des lettres de Sierra-Leone. Entre autres objets qu’on lui envoyait se trouvait une lancette et deux tubes de vaccin. Il obtint la permission de vacciner un grand nombre d’enfans, à commen- cer par ceux du roi. Le 17, il quitta Falaba, ac- compagné du roi, qui, en se séparant de lui, ne put cacher son attendrissement, lui fit de riches présens et le pria de revenir dans ses états. Etant à Kamato, Laing y vit arriver Ballan- sama, roi du Kouranko septentrional ; il était accompagné de 300 hommes et d’un nombre presque égal de femmes, dont la plupart lui ap- partenaient. Le 26 octobre, il fut de retour à Sierra-Leone. CHAPITRE XV: Sénégambie, Les Européens ont désigné par le nom de Sénégambie la contrée de l'Afrique occidentale comprise à peu près entre 10° et 18 de latit. N., et entre Gcet 20° de long. O. Elle est bornée au S. par la Guinée, à l'E. par le Soudan, au N. par le Sahara, à l'O. par l'Océan Atlantique. On évalue sa longueur à 300 lieues, sa largeur moyenne à 200, sa surface à 54,000 lieues car- rées. La côte est généralement très-basse et bor- dée d’immenses terrains d’alluvion ou d’attéris- sement. Le pays s'élève à meture qu’on s’avance vers l’intérieur. Ses deux principaux fleuves, le Sénégal et la Gambie, prennent leur source dans les montagnes, sous le 10° de lat., coulent d’abord au N., puis tournent vers l'O, Le Rio- Grande suit les mêmes directions. On remarque, sur la côte, le Cap-Vert, ainsi nommé parce que de grands baobabs entourent sa base et contras- tent avec l’aridité du sable qui couvre le rivage. Tout ce que nous avons dit du climat, de la tem- pérature et des productions naturelles de la Guinée peut s’appliquer également à la Séné- gambie. Les nègres qui l’habitent sont par- tagés en plusieurs nations, parmi lesquelles on distingue les Mandingues, au S., et les Yolofs, au N. Les Foulahs ou Fellatas diffèrent de ces deux familles par une couleur moins foncée et une chevelure moins crépue que celle des nègres. Les Yolofs et les Mandingues ont le visage ovale, le nez moins aplati et les lèvres moins épaisses que les nègres de la Guinée in- férieure ; ils sont de taille moyenne et bien prise, gais, vifs, enjoués, braves et querelleurs. Une partie de ces peuples a embrassé l’islamisme, et on ne trouve pas chez ceux qui sont restés ido- lâtres les horribles coutumes de la Guinée. Les Foulahs ou Feloups rassemblent leurs che- veux sur le sommet de la tête, au-dessus du front, et en forment une espèce d’aigrette de 5 à 6 pouces de longueur. Ils laissent croître leur barbe et la taillent en pointe. Ils sont cou- verts d’amulettes ou grigris. Leurs armes sont des arcs, des flèches et des zagaies. Les Mandingues et les Yolofs s’enveloppent la partie inférieure du corps d’une pagne qui tombe jusqu’aux genoux; une autre, qui est de toile de coton rayée, leur couvre en tout ou en partie le haut du corps. Ils se coiffent d’un petit bonnet. Ils portent au cou, et en ban- doulière, de nombreux grigris. Quand ils tra- vaillent, ils sont presque nus. L’habillement des femmes est composé de deux pagnes, l’une lon- gue d’une aune et demie, qui se noue au-dessus de la ceinture ét tient lieu de jupon, et l’autre beaucoup plus longue, et dont un boutse rejette sur l’épaule gauche comme un manteau. Celles qui sont aisées portent sur cette pagne une chemi- sette qui ne dépasse pas la gorge et n’a point de manches. Pour se procurer le vin de palmes, il faut grimper au haut de l’arbre dont on le tire, et qui s’élance souvent à plus de 80 pieds; à cet effet, les nègres font un cerceau avec des bran- ches de palmier amorties au feu. Ces cerceaux s’ouvrent par le moyen d’un nœud, de manière que, fermés, ils puissent contenir l’homme et l'arbre, en laissant entre eux deux au moins deux pieds de distance. Le nègre appuie les reins contre les cerceaux et les pieds contre l'arbre, en les élevant successivement, tandis à é +. Le 20 y D Le) TL LIZ 10 . Cie AT LL 4 ; 2 7 272 7 27] D PU?) De 4 AC A SAS pero pe Ch / / (ES SENEGAMBIE; qu'avec ses mains il fait monter le cerceau et parvient ainsi par degré jusqu’à la cime. Alors, assis sur son cerceau, il prend un instrument de fer tranchant par le bout; après avoir fait une incision dans l’arbre près de l’endroit où croît le fruit, 1l y insinue quelques feuilles pour ser- vir de conduit à la‘sève et la faire tomber goutte à goutte dans une calebasse qui la recoit, et qu’il laisse attachée aux branches les plus pro- ches. Lorsqu'il a fini ce travail, il retire les au- tres vases qu’il y avait placés la veille, et qui sont remplis de liqueur (PL. XIII — 2). Un bon palmier produit ordinairement 10 à i2 pintes de vin. Lorsqu'on vient de le descendre de Par- bre, il présente une boisson douce, blanche, un peu sucrée, légèrement acidulée, péuillante, as- sez semblable à du vin de Champagne blanc un peu sucré. Les Européens le trouvent alors dé- licieux ; il ne porte pas à la tête, à moins qu’on en boive une trop grande quantité, et il est fort rafraîchissant. Au bout de vingt-quatre heures, sa fermentation est si vive, qu’il devient aigre et fait sauter les bouchons avec éclat. C’est alors que les nègres le boivent; il est fort enivrant et cause de violens maux de tête lorsqu’on en boit avec excès. Au bout de trois ou quatre jours, ce n’est plus que de mauvais vinaigre. Les Portugais arrivèrent en 1444 sur la côte de la Sénégambie. Denis Fernandez découvrit, en 1446, l’embouchure du Sénégal, et, bientôt après, le Cap-Vert: d’autres navigateurs de la même nation s’avancèrent jusqu’à Sierra-Leone et au-delà. Ils formèrent quelques autres éta- blissemens dont ils n’ont conservé qu’une par- tie. D’autres nations de l’Europe les suivirent dans ces parages. Cadamosto, Italien , les a dé- crits (1454). Les Français s’établirent, dès 1626, dans la partie septentrionale de la Sénégambie. Plu- sieurs de ceux qui ont visité cette contrée en ont publié des relations; tels sont Alexis de Saint-Lô, capucin (1635), Jannequin (1637), Lemaire (1682), Gaby, cordelier (1682), Brue, dont les observations précieuses ont été publiées par le père Labat (1697 à 1718); Pruneau de Pommesorge (1743), Adanson, célèbre natura- liste (1749), Demanet (1763), Lamiral (1719), Durand de las Bordas (178#), Golberry (1785), Geoffroy de Villeneuve (1785), Pelletan (1787). L'île de Saint-Louis , chef-lieu des établisse-. ments français sur la côte occidentale d'Afrique, est un banc de sable formé par le Sénégal, et dont la distance de la mer varie, mais est à peu rès de 3 lieues. « Cette île, que les nègres ap- pellent Ndar, dit M. Geoffroy, a 1,200 toises du 107 N. au S., et 100 toises de l'E. à l’O., largeur moyenne. Vue de la mer, elle présente un as- pect assez agréable. Le fort est l’objet principal du tableau. A droite et à gauche s'étendent les deux parties de la ville, dont les rues sont bien alignées et composées la plupart de cases en paille entremêlées d’un assez grand nombre de maisons en maconnerie, couvertes en plate- formes ( PL. XIII — 1). Les bois que l’on aper- coit au-delà appartiennent à l’île de Sor; entre la mer et l’île Saint-Louis s’étend une langue de terre sablonneuse, étroite, d’une aridité affreuse, et que l’on appelle la pointe de Barbarie. En face du fort, Ghethendar, village nègre, occupe un mamelon sur cette presqu'ile. L’ile de Go- rée, au S. du Cap-Vert, et une partie de la côte voisine, appartiennent aussi à la France. La population de Pile Saint-Louis se compose _de nègres libres et esclaves, de mulâtres et de quelques blancs. Saint-Louis est le principal entrepôt de commerce de la colonie francaise, lequel consiste en gomme, cire, ivoireet peaux de bœufs. La France a des postes à Bakiel et à Podor. C’est à ce dernier que remontent les na- vires qui vont faire la traite de la gomme avec les Maures habitant sur la rive droite du fleuve. Dans la saison où il déborde, de la fin de juillet à la fin de septembre, on le remonte jusqu'aux cataractes qui interrompent son cours dans le pays de Galam, à 350 lieues de la mer. Autre- fois, la traite des nègres était le principal objet de ce voyage. Il est très-dangereux pour les blancs. La plupart de ceux qui l'entreprennent périssent victimes de l’insalubrité du climat, et le petit nombre de ceux qui échappent à la mort reviennent avec une santé délabrée. Le cours du Sénégal forme, dans cette ré- gion , la ligne de démarcation entre les Maures et les nègres. On a vu, plus haut, que trois na- tions de ces derniers se partagent la domination de la Sénégambie; c’est parmi elles que se sont effacés les Serrères, les Djalonkès et une foule d’autres peuplades moins considérables. Chez les Foulahs, on trouve des monarchies sacerdo- tales et électives, héréditaires et mixtes chez les Mandingues, mixtes chez les Yolofs. Les états yolofs sont l’Oualo, près de l’em- bouchure du Sénégal; le Cayor, le long de la côte jusqu’au Cap-Vert; le Baol et le Syn, plus au S. Tous sont des démembremens du grand empire des Yolofs, dontil reste encore le royaume de ce nom dans l’intérieur, et dont le chef est reconnu par les autres comme une sorte de su- zerain. : Les états foulahs &ommencent au N. des pré- 108 _ VOYAGE EN AFRIQUE: cédens, à la rive gauche du Sénégal; ce sont le Fouta-Toro, le Bondou, au S. E.; le Fouta- Dbhiallon, qui occupe la contrée haute où sont les sources du Sénégal, de la Faleme son af- fluent, de la Gambie et du Rio-Grande; le Fou- ladou, plus au N. Sous le nom de Mandingues on comprend les Sousous et les Bambaras, qui parlent la même langue; leurs états sont le Kaarta, au N. du Sé- négal; le Kadjaga ou Galam, traversé par ce fleuve et par la Faleme. Ce pays est riche en or. Le poste de Bakel est sur ce territoire. Les Francais y avaient autrefois le fort Saint-Joseph; le Bambouk, le Dentilia, sur la Haute-Faleme ; le Tenda , l'Oully, le Saloum, sur la Gambie ; le Cambou, entre le Rio-Geba et la Gambie. C’est près de l'embouchure de ce fleuve qu’est situé le principal établissement des Anglais, sur l’île Banjole ou Sainte-Marie; on l’a choisie à cause de ses avantages pour le commerce, quoi- que son climat soit très-insalubre. On y voit la petite ville de Bathurst. Vintam, Djonkakonda, sur la rive droite et à 90 lieues de l'embouchure de la Gambie, et Pisania, à 45 lieues à l'E. de Bathurst, sont leurs autres postes. Dès les premiers temps de leur séjour au Sé- négal, les Français avaient entendu parler de la richesse des mines d’or de Galam. Brue, qui mettait la plus grande importance à bien con- naître ce pays, résolut d’y envoyer un de ses facteurs pour l’examiner. La plupart de ceux auxquels il proposa de faire ce voyage refusèrent de l’entreprendre, quoiqu'il leur promit une forte récompense; quelques-uns même, après avoir donné leur parole, se pressaient de la re- ürer dès qu’ils apprenaient de quels dangers étaient menacés les blancs qui osaient pénétrer dans le royaume de Bambouk. Enfin Compa- gnon, un de ces facteurs, risqua ce périlleux voyage. À près s’être muni de marchandises con- venables et de présens pour les chefs de villages qui pouvaient favoriser son dessein, il remonta le Sénégal jusqu’au fort Saint-Joseph, puis il parcourut le Galam dans tous les sens pendant dix-huit mois. Il visita les fameuses mines de Tamba-aoura et de Netteko, dans le Bambouk, fixa ses observations sur tous les objets dignes d'attention, et leva la carte du pays. La sagesse de sa conduite et son adresse lui gagnaient l’af- fection des naturels, et calmèrent leur défiance contre les blancs. Il obtint des échantillons de la terre dont on tirait l'or, et en envoya à Brue, qui les fit passer à Paris. Compagnon est le premier 'raucais qui soit entré dans ces con- tirées, peu visitées par Les Européens, \ En 1786, Durand, directeur de la Compagnie du Sénégal, pour se soustraire aux exactions des peuples qui bordent le fleuve, et au milieu desquels il faut passer quand on le remonte pour aller à Galam, résolut d’y envoyer par terre un de ses employés. Son choix tomba sur Rubault, qui partit le 11 janvier 1786, avec Sidy-Cura- chy, Maure, que sa qualité de marabout ou doc- teur de la loi rendait respectable partout. Il était accompagné de deux nègres conduisant trois chameaux destinés à porter le bagage et les vi- vres, et à servir de montures. Il traversa tantôt des campagnes bien cultivées, et dont les habi- tans lui firent un accueil amical, tantôt des fo- rêts épaisses, peuplées de lions, de panthères et de chacals. Le roi d’Yolof, qui résidait à Hi- karkor, après avoir témoigné à Rubault sa joie de voir un blanc s’entretenir avec lui des diffé- rens genres de commerce dont son pays était susceptible, lui fit entendre qu’il serait très- flaité si les Français s’établissaient dans ses états. Le 31 janvier, après avoir voyagé pendant quatre jours dans une forêt très-touffue, Rubault entra dans le pays des Mandingues. Le chef de Malème, dans le royaume de Bambouk, le com- bla de marques d’amitié. Ces nègres sont beau- coup plus civilisés que ceux de la côte. Ceux qui habitent Caldenne sont presque tous teinturiers. Arrivé dans le royaume d’Youli, Rubault eut à franchir des montagnes escarpées et très-hau- tes ; deux de ses chameaux, ayant bronché dans un passage étroit et difficile, furent à l’instant précipités au fond d’un abîme d’où il fut impos- sible de les retirer; c’étaient précisément ceux qui portaient ses marchandises de traite. Cet accident devint la cause de tous les désagrémens qu’il essuya pendant le reste de son voyage, n'ayant plus rien à donner aux différens princes par le territoire desquels il passait. Le chef du premier village qu’il traversa ne voulait pas le laisser partir saus qu’il lui eût fait un présent. Rubault obtint cependant la liberté de s’en al- ler, en promettant d'envoyer de Galam de la poudre et un fusil. Ce fut à l’aide de semblables promesses, faites dans différens endroits, que Rubault arriva le 17 février à Tamba-Boucani, village dépendant du royaume de Galam. C’est dans ce village qu'était situé le fort Saint-Jo- seph. La veille, Rubault avait couché à Kaï- noura, village considérable situé sur les bords de la Faleme à 20 lieues au-dessus de son con- fluent avec le Sénégal. Rubault n'avait mis que trente-six jours à se rendre à sa destination, et il avait séjourné pendant dix jours, ce qui réduit SÉN EGAMBIE. à vingt-six jours le temps nécessaire pour faire la route. Rubault ne tarda pas à gagner laffection des habitans du pays. Sirman, leur prince, écrivit à Durand pour lui annoncer l’heureuse arrivée de son agent ; il témoignait aussi le plus vif dé- sir de voir Durand entreprendre ce voyage. La lettre du prince nègre fut portée par Sidy-Cara- chy, auquel Rubault en remit également une. « Ma santé, disait-il, s’est bien soutenue, et je me porte bien; mon voyage a été pénible sous le rapport des privations et des fatigues ; mais partout j'ai trouvé de bonnes gens qui nous ai- ment et qui nous désirent, et qui-m’ont traité de leur mieux; presque partout on m’a fait des demandes : j'ai donné ce que j'ai pu; souvent rien, toujours peu de chose; nulle part je n’ai été insulté. » Rubault exposait ensuite l’état des affaires, et son récit faisait concevoir les plus flatieuses espérances. Malheureusement elles ne se réalisèrent pas. Au mois d’août, les esclaves renfermés dans le fort, qui était en assez mau- vais état, se révoltèrent. Rubault, averti par le tumulte, sauta par la fenêtre; il fut arrêté sur- le-champ et massacré ; la maison et les magasins furent livrés au pillage. Les habitans de Galam, absolument étrangers à cet événement, n’en fu- rent instruits que lorsqu'il n’était plus temps d'arrêter l'insurrection; elle fut si rapide et si violente, qu’ils eurent de la peine à se garantir eux-èmes. Plus tard, ils envoyèrent une dépu- tation à l’île Saint-Louis pour calmer l’indigna- tion des Français. Comme le mal était sans re- mède, on fut obligé de ne plus s’occuper de celte malheureuse affaire. En 1818, M. Mollien, attaché à l’administra- tion du Sénégal, entreprit, avec l’autorisation du gouvernement, de pénétrer dans l’intérieur de l'Afrique. Le 28 janvier, il partit avec Diai Boukari, marabout nègre qui parlait l’arabe, le foulah, et lyolof. Les voyageurs avaient un cheval et un âue pour porter leur bagage. Ils firent route à V'E., traversèrent le pays des Bourb-Yolof, puis le Fouta-Toro : ces deux pays sont séparés par une immense forêt. Le terrain, depuis le bord de la mer, s’élève insensiblement jusqu’à ce point. On avait rencontré une cara- vane à laquelle on s’était joint : elle était com- posée d’une soixantaine de personnes de tout âge et de tout sexe; les unes marchaient à pied, en chassant devant elles leurs ânes chargés de sel, de petit mil et de pagnes, qu’elles allaient : veudre dans les pays situés plus à l’E.; d’autres conduisaient des troupeaux. Les cavaliers, au nombre desquels était M. Mollien, étaient char- 109 gés de faire avancer les traîneurs et d’aller à la découverte. Chacun portait sa provision d’eau et de riz sec. On ne se mettait jamais en route avant de demander à Dieu qu’il rendit le voyage heureux. Tandis que l’on cheminait dans la fo- rêt, on entendit tout-à-coup le rugissement d’un lion. La terreur s’empara de toute la caravane ; les femmes se réfugièrent entre les jambes des chevaux, et notre voyageur avoue qu’il fut très-effrayé; car il était loin d’ajouter foi à ce que disent les nègres, que le lion n’attaque pas l’homme dans les bois. La crainte avait donné des forces aux plus faibles, et la caravane faisait beaucoup plus de chemin depuis l’apparition du lion (Pc. X — 6). On allumait de grands feux, précaution indispensable pendant la nuit en Afrique, où la rosée est très-abondante, et où il est dangereux d’arrêter la transpiration. À Sénopale, patrie de Boukari, nos voya- geurs furent traités comme de vieux amis ; plus loin, pendant que M. Mollien était à Banaï, son guide vint lui annoncer que l’almamy ou roi du pays voulait absolument le voir. On passa de nouveau à Sénopale et on entra dans Dandiolli où se trouvait alors lalmamy. Ce prince fit venir Boukari pendant que M. Mollien reposait, et chercha par des questions astucieuses à le mettre en défaut. Boukari lui répondit avec douceur et lui expliqua avec franchise toute leur conduite; l’almamy fut si content de son discours qu’il lui dit : « Si ton blanc veut retour- ner au Sénégal ou aller dans l’Oully, je lui don- nerai un guide ; je le prends sous ma protection, il n’a rien à craindre. » Le 11 mars, M. Mollien, muni d’un passeport de l’almamy, fit route au S., puis il traversa le Nerico et entra dans le Bondou, où il fut bien recu par les habitans. Un désert sépare ce pays du Fouta-Dhiallon. On le traversa en compagnie d’une caravane. Cette contrée montagneuse est sujette aux tremble- mens de terre; peu de mois avant le passage de M. Mollien on en avait éprouvé un extrême- ment violent. Ces monts s'élèvent toujours davantage en se prolongeant à l’E., et leurs ramifications renferment les sources d’une infi- nité de ruisseaux qui répandent quelque ver- dure au milieu de cette région stérile. M. Mollien prit un guide qui, par des chemins détournés, Le conduisit à travers les monts Badet sur une haute cime d’où l’on apercevait en bas deux bouquets de bois; l’un cachant la source de la Gambie ( Diman en foulah} l’autre, celle du Rio-Grande ( Comba). Ce ne fut pas sans ré sistance que le nègre consentit à conduire notre voyageur jusqu'à ces sources : 1] fut résolu que, 110 VOYAGE EN AFRIQUE. pour courir moins de risques d’être découverts, Boukari se rendrait seul au village voisin; con- tinuant de marcher à l’O., M. Mollien et son guide descendirent rapidement la montagne ferrugineuse dont ils parcouraient le sommet depuis le lever du soleil. Il examina les deux sources, puis se hâta de rejoindre Boukari, et on se décida à partir tout de suile pour ne pas éveiller les soupcons des habitans. Tous les vil- lages que M. Mollien traversa ensuite en allant au S. E. sont entourés d’orangers, de papayers et de bananiers; c’est aux Portugais que le Fouta-Dhiallon doit ces arbres fruitiers qui ne sont pas indigènes de l'Afrique. M. Mollien visita ensuite la source de la Faleme, et le 20 avril il entra dans Timbou, capitale du Fou- ta-Dhiallon : il alla loger chez un tisserand, par l’ordre d’Abdoulaï, simple marabout qui rem- plissait les fonctions de gouverneur en l’absence du roi. « Ce vieillard, dit M. Mollien, refusa d’abord de nous recevoir à cause de la disette qui régnait à Timbou; ensuite il consentit à nous donner asile, fort heureusement pour nous, car il pleuvait à torrens; c'était le pré- lude de la saison pluvieuse. « On vint le lendemain de grand matin nous annoncer que nous ne pouvions partir qu’après le retour de l’almamy, qui ne devait avoir lieu que dans 25 jours; cette injonction équivalait à un ordre de rester à Timbou pendant six mois, car durant la saison des pluies, il est presqu’im- possible de voyager dans un pays où les ruis- seaux deviennent alors de larges rivières. Depuis longtemps je m'étais résigné à la patience, ce nouveau contre-lemps ne m'irrita donc pas. Cependant j'allai aussitôt avec Boukari chez Abdoulaï. Il était occupé à tenir avec d’autres marabouts une conférence littéraire ; l’un d’eux lisait à haute voix; les jeunes gens suivaient attentivement sur leurs livres , et Abdoulaï, qui était aveugle, expliquait les passages difficiles. La discussion s’entamait ensuite sur le sens de divers passages du livre qui était l’histoire de Mahomet : puis un des jeunes gens prit le livre et lut tout haut ; les autres, dirigés par un mara- bout, corrigeaient les fautes qui s’étaient glissées dans les copies de l'ouvrage qu’ils tenaient entre les mains. Le silence le plus profond régnait parmi celle jeunesse qui paraissait Vraiment stu- dieuse: Boukari eut occasion de montrer qu’il savait parfaitement l'arabe, car on lui adressa diverses questions auxquelles il répondit d’une manière qui surprit tous les auditeurs. La classe se tenait dans la case d’Abdoulaï ; c’était réelle- ment celle d’un'savant, Un lit avéc uné natte, + une outre remplie de livres, une cruche pleine d’eau, deux ou trois pots pour les ablutions en composaient l’ameublement. La lecon terminée, Abdoulaï nous fit passer dans la salle d'audience et me demanda le sujet de mon voyage. « Je suis venu, lui répondis-je, pour saluer l’almamy de la part du gouverneur de Saint-Louis et l’in- viter à engager ses sujets à donner plus d’acti- vité à leurs relations avec notre colonie, ou toutes les marchandises abondent; je lui offre ce fusil en présent, et je me propose de te don- ner deux mains de papier. » Je réservai, comme on voit, la partie la plus éloquente de mon dis- cours pour la péroraison. Abdoulsï approuva le but de mon voyage, m’assura que jamais pré- sent aussi maguifique n'avait été offert à l’al- mamy, et que les habitans du Fouta-Dhial'on s’empresseraient d'aller à Saint-Louis ; c’est ce qui arriva effectivement. » Cette négociation, et quelques présens de plus, valurent à M. Mollien la permission de partir le lendemain. Abdoulaï lui fit don, au nom de ses concitoyens, de deux sacs de riz, et lui remit une lettre écrite en arabe; elle consta- tait que Gaspard Mollien et Diai-Boukari étaient venus à Timbou, et que l’approche des pluies les avait obligés à n’y séjourner que 3 jours. Cette lettre se terminait par cette formule : « Grâces à Dieu, si leur voyage se termine sans accidens. » Elle était adressée au gouverneur de Saint-Louis. La ville de Timbou ne l’emporte sur les vil- lages de ces contrées que par son étendue. « Qu’on se représente, dit M. Mollien, des mil- liers de nos meules de blé, disposées sans symé- trie, et l’on aura une idée exacte de la capitale du Fouta-Dhiallon. Les habitans entretiennent des relations très-fréquentes avec le Rio-Nunez et Sierra-Leone. » Nos voyageurs se mirent en route le 23, et allèrent visiter la source du Séné- gal. M. Mollien grava sur l’écorce d’un des ar- bres voisins, la date de l’année dans laquelle il avait fait cette découverte. L'aspect des lieux que l’on avait parcourus en allant à Timbou, avait totalement changé; le pays plat était inondé, on ne pouvait plus voyager qu’en portant ses vivres sur son dos. À Bandeïa, M. Mollien acquitta le terrible tribut que doivent les Européens à l'humidité péné« trante qui charge l’air dans la saison des pluics. La dyssentrie se joignit à une fièvre tenace qui le tourmentait depuis plusieurs jours; bientôt it se crut sur le point de mourir; et il écrivit ses dernières volontés. Dans ces terribles momens, le nègre qui l'avait recu dans sa case ayec une l EE — FA A R& a E—— à — = z à = S a E _——— y (2 © ; D. Pesriiiee DS CLern oncle D / À 5 : C À 3. emmines de _Porcrreu EN AFRIQUE SÉNÉGAMBIE. cordialié apparente, essaya de l’empoisonner pour s'emparer de sa dépouille: heureusement, - M. Mollien put échapper à ces dangers; il se fit placer sur son âne par Boukari et son nouveau guide, et le 22 juin, après un voyage très-péni- ble à travers des montagnes, il entra dans un village du Teuda, pays petit et pauvre situé sur la première terrasse, par laquelle on descend du haut p'ateau du Fouta-Dhiallon dans les contrées arrosées par le Rio-Grande. Après avoir passé deux fois ce fleuve, la petite caravane fut recue par le chef de Kansoraly. Ce brave homme fit préparer pour M. Mollien, qui était dans un état désespérant, un lit formé de roseaux très-sou- ples. M. Dioqui, gouverneur de Géba, établis- sement Portugais peu éloigné de Kansoraly, n’eut pas plutôt appris, par une lettre de M. Mol- lien que lui remit Boukari, la triste position où il se trouvait, qu’il lui envoya du vin de Porto, trois pains frais, du sucre et du tabac en poudre. Il l’invitait en outre à se rendre auprès de lui, où tous les soins lui seraient prodigués. Après avoir passé quelques jours chez ce brave homme, il profita du départ d’une barque pour se rendre à Bissao, dont le gouverneur, M. de Mattos, se montra aussi généreux envers lui que M. Dioqui. Après bien des contre-temps, qui retardèrent le départ de M. Mollien, il s’embar- qua, le3 janvier 1819, sur une goëlette de Gorée, et le 19 il revit l’île Saint-Louis. Parmi les renseignemens importans qu’il re- cueillit dans son voyage, où il s’éloigna de plus de 150 lieues du point de son départ, on peut remarquer qu’il a parlé le premier de Kou- rauko, du Soulimana, du Sangara, dont Laing a plus tard fait mention, et que, de même que ce voyageur, il a indiqué les sources du Dialiba près du point où celui-ci les a marquées. En 1815, l'Angleterre fit partir de l'embou- chure du Rio-Nunez une expédition pour lin- térieur de l'Afrique; elle était composée de Peddie, officier d’infanterie, Campbell; capi- taine, et Cowdrey, chirurgien-major. Ce der- nier ne tarda pas à succomber à l'influence du climat, et fut remplacé par Dochard ; on s’avança dans l'intérieur. Le 1er janvier 1817, Peddie mourut près de la frontière du Fouta-Torro. Le 13 juin, Campbell ne put résister aux fati- gues qu’il avait éprouvées, et rendit le dernier soupir ; c’est ce même officier qui, au mois de février 1815, quitta l’île d'Elbe où son gouver- nement l’avait placé comme résident auprès de Napoléon et alla passer son temps à Florence, En revenant le 27 à l’ile d’'Elbe, il apercüt, du haut du vaisseau qu’il montait, la petite flotille tii qui allait débarquer à Cannes; mais, ajoute-t-il dans la justification qu’il adressa à son gouver- nement, sans se douter de ce qu’elle portait, Après d’autres désastres, Gray, major d’in- fanterie, prit le commandement de l'expédition au mois de novembre 1817; on retourna vers la côte. Le 3 mars 1818, on partit de Pile Sainte-Marie, à embouchure dé la Gambie ; on remonta ce fleuve jusqu’à Kayaye, puis on marcha vers l'E. à travers l’Oully et le Bondou. Boulibany , capitale de ce dernier royaume, est dans une vaste plaine bornée à un quart de mille à VE. par une chaîne de montagnes ro- cailleuses, et à l'O. par le lit d’un gros torrent qui, dans la saison pluvieuse, va se perdre dans la Falème. Le 17 juillet, le roi de Bondou per- mit, après de longues négociations, aux Anglais de s’établir à Samba-Contaye, petit village à 27 milles au N. de Boulibany. Le 23, Dochard se sépara de la caravane avec quelques hommes pour aller porter un présent à Dhaa, roi de Ségo. Les pluies étaient à cette époque si fré- quentes que l’on comptait à peine un jour de sècheresse pour toute une semaine. Nos voya- geurs étaient parvenus, à force de travail, à se construire des cabanes plus solides que celles des nègres, et l’espèce d’abondance dont ils jouissaient avait un peu diminué leurs souf- frances. Dans les premiers jours d’août, Gray apprit que la flotte francaise de Saint-Louis était arri- vée à Galam; il se rendit aussitôt à Conghell, ville située sur le Sénégal; il resta deux jours avec les officiers français ; à son retour, il trouva l’almamy malade. Ce dernier mourut le 8 janvier 1819. Son successeur exigea impérieusement que Gray transportât son camp dans Bouli- bany; il fallut obéir. Le 22 mai, Gray quitta Bou- libany, et se dirigea vers le Sénégal. Arrivé à Bakel, les officiers français le recurent avec la plus grande cordialité, et lui promirent de lui fournir tous les secours qui seraient en leur pouvoir. Gray trouva dans ce village Isaac, le même nègre qui avait accompagné Mung6-Park dans son dernier voyage. 11 proposa au major anglais de l’escorter dans l’intérieur du pays, et de se faire suivre par trois de ses gens, si on voulait leur fournir des armes. Gray était occupé des préparatifs nécessaires pour continuer son voyage, lorsque le 28 juin il recut des lettres de Dochard, datées du 10 mai. Il était à Bamakon sur le Dialiba ; il y attendait les ordres du roi de Ségo, auquel il avait écrit plusieurs fois. Le 6 juillet 1820, Gray partit pour le fort Saint-Joseph où il arriva le lendemain, et où, à 112 sa grande surprise, ilrencontra Dochard,quis’y trouvait depuis deux jours attaqué d’une dys- sentrie si violente qu’il put à peine se lever de sa natte pour donner une poignée de main à son ami; il ne rapportait qu’une réponse éva- sive du roi de Ségo. Grâces à l’obligeance des offi- ciers français, Dochard fut transporté par eau à Bakel, ensuite il fut envoyé au Sénégal sur la flotte de Galam. Le 17 novembre, lexpédition, réduite à 16 personnes ÿ compris le major, quitta enfin Bakel, et se dirigea vers le Bondou. Tous les efforts de Gray pour s’avancer vers l'E. fu- rent inutiles; en conséquence, il essaya de gagner par terre les bords de la Gambie, mais ce voyage était devenu impossible à cause des hostilités qui avaient éclaté entre les Francais et les nègres. 11 marcha donc vers les bords du Sénégal, et arriva le 8 octobre à Saint-Louis, où M. Le Coupé, gouverneur de la colonie, lui accorda tous les secours dont il avait besoin. Le 3 novembre, il s’embarqua à Gorée sur un navire qui le conduisit à l’ile Sainte-Marie , et il se rendit ensuite à Sierra-Leone. CHAPITRE XVI. Tes du Cap-Vert. — Acores. — Madère. — Canaries. En 1450, Antoine Noli, navigateur génois au service du Portugal, découvrit à 120 lieues à l'O. du Cap-Vert un archipel auquel il donna le nom de ce promontoire, et qui est situé entre 14° 45° et 17° 20° de lat. N., et entre 240 15 et 27° 30° de long. O. Il est composé de dix îles principales, qui sont : du N. au S., Saint- Antoine, Saint-Vincent, Sainte-Lucie, Saint- Nicolas, l’ile du Sel, Boavista, Mayo, Saint- Yago, Fogo ou Saint-Philippe, et Brama ou Saint-Jean. Lorsque les Portugais y abordèrent, ces îles étaient habitées par des nègres Yolofs; on présuma qu’ils ÿ avaient été jetés par les tem- pêtes. Elles sont de nature volcanique. Fogo ou l’île du feu , a un volcan en activité; elle s’aper- coit de fort loin, et tous les navigateurs ont été frappés de l’étonnante hauteur à laquelle elle s’é- lève au-dessus du reste de l’archipel; elle est fort petite, son altitude est au moins de 7,400 pieds. Sant-Yago est aussi fort élevée; le Pico-Anto- nio, son point culminant, a 6950 pieds d'’alti- tude; la chaîne dont il fait partie se dirige du N.O. auS. E. Boavista, Saint-Nicolas, Saint- Vincent, Saint-Antoine sont peu élevées au -des- sus de la surface de la mer. Les îles du Cap-Vert sont peu boisées , fré- VOYAGE EN AFRIQUE. quemment couvertes de brouillard, très-ver- teuses ; le terrain y est sec, les eaux courantes sont très-rares. Le climat y est sain, excepté dans les îles de Mayo et de Sant-Yago, où, du- rant les mois de pluie, de juin à octobre, les Européens sont attaqués de fièvres, quand ils se permettent quelque irrégularité dans leur régime diététique. Quelquefois les pluies périodiques manquent, el alors les disettes y exercent de grandsravages, Le froment que l’on y consomme est apporté du Brésil. La vigne, la caune à sucre et le tabac, sont cultivés avec succès dans plusieurs îles. L’indigo et le coton y croissent naturellement; on y trouve en outre tous les fruits de la zône torride. Le vin que l’on y fait n’est que peu inférieur à celui de Madère; on recueille sur les rochers une grande quantité d’orseille qui est de qualité excellente ; c’est un monopole très-productif pour le gouvernement. On trouve, dans ces îles, tous les animaux domestiques de l'Europe et les animaux sauva- ges de la côte occidentale de l’Afrique. Les tor- tues fourmillent dans les vallées; les côtes sont très-poissonneuses. Les sauterelles causent sou- vent de grands dégâts dans cet archipel. On re- cueille beaucoup de sel dans les îles de Boavista, de Mayo et du Sel. On estime la popalation à 80,000 ames. Elle est composée principalement de mulâtres; on y compte aussi beaucoup d’es- claves nègres. Saint-Yago, la principale ile du groupe, est la résidence du gouverneur et d’un évêque. Le clergé est nombreux, et en partie composé de gens de couleur et même de nègres. Porto-Praya, capitale de l'ile, a un excellent port où s’arrêtent souvent les navires européens allant aux Indes orientales ou au Brésil. Le 16 avril 1781, Suffren attaqua, dans cette rade, une escadre du commodore Johnston, et la combattit pendant une heure et demie; en- suite, 1l continua sa route vers le cap de Bonne- Espérance, dont cette action hardie avait as- suré le salut. L’archipel des Acores est compris entre 36° 56” et 39° 44° de lat. N., et entre 27° 14° et 33° 32” de long. E., et forme trois groupes bien di- suncts : Sainte-Marie, Saint-Michel et les For- migas, au S. E.; Terceira, Graciosa, Saint- Georges, Pico et Fayal, au centre; Corvo et Flores, au N. O., à une très-grande distance. L'île de Saint-Michel n’est qu’à 310 lieues du cap Roca, en Portugal. Les Acores furent dé- couvertes, de 1432 à 1450, par Goncalo Velho Cabral, navigateur portugais. Le grand nom- bre de milans (en portugais acor) que l’on \ aperçu leur fit donner le nom de ces oiseaux. ACORES. Elles sont fréquentées par les navires euro- péens qui viennent de l'Amérique méridionale, et l’on en trouve des descriptions plus où moins complètes dans beaucoup de relations de voya- ges. Hebbe, officier de la marine suédoise, s’ex- prime ainsi : « Leur aspect, leur forme, la nature du sol, tout enfin annonce leur origine volcani- que. Les tremblemens de terre y sont fréquens. En approchant de ces îles, les marins ne peuvent naviguer avec trop de précaution; car, bien qu’à raison de leur élévation au-dessus de la mer elles puissent être aperçues de très-loin, cependant, comme en hiver elles sont toujours enveloppées de brouillards et de nuages, il ar- rive fréquemment qu’on ne les voit pas d’une très-petite distance. Le climat des Açores est en quelque sorte plus doux que celui des contrées européennes situées sous la même latitude; il est très-salubre. Les rigueurs de l’hiver y sont inconnues; il ne gèle qu’à Corvo et sur les som- mets des plus hautes montignes des autres Îles. La tempête, les pluies, les bourrasques caracté- risent l’hiver. Les chaleurs de l'été sont tempé- rées par les vents, qui, à cause du peu d’étendue de chacune de ces îles, conservent toujours la fraîcheur de l'air de la mer. La température du printemps, de l’automne et d’une partie de l'été est délicieuse. Cette douceur du climat facilite la culture, qui, d’ailleurs, est rendue pénible en plusieurs endroits par l’âpreté et l’inégalité du sol. En général, elles sont bien cultivées, et des récoltes abondantes récompensent le laboureur de ses peines. Tous les fruits, les légumes et les plantes potagères de l’Europe moyenne et mé- ridionale y reussissent et ÿy acquièrent une saveur parfaite. On y récolte aussi des ignames, des patates et quelques autres végétaux de la zone torride. Il y a des bananiers dans les jardins, et jadis on y avait planté des cannes à sucre. A l'exception des métaux et du bois de construc- tion en quantité suffisante, cet archipel possède toutes les commodités de la vie. Il expédie à la métropole beaucoup de froment et de fruits, et du vin, non-seulement en Portugal, mais aussi dans plusieurs pays de l'Ancien et du Nouveäu- Monde. On y trouve les quadrupèdes et les oi- seaux domestiques que l’on a coutume d’élever en Europe. On prétend que l’on n’y rencontre aucun animal venimeux. La mer y offre une grande quantité de poissons; les tortues de la peute espèce sont assez communes. » La population des A cores est de 220,000 amies. Les hommes sont grands, bien faits, robustes et d’un extérieur agréable; les femmes sont petites et enjouées : la plupart plaisent par la vivacité AFRe l 118 de leurs yeux et la douceur de leur langage; quelques-unes peuvent réellement passer pour belles; celles d’un certain rang sont, comme partout ailleurs, plus blanches que les autres; car l’influence du climat a donné en général une couleur foncée à la peau, à la chevelure et aux yeux des habitans. Terceira, l’une des plus grandes îles du groupe, a pour capitale Angra, où résident le gouverneur-général et l’évêque; c’est la plus sujette aux tremblemens de terre; on y voit plusieurs sources d’eau chaude, et, à 6 milles au N. O. d’Ansra, le mont Brazil, ancien volcan dont le cratère est d’une très-grande dimen: sion. Saint-Georges, au S. O. de Terceira, est très-étroite, très-escarpée. Elle approvisionne les autres îles de bestiaux, de bois, de tuiles; elle exporte beaucoup de vins et même de l’eau- de-vie. Pico, ainsi nommée d’après la cime de sa principale montagne, dont l’altitude est esti- mée à 7,328 pieds, a le terrain le plus stérile de l’archipel. Néanmoins, à force de persévé- rance, on y a obtenu du froment, et les vigno- bles y sont considérables. La bouche du volcan vomit encore des flammes. Fayal est remarquable par ses belles forêts, et son nom lui vient de celui du hêtre ( Faya en portugais). L’aspect de cette île, beaucoup plus petite que les précédentes, est extrêmement agréable ; toutes les routes y sont bordées et ombragées de grands arbres; de chaque côté, les champs, les jardins et les vergers se succè- dent sans interruption. Graciosa, au N. O. de Terceira, est petite et peu imporiante. Il en est de même de Corvo et de Fiores. Saint-Michel, la plus grande île de l'archipel, est très-fertile et très-commercante; ses eaux minérales, tant chaudes que froides, sont très- fréquentées même par les Européens. Ces avan- tages sont compensés par la fréquence des trem- blemens de terre. Sa plus haute montagne a 2,000 pieds d’aititude. À plusieurs époques, de petites Îles se sont élevées du fond de la mer dans les environs de Saint-Michel, et n’ont pas tardé à disparaître. Le premier phénomène de ce genre fut observé le 11 juin 1638, un autre le 31 décembre 1719, un troisième le 31 janvier 1811. Vers la fin de février 1812, l’île nouvelle, qui, dès le mois d'octobre précédent, avait come mencé à s’enfoncer peu à peu, n’était plus visi- ble, et on ne voyait plus que des vapeurs se dé. gager de temps en temps de l’endroit de la mer où elle était surgie. Les one ne sont que des écueils FE 15 114 - entre Saint-Michel et Sainte-Marie. Cette der- nière, la plus méridionale de larchipel, est pe- üte et de peu d’importance. On y fabrique toutes sortes de poteries communes. Madère, la plus grande île du groupe de ce nom, est à 160 lieues O. du cap Kantin, sur la côte de Barbarie. Fonchal, sa capitale, est par 32° 37° lat. N. et 19° 15’ long. O. Madère fut découverte, dit-on, en 1344 par un Anglais. Elle le fut de nouveau en 1418 par Jean Gon- calve Zarco et Tristan Vaz Teixeira; ils lui donnèrent le nom qu’elle porte parce qu’elle était couverte de bois (Madeira en portugais). Elle est visitée par la plupart des navires qui vont d'Europe aux Indes ou en Amérique; sa longueur est de 13 lieues; sa plus grande lar- geur de 5, et son circuit d'environ 60. Les cô- tes sont très-élevées et d’un abord difficile. Les deux seules rades qu’elles offrent, au S. et à l'E., sont mauvaises, surtout en hiver. Sur la première, s'élève la ville de Fonchal, dont les maisons blanches, dit M. J. Barrow, contras- tent d’une manière pittoresque avec les noirs rochers de lave et la verdure vive des arbres suspendus sur le talus des montagnes; au milieu de ces bois, des maisons de campagne, des églises, des chapelles, des couvens et d’autres bâtimens, tous differens de forme, ajoutent à la beauté du paysage. Entrés dans la ville, nous vimes des rues étroites, tortueuses, malpropres, pavées en petits cailloux pointus ou en quar- tiers de lave aigus; des courans d’eau en tra- versent quelques-unes ; mais, loin de contribuer à leur propreté, ils y nuisent au contraire de mille manières. La surface de l’île est montagneuse. Le point culminant est le pic Ruivo, dont l'altitude est de 914 toises. La cime de Toringas en a 860. Les roches annoncent une origine volcanique. On y a découvert des minerais de fer; une source est ferrugineuse; et on dit qu’on y a rencontré de l’or natif. Le climat est extrême- ment agréable ; la température moyenne est de 16°, et le thermomètre n’éprouve que peu de variations ; aussi le séjour de Madère est-il re- commandé aux personnes attaquées de phthisie. Le vent d’E. est extrêmement chaud, et cause un certain malaise; heureusement il ne souffle jamais plus de trois jours de suite, et seulement en été: Les pluies ne sont pas trop abondantes; quelquefois on éprouve des tremblemens de terre. Les productions de la terre sont les mè- mes que celles des Acores; mais on est obligé d’importer du froment. On a presque entière- ment abandonné la culture de la canne à sucre; VOYAGE EN AFRIQUE. aujourd’hui ce sont les vignobles qui sont la principale richesse de l’île. Les premiers ceps furent apportés de l’île de Cypre en 1445. On évalue la récolte du vin à 26,000 pipes par an. La population est à peu près de 100,000 ames. Le gouverneur général de Madère a dans son ressort l'ile de Porto-Santo, située à 12 lieues dans le N. E., et ainsi nommée d’après son ex- cellent port, qui est sur la côte du S. Elle est montagneuse, bien cultivée, et compte 6,000 habitans. La juridiction de ce gouverneur s’é- tend aussi sur les Salvages, îlots à 60 lieues au S. de Madère. Ils se composent de deux grou- pes séparés l’un de l’autre par un espace de 3 ou 4 lieues; les plus grands sont entourés de nom- breux écueils ; on y recueille de l’orseille. Elles ne sont habitées que par des oiseaux de mer. En allant des Salvages au $., on ne tarde pas à apercevoir le pic de Ténériffe ; l’île de ce nom est la plus peuplée et la plus grande de archipel des Canaries ; elle a 18 lieues de long et 9 de large. Ses côtes sont en général escarpées, et n’offrent qu’un petit nombre de baies. Celle de Santa-Cruz, au N. E. de l’île, est constamment fréquentée par les navires européens, qui, de là, poursuivent leur route à travers l’océan Atlanti- que ; aussi la ville de Santa-Cruz a-t-elle été dé- crite bien des fois. Les navires y relâchent pour renouveler leurs provisions. Cook conseille aux marins de s’y arrêter plutôt qu’à Madère. Santa-Cruz est une jolie ville défendue par plusieurs forts ; les maisons sont passablement bâties en torchis ouen pierre; on a soin de les bien blanchir, ou même de les barioler, ce qui donne à l’extérieur un air très-propre. Elles sont distribuées par pièces d’une grandeur énorme ; beaucoup ont les toits plats. Le canton où Santa- Cruz est située se fait remarquer par son ari- dité. Tout y est brûlé; on marche sur des layes roulantes aiguës qui blessent à travers les plus fortes semelles, et que cependant les paysans parcourent pieds nus dès la plus tendre enfance. Le pays change dès Laguna, située à l’O., et seulement à une lieue de distance du port, et où l’on arrive par un chemin qui monte constam- ment. Le pic de Teyde est situé dans la partie méri- dionale de l’île; sa cime, toujours fumante, est à 1909 toises d'altitude, par conséquent à 40 toises au-dessus des neiges perpétuelles sous cette latitude. On l’apercoit quelquefois de 50 lieues en mer. Parmi les nombreux voyageurs qui ont écrit leur ascension sur celte montagne célèbre, on doit citer M. de Humboldt et M. Léo- pold de Buch, ANS AN ? PANELTPE CCACIUÉE. lt / AAA A2 D \ (> / es 7 7) CFO. > SEMESTRE.) eee M Ve er QE is term dre at Mr + MADÈRE. 115 Ce dernier voyageur a aussi visité la Grande- Caharie, située à l'E. S. E. de Ténériffe; elle est également montagneuse et de nature volea- nique. Le sol y est extrêmement fertile et la vé- gétation très-abondante; mais la culture y est mal entendue. La capitale est Ciudad de las Palmas, sur la côte N. E. Fortaventura, à l'E. N. E. de Canarie, est d’une forme allongée ; elle est montueuse et peu boisée ; l’eau de source y est rare, et l’on re- cueille celle des pluies dans des citernes. Quand les pluies sont abondantes, les récoltes de fro- ment, d'orge et des autres céréales sont telle- ment productives, que l’excédent est expédié à Canarie et à Ténériffe. Le cotonnier, que l’on y avait d’abord cultivé comme objet d'agrément, s’y est pour ainsi dire naturalisé. Lancerote, la plus septentrionale de l’archi- pel, est au N. de Fortaventura, et a les mêmes productions que celle-ci. En 1730, une éruption volcanique détruisit presque le tiers de l’île. Quand M. de Buch la visita en 1815, « elle sem- biait partout plate, dit ce voyageur, quand on venait de quitter les îles de Palma, de Ténériffe, de Canarie, et aucune montagne ne se distin- guait particulièrement du reste du pays. » À Porto de Naos,; sur la côte S. E., M. de Buch apprit, avec quelque surprise, que la montagne brûlait encore; et que, pour cette raison, elle était nommée Montana de Fuego. Il alla visiter ce phénomène. Il observa que des fissures du cratère s’échappaient des vapeurs très-chaudes. Un autre cratère, creusé dans la crète la plus élevée de la montagne, est à 229 toises d’altitude. Du haut de cette montagne, on découvre l’horizon de la mer par dessus tous les cônes environnans; il n’y a que l'immense cône d’éruption de Goronna, surle rivage sep- tentrional de Pile, qui s’élève un peu au-dessus de la trace de cet horizon. Au N. de Lancerote, on remarque trois ilots, savoir : Graciosa, com- plètement aride, Clara, plus petite que la pré- cédente, mais couverte de chèvres qui y réussis- sent à merveille; Allegranza, inculte et stérile. Elle est nommée Joyeuse par Jean de Béthen- court; ce fut la première terre des Canaries qu’il découvrit, Goméra, au S. ©. de Ténériffe, n’est en quel- que sorte qu’une montagne très-haute dont le sommet est couvert de neiges dans la mauvaise saison. Le centre est une vaste forêt où les hé- tres et les pins sont très-nombreux. Quoique la culture y soit négligée, les récoltes en tous gen- res sont abondantes, parce que les sources d’eau y sont communes. Saint-Sébastien, sa capitale, est une petite ville agréable, bien située, avec un assez bon port. Christophe Colomb s’y ar- rêta en 1492, quand il allait découvrir lAmée- rique. Palma, au N. O. de Ténériffe, est remarqua- ble par la Caldéra, vaste cratère entouré de montagnes, et dont le fond est à 361 toises d’altitude. Le plus haut des pics qui l’environ- nent en à 1193. « Cette Caldera représente le grand arc creux de Palma; les bords de Pile se développent circulairement autour de cet arc, et formeraient complètement le cercle s’il n’y avait du côté méridional un prolongement par lequel l’île se termine peu à peu en pointe. Aussi loin qu’elles entceurent la Caldéra, les montagnes sont notablement élevées, au point que leurs falaises, du côté de la mer, sont en- core plus escarpées que les rochers qui envi- ronnent le pic de Teyde. Des qu’elles s’éloi- gnent de la Caldéra, leur niveau s’abaisse, et leurs crètes, du côté de la pointe méridionale, n’ont plus rien de remarquable par leur hau- teur. » $ « On a toujours parlé, ajoute M. de Buch, de la grande Caldéra de Palma comme d’une mer- veille de la nature, et ce n’est pas sans raison, car c’est ce qui distingue principalement cette île de toutes les autres, et ce qui la rend une des plus remarquables et des plus intéressantes de l'Océan. Aucune ne montre aussi bien et aussi clairement la forme avec laquelle les îles basal- tiques sont sorties du sein de la terre, etaucune ne permet de pénétrer aussi loin et aussi pro- fondément dans son intérieur. » La capitale, Santa-Cruz, se trouve sur le côté oriental, en face de Ténériffe, et à peu près au point où la partie ronde de l'ile commence à se détourner pour se terminer en pointe. A peine si on à pu trouver sur cette plage escar- pée l’espace nécessaire pour les maisons; les rues et les places sont unies avec art, et s’élè- vent, pour la plupart, en terrasse, les unes au- dessus des autres. » , Cette île est fertile en grains, en fruits et en vin ; elle produit aussi de la soie, dont on fabri. que des étoffes ; on pêche, le long de ses côtes, beaucoup de poissons; que l’on sale. Ou retire des forêts de pins une quantité considérable de résine, et elles fournissent même du bois de construction. | Fer, quoique la plus petite et la plus stérile des Canaries, n’a pas laissé que de jouir long- temps d’une sorte de célébrité, parce qu’étant la terre la plus occidentale de l’Ancien-Monde, on y faisait passer le premier méridien, usage 116 aujourd’hui presque entièrement abandonné. Les sources y sont si rares, qu’on a même cru qu’elle en était entièrement privée. Son nom dérive de /féro, qui, dans la langue des indigè- nes, signifiait crevasse de rocher, parce qu’elle en est en effet remplie. Le bétail ÿ est commun. Les îles Canaries, connues des Anciens sous le nom d’Jles Fortunces, sont comprises entre 27° 39’ et 29° 26 de lat., et entre 15° 40° et 20° 30’ de long. O. Cet archipel s’étend sur un es- pace de 110 lieues, de l'E. à l’O. Il comprend 11 Îles, dont les 7 principales sont seules habi- tées. On évalue leur superficie à 270 lieues car- rées. Le voisinage de la zone torride y rend Ja chaleur très-forte; toutefois, elle est tempérée, pour les vents du N. et de l’O., par les brises de mer et par la hauteur des montagnes. Celles de V’'E., exposées au vent de la côte aride de l’Afri- que, en éprouvent de graves inconvéniens : lorsqu'il souffle plusieurs jours de suite, il flé- trit la végétation, dessèche les ruisseaux, cause des maladies, et amène des nuées de sauterelles. Jusqu’aux premières années du xv° siècle, les Canaries furent habitées par les Guanches, peu- ple qui, suivant les apparences, avait de l’affi- nité avec les Berbers de l'Afrique septentrio- nale. Dès 1360, des navigateurs espagnols y abordèrent; mais les rois d’Espagne ne s’en oc- cupèrent pas, et les cédérent en 1400 à Jean de Béthencourt, gentilhomme du pays de Caux. Celui-ci s’empara de Lancerote et de Fer. De retour en Europe, il retrocéda ce qu’il appelait ses droits à un noble Castillan. La conquête conünua; elle ne fut achevée qu’en 1512, épo- que à laquelle les Canaries avaient été vendues au roi d’Espagne. Les insulaires déployèrent un courage héroïque contre les étrangers qui en- vahissaient leur pays. Malheureusement la dés- union régna souvent entre eux ; elle contribua sans doute à compléter leurs désastres. Leur race est totalement anéantie. La population actuelle des Canaries est prin- cipalement composée d’Espagnols ; on l’évalue à 210,000 ames. Les Canariens se font remar- quer par l’activité de leur esprit et par leur goût pour les entreprises; ils vont, par choix, s’é- tablir dans les contrées lointaines appartenant à l'Espagne. L On trouve aux Canaries tous les animaux do- mestiques et les végétaux employés en Europe dans l’economie rurale. La soude, cultivée sur quelques côtes, forme un objet de commerce ; le principal est le vin. Parmi les auteurs qui se sont spécialement occupés des Canaries, nous citerons M. Bory de VOYAGE EN AFRIQUE: Saint-Vincent, qui vint en 1800 à Ténériffe; M. Léopold de Buch, qui, en 1815, visita Té- nériffe, Canarie, Palma et Lancerote; M. Ber- thelot, qui, de 1819 à 1830, a vu toutes les îles de cet archipel. Lancerote n’est qu’a 25 lieues de la côte de Barbarie, à laquelle on fait quel- quefois des expéditions, CHAPITRE XVIT. Sahara. Trop souvent des navires parvenus dans les parages des Canaries ne se dirigent pas assez à l'O.; les brumes dont cet archipel est enveloppé fréquemment les empêchent de l’apercevoir; un courant violent les pousse vers la côte d’Afri- que, et ils font naufrage sur la côte du Sahara. Parmi les infortunés qui furent victimes de ces tristes événemens, quelques-uns en ont publié la relation; ce sont Follie, Français (175% ); Saugnier, Français (1784): Brisson, Frarçais (1785); Adams, Anglais {1810 ); Riley. Nord- Américain (1815); Cochelet, Français (1819). C’est a leurs récits que nous devons la connais- sance d’une portion de la région occidentale du Sahara et des mœurs de ses habitans. Le Sahara, le plus vaste désert du globe, est situé dans la partie septentrionale de l'Afrique, entre 16° et 30° de lat. N., et entre 27° de long. E. et 19° 22’ de long. O. Sa longueur est de 1,100 lieues; sa plus grande largeur, vers le e méridien E., est de 400 ; la moindre, sous le 11° méridien E., est de 180; sa superficie est évaluée à 230,000 lieues carrées ; c’est neuf fois celle de la France, et à peu près la moi- ué de celle de l'Europe. Le Sahara n'offre pas une surface unie; sa partie orientale, qui est la moins considérable, est montueuse; elle commence en quelque sorte à la rive gauche du Nil. Les monts Haroudj s'élèvent, dans la partie septentrionale. Sous le 11° méridien E., une suite de rochers escarpés se prolongent du N. au $.; d’autres élévations s’étendent des monts Haroudj vers l'O. Des coteaux s'élèvent çà et là dans la partie occidentale. Cet immense desert est borné, le long de la côte, par des dunes de sable mobile. Les caps Agadir et Bojador, enfin le cap Blanc, si tristement célèbres par les nau- frages d’un grand nombre de navires, sont les plus remarquables du littoral. Le sable, poussé par les vents dans la mer, la remplit à un tel point, que l’on peut marcher à une grande di- stance dans les eaux. Au côté opposé du Sahara, les sables envahissent les terres. Un petit nom- sa de mn oh on 0 pe mt ls SOUDAN. bre de rivières très-peu considérables arrivent à l'océan Atlantique. L’atmosphère, continuellement échauffée par les rayons du soleil, que le sable réfléchit, est d’une ardeur extrême; souvent elle est remplie de particules sablonneuses. L’éclat de la lumière est si éblouissant, qu’il fatigue horriblement la vue. Pendaut la plus grande partie de l’année, l'air conserve l'aspect d’une vapeur rougeatre. Où observe fréquemment le phénomène du mi- rage, qui cause un tourment de plus au milieu de l’aridité dont on est entouré. Des pluies tombent parfois dans le désert, et sont aussitôt absorbées par le sable. On apercoit bien rarement des ar- bres réunis en groupes et des touffes d'herbe; leur présence annonce que le sol conserve la quelque humidité. C’est dans des endroits sem- blables et dans ceux qu’une expérience trans- mise d’âge en âge a fait connaître pour recéler de l’eau à une profondeur plus ou moins grande, que s’arrètent les caravanes. Il serait impossi- ble à l’homme seul de franchir cette immense solitude. Les marchands se réunissent donc en troupes, et entreprennent avec leurs bêtes de somme la traversée du Sahara. L'animal le plus fréquemment employé par les caravanes est le chameau, nommé, depuis un temps immémorial, le vaisseau du désert. Avant de se mettre en route, on fait sa provision d’eau, que l'on reuferme dans des outres. Le plus g: aud malheur que lon ait à redouter est d’être assailli par le seymoun, qui élève des tourbillons de sable et tarit l’eau dans les ou- tres, et aux sources répandues sur différens points. Ce fut ainsi qu’en 1805 une caravane, composée de 2,000 personnes et de 1,800 cha- meaux, n'ayant pas trouvé d’eau aux lieux ordi- naires de repos, périt tout entière. Celles qui ne succombent pas entièrement, perdent tou- jours quelques infortunés esclaves qui n’ont pas la force de résister à l’ouragan (PL. XI — à). Sur la lisière du désert, on rencontre des lions, des pauthères, des serpens d’une dimen- sion souvent énorme, des gazelles et d’autres an- tilopes, enfin des autruches en troupes nom- breuses. Cà et là le désert est interrompu par des oasis dont nous parlerons plus tard. Le Sahara est habité par des Maures, des Berbers, et des Arabes. Les premiers vivent sur la côte occidentale; ils sont divisés en tribus, savoir : les Monselmines, les Mougearts, les Ouadlims, les Labdessebas. Ces hommes cruels, . A 2 féroces, perfides, avides, tantôt attaquent les | : lpee: | ils furent acceptés. D’après ses instructions, 1l caravanes, tantôt accourent sur le bord de la 117. en captivité leurs malheureux équipages. Plus au S., les Braknas, les Trarsas ei les Darmankous occupent le terrain qui s'étend jusqu’à la rive droite du Sénégal; ils sont moins barbares que leurs voisins. C’est sur leur territoire que se trouvent les trois grandes forêts de mimosa, produisant toute la gomme qui fait le principal objet du commerce du Sénégal. Ces peuples mènent la vie pastorale. Le centre du Sahara est occupé par les Ber- bers, divisés en deux tribus principales, les Touariks, à l’O., et les Tibbous, à l'E. Ils ont le teint bronzé, les cheveux longs et lisses, le nez mince ; ils se cachent le visige avec un morceau de toile de coton; cette espèce de voile descend depuis le nez jusque par-dessus la poitrine ; ils sont coiffés d’un turban ou d’un bonnet, et vê- tus d’une chemise très-ample, dont les manches sont aussi larges que le corps, et enveloppés d’un manteau. Tous portent un fouet pendant à un baudrier qui va de l’épaule gauche à l’épaule droite. Leurs armes sont un sabre très-long et presque droit, un poignard, une lance, et parfois un fusil, dont ils se servent très - habilement (PL. XIII — 3). Les uns sont nomades, d’autres ont des demeures sédentaires ; ils sont musul- mans, mais fort ignorans sur leur religion. Les Touariks et les Tibbous sont fréquemment en guerre entre eux et avec leurs voisins, les nè- gres et les Arabes ; tantôt ils pillent les cara- vanes, tantôt ils leur servent de guides. CHAPITRE XVIII. Soudan. Les géographes anciens avaient parlé d’un fleuve de l’intérieur de l’Afrique septentrionale, au S. du désert, qui coulait de l'O. à l'E. Ils le nommèrent le Niger, et ious ceux que les mo- dernes connaissaient dans cette région ayant leur embouchure sur ia côte de l’océan Ailau- tüque, on fut longtemps embarrassé pour placer ce fleuve sur les cartes : d’Anville le marqua le premier d’une manière satisfaisante; mais aucun Européen n’était parvenu sur ses bords avant la fin du xvine siècle. ; En 1788, une société dont le but était d’en- courager les découvertes dans Pintérieur de l'Afrique, fut formée à Londres. Elle envoya des voyageurs de différens côtés. En 1789, Hough- | ton, qui avait longtemps réside à Gorée et sur la côte de Maroc, offrit ses services à la société; r p. Li QG A r , . . , mer pour piller les navires naufragés et réduire | devait tâcher de pénétrer par la Gambie jusqu’au 118 Niger. Il partit le 16 octobre 1790, arriva le 16 octobre à l’embouchure de la Gambie, remonta ce fleuve jusqu’a 900 milles de la mer, et s’avanca ensuite par terre vers le N. E., afin de parvenir au fleuve, qui était le but de ses recherches: il traversa ensuite plusieurs rovau- mes nègres, tantôt bien, tantôt mal recu. Le 1er de septembre 1791, il était à Simbiug, village sur la frontière du Bambouk et du Lou- damar ; il fut volé; ses domestiques nègres refu- sèrent de le suivre dans le pays des Maures. Cependant il ne se découragea point, ainsi que le prouve une lettre qu’il écrivit de ce lieu et qui fut la dernière que l’on reçut de lui. Arrivé enfin à Djarra, il fit connaissance avec des mar- chands maures qui allaient acheter du sel à Tibhit, ville voisine du Sahara, et fit route avec eux. S’étant apercu qu’ils voulaient le tromper, il voulut les quitter au bout de deux jours; ils le pillèrent et s’enfuirent. Obligé de s’en re- tourner à pied à Diarra, il mourut en chemin de la dyssenterie. I fut impossible de recouvrer ses papiers. Malgré l’obscurité qui enveloppases derniers momens, la nouvelle de sa mort ne tarda pas à être confirmée. Néanmoins lassociation ne ralentit pas ses efforts et accepta les offres de service de Mungo-Park, jeune chirurgien écos- sais, qui venait des Indes-Orientales et qui donna les preuves les plus satisfaisantes de ses connais- sances en astronorie, en géographie, en his- toire naturelle. Il partit de Portsmouth le 22 mai 1795, débarqua le 21 juin à Jilhifrey, sur la rive septentrionale de l’embouchure de la Gambie, et arriva le 5 juillet à Pisania, à 200 milles plus haut ; il y séjourna plusieurs mois pour recueillir des renseignemens sur les pays qu’il allait par- courir et pour apprendre la langue mardingue. Le 2? décembre, il s’avanca par terre, d’abord à l’E., ensuite au N., car la guerre avait éclaté entre deux princes nègres. Le roi de Kaarta, l’un d’eux, avait bien accueilli notre voyageur qui prit la seule route où il put marcher en sû- reté. Le 13 février 1796, il sortit de Kemmour, passa par Simbing et gagna Djarra, grande ville dont les maisons sont bâties en pierre. Il y resta quatorze Jours pour attendre le retour d’un mes- sager envoyé par son hôte vers Ali, prince maure, afin de solliciter la permission de tra verser son territoire. Un esclave d’Ali apporta le 26 une réponse favorable, Tous ses domesti- ques, à l'exception de Demba, petit nègre, re- fusèrent de le suivre; alors il remit le double de ses papiers à l’un d’eux, pour qu’il les transmit aux Anglais de la Gambie, et laissa le superflu VOYAGE EN AFRIQUE. de sa garde-robe à son hôte. Sur ces eñitrefaites; son sextant lui fut volé, accident qui l’empècha de continuer ses observations de latitude. Le 27, il quitta Djarra, traversa un pays sa- blonneux conquis sur les nègres par les Maures, fut grossièrement iusulté et même volé par ces derniers, hommes féroces et fanatiques ; un déta- chement de soldats le conduisit à Benoun, où résidait Ali. C'était un camp sur la limite du désert. 11 y fut indignement traité. Ali fit venir de Djarra tous les objets qu’il y avait laissés et s’en empara. Heureusementses papiers n'avaient pas été saisis. Ou lui enleva Demba. Sa vie mème courut des dangers , car plusieurs fois il fut question de le faire mourir : il dut là eonser- vauon de ses jours à l'intérêt qu’il avait inspiré a la femme d’Ali. Pour diminuer l'ennui qu'il éprouvait , il apprit à lire l’arabe, eu priant les Maures les plus insolens soit d’écrire des carac- tères sur le sable, soit de déchiffrer ceux qu’il y avait tracés; il réussit ainsi, en flattant leur orgueil, leur vanité, et la haute idée qu'ils avaient de leur science, à déjouer leurs mau- valises intentions. - Dans ses conversations avec deux marchands musulmans qui se trouvaient à Benounu, Park apprit des particularités curieuses sur le voyage à travers le Sahara et sur Timbouctou ; ils n’é- taient pas de nature à l’encourager dans sa tentative de pousser jusqu’à cette ville. Ali transporta son camp de Benouu plus au N. Park le suivit; Ali partit ensuite pour D'arra; Park l’y accompagna, et le prince étant retourné à Benoun, laissa Park à Djarra. Bientôt le roi de Kaarta s’avanca avec son armée contre cette ville; chacun s’empressa d’en sortir. Au milieu de la confusion, Park, saisissant une occasion favorable, s’enfuit à cheval le 2 de juillet, et se hâta de gagner le désert dans l’E., ensuite, il rencontra des lieux habités, et reçut l'hospitalité dans quelques endroits, se cachant souvent dans les halliers pendant le jour, quand il apercevait quelqu’un sur la route. Le 5 il atteignit Ouaoure, petite ville appartenant au roi de Bambara. Il voyagea tranquillement dans ce pays; enfin, le 21 juillet, des Kaartans fugiufs avec lesquels il cheminait, s’écrièrent : — Voyez l’eau. « Re- gardant devant moi, dit-il, je vis avec un plaisir inexprimable le grand objet de ma mission, le majestueux Niger que je cherchais depuis si longtemps. Large comme la Tamise l’est à West- minster, 1l étincelait des feux du soleil et coulait lentement vers l’'Ortent; je courus à ses borüs et, après avoir bu de ses eaux, j’élevai mes mains vers le ciel , en remerciant avec ferveur l'Eternel Fa RE ferlerefe fre à Aossil a € 2 7) + DL EE / : 4. Po LA VA He Var D, EN AFRIQUE . LL XT. Pag. 18. 4 SOUDAN. de'ce qu'il avait couronné mes efforts d’un succès si complet. » Û Sego, capitale du Bambara, située par 140 10° de lat. N., est composée de quatre villes dis- tinctes, dont deux sont à gauche et les deux autres, entourées de hautes murailles en terre, sont à droite du fleuve. Les maisons, construites également en terre, sont de forme carrée, à toits plats, quelques-unes sont à un étage et beaucoup peintes en blanc. Les rues sont étroites et les mosquées très-nombreuses. Park en a estimé la population à 30,000 ames. Il y arriva un jour de marché. La foule qui se pressait pour passer le fleuve, nommé Düialiba, était telle- mentnombreuse qu’il attendit son tour pendant plus de deux heures. Le roi, instruit de l’arrivée d’un blane, lui fit défendre de passer outre avant de l’avoir instruit du motif de son voyage et lui enjoignit d’aller loger dans un village à quelque distance. La vue de Park effraya les habitans. Pas un ne consentit à lui donner l’hos- pitalité. Cependant le vent s’élevait et menaçait d’un orage; Park, morne et abatiu, s’assit au pied d’un arbre. En ce moment, une femme qui revenait deschamps l’apercut; émue de compas- sion, elle prit la bride et la selle de son cheval qui paissait là auprès, dit à Park de la suivre et le conduisit dans sa cabane, alluma sa lampe, lui donna du poisson grillé et l’invita à se re- poser sur une uatte. Ensuite elle se mit a filer. du coton avec quelques jeunes femmes ses com- pagnes. Pendant ce travail, qui dura une grande partie de la nuit, elles s’amusèrent à chanter. « L’une des chansous fut improvisée , dit Park, car j'en étais l’objet; elle était chan- tée par une femme seule; les autres se joi- gnaient à elle par intervalle en forme de chœur. L'air en était doux et plaintif; voici le sens des paroles : « Les vents mugissaient et la pluie tombait. Le pauvre blanc, faible et fatigué, vint et s’assit sous notre arbre. Il n’a point de mère pour lui apporter du lait; point de femme pour moudre son grain. Chœur. Aÿons pitié de l’homme blanc, il n’a point de mère, etc.» « Emu jusqu'aux larmes d’une bonté si peu es- pérée, lesommeil fuit de mes yeux. Le matin, je donnai à ma généreuse hôtesse deux des quatre boutons de cuivre qui restaient à ma veste ; c'était le seul don que j’eusse à lui offrir pour témoi- gnage de ma reconnaissance. » Le lendemain , un messager du roi de Bam- bara vint demander à Park s’ilavait apporté quel- ques présents pour son maître, Le voyageur lui répondit que les Maures l'avaient dépouillé de tout, L’après-midi, un second messager lui in- 119 tima l’ordre de quitter le voisinage de Sego; et lui remit 5,000 cauris de la part du roi, ce qui équivalait à peu près à 25 francs. Cette somme pouvait suffire à le faire vivre pendant quelque temps, puisque 100 cauris suffisent pour len- tretien journalier d’un homme et de son cheval. Ce second messager était chargé de servir de guide à Park, qui sortit de Sego le 23 juillet , et suivit le cours du Dialiba. À Sansanding son nègre le quitta, et bientôt notre voyageur fut obligé de laisser, dans un champ, sou cheval qui ne pouvait plus marcher, et, s’embarquant sur le fleuve, il poursuivit sa route au N. E, jusqu’à Silla. Convaincu par une triste expé- rience que des obstacles insurmontables s’oppo- saient à sa marche, il prit le parti de retourner sur ses pas. Îl était alors à 1,100 milles de l’em- bouchure de la Gambie. Les pluies continuelles rendaient les chemins impraticables sur la rive gauche; il se mit donc en route, le 30 juillet, par la route opposée pour retourner à l'O. Il eut le bonheur de retrouver son cheval qui s’était re- fait un peu; mais il apprit en même temps que le roi de Bambara , cédant aux insinuations per- fide des Maures, avait ordonné de l'arrêter. Il évita donc Sego, en faisant un détour; puis, re- venant vers le Dialiba, il traversa un grand nombre de villages et de villes. Le 23 août, il quitta ses bords à Bammakou où il cesse d’être navigable. Entré dans le pays des Mandingues, des maraudeurs le pillèrent deux jours après et lui enlevèrent son cheval. Park était résigné à mourir, sa confiance dans la Providence lui donna de la force ; il continua sa marche, re- couvra son cheval et ses effets, laissa le pauvre animal en témoignage de sa gratitude à un chef de village, et enfin, après des fatigues inouïes, atteignit Kamalia où un nègre, marchand d’es- claves, lui donna l'hospitalité et lui promit de le conduire au comptoir anglais de la Gambie aussitôt que la saison le permettrait. Les soins de ce nègre et de sa famille sauvèrent la vie à Parck qui ne tarda pas à être attaqué d’une fièvre violente. Le 19 avril 1797, il partit avec son hôte et une nombreuse caravane d’esclaves ; le 12 juin il fut de retour au comptoir anglais d’où il il était parti et où on le regardait comme un homme échappé du tombeau. Le 17, il s’em- barqua sur un navire américain allant aux Antilles ; il arriva en Angleterre le 22 sep- tembre, Park fut en quelque sorte recu en triomphe par la société d'Afrique et par le public : il le méritait, Car son voyage était le plus important qu'aucun Européen eut encore fait dans l’inté- rieur de la Nigritie. Six ans après, le gouver- nement anglais ayant résolu d’envoyer une expedition considérable pour descendre le Dia- liba, jeta les yeux sur Park pour la diriger. Le 30 janvier 1805, il fit voile de Portsmouth avec un chirurgien et un dessinateur, ses cCOompa- triotes, et quelques ouvriers. À Gorée, il prit un officier et trente-cinq soldats d'artillerie. Il entra dans la Gambie vers les premiers jours d'avril, et tout le monde étant réuni au-dessus de Pisania , petite ville sur le fleuve , il engagea a souservice Isaac, marabout mandingue et mar- chand, pour guider la caravane. Le 27 avril, elle marcha vers l'E. Le 19 août, elle arriva sur les bords du Niger à Bammakou dans le plus triste état. Il n’y avait plus que onze Européens en vie et les quatre chefs étaient malades. Toutes les bêtes de somme avaient péri. Dans ces con- jonctures critiques, Park conservait tout son courage, Le 21, il s'embarqua sur le Dialiba et s'arrêta à Marrabou, d’où il dépêcha, le 28, Isaac au roi de Bambara pour en obtenir la permission de construire un navire à Sansanding. À son arrivée dans cette ville, s'étant procuré deux mauvaises pirogues , il en fit, avec l’aide de deux des trois soldats qui étaient encore en vie, une goëlette à fond plat. La mort du chirurgien vint encore, pendant ces travaux, ajouter au cha- grin de Park. Aucune perte, comme il l’a écrit lui-même dans son journal, ne pouvait lui pa- raître plus cruelle. Le 16 novembre, l'armement de la goëlette fut complété: il termina son jour- nal et écrivit plusieurs lettres. Son enthousiisme n'avait pas diminué. « Je vais, mandait-il à lord Camden, secrétaire d'Etat, faire voile à l'E. avec la ferme résolution de découvrir l’embouchure du Niger, ou périr dans cette entreprise. » Dans sa lettre à sa femme, il montrait beaucoup de confiance, probablement pour calmer ses in- quiétudes. Ces papiers furent apportés à la Gam- bie par Isaac, et, depuis ce momeat, où ne recut plus de ses nouvelles. La nouvelle de sa mort fut annoncée au comptoir anglais par des marchands negres en 1806. Au mois de janvier 1810, Isaac, qui reparut à un de ces comptoirs, fut envoyé à la recherche de Park; il revint en 1811 et confirma les rumeurs sinistres répan- dues précédemment, On à su positivement qu’il était parvenu, en descendant le Dialiba, jusqu’à’ Boussa, ville dans le pays de Haussa. | Peu de temps après le départ de Park pour son premier voyage, la sociéte d'Afrique accepta Les offres que lui fit Hornemann, jeune allemand, qui lui proposait de faire un voyage dans l’inté- rieur de celte partie du monde, Eu juiliet 1797, VOYAGE EN AFRIQUE. il vint de Londres à Paris où il recut l’accueil ie plut obligeant ; il alla s’embarquer à Marseille pour Cypre, d’où il gagna Alexandrie. La peste et d’autres obstacles l’avaient forcé de prolonger son séjour au Caire ; il se disposait à partir avec une caravane pour l’intérieur, lorsqu’à la nou. velle du débarquement des Français en Egypte, il fut, ainsi que tous les Européens, enfermé dans le château pour les y mettre à l’abri de la première rage de la populace. A Parrivée de l’armée, ils furent relâchés. Le général Buona- parte, instruit des projets de Hornemaun, lui fit donner un passeport et lui offrit tout ce qui pou- vait lui être nécessaire pour son voyage. Le 5 sep- tembre 1795, Hornemaun partit avec la cara- vane du Fezzan ; le 8, il entra dans le désert; le 16, il atteignit Siouah où l’on pense qu’etait le temple de Jupiter-Ammon. De la il gagna Audjelah, oasis connue dès le temps d’Herodote. Enfin, après soixante-quatorze jours d’une route pénible ; il entra dans Morzouk, capitale du Fezzan. Il y resta quelque temps et fit une ex- cursion à Tripoli. Revenu à Morzouk , il écrivit, le 6 avril 1800, qu’il allait partir pour le Bor- nou , avec la grande caravane du Soudan. De- puis cette époque, on ne reçut plus de ses nou- velles ; mais on a appris qu’il était mort dans le voyage. Sa relation , qui a été traduite en fran. cais, offre beaucoup de renseignemens intéres- sans sur le pays quis’etend du Caire au Fezzan, sur cette dernière contrée et sur d’autres parties de l'Afrique. Le désir d’obtenir sur l'intérieur de cette par- tie du monde des notions positives qui pussent être utiles au commerce, décida le gouverne- ment britannique à y envoyer Ritchie, homme instruit et habile; il devait être secondé par un capitaine de vaisseau de la marine royale. Des empèchemens s’étant opposés à ce que celui-ci acceptât cette mission, Lyon, qui servait éga- lement dans la marine, ofirit à Ritchie de l’ac- compagner ; ils s’adjoignirent Jean Belford, charpentier très-adroit, Ces arrangemens furent faits à Malte, où Ritchie s'était rendu; on s’em- barqua pour Tripoli. Le 25 mars 1819, les voyageurs partirent pour le Fezzan avec Mohammed-Mokw1, sultan de cette contrée, et une caravane nombreuse ; on fit route au S. E., on traversa les montagnes de Techouna; à Beniolid, on entre dans le dé- | sert. Le 6 avril, on était aux puits de Bondjem, : dont l’eau est très-mauvaise : à une dis ance d’un : demi-mille, on voit un ancien château romain ; des inscriptions latines se lisent au-dessus de ses portes ; celle du N. est la mieux conservée. SOUDAN. Bondjem est sur la frontière septentrionale du Fezzan. Le désert continue jusqu’à Sokna, ville bâtie dans une immense plaine graveleuse que bornent au S. les monts Soudah, qui sont basaltiques. Les dattes y sont abondantes et excellentes. Le désert recommence ensuite : on marcha au S. Le 26, on passa par Zeighan, village muré et environné d’une grande forêt de dattiers; il est renommé pour la vie sainte de ses marabouts, de mème que Samnou qui est un peu plus loin. Sebha se présente en amphithéätre sur un co- teau ; les dattiers deviennent fréquens. On ren- contre quelques hameaux chétifs. Le 4 mai, nos voyageurs firent leur entrée dans Morzouk avec le sultan. Ils furent logés dans une grande mai- son voisine du château (PL. XV — 3). Les Anglais ne tardèrent pas à être attaqués de la dyssenterie; le 20 novembre , Ritchie mourut. Lyon, quoique faible encore, partit bientôt après pour Zuéla, ville situéealE. N.E.; de là, il alla à Gatrone qui est au S. et poussa sa course jusqu’à Tegherri, ville la plus méri- dionale du Fezzan , oùilarriva le 2 janvier 1820. On y voit les ruines d’un grand château bâti par les Arabes. La langue de ce peuple y est peu en usage; on ÿ parle celle de Bornou. Les dattiers y sont très-communs ; c’est la que cesse la cul- ture de cet arbre. On récolte principalement dans les jardins de petites carottes , des ognons et des potirons. Le désert commence auS. de la ville, qui est située par 24° # de lat, N. Après avoir fait une petite excursion au S., Lyon re- tourna au N. et rentra dans Morzouk, le 17 jan- vier, avec une caravane qui revenait du S. et ramenait beaucoup d'esclaves. Il en partit le 9 février avec Belford qui était encore extrè- mement faible ; il marchait avec une caravane composée principalement d’esclaves ; sa con- duite humaine envers ces infortunés lui valut l'expression de leur reconnaissance et de leurs regrets quand il se sépara d’eux, à peu. de dis- tance de Tripoli; il revit cette ville le 25 mars 1820. Le Fezzan est en relation continuelle avec le Soudan ou pays des nègres. C’est pourquoi Lyon assure dans sa relation que c’était de Morzouk qu’il convenait de partir pour pénétrer dans cette dernière contrée. Le gouvernement anglais eut, égard à cet avis, etunenouvelle expédition pour l’intérieur de l’Afrique ayant été décidée en 1820, les personnes qui la composaient durent se ren- dre à Tripoli : c’étaient Oudney, chirurgien; Denham, capitaine d’infanterie; Clapperton, lieutenant de vaisseau de la marine royale. Ils AFR. 121 étaient accompagnés, de Hillman , habile char- pentier. Tous y furent réunis à la fin de novem- bre 1821. Ils firent leur entrée à Morzouk, le 8 août 1822. Ils y furent reçus avec les plus grands honneurs, mais le sultan les contraria singulièrement quand il leur annonca qu’une escorte de 200 hommes armés, absolument in- dispensable pour traverser en sûreté le pays au S. de Morzouk, ne pourrait partir avant le prin- temps suivant, à cause du temps exigé pour les préparatifs du voyage à travers une région où tout devait être transporté à dos de chameau. Heureusement pour nos voyageurs, Boukha- loum, riche marchand et personnage consi- dérable du Fezzan, prit intérêt à eux et leur assura que le sultan avait les moyens de les en- voyer au Bornou s’ille voulait, et que luimême se chargeait de conduire la caravane si le pacha de Tripoli le permettait. Il ne tarda pas à parur pour cette ville avec beaucoup de marchandises et d’esclaves : le sultan quitta sa capitale peu de jours après. ; « Dans cette position, dit Denham, nous n'avions d’autre parti à prendre que d’aviser à des moyens certains de nous mettre en mar- che au printemps suivant. Le sultan avait emporté tout ce qui nous était nécessaire; il était impossible de se procurer un seul chameau; tout l'argent du pays avait été enlevé pour Tripoli ; c'était donc de cette ville que nous devions atten- dre tout ce qu’il nous fallait. Eu conséquence, il fut décidé que je m’y rendrais bien vite pour représenter au pacha qu’il devait nous donner autre chose que des promesses en échange de nosguinées. Denham sortit de Morzouk Le 20 mai, avec un nègre, son domestique, et deux Arabes. Le 12 juin, il revit Tripoli; le lendemain, il re- présenta au pacha, dans les termes les plus énergiques, le tort causé à lui et à ses compa- gnons par le retard apporté à leur départ pour le Bornou , et.le pria d’en fixer l’époque précise. Il ajouta que s’il ne recevait pas une réponse favorable, il irait en Angleterre expliquer la cause de leur inaction forcée. Le pacha essaya de se disculper ; il attribua tous les inconvéniens dont les Anglais se plaignaient à la volonté de Dieu qui les avait fait arriver pendant une ma- ladie du sultan du Fezzan. Denham, loin de se payer de ces défaites, s’embarqua pour Mar- seille; il ÿy était encore en quarantaine , quand une lettre du pacha lui annonça que Boukhaloum était nommé pourcommander l’escorte quidevait conduire les Anglais au Bornou. Denham se remit aussitôt en mer; en sept jours il aborda les côtes de la Barbarie; Boukhaloum et une partie 16 199 de l’escorte étaient déja à l’entrée du désert; le 30 octobre tous rentraient dans Morzouk, Notre voyageur ÿ trouva ses compatriotes malades : ceux-ci, persuadés que le changement de climat leur rendrait la santé, se mirent en route le 29 novembre, accompagnés de presque tous les habitans qui avaient un cheval. Le 9 dé. cembre, ils étaient à Tegherri; puis on entra dans le désert parsemé de buttes de terre et de sable et couvertes d’arbustes, entre autres d’a- thila, plante que les chamaux mangent avec avidité. Plus loin, la plaine ne présenta plus la moindre apparence de végétation. Le voisinage des puits où l’on s’arrêtait était rempli de sque- lettes humains ; on marcha presque toujours droit au S. De temps en temps la pluie tombait ; "on voyagea souvent entre des rochers escarpés dans lesquels des vallées s’ouvraient de chaque côté. Des villages sont parfois bâtis sur leur soin- met ; leur position, qui les met à l’abri de l’atteinte des bêtes sauvages, ne les garantit pas de l’atta- que des Arabes et de leurs autres ennemis. Les voyageurs anglais furent plus d’une fois témoins des excès commis par leur escorte sur les mal- heureux Tibbous qui habitent ces solitudes,. Bilma est le village le plus considérable de ceux que l’on vit. La chaleur était forte , et, pours’'en préserver, lon cherchait l'ombre. Le 4 février 1823, la caravane était à Lari ; son approche en avait fait fuir tous les habitans; ce fut du haut des éminences voisines que les Anglais eurent le plaisir de contempler le lac Tchad. « La vue de cette nappe d’eau si intéres- sante pour nous, dit Denham, produisit en moi une satisfaction dont aucun terme ne pourrait rendre la force et la vivacité; mon cœur battait, car je pensais que ce lac était le principal objet de notre voyage. » Lari est habitée par des nègres : la plupart des femmes étaient occupées à filer du coton. Là, une trentaine d’esclaves affranchis quittèrent la caravane pour retourner au Kanem, leur patrie, éloignée de trois jours de route à l'E. Les villages se succédaient le long du lac, ce qui n’empèche pas les éléphans et d’autres bêtes sauvages de venir paître sur ses bords. Le 13, on passa l’Yéou, grande rivière cou- lant à l'E. vers le lac ; c’était la première que les Anglais eussent vue depuis Tripoli. Les Arabes lui donnaient le nom de Nil. Le 17, les Anglais entrèrent dans Kouka, capitale du Bornou. Ce pays était gouverné par le cheikh" El-Kanemi. Quelques années auparavant il avait été conquis par les Felatah. El-Kanemi le délivra; les Bor- noui voulaient l’élever au trône, Il y plaça un VOYAGE EN AFRIQUE. parent des anciens souverains, mais 5e réserva pour lui-même l’exercice de l’autorité suprême. Le sultan réside à Birnie, ville murée et nom- mée aussi Nouveau Bornou. Angournou, entre le lac Tchad et Birnie, est la plus grande ville de l'empire. Kouka est à une petite distance du lac et d’une médiocre étendue. Le Vieux- Bornou, sur l’Yeou, ancienne capitale, est en- üèrement ruinée; ses décombres couvrent un vaste espace. Le cheikh recut-amicalement les Anglais. « Sa physionomie prévenait en sa faveur; elle était, dit Dinham, spirituelle, riante et bien- veillante. Nous lui remiîmes les lettres du pacha de Tripoli; après les avoir lues, il nous demanda pourquoi nous étions venus dans le Bornou; nous lui répondimes que c’était uniquement pour voir le pays, afin de décrire ses habitans, sa nature et ses productions, parce que noire sultan désirait connaître toutes les parties du monde. Le cheikh répiiqua : « Soyez les bien- » venus; vous montrer quelque chose sera pour » moi un plaisir ; j'ai ordonné que l’on construl- » sit pour vous des cases dans la ville: vous » pouvez aller les examiner, accompagnés par » un de mes officiers. Lorsque vous serez remis » des fatigues de votre voyage, je serai très- » content de vous voir. » Après ce discours, nous nous retirâmes. » Le lendemain, les Anglais offrirent au cheikh les présens qui lui étaient destinés ; il en fut très- content. Tous les jours il leur envoyaïit des pro- visions en quantité. Il ne cessa de les bien traiter durant leur séjour. » Un marché se tenait devant une des prinei- pales portes de la ville, Des esclaves, des mou- tons, beaucoup de bouvillons, étaient les prin- cipales créatures vivantes qui s’y vendaient. Il y avait au moins 1,500 personnes réunies dans ces occasions ; quelques-unes venaient de lieux éloignés de deux et trois jours de marche. Le froment, le riz, le gossob, le tamarin en gousse, les arachides, les haricots, l’ochra, lindigo abondaient ; les plantes potagères étaient moins communes. [l y avait aussi du beurre, du léban (lait aigre), du miel, Le cheikh nous fit cadeau des citrons de son jardin; nous ne vimes pas d’autres fruits. » Parmi les autres marchandises, le cuir et les gamelles tenaient le premier rang : on me présenta aussi pour les acheter des peaux de | grands serpens et des morceaux de peaux de | crocodiles employées pour orner des fourreaux de poignards. » Les denrées et les marchandises étaient 2 L A 7 CLLAZARIE Ge PÈRE Cast 4 ce pl ( Li Fe ? ( 1 ) 5 UE Le . NMectohetes fortes {lie ve FA SOUD presque toutes vendues par des femmes dont les costumes variaient à l’iufini. Celles du Kanem et du Bornou étaient les plus nombreuses (PL. XIII — 4). La principale différence con- siste dans la coiffure (PL. XIV — 3). » Au mois de mars, Boukhaloum partit pour Bir- nie afin de rendre ses devoirs au sultan; les Anglais l’accompaguèrent. Le prince leur donna audience dans une grande place remplie de ses courtisans, qui, après s’être proslternés devant lui, s’asseyaient à terre en lui tournant le dos, ce qui est l’usage du pays. Le prince était ac- croupi ‘dans une espèce de cage en roseau où en bois, près de la porte de son jardin; il regarda à travers le grillage lassemblée réunie devant lui eu demi-cercle. Elle parut très-grotesque aux Anglais; un gros ventre et une grosse lèle étant des attributs indispensables pour quiconque fait partie de la cour du monarque. Les présens de Boukhaloum et des Européens fureut renfermés dans un grand châle, puis re- mis à un nègre horriblement laid et principal euuque du sultan ; 1l les lui présenta, étant le seul qui puisse s’approcher de sa personne. Le fantôme de monarque ne reste pas tou- jours enfermé dans son palais; quand la guerre éclate avec un peuple voisin, il marche avec l’armée, mais jamais il ne preud part à l'action. Le prédécesseur du sultan que virent les An- glais avait été tué dans une bataille contre les Bégharmiens. Le prince est suivi de ses eunu- ques et de son harem ; les femmes sont placées à cheval comme les hommes; un petit nègre ou un eunuque guide la marche du cheval (PL. XV — 1). Les lanciers du sultan de Bégharmi portent une graude casaque ouatée et piquée; elle leur protége suffisamment le cou, les bras et les jambes. 1ls sont coiffés d’un bonnet du même genre, et leur cheval est également défendu par un caparacon semblable ( PL. XV — 2). Le cheikh tient à son service des fantassins du Kanem qui sont armés de longues lances et d'un bouclier, et qui, du reste, sont vêtus à la légère ( PL. XV — 2). Une expédition avait été résolue contre les Fellatah, qui habitaient assez loin au S. du lac Tchad; elle était composée de Bornoui, de Man- darans et des Arabes de Boukhaloum. Denham témoigna le désir de l’accompagner; le cheikh lui adressa des représentations sur son empres- sement à courir les hasards des combats, puis- que celte troupe ne partait que pour aller faire des esclaves; Denham le remercia de sa solli- AN. 123 une seule occasion de voir des pays que je ne connais pas. » L'armée se mit en route le L5 avril, marcha au $S., entra dans les montagnes, et atteignit Mora, capitale du Mandara. À mesure qu’on avançait, le pays devenait plus haut et plus âpre ; de malheureux infidèles, qui n'avaient pas de moyens de se défendre ou étaient hors d’état de prendre la fuite, furent égorgés sans pitié ou jetés dans les flammes. Enfin, les Bornoui et leurs alliés attaquèrent Mosféia, ville dans une situation très-forte et protégée par des marais, des palissades, des fossés. Les Arabes fondirent sur. l’ennemi avec une grande bravoure, mais furent mal secondés par les Bornoui et les Man- darans. A l’aide de leurs armes à feu, ils empor- tèrent les palissades et repoussèrent les Fellatah sur les hauteurs; ceux-ci firent pleuvoir sur les assaillans une grêle de flèches eimpoisonnées ; de toutes parts, on voyait les femmes Gui en four- nissaient de nouvelles aux guerriers, et qui fiui- rent par faire rouler de gros blocs de rochers sur les Arabes. Les Fellatah, remarquaut le petit nombre de ceux qui les poursuivaient, fi- rent volte-face et les attaquèrent : les Arabes reculèrent, la cavalerie des Fellatah chargea. Si un groupe d’Arabes, guidé par Boukhaloum et un autre chef n'eut pas tenu bon et forcé l'ennemi à s’arrêter, tous eussent probablement péri; beaucoup furent tués. Le cheval de Denham fut blessé au côu; lui-même eut le visage efileuré par une flèche. Dès que la défaite des Arabes fut évidente, leurs alliés se hâtèrent de fuir. Denham, forcé de mettre pied à terre, ne dut son salut qu’à son pistolet; il put monter sur un autre cheval; mais, au bout de quelques centaines de pas, l’animal, effrayé, s’abat, le renverse et s’échappe : notre voyageur reste à pied et désarmé. Il est entouré par les Fellatah, en un clin-d’œil dépouillé de tous ses vêtemens, et percé de plusieurs coups de lance. Les Fella- tah se disputent ce qu’ils lui ont enlevé; il pro- fite de ce moment pour se relever, et se jetie dans un bois voisin. Poursuivi, il saisit les bran- ches d’un arbre et se laisse tomber dans un torrent. Il gagne le bord opposé, et il est sauvé. Apercavant, à travers les arbres, trois cavaliers, il reconnait Boukhaloum et d’autres Arabes; il les appelle à grands cris, et ils ne l’entendent pas au milieu de la confusion, du bruit et des gémissemens des mourans. Les Fellatah étaient à leurs trousses, tenus seulement en respect par les armes à feu du chef. Uu Bornoui, chargé par le cheikh de veiller citude, et lui répondit : « Je ne dois pas négliger j spécialement sur Deénhamw, le reconnait de loin, 124 avance à cheval vers lui, le fait monter en croupe: ils rejoignent au galop, et au milieu des dé- charges continuelles de flèches, l'arrière-garde de leurs troupes. Boukhaloum fit revêtir d’un barnus Denham, qui était totalement nu et souffrait horriblement de la chaleur. Ce chef lui eut à peine rendu cet important service, qu’il mourut d’une blessure au pied. Un torrent qu’on rencontra permit aux fugitifs d’apaiser leur soif dévorante. Denham recouvra son premier che- val et sa selle; l’animal était trop maltraité pour qu’il put s’en servir : on lui en donna un autre. Ses pistolets étaient perdus. « Ainsi, s’écrie-til, se termina cette malheureuse expédition. Comme elle n’avait d’autre motif que l'injustice et l’op- pression, qui pourrait regretter qu’elle n’ait pas réussi? » Dans les premiers jours de mai, il fut de retour à Kouka. Grâce au régime sévère qu’il fat contraint de suivre, ses blessures et ses meur- trissures se guérirent promptement, et il put entreprendre d’autres excursions moins péril- leuses. Au mois d'août, la saison des pluies com- mencça : elles étaient extrêmement abondantes; malgré la force du soleil, l’air était excessive- ment humide pendant quelques heures, par la quantité prodigieuse d’eau qui tombait. Tous les Anglais devinrent malades, les nègres aussi se ressentaient de l’insalubrité de la température. Enfin, au mois de novembre, les vents secs soufflèrent et purifièrent l’atmosphère ; les ma- ladies disparurent. Le 14 décembre, Oudney et Clapperton partirent, avec une caravane, pour Saccatou. Le 23, Denham eut le plaisir de voir arriver un de ses compatriotes, Toole, jeune of- ficier qui avait parcouru en trois mois et demi la distance entre Tripoli et Kouka : il apportait différentes choses utiles à Denham, dont la po- sition devenait ainsi plus agréable. Le 23 janvier 1824, Denham et Toole parti- tirent avec une expédition qui longea le lac Tchad, marcha vers l’E., et entra dans le Log- goun, pays allié du Bornou et arrosé par le Chari. Arrivé à Choui, près de l'embouchure de celte rivière, on voyagea au S. à travers un pays marécageux et très-boisé. La singulière con- struction des maisons excita la surprise de Den- ham. Ce sont-littéralement cinq à six caveaux situés à la suite l’un de l’autre. Il fat encore plus étonné quand il sut que cet étrange arrangement était adopté pour que les habitans pussent trou- ver dans leurs demeures une retraite contre les attaques continuelles des mouches, des cousins, des maringouins et des abeïlles. Denham avait peine à croire ce qu’on lui disait, quand un des VOYAGE EN AFRIQUE. hommes de sa suite, qui, inconsidérément, était sorti, rentra avant les yeux et la tête dans un si piteux état, qu’il en fut malade pendant plus de trois jours. Kernok est la capitale du Loggoun; ce pays esttoutentouré par les Chouaa; ceux-ci confinent à VE. avec les Bégharmiens. Depuis quelque temps Toole était malade ; son état empira telle- ment, que Deuham fut obligé de retourner vers le N. Arrivé à Angala, ville située sur le Gam- balaroum, près deson embouchure dansleTchad, Toole ÿy mourut : il n’avait que vingt-deux ans; malgré sa forte constitution, il ne put résister aux fatigues du voyage dans un pays humide et très-chaud. Cependant, le Loggoun est plus sain que les autres contrées arrosées par le Chari. Il est très- fertile. Tous les soirs il se tient à Kernok un marché où la viande et le poisson abondent; le sel est trèsrare; il paraît qu’il n’est guère re- cherché. On le remplace quelquefois par du na- tron, que Denuham trouvà très-amer et nauséa- bond. L'industrie est très-active dans le Log. goun : on y fabrique beaucoup de toiles de coton, que l’on teint très-solidement en bleu. « On y a aussi, ajoute Denham, une monnaie métallique, la première que j’eusse vue dans le Soudan. Elle consiste en plaques de fer minces qui ont à peu près la forme de leurs fers à cheval. On en fait des paquets de dix à douze, suivant le poids; dix de ces paquets équivalent à une piastre forte; mais le cours de cette monnaie éprouve des fluc- tuations; chaque vendredi, au commencement du marché hebdomadaire, il est fixé par une proclamation. Il en résulte naturellement que les joueurs à la hausse et à la baisse font respec- tivemént des spéculations d’après leur opinion. Avant que le sultan recoive le tribut ou le droit sur les bouvillons ou Pindigo, le magistrat fixe généralement le cours au-dessous du pair; tan- dis qu’au contraire quand il a des achats à faire avant une fête publique, la valeur du métal est invariablement augmentée. L'annonce du cours fixé excite un tumulte étonnant, comme cela arrive toujours quand les uns gagnent et que les autres perdent par sa variation. » De retour à Kouka, Denham s’occupa d’un nouveau voyage vers l'E. Le 19 mai, il fut re- joint par Tyrwhit, un de ses compatriotes, qui venait pour résider comme consul à Kouka. Il accompagna Denham dans son excursion, qui commença le 16 juin. On traversa la partie infé- rieure du Loggoun, et on entra sur le territoire des Chouañ. Denham aurait bien voulu faire le tour du lac et revenir par le N., mais il ne put SOUDAN; aller que jusqu’à Tangalia, ville située à l’extré- mité orientale du lac. Les Bornoui avaient mare ché contre les habitans de lOuaday; ils furent défaits et revinrent chez eux. Denham put voir des îles vers l’extrémité du lac; il y en a d’au- tres au milieu; elles sont habitées par les Bid- doumah, peuple païen qui fait des incursions chez ses voisins. De retour à Kouka le 17 juillet, Denham y trouva Clapperton revenu de Saccatou avec une petite caravane. « Il était tellement changé, dit Denham, que je ne le reconnus qu’en l’enten- dant m'appeler par mon nom. Notre entrevue fut bien triste : Oudney, son compagnon, était mort: J'avais fermé les yeux du mien, beaucoup plus jeune et plus robuste que mot. Malgré sa faiblesse extrême, Clapperton parlait de retonr- ner dans l'O. aussitôt après la saison des pluies. Nous avons dit précédemment que Clapper- ton était parti le 14 décembre 1823 avec une caravane composée d’une cinquantaine de Bor- noui et de 27 marchands arabes : la plupart de ceux-ci montaient des chevaux destinés à être vendus, et quelques-uns en menalent un en lesse. Les Bornouiï étaient à pied. On marcha vers l’O., le long des rives de l’Yeou. Parvenue aux fron- tières du Bornou, la caravane se dirigea au S. jusqu’au lac Tomboun, qui est dans le pays des Bidis, peuple païen; ils accueillirent bien les Anglais. La température était très-basse. Oudney, déjà malade au moment du départ, s’affaiblissait davantage chaque jour. En continuant à mar- cher à l’O., on traversa de nouveau l’Yeou, et, le 2 janvier 1824, on entra dans Katagoum, ville du Haussa, Le gouverneur fit un accueil très- flatteur aux Anglais. Ils en sortirent le 11. On fut obligé de placer sur un chameau le lit d'Oud- ney, qui était trop faible pour supporter le che- val, et on s'arrêta le lendemain à Mourmour, où le malade expira à l’âge de trente-deux ans, La fraicheur extrême des nuits contribua sans doute à hâter sa mort; c’est une cause très-fré- quente d’accidens funestes pour les Européens dans ces climats où la chaleur est brülante pen- dant le jour. d Après avoir rendu les derniers devoirs à son ami, à son compagnon, à celui qui avait eu la première idée du voyage dans l’intérieur de l’A- frique, et qui avait bien voulu l’y associer, Clapperton , désormais seul, et lui-même souf- frant, continua son voyage avec persévérance. En marchant toujours vers VO., il atteignit Kano, une des principales villes du Hanssa ; de Ja, il se porta encore à l’O., mais en remontant un peu plus haut vers le N. Des détachemens 125 assez nombreux, envoyés par Bello, souverain ces Fellatah, vinrent en plusieurs endroits à sa rencontre, et lu: rendirent honneur par un bruit assourdissant de tambours et de trompettes. Le 17 mars, il parvint à Saccatou, résidence de Bsllo ; il eut avec ce prince plusieurs entrevues très amicales et assez familières, Bello avait des notions assez confuses de l’Europe et de sa civi- lisation ; Clapperton rectifia ses idées sur ce point, et s’efforea de le faire entrer dans les vues du gouvernement anglais pour la suppres- sion de la traite des nègres. À ce sujet, Bello apprit, à son étonnement extrême, qu’il n’y & pas d'esclaves en Angleterre; qu'aucun homme n’y a le droit d’y frapper un autre homme, et que les soldats sont nourris, habillés et payés par l’état. La bienveillance que Bello témoignait à Clapperton fit penser à celui-ci qu’il avait réussi à vaincre chez lui cette défiance si naturelle chez tous les princes barbares à l'égard des étrangers. Bello Jui promit d'accorder sa protection à tous les Européens qui pourraient venir, dans l’inté- rêt de la science, visiter ses états. Au moment de prendre congé de Bello, Clapperton en recut une lettre adressée au roi d'Angleterre pour lui demander de vouloir bien envoyer à Saccatou un consul et un médecin, mais, malgré toute sa bonne volonté, le sultan n’alla pas jusqu’à remplir le vœu le plus cher de Clapperton, en lui donnant les facilités né- cessaires pour pousser plus loin son explora- tion du continent africain. Chaque fois que ce- lui-ci en parlait, Bello objectait les difficultés et les dangers inséparables d’une pareille entre- prise. Du reste, ce monarque africain avait fait preuve de magnanimité. Dès le lendemain de l’arrivée de Clapperton, après l'avoir questionné sur les différentes communions chrétiennes de l'Europe, il'fit apporter des livres qui apparte- naient à Denham, et s’exprima avec beaucoup d’amertume sur la conduite de Boukhaloum, qui avait fait une incursion sur son territoire. Il ajouta : « Je suis sùr que le pacha de Tripoli n’a jamais eu l'intention de me frapper d’une main tandis qu’il me fait des présens de l’autre ; c’est du moins une étrange manière d’en agir entre amis. Mais qu'est-ce que ton ami allait faire là? » Clapperton répondit que Denham avait seulement voulu faire une petite,excursion dans le pays. Bello rendit les livres à Clapperton de la manière la plus gracieuse, et cette affaire en resta la. Clapperton, en retournant au Bor- nou, passa par Cachenah, ville très-commer- cante fréquentée par les Touariks et par leg 126 marchands de Gadamès et de Touat. Il reprit à Kano la route qu’il avait suivie en venant, et: rentra le 8 juillet à Kouka. Le moment du départ approchait : le cheikh consentit à ce que Tyrwhit resta auprès de lui comme cousul, et promit de protéger les mar- chands anglais qui viendraient dans son pays. « Il faut, ajouta-t-il, que ce soient de petits marchands, autrement leur profit ne serait pas assez considérable pour les dédommager de leurs frais. » 1l exprima ensuite le desir d'écrire au roi de la Grande-Bretagne. Après avoir remis sa lettre aux Anglais, il leur envoya un chameau, un cheval et des outres à eau pour leur voyage dans le désert, enfin des présens pour eux et leur souverain. Le 16 août, il leur donna une audience de congé, et ils s’acheminèrent vers Tripoli avec une caravane. Denham suivit par le N. les rives du Tchad jusqu’à Mahal, village sous les 14° 28’ de lat., etles 12° 40” de long. E.; c’est le plus septentrional. La nature marécageuse du lac ne lui permit pas de s’avancer plus loin. 1l reste, d’après sa carte, un espace de 136 milles qu’il ne put pas visiter. Le 14 septembre, tout le monde fut réuni à Voudié, sur la rive occi- dentale du lac. On revint à Tripoli par la même route qu’on avait tenue en allant au Bornou; Denham pense qu’elle est plus difficile et plus fatiyante au N. qu’au S. Un nouveau sultan commandait Morzouk ; il fut très-bienveillant pour les Auglais, qui revirent Tripoli le 20 jan- vier 1825. Les deux voyageurs furent avancés en gra le. L’issue heureuse de ce voyage fit naître natu- rellement au ministère britannique le désir d’en- voyer une nouvelle expédition dans l’intérieur de l’Afrique, afin de profiter des dispositions favorables montrées par les deux souverains aux voyageurs anglais. 11 fut décidé que Clapperton partirait le plus tôt possible. Il prit avec lui son compatriote Dickson, chirurgien qui avait long- temps séjourné aux Antilles. On leur adjoiguit Pearce, capitaine de vaisseau de la marine royale, ‘dessinateur habile. enfin Morrisson, chirurgien et naturaliste distingué. Clapperton avait pour domestique Richard Lander. Des présens con- sidérables, consistant en munitions de guerre et autres obj ts, furent choisis pour les deux prin- ces africains. On partit de Portsmouth le 27 août 1825; on arriva dans le golfe de Benin le 25 novembre suivant. Dickson votilut débar- quer à Juida, afin de gagner Saccatou par terre. Ou sut qu’il était allé jusqu’à Chon, ville de l’in- térieur, et depuis lors on n’en entendit plus parler. D’après les observations d’un négociant VOYAGE EN AFRIQUE. anglais établi depuis longtemps dans le Benin, on alla debarquer à Badagry. Le 7 décembre, on en partit, et on marcha vers le N. Il n’était pas toujours facile de trouver des porteurs pour le bagage. Quelquefois, ceux qui avaient con- senti à s’en charger s’enfuyaient au moment de se mettre en route; toutefois, on ne perdit pas la plus petite chose. Les cabocirs, ou chefs du village, montrèrent en général beaucoup de complaisance pour les voyageurs. La plupart leur fournirent abondam- ment toutes les denrées que produisaient le pays: c’étaient des moutons, des chèvres, des cochons, des poules, des ignames, du lait, du miel, du doura, du maïs et diverses sortes de boissons. On entra bientôt dans le royaume d’Yeo, nommé Yourriba par les Arabes et les Haussauis. Le pays, qui, près de la côte, est bas et uni, s’élève bientôt. Les Anglais étaient bien accueillis par- tout; mais, dès le 27 décembre, Pearce n’exis- tait plus; quelques jours après, Morrison et un matelot, qui l’avaient suivi, moururent; Clap- perton et Lander furent aussi attaqués de la ma- ladie qui avait emporté leurs compatriotes; ils purent néanmoins continuer leur voyage. Après avoir traversé un pays montagneux, ils attei- guirent, le 23 janvier 1826, Katounga, capitale de l’Yourriba. Le roi fit un accueil très distingué a Clapperton; mais il lui refusa la permission de marcher directement vers le Bornou:; il allé- guait pour motif que les pays qu’il fallait traver- ser étaient déchirés par la guerre civile, et que les Fellatah, appelés par un parti, faisaient par- tout des ravages. Le 7 mars, Clapperton sortit de Katounga, se dirigea vers l’O., puis vers le N., passa succes- sivement chez plusieurs chefs nègres dont il fut très-content, et arriva ainsi à Boussa, sur le Dialiba, nommé dans le pays Kouarra. Clapper- ton, ayant questionné le sultan sur les hommes blancs qui, une vingtaine d'années auparavant, avaient péri dans la rivière, celui-ci répondit qu’à cette époque il était très-jeune, et qu’il n’a- vait rien qui eut appartenu aux blancs. Tous les efforts de C'apperton pour découvrir les livres de Park furent inutiles. On lui indiqua l’endroit où le bateau de cet infortuné voyageur avait touché et où son équipage avait trouvé la mort, Pressé d’arriver au terme de son voyage avant la saison des pluies, Clapperton, après avoir passé le Kouarra, traversé ensuite les pays de Gouari et de Zegzeg, qui étaient agités par des dissen- sions intestines et soulevées contre les Fellatah. Quoiqu'il eût annoncé qu'il allait chez Bello, sultan de ces derniers, on le laissa passer moyen- AFFLOTE Ar. } [) PNA \ / ' de Cast: Cuut GP , ce ltrted LZ ral É pie DATE CT V4 hab > HtI4044 7 CD € LL XVL. Pag. 126: SOUDAN. 127 narit Grelques présens, et on lui fournit même une escorte pour le conduire jusqu’à Fatticah, première ville du territoire de ce sultan. Il fran- chit les monts de Naroa, et, le 20 juillet, il re- vit Kano, où il reçut une lettre de Bello, qui, prévenu de son arrivée, le félicitait sur son re- tour et l’invitait à venir le rejoindre. Divers ob- stacles, et notamment les pluies, empêchèrent Clapperton d’arriver auprès de lui avant le 15 octobre. Il était à son camp près de Kounia. Quand ils furent à Saccatou, Clapperton recon- nut un grand changement dans les manières du sultan à son égard. Bientôt il apprit par le se- crétaire intime de Bello que le cheikh du Bornou avait écrit à ce prince pour l’inviter à mettre Clapperton à mort, « parce que, disait-il dans sa dépêche, si l’on encourage trop les Anglais, ils reviendront l’un après l’autre dans le Soudan, et, lorsqu'ils se trouveront assez forts, ils s’em- pareront du pays : c’est ce qu’ils ont déjà fait au Bngale. » Bello avait repoussé avec horreur la proposition du cheikh. Toutefois, il refusa ob- stinément à Clapperton la permission de conti- nuer son voyage vers le Bornou, et lui déclara qu’il ne pourrait retourner en Europe que par l’une des trois voies suivantes : ou par l’Your- riba, ou par Tombouctou, d’où il irait chez les Fellatah de l’O., voisins des comptoirs anglais, ou enfin par Agadès, Touat et Morzouk. Tant de contrariétés exercèrent une influence fâ- cheuse sur la santé de Clapperton, déjà altérée par les fatigues et par les effets du climat afri- cain. Elle éprouva une nouvelle atteinte lors- qu’il apprit que le sultan avait fait saisir le ba- gage qu’il avait laissé à Kano sous la garde de Lander malade. Bello n’avait pu voir sans ja- lousie et sans inquiétude que le voyageur anglais fut chargé d’offrir des présens, et entre autres des munitions de guerre, au cheikh du Bornou, qui, en ce moment, était en hostilité ouverte avec lui. À son propre insu, Bello s’était con- formé aux dispositions du code, que le gouver- nement britannique lui-même a proclamées, et qu’il ne manque jamais de mettre en pratique : il s'était emparé de ce qu’une puissance neutre envoyait chez une autre avec laquelle il était en guerre. Il alla plus loin : il voulut exiger de Clapperton la communication d’une dépêche de lord Bathurst au cheikh; mais, sur ce point, il n’obuünt qu'un refus bien prononcé. Cette lutte acheva d épuiser les forces du courageux voya- geur; la dyssenterie vint se joindre à la maladie qui le minait depuis longtemps. Le 11 mars 1827, il cessa d’écrire son journal. Quelque temps après, sentant sa fin approcher, il remercia ten- NO drement Lander de ses services affectueux, le nomma son ami et son fils, et lui recommanda de chercher, immédiatement après sa mort, à regagner la côte et à porter ses papiers en An- gleterre. Le 11 avril, il expira entre les bras de ce serviteur fidèle; il n’était âgé que de 38 ans. Peu de jours après, Bello fit venir Lauder, lui accorda la permission de retourner en Europe, et lui donua en paiement de divers objets qu’il retint un mandat sur un habitant de Kano. Lander prit en partant de cette dernière ville une route plus orientale que celle par la- quelle il était venu : il traversa différentes ri- vières qui coulaient vers le Kouarra, et vit une suite de montagnes dans l'E. Deja il était par. venu à Denrorah, ville éloignée de 245 milles au $S. de Kano, et avait l’espérance d’arriver bientôt à Fonda, sur le Kouarra, lorsque des messagers du sultan de Zegzeg lui firent re- brousser chemin vers Zariiah, parce que ce prince avait envie de le voir. Il accueillit très- amicalement le jeune voyageur, et lui fit cadeau d’une jeune négresse. Lander l’accepta parce qu’il pensa qu’elle lui serait d’un grand secours ; il acheta de plus un jeune homme. Le 2{ no- vembre, il arriva heureusement à Badagry, en traversant les mêmes lieux qu’il avait déja par- courus. En route, il paya souvent sa dépense en vendant des aiguilles, des grains de verroterie et d’autres bagatelles. À Bidagry, il faillit être victime de la perfidie de quelques Portugais marchands d’esclaves : il eut le bonheur d’é- chapper à leur fureur, et s’embarqua sur un navire marchand pour le Cap Corse, où il ren- dit la liberté à la négresse et au jeune homme qui l’avaient accompagné. Le 3 février 1828, il monta sur une Corvette de l’état, et, le 30 avril suivant, il débarqua en Angleterre. tie Le gouvernement anglais, après avoir reçu par Lander les papiers de Clapperton, jugea avec raison que personne n’était plus propre que ce jeune homme, à poursuivre les décou- vertes commencées dans le Soudan. En consé- queuce, quand celui-ci fut bien remis de ses fatignes, on:lui donna des instructions ; il prit avec luison frère John et tous deux s’embarquè- rent à Portsmouth le 9 janvier 1330. Le 22 mars ils étaient à Badagry; au mois de mai ils entrèrent dans Katounga; le Sultan reçut Ri- chard Lander comme une ancienneconnaissance, et procura aux jeunes voyageurs toutes les faci- lités désirables pour traverser'‘son pays ; ils allè- rent d’abord au N. Le chef de Kiama, dans le Borgou, leur conseilla d’eviter une ville où, dans le précédent: voyage, des nègres qui por- . 128 taient les marchandises de Clapperton, étaient restés, et dont le gouverneur, qui protégeait ces fripons, n’avait pas voulu les rendre. Les jeu- nes voyageurs continuèrent donc à marcher au N. A l'exception des champs d’ignames voisins de Kiama, ils ne rencontrèrent pas, dans la pre- mière journée, une toise de terrain cultivé. Kakafungi, la première ville où ils s’arrétèrent, leur plut beaucoup par l’urbauité des habitans et la propreté des maisons. Cependant John Lander tomba malade dans cette ville hospita- lière; on fut obligé de l'aider pour qu'il put monter à cheval ; le lendemain 6 juin, sa maladie empira , il eut le délire à Coublyÿ où l’on se reposa pendant plusieurs jours : heureusement la fièvre s’apaisa dans la nuit du 11 au 12. Des émissaires du roi de Boussa arrivèrent bientôt; ils étaient chargés d’escorter les deux voyageurs jusqu’à la capitale où ils arrivèrent le 17. 11 n’aurait pas été prudent d’expliquer au roi le vrai motif de la venue des deux Anglais dans son pays, sa- chant de quel œil jaloux tous les peuples nègres regardent ce quiconcerne leursrivières. Richard lui dit, en conséquence, qu’il voulait aller au Bornou en passant par Yaouri, et lui demanda sa protection pour traverser sûrement ses états ; il reçut une réponse encourageante. Âvant leur départ, le roi vint chez eux accom- pagné d’un homme qui tenait un livre sous son bras. Il dit aux voyageurs qu’il avait été retiré de la pirogue qui avait péri avec l’homme blanc dans le fleuve. Les Anglais, en ouvrant le livre, reconnurent que c’était un ouvrage nautique du xviri siècle. Le titre ÿ manquait ; il y avait entre les feuillets divers morceaux de papier de très- peu de conséquence. Le roi etle propriétaire du livre fureut aussi mortfiés que les voyageurs quand ceux-ci leur dirent que ce n’était pas ce qu’ils cherchaient, et que, par conséquent, ils ne pouvaient donner la récompense promise. Le maître du livre le replaça soigneusement sous une grande enveloppe de toile de coton et le remporta , car il l’estimait comme un dieu pénate. Ainsi toutes les espérances de recou- vrer à Boussa le journal ou les papiers de Mango-Park sont entièrement évanouies. Le 23 juin, les deux Anglais partirent à che- val, le lendemain ils sembarquèrent pour re- monter le Kouarra. Le 27, ils débarquèrent sur Ja rive gauche et gagnèrent par terre Yaouri. Le gouverneur était d’une humgur très-capri- cieuse ; 1l avait d’abord envoyé des vivres aux voyageurs. Tout-à-coup il cessa de les approvi- sionner et ceux-c1 se trouvèrent très-gênés, - parce que leurs ressources étaient presque épui- VOYAGE EN AFRIQUE. sées. Les aiguilles n’avaient pas une grande va- leur à Yaouri; le dernier voyage des Anglais en 1826 en avait inondé le pays, d’ailleurs, celles que les deux frères avaient apportées étaient défectueuses, malgré l’annonce pom- peuse de leurs enveloppes et quoique leur fabri- cans eussent sans doute été recommandés, selon l’usage, par les feuilles quotidiennes. On en rapporta aux deux Anglais une grande quantité qui manquaient de trous; ils furent obligés de les jeter. La meilleure et la presque unique res- source des deux frères consistait dans les bou- tons dorés et argentés. La guerre dans les pays à l'E. et au S. d'Yaouri empêcha le gouverneur d’accorder aux voyageurs la permission d’aller de ces cè- tés. Lis prirent congé de lui Le 1‘ août; le 5, ils revirent Boussa. Après des délais qui accompa- gnent toutes les affaires en Afrique, Richard et John Lander allèrent, le 30 septembre, s’em- barquer à Patachie sur une pirogue, et descen- dirent le Kouarra. Ses rives étaient hautes et assez escarpées ; ses eaux paraissaient être pro- fondes et libres d’écueils ; sa largeur variait d’un à trois milles ; ensuite, le pays s’abaissa : quel- ques villages de chétive apparence étaient épars sur les bords du fleuve; des arbres touffus les ombrageaient ; tout annonçait que la terre était bien cultivée par une population nombreuse. Cà et là, on apercevait des villes commercantes et très-peuplées ; de grandes pirogues, au milieu desquelles s’élevait une cabane où logeaient des marchands avec leur famille, voguaient sur le fleuve ; 1l coulait vers le S. E. Au-dessous de Badjebo, grande ville de la rive droite, il se partage en deux bras. L'aspect de ses bords est magnifique ; cependant il manque à ce beau paysage, quoiqu'il soit habité, la vie qui embel- lit ceux des contrées civilisées de l’Europe. Les bateliers, que l’on avait pris dans une ville, s’en retournaient chez eux quand on arrivait à une autre ; il n’était pas toujours facile de s’en procurer promptement de nouveaux, parce que ces gens ne se souclaient pas de s’éloigner trop de chez eux. Les voyageurs furent accueillis très-amicale- ment par le chef de l’île de Madjé. Un peu au- dessous, le fleuve est coupé par d’autres iles, dont l’une forme le mont Késa, haut de 300 pieds, et très-escarpé; son aspect singulier le rend un objet de respecl superstitieux pour les nègres (PL. XV — 4). Les jeunes Anglais ne débarquaient pas aussi souvent qu'ils l’auraient désiré, sachant par expérience que leurs visites aux personnages SOUDAN. d’une certaine importance était très - dispen- dieuse. La navigation était fort gaie : on ren- contrait sans cesse des pirogues; les hommes ramaient, les femmes chantaient en s’accompa- gnant de la guitare; la vue des blancs causait à tous ces nègres une surprise qu’ils exprimaient par leurs exclamations. Le 19, les Anglais passèrent devant l’embou- chure du Coudonia, affluent de gauche du Kouarra; Richard Lander l’avait traversé pré- cédemment dans la partie supérieure de son cours. Le pays paraissait s'élever beaucoup de ‘chaque côté; cependant ils ne purent arriver à Egga, grande ville de la rive droite, qu’en na- viguant à travers un marais profond et très- large. Beaucoup de grandes pirogues remplies de marchandises et de denrées étaient mouillées devant cette ville. Les deux frères y furent très- bien accueillis, mais extrêmement importunés par la curiosité des habitans, qui ne pouvaient se rassasier du plaisir de les voir. On ne leur laissait pas un instant de repos pour qu’ils écri- vissent des charmes; au moins, on accompa- gnait ces demandes d’un présent de denrées. Beaucoup de nègres d'Egga étaient vêtus de tis- sus venant du Benin et des possessions portu- gaises, ce qui fit penser aux voyageurs qu’il existait des communications actives entre cette ville et le golfe de Guinée. En avançant, les Anglais remarquèrent que les rives du fleuve s’élevaient toujours davan- tage. Le 22, ils s’arrêtèrent près de Kacunda, grande ville de la rive droite, dans une position semblable à celle d'Egga, et où ils furent égale- ment bien accueillis. Au-delà, le fleuve tourne au S. Bientôt les voyageurs se trouvèrent entre de hautes montagnes. Dans la soirée et pendant la nuit, les lumières qu’ils aperçurent sur cha- que rive annoncaient que le pays était peuplé. Le 25, dans la matinée, ils virent à gauche l’embouchure du Chary ou Tchadda. Des pal- miers commencçaient à ornerles rives du Kouarra; un lieu commode pour débarquer se présenta à droite; on y aborda, on se dépêcha d’y élever une tente parce que le temps parut menaçant. Des restes de feu éteint et d’autres indices an- noncçaient que cet emplacement avait été récem- ment visité par une troupe nombreuse. Des douves de baril à poudre indiquaient qu’il exis- tait des communications entre les indigènes et les Européens. Trois hommes étant allés à la découverte, entrèrent dans un village où il ny avait que des femmes; celles-ci, ne comprenant pas leur langage, s’enfuirent effrayées dans les bois où les hommes travaillaient. À peine les ÂrR. 129 trois éclaireurs finissaient-ils leur récit, qu’une troupe nombreuse de nègres, armés de fusils, d’ares, de flèches, de zagaies, se montra; heu- reusement les deux blancs eurent le temps de la voir venir et de prendre un parti décisif : ils s’avancèrent seuls vers le chef de la bande, je- tèrent leurs pistolets à terre, et firent tous les gestes qu’ils purent imaginer pour empêcher une attaque. Ils y réussirent, et la paix fut bien- tôt faite, grâces au secours d’un vieillard, qui comprenait la langue du Haussa, et qui servit d’interprète. Les nègres apportèrent en présent des vivres, et leur chef donna aux voyageurs 8,000 cauris. Ce village était Bocqua, fameux entrepôt de commerce, dont R. et J. Lander avaient beaucoup entendu parler. Le chef leur assura qu’ils n'avaient rien à craindre en des- cendant le fleuve, mais qu’ils feraient bien d’é- viter Atta, grande ville de la rive gauche, parce que le roi pourrait, par caprice, les retenir chez lui plus longtemps qu’ils ne voudraient. Ils se rembarquèrent le 26. Le Kouarra continuait à couler entre de hautes montagnes ; ils apercu- rent Atta; mais ensuite ils ne virent plus que des forêts des deux côtés et pas une seule cabane dans une étendue d’une trentaine de milles. Le fleuve se dirigeait au S. O.; bientôt la vallée s’élargit ; les montagnes s’écartèrent à droite et à gauche; les bords du Kouarra, notamment de ce dernier côté, s’abaissèrent et devinrent ma- récageux; des broussailles touffues les cou- vraient; un bras se sépare du fleuve et coule au S. E. Ensuite, on découvrit des pirogues et des habitations ; tous les nègres avaient l’air effrayé. Qu’on juge de la surprise des Anglais, quand, le 27, en passant devant un grand village, ils entendirent un homme vêtu d’une veste de sol- dat anglais qui, dans la langue de leur pays, les invila à s’arrêter; ils ne tinrent compte de ces paroles ; mais une douzaine de pirogues les poursuivit et les forca de débarquer pour rendre leurs respects au roi de Damaggou. Ce chef les accueillit bien, les régala, et ne les laissa partir que le 4 novembre. Ils se placèrent dans une pirogue qu’il leur fournit; leurs gens étaient dans celle qui leur avait servi précédemment. On s’arrêta la nuit dans un village bien peuplé, et qui fait un grand commerce d’huile de palme. Afin de n’être pas trop retardés par la lenteur ordinaire des nègres, les deux frères se mirent chacun dans une pirogue différente, Richard s’éloigna le premier du rivage vers sept heures du matin ; bientôt il passa devant Kirri, grand marché de la rive droite; un bras du fleuve coule de là vers lG. Bsaucoup de grandes piro- it 130 gues remplies de monde et ornées de pavillons attachés à de longs bâtons de bambou, étaient le long du rivage; on n’y fit pas attention, et on continua de descendre le fleuve. Peu de temps après, on apercut une cinquantaine de pirogues semblables qui le remontaient. R. Lander avoue qu’il distingua, avec un cer- tain sentiment de fierté, le pavillon anglais parmi ceux qui les décoraient. Sa satisfaction ne fut pas de longue durée : dès que la première pirogue fut près de lui, un homme de irès- grande taille et de très-mauvaise mine lui fit si- gne de venir le trouver; sa vue et celle de tout son monde très-bien armé lui en Ôôta l'envie; aussitôt, ses oreilles furent frappées du son du tambour, et des fusils se dirigèrent vers lui. Il n’y avait pas moyen de songer à la fuite ni à la défense ; chaque pirogue ennemie avait un ca- non à l'avant et toutes sortes d’armes d’attaque et d’'abordage. En un moment, R. Lander vit son bateau abordé et pillé; il coucha le chef en joue; trois des nègres ennemis sautèrent sur lui, lui prirent son fusil et le dépouillèrent d’une partie de ses vêtemens. D'autres bandits essayèrent d’enlever la femme d’un de ces nègres ; alors sa fureur ne connut plus de bornes : il encouragea ses gens à s’armer de leurs pagayes et à se défendre jus- qu’à la dernière extrémité. Il la délivra, et le mari tua le ravisseur d’un coup de pagaye, qui était en bois de fer. Comme les pillards semblaient aller vers Kirri, on les suivit. Dans la route, on fut hêlé en anglais par le chef d’une grande pirogue, qui invita le jeune voyageur à passer sur son bord. Lander se rendit à son invitation, et fut traité avec beaucoup de bonté. Un moment après, en regardant autour de lui, 1l aperçut son frère, dont la pirogue avait été également pillée, et peu s’en était fallu qu’il ne se noyât, parce qu’elle avait été abordée avec tant de violence, qu’elle avait presque coulé à fond; il en avait gagné à la nage une autre, montée par des gens de Damaggou. Toutes les pirogues naviguèrent vers Kirri; lés nègres descendirent à terre, et forcèrent les deux blancs à rester à bord. Les infortunés étaient presque nus, et exposés à V’ardeur du soleil. Un mallam de Fundah leur adressa quelques paroles de consolation; des u . * habitans de Damagsou prirent également part à leur infortune; des femmes leur apportèrent des bananes et des cocos. Quelques momens après, le mallam ou doc- teur leur dit de venir reconnaître leurs effets, que on avait retrouvés en fouillant les pirogues VOYAGE EN AFRIQUE: des bandits ; les coffres étaient pleins d’eau; un grand sac avait été coupé et à peu près vidé. Tout-à-coup des cris et le bruit des armes se firent entendre ; les hommes tirèrent le sabre et cou- rurent du côté d’où venait le tumulte ; les femmes s’enfuirent vers le fleuve. Les deux blancs, ap- préhendant d’être foulés aux pieds dans cette bagarre, se réfugièrent avec les fuyards dans les pirogues, et s’éloignèrent de terre. Cette alarme était causée par des nègres d’Eboe, qui avaient fait une irruption pour enlever les cho- ses retirées de l’eau. Les habitans de Kirri les repoussèrent. Dans le palabre qui se tint ensuite, des pré- tres musulmans parlèrent avec tant de chaleur et d’énergie en faveur des deux Européens, que, au coucher du soleil, ceux-ci furent man- dés à terre, et on leur communiqua en ces ter- mes le résultat de la délibération : « On vous » rendra ce quia été retiré de l’eau; la personne » qui a commencé l'attaque sera condamnée à » perdre la tête pour avoir agi sans la permission » de son chef. Vous devez vous considérer » comme prisonniers; vous serez conduits de- » main chez Obié, roi d’Eboe; il vous fera subir »un interrogatoire et p'ononcera sur votre compte. » Les jeunes voyageurs écoutèrent cette décision avec un vif sentiment de joie, et remercièrent Dieu de les avoir conservés sains et saufs ; ils étaient dépouillés de tout. Obié les traita avec bonté. Après s'être fait expliquer les faits qui les amenaiïent en sa pré- sence , il consentit à les relâcher, pourvu qu’un des capitaines anglais mouillés le long de la côte payât leur rançon, qu’il fixa à une valeur de 20 esclaves en marchandises. Le fils d’un roi, voisin de l’embouchure du Rio-Nun, principal bras du Kouarra, promit de répondre de la somme si les prisonniers lui en comptaient une assez forte. Richard Lander consentit à remettre à ce personnage un mandat sur un des capitaines anglais. À cette condition, il fut remis en li- ÿ -berté, et, le 12 novembre, ils sembarquèrent avec leur monde dans une grande pirogue. Le 14, on s’engagea dans un petit bras du fleuve qui se dirigeait à gauche; bientôt les voyageurs, à leur grande satisfaction, s’apercurent du mou- vement de la marée. On ne tarda pas à rencon- trer le roi, venu en pirogue à la rencontre de son fils. Il mena les jeunes voyageurs à sa capitale, qu’ils décrivent comme le lieu le plus - sale, le plus misérable et le plus affreux qu'il soit possible de voir. Le monarque leur demanda le paiement du droit acquitté par tous les blancs qui viennent dans la rivière, et, comme il insis- in: ec lététtCT HE. c Le / PPPECEÆCCA € N Ê] AIDÉS ‘ 4 br PÉCCRCCE ÆTCDUCA À À COt07710l = C2. SOUDAN. tait pour le recevoir, R. Lander lui remit un mandat sur un capitaine, mouillé à l'entrée de la rivière. Alors le jeune homme partit avec un de ses serviteurs; son frère, et les autres devaient rester jusqu'à ce que les marchandises eussent été délivrées au roi. En conséquence, R. Lander partit le 17 dans la pirogue de celui-ci, et avec un de ses nègres; le 18, il était entré depuis un quart d’heure dans le Rio-Nun, quand il aper- çoit un brick anglais à l’ancre. Il monte à bord: le capitaine ne faisait que de se remettre d’une violente attaque de fièvre ;'Lander se nomme, et lui fait lire ses instructions par un homme de son équipage, afin de lui prouver qu’il ne lui en impose pas; puis il le prie de le racheter, lui et son frère, lui assurant que tout ce qu’il déboursera pour leur compte lui sera certaine- ment rendu par le gouvernement britannique. Mais, à sa surprise et à sa consternation extrême, le capitaine refusa de donner un seul schelling ; et, malgré sa maladie et sa faiblesse, il jurait de la manière la plus épouvantable. | Lander tenta un nouvel effort auprès du ca- pitaine ; la seule réponse qu’il en put tirer fut : « Tâchez de faire venir votre frère et vos gens à mon bord, je les emmènerai; mais, je vous lai déja dit, vous n’obtiendrez pas même de moi une pierre à fusil. » Heureusement le nègre se laissa persuader par Lander d’aller chercher le frère de celui-ci, ainsi que ses compagnons; il partit très-mécontent ; néanmoins, il s’acquitta fidèlement de sa commission, et, le 24, dans la matinée, les deux frères furent réunis à bord du navire anglais. Ils promirent au nègre qu’un jour il recevrait le paiement de ce qui lui était dû : cet engagement fut rempli. Le 27, le navire passa la barre du Rio-Nun, et, le 1° décembre, les jeunes voyageurs débar- quèrent à Clarens-Cove, dans l'ile de Fer- nando-Po. Le 20 janvier 1831, ils s’embarquè- rent sur un vaisseau de guerre qui allait à Rio- Janeiro; le 9 juin suivant, ils arrivèrent à Portsmouth. Le gouvernement britannique et la société de géographie de Londres récompensèrent magni- fiquement ces jeunes voyageurs, qui venaient de résoudre un problème depuis longtemps dis- cuté; ils avaient découvert l’embouchure de ce fleuve, désigné, depuis les temps les plusanciens, sous le nom de Wiger, et que les nègres con- naissent sous deux noms différens, ceux de Dia- liba et de Kouarra, avant qu’il se partage en plusieurs bras pour former le vaste delta par lequel il arrive dans le golfe de Guinée. Plu- sieurs de ces bouches n’ont pas encore été ex- 151 plorées, et l’insalubrité des contrées basses et marécageuses que traversent Îles ramifications multipliées du fleuve opposera longtemps des obstacles au zèle des hommes hardis qui vou- draient les remonter. Des négocians de Liverpool pensèrent à pro- fiter de la découverte de Lander. Une compa- gnie équipa deux navires à vapeur : le Kouarra, de 150 tonneaux, était construit en bois; |” 4/- burka, de 56 tonneaux, était en fer et ne tirait que trois pieds d’eau ; un brick de 150 tonneaux devait accompagner ces navires et devait sta- tionner à l’embouchure du Rio-Nun pour rece- voir les marchandises qu’ils auraient traitées. R. Lander dirigeait cette expédition; son jeune frère ne voulut pas tenter les hasards de cette nouvelle entreprise. Les navires partirent de Liverpool vers la fin de juillet 1832; ils arrivè- rent à l'embouchure du Rio-Nun le 19 octobre suivant. Le 27, les navires à vapeur commencè- rent à remonter le fleuve; ce ne fut pas sans éprouver de la résistance de la part des chefs ; ceux-ci, trant leurs principaux profits de la traite des nègres, cherchaient naturellement à faire échouer une expédition qui voulait péné- trer dans l’intérieur, se borner à traiter de l’huile de palme, de l’ivoire, des cuirs, de l’or, enfin d’autres productions de ces régions, et, de plus, fournir à leurs habitans des marchan- dises d'Europe à bien meilleur marché que celles qui leur étaient vendues par les trafiquans de la côte. On avait pris des pilotes nègres pour remonter le fleuve. Un des chefs enjoignit à l’un d’eux de faire chavirer le navire qu’il con- duisait, Cependant, on arriva le 7 novembre à Eboe sans que l’on eut perdu persunne. Mais on avait été obligé de détruire un village situé à 30 milles plus bas : les habitans avaient voulu empêcher les bâtimens de passer, et il avait fallu faire un exemple. Néanmoins, le roi d’Eboe fit un très-bon accueil aux Anglais, et des présens furent échangés de part et d’autre. On prit des vivres, et, le 9, on parvint à un grand élargis- sement du fleuve, que Lander avait précédem- ment regardé comme un lac; sa largeur est Jà de 1,500 toises environ, et sa profondeur de 42 pieds. Deux jours après avoir quitté Eboe, les mala- dies commencèrent à ravager les navires; le 5 décembre, le Xouarra avait perdu 14 hommes et lAlburka 3 5. Cette différence entre la morta- lité des deux vaisseaux fut attribuée à la frai- cheur répandue dans l’intérieur de l’Alburka par le fer qui formait son enveloppe. Le roi d’Auta accueillit fort mal les Anglais, et les prè- 132 tres eurent recours à toute espèce de sortiléges pour s’opposer au passage des navires. On offrit inutilement d’échanger des marchandises d’Eu: rope contre de l’ivoire. On parvint ensuite à Bocqua, petite ville que Lander avait vue précédemment sur la rive droite, mais qui, ayant été depuis saccagée par une peuplade ennemie, avait été transportée sur la rive opposée. La nouvelle ville aussi bien que l’ancienne possédait un marchésur le fleuve; une circonstance qui mérite d’être remarquée, et qui montre que les extrêmes en civilisation et en barbarie se rencontrent quelquefois, c’est que ce marché est un terrain neutre, une es- pèce de port libre où les tribus, obéissant à des rois ennemis, apportent, sans courir aucun danger, les objets d'échange. Les principaux consistent en pagnes, chevaux, chèvres, mou- tons, riz, mil, beurre et autres dns Au- dessus d’Aua, le fleuve est d’une navigation extrêmement difficile; son fonds est souvent parsemé de rochers. Le Æouarra toucha plu- sieurs fois; il finit par demeurer échoué pen- dant six mois. L’ÆA/burka, qui tirait moins d’eau, fut plus heureux, et parvint jusqu’au confluent du Tchadda et du Kouarra. Cependant la mor- talité décimait les équipages. Des matelots nè- gres, que l’on avait pris en passant a Sierra- Leone, et que l’on appelle les Kroumen, résis- tèrent au fléau qui enlevait les blancs, et se montrèrent toujours fidèles. Le capitaine du Kouarra, s’ennuyant à bord, fit, au mois de février 1833, une excursion jusqu’à Fundah, ville importante sur le Tchadda. Cet Anglais essaya vainement d'établir un comptoir à Fun- dah; le roi. lui défendit de communiquer avec ses sujets; du reste, il ne le maltraita pas. A son retour à bord, le capitaine trouva son navire remis à flot; l'équipage était réduit à deux ma- telots anglais malades. Lander, qui s’était em- Parque sur un canot, avait remonté le Kouarra jusqu'à Egga, puis il était retourné vers son PAU pour prendre de nouvellès mar- chandises à bord du brick ; ensuite, il alla jus- qu’à Fernando-Po. Plus tardilremontait lefleuve dans une pirogue, lorsque, le 21 juillet 1833, il rencontra le capitaine du Xouarra, quiretournait vers la côte; il fut convenu que ce dernier con- tinuerait son voyage, et que Lander, avec l 4/- burka, pousserait, s’il était possible, jusqu’à Rabba, et mème jusqu’à Boussa. Ce jeune homme comptait fermement sur la réussite de ses pro- jets, et espérait établir des relations suivies en- ire sa patrie et ces contrées intérieures de PA« frique. VOYAGE EN AFRIQUE. A la fin de l’année, il revit encore Fernando: Po; le gouverneur de ce comptoir lui prêta une grande chaloupe, et il s'embarqua sur un cutter pour le Rio-Nun. Là, il quitta le navire, et passa avec ses marchandises sur la chaloupe. Son projet était de rejoindre l’A/burka, qu’il avait expédié quelques semaines auparavant. Il avait déjà partouru plus de 300 milles, remontant avec peine le courant; ses gens et lui étaient en bonne santé. Tout-à-coup ils furent accueillis d’une fusillade partie d’un buisson; trois hom- mes tombèrent morts, et quatre furent blessés. Lander était de ce nombre. Au moment de lat- taque, la chaloupe se trouvait engravée, et ils étaient descendus à terre pour tâcher de la dé- gager. Ils furent donc obligés, pour se sauver, de sauter dans un canot qui suivait la chaloupe, et de fuir au plus vite. Des pirogues de guerre, remplies d'hommes, les poursuivirent pendant plus de cinq heures, jusqu’à la nuit, en tirant continuellement sur eux. Les Anglais parvinrent gagner l’embouchure du Rio-Nun, et, le 27 janvier, ils débarquèrent à Fernando-Po. Lander, malgré les secours que lui prodigua le commandant de l’île, mourut le 5 février 1834. On a supposé que des trafiquans européens, in- téressés au commerce des esclaves, n’avaient pas été étrangers à l’assassinat de cet intrépide voyageur. Tous ses papiers furent perdus. Parmi les différentes entreprises dont nous venons de rendre compte, plusieurs avaient eu pour but la ville de Tombouctou, si célèbre par les relations des voyageurs arabes. En 1826, Laing, dont nous avons rapporté le voyage aux sources de la Rokelle, parvint à Tombouctou, mais maltraité, blessé et dépouillé par les noma- des du désert, qui avaient arrêté la caravane avec laquelle il était parti de Tripoli; son do- mestique avait été tué par ces barbares. Les Maures de la caravane de Laing le relevèrent, et, à force de soins, le rappelèrent à la vie. Dès qu’il eut repris connaissance, on le placa sur son chameau, tant il était faible. Sa convales- cence fut lente, mais enfin il guérit, grâce aux soins d’un Tripolitain, habitant de PAIE à qui on l'avait confié. Il ne fut pas tourmenté durant son séjour dans cette ville; il put S'y ,promener librement et même entrer dans les mosquées. Il fit une excursion jusqu’aux rives du Dialiba, qui passe à peu de distance au S. de Tombouctou, et combina son voyage ulté- rieur de manière à remonter ce fleuve jusqu’à Ségo : de là il aurait gagné les comptoirs fran- çais du Sénégal; mais, à peine eut-il commu- niqué son projet aux Foulahs établis sur les Re 7 ne D SOUDAN. bords du Dialiba, que tous déclarèrent qu’ils ne souffriraient jamais qu’un Nazarah miît le pied sur leur territoire, et que, s’il le tentait, ils sau- raient bien l’en fairerepentir. Laing, voyant qu’il courrait trop de risques à suivre son premier dessein, choisit une autre route, espérant se joindre à une caravane de marchands maures qui portaient du sel à Sansanding:; mais, après avoir marché cinq jours au N. de Tombouctou, la caravane rencontra une horde conduite par un vieillard fanatique, qui arrêta Laing sous prétexte qu’il était entré sur son territoire sans sa permission; ensuite, il voulut l’obliger à pro- noncer la profession de foi musulmane. Laing, trop confiant dans la protection du pacha de Tripoli, qui l'avait confié à tous les cheikhs du désert, refusa d’obéir, et se montra inébranlable à toutes les instances qui lui furent faites. Le cheikh le fit étrangler par des esclaves nègres. Les instrumens de Laing, ses papiers et le peu de marchandises qui lui restaient furent pillés. René Cuillié, Français né à Mauzé, départe- ment de la Vendée, fut plus heureux que Laing. Il faisait le commerce au Sénégal; mais le projet de visiter l’intérieur de l'Afrique dominait toutes ses pensées. 11 passa d’abord dans les établisse- mens anglais de la Gambie, et prit part aux tentatives de Grey et de ses compagnons; en- suite, revenu au Sénégal, il alla chez les Brack- nas, vivant le long des bords du Sénégal. Voyant qu’il ne pouvait rien effectuer de ce côté, 1l ga- gna Kakondy, sur les bords du Rio-Nunez, se déguisa en musulman, et, le 19 avril 1827, se joignit à une caravane de Mandingues qui s’a- cheminait vers le Dialiba. Il raconta aux mur- chands mandingues qu’il était né en Egypte de parens arabes; que, dès son plus jeune âge, des soldats de l'expédition française l’avaient em- meué dans leur pays; que, depuis, il avait été conduit au Sénégal pour y suivre les affaires de son maître, qui, satisfait de ses services, l’avait affranchi. « Libre maintenant d’aller où.je veux, ajouta-t-il, je désire naturellement retourner en Egypte pour y retrouver ma famille et repren- dre la religion musulmane. » Caillié était ac- compagné d’un guide et d’un Foulab, porteur de son modeste bagage. Il traversa le Foutah- Diallon, et, le 3 août, il arriva dans le village de Timé, où il fut retenu maïade pendant cinq mois entiers, et attaqué d’une affection de scor- but qui le laissa longtemps entre la vie et la mort, par suite de l’intempérie du climat et des fatigues qu’il avait essuyées en traversant les montagnes escarpées de ce pays. Echappé à cette maladie funeste, Caillié se 133 remit en route le 9 janvier 1828; il alla par terre jusqu’à Jenné. Cette ville est dans une île; elle peut avoir deux milles et demi de tour; elle est entourée d’un mur en terre, assez mal construit, haut de 10 pieds et épais de 14 pouces. Ses mai- sons, bâties en briques séchées au soleil, sont de la grandeur de celles des villages d'Europe ; la plupart ont un étage, et le toit est en terrasse. Les chambres ne recoivent le jour et l'air que par des fenêtres qui donnent sur une cour inté- rieure. Les murs, surtout à l'extérieur, sont très-bien crépis en sable, car on manque de chaux. Un escalier intérieur conduit sur la ter- rasse; il n’y a pas de cheminée, et assez souvent les esclaves font leur cuisine en plein air; les rues ne sont pas alignées, cependant elles sont assez larges pour un pays où l’on ignore l’usage des voitures; 8 ou 9 personnes y peuvent passer de front; elles sont très-propres, et balayées presque tous les jours. Placée sur une élévation de 7 à 8 pieds, Jenné est préservée des débor- demens périodiques du fleuve; une grande mos- quée en terre est dominée par deux tours mas- sives et peu élevées ; des milhons d’hirondelles y font leur nid, ce qui y répand une odeur in- fecte. Un grand nombre de mendians, de vieil- lards, d’aveugles et d’infirmes viennent cher- cher un abri a l’ombredes arbres qui l’entourent, On voit en effet, dans quelques endroits de la ville, des groupes de baobabs, de rondiers, de daitiers et de mimôsas. Des Mandingues, des Bambaras, des Foulahs composent la population de Jenné, que Caillié estime à {0,000 ames. Beaucoup de Maures y sont établis. On y parle les idiomes propres à ces quatre nations, et, de plus, un dialecte par- ticulier qui est appelé {tssour, et qui est en usage jusqu'a Tombouctou. Tous les habitans sont musulmans ; et, quand des Bambaras païens y viennent, ils sont obligés de faire la prière, sans quoi ils seraient maltraités par les Foulahs, qui sont les plus nombreux et les plus fanatiques. Cependant les femmes sortent sans être voilées ; mais elles ne mangent jamais avec leurs maris, ni même avec leurs enfans mâles. L'écriture des Arabes est la seule en usage ; presque tout le monde est en état de la lire, mais peu de gens comprennent bien la langue. Il y a des écoles où l’on enseigne à lire le Coran. Le commerce est actif à Jenné; Caillié fut étonné de la foule qui était au marché; il le trouva très- bien fourni de toutes les denrées nécessaires à la vie. Elles y sont apportées par les habitans des villages voisins, qui viennent acheter du sel et d’autres marchandises ; celles d'Europe 134 y sont très-chères; presque toutes parurent à notre voyageur de fabrique anglaise; il y vit aussi quelques fusils français, qui sont très-esti- més. Il rencontra dans les rues beaucoup de colporteurs qui, de même qu’en Europe, crient les marchandises qu’ils ont à vendre. Tous les jours, il part et arrive des caravanes. Le 23 mars, Caillié s'embarqua sur un grand bateau qui descendait le Dialiba. Depuis Jenné, ce fleuve renferme un grand nombre d'îles jus- qu’au lac Débo ou Dibbie. Cette nappe d’eau est d’une étendue considérable. Elle contient quel- ques iles. Le Dialiba, qui, jusqu’à sa sortie du lac, a coulé au N. E., se dirige ensuite vers l’E., à travers des marais, jusqu’à Cabra, grand vil- lage situé sur un monticule, qui le préserve de l’inondation dans la saison des pluies. Un petit canal conduit à Cabra ; il n’est navigable, dans les temps ordinaires, que pour de petites piro- gues ; les autres sont obligées de rester dans le port, sur les rives du Dialiba. Les marchandises sont transportées de Cabra à Tombouctou sur des ânes et des chameaux. Le 20 avril, au coucher du soleil, Caïllié en- tra dans Tombouctou, « cette cité mystérieuse, objet des recherches des nations civilisées de l’Europe. Je fus saisi d’un sentiment inexprima- ble de satisfaction , ajoute notre voyageur : je n'avais jamais éprouvé une sensation pareille, et ma joie était extrême. Mais il fallut en com- primer les élans. Ce fut au sein de Dicu que je confiai mes transports : avec quelle ardeur je le remerciai de l’heureux succès dont il avait cou- ronné mon entreprise ! Que d’actions de grâces j'avais à lui rendre pour la protection éclatante qu’il m'avait accordée au milieu de tant d’ob- stacles et de périls qui paraissaient insurmonta- bles ! Revenu de mon enthousiasme, je trouvai que le spectacle que j’avais sous les yeux ne ré- pondait pas à mon attente : je m'étais fait de la grandeur et de la richesse de cette ville une tout autre idée : elle n’ofire, au premier aspect, qu’un amas de maisons en terre mal construites ; dans toutes les directions, on ne voit que des plaines immenses de sable mouvant, d’un blanc tirant sur le jaune, et de la plus grande aridité. Le ciel, à lhorizon, est d’un rouge pâle; tout est triste dans la nature; le plus grand silence y règne; on n’entend pas le chant d’un seul o1- seau. Cependant, il y a je ne sais quoi d’impo- sant à voir une grande ville élevée au milieu des sables, et l’on admire les efforts qu'ont eus à faire ses fondateurs. Tombouctou est principa- lement habitée par des nègres de la nation kis- sour ; beaucoup de Maures y sont établis et y VOYAGE EN AFRIQUE: font le commerce; ils retournent ensuite dans leur pays pour y vivre tranquilles ; ils exercent une grande influence sur les indigènes. Le roi ou gouverneur est un nègre très-respecté de ses sujets et très-simple dans ses habitudes. Comme beaucoup d’autres chefs de ces contrées, il est commerçant et très-riche : ses ancêtres lui ont laissé une fortune considérable. » Tombouctou peut avoir 3 milles de tour, et ressemble beaucoup à Jenné (PL. XIV — 1). Elle renferme sept mosquées ; sa population est au plus de 12,000 ames ; les caravanes qui y sé- journent augmentent momentanément ce nom- bre; elle n’a d’autre ressource que son com- merce de sel; elle tire de Jenné tout ce qui est nécessaire à son approvisionnement, Les cara- vanes qui viennent de Tripoli et de Maroc y ap- portent toutes sortes de marchandises d'Europe et d'Asie, qui sont ensuite expédiées vers les autres contrées du Soudan. » Les habitans sont d’une propreté recherchée pour leurs vêtemens et l’intérieur de leurs mai- sons : les femmes sont vêtues d’une ample tuni- que en toile de coton; elles portent des babou- ches en maroquin; leurs cheveux sont tressés avec beaucoup d’art. Les riches ornent leur col et leurs oreilles de verroterie et de grains de corail. De même que celles de Jenné, elles ont un anneau aux narines, des bracelets en argent et des cercles en fer argenté aux chevilles (PL. XIV — 2). » Pendant les quatorze jours que Caillié resta a Tombouctou, le temps fut constamment chaud, et le vent ne cessa pas de souffler de l'E. Le 4 mai, Caillié partit avec la caravane de Tafilet : elle était composée de 1,400 chameaux chargés de marchandises ; les voyageurs, en y comprenant les esclaves de tout âge et de tout sexe, étaient au nombre de 400. On fit route au N.; on passa par Araouan, ville où se fait un grand commerce de sel, et habitée par des Maures. De temps en temps, on rencontrait des puits d’eau saumâtre, où l’on faisait halte sou- vent. On souffrait beaucoup de la soif. Caillié dit qu’à la vue du désert, qui ne présentait aux regards qu’une immense plaine de sable écla- tant de blancheur et enveloppée d’un ciel de feu, les chameaux avaient poussé de longs mu- gissemens, et que les esclaves nègres, accoutu- més à la belle végétation de leur patrie, étaient devenus mornes et silencieux. Le 29 juin, la ca- ravane atteignit El-Harib, où elle se partagea en plusieurs troupes, et, le 23 juillet, elle eutra dans Tafilet. Caillié évita de passer par la capi- tale de l’empire de Maroc; et, Le 17 septembre, EE LL" AT IN AFRIQUE /d ; CG) e” Me subierr ec -L/aærsense 7 2 C'LA AS ref 4 OZ LE COARTOR / » / 7 D £ Le de- «Algeosrfihe 7272 / 4 LOC 7, Je CAN 72 CF CZ XVI, Zag. 1234 “ sU 5 - + … 0 ee LES OASIS. acéompagné d’un guide, il arriva dans les murs de Tanger. M. Delaporte, vice-consul de France, accueillit le jeune voyageur avec cet intérêt dû à un homme courageux, dont le dévouement n’a pas connu d’obstacle pour contribuer aux progrès des sciences. CHAPITRE XIX. Les Oasis. Au milieu de l'immense étendue du Sahara, sont dispersés des espaces habités et cultivés que l’on peut comparer à des îles. À l'exemple des anciens, nous les désignons sous le nom d'Oasis ; les Arabes les appellent Ouah. Les plus-considérables sont dans VE. du désert. La plus méridionale est le Darfour, visitée en 1793 per W. G. Browne, anglais. Il partit du Caire avec la caravane qui allait dans ce pays, tra- versa les déserts, puis les oasis d’El-Khargeh et de Selimé, et, le 23 juillet, il atteignit lOuadi- Mazrouk, première source d’eau vive située dans le Darfour. L’abondance des pluies et les rava- ges des fourmis blanches contraignirent les gens de la caravane d’aller loger au village de Souëini, où tous les marchands, même indigènes, sont obligés de s’arrèter en attendant la permission du sultan pour aller plus loin. Browne, qui n’a- vait rien de commun avec les commercans, et qui était regardé dans la caravane comme l’é- tranger du roi, demanda au mélik ou gouverneur la faculté de poursuivre sa route, offrant de payer les droits qu’on exigeait de lui pour son bagage; mais il avait été dns auprès du sul- tan par un homme du Caire, qui laccompagnait, et qu’on lui avait recommandé pour les affaires qu’il pourrait avoir à traiter au Darfour. Ce perfide fit insinuer au prince, par un habitant de Souëini, que Browne était un infidèle venu dans le pays avec de mauvais desseins, et qu’il était à propos de le surveiller. Bientôt l’émis- saire de Browne revint avec une lettre. du sul- tan, qui ordonnait de le laisser partir pour Cobbé, la capitale où il devait demeurer jusqu’à ce’ qu’il eût recu l’ordre de se présenter devant le monarque. Le 7 août, Browne entra dans Cobbé. Tous les gens qui l'avaient connu en Égypte et pendant le voyage, et qui auraient pu lui rendre service, s’étaient dispersés. Les Darfouris, qui le regardaient comme un infi- dèle dont la couleur même était un signe de ma- ladie et de Ja réprobation divine, répugnaient à communiquer avec lui. Ces inquiétudes lui oc- gasionnèrent bientôt une fièvre violente qui le 135 réduisit à l’extrémité. Au bout d’un mois, se sentant mieux, il obtint la permission d’aller à El-Tacher, où était le roi. La cessation des pluies lui rendit momentanément la santé. Revenu à Cobbé, on s’accoutuma un peu à sa vue. Enfin, dans l’été de 1794, retourné à El-Tacher, il vit le sultan, lui offrit des présens, et sollicita vai- nement la permission de partir : elle ne lui fut accordée qu’en 1796. Durant ce long séjour, on lui avait pris la plus grande partie de ses effets, et on ne les lui avait payés que le dixième de leur valeur. Accablé d’ennuis, il ne trouva d’au- tre moyen de se divertir que d’acheter deux lions pour les apprivoiser, Enfin, le 3 mars, il partit avec une caravane qui n’arriva qu’au bout de quatre mois à Siout, sur le Nil. Le Darfour ou pays de Four est une véritable oasis composée de plusieurs groupes, bornée à VE. par les rochers de Téga et d’Ouanna, et en- tourée de déserts sablonneux. On n’y voit que des ruisseaux qui même ne s’emplissent que dans la saison des pluies ; à peine elles commen- cent à tomber , que la terre, auparavant aride, se couvre de la plus belle végétation et d’une riche verdure. Le dourah, les fèves, le sésame et autres plantes y croissent en abondance et servent à la nourriture des habitans. Le tama- rinier est le seul arbre qui s’élève à une grande hauteur; le dattier n’acquiert qu’une grosseur médiocre. Les chameaux, les brebis, les chèvres, les bœufs sont communs. Browne évalue la population du Darfour à 200,000 ames. Les Darfouris ont les cheveux laineux et la peau noire. Il y a parmi eux des Arabes, les uns nomades, les autres sédentaires; et des Berbers ; tous professent l’islamisme. Les caravanes du Soudan et de l'Egypte font halte dans le Darfour. Le départ de celle qui va au Caire est le plus grand événement de l’année : elle a quelquefois compté 15,000 chameaux chargés et jusqu’a 72,000 esclaves. En sortant du Darfour pour voyager au N. vers l'Egypte, on marche pendant huit jours dans le désert, en longeant des rochers que l’on traverse obliquement à Bir-el-Malha. L'eau de ce puits est si saumâtre, qu’on ne peut la boire. On recueille, dans le voisinage, du natron très- blanc et solide; les marchands en portent en Egypte, où il se vend fort cher, et où la plus grande partie est employée dans la pr éparaton du tabac en poudre. On va en quatre jours à El-Eghy, où il yaun peu d’eau saumâtre, et de là en cinq jours à Selimé , petite oasis verdoyante, dont l'aspect réjouit doublement, car on y trouve la meile. 136 leure eau de toute la route; mais il n’y croit rien qui puisse servir à lanourriture de l’homme. Les marchands débitent, suivant leur usage, beaucoup de contes sur une petite maison en pierres brutes que l’on voit là, et qui probable- ment fut construite par quelqu’une des hordes arabes qui s’y arrêtent en traversant le désert. Il y a des mines de sel au N. de Selimé. On emploie deux jours pour aller jusqu’à Cheb, dont le nom indique que le sol abonde en alun. La surface de la terre, argileuse en beaucoup d’endroits, est couverte de pierres rouges. 11 faut creuser le sable à quelques pieds pour trouver de l’eau. Ce lieu est fréquenté par les Ababdé, qui sont des brigands déter- minés. Ou continue à marcher pendant cinq jours, on coupe Île tropique du Cancer, et on arrive à Moghs, village le plus méridional de l’oasis d’El-Khargeh, oasis magna des anciens. Elle a été visitée par Poucet et Browne , et récemment par d’autres voyageurs, entre autres MM. Cail- liaud, Edmonstone, Hoskins, qui l’ont décrite soigneusement. Sa longueur, du N. au S., est de 35 lieues, et sa largeur moyenne de 5. Des rochers de grès la bornent à l'E. et à l’O. Ses sources d’eau vive, ses petits ruisseaux, sa ver- dure constrastent agréablement avec les sables arides qui l’entourent de toutes parts. Le ther- momètre y monte jusqu’à 37 degrés. Le climat est très variable en hiver ; quelquefois les pluies sont abondantes. En été, l’eau des sources est fortement impregnée de fer et de soufre, et chaude en sortant de terre : jamais elle ne tarit, Le sol est léger, de couleur rougeatre; on le rend fertile par l'irrigation qui s’effectue au moÿen de petits canaux. Les principales récoltes sont celles de l’orge et du riz. Les dattiers don- nent une grande quantité de fruits ; les citrons et les limons sont également très-communs dans les jardins enclos. | La population se compose de Bédouins que le pacha d'Egypte a soumis à son autorité, Il Les traite fort doucement, ne lève pas de recrues chez eux, et se contente d’un tribut. Parfois ils souffrent des incursions que font sur leur territoire des Maugrebins ou Maures de l'O. Ils ont le teint moins foncé que les Fel- labs d'Egypte, et paraissent pâtir à certaines époques, soit de l'insalubrité du climat, soit de la mauvaise qualité des exux. Ils fabriquent artistement , avec les feuilles des palmiers, des paniers et des nattes. Les femmes ne sont pas voilées. L’oasis offre, sur différens points, des restes =] VOYAGE EN AFRIQUE, d’édifices, les uns très-anciens, et portant les caractères de ceux du siècle des Pharaons, d’au- tres plus modernes, et dont les ornemens attes- tent qu’ils ont été des églises chrétiennes ou des mosquées. Le temple de Kasr-el-Zayan est situé sur une colline, et construit en briques; son as- pect est très-pittoresque (PL. XVI — 1), quand on l’apercoit du milieu d’un bocage de palmiers et d’acacias bordant un ruisseau. On lit, sur des fragmens de pierre, des restes d’inscriptions grecques. Toutes les sculptures sont dans le style égyptien, mais quelques-unes ne remontent pas au-uielà du temps des empereurs romains. Kasr-Ouaty, à une lieue au N. de Zayan, a un temple magnifique bâti sur le sommet d’une colline. Il est entouré d’un mur très-épais, gros- sièrement construit en briques, et qui a servi de demeure à des chrétiens. Le sable s’est accumulé à l’abri de cette clôture, et a pénétré dans l’in- térieur du temple (PL. XVI — 3). Plus au N., le village d’El-Khargeh, le plus considérable de l’oasis, offre un plus grand nombre de monumens; son temple est entière- ment semblable à ceux de l'Egypte; sur un des pylones, on lit deux longues inscriptions grec- ques du temps des Romains. La nécropole, sur un coteau d'apparence volcanique, à un mille et un quart au N. du temple, a résisté, par sa posi- tion élevée, à l’envahissement des sables du dé- sert. À peu près 250 sépulcres en briques sé- chées sont disposés en rues irrégulières, et va- rient de formes et de dimensions; cependant, la plupart sont carrés; les uns avec le toit aplati, les autres surmontés d’un dôme. Leur extérieur est orné de pilastres et d’arcades. Leur excellent état de conservation est une preuve de la séche- resse du climat. L’intérieur a été fouillé; les chambres sont jonchées de morceaux de lin- ceuls de moraies. On distingue sur les parois des inscriptions presque illisibles en copte, en grec, en arabe, et des croix grecques (PL. XVI — 2). Trois routes conduisent de l’oasis d'EI-Khar- geh, au N. et à l’'E., en Egypte; une quatrième se dirige à l'O., en traversant d'abord le désert, puis une gorge rocailleuse et escarpée où l’on rencontre les ruines du temple d’Aïn-Amour, contigu à une source ombragée par des datters. On voyage ensuite sur un plateau, et on des- cend dans le lit d’un torrent à sec. Teneydeh ‘est le village le plus à l’O. de l’oasis de Dakhel, ou intérieure ou occidentale, à 33 heures de marche de celle d’'El-Khargeh, avec laquelle elle offre de nombreux traits de ressemblance. S:s principaux villages sont El-Cazar et El-Cala- moun. Les environs de Bellata et de Deyr-el © mn LES OASIS. Haya offrent des ruines de temples antiques. On y fabrique de l’indigo. Edmonstone et deux au- tres Anglais découvrirent cette oasis en 1819. Le premier l’a décrite et en a dessiné les monu- mens. M. Cailliaud et M. Wilkinson l’ont visitée depuis. Tous ces voyageurs vantent le caractère aimable et bienveillant des habitans. En marchant au N. O., à travers un pays élevé et désert, on arrive en moins de quatre jours à l’oasis de Farafreh, qui a peu d’étendue. Les habitans ne s’y montrent pas aussi aflables que ceux de Dakhel envers les chrétiens. Les mai- sons du village entourent un château dans le- quel la population se réfugie quand les Arabes viennent pour l’attaquer. On en ferme la porte par une pierre énorme, et du haut d’une mu- raille les uns tirent des coups de fusil sur les as- saillans, les autres font pleuvoir sur eux une grêle de pierres. Les terres en culture sont dis- persées dans le désert; les meilleures sont cou- vertes d’oliviers, et touchent au village; on cultive aussi des céréales, des plantes potagères, des dattiers et d’autres arbres à fruits. Il faut trois jours de marche au N. E. pour par- venir à la petite oasis. On passe par El-Hayz, qui en dépend, et où l’on vient en pèlerinage au tom- beau d’un santon. On voit à Ougqsor, à cinq quarts de lieue au S. E., des restes d’édifices chrétiens et d’autres débris dont les sables di- miuuent sans cesse le nombre. El-Ouah-el-Bahryeh (oasis parva des anciens), à trois journées au N. O. de Farafreh, est une vallée d’environ 10 lieues de l'E. à l’O., et de 3 lieues de largeur moyenne, entourée de ro- chers, et séparée par une montagne en deux parties, dont l’orientale est la plus grande. Browne, Belzoni et M. Cailliaud l’ont décrite. El-Mendyeh, avec des restes d’anciens aque- ducs et des sources ferrugineuses ; Zabou, près duquel sont de misérables débris d'habitations copies; Beled-el-Agouzeh, sont les villages de l'E.; et Kasr, avec de nombreuses ruines d’aqueducs, des catacombes et un petit arc de triomphe romain; et El-Baoufyti, sont ceux de l'O. M. Cailliaud et M. Le Torzek furent très-bien accueillis dans cette oasis, où leurs opérations astronomiques et géodésiques finirent par éveil- ler des soupcons chez üne population ignorante et superstitieuse; on ne les maltraita pas, mais on les vit partir avec plaisir. « La partie occi- dentale est surtout très-boisée; c’est une terre couverte en toute saison d’une épaisse végéta- tion; depuis la fin de janvier, les abricotiers étaient en fleur. Un grand nombre de rigoles portaient l’eau sur les terres, où elle serpentait AFR, 157 entre des tapis de verdure, sous des bois épais de palmiers et d’abricotiers. De belles treilles, des pèchers, des citronniers et des orangers ajoutent à la richesse de cette campagne et en font un séjour enchanté... Le sol de la petite oasis, continue M. Caïiliaud, est une argile sa- blonneuse ; le sel marin y esi répandu avec pro: fusion ; l’ocre rouge y abonde aussi; ect oxile de fer se montre partout à la surface du sol. Les habitans me dirent que presque tous les ans, au mois de janvier, il tombait un peu de pluie. Leurs sources sont presque loujours à la même hauteur toute l’année; cependant il y a une pe- tite diminution en été. Guelquefois, mais rare- ment, des nuées de sauterelies se précipitent sur les arbres, mangent et détruisent tout, comme sur les bords du Nil; on est éionné que le désert immense qui entoure l’oasis ne soit pas une barrière contre ce fléau. » En neuf jours de marche à l'O. N. O., à tra- vers le désert tantôt pierreux, tantôt sablonneux, et où l’on rencontre un grand lac d'eau salée nommé Æl-Pahreyn, on arrive à l’oasis de Syouah ou d’Ammon, dont la longueur est d'environ 55 lieues, et dont la largeur varie d’une demi-lieue à trois quarts de lieue, Dans les temps modernes, Browne l’a découverte; Horneman, MM. Cailliaud et Le Torzek, le gé- néral Minutoli, Ch. Droveiti, Bottin, cotonel français, et d’autres voyageurs, l’ont également visitée et décrite. Elle fut fameuse dans l’anti- quité par le temple de Japiter Ammon. Cain- byse, roi de Perse, envoya, pour détruire cet édifice, une armée qui périt dans le désert. Plus tard, Alexandre-le-Graud vint consulter son oracle. C'est pour visiter les ruines de ce temple que tant de voyageurs sont venus dans cette oasis; elles sont nommées Omm-Brcydeh, et voisines de Gharmy, village entouré de palmiers qu’arro- sent de nombreuses sources, entre autres celles du Soleil. Cette ruine, quoique peu étendue, est imposante par ses grandes masses construites selon le style égyptien. On reconnaît les restes très-apparens de deux enceintes; au centre elles contiennent les restes de lédifice, lesquels con- sistent dans une portion de la facade et dans les montans de la porte principale, qui est celle du N. (Pc. XVI — 4). D’après les traces des décombres, on peut conclure que la longueur totale de Pédifice a pu être de 45 à 50 mètres. En avant du monument, sont des restes épars de chapiteaux, en forme de lotus, et des tronçons de füts de colonnes de 3 mètres de circonfé- rence. L'état de vétusté ne permet pas de juger 1$ 138 les ornemens des chapiteaux; les colonnes ne paraissent pas avoir de sculptures. L’enceinte extérieure qui renfermait toutes les construc- tions, pouvait avoir 360 pieds sur 300. Les par- ties intérieures des murailles et leurs plafonds sont couverts de sculptures égyptiennes, ainsi que le montant de la porte à gauche. Ces ruines se dégradent sans cesse. « La nature, plus que Ja main de l’homme, observe M. Cailliaud, a avancé la destruction du temple d’Omm-Beydeh. Le plateau qui les porte est un calcaire coquil- lier, souvent pénétré de sel; par l'humidité, il devient très-friable. Les pluies, les vents du N., le contact des eaux salées sont aussi des causes puissantes et actives qui minent de plus en plus les antiquités de Syouah; enfin elles sont en- core exposées aux tremblemens de terre. » Les habitans de cette oasis se montrent géné- ralement soupconneux envers les étrangers. La construction de Syouah, leur principal village, est bizarre : il est sur un rocher conique, et fermé par un mur haut de 50 pieds, qui a une douzuue de portes. Des habitations y sont adossées ; les maisons ont de trois à cinq étages ; les rues sont montueuses et raides, la plupart semblables à des escaliers, tortueuses, couver- tes et obscures; souvent, pour s’y conduire en plein jour, il faut tenir une lampe à la main; plusieurs sont si basses, qu’il faut se courber pour y entrer. On s’élève des maisons inférieu- res aux supérieures par des chemins qui sont couverts de chambres. Celles d’en bas reçoivent la lumière par de petites ouvertures pratiquées dans la partie haute. Il y a dans l’enceinte trois puits, un d’eau douce et deux d’eau saumâtre. Syouah est à peu de distance et à l'O. d’Omm- Beydeh. La difficulté d’extraire des pierres de la montagne, faute d'outils, a fait employer comme matériaux des restes d'anciens monumens et des blocs de sel, qui est commun dans les montagnes environnantes. Ou voit, à Gebel-Montaï, des catacombes où les hiéroglyphes sont très-rares ; à Beled-el- Kamyseh et ailleurs, des ruines de divers genres; les plus remarquables sont celles de Deyr-roum. A VE. du principal village, sont ceux de Gharney et de Menchyeh, situés dans le terrain le plus fertile, couvert d’arbres fruitiers et de bois touffus de dattiers; à l’extrémité, une la- guue d’eau salée s'étend, au N. E., vers le dé- sert. À l’O. de Syouah, un lac d’eau saumûtre, loug d’une lieue, réduit les terres cultivables à quelques champs épars. D’autres portions du territoire sont abandonnées à cause de la quan:- VOYAGE EN AFRIQUE. tité de sel dont le sol est imprégné. Parmi celles que l’on peut cultiver, la principale est Zeïtoun, riche en oliviers, et où l’on trouve des restes assez considérables d’édifices antiques. L’oasis contient plusieurs. sources d’eau mi- nérale sulfureuse. En hiver, les vents du N. sont constans, et les pluies communes en jan- vier et en février. Les dattes de Syouah sont re- nommées, et forment l’objet d’un commerce im- portant. En venant du Fayoum à Syouah, on passe par la petite oasis de Garah ou Neghebel Bagli. En allant vers l’O., on rencontre celles d’Aud- jelah, de Maradèh, où il y a des débris d’anti- quités ; le Fezzan; enfin celles qui sont éparses dans la partie occidentale du Sahara. Dans son voyage en Égypte, M. Wilkinson fut informé qu’à six Journées de route à l’O. du chemin d’El-Hayz à Farafreh, on trouvait Ouadi- Zerzoara, oasis découverte récemment par un Arabe qui cherchait un chameau égaré. On y voit quelques ruines. À six journées plus loin à lO., on trouve l’oasis de Gebabo, et encore plus loin celle de Tazerbo, puis celle de Rabina. Toutes sont kabitees par des nègres chez les- quels les Maugrebins font des incursions pour se procurer des esclaves. CHAPITRE XX. Barcah et Tripoli. L’oasis de Syouah est à 40 lieues au S. de la Méditerranée. Lorsqu’en partant d'Alexandrie, on suit la côte vers l'O., on n’apercoit qu’une contrée nue; des terres cultivables côtoient la mer et s'étendent à gauche jusqu’à une distance de 10 à 15 lieues; au-delà, commence le désert. Des collines dont la hauteur s’élève progressi- vement en s’éloignant des bords de la mer, croisent en tout sens cette lisière, et donnent passage à des torrens. Cà et là s'élèvent des dattiers et des figuiers. On se trouve dans la Marmarique, pays qui est une dépendance na- turelle de l'Egypte. On voit des ruines à la Tour des Arabes, à Abousir ( Z'aposiris), a Boumnah, un château sarrasin à Lamaïd, des ruines à Chammameh, à Dresieh, des grottes taillées dans le grès à Maktaëraï, des puits et des ruines à Djammemeh. L’Akabah-el-Souagheïr corres- pondant au Catabathmus parvus des anciens, couronne des collines qui aboutissent au cap Kanaïs. Des ruines se montrent à Mohadah, à Berek-Morsah ou Barétoun (Paretonium), à Boun-Adjoubah (ps), qui ont un port de Caen. 7 LH TU Éi FT CA L Dell de « im tt ti te Ain th éo # “4 2. ne mme BARCAH. même qu’Aryoub-souf. Les ruines de Kasr-Lab. jédabiah sont considérables et du temps des Sarrasins. L’Akabah-el-Kebir est le Catabahtmus magnus. On peut y placer la séparation entre les gouvernemens d'Egypte et de Tripoli, Les Arabes qui vivent dans les vallées voisines éle- vent des troupeaux et cultivent la terre. La montagne de l’Akaloah a environ 900 pieds d'altitude ; elle commence immédiatement au bord de la mer, d’où elle se divise au S. E. pour aller joindre les hauteurs qui côtoient l’oasis d’Ammon. Les terres, au sommet du plateau, sont très-fertiles; on découvre de là, sur le bord de la mer, Marsah-Soloum ( Panormus), port spacieux. On descend dans la vallée de Dafneh, où l’on aperçoit partout des canaux d'irrigation; Tou- brouk a un port et des ruines du temps des Sar- rasins ; des collines avec des grottes sépulcrales très-bien ornées dans le atle, greco-É gyptien et une belle source d’eau sulfureuse nommée 4ëin- el-Gazal sont voisines du golfe de Bomba, où Von a marqué les limites occidentales de la Cy- renaïque. Les hauteurs contournent brusque- ment vers le S. et se prolongent jusqu’aux monts Cyrenéens. La Marmarique est habitée à VE. par les Aoulad-Ali, à l'O., par ceux-ci et les Harabi. Les savans de l'expédition francaise d'Egypte, Browne, Scholz, le général Minutoli et Pacho, voyageur né à Nice, ont vu différentes portions de la Marmarique. Ce dernier l’a parcourue dans toute son étendue. « Après avoir franchi, dit-il, une lagune que forme le golfe de Bomba , nous arrivâmes sur les premiers échelons de lan- cienne Pentapole libyque. Les ravins qui en sil- lonnent les flancs obligent les caravanes à faire de nombreux contours... Plus nous nous éle- vions, plus la nature changeait d’aspeet. D’a- Lord l’on n’aperçoit que des oliviers et quelques arbrisseaux étrangers à la Cyrenaïque ; le sol, encore peu boisé, en rend le coup d’œil assez triste. La force de la végétation suit la progres-: sion des hauteurs. Enfin, après quatre heures de marche, dès que nous en eûmes atteint le sommet, un spectacle nouveau s’offrit à nos re- gards : la terre, continuellement jaunâtre ou sablonneuse dans les cantons précédens, est co- lorée dans ces lieux d’un rouge ocreux ; des fi- lets d’eau ruissellent de toutes parts, et entrc- tiennent une belle végétation qui fend les ro- ches mousseuses, tapisse les collines, s’étend en riches pelouses ou se développe en forêts de genèvriers rembrunis, de verdoyans thuyas et de päles oliviers. » 139 C’est cet aspect qui a fait nommer par les Ara- bes Djebel Akdan(désert verdoyant) la Pentapo'e cyrenaïque. Aujourd’hui, cette contrée porte le nom de Barcah; elle dépend de Tripoli. Sa lon- gueur, de l'E. à lO., est de 200 lieues; sa lar- geur, du N. au S., n'excède pas 100 lieues. Le revers des montagnes, au S., forme le commen- cement du désert. Eu marchant au N., on arrive à l’extrémité des aspérités rocailleuses qui bornentla vue,eton aperçoit, à très-peu de distance au-dessous de soi Derne (Darnis) dans une petite plaine. Cette li- sière de terre sépare les escarpemens du plateau des bords de la mer: la ville est bâtie en partie sur cette plaine et en partie sur la pente des col- lines qui forment les premières assises de la mon- tagne. De ce point, les maisons des habitans et les dômes de leurs marabouts paraissent comme des taches blanches à travers des bouquets de palmiers, ou bien sont éparses sur des tapis de verdure, au milieu des jardins de la ville et des petits champs qui l'entourent. Elle est réelle- ment composée de cinq villages séparés, et dési- gnés chacun par un nom particulier; c’est vis- à-vis de celui d’'El-Meghorah qu’est le port de Derne, mauvaise petite rade qui n'offre qu’un mouillage peu sûr dans la mauvaise saison. Les montagnes voisines sont percées de nombreuses catacombes. Des vestiges d'anciennes constructions plus ou moins nd ur couvrent tout le pays. En remontant vers lO. N. O., on arrive à Grennah, qui cecupe l'emplacement de Cyréne,. sur un coteau tourné au N., et couvert partout de ruines et de débris d’édifices antiques. Les tombeaux attestent le respect des Cyrenéens pour les morts ; ils sont creusés dans le roc et somptueusement décorés (Pr. XVII — 1). Au milieu des décombres, on reconnaît encore l’a- queduc dont les eaux alimentaient jadis la fon- taine d’Apollon. - En descendant de nouveau vers la mer, on arrive à Tolometa (P/olemuis), port avec une petite rade. Parmi les restes d’antiquité, on re- marque les débris d’un temple, une caserne sur les murs de laquelle est une inscription gr ecque de 56 lignes, et des tombeaux formés par d’é- normes blocs de pierre, et situés sur des tertres (PL. XVII — 2). Plus loin, la côte tourne au S. : on rencontre les ruines d’Arsinoé, de T'euchira, d’Adriana, enfin celles de Pérénice, Benghazi, qui a succédé à. cette dernière ville, est la résidence du bey ‘qui gouverne le pays de Barcah'; les puissances maritimes de l’Europe y ont des consuls, et le 140 commerce ayec Malte et d’autres places de la Méditerranée est assez actif. Partout où l’on fouille le sol des anciennes cités, dont les ruines sont souvent enterrées sous les sables, on trouve des médailles, des inscriptions, des statues, des fragmens de colonnes et d’autres débris. Benghazi est à l’entrée du Djoun-el-Kabrit, ou golfe de la Sidre, connu, dans les temps an- ciens, sous le nom de Grande-Syÿrte, et triste-. ment fameux par les désastres des navigateurs. Il a 125 lieues de largeur de VE. à l’O., et en- viron 60 de profondeur. C’est dans sa partie orientale qu’il s’avance le plus dans les terres. Des bancs de sable, des haut-fonds et d’autres écueils augmentent les dangers que font courir les vents du N. et de l’O. Le rivage est généra- lement nu, bas, sablonneux, coupé cà et là par des embouchures de torrens, des lagunes d’eau saumâtre ct des marais; de temps en temps il est bordé de dunes de sable mobile. En longeant ce littoral, d’un aspect si triste, on rencontre successivement Ghiminés, Cacora, Loubeh, Aï- waga, Moktas, Busaïda, Zafran et autres bour- gades près de la plupart desquelles il y a des” ruines, enfin Mesurata et le cap de même nom qui forme le point le plus occidental du golfe. Des caravanes partent de Mesurata pour le Kezzan et l'Ouadey. On marche ensuite dans une plaine d’une fertilité prodigieuse; on voit des ruines antiques à Ozir; on passe l’Ouadi-Kouaam (Cynips); on arrive à Lébida (Zeplis), où il reste encore des débris d’édifices magnifiques ; on traverse les belles plaines de Tagioura, ombragées de pal- miers, et on entre dans Tripoli. Cette vike, capitale d’un état que les voya- geurs modernes regardent comme le plus avancé de ceux de la côte de Barbarie dans la carrière de la civilisation, estun des principaux entrepôts de commerce de l’Afrique septentrionale avec l'Europe; c’est le point du littoral le plus rap- proché des contrées de l’intérieur ; aussi, les ca- ravanes de Soudan en partent et y arrivent de préférence aux autres ports du N. de l'Afrique. On y fabrique des tapis; les étoffes de laine se font principalement dans les tentes des Arabes. Lyon observe que les boutiques les plus belles ressemblent à des échoppes, mais que souvent elles renferment des marchandises d’un grand prix. Un bazar est uniquement destiné à la vente des esclaves; l’autre est bien approvisionné de denrées. L'intérieur de Tripoli renferme des tas de dé- combres qui rendent la surface des rues très- juégale, L’attention des voyageurs européens VOYAGE EN AFRIQUE. est attirée par un arc de triomphe érigé en l'honneur de Marc-Aurele, et très-haut. On es- time que la partie recouverte par les sables est au moins égale à celle qui se trouve à découvert et qui offre de belles sculptures. Il sert de ma- gasin (PL. XVII — 4). On évalue la population de Tripoli à 25,000 ames ; elle se compose de Maures, d’Arabes, de Turcs, de juifs et de quelques chrétiens. Les costumes sont ceux que l’on voit dans les autres contrées du Levant. Les Arabes aiment beau- coup à s'exercer à des jeux qui leur four- nissent l’occasion de montrer leur adresse à manier les armes en courant au grand galop (PL. XVII — 2). Quand un Tripolitain veut faire honneur à un hôte, il fait venir des danseuses ; leur ac- coutrement, de même que leurs pas, ne peuvent paraître que très-bizarres à un Européen. Les instrumens qui accompagnent ces divertisse- mens sont des cymbales et des cornemuses (PL. XVII — 3). Des religieux, guidés par leur zèle charitable pour le rachat des captifs chrétiens, ont, les pre- “miers, publié des relations de Tripoli. De nos jours, cette ville et son territoire ont été décrits par Della-Cella, Lyon, Tully, Denbam, Clapper- ton, H. W.etF. W. Beechey et Blaquières. D’a- près leur témoignage, Tripoli, vu de la mer, présente un bel aspect. Elle est entourée d’un mur haut et flanqué de bastions au-dessus des- quels on distingue les dômes des bains publics et les minarets des mosquées. Par leur blan- cheur, ils offrent un contraste agréable avec la teinté sombre des bosquets de dattiers, qui s'élèvent, en groupes variés, des jardins de la partie de la ville la plus éloignée. L’atmo- sphère, généralement pure, fait ressortir avec avantage les agrémens de cette perspective (PL. XVIII — 1). L’état de Tripoli est sous la souveraineté no- minale du grand sultan, auquel il paie un tri- but, et qui envoie un pacha; mais ce pays est réellement indépendant, et depuis plus d’un siècle héréditaire dans la famille des Caramanli, ce qui n’a pas peu contribué à garantir la sûreté des personnes et des biens. Le prince porte le titre de bey. La surface du pays et de tous les Etats qui en dépendent est de 45,000 lieues car- rées ; la population de 1,500,000 ames. On éva- lue les revenus à 2,000,000 de francs. L'armée est de 4,000 hommes. À dé PS TUNIS. CHAPITRE XXI. Tunis, Le voyageur qui, sortant de Tripoli, marche à l’O. et suit le littoral, passe devant des bour- gades et des villes où l’on voit des ruines anti- ques, et arrive sur les bords du golfe de Cabès, où il entre sur le territoire de Tunis. Les anciens appelaient ce golfe la Petite-Syrte. Son nom mo- derne lui vient de celui de Cabès (Tacape), ville au pied des monts Hamara. À l’entrée méridio- nale du golfe, on voit Gerbi : c’est l’é/e des Lo- tophases d'Homère ; elle était aussi nommée 4/e- ninx. Quoique sablonneuse, elle est bien culti- vée et couverte d'arbres, entre autres d’oliviers _et de dattiers. On y remarque un arc de triomphe. Désfontaines, voyageur français (1784), a observé que dans le golfe de Cabès ou de Gerbi la marée s’élève jusqu’à 9 pieds à l’époque des équinoxes. L’extrémité septentrionale du golfe est marquée par les deux îles Kerkeny, qui sonit basses, fertiles, et habitées par des pêcheurs très-habiles à tirer les éponges du fond de la mer. Sfax , sur la côte, vis-à-vis de ces îles, est une jolie petite ville avec des rues pavées. On y fait un grand commerce de soude. Le pays est plat, sablonneux et peu cultivé jusqu’à El-Jem (Thysdrus), ville située au N. dans une immense plaine, et remarquable par un bel amphithcà- tre, que Peyssonel, voyageur français, des- sina (1724); mais, depuis ce temps, il a beaucoup souffert. Ces édifices de l'antiquité servent aux Africains modernes de carrières où ils vont chercher des matériaux pour leurs bâtisses. En Europe, et notamment à Rome, on a eu recours au même procédé pour se procurer des pierres. Desfontaines déclare que l’amphithéatre d’El- Jem est le plus beau monument antique qu’il ait vu en Barbarie , et il lui parut digne en tout de la magnificence romaine. On trouve souvent dans cette ville des médailles et d’autres objets curieux (PL. XVIII — 4). En revenant vers la côte, on parcourt une contrée que Desfontaines regarde comme la plus fertile du royaume; elle est rendue féconde par de fréquens arrosemens qu’il faut faire de- puis le moment où la semence est confiée à la terre jusqu'a celui de la récolte. Peyssonel, Desfontaines et quelques autres voyageurs ont visité cette côte, où l’on rencontre, du S. au N., Inchilia, Aseff, Chebba, Afrika, Dimass, Lempta, Monastir, Suse, Herkla, Labiad, Hammamet, qui donne son nom à un golfe. Une presqu'ile, 141 qui 'se termine au N. par le cap Bon forme de ce côté la côte méridionale du golfe de Tanis. En arrivant par mer, on découvre le cap Car- thage, nom qui rappelle la cité fondée par Didon. L'emplacement que cette ville célèbre occupait n’offre plus d’édifice debout. Desfon- taines dit : « Trois grandes citernes, les débris de l’aqueduc, quelques vieilles murailles, des monceaux de pierres répandus cà et là dans la campagne, sont tout ce qui reste de cette fa- meuse rivale de Rome. La charrue a passé sur ses murs, et l’on sème le blé au milieu des ruines. » Depuis le voyage du botaniste francais, plu- sieurs Européens sont venus visiter ces lieux si intéressans. M. de Châteaubriand y était au commencement de 1807. Il a consacré plusieurs pages de son Züinéraire à l’histoire et aux rui- nes de Carthage, au récit des destinées de la ville qui lui succéda, et à celui de la dernière expédition de saint Louis, qui mourut sur cette plage africaine le 25 août 1270. | M. Falbe, capitaine de vaisseau de la marine royale de Danemark et consul-général à Tunis, a passé plusieurs années à étudier, à relever, à me- surer le terrain des ruines de Carthage. Il a pu- blié le résultat de ses travaux, et l’a éclairci par de bonnes cartes. M. Dureau de La Malle a exposé des vues nouvelles sur le même sujet dans ses Recherches sur la topographie de Carthage. Enfin en 1838 il s’est formé à Paris une société pour exécuter des fouilles dans le sol de l’ancienne Carthage. D:jà ses efforts ont obtenu des con- séquences heureuses. Après avoir doublé le cap Carthage, on se dirige au S., puis on passe devant les forts de la Goulette, bâtis sur les bords d’un canal, qui fait communiquer le golfe avec Le lac de Tunis, et l’on entre dans celui-ci, dont la surface est toujours animée par les nombreux sanduls, grands bateaux à voile latine qui transportent les marchandises des navires, obligés de mouil- ler sur la rade de Carthage, à Tunis, bâti à l’extrémité occidentale de cette nappe d’eau, sur la pente et au pied d’une montagne. Les mai- sons, blanches comme la neige et disposées en amphithéâtre, offrent dans le lointain un en- semble agréable et très- pittoresque. Le mur d’enceinte, construit avec solidité, peut avoir 4 milles de circonférence. Tunis renferme un grand nombre de mosquées dont les minarets présentent des formestres-variées ets’élèventsou- vent à de très-grandes hauteurs (PL. XVIII—2). Les maisons construites en pierres ou en bri. ques sont peu élevées, et n’ont ordineirement 142 qu’un étage; elles sont si rapprochées, que l’on pourrait facilement passer de l’une à l'autre, et parcourir ainsi un quartier de la ville. Comme dans toutes celles de l'Orient, les appartemens y sont disposés autour d’une cour carrée, au- dessus de laquelle, dès que les fortes chaleurs se font sentir, on déploie une large pièce de toile pour arrêter les rayons du soleil; elles res- semblent d'ailleurs, par leur forme et leur dis- tribution, à celles de Tombouctou. Un second escalier s’élève de la galerie jusqu’au sommet de l'édifice, dont la terrasse est entourée d’un parapet assez bas. En été, Les habitans montent, vers le soleil couchant, sur ces terrasses, pour y chercher la fraîcheur, pour y jouir de la beauté du ciel et du spectacle de la campagne. C’est là que les femmes, lorsqu’elles sont seu- les, soulèvent leur voile et se montrent aux re- gards des Européens. Sous la plupart des maisons, sont creusées de vastes citernes où s’amassent les eaux des pluies qui tombent en hiver sur les terrasses ou sur la cour. On n’en boit presque point d’autre ; celle des puits a un goût saumâtre; il n’y à qu’un petit nombre de sources aux environs, eucore sont-elles peu abondantes, et les plus proches de la ville en sont éloignées de 2 à 3 milles. Les mosquées n’offrent rien d’impo- sant à l'œil du voyageur. « Tunis est une ville riche et commercante ; on y fabrique des toiles, des étoffes de soie et de laine, des ceintures, des bonnets à la mode des musulmans. Le territoire produit en abon- dance des blés, des olives, des légumes, des fruits excellens. De nombreux troupeaux cou- vrent les campagnes; le lac et le golfe sont très- poissonneux, et la ville est bien approvisionnée de toutes les choses nécessaires à la vie. Il ya, dans les divers quartiers, plusieurs bains pu- blics pour la commodité des habitans et des étrangers. Le grand nombre de plantes aroma- tiques que l’on brûle contribue sans doute à purifier lair, vicié par les exhalaisons infectes qui s’élèvent des bords du lac, et des égouts où se rendent les immondices d’une cité immense, et par la puanteur horrible que répandent les cadavres d'animaux exposés et souvent entas- sés le long des chemins et dans les campagnes voisines. » On jouit à Tunis d’un très-beau climat. L'hiver y offre l’image du printemps : dès le mois de janvier, les champs sont couverts de verdure et émaillés de mille fleurs. Le thermc- mètre de Réaumur se soutient ordinairement à 10 ou 12 degrés au-dessus de zéro, souvent il VOYAGE ÊN AFRIQUE. monte à 15 ou 16. Les pluies commencent à tomber en octobre, et continuent par intervalles jusqu’à la fin d’avril. Plus elles sont abondantes, plus on a l’espoir d’une heureuse récolte. Elles sont toujours annoncées par le vent du N. Sou- vent il se déchaîne avec violence, excite des tempêtes le long de la côte, et rend la naviga- tion très-dangereuse. Dans le commencement de mai, les nuages disparaissent, et le ciel est presque toujours serein jusqu’au retour de l'hiver. À » Les chaleurs de l’été sont brûlantes, et se- raient insupportables, si elles n’étaient tempé- rées par un vent frais qui s’élève sur les neuf heures du matin. Il vient de la mer, et aug- mente à mesure que le soleil monte sur l’horizon ; il diminue ensuite à proportion que l’astre s’a- baisse, et tombe tout à fait aux approches de la nuit. Alors un calme absolu règne dans la na- ture. Les vapeurs aqueuses élevées et répandues dans l’atmosphère, pendant la chaleur du jour, retombent en rosées abondantes, et épanchent une fraicheur délicieuse sur la terre aride et desséchée. Des milliers d'étoiles brillent sur un ciel d’azur : elles lancent des feux plus vifs et plus étincelans que dans les climats tempérés. » Dans les mois de juin, de juillet, d’août, le thermomètre se soutient, à l’ombre, depuis 24 jusqu’à 30 degrés. Un grand nombre d’habi- tans se retirent à la campagne : ils y vont res- pirer un air plus pur et plus frais, dans leurs jardins, sous des bosquets touffus de lentisques, de jasmins, de grenadiers et d’orangers. » Les marchandises que l’on exporte sont des huiles, des blés, des dattes, des pois chi- ches, du séné, de la barille, des cuirs, des lai- nes, des éponges, de la cire, des bonnets, des ceintures à la mode des Orientaux. On rapporte des laines d'Espagne, des draps, du bois de campèche, de Ja cochenille, du kermès, des épi- ceries, du sucre, du café, du papier, des toiles de coton, des soieries, diverses espèces de gomme, de la noix de galle, des planches, du fer, du cuivre, des liqueurs spiritueuses, dont les Maures sont très-avides, quoique l'usage leur en soit défendu par la religion et par les lois. » On évalue à 130,000 ames la population de Tunis. Elle se compose, de même que celle du royaume, de Maures, d’Arabes, de Cabaïles, de Turcs, de juifs. On parle trois langues, l’a- rabe, qui est la plus répandue, la turque et la franque. La religion du plus grand nombre est l’islamisme. « Le sang des Maures, observe Desfontaines, est très-mélangé par les alliances EN AFRIQUE RATE GE ET [al a Ê 7, V4 GE ) G is Censtariline > ECS 4 € (2 Verre [* 1 y ddr |. € — LCI, XP. La. 142. TUNIS. 148 continuélles que les Turcs et les renégats chré- tiens de diverses nations contractent avec les femmes du pays. Les hommes sont en général d’une constitution sèche; ils ont du caractère et de la fierté dans la physionomie; leur taille commune est de 5 pieds 3 à 4 pouces : on en voit peu d’infirmes et de contrefaits. La vie so- bre et paisible qu’ils mènent les exempte ce beaucoup de maladies particulières aux peuples policés. Ils vivent aussi longtemps que ceux des climats tempérés, et atteignent le terme de leur carrière sans crainte, sans inquiétude, et pres- que sans s’en être aperçus. » Les Mauresques sont en général très-belles ; elles ont le teint délicat et animé, les yeux pleins d'expression , de sentiment et de vie; de longs cheveux noirs tressés tombent et flottent sur leurs épaules, ou sont fixés avec des rubans au sommet de leur tête... Les enfans sont aussi blancs que ceux d'Europe. Parvenus à un âge plus avancé, l’ardeur du soleil leur brûle le teint et leur donne une couleur presque basanée. » Le pays de Tunis est le plus petit, mais le mieux cultivé, et relativement le plus peuplé des états barbaresques. Il est borné au N. et à VE. par la Méditerranée, au S. E. par Tripoli, au S. par le Sahara, à l’O. par l'Algérie. Sa lon- gueur, du N. au $S., est à peu près de 160 lieues; sa largeur varie de 10 à 25 lieues; sa surface est de 9,700 lieues carrées. On estime sa popu- lation à 1,900,000 ames. Le souverain porte le titre de bey; sa dignité est héréditaire; à son avénement, il recoit du grand-sultan une pelisse et le titre de pacha à trois queues; d’ailleurs il est complètement indépendant. Les revenus de l’état sont de 7,200,000 francs; l’armée est de 6,000 hom- mes; la flotte se compose d’une frégate et de quelques bâlimens de guerre. Le bey réside à Bardo, joli château situé au milieu d’une grande plaine, à trois quarts de lieue N. de Tunis. Sa cour est très-nombreuse. Shaw, voyageur anglais (1732), Peyssonel et Desfontaines ont parcouru la partie méridionale du territoire dans l’intérieur. Le dernier partit de Tunis le 22 décembre 1732, à la suite du bey, qui, cette année-là, marchait à la tête de son camp. La marche était lente : à peine parcou- rait-on 5 à 6 lieues par jour. La première ville que l’on rencontra après huit jours de marche fut Caïrouox{Vicus augusti), la plus grande du royaumé après Tunis ; elle est même mieux bâ- tie ét moins sale que celle-ci. La grande mos- quée passe pour la plus belle et la plus sainte de tout le royaume. Le peuple y est très-fanati- que. Les plaines voisines sont très-étendues, mais presque partout incultes. La terre est im- prégnée d’une si grande quantité de sel marin, qu’elle en est toute blanche dans certains en- droits; aussi les eaux sont-elles toutes amères et saumätres, et l’on ne trouve dans ces con- trées que des plantes marines. Le sel de nitre est aussi très-commun, On continua ensuite à marcher droit au S., et, le troisième jour, on entra dans une plaine immense située entre deux montagnes qui se di- rigent à peu près du N. au S. Pas une seule ha- bitation sur la route, beaucoup de mines peu intéressantes ; elles prouvent du moins que celte partie de l’Afrique, quoique la plus aride du territoire de Tunis, était autrefois habitée. Les Arabes Bédouins sèment l’orge dans le voi- sinage des ruisseaux, qui sont très-rares. Les oliviers sauvages y sont très-gros,. Cafsa ( Capsa), située entre des montagnes cal- caires et nues, est très-mal bâtie. Toute la fécon- dité des environs est due à deux sources d’eaux chaudes à 30 degrés, très-limpides et bonnes à boire. L'huile de Cafsa passe pour la meilleure de toute la Barbarie. Desfontaines trouva plu- sieurs inscriptions à Cafsa, malheureusement la plupart effacées. On lit sur plusieurs pierres du château les noms de Trajau, d’Adrien, d’Anto- nin. « À quelques lieues au S. E., ajoute notre voyageur, sont deux autres pays que je n’ai pas eu le loisir de visiter ; l’un se nomme le Saïque, et l’autre Aisch. Les Maures y logent dans des maisons. Où m’a assuré que ces lieux étaient fertiles, et qu’on y voyait des plantations d’oli- viers, de dattiers et d’autres arbres fruitiers du pays. » Quelques heures après le départ de Cafsa, on entra dans le désert ; les deux chaînes de mon- tagues continuent à droite et à gauche jusque dans les environs d’El-Hammah, petit canton du Gérid où les. Maures ont de grandes planta- tions de dattiers et une habitation. Ces monta- gnes se joignent à deux autres, dont l’une s’al. longe vers l'E. et l’autre vers l'O. Ce sont les bornes du désert; elles sont habitées par des Arabes vagabonds qu’il est très-dangereux de rencontrer. Pendant deux jours, on ne trouva que de l’eau saumâtre. On campa près d’El- Hammah, où il y a de très beau grès rouge. Le lendemain, on partit pour Tozer, qui n’est qu’un assemblage de maisons en boue. Les eaux, irès- abondantes, sont saumâtres. Tozer est très-re- nommé pour les dattes. A 5 lieues au S. E., le canton de Nefta produit les dattes les plus esti- mées du royaume, de bonnes oranges, d’excel« E 144 lens limons doux, des grenades en abondance. Près de Nefta, commence le Chibka-el-Loudian (Lac des Marques — Zybia Palus), qui a, dit-on, plus de 20 lieues de long; son eau est salée. A quelques lieues au S. de Tozer, le Babr Fa- raoun { Z'ritonis lacus) est une mer de sable. Le bey ne voulut pas permettre à Desfontaines d’aller le visiter ; il est dangereux de s’en ap- procher, et des voyageurs arabes ÿ périrent du- raut le séjour de ce botaniste au Gérid, où les eaux sont très-abondantes. Il vit des ruines fort étendues près de Loudian, canton à 3 lieues à VE. de Tozer; elles paraissent être du temps des Romains. On était là sur la limite du désert. Vers la fin de février, on revint à Cafsa; le 5 mars, on était à Spaïtla, où il y a des ruines magnifiques dans une plaine immense couronnée de hautes montagnes. Tout près coule un fort ruisseau d’eau douce qui se perd bientôt dans les sables. Il est traversé par un aqueduc romain qui con- duisait les eaux à Spaïtla. Après avoir marché ‘pendant plusieurs heures au N. ©. dans une forêt de pins et de genévriers de Phénicie, on campa pendant quelques jours auprès des ruines de Sbiba (Sufes); elles sont moins belles, mais plus étendues que celles de Spaïtla. Vers la fin de mars, on alla vers Keff, ville frontière du royaume, assez bien forufée, et située dans un canton fertile, bien cultivé, et le plus fécond du royaume. « J’ai traversé deux fois le Méjer- dah; j'ai visité, ajoute Desfontaines, un pays agréable habité par d’anciens Andalous, et dont les maisons sont couvertes de tuiles comme en Europe; enfin je suis arrivé à Tunis le 8 avril 1784. » Ce voyageur visita ensuite le Hammam-el-Enf, montague située à à lieues au S. E. de Tunis et à l'extrémité de sa rade ; elle est célèbre par ses eaux thermales, que les Tunisiens fréquentent dans toutes les saisons de l’année, et dont les vertus sont très-efficaces. La montagne, qui a peu d’élévation, est le commencement d’une chaîne qui, en se dirigeant du N. E. au S. O., traverse le royaume jusqu’au Sahara. À 3 lieues au S. de Hammam-el-Enf, la petite ville de Soleï- man, dans une grande plaine féconde et cou- ronnée de montagnes, a une population d’ori- gine espagnole; les chrétiens y sont très-bien accueillis. À 3 ou 4 lieues au N. E., le village de Corbus culuve la canne à sucre, que l’on vend à Tunis. Il y a aussi là des bains d’eau très-chaude. En sortant de Tunis par le côté du N., et en suivaut la côte, on traverse un canton montueux VOYAGÉ EN AFRIQUE. et boisé, puis on descend dans une belle plaine au milieu de laquelle coule le Méjerdah (Pagra- das), le principal fleuve du royaume, et dont les débordemens annuels déposent un limon qui engraisse la terre. Après l’avoir traversé, on trouve les ruines d’'Uuque, qui, à l’exception d’un aqueduc, de citernes et de quelques autres bâtisses, sont toutes ensevelies sous le sable. Cette ville, qui était sur le bord de la mer lors- que Caton s’y donna la mort, en est aujourd’hui éloignée de près de 2 lieues. Les navires abor- dent aujourd’hui à Gor-el-Meleh, nommée par les Européens Porto-Farina, petite ville bâtie en amphithéâtre. Son port, défendu par une montagne qui forme le cap Zibibe ( Apolhinis pr'omonlorium), est sûr, mais son entrée se com- ble de jour en jour par les sables que charrie le Méjerdah. À 7 lieues au N. O., eutre un grand lac et la mer s'élève Biserte ( Hippo Za- rytus); 11 s’y fait un commerce considérable en huile et en blé. Le lac communique avec la mer par un canal fort étroit. Peyssonel et Desfontai- nes ont observé que les eaux de la Méditerranée \ entraient constamment pendant trois heures, et en sortaient pendant les trois heures sui- vantes, Partout, dans les environs, on voit des ruines. En cheminant au S. O., on laisse à droite le cap Blanc (Promontorium candidum ), le plus septentrional de l'Afrique ; on arrive ensuite au cap Nègre, où il y a un établissement pour la pêche du corail, substance qui est commune le long de cette côte. Plus loin, le lit de l'Oued-el- Berber (T'usca), nommé aussi Oued-el Zaïne, marque de ce côté la limite occidentale du territoire de Tunis, que les Romains appe- laient A4/rica. 11 comprenait au S. la Byzacène, au N. la Zeugitane, et formait la plus grande partie de celui de Carthage. CHAPITRE XXII. Algérie. Quand on a passé l’Oued-el-Zaïne, on est sur le territoire d'Alger. Nous parcourrons ce pays avec les Européens qui le visitèrent avant 1830. Ils sout peu nombreux. Les difficultés de tous genres que les voyageurs rencontraient dans leurs excursions éloignaient ceux que la curio- sité aurait pu attirer dans une contrée où beau- coup d’événemens mémorables s’étaient passés, et où des monumens remarquables avaient échappé à la destruction. Ce ne fut que dans le xvin* siècle qu'il en vint quelques-uns, guidés OP RES ne ALGÉRIE. 115 par le désir de visiter ce pays : J.-A. Peyssonel (1724), Th. Shaw (1777), Hebenstreit (1732), Bruce (1765), Destoutaines(1 184), Poiret(1758). Queiques relations sout dues a des inforitunes tombes en esclavage; tels que Th. Chaloner (1941), Em. Arauua (1640), Regnard, poëte comique | 1678 ), Rocqueviile (1653 ), Pauanu (1515 ); d’autres a des personnes qui avaient rempli a Aiser les Loncuons de consul : Laugier de Tassy (1 125), Murgau (11728), Sha, er (1826); eufiu les religieux, que les regles de leur pieuse iustituuion appelaient dans les Etats barbares- ues pour y racheter les captfs, ont aussi pu- gnes, p j P P ble des ouvrages ou il est question d’Alger; luals 11s à aVaicut Vu que celte ville ou d’autres siluees sur ia cÔLe, el ue Connalssalent pas l’in- terieur uu pays. Ou en peut dire autant des Eu:vpeeus toiwbes eu esclävaye et des consuls ; aiusi, les voyageurs Ciles Couume l’ayant visitée souL Ceux qui uvuueul les reuseignemens les pius luteressaus sur 1 Aigerie; mais Shaw n’a . äilsi Où ne peut dis- liuguer ies Leux qu ai à vus u’avec ceux dont 1l iraite seulement par oui dire; el Poiret n’a pas pas uoumue O1 Ale! alle lait ue giaudes eacursi us. A l'embouchure de lOued-el-Zaïn, à une portée de iusii du Coutineut, Où voit l’île de Tabarca, que les Geuvis avaient jadis occupee, eL UU 1 y avuil uë» élablisséimeus pour la peche du corail. La Côte, eu ällaut à lU., est iorimee par ues laiaises parluis socaileuses. Uue mou- lagne peu elévée, mais à suimiuel arrondi, qui lui à lai douurcr ie uou de Wonte Hiotondo, est a dE. d uue peute rivière qui surc d’uu lac. Uu peu plus iviu, La Uallé aVail des etablissemens pour ià pecle du Cural, 18 appartenaient aux Frauçais. Lu 1oUi, suus 1e regue de Heuri-le- Grauu, uue copaguic de ueguciaus passa, sous la protecuvou de &e priucé, Un traite avec le dey d'Aiger, et vbuut la bre péche du corail et le commerce dis marchandises du pays, moyeu- Haut une retributionu aunuelle. Ces marchands s’eabnrent d’abord au Bastuiou de France, pe- ute anse a 3 lieues plus a l’O.; mais, en 1681, péudant ia guerre avec les Algériens, on l’aban- douna, et lou viat a La Caiie. « C'ést, dit Peyssouel, une presqu’ile quise joint à la térre ferme par uue plage de sabie, mais qui devient véritablement uue ile daus les mauvais temps, lorsque la mer est agitee par les vents du N. O. » Cet etablissement fui iucendié en 1827, lors de la deciaratiou de guerre entre Alger et la France. Les murailles, qui soui encore debout, se voient a une assez grande distance. Peyssuuel, eu sorlaut de La Calle, prit ÂFR: route à l’O., traversa quelques coteaux sablon- neux , une forêt de liége, puis l’étang de la Ma- | zoule, et ensuite celui de Boumalab, qui com- munique avec la mer près de l’ancien Bastion de France. On alla passer la nuit dans un douar cousiderable ou camp d Arabes ; un lion enleva une vache au douar même, et alla la manger à une lieue de la, daus un endroit où les bergers trouvèrent le lendemain les os de lanimal mort. Après avoir franchi plusieurs collines sablon- neuses couvertes d’arbrisseaux, Peyssonel dé- couvrit la plaine traversée par la rivière de Bou- bias (le Mafrag); il le passa près de son embou- chure daus la mer. « Ou entre ensuite, dit-il, dans la plaine de Bone, habitée par diverses na- tions d’Arabes ;-elle est très-fertuile en blé; mais les semeuces sont sujettes à être noyées en hi- ver, et à souffrir des grandes sécheresses de l'été, ce qui rend les recoltes fort variables et tiès-souvent médiocres. » Où traversa plus loin la Seybouse, puis le Boudjehma. Eutre les embouchures de ces deux fleuves, qui se joignent avaut de tomber dans la mer, sont les ruines d'Hippone (Æippregius), qui avait été une des résidences des rois de Nu- midie, et qui, au 1v° siècle, fut illustrée par saint Augustin, son évêque, célèbre docteur de l’eghise latine, prélat vertueux, philosophe pro- fond. Il etait né à Tagaste, petite ville qui était au S. E. d’'Hippone, mais dont on ignore la vé- ritable posiuon. Lis envirous de Bone sont couverts de plan- tations d’oliviers, et renferment des mines de ter. La ville, bâtie sur la côte O. du golfe de son nom, est entourée d’une muraille assez épaisse reufermant un espace rectangulaire, dont le côté oriental, baigné par la mer, occupe une fa- laise élevée au pied de laquelle'est le mouillage, particulièrement nomme rade de Bone. Au S. est le fort Gigogüe,'qui dütaine : a l'O. une petite baie sur laquelle on a établi uue jetée en pierres sèches, pour servir de débaréadère ; cette baie, si elle etait plus profonde, serait un excelleut abri contre les vents du N. Bone est appelée par les Arabes Bleïd.el-Hu= neb ( ville des jujubiers ), à cause de la graude abondante de ces arbrisseaux , dout les fruits, séchés au soleil, se conservent pour l’hiver. « Ge qu’on appelle dans cette ville, dit Heben- streit, les jardins de saint Augustin situés à un mille de l’ancienne Hippone, sont des allées bien alignées de Jujubiers, de mûriers, d’aman- diers, de citronniers, d’orangers, de figuiers et sad’oliviers. 19 146 Desfontaines dit également que les environs de Bone sont bien cultivés, et que l’on y voit de très-jolis jardins plantés de vignes et de divers arbres fruitiers. La plaine qui s’étend au S. O. de la ville est basse, sablonneuse et baignée en partie; il y avait beaucoup de kali et d’autres plantes marines. « La ville, dit Peyssonel, est presque ronde, ayant un quart de lieue de circuit, bâtie à la mauresque, presque toute en briques... On n’y trouve ni place, ni aucun édifice qui mérite at- tention, sauf la grande mosquée appelée Bour-. nouronan (PL. XIX — 3). Il n’y a rien qui pa- raisse fort ancien. On y voit quelques colonnes antiques qu’on y a apportées des ruines d’Hip- pone. » Desfontaines observe que le peuple d'Hippone est assez doux. « On y vit en sûreté, ajoute-t-il. Le commerce de la Compagnie d’A- frique n’a pas peu contribué à civiliser un peu les Maures de cette contrée. » Peyssonel, sorti de Bone, fit route au S. S. O. dans la plaine, passa à Ascour devant les ruines d’'Ascurus, qui étaient assez remarqua- bles, et suivit un chemin pavé où il vit les res- tes d’un pont, et qui le conduisit jusqu’à Ham- mam-Berda (aguæ libilitanæ). HN y avait des rui- nes, et tout auprès une belle source d’eau chaude qui forme aussitôt un ruisseau considérable. On découvre de là les ruines de Ghelma (Suthul ensuite Calima). On continua de marcher au milieu de petites montagues, on côtoya la Sey- bouse, on retrouva encore le prolongement du chemin pavé; il allait jusqu’à une grande ville qu’il y avait dans ce pays élevé. On gravit la montagne d'Anoune. On était au 28 janvier; la pluie et la grêle, qui avaient ce jour-là incom- modé les voyageurs, se changèrent en neige et en brouillard si fort, que l’on fut obligé d’aller chercher au plus tôt un gîte pour se mettre à l’a- bri du froid, Anoune offrit une quantité considé- rable de ruines dénotant l’emplacement d’une grande et belle viile. Ou en rencontra d'autres à Touille ( Tigisis). Dans un espace de 20 lieues, entre Ja moutagne d'Anoune et celle de Se- quenié, on n’aperçut pas un seul pied d’arbre, et on ne trouva que très-peu d’eau potable, Le 2 février, Peyssonel partit de Sequenié, marche au N. O0. dans une plaine, traversa en- suite de hautes n'ontagnes couvertes de neige et des collines assez douces, passa sur un chemin païé, vit des ruines de peu de conséquence , et arciva le soir à Constantine. Cette ville portait le nom de Xrrtha lorsqu’elle était la capitale de la Numidie et le séjour des rois de ce pays. Elle est entre deux montagnes assez hautes et bâtie pa VOYAGE EN AFRIQUE: sur un rocher escarpé de tous côtés. L’Oued- Madou ou Bouzarmouk, dont l’eau ést chaude à sa source, et qui vient du S., et le Rummel, qui vient du S. E., se réunissent à deux portées de fusil de la ville; il reste à leur confluent une partie d’un aqueduc très-beau. Le rocher sur lequel pose Constantine forme un losange im- parfait ; 1l n’est joint au terrain voisin que par un isthme également rocailleux où sont les deux principales portes de la ville; ainsi, elle est en- tourée de précipices affreux, et on ne peut en approcher que par le S. (PL. XVIII — 3). Shaw et Poiret ont pensé que la ville mo- derne n’est pasaussigrande que le fut Kirtha. Le premier fonde son opinion sur ce que l'isthme et la portion du terrain extérieur à laquelle il aboutit sont entièrement couverts de ruines et de débris qui descendent jusqu’à la rivière. Un pont sur le Rummel est un ouvrage an- cien des Romains; parmi les bas-reliefs dont il est orné, Hebenstreit a observé un aigle romain et et des figures hiéroglyphiques. Le Raummel se perd sous ce pont, et disparaît sous terre; il re- paraît au bout de cent pas; on l’aperçoit ensuite par une ouverture de dix pas de largeur dans la montagne, puis il se cache encore pendant trente pas ; alors il reparaît entièrement et coule entre des rochers escarpés et inaccessibles qui le retiennent encore prisonnier jusque vers le N.E.; là, il se précipite d’une haute montagne perpendiculaire de 30 pieds, en formant plu- sieurs cascades. Ce roc est le point le plus élevé de la ville: c’est de là que l’on précipite les cri- minels et les femmes adulières. Les eaux de Rummel, profondément encais- sées, ne doivent pas introduire beaucoup d’hu- midité dans les silos, qui, suivant Edrisi, géo- graphe arabe, existent dans toutes les maisons de Constantine, ainsi que des citernes dans les- quelles l’eau arrivait par le moyen de l’aqueduc cité plus haut, et qui probablement servaient de château d’eau. Shaw compta vingt de ces citer- nes occupant dans le milieu de la ville un es- pace de 50 yards (41 mètres et demi) en carré. Desfontaines et Poiret ont donné des détails sur l’intérieur de Constantine. Comme dans tout l'Orient , les rues sont généralement étroites et sales ; la plupart cependant sont pavées. Les maisons sont assez bien bâties, et toutes cou- vertes en tuiles. Desfontaines ajoute que Cons- tantine est extrêmement peuplée ; on lui suppo- sait 30,000 habians. Son territoire est très-fer< üle, surtout à l'O. Après être resté trois jours à Constantine, Peyssonel en partit le 6 (vrier, et fit route au 18 Ve DR Le IUUN À sr — pa g (CADRES Oy FO Cfa les ttc ALGÉRIE, 147 N.E. àtravers des montagnes hantes et stéri les. Le lendemain, il alla coucher a Hamman- Meskontin, où sont des eaux 1hermales dont l'odeur sulfureuse s'étend au lom; tout le ter- rain environnant annonce une origine volcan:- que. Les eaux bouillonnent au sommet de peti tes élévations, d’où elles s’échappent par des ouvertures circulaires, tombent en nappes, et forment un petit ruisseau qui coule au bas du vallon et grossit dans sa course. On rencontre, de distance à autre, de grosses pyramides cal- caires hautes de 6 pieds, produites par le dépôt du sédiment des eaux, qui s’échappaient jadis de leur sommet. ; De retour à Bone, Peyssonel partit le prin- temps suivaut avec un chef arabe, parcourut l'intérieur, observa de belles ruines à Zaïuah (Diana), et pénetra au S., dans les montagnes d’Aurès (mons Aurastus), dont les ramifications commencent à l’'E., daus l’Etat de Tunis, et se prolonyent à l’O. jusque daus l'empire de Ma- roc. Elles sout fort hautes, rudes, escarpées, ingrates et stériles, remplies pourtant de plu- sieurs bonnes sources d’eau douce. Elles sont habitées par des Berbères, qui cultivent les ter- rains où il est possible de semer. Notre voya- geur admira des ruines magnifiques à Lamba (Lambasa) ; ensuite, it vint à Constantine. Au mois de juillet, il en sortit de nouveau, fit route à l'O Il vit les ruines de Sitifi, capitale de la Mauritania Suifensis ; plus loin, dans Îles montagnes, la petite ville de Zammourah, où l'on fait quantité de bernous tuès-fins, des tapis et autres ouvrages de laine à l'usage du pays. Il fallut ensuite escalader des montagnes assez rudes, et on se trouva dans des vallons couverts de pins, de chènes, d’oliviers, ainsi que d’autres arbres et arbrisseaux; tandis que depuis les montagnes d’Aurès et d’Anoune jusque-là le pays est absolument nu; mais on traverse plu- sieurs rivières, entre autres lOued Adjebt. Au bas d’une montagne très-haute,, la cara- vane de Peyssonel trouva une source d’eau douce, puis des sources d’eau salée qui forment un grand ruisseau et donnent beaucoup de sel; une heure de route au-delà, on atteignit El-Bi- ben ou la Porte de Fer, fameux défilé à travers le Jerjera, chaîne de montagnes qui commen- cent à la mer, près de Bougie, et se prolongent vers le S. O. jusqu’au Sahara. Après avoir fran- chi El-Biben, on marcha au N. O.; on rencon- tra plusieurs petits villages de Cabaïls, que les Turcs n'avaient pu soumettre, et qui vivent en partie de brigandage. Ou passa l'Adouse, qui va 5€ joindre à l'Adjebi, et, plus loin, l'Oued- Isser, qui coule directement vers la mer. On côtova la montagne des Azouaghis: on travr-rue ss . rs mie GE ane TT Ce RER —s — md A RÉ 2 LIRE LT DRE D CES SO NE RE RE LT EN PRE ALERTE ; | { L,2 , , | | | | | : N | || | | | } cd | FRS =. Loffin À. Manviatre À) Harèn-dava - GC." 160 Saldagne, baie de la colonie du Cap, 74. Salé, port de l’emp. de Maroc, 152. Saloum, ville de Sénégambie, 108. TABLE ANALYTIQUÉ DU VOYAGE EN AFRIQUE. parcourt le cap de Bonne-Espérance,| Tonga, fleuve de Angola, 93. 68, 70. Stellenbosch, district du Cap, 74. SazT, voy. angl. en Abyssinie, 50, 41;—|Stora, baie d'Algérie, 450. au Zanguebar, 49, 50. Salvages, iles dépendant de Madère, 414. Saruranoud, ville d'Egypte, 4. Samaulis, tribu du roy. d'Adel, 48. Samba-Cortaye, vil. du Bondou, 1141. S'amen, prov. d'Abyssinie, 39, Samhoud, ville d'Egypte, 42, Samnou, vill. du Soudan, 124. Samouenchaï, prov, du Congo, 96. Samoun, groite d'Egypte, :41. Sarafé, mont. d'Abyssinie, 36. Sangara, contrée de Guinée. 106, Sangouia, ville de Guinée, 405. Sangouin, état de Guinée, 101, Sansanding, ville du Soudan, 119. Santa-Cruz, une des Canaries, 414. San-Thomeé, île aux Portugais en Guinée, 103. Saouakim, ville de Nubie, 30. Sas-el-Hadjar, vil, d'Egypte, 4. Savary, voy. franç. en Egypte, 4. Scnuinr(George), voy. allem. au cap de Bonne-Espérance, 66. Sebhu, ville du Soudan, 124. Seboua, vilie de Kubie, 19. Séclaves, peuplade de Madagascar, 58. Ségo, capitale du Bambara, 419. Sel (ile du), dans l’arch. du Cap-Vert, 412. Selime, une des Oasis, 155. Semmeh (ruines de), en Nubie, 22, Sena, ville de la côte de Mozambique, 59. S'encgal, fleuve de Sénégambie, 106. Sénéyambie, pays de l'Afrique occident., 406, 112. Sennaar, ville et pays de Nubie, 26. W'enopalé, ville de Sénégambie, 4109. Sequenier, viile d'Algérie, 146. Setté, prov. du Congo, 94. Seybouse, riv. d'Algérie, 145. Seymoun, vent du désert, 117, Sfax, ville du roy. de Tunis, 144. Snaw, voy. angl. dans le roy. de Tunis, 445; —en Algérie, 145, 146. Sidi-Ferruch, cap d'Algérie, 151. Sigli, cap d'Algérie, 451. S'inbing, vili. du Soudan, 448. S'inghé, vil. de Nubie, 28. Sirbonis, lac d'Egypte, 4. Siré, v. el royaume, d'Abyssinie, 47. Sitifi (ruines de), 147. Swiru (André), médecin angl., parcourt la colonie du Cap, 90. Suiru, voy. angl, en Guinée, 104. Sneeurs-Bergen, mont. el canton du Cap, 68, 72. Socotora, ile d'Afrique, 48. Sofala, pays de ia côte de Mozambique, 50. Sogne, prov. du Congo, 95. Sogno, prov. du Loango, 94. Sokna, vilie du Soudan, 121. Soleiman, ville du roy. de Tunis, 144. Sonxvenar, naturaliste aux Séchelles, 54. Sor, ile de Sénégamnbie, 107. Soudan, pays de l'Afrique centrale, 127, Woueini, vil, dans les Oasis, 455. Soulimana, état de Guinée, 401. Soulimas, prov. de Guinée, 104. Soundi, prov. du Congo, 94. WS'ouse, prov. de l'emp, de Maroc, 452. Sousous, tribu de Handingues, 108. Spaïtla, ville du roy. de Tunis, 141. S'use, ville du roy. de Tunis, 441. Syène, ville d'Egypte, 16. Syn, royaume de Sénésambie 107. Syouah, oasis du Sahara, 137. Syout, capit. du Saïd, 41. T Tabarca, île d'Algérie, 145. T'able (mont. dela) dansla col. du Cap, 76. Tacazze, fleuve d'Abyssinie, 31. Tafilet, ville du Soudan, 154. l'afilet, état de l'emp. de Maroc, 152. Tafna, riv. d'Algérie, 151, Takouna, fleuve de la colonie du Cap, 79. T'alent, ville de l’'emp. de Maroc, 151. Tamatave, capit. des Betanimenës, 57. : amba-Aoura, mine de Sénégambie, 108. Tamba-Boucani ,vill. de Sénégambie,108. Tamboukis, peuple du Cap, 70. Tamisier. V. Combes. Tamabas, tribu de la colonie du Cap, 84. T'ananarive, capit. des Ovas, 57, Tandi, désert du Congo, 93. Tandi-Voua, ville du Congo, 95. T'angalia, ville du Soudan, 425. Tanger, ville de l'emp. de Maroc, 153. 1 angouré, village d'Abyssinie, 39. T'anis, ville d'Egypte, 5. Tans, désert de la colonie du Cap, 91. Tantah, ville d'Egyyte, 4. Taranta, mont. d'Abyssinie, 30. / aroudan, ville de l'emp. de Maroc, 152. Tazerbo, une des Oasis, 1338. Tchad, lac du Soudan, 122. ! chantop, rivière de la colonie du Cap, 91. Tchelicot, ville d’Abyssinie, 32. Tedles, cap d'Algérie, 151. Tejjuh, village de Nubie, 18. l'egherri, ville du Fezzan, 421. Tell-Bastah, vill. d'Egypte, 5. Tembi, fl. de la côte de Mozambique, 51. /'enda, pays de Sénégambie, 111. Ténériffe, Île et mont. de l’arch. des Ca- naries, 414. Teneydeh, vil. des Oasis, 136, Tex-Ruvyne, médecin holland., visite le cap de Bonne-Espérance, 66. Tensift, fleuve de l'emp. de Maroc, 452. T'erceira, Île de l’arch, des Açores, 112. Tete, fort portug. sur la côte de Mozam- bique, 50. Teyde, mont. de l'arch. des Canaries, 114. Thèbes (ruines de), 43. Tuowrson (George), voyag. angl. dans la colonie du Cap, 85. T'horah, mont. d'Egypte, 40. Taunserc, voyag. suédois au Can, G9. Tibbous, tribu du Sahara, 417. Tigre, royaume d’Abyssinie, 51. f'êémani, élat de Guinée, 101. Time, vill. du Soudan, 153. Timbou, capit. du Feuta-Dhiallon, 140. Tinareh, vil. de Nubie, 29.» T'ineh, ville d'Egypte, 1. Tinez, ville d'Algérie, 151. Tinting, ville de Madagascar, 57. Tmay-el-Emid, ville d'Egypte, 5. Tolometa, ville du Barcah, 159. / ombeau (baie du), dans l'ile Maurice, 61. l'onbouctou, ville du Soutlan, 154. .Srarruan (André), naturaliste suédois, | Fomboun, lac du Soudan, 195. Tooze, voyag. angl. dans le Soudan, 124. Toringas, mont. de Madère, 114. Torzex, un des comp. de Cailliaud, 28. Toueriks, tribu de Berbers, 417. Toubrouk, ville de la Marmarique, 139. Tozer, ville du royaume de Tunis, 145. Trarzas, tribu maure du Sahara, 117. Tremecen, ville d'Algérie, 448. Tripoli, capit. de l'état de ce nom, 140. Tripoli (état de), 140. TrisTar pa CüNnA, VOyag. portug., 55. Teürer, Voyag. europ. dans la colonie du Cap, 74. Tucker, voyag. angl. dans le Congo, 96. Tulbagkh, district de ja colonie du Cap, 77. Tunis, capitale du roy. de ce nom, 142. Tunis (royaume de), 141, 144. Fzana, lac d’Abyssinie, 59. Ÿ VazexTiA (lord), voyag. angl. au Zanguc- bar, 49. Vas Der Kewr, missionvaire holland. dans la colonie du Cap, 77, 81. Verhuei, stalion de la colonie du Cap, 90. Verte (mont.), dans l'île del'Ascension,38. Vert (Cap), sur la côte de Sénégambie, 106. Vintam, poste angl. en Sénégambie, 408. Vohémar, baie de l’île de Madagascar, 57. Vozney, voyag. franç. en Egypte, 5. WW Walfis, baie du Congo, 95. WATERBOER, Missionnaire angl. dans la colonie du Cap, 88. WViLkinsoN, VOy. angl. dans les Oasis, 158. Y Yabouss, riv. de Nubie, 98. Yanvo, ville du Congo, 95. Yaouri, ville du Soudan, 128. Feou, riv. du Soudan, 122. Yolofs, nègres de Sénégambie, 106. Yolofs (royaumedes), en Sénégambie, 107. Youriba, royaume du Soudan, 126. Z Zabou, vill. des Oasis, 137. Zaïinak (ruines de), 147. Zaïre, fleuve-du Congo, 94. Zambèze, fl. du gouv. de Mozambique, 50. Zambi, mont. du Congo, 95. Zambo, v. du gouv. de Mozambiqne, 50. Zammourah, ville d'Algérie, 147. Zarzi, riv. du Congo, 95. Zangucbar (côte de), pays de l'Afrique orient., 48, 49. Zanzibar, ile de lOcéan-Indien, sur la côte de Zangucbar, A9, £araï, plaine d'Abyssinie, 51. Zarco (Ican-Gonsalve), voyag. portugais, découvre Madère, 114. Zegzeg, pays du Soudan, 196. Zeighan, vil. du Soudan, 121, Zeytah, vile d'Abyssinie, 48. Zimboa, v.du gouv. de Mozambique, 50. Ziz, fleuve de l'empire de Maroc, 151. Zizibe, cap du royaume de Tunis, 144. Zoulas, tribu cafre, S9. £oure-Veld, cant. de lacolonie du Cap, 82 = Ë È Ée + Zuëia, ville du Soudan, 121. [Zuwellendai, Ville du Cip, 68. FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE DU VOYAGE EN AFRIQUE. CES = — = 66 ÿo 30 10 8e ON Se 80 Ye il a — _ RER. SES € — = —— à) ——— = _— _— a — = = 3 = S sise gi \ } d LFterer À LOrariera So eerque = = ns. 2, \ = Z Faynls SATerceirs 2 = XI {l | LS Pere M mer rép & | Archipel des Açores 297 Miguel ne | de ormiqus JE Marte LE fat #e n° I | Fe d'Hérkeni = Il | ne 1 ; ms, | 1 \ ; = 1° Mad # ) , | & ) = P E R S | | Nage Dnérerte ÿ LE nt 7 ide € | ] 5 J Vperunatem | e 1 | rade | | se HSahoagez Agadi dpitee [Aadrama nie deSuer. \ 1 = BE er, , ‘ | éerne do 3 \ \ s 5 | 1 F = - - À _ — \ = Archipel ai € mine TE. | $ E \ \ FN : 2 Palm (}} : ; \ I ( Ts Le Ajhäbty \ }: 4 SD} 1 araria © Shi \ | Z de Fer. S e. LE \ \ NH | / Puallen 7° ES il / | Fà CONFÉDÉRATION des BELOUTEI 5 | È | | w ‘ \ É LT ne EME ellaïderalad É | mme role \ | La 3 Ÿ ER || Tropique à aneer Tropique = du e Fraber À ambs \ & \ Gt | vopique du + Cancer PA" CSA == - - Ne - FRS S ER ESE à an) = Mrs EX van LITE / € . e. 7" Fr \ ARTE | = ” [ra ghäma 4 & Kou ke ( S L sfemnebf ei aMecque Æ À ervtte é K / À narnñ@ e urtte IL 2° Ps NOR SL sbe Hi Anar QT naneh dy (Cr arviré \ \ 2e Di) A Di D” 1 Fe érn> Tibbou de Boi agen | : | 7 c4 } Aghadez cr A] ETES TE jachra | EE pre | | Lf Antonio — ieolef . É © É rcherm, Dombou Jen ; | ED € ( 3 ren 4° or = 27 \Æalaghé Tibvou de, Gonda res SL Douchixkim | 7 | Goentel ST Nr. 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