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A

SAINT-DOMINGUE,

VOYAGE

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SAINT-DOMINGUE.

PENDANT LES ANNEES

1788 ^ 1789 et 1790;

Par le Baron d e "W I M P F F E N-

TOME PREMIER.

liCS voyages sont bons, non pour rapporter seulement corubien de pas aSancta-Rotonda^ ou la richesse des caleçons de la signera Livia, mais pour frotter et limer notrs cervelle contre celle d'autrui.

Montaigne.

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A P A R I S ,

.Chez CoCHERis , Imprimeur- Libraire, cloître

Saint-Benoît , n^. 352 , Section des Thermes,

" ' , . . - . . ^ ^^^.

Ji« CÏNIJUIÈME DB iA RiPUBLJÛDB. ( 1797 , vieux «tjie ),

AVIS

t)ES ÉDITEURS.

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(A traduction anglaise de cet Ouvrage a obtenu à Londres, de- puis plusieurs mois, le plus brillant succès. Il importe peu aux: lecteurs de savoir pourquoi elle a été publiée avant l'original , et de connaître les circonstances qui ont amené cet é/é- îieinent presque inoui dans les An- nales dé la littérature. Nous nous bornerons à leur apprendre que nous avons été assez heureux pour les sauver de la traduction d'une traduction , eri parvenant à nous procurer le manuscrit original que iious publioxis aujourd'hui.

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Il était difficile de le fa're paraître dans un te m s il fut plus ut'le, C est à riiistant le sort des colo- ires va se fixer ^ Ton va porter le flambeau de la vérité sur les ma-^ iiœuvres des homm :^s qui les ont dévastées ^ la moindre erreur peut nous les faire perdre , que tout bon citoyen doit s'empresser de tourner ses regards vers ces riches et malheureuses contrées. Tout fran-^ ça's qui veut intervenir dhme ma- nière quelconque dans la décision d'une des cjuestions les plus impor^ tantes qui aient occupé jusqu'à ce } mr nos diverses législatures, doit être jaloux de recueillir toutes. les données qui peuvent lui faciliter la solution du problème. Ils en trou-^ veront beaucoup dans cet Ouvrage; et al straction faite de quelques opi- nions politiques étrangères au' sujet ^

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tous ceux qui s'iiitéressent à la clioso publique ne dédaigneront pas les observations^ aussi neuves que miûr tîpliéès, (i''ûn homme auquel on ne saurait refuser les plus grands talens et le jugement le plus sain.

Nous osons même croire cîue nos législateurs pourront emprunter quelque chose du plan que l'auteur propose^ dans son Post-Scrptiim ^ pour Tamélioration du sort des co^ lonies.

Il y aurait sans doute beaucoup d'observations à faire sur cette in-' téressante production ; mais nous n'en entreprenons point l'extrait^ et nous voulons encore moins faire une préface. Nous ne pouvons ce-^ péndani: nous dispenser de dire que ce voyage assure à son auteur la réputation d'excellent écrivain ^ en îiiéme tems cjue celle de profond

penseur. Son style est pnr^ correct^ élégant 5 toujours adapté au sujet. On y retrouve à chaque page ce brillant et cette facilité , ce molle atque Jiicetuni ^ auxquels on recon- naissait ( qu'on pardonne cette ex- pression à des républicains) la touche de Xhojirme ^de cour.

C'est ce qui nous a déterminés à braver la censure des partisans de la liberté illimitée des noirs. Nous n'invoquerons pas sans succès contre elle Tappui de Thomme impartial ^ de l'homme de goût; et sur-tout d^ rami des lettres.

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LETTRE PREMIERE.

Au Hâçre-de-Grace. Juillet , 1788.

Je ne m'étais point trompé, monsieur, en vous disant qu'il ne fallait pas déses- pérer que la fortune ne m'offrît bientôt ime nouvelle occasion d'étendre , par de nouvelles expériences pratiques , le peu de lumières que j'ai déjà acquises, tant sur quelques parties de notre planète , que sur l'existence politique , morale et physique des difïérens peuples qui l'ha- bitent.

Je crois , à dire vrai , cette science fort peu ttécessaire à notre bonheur; mais.

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Voyage

lorsque le hasard nous offre les moyens de racquérir , je crois que nous avons tort delà négliger. Si elle ne nous rend pas plus heureux., elle peut du moins nous rendre plus modestes.

Elle nous rendrait certainement très- utiles si, quoiqu'en dise Sénèque (i) , au talent de bien observer et de ne tirer de ses observations que des conséquences justes , on joignait le pouvoir d'inspirer 5 à l'indocile ignorance , le degré de mo- destie nécessaire pour comprendre qu'il est des vérités d'expérience qui , pour- choquer la routine de l'usage, les préjù--' gés de l'habitude, ou les principes d'une éducation trop circonscrite , ne sont , par- même, que plus propres à étendre , avec les bornps de la sphère dans laquelle elle végète , les moyens d'être plus, sociale , c'est-à-dire , plus nécessaire et plus utile aux autres (i).

(i) Voyez sa seconde lettre à Lucilius. (2) « C'est sottise et faiblesse, dit Charrori , que de penser que Ton doit croire et vivre par-

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A Sain t-D o m i n g u e. 3

Et tel ne fut pas , monsieur , ce bon jésuite y qui , pris et traité par Famiral Anson avec tous les égards dûs au mal- heur^ aima mieux se faire interdire et chasser de son ordre , que de continuer à 'prêcher la maxime : hors de T église y point de salut. Sa gratitude pouvait être exagérée ; mais ce n'est point perdre ses pas que d'apprendre , en voyageant , à ne point damner son bienfaiteur (i).

Le navire sur lequel je m'embarque se nomme la Vénus ; le capitaine qui

tout comme en son village Le sot appelle

barbarie ce qui n'est pas de son goût et usage , et semble que nous n'avons autre touche de la vérité et de la raison , que Texemple des opinions etusancesdu pays oii nous sommes ».

, Sagesse. Liv. 2. Chap. II. (l) Voyage autour du Monde , tome 2. Ce jésuite n'était sûremenl pas du diocèse d'un certain archevêque de Lima qui, passant en Europe sur le navire du capitaine Guiot, lequel avait à bord le squelette d'un Patagon, parvint à faire jeter ce squelette à la mer pendant une tempête, disant que c'étaient les os de ce Pajeri qui la leur attirait. ( Vojez DisseHalion sur V Amérique , 2.^ part.

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4 Voyage

le commande est ce même M. ColHn^ dont le nom a si souvent paru clans. les gazettes pendant la dernière guerre , et qui mérita la distinction flatteuse de re- cevoir une épée de la main du roi.

Je serai le seul passager à bord , et je H^en serai que mieux. Quoiqu\me société un peu variée soit plus nécessaire sur un vaissau que par-tout ailleurs , il est si rarfe de trouver/ chez l'espèce de gens qui naviglient , les qualités dont Fhar- monie sociale se compose, que je dois plutôt me féliciter que me plaindre d'être seul.

Si je nie piquais d\me exactitude ser- vile, j'aurais des excuses à vous faire de ne vous avoir pas d'abord parlé de mon voyage de Gaën ici. - Je partis de cette première ville sur un cheval entier , qui m'eût fait arpenter bien du terrain , si j'avais voulu le laisser courir ^près toutes les juniens que .son instinct pressentait une lieue à la ronde.

Je dînai à Gujes , je troquai raoïi' iudoiïip tablé monture contre un bidet d%

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A 8 AIN T-DOMÎ M G U E.

posfe, dQîit j'eus hîeii de la peine à rani- mer la vigueur à Taide du même iDS^ru- ment avec lequel je domptais les pas- sions de son fongueux prédécesseur , mes éperons.

La marée étant liante, je fus obligé de faire plusieurs lieues dans l'eau jus- qu'à la sangle , et de courir à franc étrier sur rOcéan. Cette circonstance nemVm- péclia pas d'admirer la richesse et la beauté du paj^s que je laissai sur ma droite , en avançant vers le Havre.

Si lesbadauls qui y vtiemien»: de Paris, ann de pouvoir dire le reste de leurs jours qu'ils ont vu la mer , le i^aste Océan , prolongeaient leur course jus- qu'ici , ils jouiraient du moins d'un des plus beaux spectacles que la nature puisse offrir : celui d'une cliaîne de côtaux, l'on trouve à chaque pas de ceè sites délicieux , que les Anglais nomment ro- Tnantics] la campagne , einbeilie de tout ce que l'art , la culture , un luxe raisonnable peuvent ajouter à ses charmes naturels, nofire que des tableaux d'ai-

6 Voyage

Scaiice, de paix, de bonheur, et forme le- plus doux contraste avec celte plaine d un sombre azur , dont le coup-d'œii sévère et. monotone , est Timage de Fim- mensité sans bornes , dans le calme ; celle du combat et de la tumultueuse anarchie des passions, dans la tempête.

On fait , au port du Havre , des tra- vaux qui le rendront plus vaste et plus commode. Ils ne sont pas, monsieur, du genre de ceux de Cherbourg , car ils portent le caractère de sagesse et d'uti- lité qui distingue les entreprises du com- merce, plus occupé du soin de s'enri- chir, que de la vanité de paraître riche; tandis que les autres , calculés sur une échelle de grandeur ^ qui pourrait bien poser à faux , ne seront peut-être ja- mais qu'un monument de la légèreté avec laquelle on les a entrepris.

La ville du Havre n'est presque com- posée que d'une seule rue, mais si ani- mée, si bruyante, que l'on n'a pas be- soin de voir la mer pour savoir que l'on est dans un port. Des légions de péro-

A Saint-Domingue. 7

quels de toutes les parties du monde, de toutes les tailles , de toutes les cou- leurs , suspendus aux portes , aux bou^ tiques, aux fenêtres de tous les étages, parlent, sifflent , chantent , crient , ba- billent comme des ....... pies Les

çilains oiseaux ! me disait mon hôtesse, que j'écoutais depuis une heure; je i^ou-> drais qii' ils Jus sent tous au fond de la mer ! Ah î madame , pensai-je , si vous étiez donc comme eux dans une cage.

Si le vent le permet, nous mettrons à la voile demain. Le tems est beau , la saison favorable , et le navire commode , quoique petit. M. Cottin unit à la répu- tation d'un excellent homme de mer, celle d'être aussi prudent que brave. sait que le courage , voisin de l'impru- dence , est aussi dangereux aux gens de son état , que la sagesse qui dégénère en timidité : en voilà assez pour r'assurer mes amis contre la menace du pro- verbe , tant i^ a la. cruche à Veau.

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Voyage

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LETTHE II.

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ILnmer,Ao*d, lj88.

ous mîmes k la voile le 29 du mois dernier, monsieur ; une brise favorable nous jt ta , en deux fois vingt- quatre îieiires ^ hors de la Blanche, et , sans un vent un peu trop frais , qui nous fcalotta pendant quelques jours dans le perfide golfe de Gascogne, nous, n'au- rions jusqu'ici éprouvé aucune des con- trariétés qui rendent féiat de-navigateur si périlleux et si pénible.

I\otre principale occupation , notre plus grand plaisir , après celui de nous voir favorisés par le plus beau teiiis , a jusqu'ici été la pêche , amusement solide , qui joint Futilité à l'agréable , en nous permettant de suppléer , par du poisson frais , la volaille et la viande sallée , dont on se dégoûi e plus vite sur mer qu'ailleurs. Outre des Thons , des Bonites , des Dorades, des Dauphins, nous avons pris

A Saint-Domingue. 9

une espèce de poisson que ron nomme des Folles ; elles vont comme les pre- miers , par bandes , sont plus délicates , mais on les rencontre plus rarement , peut-être parce que la facilité de les prendre en a diminué Pespèce dans ces parrages.

Quelques heures de calme nous per- mirent de prendre hier deux îleqiiins. Il fallut un pallant pour hisser à bord le premier èont la gueule était armée de cinq rangées de dents.

Ce poisson que les anciens marins ont baptisé du nom sinistre de Regiiin, d'où dérive son nom moderne , est le ty^gre de la mer. Son extrême voracité lui fait dévorer tout ce qu'il peut atteindre , même le fer. Aussi aurait-il déjà dépois^ sonné TOcéan , si son instinct de vora- cité n'était balancé par ses jeux placés, non à la partie antérieure , mais aux deux côtés de sa tête large et platte, ce qui ne lui permet ni de voir , ni de chasser en ligne directe ; enfin , par la forme de sa gueule , laquelle ouverte

ïo Voyage

sous la tête , le force à se retourner pour saisir sa proie. La chair humaine paraît être le met favori de cet ogre ; aussi infeste-t-il particulièrement la route des navires qui transportent d'Afrique en Amérique les cargaisons de nègres dont il meurt toujours un grand nombre. Il ne faut donc pas douter , monsieur , que ceux de nos politiques qui plaident pour le commerce^ de la traite des noirs , n'appartiennent à l'espèce de5 Eequins. Ce que ce poisson a de particulier _, et ce qui prouve avec quel soin la nature supplée à la privation de certaines facul- tés , c'est qu'il est constamment accom- pagné de deux ou trois petits poissons que l'on nomme Pilotes. Ils paraissent avoir étabh leur domicile sur le haut de sa tête , ils se nourrissent , dit-on , de la substance qu'ils pompent de sa peau. C'est delà qu'ils partent successivement pour diriger sa course , en nageant à une certaine distance devant lui. Il est rare de prendre un Requin sans prendre en même tems ses Pilotes, qui, au'niou-

A Saint-Domingue. ii vement extraordinaire qu'il fait , vont reprendre leur poste. Voilà des parasites bien fidèles à leur hôte.

Pendant que je raisonnais avec le capitaine sur Texcès de férocité , ou de voracité qui , dans le Requin , est sans doute le produit de ses besoins et la con- séquence naturelle d'une loi générale et nécessaire , destinée à prévenir les suites de la multiplication infinie des difïérentes espèces du règne icîitjologique , nos matelots se préparaient à nous donner une preuve de Finstinct de méchanceté gratuite qui distingue Thomme des au- tres animaux.

Après avoir amarré l'une des extré- mités d'une corde à une barrique vide et bien Calfatée de manière à ce que Feau ne pût y pénétrer , l'autre bout fut , à Faide d'un nœud-coulant , passé à la queue du Requin , opération assez difficile par la force extraordinaire dont est douée cette partie de son éorps , avec laquelle il porte des coups si terribles, qu'il fait , non pas trembler la mer^

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Î2 V O Y, A G E

comme le dit niaisement le rédacteur de THistoire générale des Voyages (i) , mais le pont des pins forts navires. On lai crève ensuite îes jeux, et, dans cet état, on le jète à la mer.

C'est en effet un spectacle barbare- ment singulier que celui des efforts qu'il fait en tous sens , soit pour pénétrer l'eau , soit pour s'élancer dans Fair , et toujours rammené à la surface liquide par le poids de la barrique qui Vy assujétit.

On destina son camarade à être mangé, quoique la cliair du Requin , d'un blanc fade et blafard , soit imprégnée d'un goût fétide et d'une odeur d'urine. Mais_, qu'est-ce que les matelots ne mangent pas? Je crois , dit un de nos plus anciens voya- geurs , que le diable rôti ^ bouilli ^ grillé ^ traîné' par les cendres y laisserait ses grègues dans leurs dents (2), ; A la pêche succédait la chasse. Le calme qui permet aux oiseaux de dis-

»»i ■! . ...r mil., . I -1 I I I iiir I I I iij»'

(i) Tome 2. chap. 5.

(2) Journal cran Vo3'age aux Indes orientales^ Tome 2,

A S A I N T -*D O M I N G U E. 1 3

tinguer le pdisson à une plus grande profondeur-, et Je voisinage d'un navire , que èe dernier aime, non pour le plaisir de voir des animaux à deux pieds sans plumes , mais parce que la nouveauté de l'objet Fattire ; le calme eHe navire avaient assemblé autour de nous beau- coup d'oiseaux , nos maîtres et nos ri-^; vaux dans Fart cle la pêche. ^

Nous en tuâmes plusieurs , uniques ment pour exercer notre adresse , car^ leur chair noire , sèche et filandreias© est immangeable pour qui n'est '^^ dévoré de la faim.

Les plus curieux de ces oiseaux sonè la Ftégatte et le Faille - en - Cul , o^ Flèclie-en-Cul , que les Espagnols nom- ment Robo-de-Junca , Queue de Jonc , et qui mérite ce sobriquet par deux: plumes tellement accolées, qu'elles par ais-l sent n'en faire qu'une , et qui forment sa queue (ï). Le premier est Faigl^ àb

(i) On peut voir la description plus détaillée d^ù Paille^eïi-cul ,' iiorhmé aussi YOisëàù-du-Tro-^ pïtjûè , dans' ÏTÎÏstbih^- â^mi Voyage^aux îîe^ Malouines, Tome 2^ chap. 20.

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14 V O T A G E

l'Océan ; il a la taille , les formes, le vol sublime de ce roi des airs. L'un et l'autre , et la Frégatte surtout', 9q tien- nent presque toujours à une telle dis- tance qu'il est extrêmement rare de pou- voir les tirer à une portée raisonnable.

Mais un oiseau que je ne m'attendais pas à trouver en mer , c'est une espèce de hibou. Si celui-ci, en longs gémîs^ semens , ne traîne point sa voix ; s'il n'a pas , chez les matelots , la réputation dont son confrère jouit chez les vieilles femmes des deux sexes, celle d'être le triste et prophétique organe de la mort, il a du moins la figure ^ l'existence noc- turne, le vol furtif et silencieux de l'oi- seau de Pallas ; on nomme ici Foi- TOUX, Je pense bien qu'il est connu des naturalistes sous un nom plus noble et plus sonore.

Une question qui se présente d'elle- même à la vue de tous ces oiseaux que l'on trouve à deux, quelquefois à trois cents lieues de toute terre, qui, la plu^ part, vont y passer la nuit^ et qui cer-

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A Saint-Domingue. i5

tainement y font leur ponte ( i ) , c'est de savoir comment ils retrouvent leur gîte; car , outre que l'espace qu'ils ont à traverser n'offre aucun point de remar- que propre à diriger leur vol , il est impossible de supposer que le seul or- gane de la vue les guide à une pareille distance. Dire qu'ils se règlent sur le cours du soleil, ne résout point la ques- tion , car I o. il j a des jours cet astre ne paroît point ; 2°. je les ai vu souvent voler et nager autour de nous long teras après son coucher ; 3°. comment le soleil , qui varie dans son cours d'un solstice à l'au- tre, peut-il leur servir de boussole per-. manente? Sojons.de bonne-foi ; ce mys- tère de la nature confond l'esprit; car^ l'instinct que nous prêtons aux bêtes _j me semble un mot beaucoup plus propre

(l) Les Brasiliens prétendent que loiseau nommé Calcamar ne quitte jamais les flots , oii il dépose même ses œufs. li est, je crois, permis , de douter d'un fait qui n a pour garant que la croyance vulgaire , et que coniredisent toutes les loix de la nature.

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ï6 Voyage.

à nous sauver Paveu de noire ignorance ^ qu'à expliquer l'usage d'une faculté qui nous manque.

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LETTRE

A Saint-Domingue.

LETTRE III.

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E71 Jver. Septembre , I788.

Jllus j'observe, Monsieur, les anî- inaux, poissons volatils, qui font ici une partie de notre société, plus je leur trouve avec l'espèce humaine des rap- ports qui seraient très-propres à tempé- rer son orgueil, si olle voulait se rap- peller que la seule faculté qui la distin- gue ^ celle de la réflexion , ne sert presque jamais qu'à la rendre plus malheureuse et plus méchante.

Mais, dit-on, l'homme n'est-il pas le seul être doué du degré d'intelligence nécessaire pour vivre en société ? Le seul qui aje reçu le don sublime de commu- niquer avec Dieu par la pensée? Et nous aussi, vous répondront l'Abeille, le Cas- tor , la Fourmi , nous vivons en sociétés , mais en sociétés beaucoup moins tracas- sières que les vôtres ; et quant à la com- munication dont vous parlez , nous nQ

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is Voyage

voyons pas que, depuis sept mille ans quelle dure, elle vous ait encore rendus ni meilleurs , ni plus sages.

Jl me faudrait plus de connaissance, ou pour employer le mot propre , moins d'ignorance de l'histoire naturelle de» différentes espèces de poissons , et de Tomythologie marine , pour vous en parler pertinemment : je me bornerai donc à quelques apperçus.

Le poisson que Ton rencontre le plus fréquemment est le marsouin qui va par bandes, que Ton trouve, à-peu-près , sous toutes les latitudes , et qui se dis- tingue en deux espèces; le Marsouin pro- prement dit, et le Moine. Il est trop connu sur nos côtes, pour entrer dans - de plus grands détails. Les marins pré- tendent qu'il dirige toujours sa course au vent, et moi qui me plais à vérifier ces sortes d'observations, je vous assure que sur vingt expériences , j'en ai trouvé dix-neuf fausses!

Il résulte à l'égard de la Troscellarîa, que l'on nomme vulgairement ^Icjon,

A SAIîÎT DOMIKGUE. 19

ouSattaiiique^ ou r Oiseau de tempête^ et qui ressemble beaucoup au Martinet de terre , un préjugé tout aussi faux. On le regarde comme le précurseur des ora- ges (i). Cependant, je n'ai jamais vu l'expérience justifier cette opinion dans aucune des latitudes que j'ai parcourues du nord au sud , de Test à Touest. Ce qui peut y avoir donné lieu, c'est que cet oiseau pêche , sans doute, avec plus de succès par un tems plus orageux et sombre, que sous un ciel serein.

La Baleine me pardonnera-t-elle de ne pas l'avoir nommée la première , car si la taille donne le rang, elle a uii droit incontestable au premier?

Elle est ici, à Fintelh'gence près, ce que l'Eléphant est sur terre, le plus grand ^

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(i) Voyez Boagainville , Voyage au (,ur du Monde , tome i chapitre 8 11 ait encore plus étonnant de trouver ce préjugé consacré dans les Etudes de la Nature , ouvrage qu'on lit avec trop de fruit et d'intérêt , pour ne pas regretter dy trouver des erreurs. Voyez le tome 2 , étude X , page 229.

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Voyage et sans doute le plus fort des êtres de son élément. Elle se distingue aussi en . différentes espèces , dont Ja plus grande se trouve dans les mers du nord. Elle habite y comme le Marsouin , tous les cli- mats , car on la rencontre depuis les pôles jusqu'à Péquateur.

On a fait beaucoup de contes sur la taille de ce poisson , plus précieux au commerce par son huile et ses fanons , que l'Eléphant qui n'a que son ivoire. IJn archevêque d'Upsal , entr'autres , assure avoir vu une Baleine d'une telle mons- truosité, que le seul orbite d'un de ses jeux pouvait contenir vingt hommes assis ( I ) ; quoique celle qui escamotta Jo- nasfut déjà d'une taille prodigieusement supérieure à lapins grande Baleine con- nue, puisque l'œsophage de celle-cin'a pas même un pied de diamètre, on voit que celle du prophète de Ninive ne devait^ être qu'un goujon, comparée à celle de l'archevêque Hiperboréen.

(i) Histoire naturelle des régions Septehtrio- ïiales, livre 21,

A Saint-Domingue. 21 Le Souiîicur se rencontre aussi fré- quemment que la Baleine, à respèce de laquelle il appartient. Le jet d'eau qu'il lance perpendiculairement , le fait recon- noitre de très-loin.

Si dans les jeiix de votre adolescence on vous a fait racheter un gage par un baiser, pour avoir levé le doigt à pois- son vole , faites-vous le rendre : on a abusé de votre Jeunesse _, .car ^ non-seu^ lement il j a des poissons volans^, mais on les trouve en très-grand nombre aux environs des tropiques. Le terme mojen de leur taille est celui de la grande sar- jiine ( I ) , et c'est , de tous les poissons de mer, le plus délicat à mon goût, que vous pouvez aussi prendre pour terme moyen. Mais il est en même-tems le plus malheureux, car il ne semble avoir reçu

(2) Mais il est absolament faux , comme le disent le docteur Dellon et Fabbé de Choisy ^ que Ton en voye de la grosseur dïtn lïaréngv Voyez ReJaUon d^un Voyage aux Indes-^Orien" îale , tome I , chapitre 2 . et Journal du Voyage «le Siam , page 3o,

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22 Voyage

la faculté d'échapper aux poursuites des poissons qui nagent mieux que lui , que pour devenir la proje des oiseaux , lorsque Téminence du danger le force à pren Ire son vol. Il arrive même que des troupes entières poursuivies viennent s'abattre sur le pont des navires, ils trouvent une iuhospitalité toi.t aussi bar- bare que la haine de leurs voraces enne- mis. Leurs ailes délicates ne les soute- nant dans l'air qu'autant qu'elles conser- vent un certain degré d'humidité , ils ne sauroient prolonger leur vol au-delà d'uûe portée de fusil ( i ).

Aussi , Monsieur , semblables au fai- ble, auquel une faculté de plus ne donne

(i) Yoyez la description de ce poisson dans YHisfnire dhin Voyage aux îles Malouines \ tome I , chapitre I , Fauteur , don Peruetty , le nomme très-improprement im amphihie ^ parcs qu'il a la faculté de s élancer hors de son élément. Pour qu'un animal quelconque soit réputé am- phibie , il fout qu'il puisse , non pas quitter mo- mentanément l'a terre ou l'eau, mais habiter, inais vi vre alternativement sur Tune et dans l'autre,

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A Saint-Domingue 23

souvent qu'un nouveau droit à la haine du fort, ces infortunés trouvent, dans l'avantage même dont les a doués la na- ture, une nouvelle source de persécu- tions et de dangers.

Je ne vous parle point del'anîmaî sin- gulier que les marins nomment Galère^ les naturalistes Holoture^ qui n'est, disent- ils^ ni plante, ni poisson, et dont il faut chercher la description chez ces derniers.

La contrariété àes vents ou des cou- ' rans, force quelquefois les navires qui vont aux Antilles, à ranger les Açores d'assez près. Il n'est alors point rare de voir des oiseaux de terre, emportés par le vent , se jetter sur les vaisseaux comme dans une espèce de port. J'ai été témoin qu'ils n'j sont pas mieux reçus que les poissons volans , et que si l'habitude de voir des hommes les a rendus assez mé- fians pour éviter de se laisser prendre , ils n'échappent à ce danger que pour périr d'une mort lente , lorsque l'épuise- ment de leurs forces ne leur permet plus de se soutenir en l'air.

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24

Voyage

Le voisinage des Açores , découvertes par Gonsalve Vello , m'a rappelle une des mille et une fables débitées par les vojageurs , indépendamment des qui- proquo de leurs éditeurs, qui, sans con- naissances naui'iques , écrivent par fois, du ton le pins grave les plus pitoyables absurdités,

La fable dont Je parle est celle de la statue équestre trouvée dans Tisle de Cuervo ou Corvo. Elle était , dit-on , couverte d'un manteau , la tète nue ^ tenant de la main gauche la bride de son cheval^ et montrant de la droite roc- cident (i).

Si ce conte fut inventé pour ébranler ropiniâtre incrédulité de ceux qui, pour des raisons à eux connues , niaient la possibilité de Texistence dun nouveau monde , cela prouve une triste vérité: c'est que Ton ne triomphe de Tespèce d'ignorance , qui ne croit qu'aui vérités

(i) Histoire générale des Yoj^ages , tome l^, livre I , chapitre i.

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A S A"fc N T - D O M I N G U E. 25;

triviales OU aiix miracles, qiven prenant le masque et le langage de Timposture.

Venons à rabsurdilé.

Towtson , dit l'Histoire générale des Voj^ages (i), après avoir perdu toutes ses voiles, suspendit à son mât un pieux bonnet ^ avec lequel il se conduisit à Fisle de Wiglit.

Or, monsieur, ce vieux bonnet était une vieille bonnette , c'est-à-dire, une voile que , dans le bea^j tems , Ton ajoute aux autres moyennant un boute - hors, ou une petite vergue qui s'adapte à une des vergues 'majeures.

Je ne vous dis, rien du tems , qui est toujours très-beau. Notre traversée sera assez longue , mais elle sera très-douce, et , j'espère 5 exempte des contrariétés qui , de l'état de marin , font un métier de forçat. La parfaite harmonie qui règne abord, jointe au bon esprit d'j varier nos occupations , contribuent à nous faire

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(i) Histoire générale des Voyages ; tome 2^ livre 2 ; chapitre.

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26 Voyage

avancer, sans impatience, vers le but de notre course. M. Gottin occupe cons- tamment ses matelots , afin d'éviter les conséquences de l'oisiveté , toujours fu- neste au bon ordre. Les uns font de fé- touppe , d'autres du fil carré ; d'autres raccomodent les voiles , épicent les cables, etc. ces travaux n'ont rien de pénible. Ils se font en chaulant , sous nne tente qui met les ouvriers à l'abrî du soleil. Je me plais à les partager. Je disloque de vieux bouts de corde, comme vos belles dames parfilent des brins d'or; ^tsije suis destiné à ne pas rapporter de mes voyages tout le fruit que j'en espère , j'aurai du moins appris à faire des nœuds en cul-de-poule.

Nous avons fait , au passage du tro- pique , la cérémonie du baptême Aqs profanes (i) , c'est-à-dire , de ceux qui

(i) On peut voir les détails de cette cérémonie, longuement décrite dans le chapitre 2 du Voyage: aux îles Malouînes , âont Fauteur observe que les anciens qui ji'açaient point de boussole et

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ne l'avaient point passé encore , mais avec la mesure cVorcIre , dVgarcls , de modération, sans laquelle les plaisirs dé- génèrent en peines , et les jeux en com- bats. La lecture , une partie de piquet, dans laquelle M. Cotrin n'oublie pas son ancien métier de Corsaire ; l'histoire ào quelques événemens très -singuliers efc très - intéressans de la vie de ce brave marin, remplissent les vides de la jour- née, et prolongent même nos conversa- tions jusque bien avant dans la nuit.

çid ne s'écartaiejîf point des côtes dans Iç'ts plus longs poyages , ne connurent pas la céré- monie bizarre du hatême. !N'es(-il pas en eiiefc , très-exlraordlnaire q le cette cérémonie , q ai clérive d'une institation moderne , relativement à l'existence des Tjriens , des Pliéiiiciens , des Carlhaginois , n'aye point été pratiqués par ces navigateurs? Les désordres auxquels l'abus ds cette singerie a donné lie^u , l'ont faite détendre sur les vaisseaux de la marine royaîô^. Il est même fort extraordinaire que celte caricature ridicule d'un sacrement d'institution divine, ait été jamais tolérée chex des chréclens.

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Voyage

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LETTRE IV.

Jacmel, fie Saint- Domingiie, Octobre, 1788.

o E suis à terre depuis huit jours, mon- sieur , et certes je n'avais pas tort de ne me sentir aucun empressement d'j arri- ver. Quel pajs ! quelles mœurs î quels !

3îais, comme je ne suis plus assez jeune pour céder, sans résistance, à Fempire de la première impression, je me suis résolu à un parti que je crois sage; celui de laisser s'émousser ce que Montaigne appelle la pointe de rétrengeté^ afin de mûrir, par un noviciat de quelques mois de silence et d'observations , le jupemeni que je dois porter des hommes , des mœurs , du pajs.

,, Je yeux , s'il est possible, et je l'es- père, éviter les deux principaux écueils sur lesquels la plupart des voyageurs échouent , l'exagération et l'étourderie. Je n'irai donc point , jugeant comme

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A Saint-Domingue. 29 eux du tout sur une partie , tracer har- diment le portrait d'un peuple sur quel- ques traits d'une société , peindre riiorame dans un individu, et poser en principe que toutes les femmes à Rome portent perruque (i) , parce que j'aurai vu de faux clieveux à la charmante Rosa-^ linde. (c On a dès long-tems remarqué , dans les voyageurs , une affectation par- ticulière à vanter le théâtre de leurs voyages )) , dit M. de Volnej (1), et j'es- père encore échapper à ce reproche.

En attendant , je vous rendrai compte de la manière dont s'est terminé le nlien,

(l) Lettres sur f Italie , par M, le président du Pafy , tome 2 , letlre 87. On trouve une autre preuve de cette légèreté de jugement , moins excusable ciiez une nation plus réfléchie , dans ie Voyage autour du Monde, par Tamiral Anson , tome 3 , livre 3 , chapitre 9 , le rédacteur ne fait pas difficulté de j^iger de la probité et des mœurs de tous les habitans du vaste empire de la Chine , d'après quelques friponneries des ha- bitans de Macao.

(i) Voyage en Syrie et en Egypte , tome 2^ chapitre 18.

3o Voyage

La constance du beau tems nous ayant permis.de prendre, presque chaque jour, hauteur. M, Cottin me dit le 24, que si aucun év^énement extraordinaire ne ve- nait à la traverse _, nous verrions , le len- dejnain avant midi, la Désirade, ce qui eut eu eiTet lieu vers dix heures du ma- tin ; et cV.st, depuis que je navigue, le seul exemple d'un rapport aussi exact entre l'observation de la latitude et la mesure du lok, si sujette à erreur, quoi- que la seu'e manière d'estimer la route , lor que Fabsence du soleil interdit l'u- sage du quart de cercle ou de Foçtant.

J'arrivais dans un monde nouveau, et cette seule pensée m'eût déjà rendu très- attentif à observer la chaîne des isles que nous allions longer sur les deux bords, quand même le plaisir de revoir la terre, plaisir dont un navigateur seul peut connaître le charme , n'j eût pas constamment attaché mes regards.

Nousvîmes successivement et sur notre gauche, la Désirade, que Colomb ne dé- couvrit qu'à son second voyage ; que des

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A Saint-Domingue. di

géographes mal instruits prétendent in- habitée, et qui nourrît quelques colons qui y cultivent un peu de café et de coton. Ensuite, la Guadeloupe , que nous accostâmes assez près pour y distinguer les habitations éparses sur la côte.

Nous laissâmes sur la droite , et Mont- serrât , qui paraît n'être qu'une seule rhontagne, dont le talus rapide est peu susceptible de culture; et la grande isie de Cuba, dont le nom vous rappellera ceux de milord Axminster , de Tinté- ressante Fanny , de la bonne madame Biding , et de l'abbé Prévost , leur père.

Un incident, qui pouvait nous devenir fatal , pensa me priver du plaisir d'en voir davantage.

Nous approchions de Saint-Domingue, dont M. Cottin voulait reconnaître la pointe occidentale. La beauté de la nuit m'avait engagé à rester sur le pont. Vers minuit, étant à la poulène , je crus voir que quelque chose de sombre et de gri- sâtre interrompait la ligne de rhorison. A force de fixer cet obj^t, je reconnus

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que c'était mie terre basse , et je jugeai que, portant assez de voiles, avec une bonne brise, nous n'avions plus un quart de lieue à courir.

Sans rien témoigner à Tofficier de quart ni aux matelots, je fus réveiller îe capitaine, que je conduisis à l'avant. Sa présence d'esprit fut égale à sa sur- prise : larguez vite les écoutes à stribord, me dit-il ; puis , arrachant la barre au timonier , il commanda de brasser bas- bord, et nous arrivâmes. Et il était

tems , monsieur , car nous n'étions plus à deux encablures de cette terre , qui était la petite isle de Saona , sur laquelle , en cas de naufrage , nous n'eussions trouvé que du sable.

Cette rencontre nous donnant un point de reconnaissance positif, nous nous éle- vâmes au large , et je fus ma coucher pour quelques heures.

Nous avions la côte méridionale de Saint-Domingue en pleine vue à mon* réveil. La brise , qui venait de terre , nous apportait le confus mélange des émana- tions

A Saint-Domingue 33 tîons de tous les aromates , parmi les- quels l'odorat distinguait le suave par- fum de Tacacia-buisson.

La voila donc , me dis-je, cette terre, ce premier échantillon (i) d'un nou- veau monde , dont la découverte dut combler Colomb d'une joie d'autant plus pure , qu'elle le tirait tout-à-coop de la foule des avanturiers téméraires , pour l'élever au rang des plus grands hommes ! Jamais entreprise plus hardie n'avait dé- cidé une aussi grande question. Aussi; quel moment î Quel triomphe pour l'a- miral et ses compagnons! Héritiers de la puissance de Dieu, continuateurs de son ouvrage , ils achevaient la création î L'histoire ne sait dire que des faits : il faut se transporter en esprit parmi eux^ pour se peindre leur étonnement , pour en-

(i) Quoique Colomb eût découvert précé- demment, c est-à-dire , le 12 octobre 1492 , File de Guanabami , ou Sansalvador , une des Lu- cayes , je me permets cette espèce de transposition, parce que Saint-Domingue lut ia première oii les ï^uropéens firent un étabbssement.

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S4 Voyage

tendre les cris de leur allégresse , pour voir l'expression d'un tendre et religieux, respect succéder aux inquiets et sombres regards de la méfiance , du décourage- ment et de la. haine douloureuse. Comme ces hommes ^ avides de t^erre , durent dévorer desyeux ce sol inconnu , ces pro- ductions nouvelles , cette nature étran- gère (i) ! Comme l'aspect de cet isle dut aggrandir leur chef, même dans l'opi- nion de celui d'entr'eux qui, rebuté d'une tentative dont l'audace étonnait sa pru- dence , disait aussi naguères , avec les courtisans de l'Escurial : Rien de plus

(i) Il faut avoir une idée bien fausse de lespêce diverse dans laquelle cette vue dut les jetter, pour dire , comme les compilateurs de V Histoire générale des Voyages , tome 10, livre l , cha- pitre I , que la première fois que les Espagnols débarquèrent sur le nouveau monde , ils bai- sèrent humUemenl la terre. Ils la baisèrent avec transport , dit avec beaucoup plus de vraisem- blance Tauteur de XRis'oîre de VAsie, ds VAfii^ fjus et de V Amérique i tome l3.

A Saint-Domingue. 35 fou que cette entreprise (i); mais qui, à son retour, ne dira pas comme eux, rien de plus simple , car il voudra en partager la gloire comme il en a partagé les périls.

Ce fnt le dimanche * * . . 1492 , que Ton vit Saint-Domingue; et Tincalcu- labîe influence de cette découverte, la révolution qu'elle produisit dans le com- merce , la politique, les opinions de l'Eu- rope , doivent rendre ce jour à jamais célèbre dans les fastes de son histoire.

Mais , quel contraste, monsieur, dans les conséquences des principes adoptés par les différentes puissances, selon qu'ils furent dirigés par l'esprit de commerce ou celui de conquête (2) ! L'un n'appor-

(i) Colomb offrit dabord ses services à dom Juan , roi de Portugal , qui les refusa. Dans un voyage quil fit à la cour de ce prince à son retour d'Amérique , en 1493 , les courtisans con- seillèrent à leur maître de le faire périr , et lui offrirent même de l'assassiner.

(2) Le désir de perfectionner la connaissance du globe a doûné naissaûce à une nouvelle

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36 Voyage

tait au nouveau monde que des vices, des arts, des besoins; l'autre lui appor- tait l'esclavage et la mort. A la voix du premier , je vois le Batave indigent s'é- lancer de ses lagunes , parcourir le globe ; . et, par son économe et persévérante in- dustrie , couvrir ses marais des richesses des deux mondes , en fondant aux extré- mités de la terre des colonies plus éten- dues , plus riches, plus populeuses que la métropole; tandis que l'Espagnol dé- peuple ses belles provinces , pour aller dépeupler les Antilles , le Mexique , le Pérou , et bâtir de pauvres capuci- nières (i) sur les débris du riche empire

sorte d ambition, celle des découvertes. Elle a à-peu- près les mêmes conséquences que les deux autres pour les peuples découverts , parmi lesquels les seuls liabitans de la terre de Van-Diemen , ou nouvelle Hollande , ont eu le bon esprit de rejetter avec mépris des présens dont ils n'avaient que faire , et qui ne leur eussent donné que de nouvaux besoins. Voyez Nouveau Voyage à la pierdiiSud, page 29.

(i) Je sais que les moines du Mexique n'ob- eervent pas mieux le voeu de pauvreté que les

A Saint-Domingue. S7

de Montesimia Ah ! l'imagination îa

pkis froide recule d'horreur devant la gloire de Cortez et de ses successeurs, quand on songe qu'elle a coûté vingt Bii liions d'hommes à ces malheureuses contrées (i) ! « Et quels biens, dit Mon- tesquieu , les Espagnols ne pouvaient-ils pas faire aux Mexicains ! Ils avaient à leur d(mner une reîimon douce , ils leur apportèrent une superstition furieuse ; ils auraient pu rendre libres les esclaves 5 et ils rendirent -esclaves les hommes libres. Ils pouvaient les éclairer sur l'a- bus des sacrifices humains : au lieu de

autres; mais la somptuosifécles églises Topulence des monastères , le laxe du clergé, ne suppléent pas plus à la cah'ure , la véritable base de îa richesse des colonies , que la luxure des moines à leur population. Le Pérou a beau produire de lor , il ne sera vraiment riclie que lorsqu'il pro- duira des hommes et des récoltés. On compte , dans la seule vilie de Mexico, vingt -neuf couvens d'iiommes et vingt-deux de filles.

(^i) Carjaval se vantait, aumomentde mourir ^p d'avoir à lui seul massacré vingt raille Indiens.

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38 Voyage

cela, ils les exterminèrent. Je n'anraîs jamais fini , si je voulais raconter tous les biens qu'ils ne firent pas , et tous les maux qu'ils firent (i) w.

(ï) De L'Esprit des Loix , livre lo^ chapitre

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A Saint-Domingue. Sg

LETTRE V.

Jacmel. Octobre , 1788.

fJ E reprends , monsieur , sans aucun préambule , la suite de ma dernière lettre.

; La variété des aspects , la nouveauté des formes soaslesquelles une végétation rapide développe, sous un ciel brûlant, des prod^ctions inconnus. aux Zones tempérées; cette terre , dont aucune voix n'interrompait le silence , dont au- cune trace de culture ni d'habitation ne troublait la solitude , attachèrent long-tems mes jeux et ma pensée.

Que sont devenus les hommes doux et paisibles qui l'habitaient ? Répondez ^ Européens : sont-ils ? Tant qiie vous n'avez trouvé chez eux que les vertus de l'hospitalité , vous vous êtes contentés d'en faire vos esclaves , n'est-ce pas ? Mais du moment vous vîtes que^

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4^ Voyage

frappés des excès de votre înconsé- quente et barbare turpitude , ils passaient de Famoiir à la liaiiie , et de l'adoration au mépris, vous vous êtes hâtés d'exter- miner , comme des bêtes féroces, des hommes qui vous av/ ient reçus comme des dieux. En vain espérez-vous que le tems effacera ce crime de la mémoire des nommes ; il existe sur ce rivage un monument (i) , dont le nom , confondu avec ses flots , roule à la postérité le souvenir de vos fureurs.

Telles furent , monsieur , les premières pensées que .'m'inspira la^vue' de Saint- Domîiigue. VôHs De les confondrez pas, j'espère , avec les déclamations d'un enthousiasme: facrîce. La question , si la découverte de l'Amérique doit être regardée comme avantageuse ou préju- diciable à l'Europe', n'est point encore décidée ; mais celle de son influence sur le bonheur des habitans de cette partie

(i) La rivière du massacre.

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A Saint-Dominguk. 41

du nouveau monde ne Test que trop par le fait : ils n'existent plus (i).

L'ancien, le véritable nom de Saint- Domingue , n'est pas trop connu. Fran- çois Coréal dit que les naturels la nom- maient Quisqueia, Haïti ^ Ci pan ga (2). Peut-être ces noms sont-ils moins ceux de l'isle entière , que des diiiérentes parties les indigènes avaient leurs établissemens. Les Espagnols la nom- maient d'abord Isahella (3) , et la nora-

(i) y oyez Réflexions sïiiN la colonie de Sa'nt- I)oniiEgr:e, tome i, çliapilre 2.. Un seul Cacique était parvenu à former , au ISFord-Est de San-Do- min^o , un élablissemenl 011 il avait réuni nualre mille de ses compatriotes, qu'il gouvernait sous îe titre de Cacique de l'Ile s de Staïli , sans autre dépendance que celle d'appeiler de ses jugemens à Taudience royale. Mais, en 171 8, cet établis-» sèment ne contenait déjà plus que cjuatre-vingt à quatre-vingt dix individus des deux ocxes.

(2) Relations des Voyages , etc. , tome I , chapitre i.'

(3) Correspondance de Fùrdinand Coriez , etc.^ lettre i.

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42i Voyage

}îîent encore aujourd'hui Hispagnola , ainsi que tous les peuples navigateurs , à l'exception des seuls Français , qui con- fondant le nom de la capitale San- Domingo , bn^q, celui de l'isle , ont pris et gardé Thabitude de Tappeller Saint- Domingue (i).

Je reprends îa suite de notre navi- gation.

Soit négligence des timoniers , soit que des courans inconnus nous eussent fait dériver, nous nous trouvâmes à l'en- trée de la nuit tellement afalés sur une côte à pic , vers Femboucliure de la ri- vière de Naïba , que nous restâmes tout- à'Coup sans vent pour nous en tirer , et sans fond pour j jetter l'ancre. Il fallut jnettre la chaloupe et le canot à la mer afin de nous remorquer.

(i) L'Histoire générale des Voyages termine le récit de la fondation de cette ville , tome lo, livre I , chapitre i , par un quiproquo impar- donnable , en ajoutant qu elle était devenue dan& la suite , sous le no?n de Saint-Domingue ^ un» des plusjïorissantes colonie s françaises.

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A Saint-Domingue. 43

Je vis avec plaisir la rivière de Naïba ou Neiva, une des plus considérables de Saint-Domingue ^ s'acheminer vers rOcëan à travers une large vallée , et se diviser , au-dessus de son embouchure , en plusieurs canaux: qui forment un coup-d'œil très- agréable. Cependant rien n'annonce que cette belle contrée soit ni cultivée , ni habitée , et c'est dommage , car je doute que l'on trouve ailleurs un local qui offre à-la-fois un sol plus varié à la culture , et plus de ressources d'a^ gré ment et d'utilité au cultivateur , pour lequel le voisinage d'une rivière navigable est toujours un grand avan- tage, en ce que la voie d'eau simplifie, accélère et facilite le transport des denrées.

Le cours de cette rivière semble , mon- sieur , Iracé exprès pour former une barrière naturelle entre les possessions françaises et espagnoles. C'est ainsi qu'en avaient d'abord jugé les commissaires français , chargés de la démarcation des limites. Mais les raisomiemens sonores

A4 Voyage

des commissaires espagnols en déci- dèrent, dit-on, autrement, et la France perdit un. terrain précieux, sans que J'Efi-pagne , qui le laisse en friche, v ait gagné antre chose que de resserrer le territoire de sa voisine : c'est quelque chose , sans doute; mais FEspagne paraît depuis long-tems avoir oublié que la force d'un état dépend moins de son étendue territoriale que de sa population. Ce qu'il j a de plus extraordinaire en cela j c'est que dès 1698 , cette même ïivière de Naïba était nommée , dans les lettres païen les pour l'érection de la compagnie de Saint-Domingue , comme formant avec le Cap de Tiberon les îimiles de la côte du Sud.

La Saint-Domingue Espagnole est in- finiment plus vaste, plus fertile, mieux ^fosée que la Française. Mais on v trouve en général trop peu d'industrie et trop de moines. Je suis très-persuadé que leurs terres sont bien cultivées, leurs revenus bien administrés. Les moines ont toujours été de bons économes et des

A Saint-Domingue. 45

cultivateurs intelligens ; mais j'observerai que ries usufruitiers célibataires , tra- vaillant pour un nombre fixe de succes- seurs , et non pour une postérité illimitée , s'attacheront moins à étendre qu'à per- fectionner leur culture. C'est déjà un bien , sans doute ; mais c'est un grand mal , un mal dont l'intérêt du gouver- nement souffre plus que tout autre, que démultiplier , dans les colonies sur- tout, des établissement qui entravent la popu- lation (i) , et , par contre- coup , les dé- f riclieniens , c'est-à-dire , la culture , l'in- dustrie , le commerce , etc.

Supposons, monsieur , qu'il 7 ait à Saint- Domingue cinq mille moines. Substituez leur autant d'hommes mariés ; il en résultera que , dans vingt ans , ces

(i) Celle de Saint-Domingue Espagnole était, en 1717, de dix-huit mille quatre cent dix in- dividus , même en y comprenant tjuatre à cinq cents français , dont une partie était employée au cabotage le long de la côte , et Ion assure que depuis cette époque , la population et Tindustris nont reçu aucun accroissement.

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Cinq miile moines seront remplacés par une population de trente à quarante mille individus défrichant , plantant ^ recueillant et payant à l'état , à raison de dix piastres par tête (i) , au-de4à de deux millions tournois. Je veux encore que cette somme soit absorbée par les frais d'une administration nécessairement plus étendue; alors il resterait toujours au souverain , comme bénéfice net , le produit de ses droits, tant sur l'inij^orta- tion des denrées coloniales , que sur l'ex- portation des marchandises , dont le pri- Tilège d^appro visionner les colonies ap- partient incontestablement aux métro- poles, chargées du soin de les défendre, c'est-à-dire, de les conserver.

Depuis Naïba Jusqu'à risle d'AItavela , nous longeâmes une côte inégale et d\m aspect triste et sévère. Dans toute cette étendue, je ne vis pas la moindre trace

(i) Une telle imposition serait forte en Europe ; elle n'est rien dans le§ colonies , une égale quantité de terrain a une valeur centuple.

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A Saint-Domingue. '47

de culture. Les colons espagnols , natu- rellement paresseux et sobres , se centou- tent d'élever des troupeaux dont le lait les nourrit, et de planter du tabac , qu'ils fument étendus dans un hamac suspendu à deux arbres. Les plus actifs font , avec les Français , un commerce assez lan- guissant , de bétail , parmi lequel les chevaux , connus sous le nom de Baja- hondros ^ sont l'article le plus cher , et de Tasso , ou Porc Fumé. C'est eux , sans doute , qui fournissent aujourd'hui au commerce de l'Europe l'excellent tabac , connu sous le nom de Saint- J}omingue\ car à peine les habitans de la partie française en cultivent-ils assez pour leur usage particulier.

Nous rangeâmes Altavela à la portée du pistolet. Cette isle n'est qu'un rocher parsemé de quelques places vertes , et qui^ en attendant qu'un solitaire , d'une vocation bien déterminée , vienne y bâtir son hermitage , sert de retraite à une une grande qusntité d'oiseaux aquatiques. Il est bon de la reconnaître lorsque fou

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4^ Voyage

veut aterrer dans la partie sud de Samt- Domingue; ce qui n'est pas difficile, car die se voit de très-loin , sous la forme d'un vaisseau du premier rang chargé de toutes ses voiles , ce qui lui a , sans doute , fait donner par les Espagnols le nom à^AUa-Vela.

Il ne sera pas hors de propos, mon- sieur , d'observer que ce point de recon- naissance est très-mal placé sur les cartes côtières des Antilles , récemment dres- sées par des officiers de la marine Royale. Non-contens d'avoir vérifié l'erreur sur celle dont monsieur Gottin fait usage, ainsi que sur le routier de à^ Après , nous fumes curieux de consulter une an- cienne carte de Saint-Domingue , que j'achetai' au hasard à mon passage à Caen, et nous j trouvâmes la position d'Altavela déterminée avec la plus par- faite exactitude. Quant on pense que la paresse , l'étourderie , l'inSoucianse , ou l'inexactitude des officiers auxquels on confie une mission aussi importante que celle de la reconnaissance et du relève- ment

A S A t N T-DOMINGUE. 4g

ment des côtes , peut coûter la vie à beaucoup de leurs semblables , il faut convenir que le gouvernement est ou bien malljeureux de se voir réduit à mi choix de sujets si peu dignes de sa con* fiance , ou bien coupable de Faccorder aussi légèrement à des hommes incapables d'y répondre. Bourgainvilîe , quoique du corps , se récrié lui - même contre cet abus , et dit ouvertement que /^.ç cartel ^françaises de VInde sont plus propret à f air t perdre les navires qu'à leà guider (i).

Après que Ton a Joublé cette îsîe , la fréquence des habitations que l'ori voit le long dp la côte, indique que Ton a passé de la partie Espagnole à la partie Française. Le 3i , vers neuf heures dit jmatin , nous étions par le travers de la baje d@ Jacmel. La brise s'étant levée du large , nous j donnâmes , et je dé- barquai encore avant midi.

(I) Voyage autour du Monde ^ tome 2 , cha- pitre 7.

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Voyage

LETTRE V I.

Jacmel. Février, 1789.

Vje ne sera pas encore dans cette lettre- ci. Monsieur, que je vous parlerai des habitans de Saint-Domingue, Je n'aime point à précipiter mon jugement, sur- tout lorsqu'il ne doit pas être aussi favo- rable que je le voudrais à ceux pour les- quels j'étais , sans doute , trop avantageu- sement prévenu.

Vous ne trouverez donc ici qu'un ap- perçu général et préparatoire, car je ne sais pas encore dans quel ordre je vous ferai part de mes observations^ et si le pays précédera les habitans , ou si les habitans précéderont le pays , ou si je m'occuperai alternativement de l'un et àQ?> autres , ce qui paroi t assez vraisem- blable.

Je n'ai du reste jamais mieux compris que je ne le fais ici, jusqu'où peut aller riafluence du climat. L'espèce de relà-

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A S A r N T-D O M î N G U E.

cbement que Texcessive chaleur produit sur les organes , agit avec le même empire sur les facultés morales: on est tout aussi paresseux à penser qu'à agir ; le moin- dre travail est une fatigue; la moindre contention d'esprit un travail. D'après cela , Vous devez vous attendre à me trouver aussi peu de suite dans les idées, tjue de méthode dans l'art de les rendre. A mesure qu*un objet fera naître une pensée, je l'écrirai, si 'feri ai la force ^ car tout travail assidu ^ toute applica- tion suivie est sévèrement proscrite du régime colonial. ..... Pensez- vous , Mon- sieur, que ce soit l'imprudence de s'y soustraire qui faitpérir ici tant de monde ? Cest ce que nous verrons.

Par-tout ailleurs l'espèce humaine se divise en deux classes.

La première , et la plus nombreuse , celle du peuple proprement dit _, simple, crédule et grossière^ n'a guères que les vices qui dérivent nécessairement de l'état social , tous voudroient que chacun n'agit que pour tous , et ^

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52 Voyage

dans le fait, chacun n'agit que pour soL Ses vertus sont celles du dernier ordre ; cVst-à-dire , celles qui , plutôt innées qu'acquises, n'exigent , dans leur usage, aucun des sacrifices qui impriment un si grand caractère à la vertu.

La seconde classe, et la moins nom- breuse^ est celle «^e l'homme qui se dis- tingue du peuple par la naissance , l'édu- cation, la fortune, les emplois , le savoir, ou le degré d'esprit qui équivaut à ces avantages , en rendant celui qui les pos- sède tour-à-tour agréable, utile , néces- saire , ou redoutable aux autres. Souple , facile, éclairé, bon par faiblesse et mé- chant par calcul , rarement dupe , et quelquefois frippon, on trouve à-là-fois chez lui et des vertus dont l'éclat excite l'admiration ou fenvie, et des vices dont I'immorc7_!:té se dérobe sous les charmes ^de famabilité ou le vernis des grâces.

Cette division n'a point heu ici. Vous en verrez la raison^, i^. dans le dénom- brement des difîérentes classes qui for- ment la population; z"", ûa,mrumoxmit&

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À Saint-Domingue. 53

de principes et de mœurs que nécessite un état social , dans lequel on ne connaît ique deux classes distinctes , des maîtres et des esclaves.

Outre que cette uniformité dans les rapports qui lient ou divisent les mem- bres d'une société, doit être regardée coiiime avantageuse, en ce qu'elle pré- vient les effets , toujours désastreux , d'une inégalité de plus, ajoutée à celles qui dérivent nécessairement de l'état social et de la nature humaine ( i ) , elle

(i) Rien ne niiii plus à une bonne cause que de la défendre par de mauvaises raisons , et c est fort mal raisonner que de dire , comme le font certains enthousiastes , que la nature elle-mêma nous donne le modèle de Tinégaliié- sociale dans l'inégalité physique et morale des iudividus; car, pour être conséquent^ il faudrait donc aussi que rhomme, assujetti à un certain nomb.e de maux, suite nécessaire de son organisation, j ajoutât toutes les maladies qui dérivent de son intempérence y ou de tout autre abus de ses facultés physiques» Ce n'est pas parce quily a des mains et des géans ^ des forts et des faibles , des Yestris et des cul-de- jatte ; quil doit y avpk 4es grands et des petits ^

54 Voyage

réduit et simplifie les observations d'après lesquelles on peut tracer le caractère d'un peuple.

Mais, comme il faut toujours qu'un certain nombre de préjugés bizarres im- prime le sceau de la folie sur tout ce qui a rapport à fespèce humaine, c'est ici la couleur de la peau qui , dans toutes les nuances du blanc au noir, tient lieu des distinctions du rang , du mérite , de la naissance , des honneurs , et même de la fortune; de sorte qu'un nègre, dixt-il prouver sa descendance directe du roi nègre qui vint adorer Jésus- Christ dans la crèche; dût il joindre au génie d'une

c'est parce que les distinctions qui font les uns et les autres sont inéviîables, et qu'une parfaite égalité dans ce genre , est aussi cliimériquo qu'une parfaite égalité de fortune , de mérite , etc. Parez aux abus de la chose, contre-balancez- les y mais ne vgus privez pas du seul moj^en d'émulation qui reste au législateur , hors les occasions très-rares oii l'etïervescence et l'en-^ tliousiasme suppléent momentanément à ce vi- goureux ressort.

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A Saint-Domingue. 55

înlelligence céleste, tout Tor que renfer- ment les entrailles de la terre , ne sera jamais aux yeux du plus cliétiF, du plus pauvre , du plus sot , du dernier des blancs, que le dernier des hommes, un Vil esclave , un noir.

Il a des parens à la côte : telle est. Monsieur , l'expression par laquelle on manifeste son mépris, pour peu que Ton soupçonne qu^une seule goutte de sang africain ait filtré dans les veines d'un blanc ; et la force du préjugé est telle , qu'il faut un effort de raison et de cou- rage , pour oser contracter avec lui l'es- pèce de société familière qui suppose Tégalité.

Vous voj^ez donc que le caîios de pré- tentions qu'embrouille ailleurs la diver- sité des rangs, est aisément débrouillé ici. En Europe , la connaissance des dif- férens degrés d'égards , de considération, d'estime plus ou moins sentie^ de res- pect plus ou moins profond , «st une science qui exige une étude particulière; et comme l'extérieur ne répond pas ton-

O Y A G E

jours au titre , il faut un tact bien exercé, bien sûr , un grand usage du monde pour savoir distinguer , à point nommé , le patricien du prolétaire, le noble du vilain, etc, Ici, au contraire, il ne faut que des jeux pour saf oir ranger chaque individu dans Tordre auquel il appar- tient.

Ainsi vous savez , sans que personne vous le dise , que , depuis le gouverneur , investi du pouvoir et décoré des ordres du roi, jiT^quVa fripon, qui^ des galè- res de Marseille, apporte ici Tempreinte flétrissante que la main du bourreau im- -prima sur son omcplate , tous les blancs J oCiit pain

Ce respect pour la couleur , qui , comme tant crautres conventions , ne serait qu'une sodse aux veux de îa rai- son, est cependant la loi suprême., le palladium auquel tient la destinée des colonies: cela est peut-être très-ridicule à dire, mais cela est ainsi, et cela ne peut être autrement, parce que Ton a fait j dans la fondation de ces colonies..

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A Saint-Domingue. 5% une faute qui a nécessité tous les autres vices de leur établissement.

Pour intéresser l'avidité des riches, on a donné une telle étendue aux conces- sions , que chacune , en prenant le café pour terme moj^en , peut aisément pro- duire un revenu net de cinquante mille francs ( i ). Mais, comine un homme seul ne saurait ni défricher , ni planter , ni récolter une étendue de deux cents câreaux de terre, je ne sais quel génie infernal imagina de foire cultiver FAmé- riquc par des Africains ( 2 ).

(i) "Une concession est de deux cents câreaux. Comme le café ne réassit très-bien que dans les montagnes , il faut toujours supposer un quart du terrain incultivable , et en assignant un autre quart pour ce c|ue l'on nomme saçannes , c'est-à- dire , pâturages , pour remplacement de Thabi- -latiou et de ses dépendances , etc. il en résulte qu il reste cent câreaux à mettre en valeur 5 chaque câreau produit un millier de ç^ifé , ce qui donne à- peu-près cent pistoles de revenu. On verra ail- leurs ce quil faut déduire de cette somme pour les frais de culture , etc.

(2) Qui croirait que ce fut un prêtre , le plus humain , le plus sensible de tous ce>ix qui ajeaS;

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■S8 Voyage

Un abus en entraîne un auh'e. A la trop grande étendue des terrains concé- dés, on ajouta bientôt celui d'accorder au même individu, et en dépit delà loi quFle défend, deux, trois et jusqu'àqua- tre concessions, suivant qu6 Ton est ou recommandé par les ministres , ou pro- tégé par les administrateurs de la co- lonie, dont ce procédé doit retarder et la culture et la population , en ce qu il n'y a point de propriétaire, quelque ri- che qu'on le suppose, qui le soit assez pour entreprendre d'établir à-la-fois plu- sieurs habitations. Pour éluder la loi , on se fait expédier le titre d'une con- cession vacante , sous le nom d'un parent ou de tout autre quidam , et le gouver- nement, qui a senti le besoin d'une bonne loi , reste insensible à la nécessité de la faire observer. La négligence , ou plutôt

jamais pénétré dans les Indes , le célèbre évêquô de Çhiappo , le vertueux Las- Casas enfin , qui proposa et fit adopter cette idée , pour sauver à ses chers Indiens un esclavage auquel ïh n'ont poim échappé,

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A SAINT-Domî iVGUE. 59

le désordre , à cet égard , va même si loin , que des terres ; déjà concédées , mais toLit-à-f;iit abandonnées des pro- priétaires, par Fimpuissance de les cul- tiver , ont été reconcédées à d'autres y *et sont devenues ainsi un objet de litige entre l'ancien et le nouveau possesseur. On avait encore cru pourvoir à cet in- convénient par la loi qui réunit au do- maine une concession à l'égard de laquelle le propriétaire n'a pas rempli, dans le terme fixé, les engagemens qui lui en assurent la possession , tels qu'une cer- taine mesure de terre cultivée par mi certain nombre de nègres, etc. mais il en est de cela , Monsieur , comme du reste ; c'est-à-dire , que cet acte d'une justice rigoureuse , mais nécessaire, n'at- teint presque jamais que le colon obs- cur et dénué de protection.

Supposons actuellement que l'on eût réduit la mesure des concessions à vingt câreaux, pour la culture desquels les bras d'une pauvre famille européenne eussent guffi \ il en résulterait que la,

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60 Voyage

même étendue de terre sur laquelle on voit aujourd'Imi végéter quelques nè- gres, porterait et nourrirait quatre-vingts individus , et il n'j a aucun doute que cette terre ne fût beaucoup mieux cul- tivée par dix propriérairés résidens, que par celui qui , à deux mille lieues de ses possessions, n'a d'autres garants du soin et de la fidélité avec lesquelles elles sont î-égies , que Tintelligence d'un économe ignorant , ou la probité d'un gérant fri- pon. Les Anglais ont suivi cette méthode à la Barbade , et cette isle est , en pro- portion de son étendue , la plus riclie^t la plus peuplée des colonies anglaises. Si donc , d a];rès l'observation judicieuse de Lahat , i! est vrai que c'est le nom- bre- des blancs qui fait la force des co- lonies , il faut aus.i convenir, avec ce voyageur, que le nombre des blancs ne peut être composé que de ce que l'on nomme les petits habitans.

Je me hâte, Monsieur, de détruire la seule objection spécieuse que des ^ens mal instruits , ou de mauvaise foi , peu-

A Saint-Domingue. 6i

Vent opposer à ce mode de population , riiiSahibrité du climat. ^

Je réponds d'abord que cette insalu- brité consiste beaucoup plus dans le dé- fcuit de régime, dans les excès auxquels les Européens s'abandonnent en arrivant ici , que dans le vice du climat. Je dis que c'est leur intempérance qui leur rend la température si fatale.

Je réponds en second lieu , que les pre- miers cultivateurs de Saint-Domingue , ceux qui , dans l'origine , faisaient ce que font aujourd'hui les nègres , étaient ce que l'on nommait alors des engagés^ ou trente-six mois , à raison des trois an- nées qu'ils s'engageaient à servir un habi- tant ; qu'il y a ici des sous-divisions de concessions cuiiivées par des blancs, les- quels vivent dans une honnête aisance, et ces preuves de faits Sunt des argu^ mens sans réplique.

Les Européens ont , je le sais , plus de peine a se faire au climat; un travail forcé [^^ tueraii infailliblement; mais il n'ea est pas moins vrai que dix blancs

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Bz Voyage

aclima'cés feront , sans abuser de leur force, l'ouvrage de cent nègres, parce qu'ils le feront avec plus de volonté , avec plus d'intelligence, par conséquent avec plus de fruit. « Il e?t démontré par l'expérience de tous les siècles et de tou- tes les nations, que l'ouvrage des escla- ves , quoiqu'il ne coûte en apparence que les frais de leur nourriture, est le plus cher de tous en dernière analyse. L'homme qui ne peut acquérir de pro- priété, n'aura jamais d'autre intérêt que de manger le plus , et de travailler le moins possible ( i ). Les colons qui pré- tendent le contraire , sont , ou des pares- seux , ou des sots , ou des imposteurs. Moi, je vous parle d'après ma propre expérience , et je n'ai certainement ni l'usage , ni le degré de vigueur qu'exigent les travaux agraires)), a La chaleur et le peu de salubrité dont les Européens

(i) Smith , Reclierclies sur la nature et les causes de la richesse des jaations ; tome a , livre 3, ehapilre 2, ,

A Saint-Domingue. 63 couvrent leur inaction dans les colonies, dit un voyageur estimable et bon obser- vateur, n'est que le prétexte de la fai- blesse où sont parvenus des hommes intempérans, débauchés, et trop vains ou trop sensuels pour continuer le travail des mains (i) ».

D'ailleurs , Monsieur , que signifie cette misérable objection du climat? La popu- lation blanche ne peut-elle se soutenir ici que par des émigra.ns d'Europe? Y est-il défendu aux femmes d'j faire des enfans, et a-t-on jamais entendu dire que l'air de sa patrie aje tué un créole?

Ayons des mœurs à Saint-Domingue; que les colons, usés par un libertinage crapuleux , au lieu de ces concubines noires , plombées , Jaunes ^ livides , qui les abrutissent elles dupent, épousent des femmes de leur couleur , et bientôt ce pays offrira, à Toeil de l'observateur, uh aspect tout différent.

(i) Voyage autour du Monde, par M. de Pages, tome I.

Voyage LETTRE VIL

Jacmel, Mars , 1789.

XVxoN opinion sur l'esclavage des nègres ne peut pas être équivoque pour vous^ monsieur. Je me suis assez clairement expliqué à ce sujet dans une des lettre^ que je vous écrivais du Cap-de-Bonne-* Espérance (i).

Vous savez donc que j'ai toujours pai^- tagé , comme je partage encore , les sen- timens de ceux de nos écrivans qui réclament contre le trafic infâme que nous fesons à la côte d'Afrique.

Mais en rendant hommage à la pureté de leurs motifs , je me permettrai deux observations : c'est d'abord que les au- teurs qui ont écrit sur l'esclavage des nègres , d'après des rapports exagérés

(i) Le manuscrit de ces lettres est demeuré , avec d'autre papiers , dans un dépôt d'où j'ignore si je pourrai jamais les tirer.

ou

A S AINT-DOMÎKG UE. 6j

OU ianx , et sans pouvoir juger par eux- même ni de l'espèce d'hommes pour la- quelle ils plaident, ni de leur existence dans Tétat d'esclavage , ont justement mérité le reproche de n'avoir combattu que par de vaines déclamations , un abus dont les avantages compensent les dé- fauts ; j'observerai , en second lieu , que toute démarche de ce genre devant avoir un but d'atilité commune, il est dange- reux , méiue illicite , de soulever l'opi- nion contre un ordre de choses qui in- téresse la sûreté et la fortune publiques, sans offrir en même-tems un remède in- faillible à un marnécessaire* Nous n'a- vions pas besoin de ces messieurs pour savoir que fesclavage est une chose odieuse. Que diraient-ils à l'Esculape qui soigne leur santé , s'il ne leur offrait ^ dans un épanchement de leur bile phi- lantropique , pour tout soulagement, que des invectives contre le mal qui les consume ?

Notre siècle n'est malheureusement que trop fertile eu réformateurs politi«

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66 Voyage

ques (i) , qui se hâtent de démolir un édifice irrëgulier , sans avoir ni les taîens , ni les matériaux nécessaires pour le re- construire sur un plan mieux ordonné.

Un seul raisonnement bien simple répondra à tout.

Vos colonies, telles qu'elles sont, ne peuvent plus exister sans l'esclavage : c'est une vérité affreuse à dire ; mais le danger de la méconnaître peut en- traîner les plus terribles conséquences. Il faut donc maintenir l'esclavage ou renon- cer aux colonies ; et comme dix-huit à vingt mille blancs ne sauraient contenir quatre cent- soixante mille nègres autre- ment que par la force de l'opinion , le seul garant de l'existence des premiers, tout ce qui tend à la détruire , est un attentat contre la société.

En vain les turbulens amis des Noi^^s

cherchent-ils à étayer leur doctrine de

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(i) Il en sera d'eux comme des réformaleurs religieux; ils produironi beaacoup de haines, de crimes, de malheurs /de discordés, qui finiront par l'indifférence. - - -

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A SAIxVT-DoMING UE. 67

l'exemple des États-Uiiis-d'Amérique , oi\ , hors les Caroliiies et la Virginie , on ne connaît aucune des cultures qui exigent de nombreux atteliers. Dans le reste de ces états , le nombre des esclaves se ré- duit à si peu de chose , il est si facile de les suppléer par des domestiques blancs ; ils j sont élevés avec tant de soin , traités avec tant d'humanité, que si la loi qui les émancipe à un certain âge , ne produit aucun efFet désavantageux sur la fortune des maîtres , elle n'ajoute autre chose au bonheur des esclaves , que la satisfaction de remplacer un ser- vice forcé par un service volontaire. Enfin , les Etats-Unis , en proscrivant la future importation des nègres , ont en même-tems pourvu à ce que la culture ne souffrit point de cette proscription* que nos anti-nègriers fassent de même, qu'ils substituent à leur vain bavardage des loix positives, des moj^ens efficaces, des m.esures sages ; enun mot , qu'ils sojent les amis des Noirs sans être les ennemis des blancs.

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7

SB Voyage

Je vous ai représenté rabolitlon de Tesclavage et la conservatioD des colo- nies comme incompatibles , non par ]a nature de la chose en elle-même , mais par les obstacles que Tintérêt personnel apporterait infailliblement à la seule mesure , à r.aide de laquelle on pourrait parvenir à la première opération.

Cette mesure n'est rien moins qu'un nouveau partage des ferres , et vous m'a- vourez qu'il n'en faut pas davantage pour faire partir contre moi un cri universel de proscription. Cependant , comme le ciel m'a doué d'une impassibilité de carac- tère , sur laquelle les clameurs de la mul- titude ne produisent aucun effet, je dirai d'abord que du moment la chose n'est pas impossible , je ne vois pas pourquoi elle ne serait pas proposable , et elle ne serait rien moins qu'impossible , puisqu'en conservant au propriétaire , auquel j'ôterai les deux tiers de sa con- cession , un ciroit d'hipothèque sur la partie démembrée , je le laisserais encore le maître de choisir entre un rembour-

A Saint-Domingue. 69

sèment successif ou une redevance pro- portionnée au prix du fond, l'un ou fauîre déterminé par des arbitres et des experts.

Sans doute qu'une pareille opération exigerait le concours et des sacrifices du gouvernement; mais j'ai une trop haute idée de sa sagesse et de sa bienfaisance pour ne pas être persuadé qu'il ferait également servir ses trésors et son pou- voir au succès de cette espèce d'ampu- tation politique; car , comment supposer que celui qui vient de prodiguer et ses trésors et sa puissance pour soustraire FAmérique septentrionale au joug'de l'An- gleterre , balancerait à opérer , dans ses propres domaines , une révolution que l'humanité ^ sa gloire , son intérêt oléine ^ sollicitent également ? /

Voilà mon rêve fini , monsieur ; je reviens à mon texte.

N'imaginez pas que je prétende ni justifier l'esclavage , ni dissimuler les maux qu'il engendre nécessairement. Je ne connais point de corruption morale plus contraire aux mœurs , aux lumière^

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7^ Voyage

qui les adoucissent , aux vertus qui les purifient , je dirai même à l'esprit de Slibordination si nécessaire dans un état monarcliique ,• car , comment celui que l'usage du pouvoir le plus illimité babirue à n'en reconnaître aucun , se pliera-t-il au joug des loix qui contrarient sa volonté ? comment le despote se soumettra-t-il au pnnce , qui ne dit jamais que nous vou- lons , quant lui ne dit jamais quey^ veux ? Peut-être eut- on pu prévenir les con- séquences de ce genre d'insociabilité en déléguant, auchefmilitairedela colonie, une plénitude de pouvoir dont Ténergie pût en imposer à Fesprit d'indépendance naturel aux colons ; mais la crainte , assez raisonnable, qu'il n'en abusât; celle > bien ou mai fondée , qu'un gouverneur habile et ambitieux ne profitât un jour de ce même esprit pour leur faire secouer le joug de la métropole , fit imaginer l'expédient de subordonner les uns aux autres les pouvoirs, c'est-à-dire , le gou- verneur , le conseil., et l'intendant; de sorte que ces autorités, toujours rivales

A Saint-Domingue. 71

et jamais d'accord _, pour ne citer qu'un seul exemple de la nullité de leur in- fluence sur les volontés particulières , ne sont pas même encore parvenues à mettre en vigueur un seul article du Code Noir (i).

Que font donc toutes ces autorités, me demanderez vous , monsieur ? moins de mal qu'elles ne pourraient , et encore moins de bien. Chaque administrateur^ calculant sur l'incertitude de sa passagère existence , laisse au hasard le soin de la félicité publique , et songe à sa propre fortune , car on n'a pas oublié ici que Galvmn , le seul des vices-roi des Indes qui n'emporta de son gouvernement que l'estime et l'amour des peuples , ne trouva , à son retour en Portugal , que le mépris

(i) La manie de Tesprit fait débiter bien des sotises. On ne conçoit pas que iauteur , si esti- mable d'ailleurs , des institutions politiques , ait osé dire, tome l , chapitre 5 , que celui qui Ja- briqua ce code , dut apoir Vâme noire commç de Vencre,

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72 Voyage

et îa misère (i). De tels exemples de- vraient bien apprendre aux souverains à honorer , plus qu'ils ne le font , des vertus qui sont les plus sûrs garans de l'obéissance et du respect des peuples pour le pouvoir qui les gouverne.

J'ai dit que Je regardais l'esclavage comme pernicieux aux mœurs et aux lumières.

Si, lorsque Je vous parlerai avec quel- que détail , des dliierentes classes qui forment îa population de Saint - Do- mingue , je puis trîomplier de mon pen- chant à l'indulgence , Je ne trouverai , dans les mœurs de ses hablians, que trop de preuves à l'appui de cette assertion; et si je vous disais , en attendant , qu'ici l'éducation, d'accord avec la nature , loin de prêter à la Jeunesse un appui

. (i) La justice veut que je nomme encore dom Juan de Castro, qui, à sa mort , ne laissa pour toute fortune que trois réaux. Galvam mourut à riiôpital. Quelle leçon pour ses pareils î elle îi a pas été perdue»

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A Saint-Domingue. 73

contre rinfluence du climat; loin de re- tarder le progrès du développement trop rapide de ses facultés ; loin d'en préve- nir l'inévitable épuisement , la pousse sans relâche de l'adolescence à la décré- pitude ; qu'elle ne laisse pas même aux jours de rinnocence- le tems de se colo- rer du fard de la prudence; que la jeu* nesse et Fâge mûr y languissent égale- ment privés ; l'une , de Féclat de sa fraî- cheur , de la naïveté de ses grâces ; l'autre, de l'ascendant que la sagesse , l'expé- rience , le calme des passions lui assurent; et qu'enfin , de l'alliage révoltant de tous les ridicules de l'ignorance et de la sotise à prétentions, avec tous les vices d'une immoralité , qui n'a pas même la séduc- tion pour excuse , résulte un composé qui présente l'humiliant tableau de fliu-» manité , parvenue à son dernier période de dégénération ; alors , monsieur , par- tagé entre le doute , Fmdignation et le mépris, peut-être m'accuserez -vous de calomnier à-îa-fois et l'homme et la na- ture ; et vous n'aurez raison 5 qu'en me

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^4 Voyage

snpposant assez injuste pour ne pas sa- voir faire les exceptions que réclame toute règle générale»

A Saint-Domingue. 7^

LETTRE VIII.

Jacmel. Mars , 1789.

'il fallait, monsieur , commencer le dénombrement des différentes classes d'habitans par la meilleure , il ne serait pas impossible que celle qui se trouve être la première dans l'ordre établi, ne devînt la dernière.

Ce n'est pas , je le sais , ce que pré- tendent les colons que l'on rencontre en Europe. Aussi exagérés dans l'opinion de leur supériorité , que dans l'énumé- ration des prétendus délices qui mar- quent chaque instant de leur vie par une jouissance , selon eux, le noir est ici au blanc ce que la brute stupide est à l'ange de lumière.

Que , dans un pays l'esclavage né- cessite une ligne de démarcation bien prononcée entre le maître tout-puissant et l'esclave, dont la soumission doit être illimitée , les blancs ajent cherché à ren-

7^ Voyage

forcer de tous les préjugés favorables l'opinion de leur suprématie , c'est ce qui est tout simple. Mais que des hommes, auxquels il faut au moins supposer la conscience de leur imperfection , par- viennent à croiresérieusement, et à vou- loir persuader aux autres ^ qu'une pré- tention , qui n'est pas même Fouvrage de l'amour-propre , puisse justifier l'ab- surdité de celles qu'ils fondent sur la couleur ds leur peau , c'est ce qui est d'autant plus absurde^ qu'en raisonnant d'après leurs principes , il faudrait que le Provençal basané , et l'Espagnol au teint olivâtre , s'avouassent d'une nature inférieure à celle du Hollandais eu du Suédois; et, s'il est vrai , comme on ne peut en douter , que Dieu fit fhomme à son image , ne devons-nous pas res- pecter , dans la cou eur même des nègres, le rapport qui, dès-lors, existe néces- sairement entre le créateur et son ou- vrage ?

Mais, que le préjugé de la couleur sub- siste 5 puisqu'il est nécessaire j autant

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A Saint-Domingue. 77

vaut celui-là qu'un autre. Cependant , que ceux qui le réclament se persuadent bien qu'il ne les garantira des dangers qui menacent tout imposteur démasqué, qu'autant que l'illusion aura pour appui les deux vertus dont l'on aime à faire le partage des êtres d'une nature supérieure , la justice et la bonté. i

Je passe à i'énumération des diffé- rentes classes qui forment la population totale de Saint-Domingue , en observant que l'on n'y trouve plus un seul indi- vidu descendant des indigènes que les Européens y trouvèrent.

La première est, comme déraison, la classe blanche. Elle comprend le gou- verneur , fin tendant , tous les agens quelconques du gouvernement , le clergé, tous les propriétaires résidens , les éco- nomes , les procureurs , les gérans de ceux qui ne résident point, les négocians^ les soldats , les pacotilleurs , les ouvriers ; en- fin , toute la race des industrieux, que les nègres nomment petits bJcmcs , et que la misère , la honte , l'inconduite , le

7^ Voyage

désespoir, ou l'espoir de faire fortune, amènent dans le pajs du monde la vie animale est au plus haut prix , où- Tindustrie a le moins de débouchés , les arts sont le moins en honneur , et rindignité avec laquelle leurs prédéces- seurs ont abusé de l'ancienne et célèbre hospitalité des colonies , a rendu les ha- bitans assez circonspects pour ne plus admettre chez eux que des gens d'un nom connu , ou munis de bonnes lettres de recommandation.

Ce fut , monsieur , sur leurs représen- tations , relativement à la facilité avec laquelle des avanturiers de toute espèce passaient d'Europe dans les colonies , que la cour donna un règlement qui assu- jétit tout passager à se présenter , avec le capitaine et un répondant , au bureau de l'amirauté du port il s'embarque. Mais cette loi sage s'élude, comme toutes les autres , parce que peu de capitaines se refusent à faire ce que l'on appelle passer par-dessus le bord , le premier quidam qui trouve fart d'intéresser leur

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A Saint-Domingueu 79

pitié , le moyen de tenter leur avarice par une légère rétribution. Quel que soit le motif qui détermine une semblable action , elle n'en est pas moins en même*- temps et une contravention à la loi , et une espèce de vol, puisque le passager ne peut se nourrir que sur les vivres de- là cargaison , par conséquent aux frais des armateurs. Mais ce n'est pas d'au- jourd'hui que les agens du commerce trouvent , dans les principes qui le di' rigenfc , la justification de ceux par les- quels ils se croyent dispensés de compter très-exactement avec la probité.

La seconde classe est celle des mu- lâtres, quarterons,, demi- quarterons ou métis, et tout ce que l'on nomme gens de couleur (i) , dans laquelle je com-

(t) "Voici le tableau exact de couleur. Leblanc et la négresse produisent le mulâtre , le mulâtre et la négresse le grif, le blanc et la mulâtresse le cjuarteron , le blanc et la quarteronne le tierceron, le blanc et la tierceronne métis , le blanc et la métisse le înamelouc»

8o Voyage

prends les mulâtres propriétaires fon- ciers ou vivant d'industrie et libres , ainsi que les domestiques libres ou esclaves j maies et femelles ; car ici la loi , protec- trice de Popinion, défend à tout blanc de déroger à la dignité de sa couleur , en se faisant servir par un blanc.

Dans forigine , tout mulâtre était libre à fâge de vingt-quatre ans , non par une loi de l'état , lirais par la volonté una- nime des colons ; et cela était d'autant plus sage , que l'extrême disproportion entre le nombre des blancs et celui des noirs , exigeait que les premiers se fissent un appui des mulâtres. Cependant , sur les représentations de quelques hommes ^ dont l'usage de ne pas vendre leur propre sang, dérangeait les calculs , le roi, par une déclaration donnée en 1 074 , rendit esclaves tous les enfans d'une esclave ; et j'observe que si , à la honte des Euro- péens , une loi du législateur qui les avi- lit, en vouant leur postérité à l'escla- vage , est observée par eux avec la plus rigoureuse exactitude , il n'eu est pas de

même

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A Sain t-D o m i n g u e.

ineiiiede celle qui veut expressément que tout maître donne à cliacun de ses es- claves deux livres et demi de viande salée par semaine.

La classe noire est la dernière ; c'est celle des nègres libres et propriéfaires, qui sont en petit nombre , et des nègres esclaves , soit Créoles , c'est-à-dire , nés dans la colonie ; soit Bossales y ou im- portés de TAfrique.

Quoicpi'il j ait une grande distance de rindividu libre à l'esclave , pour éviter les sous-divisiojis , les disLinctions minu- tieuses , j'ai cru devoir préférer la divi- sion colorée , comme la plus simple ; car, il faftt encore observer que les nègres ou négresses , non plus que les mulâtres ou mulâtresses , en acquérant la liberté , n'en restent pas moins dans un état d'ab- jection qui 5 outre qu'il les rend inha- biles à exercer aucune charge publique, leur défend encore de contracter avec les blancs une société assez intime , non pour ne pas coucher, mais pour ne pas inanger avec eux. Que j'aille voir un

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82 Voyage

mulâtre ricîie, il m'appellera monsieur^

et, non maître^ comme les autres; je

l'appellerai mon ami , mon cher ; il me

donnera à dîner; mais dans la règle,

il n'osera pas se mettre à table avec

moi.

Telle est , ?Jonsieur , la division totale. Chacune de ces trois classes a ensuite ses nuances, telles que celles qui, ien dëpit du teint, séparent le gouverneur des au- tres blancs , le muléitre et le nègre libre , le muicitre et le nceTe esclave, etc. . Les ménagemens forcés auxquels le préjugé de la couleur donne lieu, ont, pour les habitans , deux avantages qui en compensent le ridicule; ils rendent le gouvernement plus circonspect dans les actes arbitraires de son autorité; ils donnent aux colons un caractère d'in- dépendance et de fierté , dans lequel des administrateurs despotes ont, plus d'une fois , trouvé une résistance tellement invincible , qu'en dernier lieu la cour a été forcée de rappeller un gouverneur ^ auquel l'habitude de jouer le Nabahdans

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A Saint-Domingue. 83 rinde, fcsait chaque jour transgresser les bornes de son pouvoir

La conséquence naturelle de l'ordre de choses qui existe ici, est que les titres honorifiques, qui ailleurs sont tour-à-tour des véhicules d émulation, de rivalités, de discordes , qui inspirent tant d'orgueil et de prétentions aux uns, tant d'ambi- tion et d'envie aux autres, disparaissent tous devant le titre de blanc. C'est donc sur votre peau, quelque flétrie qu'elle soit , et non sur votre parchemin , quel- que vermoulu qu'il puisse être, que se mesurent les procédés de savoir vivre, Amsi, la vanité, qui ailleurs tracasse, se tourmente, se retourne en tant de fa- çons, pour en imposer au public et usur- per le tribut d'égards qu'il paj^e aux droits de la naissance, perdrait ici ses peines et son tems.

Chacune des différentes classes des ha- bitans de Saint-Domingue a, comme vous le pensez bien , un esprit , une manière d'ê- tre phîs ou moins rapprochées , plus ou moins distinctes , mais qui ressemble d'au-

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84 '\' O Y A G E

tant moins à ce que l'on voit ailleurs, que îe climat, le réginie, les mœurs, les besoins, les travaux , le degré de dépendance réci- proque, n'établissent entre les individus que des relations ou faibles , ou d'un genre tout différent de celles qui lient ailleurs les membres d'une même société.

Ce serait peut-être Toccasion d'entrer dans quelques détails à cet égard; mais, comme l'étude de î'iiomme moral exige beaucoup plus de suite et d'expérience que celle de son existence civile; comme Tin 11 ueii ce du climat et d'une façon de vivre, tout-à-fait étrans;ère A la noire , agit nécessairement sur son caractère; enfin , comme une méthode trop servile me conduirait à une monotonie fati- guante, je pense qu'il est sage de ne point hâter mon jugement, et de ne pas accumuler, sur un ^eul point, des obser- vations qui, pour offrir un résultat satis- faisant, do:vent ê^re ceiui de la compa- raison, du tems , et de l'expérience.

Par exemple, -Monsieur, ce qui frap- pera tout vojageur qui arrive ici aveo

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A S AIN T-I) OMI Î^G UE.

la faculté de rélicchir, c'est que, m5i!.<>;ré les rapports d'oria;iiie , de couleur , et d'un irttéréfc coîiiînun , les blancs venus d'Eu- rope et les blancs créoles forment. deux nouvelles classes qui, mojeniiaiii: leurs prétentions réciproques , laissent entre elles une distance que le besoin seul les engage à franchir. Les premiers, plus maniérés, plus polis, plus rompus aux usages du monde, affectent sur les autres une supériorité qui ne contribue point à les rapprocher. Cependant, si les créoles se ménageaient plus qu'ils ne font dans l'usage précoce des femmes ; s'ils culti- vaient avec plus de soin des dispositions extraordinaires à exceller dans tous les exercices du corps; si une éducation dIus soignée secondait la facilité naturelle de leur esprit , il est hors de doute que n'ajant à lutter ni contre Tinsuflisance du climat sous lequel ils sont nés , ni con- tre les habitudes d'un genre de vie qui diffère , à tant d'égards , de celui auquel un Européen est obligé de se soumettre en arrivant ici ^ tout l'avantage serait do

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&6 Voyage

leur coté, ne manque absolument au créole que le genre d'esprit nécessaire pour savoir user , sans en abuser, des facultés qu'il doit à la nature.

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A Saint-Domingue. C7

LETTRE IX.

Jacmeh Açriî , Î789.

EPUis huit mois que je suis ici. Monsieur , je ne vous ai encore parlé ni de la ville de Jacrael, ni de Phabitation que mon hôte vient d'acquérir, et je n'ai encore fait que des courses.

Les opinions sont partagées sur l'ori- gine de Jacmel, que les uns prétendent avoir déjà subsisté^ lors de l'arrivée des Européens, sous le nom à^Yaquimo ^ et que 'd'autres font dériver de l'espagnol Jacques de Mélo^ qui en fat le premier habitant.

Quoiqu'il en soit, cet espagnol ne se doutait giières, en élevant son humble ajoitpa ( I ) au fond d^une petite baie , qu'un jour son nom se métamorphose-

(i) On nomme ainsi Tespèce de hutte en feuille, ou de •cabane 011 se logent les colons qui com- mencent à déiriclier une concession.

88 Voyage

rait en celui de Jacmel , et sa hutte une ville comoierçante , port de mer , chef-lieu de trois paroisses, et la rési- dence d'une sénéchaussée , d'un com- mandant militaire, etc. Cest ainsi que Bidon posait les i on démens de Car th âge, sans imaginer qu elle bâtissait la rivale de Rome.

Quand j'honore Jacmeî du nom de ville, il ne faut pas, Monsieur, prendre cette expression à la lettre, car j imais mie centaine de baraques de planches répandues sur la grève, ou éparpillées sur le talus et le plateau d'un monticule rocailleux , n'ont constitue ce que l'on nomme une vlWe , et c'est pourtant, à l'exception du Cap-Fraiicais , l'histoire de toutes celles de Saint-Domingue. Un seul particulier riche a eu l'audace de bâtir ici en pierres une maison passable, au risque de la voir crouler au premier tremblement de terre.

Quoi qu'il en soit , cet amas irréguher de cases , (c'est ainsi que l'on nmnme ici une maison ) intersecté par quelques

A S A ï N T •!) O U I N G U E. 89

lacunes de verdure, foinue^ en arrivant de la mer , un coup - d'œii assez pitto- resque.

Une baie très-sûre dans îa belle sai- son, un bon mouillage , des défricbemeûs qui ont beaucoup accru la culture de ce quartier ,3^ attirent tous les ans une ving- taine de navires qui y trouvent leur char- gement en sucres, café et coton ; car, quoique Monsieur Rajnal donne au quar- tier de Jacmei soixante-deux indigote- ries et point de sucrerie ( i ), j*- p^^is vous assurer que Ton y en compte trois en plein rapport , et pas une indigoterie. Le soin extrême qu'exige la manipula- tion de rindigo, son succès toujours in- certain , le risque de perdre en un mo- ment le fruit d'un long travail , ont dé- cidé les colons à abandonner cette cul- ture précaire. Onj a en revanche beau- coup étendu celle du café, m.bins lucra-

(i) Histoire philosophique ei politique deséta- blissemens et du commerce des Européens dans les Indes, tome 7.

9^ Voyage

tive que celle du sucre, mais sujette à

moins de vicissitudes et moins clière ;

plus dispendieuse qae celle du coton ,

mais plus sûre et soutenant mieux son

prix.

La culture du quartier de Jacmel est susceptible d'un accroissement considé- rable , car, quoique tout le terrain en soit concédé , il s'en faut qu'il soit tout en valeur, et encore plus que la culture existante soit au degré de perfection oiï Ton pourrait la porter ; et vous voyez bien , Monsieur , que cela ne serait point , si , en donnant aux concessions une moindre étendue , on eût multiplié le nombre des habitans. Les propriétés mé- diocres sont toujours les mieux cultivées, ne fut-ce que par la seule raison que fœil du maître les embrasse plus aisé- ment ( I ). (c Les trop grandes possessions

(l) « Il est en Angleterre et en Ecosse quelques grandes terres qui , depuis l'anarchie féodale , sont restées constamment dans la main des mêmes familles. Comparez ces grandes possessions avee

-27:aGSac?KIST

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A Saint-Domingue 91

frappent la terre de stériiUé; ce sont les petits héritages qui sont les mieux cul- tives (i ) ».

Parmi les mille et une causes qui en- travent les progrès de la culture, et en- chaînent rindustrie des habitans, il en est trois principales: la capilaiion sur les nègres, le haut prix auquel le com- merce de France a porté cette marchan- dise, et les frais énormes de Cd que Ton nomme la justice.

L'auteur de V Histoire philosophique et politique , en énumérant les avanta- ges qui naîtraient du transport de l'im- position par têtes de nègres sur la denrée

les petites pi'opriétés du voisinage , et à l'aspect négligé des premières, comme à Ta-pect floris- sant des secondes , vous serez convaincu , sans avoir besoin d'aucun autre raisonnemeut , combien des propriétés aussi étendues sont défavorables à la culture «. Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations , tome 2 j livre 3, chapitre 2.

(i) Mably, de la législation ou principes des lioix, tome i , livre 2 , chapitre i.

9^ Voyage

qu'ils cultivent, n'a démontré qu'en par- tie le vice de cet impôt. L'objet est assez grave pour exiger un développement qui ne laisse rien à répondre aux partisans de la capitation.

Si un nombre égal de noirs, disent- ils^ produit une égale quantité de den- rées , l'assiète de rnnpôt sur les uns ou sur l'autre, ne devient- elle pas indiffé- rente ?

Ce sophisme ne peut séduire que des

Supposons , Monsieur , que j'achète aujourd'hui dix noirs, la loi m'ordonne de les déclarer demain , et je suis im- posé en conséquence. Supposons encore , ce qui n'arrive que trop fréquemment, que sur ces dix noirs il en meure deux avant d'avoir pu les employer à aucun travail , le Roi n'y perd rien,' sans doute , mais celui qui taxe mes ouvriers en rai- son du produit d'un ouvrage qu'ils n'ont pas fait, produit avec lequel je puis seul le payer , ne commet-il pas une injustice criante , en ajoutant à la perte que je

A Saint-Domingue. 98

subis, un surcroît crîmposîtion qu'il ne peut exiger que surTintérêt d'un capital que j'ai perJu? Et, d'ailleurs, imposer mon nègre, qu'est-ce autre chose qu'a- jourer au prix de son acliat la valeur de l'imposition ? Or , plus Jes nègres seront chers, moms je serai en état d'en ache- ter; moins de nègres, moins de culture; moins de cullu re , moins de denrée. Ren- versons le dilemme : moins les nèsres seront chers, phis je serai en état d'en acheter ;* phis de nègres donneront plus de culture , plus de culture donnera plus de denrées Au nom de notre inté- rêt commun , imposez donc la denrée. « Si , dit un auteur moderne et justement célèbre , Tentrepreneur d'une grande manufacture qui employé mille livres sterlings à l'entretien de ses machines , pouvait réduire cette dépense à la moi- tié , il employerait naturellement les cinq cents livres épargnées à l'achat d'une plus grande quantité de matières, qu'il ferait travailler par un plus grand nombre d'ouvriers, La manufacture pro-

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1^1

94 Voyage

duirait donc annuellement plus d'où- viage , et la société entière en recueille- rait plus de jouissances (i) ». Lorsqu'un gouvernement juge nécessaire d'imposer Texportation des farines, que dirait-on SI, au lieu de taxer le sac à tant, il trans- portait cette imposition sur les roues des jnoulins qui auraient servi à les moudre ?

Une autre conséquence de ce vicieux mode d'imposition, est que Fhabitant, pour en éluder le fardeau , fait de faus- ses déclarations; que la facilité de déro- ber ses nègres aux recherches du iisc^ ôte à celui-ci tout mojen d'en vérifier la fidélité, et que, tout-à-la- fois odieux par son avidité , et ridicule par son im- puissance à réprimer la fraude, le gou- vernement habitue ainsi le colon à la haine du législateur, et au mépris des loix.

(i) M. Smilh, recherches sur la nature et les causes de la richesse des naiions , tome 2 , livre z chapitre 2.

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A Saint-Domingue. 95

J'espère , Monsieur , que Firaportance du sujet justifiera Tétendue avec laquelle j'ai traité une question qui intéresse à-la- fois le souverain, les colons, le com- merce; conséquemment le bien commun des colonies et de la métropole, qui ne doit Jamais oublier qu'elle travaille à sa propre fortune, en assurant la prospé- rité des premières.

Je renvoie à une autre lettre les deus: objets, non moins importans , du prix des nègres et des frais de justice, et je termine celle-ci par une observation qui me paroît de la plus haute importance , quoiqu'elle n'ait qu'un rapport indirect avec ce qui précède.

Le prix des nègres croît chaque jour avec une effrayante rapidité. Un nègre de choix qui se paye aujourd'hui près mille écus, n'en coûtait que cent il y a cent ans ( i ). Si le prix de la denrée qu'ils cultivent suivait la même progression , il

(i) Voyez les Voyages du sieur Le Maire ^ page 73.

OTAGE

n'y aurait point de mal. Mais cette sup- position n'est point admissible , parce ^ue dans beaucoup d'états , dans ceux sur-tout qui ne reçoivent les productions des colonies que de la seconde ou troi- sième main , les p;ouverneiîiens effraves de Texportation de numéraire que le prix, toujours croissant ^ de ces denrées occasionne , prennent les mesures les plus justes et les plus efficaces pour en modérer la consommation.

Sur qui retombera, à la longue, la perte qui doit résulter d'une dispropor- tion très - sensible entre les frais et le bénéfice de la culture ? sur le * cultiva- teur.

D'où provient ce mal? Coinment le prévenir

Je dirai d'où le mal provient ; quant au remède, c'est au g-ouvernement et non à moi à le trouver.

La nature a une marche invariable ; elle balance d'après des proportions que nous pouvons bien altérer quelqufois , mais dont nous ne pouvons jamais dé- truire

A Saint-Domingue. 97 truire le principe , les pertes par les rem- placemens , c'est-à-dire , les morts par le$ naissances , de façon à ce que la terre ait toujours, à-peu-près, le même nom- bre d'habitans. Ce n'est pas sa faute si nos crimes, nos passions, nos folies dé- rangent ce bel ordre , et si notre ava- rice arrache dix babitans à une contrée pour en transporter un de plus dans une autre.

C'est cependant ce que fait le com- merce des nègres. La consommation ex- traordinaire d'hommes que la traite oc- casionne sur les côtes d'Afrique^ digne rivale de la peste, j a produit une telle dépopulation, que, pour j trouver des esclaves, il faut aujourd'hui envoyer à mille lieues dans les terres.

Que le prix du minéral se soit accru à mesure que la mine s'est épuisée, c'est ce qui est tout simple ; mais qu'il soit pos- sible de maintenir une juste proportion entre deux objets d'échange , dont le prix de l'un croît en raison de sa rareté toujours croissante, tandis que la con-

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'^S Voyage

sommation , nécessairement bornée de l'autre, a déjà porté sou prix au maxi- mum qu'il peut atteindre , c'est ce qui est mathématiquement impossible.

Il faut donc prévoir une époque qui n'est peut-être pas éloignée , celle de la cessation totale du commerce des nègres ; car de deux choses l'une : ou la difliculté de s'en procurer portera leur prix au point de réduire les colonies à l'impuis- sance d'en acheter , les peuples de l'Afrique , éclairés par l'expérience et frappés d'une dépopulation qui les me- nace d'un anéantissement total, renon- ceront décidément à ce commerce. La conséquence de ces deux suppositions est la même. Il est impossible qu'elles ne se réahsent point tôt ou tard, et je ne vois pas que l'on s'occupe à en prévenir l'ef- fet nécessaire, la ruine des colonies. Un calcul fai t en 1 775 , prouve que , dans un laps de deux cent quarante ans , on a transporté dans les colonies plus de dix millions de nègres. Aujourd'hui , ces mômes colonies en demandent au-deîi

A Saint-Domingue. 99 de cent mille par année ; et si l'on veut ajouter à ce nombre ceux qui périssent dans les guerres auxquelles la traite donne lieu, dans le passage de la mer, par les maladies, parles naufrages , dans les ré- voltes , on trouvera qu'il faut doubler ce nombre, ce qui, pour un laps de trente années , porte rexédent de consommation à six millions d'individus , et je demande s'il est possible que la population de l'Afri- que ne soit pas bientôt épuisée ?

ÎOO

Voyage

LETTRE X.

Jacmel. Avril , I789.

ES conséquences du prix excessif des noirs , relativement à l'ultérieure pros- périté des colonies , n'ont , monsieur , pas besoin d'être détaillées pour être senties. J'ignore si je serai dans le cas d'y revenir encore ; en attendant , je vous dirai ce qui m'arrlve à ce sujet.

Jl y a un peu plus de quatre mois que, frappé du peu de parti que les habitans tirent de leur terre , je crus devoir cher- cher la source de cette espèce de torpeur autre part que dans leur insouciance, et l'on m'indiqua la cherté des nègres.

D'autres recherches m'apprirent que l'anglais des isles voisines vendait en in- terlope , à raison de douze et quatorze cent francs , le même noir que l'on paye ici deux mille sept ou huit cents Hvres.

Vaincu par les prières de quelques colons, je me chargeai de rédiger et de

A Saint-Domingue. ioï

laire remettre , au ministre de la marine , un mémoire dans lequel je demandais rintrodiiction de quatre mille nègres irr- terlopes , et coinme je prévoyais Fob- jection du préjudice que cet acte de bien- faisance causerait au cojiimerce métro- politain^ je m'attachai à démontrer qu'il devait lui être indiférent que j'achetasse ailleurs ce que je ne puis pas acheter de lui , à raison d'un prix qui excède mes moyens; que ce qu'il pourrait gagner sur ces quatre mille nègres ^ et qu'il ne gagne pas , puisqu'il ne les vend point , serait plus que compensé par. le béné- fice sur le produit du travail de quatre mille ouvriers de plus; que, -d'après ces considérations , il était de l'intérêt bien entendu du commerce français de se ré- jouir d'une perte fictive qui devenait pour, lui la source d'un gain réel ; et qu'enfin, c'était encore à lui que revien- drait le bénéfice de cette utile spécula- tion , puisqu'elle ne pouvait être faite qu'avec les fonds des commercans fran- cais.

^

'io2 Voyage

La réponse du ministre porte : qu^il eut beaucoup désiré condescendre à mes vues ; qu'il en sentait tout l'avantage, mais qu'il y voyait un obstacle in.ur- montable dans les réclamations du com- merce !

On ne conçoit pas , monsieur , que le gouvernement , qu'il faut toujours sup- poser animé de Tamour du bien public, ne protège pas plus qu'il ne le friil l'in- térêt de riiabitant contr'e les usurpations du commerce , car il y a usurpation toutes les fois que Ton détruit l'équilibre

aui doit exister dans tout commerce d'é-

j.

change , en ne permettant pas de hausser -îe prix de ma denrée dans la même pro- portion que vous augmentez le prix de la votre. Un exemple suffira.

Pour éviter les calculs de fractions , je dirai que le cultivateur vendait , il y a dix ans , la livre de café à rai- son de cinq sols , au commerce qui le payait en nègres , à raison de cinq cent livres la pièce. Le prix d'un nègre était en 1700 , de six cents livres, celui d'une

A Saint-Domingue. io3

négresse quatre cent cinquante. Aiijoiir- d'Iuii , le pins haut prix du café est de dix.hnit à vingt sols , celui d'un nègre de deux mille cinq à deux mille huit cents livres. Ainsi, pendant que le cul- tivateur a tout au plus quatruplé son prix, le conunerçant, qui , pour suivre la proportion et maintenir la balance , devait également quatrupler le sien , Fa au moins quintruplé , et se permet , par conséquent , Fusurpation d'un cinquième en sas.

Passons à la justice dont je ne vous dirai qu'un mpt ; ceir , lorsque vous saurez que le tribunal de Jacmel, composé d'un sénéchal , d'un lieutenant de juge , de deux procureurs du roi , d'un greffier , de quatre conseillers , quatre ou cinq procureurs , et autant d'huissiers, coûte , année commune, au-delà de quatre cent mille livres aux habitans de son petit res- sort , vous comprendrez pourquoi la culture des terres languit , pourquoi la majeure partie des habitans, qui doivent toujours plus qu'ils n'ont , végète dans

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104 . Voyage

la misère, la crapule , îmertie , et il sera assez inutile de vous en dire davantage , è, moins qu'il ne vous parut nécessaire de savoir que les juges siègent ici en habit court , Fépée au côté , et que Thémis , vu Fextrôme chaleur du climat , au lieu de répais bandeau qu'elle porte ailleurs, y joue son colin-rnaillard avec une gaze légère et transparente sur les jeux. Croj^ez , au reste , que , dans l'estimation des frais de justice , loin d'exagérer , je suis resté au-dessous de la vérité , car je connais ici tel huissier auquel son exploi- tage a valu jusqu'à soixante mille livres, dans ce que ces messieurs nomment les honnes années.

Ne me supposez cependant pas assez injuste, monsieur, pour vouloir disputer au commerce sa part d'influence sur le mal-aise habituel et général des colons. C'est un tour d'adresse dont il est juste de ne pas lui dérober l'honneur , mais auquel vous ne comprendriez rien _, si je ne me chargeais devons fournir les éclair- cissemens nécessaires.

A Saint-Domingue io5

Il faut reprendre les choses de plus haut.

« Les établissemeiis des colonies furent faits aux frais des particuliers: chacune le prouve clairement par son histoire (i). Ce n'est donc ni la prévoyance , ni la politique , ni riiumanilé des souverains qui les ont fondées , et: celle de Saint- Domingue surtout ; c'est le hazard. Des français , chassés de Saint-Christophe par les Espagnols , avec d'autres avanturiers de leur nation , auxquels se joignirent quelques anglais , trouvèrent la côte occidentalede Saint-Domingue inhabitée, s'y établirent en 1627, etfurent la souche des flibustiers , de ces hommes dont l'audace à entreprendre _, et la prodi- gieuse valeur dans l'exécution , réduiseiit à des jeux d'enfans mêine les plus fabu- leux exploits des demi-dieux de la Mytho- logie, et dont la férocité fit surnommer un de leurs chef, Monbars V Exterminateur.

(i) Recherches sur les Elats-Unis d'Amérique, page 118.

io6 Voyage

Fatigués de leur vagabonde et péril- leuse existence , quelques-uns de ces hommes extraordinaires, la plupart an- glais,se rendirent, de Tisle delà Tortue(i\ dont ils avaient , en i63o , fail: leur place d'armes , après en avoir chassé vingt-cinq espagnols , sur la côte de Saint-Domingue, ils se joignirent aux boucaniers , espèce de chasseurs dont la vie errante et précaire servit aux flibustiers de trans- sition 5 pour passer de l'état de navi- gateurs et de soldais à celui de culti- vateurs. — ^.

(i) D abord occupée par les Anglais , en i63S^ soos les ordres de A'V illls. Un insénienr français nommé Levassenr , après les en avoir chassés , y avait prii , avec le ti^re de prince , les manières d'un despote 3 il flil: assassiné par deux de ses neveux , lorsque la Torlue passa sous les oidres du chevalier de Fontenaj , qui la rendit aux Espagnols , quand un troisième âvanturier , Des- champs duPtaussel, la leur enleva ; en 1660, pour la vendre, cinq ans après, à la compagnie des Indes. Voyez Labat, jioiweau Voyage aux îles Françaises de V Amérique , tome 5 ;, chapitre

\

A Saint-Do M iN'GUE. 107

Deux besoins qui réuniront toujours les hommes en sociétés , le besoin de l'or Hrc et celui de se perpétuer , déter- minèrent ces nouveaux liabîtans à de- mander un cbef et ries femmes. On leur envoya pour chef d'abord Duparquet , et peu après Bertrand d'Ogeron de la Bouère , gentilhomme Angevin , qui y arriva le 6 juin i665 (i). Il eut pour successeurs Dacasse et l'Arnage , et le clioixMe ces hommes , dignes en effet de commander aux autres , prouve que les gouvernejnens ne se troïTipcnt pas tou- jours dans celui des individus auxquels ils transmettent une partie de leur pou- voir.

(i) « Homme à lepreiive de lu fortune , dit un historien moderne , doux et ferme , habile el: pa 'lient , éclairé par des malheurs et par riiabi- lude de vivre avec ce peuple féroce ; ùhén de ce peuple , eslimé des hommes d'éîal; comme des gens de bien , et néanmoins supérieur à^ Topinon que l'on avait , sinon de sa verîu , du. moins de son génie ». Histoira Générale de ÎAsie , de V Afrique et de V Amérique ^ tome 14.

lo8 Voyage

Le choix des femmes était moins diffi-

cileà faire. La France ne manquait point

alors de filles pauvres , laborieuses ,

modestes, dont la douceur et Fingénuité

, même eussent poli , eussent épuré des

mœurs plus dépravées que corrompues.

Que fît-on , -monsieur ? on leur envoya

des catins de la Salpétrière , des salopes

ramassées dans la boae , des gaupes

efîrontées , dont il est étonnant que les

înœurs , aussi dissolues que le langage ,

île se soient pas plus perpétuées qu'elles

n'ont fait chez leur postérité; ce qui a

fait dire à un voyageur , aussi sévère

que véridique , « qu'excepté quelques

familles de marchands qui se son établis

dans les colonies , et y ont mené leurs

femmes et un domestique sage et réglé ,

on ne fait nas tort à tout le reste des

isles , en les cojnparant à Rome , dont

les premiers fondateurs n'étaient qu'un

ramas confus de brigands et de putains,

conduits par deux bâtards (i) w.

(i) Journal cruii Voyage aux Indes Orientales ^ tome 3.

A Saint-Dominguk. icp

A peine d'Ogeron eut-il porté sa colonie de quatre à quinze cents liabitans , que Fofficieux commerce, en vertu de son pri- vilège exclusif , c'est-à-dire , du pouvoir d'affamer les colonies (i) , profitant de l'indifférence du ministère pour ce nou- vel établissement , offrit de lui vendre à crédit , ce que l'autre aurait lui donner , les avances nécessaires" pour commencer les défricliemens. Le pris; de ces avances fut , comme on peut bien le croire, calculé sur l'incertitude et les retards d'un remboursement qui n'avait que des récoltes futures pour hypothèque. Les récoltes vinrent , mais sans que les colons se libérassent ; car, si l'ambition

(i) Cette compagnie , qui commença à exploiter les colonies dès 1649 , n'eûl: d'abord que qua- rante-cinq mille livres de fonds. Je demande si , avec une mise dehors aussi modique , il est permis d'entreprendre lapprovisionnement ex- clusif d'une colonie, sans se proposer d'épuiser les colons ? aussi , fit-elle des horreurs qui ont semé le premier germe de la haine des colons pour le commerce métropolitain.

iio Voyage

détendre ieur culture fit naître de nou- veaux besoins , l'espoir bien fondé d'as- servir de plus en plus l'acheteur au ven- deur , rendit le dernier très facile sur le crédit dont l'autre avait besoin.

Bientôt l'adroit commerçant sut joindre aux objets de nécessité les bagatelles du luxe , toujours bien accueillies par la vanité qui se foure par-tout. Le même navire apportait avec des haches et des lioues pour les hommes , des bonnets pour \^% mères , et des vertugadins pour les filles. On persuada sans peine à la jeune créole qu'une glace a cadre doré réflé- chissait bien plus fidèlement son joli visage que le cristal d'une fontaine , et voilà comme l'ignorance iagénue et le crédule amour - propre fesaient payer , au centuple de leur valeur (i), dessuper-

(i) Jai vu vendre à une Créole, qui n était point une sotte , et plus disposée à faire des dupes qu a l'être , au prix de cinq portugaises , c est-à- dire , trois cent trente livres, une paire de pendans d oreilles en or , qui ne pesaient pas trente francs. Pour se disculper du reproche de la plus coupable

A Saint-Domingue. m

iluîU's devenues nécessaires; tandis que î'astncienx marchand , qui sait: assez de métaphysique pour ne pas ignorer que le débiteur ne dispute guères avec son créan- cier , mettait kii même le prix aux den- rées qu'i l voulait bien prendre en échange, et acquerrait ainsi sur la colonie ce que Ton peut vraiment appeller domaine réel, A Va ppul de ce premier mojen d'oppres- sion , le commerce en ajouta trois autres.

usure , on vous dit que Imcerliiude des spécida- îions commerciales , les Laiiquerouîes , les nau- frages, les avaries, le fret , le coulage , les non- valeurs , les longs crédits, ne permettent pas au commerce de bo^^ner ses bénéfices au taux de l'intérêt c[ue la loi autorise. Fort bien; mais, comme il n'est pas inoui qu un négociant , favo- risé parla fortune , soit parvenu à gagner quelques millions, sans éprouver aucun de ces accidens, et même indépendamment des perles qu il a pu faire j je demande s'il n'est pas tenu de rem- bourser à chacun de ses acheteurs le surfait ju- daïque qu'il a ajouté au prix légal de sa mar- chandise ; et si quelqu'un a jamais eu connais- sance d'un pareil trait de probité , je le somme d'en nommer l'auteur.

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112 Voyage

i^. Le droit d'approvisionner exclu- sivement les colonies.

2°. Celui d'en exporter seul les pro- ' ductions.

3°. Une loi qui interdit aux liabitans la faculté de manufacturer le coton, afin de le tenir dans la nécessité d'acheter, à un prix extravagant , des toiles que l'on a soin de choisir dans les plus mauvaises qualités , afin d'en hâter la consomma- tion; car, ce n'est pas le tout de vendre, ce n'est pas le tout de vendre cher , celui qui s'en tiendrait ne passerait que pour un sot. Le négociant par excel- lence, ou qui du moins se croit tel, doit ^encore vendre aussi mauvais que pos- sible , afin de vendre plus souvent. Oui , le commerce érigerait une statue d'or , qui le disputerait au colosse de Rhodes, à celui qui parviendrait à trou- ver Fart de composer des toiles de verre et des draps de porcelaine.

Enfin , monsieur , il ne lui manque plus , pour donner le dernier degré de per- fection à la théorie de son despotisme

sur

À Sa ÏN T-DôMlNG UE. Il3

SAIT les colonies , que d'ajouter au privi- lège exclusif de les approvisionner en farines , le privilège exclusif d'y cuire le pain , d'j^ moudre le café, efc.

Quelle est donc , en dernière analjsè^ h véritable rapport entre le commer» çant et le colon? A Dieu ne plaise que j'indique celui qui peut existei^ entre la dupe et le fripon , entre le tyran et Tes- clave (i). Je vois la chose sous Un point de vue plus honnête^

(I) Voyez, à ce sujet, Réflexions sur la colonie de Saint-BomingLie , tome i , diapitre 2 , pages 36 et 37. « Le commerçant français , ajoute l'au- teur, chapitre 3, page 64, rempli d'abord zèle et de complaisance , et volant au-devant des desfrs du cultivateur , dont les travaux l'en* richissaient, devint dur, exigeant et impérieux après quelques succès qui l'enorgueillirent , lors- qu'ils n'auraient que redoubler son ardeun Bientôt il ne considéra plus la colonie que comme une propriété dont les productions lui étaient exclusivement destinées , moyenant le prix qu'il voulait bien y mettre. Ardent à abuser des be- soins pressans du cultivateur , occasionnés , soif par la pénurie des objets de première nécessité.

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ÎI4 Voyage

Le commerce de France est le véri- table propriétaire de Saint - Doniingue ; les colons ne sont que ses fermiers , tout au plus ce que les Romains nommaient coloni partiarii , colons partageants ; et cela est si vrai, le commerçant en doute si peu , que l'habitant qui ne doit rien, s'il en existe de tels (i) , qui paye comptant, qui peut attendre que la con- currence des acheteurs lui permette d'exiger un prix raisonnable de sa ré- colte , devient la bête noire du com- merce :. car , messieurs lesnégocians vous diront, et vous le croirez si vous voulez^ que le bénéfice sur la denrée qu'ils ex- portent des colonies, couvrant à peine

soit par le malheur des circonstances , il manqua rarement de manifester une inflexibilité désho- Siorante et une avarice qui fesait d'un état hon- nête et respectable par ses résultats , le plus vil de tous les états.

(î) On sent bien qu'il faut excepter quelques rands propriétaires , qui , n'ayant jamais vu ni leurs possessions ^ ni les colonies , ne doivent pas iltre comptés au nombre des habitons.

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A Saint-Domingue. ïî5 les frais d'armement, ils ne se retroin^ent que sur celui qu'ils ne font pas toujours, disent-ils encore , sur les marchandises qu'ils y portent; et , en attendant , tel qui portait la balle il y a vingt ans , fait bâtir un palais et marie sa fille à un duc. Mais, depuis que nos beaux esprits se sont transformés en économistes, depuis que nos grands seigneurs 5 '^/zcûrTz^z/Z^/zzf, conversations , ouvrages sérieUx , bro- chures frivoles, théâtres , tout retentit des éloges du commerce : c'est la pierre fondamentale de la monarchie , c'est le père nourricier du royaume , c'est le premier, le plus noble, le plus utile des états. Il faut que l'épée du guerrier, la toge du sénateur , le sceptre des rois même , s'inclinent devant le caducée de inercure ! . . * . J'honore , monsieur , un honnête commerçant , comme j'estime tout honnête homme ; m.ais j'avoue qu'il est difficile de partager l'engouement, lorsque l'on voit de près le père nour- ricier : il ne faut qu'avoir assisté quel- quefois à ses comptes , pour se con-

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vaincre que la devise de ce généreux bienfaiteur du genre humain est, comniie celle de tant d'autres, le bien public^ après mon intérêt. Je ne citerai qu\m fait qui peint le commerce au naturel. Le sucre brut qui, en 1682, se vendait de quatorze à quinze francs le quintal , tomba en lyiS à cinq ou six, et ce fut le moment que la compagnie du Sénégal choisit pour porter les esclaves à un prix excessif. On Ta dit avant moi: a La destinée des colonies était de servir de jouet aux caprices , de pâture aux be- soins, de proie à l'avidité de leur métro- pole, de son fisc y de ses traitans , de ses marchands , de ses compagnies , de ses intrigans accrédités (i) ».

Voilà un colon, disais -je ces jours passés à un capitaine marchand , qui ^ après vos comptes réglés , reste encore votre débiteur d'une somme assez forte» Comment vous déterminez -vous à lui

(l) Histoire générale de l'Asie ^ de V Afrique plde VAmçriquç jioTXLQ 1^,

A Saint -Do MI îJ GUE. 117

faire un nouveau crédit? A Dieu ne plaise qu'il se libère , me répondit le marchand ! Ne voyez-vous pas que l'indulgence dont j'use envers lui pour ce qu'il me doit_, m'assure sa récolte de Tannée prochaine, et me l'assure au prix que je jugerai à propos d'j mettre moi-même , parce que moyennant cette espèce de condescen- dance de sa part^ il est sûr de trouver chez moi un nouveau crédit pour ses ncrveaux besoins?. . . Oh ! si vous enten- diez tant soit peu l'art du négociant, vous verriez qu'il est plutôt un commerce de hons procédés que de tout autre chose! Et cependant, monsieur, c'est, au témoignage de tous les gens instruits, à l'avidité im- pohtique et barbare des premières com- pagnies de commerce , et entr'autres de celle connue sous le nom de compagnie royale de Saint-Domingue ou du Sud. créée en 1698, que l'on attribue l'état de langueur dans laquelle cette colonie fut , jusqu'au moment de sa dissolution, d'une association de marchands qui ^ revêtue de toutes les prérogatives de 1^

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ïî8 Voyage

souveraineté , et fidèle à l'eprit du com- merce , n'avait pas manqué de com- prendre dans ses calculs de bénéfice, la vente de tous les emplois civils et miîi-^ taîres.

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A Saint-Domingue. 119 LETTRE XI.

tTacmeL Mai, 1789.

JjA lon2:neur de mes dernières lettres m'effraye , monsieur ; mais à mesure que j'acquiers la connaissance locale du pays, la matière s'étend , les observations se multiplient, se succèdent, sVncliaînent, et ne me laissent pas toujours le maître de m'arrêter je voudrais.

Vous ne lirez dans aucun des voya- geurs qui ont écrit sur Sciint-Domiiigue, ce que vous trouverez dans mes lettres. A force de flatter tout le monde , il faut bien plaire à quelqu'un ; aussi, la plupart écrivent-ils beaucoup plus dans celte in- tention que dans celle d'instruire. Moi, qui ne tiens pas assez à l'une ou à l'autre de ces prétentions , pour leur sacrifier la vérité , j'écris pour dire ce que je vois 5 ce qui me paraît bien , ce qui me semble mal, ce qui pourrait être mieux. Je con- tinue donc comme j'ai commencé.

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120 Voyage

En supposant que le quartier de Jac- luel parvienne un jour au point de pros- périté dont il est susceptible, rien ne se- rait plus aisé que de faire de cette ville îe séjour îe plus agréable et le plus sa- îubre.

Déjà les habitans , stimulés par cette ambition louable, ontfait venir de France iine église, c'est-à-dire, les matériaux tout préparés pour en construire une au centre du plateau, viendront aboutir quatre rues principales. On ne fera sur les lieux que les fondemens et la charpente.

L'érection de ce monument doit vous donner une haute idée de la piété des co- lons de notre paroisse. Ne craignez ce- pendant pas qu'elle aille jamais jusqu'au zèle, qui dégénère en fanatisme. Celui qui se plaît aux lieux infréquentés peut har- diment entrer dans les églises de Saint- Domingue, \\ n'j trouvera pas Içs degrés de l'autel usés par la prière.

En avant de la façade du temple ré- gnera une esplanade planî-ée d'arbres, et |)rolopgée jusqu'à la naissance du talus

A SAÏNT-DomINGUE. 12 Î

de îa montagne , d'où l'on pourra», d'un seul regard , embrasser la baye , les terres adjacentes, et la pleine mer.

L'inconvénient d'aller puiser Feau qui Sert à la consommation dans une rivière à un quart de lieu à l'ouest de la viFe, a donné Fidée de construire , au centre de l'esplanade proie ttée , une fontaine publique , Feau arrivera des montagnes voisines , au moyen d'un canal dont la construction ne sera pas très-coûteuse.

Tel est le projet. S il s'exécute, ce sera lentement ; le bien , vous le savez , ne va jamais qu'à pas de Tortue. En atten- dant , il serait assez raisonnable de s'oc- cuper d'un projet, non moins utile ^ et moins dispendieux.

L'éIoignem.ent de la rivière force les habitaûs à détourner leurs nègres d'un travail plus utile , pour charrier de Feau , dont les bains , si nécessaires dans ce pays- ci , augmentent de beaucoup la con- sommation.

La rivière , ou le torrent de la Gos-> seline , dirige sou cours perpendicu-

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J22 Voyage

lairement du pied des montagnes vers la mer. A quelque distance de Jacmel, elle forme un coude et change sa direction pour aller se réunir à la grande rwière ^ non loin de son embouchure.

Quoi de plus simple que de lui creuser un nouveau lit , en partant de Tangle du coude , en ligne droite jusqu'au port? Cette opération, à laquelle le sol n'oppose aucun obtacle , ammènerait Feau à la porte de toutes les maisons , entraînerait les immondices , dont la corruption in- fecte l'air , formerait un canal , dont on pourrait planier les bords d'un ou de plusieurs rangs d'orangers , et cette plan- tation offrirait le double avantage de rafraîchir l'atmosphère , et de soulager la vue , fatiguée de n'errer que sur un sol aride, brûlant çt poudreux.

On ne peut combattre ce projet que par une seule objection , celle de son inutilité , en supposant la ville bâtie sur le coteau. Je répondrai à cela que la facilité du débarquement , la proximité des vaisseaux , l'économie de la main-d'œuvre^

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A Saint-Domingue. i23

exigeant que les capitaines continuent à avoir leur magasins et leurs logemens au bord de la mer , nécessiteront tou- jours une ville basse, que Ton nommera , si Ton veut , le port , le quartier mar- chand, et qui, pour offrir un air pins frais , un aspect plus riant , n'en sera que plus fréquenté par les aclietears.

Engagé comme je le suis, monsieur, dans la carrière des projets, en ma qua- lité de militaire , je ne saurais me dis- penser de vous faire part des dispositions de défense dont je crois Jacmel sus- ceptible. Il faut d'abord en établir la né- cessité.

Saint-Domingue n'a aucune place d'armes sur la côte du Sud» Quelque difficile que soit le pays , avec du secret et de la célérité , un ennemi ac^f , en effectuant une descente sur cette côte , se sera rendu maitre des défilés et de la crête des montagnes; il aura pris de revers et Léogane et le Port-au-Prince , avant que Ton ait pu rassembler assez de forces pour s'opposer à ses progrès. Que celts

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Î24 Voyage

attaque soit secondée par une escadre qui bloquerait et menacerait le Port-au- Prince par mer , et cette place reste sans communication avec le reste des quartiers , sans espoir de secours.

Il est donc essentiel d'avoir , sur la côte du Sud , un point fortifié , d'où Ton puisse surveiller Fennemi , les vais- seaux croiseurs trouvent, en cas de né- cessité , un asjle , et qui serve de point de ralliement à la milice chargée de 1^ défense des côtes.

Jacmel a tout ce qu'il faut pour rem- plir cet objet. Le prolongement des terres qui forment la baje offre , à TEst et à rOuest , des positions très-propres à y construire des batteries, même des forts dont le feu se croiserait. Au centre du fond de la baje , est un mamelon para- lellograme et isolé , sur lequel sont bâties l'église et quelques maisons. Ce point serait d'autant plus propre à recevoir une fortification régulière , qu'il peut être casematté , et que , n'étant ni trop, élevé ni trop bas p il laisse peu de prise

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A Saint-Domingue. i25

au feu de rennemi , tandis que le sien se combinerait , sans obstacle, avec celui des forts de la rade. Si, à ces moyens de défense , on voulait joindre un camp retranché , pour lequel le local ne manque point ; je croirais cette partie de fisle à fabri de toute invasion.

La manie de se distinguer par des opinions , que Ton croit neuves parce- qu'elles sont extraordinaires , a , depuis quelque tems , donné naissance à une secte militaire qui , avec beaucoup de théorie et de talens , mais peu d'expé« rience , se déclare hautement contre le système des places fortes. Il est tout simple que le désir de faire prévaloir son opinion lui ait fait exagérer les im- perfections et dissimuler les avantages du système qu'elle combat.

La véritable défensive des frontièreè consiste , dit-elle, dans l'art des positions. Qui en doute ? Mais si cet art peut en appeller un autre à son secours , et la combinaison de ces deux arts réunis double les moyens de résistance, pour-î:

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126 Voyage

quoi les séparer ? Faudra-t-il me faire couper le bras gauche qui pare les coups de mon adv^ersaire , parce que je Tattaque avec le bras droit ? IN'adoptons et ne rejetons décidément aucun système. Cest aux circonstances et à la nature du terrain à décider si une frontière doit être ou n'être pas fortifiée.

Je dis donc que si un rivage , des obstacles de tous genres forcent le débar- quement sur une étendue déterminée, peut d'autant moins se passer du secours des forteresses , que ces points de défense ^ distribués avec art , entraînent nécessai- rement la division des forces de l'ennemi à plus forte raison doit-on faire usage de ces moyens de résistance et de protection dans une rade ou dans un port.

Rassurez - vous , monsieur ; quoique solddff , je n^étendrai pas plus loin mes raisonnemens militaires. Sans improuver ce que l'on fait , j'ai rêvé un moment à ce que l'on pourrait faire pour le bonheur et la sûreté des habitaus de ce canton»

A Saint-Domingue. 127

LETTRE XII.

tTacmeï. Mai, 1789.

J 'ai résolu , monsieur , de vous décrire une de mes journées; ce sera la manière la plus simple de vous donner, xine fois pour toutes , une idée sommaire de la façon de vivre k Saint-Domingue, dans

ce aue l'on nomme une ville.

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Lorsque les poètes américains ont à chanter une beauté fraîche , brillante ^ vermeille , ils doivent être fort embar- rassés à trouver des comparaisons, car il n'y a point ici d'aurore. Un coap-d'œil sur une sphère vous expliquera ce phéno- mène , de même que celui de la cha- leur que A^envoye l'astre de la nuit , cha- leur assez sensible pour m'obliger à ra- battre mon chapeau sur mes yeux lorsque je m'asseois ou que je me promène au clair de la lune... Il y a toujours eu beau- boup d'inconvéniens à vivre trop près du soleil.

ÏS8 V O Y À G -s

Pour celui-là, il n'y a pas moyen ây penser , car , eut-on toutes les neiges des Alpes sur la tête, tous leurs glaçons dans le cœur , quel est le téméraire qui, à i8 degrés 20 minutes de latitude méri- dionale , oserait soutenir un re2;ard de son bel astre ?

Il ne nous reste donc" que la rose. Ce qui vous surprendra , peut-être, c'est qu'elle croit aussi belle , aussi fraîche , aussi purpurine à Saint-Domingue qu'en Europe. Mais hélas ! elle j passe encore plus vite ! Aussi, de tous les préceptes de l'ingénieuse galanterie , que nous nom- merons amour , n'en est-il aucun plus religieusement observé ici que le hâte- toi de jouir.

Ainsi^ Monsieur , point de crépuscule ^ point d'aube paresseuse , point d'entre- chien et loup , point de nuit qui replie lentement ses voiles. Tout se passe à la hâte; le jour sort de la nuit comme Pallas du cerveau de Jupiter : c'est le j^ûJ/Zz/o: du moment de la création. Quelle belle heure perdue ! et rien qui supplée

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A Saint-Domingue. 129

à sa privation, en rappellent du moins son souvenir î Lesclacjnemens de fouets, les cris étouffés , les gémissernens sourds des nègres , qui ne vojent naître le jour que pour le maudire , qui ne sont rap- pelles au sentiment de leur existence que par des sensations douloureuses ; voilà ce qui remplace le chant du coq matinal. C'est aux accords de cette mé- lodie infernale que je fus tiré de mon premier sommeil à Saint-Domingue. Je tressautai , je m'écriai , je crus me ré- veiller au fond du Tartare entre Ixion et Prométhée , et j'étais chez des chré- tiens , chez les adoreurs d'un Dieu

qui mourut pour mettre un terme aux douleurs de celui qui souffrait.... L'habi- tude a déjà affaibli l'effet delà première impression ^ elle ne m'j rendra jamais insensible.

Une promenade d'une heure me sert à dissiper l'anxiété me jette ce triste réveil. Je rentre pour voir une troupe de nègres et de négresses ^ appuyés contre le mur , ou accroupis sur leurs talons ,

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'ï3o Voyage

attendre , en baillant , que la main du maître sonne l'heure du travail à grands coups di arceau ( i ) sur leurs fesses , ou sur leurs épaules; car, vQjJ^s n'imagine- riez pas, et il m'a fallu six mois d'expé- rience pour m'en convaincre , qu'il j a des nègres qu'il faut absolument battre pour les mettre en mouvement. L'arceau est la véritable clef de cette espèce de montre. Si j'avais voulu m'en rapporter au témoignage des maîtres, je n'aurais clierclié la cause de cette singulière dis- position des esclaves , que dans leur pa- resse et leur inertie naturelle. Mais en y Regardant de plus près, j'ai cru voir que ces dispositions étaient merveilleusement secondées par l'inertie et la paresse des maîtres, qu\,pourla plupart, dépourvus du degré de raison et d'indulgence néces- saires pour savoir que l'on n'extirpe les vices de l'éducation qu'à force de pa- tience et de tems, trouvent la méthode

(i) On appelle ainsi uo3 espèce de fouet à Htar/che court.

A Saint-Domingue. , i3i de battre beaucoup plus commode que celle d'instruire. De-là vient, qu'une fois rompu à ce mode de correction, il de- vient impossible de rien obtenir du nègre autrement que par la rigueur. Je me suis obstiné , pendant des mois entiers , à n'cmplojer envers ceux qui me servent, que la patience, la douceur, les bienfaits même. Tout a été inutile, le pli était pris. Il ne m'est resté de tous mes soins que l'alternative de me servir moi-même, ou d'avoir recours à Varçeau. ' On déjeime vers huit heures. L'usage des habitans est de manger à ce repas de la viande et des fruits du pays. Il ne reste guères aux oisifs d'autre ressource pour remplir l'intervalle entre le déjeuné et le dîner , que d'écrire , ou de lire , ou des'ennujer : c'est la mienne. Les autres se promènent , causent quand ils ont quel- que chose à se dire, ou s'ennujent. Ceux: qui ont des affaires sortent pour j vaquer, o^ pour aller s'ennuyer ailleurs. J'entre au bain vers midi , j'en sors pour me met- tre à table. Beaucoup de gens ont l'habi-

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ï32 Voyage

tude de dormir après le dîner. C'est une manière assez commode de charmer son ennui. Je n'ai pas voulu l'adopter ; des nuits de douze heures sont bien assez longues. Je me promène dans la galerie , je converse , quand je trouve à qui parler , je lis, ou je m'ennuye.

La partie du jour, depuis dix heures du matin jusqu'à trois heures après midi , ferait insupportable , si la brise qui se lève et cesse à-peu-près à ces heures-là ^ ne venait tempérer l'excès de la chaleur. D'où vient ce vent? Pourquoi souffle- t-il le matin de tel ramb et le soir d'un autre? Cherchez, Monsieur, dans la théorie desi^ents , ce que l'auteur en dit. Pour moi, je m'en tiens à la théorie de l'ignorance , je me borne à jouir , et n'irai pas , pendant que la brise me raflraîchit , m'échauffer le sang à chercher ni d'où elle vient , ni elle va.

Mais, me direz-vous, qu'est-ce que cette galerie dont vous me parhez tout- à-l'heure? C'est me demander le plan d'une case américaine.

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A Saint-Domingue. i33 Un cclré long, d'une étendue arbilraire, est partigé par deux cloisons mitoyennes. On donne à chacune des trois divisions re- tendue que Ton j uge a propos. Celle du cen- tre est ordinairement la plus vaste. On sous-divise , si Ton veut , les deux autres en plusieurs chambres. Une ou deux gale- ries régnent en avant de Fune ou des deux faces. Elles restent ouvertes , ou sont fer- mées par des jalousies à coulisses, mais seulement à partir de la hauteur d'appui. L'une est la salle à manger, l'autre le salon de compagnie, quand on ne veut pas se tenir dans celui du milieu. Les gale- ^ ries des cases d'une certaine étendue, se terminent par des cabinets, dont les uns servent d'office , de buffets , ou de garde- meuble , les autres de chambre à coucher, que Ton destine ordinairement aux étran- gers.

Long-tems la crainte des tremblemens de terre a borné les maisons au rez-de- chaussée. On commence à j ajouter un étage. Les murs sont formés de poteaux: équarris, également espacés, recouverts

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A 184 Voyage

en-dehors de planches, ou légèrement entre-maçonés. Il y a bien des fenêtres à ces maisons , mais il n'j a point de vitres. La réverbération du verre rendrait la chaleur insupportable. On j supplée par des jalousies , ou des châssis de cane- vas, qui^ en brisant les rayons d'un jour trop ardent , ne laisseraient pénétrer qu'une lumière très-douce dans Tinté- rieur des cases, si on avait l'esprit de le faire teindre en verd. C'est à quoi per- sonne n'a encore songé. La même raison et la violence des ouragans , empêchent que les toits ne soient couverts de tuiles ou d'ardoises. La légèreté de leur char- pente ne supporterait pas un pareil far- deau. On les remplace par des issentes. C'est une petite planche d'un bois léger à laquelle on donne la forme que l'on veut.

Voilà la maison du riche. Les autres n'ont que la même division intérieure, mais point de maçonerie entre-poteaux, point de galerie, point de cabinets, point de jalousies, pas même de plancher. On

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A SAINT-DoMIMG UE.

inarclie sur un aire qui fourmille criiisec- tes , on coucbe sous le toit, on a des vo- lets pour fenêtres. Le vent, i'e soleil, la poussière , la pluie , une inombrable mul- titude de fourmis pénètrent de toutes parts à travers fintervalle qu'on laisse à dessein entre les planclies qui forment le revêtement extérieur. La nuit venue , on ouvre tout. Alors des lésions de Scara- bées aîlés , deMaringouins , et d'autres in- sectes volans, se précipitent dans les mai- sons attirés par Féclat des lumières qu'ils éteindraient bientôt , si on n'avait la pré- caution de les tenir sous des verrines , c'est-à-dire , de grandes cloches ou cpnes de verre.

Si une architecture plus intelligente n'a pas encore apporté ici l'art qui varie les formes et i^iultiplie les aisances, on y trouve tout aussi peu, dans l'ameuble- ment des maisons riches , le goût, si pré- férable à la magnificence. Elles ont tou- jours des tapisseries de damas et des ba- guettes dorées. Ces tapisseries de damas me paraissent ici ce que servaient > en

^âSà&fiaMBAan

i36 Voyage

Norvège, des habits de gase au mois de janvier. Le goût, Monsieur, est encore bien créole à Saint-Domingue, et Je goût créole n'est pas îe bon goût, il sent mi peu le boucan (i).

Les cuisines ne tiennent point aux mai- sons. La négligence des nègres rendrait leur adhérence trop dangereuse. On \gs isole à une portée raisonnable. La masse des habitans des vi.les n'a même point de cuisine. On fait du feu et Ton fricasse en plein air.

Les tables sont assez mal servies. Ce qui fait le fond des repas, la viande de boucherie, est mauvaise; la volaille, à

(i) On appellait ainsi , dans l'origine , îe do- micile àQs, chasseurs boucaniers. L'espèce d'homme à disparu , mais les noms ont resté , comme on peut le voir sur une carte de Saint- Domingue , l'on trouve beaucoup de houcans et de trous , tels que le irou magot, le sale trou , etc. Ces dénominations basses et triviales prouvent à quelle espèce dliommes la colonie doit sa nais- sance. Il est encore en usage de se servir dm mot boucaner pour rôtir.

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A Saint-Domingue. 187

Texceptlon de îa pintade , «""est guères RT:nl!eure. Le porc est excellent, et le gîhier , (jiii ronsiste en coclion marron ou sauvage et en ramiers , est très cher et dif- ficile à se procurer. Le poisson de mer n abonde point , et se réduit à trois ou quatre espèces; celui de rivière est plus rare encore.

Vous voyez donc, Monsieur, que Pla- ton ne serait point admis à faire aux co- lons de Saint-Domingue le reproche qu''il fesait aux habitans de la Sicile, qu'ils mangent comme s'ils n'avaient qu'une heure à vivre , et bâtissent comme s'ils ne devaient jamais mourir.

Pour les légumes , quand on sait les cultiver , on les mange ici meilleurs , mais point aussi variés , ni en aussi grande abondance qu'en Europe. Le pays fournit une espèce d'épinards et du gom- baud, dont on fait ces calaloux si vantés par les créoles , et qui sont en effet un excellent met. On y joint aussi le bour- geon du bois-patate ^ du piment et de l'ail.

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Mais rien n'égale le choux- palmiste pour le goût et la délicatesse. 3Ialheu- reus^ment, il n'y a point d'autre moyen de le cueillir que de couper Tarbre par le pied, et cet arbre, très-long à croître, est une, des richesses de Thabitant. C'est d'après ce procédé , dont quelques voya- geurs ont rendu compte, sans en moti- ver la nécessité , que Montesquieu a cru pouvoir comparer le despote au sauvage qui abat l'arbre pour en avoir le fruit (i), Vous voyez , Monsieur , combien la com- paraison porte à faux.

Les créoles ne me pardonneraient point de passer sous silence l'igname, le choux caraïbe , la patate , et leur chère banane sut-tout. Ce fruit, dont tous les voya- geurs donnent la description, est com- mun à l'Asie, à l'Afrique et à FAméri- que méridionale. C'est la véritable mane de ces trois parties du monde. Les habi- tans de Madère ne doutent point que la banane ne soit le célèbre fruit défendu

(i) D^ l'Esprit dei Loix , livre 4. chapitre

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A Saint-Domingue. 189 de la Genèse. Ce qu'il j a de certain, c'est qu'elle a , par sa forme, une sin- gulière analogie avec celui dont la gour- mandise d'Eve nous fait payer si cher la digestion. Aussi, la Minerve libertine des Ovides de la colonie , ramène-t-elle _, aussi souvent qu'elle le peut , la banane , comme objet de comparaison dans leurs couplets, toujours un peu licencieux , mais pleins de naïveté et de grâces.

Le menu du maître d'hôtel doit vous avoir paru assez long. Je vous renvoya pour l'igname, la patate , le choux-ca- raïbe à l'histoire naturelle et aux voya- geurs. Je me contenterai simplement d'observer qne ce qui prouve que ces trois productions ne sont point indigè- nes, àSaint Domingue , comme bien des gens le croyent , c'est qu'on ne les ren- contre jamais dans les parties encore in- cultes , à l'exception d'une sorte d'igname sauvage que l'on trouve assez rarement. La même observation convient aux fruits, tels que l'ananas , l'orange douce , la sapo- tille, l'avocat, etc. Les seuls arbres fruitiers

140 Voyage

que l'on trouve dans les bois , sont le goyavier ou gouyavier, Toranger amer, et le citronier, dont le fruit de la gros- seur d'un œuf de pigeon est plein de suc*

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A Saint-Domingue. 141

LETTRE XIII.

Jacmel. Mai, 1789.

J 'ai coupé ma journée en deux, mon- sieur, afin qu'elle vous parût un peu moins longue qu'à moi.

J'ai laissé les autres dormant et moi lisant. Ils s'éveillent , je quitte mon livre, et l'on passe le reste de l'après-midi comme on peut, jusqu'à ce que les rayons du soleil, moins perpendiculaires, permettent de profiter du retour de la brise , qui manque rarement de se lever vers cinq ou six heures du soir ^ mais non pas avec le degré d'exactitude que lui assignent quelques voyageurs , car il y a des jours elle s'absente tout-à-fait.

Cette heure est celle de la promenade, et sur-tout des visites. Je préfère autant

que je peux Tune aux autres sans

doute parce que j'ai plus besoin de mar- cher que de parler : l'un et l'autre de ces plaisirs a ses inconvénieus. L'heure

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^42 Voyage

Ion sort est aussi celle de la proiiree. nade des Maringouins. Cet insecte , gui s'est fait une grande, réputation dans toute r Amérique , dit l'auteur de J 'his- toire de la Louisiane (i) , se jète de pré- férence sur les nouveaux Venus, dont le sang moins appauvri, leur offre, dit^on, une pâture plus délicate. Quel que soit le motif de cette préférence, eVie est ex- trêmement à charge à ceux qui l'ob- tiennent , et qui , quoiqu'ils fassent , ne sauraient échapper au dard de ce per- fide animal. Il faut être acclimaté, c'est- à-dn^e, avoir passé ^\^ mois au moins à Saint-Domingue, pour être débarrassé de ce fléau.

Il faudrait à-peu-près le même espace de tems pour s'acchmater au ton de ce que Ton nomme la société , si l'on arri- vait ici avec l'espoir de la trouver telle qu'on l'a laissée en Europe. Comme tout le monde est habitant, on a la prétention de le devenir ; il est tout simple que cha-

(i) Tome 2^ chapitre 4.

rrt?Bfr«rt^?rî«2fi-fe.

A Saint-Domingue. 143 cun parle de ce qui l'intéresse; de sorte que l'on n'a pas plutôt cessé de parler de ses nègres , de son coton , de son sucre , de son café , que J'on reparle co- ton, sucre , café, nègres. Toutes les con- versations commencent, se soutiennent, finissent et recommencent par-là. Pour l'étranger qui débarque ici avec le pro-^ jet de s'instruire promptement ^ rien n'est plus avantageux. Il est rare que les opinions s'accordent ; il arrive même d'entendre déraisonner des deux côtés ; mais comme le choc de deux erreurs fait quelquefois jaillir une vérité, l'obser- vateur attentif en profite.

Vous vous imaginez bien aussi que chacun apporte sa dose de préten- tions ; mais , sur quoi la crojez-vous fon- dée ? Sur rétendue de ses possessions? Sur les progrès que la culture doit à ses lumières , à ses découvertes ? Sur la con- sidération dont sa conduite le fait jouir parmi ses voisins ? Non , monsieur , mais bien sur l'espèce de denrée qui fait son rt^venu; de sorte que le cultivateur café-

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144 Voyage

tier ne manque pas de rendre au culti- vateur cotonnier le dédain avec lequel le cultivateur sucrier l'écoute. Le nombre de nègres entre aussi pour beaucoup dans le degré de considération auquel il est permis de prétendre. On compte ici par nègres , comme en Hollande, par tonnes d'or. // a cent , il a deux cents , il a trois cents nègres ! c'est tout dire : on ne peut rien ajouter à cet éloge.

Le mélange des sexes , qui fait ailleurs un des premiers charmes de la société lorsqu'aucun n'usurpe le caractère de l'autre^ n'ajoute ici rien à son agrément. Les femmes Européenes ne vojent guères les créoles que pour se moquer d'elles, sur-tout lorsqu'elles n'ont pas été élevées en France ; celles-ci ne vojent guères dans les autres que des bégueules; taudis que les hommes, qui ne trouvent que ra- rement 5 et chez les premières sur-tout, le degré de sensibilité dont les mulâtresses se piquent, les laissent gémir entre elles sur la décadence de l'ancienne courtoisie, et la dépravation des goûts de notre sexe.

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A Saint-Domingue. 145

La langueur que cette monotone ma-, nière d'être jeté dans le commerce de la vie , n'est corrigée ni par l'instruc- tion , ni par les taiens , ni même par le goût de la lecture. Des colons, pour se disculper de leur ignorance , ont eu la mauvaise foi de débiter en France qu'il était impossible de conserver des livres à Saint-Domingue. On a eu la bonté de les croire ; des écrivains se sont empres- sés de débiter cette sotise comme une chose fort extraordinaire; et moi, mon- sieur , je vous dis qu'il n'y a d'extraor- dinaire en cela que la facilité avec la- quelle on a cru à ce mensonge.

J'ai ici des livres brochés et reliés , qui sont aussi intacts que le premier jour de mon arrivée. Il est vrai que j'en ai soin; mais c'est une attention qu'il faut avoir par-tout , car par-tout les livres que l'on abandonne dans le coin poudreux de quelque galetas , en proie à la poussjè]'e et à l'humidité , lii:iis.sent , comme ici 5 par devenir la proie des vers. Enfin , ici comme par-tout , la véritable manière do

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X46 Voyage

conserver des livres , c'est de les lire. De quel genre d'ailleurs pensez -vous que soient ceux que Ton y apporte? Margot la Ravaudeuse est un des plus décents. Croyez que , quelque négligées que soient ces productions du vice crapuleux, elles sont encore moins dévorées des vers que leurs lecteurs, par la corruption qu'elles engendrent.

C'est ordinairement après le coucher du soleil 5 qu'ont lieu chez les gens de couleur ces danses les femmes sur- tout déplojent une telle justesse d'oreille, une telle précision de mouvement , une telle volubilité de reins , qu'à peine l'œii peut-il saisir quelques nuances du fugi- tif et rapide développement de leurs grâces lascives.

Le gragement et la chicca tiennent le premier rang parmi ces danses , que l'on peut véritablement appeller de ca- ractère. Jamais la volupté en action ne tendit de piège plus séducteur à l'avide amour du plaisir. Aussi, danser chicca^ est-il le bonheur suprême ; et je confesse ,

A Saint-Domingue. x^j avec beaucoup de confusion _, que l'aus- térité de mes principes ne va pas jusqu'à ni'inferdire ce singulier spectacle toutes les fois que je suis à portée de le voir.

L'orchestre est composé d'un ou deux violons, bien supérieurs pour le talent qu'exige leur emploi , à la plupart de nos râcleurs Européens. Ils ont encore sur ceux-ci l'avantage de n'être pas les ins- trumens passifs du plaisir des autres; car ils entrent si bien dans le sens de la chose , que la partie de leur corps qui est assise , frétille, dans un accord parfait , avec le pied qui bat la mesure et le bras qui con- duit l'archet.

Ces mulâtresses qui dansent sijbien, et dont on vous fait des portraits si sé- duisants ,sont les plus ferventes prêtresses de la Vénus Américaine. EUes ont fait de la volupté une espèce d'art mécani- que, qu'elles ont porté à son dernier point de perfection. L'Aretin ne serait auprès d'elles qu'un écolier ignare et pudibond.

Leur taille est, en général, grande; leurs formes bien moulées ; leurs mou^

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148 Voyage

Teinens dédn^andés k force de souplesse» Elies joignent à Finilamiiiabilité du sal- pêtre, une pétulence de désirs qui, au îîiépris de toute considération , leur fait poursuivre, atteindre, dévorer le plaisir, comme la flamme d'incendie dévore son aliment ; tandis que , hors de-là, ces mêmes bacchantes , qui se partageraient avec fureur les restes palpitansdu malheureux Orphée (i) , semblent avoir à peine la force de traîner leurs membres et d'ar- ticuler leurs paroles.

Ce sont elles qui sont les ménagères^ c'est-à-dire, lorsque leur âge le permet, les concubines en titre de la plupart des blanc%célihataires. Elles ont de l'intelli- gence dans l'économie du ménaee; assez de sensibilité morale pour s'attacher in- variablement à un homme , et une grande bo'îté de cœur. Plus d'un Européen,aban- donné de ses égoïstes confrères, a trouvé chez elles les soins de la plus tendre , de

(i) Voyez la fin du quatrième ChanI: des Qeorgicpes de Virgile.

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A Saint-Domingue. 149

ïa plus constante , de la plus généreuse humanité, sans qu'il s'j soit mêlé d'autre sentiment que celui de la bienfaisaDce/

Leur conversation est insipide dès qu'elle cesse d'être libertine , et c'est moins leur faute que celle des liomnies qui les fréquentent. Capables de tous les Drocédés d'un sentiment délicat, peut- être ne leur manque-t-il pour être véri- tablement aimables , que le desré d'ins- truction nécessaire pour savoir tourner au profit de l'esprit et du cœur , celte surabondance de sensibilité dont elles abusent , faute de savoir en varier Tusape, Je m'en rapporte à cet égard à ceox qui portent, dans leur commerce avec elles, assez de discernement pour être en état de les juger. Quant à moi , j'avoue qu'à cet égard je suis obligé de m'en rappor- ter au témoignage d'autrui.

Si la beauté peut se passer de la frai- clieur , de l'éclat , du coloris de fa carna- tion, il y a de belles mulâtresses. On en trouve cependant peu qui joignent à des jeux régulièrement beaux, f exprès-

i5o Voyage

sion qui les rend plus beaux encore ; et si elles rachètent cette privation par de belles dents, comment suppléer au pour- pre des lèvres, aux charmes de détails, au contraste des nuances qui , depuis l'aîmable incarnat dont le front de la pudeur ingénue se colore^ jusqu'à Tin- téressante pâleur qui trahît la profonde sensibilité d'une afï'ection douloureuse, sont une source intarrissable de beautés! Les mulâtresses sont adroites , mais paresseuses. Celles qui joignent Tordre à l'intelligence , manquent rarement de faire fortune. Elles emoloieront un mois en- tier à coudre une chemise , mais ce sera la perfection de la coulure. Elles aiment le luxe , il porte témoignage à leur beauté; mais il faut se méfier de l'enthousiasme avec lequel on exagère leur magnifi- cence. Leur coëffure favorite est un mou- choir des Indes qu'elles nouent autour de la tête. Le parti qu'elles tirent de ce chiffon est incrojable , et fait le déses- poir des Européennes qui veulent les imiter 5 et qui ne vojent pas qu'il est

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A Saint-Domingue i5r

impossible que les couleurs dures et tran- chantes, faites pour animer le teint mo- notone et livide des mulâtresses , ne contrastent pas d'une manière trop pro- noncée avec l'albâtre et les roses. Elles ont le goût assez sûr dans le choix des étoffes dont elles s'habillent , ou des bi- joux dont elles se parent , et qui , pour le plus grand nombre , se réduisent à des pendans d'oreille d'or pur ou émaillé. Une plus grande recherche dans leur toilette ne conviendrait point à leur nonchalance.

Si ce portrait diffère de ceux que vous avez vu ailleurs , souvenez -vous, Mon- sieur, que je le crayonne sur les lieux, que le modèle est devant moi , et que je n'ai ni le talent , ni l'ambition^ de faire de beaux portraits de fantaisie.

Je pars dans quelques jours pour aller m'établir sur une habitation je trou- verai un nouvel ordre de choses. Mon goût pour la campagne et la Solitude me fesait attendre avec impatience le monient de pouvoir m'y livrer tout en-

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Voyage

tier. L'habitation je vais a été jus- qu'ici négligée dans tous les points , ce qui offre , à mon industrie , un vaste champ pour les expériences qui aideront beaucoup à rectifier ce que j'ai déjà ac- quis de connaissances théoriques.

A Saint-Domingue. i53

LETTRE XIV.

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Au serf. Juillet , 1789,

J 'Al bien tardé à vous écrire , Monsieur , depuis ma transplantation dans le Désert^ car c'est ainsi que j'ai nommé îe lieu que j'habite; aussi , ai-je tant de cho es à vous dire, que je ne sais par commencer.

Nous partîmes de Jacme! , madame de L'*^'^'^ , sa fiUe , et la nounice en voi- ture ; trois^négresses , un nè.^re , un né^ griilon à pied , et moi à cheval.

Nous suivîmes pendant une lieue et demie le vallon étroit et sinueux à tra- vers lequel court le torrent qui donne son nom au quartier de la Gosseiine. Cette espace offre tantôt des habitations , dont aucune , à une sucrerie pvh^ , n'est d'un revenu considérable ; tan rôt des bois couronnnés de rochers , et rarement in- terrompus par quelques pâturages, que Ton nomme i«i des Savanes,

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104 Voyage

Si cet(;e étendue de pajs était habitée comme elle devrait Têtre , et que les pro- priétaires sussent profiter des sites avan- tageux que le terrain leur offre pour y placer leur manoir , il est certain qu'a- vec tant-soit-peu d'intelligence à secon- der la nature , Faspect en serait tout autrement agréable.

Cette négligence provient d'abord d'un défaut de goût , assez commun chez les habitans de la campagne, ainsi que d'un vice , dont on ne saurait trop définir la nature , mais qui fait qu'au lieu de ci- toyens , il n'y a à Saint-Domingue que des passagers , plus occupés à se pré- pareras moyens d'en sortir, qu'à se pro- curer ceux d'y passer une vie agréable et douce.

Ce vice , ce mauvais esprit , qui heu- reusement n'est pas celui de toutes les colonies , fera à jamais de celle-ci un séjour d'autant plus désagréable, que les privations, les désagrémens de tous genres, auxquels le climat et l'esclavage soumet- tent les habitans , ne sont^ompensés par

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A Saint-Domingue. i55 aucune des ressources d'agrément que procure ailleurs le commerce deiasocieté. A peine , dans la partie que j'habite , se connait-on entre voisins. Des préten- tions rarement fondées, ou ridicules ; des jalousies de fortune , plus ridicules en- core ; des démêlés d'abornemens , d'u- surpation de terrain , qui ne devraient point exister si messieurs les arpenteurs , que l'on paye cependant très-cher (i), savaient ou fesaient mieux leur métier ; enfin , des dégâts causés par les nègres ou les bestiaux , entretiennent une mésin- telligence 5 ou tout au moins une tiédeur qui inderdit une communication réci- proque , et comme il n'y a rien de si triste que le solitaire qui ne l'est point par goût , ni rien de plus exigeant que celui dont rien ne justifie les prétentions, il ne faut pas s'étonner que chaque hi- bou reste dans sa masure , ni qu'il règne tant d'insociabilité chez des hommes aussi peu socic^bles.

(i) L arpentage d'une concessiozi revient ordi= ïiairemenl à près de mille écus.

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ïS6 Voyage

Cela n'était pas de même autrefois, L'orqu'un nouveau quartier s'établissait, réîoîgnement des ports , la rareté des liabitans, le plaisir de revoir des com- patriotes , le souvenir des secours que Ton avait reçu des autres , formaient , entre les établis et les établissans , un commerce de procédés , d'où naissait un degré de liaison , dont le besoin et la cm-iosité fesaient la base , et que i'habi- bitude cimentait.

C'est alors que régnait ici cette Hos- pitalité célèbre, disparue avec les causes qui en avaient fondé le besoin. Les choses ont bien changé de face à cet égard. Dans les quartiers anciennement établis, on ne va plus au-devant de celui qui arrive avec l'empressement de la joie; on ne le reçoit plus avec la franche Cordialité des vieux tems. Entre proches voisins même, si l'on se voit encore^ on ne se cherche plus. Si vous voyagez, on vous reçoit , on ne vous accueille plus. Si vous avez besoin de chevaux , pour continuer votre route , on attend que

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A Saint-Domingue. 157

.Vous les demandiez , on trouve des pré- textes à un refus on vous les offrait

autrefois! on seTSLjTort aise de vous voir arriver , mais on sera chamié de vous voir partir.

Je vous ai indiqué , Monsieur , une des causes de cette révolution ; les autres ne sont pas difficiles à deviner, quand on sait combien la fortune influe sur les

mœurs , et combien il est rare de trouver

t de la sensibilité pour des besoins que l'on

n'éprouve pas.

Je viens de faire un érart qui m'a jeté hors de ma route ; revenons-j.

Lorsque nous fûmes arrivés au pied des montagnes , le cheiîiin étant imprati- cable pour une voiture , madame de L"^"*""^ monta à cheval , et les enfans furent al- ternativement portés par les négresses.

L'ensemble de ces montagnes ne pro- met rien de flatteur par-tout elles ne sont pas couvertes de bois ; leur pente rapide est revêtue d'un tuf grisâtre qui annonce , dit-on , qu'elles renferment des métaux Ainsi , ces métaux cor-

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niplears dévoreLit jusqu'à surface de la terre qui les recèle ! Le s'gne de nos richesses se niaDifeste par la stériliré. et le coffre-fort de la nature ressemble à celui de l'avare ! Il est bien extraordi- naire de Toir un auteur , tel eue celui des Etudes de la y a tare , disputer aux montagues de SaiDt-Domingue le tri.^te avantage de renfermer de> mines d"or.

Ce çiîil y a de cert.

d:r-il . tome

2 , Etude ic. paie 244 , c'est eue quchid

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■fhe CcJomh decouu-'rit les An-

titles y il troui-a Lieu chez leurs i?2su- ijires de Ver de mauvais aloi , cui fro- renait du ccmmerce qu'ils ai.' aient arec les halitans de la terre-ferme , mais il n'y en ai ait point de mines dans leur territoire, Tue 31. de Saint- Pierre consulte firi^trire . n verra qu"à Saint-Domingue seule on a tiré , des mines de Cibas , plus d'or qu'il nV en a aui<^urd*hui en ciiTulation dans toute l'Europe : et comment supposer que des peuples qui avaient ce pareilles mines sous k main . et chez lesquels on n'a

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A Saint-Domingue. x5g

pas trouvé une nacelle au moment de la découverte , eussent été chercher leur or sur la terre-ferme ?

Ce ton de couleur désastreux , joint à l'entassement confus et bizarre de ces masses incohérentes , leur donne un air de désordre et de vestuté qui n'offre que la triste image de la ruine et du chaos. Cette partie du nouveau monde a l'air si vieille , qu'eu supposant que le sys- tème de Thaïes pût ra'sonnablement s'ad- mettre , je ne balancerais pas à pro- noncer que Saint-Domingue précéda de quelques siècles les autres productions de rOcéan.

Du pied de la montagne au Désert, on compte à-peu-près une lieue que l'on fait en rampant autour de ses sinuosités , par un chemin très-étroit , mal dirigé , mal entretenu , qui suspend par fois le voyageur sur le bord d'un abîme , mais l'on trouve quelques points de repos om- bragés où la caravane reprenait haleine»

L'arrivée au Désert ne nous offrit rien de déduisant. Un glacis à sécher le café^

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i6o Voyage

un moulin à grager ^ une grand'case qui tombe en ruine, deux autres, tout ^ussi caduques , dont Tune sert de cuisine et la seconde de logement à Féconome ; un four-à-chaux ^ un vestige de jardin , un pigeonier branlant sur les quatre pilliers qui le supportent^ le tout entassé au hasard , sans choix , sans ordre , sans combinaison, dans un entonnoir qui n'a qu'une seule échappée de vue ; voilà , Monsieur, celle de notre séjour dessinée d'après nature ; ajoutez-v une douzaine de huttes de nègres perchées sur le dos- dâne d'une des arêtes de la montagne, et le tableau sera complet.

Nous trouvâmes le sol de la grand'case , dont vous connaissez déjà la distribution ^ tellement miné par les rats , que l'on y enfonçait à mi-jambe. Il fallut le dépaver, et combler cet abîme avec des terres rapportées. Madame de L"^"^"^ , accou- tumée à Félégante aisance de Paris , quoique prévenue de l'état elle trou- verait sa maison de campagne ^ avait de la peine à retenir ses larmes à la vue de

l'espèce

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A S A I N T - D O M I N G U F. iv» .

l'espèce de Tliébaïde qu'elle allaif; ha- biter. « Eassurez-vous , lui dis-je : je n'ai pas la baguette d'Armide ; mais , avec des arbres, de l'eau , des bras , et la végéla- tion de Saint Domingue , si je ne change pas ce désert en Elysée , j'en rendrai du moins le séjour supportable )>.

Une faute commune à tous les habi- tans qui commencent à s'établir , est d'abattre tous les bois à cent toises au- tour de leur établissement , lequel reste ainsi en proie à la double action du soleil et de la réverbération d'une terre qui , dépouillée de tout abri , ne tarde pas à renvoyer une chaleur égale à celle de la calotte d'un four alumé.

On justifie ce mal-adroit procédé , comme toutes les autres balourdises , par de mauvaisesraisons: on dit que le trans- port des matériaux étant très-pénible , il faut se servir de ceux que l'on a sous la main : on dit que les ravages des oura- gans rendraient le voisinage des arbres dangereux, etc. Vous voyez bien, Mon- sieur^ que l'une de ces raisons n'est que

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Voyage

l'excuse de îa paresse ou de rîmpré*- voyance ; l'autre celle de la sotise , puis- que y pour préserver les bâtimens du danger la chute des arbres , il suffirait de mesurer sur leur élévation la dis- tance à laquelle on peut les laisser sub- sister.

Le jour de mon arrivée ici j'avais vu avec plaisir qu'un très-bel Avocatier (i) avait échappé à la hache des barbares, précisément dans un endroit que la na- ture du terrain et le voisinage de l'eait rendait très-propre à être embelli , sans aucun frais qu'un peu de travail. Le len- demain, à mon réveil, le premier objet qui me frappa , fut cet arbre gissant tout de son long dans la poussière. Je courus

dénoncer ce crime à l'économe

c'était lui qui l'avait ordonné ! La dé- pouille de mon bel arbre allait servir à former l'entourage d'un terrain destiné à

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Voyez la description de cet arbre et de son fruit dans le nouveau T^oyagè aux îles Françaises âe Sai?it'Do7nwgue , XoiTLQ I , ch?i-^i\re 1^, û

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A Saint-Domingue. i6^

un parc pour les chevaux et iîj avait,

à deux cents pas delà, plus de bois qu'il n'en faudrait pour construire une flotte!

Je vous cite cet exemple pour venir à l'appui de ce que je disais.

On avait envoyé ici une assez grande quantité de volailles de toutes les espèces.

A notre arrivée , nous ne trouvâmes presque rien. Les dindons , que les jé- suites n'ont civilisés qu'à leur corps dé- fendant , se sont hâtés de regagner les bois ; les poules , abandonnées à leur intelligence, s'étaient dispersées dans les caffiers elles pondaient, elles cou- vaient , elles couchaient, et leurs œufs , leurs poussins , et elles , étaient la proie des nègres, des rats et des cou- leuvres , ainsi que les canards.

"Lorsque je fis mes représentations à cet égard à l'économe*, il me donna pour raisons que c'était l'usage , et que le soin de la volaille détournerait un nègre ou une négresse , c'est-à-dire , qu'il les ôterait à des travaux plus essentiels. Je Ivji répondis qu'il fallait corriger unmau-

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ï54 Voyage

vais usage par un bon ; qu'avec un sem- blable régime, nous finirions par mourir de faim , que le but essensieî du travail des nègres était de nous faire vivre avant de nous enrichir , etc.

Je mis donc ordre à ce désordre. Je réparai moi-même un vieux poulailler ; je fis enlever pendant la nuit toute la volaille , que j'y renfermai l'espace de quelques jours. La basse-cour s'est très- accrue ; les poules , donî; la ponte n'est presque jamais interrompue , couvent deux ou trois fois par an ; nous sommes abondamment pourvus et d'œufs et de poulets ; l'économe commence à com- prendre que j'avais raison, et je lis dans ia contenance satisfaite des coqs , qu'ils me savent gré d'avoir pris sur moi le soin d'établir Tordre et de maintenir la police dans leur sérail.

Quant aux élèves de la société de Jésus , par un raffinement de friandise, dont vous m'auriez pas cru susceptible , je les ai laissé dans les bois , parce que la vie sauvage bonifie leur chair. Lorsque

A Saint-Domingue i65

nous voulons en manger un , je prends mon. fusil , je vais à la chasse , et je rap- porte un coq-d'inde , comme on rap- porte ailleurs un coq de Bujère ou une perdrix.

Le délabrement du colombier a aussi rallumé mon ancienne passion pour cette branche de Téconomie rurale. J'ai volé au secours des amis de ma jeunesse. Je leur ai prodigué tous les soins qu'exi- gent la propreté et la salubrité de leur domaine , et je me suis livré à ce travail avec tout rintérêt attaché à une occu- pation qui réveillait en moi des souve- nirs bien chers.

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LETTRE XV.

Au Désert. Août, 1789.

I ma propre satisfation pouvait me dicter un vœu qui ne s'accordât pas avec votre bonheur, j'aurais voulu , Mon- sieur , que vous eussiez été ici à la récep- tion de votre paquet, pour juger du plai- sir qu'il m'a fait. Le jour de son arrivée fut solemnisé comme un jour de fête ; on dispensa les nègres du travail, on les régala de viande salée _, de morue et d'eau-de-vie. On leur permit de danser mi calenda., sans qu'aucun d'eux se dou- tât que c'était à des lettres de Paris qu'ils devaient tout cela. Aussi, pour satisfaire votre curiosité , vais-je consacrer ma journée à vous parler d'eux.

Vous n'osez point me reprocher de ne l'avoir pas encore faii, et vous avez raison'. Assez, de gens ont cru qu'un sé- jour de quelques mois suffisait pour les connaître. Ils ont, d'après cela, entrepris

A Saint-Domingue. 167

de tracer leur portrait avec un ton cFas- surance qui en impose même à celui qui a vécu des années entières au milieu de cette espèce d'hommes, à la vérité, comme un bûcheron vit au milieu des forêts, sans voir autre chose que bois dans les différentes espèces d"'arbres qui les composent-

Gependant, les moins étourdis de cc5 peintres ont distingué le nègre Africain du créole, et cette distinction^ absolu- ment nécessaire, annonce au moins du jugement.

Cest du premier que je m'occuperai, c'est le véritable nègre. L'autre n'est que le singe noir et malin de son maître, dorit il ne copie guères que les vices* Esclave , que feroit-il des vertus d'un homme?

ce Abominables chrétiens, s'écrie Vol- taire! les nègres que vous vendez douze cent francs , valent douze cent fois mieux que vous (i) >5 !

(i) Œuvres compleiies , iome 58 , lettre 124*.

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i68 Voyage

Si cette exagération n'est pas la seule, èlieest bien certainement la plus exagérée tîe toutes celles que l'on doit à la bilieuse humanité de ce grand et vilain homme.

Le nègre , Monsieur, est beaucoup phîs difficile à définir qvie Ton ne pense. Pour le faire avec succès , il faudrait l'avoir étudié dans les différens périodes de sa vie; savoir, s'il était en Afrique libre ou serf, riche ou pauvre, chasseur, agriculteur^ artisan , pêcheur, pasteur, prêtre , artiste ou guerrier.

Il faudrait Tavoir vu dans sa patrie, dans ses propres foyers ; l'avoir suivi cians les habitudes de sa vie privée, au sein de sa famille , sous FactiGn du gou^ vernement, des loix, des usages , delà religion , des préjugés de son pajs. Savoir quelles étaient ses relations, ses goûts, son régime, ses travaux, ses plaisirs eb ses peines.

Il faudrait alors comparer son état présent à son existence passée; observer 1-influence de sa transplantation sur son tempérament , sur ses idées, sur soj^

A Saint-Domingue. 169

humeur , sur le degré de sensibilité dont ij est SQsceptible.

Il faudrait encore distinguer ce qui appartient à l'espèce en général du ca- ractère particulier de l'individu. Savoir s'il a laissé dans son paj^s un père , une mère, une compagne, des enfans^ des amis. Il faut étudier, connaître, appro- fondir l'impression que fait sur lui la cer- titude d'être arraché pour toujours aux , lieux qui font vu naître , à tout ce qu'il aimait. Enfui, Monsieur, si on veut le juger sur les règles les moins fautives , il faut, ce me semble, absolument sé- parer l'homme de la circonstance de l'homme , de la nature et de l'éduca- tion.

Je crois cette ttiche très-difSciîe àrem^ plir; je doute qu'elle l'aje jamais été, et je suis très- sûr qu'elle ne le sera point par moi , qui pense, déjà entreprendre un ouvrage au-dessus de mes forces , en ne hasardant qu'une simple esquisse.

Ce qui prouverait que le nègre n'est pas mieux connu de ses panégyristes que de

î7a Voyage

ses détracteurs , c'est Pexlrême disparafe de leurs jugemens. Il est toujours cbez Fun tout ce qu'il n'est pas chez l'autre. Il suffit que l'un lui refuse une faculté, une vertu, pour que l'autre la lui accor- de. Ce n'est pas le moyen de s'entendre. Les habitans qui vivent avec eux, sans s'embarrasser de les connaître, les con- naissent mieux que celui qui se charge de les définir, par la raison qu'ils ne jugent pas ^ comme lui , du tout sur quelques exceptions. Ne craignez pas qu'ils achètent un mondongue pour wn sénégalais , un ibho pour un arrada.

Le nègre est à-peu-près comme nous, bon on méchant , avec toutes les modi- fications qui nuancent ces deux extrê- mes. Ses passions sont celles de la na- ture brute: il est luxurieux sans amour, et gourmand sans délicatesse. La femme n'est pour lui qu'un instrument de plai- sir. Quand il a faim, il lui est assez in* différent de manger un morceau de cha- rogne , ou un poulet , un crapaud , ou

il

A Saint-Domingue. 171

une pintade (i). Il est paresseux, parce qu'il a peu de l'espèce de besoins que le travail satisfait, et qu'il ne conçoit ou ne veut concevoir, ni la nécessité de tra- vailler pour nous , ni la justice de le faire ^ sans autre rétribution que des coups de fouet.

Il aime le repos, non pour en jouir à notre manière , non pour retrouver dans le calme les jouissances morales qu'in- terrompt l'activité physique, mais pour ne rien faire, car ne rien faire a tou-

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(i) Les sauvages de TAmérique n'ont pas le goût plus délicat. « Je les al vu , ai!- Lebeau , ra- masser des chats et des chiens pourris qiie l'on avait jette dans la rue. Un jour enîr aulres , je vis un Huron charger sur ses épaules un cochon jnort de maladie , et c|ai commençait à infecter lair de sa puanteur ; ils avalent des grenouilles entières 5 ils font sécher les intestins des chevreuils sans les vider , et y trouvent , en les mangeant , le même goût que nous trouvons à ceux des bé- casses ». Ai^ajiiurQs du sieur Lebeau , tome 2, chapitre 25. ,

à

172 Voyage

jours été la première passion de tous les

peuples de Ja zône-torride (r).

Il 23 e sait ni former, ni rompre, sans savoir pourquoi , ces liaisons insignifian- tes qui n'ont pour objet et pour garans de leur durée , que Fintérêt ou la conve- nance du moment.

Il n'aime ni ne hait liabiluellement , mais lorsqu'il fait fun ou l'autre, c'est avec frénésie. Quelques-uns ont le carac- tère tour-à-tour bas et vain , souple et dur, féroce et timide du despote, ou de 1 esclave. Ils couvpnt la vengeance, ou Pexhalent en menaces. Mais voulez-vous voir ces lanceurs de foudre à vos pieds ? Montrez-leur la pointe d'une aiguille.

Les nègres ne sont généralement ni

(i) Je pourrais ajouter : de tcu3 les peuples esclaves, quelque climat qu'ils hd^itent, tels que les paysans Russes , qui passent communément les jours de fêies dans leurs poêles ou debout devant la porte de leur maison , roisivelé étant pour eux une espèce de plaisir égale aux jouis- sances delà volupté. Voyez Chappes d' Aiiie roche j Voyage en SiO^riç ^ iomç I ; pag€ 3i6.

A Saint-Domingue. 173

dissimulés , ni faux , ni perfides. On trouve quelquefois parmi eux un fripon qui aura été en Afrique , ou médecin , ou prêtre, ou sorcier ^ et c'est alors un homme très* dangereux.

Il faut 5 dans la manière de les con- duire, leur imposer des devoirs très-sim- ples, des loix très-claires, et les y assu- jétir avec beaucoup d'exactitude, mais avec une extrême justice, car l'indul- gence n'est pour eux que de la faiblesse ; l'injuslice un défaut de jugement qui pro- voque leur tiaine ou leur mépris. J'ai voulu faire, par moi-même, plusieurs expériences qui m'ont parfaitement con- vaincu delà justesse de cette observation. Soit qu'ils n'ajent que des idées fausses ou confuses sur le tien et le mien; soit que le défaut de prospérité leur en fasse méconnaître îe droit; soit qu'ils suppo- sent que l'état d'esclavage les fait rentrer dans l'état de nature , tous les biens sont communs , la plupart des nègres sont voleurs. . Coinme tous les hommes dont la reli-:

174 Voyage

gion se réduit à quelques pratiques supers- tieuses, ils n'ont nulle idée d'une morale conventionnelle. Ce qu'un nègre a de bon, appartient tout à la nature La coupable négligence des habitans à l'instruire des principes simples et fondamentaux du christianisme, le laisse vivre, vieillir et mourir dans son ignorance natale. Quand on en a rassemblé un certain nombre on les mène à l'église , sans qu'ils sachent ils vont. Un prêtre les baptise sans qu'ils sachent ce qu'on leur f^iit, et les voilà chrétiens (13. Le résultat le plus

(I) Ceci poLiri:ait paraître suspect dans la bouche dim profane tel que moi ; il sera donc plus curieux et plus satisfaisant d entendre parler un missionnaire célèbre.

« Lorsque f apprends qu'il est arrwe' des es- claçes dans mon quartier, dit le père Labat, je vais les voir , et je âàmmence par leur faire faire le signe de la croix , en conduisaiit leur main, et puis je le fais moi-même sur leurjront coimne pour en prendre possession au nom de Je sus- Christ et de son église. Le nègre qui ne comprend rien à ce que je fais ni à ce que Je ^is, oupre de grands yeux et paraît tout interdit».

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A Saint-Domingue. 175

clair de cette cérémonie est, pour eux, leur changement de nom. On dit au nègre Maziniho qu'il s'appellera désor- mais Eustache, Ses organes , accoutu- més à chanter une langue harmonieuse et douce, se refusent à l'expression de ce mot barbare ; il Toublie à mesure qu'on le lui répète, et l'infortuné s'af- flige de ne plus s'entendre nommer du nojn dont l'appellait sa mère! J'observe que toutes les fois que les nègres sont entr'eux, ils ne se servent jamais de leur nom de baptême. Malgré Tespèce d'or- gueil que leur inspire , dit-on , l'hon- neur d'être chrétiens, j'ai cru m'apper- cevoir que ceux qui affectent d'j atta- cher un certain prix, le font plus dans

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Le missionnaire convient ensuite que les nègres , « ji' entendent pas filus ce qucn leur apprend , que ne J'erait un perroquet à qui on Vaurait appris de même , et que cela pourrait lui faire naître quelque scrupule, s'il neiait ras- suré par ces paroles du prophète roi, homines et jumenia salçahis domine.

176 Voyage

l'intention de plaire à leur maître qtie par aucun autre m otifè

Il vous paraîtra tout simple > Monsieur, <]|ue le nègre s'occupe peu de Favenir. Que péut-il lui promettre? Aussi sa pré- voyance n'atteint-elle guères au-delà de sa vue. Ce n'est qu'à force de tenis et . de persévérance , que Ton parvient à lui persuader qu'il est de son intérêt de cul- tiver son jardin, et de conserver, pour s'en couvrir la nuit, le vêtement qu'il jeté le jour*

Ce qui paraît en mpme-tems singu- lier et contradictoire, c'est que, sensible au plaisir jusqu'à la frénésie , il supporte avec un calme qui le ferait croire insen- sible , la plus cuisante douleur. Les ap- prêts du châtiment semblent lui faire plus de mal que le châtiment même. Le nègre chante en dansant, il chante eu travaillant, il chante en mourant (i). Nous

(l) On croit , en Europe , et plus encore dans les colonies, que cet usage de mourir en chantant «st particulier aux nègres. Les voyageurs nous

bravons

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A S A T M T - D O M 1 N G U E. I ^.• .

bravons ia mort, lui la nargue. Lorsque son camaracle expire, il ne dit point _, il est mort; ce mot paraît n** avoir pour lui aucun sens. II dit: Ij allé ^ il s'en est ailé, il est parti. Cette manière de s'ex- primer tient à l'opinion qu'en mourant il retourne dans sa patrie , préjugé qui détennine plus d'un nègre à se pendre pour arriver plus vite chez lui. Que se- rait-ce si, à son indifférence pour la vie^ cet homme joignait \c^ vertus que sup- pose le mépris de la mort!

' lin. Il III ij»iij»iai»i.^^M

disentla même chose des indigènes de Tune et de l'autre Amérique. Ils font mieux ; un Onontagué centenaire , pris par un parti de sauvages aux ordres du comte de Fontenac , endurait les tourmens qu on lui fesait souffrir , avec un courage , une

égalité d'âme, dignes d\m Iroquois. Un

sauvage , ennuyé de ses harangues, lui donna quelques coups de couteau, cf Je te remercie dit rOnontagué, mais tu aurais bien me faire mourir par le feu. Français , apprenez de moi à souffrir; et vous, sauvages , souvenez-vous de ce que vous devez faire quand vous serez dans le même état que moi. HistoiKe de VAmériqus Septentrionale , tome 3; lettre 7.

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178 Voyage

Passé lui certain âge , les nègres pa- raissent tenir peu aux liens du sang. Il y a quelque-tems que le hasard permit qu'après une longue séparation , un père retrouvait son fils dans Tattelier que j'ai sous les yeux. Cette rencontre imprévue n'occasionna, de part ni d'autre, ni sur- prise , ni émotion , ni mouvemens pathé- tiques. Le père et le fils se sont retrou- vés comme deux voyageurs qui se seraient vu quelque part.

On compte parmi les nègres de bons et de mauvais, d'e^icellens et de détesta- bles sujets. Des dispositions plus ou moins favorables , les rendent plus ou moins propres à recevoir un certain, degré de poli et d'instruction. L'exemple du nègre créole , capable d'acquérir tous les talens , toutes les vertus , lorsqu'il trouve dans son maître des soins et un modèle k suivre , prouve que l'infériorité des Afri- cains est, à bien des égards, l'ouvrage de leur éducation. C'est donc outrer le principe que de dire avec Aristote , que l'esclayage exclut toute espèce de vertu;

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A Saint-Domingue. 17g

comme c'est abuser de la faculté du rai- sonnement que de prétendre trouver dans la légère différence physique qui distingue le nègre du blanc , un obstacle invincible à ce que le premier atteigne jamais au degré d'intelligence et de per- fection dont l'autre est susceptible.

Je ne vous avais promis qu'une esquisse imparfaite et rapide, Monsieur; je crois avoir tenu parole. Vous trouverez que mon nègr^e, dessiné sur le nud, mais avec une scrupuleuse fidélité, diffère, à bien des égards , de celui que des écrivaiDô célèbres ont paré de tous les charmes de leur éloquence. Cela est dans Tordre. Cçs messieurs ont, du haut de leur théâtre,

montré à l'Europe un nègre (i) , qu'ils

^— *~~^— "■■ ' ■■■«— ^— . I.— »»».— »«i^^ »— «-»— i— »^^,^ (i) Voyez le roman^ en trois volumes, intitulé: Le Nègre comme il y a peu de Blancs. L'auteur 11 avait pas besoin de donner a entendre , dans sa préface , qu'il n'avait jamais vécu avec les nègres , ni habité les colonies. Son ouvrage ^ d'ailleurs très-intéressant , fourmille d'erreurs ^ de contre-sens , qui prouvent qu'il ne connaît les nègres , non plus que le régime , les mœurs , les usages des colonies j que par oui-dire.

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n'avaient jamais vu que des jeux dePima- ginatioujun personnage dramatique; moi, je vous montre celui de la nature et des colonies.

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LETTRE X y I.

u4u Désert. Septembre, 1789.

XouT a ses inconvéniens, Monsieur, jiieme les choses qui devraient le moins y être sujetes. De ce nombre est Tindul- gence avec lac|uelle vous avez lu celles de mes lettres qui étaient arrivées avant le départ des vôtres, car elle m'enhardit à vous communiquer la suite de mes observations avec la même confiance , le même abandon qui en fait tout le mérite.

Si elles ne vous instruisent pas , elles serviront du moins à vous distraire dans im moment la France est devenue une espèce d'arène dans laquelle douze cents législateurs , secondés de douze cents mille politiques, proclament cha- cun, à voix haute et distincte, les prin- cipes sur lesquels il entend que soient à l'avenir fondés le gouvernement et la liberté de sa patrie.

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i8z Voyage

Vous vous rappeliez , peut-être , ïe tems , du fond de TAfrique , je vous communiquais quelques idées relatives à ces spéculations sublimes ? Quel a été pour moi le résultat de cet ingrat et sé- duisant travail ? Que de toutes les mis- sions auxquelles un homme raisonnable peut se voir destiné, la plus difficile, la plus périlleuse , la plus inutile en même- tems, est celle de donner de la raison aux fous , c'est-à-dire , de sages loix aux hommes.

, J'ai donc renoncé ^ et pour toujours , à m'immiscer dans les mystères de la lé- gislation, parce que tout me confirme dans la pensée qu'il en est de nous comme des animaux , qu'il ne faut pas vouloir assujétir indistinctement à un régime exclusif; et je redis encore avec le sage de l'antiquité : « J'aime mieux jouer avec des enfans, que de gouverner des hommes corrompus».

Toutefois, en ma qualité de jardinier, je vous dirai: Prenez garde à ne pas en- lever la terre avec les racines des plantes

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A Saint-Domingue. i83 que vous voulez extirper : vous risque- riez de semer vos nouvelles loix sur le sable infertile ou sur le tuf aride. Et, comme voyageur, j'ajouterai : Ce n'est pas tout d'avoir de belles théories , il faut qu'une longue expérience ait mûri une grande variété d'observations , pour être sûr de ne pas se tromper dans l'applica- tion de principes , d'autant plus sédui- sans , qu'ils paraissent nouveaux ; d'au- tant plus dangereux, qu'ils sont abstraits. Souvenez-vous que Fliorame le plus cé- lèbre par l'étendue de ses connaissances et la profondeur de sa métaphysique , que Lock, chargé de donner des loix à la Caroline, ne lui donna qu'un plan de législation aussi impraticable que ridi- cule. Croyez sur- tout que c'est faire à l'espèce humaine un honneur bien dan- gereux , que de la supposer assez raison- nable ou assez sage pour n'avoir plus besoin d'être gouvernée comme une folle ou comme un enfant. Voilà mon der- nier mot , après lequel je retourne à mon ménage. Que si vous répugnez aux dé-

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184 Voyage

tails cîiainpétres , usez-en , Monsieur , comme je faisais dans ma jeunesse lorsque je trouvais de la morale dans les romans ; sautez quelques feuillets.

Nous avons ici trois vaches qui donnent im lait d'une excellente qualité , et en assez grande abondance pour periuettre de prendre , sur la consommation jour- nalière , de quoi avoir un peu de beurre et de fromage frais.

Mais , comment faire du beurre et du fromage sans barattes esc sans formes? Gomme Robinson taisait des habits sans aiguilles et sans fil.

Le procédé physique est très -simple'; on secoue la crème dans un bocal de verre jusqu'à ce que le mouvement aie séparé les parties grasses des fluides. Veux ou trois lavages dans de l'eau fraîche achèvent de donner aux pre- mières la consistance dont elles ont be- soin pour se former en masse.

La manipulation du fromage fut plus difficile , vu le manque d une forme de terre 5 ou tout au moins de jonc. J'y sup-

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A Saint-Domingue. i85

p]ëai un sac de canevas dont le fond est înaîntenu , ainsi que l'ouverture , par deux cercles assujétis cliacun aux quatre ex- trémités de deux bâtons croisés.

La nature du. terrain et Fabondance du pâturage m'avaient fait désirer pouvoir joindre des chèvres à nos vaclies. Je me faisais une fête de les voir courir dans les bois, errer de précipice en pré- cipice , de roclier en rocher ; se prendre dans les longs filamens de lianes , et se débarrasser de là, en suspendant à leurs longues cornes les touffes de leurs bril- lantes fleurs. Mais, l'observation qu'au- cun obstacle ne les empêcheraient de se répandre dans les cafliers, et d'y causer de grands ravages , m'obligea d'y renon- cer.... Que de jouissance ce cruel intérêt dévore!

J'avais apporté assez de graines de lé- gumes et de fleurs pour pouvoir semer tout le jardin. Il fallut commencer par deux opérations indispensables : la forme i^égulière dont aucun potager ne peiil: se passer, et i'ameublissement de la lerre.

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286 Voyage

beaucoup trop compacte et trop grasse pour le gerire de productions qu'elle était destinée à porter. Mais ne m^étant pourvu que de pelles et de houes , je ;^entis bientôt la privation du plus indispensable des instrumens aratoires ^ ou du moins de celui qui est à la culture des jardins ce que le peigne est à la toilette des jolies femmes, c'est-à-dire , d'un râteau ; et je parvins, non sans peine, non sans avoir maudit cent fois les détracteurs de l'édu- cation d'Ejiiile.ken fabriquer deux , tant bons que mauvais.

Presque tout a réussi au-delà de mes espérances. Des légumes , jusqu'alors étrangers à Saint Domingue , ont germé et crû , ainsi que l'oseille , le persil , le serpolet et le cresson. Nous mangeons des petits pois presque toute l'année. Des ileurs, jusqu'alors inconnues à ces régions de feu , le narcisse , Fhjacinthe , le réséda , riiumble violette même ont embelli et parfumé les bordures de mes câreaux. Au lieu du buis qui borde si tristement vos plates-bandes , on emploie ici l'ipé-

A Saint-Domingue. 187

cacuanha , dont les tiges d'un verd char- mant , ne servent point d'asjle à îa race avide des insectes. Il est vrai que la ra- pide végétation , qui fait croître et mon- ter les plantes à vue d'oeil , oblige de les resemer plus souvent; il est vrai que cette rapidité ne laissant point à la graine le tems de se former, on est réduit àrenou- veller sans cesse les semences ; il est vrai encore que tous mes soins pour sauver la fleur du melon et de la vigne des ra- vages des fourmis , ont élé perdus. Il faut cependant observer que ce fléau n'est que local , car Saint-Domingue produit , pres- que pendant toute l'année , d'assez bon raisin , et de délicieux melons. Je ne sais s'il est vrai , comme on me l'a dit , qu'il n'est permis d'j cuUiver la vigne qu'en treille ; que si un habitant osait planter quelques ceps en plein champ , le com- merce est en droit de les lui arracher; et que l'on est par conséquent réduit à ne boire ici que du vin , que l'on peut d'autant plus hardiment appeller de son crû ; que s'il échappe à la falsification

i83 Voyage

dans les magasins de la métropole, il esfc rare que la même quantité de gros vin d'Anjou ou de Provence , parti de-là dans deux barriques, n'arrive ici dans trois, sous le nom justement célèbre de Bor- deaux (i).

Les artichauts viennent ici excelîens et beaucoup plus gros qu'en France, sur- tout lorquel'on a l'attention de les plan- ter sur les hauteurs , au nord, et à l'ombre. Les asperges ne demandent que le même soin qu'on leur donne ailleurs , et ne se font pas attendre aussi long-tems. J'a- vais fait un essai de pommes de terre ,

(i) La fureur de m'instraire en voyageant , qui me pousse par-tout l'on fait quelque chose, m'a permis de découvrir que le miracle de la multiplication du vin se fait différemment en mer qu'aux nocês de Cana. C'est ordinairement dans la calle que le capitaine , secondé de quelques affidés , procède à cette opération. On choisit pour ceîaVm. gros tems , oii chacun est supposé se tenir coi à son poste ; car les mystères de Bacchus, comme ceux de la bonne Déesse, ne peuvent se célébrer que loin de l'œil des prQr fanes.

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A Saint-Domingus. 189

qiiî ont peu fructifié, quoique je leur eusse choisi le sol léger qu'elles aiment, parce quelles ont été entièrement négligées.

La patate est plus nourrissante , m'ont répondu les colons auxquels j'ai proposé de lui adjoindre la pomme de terre. C'est-à-dire , Monsieur >, que la patate , et la jaune sur-tout, étant plus filandreuse, plus grasse, pèse davantage sur l'estomac, et se digère plus laborieusement. Mais je crois la pomme de terre infiniment plus saine. Si elle est moins nourrissante , suppléez àla qualité par la quantité. Leseul avantage que la patate ait sur la pomme de terre , est un parfum agréable qui plai- dera toujours puissamment pour elle.

Les cultures Européennes qui ont le mieux réussi à Saint - Domingue , sont celles du mil ou millet , et du maïs (i).

(i) 11 faut que le maïs soit une des premières cultures que les Européens ayent introduit dans les Antilles; car, dès l522 , Codez disait que le ma's Jait en Amérique un pain heauc mp meilleur que celui des îles. Correspondance de Fer^ Tiand-Cortez avec l'empereur Charles V , lettre a.

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190 Voyage

que vous connaîtrez mieux sous le nom de bled de Turquie. Ce dernier sur-tout croît d une beauté extraordinaire. On mange en épi avant sa maturité^ rôti sous la cendre, et il est très-bon. Réduit en farine , on le mange en bouillie à l'e.aa ou au lait, et il est excellent. On peut en faire tout ce que les Bretons et le§- Normands font de leur sarasin.

Les fourages qui servent à la nourri- ture des bestiaux , sont le bois-patate, c'est-à-dire , la tige et les feuilles de cette racine ; celle du petit mil en verd, l'herbe de Guinée , et les têtes de la canne à sucre , qu'il faut mettre au premier rang, par la propriété d'engraisser les animaux qui s'en nourrissent. La verdure douce et tendre des champs consacrés à la cul- ture de ces deux dernières espèces, forme un contraste tout-à-fait aimable avec le verd plus sombre des bois et sur-tout des cafBers.

Que pensez-vous de tout ceci , Mon- sieur ? Ne vous semble-t-il pas avoir lu un chapitre de la Bïaison Rustique?

À Saint-Domin'gue. igr

J'ai autrefois entendu reprocher à Rous- seau, comme une chose de mauvais goût ^ les détails sur Téconomie champêtre et domestique de la maison de Glarens. Que dirait-on donc de ma lettre ? Mais , com- ment connaîtrez-vous Saint-Domingue, si , comme tant d'autres , je me borne k de purs objets de politique et de com- merce ? et qu'ajoutant à toutes les idées fausses que Ton a déjà sur ce pays-ci , je vous donne des exceptions pour des règles générales ; et , le tableau de Fhabitation de quelque opulent sucrier , pour le mo- dèle de toutes les autres ? Eh ! plut à Dieu encore que le séjour de tous ces riches misérables ressembkit au désert! ils ne seraient pas sans cesse balottés entre Tambition de paraître ce qu'ils ne sont point, et l'embarras d'accorder le pré- tendu faste qu'ils étalent , avec des res- sources insuffisantes pour le soutenir !

On a , en Europe , l'opinion que la co- lonie n'est habitée que par des million- naires uniquement occupés du soin de faire servir leur immense fortune à va-

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Voyage rier, à niiilîiplier leurs pldi^^irs. Croyez, Monsieur, qu'il n"exisle iiuciiii pays les fortunes particiilières soient moins solides, et le soin de les préserver des vicissitudes du hasard, trouble autant les jouissances dont elles peuvent être la source. Jamais richesse et bonheur n'ont étc moins sjnoiljmes qu'ils ne le sont ici.

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A Saint-Domingue. 193

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LETTRE XVII.

Au Désert. Septembre. I789.

Kj N préjugé commun en Europe , par- mi les gens à demi instruits, est^ Mon- sieur, que îe riz ne se cuitlve et ne pros- père que dans les terrains inondés (i) ; que si vous dites à un Français que cette denrée croît ici sur les plus hautes mon- tagnes, il vous rira au nez , parce que ses demi connaissances ne lui ont pas appris qu'on le cultive de la même manière dans la Louisiane (2).

Le grenadier et le' figuier se sont très- bien naturalisés ici , de même que Tal- bergine et la taumate des pajs méri-

(i) Voyez à ce sujet le Voyage aux Indes Orieniales , par Grose , cbapitre 5 , ainsi que le Journal du Voyage de Siam , pages 2.3o et 278^

(2) Histoire de la Louisiane , tome i , chsir piîre i3.

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104 Voyage

dionaiîx. Mais toutes ces petites cultures d'agréînent sont négligées par les neuf dixièmes des liabitans , à un point in- croyable. L'oranger même y reçoit rare- ment le degré de soins qu'il demande pour s'améliorer , ou du moins ne pas dégénérer. Rien cependant ne serait plus facile que de se procurer des graines de Malthe ou des plants de Portugal ; de propager ici ces deux espèces, à l'ex- clusion de toutes les autres, et d'avoir aux Antilles la pomme d'or des Hespé- xides.

Ce long , mais imparfait dénombre- ment de plantes étrangères au sol de Saint-Domingue , vous fera faire une question fort simple .• que produisait donc cette isle avant l'arrivée des Européens? Rien , Monsieur , ou presque rien. Je cliercliece qui pouvait faire le fond delà nourriture des indigènes, et je ne trouve dans le règne animal que des caïmans très-rares , des crabes de terre ou tourlou- roux; des couleuvres, des lézards, et quel- ques oiseaux ; car les rats mêmes ^ dont

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le pays est si extraordinaircDient pennlt^, sont des émigrans d'Europe (i).

Le règne végétal n'offre que quelques herbes, quelques racines, quelques baies, quelques mauvais fruits , à Texception de Fananas et de la sapotille , dont la douceur surpasse celle de tous les fruits connus en Europe, mais dont on se dé- goûte d'autant plus aisément , et je ne crois pas ces deux dernières produc- tions indigènes de Saint-Domingue. Le citron, d'une très-petite, mais très-bonne espèce, l'orange amère , l'igname -ma- ronne , et peut-être le choux Caraïbe, s'il n'a pas été importé des Isles-du-Vent* Joignez la pêche , sur des côtes et dans les rivières très-peu poissonneuses, à ces

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(i) Ils ont non-seulement peuplé les Antilles , mais encore Ij. Pérou , et sans-doute tout le reste du nouveau monde. Les Indiens les nomment dan^s leur langue Ococha , c est-à-dire , venus de la mer. Voyez XHistoire de la Bécoiwerte et de la Conquête du Pérou, par Augustin de Zaraie , tomç I ; liçre 3; chapitre 2,

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ivS Voyage

faibles ressources , et vous demanderez encore de quoi vivaient les habitans d'un pays que Ton nous peint comme extra- ordinairement peuplé ; car , à en croire la forfanterie espagnole , jamais aucune contrée de la terre n'a l'être comme Saint-Domingue , au moment de la dé- couverte , puisque Colomb , marcliant contre Manicate, un des Caciques de l'isle , le trouva dans la plaine de Véga-Réal à la tête de cent mille combattans , tan- dis que les calculs les plus raisonnables ne portent sa population originaire qu'à douze cent vingt mille individus , de sorte que si l'on l'on y ajoute quarante à cin- quante mille indigènes , qui y furent transportés des isles Lucajes , avec ce qui pouvait être , à compter du jour de sa découverte jusqu'au moment de son entière dépopulation , il se trouvera que les conquérans du nouveau monde n'ont exterminé , dans la seule isle de Saint- Domingue qu'à-peu-près deux millions d'hommes , dont la plupart ont péri par le travail des mines, , d'après le té-

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moignage du voyageur Bossu (i) , ils ^contractèrent la trop célèbre maladie , qui a fait et fait encore tant de ravape parmi nous , sous le nom de mal Naples , mal Français , etc. Nous sa- vons, et cela par un auteur espagnol, que dans la seule isle de Cuba , cin- quante fajnille d'un seul village se pen- dirent en un seul jour pour se soustraire il la tyrannie Espagnole (2).

Peut-être me demanderez-vous , îvîon- sieur , quel est le spécuiateur qui s'est chargé d'introduire ici ces rats , qui y font de tels ravages, qu'un vaste champ de mil ou de maïs est quelquefois dévoré par eux en une nuit^, sur-tout lorsqu'il ' se trouve situé sur la lisière des bois , ces animaux sont en si grand nombre , qu'ils y ont tracé des sentiers aussi battus que ceux qui tra-

(i) Nouçeau T^oyage aux Indes. Occidentales tome I , lettre i.

(2^ HiS'O^re de la Conquête de la Floride^ îivie I , cliapitre 10.

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versent nos campagnes? Il faut avoir ha- bité un port denier pour trouver la so- lution de ce problême.

A peine le constructeur a-t-il attaché à la quille du navire les membres de la carcasse , avant même qu'elle soit en- tièrement revêtue de son premier dou- blage , ^que déjà les rats s'y établissent. On le lance , et ils se gardent bien de dé- semparer; mais de quoi vivent-ils jusqu'au înoment il est approvisionné ? Dhs que la nuit est venue , ils gagnent la terre à la nage , mangent pour vingt -quatre heures, et retournent à bord. Ceux qui peuvent s'introduire dans les greniers ou magasins à bled , hérissent leur poil , se roulent: dans le grain, en saisissant tout ce qu'ils peuvent , et partent avec leur cargaison. Mais , par ren trent-ils , ainsi chargés, dans le navire, lorsqu'il n'est point à quai ? par les sabords , le lon^ des cables qui passent par les écubiers , d'où ils se répandent dans la calle , dans les soutes , entre les c' oisons et le dou- blage 5 désormais sans ^oins pou^*

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A Saint-Domingue. 199

l'avenir , sans plus s'emb^rasser de , la griffe de leur ennemi que de Tinflence du climat, ils voguent, vivent , pullulent au point de devenir le lléau des marins et la terreur des chats.

Un instinct soutenu par tant de com- binaisons intelligentes , a quelque chose de très-é tonnant ; mais la manière dont ils se procurent les vivres les plus déli- cats de la cargaison , est bien plus sur- prenante encore. Je terminerai ma lettre par un fait que je tire d'un ancien voyageur.

ce On s'appercevait depuis quelque tems qu'il manquait tous les jours des œufs dans un baril on les avait serrés ^ et qui était renfermé sous clef. Si_^ per- sonnes , au nombre desquelles était le commandant du vaisseau , firent cha- cune percer , avec une vrille de char- pentier , la cloison du réduit 'où étaient renfermés les œufs, et voici ce que nous avons vu ».

(c Trois gros rats qui se sont approchés du baril étaient les œufs. Ce

200 Voyage

est à demi vide. L'un est descendu de- dans , im autre s'est mis sur le bord , et l'autre est resté en bas en dehors. Nous n'avons point vu celui qui était dans le baril ; mais , un moment après , celui qui était au haut a paru tenir quelque chose en se retirant du dedans il s'était baissé. Celui qui était resté en dehors , a monté sur les cercles, et, ap- piivé sur les pattes de derrière ^ s'est eieve , et a pris dans sa gueule ce quel- que chose que celui qui était sur le bord en haut tenait. Celui-ci^ après lui avoir lâché prise , a replongé dans le baril , et a encore tiré à lui quelque chose , qui a été aussi repris par celui qui était sur les cercles en dehors. On a pour lors reconnu que c'était la queue d'un rat, et , à la troisième tirade , le rat voleur a paru tenant entre ses pattes un œuf, le dos appuyé contre le dedans du baril , et la tête en bas. Ses deux camarades l'ont mis en équilibre sur le dos appuyé sur le bord du baril. Celui qui était en bas Ta repris par la queue , et celui qui

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A Saint-Domingue. 201

était en haut le retenait par une oreille, et l'un et Tautre, le soulcnant et le con- duisant, par les deux extrémités, et des- cendant peu- à -peu, et de cercle en cercle , ils l'ont doucement mis abas , lui toujours sur le dos , l'œuf , comme j'ai dit, po>'é sur son ventre entre ses quatre pattes. Ils l'ont ainsi traîné jusques sous un vide , entre la cloison et le doublage du , vaisseau nous les avons perdu de vue (i) ».

Ce qui m'eut pour le moins autant in- téressé que le spectacle de la capture de Tœuf , c'est , Monsieur , la manière dont a du se faire le partage. Toujours pouvons- nous être certain qu'il n'aura occasionné ni contestations ni voies de fait entre des conquérans égaux en droits et en puis- sance.

Il est du reste incroyable à quel point les rats se multiplient dans les longs voya- ges de mer. Je me rappelle qu'à mon re-

(t) Journal dhin Voyage aux Indes Orien- tales, tome 2.

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202 Voyage

tour du Cap-de-Bonne-Espérance , les chats n'osaient plus descendre dans Fen- tre-pont. Quoique , à force de surveil- lance et de pièges , nous parvinssions à en détruire beaucoup , tous nos efforts ne balançaient pas îa crue journalière de leur population. Lorsque les choses en sont à ce point , il ne reste d'autre res- source , pour en purger le navire , que de le décharger jusqu'au lest , lorsque l'on est arrivé au port , de bien fermer toutes les écoutiiîes , à une près , et de faire , à fond de calle , avec de la paille humide , un feu dont la fumée les force à quitter leurs retraites , et à gagner l'écoutille ou- verte , ils arrivent à moitié ivres , et l'on assomme tous ceux qui ne trou- vent pas le mojen de se jeter à la mer*

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A Saint-Domingue. 2o3

LETTRE XVII L

u4u Désert. Noi^emhre ^ l']^'^.

V ous auriez, M^^ïîsieur, une fausse idée de la vie que je mène ici , si vous pen- siez que mes travaux se bornent à îa sur- veillance de la basse-cour , au soin du colombier, à îa culture du jardin, à la surintendance de la cuisine , et à la main- d'œuvre de la marcarerie. J'ai étendu mon département sur tout ce qui peut contribuer à embellir , à égayer notre solitude.

Ma première entreprise a été d'élargir, dans une étendue de quatre à cinq cents pas , le chemin qui conduit ici , afin d'a- voir upe promenade de plein-pied. Ce tra- vail , que j'ai fait seul et avec l'activité si singulièrement contrastante avec mon extérieur , m'a coûté d'autant plus de fatigues, qu'il me fallait couper dans le vif? et déplacer plusieurs blocs eonsidé-

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204 Voyage

râbles de rocher, sans autre secours que

celui d'une mauvaise bouc , et d un levier ,

dont l'usage m'a bien appris à calculer les

forces.

Lorsqii'après de longs efforts J'étais par- venu à ammener et à suspendre une de CCS masses sur le bord de la ravine, j'ap- pellais madame de L'^'^*, pour la voir pré- cipiter. D'un coup de pied je la mettais en mouvement , et je lui disais : regardez comme ce grand disgracié entraîne avec lui dans sa chiite les faibles arbrisseaux qui avaient attaché leurs racines à ses pieds :

nous avons quelques fois vu la même chose ailleurs.

Deux fontaines , l'une au fond du demi- cercle dans lequel l'établissement est ren- fermé, fautre à gauche en dehors de la barrière par laquelîeonj entre ^ donnent naissance à deux ruisseaux , dont le pre- mier , après quelques détours , formait un petit marais d'où il resortait , en cou- pant à angle droit et minant le chemin, pour se jeter dans le ravin. L'autre, tout en échappant à sa source , occasionnait

A Saint-Domingue. 2o5

nn second cloaque , en s'infiltrant au mi- iieu du même chemin il se perdait.

Mon premier soin fut de creuser un fossé d'une largeur proportionnée au vo- lume du premier ruisseau , dans toute la longueur du marais, qui, par cette opé- ration, se trouva changée en une prai- rie charmante , que i*'embellis encore en extirpant les plantes rudes et grossières qui la déparaient, pour leur substituer des plants d'ananas , dont la gerbe pour- prée et divergente , surmontée d'une belle ponime d'or , que termine une cou- ronne de verdure , est une véritable dé- coration.

J'avais conçu un projet ambitieux pour l'exécution duquel il fallait d'abord join- dre leé deux ruisseaux à la sortie du ma- rais. Cette jonction opérée, le reste de mon plan offrait encore de terribles dif- îicultés, mais elles n'étaient pas insurmon- tables. La crainte d'échouer et l'espoir de surprendre, me firent garder le silence.

Si Télévation des fontaines donnait une grande facilité pour l'écoulement des

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2c6 Voyage

eaux , le sol haché et poreux à travers lequel il fallait les concUiire, présentait des obstacles effrajans à vaincre. Je les vainquis tous à force d'essais, de persér vérance et d'industrie ; ils devinrent anême l'occasion de quelques embeilisse- mens auxquels je n'avais d'abord pas songé, en lue donnant la facilité de mé- nager quelques cascades, et si l'ignorance des principes les plus simples de l'hydrau- lique me fit faire bien des fautes , chaque faute m'apprenait à en éviter une autre: c'est ainsi que se forma l'art.

Au bout de huit jours, les deux ruis- seaux réunis et guidés à travers le che- min par un canal solide et régulier, à l'aide de quelques pierres plates assujé- lies et comme suspendues au bord dura- vin, formèrent, sous un dôme de verdure , taillé dans un. massif de bambous , une chute qui, jointe au murmure des cas- catilles, rompant enlin et pour toujours le long silence de notre solitude, frappa tout-à-coup d'étonnement et de joie, et les échos qui la répétaient , et madame

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A Saint-Domingue. 207

de L *"*■*, à laquelle j'avais voulu ména- ger cette surprise, ou plutôt cette jouis- sance.

C'est que nous passons une partie de la journée, elle à travailler, moi à lire , sa fille à barbotter dans le ruisseau , avec sa chemise pour tout vêtement , au sein de la nature , de l'innocence , et de l'amitié. Cette vie , occupée et paisible , ne laisse pas , Monsieur , que d'avoir ses charmes , toute insipide qu'elle doit vous paraître après celle que j'ai menée ailleurs. Il j a loin, sans doute , de la voûte de bambous sous laquelle je re- pose, au plafond doré, aux magniques lambris de l'appartement que j'occupais n'aguères dans le palais des Rois, sans compter les brillans tableaux dont mon imagination tapissait alors ma carrière.... tout cela a péri dans un naufrage ; mais , en perdant jusqu'à l'espérance, j'ai con- servé un bien impérissable; l'art de jouir de ce qui jne reste.

En attendant qu'une suite de travaux, que je ne puis exécuter qu'iusensible-

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208 Voyage

ment, me permette d'ajouter a ce qui est fait les erabellisseraens de détail dont le local est susceptible, j'ai planté, à la suite du jardin, une allée d'avocatiers, qui prolongera son ombre jusques sur le chemin. Le revers du coteau qui porte les cases à nègres , et au pied duquel est située la prairie , n'offre aujourd'hui que quelques caffiers îanguissans , quelques arbres clair-semés. J'en augmenterai le nombre , je le couvrirai d'arbustes et de buissons, tels que le pimentier verd et rouge, le grenadier, le citronier, Fodo- xant acacia. Le noir sapin y contrastera avec le franchipanier rose et blanc; à côté du charmant papajet, dont la tige, plus légère et moins ambitieuse que la colonne du palmiste , gagne en grâces ce qu'elle perd en majesté lorsque l'œil la compare à celle de son majestueux rival , brillera la reine des fleurs , et la fleur de tous les climats _, la rose. Au lieu du chemin roide et raboteux par lequel les nègres descendent à l'habitation , un sentier large et doux parcourra ce bo- cage ,

A vSatnt-Domïngue. , ^0^ cage , les lianes , dirigées avec art , suspendront leurs toufi'es colorées aujt branches de l'oranger, dusampale, de l'acajou , du calebassier , du canificier ; et si le riche européen consacre une partie de sa fortune à voir dégénérer dans ses jardins le tulipier ou le magnolia de TAmé- rique ^ pourquoi ne satisferai-je pas un sentiment plus actif et plus doux que celui de la curiosité , en naturalisant ici quelques arbres de mon pays? Croyez- vous, Monsieur, que j'éprouverais un sentimetit moins vif , en retrouvant à Saint-Domingue le tremble ou le bou- leau de nos bois, que le fût celui du jeune Potaveri, en- revoyant en France des arbres d'0-Taïti (i)?

Si Texpérience de ses prédécesseurs ^ dont à peine un sur mille parvenait à réaliser assez de fortune pour aller mou- rir infirme et vieux dans sa patrie, n'eût pas été une leçon perdue pour le pre-

(i) Voj^ez la fin du chant second du poëmQ des Jardins ;. par M. Pelisle*

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aïo Voyage

mier qui planta ici ses tab'ernacles ; si la sotise de sacrifier des plaisirs réels et pré- sens à Tambition de se procurer un jour des jouissances incertaines et factices, eût permis à cet honnête homme le de- gré d'intelligence nécessaire pour savoir que le besoin de faire fortune n'exclut pas toujours celui de vivre heureux, en attendant qu'on Fait faite; au lieu d'en- terrer sa case dans le trou elle est aujourd'hui, il l'eût bâtie sur le plateau que l'on trouve à droite en sortant de l'habitation.

C'est le but ordinaire de nos prome- nades depuis que j'ai rendu le chemin praticable. , un horizon également étendu, varié, rompu par des masses de rochers , ou des sommets de montagnes , offre à gauche la baie de Jacmel en plein , les gorges ténébreuses du vallon de la Gosseline , quelques-unes de -ses habitations ^ un torrent, et la montagne de la Selle ; à droite, un des quartiers les plus cultivés de fisie , des mornes moins âpres, de larges vallées, des rivières qui

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A Saint-Domingue. 211

serpentent , des établissemens plus ri- ches, plus fréquens, et enfin la mer de Léogane et l'isle de la Gonave.

Voilà le terme de nos courses, Tobjef: de nos regrets , celui de nos projets à ve- nir. CVst-là que nous attendons souvent la nuit pour revenir à pas lents nous ren- fermer dans notre tombeau. Voyez , di- sais-]* e hier au déclin du jour à madame de L * "*■*, combien les hommes , tout en se plaignant de leur existence , ne savent rien faire pour fétendre et Tembellir. Voici la plus belle des heures, c'est celle les larmes du malheureux cessent de couler avec sa sueur , le ciel moins embrasé permet de respirer un air plus pur et plus frais. Pourquoi mon oreille n'est-elle frappée que du cri aigre et dis- cord de cette troupe de perroquets , ou du croassement de fimmonde crapeau qui gémit au fond de la ravine ? Pourquoi la cloche de V angélus n'annonce-t-elle pas , dans chaque habitation , que la nuit amène le repos? Pourquoi les aboiemens du chien fidèle ne m'avertissent-ils pas

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2 22

Voyage que je puis dormir en paix sur la foi cle sa vigilance? Pourquoi , au lieu de cette voix isolée qui fuit et se perd dans les té- nèbres , au lieu du sourd et monotone tom^ tom que ce nègre produit en frappant sur un corps sans resonnance, n'entens-jepas le son du galoubet ou de la flûte cham- pêtre se marier à la voix juste et douce des négresses^ et marquer les pas légers de cette troupe d'esclaves, qui oublient en dansant et les travaux du jour ,et ceux qui les attendent à leur réveil ?

Tout cela sont des balivernes , vous disent les gens sages qui ont leurs en- trailles dans leur gousset, et leurs longues oreilles encore plus près de l'esprit que de la tête ! Nous sommes venus à Saint- Domingue pour j faire fortune, et non pour voir sauter des nègres , ou entendre rouler des cascades. La prévoyance nous ordonne de vivre , non pour le présent, mais pour l'avenir.

Eh bien! gardez, prudens économes de l'avenir , gardez , pour en couronner votre cercueil , le peu de Heurs dont vous

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A Saint-Domingue 2î3

pourriez semer votre carrière. Mais , lors- que des revers, trop fréquens ici, nous auront réduits vous et moi à chercher des consolations ciiileurs que dans les pro- messes de la fortune , ne venez pas du moins empoisonner, par vos regrets tar- difs et superflus , des jouissances que j'ai su rendre indépendantes de ses ca- prices.

Et que l'on n'aille pas, Monsieur , m'opposer le sophisme si souvent rebattu par la mauvaise foi, qu'il est indifférent à notre bonheur de jouir dans le passé , dans le présent, ou dans l'avenir, car je répondrai que l'une de ces manières n'exeluant nécessairement aucune des autres , rien ne m'empêche d'allier les jouissances du présent avec les souvenirs du passé , ou les espérances de l'avenir. <c Quelle misère, quelle profonde misère que notre opulence, s'écrie un voyageur moderne , quand elle nous rend incapa- bles du bonheur! (x) « Il en sera toujours

(l) Lettres sur quelques parties de la Suisse ^ seconde partie, lettre II,

VI ;

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à

214 Voyage

la cupidité, jamais riche de ce qii^ elle possède , toujours pauvre de ce qu'elle désire ( i ) , et que Ton nomme pré- voyance , comme de Tavarice qui se dé- gaise en économie, et dont tout le mé- rite consiste dans Part de vivre pauvre pour mourir riche.

En attendant que cette manie devienne aussi la nôtre , nous avons augmenté notre basse-cour de quatre paires de pintades grises et blanches , et de deux Hocos mâle et femelle. Le premier de ces oiseaux , îa délicatesse de sa chair , sa vivacité , sa voix de trompette, ses nombreuses cou- vées, tout cela vous est connu , et anime singulièrement une habitation lorsque l'on parvient à Vy jKxer (2).

Le Hoco , ou Oco , ou Occo (3) , trans-

(i) L'ami des Hommes , tome I , chapitre I.

(2) Voyez une description très- détaillée et 1res -exacte des différentes espèces de Pintades dans le Recueil d^ Observai ions Curieuses, etc* tome I , chapitre 10.

(3) On peut voir une description plus com- plette de cet oiseau dans le Journal du Voyage:

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A Saint-Domingue. 2i5

porté ici de Cayenne , et originaire du Mexique, avec un plumage d'un beau noir , excepté Festomac il est blanc et une huppe d'un beau jaune, est plus fort, plus haut que le paon, plus fami- lier, mais d'une telle klcheté qu'un pou- let de deux jours le fait fuir, d'une telle bêtise, qu'indépendemment de son or- gueil , le Dindon peut se croire un Aigle à côté de lui. Rien n'annonce que le couple imbécile songe à se perpétuer. Il n'y a pas de mal que la race des sots soit quelquefois frappée de stérilité.

En relisant ma lettre, je trouve, Mon- sieur , qu'elle est une véritable efc longue rapsodie. Pour lui conserver ce carac- tère, je prendrai occasion d'une incom- modité dont je me suis défait en me trai- tant à la manière du pays, pour vous dire un mot de ses maladies et de sa mé- decine, et, avant tout, sur le préjugé qui veut que les gens d'une complexion fai-

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J'ait à la mer du Sud avec les Jlibustiers j par Havenau de Lussan , page 41.

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216 Voyage

ble et délicate résistent mieux que ceux

d'une constitution robuste, à l'influence

du climat. Mais , pourquoi cela? Parce

que les premiers , sans cesse avertis du

danger , par leur faiblesse même, se mé^

nagent , et que les autres , pleins d'une

confiance aveugle dans leur force , en

abusent. Il en est de cela comme de la

fortune : ce n'est pas Téconome médio-^

crité , c'est la prodigue opulence qui se

ruine.

Sans doute que les tempéramens bî-. lieux et sanguins sont , ici plus qu'ail- leurs, sujets aux maladies produites par la fermentation des humeurs ou l'épui- sement des fluides, qui amène l'appau-^ vrissement du sang. Mais la nature a placé le remède à côté du mal. On mange peu dans les pays très-chauds; l'abondance des acides en permet l'usage habituel, mais modéré. Ils épurent et rafréiîc hissent le sang, ils divisent et facilitent l'éva- cuation des humeurs; et si les tempéra- jnens sanguins sont plos assujétis que d'autres aux maladies inflammatoires ,

A Saint-Domikgue. %1J

ils sont aussi beaucoup moins vite épui- sés par une transpiration, pour ainsi dire, interrompue. Ceux des colons qui savent s'assujétir au régime que le climat pres- crit, atteignent un âge très-avancé, sur- tout lorsqu'ils habitent les montagnes, parce que Tair j est plus pur ^ la clialeur^ moins excessive ^ et qu'une fois accli- matés , on ne connaît ici aucune des ma- ladies qui ont leur source dans Tabou-, dance et Fengorgement des humeurs.

Si je dois en croire mon expérience , il faut éviter les nourritures trop subs- tantielles , et sur-tout l'abus des liqueurs fortes. Il est, sans doute, nécessaire de rendre au sang ce qu'il perd d'humidité par la transpiration. Mais , sans avoir, 'recours à la balance du docteur Cor- jparo , pour peu que l'on ait appris à juger son tempérament , on connaîtra, à-peu-près , ce qu'il absorbe et ce qu'il exige. Dans les premiers tems de mon séjour ici , un habitant chez lequel je vivais beaucoup , m'avait persuadé que l'usage de l'eau pure j était iafinimen^

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2i8 Voyage

préférable à celui du vin ; j'avais pieu^e- inent adopté sa méthode, jusqu'à ce que m'étant apperçu que le nouveau docteur Sangrado dérogeait prodigieusement à son principe lorsqu'il buvait chez les au- tres, j'ai compris que s'il proscrivait l'usage même modéré du vin , cela ne devait s'en- tendre que de celui que l'on eût pu boire à sa table , et je repris mon régime ordi-- naire.

L'action du moral sur le physique, nécessairement plus active sous un cli- mat où riniluence d'une circulation plur rapide sur des sens dont la faiblesse n'op- pose que peu de résistance , les exaspère facilement , demande que l'on évite avec soin tout ce qui peut , en les irritant ^ . donner aux organes une 'surabondance de force et d'activité qui ne tarde pas à fatiguer leur énergie.

C'est dans la négligence de ce salutaire précepte, qu'il faut chercher la cause des épuiseraens rapides et précoces qui tuent de bonne heure, ou réduisent et un degré de faiblesse , assez semblable k

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A Saint-Domingue. 219

la mort ou à rimbécilité , une partie des hahitans de Saint-Domingue.

Je pense que des bains froids ou tiè- des tout au plus , une nourriture saine et légère , des évacuations douces de tems à autres , un mouvement modéré , des travaux plus propres à distraire qu'à occuper , sont à-peu-près tout ce que Ton peut faire pour y conserver un peu de santé , lorsqu'on y arrive à un certain âge. Chaque colon est ordinairement pourvu d'une petite pharmacie , dont la manne , les sels , la rhubarbe composent le fonds. Le pays offre de lui-même le tamarin et la feuille du cassier^ dont une simple infusion, avec le jus d'une orange amère, suffit pour purger aussi bien que la potion la plus savamment composée. Quelques espèces de lianes produisent le même effet; mais il faut se méfier beau- coup d'un purgatif, qui est aussi par fois un poison très-subtil et très-violent. Les nègres ne connaissent que trop bien celles qui ont cette fatale propriété. Leur mal-- heureuse expérience^ à cet égard, a fait

220 Voyage

plus d'une Locuste dans un pays JeB' mœurs publiques ne laissent nécessaire- ment aucun empire à la religion.

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LETTRE XIX.

Au Désert. Décembre , 1 789»

tJ E pense bien comme vou<;, Monsieur, que la culture des terres est un objet trop important pour ne pas jetter un coup d'œil sur celle de ce pajs-ci.

Quoique la première eil rang, je ne vous parlerai point de celle du sucre , parce que je ne suis pointa portée de la suivre assez pour la connaître dans tous ses détails. J'ai seulement fait une ques- , tiôn à laquelle on n'a trop su que ré- pondre. J'ai demandé pourquoi , travail- lant en plaine , obligé de sillonner la terre et d'entretenir un assez grand nombre de bœufs, de chevaux, ou de mulets, pour le charroi des cannes , pour le transport de la denrée , etc. on ne préférait pas à l'usage de faire tracer les sillons à la houe, l'usage infiniment plus simple et plus ex- péditif de la charrue, usage qui non>seu- lemçut réduirait de beaucoup le nombre

222 Voyage

des nègres que cette culture exige aujour^ d'hui , mais produirait encore la double économie d'un capital considérable et d'un mobilier très-cher , souvent ruineux par les vicissitudes auxquelles il est sujet, puisque, à l'inverse de ce que l'on voit ailleurs , la fortune du cultivateur repose ici beaucoup plus sur ce mobilier même, que sur le fonds qu'il fait valoir ?

Je sais bien à qui la pensée d'une inno- vation d'autant plus barbare , qu'elle tend à substituer des bêtes à des hommes , ferait jetter les hauts-cris. Mais, si j'avais l'honneur d'être sucrier , j'avoue que , sourd aux réclamations du généreux Pro- xénète qui, en reconnaissance des nègres que mes travaux détruisent, se charge de peupler mon sérail de beautés Afri- caines, rien ne m'empêcherait défaire tous les essais que je croirais propres à fixer mes doutes suj: les avantages de l'une ou de l'autre méthode.

Le hazard, la routine, une intelligence très-bornée, ont long-tems présidé à la culture du café , qui ne date ici que de

A Saint-Domingue. 223

1715^ époque de la destruction des ca- caoyers. Ce n'est que depuis quelque tems qu'à l'ancien usage d'entasser les pieds des cafiers saixs ordre , a succédé Fusage plus raisonnable de donner aux planta-» lions une forme régulière , celle du quin- conce , sans contredit la plus avanta- geuse, en ce qii'elle offre à l'air une cir- culation plus libre et plus égale , qu''elle laisse entre les plans la distance néces- saire pour que fun ne nuise point à l'au- tre, enfin en ce qu'elle abrège et facilite également et la récolte et les sarckxges. Mais j'ignore si la méthode de les été ter à la hauteur de quatre à cinq pieds, afin d'obtenir par une sève plus concentrée dans la tige inférieure , une plus grande quantité de fruit, n'abrège pas leur du- rée. C'est à l'expérience comparée à pro- noncer sur cette question (i) ; maismal-

(i) Les curieux qui voudront plus de détails sur le café , n ont qu'à lire , s'ils en ont la pa- tience :

1°, Le traité de Prospère Alpin ; publié en 1592,

224 Voyage

gré les imperfecîîoiis de la ciiUure da

café, on estime qu'elle donne anjour-

2". Un autre Traiié du m ème auteur , de la jnédecine des Égyptiens.

' 3*^. Les observations et les notes de Veslingius j fen i638.

. 40. Un troisième Traité de Fauste Nairon, en 167T.

50. Un quatrième Traité de Philippe Silvestre Dufour, en 1684.

6°. Un cinquième Traité , par Nicolas de Blégiiy,en 1687.

70. Une lettre sur l'origine et les progrès du café; par Antoine Galland , en 1699,

Et enfin le Traité Historique de Torigine et du progrès du café , que Von trouve à la suite d'un Voyage de V Arabie Heureuse , imprimé en 1715.

Ce fut , comme on sait , monsieur Déselieux ^ gouverneur général des Antilles françaises, qui y porta le premier pied de cafier , et qui , dans une disette d eau , eût le courage de sacrifier la moitié de la sienne à la conservation de son pré- cieux arbuste. L'espagnol Piétro Délia Vêla est un de ceux qui a le plus vaillaraent combattu pour prouver que le Nepenihe d'Homère n'était autre chose que du café. Sans doute que les dieux ^e le prenaient pas sans sucre.

d'hui

A S A I Ni T - D O M I xN' G U E. 22n

d'iiui, année commune, un pro tuit de 80,000,000.

La culture la plus atlrajanîe pour riîojiinie moins jaloux de sVnrichir que pressé de jouir, est, sans contredit, celle du coton. Elle est moins lucrative que les autres, mais elle se flu't moins atten- dre, elle demande moins de bras, moins de travaux, moins de bâtimens, etc. à- peu-près tous les terrains lui convien- nent, quoiqu'il j en ait, tel que celui des Gonaïves , il acquiert une qualité supérieure. Il a à redouter i^. de cer- tains vents qui brûlent sa fleur; 2°. des papillons qui la dévorent ; 3°. la concur- rence des cotons du Levant et deTInde, et enfin le plus ou moins de vogue qui fait languir , qui suspend ^ qui arrête quelque- fois la manufacture de ses draps ou de ses toiles , et décourage le cultivateur , tou- jours incertain sur le débit d'une denrée dont la récolte n'est pas toujours sûre (i).

(i) Voyez la description de Cotonier dans ^ ï Histoire d'un Voyage aux îles Maloidnes ^ îouie i ; chapitre 5.

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226 Voyage

Je n'ai sur rindigo que des notions très-vagues. Je ne connais point d'habi- tant qui le cultive, et j'ai vu quelques habitations l'on y a renoncé. Je voua en ai dit la raison dans ma neuvième lettre.

Leur hauteur , leur fr&îcheur , la beauté du fruit des cacaotiers ou ca- caoj^ers , font regretter au gens de goût que l'on ait également renoncé à cette culture. Quant à la casse , au rocou , au tabaQ, au giijgembre^ au bois de Brésil, à peine ces objets, qui étaient, il J a cent ans, la principale et presque la seule ressource de Saint-Domingue, y sont-ils connus de nom , depuis que i'onj cultive le coton, le sucre et le café.

On a, Monsieur, établi au Cap-Fran- çais une académie d'agriculture , à la- quelle on doit une partie des observations utiles qui ont amélioré l'art de la culture. Mais réduite à donner des conseils et à proposer des essais que personne n'est tenlé de faire à ses risques et périls , elle n'atteindra le but de son institution que

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A Saînt-Dojvtinguk. 227

lorsque le gouvernement se chargera de cette dépense.

C'est ainsi que , nonobstant les progrès que la culture des terres a fait ici depuis vingt ans, j'y remarque encore un abus ^ celui d'employer , dans les sarclages , la houe au lieu de la main ; d'où il arrive que les ruines, demeurées en terres, ne tardent pas à reproduire de nouveaux jets , tandis qu'en les arrachant , avec l'attention de le faire avant que les herbes ne soient montées en graines , on parviendrait peut-être à en extirper Fespèce. C'est , en général , un mauvais calcul que de préfé-^ rer toujours la méthode la plus expéditive, vu que l'on ne peut jamais regarder comme fait un ouvrage qu'il faut refaire sans cesse.

Peut-être , Monsieur , serait il à-propos que l'on consacrât , sous le nom d'habit talion duRoi, un terrain particulier assez vaste , assez varié pour être susceptible de toutes les cultures. , l'expérience j* chargée de vérifier les nouvelles méthodes, rectifierait ce qu'elles auraient de défe©»

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2^8 Voyage

tueux , perfectionnerait ce qui serait suâ- ceptible de Tétre, tenterait de nouveaux essais, etc*

On fait dans ce moment quelques expé- riences de ce genre dans le jardin du Koi au Port-au-Prince. Mais^ ce n'est ni dans un jardin , ni sur quelques plants isolés que ces expériences peuvent se faire avec un succès démontré. Les soins qu'un homme intelligent et laborieux prodigue à une plante nouvelle, peuvent bien la faire prospérer sur un sol unique , sans que Foji soit autorisé à conclure de cet; exemple que sa culture réussirait de même len grand. Cette réflexion semble n'avoir point échappé aux administrateurs, puis- qu'ils viennent de faire distribuer plu- sieurs plants de girofliers à quelques ha- bitans. Il a péri chez les uns, je l'ai vu réussir chez d'autres ; la question restera ^onc douteuse jusqu'à ce que l'on ait fait en grand des expériences qui la dé- cident.

On parle aussi de transplanter aux An- tilles le rima , ou l'arbre-à-pain des isles

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A Saint-Do M iKGUE. 229

de la mer du Sud (i). Mais j trouveua- t-il le sol de sa patrie? Mais résistera- t-il aux ouragans , et surtout au com- merce , plus dévastateur que le plus ter- rible ouragan ?

Les connaissances que vous avez déjà sur ce pajs-cî , jointes à celles que ma correspondance à pu y ajouter , ont du vous faire comprendre qu'il n'y existe que peu d'industrie. Ce supplément du premier de tous les arts en a été banni par plusieurs raisons , dont voici les quatre principales :

i^. Le peu de goût des babitans pour les productians des arts qui appartien- nent à cette classe secondaire.

2,°. La rareté des bras , qui produit l'extrême cberté de la main-d'œuvre.

3o. L'attention avec laquelle le com- merce décrie , entrave , présente même tout ce qui pourrait atténuer son in- fluence , en le rendant moins nécessaire.

(i) Yoyez la description du Rima dans I0 JSÎouçecm Voyage à la jucr (ki Su4j page iSy.

23o Voyage

4°. L'apathie qui , sous un ciel brû- lant , laisse ignorer aux hommes une foule de besoins dont la satisfaction . en devenant une. source de jouissance pour le riche , ouvre une vaste carrière à l'in dustrie du pauvre.

Tous les meubles de nécessité , d'agré- ment , ou de luxe, sont apportés de France tout faits, dans un pajs qui offre au menuisier, au tourneur , à Fébéniste les différentes espèces d'acajou , le man- ceniilier , etc. Le commerce achète ces bois à vil prix, les fait travailler à bon marché, et revend ici , à raison de six francs, le même pied de planche qu'il a acheté six sois. Vous conviendrez , Mon- sieur , que c'est porter le droit de com- mission un peu haut.

Qu'arrive-t-il de-là ? Que parmi les ha- bitans qui font ce que l'on appelle très- improprement un bois neiif, c'est-à-dire , qui abattent les- arbres d'une certaine étendue de pays pour en cultiver le sol, infiniment peu usent de la précaution d'extraire et de conserver les bois pré-

A Saint-Do iviiNGUE. 201

cîeux, avant de livrer rahcilis aux fîam- iiics , qui dévorent ainsi de véritables trésors.

On trouve à Saint-Domingue une très- belle espèce de fougère. Il est donc à présumer que l'on y ferait du verre, qui serait peut-être d'une qualité supérieure à celui d'Europe ; les terres offriraient de même à la patrie une matière toute nouvelle à mettre en œuvre ^ et quant on sait combien la mal-adresse et l'étour- derie des nègres augmente et renchérit la consommation de ces deux objets de première nécessité, on déplore que l'in- dustrie n'ait encore fait aucun essai pour se les procurer à un prix moins ruineux. . On n'a jusqu'ici su employer le pitre qu'à faire des licols pour les chevaux et les ânes. Son fil, d'un blanc éblouissant, plus fort que le chanvre , plus souple et moins cassant que le crin, les remplace- rait avantageusement dans une partie des ouvrages de tissu et de corde aux- quels on emploie ces deux matières.

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Voyage Il se f^^ir ici , mais en petite quantité^ âc^ chapeaux delataoier , qui sont pins lé- gt^rsqueleKnôtres,e{:moinssusceptibIesde s'échaiifier a rarclenr du soleil , ou de se corrompre en pompant tour-à-tour la poussière et rinimîdité. Il serait donc bon d'en étendre fiisage, vu qu'ils con- viennent mieux au climat , et seraient moins cbers eî: plus durables^ que le feutre. Le pahna-christi ^ que les naturalistes nomment ricinus Américanus , les Ca- raïbes carapat^ et les habitans au. Pérou piUerlUa , est un arbuste dont on pré- lend que la feuille, appliquée sur le sein des nourrices , provoque le lait. J'ignore ' qiu'l degré de confiance on peut accorder c\ cette propriété , mais il est certain que le fruit ou la semence du palma-cliristi donne une huile fort douce , laquelle > indépendamment des autres usages aux- quels onpourrait l'appliquer, s'administre avec succès aux enfans tourmentés de colique , ou sujets aux convulsions (j).

(i) Voici la façon de faire cette huile : « On hii c^irç le fruit légèrement^ on l'expQse deux

A Saint-Domingue. 233

Les mulâtresses font avec quelques fruits , tels que le citron, fananas, etc, des confitures assez grossières, parce que la cherté du sucre rafiné les réduisant au sirop ou à la mélasse , ne permet pas de leur donner le degré de finesse et de bonté qui , à l'exemple des liqueurs de lu Martinique , leur assurerait une grande réputation et un débit rapide.

Un seul art et deux métiers font ici parvenir ceux qui les exercent à la for- tune, lorsqu'ils ne se lc\issent pas séduire par fambilion de devenir habitans. Kun. est l'art terrible de la médecine ; les autres , les métiers de maçon , et celui de charpentier sur-tout. ^

ou trois jours au soleil , on le pile jusqua le réduire en pâtej on délaye cette pâte daus Teau, versant deux mesures d'eau sur deux mesures de fruit qu'on a pilé , et on fait bouillir le tout. Quant ri mile surnage , on la tire avec une cuil- lère, ou par inclination. On lave ensuite le sé- diment dans feau , et ion en tire encore ua. peu d'huile. Recueil d' oh se r cation s curieuses , etc. iQuie I , chapitre 2.1.

2S4 Voyage

Vous pensez bien, Monsieur, qu'il ne faut chercher ni chez les uns , ni chez les autres un certain degré de savoir et d'in- telhgence. Un ignorant disciple de Saint- Côme , petit chirurgien denavire , ne peut être qu'un bien mauvais médecin , dans ■un pajs l'art d'Esculape veut que l'on joigne une élude tout-à-fait nouvelle, et des conaissances botaniques très -éten- dues , à une pratique déjà très-exercée.

La maçonnerie se borne à si peu de chose, que ce métier ne demande que le& talens d^un manœuvre très-ordinaire. M. Cottin en avait passé un de cette es- pèce dont toute la science se bornait à savoir gâcher du mortier. Il est aujour- d'hui prapriétaire de deux nègres , et fait le Mo72 sieur tout comme un autre. La construction des cases et des mou- h'ns exige quelque chose de plus du char- pentier. Depuis l'ouverture du commerce avec les Etat-Unis-d'Amérique , il arrive ici des carcasses de maisons construites avec plus de soin, et bien moins chères que celle que l'on fait sur les lieux. Mais ,

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WêêBê

A Saint-Domingue. 235

comme il s'en faut de beancoiip que Ton y employé des bois d'une qualité égale à ceux de ce pays-ci , je pense que cette considération assurera la préférence aux ouvriers français, dès que la concurrence les forcera à baisser de prix, à mieux travailler leur matériaux ^ et à déve- lopper plus de goût et d'intelligence dans la construction.

J'ai abrégé, autant que j e l'ai pu, des dé- tails insipides et auxquels je n'aurais peut- être jamais songé sans les questions que vous me faites. Sans doute qu'aucun Climat n'exclut nécessairement un cer- tain degré d'industrie ; mais , placée entre l'agriculture et le commerce , dont elle est tour-à-tour le produit et le lien, il lui faut , pour s'étendre et prospérer , un degré d'encouragement et de liberté; sans lequel elle ne fait que languir. L'in- dustrie est le seul patrimoine du pauvre ; l'orsqu'on la circonscrit dans des bornes •trop étroites , on l'anéantit , ou on la force àsuppléer , par des moyens illicites , aux ressources légitimes dont on la prive.

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236

V O Y A

G E

LETTRE XX.

Au Désert. J'aTjç^ier. ITQO.

J.Lfaiit, Monsieitr^ vous rendre comote de deux courses que j'ai faites dans' la même semaine. L'une est une visite à un habitant, l'autre une partie de chasse aucochon-niarcin , au sauvage, car , pour peu qu'on laisse de liberté à cet animal domestique , il échappe dans les bois , il reprend la forme , les mœurs , le caractère du sangher.

Monsieur Baudouin l'économe^ et moi, nous partîmes avant le jour pour aller ^ à trois lieues d'ici , au fond de la Gos- sehne , dîner chez monsieur son père , ha- bitant de ce quartier.

Après avoir quitté au pied des mornes le xihemin de Jacmel au Désert , nous fûmes obligés de mettre nos souliers et nos bas dans nos poches , et de re- muent er , pieds nus , et l'espace d'une lieue, la rivière, comme le chemin le

A S AÏNT-DOMINGUE. 2^'^

plus doux el le phis cominocle , quoique le sable , à peine submergé dans quelques parties , fut par Fois si brûlant que nous étions obligés dV courir comme sur des charbons allumés.

Les gorges silencieuses que rlous tra- verscimes m'olFrirent de nouvelles es- pèces d'arbres , d'arbustes , de plantes, et de fleurs. Parmi les premiers, celui qui me frappa le plus fut le mapou , sans contredit le plus gros de tous les arbres, si, comme j'en doute , et comme le dit Ravenau de Lussan,il est vrai que ses compagnons firent , d'un seul tronc de mapou , un canot qui portait jusqu'à, quatre vingts hommes (i).

Quelle que soit la résistance qu'une pareille masse oppose à l'action du vent , j'en vis un déraciné par le dernier ou- ragan. On se tromperait toutefois si l'on voulait juger delà force de ces vents par la taille des arbres qu'ils jetent à terre. Nulle part je n'ai trouvé à Vhumus qui

(i) Journal du Voyage Jait à la me?' du Sud, ^îc, page 95.

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238 Voyage

recouvre le fond de roche , de sable, de coquillage , ou de pierre à chaux de Saint- Domingue , plus de deux à trois pieds de profondeur. Aussi les racines des plus gros arbres , au lieu de pivoter ou de se diriger diagonalement , courent elles toutes dans une direction teiiement horizontale , qu'eîJes rampent en grande partie à découvert sur la surface de la terre. Ce qui les distingue encore des espèces de nos^ climats ^ c'est que leur tige droite et lisse ne commence à pousser des branches que vers le sommet , ou tout au plus aux deux tiers de leur hau- teur , de sorte que, sans les sous-bois qui garnissent les invervales , une forêt ressemblerait ici à un vaste amas de co- lonnes supportant un dôme de verdure. II existecependant à cet égard une grande différence entre la crête et le talus des montagnes , et le fond des gorges ou les plaines. On ne se fait jour dans les bois qui couvrent les hauteurs que la hache à la main ; on parcourt les autres sans rencontrer que peu ou point d'obstacles.

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A Saint-Domingue. 289

Une diflérence de végétation aussi sen- sible à des distances si rapprochées , pro- duit une variété très-agréable dans les parties elle a lieu. L'un est le séjour de la misanthropie sauvage , Pautre est Tasyle de la douce mélancolie. Cette différence prouve , ce me semble , que rexposition, les divers degrés d'élévation, et la nature du sol sur-tout influent, pour îe moins , autant que la latitude sur le genre des productions de la terre. C'est pour n'avoir point assez étudié cette co- opération des causes locales que Ton trouve tant d'erreurs chez ceux des sa- vans qui , jaloux de ramener les obser- vations les plus contradictoires à un prin- cipe unique , s'obstinent à ne reconnaître d'autre cause à la difiérence de végéta- tion, quel'mfluence du climat. Qu'ils nous disent donc alors pourquoi le royaume de Cachemire , qui n'est séparé des autres contrées de l'Asie que par une ceinture de montagnes , diffère , cepen- dant avec elles , par les productions de son sol , au point que le voyageur croit ,

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24Ô V 0 Y A C ïî

en j arrivant, se retrouver dans sa patrie ; pourquoi dans la partie de la Corée, située, comme la province de Tlsîe de France, par 40 degrés de latitude, l'hiver est déjà si rigoureux àès le commence- ment du mois de septembre , que Von est obligé d'j prendre des pelisses? Qu'ils nous disent pourquoi à Astracan , qui n'est que par le 47^ , le fi^oid est tel que pendant deux mois de Tannée, le Volga porte les traîneaux les plus forte- ment chargés (i). Qu'ils nous disent pour- quoi à Quito, située iinmédiatement sous la ligne , le froid et le chaud v sont tel- lement tempérés , que , pendant toute Tannée , les arbres ne cessent d'être alter- nativement chargés de fruits , de feuilles et de fleurs (2). Enfin , pourquoi ^ au té-

(i) Chantreau, ^ 03-age en Russie , tome i , cha-^ pitre 1 5.

(2) Je ne citerai que les trois exemples saivans de Tinfluence des causes secondaires. « Le vent qui pendant tout l'hiver vient du ?vord et passe sur les terres glacées de la nouvelle Zemble . ;end le pays arrosé par rOjw et toute la Sybérie

moignage

^ A Saint-Domingue. 241

moîgnage cV Augustin de Zarate , ]a dif- férence de la température de l'aîr est si

si froids qu'à Tobolsk même, qui esta 5j degrés , il n'y a point d'arbres fruitiers , tandis qu'en Suède , à Stockholm, et même à de plus hautes latitudes, on a des arbres fruitiers et des légumes. Cette différence ne vient pas, comme' on l'a crû, de ce que la mer de Laponie est moins froide que celle du détroit , ou de ce que la terre de la nouvelle Zemble lest plus que celle de la La- ponie, mais uniquement de ce que la mer Bal- tique et le golfe de Bothnie adoucissent un peu la rigueur des vents de JSovà , au lieu qu'en Sybérie il n'y a rien qui puisse tempérer l'activité du froid ». Buffon, Histoire Naturelle, iome 2,

« Quoique la ville d'Athènes et sur-tout son territoire répondent par leur position sur le globe aux parties méridionales de l'Espagne, cepen- dant, on n'y a jamais joui de cet air si doux et si tempéré que respirent les habitans du royaume de Valence.

En général , dans le continent de la Grèce , lès hivers sont très-rigoureux et les étés d'une cha- leur excessive , sans qu'il y existe un rapport dé- terminé entre la nature des saisons et lelévation du pôle ou la latitude respective des lieux ». Re* cherches Phiîosopjiiques sur les Grecs , tome I^ § X^

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242 Voyage

grande au Pérou d'un lieu à un autre , qu'il arrive souvent que les gens qui sont 8ur la montagne y souffrent un froid extrême , et qu'il y gèle et neige bien fort , pendant que ceux qui sont dans la plaine, à deux lieues de-là seulement, cherchent des remèdes contre la grande et excessive chaleur (i). Convenons , Monsieur, qu'une vaste lecture et la vie sédentaire font bien des faux savans.

Je suis convaincu que , malgré les tra- vaux et les recherches de quelques bota- nistes français ^ il nj a pas encore une seule branche de Thistoire naturelle de

" Ce n est pas absolument sur les degrés de latitude qu'on doit juger ceux de froid et de chaud d'un pays. La nature du sol , la position des mon- tagnes , et plusieurs causes externes influent tel- lement sur la température , que le froid est souvent plus vif et plus long en Piémont , dans le Milanais et dans la partie Septentrionale de l'Italie, quen France ». Voyage en Italie , par M. Duclos , page 5.

. (l) His foire de la découverte et de la conquête du Pérou ; tome 2 , livre 7 , chapitre 6.

A Saint-Domingue. 243

Saint-Domingue parfaitement connue. Ce ne sera ni un naturaliste voyageur , ni un habitant curieux qui la complette^ teront. L'un manquera bientôt de santé, de persévérance et de tems ; l'autre n'aura ni les connaissances , ni l'usage , ni la pas- sion que ce genre d'étude exige. Cette gloire utile serait réservée au gouverne- ment, et n'eut-il en cela d'autre intérêt que celui d'étendre son influence , il au- rait un moyen bien simple d'y parvenir par l'établissement d'une habitation du Roi , l'on transplanterait et rassem- blerait successivement toutes celles des productions indigènes du règne végétal qui mériteraient d'être connues , pour leur rareté , ou leur beauté , ou les pro- priétés dont la connaissance ajouterait de nouvelles découvertes à la botanique, si utile à la chimie , si nécessaire à la médecine.

Nous fûmes rendus à l'habitation de monsieur Baudouin vers neuf heures. Comme nous étions attendus , nous trou- vâmes le déjeuné prêt, et ce secours^

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244 Voyage

très-nécessaire à un homme qui , pour îa première fois de sa vie , venait de faire trois lieues pieds nus , arrivait très- à-propos. ,

Je trouvai dans monsieur et madame Baudouin des gens d'un excellent sens et dont la conversation me fut très-ins- tructive. Leur réception amicale et fran- che , Faisance avec laquelle il me firent les honneurs de leur maison ; leur empres- sement à me la rendre agréable ; la com- plaisance avec laquelle ils répondaient à mes questions , à mes observations-, à mes critiques même , me rappellaîent Tancienne bonhommie , la vieille hospita- lité de Saint-Domingue.

Je parcourus leur habitation dans toutes ses parties. Comme elle était sur un pied différent de celles que j'avais vu ailleurs , je demandais la raison de tout , et je vis avec plaisir, qu'étrangers à l'am- bition d'aller mourir ailleurs que sur la terre qui les avait nourris, fimperfec- tion de quelques branches de la culture, de quelques détails de l'économie dômes-

A Saint-Domingue. 245 tique , provenaient moins de ]a négligence des habitans , qne de la modération de leurs désirs. Nous avons de quoi vivre honnêtement , me disait monsieur Bau- douin ; tourmenterai-jeraa vieil iesse pour me donner une aisance que je n'ai jamais connue , et dont je n'ai pas besoin pour vivre heureux ? Il faut bien laisser quelque chose à faire à nos enfans.

L'habitation est située dans une gorge assez étroite , mais dans une position très- pittoresque. Je vis , pour la première fois , le génipa ou sablier , un des plus beaux arbres des Antilles. Il tire son nom de son fruit , dont aucune description ne pourrait vous donner une idée juste. C'est en effet un espèce de sablier d'une forme très-agréable. J'en apportai un dont je me sers aujourd'hui, et dont je ne me servirai pas long-tems , vu que cette pro- duction , ce fruit , cette machine a cela de particuHer , qu'elle éclate et se brise avec une explosion semblable à celle d'un pétard j au moment on s'j attend le moins.

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246 Voyage

La cause de cet effet singulier n'ap- partient point à Tusage d'v mettre du sabîe , comme le croyent quelques per- sonnes , mais à un certain degré de matu- rité , puisqu'il a lieu même pendant que le fruit est encore suspendu à Farbre.

Nous retournâmes au Désert par un chemin diflérenl , mais à peu-près de la même manière que nous étions venus. J'eus besoin lie quelques jours de repos, tant pour me remettre des fatigues de cette course ^ qu'afin de me préparer à la chasse d^un sanglier, dont l'économe avait reconnu les allures , et auquel avait tendu un piège dont il se promet- tait beaucoup de succès.

Le jour désigné pour cette expédition , je montai de - très bonne heure à l'en- droit où les nègres s'étaient rendus pour le travail , afin de prendre avec moi mon ami Mazimbo, que j'affectionne pour sa gaité , sa bonne volonté , la douceur de son caractère, et son attachement pour sa compagne Laoue. L^n heureux hasard m' ayant permis de sauver la vIq k cette

A Sain t-D o m i n g u e. 247

bonne et intelligente négresse, ils en ont Tiin et l'autre conçu un tel attachement, qa'il ne tiendrait qu'à moi de porter leur reconnaissance jusqu'au plus aveugle dé- vouement.

Je trouvai Mazimbo appuyé sur le manche de sa houe, fixant d'un œil pen- sif Thorizon prêt à s'enflammer des pre- miers rayons du jour. Que fais-tu là^ Mazimbo, lui dis-je? Que regardes-tu? Tays moi ly îà^ me dit-il, en étendant le bras vers le soleil levant, et je vis quelques larmes rouler sur sa paupièra. Pays moi ly aussi, pensai-je, mais j'ai l'espérance de le revoir un jour , et toi , pauvre nègre, tu ne reverras jamais le tien! Sais-tu tirer, Mazimbo? Oui, maître, moi connais. Eh bien, quittes ta houe , et viens avec moi à la chasse.

L'économe arriva sur ces entrefaites avec un second fusil dont j'armai Ma- zimbo , qui , transporté de cetie preuve de confiance , se tourne fièrement vers Laoue qui lui sourit , laisse couler m\

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248 Voyage

regard de supériorité sur ses camarades travaiîlaus, et ne pense déjà plus ni au soleil ^ ni à son pays.

Nous avions une bonne demie lieue à faire dans une contrée hachée de préci- pices et couvertes de bois presque im- pénétrables , pour arriver au fond d'une espèce d'abîme. Mazimbo , le fasil en bandouîllière^ la hache à la main, nous précédait et nous débarrassait d'une par- tie de lianes qui obstruaient le chemin. Nous allions marchant , sautant , ram- pant , ou glissant. Grâces aux avis de M. Baudouin, qui veillait sur ma mar- che, j'évitai plusieurs fois de me déchi- rer les mains en voulant me retenir à une sorte de buisson qui porte une large épina aussi tranchante qu'un rasoir.

Parvenus à la hauteur nous devions trouver l'ennemi , nous nous séparâmes pour l'environner et l'assaillir à-la-foîs. Mais , soit qu'il nous eut éventés , soit qu'il fût alors occupé ailleurs, nous ne trouvâ- mes que l'empreinte encore fraîche de son corps dans un endroit marécageux il

A Saint-Domingue. 249 è'était vautré. Le piège de réconome , placé tout à côté , était encore tendu. A en juger par la largeur des pinces^ ce sanglier doit être une bête monstrueuse. Nous le suivîmes quelque-teras àla trace; mais le fourré des bois, et le manque de chiens nous firent renoncer à l'espérance de le joindre.

Notre retour fut moins pénible, parce que le chemin était frayé', et que les montagnes rapides sont plus faciles à es- calader qu'à descendre.

Tuera qui voudra, Monsieur, le san- glier de Calydon. Cet essai m'a, pour ja- mais, dégoûté de la chasse de Saint-Do- mingue, où tout le gibier se réduit au cochon-marron , à la pintade sauvage , au ramier qui ne fait que passer, et à quel- ques autres oiseaux, tels que la tourte- relle, à-peu-près de la grandeur de nos cailles, et assez commune, des bécassi- nes assez rares , des perroquets presque impossibles à joindre , et l'oiseau palmiste dont on vante rexcellence.

Celui que je serais le plus curieux de

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25o Voyage

me procurer, mort ou vif, serait un oiseau-mouche que je guète depuis long- tems ; mais ce petit animai tourbillonne avec une telle rapidité, que la plus ex- trême attention suffit à peine pour Fap- percevoir, sans qu'il soit jamais possible de le distinguer, et encore moins de le saisir au tiré.

Il y a encore ici quelques autres espè- ces d'oiseaux dont l'un est honoré, par les habitans , du nom de rossignol, à rai-^ son d'un ramage assez doux; bien diffé- rent de celui dont il usurpe le nom , en- nemi du silence et de l'ombre , il ne se perche que sur le sommet des arbres , et ne chante que dans le milieu du jour. C'est mal prendre son tems pour être~ écoulé. Si je me suis fait une loi sévère de ne tirer aucun de ces aimables com« pagnons de notre sohtude , j'cii en revan- che déclaré une guerre à mort aux cou- leuvres , que l'on prétend n'être pas fort dangereuses , mais qui n'en sont pas moins des hôtesses désagréables, et qui deviendraient très-familières si on les to^

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A Saint-Domingue. 25r

lérait. Elles diffèrent de grandeur de- puis la taille commune des nôtres, jus- qu'à un pied de diamètre. Cette espèce est, dit-on, la plus rare et la moins mal- faisante. Elle s'établit assez volontiers dans les magasins , l'on n'est pas fâché de la voir, en ce que mortelle ennemie des rats , elle ne tarde pas à en purger tous les lieux qu'elle fréquente.

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Voyage

LETTRE XXL

Au Déserf. Fét>}ier

179a

J. !> y a , Monsieur , des gens auxquels suffit de mettre le pied dans un pajs étranger, pour se croire obligés d'j trou- ver tout étrange. De-là l'exagération avec laquelle des voyageurs parlent des pluies de Sanit-Domingue , qui , à les en croire, ne tombent du ciel que par torrens. Le fait est qu'il n'y pleut guères que par ora- ges , et que ces soi-disantes cataractes n'ont rien qui les distinguent des pluies du même genre que l'on voit par- tout. La nature qui paraît suivre ici un ordre^ beaucoup plus constant qu'ailleurs , sem- ble leur avoir assigné une époque invaria- ble, et Ton n'a pas de peine à trouver la raison de cette différence, quand on con- sidère que la proximité du grand régula- teur des saisons, doit assujétir le climat de la zone torride à une marche plus uniforme qu'elle ne peut l'être aux lieux

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A Saint-Domingue. ^53 bii son éîoîgnement atténue son influence, comme l'ordre et la soumission qui déri- vent de Fautorité du Prince tout-puissant, s"'altèrent et se corrompent à mesure que son pouvoir agit à une distance plus éloi- gnée de sa source.

Presque toujours accompagnées de tonnerre , les pluies ne durent jamais plus de quelques heures ; pendant une partie de l'année, elles sont supplées par des rosées extraordinairement abondantes. Vous comprenez aussi que ce que je dis de la marche régulière des saisons, ne doit pas être entendu dans le sens le plus rigoureux. Une sécheresse fatale désole quelquefois le cultivateur pendant toute la saison humide, c'est-à-dire^ depuis juillet jusqu'en octobre, tandis que des pluies extraordinaires provoquent , à l'époque de la sécheresse , une végétation inattendue et ruineuse. Tous les climats , toutes les parties du globe sont de même sujettes à quelques exceptions plus ou moins rares aux loix générales de la na- îi^re. Aucune latitude ne paraît soumise

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254 Voyage

à des règles plus invariables que celle du Delta^ il ne pleut jamais en été: ce- pendant , en 1761 , il V tomba une telle quantité d'eau , que la plupart des villa- ges de la basse Egvpte . dont les mai- sons ne sont bâties qu'en terre , y fu- rent , pour ainsi dire , dissous par la pluie (i).

Cette différence de l'humide au sec est presque la seule qui distingue ici les sai- sons. Comme le cours diurne du soleil divise les vingt-quatre heures en deux parties à-peu-près égales de jour et de nuit, sa révolution annuelle ne produit de même qu'une variété presque insen- sible dans la température. Je pense ce- pendant que les causes locales ont , à^ cet égard, une influence tout aussi mar- quée que le mouvement de rotation du globe (2), c'est-à-dire, que la différence

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(1) T^oyage en Syrie et en 'E^yi.ic . "CarM. C. F. Tolney , tome i , cbap. 4.

(2) Voyez, à l'appui de cette asserliou, le cin- quième chapitre da T'oyage autour du Monde , par Georges An^on ^ tom. 2, îiv. 2 . i-^^ parliez.

A Saint-Domingue. 255

de climat tient autant au local qu'à la saison; de sorte que, dans les plaines, la chaleur sera plus sensible en hiver qu'elle ne l'est en été dans les montagnes , tandis qu'ici les chaleurs de l'été se rap- procheront davantage des froids de l'hj- verdes plaines, si l'on peut appeller froid le degré de température qui permet de respirer plus à son aise , ou , tout au plus , de prendre, après le coucher du soleil, un costume moins léger que la chemise et le pantalon de toile dont on étoit vêtu pendant le jour.

J-e suis , Monsieur , très-porté à croire qu'ici , comme par-tout , les travaux des hommes^ en dépouillant la terre des bois qui la couvraient , et en provoquant ainsi une évaporation extraordinaire des par- ties salines, aqueuses et métalliques qui nourrissent la végétation et servent à développer une plus grande quantité de germes , ont , non-seulement beaucoup altéré son principe , mais ont encore produit une révolution notoire dans le climat.

256 Voyage

Avantageuse à certains égards , cette révolution est devenue fatale à la ferti- lité des terres, du moment les cultiva- teurs ont porté la hache dans la partie des bois qui, placés comme des pompes aspirantes sur les crêtes des coteaux et les sommets des montagnes , y entretien- nent, dans de vastes réservoirs, et les sources des fontaines, et celles des ruis- seaux qui s'échappent de leurs flancs (i). J'ai vu de ces impitoyables défricheurs déplorer amèrement la perte de la seule source qui désaltérait leur famille et leurs nègres , sans se douter que c'était à leur propre imprudence qu'ils devaient cette privation subite, cette perte irréparable par-tout ailleurs, mais qui, par une com- binaison singulière de bien et de mal , se

(l) Il y a bien un règlement qui veut que chaque propriétaire laisse subsister cent pas en carré de bois à bâtir, mais, outre qu'il n'est pas mieux observé que tant d'autres , il ne pare pas d'une manière assez positive au mal qu'il devrait prévenir.

trouve

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A Saint-Domingue. 267

trouve quelquefois abondemmenf. répa- rée par les suites du même phénomène qui est ici , à raison de sa fréquence et de ses effets, la terreur et le fléau de l'espèce humaine , les tremblemens de terre.

En conséquence d'une curiosité très- simple, très-estimable, même lorsqu'elle peut conduire à des découvertes utiles , beaucoup de savans physiciens ont cher- ché cl pénétrer les causes naturelles de ces commotions souterraines. Trois élé- mens, le feu , Pair et Peau , ont, tour-à» tour , fondé la base de diiïérens sys- tèmes.

Je me garderai bien. Monsieur , de prononcer entre les ignisies , les airistes ou les aquLStes^ tel queFytbagore; mais, si j'étais appelle à dire ce que j'en pense , je déclarerais hardiment qu'ils ont tous tort , en ce que la manie de systématiser leur fait constamment^-récluire les opé- rations de la nature à wn principe ex- clusif, tandis qtie je ne vois aucune rai- son pour ne pas convenir que di fièrent ea

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258 Voyage

causes pouvant très- bien concourir à la production d'un seul et même effet , il est d'autant plus clairement démontré que deux de ces trois principes agissent ici avec une force égale et nécessaire , que si un pouvoir surnaturel anéantis- sait tout-à-coup celui des trois qui est le ressort des autres , c'est-à-dire , Pair , l'eau et le feu, resteraient ég;alement sans action , sans mouvement, sans influence : rien , selon moi , ne démontre mieux l'ac- cord des trois élémqns , soit dans les érup- tions volcaniques , soit dans les tremble- mens de terre, que l'observation que les volcans de FAmérique Méridionale, tel que celui de Gotopaxi au Pérou, ont vomi une égaie quantité d'eau et de feu; que ce pendant une éruption du volcan de l'Etna, un immense torrent d'eau bouillante sortit du grand cratère de la montagne, et se répandit en un instant gur la base , en renversant et détruisant

tout ce qu'il rencontre dans sa course

que la même chose eût lieu lors d'une irruption du Vésuve , le siècle der-

HBiHHIi

A Saint-Domingue. 259 ïiîer (i) » ; que dans le tremblement de terre qui, en 1692 , bouleversa une par- lie de la Jamaïque, on vit des torrens d'eau s'ëîancer du flanc et du sommet entr'ouverts des montagnes; effets que Ton peut d'autant moins disputer à l'in- fluence des marées, que , dans les latitu- des ]es plus élevées au Kamtchatka même, on observe que c'est aux équinoxes , sur- tout à celles du printems , époques des plus fortes marées, que les tremblemens de terre sont les plus fréquens (2).

Parmi les observations auxquelles cet imposant phénomène donne lieu^ il en est une d'après laquelle on pourrait con-

(i) Brydonc, Voyage en Sicile et à Mallhe, tome 1 , lettre 6.

(2) Voyez X Histoire et DescripHon du Kamt-^ ehatka , par M. Kracheniimokord , ioiiie 2 , p3ge ^3. L'auteur consigîîe , page 40 du mêma volume , une observation qui vient trop à lappui de ce que je dis pour ne pas la citer : c'est qu'au Kamtchatka l'on /roi;re toujours des lacs sur Us sornmels même de toutes les ?nontagjies gui ont auparat>ant jette de la fumée et des flammes,

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dure qii''il devait être incoiinn, jusqu'à un certain point, à la haute antiquité; car. quoique le seul mouvement des sour- cils de Jupiter ébranlât l'Univers, il est le seul qui semble avoir échappé à Tima- gînation vive et brillante d'un peuple chez lequel la philosophie la plus abs» traite, la plus savante physique même, personnifiaient et revêtaient d'un voile allégorique tout ce qui appartenait au vaste domaine de la nature et des arts, depuis le vent impalpable , jusqu'aux rochers d'Atlas ; depuis Amphion qui bâtit des murailles avec les vibrations de l'air , c'est-à-dire , avec l'harmome , jusqu'à Thaïes qui fait naître de Fécume des Ilots Y^Ima-F'éjius de Lucrèce, ou l'amour avec la beauté qui l'inspire , et la vie avec l'amour.

Faute d'une dissertation assez savante pour fixer votre opinion sur la cause des tremblemens de terre , je veux , Mon- sieur, vous faire part de quelques ob- servations qui , vraisemblablement, ont échappé à la plupart de mes prédéces-

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A Saint-Domingue. -261

seurs , et je dis vraisemblablement, parce quem'étant imposé la loi de ne lire , que le plus tard que je pourrais , les voya- geurs qui ont particulièrement écrit sur Saint-Domingue , afin de n'être pas , comme tant d'autres, l'écho de mes de- vanciers , j'ignore si aucun d'eux a fait les mêmes observations.

De quatre tremblemens de terre que j'ai déjà survécu, trois ont eu lieu vers midi. Le vent , quelque fort ou modéré qu'il fût, cessait tout-à-coup. Une com- motion plus ou moins prononcée mar- quait cette pause , et la brise recommen- çait à souffler immédiatement. Chacune de ces trois commotions a été , douze heu- res après , suivie d'une espèce de ressen- timent d'une secousse qui m'a parue moins forte que la première , mais assez sensible pour me réveiller en sursaut.

Le long de la côte du Sud est une ou- verture ou caverne dans laquelle la mer pénètre jusqu'à une distance inconnue , et que l'on nomme le gouffre^ Chaque fois que la terre doit trembler , il part

262 Voyage

de-làun mugissement som^d et; profond qui porte au loin la menace et reifroi. Grâces à l'empressement avec lequel on s'est hâté d'exterminer la race des indigènes de cette isle, on ne connaît de ses mœurs et de ses opinions morales et religieuses , que ce que le besoin de justifier sa destruction a pu dicter de calomnies à ses bourreaux. Mais , si les peuples les plus éclairés de la terre se prosternaient devant les chê- nes de Dodone, ou l'antre de Tropho- nius , l'ignorant et timide Américain n'eûfc- îl pas été bien excusable de rendre un culte de terreur à cet organe de la des- truction , et d'adorer , comme l'habitant de la nouvelle Zélande, celui qui secoua la terre ?

Je vous ai dit des faits , Monsieur , je laisse à votre sagacité à en tirer les con- séquences qui vous paraîtront les plus propres à fonder un système raisonnable sur la cause des tremblemens de terre, pour revenir à cev.y^ de leurs effets qu'il faut compter parmi les moins désastreux, celui de tarir subitement une source ,

>*

À Saint-Domingui?. 263

d'engloutir tout-à-coup un torrent, tan- dis qu'ailleurs ils font jaillir une fontaine , ou creusent un nouveau lit au ruisseau, qu'ils ont déplacé.

S'il ne faut pas ranger ici au nombre des inconvéniens attachés à l'extraction totale des bois , dans les défrichemens nouveaux , la crainte de manquer un jour de bois de construction et de cbaulfage ; si le climat permet d'y déroger sans dan- ger au principe qu'un pays ne doit ja- mais avoir moins d'un cinquième, ni ja- mais plus d'un tiers en forêts, vous avez cependant vu qu'il est une considération d'utilité directe qui devrait quelquefois suspendre la cognée du cultivateur. Que si, privé de toute espèce de goût, insen- sible aux beautés de la nature champê- tre, son cœur et son esprit demeurent également inaccessibles , Fun atout autre sentiment, le second à tout autre consi- dération que ceux de son intérêt, je lui dirai que cet intérêt même lui faisant une loi de ne négliger, relativement aux instrumens de sa fortune , aucun des

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Y O Y A G

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iiîoj^eiis qui peuvent contribuer à leur bjen-âtre , à leur conservation , à leur existence, au bonheur qui la prolonge, rintellîgeuce la plus bornée lui prescrit de laisser subsister, de distance en dis- tancé, dans ses jardins (i) , quelques beaux ar|)res, quelques bouquets de bois ses nègres , qui dînent toujours en plein champ , iraient faire en commun leurs repas, et trouveraient, à l'ombre des bols qu'ils aiment, et le repos qu'ils n'aiment pas moins , et de nouvelles for- ces pour un nouveau travail.

Les trois misérables objections que l'on peut m'opposer ne mériteraient même pas d'être notées, si elles ne servaient de mesure à la portée de l'esprit de celui qui les fait.

Ces massifs de bois que vous proposez, dit on , ne fussent-ils que de trois ou qua- tre arbres , et quelque peu multipliés qu'on les suppose, occuperaient non-seulement

(i) G'esl: ainsi que l'on nomme à Saint-Do- miDgiie loLile espèce de terre en valeur.

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A s AÏNT-DOMIN G UE. ^63

un terrain précieux , ils seroient non-seu- lement nuisibles, par i'orabre dont ils les couvriraient , aux plants qui se trou- veraient sur leur lisière , mais ils offri- raient encore au nègre ikinéant un appas de repos , un asjle il échapperait quelquefois à la vigilance de ses surveil- lans, et déroberait ainsi à votre fortune quelques minutes de travail.

Je conçois toute l'importance de ces objections , mais j'avoue que je ne me sens pas le courage de combattre sérieu- sement les deux premières; quand à la troisième , en convenant qu'il ne faut point offrir au paresseux les occasions d'abuser de ce penchant de la nature , je te le demande, avide colon, est-ce bien

à toi à te plaindre du nègre ? Ah! la

nonchalance avec laquelle il travaille à t'enrichir , est encore loin de la paresse avec laquelle tu travaille aie rendre heu- reux! A Dieu ne plaise que je te conteste le droit d'accumuler dans tes coffres les sueurs et le sang de ces malheureux noirs ; mais du moins daigne quelquefois

^^S Voyage

te mettre à leur place, ose juger de la pesanteur du joug que tu leur imposes par Timpatience avec laquelle tu sup- portes celui de tes propres loix^ et, dans les momens l'espoir d'accroître un jour la masse de tes jouissances, peut seul te prescrire quelques privations , dai- gne encore le rappeller que, par-tout sa vue peut atteindre , et dans l'ave- nir, comme dans le présent, ton nègre ne voit, n'entend toujours que ces deux mots terribles, toujours et jamais.

A Saint-Domingue. ^267

BjJKSKt^àgiaiiig.agk'MIOafe^

LETTRE XXI I.

Jacmel. Mars, 1790.

fj 'arrive du Port-au-Prince 5 Monsieur, mon hôte m'avait engagé à Faccom- pagnei% et, si je ne me trompe, je crois avoir ramassé dans ce voyage assez d'ob-^ servations pour deux nouvelles lettres.

Nous partîmes de Jacmel à cheval, suivis d'un seul nègre , charpentier de son métier , et que nous élevâmes an grade de valet -de- chambre -palfrenier pour le voyage.

Notre première pause fut chez un ha- bitant, dont j'ai oublié le nom, nous- dinâmes, et qui nous reçut avec plus de cérémonie que ne m'en avait fait Mon- sieur Baudouin. Un orage survenu à . l'heure du départ , nous détermina à coucher chez lui.

Que ceux qui , pour sentir leur exis- tence, ont besoin de vivre dans les au-

258 Voyage

très , et ceux qui manquent dn degré d'apathie , ou de îa mesure de raison né- cessaire pour se suffire à eux-mêmes, et ceux encore qui répugnent aux soins de îa vie domestique, que ceux-là se gar- dent bien de devenir jamais habitaûs de certaines contrées de Saint-Domingue. Quant à moi, qui ne suis jamais moins seul que lorsque je suis seul ; mxoi qui sais, par expérience, que Ton peut vivre dans un déserY , pourvu que Ton sache s'y créer des occupations analogues à ses goûts , s'y faire des liabitudes conformes à son caractère; moi j'ai parfaitement compris que , malgré l'isolement total , malgré la profonde solitude de ce séjour, son pro- priétaire pouvait y vivre heureux^ comme le sera- toujours tout homme qui, avec Texpérience des hommes, avec la modé- ration des désirs , avec le goût de îa vie agricole , saura se réduire à seconder la nature , et à jouir de ce qu'il a , sans ap- peller ni le luxe des arts , ni les chimères , ni les prétentions de la vanité dans Tasjle delà simplicité et de la paix.

A Saint-Domingue. 269

Le chant du coq nous retrouva à che- val , dirigeant notre route sur Leogane par le chemin que le gouvernement a fait pratiquer dans cette partie de Fisle. L'c tendue qu'il parcourt est en général peu habitée , de sorte que nous voya- geâmes presque toujours dans les bois , passant , repassant à gué jusqu'à vingt- deux fois , dans fespace de quelques heures , la rivière qui , après d'inom- brables détours , va se jeter dans la mer à Jacmel.

Il s'en faut que le pa3^s que nous tra- versâmes , quelque rude qu'il fut , soit dépouillé de tout agrément ; car , si une des principales beautés du paysage est dans le contraste de la nature cultivée avec la nature brute , il est des beautés de détail et de caractère qui appartien- nent exclusivement à celle-ci , et que Fou ne trouve que dans les pays de mon- tagnes, où elles naissent à chaque pas de la variété des aspects et des formes, des gradations de la lumière et des ombres , du cours, tantôt ralenti, tantôt plus ra-

27<5 Voyage

pide des eaux. Mais , ce que vous croirez difficilement, Monsieur, d'un pays aussi riche par sa culture et son numéraire , c'est que de deux espèces d'iiabitations que Ton rencontre de tems à autre dans ces déserts , l'une n'oiTre que le tableau de l'inertie dans la misère , l'autre celui de la négligence et du désordre de la pauvreté , en contraste avec les pré- tentions deFopulence dirigée par le plus mauvais goût. C'est ainsi que vous ren- contrerez une voiture élégante traînée par des chevaux ou des mulets de cou- leur difierentes, inégaux de tailles, avec des cordes pour traits , couvertes d'un, harnois sale , et conduits par un postillon chamaré d'or et les pieds nud?.

Nous arrivâmes chez monsieur Denis à neuf heures. Je trouvai dans cet ha- bitant , qui a passé une partie de sa jeunesse en France , plus d'instruction que n'en ont ordinairement ses confrères. Un jardin bien entretenu , une biblio- thèque assez bien choisie , le plan bien çntendu sur lequel il se propose de re-

A SAÏNT-DoMIN GUE. 27^

bâtîr sa maison , et d'en orner les ave* nues , me procurèrent avec lui une con- versation de quelques heures et quelques courses agréables.

Une trçs-jolie créole du voisinage vint, par hasai'd , contribuer aux agrémens d'un diner , aussi bon qu'il était pos* -sible de le donner à des hôtes inatten- dus , et pendant lequel on parla beau- coup du nouveau plan d'habitation de monsieur Dciiis , tandis que la belle voi- sine paraissait uniquement absorbée daiis les détails d'un plan de campagne , dont^ toute la subtilité de ses manœuvres ne put me dérober le but , la conquête de notre hôte.

Dès que le soleil, plus incliné vers l'ho- rizon , non s permit de continuer notre route, nous partîmes pour aller coucher chez madarne Fauchet , dont l'établis- ment est situé assez près de la mer sur la route de Léogane.

(Quoique son habitation ne soit qu'une cotonière assez insignifiante , comme le goxit aujourd'hui toutes celles qu'une

27^ _ V O Y A-G E

longue crîture a épuisé , eîle est d'un rapport considérable par toutes les res- sources qu'une économie intelligente sait tirer de ce que Ton nomme les pwres , tels que les légumes , les fruits , les fou- rages , le bois , le bétail, la basse-cour, etc_, lorsque fou se trouve à la portée d'un port ou d'une rade foraine. ^

Ces sortes d'étabiissemens n'ont sans doute pas Féclat d'une sucrerie , ou d'une caféjère opulente ; mais ^ à l'avantage d'exiger un mobilier infiniment moins l|Cher , leur rapport, fondé sur des besoins in-interrompus de première nécessité , indépendant du despotisme et des capri- ces du commerce, joint celui de donner un revenu journalier d'autant plus solide , qu'ici le propriétaire ne voit point l'in- térêt d'une dette énorme , ou le désir de se soustraire à d'onéreux engagem eus , absorber, avec le produit de sa culture et le fruit de ses travaux , l'espérance de sa fortune à venir.

]N ous trouvâmes madame Fauchet trop occupée des détails et du tracas de son

ménage.

A Saint-Domingue. 278

îneiiage, pour attendre d'elle le degré d'attention que des vojcigeurs plus exi- geans eussent pu lui demander. Notre intention, en arrivant che:^ elle, avait été d'j laisser nos montures jusqu'à notre retour, et de lui demander^ selon Tan- tique usage, une voiture et des chevaux pour nous rendre à Léogane. Mais sa voilure n'était point en état , son nègre postillon était malade, et ses mulets en course. C'est chez cette habiiaiite que j'ai trouvé la seule table de bois de m an- cenillier que j'aje encore vu. Je défie bien à tous les arts , réunissant tous leurs efforts , de rien faire d'aussi beau.

Grâces à Fusage de lâcher les chevaux dans les savannes, à la difficulté de les reprendre, et à la paresse des nègres toujours pkis pressés d'arriver que de par- tir , nous ne pûmes monter à cheval qu'assez tard dans la matinée, mais ce- pendant assez -tôt pour aller dîner à Léogane , dans le voisinage de laquelle les indigènes de Fisle avaient deux éta- blissemens sous le nom à'Faguana et

18

* \

VOYAGE

de Xaragua , lieu devenu célèbre par Fatrocité d'une Borde d'Espagnols qui , dans un repas que leur donnait la préten- due Reine udnacoana , l'étranglèrent , après avoir vu brûler vifs et dans la salle même, du festin , les Caciques qu'elle avait invités à cette fête.

La ville de Léogane , à peu de dis- tance de la mer , et composée de quelques rues aboutissant à une grande place quar- rée, était autrefois la résidence des gou- verneurs; elle ne serait aujourd'hui qu'un désert, sans un mouillage qui permît aux navires d'y charger les sucres que l'on cultive dans la plaine à laquelle elle donne son nom.

Nous reçilmes un accueil honnête, et trouvâmes un bon dîner chez Messieurs Schéridan et Gatchair , négocians , dont ia voiture et les chevaux se trouvèrent heureusement en état de nous conduire au Port-au-Prince , nous arrivâmes à nuit close.

Le Port-au-Prince! Quand on a

connu eu France des colons, et sur-tout

A Sain t-D o m i n g u e. 275

des colons créoles , on n'approche pas du Port-au-Prince, devenu la résidence de tous les pouvoirs, la capitale du pays de la terre le plus riche , le plus fertile en délices , le trône du luxe et de la volupté sans éprouver le secret frémissement, la douce et vague anxiété qui précède Fad-

miration et prépare à Tenthousiasme

Enfin , j'arrive entre deux rangs de caba- nes 5 roulant sur une aire poudreuse , que l'on nomme rue , et cherchant enva;n Persépolis dans un amas de barraques de planches.

Je défie. Monsieur, l'imagination la plus volcanique de résister au premier efîet d'une pareille surprise. Stupéfait, je demande à mon compagnon nous sommes ? - Au Port-au-Prince sans doute comme on est à Paris dans le fau-

bourg Saint -

arceau

Vous verrez

cela demain.

Le lendemain, malgré mon empresse- ment à précéder le soleil , dix heures du matin me surprirent cherchant encore dans le*véritable Port-au-Prince, le Pot-^

276 Voyage

au-Pince (i) des Américains, sans pou- voir le rencontrer. Je trouvai bien , de tems-en-fcms, quelques cases p-us vas- tes, plus ornées que les autres. Un édi- iice en pierre, isolé ^ et assez régulier, m'annonça bien la résidence du gouver- 3ier.r. Je vis bien une place de marché que rintendant actuel, M. Barbé deMarbois, vient de décorer de deux fontaines d'un bon goût d'architecture , mais inabor- dables parles ordures dont les nègres , qui viennent j puiser de Peau , ne cessent de souiller les avenues. A la suite de cette place, sur un tertre qui îa domine, je VIS encore une petite esplanade plantée de quelques allées de jeunes arbres ^ avec un bassin à jet d'eau au milieu , et des- tinée à servir de terrasse à la nouvelle intendance que Ton projette de bâtir. Mais tout cela, en supposant des rues plus régulières , constituerait à peine une de nos villes du troisième ordre , tout cela est Fouvrage de M. de Mar^

Xi) Manière de prononcer des créoles.

A SAïnt-Doivîtngue. 277

boîs et de deux 011 trois années , et prouve qi:c les Américains ont vu et vojent ejicore le PorUau-PrIncc actuel , comme les Hébreux voj^aient la Jérusalem cé- leste dans la vied'e Jérusalem.

Que la présence du gouvernement la résidence âes corps adminislrafeurs, un spectacle , une garnison , un port , un entrepôt decommerce , entretiennent au Port-au-Prince le centre de toutes les affai- res , le rendez-vous de tousles intrigans,de tous les chercheurs de fortune, une ac- tivité , un mouvement que Ton ne trouve pas dans toutes les villes de la colonie, cela est tout simp.^e; mais il n'en sera pas moins vrai qu'à quelques différen- ces aux mœurs , au costume près, comparaison qui se présente le plus na- turellement à la vue de cette ville, est celle d'un camp tartare , tel que les voyageurs le décrivent, et qu'avec la meilleure volonté se prêter à l'illu- sion , avec ton* e rinclidgence que réclame la prévention patriotique, tout homme raisonnable me saura gré de mettre un

iiPiiiiMii

â7S Voyage

terme aux mensonges , aux exagérations avec lesquelles la bêtise et la mauvaise foi en imposent à rinexpérience.

Je dinai ce jour-là chez M. de Mar- bois, je me retrouvai pour quelques heures en Europe.

Cet administrateur, que ses services et son mérite personnel ont porté à la place qu'il occupe , se propose de publier încessammeni un compte rendu, dont je vous ferai passer un exemplaire qui sup- pléra à tout ce que je ne vous ai point dit sur la population , féconomie politi- que, les relations commerciales ,1a police et les autres détails de fadministration.

Malgré les travaux publics , les embel- lissemens utiles, les améliorations néces- saires que Ton doit à M. de Marbois, on lui reproche d'être plus ministériel que patriote , plus courtisan que citoyen , plus fiscal qu^administrateur, et les deux pre- miers noms commencent à prendre une consistance dangereuse pour celui qui voudrait fonder ses prétentions au reâ- pect public sur d'autres titres^.

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k

A Saint-Domingue, 275

Si le €orapte rendu de M. de Marbois est le fruit de ce reproche, s''il a pour but de confondre les fripons qu'il sur- veille _, les sang-sues auxquelles il fait rendre gorge, la meilleure manière de répondre aux clameurs des uns, aux calomnies des autres , sera de prouver , par les faits , que , sans nuire aux inté- rêts que le souverain confie à son zèle, son administration a sensiblement accru îa prospérité de la colonie.

Fin du Tome premier^

TABLE

DES

MATIÈRES

CONTET^UES

DANS CE VOLUME.

A

Abeille vit en sociétés comme l'homme. Pag. tn

Ahornemens. Querelles fréquenles auxquelles ils donnent lieu. i55

Académie d'agriculture établie à Saint-Domingue. Son inutilité, à défaut de moyens pécuniaires pour des expériences, 227. ^ Projet de con- . sacrer une habitation entière à des expériences , dont le gouvernement ferait les frais, ihid.-^ Jardin des Plantes du Port-au-Prince insuffi- sant ,228

Administrateurs uniquement occupés du soin de leur forlune. Pourquoi. Méprisés s'ils ne s'en- richissent pas. Conseils aux souverains. . »7J ^ î9

%Bt T A B i E

^rîcains méprisés, eux et leurs dsscendans^ quel que soit leur mérite \ 55

Agrémeni. Travaux d'agrément entrepris et exé» eûtes au Désert par le voyageur seul. . 2o3

AJo'upa Ce que c'est. Nofes. . . . , . 87

Aliaçeîa, côte inégale et inhabitée depuis Teni-

-boacliure de Naïba jusqu'à Celte île, 46. -—

Retraite des oiseaux aquatiques , 47. Origine

de son nom mal placée dans le^ cartes , quoique

ce soit un point de reconnaissance. . . 48

Ameuhle?vent. Le goût ny préside point. Les appariemens des riches sont tous tendus en Damas i35

Amis des Jioij's. Dangers de leur docirine. Sa fausseté démon Irée par l'exemple même des Etats-Unis. Différences essentielles entre la culture de rAmérique-Septentrionale et celle de nos colonies. ........ 66

Anacoana , reine du pays. Sort que la cruauté espagnole lui fit subir 274

Ananas. Doute si l'Ananas et la Sapotille sent ndigènes 195

Animaux. Leurs rapports avec l'espèce humaine , propres à tempérer leur orgueil. , . 17

Arbifraire ( T ) serait vigoureusement réprimé par les colons. Gouverneur rappelle pour avoir Toulu jouer le Wtibab. ...••« ^

WÊÊÊL^

ÎDES MATIÈRES. 2»3

Atlres, On les abal à cent toises àtitoût des éta-*> blissemens. InconvénienS qui sônl la suite de ce procédé , i6i. - U Humus , n ayant guèi'es de profondeur, leurs racines courent diagona- lemen[ , au lieu de pivoter, 288. Ce qui les distinorue de ceux de nos climals. . 2r3o

arceau , espèce de fouet dont on se sert po^ir frapper les nègres. .,*...* i3o

Arpenîeurs se font pa3'^er fort cher, et font mal leur métier. . . » _. i55

Artichauts excellens , et plus gros qu'en France 188

Asperges pluiôt venues qu'en France, et n'exi- gent pas plus de culture. ..... 188

Aurore. Point d'aurore à Saint-Domingue. 12^

Avcinturiers très -communs à Saint-Domingue- Avarice des capitaines de navires. Inutilité des lolx faites pour les empêcher dy abor-» der . 78

B

5ajf>z5 froids. Leur utilité. ...... aig^

Baleine se divise en plusieurs espèces 5 se trouve depuis les Pôles jusqaa l'Equateur. Exagéra- tions sur la taille de ce poisson. Précieux au commerce par sou huile et ses fanons. 20

£^4 ' ^ T A B I E

Banane. Exellerce de ce fruit. Regardé par ]e3 habilaus de Mad'" re comme le fruit déferdu. Ressemble à la pomme. . , .^ * . ï39

Baptême des pro.anes. On plonge dans l'eau les marins qui n'ont pas encore passé la ligne, 2'. Cette cérémonie défendue à bord

- des vaisseaux de guerre , 28. Aveux du

père I abat sur l'inutilité d'expliquer aux nègres 1*^- mystères de la religion ; que le

^ baptême n'est pour eux qu'une cérémonie qui leur procure un nouveau nom 5 qu'ils regi elttnt leur ancien, 174

Barbade, la plus riche des colonies anglaises. . Pourquoi 60

Baudouin. Habitation de M, Baudouin mieux tenue que les autres. Réception amicale. Bon

esprit de M. et Mad. Baudouin. Situation de cette habitation. Très-pit oresque. . . 248

Baya-Handros , nom des chevaux dans la partie espagnole. 47

Be?^frand ^diOgeron, chef des flibustiers, envoyé par le gOLivernemen^, Son portrait. . 107

Beurre, Procédé pour le faire sans baraîte. 184

Blancs. Ils sont Iolu égaux à St-Domingue . 56-—

Leur nombre fait la force des colonies. Qu'il serait à désirer qu'ils fussent la plupart petits habitans , 69 et 60. Parties du terrai»

.^^C^-^ '''^ *''

DES MATIERES. 285

cultivr-e^ par des blancs avec >uccès , 6r. Dix

■■ blancs accHinatés font l'ouvrage de cent

nègres, 62. r Blanc ne peut se taire servir

par un blanc Ho

Bois. Les plus propres à la fabr'calion de-; men! les croissent à Saint-Doîningue. Po irquol 1-; ny soni pas mis en œuvre , 2.'3o Leur desfrui- îion. Effets de cette desîracion , 256. In- conv niens de leur destrucl'on totale , 263. * Avantages qu' ^n retirerait en enlaisint

quelques bo iquets dans les enceiîites d. s ha- bitai ons, 264 Réponse aux objeclions des parlisaiis duojstême contraire .... 265

Bossales noirs. Ce que c'est 81

Boucheries. La viande en est mauvaise. . i36

Brise. Ce que c'est. Nécessaire con re l'cxcès de la chaleur. Ses causes iticonn les , î32 Sodi retour m'iins régulier que ne l'affirmant cer- tains voyageurs , 141. Manque quelque- fois . , . 1, . 14I

Cacique (un) avail vk\\\\\ dan^ Fde de Staïti 4000 desescompalr'oles. En 1718, cet élablissemenl!: réduit à 90 individus, seul reste de la popala- iion indigène. ZV tes

Cacaotiers ou C cnovers. Beauté de cet u"bre et de SOA irait. Sa culture abandonnée, ainsi qu©

s86 TABLE

celle delà Casse, du Gingembre, du Kocoti et du bois de Brésil. Pourquoi. . . . 226

Café. Manière de le cultiver. Amélioration? dont elle serait susceptible. Auteurs qui ont traité de celte culture, 223, 224. Son produit. . 225

Çaen. Route de Caën au iHàvre, remarquable par la richesse du pays , et ses sites roman- tiques ............. 5

Calaloux, Excellent mets. Sa composition. 137

Calender. Danse des nègres. On la leur permet aux jours de réjouissance. . . . . . 166

Caraïbe (choux) importé des Isles-du-Vent. 19$

Carcasses de maisons arrivent toutes taillées des Etats-Unis. Raisons de croire qu'on préférerait celles faites sur les lieux par des ouvriers français 235

Case. Description d'une case américaine. Pour- quoi elles sont construites en bois , l33—

Celles des pauvres ouvertes au vent , à la pluie et à une multitude d'insectes. . . r35

Cassier. Ses feuilles sont purgaiives. Procédé pour en faire usage. 219

Castors vivent entr'eux plus paisiblement que les hommes 17

Chaleur excessive agit sur le moral comme sur le physique. 5i

Charpentiers prospéreraient à Saint-Domingue ^veç quelques talens. ,,,.••• 234

1^^

DES MATIERES. 287

Chasse du cochon marron ou sauv a^e . 246 Fa- tigues auxquelles cette chasse expose , 248. Son peu de succès ^\'^)

Cherbourg. Travaux de ce port. M:)numea> de la légèreté avec iac]uelle on lésa en (repris. 6

Chèvres causeraient des dégâts dans les ( a- fiers. 1^5

C/2/VCC7. Danse de caractère très-voîupîueuse. 147

Chou paltnisfe. Rien n'égale sa dél'calesse. II iaut abattre Farbre pour en cueillir le irui(. Faus- seté d\ine comparaison de Montesquieu. i38

C/3â;5. Mines d or Irès-riclies i58

Classes didérentes des habitans de Saint -Dd- mingue. La première , dans l'ordre é!ab*i,i , se trouverait la dernière s'il {allait commencer par la meilleure, 76. Classe blanche. D.' quels individus elle est composée, 77 et 78. Se- conde classe, gens de couleur ^ 79. Troisième classe,/*?^ noirs j 81.-— Nuances de ces trois classes ba

Code noir. Q.ie les autorités n'ont pu en mettre un seul article en vigueur. Mal jugé par un auteur estimable. . 71

Colomb découvre TAmérique , et bientôt aprêcî l'ile de Saint- D'jurngue. Transports de ses compagnons lorsqu'ils y débarquent. . 84

Colombier, Branche essentielle de l'économie ru- rale. Soins qu'il exige. . . t- . . » i^3

sSe TABLE

Colons. Combien il est difficile de les soumettra au gouvernement. Moyens employés pour combaUreleurinsLibordination. Peu efficaces, 70 et 71, Leur vanité mal fondée-, 76. Leur dureté envers les nègres. Appel à leur huma- "^^é. \ ... 265

Commerce plus occupé de s enrichir que de pa- raître riche , 6, Le* commerce apporte au nouveau monde, des vices, des arts et des besoins, 3,5. Loix en sa faveur. Destructives de la prospérité coloniale, ici. Ses usur-

, pations, 102. Crédits qu'il lait aux cultivateurs pour les mettre dans sa dépendance ,110. Im- portadon des objets de luxe. Pr'x scandaleux mis à^^Jftie paire de pendans cl oreille, iio et suiv. aux noies. Trois privilèges oppressifs lui sont accordés , 1 12. —Mauvaise qunli des marchan- dises qu'il fournit, îhid. Son fle^potisme, i3.

Véritabîeproprféiaire :!e Sa'nt-Domingue, 1 14—.. Ses fortunes rapides lu' facilitent lalliance des maisons puissantes. Eloges outrés prodigués pgr \Qi économistes à cette profession. Réduits àleur juste valeur , , , iiS

Compagnie chargée avec privilège d'approvisionr- ner la colonie. Modicité de ses fonds. Usures exercées envers les habitons. .... 109

Complejcion. Pourquoi l'on pense généralement <]ue le$ gens d une complexion délicate résisteul

DES MATIERES. 2^^

' in'eux au clîinat ? L'auieur combat ce pré- jugé 2l5

Cojicessions. Leur éteiiuue leur produit moyen. Pourquoi cultivées par des noir^, 5;, Leur trop grande étendue nuit à la culture et à la population. Chaque individu n'en peut obtenir ciu une seule. Comme on élude la loi. . 5B

Confifures grossièrement faites. Moyens de leur attirer de la réputation et un débit rapide. 233

Ccnsidéraîlcn . Tient uniquement ai nombre des npgres , comme en Hollande à celui des tonnes d'or 144

Conversations ne roulent que sur le sucre, le caié, le coton et l'indigo. Avantage de cette mono- tonie pour le nouveau débarqué qui désire de s'instruire . . . , , 143

Coq. Son cbant remplacé par les claquement de foue;s.e: les gémissemens 129

Corîez. Sa gloire fait frémir d'iiorreur- . 36

Corço ou Cuerço j statue équestre trouvée, dit-on, dans cette ile. Absurdité de ce conte. Son

but.

24.

Ccîon.^iX culture, la plus attraj^ante et la moins ;dispendieuse. Ce qu'il a à redouter, , . 225

Cotfin, armateur distingué, reçoit une épée de la main du loi , 4. Courageux et prudent , 7.

..i.Fait régner le plus grand ordre à son bord ; 25„

A

29^ TABLE

Occupe conlhiiiellement ses matelots. 26 Couleur Gens de couleur, quoique libres, restent

dans l'abjecllon. Manière delre des blanc^ à leur égard, et ç^ce ieis:î , 81 Celle da la peau dans ses n lance d.i blanc au noir, seule écbelîe des distinctions de rang, 54.

Rjs,;ect pour la couleur palladium à^-i colonies, 56 Gens de codeur. Individus compris sous celle àéÀgviSiiiow. Aux Jiotes. 79

Coulevçres très-groises. Peu dangereuses. Très- familières. Incommodes ailleurs que dans les magasins el'es déiruiseuî les rats. . 25l

Créoles. L'air de leur pittrie ne saurait leur être funeste , 63~C:éo!es noirs. Ce que c'est, 8r •—Auraient 1 avantage sur les blancs venus d'Europe , maVré lexcellence de l'éduca- tion de ces dernier--, s'ils savaient user sans abuser des dons qu'ils ont reçus de la nature. Discussion sur ce sujet , . %/^

Crépuscule. Point de crépuscule à Saint-Dom'n- g"e 12S

Cuba. Cinquante familles de cette île se pendent en un seul jour 197

Cuisines séparées des maisons à cause de la négli- gence des nègres. La masse des babitaus des villes prépare ses vivres en plein air, . i36

Culture. Quelle prospérerait davantage si elle était confiée aux iEuropéens. Qu'il serait pos-

DES MATIERES. 19Ï

sjbîe d'à (teindre ce but , et comment , Sg. Cul-- tures d'am-ément enlièrement négligées. 194

Danses ont lieu après le coucher du soleil. Les femmes y excellent. Description de leur ma- nière de danser 14^

Décoiwerfes, Ambition des découvertes. Ses fu- nesîes effets 35

De/>/7se. Réfutation des opinions de la secto militaire qui rejeté le système des places fortes i^^

jyeVeuner composé de viande et de fruits du pays, sou heure , ce que Ton fait ensuite. . - i3ï

Delta dissous par les pluie j de 1761. Preuve que la nalure admet par-tout des exceptions à ses îoix générales -^4

Denù\ (Monsieur) Cet habilanl plus instruit que les autres. Conversation agréable entre fauteur et lui. Repas assez bien ordonné. . . 270

Dépopulailon effrayante sur la côte de Gui- née . . . 97

Désert, Description de la case de cette habita- tioU; 160 Sensation douloureuse de madame L. . . . en voyant son mauvais étal. . . ihld

Desîrade m.al-à-propos citée comme une île in- habitée. ,. 4 .....•• 3x

^9^ TABLE

X>iéte*iqjie. Crég'me) Q lel est celui quiconvfent le meax aax nouveaux débarqués, 2.1G A tous les hab^îans 217

Dindons c'v'.lL.és à leur corps défendant, i63 Leur chair se bon'iie dans les l ois. . . ibb

Domingne (Saint-) trè -peuplée lors de la con- quête deôEspag^nols. ....... 196

E

ÉducaHon. Tcil leau frappatit des vices de l'édu- cat on de Saint-Domifi^ ue. Ses su/te^ :an3.>(e?, Imm-rd;té proforide à^^. habitans de c. fte conî^^ée ^^

légalité que la nature ne nous d,.n:ie point- Le modèle de l'in-galité soc'ale, aux notes. 53

:Egnse app'jriée de France à Jac.iiei toute prepirée, 120. Peu fréquentées à Saint- Djni"ngue . . , ... . , , , 120

JEngcg^'s , ou trenfe-six moi >. Premiers cultivateurs

, des colonies. Fesaient ce que font ajjourd'hui

les nègres.. 5jf

'Epiiisemens. Causes àes épuisemens précoces d'une partie des habitans de Saint - Do- ïii^'îigLie. . . , 219

M sel es. Leur ouvrage le plus cher de tous. Pourquoi , . . , . 62

Esclavage. Qu'il faut , dans l'éta actuel des choses, le maintenir, ou renoncer aux co'onios. 66i, Moyens progressifs dq labolir, I^ouveau

:i:rï

DESMATIFRES. 293

partage des terres. Obstacles qu'y opposera Imtérèl personnel. Intérêts àluiopp )ser, 68 Corr iplion morale contiaire aux irs , aux lumières, aux verlus , à la subordina- tion ..... 69

espagnols dépeuplent leur pays pour dépeupler ensuiie le nouveau moiide , 36. Leur paresse. Se nouris ent de lai. Ne cultivent que Texf-ellent tabac connu sous le nom de Sainl-Doming le , 4-^. Leurscruaulés dans le nouveau monde. Deux millions d'hommes leur doivent la mort dans la seule île de Saint- DomiiigLie . . . * 196^

Espèce humaine divisée par-tout ailleurs en deux clauses , le peu;^.le proprement dit , et Thomms distingué par sa naissance et son éducation , à Saint-Domingue ne XeA quen maîtres et en, esclaves 53

Études de la Nature. Erreur relative au Pr^s-^ cellarîa , contenue dans cet estimable ou- vrage 19

"Fauchei ( madame). Habitation de cette dame. Son plus iort revenu vient de ce qu'on nomme les çwres. Av.mtages de ces sortes d'établ's- semens. ^.^oins bri'lans, mais plus solides que les sucreries et ca.teyéres â/x

^-ïfc.......

^94 STABLE

:Pemmes. Premières femmes envoyées à SaînN Domingue, choisies dans tout ce qu'il j avait de plus crapuleux io3

Meurs. Le ^Narcisse , le Réséda, l'Hjracinlhe et îa Vioîeite, peuvent être cultivés avec succès à Saint-Domingue. ....... i86

Flibustiers , premiers fondateurs de la Saint- Domingue française j 104. Leur prodigieuse valeur, et leur férocité, ic5. Se réunissent aux boucaniers, 106. Demandent un chef et des femmes 107

Foré f s. On ns s'y fait jour que la hache à la main ^38

Fortunes particulières 1rès-peu solides aux co- lonies. Erreur des Européens à ce sujet. 19 r

Fougère (belle espèce de) très-commune. 2^1

Fourrages. Les plus nourissans sont le petit mil ,

1 herbe de G'uinée. Les têtes de la canne à

Encre jqo

Frégate, Aigle de la mer, i3. DiSciîe à ' ^^er 14

Fromage. Procédé pour le faire sans formes. 1 84

Fruits. Quels sont les fruits indigènes à Saint- Domingue. , i3g

G

QaUre , ou HoJoture: Ni plante , ni poisson. 23 Gralffam meurt à ThôpitaL Ses vertus. iVo/^j> 7X

mÊÊÊm

nn,

.DES MATIERES. 295

Cascrgne. Golfe de Gascogne redouté des navi* gateurs, 8.< Poissons que Ton y pèclie. 9

Gibier, çhev el difficile à se procurer. Ne consiste qu'en Ramiers et en Cochons sauvages. 187

Gosseline ( torrent de la ) facile à détourner. Moyens de lui faire traverser la ville de Jacmel. .*.«....••

12a

H

HahUans. Faux calcul des babifàns de Saint- Domingue 5 qui se priveni de tous les agrémens de la v^ie, dans l'esi oir d'une fortune toujours incertaine , 212 Contraste entre leur peu de goût et leurs prétentions à l'opulence. . 270

Jlâçre. Travaux pour rendre le port plus vaste et plus commode, 6. —Perroquets très-com- inui:<^et très-imj ortuns 7

Jlisfnire nalurelle de Saint-Domingue imparfai- tement connue. Au gouvernement seul esl ré- servée la gloire uiile de lui faire faire de grands progrès. Comment. ....... 243

yionorifiques (titres) disparaissent devant le titre blanc 83

Jlospifalifé si célèbre autrefois. Nulle aujourd'hui. Pourquoi , 78. Disparue avec les causes qui en avaient londé le besoin 1^5

S9^ TABLE

Huissier. Lucres énormes des gens de cetfô profession, ......... , . 104

I

Ignorance. Son indocilité. Moyens de la rendre plus sociale 2

Indigo. Sa cultnre abandonnée à Jacmei , et pourquoi *..... 89

Industrie. iMo^'ens de la faire prospérer dans les colonies 2-55

Ijie^alîié. D"oii elle provient. QLieL>sonL ses avan- lage.-. Ça il ^autparer àses abus.. iî/.r/z ues. 53

Insalubrité. Celle du climat , moins fu nettes a.;X iEuropéens que leur inieuipérance. . . 61

Insociohillté. Yice général des habitans de Saint- iD:jmir;gLie. Ses causes, ses etfe;>. . .'154

Imprt. Prcr'uit supposé a'un impôt par têtg dans la pai^lie Espagnole de ^aiut-Domingue. 46. , l2!|u>tice de son a^siète par tête ds i:èTe. Bépoii,-e aux objections des partisans de ce sy.-téme,o2 et q3 iT'^écessilé d'imposer îa denrée . ibic Facilité qu'ontles habit^ms d ela- dtrr ce moce vicieux d'imposition. . . 94

Ipecacucnha irè.^-propre à faire ÙQi [ordures, sa

. tîgeneiervantiamaisd'asjle aux msectes. 187

I^senieç. Ce cuç c'e^t. Leur utilité. . . 184

Jacmei

J'acmel, Son origine» Sa situation. Ses établisse- mens publics, 87 et ^^. Erreur de M. Rdjmal. Commerce de ce quartier. Sa culture, 90.

f Causes de ses peu de progrès , 91.— -Ni^css-" site de Ibrtifier c;» point de Tile de Saint-Do- mingue , 124. Facilité d'j réussir et m jjens d'exécution I25

Jésuite sauvé par lamiraî Anson. Sa reconnais- sance ............ 3

Journée de Saint-Domingue. Façon de vivre dans , ce que Ton y nomme les villes. . . . 127

Jours à peu-près égaux aux nu'ts. . . . sS^

Juan de Qaslro (dom) ne laisse pour toaie For- tune que trois réaux. Aux notes. . . 72

Justice. Ses frais excessifs , causes de la pauvreté des habitans, io3. Maladminlsuée. . 104

Xas-Casas, Le plus Imrnain des prêtres fait adopter lesclavage des noirs , sans aucun avan- tage pour les Indiens. Aujc notes, . . 67

Hatanier propre à faire des chapeaux. Son usage peu commun 232

JLégtslafeuj's. Douze cents législateurs , et douze cent milles politiques , proposant cliacun à haute voix une constitution pour la France. . i8r

Zégumes meilleurs , mais moins variés qu'en Eu- rope, 137— 'Presque tous ceux d'Europe, tek i 20

^a 1p A B L K

que l'oseille, le persil, le serpolet et le cresson y peuvent s'y transplanter i86

JLéogane. Route de Jacniel à Léogane, 267. Description de Cette ville. Hospitalité exercée par deux de ses habitans. . , * . , 274

^jianes. Leurs qualités purgatives et vénéneuses. Quil faut s'en méfier. ...... 219

Ijima. L'archevêque de Lima fait jetter à la mer le squelette d'un Patagon , pendant une tem-* pête. Auge notes, 3

^Livres, Erreur de ceux qui croyent qu'il est im- possible de les conserver à Saint-Domingue. Mensonge inventé par les Créoles pour excuser leur ignorance , et répété par des écrivains crédules . 146

Locuste. Célèbre empoisonneuse .... 220

XjOîx, Donner de sages loix aux hommes. La plus périlleuse et la plus inutile des mis- sions -...,... 183

Zoke, chargé de donner des loix à la Caroline, ne lui donna qu'un plan de législation ridicule et impraticable i83

Lumières. On est forcé de les tenir sous des cloches de verre pour les préserver des scarabées ailés et des maringouins i35

Lune. Sa chaleur assez sensible pour fatiguer l,a ,vu@ •«« •»**•••*•« 2^7

"i%-i;_.^^ .*--;-=---

t) E â M A T I E R E â. s^§

M

^^ro7z^ très-maladroits , mais très-employés et très bien payés 284

Maîtres. Moyens qu'ils ont de s'assurer de Topi- nion de leurs esclaves , employés par 1 auteur du voyqge i . . . . 35

Maïs et Millet. Sont celles des cultures euro-* péennes qui ont le mieux réussi en Amé^ rique ...*........ 191

Mal de Naples, ou mal français* Ses ravages dans le nouveau monde nj-j

îifâpûu. Grosseur prodigieuse de cet arbre. Exa-* géi^alions des voj'^ageurs 2:38

Maringuoms se jetient de préférence sur les nou- veaux venu?. Ce n'est qu'après six mois ds séjour qu on est à Fabri de ses incommodes morsures ..**;....*. 14a

Marsouin (le) se distingue en deux espèces. Va par bandes.' !Ne dirige point sa course au vent ........ A .. . 18

Massacre. Éà rJvière du massacre, monumen| de la férocité des Espagnols 40

Matelots peu délicats dans le cboix de leurs mets. 1^

Mazinho , nègre chéri de l'auteur du voyage* Principaux traits de son caractère. Sa fierté quand il reçoit un fusil pour aller à la chasse avec son maître. Attachement de sa compagne

3oo TABLE

Laoue. Fraye un chemin à son maître à tra- vers des brouissailîes ... 248

Médecine. ProFession abandonnée à des ignorans. Exigerait plus de talens quen Europe. Con- duirait à une fortune rapide 234

Melon. Ses fleurs et celles de la vigne difficiles à préserver du ravage des fourmis. . 187

Méridienne. Usage des liabitans de dormir après le diner iSa

Meubles. Tous ceux de nécessité et d'agrément sont apportés de France tous fabriqués. 2.'So

Monhars l'exterminaîeur , Tun des cliefs des fli- bustiers ..... 104

Mcntagiies. Impossibilité dy voyager en voi- ture. Les femmes même obligée:^ de monter a cheval. Contiennent de.-^ mines d'or. Réfuta- tion de Terreur de Bernardin de S.'. Pierre à cet égard, l58 Leur air plus pur. . 217

Moniesquieii. Son jugement sur la conduite des Evipagnols dans le Mexique 87

Monleruma. Les débris de con riche empire sont couverts de capucinières 26^

Mciiche (Oiseau) difficile à distinguer, impos- sible de le sai^ir au tiré. . . ' . . . . 2.S0

Mulâtres. Libres à 24 ans dans le prlnci^ie. Assujettis à raffi'anchissement par un édit de j[674, religieuseineiit Qbsei:vé. Pourquoi. 80

^mmmÊÊm

DES MATIF.RES. 3oi

MuJafresses. Leurs talens pour la danse- Ont fait de la \o]upté un arl mécanique. L élégance de leurs (ormes. Leur manière detre. Leurs vices , leurs qualifés. Sont adroites et pares- seases. Leur coëffure. Leur toilette. . . 147

Naîba ou Neiva , une des rivières les plus con- sidérables de File. Ses bords inhabités. Semble destinée à séparer les possessions espagnoles et françaises. Vénalité des commissaires en décide autrement

Nègres. Leur prix accru dans une proporlion effrayante, 95. Sans que celui des denrées ait suivi la même progression. 96.-— Leur ra- reté, 97. Raisons de croire qu'on ne pourra bientôt plus sen procurer , 97. Inertie et paresse des maîtres , qui trouvenî plus commode de les frapper que de ]qs ins- truire, i3o. Il en est qu'il faut absolument

battre pour les mettre en mouvement , ihid.

S'accoutument aux coups et deviennent insen- sibles à la douceur et aux bienfaits , i3i. . Très-difficiles à connaître. Le nègre africaiii e^t le véritable nègre; le créole nest que le singe des vices de son maîfre , 167.— .Que personne n'est encore entré dans les détails nécessaires pour bien définir cette espè-ce

3ofi

TABLE

cThonimes. Notions préliminaires qui devratenl en précéder Tétude , i68. Pas mieux connu par ses pan égyristes que par ses d é irâcteurs ,170. , Portrait du nègre en général, J 70 , 171. —-Ceux qui ont été en A.rique médecins, prêtres ou sorciers, très- dangereux , ïbid.'-^^ Manière de les conduire, ihid.^-'L^ plupart vo\envi,ibid. Nulle idée d'une morale con-« ventionnelle , 172. ISiont aucune idée de lavenir. Sensibles au plaisir, ils sont insensibles à la douleur, 176. jN^arguent la mort. S'ima^ ginent en mourant retourner dans leur pa-^ trie, 177. Exemple de leur constance k^ ibraver les toarinens , au.T noies, ihid. -Sont susceptibles d'éducation, et doués d autant d'iu- teiligence qvie les Européens, 178, I79'"~' Connaissent toutes les plantes vénéneuses." Çue cette science leur a facilité de grands crimes, 2 19, 220.— Leur sort déplorable dans l'avenir comme dansle présent ......... Z^

:Noirs. Leur trafic infâme. Que leurs amis ont écrit en leur faveur , sans les connaitre , non plus que leur existence dans létat descla-^ vage. ... ^ ..»••• ^ ^^■

O

Qlseaitx de mer très-adroits à la pêcbe , difficiles ^ tuer, très-mauvais à manger, i3. Comment ils rçlrpavenî leurs nids quand ils ont fait leur

.|t-- Sîli*^

tj

DES MATÏERES. 3o3

ponte en mer, ib. Mystère delà nature , ihid, Oiseaux emportés parle vent loin des terres , se réfugient sur les, vaisseaux , n^y trouvent point d'ijospitalilé , 23. Oiseaux de Saint-Do- mingue. Leur nomenclature. . . . 249

'Opinion, Seule force qui puisse garantir la sûreié des blancs dans les colonies 66

Oranger mal cultivé à Saint-Domingue. . 194

Orchestres composés dun ou deux violons. Prennent part aux danses par leurs mouve- mens ,....,. I4'7

P

Pailîe-en-cuî jOnJlèche-en^cuI. Description de cet oiseau i3

Palma-Christi. Ses différens noms. Propriétés de sonhuile.Manièrederexlraire. Auxnotes. 232

Vataie. Sa tige sert à nourîrles bestiaux. . 190

Vêche 1res-? peu abondante. . . . . . 196

'PHre, Son fil plus fort que Iq chanvre. D'un blanc ^éblouissant. A quoi il serait propre. * 23t

pluies. Exagérations des voj^ageurs sur ce sujet. Ne tombent que par orages. N ont rien qui les dislingue des pluies de ce genre.Sont Irès-réglées. Pourquoi. Ne durent que quelques heures, 2S2 et 253. Manquent quelque-fois, . . . ihict

Poè'fes embarassés à trouver des comparai-*

Sr

3o4 TABLE

sons , 127. Leurs couplets un peu licencieux , , mais pleins de naïveté et de grâces, . i39 Poirçux. Espèce de hibou de mer. . . . 14 Pois. On mange à Saint-Domingue des petits

pois presque toute Tannée i^^

Poisson-çolant de la taille de la grande sardine. Erreur du docteur Dellon et delabbé de Clioisy à ce sujet. Très-commun vers les Trop'ques. Très 'délicat au gcût, 21. Ne peut prolonger son vol au-deîà d'une portée de fusil, 22.— îsT'est point amphibie. Aux notes. . . ibid "Population. Qu elle peut se soutenir- sans les émigrans d Europe , si les habiîans se mariaient

et avaient des mœurs (i^

Porc (le) est excellent. - . . . . . . , i3j

P'ort-au F rince , capitale du pays , séjour de toutes les aiiiorités. Sarprlse de Tauteur du voyage. Diuérence entre ce qii'il voit et ce qu'il avait entendu dire par les colons créoles. Descrip- iion de cette ville. Mensonges et exagérations contredits ... . . ... . . . 275

Pcuîes Pond:-nt toaie l'année, et couveiU deux ou trois fo's pir an. . . .... . 164

Productions de Tile en très-petit nombre avant

l'arrivée des E iropéens 194

Promenade impossible a'vant six heures à'J..

soir 1^2

Proprî^'tés. Toj jours mieux cultivées quand elles sont médiocres 90

"*^MB:?StS

DES MATIERE s. 3o5

ProsceI/ar/ii;\ u\^ciirement alcyon salfanîgue , ou

. VoU-eau de iempêle. West point k précurseur des

ora«ei 19

R

Rais émigrans d'Europe , 195. Commentî Is se sont peuplés dans le nouveau monde. Ra- vages épouvantables qu'ilsj^ causent. Leurs ruses pour s'approprier les meilleurs vivres de la cargaison. Moyens pour en purger les na- vires. igy

jRe/^ié'Wf'72/. INé^ligence coupable des ingénieus qui ont été cba-gés de celui àQS> cô;ei. S-iiies funestes quelle peut entrainer. ... 49

ilequ m .Sa v o ra cité. S a fo r me , 9 . A 11 î br op o-

pbage, 10. Ses pilotes, ihid. Jeu barbare

'des matelots. Ils mangent sa chair , 12,.

"Ebranle le pont diQi navires ihid

Rima , ou arbre à pain des iles de la mer du Sud. Poiirra-t-il se transplanter avec succès aux An- tilles? 229

Ris. Croit sur les plus liantes montagîTes. Preuves 193

Rose aussi belle , aussi fraîcbe qu'en France, mais dure moins 128

Rose'es. Très -abondances , et remplacent les pluies pendant une partie de Tannée. . 253

Rossignol. En quoi le prétendu rossignol de Saint- Domingue diffère du noire 2,5o

So5 TABLE

Route àe Jacmel au désert. Bords du forrent la Gosseline peu habités , quoique les sites feu soient agréables » iS^

Sahlier. Description de cet arbre singulier et de son fruit 24S

Saint-Domw^ue , Qidsqueïa , Haïti ^ Eîpanga ^^ nom des parties de j'ile les indigènes avaient leurs établissemens. Les Espagnols la nom- inèrent IsaheUa , au îems de la découverte^ 42. ' Quiproquo de lauteur de V Histoire générale des Voyages, ihiâ, aux notes. -— La partie es^ pagFiole plus fertile que la française. Les moines, causes de son peu de rapport. Sa population et son industrie n'ont reçu aucun accroissement. 45

Saisons. La différence du tems humide au sec •est la seule qui les distingue. .... 254

Saonay petite ile l'on ne trouverait aucune ressource en cas de naufrage. Le navire es£ près dy échouer 3a.

Sapannes. Ce que c'est. Noies, . . , . $7 Saçans. Une vasie lecture et la vie sédentaire

font les faux savans 24:*

Sarclage. Mélhode défectueuse suivie à Saint-- Domiïigue pour le Sarclage. Nouveaux moyens proposés •,..,,,.,,. ^:^

DES MATIERES. S07

Sexes. Leur mélange najoule rien à ragrémeiit des socii'^tés. Les Eu 'opéennes se moquent des femmes créoles, qui le leur rendent, 144. ■Les unes et ]es autres sont abandonnées des hommes qui leur préfèrent les mulâtresses, ibid

Société très-insipide et très-maussade. . . 143 Soli/aîre. (vie) Ses charmes. Moyens de la rendre

agréable 2.06

SjH fil de. V rôdeuse, même sur mer. . . 4 iSou^eurUnce Veau perpendiculairement. Appar- tient à Vespèce de la Baleine. ... 21 Sources taries parla destruction des bois , 256. Reproduites par les tremblemens de terre , 257. Taries par le même phénomène. . 263 Sucrer'es. Invitation aux sucriers demployer les, boeufs à la culture de leurs cannes à sucre. Raisons qui l'ont pencher l'auteur en faveur de cette méthode. .•,.«* 1 « 221

T

Tables. Eort mal servies i36-

Talens très-rares à Sa'nt-Domingue. . . 145

'jpamarin , purgatif indigène. Manière de Tera^

ployer 219

Tass^ , ou po'C fumé. Objet principal du com^ merce des Espagnols avec les Français. 47

"^empéiGÎLirc. Causes locales infiuenî sur la tem- pérature, 255. La (Jeslruction des bois v e.

3bS: T A B E E

apporté de grands changemens aax AntiUe^ Avaiiiages et désavantages de ceîie révolu- tion ............. 256

Tortue. (File de la) îevasseiir en chasse \çSr Anglais en i633, ef y prend pied avec le tiire de prince. En 1660, du Rossel, autre avantu-

. rier, la vend à la compagnie des Indes. îo6

TowisQn^ Absurdité de .la /able qui fait naviguer re voyageur à Taide de son bonnet, Expli-' cation. 25

Ttenibleinens de terre. Leurs causes. Exaineii des diiîérens systèmes des savans. Opinion de î'auieur , 257 et 258. Pliénomène inconnu à la îiaLite anfiquilé, 260. Observations do Fauteur sur quatre tremblemens de lerre dont îl a été témoin^ 262. Leurs effets. . 263'

■¥

yan-jyîemen, Habitans de Yan-Diemen repous-^ sent les pré>ens des Européens. ... 35

VégétaL (le regrie) ii offre que très- peu de res- sources pour, la vie, si. f)a îe resserre dans le cercle des plantes indigènes 19a

We'gétation.Y.YYQ-aT de ceuTqu; n admettent d'autre cause à la différence de vég^ptalion , nue Tin- fiuence du climat. S.iife d'observations con- traires à ce système.- 23^

■!^gR j" JK^Sîrrxi.Jt—

-îJÈii--^

r^Mfj^^tWii

DES MATIERES. 309

Verreries. Raisons de croire qu'il s'en établirait avec succès à Saliil-Domiugu^. , , , 23l

Vieillards seraient très-co;nrauns , si l'on sassu- jélissait au régime qui convient aa. cî'.T:,at. Pourquoi , . . 217

Vigne réuscîit à Saint-Domingue. Défense de 1'/ cultiver autrement qu'en treille. ... 187

Vin iklsifié quand il arrive en Airjérique. Par qui eit comment. Notes , 188. Son usage mo- déré très-utile. Conseil intéressé d'un colon à ce sujet. 218

Vitres rendraient la chaleur insupportable. Ma-» niè''e d'y suppléer , i34

Volaille. La P-utade exceptée, est inférieure à celle rPELirope , i3;. Usage de la laisser courir. Incoiivé:uens , , i63

J^oyû^f'ifri^ jugent souvent des mœurs d'une naliom par celle de quelques individus. Plusieurs exemples à l'appui de cette assertion. « 2^

X

harangua, lieu devenu ceîèbre par ?atrocité d'une horde espa^t,nole. Pleine du pays étran- glée .etc. ... :274

Yoguana, Dans le voisinage de Léogane. Ancien établissement des indigènes 273

Mn de la table au premier volume.

»

50,9.^

ERRATA du premier volume.

î'ag, 2. ligne 20 lesmoyens^i^ez: ses moyens* 73 ligne 8 prudence , lisez : pudeur, ai 7 ligne 23 sa dissolution, lisez : la dis-

solution^ 177 ligne 17 différences aux mœurs ,■ ajoutez une virgule après différences^

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