28 ? >. à. / # À . z y nier a | angel, DD LP PE ENENS VE + np 5 “j1 # à # £ er OS me. VOYAGES D'UN NATURALISTE. me 7%: FT 2” He” ? LAS 4 LS ee L | Digitized by the Internet Archive in 2011 with funding from University of Illinois Urbana-Champaign A 2 ‘». http://www.archive.org/details/voyagesdunnatura03desc 2477 FRONTISPICE . d'ae 35 DOUTE 1 COURT Bombardement du Fort Redoutable de la Crête-a-Pierrot Pres du Bourg de la Petite Riviere de LarriBonrre VOYAGES NATURALISTE, ET SES OBSERVATIONS FAITES sur les trois règnes de la Nature, dans plusieurs ports de mer français, en Espagne, au continent de l'Amérique septentrionale, à Saiat- Yago de Cuba, et à St.-Domingue, où l’Auteur devenu le prisonnier de 40,000 Noirs révoltés, et par suite mis en liberté par une colonne de l’armée française, donne les détails circonstanciés sur expédition du général Leclerc ; DÉDIÉS à S. Ex. Mar. le Comte DE LACÉPÈDE, Grand Chancelier de la Légion d'Honneur, membre du Sénat, de l’Institut , etc. Par M. E. DESCOURTILZ, Ex- Médecin Naturaliste du Gouvernement, et Fondateur du Lycée Colonial à St.-Domingue. Multa latent in majestate Naturæ. Pzixe, Hist. nat. Præm. TOME TROISIÈME. PARIS. DUFART, PÈRE, LIBRAIRE-ÉDITEUR. L Ts Ce 7e 2 1809. Rs Vo ne LR OR LL LR AVANT-PROPOS. ———- | —— Crsr autant pour servir l'Histoire naturelle, que pour charmer la mono- tonie de ma triste existence , l’ennui périodique de jours trop longs écoulés lentement au milieu d’hommes sauvages, ignorans et jaloux; que je me suis dé- cidé à mettre à contribution mes foibles moyens pour rassembler divers faits his- toriques , dont j’étois le témoin oculaire dans des parties d’amusemens que des amis imaginoient pour négayer. L Enivré du désir d’être utile , les pre- miers pas faits avec un certainavantage, m'ont porté à diriger plus noblement ma course dans une carrière, étendue à la vérité, mais piquante pour ma cu- riosité assidue. Peiné des débats existans sur un point obscur de lPHistoire naturelle, je me suis hasardé de travailler à l’éclaircir ; et c’est pour y parvenir que j'ai souvent À 3 v) AVANT-PROPOS. risqué ma vie, et concentré encore davantage ma solitude pour parfaire mes ébauches déjà souriantes à mon activité. J’ai scruté, sondé , étudié les ruses, les mœurs et la nature du Crocodile de St.-Domingue, qui y est appelé Caïman, et c’est le récit didactique de mes études souvent rappelées sur le même objet, que je dénomme sous le titre qu’on voit à la tête de cet Ouvrage: De là, partant d'une presque certitude, je me suis occupé de la division des chapitres, et du soin des détails qui ne peuvent qu’in- téresser un ami de létude et un contem- .plateur zélé. DIVISION DE L'OUVRAGE (i). Dans Le premier Chapitre, j'ai cru devoir démontrer lutilité pour l'Histoire naturelle , de donner une idée juste des (1) J'achevai à St.-Domingue J'anatomie comparée du Caiman de ceite île, en 1800 ; mais des événemens malheureux ne me permirent de l'offrir à la classe des Sciences physiques et mathématiques de l'Institut, qu'en mai 1807. Je communiquai à cette épcque mon AVANT-PROPOS. vi différences qui se trouvent exister entre plusieurs espèces de Crocodiles trop sou- vent confondus , et enrichir cette classe, de la description d’un individu qui n’a pas encore été décrit, ainsi qu’on en peut juger par le tableau comparatif. Le second comprend sa physiologie raisonnée, que na fourni un examen sévère. Il est terminé par la récapitulation de ses proportions métriques. Dans le troisième j'ai placé son ostéo- logie raisonnée, où je donne à admirer la structure intéressante du reptile am- phibie : il est également suivi de la pro- portion des mesures du sujet. Le quatrième fait mention des parti- cularités qui existent dans la myologie de ce reptile. Ce n’est qu’un rapport travail à M. Geoffroi Saint-Hilaire, occupé alors à la confection de son Mémoire sur la détermination des pièces qui composent le crâne des Crocodiles (voyez les Annales du Muséum d'Histoire naturelle, tome x, pl. 249); et je fus assez heureux pour m'être rapporté en grande partie avec la nomenclature" de ce savant observäteur, qui m'accucillit avec l'afabilité et l'indulgence du vrai talent. À 4 #55; AVANT-PROPOS. succinct, ne prétendant point faire un traité complet d'anatomie. Le cinquième renferme la connoïissance de sa splanchnologie, véritablement bien disparate de celle des autres animaux. Le sixième expose au curieux ebser- vateur. l’examen intéressant des parties de la génération dans le mäle et la femelle. Dans /e septieme je donne connoissance des préludes de son amour, des détails sur son accouplement, et de l’âge auquel il peut produire : assertions appuyées d’un tableau tracé par l'expérience. On voit dans le huitieme quels sont les soins du male et dela femelle avant et après la ponte. Dans le neuvième on arrive successi- vement à la naissance du petit, et à sa position dans lœuf. Dans le dixième je rends compte de ses mœurs, des ruses qu’il emploie, et de la finesse de son odorat. Je décris dans le onzieme , la chasse qu’on lui fait aux lägons et au bord de AVANT-PROPOS. 1X l’eau ; la manière de découvrir les nichées au frais de la femelle, le danger éminent de cette chasse, et la curiosité souvent punie. La chasse au canot ; purement récréa- tive et nullement à craindre, fait le sujet du douzième. Je termine dans le treizième, Vhistoire des.chasses par celle la plus à craindre, et pour laquelle il faut des précautions bien rigoureuses, je veux dire la chasse aux repaires. J’assure aux Lecteurs la régularité des proportions dans les dessins attachés à cet Ouvrage; toutes ont été compassées, | après avoir été soumises à une échelle de réduction. J’enrichirai ce travail de plusieurs observations qu’ont bien voulu me communiquer M Cuvier et Geofroi Saint-Hilaire, depuis sa présentation à Pinstitut national, mais ce n’est point à titre de plagiat. Il est doux pour ma reconnoissance , de concourir à la célé- brité de ces savans observateurs. Ex # AVANT-PROPOS. citant leurs noms, c’est poser un fleuron de plus à la couronne brillante dont la Renommée les a déjà immortalisés. Le désir de rendre lhistoire du Cazman intéressante pour tous mes Lecteurs, m'a également déterminé à réduire à cinq les trente-cinq planches de son anatomie comparée, dont je réserve la publication pour les Observateurs et les Etudians en ce genre. Jai préféré flatter l’œil du Lecteur par des planches variées et plus récréatives, qui com- pléteront le nombre dont le volume est orné. VOYAGES D'UN NATURALISTE. VN NN Re ne D RU RO RE RL * HISTOIRE NATURELLE DU CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE, APPELÉ CAIMAN; Suivie de Notices sur ses mœurs, les diverses mameres de le chasser, les ruses qu'il emploie, et l’'uulité de le détruire. CHAPITRE PREMIER. Utilité, pour P ITistoire naturelle, de donner une idée juste du Crocodile de Saint- Domingue , afin d'éviter une confusion déja trop grande dans les nomenclatures. T'ableaucomparatif. Parallèle du squelette avec celui du Crocodile du Nil. ILappartient plutôt au Crocodile qu’au Caïman, décrit dans la nouvelle Encyclopédie ; mais c’est une espèce particulière , et qui n'atteint jamais la taille de celui du Nil (x). C: n’est sûrement pas le reptle appelé à Saint-Domingue, caiman , que M. Fabbé Bon- naterre a décrit dans la parue erpétologique (1) L'étymologie du mot crocodile, dit M. Geoffroi 12 | VOYAGES de l'Encyclopédie, par ordre de mauères , dont il s’est chargé, où il eût été trompé par de fausses instructions, par des renseisnemens imaginaires, par des figures idéales, én confiont au graveur l'exécution des planches, sans s'assurer de la Saint-Hilaire (Annales du Muséum d'Histoire natu= relle), vient, d'après Hérodote, Liv. 11, chap. 691» de xpnes et deihos , littéralement safran et timide, parce qu'on a prétendu que le lézard d'Ionie ne pouvoit supporter la vue, ni l'odeur du safran. Voyez Cic. de natur& Deorum; et Plin., iv. vit, chap. 28. Il est bien reconnu, continue M. Geoffroi Sant-Hilaire, qu'il y a en Egypte deux espèces de crocodiles; l'un d'un caractère farouche et indomptable, et l'autre appelé suchos, dont le caractère plus doux est suscep- tible d'être apprivoisé. C'est cette espèce qu'on em- ployoit au service des autels. Le culte superstitieux des Egyptiens pour les crocodiles étoit si absurde et si contre nature, qu'on vit des pères se réjouir d'avoir vu ces dieux révérés dévorer leurs enfans!!! IL est appelé alligator sur les côtes d'Afrique. Les habitans de Fhébes ont tant de vénération pour le crocodile, dit aussi Hérodote, qu'on le nourrit de la chair des victimes ; et quand il meurt, on l'embaume, et on le dépose dans une caisse sacrée. M. Geoffroi Saint- Filaire a rapporté d'Egypte plusieurs de ces momies qu'il trouva dans les catacombes, où l'on enterroit les babitans de la ville de Thébes. Ces têtes embaumées sont ornées de pendans d'oreilles d'or ou de pierres factices. La ville d'Arcinoë leur fut consacrée. D'UN NATURALISTE, 13 conformité des caractères de l'animal, par des personnes qui ont eu occasion d'en examiner avec attention. A la premiére observation , je vis que le reptle meurtrier de Saint - Domingue n’avoit point encore été décrit, et qu'on ne devoit pas même le comparer au caïman de Bonnaterre, auquel il est fort éloigné de ressembler , et pour les formes et pour les caractères des nomenclateurs. I} ap- paruendroit plutôt au crocodile du Nil, mais c'est une espèce particulière qui ne parvient jamais à la taille du dernier, duquel il diffère encore, sous beaucoup de rapports. C’est donc avec l'intention pure d'éclairer l'Histoire na- turelle, sur un point jusqu’à présent obscur, que J'ai projeté l'étude de ce reptile avec toute l'assiduité d’un amateur passionné. Tout favorisoit mes intentions dans cette con- templation intéressante : voisin de deux rivières, VEster et l'Arubomite, qui en sont infestées, et dont les canaux arrosent nos jardins, j’étois bien à même de m’en procurer à volonté. Aussi sortois-Je, avec la cerutude du cuisinier qui va faire son choix dan$une basse-cour bien peuplée. Je dois rendre jusuce à l’autorité de l'agent du gouvernement français, M. Roume, qui, m’ayant pris sous ses ailes bienfaitrices, m’a facilité la confection de cet ouvrage compliqué; puisque 14 VOYAGES c'est à, la faveur du ütre de naturaliste, dans son autorisation de continuer mes recherches, que beaucoup d'individus, écartés du théâtre de mon travail, se sont avancés pour m'offrir leurs services. : Mais ce qui n'a rendu ce travail difficile, c’est l'impossibilité de trouver un aide intelligent pour les besoins mécaniques et manuels; car tous me fuvoient. On m'évitoit jusqu’à table, où on me servoit à boire et à manger, comme à un être impuissant de ses mains, tant l'odeur forte et désagréable étoit imprégnée sur mes vétemens, malgré mes soins de macérer souvent entre mes doiots, la plante qu'on appelle ici, herbe aux caimans, dont l'odeur aromauque veutralise celle puante des préparations anato- miques de cet animal. Il m'a fallu disséquer cinquante-sept sujets pour achever mon ouvrage, n'épargpant point. mes peines, et voulant urer de mes observauons la vérité telle qu’elle doit paroitre, et qu'on la promet au public (1). Mais, (1) Ces cinquante-sept préparations tant ostéolo- giques que viscérales et muscul&ires, destinées aux divers cabinets impériaux, furent, hélas! la proie des flammes, ainsi que toute ma fortune, et deux mille cent de mes planches manuscrites qui avoient été mises au net, et étoient l'ouvrage de six ans d'une étude assidue et d'un travail opiniâtre, D'UN NATURALISTE., 15 reprenons l’étude du repuüle carnassier de Saint- Donungue. Je vais faire entrer en parallèle, dans un tableau comparatif, cinq de ces animaux de Ja même famille, que l’on confond, faute de les examiner attentivement. Je veux parler du cro- codile du Nil, chef de cette famille redoutable ; de celui de une Domingue, auquel je conser- verai le nom de caïman, qu'il a dans le pays; du fouetie-queue, du gavial, et du caïman de Bonnaterre (1). (1) Le célèbre Cuvier, dans son savant mémoire sur les différentes espèces de crocodiles vivans, et sur leurs caractères distinctifs, duquel il a daigné me faire le don, et où il annonce avec obligeance mon travail sur celui de Saint-Domingue, compte douze espèces parfaitement distinctes, savoir : Classis. Amphibia. Ordo.. Sauri. Genus. Crocodilus. Dentes conici, serie simplici. Lingua carnosa , lata, ori affixa. Cauda compressa , supernè carinata serrata, Plantæ palmatæ aut semi-palmatæ. Squamæ dorsi, ventris, et caudæ, latæ sub-quidratæ. * Alligatores. Dente infero utrinque quarto, in fossam maxillæ superioris recipiendo, plantis semi-palmatis. 1. Crocodilus lucius. Rostro depresso parabolico, scutis nuchæ quatuor habitat in Americà septentrionali. | 10 MOTAGES Voyez ci-joint le tableau comparatif, et suc- cessivement, celui du parallele des squeléttes , qui achève la détermination. | 2. Crocodilus sclerops. Porca transversa inter orbitas, nucha fasciis osseis quatuor cataphracta. (Seb. 1, tab. 104 , f. 10.) Habitat in Guyanà et Brasiliä. | 3. Crocodilus palpebrosus. Palpebris osseis, nucha fasciis osseis quatuor cata- phracta. Habitat. ..... 4. Crocodilus trigonatus. Palpebris osseis , scutis nuchæ irregularibus carinis elevatis trigonis. (Seb. 1, pl. 105, f.3.) Num variet. præcedet.? Habitat......." ** Crocodili. Dente infero utrinque quarto , per scissuram maxillæ superioris transeunte, plantis palmatis, rostro oblongo. 5. Crocodilus vulgaris. Rostro æquali, scutis nuchæ 6, squamis dorsi qua- drats , sex fariam positis. (Ann. mus. Paris, x, tab. 5.) Habitat in Africä. 6. Crocodilus biporcatus. Rostro porcis 2 sub parallelis, scutis nuchæ 6, squamis dorsi ovalibus, octo fariam positis. Habitat in insulis maris indici. 7. Crocodilus rhombifer. Rostro convexiore, porcis 2 convergentibus, scutis de nuchæ OMPARAT vent confondus, l’un | | | | JE BONNATERRE, s. (Crocodilus sclerops)E GAVIAL (3 (SCHNEIDER. ) | + rrondie; le musea: Ltréci ER ons rétréci, cylindrique, extrêmement à grandeseu renflé au bout; la longueur du crâne e cinquième de la longueur totale de la M. Cuvier}). Edwards compare ce : ec du harle. e; ke cofdylome placé | J placé plusre de la gueule ne se fait sentir ee elles. | ; égales. l’'alvéoles ; es ; les dents égales. resqu'égales, 25 à 27 de chaque côté en sn haut : les deux premières et les deux. le la mâchoire inférieure passent dans : : res de la supérieure. (M. Cuvier.) a figure de l'Enc 12 PR : ne AS es supérieure armée de cinquante- “ETS outes et l'inférieure de cinquante, coniques. Îles sont égales et plus nombreuses que autre espèce. u has naroiss 4 sent , : dénasser fu n’est point traversé nar Îles deux. depuis mon retour de Saint-Domingue ; dans!! éloignée de la Capitale, je n’ai pu me procurer, |£ ation de cetOuvrage, Vexcellente dissertation |# lue à l’Institut , et publiée en 1801 dans les À wlogie et de Zootomie de Wiedmann, et celle}? ce des Crocodiles. Ces objets de comparaison 6 vi arefondre ce tableau comparatif que je n’ai|} 1t-Domingue , Join de toutes bibliothèques ,|£ scriptions souvent infidelles. Je renvoie donc, {À grand éclaircissement , à l'anatomie compare€|| No. 1. Tome TIT, page 16, MPARATIF | L'AB:L;: E AU °C 9 Des différences de conformations entre des Reptiles sofvent confondus, l’un d'eux n'ayant pas encore été décrit. ——— — : = | | | LE CAIMAN DE BONNATERRE Dr. nl | TN SAN OCODICE DE SATNT-DOMINGUE, Où lu s. vo iboleronsh LE FOUETTE-QUEUE. : LE GA VI AL (5): FE CROLSBELE DU NIL (1) Appclé Caïman. Planche ère, (2) e nue jé 4 EE "2" ER 1 La tête alongée, aplatie sur son sommet ou crâne , ayant deux trous ovales, et terminée par un gros museau un peu arrondi, É A 2 j a ête alongée et un peurelévée vers le bout: le! Le museat Mêmes caractères ; la peau adhérente à la tét| La tête ramassée , rrondie; le museau court, | La Me AE Pac nr | ? alongé, un pl sans êlre ridée, maïs retenue par des excavations retroussé, en boule-do ue, et couvert de grandes| museau aplati, larg a pouctuées, écailles ; le front ren rétréci, cylindrique, extrême u renflé'au bouts le longueur dt râue)/f fait à peine If cinquième de In longueur totale de Jai} tête (selon M, Cuvier). Edyvards compare ce museau au ÎJec du harle. L'ouverture de li gueule se fait sentir jusqu'au ‘delà des oreilles : le condylome de la base n'est pas marqué, Même ouverture : le condylome bien‘marqué | Plus courte ouvertu 3 le coïdylome placé plus] L'ouverture de la gueul dépassant pas l'o-|! dans tout son reploiment ovalaire. au dessous. L'ouvertufe jusqu'aux ob cs la gueule ne se fait sentir que (:1SS ; ; Mächoireg égales achoi ni s és isposili emblables mesures. äâchoireg égales, La mâchoire supérieure plus longue, et recou- Mêhnes caractères. Mêmes dispositions S e Vrint les dents antérieures du bas. Les dents tantôt à découvert , tantôt cachées par les mächoires, l al dents de même, inégales en grosseur et| Aucune apparence lalvéoles ; les dents égales. | Les dents paroissant à décoüert. ongueur. Ï HSE Les dents esqu'égales, 25 à 27 dec bas, 27 à »8 dn haut: les deux prem On en compte 36 à chaque mächoire : elles sont| Tr nie-huit dents à la mâchoire supérieure , et coniques , pointues, un peu recourbées vers la treu gueule, d'une grosseur inégale, et disposées sur une méme rangce, J'en compte, dans à l'inférieure; coniques, striées jusqu'à l'âre | vingt-six à chaque adulte, un peu recourbées, d'une grosseur inégale , égales, coniques et re et su un seul rang. a figure de l'Encyclopédie, | La mâchoire supérieure! ächoire; elles sont toutes | huit dents; celle u bas 00 urbées, crochues , toutes à peu près unie de quarante-| La mâchqire supérieure armée de cute” krante, longues et [huit dents, étl'inférieure de cinquante, coniques es. et droites. Elles sont égales et plus nombreu: s que dans aucune futre espèce. f Les deux dents antérieures du bas traversant la mâchoire supérieure. Les quatrièmes qui sont les plus longues , passent dans. des échancrures, et ne à k 1 1 ont point logées dans les creux de la mâchoire supérieure, i au. Ge; Crocodile ‘a la dixième du haut et les! Les deux dents bas. paroïissent dépasser| Les deux dents ne mr pas le musea 4 et me du bas plus longues que leur voisine ;'le museau , quoiquon naperçoive pas les sis Le musedu n'est point Î mémé caractère pour les dents du bas. conduits. dents antérièures du bas. .Le bout du museau garni d'un disque cartila- slneux où sont placées ù es narines marquées par Seux croisçsans, GE) : É ; s : ee ositifément au bout du Même conformation : les croissans placés près!” Les caractères poinbassez déterminés dans la Les uarines placées posit l'un dé l'autre comme deux festons. issans adossés. figure, pour prononce museau , en forme de croiss ch KT sui _—— Les yeux saillanpnais écartés l'un de l'autre.| Les yeux gros et rapprénhés) Les yeux gros, sur le somm et dela tête, ne pa- OÏSsant pas L'ès-rapproc hés, Les yéux très-saillans, placés sur le sommet de la tête, | l Les oreilles derrière et au dessous du niveau| Les valves éloi nées RER 1 yeux, Er Ja des yeux; les valves rubanées forme de quatre demi-cercles se éunissant par leur 3 4 ; Les yeux très-saillans, et comme placés sur Ja tête hors des orbitaires.. : é Les oreilles très- près el au dessus du niv yeux. eau des De même : Ja valve, qui se rabat devant l'ou- verlure, est festonnée sur ses bords, Les oreilles placées derrière les yeux. * base. Le coù chareé de tubercules. Le Léunures distinctes tu- ou garni de sailhies proéminentes. Le cou srl de phs ous sglure FETES | F S s çou ga sa ee cles: ; ü Ft Ë : î n!! u Mgr, lo Grand Chancelier Lacépède, dans son! {:) Décrit par Me Geofroi-de-Saint-Hilaire. ( Annales : r (3) Confiné 4 à Stoiro des quad rupèc S$ OPivares, pag. 255 , en distingue du Muséum d'Hist nat. ,tom.1]l 55 deux. Cette nssertion véridique à été conlirmée depuis Re A2 TE pe M. Gcoffroi-de-Saint-Hi ai une campagne avant la publi, de M. Cuvier, Annales de ZdQ urla différer mauroient se} pu faire à Saïy qu'avec Le de Pour un plus de M. CSTA x M, ire, savant distingué nus È Me = D ! = [ à ff Suite du Tableau comparatif. LE CROCODILE DU NIL. Le corps armé de segmens couverls de tubéro- sités calleuses. Les rangées de tubercules sont plus élevées dans les bords au dessus des flancs que dans le centre. Le ventre grumelleux. Quatre doigis derrière palmés, dont trois pourvus * AQU d'ongles. Cinq doigts devant séparés, souvent p'étant point tous pourvus d'ongles. Les pieds armés d'éperons latéraux et cartila- gineux ; ceux de derrière palmés, La queue ornée de deux rangs de tubercules relevés en forme de crêtes presqu'arrondies, se réunissqut en un seul rang à une certaine distance de son extrénuté, La queue trainante, aussi longue que le corps, mais pas si grosse dans toutes ses proportions que celle du Caiman do Saint-Domingues Sa couleur est tantôt jaunâtre tachetée de brun , Je dos brun avec des bandes jaunes, . On dit que sa longueur est quelquefois de vingt- cinq pieds sur cinq de circonférence. mm vimme-ileaiste des didférences-danslooemmetères-des-doux-promicrs-seulement.aomap: LE CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE, Appelé Caÿman. Planche ir, . Idem, mais les bindes point régulières, et les tubercules non placés à point nommé. Même position. Idem, et à compartimens carrés. Même configuration. Cinq doigts devant séparés , ‘dont trois seu- lement sont pourvus d'ongles. Mèêmes caractères; les éperons bien prononcés; les pieds de dernière palmés. La queue garnid de même, d'abord de deux rangs de crêtes lymplleuses, mais plus distinctes , plus flexibles, et point arrondies ; augmentant de longueur où elles np forment plus qu'un rang. | La queue trainan(e, aussi longue que le corps, ! LE CABMAN DE BONNATERRE, Ou Caïman à lunettes. (Crocodilus sclerops). (SCHNEIDER ). Le corps recouvert d'écailles sous diverses figures. A peu près la même. A écailles raboteuses. Quatre doigts a Pt et pourvus d'ongles. | , è | Cinq doigts devant séparés , tous pourvus d'ongles, re | On n'y voit point d'éperons latéraux (caractères propres aux Caïmans). Les écailles de la queue embrassent la moitié de sa circonférence, et se recouvrent les unes sur les autres. La queue sur la figure de l'Encyclopédie, ne et monsirueuse à Sa naissance par sa circon-|paroît pas aussi longue que le corps; elle est férence, Mêmes nuances} d'après les diverses gradua- les couleurs rembrugissent : à quatre pieds sa robe est dans toute son élégance. Ila, à sa plus grânde taille, seize pieds et demi sur cinq de circonférence. a As arquée et retroussée, On ne dit point sa couleuf. Eucyclop. méthod. tantôt d'un vert sale avec des bandes brunes, tantôt {tions où on le rendontre ; car plus il vieillit, plus|Erpetologie, page 36. On dit que sa taille est quelquefois de vingt pieds. CONCLUSION. LE FOUETTE-QUEUL. Le corps revêtu d'écailles rhomboïdes disposées sur rangées transversales. Les écailles sont presqu'ésales. | Garni-d'écailles unies etcomme rayées super- ficiellement. Cinq doigts derrière palmés et pourvus d'ofgles. | Quatre doigts garnis d'ongles; les deux ext Cinq doigts devant séparés, garnis d'ongles f crochus. Les éperons seulement apparens aux pattés de derrière. La queue ornée pareillement de deux rangs de tubercules, en crête , courte et recourbée. Sa seule dénomination doit cesser de le faire méprendre avec le Caiman de Saint-Domitpue, qui n’a pas la même souplesse dans la quehe. Î Les écailles sont d'un jaune de safran fonpé et mélangé de brun, Sa taille m'est inconnue. | LE GAVIALS Même disposition d'écailles que le crocodile, mais les tubercules plus nombreux sur le dos. Les caroncules des flancs, innombrables, Lisse el à compartimens carrés. rieurs à moitié palmés. Cinq doiets devant onglés, etune petite men Ibrane entre le second et le troisième. Mêmes caractères bien visiblement distincts Sa queue semblable à celle du Caima Saint-Domingue. ÊAE La queue aussi longue que le corps, ct} issant, conforme aux proportions de cell aiman de Saint-Domingue. ° ‘Point de renseignemens sur sa couleur. + 4 J'ignore aussi’ le période de son af ro sement. est +270) LE GAVIAL ! . | | TO AUERSE-DRO REED 2e SERRE TERRE EE SEE TS | , A 1 0 l osees , faire 1gue, ue. cé et Même disposition d'écalles que le crocodile mais les tubercules plus nombreux sur le dos. Les caroncules des flancs, innombrables. Lisse el à compartimens carrés. Quatre doizts garnis d'ongles; les deux exté-Mi, rieurs à moitié palmés. Cinq duiets devant onglés, et une petite mem- brane entre le second et le troisième. Méêmes caractères bien visiblement distincts. Sa queue semblable à celle du Caiman de Saint-Domingue. roissant conforme aux proportions de celle du La queue aussi longue que le corps, et pa-l!. | Caïman de Saint-Domingue. | | | ‘Point de renseignemens sur sa couleur. J'ignore aussi le période de son accrois- sement. | etes : N°. 2. TomelIÏT, page 16. Les Caracteres phy Lomingue, le rapproch: dit. Voyons à une disse@mparalson. PARALLETTES. LA CROCODILE DUINT-DOMINGUE, LA TÈTE. ÎTE Si la figure est régulière dans l'Enc°°e$ de dents inégales en. copié le squelette du Crocodile, je les suivent les festons des dents égales à la mâchoire inférieulent de la mâchoire sapé- | PNR .. . ème de l'inférieure plus J'apercois bien à la mächoire 1 oblique au dedans duquel passe intérie - DESERT ent festonnées, en relief, masseter, mais point d'alvéoles par dentelures des apophyses convoi 25e SEEN i : èvement de la mâchoire qui, par la tension du muscle mass: # : it perforés pour le jeu des disposées à soulever les chairs qui P P Le trou ovale et oblique se respect. Le “ __ hnaxillaires. L'arc temporal point prononcé. » L'orbitaire petit et point aussi élevasé et placé presqu'au N°.2. TomelIIT, page 16. Les Caractères physiques du Caïman ve Saint-Domingue, le rapprochant du Crocodile proprement dit. Voyons à une dissection intérieure pour parfaire la comparaison. —————————_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_——EEEE | RER ES CS | MR 7702 ee SO a PARALLÈLE DES SQUELETTES. CSSS SES SSSR CROCODILE DU NIL. LA TÈTE. Si la figure est régulière dans l'Encyclopédie où j'ai copié le squelette du Crocodile, je ne vois que des dents égales à la mâchoire inférieure. J'apercois bien à la mächoire inférieure le trou oblique au dedans duquel passe intérieurement le muscle masseter, mais point d'alvéoles partagées; point les dentelures des apophyses condyloïdes et coronoïdes, qui, par la tension du muscle masseter, se trouvent disposées à soulever les chairs qui les tiennent en respect, L'arc temporal point prononcé. L'orbitaire petit et point aussi élevé, D — Point de traces d'oreilles, La partie antérieure ge museau plutôt pointue que atulée. Au lieu dune plate-Forme l'endroit dr crâne, jee" app sie plat ctperforé de deux jois couvert d' apophyses saillantes qui l'écartent beau coup de celui du Caïman de Saint-Domingue. 0 CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE. LA TÉTE. Les deux mächoires armées de dents inégales en “grosseur et longueur , lesquelles suivent les AA des os maxillaires. La dixième dent de la mâchoire supé- rieure et les quatrième et onzième de l'inférieure plus longues que leurs voisines. Les maxillaires élégammbnt festonnées, enrelie d'alvéoles süllantes. Les apophyses condyloïdes cotonoïdes ; marquées au rdlèvement de la mächoire inférieure, Les os ponctués et perforés pour le jeu des fibres nerveuses du dedans. ir trou ovale et oblique se faisant mieux sentir sur les maxillaires, L'arc temporal cintré. L'orbitaire largement évasé et placé presqu'au sorimet de la tête ; les yeux lrès-prés l'un delanten eme plate-forme du conduit auriculaire placée au dessus de l'arc temporal. Le museau spatulé antérieurement : sa voûte moulant | vers les os du crâne, les orbitaires, et d une troisième excavation osse sémi-circulaire CE au milieu de r d'apophyses en ces parties. “ie Suite du Parallèle des Squelettes. : CROCODILE DU NIL. LE CORPS Les cervicales réunies et paroissant ne former qu'un seul corps, ce qui, j int à la construction des vertèbres du tronc, rendroit plausible l'assertion de quelques riar- rateurs au sujet de la difficulté de ses mouvemens de côlé. Les clavicules uniformes paroissent détachées dé la cage; celle-ci nullement comparable à la boite osselise du Caïman de Saint-Domingue. ‘| Le premier segment composé d'une côte courbe et cylindrique; le second segment paroit être un disque cartilagineux, et le troisième une ligne. courbe plus largement arrondie à son départ qu'à la fin de|saÿ courbure, cependant marquée par un bouton. | Les côtes lâches et non réunies par un slernum. | Aucune apparence d'omoplate; l'humerus d'une construction particulière. | | Les dorsales et autres vertèbres tellement serréés, que ce rapprochement rend impossibles les circon- volutions de l'animal. Er J crochues; la cage ne paroïissant composée quede sept vraies, à la suite desquelles se trouvent cinq fausses grêles. | " Le bassin ne paroissant clavicules inférieures, 7 ! LA QUEUE. rt MA : ÎLes vertèbres caudales ne ressemblant en atic manière à celles du Caïmidn de Saint-Domingue, ne ” recourbément vers latte, qui n'est point non plusii CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE. LE CORPS. é Les cervicales bien distinctes et mobiles par des ax: à communs, de même que les vertèbres du tronc qui reploient facilement sur elles-mêmes, étant placées recouvrement, comme on peut le voir planche conformalion qui donne beaucoup de souplesse à mouvemens de l'animal. Les clavicules solidement jointes à l'omoplate un ligament tendineux, et adaptées à la losang, cartilage xiphoïde. forment des côtes uniformes. L'abdomen est en oütr recouvert d'une réunion de côtes grêles en che brisé, réunies et solidifiées par des muscles ï costaux. s Î Le sternum dépassant la cage et s'avançant sous dernières vertèbres cervicales, il est prolongé pa TEE ES Point d'union trop étroite entre les vertèbres quelles des altaches nerveuses et tendineuses aol un jeu facile dans, tous les sens, excepté pour position naturelles . Les lombaires sans côtes pendantes : la cage ormée de douze sur chaque flanc , différemment élagées vers . l'épine dorsale. Le bassin, ou les os des isles, composé de douze 05, y compris les quatre clavicules inférieures. | Re u LA QUEUE. , ? | Différente configuration dés vertèbres caudales que l'animal meut à volonté, excepté daus la direction supérieure , c'est à dire en cerceau. rallèle des Squelettes. Gr om CROCODILE DE SAINT-DOMINGUE. LE CORPS. Les cervicales bien distinctes et mobiles par des axes communs, de même que les vertèbres du tronc qui se reploient facilement sur elles-mêmes, étant placées en recouvrement, comme on peut le voir planche ITT, ! conformalion qui donne beaucoup de souplesse aux | mouvemens de l'animal. Les clavicules solidement jointes à l'omoplate par un ligament tendineux, et adaptées à la losange du cartilage xiphoïde. Frois segmens brisés, et ramenés versle sternum, forment des côtes uniformes. L’abdomen est en outre recouvert d'une réunion de côtes grêles en chevron brisé, réunies et solidifiées par des muscles inter- COsfaux. Le sternum dépassant la cage et s'avançant sous Îles dernières vertèbres cervicales, il est prolongé par le cartilage xiphoïde qui sert à la réunion des côtes. L'omoplate et les clavicules réunies conjointement au sternum , l'humerus ne différant point de celui des LA QUEUE. Différente configuration des vertèbres caudales qu2 l'animal meut à volonté, excepté dans la üirection supérieure, c'est à dire en cerceau. D'UN NATURALISTE. 17 nuchæ 6, squamis dorsi quadratis sex faritm positis ; membrorum squamis crassis, carinatis. Habitat... 8. Crocodilus galeatus. Crista elevata bidentata in vertice, scutis nuchæ 6. (Hist. anim. Paris; t. 64.) Habitat in Indià , ultra Gangem. 9. Crocodilus biscutatus. Squamis dorsi intermediis quadratis, exterioribus irregularibus subsparsis, scutis nuchæ 2. Habitat... 10. Crocodilus acutus. Squamis dorsi intermediis quadratis, exterioribus irregularibus subsparsis, scutis nuchæ 6, rostro pro- ductiore ad basim converso. (Geoffr.an. mus. Paris, 11, tab. 57.) Habitat in magnis Antilis. *** Longirostres. Rostro cylindrico, elongato, plantis palmatis. 11. Crocodilus gangeticus. Vertice et orbitis transversis, nucha scutulis 2. (Faujas, Hist. mont. S. Petri, tab. 46.) Habitat in Gange fluvio. 12. Crocodilus tenui rostris. Vertice et orbitis angustiornibus, nuchæs cutilis 4. (Faujas, loc. cit. tab. 48.) Habitat... [gel Tome Il. 18 VOYAGES ARCS SSSR D D D nn ee 5 ee So CHAPITRE DEUXIÈME. Physiologie raisonnée du Caiman de Saint- Domingue. Proportions du sujet décrit, ayant quatre pieds huit pouces. 1e caïman , lézard-crocodile, animal amphi- bie, si redoutable dans ses affüts, où 1l garde le silence le plus profond; la terreur de tout être vivant , au caractère farouche et indomp- table, est tantôt d’une couleur obscure, qui le fait souvent confondre avec des vieux troncs d'arbres abattus ; tantôt d’un vert sale , marbré de taches noires, brunes, olives ou grisätres (1). Je ne sais pourquoi M. l’abbé Bonnaterre refuse le utre d’amphibies aux crocodiles , qui le sont cependant réellement. L'eau est plutôt leur élément que la terre , où ils languissent , et meurent même bientôt desséchés par. l’ardeur (1) La couleur noirâtre au lieu de verte, dont la robe de certains caimans est empreinte, ne désigne pourtant point une autre espèce. Ceux de l'Ester et de la rivière de l'Artibonite sont nués de couleurs vives et brillantes, tandis que ceux des lagons sau- imâtres ont les tons plus rembrunis. LS Le Cayman Surpris. D'UN NATURALISTE. 9 du soleil qui leur est très-funeste. Aussi, quoi- qu'ils se plaisent souvent à recevoir sur leur corps l'influence de cet astre, ils sont forcés néanmoins de regagner bientôt la plage hquide pour faire reprendre à leur peau cette souplesse, cette élasticité qu'elle perd par la dessication. Sur vingt-quatre heures , le caïman reste à peine six heures sur terre, encore Ja majeure parue est-ce pendant la nuit. Je m'étendrai davantage sur ses mœurs, dans divers traits véridiques que je citerai à la fin de son histoire , et dans les chasses qu’on a imaginées pour le détruire. La disposition naturelle da climat à putréfier promptement tout corps corruptible privé de la vie , m'a forcé de faire mes observations , tantôt sur des jeunes, tantôt sur des vieux; ce qui m'a confirmé que les proporuons ne sont pas les mêmes, et les caractères aussi parfaits dans les jeunes que dans les adultes : mais venons à sa description. Le sujet avoit, de l'extrémité du museau à celle de la queue, quatre pieds bnit pouces; ayant choisi cette taille pour pouvoir dessiner les figures de grandeur naturelle. Tout son corps étoit recouvert d’une peau coriace, cornée et écailleuse , armée aux parties supérieures et latérales de tubérosités calleuses, qui rendent à la taille de dix pieds, ces parties élasuques B 2 20 VOYAGES résistibles aux coups de feu.L a queue prise au milieu du bassin est aussi longue que le reste du corps. La téte longue et conique, est raccourcie dans les mâles, et plus effilée dans les femelles. Le museau d'abord renflé , s’abaissant après la proéminence antérieure spatuleuse, remonte aussitôt pour aller former la voûte du cerveau, au devant de laquelle sont placés verticalement deux yeux trés-saillans, séparés seulement par une cavité de quelques lignes, laquelle, en formant une surface plane, recouvre le dessus de la tête d’une double armure qui se termine un peu au dessus des vertébres cervicales par une ligne arquée légérement au milieu, mais plus sensiblement aux deux extrémités qui reprenant de chaque côté , en se repliant, une direcüion parallèle , vont se joindre au coin postérieur de Pocil. Le bout du museau dans sa parte renflée, est surmonté d’un disque caru- Jagineux eisaillant, perforé de deux trous arqués qui servent de conduit nasal et d'organe olfacuf. ( W’oyez ma monographie du caïman.) La mâchoire supérieure (1), festonnée et SR (1) Le caïman est le seul des animaux dont la mâchoire supérieure soit mobile sur l'inférieure. Cette découverte est due à Hérodote, La tête du squelette LM Ld RE 70. L/ À LÉ Tu. d age 21. Po: EE T D'UN NATURALISTE., SI armée de trente-huit dents canines et inégales , dépasse un peu l’inférieure : au devant de cette dernière se trouvent deux dents qui, lors de la réunion hermétique, s’emboîtent dans deux tuyaux qui, leur servant de gaine , sont placés à la mächoire supérieure dont ils dépassent la convexité, Ces deux tuyaux se trouvent devant le disque carulagineux , canal de sa respirauon. Chaque dent est cannelée de bas en haut, jusqu’à l’âge où les stries se perdent par le développement ou lusé de cette arme terrible. (pl. Le fig. 11.) a la mächoire ouverte, pour faire voir de quelle manière le crocodile élève la mâchoire supérieure sur l'inférieure. A l'égard de l'état de mo- bilité de la mâchoire supérieure vers l'inférieure, M. Geoffroi Saint-Hilaire observe avec raison, 1°. que la mâchoire inférieure est d'un sixième plus longue que la mâchoire supérieure et le crâne ; 20, que cette même mächoire inférieure présente une cavité à double facette, où s'articulent par ginglyme les cornes de los temporal ; 50. que le condyle occipital est sur la même ligne que les quatre condyles des os tempo- raux, en sorte que la tête est réellement retenue vers ses points d'articulation , comme le couvercle d'une boîte l'est par une charnière; et 40. que les deux mâchoies n'ayant qu'un mouvement simple de haut en bas, ne peuvent se porter séparément à droite on à gauche, pour faire subir aux alimens une sorte de trituralion. L°3 22 VOYAGES Elles sont également creuses à l’intérieur , s’em- boftant l’une dans l’autre pour leur renouvel- lement. (F'oyez ma monographie du caïman.) La mâchoire inférieure, qui forme une ligne droite , est seule mobile et armée de trente dents canines , ainsi qu'il suit : quinze de chaque côté ; le vide qui se trouve entre les deux cro- chets antérieurs du bas, est rempli par deux autres provenant de la mâchoire supérieure. C’est un emboîtement serré et parfait, au travers duquel rien de l'intérieur ne transpire. Je compare la jonction des deux rateliers à celle du coquillage bivalve, appelé Za grifiite. Les dents n’étant que canines à cause de leur dispo- sition, l'animal n’a pas besoin de molaires; aussi ne fait-il que déchirer et avaler. On voit an reste (dans ma monographie du caïman de Saint-Domingue, pl. AU, fig. 1ère d’ostéologie) que ses mächoires ne peuvent se mouvoir que verücalement. Les dixièmes dents de la mâchoire supérieure qui sont plus grosses que leurs voisines, et qui servent à faire des hochets aux enfans, se tronvent, de chaque côté, dans une alvéole renforcée. Celles de l'inférieure , destinées au méme usage , et qui se trouvent à Ja chute de la pare renflée du museau, sont, de chaque côté, emboîñtées dans la quatrième alyéole. Ces mon- D'UN NATURALISTE. 23 ucules , sans lèvres , ni gencives, sont calleuses, saillantes , et point retenues sous un même tissu charnu comme dans les autres animaux. Les dents sont séparées lune de lautre par un espace destiné à -en recevoir une de la partie opposée, et enchässées dans leur alvéole res- pecuve, trouvant à loger leur pointe dans un trou pratiqué à cet eflet dans le milieu de l'os maxillaire qui lui fait face. La chute de ces premières dents à la suite de quelque combat, est réparée par l'apparition de nouvelles qui se trouvent au fond des alvéoles. La ligne longitudinale de l'ouverture de la mâchoire n’est point droite; elle est composée de quatre festons. La commissure de la base de la mâchoire est renflée dans la peau d’une bourse ou condylome, qui se déride pour favo- riser la dilatation de la gueule : c'est au dessus que se trouvent les oreilles. Les oreilles sont apparentes seulement sous la forme d’une tunique en feston horizontal. On est obligé d’écarter la lèvre , ou plutôt la mem- brane qui leur sert de tégument , en forme de basque à un battant, pour en examiner l’inté- rieur qui se perd autour du cerveau. Cette peaz (voyez ma monographie du caïman de Saint Domingue ; physiologie, pl. VIT, fig. vr et vi. ) étroite d’abord et adhérente à une ligre droite. B à 2 VOYAGES sa base diverge en s’élargissant vers le bout arrondi. Elle est attachée du côté supérieur, par des ligamens; sous le couronnement qui se trouve au dessus de locciput : elle est soulevée à volonté , et fermée daus l’eau par lanimal (r). Glandes musquées. Sous la mâchoire infé- rieure, au niveau perpendiculaire de lœil , la peau dans ses rides cache, de chaque côté , une légère ouverture conduisant à une glande renfer- mant du muse, laquelle varie de grosseur suivant les âges, comme on peut le voir dans les figures vin, 1x, x, x1 de la planche VIIT, de physiologie de ma monographie. C'est de cette parue et de l'ouverture sexuelle que s’exhale une odeur de musc insupportable , lorsque le caïman s’étend par terre pour se reposer au soleil, la gueule ouverte, ct dans l’état de nonchalance qui lui est familier. Ses yeux sont d’un jaune verdatre tacheté. 4 ] (1) Certains voyageurs, dit M. le comte de Lacépède, auront apparemment pensé que cette peau, relevée en forme de paupières, recouvroit des yeux; et voilà pourquoi l'on a écrit que l'on avoit tué des crocodiles à quatre yeux. Voyez Bryvn. Hist. nat. de la Jamaique, page 461. Hérodote dit qite les habitans de Memphis attachoient des espèces de pendans d'oreilles à des crocodiles privés qu'ils nourrissoient , et embaumoient après leur mort. D'UN NATURALISTE.. 25 La rétine qui est suscepuble de se resserrer comme dans le chat, est une ligne courte, noire et perpendiculaire, lorsqu'il est en repos, et lenuculaire lorsque quelque chose l’offusque. Elle est entourée d’une raie d’un jaune päle, qui s’arrondit d’après les monvemens de la réune qui chatoie à volonté. L’iris est une ligne noire étroite , entourant la pupiile d’an jaune sale. Au moindre étonnement, l'animal recouvre le globe de l’œil, d’une paupière inférieure cristalline, où membrane mnictitante (1), se fermant de l’angle añtérieur , et allant joinüre le postérieur. Ce tégument est recouvert lui-même d’une paupière extérieure , ridée et écailleuse. J'ai remarqué l'usage de cette membrane clignotante, en faisant nager un caïman de cinq pieds que je retenois depuis huit jours dans une chambre, sans aller à l’eau. Ce séjour aqua- tique, quoique court, rappela sa férocité. Comme il a besoin de voir dans l’eau pour ne pas manquer sa proie, sa cornée élant trop sensible , la Nature l’a pourvu de cette paupière transparente qu'il garde étendue, tandis que (1) M. Gecfroi Saint-Hilaire réfute avec raison l'article par lequel Hérodote prétend que le crocodile ne voit pas dans l'eau. Ses paupières vitrées prouvent au contraire que la Nature l'y a destiné. 26 VOYAGES l'opaque est reurée, { Physiologie, planche VIT, fig. IV; ouvrage déjà cité.) Sa langue, qu'un proverbe créole dit être mangée par le chien, dont il est pour cela l'ennemi juré , n’est point saillante : elle est toujours enduite d’une humeur visqueuse (1), cachée sous une membrane pelliculaire très- mince, et composée de plis pour favoriser tous ses mouvemens. (Physiologie, pl. V et VI; ouvrage déja cité.) Quoique cette masse charnue soit retenue sous une membrane, elle ne s’en contracte pas moins lorsque l'animal veut con- duire ses alimens à l’œsophage. Alors elle se ramasse, et est portée en arrière à l’aide des muscles tüiroïdiens. Sa gueule, ce gouflre si avide, est tapissée d’une peau ridée d'un jaune clair piqueté de points sangumolens ; elle se ferme avec tant de force , que souvent ses dents volent par éclats , om (1) Hérodote dit avec vérité que lorsque le caïman, étendu sur les berges, y dort la gueule ouverte, elle est tapissée de maringoins souvent retenus par un mucus qui l'enduit en tout tems; c’est le todier qui va le délivrer de ces hôtes incommodes et nuisibles, et dont cet oiseau fait sa nourriture, Aussi le caiman même à son réveil, par une reconnoissance légitime, ne cherche point à inquiéter un si officieux pro- lecteur. D'UN NATURALISTE. 27 surtout si l’objet qu’on lui présente est dur. Ses mâchoires éprouvent un claquement sec , lors- qu'il cherche à mordre; ce qui a heu lorsqu'on se plaît à l’agacer : à ce bruit, tout son corps est dans un état convulsif. (Physiologie, pl. V et VI; ouvrage déjà cité. ) Son gosier, au premier abord de sa capacité, paroît très-peu vaste ; mais dès qu'on vient à lexaminer , et à éprouver sa dilatation, on reconnoît qu'il est très-élastique, semblable en cela à celui des serpens. Son entrée est entière- ment cachée par une luette à deux pans, recou- verte d’une large membrane mobile et pendante, qui cède aux impulsions de l'expiration et de l'inspiration, aussi bien qu’à la nourriture dont la pesanteur et ‘le volume franchissent sans peine le léger obstacle. (Physiologie, plancheW ; ouvrage déjà cité.) La soupape élastique de la base de la langue a la forme d’un cuilleron; elle est intérieurement carülagineuse ; flanquée par deux os yoïdes (voy. pl. IV de ce volume), et placée au fond de sa gueule meurtrière, entre les angles de la mâchoire. C’est à l'aide de cette adnurable organisation que le caïwan, lors du relèvement de la soupape, peut rester dans l’eau la gueule ouverte, sans craindre l'introducuon du hquide environnant. La luette membraneuse à deux pans, reeue 25 VOYAGES dans la cavité de l’épiglotte, dont l’avancement concave relève vers le milieu de la parue charnue , sert de double soupape contre l’intro- ducuon de l’eau qui ne peut avoir lieu à canse du happement continu , et de l’adhésion de cohésion de ces parties l’une vers l’autre. L’ou- verture du gosier étant, dans cet état, imper- méable à l’eau, à plus forte raison la trachée- artère en est-elle délivrée : alors le caïman res- pire par les deux évents du carülage nasal : mais, Comme cet air ne lui suffit pas, il reparoît sur l’eau, et ouvre sa guenle de temis à autre, pour en laisser passer un plus grand volume. Le caïman a deux sons différens pour mani- fester sa colère : le premier , triste effet du période de sa fureur , navre d’un saisissement involon- taire ; c’est un rugissement rauque, bas, grave et comme étouflé, un peu à la manière d’une lice défendant ses petits : l’autre, qui n’est pas moins effrayant, est produit par un effortintérieurspon- tané, qui Jui fait chasser l’air contenu dans ses poumons, lequel obligé d’écarter les deux lèvres serrées et pendantes du palais, puis les carontules qui ferment le vide de cette partie, de concert avec la soupape décrite, sort avec le bruissement d'un soufilet d’orgues fortement comprimé. { Voyez l’intérieur du gosier, physiologie, pl. IV de ce volume.) D'UN NATURALISTE. 29 Je ne puis nr’étendre ici sur la structure interne de ces parties, puisque leur analyse anatomique appartient à la description inté- rieure, | Le cou. Il y a quatre tubercules séparés et aigus longitudinalement, posés sur une ligne éhiptique qui sert à garanur l’occiput. Chacune de ces tubérosités renferme, sous la parue ex- térieure cutanée, une base osseuse de même configuration. La seconde armure qui défend les vertèbres du cou, est composée de six de ces cabochons ovalaires, comprimés sur leurs flancs, qui con- servent leur forme à la base, et offrent une lame élipuque au sommet. Les deux du milieu, les plus larges, surpassent de moitié les deux Jatéraux moins grands en diamètre, qui eux- mêmes se terminent où reprennent les deux derniers, sur la même ligne des deux premiers. Sa gorge grasse et tremblante par ses plis ondoyans , est avalée, et forme un goître à l’ex- iérieur. Les rugosités du cou très-apparentes, et garnies, entre leurs sillons, d’écailles rondes, trapèzes , pentagones , hexagones ou quadrangu- laires, suivant la position, sont dans d’autres, recouvertes de tubercules caronculeux. Il marche très-souvent la tête levée, de manière à faire. trouver son goître sur la 30 VOYAGES même ligne, d’après la conformation des ver- ièbres, qui laissent à l’occiput un jeu aisé. Son . mouvement est vermiculaire , en sorte qu’en _rampant, le plus souvent son ventre et sa queue traînent à terre, d’où lui vient probablement le si parfait poli des plaques écailleuses dans cette parue. Le corps. I se trouve, pour le jeu des omo- plates et la direcuon des mouvemens serpentins du repule, un intervalle dénué de ces bosses lamelleuses, vis à vis les vertébres dorsales , c’est à dire, sur la ligne de la joncuüon des hu- merus. C’est de là que sortent les pattes de devant, pentadactyles, moins longues et moins trapues que celles de derrière. Les pieds aussi, beaucoup plus peuts, ont le pollex , l’index et le médium, armés de trois ongles noirs courbés. Les deux derniers doigts n’en ont point. Les éperons de l’avant-bras (Physiologie, pl. Ière ; ouvrage cité.) denature cornée, sont aux pattes de devant, au nombre de cinq; à celles de derrière, il y en à huit qui adhérent à la peau, vis à vis le péroné. Le dos est armé de tubérosités saillantes, également sous la forme semi-circulaire. 11 se trouve dix-huit pouces depuis la naissance de cette troisième armure , qui continue Jusqu'au niveau du fémur. Les bandes du dos séparées, D'UN NATURALISTE. 3 91 pour sa souplesse, par des lignes sillonnées, carülagineuses, et d’un tissu plus flexible, se terminent irrégulièrement, et vont aboutir sur les flancs. Chaque bande transversale est renflée au milieu par deux rangs de ces cabochons peu saillans et moims larges que ceux des troisième et quatrième rangs placés de chaque côté, et qui semblent protéger, par leur élévation supé- rieure, tout le long de l’épine dorsale, Il s’en trouve encore plusieurs’ rangs incorrects, et comme placés accidentellement. ( ’oyez pl. Kère et Vide l’ouvrage déjà cité. ) | Les pattes de derrière sont tétradactyles , c’est à dire, ont quatre doigts, dont trois seu- lement pourvus d'ongles, lesquels doigts sont réunis par une membrane qui leur sert pour nager. Toute la partie postérieure de Pavant- bras est armée de huit éperons, comme je l'ai déjà dit (pl. IX de l'ouvrage cité ). Le ventre est d’un jaune blanchätre, formé de larges bandes bien disunctes. Cette sorte de cuirassé écaillense est par compartimens qua- drangulaires, lesquels, à l’apnroche des aisselles, vis à vis le sternum, et au contour renflé et charnu du masseter, prennent la figure d’hexa- gones, de pentagones, lesquels diminuent de grandeur, plus ils s'approchent du cul-de-sac de la mâchoire inférieure. L'ouverture géniale, 32 VOYAGES commune aux deux sexes, est ridée et sert d’anus , ainsi que de développement aux parties de la générauon. (Physiologie, pl. II de l’ou- vrage Cilé. ) Le corps, pris sous les aisselles, a trois pieds et demi de contour, et trois pieds dans sa parue la plus renflée. Nous tuàämes un mäle de dix pieds de longueur, dont le ventre avoit, dans cette parue, quatre pieds cinq pouces de circon- férence. La queue large et charnue, de trente-deux pouces de circonférence à sa naissance, de trente- six à sou milieu, et de six lignes à son extrémité, est composée, dans sa partie double, de seize bandes complètes et circulaires, ou tronçons surmontés d’éperons lamelleux en carène; ils sont trés-flexibles , et vont en croissant vers l'extrémité jusqu’à la jonction de la crête simple. Chaque éperon a un pouce de hauteur, la base en est large de dix lignes. Ces bandes doublées sur les côtés, de bosses écailleuses et incisives, donnent à ce terrible instrument sa dureté , etle rendent redoutable. Le resie de la queue, c’est à dire, la crête simple est composée de dix-neuf bandes allant en dé- croissant de hauteur et de largeur, jusqu’à l'extrémité. La forme de la queue est donc telle que, depuis sa D'UN NATURALISTE. 33 sa naissance au carrefour des crêtes à double” rang, elle s’amoindrit et s’effile, quant à la partie circulaire des bandes; de manière que chacune est marquée d’une ligne qui rétrécit de plus en plus la partie charnue, doublant, par ce moyen , la hauteur des carulages natatoires, pour leur donner plus de souplesse dans l'usage auquel la Nature les a destinés. Nota. La peau nétant qu’un entrelassement de fibres nerveuses, tendineuses , ligamenteuses, membraneuses, cornées et écailleuses, fait corps avec les muscles de la queue et de la région dorsale. Elle est cependant perméable, puisque c’est à celte faveur qu’on voit le suintement de Ja graisse , lofs de la colère que l'animal éprouve, ou de son repos au soleil. L’épiderme enlevé aux jeunes caïmans, laisse entrevoir les figures des tubercules , et leurs couleurs alors bleues et violettes. Récapitulation des mesures du sujet physiologique. Longueur ducorps entier mesuré en ligne droite depuis le bout du museau jusqu’à celui PF pou. lig. C6 ÉPICES CR Longueur de la tête depuis le museau QUE POCCIphL, + à à + + "+ ee + + où © n Circonférence du museau vis à vis le CANAL NS EE M NE Re ON TR 4 Tome II C 34 VOYAGES . pi. pouc. lig, Circonférence du museau prise au dessus MS VOURS 0 S ce Mie ne Re ns SION Circonférence de l'ouverture de labouche. » 11 » Distance entre les deux narnes. . . . . » » 1 Diamètre de la proéminence. . …. sg 7 Distance entre le bout du museau et l'angle amtecieur de l'œil: : 4... 0 > 0bfio Distance entre l'angle postérieur etl'ouver- ture de la soupape auriculaire . . . . . . » » 2 Lonoueur de l'œil, d'un angle à l'autre . » » 13 Omeérture dé l'œil ss 6 0m ee 6 Circonférence de la tête, prise entre les yeux et les oreilles. . . . . . : .« .« … « » 10 & Longueur de la soupape auriculaire. . . » 1 1x Largeur du grand feston . . . . . . . » » 6 Distance entre les deux oreilles . . . . » 2 2 Distance entre les orbites et l'ouverture denbaiinesnMatatio dites Ve On Largeur des orbites . . . . . . . . . » 1 D Hauteur des’ orbites... .. .. 4 à 0 1: Longueur de la mâchoire de dessous, depuis le bout du museau jusqu'au bord postérieur de l'apophyse condyloide . . . . . . . . » 9 5 Epaisseur de la partieantérieure de la fosse Met Le PP ET D , (dansson1ier renflement. » 1 6 Hauteur dela mà- | ; à. dans son 2ème , : . . » 2 1 choire supérieure, Le K dans son 5ème, , 1.» 33 Honstent AU EUR SE a UT 0 0 Circonférence du cou à sa partie renflée. 1 2 6 Circonférence du corps, prise derrière les JADE de devant MS US VOIRE D'UN NATURALISTE. .35 pi. pouc. lig. Circonférence à l'endroit le plus gros . 1 6 6 Circonférence devant JE jambes de der- GUN PURE SR. MAI, 6 Longueur de la queue . . . . . . . 2 4 » Circonférence à l'origine. . . . . . . F2 » Idem partie moyenne, mais renflée. . 1 2 » Idem à l'extrémité. 5 2% Longueur de} tas , depuis le cu JUSQU BOENEE NL PEN NS OS » 2 2 - Longueur de l'humerus. . . . . . . . » 5 5 Circonférence du poigiet. . . . . . . 005 Longueur depuis le poignet jusqu’au bout CRT Te CNE ER » 5 4 Longueur de la cuisse hors du corps. . . » 4 » Circonférence de la partie la plus grosse. » 7 3 Longueur de la jambe, depuis le genou ILSQUAUMAISEDRe Net LES S', » 510 Longueur depuis le talon jusqu’au bout des SRE TE - >, 1035 LEA Longueur du pied, la mere inter- médiaire écartée . . « « + » + + +. »s 5 5 36 VOYACES CHAPITRE TROISIÈME. Ostéologie du Caïman de Saint-Domingue , le sujet décrit ayant quatre pieds huit pouces. CHAPITRE QUATRIÈME. Examen comparé de Myologie et Névrographie. Voyez, pour ces deux chapitres, ma mono- graphie du caïman de Saint-Domingue. Ten. 11. d'age 87. Fe Anatomie D d'age 87. Anatomie + | " ere Fg,r 3 + ar derriere. Vus en face, etp ommgue D TT Viscères du Crocodile de S D'UN NATURALISTE. 3 Le 7, 9%, 2, 7, 7, 0, Se D D D D nn ne eo no ne nn Te Ce ne Te ne CHAPITRE CINQUIÈME. Splanchnologie, ou Examen du larynx, de l’œsophage, des poumons, des lobes du Joie, de la rate, du cœur, du pancréas, et autres viscères. ( Planche 1IÏ de ce volume. ) J E passe de merveilles en merveilles, et ne me lasse point d’adnurer la sagesse ineffable de l'Auteur de la Nature. Il y a dix-septheures que l'animal est privé de sa tête, et je vois encore les muscles se contracter, se dilater, et offrir à mes yeux étonnés les derniers efforts des esprits vitaux. Que dis-je? je m’aperçois que les vaisseaux sanguins ne communiquent point entr'eux. Sa langue (planche IV de ce volume) qu’un proverbe créole dit être mangée par les chiens, est apparente cependant, mais couverte d’une membrane pelliculaire jaune, parsemée de taches grisätres, au milieu desquelles se trouvent des points noirs. La surface est garnie et plissée de rugosités bien apparentes. Le caïman n’a pas de langue, dit-on; on re- marque à la place une simple membrane. Cette assertion vient certainement de quelqu'un qui C 3 38 VOYAGES n’en a jamais disséqué, ou qui l’a examiné superficiellement. Je crois donner, dans le cours de mon ouvrage, assez de preuves de son exis- iénce pour en parler briévement ici. Qui dit membrane, dit une peau plus ou moins dure, qui enveloppe les chairs. C’est done sous la première membrane jaune, striée par ses plis, que se trouve un corps charnu , à la base duquel sont situés deux os sous la forme de léviers, qui sont les os yoïdes, appartenant en propre à la racine de la langue. Les muscles linguaux se réunissent sous la Jangue vers le milieu, en fer de flèche : des vaisséaux en arrosent le dessous, jusqu’au cul-de- sac du boutoir inférieur, où les artères se per- dent en ramifications insensibles. À Ja base de Ja langue se trouve cette soupape destinée à fermer hermétiquement l'entrée de l'œsophage et de la trachée-artère, lorsque le caïman est dans l’eau : c’est le cartilage uroïde cavé, lamelleux, et cintré à son sommet, pour bien prendre le creux du palais. Il se baisse et se relève à volonté par le jeu du muscle lingual, et par suite des deux os yoïdes qui, servant de Jévier, lui font prendre diverses positions plus ou moins inclinées. Au centre de la cavité de ce cartilage (pl. IV de ce volume) se trouve un corps charnu bomhé D'UN NATURALISTE. 39 et oblong, garni de lèvres vermeilles, et d’une fenie antérieure ouverte, et fermée par les muscles de cette parue. C’est cette ouverture qui donne entrée et issue à l’air affluant et expiré des poumons, conduit par la trachte- artère qui, à six pouces du larynx, se replie pour le ralentissement de l'air effluant. C’est aussi le siége du larynx, comme on le voit dans les détails de cette parue (pl. IV de ce volume). Cette ouverture plus large dans les mâles, est par cela plus tremblotante au passage de Pair poussé avec force; ce qui donne aux vibrations isochrones de l'animal, un ton rauque aui n’est point soutenu chez les femelles. Derrière la partie décrite, au dessus de la trachée-artère, se trouve l’œsophage gaufré, et suscepuble d’une dilatation extraordinaire. Il adhère aux muscles vertébraux et cervicaux internes, et est placé dans la rigole qui les sépare. S1, dans la déglutition, sa proie ne va pas toute entière dans l'estomac, pour cause d’inca- pacité, au moins elle reste dans le gosier qui est trés-élastique. L/acuon des sucs salivaires, aidée de celle des fibres de l'estomac, concourt à la digestion de ses alimens : l'animal vit long-tems sans manger, par le peu de déperdiuon, et le tissu serré de sa peau. J'en ai conservé dix-sept C4 ko VOYAGES jours, bien emmuselés, sans boire n1 manger, et toujours assOupis. La trachée-artère fléchie se bifurquoit à un pied dans le sujet de quatre pieds huit pouces, pour se rendre, par deux branches de même pature et de deux pouces six lignes de longueur, aux deux lobes des poumons oblongs composés de vésicules, et arrosés de vaisseaux sanguins : ils sont placés debout derrière les lobes dû foie, en sorte que pleins d'air, ils s'élèvent plus e moitié au dessus de leur grandeur, sans être contrariés dans leur graduelle extension (1). Les cellules pulmonaires , ainsi que dans les cétacces, communiquent entr’elles, de manière que si l’on vient à souffler la trachée-artére, ious les poumons s’emplissent d’air. D’après l'inclinaison en arrière dun diaphragme, les pou- mons non gênés dans leur loge cave, peuvent s'étendre sur l’épine du dos, et s’y adosser ; ils sent séparés par Île muscle trapèze interne. (Myologie, pl. IV ; ouvrage cité.) Suivant que le caïman contracte ou dilate ses poumons, par l'expiration ou l'inspirauon, il baisse ou s’élève dans l'eau. (1) La courbure de la figure vi, planche 1V, com- prime l'air, et rendant sa circulation difficile, occa- sionne ce son tremblant produit par la vibration du lirynx, D'UN NATURALISTE. ét Au dessous de la bifurcation du canal aérien, qui se rend de droite et de gauche, aux deux lobes des poumons, on voit la réunion artérielle de l’aorte, et la veine cave ascendante, formant un couronnement au dessus de l'enveloppe péri- cardine bleuâtre, placée au milieu des deux lobes du foie. Le cœur, organe musculeux, compressible et dilatable , d’où sortent les artéres , et où abouussent les veines, est très-petit, et son péri- carde contient une grande quantité d’eau :1l n’a qu’un ventricule. (PI. XX VIIT del’ouvragecité.) L’oreillette droite est plus large, en ce qu’elle est destinée à recevoir le sang du tronc principal de la veine cave ascendante, des jugulaires et axil- laires. Ce mouvement merveilleux angiostatique est mu par systole et dyastole, c’est à dire par compression et dilatation. Le petit tronc de Îa veine cave ascendante va aboutir dans l’oreilletie gauche. Voici donc la différence qui existe entre les repüles et les quadrupèdes. Circulation du sang dans les quadrupèdes, Dans les quadrupèdes terrestres et non ram- pans, le sang poussé du ventricule droit, par la systole des muscles du cœur, est transporté dans les poumons par l'artère pulmonaire ; d’où 42 VOYAGES se rendant à l’oreillette gauche, et dans ce ventricule par la dyastole, il est ensuite rejeté par la compression de ce même ventricule dans l'aorte, qui le partage dans les ramifications du reste du corps, d’où 1l revient au cœur, sa source, par l’intermède de la veine cave. Circulation du sang dans les reptiles (1). Dans les quadrupèdes rampans au contraire, c’est par l’ouverture de ce seul ventricule placé entre les deux oreillettes, qu'au lieu de passer par les poumons, le sang sort pour refluer de l'artère pulmonaire en laorte. . Les lobes du foie sont inégaux, longs et triangulaires, séparés derrière et devant par des membranes intermédiaires. C’est dessous le lobe droit que se trouve la vésicule du fiel, qui le dépasse par le bas de la moitié de la longueur: elle avoit dans ce sujet deux pouces de long sur huit lignes de largeur ; de la forme d’une poire un peu alongée, et attenante à la naissance du duodénum. + L'estomac arrondi, se wouvant plus à gauche qu'à droite, est aminei vers le milieu dans son enveloppe. Je trouvai dedans des débris de gros mil, patates, des scarabés, des arêtes, des vers, QG) La froïdeur du sang tranquille des reptiles les rend peureux. “ D'UN NATURALISTE, 43 et des restes de volaille. Les pierres qu’on y rencontre servent à entretenir la dilatation de l'estomac, et lors d’un jeûne un peu long, em- péchent a cion des fibres nerveuses. Le diaphragme membraneux et nerveux, s’arquant sous les lobes du foie vers le milieu de l’estomac, est très-mince. Les instestins n'étant point divisés d’une ma- nicre assez sensible os y disunguer les espèces différentes, ce n’est qu’à l’apercu des circonvo- lutions qu'on peut tabler à peu près pour l'intelligence de la descripion. A proprement parler, on ne reconnoît que les intesüins grêles, et les gros ; les premiers placés dessus, à lin- verse de ceux de l’homme. Le tube intestinal a, depuis la naissance Ge l'œsophage jusqu’au coude supérieur de l’es- tomac, huit pouces; et depuis le départ du duo- dénum jusqu'au petit pancréas, un pied, y com- pris les circonvolutions : depuis ces replis jusqu’à la distincüon des intesüns grêles, trente-deux pouces ; et depuis cet endroit jusqu'au rectum , trente pouces. Le rectum est long de cinq pouces. Le sphincter, qui se wouve au centre du rectum , dans le milieu de sa longueur, a un bourrelet bien sensible. De la rate, un canal se rend au duodénum. Elle est située (pl, XXVIIL, fig. 1ère; ouvrage 5° 44 VOYAGES cité.) à la droite du cul-desac inférieur de l’es- tomac, au dessous du lobe droit pulmonaire, et appuyée entre les deux prostates. À la droite du départ de la circonvolution des intestins, se trouve placé un corps solide rosacé, abouché par un tube au jéjunum. C’est un second pancréas beaucoup plus sensible que celui adossé au coude intérieur des mênies in- testins. Ceux sous lesquels 1l se trouve, sont repliés en deux circonvoluuons serrées. (PL. IE de ce volume.) Le rectum très-gros, est appuyé sur les. reins, qui se trouvent au bas du dos. Ce viscère passe au dessus d’une membrane pelliculaire, servant de vessie, et qui s’adapte au collet du rectum par des tubes’ appropriés ou urétères. Les prostates rouges, entourés de graisse, se trouvent à chaque côté intérieur des reins oblongs. (PI. IIT de ce volume. ) Les parties sexuelles, soit dans le mâle ou la femelle, sont renfermées dans le canal de l’anus. Le cerveau, où plutôt le ganglion, contenu dans sa cavité (pl. XXV de ” ouvrage cité), est irés-peut, renfermé dans une boîte osseuse en losange, et composé de deux lobes antérieurs les plus gros, de deux médiaires peuts, et du postérieur ou cervelet duquel s'échappe la moëlle spinale. D'UN NATURALISTE. 45 Pr os ns ns nr nn sn in nr Te ar CHAPITRE SIXIÈME. Examen des organes de la génération. Voyez , pour ce chapitre, ma monographie du caïman de Saint-Domingue. en 2 ‘9 2 © CHAPITRE SEPTIÈME. Préludes de son amour; détails sur son accouplernent ; et indication de l’ége auquel . . . y il peut.produire : assertions appuyées d'un tableau tracé par l'expérience. Ce n’est point la contenance humble du dou- cereux tourtereau près de sa fidelle compagne que Je vais décrire ; ce ne sont plus ces roucou- lemens mélancoliques et voluptueux , avant- coureurs de la jouissance et du plaisir ; mais des mouvemens violens, une agitation turbulente , une poursuite acharnée, des mauvais traitemens pour les refus, et des hurlemens lors du contact sexuel. Voici de quelle manière nous avons surpris le caïman, et comment je l’ai observé dans les préludes de son amour. Grossier dans ses manières, pourquoi cher- cheroit-1l, à l’exemple des favoris de l'amour, des a parer po EE 0 RE mt sms nm 45 VOYAGES bosquets agréables, pour y reposer un corps dur et insensible? lui que l’aspeet d’un être quel qu'il soit, faugue etirrite, est-ce pour une brute de ce ‘caractère que sont faits les beaux jours., la verdure émaillée des paisibles cam- pagnes, le murmure agréable des peuts ruis- seaux?..... Non! les abatus de bois épineux , les tiges vermoulues de cardasses desséchées, les sinuosilés impratcables des halliers les plus hérissés, une eau fangeuse, lente et obstruée dans son cours, de plantes aquatiques entre lacées , ont pour lui plus de charmes , et sont les lieux choisis pour cacher à la Nature et sa laideur et sa férocité. Aussi, heureux lorsqu'il est tran- quille , c’est un tyran puissant et farouche qui jette la terreur et l’épouvante dans toutes les classes créées d'animaux qui lui sontinférieurs. Le noir limon des rives bourbeuses sert de lit de repos à ce morne ennemi de la Nature aimable. Tout annonce que le caïman est polygame , et je me vois appuyé dans mon dire, par la raretc des mâles , et la profusion des femelles ; puisque , sur quantité de trous fowillés dans un canton barricadé aux deux extrémités de seines, nous avons trouvé un nombre prodigieux de ‘femelles et peu de mâles. Nous avons eu aussi plusieurs fois occasion de remarquer les combats des mäles; leur poursuite D'UN NATURALISTE. 47 acuve dans l'eau (1) , leur élément familier; leur fureur en cas de rencontre, les coups de dents terribles qu’ils se donnent en se redressant : l’eau bouillonne sous leur poids et sous leurs efforts ; les oiseaux aquatiques effrayés, s’éloignent en criant, exprimant par la le trouble qui les agite; l'oiseau terrestre même; le silencieux cocot-zin { colomba parvula, Linnæti) craignant pour sa vie, cherche la cime des arbres, et cache, sous quelque touffe de feuillage, son peut corps tremblotant. Toute la Nature en un mot, sourit à leur absence , et gémit à leur aspect. Mais le combat cesse; et c’est au vain- queur qu'est réservée la jouissance des femelles. Il garde à cet effet une exacte surveillance. # Maître de son sérail, veut-il accorder ses faveurs ? 1l fixe l’objet qu’il envie, annonce alors sa fierté parses crisrauqueset redoutables, déploie sur l’onde son extrême agihité, la coupe, en « (1) À l'époque intéressante du rapprochement des sexes, où tous les êtres semblent avoir reçu une ame nouvelle , les yeux du caiman n'en sont pas plus étincelans, et l’ardeur qui ie tourmente n'est qu'un besoin à satisfaire, et non un désir produit par de douces émotions. Des rugissemens horribles, effrayans pour les hommes, mais que sa femelle sait comprendre et apprécier, sont plutôt le langage de la fureur que de l'amour. ‘ 48 VOYAGES rase la surface, sans même la rider; puis il s’avance, se place sur le côté, et d’un coup de queue, ordonne à la femelle de prendre la même posiuon. Ils se réunissent en s’embrassant, ne se servant plus que de leur queue et de leurs pattes de derrière, peur se soutenir sur l’eau pendant l'intromnssion , qui dure vingt à vingt-cinq se- condes. Le plaisir éprouvé, l’acte & propagation achevé, ils se séparent, et accompagnent cette retraite des cris et rugissemens affreux, qui pré- sident à l’acte du coït. Leur naturel étant féroce, l'expression de leur amour doit être brutale, et comporter les mêmes caractères. Mais ce son de voix, qui ne nous semble cômposé que d’une modulation, sert pourtant à expliquer ses volontés. J’eus la satisfaction, en réfléchissant sur ce point, de voir mon hypo- thèse confirmée par le fait suivant. J’apercevois au dessus de ma tête, le mäle de la cresserelle du pays, tournoyer et planer, tenant en son bec un mulot qu'il destinoit à sa femelle , occupée à couver. Le pourvoyeur se perchant, fit un cri : aussitôt je vis sortir d’une vieille masure la femelle qui, dans la rapidité de son vol, lui enleva l'animal, sans s'arrêter, et alla le de- pecer promptement, pour rentrer dans son nid. La différence des intonations, la durée des sons , leur Qualité interprètent sûrement ce | langage \ D'UN NATURALISTE. 49 langage inconnu. C’est un dénouement auquel , je crois, l’observateur discret doit renoncer. Divers examens anatomiques m’ont confirmé que le rapprochement des deux sexes, pour la copulauon, n’a lieu dans les mâles, qu’à l’âge de dix ans, et dans les femelles, de huit à neuf. On peut en juger par le tableau de la progression des âges et de la taille, annexé à ce chapitre. On y verra que, dans ces animaux, la puberté est lente et tardive à se déployer, par les dispro- portions énormes des facultés progénitrices mâles, type le plus en faveur de ma combinaison. La fécondité de ces animaux dangereux, nui- sible par la quantité de germes destructeurs sortis de la terre, à chaque incubation, pour l’appauvrir dans ses créatures ,ne dure quetrois, quatre, et au plus cinq ans dans les femelles (1) : le Créateur apaise donc cette vertu prohfique, en rendant, à un certain âge, impuissanies leurs facultés, et ne conservant que de quoi entretenir l’espèce. | D’après l'étendue des ovaires, la quantité des œufs, et l'emplacement qu'ils occupent jusqu’à leur perfection, je crois devoir répéter que les femelles ne pondent point avant l’âge de huit ans. Quelle dévastation s’ilen étoit autrement , et (1) Foyez le post-scriptum du chapitre +. Tome IT, D 5o VOYAGES si la fécondité n’étoit point arrêtée! Une autre preuve est qu’à un cerlain àge, ces animaux fe- melles trouvées dans le tems de la ponte, si elles ont acquis la taille de onze à douze pieds, ont cessé d’engendrer. J’en ouvris quantité avec ces proportions, qui n’avoient point d'œufs, ni aucune apparence que leurs ovaires dussent être fécondés : leurs trompes au contraire, aupara- vant dilatables, étoient rétrécies et duriusculées, Caïmans scrupuleuses , oussole , | rgeur lent érieure. a . ole. le base. dents inf. dè nasal. 1 ctilage très- 2 hmencée, &1 5 Es dépassant Glpar les deux 2 lignes 1/2. Je 3 lig. 1/2. ; le &lignes® 8 | LP + ä Longueur et larseur des pliques de son armure, Les deux principales du cou, ayant 4 lignes sur 5, 7 lignes sur b. 7 lignes sur 5 1/2, Idem. 7 lignes sur 6. 8 lignes sur 7. 9 lignes sur 8. 10 lignes sur 9. 11 lignes 1/2 sur 10, 13 lignes sur 11. 15 lignes 1/2 sur 153. 16 lignes 3/4 sur 14 1/2. 15 lignes 2/3 sur 16 lignes. 21 lignes 1/3 sur 19 lignes. 2 pouces 3 lignes sur 21 lignes. 2 pouces 9 lignes sur 22 lignes. 2 pouces 11 lignes sur 23 ligues. 3 pouces sur 22 lignes, La è RE — mm re mt gr te mir " rm me IT, page bo, Lun jour de naissance, six mois ui an, deux ans, Vois ans, quite ans, doq ans, sixans, “plans. huit ans, ntufans, dixane, douze ans, Quatorze ans, | tire ans. dix-huit anss Yngtans, Tgt-deux ans. TABLEAU des progressions de Taille, 9 pouces 1/2, 18 pouces. 24 pouces. 32 pouces. 3 pieds 4 pouces, kpieds, & pieds 8 pouces. 5 pieds. 5 pieds 8 pouces. 6 pieds 7 pouces, 3 pieds 4 pouces, pieds 2 pouces. 9 piéds 2 pouces, 10 pieds 4 pouces, 12 picds1/2. 1#piels et 5pouces: 16 pieds Gpouces. “Idem. Tems de puberté, Idem. F Adultes ct très=ardens, Idem. Adultes etmoïns ardens, Aduilteset jaloux. Moins ardens. Invalides, la taille, et de la fécondité des Caïmans par rapport à leur âge , fait d’ Proportions des parties de génération. Très-peu sensibles, Presqu’imperceptibles, À peine visibles. Un peu plus sensibles. La verge de 8lig. de longueur. Le sujet femelle, l'ovaire point développé. La verge té 10 lig. 1/2 jusqu’à la naissance dunerf érecteur. Une femelle point formée, Pas encore bien formée. L’ovaire encore plissé, et point encore dilaté. La verge de 18 lignes. Voy. pl. 31 de mon ouvr. cité. La verge de 6 pouces. La verge de 6 pouces 5 lignes. La verge de sept pouces 1/2. La verge de 7 pouces 9 lignes. La verge de 7 pouces 10 lignes, Racornies et ridées. en me servant, pour boussole, de l’époque de la ponte. Longueur et largeur de la dixième dent de la mâchoire supérieure. 1 demi-ligne. 1 ligne. 2 lignes. 2 lig. 1/2 hors de l’alvéole. 4lig. sur une lig. 1/2 de base. 6lignes sur 2 de base. | 7 lignes sur 2 de base 7 lignes 1/2 sur 2 1/2, 8 ligrés sur 2 1/2. 9 lignes sur 4. 13 lignes sur 4 1/2. 15 lignes 1/2 sur 6. 16 lignes 1/2 sur 7. 24 lignes sur 91/7. 3 pouces sur 14 ligné{ 1/2. 4 poucessur 18 lignel, 4 pouces 1/2sur 20 lignes. Incomplètes et écorhées: Idem de Ja quatrième et onzième dents de la mâchoire inférieure. 1 demi-ligne. ligne. 1 ligne 3/4 et une 1/2. 2 lignes et une ligne 3/4, 4 lignes et 3. signes ct4, G lignes 1/2 ct 5 lignes. 7 lignes et 5 1/2. 7 lignes et 6. 8 lignes et 7. 9 banes et 7. 11 lignes et 10 1/2, 14 ligues 1/2 et15. 15 lignes et 14. 2 pouces 1/2 et2 pouces. 3 pouces une ligne et3 pouces. 3 pouces 1/2 et3 pouces. Cüssées ou émoussées. Longueur de la tête, et largeur de sa base à læ bascule de l'arc temporal. 18 lig. sur 7 latèterenflée, 30 lig- la têle plus développée. 5 pouces 4]ig. sur un pouce 3 lig, 5 pouces 8 lig. et 1 pouce 7 lignes. 6 pouces sur 2 pouces 8 lignes. 7 pouces sur 5 1/2 de base. 8/pouces 3 lg. sur 3 pouces 6 lig. 8 pouces 8 lig. sur 4 pouces 3/2. 9 pouces 1/2sur 5 pouces2 lignes, 11 pouces sur 6 1/2. 11 pouces sur 8, 13 pouces sur 9 1/2. 24 pouc. sur 18 pouces, 30 pouces sur onze, 3 pieds 1/2 sur 13 pouces. 3 pieds 11 pouces sur 18 pouces, Æ pieds sur 21 pouces, Idem. après des obseryalions |scrupuleuses , Conduits des deux [dents inf. près le cartiligé nasale Longueur et largeur des pliques de son armure: Point percés, le canilüge très- saillant, Les conduits point fonts, Point encore percés, La fraction des os co Les conduits percés. Percés, mais (F5 den à peine le museau, Les conduits perforés dents saillantes de hi Les dents saillantes del Les dents saillantes de 5 lignes. de 5 lignes 1/21 Idem. de 4 lignes. Somi-fermés, Bouchés, dents obtikes, Idem. Idem. Idem. ——————————© —— | Les deux principales du cou, ayant 4 ligues sur 3, 7 lignes sur b, 7 lignes sur 5 1/2, Idem, 4 lignes sur 6, lignessur 7. lignes suri8s 10 lignes sur 9. : 11 lignes 1/2 8ûr 104 16 lignes sur 11, 15 lignes 1/2 ur15: 16 lignes 3/4raur 14/2, 18 lignes 2/4 sur 16 lignes. 21 lignos 1/3 sut 19 lignes, à pouces 5 lignes sue 21 lignes. apouceslo lignes sur 22 lignes: 2 pouces irlignosaura5 lignes Spoucessuralignes. D'UN NATURALISTE. SI Poe os rs on nr or ne or nr rs in a CHAPITRE HUITIÈME. Conduite du Mäle et de la Femelle avant et après la ponte. Pos par une induction naturelle, ces ani- maux , sentant le besoin de propager leur espèce, éprouvent, dans la régénération printanière, les üullatonsirrésisubles de cette passion fougueuse, qui donne alors un plus haut ton à leur fureur brutale et"jalouse. C’est au sein de la terre, hors des regards humains, que doit être confiée la progéniture qui doit un jour venger ‘leurs outrages, épouser leur férocité, désoler Ja Nature, et renouveler leur emploi tyrannique. C’est sûrement dans cet espoir cruel, qu'ils quittent les froids momens de leur indiflérence, pour céder aux impressions poignantes de leur bestialité. D'une torpeur engourdie, d’un repos glacial, on les voit rapidement passer à un période effrayant d’agitauon convulsive et fa- rouche. I est à croire que le mäle, oubliant son esprit de domination et d’égoïsme , aide la femelle dans la fouille du nid; je le suppose au moins, d’après les traces différentes qu’on aper- D 2 D) VOYAGES . coit autour de la couvée. Ce que je puis assurer, c’est que la femelle se sert d’abord de ses pattes pour agrandir et creuser son trou circulaire; mais, quand leur longueur ne peut plus achever la profondeur nécessaire, elle fait usage du bout de son museau, comme d’une spatule, pour caver le creux , et en soruür la terre inutle. On est étonné de voir régner une si parfaite régularité dans louvrage d’un animal aussi inepte; mais la surprise est remplacée par une admiration due à la sagesse du Moteur de ces merveilles, qui éclaire la stupeur de ces ma- chines animées, en accompagnant de quelques combinaisons idoines, le tems nécessaire à leur régénération. Ce même insunct est encore déve- loppé dans les poursuites et les vengeances de ce repule carnassier. Les œufs, au nombre de vingt-huitseulement, sont placés circulairement dans le couvoir, rang sur rang, de manière à ce qu'ils ne se touchent point. Po prévoir cet inconvémient, la femelle a soin d’interposer une couche deterre, etnon de la paille on feuilles sèches, ainsi que quelques auteurs l’ont avancé. L’humeur visqueuse qui se trouve sur les œufs, amoncéle, agslutine, entre chaque cavité, les particules terreuses que la femelle a soin de répandre sur chaque rang, en D'UN NATURALISTE. 5 sorte que le tout ne forme qu’une seule masse contiguë. | Les caïmans choisissent, pour placer leurs nids, un tertre un peu élevé; et, indépendamment de cette première précaution , 1ls joignent celle de taper le dôme du couvoir, de peur de la pénétra- uon des pluies accidentelles. Aussi la Nature qui prévoit tout, ne les fait-elles pondre que dans les secs, dans les niêmes endroits qui sont submergés dans les pluies (1)! La ponte est en mars, avril et mai pour les plus tardifs, c’est à dire une seule fois l’année, lincubauon est d’un mois, ainsi que nous avons éprouvé par des œufs enlevés, et en- terrés au pied de notre case, après nous être assuré que le développement du germe n’étoit point encore commencé. La femelle dépose à la bo ou ceouR parfaits, dont la coque est dure. J’en ai toujours (1) Les repüles ovipares sous le climat torride de Saint-Domingue, n’ont besoin de.confier leur postérilé qu'à la concentration de la terre, tandis qu'en Europe, où le sol n'est point aussi chaud, les couleuvres et certains autres reptiles choisissent des tas de fumier, plus propres à réverbérer la chaleur nécessaire aux progrès de l'incubation. Ainsi tels climats , telles habi- tudes, et par-tout des preuves non équivoques de l'influence du Génie créateur, D 2 DA VOYAGES trouvé vingt-huit humectés d’une humeur vis- queuse. La coque crétacée, tapissée intérieu- rement d’une tunique épaisse, produit un son clair, en raison, je crois, des petits trous dont elle est parsemée, et qui traversent jusque dans l'intérieur. Ces porosités rendent lincubation moins lente et plus facile. À. voir les traces de ces animaux près leurs nids, on croiroit que lun ou l’autre vient re- poser dessus pendant la nuit pour entretenir une chaleur constante, etéviter aux œufs la fraîcheur du serein, its nécessairement les progrès de l’incubation ; mais cette conjecture, quoique d’ailleurs vraisemblable, ne peut être citée en cette Occasion; car, ayant découvert des nichées, ÿai garni l'emplacement , de cardasses , ra- queltes , et autres plantes épineuses : elles n’ont point été dérangées, et nous n’avons apercu que les anciennes traces. La femelle, après avoir donné tous les soins réservés à la maternité, abandonne, comme les tortues, a la concéntration etau soleil l'espoir de sa postérité. Ce qui prouve que les œufs n’ont pas besom d’une grande chaleur, c’est qu’ils sont en- foncés à dix pouces de la convexité, qui leur sert d’auvent, où la terre commence à être très- fraîche, ainsi que je l'ai remarqué en sondani des nichées. D'UN NATURALISTE, 55 Impatiente de se voir reproduite en ses petits, l'insunct porte la mère à venir, à l'approche du terme de l’incubauon, visiter sa future géné- ration. Elle tourne, retourne, s’agite, appelle, fait beaucoup de mouvemens sur la place, afin d’exciter ses petits à donner signe de vie. Par une admirable prévoyance de da Nature, lorsqu'ils sentent les mouvemens, ils aboient comme de jeunes chiens; alors la femelle gratte, déterre les coques , et voit avec joie le fruit de ses amours, C’est à la tête de ses peuts qu’elle est plus que jamais féroce. Hargneuse et prompte- ment irrascible , elle wattend plus qu'on l'attaque ; elle fond sur celui dont la présence linquiète, et cherche, par cette démarche me- nacante, à l’expulser de la vue de ses peuts, qu’elle mène à l’eau en grondant, et tournoyant comme une poule à égard de ses poussins. Qui pourroit alors la heurter de front avec sang- froid? Les armes les plus sûres tremblent dans les mains vacillantes. Il y auroit de la témérité à l’attaquer seul en cette occurrence , où tout cède à la force de son boutoir. S'il est rare de voir le caïman debout sur ses pattes, on le voit communément en cette occa- sion, période de sa colère. Il affecte encore quelquefois la même marche, lorsqu'il est D 4 56 VOYAGES poursuivi par un ennemi qui lui est supérieur en force : 1l court alors comme un lézard. _ Les petits, qui ne peuvent en naissant rester Jong-tems sous l’eau, ne font que plonger et reparoitre. La mère les nourrit en dégorgeant sa pâture, et la ruminant, lorsque le sac alimentaire ombilical a épuisé tous ses sucs nourriciers, Les senumens d'amour pour les jeunes rep- üles, sont encore moins Jlong-iems soutenus dans le mâle que dans la femelle, qui vaille à leur accroissement jusqu’à l’âge de trois mois environ. C’est pendant cette. garde assidue, qu’elle a besoin de toute sa surveillance et de son courage pour préserver d’une incursion Carnas- sière sa peute famille que le mäle cherche continuellement à éteindre; aussi fait-elle tou- jours bonne contenance, et l’attend-elle de pied ferme , pour détourner, par une prise de corps unanime , le coup prêt à frapper, et qui doit la priver de quelqu'un de ses peuts. En raison de leur imexpérience dans l'élément liquide, ils y sont moins en sûreté qu’à terre, où 1ls se rassemblent très-près des flancs de leur mère, qui les protége des mêmes armes que la Nature ui a départies (1). C’est pourquoi ils sont — {1) Ceite mère, toujours inquiète, cherche de pré- férence les endroits des berges garnis de biussons D'UN NATURALISTE, 57 souvent la vicume de cette confiance tranquille, surtout si le mâle vient à eux en silence, en cin- glant entre deux eaux. Quatre, un jour, furent dévorés de suite à la vue de la mère, inconso- lable de son défaut de prévoyance. Elle quitte bientôt ces soucis maternels, pour reprendre ses habitudes premières qui l’écartent impérieu- sement de toute société. Aussi, ces bonnes habitudes oubliées, porte-relle la guerre chez l’engeance animale qui la redoute, et succombe par sa foiblesse. —— 2 EF PS épais, ou de racines de mangliers, propres à recéler les jeunes caïmans, et où les gros ne peuveri pénétrer. 58 VOYAGES RRS Le BR Le VV VD LL VND CHAPITRE NEUVIÉÈME. Naissance du Petit, et ses diverses positions dans l'œuf. uiL est beau pour l'observateur déiste de réfléchir sur la formation et le développement de la substance homogène du jaune de l'œuf, où se trouvent réunis , d’une manière impercep- üble et cachée à la lentille la plus mulüpliante, les molécules matrices du musc, de la peau, des viscères, etc. ! C’estse perdre dans la nuit des conjectures que de fonder des systèmes sur des secrets que la Nature discrète cachera toujours dans son sein. Le voile de la concepuon des êtres organisés , pour jamais impénétrable, ne pourra tout au plus être que demi-transparent aux yeux percans du zélé contémplateur. Cepen- dant glorieux du titre d'homme, de maître de la création soumise à mon espèce, je dois porter partout des regards avides; mais les baisser respectueusementsur les points que ne peut fixer ma foible raison; reconnoître alors la supré- mate incontestable du grand Ouvrier de la Nature, qui a limité mes moyens moraux et physiques ; leur a assigné un cercle circonserit, D'UN NATURALISTE. #9 et a ordonné au livre des secrets de la Nature, de se fermer à mon approche. Il est malheureux , pour intérêt del’ouvrage, que des circonstances impérieuses , des inimiués mal fondées , m’aient empêché de mettre à exé- cutuion le projet que j’avois de suivre jour par jour , les progrès de lincubauon, et d’en des- siner graduellement les planches. J’étois bien disposé à observer dans une infinité de nichées que je connoissois, mais qu'on eut la méchan- ceté de me découvrir pour en casser les œufs , et ne me laisser à chaque visite que le regret d'y avoir pensé. Je ne puis donc exposer ici que les parues les plus évidentes du succès de l’incuba- uon , ainsi qu’on peut en juger par les figures de la planche V. Voici l'exposé de quelques observations vic- torieuses des mauvais tours qu’on a voulu me jouer. La mère, soit qu’elle exprime irop véhé- ment sa Joie , soit que lourde dans ses manières, elle ne puisse en mitiger la brutalité, écrase toujours plusieurs peuts en les déterrant pour leur donner la lumière ; elle paroît même insen- sible à la perte qu’elle vient de faire, d'une manière plus remarquable que si les pets eussent seulement vécu un jour; alors elle sy attache. | Elle répond à leurs prenuers aboiïemens par 6o VOYAGES une vibration isochrone, rauque ou tremblante, qui glace d’effroi les auditeurs de l’engeance raisonnable. Le peut, dont les yeux sont énormément saillans, ést, dans l’œuf, roulé sur lui-même. (Planche V, fig. ur.) La coque crétacée cède aux batiemens réntérés de son boutoir : elle est seche et cassante , garnie, intérieurement d’une tunique ou pellicule assez épaisse , que le peut a d’abord percé de ses dents aiguës, avant sa naissance. ‘ Je parle, au Chapitre dixième , de sa férocité innée; et j'ai eu moi-même occasion de réitérer plusieurs fois l’expérience, en ayant conservé huit dans une baignoire pendant quinze jours, lesquelsrefusèrentconstammenttoutenourriture, tant que le sac alimentaire ne füt pas dépensé. Ce sac alimentaire (planche V.) est une partie du jaune de l'œuf, entourée d’une membrane qui va se rendre, par un conduit vasculaire comparable au cordon ombilical d’un jeune enfant, aux vaisseaux chyliferes de la courbure dc l'estomac, à mesure qu’il est élaboré par la digestion. Le peut repule né, ce sac rentre en la région hypogasirique , au dessous et devant ies intesuns grèles. Alors la suture ombilicale (planche V.) se fait longitudinalement au bout de quelques jours : elle a quatre lignes de D'UN NATURALISTE. 16 longueur. J’ai conservé dans du tafia un de ces petits nouveaux nés, dix minutes sans mourir , et sans même qu'il ait donné le moindre signe de souffrance, Ce sac alimentaire servant d’abord d’intestin au reptle qui wa pas besoin, dans l’œuf, de déjections alvines, mais seulement d’une matière nutritive , est recouvert de vaisseaux sanguins ayant leurs troncs abouchés aux veines mésenté- riques. Il est très-volumineux, comme on le voit d’après nature , comparativement à la grosseur de lPamimal qui n’avoit qu'un jour de vie , étant éclos le matun devant moi. C’est un crible d’où partent autant de ramifications pour entretenir petit à petit les vaisseaux chyli- fères. C’est donc aussi, si je puis le dire, un secondestomacélaborantcette matière précieuse, et en faisant passer les sucs où besoin est par ses canaux appropriés. Le véritable estomac ne contenoit aucun aliment en digestion , et les intestins étoient vides. G2 VOYAGES BR ee LV OR ne CHAPITRE DIXIÈME. De ses mœurs’, des ruses qu’il emploie, et de la finesse de son odorat. Lu famille Rossignol - Desdunes est renommée à PArubonite par sa constante assiduité à purger la terre, depuis plus de trente ans, de ces monstres qui, à Fexemple de l’hydre de Lerne, reparoissent toujours, mais en quantité bien inférieure à celle de cette époque reculée. Qu'on juge donc de la férocité naturelle et innéedu caïman , par ce seul trait caractéristique. Un jour, M. Desdunes père, crut découvrir une uichée à une monticule de terre récemment remuée et piettée; 1l ne se trompoit pas. Il fit fouiller , etse disposant à éteindre cette postérité vorace, il écrasa un œuf. L’incubation étoit finie ; car le petit animal , en se déroulant, donna des preuves de sa méchanceté en lui tra- versant de ses dents aiguës la semelle de son soulier. Maintenant qu’il me soit permis de raconter un trait de la gloutonnerie impitoyable des adultes. La famille citée, recommandable par son huma- nité , ne négligeoit rien pour parvenir à ses fins. D'UN NATURALISTE, 63 Chaquejour plusieurs canots, bien approvisionnés de muniuons de bouche et de chasse, voloient à la poursuite des amphibies. 1] se üroit quel- quefois neuf cents balles par jour dans les parties projetées où se trouvoient le plus souvent ses huit fils. Un caïman de douze pieds fut harponné, et traîné à terre où 1l fut assommé. On l’ouvrit: quel fut l’étonnement de trouver dans son corps un pareil animal, de moyenne grosseur, à moitié digéré, et un chien qu’il venoit d’enlever ! Ce qui prouve bien l’élasticité de son gosier, qu’au premier abord on juge trop étroit pour l’intro- duction de pareilles bouchées volumineuses. 11 est à remarquer que le caïman ne se nourrit de ses semblables que lorsqu'il les rencontre sans vie. Quoiqu'il ne soit guères prudent de chasser seul le caïman , cependant il est bon de recom- mander à celui dont on ne peut réprimer la passion, d’user de beaucoup de prudence, et de ne point regarder pour pusillanimité, ce qui n'est que sagesse et prévoyance. M. Desdunes le plus jeune se promenoit sur une berge de l’Ester ; il aperçoit un gros caïman, il est plutôt rendu que le noir qui laccompagnoït. Il avoit eu limprudence d’amarrer le bout de la corde autour de son bras ; l’animal prêt à couler , il ne voulut pas laisser échapper un si gros but, sans 64 VOYAGES y fixer le trait que devoit diriger son adresse : il Jance, l'animal est atteint , et rougit de son sang l'onde agrée par ses mouvemens, et bouillon- rante par son souffle. Le caïman fuit, 1l s’éloigne; la corde a déjà filé que le jeune homme, content de sa victoire, n’a point encore apercu les pas qu’il faisoit vers la mort. Il reconnoît trop tard sa faute, et marche déja involontairement dans l’eau , entraîné par l’'amphibie furieux , lorsque son noir se jette à la nage, le devance, et coupe Ja corde. Il est sauvé; 1l frémit, en pensant à une représaille plus horrible de la part de l’agressé, qui l’entraînoit sous Veau dans le repaire tortueux où , s’il n’est point trop aflamé, 1l met pourrir toutes ses victimes avant de les manger. Une des ruses qu’il emploie est de ne point remuer, jusqu'a ce que sakproie lui soit assurée; le fait suivant en est une preuve. M. Lachicote- Desdunes, allant ramasser du gibier qu’il venoit de tuer sur l’eau peu profonde d’un lagon, se trouva enfourcher un caïman de dix pieds et demi de longueur, qui subitement parut sur l’eau avec des intentions perfides, laissant aper- cevoir les deux dents blanches qui Jui percent la mâchoire supérieure. Notre chasseur , dont le courage magnanime est pourtant à cs puisqu'il passe quelquefois la prudence, fut in- tümidé, et ne voulut faire aucun mouvement; car D'UN NATURALISTE. 65 car il y alloit de sa vie. Il fit signe à son domes- tique de l’approcher, lui fait tenir horizontale ment la crosse de son fusil, dans lequel il mit deux balles, sans changer de position. Pendant ce tems, le caïman, agitantlégérement sa queue, à l’exemple du poisson qui surnage, lur frottoit les cuisses ; puis, pointant à bout touchant son canon près de l'œil de l’animal, M. Desdunes- Lachicotte lui fit sauter la cerveile , et s’en déhvra par ce moyen, le seul que la prudence püt lui suggérer en cet état critique. M. Desdunes père, étoit si adroit, qu'un jour ilsauva de cette manière la vie à son domestique. Ce dernier, très-imprudent, se jeta à l’eau, à la vue d’une tortue qu’il vouloit prendre. 1l nageoit, malgré les sages remontrances de son maître , qui apercut derrière lui un-caïman affamé, ouvrant déjà la ‘gueule pour le dévorer. Sans dire mot, il envoya une balle au caïman, qu’il tua roide. Le domestique finit malheureu- sement , à ce qu'on a lieu de conjecturer. Très- friand de tortues (1), 1l alloit les chercher jusque (1) Par un instinct fort singulier, lorsque ces tortues ont suffisamment pris de nourriture , sans avoir été tnquiétées par le caiman, qu'elles reconnoissent pour ennemi, elles vont affronter sa présence, et se cacher dans son trou, où le caïman ne peut leur faire aucun, mal, parce qu'il n€ peut manger dans l'eau. Elles sy Loue HI. E 66 VOYAGES dans les repaires des caïmans, où on en trouve quelquefois en abondance. Ses vêtemens et son chapeau , qu’on trouva sur terre, au dessus d’un de ces trous, font croire qu’y ayant rencontré l'animal, il a eu à souténir un combat dans lequel il a succombé. Jamais on n’a entendu parler de lu depuis cette époque. Dans la chasse au harpon, il arrive ‘le plus souvent que lanimal n’est que blessé ; alors 1l faut de grandes précautions pour l'emmuseler. Voici la manière qui nous a le mieux réussi. On profite du moment de sa tranquillité, et de l’étonnement que lui cause la vue d’êtres supé- rieurs à lui, en ruses et en adresse, pour lui jeter en travers, sur le cou , un pieu qu’à l'instant deux hommes saisissent à chaque bout, en Pap- puyant vers la terre. L'animal veut bondir, mais on arrêle ses mouvemens en usant du même moyen, par rapport à la queue. Il est si honteux de se voir vaincu, qu'il ne s’agite plus. Alors on lui lance à la tête un nœud coulant, lequel, se tiennent en repos, la tête retirée, jusqu'à ce que le monstre sorte pour faire sa tournée. Elles épient alors ses mouvemens et la direction de son excursion, . pour bientôt après sortir et nager vers l'endroit opposé, afin de gagner la terre; mais elles ont à craindre d’autres caimans souvent en maraude. D'UN NATURALISTE. 67 fermant, ne peut pas glisser du museau, qui est spatuleux à sa partie antérieure, ainsi qu’on Va vu dans les planches de physiologie. I ne faut pas se distraire sur les dangers qu'offre le voisinage d’un semblable animal; car quelquefois, au moment inattendu, il donne une secousse qui jette les hommes. à terre. Cependant la Nature | toujours prévoyante , a restreint , Jusqu'à un certain point, la voracité de lamplibie. Ainsi 1l ne poursuit l’homme que quand il est pressé par la faim, ou lors de la ponte ; il se cache. même à sa vue, lorsqu'il a assez trouvé de scarabées, de poissons, et d’autres choses propres à rassasier son appéut. J'ai trouvé, dans l'estomac des petits caïmans, des chevrettes déjà rougies par la chaleur concentrée dans ce viscère, pour le travail de la digestion. C'est un spectacle horrible que de voir le caïman au nulieu d’un feu acüf. Il réunit, dans celte conjecture, tout son courage, et menace avec fureur les assistans ; en se roulant et repliant avec des contorsions affreuses , il découvre aussitôt son sexe : c’est alors qu’il est prêt à succomber à la douleur effroyable qu'il ressent. Lorsqu'un gros caïman surprend une tortue, 1l.s’en saisit, et levant tout à fait sa tête hors de l'eau, il broie l’écaille en deux ou trois coups E 9 68 VOYAGES de dents , ainsi que nous l’avons entendu plusieurs fois. C’est en vain qu’on a tenté jusqu'ici de familia- riser le caiman ; d’ailleurs cet animal, offrant aucun but d’utuihité dans sa conservation , c’est s’exposer que de faire de semblables essais. Un parüculier du Port-au-Prince a gardé un de ces ‘ammaux plusieurs années, dans un bassin qu’il avoit fait construire pour le succés de cette expé- rience. Ille fit prendre bien au dessous de six mois, et fut obligé d’y renoncer, ne voyant point le caractère féroce de l'animal, disposé à s’adoucir. Le période de la taille des caïmans paroît être à Saint-Domingue de seize pieds et demi, ainsi que l’a observé la famille Rossignol-Des- dunes, qui en a fait une chasse journalière et constante pendant une trentaine d’années : le plus gros qu'ils aient vu et qu'ils ont pris, avoit cétte taille. Privé de toutes ses dents, les alvéoles fermées par des cicatrices osseuses, l’œil morne , les écailles presqu'usées, annoncoient une parfaite caducité. Joignez à ces symptômes de caducité le peu d’agilité dans les mouvemens; il ne se nourrissoit plus que de poissons, ou d’autres petits animaux s’engouflrant dans sa large gueule, croyant s’y mettre à l’abri. Aussi lavoitil toujours ouverte, ne la fermant que lorsqu'il vouloit dégorger l'air retenu dans ses D'UN NATURALISTE 69 poumons, en l’expirant par le cartilage nasal. Il étoit très-maigre, en raison de sa taille. C’est ce caïman qui, tenu vivant à l’éperlin, ennuyé dans sa prison, se replia sur lui-même, croyant travailler à sa liberté, en sorte que , sans se dérouler , 1l atteignit à la hauteur de douze pieds la solive où étoit attaché le bout de la corde ;. ce qui prouve encore une parfaite tension: de muscles. ° Des amis du merveilleux ont cru aperce- voir des arbustes implantés sur le dos de vieux caïmans, à la faveur de l’impercepubilité de leurs mouvemens ; mais, avec plus d'attention, ils n’ont apercu que des conferves ou d’auires plantes aquatiques que ces animaux accro- chent en passant près des rives, et qui restent sur leur corps quelques heures, ou moins, retenues aux apophysés, jusqu’à cequ’une flaque d’eau les en détache. Une femelle surprise près de ses œufs, s’élanca sur M. Desdunes père, et lui déchira sa veste, Non contente de cette première vengeance, elle se redressa un peu, voulant l’attaquer au visage ; mais 1l ne rapporta à la case que la marque des deux pieds de l’animal, déjà montés lun sur la cuisse, et l’autre sur la poitrine. C’est près d’as- souvir sa cruauté sur ce bon père de famille, que cette femelle eut peur de deux chasseurs qui 3 70 PA VONACGES vinrent à Ja défense de leur ami bien en danger. Cet événement fut raconté, et le chas- seur intrépide de la maison voulut seul laller attaquer : 1l parut donc ,; sans mot dire; rendu au lieu indiqué, il apercut un s (21) Les lagons ou lagunes sont des marais à peu près desséchés, où 1l reste encore un peu d’eau. (2) Les maringoins ou cousins sont de petits in- sectes volans, avides de sang, et fort incommodes. (5) La bigaille ou moustiques : on appelle ainsi de petites mouches imperceptibles, avides aussi de sang. Towe IL. H 114 VOYAGES d’abord distinguer , mais que je reconnusensuite, à ses sifflemens , pour une énorme couleuvre, objet de l’adoration de ces êtres supersutieux, et en faveur duquel ils se privoient tour à tour de leur manger, et particulièrement de leur laitage dont le repule déïfié est fort friand, ainsi qu'on pouvoit en juger par l’ivresse que cette fétiche éprouvoit, lorsqu’elle s’étoit gorgée de lait (1). . Lom de vouloir troubler ces cérémonies noc- turnes, je me tins à l’écart, à la faveur des bananiers qui, ombrageant le sentier, me ser- virent de retraite, et d’où je pus à mon aise faire les remarques que je citerai en tems et heu. Cependant la nuit s’avancoit; la constellation de a Poussinière rentrant vers l’horizon, Le lu- cide bayacou ou étoile du matin , éclairant les montagnes et permettant de disunguer leurs contours, à la faveur de sa brillante réverbé- rauon, je laissai dans sa "muette adoration la cohorte prosternée , pour aller nie livrer au repos. Le lendemain , mon premier soin futdecharger un nègre de la case , aflidé et très-intelligent , de (x) Cette couleuvre à tête de chien, est si peu dangereuse qu’elle tète les vaches et les négresses endormies sans qu'elles en soient incommodées. D'UN NATURALISTE. 119 m’amener , chaque soir et tour à tour, plusieurs nègres de.nations diflérentes, sous le prétexte par lui de nationner (1) avec eux, en buvant le tafia et fumant la cigare, afin qu’à force de questions faites par lui, sans que je parusse y être présent, je pusse, à l'écart, apprendre de leur propre bouche les vérités et détails histo- riques qui font l’objet de cet Opuscule: Voici le résultat de mes notes et de mes observations. | (1) Nationner, terme nègre; ils appellent aussi bâtiment celui ou celle avec qui ils ont fait la traversée d'Afrique à Saint-Domingue. 116 VOYAGES Ps ns ns on si VV D CHAPITRE PREMIER. Nègres Dunkos, et Aradas. Belle stature de ces peuples. Attachement prononcé des femmes pour les hommes. Leur corps est tatoué. Caractère physiologique propre aux femmes Aradas. Les nègres Aradas sont empoisonneurs. Négresse sage-femme devenue bourreau des enfans, et brulée vive. Sa superstition. Pouvoirs du roi: Les Aradas sont idolätres , et leurs femmes galantes. Gratitude d'une vieille négresse Arada infirme. L: plus beau sang a formé ces peuples; il semble que, pour ces créatures, la Nature ait perfecuonné tout particulièrement son mode générateur dans leurs formes nobles et gra- cieuses. Les hommes et les femmes y sont d’une stature belle et proportionnée : leur démarche n’est point celle de la contrainte, elle est noble, assurée, grave et enjouée tour à tour. Les femmes de Dunkos, surtout, ont pour les hommes qui leur sont chers, des préve- nances aimables dont la réciprocité devient le prix. Leurs paisibles amours n’ont rien de D'UN NATURALISTE. 117 matériel, rien de turbulent; la délicatesse les anime, et les graces les accompagnant dans leurs rendez-vous nocturnes, c’est di sentiment que naît l’éuincelle de leur véritable amour ; amour durable, et assis sur des bases que’la fri- volité ne peut ébranler. Ils laissent aux maté- rialistes le soin abject et brut de passer d’une femme à une autre. Leur cœur n’a parlé qu'une fois, et c’est pour toute la vie; aussi sont-ils vraiment heureux dans leurs amours, de ne point connoître le partage. Le papillon incertain de la fleur sur laquelle il doit se fixer, est malheureux tant qu'il voltige ; les instans s’é- coulent > etine] jouit point réellement : il récolte bien , mais il ne trouvera son vrai trésor qu’ au sein de la rose entr’ouverte pour le recevoir, et qui doit lui prodiguer ses parfums et ses richesses. Qu'il y reste dans cette fleur; qu’il analyse, qu’il apprécié’ sa substance , et n’aille point mésallier le délicat pollen de son nectaire à celui du caustique et vénéneux uthymale ou du grossier chardon. Les Dunkos et les Aradas sont tatoués, c’est à dire , marqués de coupures d’après lesquelles on disüngue, par les dessins, les familles et leur rang dans la société. Tous les nègres , mais particulièrement les Aradas, employent assez communémentle poison H 35 118 VOYAGES pour se venger de leurs ennemis. Un d’eux nommé Samedi, de l'habitation Rossignol- Desdunes , quartier de l’Arubonite , où j'ai écrit ces mémoires , avoit trouvé le moyen d’em- poisonner deux enfans de son rival ; les preuves en étoient presqu'acquises , mais m’étolent point sufMisantes pour le faire condamner. Cependant on le livra, à Saint-Marc , entre les mains de la jusuce , . il fut interrogé à plusieurs reprises sans pouvoir le convaincre pourtant de l’énor- mité de son crime, dont son ton patelin rendoit le soupcon injuste et trop prématuré. Déjà les semi- preuves étoient regardées insuffisantes, déja le juge et son sr A se préparoient à proclamer son innocence , lorsqu'un gendarnie qui lac compagnoit apercut, dans le crépu de ses che- veux , un papier roulé. Persuadé qu’on pourroit üurer de cette découverte , une inducuon 1irré- cusable, le garde s’empresse d’en donner avis au juge, qui fit saisir l’accusé, et mettre de nou- veau sur la sellette | après avoir fait arracher de ses cheveux, plusieurs pets cornets de papier contenant üne poudre grisâtre que l'accusé avoua être du poison pareil à celui dont il s’étoit servi contre Îles enfans , et qu’il avoit réservé pour lui, afin d'éviter les tortures affreuses du supplice qui lui étoit préparé. I montra de plus , par un aveu complet, les ongles de ses deux pouces D'UN NATURALISTE, 119 qu'il laissoit croître depuis long-tems , et sous lesquels 1l avoit fixé du poison pour s’en servir au besoin. Le juge ayant acquis , par l’aveu du coupable , les preuves nécessaires , bien con- vaincu qu'il n’avoit pas à condamner un inno- cent , appliqua contre lui toute la rigueur d’une punition exemplaire due à son crime : le cou: pable empoisonneur fut brûlé vif. Une négresse Arada , sage-femme de la même habitation , contre laquelle on avoit de pareils soupçons, fut aussi traduite au même tribunal, où elle avoua en riant qu’elle n’avoit pas de plus grand plaisir que de détruire Doi humaine, sur ous celle qui étoit destinée à l'esclavage ; qu elle devenoit, par ce MOYEN’ la libératrice des malheureux mercenaires à qui l'existence devoit être à charge. Atteinteetconvaincue par son propre aveu, celte négresse fut condamnée au même sup- plice que le premier accusé. Comme elle s’avan- coit vêrs le brasier qui devoit la consumer, elle paroissoit repentante , et marchoit Éi la tête baissée, lorsque tout à coup, par un excès de rage-et de désespoir , arrachant une ceinture qui retenoit sa chemise : « Voyez , dit-elle , st » Jai bien mérité mon sort ; les soixante-dix » nœuds dont cette ceinture est garnie , dési- » gnent la quantité d’enfans tués de mes propres » mains, soit par le poison , soit par une cou- H 4 120 VOYAGES ». tume exécrable qui me faisoit un devoir d’en- » lever ces jeunes êtres à un honteux esclavage. » Ma qualité de sage-femme me donnant les » occasions de tenir en mes mains les nouveaux » nés , dès quej'y pressois une de ces victimes, » de peur qu’elle néchappät , je plongeois à. » l'instant une épingle dans son cerveau , par » la fontanelle : delà , le mal de mächoire si » meurtrier en cette colonie , et dont la cause » vous ést maintenant connue. Je meurs con- » Lente à présent que je n'ai plus rien à confesser , » et vais rejoindre dans mon pays, tout ce que » J'y ai quitté ». À ces mots , elle s’élance avec intrépidité vers le brasier dévorant où bientôt elle fut réduite en cendres, en poussant des hurlemens affreux. Le roi, quoique très-puissant en Guinée, est lui-même assujetu à des lois de convenance qu'il ne peut enfreimdre. Relégué dans l'intériepr de son palais ,1l n’en sort jamais; seulement une fois la semaine 1l présente sa tête à une grille pour donner certains ordres. Il prend sês repas en présence de toute sa cour ; et comme il lui est défendu de boire du vin , si recherché dans ce pays , il se Sert d’un verre à soupape, afin de ne point paroiître en faute; et pour tromper toute surveillance, lorsqu'il se dispose à boire, un échanson favori frappe de la baguette ; alors D'UN NATURALISTE. 121 le peuple se prosternant, le roi lève la soupape, et boit le vin tout à son aise : après quoi l’échanson va remplir Je vase mystérieux de semblable hqueur. É Le culte des nègres Aradas est varié : les uns adorent la lune , d’aütres des bélemnites ; ceux- ci l’eau, ceux-là les serpens. Leurs prêtres ont beaucoup d’empire, et ont, pour marque distincüve, un anneau de fér au bras; lequel anneau, une fois soudé , leur est laissé même après leur mort. # Les femmes très-lascives (1) trompent, avec beaucoup d’adresse , la vigilance de leur #rors ou mari. Elles sont très-caressantes, et sacri- fient bien volontiers tous autres plaisirs aux doux jeux de l'amour. La danse même , cet exercice auquel elles se livrent avec une espèce de fré- nésie , na plus d’appas pour elles, dès que la bouche.de leur amant a fait sonner l’heure du rendez-vous. Lorsqu'un nègre Arada a été mésestimé de ses semblables pour cause d’égoïsme , s’il vient à mourir, ses héritiers , à leur calenda , font rôur un chien dont l’odeur attire les autres qui vien- nent hurlerautour de la case du défunt, en signe (1) Et babillardes à l'excès. 122 VOYAGES de réprobation : sa mémoire dès ce moment est flétrie. . La nourrice de ma belle-mère existoit encore sur l’habitation : abandonnée pendant l’absence de sa bienfaitrice, et vivant des Hbéralités d’au- trui, puisque les pie étoient abolies par les Le révolutionnaires,, cette femme menoit Jexistence la plus douloureuse. Infirme, im- potente, rongée du virus siphilis, appelé Les pians, qui lui fit tomber les poignets et les pieds, elle se traînoit sur ses moignons gercés et douloureux, dès qu’elle vouloit se déplacer de sa case , pour se mettre au soleil. Nous arrivâämes à Saint-Domingue, et son premier soin fut de venir implorer notre piué bienfai- sante. Elle manquoit de tout : on sut pourvoir à ses besoins ; mais elle n’eut pas de plus g srande joiè qu’en recevant une mousticaire, ou pavillon sous lequel elle pouvoit se mettre à l’abri de la piqûre des innombrables maringoins (ou cou- sis), qui en fasoient une victime. Rien de plus incommode , rien de plus fatigant que d’être continuellement exposé à la voracité de ces msectes avides de sang; et la bonne femme étoit dans ce cas, tant à cause de son infirmité qui lui empêchoit de chasser ces moucherons, en agitant un vieux linge autour d’elle, comme c’est l'usage parmi les nègres, que parce qu’elle D'UN NATURALISTE. 123 n’avoit point de pavillon pour se mettre à l'abri pendant son sommeil. Elle fut si reconnoissante des hbéralités qui lui furent faites, que pour mieux en témoigmer sa grautude, elle eut re- cours aux coutumes guinéennes ; C’est pourquoi elle fit le simulacre de la danse (en raison de son infirmité), et parla langage, c’est à dire, nous fit entendre un long monologue, que nous ne comprimes que par ses gestes de remer- cimens (1). ne (1) Les nègres aiment à gesticuler, et à exprimer dans le langage les sons imitati(s, 124 VOYAGES at RAR AAA SSL SSD ee eV CHAPITRE DEUXIÈME. Nègres de Fida. Les femmes y sont extraor- dinairement coquettes, mais tatouées. Lx femmes, toujours énvieuses de plaire par des parures plus où moins recherchées, con- servent au moins en Europeles beautés naturelles dont elles sont douées ; à Fida, c’est une cou- tume opposée : les négresses se font limer en festons leurs dents éblouissantes, et traverser la lèvre inférieure, d’un anneau lourd et grossier, qui détruit le charme du sourire, ce charme si puissant pour tous les cœurs consumés d'amour ; ce qui fait disparoître les graces du principal asile de la volupté. Leur bouche, ridiculement contraciée , éloigne et semble dispenser des pré- ludes de Pamour. Leur gorge n’est point naissante, qu’elle a déjà été mutilée par un tranchant cruel qui en a détruit la forme et le contour, et n’a laissé, au lieu d’une peau fine et lisse, que des grumeaux charnus et désagréables au tact, autant qu’ils sont ridicules à la vue. L'amant n’y va pas cueillir, y presser voluptueusement, sous sa bouche amoureuse, un bouton de rose; celui D'UN NATURALISTE. 195 de leur sein , outre sa couleur: noire et peu attrayante, est coloré de vermillon , contraste affreux à la vue, et bien peu fait pour agacer les passions d’un Européen qui a connu d’autres charmes. # SSL, V, SAS SAS SL Se a Te To nn Ta a Ta Va a To nn CHAPITRE TROISIÈME. Coutumes funéraires des nègres d'Essa. u’ON respecte la mémoire d’un homme qui s’est illustré, c’est le propre de tous les philo- sophes ; mais qu’on crée une divinité d’un défunt dont les restes sont sans puissance, et qui, par sa décomposition, par son anéantissement, donne une preuve incontestable de sa frêle humanité, de son essence mortelle, voilà le comble de la supersütuion. Les nègres d’Essa sont dans cette hypothèse ; ils adorent comme leur divinité le dernier de leurs rois. Dans une pagode om- bragée par les plus beaux arbres riverains de la principale route de leur capitale , ils placent sur un trône enrichi d’ornemens précieux, le roi défunt qui doit être adoré jusqu'à la mort du roi régnant, qui indique le mo- ment de sa sépulture. Le cadavre est em- baumé et oint de l'huile d’un palmiste et d’une 6 VOYAGES teinture d’un bois amaranthe, qui lui conservent très-long-tems sa fraîcheur, et s’opposent, par une vertu styptique et astringente, au relâchement du tissu cutané. Le défunt est somptueusement vêtu jet a, nuit et jour auprès de lui, un homme pour le garder. Quelquefois dans leur marche, les voyageurs entrant dans la pagode, s'adressent au mieux vêtu pour faire des questions; mais le gardien lui observant qu’il ne parle pas, et que c’est une divinité, alors l’idolâtre voyageur se prosterne et l’adore. D'UN NATURALISTE. 127 - . ne ns or Ps © CHAPITRE QUATRIÈME. Cruautés des nègres d'Urba ; leur conduite arbitraire en cas d'un meurtre commis. Obsèques du corps assassiné. Idée des Makendals , que le‘roi consulte lorsqu'il se prépare au, combat. Suites funestes de leur barbare oracld Trait historique et con- version d’un de leur roi idolätre. Fe peuple d’Urba est inhumain et féroce, arbitraire dans ses résolutions de vengeance. Si un assassinat est commis , ‘les parens du défunt ne cherchent point à découvrir l’auteur du meurtre ; mais, se réunissant autour du mort , ils se cachent, et attaquent le premier passant qu'ils éventrent impunément et sans crainte de punition judiciaire , regardant cette vicume livrée par leur dieu PBrataoth , et devant être immolée aux mânes de leur com- pagnon chéri. ‘Alors on se prépare aux ob- sèques du parent, en laissant r. corps de leur vicüume exposé aux injures de l’air, et à la voracité des bêtes féroces. On fouille à cet effet une trés-grande fosse à l’endroit où le meurtre a été commis, afin que l’ame du défunt ue puisse errer dans d’autres lieux. 128 VOYAGES Le cadavre embaumé est exposé dans une cage de fer, de manière à ce que le corps ne communique point à la terre. Par ce moyen, al est également ,à l’abri des tigres et autres animaux Carnassiers qui ne peuvent y porter aucune atteinte, au moyen des barreaux de fer et: de la profondeur de la fosse. Le corps, indépendamment de ces premières précautions, est garanti par un ajoupa Construit au dessus de lui, ce qui le rend inaccessible aux intem- péries du tems. Le roi d'Urba entretient à sa cour une réunion de magiciens qu’on appelle assez géné- ralement en Guinée, Makendals (1). Leur devoir est de prévoir et d'annoncer le sort des batailles , d’en faire connoître l'issue, sous peine de chäumens très-rigoureux , que les pauvres devins savent esquiver ,en désignant dans l’armée certains soldats , contraires au bonheur du roi, (1) Nom d’un nèsre empoisonneur qui commit à St.-Domingue des forfaits atroces ; énnemi des blancs, il avoit juré d’en éteindre la race. Ce second Cartouche fascinoit les yeux des nègres , qui le regardoient comme un prodige; il fut pris plusieurs fois, et trompa la surveillance de ses gardiens, ainsi qu'il avoit prédit : enfin 1l fut brûlé vif, en annonçant qu'il s'échapperoit encore des flammes , sous la forme d’une mouche; ce que les nègres croyent encore aujourd'hui. LA # et D'UN NATURALISTE. 129 et cause de la défaite par leur conduite crimi- nelle x lesquels, dans la plus parfaite innocence, subissent la puniuon provoquée par la dénon- ciation arbitraire des Makendals. Lorsque le roi d’'Urba a perdu beaucoup de monde à la guerre, il fait rassembler le conseil devinatoire , consulte les membres qui le com- posent, sur la manière de repeupler son royaume; alors il lui est recommandé par l’au- torité diabolique, d’acheter, 1°. cent couis (vases naturels qu'on obuent du fruit du cale- bassier après qu'il a été vidé); 20. cent canaris (grands vases de terre où l’on conserve l’eau dans sa fraîcheur) ; 3°. cent esclaves. Les Makendals font transporter le tout sur le grand chemin , et avec le sang-froid d’une ame vouce au crime, ordonnent l’ouverture des cent esclaves, dont ils font remplir le corps, d’huile rouge de palmiste, et de certains coquillages; puis on les enterre sur la place, par l’eflet atroce d’une barbare superstition. Un roi d’Urba , idolätre comme son peuple, mais dont le cœur étoit disposé à recevoir les utiles semences de la vraie religion, tomba malade , et soit pour obéir aux usages de sa nation , soit par crainte du peuple , 1l consulta les magiciens de sa cour pour être délivré de son affreuse maladie; mais ce fut en vain; car que Tome II, I 130 VOYAGES pouvoit cette horde hypocrite?' Sur l'avis d’un missionnaire qui travailloit à sa conversion, il jura que dès ce moment 1l ne reconnoissoit que le Dieu du ciel et de la terre, et il fut inconunent guéri. RD CHAPITRE CINQUIÈME. Les nègres Æminas croient à la Métempsy- cose. Mère ayant sacrifié ses enfans a Saint- Domingue, pour les dérober a l'esclavage. LE nègres Aminas et les Ibos croient à la métempsycose. « Pourquoi, me disoit l’un » d’eux , ne chercherions-nous pas à alléger la » pesanteur de nos chaînes , par l'espoir d’un » sort plus heureux ? La perte de notre liberté » doit nécessairement entraîner celle de notre » chétüve existence. Vous ne devez donc plus » blâmer autant en nous le suicide, puisqu'il » met fin à nos tourmens ». En eflet, les Aminas et les Ibos , en arrivant à Saint-Do- mingue , ou dans toute autre île, où leur destin est d’y être esclaves et d'y arroser la terre de leur sueur, croyent échapper aux mauvais traitemens des maîtres, trop souvent injustes et crucls , en se donnant la mort. Ïls se noyent par D'UN NATURALISTE. IôE compagnie, ou se pendent à la file les uns des autres , bien persuadés qu'après leur mort, ils sont transportés dans leur pays, et y recouvrent le rang , la fortune, les parens et amis dont le sort de la guerre les avoit frustrés. Nous eûmes sur l’habitation où je me trou- vois , une négresse Amina qui fut vendue avec ses deux enfans. À peine débarquée, sans avoir éprouvé aucun mauvais traitement de M'° Des- dunes, qui agissoient envers leurs esclaves, comme de bons pères envers leurs enfans, on la voyoit errer , hors des travaux, vers les rives de d'Ester, s'arrêter à chaque instant pour mesurer de sa vue la profondeur de cette riviere Jjimpide , et pousser quelques soupirs en élevant les yeux au ciel , et se frappant la poitrine. Cette malheureuse mère excita particulièrement l’in- térêt de M. Desdunes père, qui la fit traiter avec beaucoup de ménagement, regardant l’émanation de ses regrets, comme dépendante de la nostalgie , ou maladie du pays. H ne put cependant parvenir à lui faire oublier un sort dont la rigueur n’étoit pourtant qu’imaginaire. Cette femme fut trouvée un matin, noyée avec ses deux enfans qu’elle avoit attachés à sa ceinture, pour les soustraire, ainsi qu'elle, à V’esclavage. Les cris des enfans, repoussant les horreurs d’une mort prochaine, furent bien I 2 132 VOYAGES entendus de quelques nègres pêcheurs, mais qui ne sachant point à quoi en attribuer la cause, ne s’empressérent point de donner du secours. QU SSSR SSL AR SD 0 D D nn 0 2 6 1 CHAPITRE SIXIÈME. Les nègres Ibos sont fidèles dans leurs ser- mens d'amour. BRegrets d’un prisonnier fait esclave, et arraché &@ sa patrie. Il retrouve sa tendre Evahim , vendue esclave à Saint-Domingue sur la même habitation que lui. Union d’Aza et d’Evahim , ‘afin d’obéir aux coutumes de leur pays. Leur attachement réciproque. Chanson créole relative a leur absence. CU: jeune nègre Ibo, arraché en Guinée à de bons parens , à sa patrie, à celle qu’il aimoit, avoit été vendu à M. Pélerin, habitant des cayes Saint-Louis, à Saint-Domingue. Ce jeune Africain asservi à un double-sclavage, trainoit ses pas tous les soirs, après son travail, vers le bord de la mer ; alors fixant l'horizon d’un œil umide et baigné de pleurs : © ma patrie! 6 Evahim! disoital ; puis ses bras élevés retom- boient soudain, et sa plainte s’exhaloit eu soupirs ! D'UN NATURALISTE, 133 Ïl revenoit à sa case, lorsque les ombres de la nuit ne lui permettoient plus de distinguer au loin les derniers flots de l'Océan, et que la faugue , autant que la faim, l'obligeoient à aller prendre une nourriture frugale qu'il arro- soit de ses larmes. Les dimanches et fêtes , loin de partager la gaieté bruyante des chicas (1) , 1l s’isoloit au loin, et bientôt sa pensée le repor- toit en Guinée. Enfin, la vie de ce malheureux Ibo n’étoit qu'un soupir répété d'amour et de regrets, lorsqu'il apprit qu'un navire .négrier venoit de mouiller dans la rade des Cayes, et qu'il y avoit à bord beaucoup de nègres de sa nauon. L'espoir est le soutien dn malheureux : que de conjectures ! que de doutes ! Evahim, prisonnière en même tems que lui, n’avoit pu entrer dans le parti de nègres vendus à son capitaine, parce qu'il étoit au complet. Le premier bâtiment pouvoit la transporter, mais où ? De tous côtés on demandoit des bras afri- cains. H espéroit pourtant, mais sans oser se livrer au doux pressentiment de revoir sa tendre Evahim, lorsqu'il apprit que M. Pélerin , son L (1) Le chica, danse nègre, consiste à faire mouvoir jes hanches et les Iombes, en conservant néanmoins le reste du corps dans un aplomb qui ne doit pas même stre contrarié parles sesles voluptueux que font les bras, [5 134 VOYAGES maîtré, vénoit d'acheter un parti de nègres Ibos. Une joie involontaire s'empare soudain de l’ame de cet amant passionné; le calme reparoît en ses sens agités. Quelle est sa surprise, lorsqu'il reconnut Evahim et sa mére dans le groupe des négres nouvellement débarqués! Le passage trop rapide de la douleur au plaisir, le rend d’abord insensible , 1l doute de son bonheur ; mais revenu bientôt de cette incerutude léthar- gique , 1l s'élance dans les bras d'Evahim, qui le recoit avec les mêmes transports, et tous deux versent alors de douces larmes. La mère rappelle au jeune homme les présens que sa fille a recu de lui, coutume guinéenne qui exigeoit leur union. Celui-ci, pour toute réponse , enlève Evahim dans ses bras, et la transporte à la case qu'elle doit désormais partager avec lui. Ces jeunes amans furent depuis un modèle de constance; leurs veilles étoient en partie con- sacrées à chanter leur doux rapprochement , et à le célébrer. La lune, souvent témoin de leurs ser- mens, le fut aussi de leurs voluptueuses étreintes. C'est à la lueur amoureuse de cet astre mélan- colique qu’Aza et Évalhim jonissoient, dans des délices inappréciables, du bonheur de s'être re- trouvés ; et c’est à la favenr du calme enchanteur de la nuit qu'Evahim , attentive aux leçons d’Aza, apprenoit de lui le parler créole. Aza li pro- D'UN NATURALISTE. 135 noncoit d’abord, en chantant et s’accompagnant de son banza, les mots chéris des amans ; puis les rassemblant, il en formoit des phrases aux- quelles il appliquoit un chant naturel. Comme je trouvai les idées de ces jeunes amans mal secondées par les expressions, et que Pair m'en parut insigmifiant, je crus devoir, par intérêt pour une constance aussi rare parmi ces peuples grossiers , et en faveur de la délicatesse de leurs sentimens, concourir à les faire plaindre, et estimer des cœurs sensibles. C’est à cette considération que je recüfiai le mieux possible Jes paroles de leur entreuen auquel j'adaptai un nouvel air de ma composition. Dialogue créole. Traduction libre. EVAHIM. E VAHIM. a | guetté com’ z’ami toüé, Aza ! fixe les yeux sur moi, g li fondi semblé cire! Vois les effets de mon martyre ! 1ps la! toué tant loigné de moüé! J'étois tant éloigné de toi! di là, guetté moüé sourire ! Aujourd’hui... tiens... vois moi sourire, orange astor li douce au cœur, L'orange reprend sa douceur, Evahim n’a plus de tristesse. é fais goûté n’ioun grand bonheur Ton retour est le seul bonheur ami toué gros de tendresse. him plus gagné tristesse. Que pouvoit goûter ta maîtresse, AZA. AZA. juior à moué ci lala crâsé ! ÂAza gémissoit comme toi ; n pas gagné quior à z'ouvrage ; Il n’avoit plus cœur à l'ouvrage ; oùé nuit, jour mon té songé , Nuit et jour occupé de goi, fait li crâser davantage. Il souffroit encor davantage. I Ve u 4 136 AZA. Mon pas capab’ souffri z'encor, Mon té mouri loin de z’amie .. .! Vla qu’Aza nien’ place de la mort, Dans quior à toué trouvé la vie, EVAHIM. Bouche à toùé doux passé syrop! AZA. Baiser tien doux passé banane. EVAHIM. Dans mains z’ami j'ouquà de l’eau Li soucré passé souc à canne. Aï z'ami! toujours tout pour toué : Baï’ main sur quior !.… li ca qu’échose ! A ZA. Li broulé semblé quior à moüé ! Tous deux. Crois ben piq” c’est pour même cause. VOYAGES AZA. Accablé par les coups du sort, J’allois mourir loin d’une amie. ..! Mais au lieu de trouver la mort, Dans ion cœur je trouve la vie. EVAHIM. Aza ! que tes baisers sont doux! AZA. _ Le tien l’est plus que la banane. EVAHIM. Des mains d’un ami , d’un époux L'eau pure vaut le jus de canne. Je te donne à jamais mon cœur : Aza !.. sens le... comme il s’agite !… A Z A. Le mien brüle de même ardeur. Tous deux. L'amour le fait battre aussi vite, Dialogue Créole (e) Evahin $ | Berne Li quet-l CON X@-7U lotte f- sé Les yeux sur 2704 een en ne mr Z D 2 EE - fon-dt vem-blé cv-Te % ax voue lai (O17-7€" AOU PRO Jour - de - le L-LE MOUE S'OUTL 7'e Z'OTange af -L07 C/10 74 ue e At quel-te ru J'Ô foto de mon La ly-re ; Î lot Au- jour - d'la tent--vors mor sowTÈ- - --7e To-ran ge re 7 y e | Fr, RS RS SV J RD HET on = ; Lo E-va- him plus gag - drit-les doué fais gou- te nioun grandbon- heur a Z'a-mt le FT ceur £- va- him n'a plid trés lex ton re tour. ext le seul Gone leur que. pou-voitt gow - ten = î a DE | SAza Aza ; it Di BE FLE - Qruxor & modes ct lala crasre! Aza genrussot Cormnrre Or, fé. Ne ME. 1% Mon 222877772 graor à L'ouvrage, L'n'avoitplis cœur & L' ouvrage; A lote rat jour mon te “onge': Mat et Jour occupe de lot, Ca lat & raser davantage, Z souffrait encor davantaye. ‘ É < ‘ Mon pad capablsoufré z'encor, Accable par les corps de ort, Mon te mouré Un de z'amce….! Jalloi mourir bi d'une anue..! Va gu'Aramaen’ place de Ur mort, Mail au lu de trouver la mort, Dans quior@ lode trouve Ur ve, Dand do tour Je trouve Lx vte. 4 ES 2) ne Ÿ. 221, l'age 230. | me. Con Expressione \ Chant ” CI VO BT DES DS. CRUE POUNE CREER) OPEN GE ASE. 1 Le nr 2 A Ed = 4 1] DEF SUJET I RN ESS re ELLES CS LE mn RAR LE nes — A D D ve ET re Parme mt) CE ne Lo NE 2 Ed 0 OR) FER EEE 000 DOS 0 ARS) D” JP" (ER ÆROEOEES O8 00 PO GRR EEnR TEE DEEE GES __ ANR AMENER 7 2 5 D RL RE —————— — — fon - 4 ? CC -7e gps da toûe lard (01g-R€ di a Le ° * “ . Jets de mon mar (y-re Je-tois tant é- - loigné de do SE La] TER. — — . æJ Y ” ” Cœur Æ-va-lum plus gag -- 1e tristes - - h- ceur ÆE- va-/am n'a plud de tris-les.--{- a + © e + x 2 A = = LE : ee VAR et | ER VENTE GR RSR RON GRORSRENES (M ET COS, CESR EN PA CREME ES DER CRT ER RSR REC CORRE RSR: b— re æ n APE ut Re = ES ——— — à z TE 0e — De [TE EL | SE a Quior & ru Mon Pad ge À toue nuit. Mon rs Cap Mon Le 7207 Va qu ‘Aza Darid quior À Amoi Evahim re dans nains Za-mt jou: ‘qu à de - - l'eau ‘ na -ne des- mains dun a- mm dme - - poux 2 fois & Evahim 1 ES — eee CC ES — ER ad Lilitum Fnsemble = dou: - -e Z ca qu 'e cho se e A le comme W s'&-gt- - - L [= Le À e 2 l'lxar Meur Evahim > ’ A 'Amoroso = Aza J En Evaln = — = u 4 — ee PR — —+- . mue Vi: 7 CT £ GER : Z 5 F ÿ L& : * Bouche a loue deux pi se JyY-TOP az-serT toue doux pas-se Ba. na -ne dans mans La-nù Jou'gua de » > l'eau È 4 2e que led bai sers sont doux de ten l'est plu que La Ba. - main d'un @: 7x dun e - = pau 2 L TE PAS: : LÉ soucré. à can - - -"-..ne [ sou crénas je ; 5 ' 4 vow-cre par d'é wo Z £ É cr'e p € - : douc à can ne nt lexu pu - re vaut Le Jud de can ne lea pu- re vatt Le Jud de tan ne nr mm == me : f— tete = es ot 0 9 OS CS © om mm SO Es mesE S=Æ=S == D = es 4 Pre -re ee > + ABS + e e 5 De ET | a a ——————— EE = BE Dre o— = lo TS == = =, fm T° lougours dut pour totce Ba main LU 7748 guaor” A LORS 4 ca qu € 20 a-ya-mats non card A xa d'en Jo conume comme Ù 'a- gt: 7 7/2 vem- 0e guror a moté = ; 5 cre-- ben pre! c'est pour mere Cau} e 277777 &ru- Le de méme ar- - deu l'Amour Le fait Battre ant VE ' - D'UN NATURALISTE. 13 Re he ns Re nn RO D LR CHAPITRE SEPTIÈME. Candeur des jeunes négresses de Beurnon. Considération des prétendues pour leurs époux futurs. Soumission des femmes envers leurs maris. Fiançailles célébrées dès Lejeune age. Propreté des femmes de Beurnon. Soin qu’elles ont de leur corps. Prostitution purñie par l'esclavage. Leur mariage. Mode de leurs accouchemens. On tatoue les en- Jans au huitième jour après leur naissance. Vexation atroce d’un jeune prince afri- cain envers une jeune négresse. Religion des nègres de Beurnon. Distribulion des maisons dans ce pays. Coutumes du rot; justice rendue par lui. Le vol considéré diffamatoire. Adultère royal puni de mort. Ô pudeur! digne sœur de l'innocence, tu rèunes à Beurnon , parée de tous tes charmes. Modestes et mides, les jeunes filles viennent- elles à rencontrer un jeune homme? pour mar- quer la soumission parfaite qu’elles auront pour leur mari, elles se prosternent jusqu'à ce qu’il soit passé outre ; autrement, si, respectant peu la coutume de cette bienséance ; elles 138 VOYAGES restent debout en cherchant à le fixer, elles sont vouées au mépris, et traitées d’effrontées. Une prétendue rencontre-t-elle en publie l'époux que ses parens lui destiuent? elle s’in- cline respectueusement, et si elle est à portée d’avoir de la verdure, elle lui en compose à la hâte un bouquet qu’elle lui offre , en promesse des jours heureux qu’il aura à passer avec elle. Cette soumission des femmes pour leurs époux va plus loin; elle est tellement exagérée, et les hommes exercent envers elles un empire si absolu, qu’une épouse ne présente jamais rien à Son mari, sans préalablement lui avoir fait une révérence très-respectueuse. Si un jeune homme voit un bel enfant du sexe féminin, et qu'il lui fasse quelque présent, la fille, devenue nubile, est obligée de l’épouser. Cette coutume est également observée chez les Jbos. Les femmes de Beurnon sont d’une propreté recherchée dans leur intérieur, très-soignenses pour leurs ustensiles de ménage, et le lustre parücuher de leur corps. Après leurs bains répétés trois fois par jour, elles sont dans FPusage de s’oindre le corps avec l'huile d’un palmiste qui en fourmit de plusieurs espèces différentes. On obtient cette substance oléagineuse par la macé- ration ei l'expression de son écorce et de ses D'UN NATURALISTE, 139 grainés. Il est un autre moyen de parvenir au même but; c’est de mettre bouillir dans de l’eau ces parties concassées : 1l s’en dégage l’huile qui surnage bientôt à la superficie de l’eau, dont on la sépare par Pimbibition d'un coton en duvet, que l’on présente légérement à la surface. Lorsqu'il s’agit à Beurnon de consommer le mariage, de vieilles femmes sont choisies pour l'examen de la nouvelle épouse , et elles Ja con- duisent au lit nupüal au son des instrumens et des chants d’alégresse, si elle a été reconnue vierge. Dès ce moment la nouvelle mariée jouit de la plus haute considération. Dans le cas contraire , à la perte de la fleur qui devoit être réservée et cueillie par l'époux, sont attachés le mépris et l’indignation de ses nouveaux parens qui peuvent alors la répudier. Les lois de cette nation sur ce point sont très-sévères et irréfra- gables. La pudeur y trouve un asile sûr et respecté, tandis que la honteuse prosutution y rencontre la punition réservée à ce vice dégra- dant. Une négresse de Beurnon, reconnue livrée à une scandaleuse débauche, est enlevée par ordre du roi, condamnée sur-le-champ à l'esclavage , et vendue au premier bâtiment négrier (1). (1) La traite des noirs date de l'an 1442. Un Por- tugais ayant fait deux Maures prisonniers , les vendit 140 VOYAGES Les femmes d’ailleurs fort lubriques et com- plaisantes , deviennent, lorsqu’elles sont mariées, d’une ridicule décence à l’époque de leurs couches. Il n’est permis à aucun homme d’en approcher; elles confient aveuglément et exelu- sivement à des sages-femmes souvent très- ignorantes, le soin de mettre au monde leurs enfans. Lorsque le cordon ombilical est coupé, on cache avec soin sous l’oreiller de l’enfant nouveau né, les ciseaux neufs qui ont servi à cette opération, On ne les emploie à lPavenir qu’à cet usage. Par une prauque délirante et non moins ab- surde , si l'enfant a le hoquet, vite on a recours à la sage-femme qui défile sa couche , et après en avoir mouillé un fil, elle l’applique sur le front de l'enfant qui, dit-on, est délivré à l'instant de cette incommodité. | Victimes d’une coutume barbare , ces jeunes enfans sont, huit jours après leur naissance, sou- mis au tranchant cruel qui doit dessiner , par des incisions plus où moins profondes , le ca- ractère de leur nation : c’est ce qu’on appelle tatouer. Telle secte indique les marques au en Afrique, sur les bords de la rivière d'Ouro, et obtint en échange dix nègres, et une certaine quantité de poudre d’or, D'UN NATURALISTE. 141 visage, telle autre à la poitrine ; celle-ci au bras, celle-là par tout le corps où l’on aperçoit, à un certain âge , des dessins symétriques du soleil pour ses adorateurs , de langues de feu pour les prosélites de ce culte idolâtre, d'animaux divers, de repules , enfin de contours d’architecture naturelle tracés en relief par des coutures sail- lantes recouvertes de l’épiderme de la peau. Il n’est point de crime impuni, et tôt ou tard la Providence assure au forfait une peine quel- conque. Un jeune prince africain , d’un natu- rel féroce, se promenoit, suivi d’une trentaine de ses gardes ; 1l apercoit un enfant de trois ans en- viron , assis sur le bord de la route , et occupé à jouer tandis que sa mère chaufloit un four. Ce prince appelle celle-ci pour la complimenter et la féliciter de la beauté de son enfant; puis l'ayant pris, et faisant parade, aux yeux de ses favoris, de la supériorité que lui donnoient et son rang et les forces qu’il avoit à ses ordres, 1l jette au feu ceue jeune créature, qui fut consumée en peu de tems. La douleur de la mère ne produisit aucun eflet sur son cœur farouche et sanguinaire, En vain elle porta des plaintes au roi; cette malheureuse ne fut écoutée que pour entendre à son tour une sévère réprimande qui fut donnée au jeune prince. Mais Dieu protégeoit l’innocence. Le jeune prince ayant su qu’on devoit 142 VOYAGES donner une fête à une cour voisine de ses états, résolut d’y faire un voyage pour son amusement. La fille de ce roi étranger portoit le nom d’une bête féroce de la forêt, qu’on chasse en ce pays avec passion, et qu'on nomme /abani. Comme lidole à laquelle il sacrifioit demandoit des Za- banis ; sans réfléchir que l'espèce humaine n’étoit point exigée pour le sacrifice, aussitôt qu’il entend ce mot, 1l court vers la princesse, et l’égorge comme hors de lui-même. Voilà une guerre terrible allumée entre les deux puis- sances ; et le malheureux père offensé, ayant fait prendre le jeune prince, le fit brûler lui et sa suite, pour apaiser les manes de sa chère Evoha. Dieu soutint la cause innocente de ce père malheureux, et lui fit remporter la victoire, quoiqu’à forces inégales avec son voisin. Une parue des prisonniers qu’il fit, furent massacrés, au moins ceux appartenant au Jeune assassin, soit par les liens du sang, soit par ceux de lamiué, ou bien encore de l’esclavage. Pour les prisonniers neutres , ils furent vendus et transportés en grande parte à Saint-Domingue, où il en existe encore plusieurs sur lhabitauon Rossignol-Desdunes, où j'ai écrit ces faits. La religion dominante des nègres de Beurnon a beaucoup de rapport avec celle des Phylanis, D'UN NATURALISTE, 143 L’ambition est un monstre à leurs yeux : ils ne cherchent qu’à protéger leurs semblables; c’est pourquoi ils ne font jamais la guerre. Sévères observateurs de l’hospitalité , si un étranger arrive au pays de Beurnon, le chef de cette peuplade unie, pour capter les bonnes graces de linconnu et le retenir dans ses états, lui donne des terres et une de ses filles en mariage. JL lui est de plus fourni des vivres jusqu’à la première récolte qu'il aura pu faire. Voilà, ce me semble, les premiers fondemens de la re- ligion naturelle : «Faites aux autres ce que vous voudriez qu'on vous fit ». Îls ne mangent de viande que celle sa- criliée et bénie par leur grand-prêtre, appelé alpha. L'usage de la viande de porc leur est interdit. Un homme qui fait pémitence à Beur- non, se tent sur les grands chemins, avec des canaris pleins d’eau, dont il offre, par charité, à tous les passans ou voyageurs fatigués. Les siliques du mimosa olens de leur pays, bouillies avec du jus de citron, leur fournissant de lencre, les plus instruits d’entr'eux se chargent de transmettre à leurs frères le code de leur loi divine. Une plume de bambou trace sur des planchettes, à défaut de papier qui y est très-cher, ou sur des taches de palmiste, les dogmes de leur religion. Un livre ainsi achevé, 144 VOYAGES est envié de tous les acheteurs. Les coquilles, leur monnoie ordinaire, ne sauroient le payer, et on ne peut l'obtenir que par l'échange de douze gazelles (ou jeunes vaches) prêtes à mettre bas. Ainsi des peuples barbares ont le plus grand respect pour des simulacres que des nations civilisées se plaisent à ridicuhiser. Leur vénération est si grande pour un livre de priéres, que lorsqu'ils Pont touché, ils ne le quittent point qu'après lavoir lu, ou chanté de mémoire. El y a plus ; sa possession leur est si précieuse, qu'ils préféreroient, dans le besoin , vendre tous leurs animaux, que de se démunir du recueil de leurs lois sacrées. On en a vu dans l'incendie imprévu de leur case, arriver du iravail , pénétrer sous des solives embrasées, et chercher leur hvre au .nnheu des décombres, par leur foi de ne point mourir en exerçant cetle œuvre de piété. Les habitans de Beurnon ont un code de lois pour la puniuion des crimes,.qui doivent être attestés par trois témoins. Leur bonne foi est telle que, si les accusateurs dont ils ne doutent point de Ja sincérité, se lèvent, l’accusé est condamné à être pendu. Chaque maison de Beurnon forme un îlet clos , au milieu duquel se trouve une cour. C’est là qu’à la chute du jour, chaque famille se D'UN NATURALISE. 145 se rassemble pour se soustraire à la voracité des bêtes féroces. Je me rappelle que dans ma jeunesse, me dit une nourrice de la grande case, étant allée avec ma tante à une peuplade voisine, pour vendre quelques provisions de bouche, j'oubliai mon tanga qui les contenoit; mais je n’osai avouer ma négligence, bien résolue de me lever au milieu de la nuit, pour retourner le chercher. Bientôt éveillée par la crainte, je me mis en route, commettant l’imprudence de laisser la porte ouverte, ayant oublié les trop fréquentes visites des bêtes sauvages. La crainte d’être grondée par ma mère, me fit mettre la peur de côté, et je m’acheminai seule pendant la nuit. Je rencontrai deux jeunes hommes vêtus de manteaux blancs, qui me demandérent où Jj'allois : je leur racontai mon aventure. Ils me dirent gravement à leur tour : « Vous êtes seule de fille, votre mère a six » enfans ; ne conunuez pas votre route ». Et en me parlant de la sorte, ils me reconduisoient. À peine arrivés devant ma porte, ils me dirent précipitamment : «Rentrez , rentrez vite, et » fermez bien la porte, ou vous serez mangée par » les bêtes ». Cette sorte de prédicuon me fit une grande impression; cependant je remerciai ces êtres généreux de l'intérêt qu’ils prenoient à moi. ll ne se passa pas trois minutes, que des Tome LIL k. 140 VOYAGES léopards, des ours et des tigres, qui probable- ment m'avoient éventée, vinrent hurler à la porte. | Le roi de Beurnon ne sort jamais ; et si quel- qu'un, dans l’intérieur de son palais, vient à le rencontrer et qu'il ose le regarder fixement, son audace est punie de mort. Lorsque le roi doit rendre justice à des plaignans , assis sur son trône, sa figure est dérobée aux regards de la populace , par une draperie élégamment fes- ionnée. S'il prononce une sentence , elle est portée au réclamant par sept hérauts disposés et placésen amphithéätre sur sept degrés progressifs. Alors le sujet, pour marquer sa respectueuse soumission .au jugement de son monarque, et lui témoigner son humble reconnoissance , se prosterne, et applaudit des mains , après s’être couvert la tête de cendres. Le vol est abhorré, et tellement regardé con- iraire aux lois de la société, que les fautes ne sont pas réputées personnelles, mais qu’elles entraînent la perte de toute une famille, Par exemple, le roi, soit par l’austérité de sa mo- rale, soit par une spéculation Ilucrauve, fait semer dans les places publiques ou sur Îles grands chemins , des colliers, bracelets ou autres joyaux, pour éprouver la retenue de ses sujets ; ses courtisans sont placés de manière à pouvoir wc D'UN NATURALISTE. 147 examiner les fauufs, sans être apercus. Si des enfans ramassent ces objets qui ne leur appar- tiennent pas, les courtisans s’en saisissent, et, dès qu'ils sont reconnus, ils sont vendus, eux et leur famille, L’adultère royal est puni de mort. Une reine fat séduite par un de ses courüsans , et attachée aux branches vacillantes d’un arbre, au dessus d’une rivière, pour y mourir de faim; tandis que le père de l'enfant, résultat de leurs amours clandesunes , fut empalé et exposé au marché, afin d’y servir d'exemple. IL est permis aux habitans de Beurnon de chasser une fois l’année , à l’époque de la ponte des poules d’eau, canards et tortues. Pour cet effet, 1ls mettent le feu aux herbes des marais, afin d’expulser de leurs nids les oiseaux aqua- üques , de s'emparer de la quantité innombrable de leurs œufs, et des tortues qu’ils rencontrent. Comme ce peuple ne se nourrit que de viande boucanée ou fumée, ces provisions durent d’une année à l’autre. Simples dans leurs mœurs, 1l en mourut un sur lhabitation Robuste, pour avoir mangé, à son arrivée de la côte à Saint-Domingue, du manioc blanc amer, qu'il avoit pris pour du manioc rouge ou doux, la seule-espèce existante dans son pays; ce manioc blanc est un poison K 2 143 VOYAGES subul, si l’on n’en a exprimé le suclaiteux mor- üfère, pour obtenir de la fécule un aliment, espèce de pain qu'on nomnte cassave, et qui se. dessèche sur des plaques de fer rougies au feu. Le contre-poison du mauioc blanc ou amer est le suc exprimé du raucou, pourvu qu’on en fasse usage sur-le-champ. nr nr ne ON NO CHAPITRE HUITIÈME. Les Mozambiques professent. la religion catholique, qui leur a élé communiquée par les Portugais. Leur conduite louable et édifiante dans les églises. Secte de Vaudoux inozambiques, espèce de convulsionnaires. Certains se nourrissent de sang humain. Le parue des nègres mozambiques ont recu la connoissance du vrai Dieu par les Por- tugais, qui sont souvent en relation avec eux; ils sont zélateurs d’un culte dont ils éloignent les abus, et prolessent de cœur une religion qui leur est chère ; et bien éloignés de croire à une contrainte honteuse lorsqu'il s’agit de rendre des hommages à l’Auteur des êtres, leurs offrandes sont celles d’un cœur pur, généreux , et entièrement consacré, au vœu qu'il a formé L D'UN NATURALISTE. 1/19 de remplir ses devoirs. Ainsi convaincus que les cérémonies pieuses doivent exciter ou la ferveur, ou la joie, ou la tristesse, ils se présentent à leur temple , pénétrés du sujet qui les y ature, et s’y comportent toujours d’une manière décente et relativeau lieu saint où ils se trouvent. Par exemple, ils dansent le jour de la messe de minuit, au milieu du sanctuaire , en réjouis- sance de la nativité du Sauveur, tandis que dans un autre tems, à l’époque de la semaine sainte, on les voit se rendre en foule au temple , la tête baissée, et observant le plus morne silence. Voilà les Mozambiques chrétiens, fidèles obser- vateurs de la loi qu'ils ont juré de ne point enfreindre : maintenant examinons la secte de leurs vaudoux ou convulsionnaires, diagonale- ment opposée aux principes de bienfaisance et de charité des premiers (1). 1] en existoit une réumion sur l’habitauon Pélerin, dite Petite- Place-le- Mince , située (1) Quand les Néophites vont implorer leur vau doux ou serpent , ils se prosternent devant lui, par rang d'âge. Les uns lui demandent à capter la bien- veillance de leurs maîtres; d’autres à acquérir de l'argent, ceux-c1 à se faire aimer de leurs maïtresses , ou de pouvoir triompher de nouveau d'un cœur devenu infidèle, et tant d'autres souhaits. K 3 130 VOYAGES quarüer des Cayes Saint-Louis | à Saint-Do- mingue ; et C’est du propriétaire, témoin ocu- Juire des faits que je vais publier , que je uens les détails suivans : «Nous avons, me dit-il, sur » notre habitauon plusieurs vaudoux mozam- » biques, qui se réunissent assez souvent pour » obéir à une coutume de leur funeste insuitu- » uon. La cérémonie a lieu sans le moindre » apprèt , soit que cachés par les cannes à sucre, »ils cherchent à se dérober aux regards des » curieux , Soit qu'ils prennent cette précaution » avec lPintention d’être plus tranquilles. Des » que l'endroit est choisi , ils commencent ainsi: » un jeune enfant, chargé probablement de leurs » fautes, est placé an milieu du cercle dont ils » l’envirounent ; puis deux à deux , et trois à » trois, ils s’avancent vers lui, le frappent lége- » rement tour à tour sur l'épaule; on le voit » bientôt tomber en crise et se rouler. Huit »jours après cette cérémonie, Je vis, dit » M. Pélerin , l'enfant dépérir à vue d'œil, et 4 Le avant la fin de l’année, une mort attendue — er terminer les jours malheureux de cette inno- » cente victime }. ( | M. Mirault, habitant de la Peute-Riviere, quarüer de lArubonite , avoit plusieurs nègres mozambiques. L’un d'eux se trouvoit infirnnier à l'époque d’une maladie que son maître fit, et D'UN NATURALISTE. Toi dans laquelle la saignée fut ordonnée. Le chi- rurgien avoit recommandé de garder la palette, etil ne fut pas peu surpris lorsqu'il sut à son retour , que le nègre mozambique avoit fricassé le sang de la palette , et que semblable aventure lui arrivoit toutes les fois qu'il étoit à même de satisfaire son goût dominant pour le sang bumain. CHAPITRE NEUVIEÈME. Sépulture des rois de Dahomet. Leur barbarie envers leurs prisonniers. Habil- lemens de ces peuples. Leur parure. Les femmes oignent leur corps, et se musquent avec le produit de la civette. Usage du teklé. Continence des femmes enceintes. Leur confiance dans les amu- lettes. Les vétemens des filles différens de ceux des femmes. Le: préparaufs des cérémonies funéraires des rois de Dahomet ressemblent plutôt aux dispo- sions d’une fête de réjouissance , qu'aux tristes apprêts d’un deuil qui devient par suite pres- qu'universel. Vicuümes d’une absurde supersti- üon, si c’est aux premiers de la cour qu'est réservé le fatal privilége d'accompagner le ro: K 4 152 VOYAGES dans sa tombe, on les prépare de manière à arriver au moment du sacrifice irréparable de la vie par des fêtes joyeuses et bruyantes, dans lesquelles ces infortunés s’étourdissent sur l’ave- nir qui leur est préparé. Le roi étant mort, l'instant de sa «sépulture étant arrivé, et les fêtes propitatoires étant achevées, un héraut somme les femmes, les enfans et les esclaves du monarque d’avoir à se revéur de Îenrs plus riches ajustemens, et après une danse victimale qui s'exécute entre ces êtres condamnés , on Jeur tranche la tête, et Jeurs cadavres, fumans encore, sont précipités dans la fosse destinée à recevoir le corps du monarque , qu'on pose très-respectueusement sur le monceau de ses victimes , de peur qu'il ne touche la terre , et ne vienne à se salir. Le roi de Dahomet, loin d’user envers ses prisonniers , de la générosité digne de son rang, les maltraite et insulte à leurs malheurs, par des actes d’une cruauté inowie. C’est aux anniver- saires des fêtes que ces infortunés sont exposés nus aux insultes de la populace, pour devenir ensuite des victimes expiatoires, du sang des- quelles chacun s’abreuve , en le sucant à l’envi. L’habillement des nègres de Dahomet con- siste en un teklé et un mammale, morceaux de toile ou d’étoffe dont ils se drapent le buste, et D'UN NN NAÂTURALISTE. 155 dérobent aux yeux indiscrets la différence du sexe. Ils mettent beaucoup d’art et de prétention dans la coupe de leurs cheveux , et forment avec ceux épargnés par le rasoir, des dessins plus ou moins symétriques, que les plus riches traversent en outre de lames d’or, que les pauvres remplacent par des plumes éclatantes, ainsi que les Congos. Leur cou est orné d’un collier à double rang de corail ou d'ivoire , de cuivre ou de fer, tous ces objets étant confusément rangés à la suite l’un de l’autre. Leurs bracelets et leurs bagues de même uature, sont ordinairement matériels. Les femmes très-propres se lavent sans cesse, puis se parfument avec une huile odoriférante qu’on obuent dans le pays, du palmier à cha- pelet. Elles se musquent aussi avec de la civette, ou des feuilles d’asperuta odorata. (Linné.) Elles fardent leur visage avec diverses couleurs, iclles que le raucou, l’ocre, etc. Leurs trois rangs de collier en sautoir sont entre-mélés de verroteries , de coquilles, d’agates, divisées en compartimens égaux , par des pièces de mon- noie d’or. Leur calcaneum est orné d’un anneau d’argent. Le teklé sert aux négresses:de Dahomet, à soutenir accroupis derrière elles leurs enfans, même pendant leurs occupations, Ce doux L2 124 VOYAGES fardeau ne les empêche en aucune manière de vaquer aux détails de leur ménage. Les femmes enceintes , glorieuses du nouveau ütre de mère qu’elles vont acquérir, sont très- réservées ; elles cessent d’habiter avec leursmaris, et font tout en un mot pour que leur grossesse prospère. Leur parure est alors sans affectation , et propre à laisser libre Ia circulauon du sang ; c’est pourquoi elles quittent leurs lourds bra- celets, pour revêur leurs bras de manchettes d’écorce à brins pendans, dont chacun, par suite de cette superstition naturelle aux Gui- néens, est réputé avoir une vertu pour lenfant, ou pour accouchement. On teint ordinairement ces manchettes en rouge , couleur des féuches, Les vêtemens des femmes, en général, ne sont pas ceux des filles. Les enfans des deux sexes sont nus jusqu’à l’âge de deuze ans, usage con- servé et perpétué par les nègres créoles des diversescolonieseuropéennes policées. Lesenfans sont chargés d’amulettes, dont les propriétés ficuves sont en faveur de la sante. D'UN NATURALISTE. 155 | CHAPITRE DIXIÈME. Les Akréens , Crépéens et Assianthéens ont la peau et les cheveux diversement nuancés. Leur nourriture. Idée de ces peuples sur l'existence de Dieu. Ils sont idolätres , et pourquoi Ils consultent leurs fétiches dans Les circonstances critiques. Le héron vénéré parmi eux. Description de leurs maisons. Ils conjurent les flots avant de combattre. ITabillement des soldats. Leur précaution pour les prisonniers à faire. Manière dont ils se préparent au combat. Armes des généraux. Instrumens des musiciens. Ils tuent les blessés ; enfouissent leur argent avant la bataille. But de leurs guerres. Ils sont tous pécheurs , et ont une mémoire très-fidelle. Les Popéens sont très-céré- . Monteux envers leurs supérieurs. Ridicule de leur superstition. Empire des prêtres. Commerce de ces peuples. Cie peuplades, voisines l’une de l’autre, sont formées de nègres dont la peau noire est diver- sement nuancée, Leurs cheveux crépus sont noirs dans ceux-ci, rouges dans ceux-là, et 156 VOYAGES blancs chez d’autres individus, dès leurs pre- miers ans. Leurs mains sont couvertes de taches blanches affreuses à voir, par leur contraste entièrement opposé à la couleur de leur corps. Ils se nourrissent d’herbages , de sang épicé à peine cuit, de friture puante, de poisson gäté, préparé à l'huile de palmier. Les Akréens Crépéens et Assianthéens recon- noissent un Étre suprême, principal et unique moteur des merveilles de la Nature; mais ne le croyant pas en rapport direct avec ses créatures, le supposant bien assez occupé de la surveillance des astres. [ls se créent des divinités subalternes ou féuches, pour émettre auprès de lui leurs volontés. Ce qu'il y a de plus absurde c’est qu'ils choisissent à cet effet la plus vile des créatures. Ils adorent un serpent non venimeux , ‘parce qu'il en dévora un mal-faisant qui étoit prêt à mordre un nègre. On le ces fétiches pour la guérison des maladies: et on leur offre, pour ENS leur protection, des animaux vivans qu’on attache à des poteaux jusqu’à ce qu'ils soient dévorés où par un oiseau de proie, ou par les chiens de buissons (1), espèce de loups si féroces et si bardis qu’ils viennent près des maisons y hurler (1) Jackals. >. D'UN NATURALISTE. 15 et chercher des vicumes. Le héron est aussi parmi eux en vénération , et il est défendu , sous des peines très-graves, de troubler les nichées de ces oiseaux. Les maisons des Akréens, Crépéens et Assianthéens sont basses et toujours enfumées. Ces peuples, avant de combattre, vont con- sulter la mer. Lorsque les flots sont en courroux, ils concluent que leurs armes seront victorieuses, etque la Nature demande vengeance. Les soldats, revêtus d’un seul mammale ou tanga, portent sur leurs dos une giberne de‘peau de tigre pour contenir les provisions de bouche, et les cordes destinées aux prisonniers qu'ils feront dans la bataille. Ils ont pour coiffure, sur leurs cheveux saupoudrés d’ocre rouge, un casque de peau de bète féroce, ou de vertébres garnies de plumes, et d’une queue qu'ils laissent pendre derrière leur tête. Leur cou est garni d’amu- lettes qui doivent les protéger. Ils crient avant le combat, et se blanchissent la figure pour pa- roître plus hideux. Les généraux ont un bâton sculpté, et un sabre dont la poignée est revêtue de pointes ou aspérités bien peu commodes pour le maniement. Les musiciens sont placés, pendant l’action, derrière les combattans. Les uns portent sur leur tête , des tambours formés d'arbres creusés, et sont immédiatement suivis dans leur marche, du 1558 VOYAGES negre batteur , tenant les baguettes qui sont de la : forme d’un crochet dont l'extrémité est en boule ; les autres sonnent des cors de dents d’éléphant. La guerre ne s’entreprend entre ces peuples et leurs voisins que pour égaliser les nations. Les soldats se défient avant l’acuon. Ils ne se servent point de flèches dans leurs combats, mais de grands couteaux ou mâchettes avec lesquels ils se battent, se défendent, et coupent Ja tête aux blessés qui ne peuvent plus marcher. Ces têtes, aprés la bataille, sont disséquées , et conservées en trophée par chaque vainqueur qui les abandonne à sa postérité. En tems de guerre ils enfouissent leur argent dans de grands pots. Les Akréens, Crêpéens, Assianthéens sont presque tous pêcheurs, et aiment passionnément le poisson qu’ils trouvent en abondance dans la rivière de Quitta, qui est très-poissonneuse. Ces Ichtyophages salent et font sécher au soleil les poissons avant de les manger. Îls ont une prodigieuse mémoire, et citent des particularités d’époques très-éloignées , avec une exactitude surprenante. Très-cérémomieux envers ‘leurs supérieurs, les nègres popéens les saluent jusqu’en terre , en faisant craquer leurs doigts. Abrutis par des coutumes superstineuses, s1 les prêtres, par um D'UN NATURALISTE. 159 intérêt quelconque, leur défendent de voir la mer et leur prescrivent de rester dans leur intérieur , 1ls demeurent dés-lors sous le coup de la loi, et la moindre infracuon en ce cas est punie de mort. Les prêtres se divinisant, 1l est également défendu au peuple, sous les mêmes peines, de contempler les processions, dans la crainte de perdre la vie; ces cérémonies étant trop augustes pour la vue d’un mortel. Les Popéens font un commerce d'ivoire et de bois de santal. 160 VOYAGES D Ve D D D VV VOL RS RU Rs CHAPITRE ONZIÈME. Mœurs des Plhylanis. Ils mènent une vie errante. Lieux qu’ils choisissent pour y carnper, eux et leurs troupeaux. Union intime des familles de cette peuplade. Punition infligée aux enfans. Respect de ces derniers pour les gens ägés qu’il ne leur est point permis d'interrompre au milieu de leur conversation. Leur religion semblable a celle des Juifs. Description de leur temple, et des-cérémonies qui s’observent dans leurs fêtes. Instructions de l’Alpha ou grand-prêtre. Sacrifice du bélier au jour d’Audebiché. Pureté de la morale de ces Nomades. Peineinfligée aux bouchers. Opinion des Phylanis , sur l’existence des esprits. er dans leurs goûts, purs dans leurs mœurs , l'ambition n’est point connue des Phy- lanis ; elle fuit cette peuplade innocente , et ne peut détruire sa frugalité. Une vie agreste et indépendante a pour eux plus d’attraits. Sans asile déterminé, sans chaumière précisément établie, un roc mousseux et verdoyant que | baigne D'UN NATURALISTE. 161 baigne une cascade fraîche et tumultueuse, ou des rameaux de palnners rassemblés à la hâte, pour la construction d’un ajoupa , servent à ces heureux pätres et à leurs nombreux trou- peaux qui voyagent avec eux, de retraite et d’abri contre les ondées du soir , ou les feux brülans du midi. EL Destinés à mener une vie errante comme les Juifs dont ils semblent professer la religion ; se croyant descendans de Caïn , et marqués à cet effet d’une couleur étrangère aux autres hommes, les Phylanis font consister leur bonheur à s’épargner des besoins inutiles, et à se détacher des biens de la terre. La tranquillité de leur conscience leur prouve, par cet état inappréciable de quiétude , qw’en cessant de poursuivre le fantôme de l’am- bition, ils ont trouvé dans la vraie et uule philosophie le secret d’être à jamais heureux. C’est dans l'intention de perpétuer cet état de félicité , que.chaque famille de Phylanis voyage dans l’intérieur de la Guinée, campe avec ses trou- peaux au milieu des sites les plus rians, qui ne contribuent pas peu à flatter agréablement leurs sens. Leurs caravanes sont composées de bœuf, gémisses , et de chiens, êtres utiles et fidèles amis ; de chèvres èt de moutons, animaux paisibles et producufs. Chaque famille jouit en paix des Tone II, L 162 VOYAGES douceurs de la vie champêtre; les Phylanis s’éloignent avec soin des endroits habités, re- doutant une contagion qui pourroit leur devenir funeste : leur franchise évite la dissimulauon des nègres de bourgades prétendues policées, se contentant de leur fournir du laitage , en échange: de vivres tirés du sein d’une terre que leur défaut de résidence ne leur permet pas de cul- üver : ils communiquent à cet effetavec ces habi- tans inconnus , sans pourtant se familiariser avec des êtres que bientôt ils ne doivent plus revoir , les desuins de leur existence les conduisant dans les divers cantons de Guinée qu'ils par- courent successivement. Que de fois le jour, des tableaux intéressans de la vive Nature égayent et charment les momens de loisir de ces fanulles pacifiques! lci, c’estun vieillard caduc qui reuent à folätrer sur ses genoux mal affermis un jeune enfant : voyez comme celui-ci se débat; et déjà vic- torieux des vains efforts de la débile viaillesse , comme il s’échappe, pour disputer une place à son frère accroupi au dessous d’une génisse qu'on va traire; mais le partage devient égal, et chacun d’eux pressant d’une main délicate les tetins qu’ils se sont choisis, voyez- les s’abreuver à longs traits d’un lait écumeux et éblouissant , dont l’abondance , au moindre D'UN NATURALISTE. 103 mouvement de l'animal, vient se répandre sur le vermillon de leurs joues. S'élève-1t-1l une dispute de friandise? la querelle éphémère est-elle allumée ? qui va l’éteindre ? leur mère commune : elle accourt en allaitant un jeune nourrisson content de sa portion, et qui, craignant déjà le partage de sa bouteille chérie, bondit , et cache, sous les caresses de ses mains gentilles, une provision qu'il veut avoir pour lui seul. Il se mettroit bientôt en colère, il pleureroit , il crieroit en agitant ses peuts pieds, si , au mépris de sa pré- caution, quelqu’importun feignoit de vouloir ai ravir un trésor qu'il ne sait point appartenir qu'à lui seul. Telle est la vie privée des bons Phylanis , telles sont leurs récréations légitimes, lorsqu'ils ont satisfait aux légers devoirs que leur imposent les réglemens de leur association. Une mère vendue à Saint-Domingue, sur l'habitation que j'occupois, avoit conservé les usages de son pays, et punissoit un de ses né- grillons pour une faute assez grave. Je vis cet enfant en pleurs placé près la porte de la case, à la vue de ses camarades qui le morüfioient, ayant une pierre fort lourde sur sa tête, et tenant de ses mains ses deux oreilles, obligé de se baisser, pis se relever successivement jusqu’à ce que ses genoux vinrent à fléchir de lassitude, L 2 3164 VOYAGES instant où la pénitence fut remplie ; 1l n’en étoit pas encore à ce point, que m’apercevant, 1 me cria du plus loin : Pardon, maître! Je me rendis à ses instances, et après une lecon sévère, je l’envoyai implorer celui de sa mère, qui lui fut accordé à ma considération. Les enfans des Phylanis sont très-respectueux , et tellement habitués à la discréuon et à l’obéis- sance, que la moindre infraction à cet ordre sévère est punie tres-rigoureusement de diffé- rentes peines proportionnées à la nature de la faute. Par exemple, lorsqu'un de leurs parens ou des étrangers plus âgés qu'eux engagent une conversation , il ne leur est permis que d’en- tendre, et la correction la plus rigide devient leur partage , s'ils ont osé rompre le silence. C’est par une suite de cette coutume que les enfans ne mangent point avec les grandes per- sonnes , pour laisser ces dernières plus libres dans leurs entretiens ; aussi la moindre curiosité est-elle suivie d’une correction très-rigoureuse. La religion des Phylanis paroîït être celle des Juifs. Un nègre phylanis , strict observateur de la loi , est autant parfait qu’un homme peut l’être. Leur grand-prêtre appelé a{pha, n’abuse point de Pautorité que leur confrance en lui a établie ; il pratique la morale qu’il inspire, et le moindre différend estjugé par ce sacrificateur, qui voyage D'UN NATURALISTE. 165 toujours à la tête de chaque peuplade. Austères imitateurs de leur père Abraham , ils sont voués comme lui au Dieu qu'ils implorent; ei sil s’agit de faire profession de leur foi, et de jurer qu’ils croient bien en Dieu, ils le témoignent en publiant hautement devant leurs semblables , «qu’ils donneroient volontiers leurs enfans, si » ce sacrifice étoit exigé du Dieu qui leur donna » l'être ». Allah, .veut dire Dieu en leur langage ; et le mot amen signifie, nous vous remercions du boire et du manger. Le’temple qu’ils cons- truisent à la hâte, lorsqu'il s’agit d’un sacrifice propiuatoire, s'appelle guine-grine, dans l'inté- rieur duquel ils ne pénètrent jamais sans préa- lablement s'être purifiés, à l'exemple des Juifs, par un bain de pieds et de mains. Bien convaincus que dans un édifice superbe, ou dans un local simple, la magnificence du grand Dieu créateur est la même, et qu'aucune tentative des hommes ne’peut en relever l'éclat, ou l’afloiblir, parce qu’elle est une et naturelle, ils suppléent à leur défant de résidence pour l'édification stable de leurs temples, par le choix des endroits propres à rapprocher la créature de son Créateur. La vue d’un bois touffu, dont la verdure active témoigne en faveur de l’Auteur de la Nature, attire d’abord leur attention; ils L 3 166 VOYAGES inspectent l'endroit, et cherchent à réunir, sous son cintre , toutes les qualités requises. De hautes futaies dont la cime seulement est ba- lancée par le vent, un foible jour que produit leur ombrage touffu, des nappes d’un verdoyant gazon , des arbres fruitiers, pour en offrir les prémices et en dessiner le contour; des rochers frémissans sous le bruit de cascades choisies pour la purification et l’entreuen de la frai- choeur du lieu; un respectueux et imposant silence qui convient au rapport direct de l’homme avec Dieu, seulement interrompu par des oiseaux créés pour chanter ses louanges, voila le heu choisi au sein des campagnes, pour l’édificauon de leur temple. Leur principale fête qui se renouvelle tous les ans, au solsuce du printems, s'appelle Audebiché. Les Phylanis observent, avant son époque, un jeûne privatif de trente jours, et la dernière semaine, ils ne font un repas que le soir de chaque journée. La veille du grand: jour d’Audebiché, cette fête la plus solennelle , ils se réunissent, et con- duits par Palpha , ils cheminent vers le lieu appelé Bambé , choisi pour l'établissement du sacrifice. Chacun des assistans dépose un peut fagot au centre de la place qu'ils invesussent ; puis , aprés la prière, l'alpha miet le feu au bücher , et étant secondé par chacun des Phy- D'UN NATURALISTE. 167 lanis mäles armés d’un uson, comme en Europe au jour du feu de Saint-Jean, ce grand-prêtre dit hautement dans son langage, en parlant de la flamme de ce foyer: « Peuple, mes frères, » voici encore un des bienfaits de notre grand » Dieu ». Le soleil couchant termine ordinairement cette pieuse cérémonie; chacun se retire en paix, et se livre au sommeil, toujours doux par la pureté de leurs acuons. Ils ne peuvent cependant pas le goûter long-tems ; l'alpha veille, et sa grande ferveur exige des sacrifices : un de ses acolytes est chargé par lui, vers l’heure de mi- nuit, de sonner de la trompe pour réveiller tous ceux des Phylanis qui ont jeûné, et ce bruit grave leur annonce qu'ils doivent prier. Bientôt réunis à l’alpha dont ils respectent les ordres sacrés, ils lui témoignent, par une inclination profonde , leur confiance et leur sounussion ; après quoi l'alpha répond : « Nous dormons au » lieu de prier! et Dieu pourtant veille sar nous » le jour et la nuit ». Un signe de tête devient une réponse approbative. La nuit se passe en pricres. Le lendemain , dès que létoile du maun annonce un nouveau jour, lorsque les vapeurs dela nuit, combinées encore avec les parfums de Ja Nature, font cireuler leur suave odeur ; lors- L 4 - 168 . VOYAGES que les oiseaux éveillés dégagent leur tête de dessous leur aile pour annoncer les pre- miers les merveilles de leur existence, les Phylanis ne veulent point avoir à rougir d’être prévenus dans leur adoration par des créatures qui leur sont inférieures, et sonmises à l’antorité de l’homme; ils portent à l’envi leurs pas dans les campagnes encore humides de rosée, cher- chent des fleurs pour en ceindre leur tête, et les cueillent doublementenrichies d’un frais cotôfé 154 d’une odeur suave et douce, et du brillant des perles vacillantes que le serein a développées. Les voilà qui se rencontrent, et autant pour obéir à Ja sympathie de leur caractère, que pour honorer le Seigneur par une nnion inume parmi eux , ils se prennent les mains en se disant bonjour, et, se souhaitant toute prospérité, ils se caressent comme un frère el nne sœur. Cependant l'instant approche où le sacrifice va étre annoncé, et tous les Phylanis réunis près de l'alpha, lengagent à commencer la cérémonie, Voilà le cortége à son départ. Douze trompettes ouvrent la marche ; ils sont suivis de deux colonnes de Phylanis, hommes et femmes, couronnés et séparés les uns des autres ; apres eux, s’avancent à pas plus petits et plus précipités, douze enfans mâles ayant également la tête ceinte de fleurs diversement nuancées, retenant au D'UN NATURALISTE. 169 milieu d'eux, par des guirlandes de roses blan- ches, une jeune victime, un treizième enfant couronné de fleurs de la même couleur. Enfin l'alpha dont la vieillesse ralentit la marche, suit avec peine, et termine ce simple cortége. Arrivés au lieu destiné à la consommauon du sacrifice , ils y trouvent un bücher préparé, le fatal couteau posé au bas, et le vase destiné à purifier le grand-prêtre avant d’exercer les fonctions de son ministère. Le peuple se divise et se range circulairement, et l’alpha arrive au pied du bûcher, toujours précédé du groupe des enfans. Celui que l’on a choisi pour victime est dépouillé de ses fleurs, et présenté au peuple, tandis qu’il appelle à grands cris les auteurs de ses jours. Ceux-ci, glorieux d’avoir été choisis pour immoler leur postérité au grand Dieu, rejoignent pour la derniére fois leur enfant chéri, leur seule espérance, se livrent à une muette douleur dans leurs derniers embrasse- mens, et, pour donner une preuve plus authen- üque de leur entier dévouement à la cause du grand Dieu, ils embrassent pour la dernière fois leur enfant, qui lui-même donne signe de son approbation en indiquant de son foible doigt la route du ciel; ses plus proches parens le posent sur le bûcher. C’est alors que le sacrificateur, aprésavoir invoqué l'Eternel, dessille les veux des r7 VOYAGES assistans, et leur annonce que Dieu n’a point créé l’homme pour lui être offert en holocauste, que ce sacrifice ne lui est point agréable; qu’il commande à la création , et doit remplacer la- néantissement de son être par celui d’un animal soumis à sa volonté. Aussitôt l’enfant est enlevé du bûcher, élevé au plus haut par les bras d’un groupe d'hommes nerveux , offert au peuple qui dès ce moment le considère, et il est remplacé par un mouton que l'alpha égorge à l’instant. C’est, comme on le voit, le simulacre du sacrifice d'Abraham. L’holocauste étant consumé par le feu, l'alpha et le peuple se prosternent en actions de graces ; ils baisent humblement la terre , et se redressant les bras en croix surla poitrine, l'alpha leur déve- loppe les dogmes sacrés de leur institution en ces termes : « Si vous voyez, leur dit-il, votre » pere et votre mère infirmes exposés à l’ardeur » du soleil, portez-les à couvert, ou déracinez un » jeune bananier, et plantez-le derrière eux, afin » qu’ils soient protégés par son ombrage ». L’alpha dit encore : « Si vous n’avez pas soin » des pauvres, si vous tuez ou volez; si l’esclave » se révolte, si vous n’assistez point les malades, » tremblz! Dieu vous punira. Jeunes gens, » honorez les vieillards pour être, à votre tour, » honorés comme eux dans un âge plus avancé. D'UN NATURALISTE. aiva » Respectez leur foiblesse ; souvenez-vous qu’ils » ont travaillé pour vous, etsuppléez à la débilité » de leurs membres impuissans et infirmes, par » le travail de vos bras vigoureux qui doivent » les faire exister. | » Enfans! dès que vos forces vous le per- » mettent, ne laissez jamais votre père piler un » grain qu'il a récolté à la sueur de son front; il » partage avec vous les bienfaits de cette pro- » duction nutritive, partagez avec lui son labeur » d’après vos facultés ». L’alpha dit aussi : « Si » vous priez, et que vous ne donniez pas aux » pauvres, vos prières sont perdues ». La plus grande propreté est exigée des bouchers des Phylanis, et une amende consi- dérable leur est infligée lorsque le couteau qui est pendu à leur côté est taché d’une goutte de sang, ou quand leurs hardes en sont imbibées. Je partois un jour de grand matn pour donner la chasse aux caïmans qui désoloient nos rives, et nous enlevoient beaucoup d’animaux qui vont y boire ; accompagné de quaire harponneurs portant aussi des filets, nous suivions en silence un des bras de l’Ester , lorsqu'un de mes nègres aperçut en maraude et crut reconnoître un zation phylanis (nation veut dire compa- triote) qui cherchoit, en s’enfoncant dans des champs de maïs, à se dérober à mes regards, 172 VOYAGES | de peur de punition; mais, comme personne de notre groupe n’avoit encore parlé, l’un d’eux nommé Fleuri, lui crie d’une voix sépulcrale : haucou ! qui veut dire bonjour. Le malheureux maraudeur fut saisi d'une frayeur si grande qu'il tomba à la renverse, croyant avoir affaire à un zomby (ou revenant); ce qu’il nous avoua lorsqu'on alla le relever. * Rs LL RU CHAPITRE DOUZIÈME. Les nègres de Diabon sacrifient les étrangers a leurs dieux. Empire des prétres de Bodé; leur criminelle autorité. Les étrangers im- molés , et l'assassinat toléré. Religion des nègres d'Ufé, bien opposée à celle de Diabon et de Bodé. . notre nègre Charpentier, vint à son tour donner des détails sur les mœurs des nègres de Diabon , ses compatriotes. Il avoit tout récem- ment recu le baptême, aussi ne craignit-il point de décrier les abus de l’idolâtrie de ses frères. « Nos dieux sont méchans , disoit-il, » impitoyables pour les étrangers qui sont surpris » sur notre territoire; ils paient de leur tête » leur audacieuse erreur, et sont sacrifiés pour D'UN NATURALISTE. 173 » apaiser le courroux de nos déïtés inhospi- » talières ». Les prêtres de Bodé usent avec latitude de leurs prérogatives sur les idolätres qu’ils ensei- gnent : leur règne est celui de la terreur la plus iyrannique. Veulent-il se procurer des mar- chandises sans débourser aucun argent ? ils an- noncent que leur dieu estirrité, et qu’1ldemande du sang. La malheureuse vicüime est choisie par eux-mêmes dans le peuple, sil n’y a point d'étrangers; nouveau moyen criminel d’exercer leur vengeance envers leurs ennemis. L’inno- cence est sacrifice, et le cadavre démembré pour le distribuer aux sacrificateurs. Tant que ces prêtres féroces et impies possèdent la portion ensanglantée de leur vicume, ils lexposent alternativement dans le marché sur ce qui leur fait plaisir, et le marchand est obligé de leur livrer l’objet deleur choix, sans demanderaucune rétribuuon. Leurs lois absurdes, immorales et contraires à l’ordre social, autorisent le crime, loin de le T éprimer. Par hot siun assassin se présente comme tel à Bodé, 1l est reçu honorablement, et toutes les jeunes fiiles vont, à l’envi Fée de l’autre, s’offrir à lui pôur épouse ;4andis que si un voyageur étranger est rencontré demandant l'hospitalité, 1l est pris, malgré ses protestations 174 VOYAGES de soumission envers les lois du pays, et égorgé à linstant. Les nègres d’'Ufé n’adressent point leurs hom- mages à des simulacres faits par la main des hommes; 1ls choisissent, pour exciter leur com- ponction, les preuves matérielles de l’anéan- üssement humain , preuves incontestables de l'existence d’un Être suprême qu’on croiroit bien loin de la pensée de ces idolâtres, mais qui paroît pourtant en être rapproché par leurs coutumes philosophiques, servant d’argument irrésisuble en faveur de ces peuples, d’ailleurs hons et hospitaliers. Dans un lieu sombre et sauvage, au milieu d’une nature primitive, dans des crevasses souterraines de rochers escarpés , au centre d’un imposant ombrage, cette peuplade pénètre en silence, la tête baissée, et d’un pas grave et respectueux. Aucune fétiche ne se présente à leurs yeux , ils n’ont point de prêtres, puisqu'ils n’ont point de mystères. Le vaste et ténébreux édifice consacré à exciter leur componcuon, à émouvoir leurs facultés intellectuelles, à pro- voquer un retour au bien dans les cœurs criminels; cet édifice, dis -je, est tapissé d’osse- mens Mine que u mort a réunis depuis des siècles. C’est là que pensant à Ja fragilité de leur existence, au sort prochain qui les attend, ils D'UN NATURALISTE. 175 2 sont frappés d’une bienfaisante terreur qui les éloigne du mal, et les rend bons et bienfaisans. Ïls sont déjà loin du temple , qu’ils observent encore un silence qui n’est interrompu que par une belle action envers les plus malheu- reux de leurs semblables , ou par quelqu’exhor- tauon consolante d’un père à son enfant, d’un ami à son ami... Que pensera-t-on de cette secte AUS USA D À 0 D À En À À 0 D en D a Ve Vo Vo Va CHAPITRE TREIZIÈME. Caractère des Congos. Ils n’ont aucune considération pour les vieillards. Parure des Congos. Ils aiment passionnément le tafia , et recherchent la chair musquée du crocodile. O, peut consulter, pour la descripuon topo- graphique du royaume de Congo, les auteurs qui en ont déjà parlé, mon but n’étant que de faire connoître au lecteur le caractère essentiel et les mœurs de chaque peuplade en particulier. Les Congos en général sont voleurs, et tellement effrontés que l’un d’eux surpris en flagrant délit, ne voulut jamais convenir du vol qu'il tenoit à la main ; c’étoit une poule : « Pourquoi, lui 170 VOYAGES » disois-je, rentres-tu à ta case avec une poule » qui ne Vapparüent pas ? Moi, pas connor » maîtr”, répondit-1l, mais maman poule ci lalà » drôle oui! li vini astor jetté en haut mains » moi. Ton dessein, réparus-je, étoit de la » plumer et de la faire cuire? Aï! maîtr à » moi! s’écrie astucieusement le Congo, bon Dieu » puni moi, si moi, Capab’ faire bagage ci lalà : » moi vlé seulement chauffé li en haut case à » moi, guetté comme plumes à li mouillé, » pauvr” bête » ! En disant cela , il Jui prenoit le cou, le caressoit et l’embrassoit. IL n’étoit point étonnant que la poule eût les plumes mouillées , puisque, pour se dérober aux pour- suites acharnées du nègre voleur, elle s’étoit jetée dans un canal où il avoit su Pat- ieindre; c’est ce que j'appris, et ce dont il ne voulut jamais convenir , quoique lui ayant pro- visoirement fait rendre la poule à celui à qui elle appartenait. Les Congos, loin de respecter les vieillards comme les Phylanis, n’ont aucun égard pourleurs parens âgés ou infirmes, et ils les forcent à piler le maïs qu’ils destinent à leur unique nourriture. Les Congos portent leurs cheveux crépus entre-méêlés de plumes de diverses couleurs , piquées à l’aventure et dans tous les sens. Ainsi que les fbos et les Nagos, ils ont les dents de devant D'UN NATURALISTE. 1774 devant sciées en plusieurs festons, et ils ont le plus grand soin d’en entretenir la blaucheur et la propreté ; c’est pourquoi ils se servent, ainsi que les nègres des autres naüons et tous les habitans des colonies, de racines fibreuses qu’ils tiennenttoujours à la bouche pour les nettoyer (1). ()1l y eut à Saint-Domingue, dans les premiers momens de l'insurrection des noirs, une horde de ces révoltés, appelés Congos tous nus, parce qu'en effet ils ne faisoient pas même usage du tanga. Ils avoient pour chef un mulätre makendal. ‘Tous ces brigands, réunis pour faire honte au genre humain et le désoler, avoient la tête surmontée d’un casque formé d'un crâne humain accompagné de sa chevelure. Leurs joues, leur menton et leurs seins étoient colorés d’un rouge assez vif pour imiter le sang. Le chef de cette troupe infer- nale, hideux de figure, avoit des formes dispropor- tionnées, et portoit au cou et à toutes les articulations, des paquets de têtes de crapauds, couleuvres, et autres semblables talismans. Par-tout la mort annonçoit son passage , et ses satellites cruels égorgeoient tout ce qui se présentoit à leurs yeux ; chiens, chats, cochons, rien m’étoit épargné, et tout être animé devenoit la victime de leur furie désastreuse et vaga- bonde. L'amour du sang les enivroit au point qu'ils en laissèrent par-tout des traces sur l'habitation de l'Etable, où ils vinrent s'installer pendant quinze jours, pour exercer leurs dégoûtans mystères. Lorsque leur chef redoutable vouloit rassembler sa troupe, il siffloit, et dans la position la plus indécenie, introduisant le To II. | M 1178 VOYAGES Les Congos sont très-friands de tafia ; un jour que J'avois oublié de donner la rauon à un d'eux qui me servoit d’harponneur pour la chasse du caïman , il me dit d’un ton naïf ettout contrit : « Maître! Congo pas encore gagné dent, » et vous sévréz li »! Ce qui veut dire, non litté- ralement , mais dans le sens parabolique : « Maître, je suis encore à jeun, et n’ai point de » dents pour manger, ne me sevrez donc pas de » ce tafia qui va me mettre en état de prendre » mon repas ». Je vis un jour ce même harponneur emporter furtivement les membres ensanglantés d’un caïman sur lequel je venois d'observer la circulation du sang. Je ne savois à quel propos il m’avoit dit pendant mon expé- rience : (Maître ,n’a pas faire li souffrir comme ca » donc ! caïman li y’oun’ boun’ bagage, et pis » vous va malheureux , Quand vous va mouri». Je reconnus bientôt que la chair d’un caïman mort dans des tortures semblables , ne lui étoit plus agréable à manger, et que pour m'engager à lui donner à l’avenir sans être entamé par doigt dans son anus, 1l restoit en cette posture révoltante pendant que ses acolytes, accourus de toutes parts, dansoient autour de lui en poussant des hurlemens affreux. Ces brigands, par un génie imitateur, furent à Saunt-Domingue, ce que les jacobins furent en France, D'UN NATURALISTE. 179 le fatal scalpel , il m’annoncoit, par une conjec- ture de métempsycose, qu'ayant fait autant souffrir les caïmans , je serois moi-même , après ma mort, en butte aux cruautés du premier chasseur. Toutefois il m’assura que dans son pays on est très-friand de la chair de ces ani- maux, dont le goût musqué est cependant insupportable, mais que les Congos aiment beaucoup. M 2 160 VOYAGES QU SSSR ne ne nn D no D D 0 D 7 CHAPITRE QUATORZIÈME. Idée des Faudoux (1). Définition du mot. Leurs opérations ridicules et emphatiques. Maladies qu'ils donnèrent & un habitant de la Petite-Rivière, plaine de l'Artibonite, et à des nègres dont ils étoient jaloux. Sortiléges prétendus. Prédiction faite à Toussaint-Louverture , chef noir à Saint- Domingue. Tours facétieux que les vaudoux se plaisent « faire dans les calendas. AS beaucoup entendu parler d’une secte idolâtre appelée vaudoux à Saint-Domingue, et dont la réunion avoit lieu sur notre habi- tation , je fis venir une négresse affidée qui, après m'avoir détaillé des faits surnaturels, me rendit le témoin oculaire des frénéuiques céré- () Suivant les nègres Aradas, fidèles sectateurs du vaudoux, ce mot exprime un être tout-puissant et surnaturel, auquel les autres créatures doivent obéir; et ce prodige quel est-il ? un hideux serpent qu'ils déifient, mais rendant ses oracles par la bouche de certains nègres adroits, qui deviennent son organe, et pour lesquels les nègres initiés ont la plus grande vénération. D'UN NATURALISTE. 181 momies de ces espèces de convulsionnaires. « Les vaudoux , me dit la véridique Finette (+) ,isont de nations différentes ; ils tombent en crise par suite d’une sympathie imconcevable. Réunis sur le terrain qui doit être le théâtre de leurs gri- maces convulsives, 1ls sourient en se rencon- trant, se heurtent avec rudesse, et les voilà tous deux en crise ; les pieds en l'air, hurlant comme des bêtes féroces , et écumant comme elles. » Je passois un jour , poursuivit-elle , auprès de deux de ces espèces de convulsionnaires , et soit que leurs prosélytes aient eu l’intenuon d’accréditer leur système, soit que par ces preuves irrécusables , ils aient voulu profiter de mon jeune àge pour m'initier dans leurs mys- tères , on m’introduisit dans le cercle, et il fut ordonné à l’un d’eux, par le chef de la horde, de prendre dans ses mains du charbon allumé qui lui fut présenté, et sembla ne point le brûler; à l’autre de se laisser enlever des lanières de chair avec des ongles de fer, ce qui fut ponctuelle- ment exécuté, sans que je remarquasse le moindre signe de sensibilité. » Dompète ( c’est le nom du chef tout-puis- sant de la horde fanatique ) a, disent-ils, le (1) Négresse afhdée et intelligente, dont j'ai déjà fait l'éloge, et qui a été éduquée en France. M 3 182 VOYAGES pouvoir de découvrir de ses yeux , et malgré tout obstacle matériel, tout ce qui se passe , n’im- porte à quelle distance ; propriété ficuve bien faite pour en imposer aux crédules, et tyranmiser les incertains dont le défaut de confiance est puni par le poison qui leur est familier , et, dans les mams du Dompète, d'un usage journalier et impuni. » Les acolytes de cette secte ont aussi entre eux des moyens magiques d’exercer leur ven- geance. Un homme a-t-1l essuyé les rigueurs d’une amante, ou l’infidélité d’une maîtresse habituée ? un piquant de raie jeté dans l’urine de la coupable, le venge de son outrage, en frappant soudain l’infidelle d’unemaladie de lan- gueur, que le vaudoux fait cesser à volonté par une préparauon différente. » C'est par un semblable mouf de jalousie, qu’une négresse nommée Jeanne Claire, d’une habitation de la plaine lArtibonite , ayant excité l'envie de la femme d’un vaudoux , fit mettre en opération son mari qui par un sorulége rendit cette rivale (ou matelote) muette et dif- forme aux yeux fascinés de son amant qui la répudia , et ne la vit depuis qu’avec horreur, malgré les témoignages d’attachement de cette femme qui, pour opérer une réconciliation si désirée, lui offrit tout ce qu’elle possédoit. D'UN NATURALISTE. 183 L'amant d’abord courroucé, se radoucit pour- tant à la proposition de ces offres généreuses. Jeanne Claire se disposoit à Iui remettre la cassette contenant ses bijoux et ses effets les plus précieux : quelle fut sa surprise lorsqu’au lieu de la trouver à sa place, elle n’y rencontra plus qu’un amas de terre et d’ossemens humains ! O désolation! mais l'effet du philtre n’étoit point éternel , l'amant creusa et fouilla le tertre dépo- sitaire de l’opération magique, et ce fut à l’ins- tant où la cassette reparut,que la femme double- ment enchantée recouvra et sa voix et son trésor. » Une des preuves encore que les sortiléges n’ont qu'une durée limitée, c’est, continua l’historienne, la maladie singulière qu’éprouva, par ces effets magiques, M. Dériboux , habitant de la Petite-Rivière des Gonaïves. Il eut un diffé- rend avec un vaudoux , et sans menaces de la part de son ennemi il fut atteint dès le lende- main d’un vomissement dans lequel il rendoit de gros morceaux de chair crue. Ce n’est qu'après six mois de souffrances que le maléfice cessa. » Un autre vaudoux, par suite de la jalousie d’un confrère , opéra ce phénomène : son rival, homme robuste et bien fait, devint hideux et couvert de lèpres qu’il conserva jusqu’à ce qu'il M 4 184 VOYAGES eut renoncé à la femme qui lui causoit cette infirmité. Sur la menace du vaudoux, le lépreux quitta le quartier, et recouvra bientôt une par- faite santé. » Un fait non moins extraordinaire mérite d’être cité. La femme d’un vaudoux venoit de perdre son mari, qui en mourant lui avoit laissé le secret de dérober son argent à la recherche des voleurs, en leur fascinant les yeux. Joyeuse de posséder ce secret merveilleux , elle faisoit étalage de sa fortune, et l’élevoit de beaucoup au dessus de sa valeur, ayant en vue par ce stratogême d'augmenter le nombre de ses adorateurs. Adomis , nègre cuisinier de M. Des- fontaines |, habitant des Gonaïves, rusé et envieux de mordre à la grappe, résolut de chercher à lui plaire, espérant, après un items d’assiduités et de caresses, devenir le semi-pos- sesseur du riche buun annoncé. » Dans ses fréquentes visites, il cherchoit à flatter la. friandise de Claire, en lui apportant des mets déhcats, soustraits à la table de son maître. Un jour que par l'abondance des gâteaux, autres provisions , et surtout une bou- teille de marasquin , il avoit tenté de la rendre déraisonnable au point d’obtenir son secret, 1i fut déçu de son espérance, et apprit seulement d’elle, que le tonneau qui se trouvoit dans le D'UN NATURALISTE. 185 coin de la case, derrière son hamac, renfermoit le trésor en quesuon, mais qu'il étoit défendu à tout autre qu’elle de pénétrer jusque-là ; et, pour preuve de son privilége exclusif, elle engagea Adonis à tout tenter pour enlever cet argent du baril où il étoit. Celui-ci souriant, voulut en vain y plonger le bras à deux reprises, étant repoussé chaque fois par une force invisible ; cependant , ne perdant pas courage , 1l fit une troisième tentauve, mais quelle fut sa surprise lorsqu’en introduisant son bras, il crut sentur une cou- leuvre qui, par la détorsion de ses replis tor- tueux , sembloit vouloir s’élancer sur lui! Adonis plus prudent que courageux, renonça soudain à expérience, mais conserva le désir d’appro- fondir l'intensité de ce mystère. Pour sausfaire sa curiosité , 1l alla donc trouver un vaudoux son ami,et moyennant une bouteille de tafia, il obunt de lui le moyen de rompre ou plutôt de détruire le charme de ce prestige d’illusion. Ïl reçut du vaudoux un peu de terre de cime- üère, qu'il lui fut ordonné d’aller déposer derrière le lit de Claire à son inscu, destinée, Jui dit-il , à l'endormir, et avec elle son secret. Toute canse surnaturelle étant détruite, Adonis se présenta chez sa maîtresse qui s’endormit bientôt dans ses bras, après qu’il eut préalablement achevé son opération; d’où il résulta succés 186 VOYAGES complet, au moyen duquel il fit la loi à sa maîtresse, et ne consent à lui remettre à son tour son trésor que s'ils s'appartenoient l’un à l’autre. Celle-ci y consentit sans peine, aimant Adonis plus que tout autre de ses courtusans. » On sait, me dit l’historienne, que Toussaint- Louverture, à l’arrivée de l’expédition francaise commandée par le général Leclerc , se fit dire sa bonne aventure par un de ces vaudoux famé dans l’art devinatoire , et qu’il lui futannoncéau fort de la Crête-à-Pierrot, qu'il seroit trahi et livré aux Francais par son premier chef, celuien qui il avoit plus de confiance, de féroce Des- salines. [’événement réalisa la prédiction du vaudoux ». | Les vaudoux, par un, esprit de contrariété qui leur est personnel, ament à troubler les plaisirs qui ne sont pas les leurs; aussi les voit- on à la découverte des calendas (danses noc- turnes) s'y faire des signaux , et, prévoyant leurs succès, rire entr'eux d’avance de l’em- barras de leurs dupes. Un d’eux plus confiant que les autres, me prenant par le bras, me dit tout bas intention où 1l étoit, amsi que ses €amarades, de faire donner /e calenda à tons les diables. I} n'eut point achevé ces paroles, que tous les danseurs se plaignirent de borbo- D'UN NATURALISTE. 187 rismes , qu'un bruit crépitant se fit entendre, et que la confusion se fit remarquer sur tous les visages étonnés; aussitôt de se fixer et de rire aux éclats, puis de se dépiter, comme contraints d'abandonner le poste où la gaieté les avoit placés. Vous voyez, me dit alors le vaudoux, combien tous nos danseurs sont’ interdits, et Combien de vents chacun rend sans pouvoir en empêcher ; eh bien! nous sommes les auteurs de cette espiéglerie qui consiste à répandre dans le nulieu du bal une poudre composée de sucre imbu de la’ sueur d’un cheval harassé. Voilà conuinua-t-1l, tout notre secret, mais n’en parlez à personne; car nous aurions sûre- ment lieu de nous repenur d’avoir troublé ce diverussement. | 188 VOYAGES CHAPITRE QUINZIÈME. Caractère des nègres créoles à St.-Domingue. [nté- rieur de leur ajoupa. Costume des hommes et des Jemmes. Parure burlesque d'un de nos conduc- teurs d'atelier. Tnidolence des hommes ; préve- nances des femmes pour eux. Passion qu'ils ont pour la danse. Anecdote à ce sujet. Procédés cruels des sages-femmes. Coutumes funéraires envers les enfans qui périssent entre leurs mains. Ætiachement des mères pour leurs enfans qu’ils élèvent mal. Punition de ces mémes enfans. fndolence des jeunes nègres. Respect qu’on leur recommande envers les sens âgés. Amour propre des postillons. Adresse des nègres pour tous les ouvrages manuels, la chasse, la péche et les exercices du corps. [nimitié des nègres pour les blancs. [ls croient à la prédestination. Supers- tition des idolätres. Diverses anecdotes à l’appui de cette assertion. Coutumes bizarres. Remèdes ridicules des Caperlatas ou charlatans. Proverbes créoles, Naïveté. Dénominations créoles. Impar- tialité des nègres pour leurs semblables , desquels ils sont toujours envieux. Leur perversité. His- toire d'un fils dénaturé. Cruauté de deux enfans. Lépreux chassé et abandonné. Religion avilie. Réflexion comique d’un nègre prét à monter à da potence. F'unérailles des nègres d'habitations. IBinaree naturelle aux nègres, les porte à Saint-Domingue , hors l'heure de leurs travaux, à s’accroupir au soleil, où ils restent en cet état plusieurs heures sans donner signe d’exis- D'UN NATURALISTE. 1:89 tence; et la pipe à la bouche, la main remplie de grains de maïs, ils comptent et recomptent ce qu'ils doivent, ou ce qui leur est dû. Je ne sais par quel contraste les femmes d’ailleurs très- propres, aflectent une conduite contraire à l'égard de leurs enfans : elles seules prennent trois fois le jour les bains si nécessaires dans les climats chauds pour la santé, et abandon- nent leurs négrillons qui se roulent nus dans la poussière, et se livrent à cet exercice jusqu’à un âge trés-avancé. Les mères poussent. plus loin et ce défaut de soin et leur mal-propreté. On en voit sur le midr, les unes occupées à chercher les poux de leurs enfans, pour les manger à mesure qu’elles en trouvent, tandis que leurs hommes à genoux auprès d’elles, s’oc- cupent des mêmes soins ; les autres sucer le nez de leurs enfans morveux. S'il existe parmi cette classe d'hommes, des soins excessifs pour leurs enfans, il est des exceptions qui couvrent d’opprobre les auteurs de ces cruautés. Je vis sur notre habitation, des mères laisser à demi-mort un de leurs enfans, coupable souvent de la moindre faute; une autre, Ô excès de barbarie! une marâtre bien digne de la peine du talion , qui impatientée de ce que son enfant lui demandoit sans cesse à manger pendantqu’elle faisoit cuire son calalou, se lever brusquement, et lui mettre dans la 190 VOYAGES bouche un œuf bouillant qu’elle y retint en la lui fermant de sa main. . Veut-on connoître un ajoupa ? Qu’on se figure une chaumière meublée de canaris, de cale- basses sciées transversalement par le milieu (en guise de plats), de sicayes ou cuillers faites d’une tranche du calebassier marron, de coëts, ou petites calebasses traversées par une baguette pour puiser dans le canaris, et qui servent de pots à l’eau; quelques peaux de bœufs, ou nattes de paille au lieu de lits : c’est au milieu que sont rassemblés quelques tisons sans conduit pour la fumée, et autour de lâtre de cette case rembrunie, que se réunit toute la famille. Un groupe de nègres de tout âge et des deux sexes, fuyant le soir les maringoins qui invesüssent leur rêétraite, et qui se décèlent par leur bourdonnement , ou d’une manière plus sensible, par leurs piqûres, sont nus etaccroupis, les uns conversant, les plus vieux parlant langage guinéen; ceux-ci fre- donnant quelqu’air de calenda, tandis que les plus jeunes se vautrent sur le ventre, entretien- nent dans le feu des bouses de vaches sèches, et dont l’épaisse fumée chasse les maringoims de l'intérieur. La mère de famille veutelle distribuer les bananes ou patates boucanées pour le repas, on allume le bois pin ou bois chandelie, dont D'UN NATURALISTE, 19+ la vive clarté absorbe bientôt celle du foyer toujours peu ardent. Souvent le père, en contem- plant le cercle de ses enfans, se décide à piler le maïs , ou bien le petit mil pour /e mous$a ; à tresser le jonc ou à faire des panneaux, quelque- fois des chapeaux de pulle, ou bien encore des filets, pour vendre tous ces ouvrages au marché deda ville voisine. Passe-t-on près d’une case habitée par des jeunes gens nouvellement établis, bravant l’a- charnement de l’essaim des maringoins , la femme , au son maigre et monotone du banza, que pince le nègre son compère, s’exerce à la danse chica , en brossant de son pied endurei la terre qu’elle réduit bientôt en poussière par un frotiement prolongé. Les hommes toujours choyés par les femmes qui ‘se disputent leurs faveurs , qu’elles achètent quelquefois par des rixes sanglantes , ont pour le travail une mise simple et légère, Un mouchoir de Madras qu'ils ceignent cent fois le jour avec grace, ou un large chapeau de paille tressée, une chemise décoltée très-blanche et trés-fine, souvent en lambeaux, car le rac- commodage est parmi eux une sorte de déshon- neur; un grand pantalon de zinga, guinguan ou nankin, les pieds nus ; le cou des plus élégans, orné d’un gros collier de perles en or 192 VOYAGES ou de verroterie ; voilà leur vêtement journalier. Celui des femmes n’en diffère qu’en ce qu’au lieu de pantalon , elles portent, aux travaux du jardih, un jupon à longue queue, souvent de mousseline la plus fine. Infatués de la supério- rité de leurs costumes, on voit près d’eux , dans le même sillon , leurs parens guinéens, le corps nu, avec un seul tanga qui dérobe leur sexe aux regards; la peau gercée, huileuse par fois ou terreuse, auxquels les nègres créoles insultent en disant : « Moi bèn soucié père à moi! li » nègre gros’ peau , et moi nègre peau fin ; li sale » trop moi dis vous; guetté li, bonda h à Pair ». Ce qui veut dire : « Je me soucie fort peu de » mon père; il a une peau grossière , tandis que » Ja mienne est plus fine; d’ailleurs 1l est trop » sale ; régardez, tout son derrière est à l'air ». Les jours de cérémonie, de calanda’ par exemple, qui est une danse nocturne funéraire, pour le plaisir de laquelle un nègre voyagera toute la nuit pour s’y rendre, les créoles sont plus parés, mais avec ce maintien affecté qui est du plus grand ridicule. Par exemple, nous avions pour conducteur des moulinières à coton, un nommé Joseph, peut maître (1) réputé dans toute l’Artibonite, et dont la caricature (1) On les appelle Candiots, m'avoit D'UN NATURALISTE. 193 m'avoit tant plue, que je le peiznis en son cos- tume, prêt à monter à cheval. L'inceudie révf- luuionnairé qui a dévoré ma fortune et la ma- jeure partie de mes effets, ne me permet pas de joindre ici ce portrait curieux ; je vais ÿ suppléer par une description exacte, Joseph étoit sur le point d’exercer un cheval peautre , et vint me demander Ja permission de s’absenter, autant pour se faire voir que pour m’annoncer qu'il étoit désiré par toutes ses commères ; Car ces négres sont avantageux et fort prévenus en leur faveur. Je vis: mon homme , ayant ses Jarges mains revêtues d’une paire de gants blancs de femme, qu’il avoit trouvée je ne sais où, et qui n'ayant pu se prêter, par leur élastui- cité, à la grosseur de ses doigs, étoient déchirés de toute part, et n'en recouvroient absolument que les phalanges; un chapeau à la main, d’une forme trés-haute , la tête suifée et poudrée à blanc par derrière, et les cheveux du devant noirs et naturellement crépus ,de longues boucles d'oreilles ayant peine à suivre le contour de sa cravate qui l'engoncoit jusqu'aux yeux, et par dessus laquelle étoient trois rangs de colliers; une veste de nankin qui, ne lui appar- tenant pas , lui étoit de beaucoup trop courte, et laissoit voir deux avant-bras noirs, con- trastant avec la blancheur de ses gants; un * Tome IL, N 194 VOYAGES pantalon de basin, destiné à être imbibé de 2 sueur du valeureux coursier qu’il devoit éprou- ver ; enfin des bottes, je ne sais de quel siècle, car je ne crois pas jamais en avoir vu de pareille forme : voilà son costume ! Voulant nous procurer le plaisir de le voir monter à cheval, il alla chercher le sien qui fut d’abord effrayé d'être attaché à un poteau, et s’eflaroucha à la vue de tous les nègres dé la grande case. Voici l'instant critique : Joseph n’étoit point bon maquignon ; il ne put se mettre en selle qu'après une bonne demi- heure dessais infructueux. Il se croit déja maitre dé l'animal indompté, lorsqu’à un malheureux coup d’éperon , le cheval furieux , ruant et faisant en même tems le saut de mouton, le jette les quatre fers en l’air. Joseph est furieux , mais il ne veut point démordre de sa présomp- üon; on reprend le cheval, il s'apprête à être plus circonspect, et à ménager le jeu de ses éperons : nouveaux revers! Pour cette fois, le coursier l’abandonne et fuit à toutes jambes dans les bois, pour épargner à notre écuyer créole une nouvelle honte, | J'ai déja observé que les hommes exigeoient, de la part de leurs femmes, des soins exclusifs et personnels ; on jugera, par les traits que je vais citer, à quel point est poussée l’indoleuce D'UN NATURALISTE. 109 de ces favoris de l'amour, et quel empire ils ont sur leurs maîtresses. On voit sur les grandes routes , les jours de marché, les nègres des habitations, portant à la ville le fruit de leur industrie, comme chapeaux, couïs et calebasses sculptées ; d’autres des volailles , ceux-ci des vivres de terre, ou des fruits ; les pêcheurs, du poisson salé ; enfin les chasseurs, du gibier de diverses espèces, comme canards sauvages, sar- celles, gingeons, pintades marronnes, raniers, tourterelles , etc., suivant la saison; et qui le diroit? leurs femmes, ou leurs mate- lotes (rivales) supportent à pied la cha- leur du climat, portant sur leur tête les plus lourds fardeaux , tandis que le jeune nègre, leur amant commun, se carre seul sur un . mulet qui souvent n’est ni sellé ni bridé Elles cherchent, par ces précautions, à le conserver toujours frais et dispos, et à lui éviter des fa- ügues dont leur sexe privilégié peut braver les inmconvéniens. La passion de la danse est tellementimpérieuse chez les nègres créolisés, qu'ils s’y livrent à l'excès, et ne quittent leur indécent calenda qu’épuisés de fatigue et d’amour par la lubricité de leurs mouvemens, et le développement impu- diquede ceute ivresse effrénée qui agace impérieu- sement leurs sensations. Chaque nation y dépeint N 2: 196 VOYAGES son caractère, et glorieux d’en soutenir l'impor- tance, on voit chaque individu briguer les suffrages des spectateurs en faveur du caractère de sa nation. Un de ces enthousiastes déja en crise au seul bruit du bamboula (1) qu'il entendoit encore assez loim du rassemblement, * commenca son manége , toujours s’avançant vers le cercle de ses rivaux. Il l’atteignit enfin ; ivre de plaisir et de dé Jices, mais 1l étoit nègre Ibo, et comme étranger au rond d'Arada qui ne reconnut point sa coutume, il fut repoussé rudement. En vain par des signes de pitié voulut:l intéresser en sa faveur, et rentrer dans le cercle; il‘ne parvint à attendrir les danseurs qui gra- geoiené (2) qu'avec une des bouteilles de tafia qu'il portoit à la main; la bouteille étant vidée, les murmures recommencèrent : le dansomane donna successivement l’autre, et gourdin par gourdin jusqu'a deux gourdes , toujours en grageant; enfin sur le point de tomber de las- situde, mais ranimant tout à coup ses forces , il envoie chercher ses poules et tout son avoir, toujours en grageant, en sorte qu'après la danse, revenu de sa manie, 1l ne possédoit plus rien, et n’eut que des yeux pour pleurer sa faute. " EEE (Gi) Tambour qui sert à faire danser. 2) Grager est une modification de la danse chica. D'UN NATURALISTE. 197 Un autre trait dont J'ai été témoin, ca- ractérise bien celte passion dominante. Une négresse créole, Ursule , venoit de perdre Francois son compère (1); elle paroissoit inconsolable de cette perte prématurée, en venant à la case me demander un mouton pour le calenda. Zees banzas, les bamboulas étoient déja dehors, et n’attendoient plus que des acteurs pour la danse; personne du nombreux cortége ne s’étoit encore présenté, quand on vit Ursule sortir de la case, les veux baignés de larmes, le mouchoir à la main, et la poitrine sul- foquant de sanglots. « Francois li allé! disoit- » elle, pauvre Francois! pauvre n’homme ) æ à moué qui mour! »! Puis en sanglo- tant elle marchoit la tête baissée, et recom- mencoit à plusieurs reprises ses doléances, lorsque soudain et graduellement développant, d’abord d’une manière insensible, puis tout à coup déterminée, la danse des funérailles, elle se mit touten se lamentant à danser cica pour Francois, et à chanter en pleurmichant. « Quittez » moi danser pour hi; quittez moi danser pour » li. » (1) On-donne ce nom au nègre qu'une négresse a adopté, et qu'elle affectiônne préférablement à tout auire, NS 108 VOYAGES Rien de plus brutal dans leurs manières que les négresses sages-femmes, comme on peut en juger par ce qui suit. Elles ne font point de Higa- ture au cordon ombilical , au moins celles quel’on appelle Æradas et Congos, qui se contentent de le couper, et d'y appliquer sur-le-champ un gros uson de feu ardent pour le cautériser. C'est, comme on le voit, un triste, prélude pour le nouveau né. Observant les préparaufs de l’une d'elles , je n’avois encore rien apercu d’extraor- dinaire , et je croyois , lui ayant vu prendre un üuson ardent, qu’elle le desuinoit à allumer la pipe qu'elle avoit à la bouche, lorsque soute- nant la bonté de son opérauon, elle donna un second conseil à la mère, si l'enfant avoit des coliqnes. « iteméde là h facile, discitelle, ».mordez en hant nombriv à li; li va crier tout » à stor, ça fai li tribouiller trippes venu” » à h(r)»!!! Er le soin des générations est confié à des êtres aussi sinpides ! Puisse un avenir plus heureux rétablir en ce pays infor- tuné , des lois sages qui n’y existent plus depuis l'anarchie ! Je vais citer un trait de limpériue punis- F er (1) Ce remède est facile : mordez-lui le nombril, criera sur-ie-cham avec des efforts qui feron! dénouer ses intestins ti! D D'UN NATURALISTE. 199 sable de ces sages-femmes. Je fus appelé par M. Rossisnol-Desdunes-Lachicotte , habitant de l’Arubonite à Saint-Domingue, et mon parent, pour porter des secours à Mike Laurette, sa ménagére, venant de faire une fausse-couche de deux garcons qui n’eurent que le tems d’être ondoyés. ‘La mère entre les mains: de deux mévgérés, étoit accablée par les souffrances qu’oc- casionna la sorue, à la fois, des deux enfans renfermés dans le même arrière-faix. Cet accou- chement contre nature désorganisa les parties génitales , et fit prendre à ces sages-femmes igno- rantes , le cou de la matrice sortie de posiuon, pour le second arrière-faix, en sorte que ces deux empiriques ürailloient dessus avec force, et s’étonnoient que, malgré leurs eflorts, cette partie sensible résistât à leurs fréquentes onglées. Le siége de la pudeur aussi maltraité, meurtri et tout contus s’enflammoit , menacoit de gan- grène, et étoit gonflé au point de ne pouvoir rentrer, lorsque j’arrivai trouvant la malade sur ses deux enfans morts, et n’étant point encore délivrée : état déplorable, triste effet d’une dangereuse ignorance | Il arriva une troisième sagefemme qui se disoit plus habile que les autres, parce qu’elle avoit vécu dix-sept ans avee un chirurgien du pays ; ce n’étoit pas faire son éloge, car étant réputé N 4 200 VOYAGES sans talens , on cherche à oublier son nom, et l’on doit remercier la mort de lavoir enlevé à la colonne. Cette troisième empirique plus dan- gereuse encore que les denx précédentes, se mépreuant ensuite sur la nature de l'accident, me proposa d'introduire ma main dans l'inté- riear du vagin; ce que je rejetai desuite, voulant calmer, par des émolliens, cette partie déjà trop irritée, pour la faire rentrer dans son état naturel dès qu'il en seroit tems. Cependant celie dernière sage-femme revint à la charge, et me sollicita de permeure et d’'ordonner une inection qu'elle teuoit de ce chirurgien, son Hippocrate : e‘étoit du fort vinaigre dans lequel où débat un jaune d'œuf. Je reculai d'horreur , et la priai de discontinuer ses soins pernicieux, me réservant de -oigner moi- même la malade, qui se calma bien vite dès qu'elle eut pe un bain de manves, J'onbliois de rappeler les tourmens que firent endurer les deux premitres empiriques à la mal- heureuse victime de leur impériue. Voyant de Ja lenteur dans l’accoucliement , elles voulurent introduire dans la gorge de la malade, une spatule de bois qui sert en ce pays à remuer les ragoüts, sous le prétexte par ce moyen, et en lui assenant des coups de poing sur le dos, de lui faire faire des efforts qu’elles prétendotent salutaires : D'UN NATURALISTE. 201 heureusement ces pfatiques_ barbares furent refusées ; mais pour y suppléer, elles firent avaler à la malade, pendant une courte absence que je fis, des plumes roussies réduites en pons- Sicre , des toiles d'araignées, et des inlsions de calebasse, en sigrande abondance que le gon- flement de la vessie par da suppression de l'urine la mettoit en risque de se déchirer. Mais je m'arrête pour pleurer snr le sort des femmes de la colonie , cent fois moins cruel si on laissoit agir la Nature, M'étant assuré , par la glace ei l’alcali volaul, de la mort certaine des innocens jumeaux, on les fit enterrer dans la chambre de la mère, au dessous d’un cofire, ainsi qu'il est d'usage pour les fausses-couches dans certains quartiers de la colonie. . Les négresses créoles aiment beaticoup leurs enfans, et les allaïtent des années entières si elles ne deviennent pas enceintes. Rien de plus gâté par la mère qu'un négnillon, tant qu'il n’a point atteint l’âge de raison ; tout ce qu'il y a de bon est pour lui, et le père et la mère sont de nouveaux esclaves de sa volonté et de ses caprices. Mais tout change bientôt; son bon 1ems est passé, et la transiuon subite d’une pleine et entière hberté dans ses actions, à la sévérité d’une nouvelle conduite qu’on exige subitement Fr 202 « VOYAGES de lui, excitant en son arhe des mouvemens de rebellion, 11s sont sur-le-champ réprimés par de violentes corrections que’ mériteroient plutôt le père etla mère, assezinjustes pour ne pas préparer graduellement leurs enfans au service qu'ils exi- gentincontinent d'eux. Ilsdes gätent d’abord, tolé- rent,autorisentmèmeleurs peccadillesenfantines, tandis que, par une soudaine réflexion, un joug de fer est levé au dessus d’eux, et qu’on les assomme pour leur faire perdre les mauvaises habitudes qu’on leur a laissé contracter. Je pris plaisir à voir la correcuon d'un petit nègre qui se moquoit d'un estropié. $a mère Jui tenoit les deux mains dans une des siennes, et lui fit faire ainsi le tour des cases en lui rappelant à chaque instant la nullité de ses bras pour se défendre, et assaisonnant sa re- montrance*de quelques coups de courroie : cet enfant tout honteux demandoit la grace que celle-ci ne lui accorda qu'après plus de deux heures de ce châtiment. Un mot sur l'indolence des feunes nègres : Javois choisi, pour me suivre à la chasse et porter mon gibier, le négrillon le plus rusé et le plus leste de l’habitation; encore marchoit-1l si doucement que le gibier blessé auroit eu le tems de reprendre ses forces et réparer ses blessures A avant d’être pris. I] étoit si gourmand qu'il D'UN NATURALISTE. 203 mangeoit sans cesse avec avidité des oranges, où des goyaves, des melons d'eau à moitié murs, sans en être Jamais rassasié ; Si PEU SOI- gneux que mes bottes, que l’on nettoie dans le pays avec des feuilles de palma-chrisu chauflées, des oranges aigres et du noir de fumée pour les rendre luisantes, 1] me les apportoit couvertes de pepins et de plaques de noir non broyé. Il est enjoint aux enfans, pag leur mère, de porter respect aux gens plus âgés qu'eux ; d’ap- peler par exemple les nègres en âge viril, oncle, et les négresses, maman ou tante. Il est de l'honneur des posullons nègres de conduire les cabriolets, seules voitures en usage D dans le pays, au grand galop, et de chercher souvent les chemins les plus difficiles, de tra- verser des buissons, pour éprouver la valeur de leur attelage, et relever leurs talens aux yeux de ceux qu'ils conduisent. Je voyageois à mon ar- rivée dans la colonie pour me rendre à un repas de corps, et j'avois choisi le posullon le plus adroit de l'habitation ; mais il surpassa l'envie que J’avois de me rendre promptement à ma desu- nauon, et fatigua en moins d’une heure son premier relai de trois mulets vigoureux. «+ Ces posullons se regardent très-humiliés de voir rebouqués (1) les animaux qu'il condui- (1) Terme du pays, qui veut dire harassés. 204 VOYAGES sent; aussi le mien agissant de ses bras, de ses jambes, frappant les insensibles quadrupèdés, étoit-1l sur le point de se livrer à sa douleur sans l’heureuse rencontre du second relai. Pour ne point déroger à son caractère, oubliant sa courbature, il remet son nouvel attelage en baleine, et pour le réduire au même état de lassitude que le premier, ce qui selon lui indiquoit la supériorité de sa force sur les animaux, il traversa les bois au lieu de suivre les chemins , me faisant craindre pour mes yeux le cinglement des rameaux épineux du bayaonde et de lacacia; enfin calculant une direction en ligne droite, et voulant se frayer une route nouvelle à travers les bois , les cardasses et les raquettes, 1l s’égara au point de ne plus se reconnoître dans des savannes aussi immenses que celles qui sont appelées savannes l Hépital et Desdunes, prèsle bourg des Gonaïves. Cependant, aprésbeaucoupdetours et de détours, au cri des pintades domestiques , nous arrivames par un Côté opposé au chemin que nous eussions dû prendre, à une hatte appar- tenant à M. Desdunes-Lachicotte , et reconnimes avec étonnement les personnes et les lieux : mais cetendroit n’étoit point celui de mon rendez- vous ; je changeai de posullon, etun attelage frais m'y conduisit pour cette fois par les grands chemins. D'UN NATURALISTE, 205 Très-adroits dans tous les exercices du corps, les nègres créoles sont moins lourds et moins rustres que leurs aïeux africains ; mais ils sont déchus de cette simplicité naturelle, propre aux derniers, etqui est remplacée dans les créoles par un esprit fin, menteur, vain et turbulent. Soi- gneux de profiter des ressources que leur offres la Nature, on voit les négres créoles dont les besoins se sont multüpliés, peigner laloës pitt (1) ,eten ürer une filasse d’un blanc éblouis- gant dont ils font toute espèce de cordages; plus loin, le père africain et son fils créole revenir courbés sous un faisceau de’ joncs, le déposer sous le bananier qui ombrage leur case, en ürer les brins les plus droits, les plus fins et les plus flexibles, les tresser , et en former de jolies nattes destinées au service de table, ou à reposer leur corps indolent; plus loin, «autres portant des calebasses de toute grandeur pour leur servir de vaisselle. Les plus adroits ont tous les ustensiles de leur ménage ciselés de diverses. figures; ils gravent souvent sur les couïs qui leur servent de gobelets, des dessins pleins de goût et de proportion , sans l'aide-de règle ni de compas, (1) Ou chanvre des Indiens; aloe disticha » aRpElé cabouille à Saint-Domingue. 206 VOYAGES Hardis plongeurs, même entourés de repules voraces , tels que les caïmans, ils croient à la prédestinauon , et bravent le danger le plus imminent. L'eau semble être leur élément favori, et dès l’âge le plus tendre ils se jouent sur l'onde, et semblent défier les poissons par la élocité de leurs mouvemens. D'autres, passionnés pour Ja chasse et sûrs du point de mire , sont chargés, dans certains quartiers giboyeux, de faire la provision de la semaine avec sept coups de poudre bien comptés aussi ne la urent-ils point aux moineaux. Ils chassent en se traînant sur le ventre (1) dans l’eau peu profonde des lagons, portent le fusil sur leur tête, et tuent d’un seul coup plusieurs oiseaux toujours réunis el vivant en société , .tels que pluviers dorés, canards de diverses espèces , pintades marropnes et pigeons ra- miers. Notre chasseur me disoit un jour, après l'explosion de mon fusil , plus foible que celle du sien : («Maître , qui ca vous capab’ faire z’avec » pettards layo , qui pas pouvé arriver jou’quà » eanards layo » ? c’est à dire, «que voulez-vous » faire avec vos pétards de coups'de fusil , 1ls ne » pourront jamais atteindre ces canards » ? Ces (1) Ce qu'ils appellent aller à chatons. D'UN NATURALISTE. 207 chasseurs trouvent leur coup manqué, s'ils ne saignent point de la bouche par la répercussion terrible de leur arme, où 1ls mettent jusqu'a dix doigts de charge. Îls ne qualifient de bon chas- seur que celui qui a assez de courage pour supporter un tel coup. Môins bruyant dans les fonctions de son minis- ère, le pêcheur d'un œil avide et attentif parcourt le rivage, décide du lieu où il doit tendre ses filets ussus de fibres de l’aloës pitt ou de l'ananas; cet amas de pontéderia (que les nègres appellent volet) donne retraite à un hodeau, à un têtard; cette vase recèle une anguille; dans le courant, sous les racihes nombreuses de ce mangle, doivent se trouver des écrevisses et des tortues; vite, le projet n’est pas plutôt concu qu'il est exécuté, et le pêcheur assuré du succés de ses conjectures , ne revient jamais à vide à la case" qu'il approvisionne journellement. ” Il règne chez les noirs, contre les blancs, une jalousie envieuse qui les porte sans cesse à faire du tort à leurs maîtres, et inocule en eux cet esprit désorgamisateur qui est la base de leur caractère anu-social. Par exemple, une plante parasite, appelée vulgairement corde à violon (1), (1) Espèce de cuscute, 208- VOYAGES parce qu’elle a véritablement cetie forme, s'étant fixée sur une haie de citronniers ou d’autres arbres fruiuers, cause la mort de tout arbre, aux dépens duquel elle prend son existence , par son enlacement tortueux , et par sa complexion circulaire autour des uges, dont elle intercepte le mou ement de’la séve ; cette plante préjudiciable n’étoit encore connue et répandue que dans Ja parue du nord, lorsque tout à coup ses ravages. se manifes- tèrent dans celle du sud : on reconnu l’auteur de ce maléfice , qui avoua sa faute, et la cause de son projet désastreux. Tous les nègres, tant les Guinéens qne les créoles , croient à la prédestiuauion. Nous avions pour pêcheur un excellent plongeur qui pour- suivoit les tortues au milieu des'caïmans qui en sont très-friands, el s’exposoit ainsi à la nage, les narguant, les combattant même quelquelois pour enlever leur proie, bien persuadé qu'il ne périroit point, si ce n’étoit point son heure. Pendant la guerre du sud, qui inspiroit aux nègres, mêmeaux plus pusillanimies, la bravoure et l'audace? la prédestination. Il leur étoit dit que tous ceux qui étoient tués au combat, se trouvoient à l'instant transportés en Guinée. Dans la guerre des révoltés, les nègres off- ciers prenoient le nom de leurs anciens maîtres blancs, CE LS D'UN NATURALISTE. 209 blancs, pour avoir plus de droits de commander a leurs semblables. Les officiers tués et ramassés sur le champ de bataille, étoient enterrés avec leurs armes. : Une sécheresse générale désolant le quartier de l’Arubonite, surtout les cotonneries qu’on ne peut submerger à volonté par cause de l’éloignement de canaux ou rivières, il y ent en 1803 une diselte complète de vivres de toute espèce, ressource journalière pour le cultivateur. À cette disette étoit nécessairement attachée une hausse considérable aux marchés des viiles voi- sines, dans le prix des légnmes ou racines alimentaires. Les prêtres des idolttres de notre habitauon entourée d’eau, et tonjours féconde en ces denrées comestibles, imaginèrent de se servir de leur caractère, et de profiter de leur influence pour en imposer aux idolätres de lenr secte, etexiger d'eux une partie de leur récotte, bien décidés à en ürer parti en leur faveur : ils annoncèrent aux trop crédules superstitieux , que leur grand dieu, qui combatioit pour leur prospérité et leur liberté, étoit allé à la guerre, etque, par nn excès de sa valgnr intrépide, il y avoit eté blessé ; qu'il leur interdisoit donc jusqu’à nouvel ordre, l’nsage du calalon, de toute espèce de feuilles et fruits du girau- mon, etc., destinant toutes ces plantes vulné- Tone IN, | Q 210 VOYAGES rares , résolutives et maturatives au pansement de ses larges et profondes blessures! Les pauvres croyans d'apporter à l’envi tous les fruits de leurs jardins , et de se regarder bienheureux de pou- voir faire quelque chose en faveur de leur divi- nité; et les prêtres trompeurs, de se réjouir et de vendre furtivement, ou de manger tous les topiques , et autres remèdes consacrés à leur dieu imagmaire. Une de ces victimes du fanatisme le plus ré- voltant (1) que je tirai de cette erreur gros- sière, me conduisit à leur rassemblement, et je vis adorer, devant un gros mapou creusé par le tems, une couleuvre qui y faisoit sa résidence, et à laquelle, dans l’intervalle des prières, on apportoit de quoi se nourrir, en viande, poisson, moussa, Calalou, et surtout du lait pour se dé- saltérer, provisions que les prêtres avoient soin de faire disparoître au premier moment d'absence (1) Superstitieux à l'excès, les nègres croient à l'influence malheureuse de certains jours, et s’imaginent pressentir souvent un fâcheux avenir, où ils augurent mal du don qu’on leur fait, sil est offert par la main gauche. On a vu de ces fanatiques se troubler en ce cas, tomber malades, et enfin terminer par la mort leur existence inquiète. C’est pourquoi les idolâtres portent des fétiches qu'ils appellent gardes-corps, et qui les préservent, disent-ils, de tout sortilége. D'UN NATURALISTE. oII des sectateurs, annonçant ces offrandes consom- mées en leur présence, etexigeant leur remplace- ment par d’autres. Un mouvement d'indignation m’ayant saisi, j eus la hardiesse de leur annoncer la nullité des pouvoirs de leur fétiche, en les persuadant qu'un dieu dépendant de la volonté et de la puissance de l’homme, n’étoit plus un dieu. Murmures! mais, comme à cette époque les nègres étoient plus politiquement soumis aux blancs par des ordres de Toussaint-Louverture , j'osai achever ma tentauve, et en leur criant : Voyez quel est votre dieu, et combien je suis plus puissant que lui! J’ajustai aussitôt la conleuvre reployée sur elle-même, et mon coup la cribla. Cnis affreux !!! désolation universelle ! I se fit un silence après lequel le chef me dit : « Maître, » vous va voir, fusil à vous pas capab’ iuié, » mioun’ pièce gibier z'encor’ »! Ce qui veut dire : «Maître, qu’avez-vous fait, le dieu va » vous punir de votre audace; votre fusil est » faussé , et à l'avenir vous ne pourrez plus tuer » avec, une seule pièce de gibier »! Je ris de cette superstition, et pour mieux leur prouver leur erreur , je tuai devant eux la première tourterelle qui me passa à portée. Je vis tons ces idolâtres intrigués, mais je ne sais quel eflet aura produit sur leur morale cet événement bien fait pour les convaincre de leur erreur. O 2 219 VOYAGES On peut encore juger de la supersution des nègres par ce trail caractérisuque. J’avois chassé toute une matunée dans les mornes du Port-de- Paix, où j'herborisois en même tems pour ajou- ter à ma collecuon des oiseaux, des plantes , et iout ce qui concerne un choix de ce genre. Un noir me guidoit dans ma course incertame , etse chargeoit de tout ce qui devoit être rap- porté à la case. Nous étions au mois d’août, et les productions animales ne pouvant se con- server, je les dessinois pour préparer au plus vite la peau des oiseaux. Mon conducteur ne m’avoit point engore vu à l’ouvrage; je le fis venir pour lui faire reconnoître les oiseaux que javois tué le matin devant lui. Quelle fut sa surprise, de voir dans une attitude vivante, et sur des papiers, des oiseaux qui n’existoient plus! il recula de frayeur, en s’écriant tout enroué : « Ah! bon dieu!!! bon dieu!!! queu » bagage! blanc france ci lala Ii diab” même! » Ce comme li coucher en haut papier » toute” bagage layo! Ah! Don dieu!!! bon » dieu »! Rien de moins surprenant que de voir un homme de ce genre, étonné, à la vue d’un travail qu’il ne peut définir, mais de le voir en- suite refuser de prendre mon verre, et d’y boire du tafia pour lequel un nègre se feroit fouetter ; c'est ce qui surpassa mon attente. D'UN NATURALISTE. 213 Le relêvement de la luette , de la brisquette (r) ;: et quelques chandelles de suif de France, sont les seuls consolateurs des mourans, parmi les noirs non policés. Un homme à l’agonie se dit soulagé de quelque maladie qu'il ait, si on l’en- lève par les cheveux pour la chute de la luette; et c’est pour cette raison qu'en se les faisant couper, les nègres en réservent une touffe au dessus de la fontanelle; si donc on frappe le malade à coups redoublés sur l'estomac pour la brisquette ; si on lui fait cadeau d’une chandelle pour sucer ou s’oindre le corps, on avaler dans les infusions dont ils font usage pour toutes les affecuions de poitrine , 1l se dit guéri. On ne peut rendre la vénérauon qu'ont les nègres pour le suif France , auquel ils attribuent des vertus toutes particulières, etqu’ils regardent comme leur panacée universelle. L'un de nos sujets, un vieux hatuer appelé Zouts, me vantoit un jour toutes les qualités du suif France. I me (1) Les nègres sont fort sujets à la cardialgie, mais ils prétendent que ce mal insupportable provient du dérangement du cartilage xiphoide qu'ils ap- pellent brisquette. Les nègres, ordinairement sobres, deviennent voraces lorsqu'ils tombent malades; d’après leur systême, de beaucoup manger pour ne pas tuié cor à yo de grand goût. De grand goût veut dire de faim. 03 214 VOYAGES ‘. faisoit sa cour par rapport à une caisse de chan- delles qu'il voyoit déballer, Comme elle étoit molle au point de ne pouvoir la faire tenir droite ,il en exaltoit la supériorité sur une bougie que je lui montrois, et que je lui offrois au lieu d’une chandelle. Il la repoussa, en me disant : « Moi, bien connor souif” France myore passé » cila z’Anglais layo, qui vini conyounin moun’ » de avec vié souif à yo qui pas sentir pièce, et » qui dour semblé bâton ». Ce qui veut dire : « Je counois bien que ce n’est pas du suif de » France ; 1l estbien meilleur que celui des LV > Anglais, qui viennent tromper le monde avec » leur vieux suif qui n’a aucune odeur, et qui » est dur comme un bâton ». Ce même hatuier, desséché par l’éusie , refusa de bons alimens que nous lui faisions administrer, demandant en place un morcéau de chandelle, où même de suif coulé. Il préten- doit, appuyant son dire par de vives exclama- uons, qu'en le faisant fondre dans de la soupe, ou du sirop de batterie, cette panacée soutenoit merveillcusement son estomac contre ses foi- blesses. Enfin on ne finiroit pas de raconter ioutes les extravagances que feroit un nègre pour un morceau de suif. On fait à Saint-Domingue un grand usage de jus de citron dans les alimens, comme acide D'UN NATURALISTE. 215 anu-putride, antuiscorbutique et rafraîchissant. Un mulâtre m'en voyant mettre dans tous les mets à mon arrivée, me dit qu'avec ce régime j'aurois beaucoup de bile. II basoit son système absurde sur la couleur jaune du jus de citron. L'empire des noirs ayant expulsé de la colonie, pendant la révolution, une grande parue des blancs qui n’y étoient plus en sûreté, puisqu'on ne pouvoit réclamer l'application des lois qui leur étoient favorables, on fut obligé de confier à des nègres la santé des malades de chaque habi- tation. Je voyois sans cesse un chirurgien noir, à qui nous payions un abonnement pour tous nos sujets, venir faire ses visites. Îl n’y manquoit jamais toutes les fois que l’on tuoit un porc dont on fait grand usage dans ce pays, lors- qu'il est boulli avec des bananes mûres ou non mûres. Îl semble que de sa case 1l entendoit les dermers cris de la victime. On lui avoit donné le nom de chirurgien à rasoir, parce qu’aflublé de sa trousse dans une ceinture de maréchal ferrant , ayant, au lieu de bistouris, de mauvais rasoirs, il s’étoit présenté pour ouvrir le ventre à une femme lente à accoucher. « Qui ca, ca, » disoit-1l, üembé femme ci lala, quitté moi baye » faire, moi va ba-li soru z’enfant c1 làalà ». Il étoit pressé, et vouloit, par cette voie meurtrière, hâter l'accouchement de cette malheureuse négresse 0 4 216 * VOYAGES dont j'eus le bonheur de sauver la vie, ayant renvoyé l’empirique pour la délivrer moi-même. Il estquelques proverbes très-expressifs dans le langage créole ; en voici un quiest de ce nombre. Pour désigner un parleur, et In: reprocher ses verbiages, on lui dit : « Bouche à to1 pas gagné » dimanche». Dimanche en ce cas équivaut au MO repos. Un nègre fainéant veut-1l répondre en même tems à la voix secrète de son indolence, et à celle plus criarde encore de sa gourmandise, il se sert du proverbe suivant : « Moussa gout ; » piler mal ». Ou bien: « Que le moussa est bon ! » mais qu'il est fâcheux d’être obligé d'en piler le » mais ). Lorsqu'un nègre en veut à un autre, s’il est le plus hardi, il va trouver son ennemi; et pour liujunier et le défier, 1l fait claquer ses doigts pour signe de rixe, semblant dire : « Je me » moane cle 1o1 ». Une des grandes menaces qu'on peut citer encore, c'est celle ci; lorsque l'int- miuées! ponssée à son période, que les murmures conmencent, que les mouvemens impatiens augmentent, e: que la fureur échauffe, embrase ces cerveaux naturellement exaltés, l’agresseur crie à son adversaire comme pour le provoquer à lilmtie : « N'a pas taqué moué!... n’a pas taqué « moué... z'affaire à toué, si toué capon, prends D'UN NATURALISTE, a17 » garde! moué va casser boudin toué ». Ce qui veut dire : « Ne m’échauffe point, ne m'ataque » point, et si tu es capon, tremble! prends garde » de m'irriter davantage, ou je te crève le » ventre ». Je voyageois de Saint-Marc au Port-au-Prince avec le gérant de l’habitation, qui y étoit de- mandé pour des questions relatives à notre levée de séquestre, et pendant les trente lieues de dis- tance on apercoit toujours, en côtoyant le rivage de la mer, la montagne de la Gonave qui se trouve et forme une île au milieu du canal du Port-au-Prince. «Jean-Louis, lui disois-je, » aimerois-tu vivre à Ja Gonave? tu y aurois » du gibier, du poisson en quantité, et tu serots » maître absolu dans cet endroit inhabité. » Paix bouche à vous, me répondl, moué pas » v’lé allé là : qui çà mon capal” faire? qui? » Gonave «1 là? Gonave ci lala bagage après » suiv’ moun dd’ hayo marchant sus l’eau tant » com” monde ». Îl croyoit que la montagne changeoit de place comme nous! Lorsqu'un nègre créole veut parler de la femelle du coq, 1l l'appelle maman poule : « Vla n'iouw’ maman poule qui grasse oui » ! Ou « Voilà une poule bien grasse » ! Le mâle de latruie, papa cochon : « Papa cochon ci Jalà > li bon pour yo saigné li ». Ou « Il est tems 218 VOYAGES » de tuer ce cochon ». On dit aussi : Papa bœuf, maman bœuf, maman seringue , etc.. A l’époque de l'anarchie oùles blancsn’avoient aucune autorité, et où leur plus pure intenuon étoit souvent même mal interprétée , 1l s’éleva une dispute entre deux de nos nègres au sujet d’un cheval volé par l’un d’eux. Ils vinrent réclamer justice auprés de nous; mais, nous gardant bien d'émettre notre opinion, nous envoyämes chercher le capitaine de gendarmerie qui, nègre comme eux, prononca sur-le-champ en faveur de celui qui pouvoit le récompenser de son zèle. Le pauvre condamné fut aussitôt maltraité, hé et garrotté sur un cheval, pour être conduit en prison ; mais je ne pus m'empêcher de rire du dialogue suivant entre le gendarme et Aza , nègre jugé coupable ; le voict : Aza. Ah ca frère, n’a pas’marrer moué si fort donc ! Le GENDARME. Si frère (1). Az4. Mon pas voleur pourtant. Le GEnparme. Si frère. AzA. Mon pas capab’ marché sans sabre tienn” à moué. . (1Y On sait que les nègres s'appellent frères et sœurs Lorsqu'ils ont la méme marraine, qu'ils révèrent autant que leur mère, : * s D'UN NATURALISTE. 219 Le Gexparme. Si frère. AzA. Mon pas capab” monté en haut cheval ci lala. LE cexparue. Si frère. AzA. ( Frappant du pied , pleurant et s’ar- rachant les cheveux.) Moué pas capab” m'y uembé. | | LE GENDARME. Si frère. | AzA. (Plus résolu.) Et jupe à commère à moué; baye moué:.li pour couvrir moué... haï!.. haïl.... haï! vous ’marrez trop fort. Du courage, Toquaille, lui crioit le gérant Jean-Louis Aza, qui portont le même nom. On monta Ie pauvre patent sur le cheval , et on lui lia les pieds par dessous le ventre de l'animal; mais 1} paroît qu'il étoit maître fripon, et exercé dans la janglerie, puisque , maluré les entraves, nous apprimes qu'il s’échappa. Une négresse âgée, infirme, ayant le corps couvert de pians (1), alloit la tête nue, vêtue seu- lement d’un tanga en lambeaux, chercher dans le jardin un peu d'herbe pour en faire un calalou, la seule nourriture que ses facultés lui permettoient de prendre, lorsqu'on vint lui annoncer l’arrivée de son fils , guide de Toussaint-Louverture , et resté au service depuis plusieurs années. Marie (1) Ulères vénériens. 220 VOYAGES » Noël sentant ses forces se ranimer au nom du seul enfant qui lui restoit, hâtoit ses pas chan- celans, dans l'espoir de retrouver un soutien dont l'absence étoit l'unique cause de sa détresse ; quelle fut sa surprise quand ce fils dénaturé environné de tous les nègres de l'habitation qui étoient joyeux de le revoir , apercevant sa mère nue ou couverte de lambeaux, et dans l’état de misère le plus complet , feigmit de ne plus la reconnoître, et la repoussa avec horreur, en disant que cette vieille zombie vouloit le tromper, qu'il n’avoit jamais été son fils, qu'il rougiroit de lui appartenir ; qu’à son départ il avoit à la vérité laissé sa mère infirme, nrais qu’elle possédoit un mobilier auquel il n'étoit point disposé à renoncer! Qu'on se peigne l'état désesperé de cette pauvre mère, répudiée par son fils , avec menaces, coups et invectuives ; se roulant, mordant la terre où elle vouloit entrer ; elle appeloit la mort à son secours, lorsque nous Papercümes , et la fimes venir à la case. Dès ce jour elle fut mise sous notre protection spéciale, et nourrie des restes de la table. Elle étoit tellement décharnée qu’on eût pu pendre son squelette d’après nature. Le procédé du fils m'ayant donné la plus mauvaise opinion de ses principes, j'en écrivis à Toussaint-Louverture, qui rappela ce fils iugrat à son corps, et le fit punir. F D'UN NATURALISTE. or Je frémis au souvenir des imprécations qu’un mulätre guide de Toussaint, appelé Hazulime, prononca sur la fosse de sa mère, en la menacant de jeter au vent ses dépouilles mortelles, si sous peu il n’avoit point d'enfant. Victimes de l’anarchie, comme tous les blancs, nos contrariétés se renouveloient cha- que jour sur notre propre habitation, au point que nos culuvateurs, jaloux de nous voir tran- quilles, déhouaclèrent (1) le parc où l’on mettoit jeûner nos veaux , afin de leur fournir les moyens de rejoindre leurs mères , et deteter le lait sur lequel nous comptions pour notre existence. Une autre fois, afin d’exciter la vengeance des têtes déjà trop exalices, quelques mal-inten- üonnés coupérent les licous des mulets liés à un poteau , et destinés à charrier le coton. Ce projet tendoit à les laisser égarer dans les jardins des culüvateurs , afin qu’ils en mangeassent les pro- ductions. Enfin, sur notre propriété, nous éuons moins maîtres que le dernier des esclaves dont nous ne pouvions retirer ni services, ni vivres. Un nègre maquignon, ne pouvant dompter un cheval peautre , avoit attaché à sa queue son chien fidèle qui volugeoit impitoyablement au nes L] (:) Terme du pays, qui veut dire démembrer. 2929 VOYAGES gré de la course irrégulière du quadrupède, lui lançant des ruades dont le chien fut tout écloppé. La course finie, ce nègre cruel détacha son chien, dont la première démarche fut de se traîner aux pieds de son maître pour y chercher encore sa main Caressante, oubliant son injustice et sa cruauté qui venoient de le livrer à un si affreux supplice! Enfin on voyoit parmi les nègres créoles, dont l’immoralité est poussée au dernier point, et dont les principes sont incomparablement plus corrompus que ceux des Africains ; on voyoit, dis-je, des pères prosutuer leurs filles pour une somme très-modique, et leurs mères trafiquer de leur virginité. Un mulâtre de la même habitation, qui se vantoit d’avoir versé le sang des blancs avec autant de plaisir et de sang-froid que celui des animaux ,.prit, afin de se retracer ses forfaits, une brebis qu’il ouvrit, ou plutôt qu'il déchira vivante, pour en arracher en riant les viscères palpitans!!! Je revenois un soir d’un beau verger de l’ha- bitauon , où sur le bord dé la rivière limpide de l’'Ester je m’étois assis à l’ombre d’épais bam- bous, pour y éplucher, peler et savourer l'orange , la goy ave , la sapotille et Le corrosol qui enrichissent cette plantation , lorsque je D'UN NATURALISTE. 223 surpris deux négrillons se livrant en cachette à leur odieuse méchanceté. L'un d’eux, après avoir cassé la patte d’un chien qu'il avoit pris à l’éperlin , l’avoit amarré afin de mieux le battre à son aise, en l’écrasant entre deux planches. L'autre , non moins cruel , retiroit par la jambe un chevreau du tetin de sa mére, afin de Île faire languir et crier. Quelle dépravation de mœurs! quelle perspective pour leur vie future ! Je les fis marcher devant moi tous les deux, et je les conduisis à leur mère qui , après les repré- sentations convenables, leur infligea la plus dure puniuon , en les privant du moussa et du tum- tum (mélange de bananes mûres et de patates bouillies et pilées au mortier) qu’elle distribua devant les fautifs à ses autres enfans. La nourrice de ma belle-mére, étant sur le point de mourir, demanda dans son agomie lente et douloureuse une goutte de tafia pour rincer sa bouche; ses enfans lui refusérent en Paccablantd’injures :elle mourntuneheureaprés. Aussitôt, pour sausfaire aux coutumes du pays, ces mêmes enfans s’arrachoient les cheveux , pleu- roient avec sanglots, tellement qu’au bout de six heures de cette douleur feinte, ils étoient enroués. Voici la coutume satisfaite. Maintenar 1l fallut préparer la dernière demeure à ce corps déjà putréfié ; aucun des parens ne voulut 224 VOYAGES pourvoir aux préparatifs, et sans linceul , sans cercueil, ellealloitcorrompre l’air de sa demeure, lorsque nous l'envoyàmes ensevelir , et porter en terre par les nègres de la grande case, dans un cercueil qui lui fut préparé. On rassembla, comme il est d'usage, quelques enfans pour précéder le corps, et dout l’un d’eux portoit une croix de bois faite sur-le-champ avec une branche d'arbre quelconque. Les parens immoraux et dénaturés, qui d'abord s’étoient reurés , repa- rurent tous pour le fesuin du calenda et la danse funéraire. Nous fûmes forcés de tolérer ce ras- semblement, dont le composé nous révolta ; les blancs à cette époque (1802) n’ayant plus de pouvoir sur leurs nègres, nous nous condam- nâmes au silence. Les Guinéens s’entre-aident dans l’infortune, mais les nègres créoles sont plus égoïstes, et la plupart sans charité. Un de nos sujets, nommé Léon, lépreux depuis long-tems (ne pouvant être retenu à linfirmerie, puisque l'empire des noirs les avoit abolies sur les habitations) vivoit avant notre arrivée, à la merci de tous les cultivatenrs de l'habitation, Jorsque tous ses bienfaiteurs, d'un commun accord, le chassérent ignominieusement tontes les fois qu’il venoit réclamer de quoi alerter son corps impotent. Îl maigrissoit à vue d’uil, faute D'UN NATURALISTE, 32 faute de secours, eteût infailliblement succombé à sa misère sans notre arrivée. La reconnoissance d’un Dieu, voilà la base des vertus sociales ; un athée, sil peut en exister , est-1l un être moral?! ! Sans n’étendre sur un sujet si délicat à traiter, je rapporterai seulement que l’impiété qui existe parmni les nègres depuis la révolution, a été la cause de désordres , de malheurs rénérés ;et de forfaits inouis. Toussaint-Louverture, croyant devoir rappeler les nègres à leur devoir, avoit ordonné sur chaque habitation une priére du soir. C’est à celle époque que nos nègrés divisés par les Opinions élevérent un schisme entr'eux. Ils rioient les uns des autres dans les cérémonies pieuses, jusque-là que de mauvaises, mères disoient à leurs enfans de ne pas prier Dieu, puisqu'il ne les empêchoit pas de mourir ! Chaque habitauon dans les colonies renferme an local destiné à recevoir les nègres défunts. Le cimetière de l'Étable étoit loin du tumulte de notre peuplade. Dans une enceinte protégée par des cardasses , raquettes , pingoins, divers aloës et autres plantes épineuses qui en interdisent l'entrée aux animaux ; dans ce heu paisible, témoin seulement des plaintufs accens de For- tolan, poursuivant toujours sa compagne, ou du roucoulement mélancolique du iourtereau Tone LL, P 226 VOYAGES rappelant près de lui sa tendre moitié, reposoient les dépouilles de tous ces malheureux. Rarement un bon fils y alloit pleurer sur l’auteur de ses jours : plus souvent on y vit avec horreur un être barbare, guide de Toussaint-Louverture, insulter aux manes de sa mére, morte pendant son absence; blasphémer contr’elle, de ce qu’il n’avoit trouvé aucun argent pour lui à son retour ; l'appeler par mépris négresse gros’ peau , parce qu’elle étoit originaire de Guinée , et par conséquent moins délicate que lui, qui se donnoit, ainsi qu’à tous les nègres créoles, le nom de nègres peau fin. De Îà une division , et des rixes sur l'habitation. Ce fils pervers poussa l'infamie jusqu'a vouloir déterrer sa mère avec son sabre pour abandonner ses dépouilles à la voracité des caimans qui avoient près de là leur repaire , et qui se nourrissent volontuers de chair corrompue. , Je côtoyois un jour ce cimeuère avec mon do- mestique , lorsque j'apercus un petit scops, espèce de chat-huant, placé près d’une fosse, sur le bord d’un trou creusé par lui-même, et où il avoit établi sa demeure. Familier au point de le prendre à la main, je me mettois à même de l'ajouter à ma collection. Déjà je couchois mon fusil en joue, lorsque Nicolas mon nègre s’écria : « Haï! » maitr” à moi, qui ca vous va faire ? oiseau D'UN NATURALISTE. 227 » ci làlà n’a pas gagné malice pièce, li gardé » toutes camarade’ à nous ; gueltéz comm ca h » faire à vous coucout » ! Ce qui veut dire : « Ah! mon maître, qu’allez-vous faire? cet » oiseau n’est pas méchant, il veille auprès de » tous nos frères; voyez comme il vous fait la » révérence»! En effet, dès que l’on passe auprès de ces oiseaux qu’on trouve toujours au guet aux deux flancs de leur trou, ils poussent un peut cri en faisant à chaque fois une révérence, et se tournant à mesure que l’objet animé s’éloigne d’eux ; mais cette révérence qu'on attribue au bon accueil de ces oiseaux , est un mouvêment dû à l'inquiétude qu’ils ont de voir quelqu’étranger autour d’eux. La passion des calendas est si im- périeuse parmi les nègres que les parens de l’ago- nisant, dans l’impauence de se livrer à la danse dès qu'il expire, lui disent tous ordinairement : « Papa! qui ça ca? pourquoi vous pas parür » pour l’aut moun'de, quoi ca vous tendez ? » Boun’ Dieu, bezouin vous; faut pas boucher » chemin à z’autres, partez pour mettre tambour » déhors ». Ce qui veut dire : « Papa! comment » cela? pourquoi ne vous décidez-vous pas » à mourir, qu’attendez-vous donc? le bon » Dieu a besoin de vous ; en restant sur terre, » vous empêchez à un enfant de naître; mourez P 2 228 VOYAGES » donc bien vite, afin que nous puissions mettre » le tambour dehors ». Selonles nègres, dit M. Moreau-de-Saint-Méry, Dieu fit l’homme , et le fit blanc : le diable qui lépioit, fit un êire tout pareil; mais le diable le trouva noir lorsqu'il fut achevé, par un chà- ment de Dieu qui ne vouloit pas que son ouvrage fût confondu avec celui de lPesprit malin. Celui-ci fut tellement irrité de cette diffé- rence, qu'il donna un soufflet à la copie, et la fit tomber sur la face, ce qui lui QE le nez et lui fit gonfler les Ten D'autres nègres moins ol disent que le premier homme sorut noir des mains du Créateur, et que le blanc n’est qu'un nègre dont la couleur est dégénérée. Selon MT Moreau de St.-Méry, on reconnoît parmi les nègres d'Afrique qu’on débarque à Saint-Donungue , Des Angouas: Des Créoles ; Aoussas ; De la côte des Dents; Aradas; De la côte des Esclaves ; Bambaras: Des Graines ou de Bissagots ; Malaguette ; Blancs ou Albinoss De la côte d'Or; von Bouriquis ; De Madagascar ; Cangas ; Du Benin; Caplaous ; Cap Vert; Congos ; Galbar ; Cotocolis ; Monomotapà ; D'UN NATURALISTE, Des Fantins; Foëdas ; Fonds ; 229 Des Mokos ; Foules, Poules ou Poulardes Ibos ; Mais ; Mandingues Mayombès ; Mines ; Misérables ; 5 oO 2 Mondonoues ; Mousambès ; Mozambiques ; Nagos; Ouaires ; Popos ; Quiambas ; Sénégalais ; Socos ; Yoloffes. Je crois pouvoir intéresser le lecteur en lui faisant aussi connoître , d’après le même auteur, le résultat de toutes les nuances produites par les diverses combinaisons du mélange des blancs avec les nègres , et des nègres avec les caraïbes, ou sauvages ou indiens occidentaux , et avec les indiens orientau Xe Le Combinaisons du Blanc. D'un blanc et d’une négresse vient un mulâtre. mulâtresse , quarteronnée , métisse, mamelouque , quarteronnée, sang mêlé, maraboue, griffonne , sacatra , quarleron. métis. mamelouck. quarteronné. sang mélé. sang mêlé qui ap- proche du blanc, quarteron, idem. idem. OR 230 VOYAGES BE, Combinaisons du nègre. D'un nègre et d’une blanche vient un mulitre. sang mêlé, idem. quarteronnée, zdem. ' mamelouque, idem. mélisse , idem. quarteronnée, : marabou. mulâtresse , griffe. maraboue, idem. griffonne , sacatra. sacalra , idem. ÉLE Combinaisons du mulätre. D'un mulôtre et d’une blanche vient un quarteron. sang mêlé, idem. quarteronnée , idem. mamelouque , idem. D'un mulatre et d’une métisse, idem. quarteronnée , idem. maraboue, mulitre. griffonne, marabou. sacalra , idem. négresse, griffe. IV. . + Combinaisons du quarteron. D'un quarteron et d’une blanche vient un métis. sang mélé, idem. quarteronnée , idem. mamelouque , idem. métisse , idem. mulätresse , qu'rleron. maraboue, zdem. D'UN NATURALISTE. 291 D'un quarteron et d'une griffonne vient un mulâtre, sacatra , idem. négresse , marabou. L £ Combinaisons du métis. D'un métis et d'une blanche vient un mamelouck. sang mêlé, idem. quarteronnée , idem. mamelouque, idem. quarteronnée , métis. mulatresse , quarleron, maraboue , idem. griffonne, idem. sacatra, . mulâtre, négresse, idem. VI. Combinaisons du mamelouck. D'un mamelouck ei d’une blanche vient un quarteronné, sang mêlé, idem. quarteronnée, dem. D'un mamelouck et d’une métisse vient un mamelouck. quarteronuée, métis. mulätresse , quarteron. maraboue , idem. griffonne, idern. sacatra mulatre. négresse , idem. VII. Combinaisons du quarteronne. D'un quarteronné et d'une blanche vient uu sang mêlé. sang mélé , dem. RÉ cbieies quarteronné. P 4 VOYAGES D'un quarteronné et d'une métisse vient un mamelouck. quarteronnée, métis. mulâtresse , maruboue, griffonne, sacatra , névresse , VIIT. D'un sang mélé et d'une blanche vient quarleronnée, mamelouque , métisse , quarteronnée, mulatresse , maraboue, griffonne , sacatra , négresse , IX, Combinaisons du sacatra. D'un sacatra et d’une blanche vient sang mêlé, quarteronnée , mamelouque , métisse , quarteronnée, mulatresse , maraboue , griffonne, négresse , quarteron. idem. idem. mulâtre. idem. Combinaisons du sang mélé. un sang mêlé. idem. quarleronné. mamelouck. métis. quarteron. idem. idem. idem. mulatre. un quarleron. idem. mulitre. idem. idem. idem. marabou. griffe. idem. sacatra. D'UN NATURALISTE. 2 ».e Combinaisons du griffe. (es [Se D'un criffe et d'une blanche vient un quarteron. sang mêlé, idem. quarteronnée , idem. mamelouque , idem. métisse , idem. quarteronnée, mulitre. mulalresse, marabou. maraboue, idem. sacatra , griffe. ” négresse , sacatra. Len à . Combinaisons du marabou. D'un marabou et d’une blanche vient un quarteron, sang mêlé, idem. quarteronnée , idem. mamelouque , zdem. mélisse, idem. quarteronnée, idem. mulâtresse , mulâtre. griffonne, marabou. sacatra , griffe. négresse , idem. XII. Combinaison des sauvages et caraïbes de l'Amérique, ou indiens occidentaux. Comme leur nuance est celle du mulâtre, leurs com- binaisons ont exactement les mêmes résultats, excepté que les cheveux sont moins crépus dans les combinai- sons qui approchent du nègre, à partir du mulâtre, 234 VOYAGES, etc. et qu'ils sont plus longs et plus droits dans les com- binaisons qui partent du mulâtre pour aller vers le blanc. XIIL Combinaisons des indiens orientaux. Leur nuance étant celle du griffe, les combinai- sons qui résultent de leur mélange peuvent être com- parées à celles du sacatra. Mais les cheveux de ces Indiens étant longs et plats, tant que ce caractère des cheveux est remarquable dans les combinaisons, on les appelle indistinctement zingres; et quand les cheveux deviennent laineux , ils sont confondus avec les autres combinaisons du griffe, auxquelles ils ressemblent le plus. Rs Ve Je vivois tranquille à Saint-Domingue, et je ny livrois à mes goûts constans sur l'Histoire naturelle, lorsqu'un autre orage politique vint gronder, et embraser de nouveau les quatre parues de la colonie, Les événemens que cette insurrecuon funeste fit développer, +22t trop majeurs pour en soustraire la relation que J'ai d’ailleurs promise. La premiére parue du mé- moire suivant est destinée à servir d’introductuon aux deux autres, dans lesquelles le politique impartial apprendra à juger une couleur en faveur de laquelle une foible piué fit long-tems balancer l’incerutude d’un jugement qui ne doit plus tre équivoque. DÉTAILS DE MA CAPTIVITÉ PAR QUARANTE MILLE NÈGRES, Contenant des Anecdotes secrètes sur les règnes DE TOUSSAINT-LOUVERTURE ET DESSALINES, Chefs des Nègres révoltés à Saint-Domingue ; Pour servir à l’histoire de la révolution de ce pays. RDS ee D SR SL RE RL LU D DS AVANT-PROPOS. Au! ne me reportez plus sur une scène sanglante, ai-je dit bien des fois aux amis qui m'ont sollicité de publier les détails de ma captivité!!! Ne me re- tracez plus des horreurs monstrueuses dont le souvenir est affligeant autant qu'il est pénible? Le public, à qui ce précis es comme annoncé par les journaux des 22 et 23 fructidor an x, vous en saura gré, m'ont-ils répondu. C’est donc dans l'intention de lui être agréable que j'ai broyé des couleurs sombres pour nuer mon tableau de son véritable coloris. J'ai circonstancié dans la première partie, les principaux événements de la vie de Toussaint-Louverture et de Dessalines pendant les six années de mon séjour à Saint Domingue, puisque, plus que per- sonne, J’étois à même d'observer ces deux principaux chefs, par le caractère indépendant attaché à mes fonctions de voyageur naturaliste. Dans la seconde partie, j’airetracé des scènes atroces dont j'ai été le témoin forcé. 238 AVANT-PROPOS. Enfin dans la troisième, qui est très- précise, je nrécarte de ce théâtre san- glant, pour exposer quelques particula- rités qu’on ne me saura peut- être pas mauvais gré d’avoir développées. Ces faits marqués au coin d’une vérité pure, donneront à connoître le génie actuel des noirs, et la ténacité de leur principes pour une indépendance entière et absolue. Et toi, 0 monpère , quel cœur est plus digne que le tien de lire avec attendris- sement au livre de ma vie ! Le sentiment de la Nature que tu possèdes dans toute sa pureté, m'est un sûr garant qu’en pen- sant aux dangers que j’ai courus, ton ame sensible s Te vers ce Dieu tout-puis- sant qui, en me conservant l’existence au milieu d’assassins inexorables, a su faire triompher du crime , et l’amour paternel et la piété filiale. Que de graces à rendre au Protecteur invisible de mes jours mal- heureux > puisque, sans sa Main tutélaire, tu n’aurois plus de fils, et que j’ai encore un pére! EMPIRE ARBITRAIRE DES NOIRS, Avant l'arrivée du Capitaine - Général LECLERC. PREMIÈRE PARTIE. Pres n'avoir point à peindre un chimat fortuné dont les innocens et paisibles habitans concourent mutuellement à leur bonheur com- mun ?..! Pourquoi n'avoir point à décrire des sites embeliis par les dors prodigues et sans cesse renaissans de linfauigable Nature?..! Pourquoi ne rencontrer que des monceaux de cendres, eu des ossemens dispersés ?..! Pourquoi ne signaler que des fronts ridés ou noircis de fumée , des yeux ou ruisselans de larmes, ou cuncelans de rage et de désespoir ?..! Pourquoi enfin heurter en tous lieux le crime, et le voir régner impitoyablement au milieu de ses cohortes sanguinaires et'tumultueuses ?..! Pour- quoi?..! L'ile de Saint-Domingue sourdement consumée par un volcan assoupi, prêt à vomir de nouveau la désolation et la mort, étoit à mon arrivée en l’an vu (1798) l'espoir de tous ses LL] 240 VOYAGES babitans qui , comme les abeilles , arrivoient de toules parts pour concourir au rétablissement d’une colonie naguëres si florissante. Toussaint-Louverture y régnoit alors en souverain dominateur. À deux mille lieues de la métropole, comme 1l le dit cent fois , 1l lui étoit sans doute fort facile de donner des lois, de les révoquer; de condamner, d’absourdre; d’être soumis on révolté, d'approuver ou de réprou- ver, de punir ou de pardonner. Aussi c’est rassasié de ces pensées flatteuses, jaloux de sa suprématie , comptant sur une souveraineté à jamais récusable , qu’il me recut fort mal pour être porteur de lettres de recommandation des principales autorités d'Europe. Elles servirent, comme pour mon malheur, je l’éprouvai trop Jong-tems ! à développer en lui de jaloux soup- cons, à concentrer plus tard un ressentiment injuste , enfin à déclarer un coup de foudre que le Ciel seul a pu détourner en m’enlevant à ses coupables projets. « Qu’ai-je besoin, me ditil alors, de ces » lettres en votre faveur ; la France peut-elle » voir d'où elle est, ce que je fais 1c1 ? Ne suis-je » point maître de mon autorité ?...... libre » dispensateur de ma protection ?..! Allez... » allez... à l’Arubomite, je parlerai pour » vous à M, Roume ». D'UN NATURALISTE. a4i Interdit par cette première réception , je crus devoir sur-le-champ en donner avis à l’agent du gouvernement, M. Roume , qui venoit de remplacer le général Hédouville , avec lequel je m'étois croisé à la hauteur de Madère. M. Roume me recut convenablement aux dispositions de mes dépêches, et m’imvita à diner à son gouvernement. C’est à ce repas qu'après s'être long-tems entretenu avec moi des arts et de l’histoire naturelle , il m’engagea à remplir une tâche qu'une société n’avoit pu poursuivre , à travailler à la description anato- mique du caïman de Saint-Domingue, qu’on demandoit de France. Honoré de la confiance qu'il me témoigna , je lui promis de remplir avec vérité et scrupuleuse exacutude les fonc- üuons dont 1l vouloit bien me revêtir. J’ai eu la satisfaction de lui tenir parole. Cette entrevue choqua le jaloux et envieux Toussaint-Louverture , qui, me rencontrant le lendemain au sorur de l’agence, me reprocha vivement de n’être point parti pour l’Arubonite, comme j avois paru en avoir le projet; et sus- pendant sa visite, il me ramena à son gouver- nement où cette fois il me combla de preuves feintes d’affecuon, me retint à dîner, et me forçca d'accepter de sa main une nouvelle com- mission, en me disant que la signature du papa Tour IL, 2/Â2 VOYAGES Toussaint étoit connue par-tout, et que je voyagerois avec plus de sûretéet plusd’agrément. Jusque-là ce chefambitieux ne faisoitquerivaliser le pouvoir de lagent Roume ; mais voulant prévaloir sur ce dermer, et faire plus gran- dement les choses, il m’autorisa à disposer de quatre guides dragons toutes les fois que j'en aurois besoin pour mes voyages. L'ordre à ce sujet fut envoyé à tous les commandans mili- taires : moyen ingénieux de s’assurer de ma religion. , Je n’étois point encore arrivé à l’Arubonite, qu'un courrier de Toussaint-Louverture n’y avoit devancé, pour indisposer sourdement contre moi le commandant de l’arrondissement, un nommé Titus d’'Hanache , nègre im- trigant et scélérat, qui date dans les annales de mon séjour à Saint-Donungue. . Fidèle observateur des ordres de son tyran, Titus s’en rendit avec délices le scrupuleux exécuteur, C’est pourquoi il établit sur nous un pouvoir despotique dont les effets oppresseurs tendoient à nous décourager. Envieax du fermage de nos habitauons, il nous prêta des propos contre Toussaint-Louverture , d’après l'examen desquels il espéroit au moins produire notre déportation. Titus nous fit voler sans resuituuon les ani- D'UN NATURALISTE, 243 maux de nos haras , échappés aux précédentes dévastations par leur invalidité passagere ; il nous fit vexer par nos propres sujets, tourmenter par des esclaves qui refusoient hautement de nous obéir , jusque-là que possesseurs encore de sept cent cinquante-trois nègres , nous étions obligés de nous servir nous-mêmes, tandis qu’im- purément, et contre notre gré, ce chef audacieux en disposoit habituellement. Toussaint- Louverture indisposa également contre nous les administrateurs des domaines qui, sous des prétextes avantageux pour le gouvernement, retenoient le prix des fermages qui nous étoient accordés, et usurpant nos droits , nous asservissoient à d’impérieux besoins. C’est ainsi qu’on violoit en ces lieux la foi promise aux propriétaires et aux propriétés. Les gendarmes noirs chargés de lexécuuon de ces dispositions favorables, refusoient de sévir contre leurs amis ou ceux de leurs connois- sances, à plus forte raison contrée leurs parens ou compères, par un engagement sacré qui les unit inséparablement. C’est pourquoi lors d’un délit, la patrouille s’esquivoit et protégeoit par cette tolérance une dangereuse impunité. Il falloit souffrir sans se plaindre, à cette époque où les blancs considéroient peu les sacrifices qu'ils O 2 244 VOYAGES étoient obligés de faire pour mettre leur vie en sûreté. Lesculuvateurs forts de l’appuide Titus, rioient de notre impuissance, afectoient de nous voler, sans chercher à se dérober à nos regards; et accoutumés dans ce vice, enhardis par des chefs perturbateurs , la flamme , le fer et le poison étoient successivement tentés pour nous exclure de la scène du Monde, Maïtres de nos biens, sans en pouvoir dis- poser , et ie meilleur terrain ayant été divisé aux culuvateurs insolens et ingrats, nous essuyions d'eux le refus de plantes légumineuses sur les- quelles nous avions tout droit de prétendre, mais dont Pinjustice nous privoit. Nos ressources étoient modiques, les fondés de pouvoirs ne touchoient rien , et le gouvernement s’étoit réservé le droit de palper les revenus, à la charge de faire passer en Europe, aux proprié- taires, des mandats de pareilles sommes percues. Enfin nos persécutions étoient poussées à un tel point sur lhabitauon, que notre asile fut souvent violé pendant la nuit, jusqu’à être obligé de faire feu de la chambre même de mon repos; que les torches furent nnses plusieurs fois à notre case; que le canot de passage fut chaviré par des plongeurs soudoyés pour attenter à ma vie; que des embuscades furent postées, el que j’en D'UN NATURALISTE. 245 j'essuyai sans accident le feu à plusieurs reprises ; que nos vaches laiières, destinées à lapprovi- sionnement de la maison, furent tuées etenlevées à force ouverte; que les parcs furent démembrés, nos voitures et cabriolets dérobés par autorité supérieure; que nos chevaux furent lächés dans _les jardins de réserve accordés aux culuvateurs, afin de les exciter contre nous, et de pouvoir nous impuiter les dommages involontaires causés à leurs fourrages ; persécutions dans lesquelles nous eûmes la douleur de voir nos fidèles sujets maltraités , etleurs ennemis triomphans ; que nos chevaux de selle furent ou estropiés dans les savannes , Où empoisonnés à la maison; que nos vergers furent pillés, les arbres fracassés, et les fruits nous en furent refusés; que d’indécens calendas furent affectés lors de nos maladies occa- sionnées par le poison de nos nègres ; enfin que nous fimes souillés par la bouche calomnieuse de limposteur Titus. Je fis un second voyage au Cap, où j'eus oc- casion d'étudier plus à mon aise le caractere bien politique du vieux Africain, ainsi que sa pénétration littéraire. Je lui vis en peu de mots exposer verbalement le sommaire de ses adresses, rétorquer les phrases mal conçues , mal saisies ; faire face à plusieurs secrétaires qui alternative- ment présentoient leur rédaction; en faire re- ve = 246 VOYAGES trancher les périodes sans effets; transposer des membres pour les mieux placer ; enfin se rendre digne du génie naturel annoncé par Rainal, dontil révéroit lamémoire ,en l’honorant comme son précurseur. Le buste de cet auteur étoit respectueusement conservé dans chacun des cabinets particuliers attachés aux diverses résidences de cet Africain présomptueux. Quant à sa vie privée, Toussamnt-Louverture étoit sobre, peut-être par méfiance : il ne buvoit qu'aux fontaines escarpées, dans une feuille de bananier que lui seul coupoit de la uge; ou bien à la ville, des mains de personnes affidées qui répondoient sur leur tête du moindre déran- gement de son estomac, et de la plus légère colique qu'il n’eût pas manqué de croire oc- casionnée par un breuvage empoisonné. L'eau étoit sa seule boisson; jamais aucune liqueur enivrante n’aliéra sa raison. C'est pourquoi, le plus ordinairement , 1l choisissoit pour sa nourriture des mets entiers, non susceptübles d’être drogués, comme fruits , œufs, bananes sans être épluchées. Il étoit singulier, lors de grands repas, de le voir au premier service peler une orange où un avocat, et trés-rare de le voir transgresser Ja rigidité de son régime, en man- geant une demi-douzaine de biscuits encaissés, ou de macarons faits sous ses yeux, ou par les femmes revêiues de sa rare confiance. D'UN NATURALISTE, 247 La cour de Toussaint-Louverture étoit bril- lante : il gardoit à l'égard de ses semblables, adjudans-généraux et généraux , la retenue al- üère, le silence imposant, dus à l'importance du caractère qu’il représentoit. Nul employé n’étoit introduit sans être décoré de son uniforme. Il falloit lui parler avec sou- mission , et surtout beaucoup de circonspection. Mais il existoit parmi lesofficiers noirs quelques caricatures pour parure affectée et maintien emprunté. J'ai vu, dans ce voyage, l'original Gingembre-Trop-Fort, homme de basse sta- ture, mais de beaucoup de prétention : c’étoit un colosse de quatre pieds huit pouces de hau- teur, qui pourtant se croyoit intrépide et redou- table. Son sabre , large comme la moitié de son corps, étoit insoulevable, et faisoit plus de bruit que d’exploits : son chapeau avoit de rebord la moitié de sa taille, On le montoit à cheval comme un mannequin. Ses bottes étoient armées d’éperons dont les flèches étoient si longues, qu’elles eussent pu servir de juchoir-à plusieurs poules. Barbouil- lant le français, cet homme épris de l’art mili- taire étoit toujours habillé avec des marques de disincuon. Ses deux chaînes de montres qui lui descendoient jusqu’aux genoux, volugcoient dans sa marche, et servoient à lui chasser les Q 4 248 VOYAGES mouches. Ses boucles d'oreilles, par leur masse et leur pesanteur , avoient entièrement défiguré cette partie. Les selles de velours à franges d’or n'étant point assez moëlleuses pour lui, 1l avoit l'impudence, quoique montant un cheval d’al- lure, d’être assis sur un gros oreiller. Voilà pour le haut parage. D’autres officiers , ayant le cou embarrassé de cravates à écrouelles, ne laissoient à découvert de leur figure écrasée que deux gros yeux saillans. Poudrés à blanc par derrière , et sans poudre par devant, 1ls évitcient par là les contrastes dans les- quels la teinte mixte de leur peau n’eût pas brillé, Tous leurs doigts surchargés de bagues ma- térielles, étoient gonflés par défaut de circula- uon. Les simples officiers, moins éclairés et moins répandus dansle grand monde, poussoient plus loin le ridicule : ils portoient des boucles d'oreilles à femme. Si Toussant-Louverture redoutoit l'obscurité d’un appartement, il avoit soin aussi, par le même esprit de méfiance , de ne point se trouver près d’une lumière pour donner prise à quel- qu’ennemi du dehors, qu'il croyoit toujours prêt à faire feu sur lui:: c’est pourquoi il se tenoit conünuellement dans le coin le moins éclairé, et hors de la portée des fenêtres ou des portes. D'UN NATURALISTE 249 Il manquoit rarement d'assister à la messe, et s’occupoit , dans chaque endroit, des plus peuis détails préparatoires. Il alloit lui-même à la sacrisie, questionnoit tous les officians, leur faisoit une courte morale, puis 1l retournoit sur son siége d'honneur. Là, ses aides de camp favoris, chanteurs de cantiques pour Jui com- plaire, enlevoient ses armes pesanies, lui ôtoient son mouchoir de tête, qu'il ne découvroit qu’à l’église ou pour des cérémonies extraordinaires, et lui présentoient un livre dont il n’interrom- poit la lecture que lorsque le sacrifice étoit achevé. | Souvent s’immiscant aux foncuons du sacer- doce , il commentoit le sermon du curé, haran- guoit le peuple et ses soldats. Il préchoit une morale qu'il étoit bien éloigné de suivre. Il tonnoit contre les célibataires qui vivent en concubinage , comme :l est d’usage dans le pays; ordonnoit le mariage, et menacoit de punitions exemplaires les violateurs de ces ser- miens sacrés. Cependant, autant en emportoit le vent, püusqu’à la fin de chaque office 1l donnoit en particulier ses audiences de faveur aux dames, les portés fermées et tête à tête. Jai connu un mari, M. G***, qui poussoit la complaisance et la bonhomie jusqu’à faire sentinelle à la porte, 259 VOYAGES pendant la conférence de sa femme dont il ignoroit l’exposé , qui duroit quelquefois très- long-tems. Mais Mr G***, bien éloigné d’aucun soupcon, d’après la morale hypocrite qu’il venoit d'entendre | blämoit les personnes qui se per- mettoient les moindres plaisanteries à cet égard. Toujours en voyage , et porteur de ses propres ordres; plutôt courrier que potentat , notre chef africam poussoit l’exigeance jusqu’à prétendre être recu au passage de chaque ville, le plus souvent avec le dais , et toujours avec des présens , des palmes et du canon. A:la somp- tuosité de ces déférences qui devenoient oné- reuses par Îleur fréquente répéution, étoit attaché le regard favorable, ou de vengeance qu'il fançoit à sa réception. Aussi se plaignoit-il toujours du Cap , quoiqu'il y ait été couronné plusieurs fois, tandis qu'il faisoit l’éloge des autyes endroits , Saint-Marc , le Port-an- Prince, etc., où rien n’étoit épargné pour lim prodiguer les honneurs enviés par son ambition démesurée, Plusieurs dames marquantes, qui en société en faisoient dédain , n’ont pas rougi de poser sur leur sein des fleurs qui lui avoient été jetées, d’entrelemr avec lui de galantes correspon- dances , de lui faire des déclarations outrées, en un mot de l’habiller de pied en cap, en poussant D'UN NATURALISTE. 25 r le ridicule jusqu’à hu broder par le bas des che- mises de bauste. Toussaint - Louverture avoit la mauvaise habitude de faire venir quelquefois de très-loin un habitant, avec promesse de l'écouter ; puis, après l'avoir fait introduire dans son appar- tement, de s'échapper sans mot dire par une porte dérobée, de monter en voiture, et de ne plus reparoître, en laissant le suppliant dans le plus cruel embarras. Il se jouoit de ces sortes d’aventures. | Je fus un jour trés-mal écouté pour avoir voulu lui parler le patois du pays, car il ne s’en servoit que pour haranguer les ateliers ou ses soldats , au secours de ces comparaisons énergiques, presque toujours bien concues et bien appliquées. Environné par sa propre splendeur, appe- sanüssant la verge de. sa direction oppressive sur les hommes qui lui témoignoient de l’indifié- rence , il ne pardonnoit jamais. Dès qu'il s’étoit prononcé, ses décrets étoient 1rrévocables. Doué d’une mémoire locale tonte particulière, il reconnoissoit après plusieurs années un individu quelconque , que souvent il n’avoit vu qu’en passant et dans la foule; ou bien sil avoit eu avec cet Ctranger quelque rapport, il lui citoit son afliure en le nommant. Jamais, 252 VOYAGES en un mot, il n’exista de plus parfait phy- sionomiste. . Ecuyer sans principe et sans grace, mais iné- branlable sur le chevalle plusindompté, Toussaint se plaisoit à monter les coursiers rétifs, et les ramenoit pour l'ordinaire à de bonnes habitudes. Possesseur de chevaux les plus beaux, les plus ardens , les plus fougneux , 1l exigeoit que ses dragons guides le suivissent dans ses voyages précipués et de longue haleine ; aussi toujours plusieurs chevaux périssoient-ils au milieu de ses courses inconsidérées. Toussaint-Louverture singeoit dans les repas de corps la magnificence des autorités fran- caises, et attachoit beaucoup d'importance à faire faire par ses officiers-généraux de service, les honneurs de son gouvernement, surtout pour la récepuion d'étrangers, ‘els que Suédois, Américains de la Nouvelle-Angleterre , Danois , Anglais, et autres capitaines de bätimens en relation de commerce avec la colomie, visant à en soutirer secrétement des poudres dont :ül sut toujours approvisionner , jusqu’à encom- brement , ses magasins de réserve placés dans des endroits escarpés, quelquefois construits dans les creux de rochers inabordables. Toussaint- Louverture exigeoit, ainsi que Dessalines, la visite journalière de toutes per- D'UN NATURALISTE. 253 sonnes marquantes, sous peine d’être déclarées suspectes , disgraciées , et par contre - coup molestées soit sur: les habitations, si c’étoit un propriétaire , soit pour les corvées de ville, si c’en étoit un habitant. Les diners priés des deux chefs étoient animés par une musique bruyante. Celle de Toussaint- Louverture étoit composéedequarante individus, tant blancs qu'hommes de couleur ; celle de Dessalines comprenoit le même nombre de mu- siciens, mais presque tous noirs. Il est bon d’ob- server que ces deux généraux, jaloux l’un de l’autre, payoient à l’enviles maîtres de ces corps, ou plütt leur faisoient de belles promesses pour favoriser les progrès des élèves. Les deux chefs eurent souvent des assauts de prépondérance dans lesquels Dessalines, le soumis Dessalines cédoit le pas, pour mieux caresser la passion dominante de son chef suprême. Chaque santé étoit annoncée par une fanfare de soixante tam- bours et autant de fifres aigus, dont le bruit, quoique retentissant, étoit étouflé par les salves continuelles d’une artillerie bien servie. Fous les soirs également, musique aux deux gouvernemens : malheur aux acteurs qui se rencontroient sur le passage de Dessalines , lors- qu’il étoit de mauvaise humeur ; car l'harmonie, loin de l’adoucir, fatiguant ses oreilles mal 254 VOYAGES organisées , 1l arrivoit plein de fureur , et dis- persoit à coups de bäton la troupe effrayée. : Moins pohüque que Toussaint-Louverture , mais plus ouvert et plus prononcé dans sa tyran- mic, Dessalines étoit cruel, irrascible et farou- che ;1l n’écoutoitaucune réclamation. Que de fois une seule observation coûta la vie à l’homme qui eut l’audace de lui parler sans son ordre! Semblable au farouche Assuérus, malheur à celui qui le trouva hors de sa rare clémence: malheur aussi à celui pour qui la fatale tabatière étoit ouverte (1) ! (1) Le conseil des makendals(magiciens du pays) qu'il consultoit,luiavoitindiquélesignecertain de reconnoitre Ja perfidie et le ressentiment concentrés contre lui dans le cœur de l'individu qu'il avoit interpellé. Ilcherchoit à lire dans l'électre où miroir interne de sa tabatière, que le tabac humide annonçoit des principes de résigna- tion de la part du dénoncé, et que le sec demandoit du sang ! Ainsi sa superstition lui faisoit au hasard décider du sort d’un innoçent! ainsi le paisible habitant obligé de lui rendre visit, étoit souvent condamné sans être entendu , sous la simple dénonciation d'un soldat à qui peut-être on avoil refusé des générosités que les cir- constances malheureuses ne permettoient plus de faire. « Grenadier layo, disoit-1l, vous voir nhomme ci » làlà..... Conduis fi pisser » ! Le mot pisser indiquoit l'effusion du sang par la mort à la baïonnette. A ce signal affreux, les grenadiers d’antichambre avoient ordre de se saisir de celui contre lequel la fatale taba- tière avait élé roulée dans les mains. D'UN NATURALISTE. 295 La classe qui toujours eut le plus à souffrir de la vengeance de Dessalines fut celle des hommesde couleur , en qui ilreconnoissoit un esprit de pré- . pondérance , de domination, qui altéroit , trou- bloit dans son imagination crainuive ebméfiante la toute-puissance de son règne destructeur. Que de fois sa femme, bonne et compatissante, fut maltraitée pour avoir demandé la grace de lun. d’eux ! Ce monstre oubliant les liens qui l’unis- soient à elle, bravant ses pleurs , insensible à ses supplications, tourmenté de la voir à ses genoux implorer sa pitié pour une classe contre laquelle il conservoit une haine inexunguible , la renver- soit de ses pieds, et il étoit pour lors inexorable. J'ai vu cette trop sensible femme , par un senui- ment bien louable , le suivre en se trainant, se déparer en s’attachant à ses habits, revenir à la charge, et après avoir essuyé toute sorte d’hu- miliations , obtenir enfin, par importunité , la faveur qui lui étoit si précieuse. Alors oubliant son humiliation , séchant les larmes de l’incer- utude, elle voloitaux prisons, délivroit les caputs tremblans et agités de crainte et d'inquiétude. Què d'exemples on auroit à citer de ces traits généreux pendant la guerre du département du Sud , où tous les prisonniers étoient ordinaire- ment punis de mort, quelquefcis après avoir enduré trois ou quatre mois d’affronts, d’humi- 256 VOYAGES hiations et d’ignominie, dans l’intérieur des terres, par les noirs qui énervoient ainsi avec délices leur envie jalouse et dénaturée ! Soixante-douze mulâtres relégués aux Go- naïves où ils se rendoient utiles par leurs talens manuels, et où, par leur bonne conduite, ils s’étoient en général concilié l’esume et la fructueuse compassion de ceux qui les em- ployoient, donnèrent des soupcons à Dessalines qui, jaloux de cette confiance accordée à leur utilité, se les fit dénoncer setrétement comme des conspirateurs contre sa personne! Leur bou- cherie fut ordonnée! Ces vicumes sans appui, sansdéfense, furent conduit Qu lieu du supplice, au nulieu d’un peuple immense d’amis ou parens pleurant sur leur sort, mais n’osant s’opposer à cet arrêt irrévocable. C’est dans la savanne aride du morne l'Hôpital, sur le bord de la grande- route, qu'ils furent massacrés, avec ordre de les priver de la sépulture , pour donner à counoître a leurs partisans le sort qui les attendoit. Comme à cette époque je faisois tous les deux jours le chemin de notre habitation aux Go- naïves, mon cheval effrayé , reculant d'horreur , heurtoit malgré moi ces cadavres infects et gon- fiés. Je fus prévenu à la ville de passer outre, sans faire des remarques qui n’étoient pas de saison. ti D'UN NATURALISTE. 257 Il en est qui ne furent pas aussi heureux que mo1, ou plutôt en qui des sentimens naturels parlèrent avec tant de force que, courant à leur perte , ils bravérent une mort assurée. Des mères, des épouses et leurs enfans, cô- toyant ce cheinin arrosé du sang de tout ce qui leur étoit cher, s'avancoient avec confiance pour reconnoître les morts, pleurer sur leurs tristes restes, et leur donner la sépulture qui leur avoit été refusée !... Mais... Ô excès de barbarie!!! à peine se livroient-ils aux derniers devoirs, que leurs corps frappés rouloient eux mêmes sur ceux. qu'ils venoient inaumer!...... De farouches soldats placés par ordre dans des buissons voisins, laisoient feu sur tous ceux qui, par humanité, se présentoienten ces lugubresdéserts! Une mére entr'autres fut tuée sur les lieux pour s’être glissée , à la faveur de la lune, sur ce théâtre de sang, dans l'intention d'y rénmir et d’arroser de larmes les cadavres de son mari sexagénaire, et de son fils père de sept enfans!…. Les corps de ces victimes à peine décomposés furent en parue déchirés par les caïmans babitans les roseaux de ces parages , par des chiens aussi, qui se disputoient entr'eux ces lambeaux hvides et putréfiés. Quelqnes-uns cependant restérent deux mois, leurs ossemens étant à demi-calcinés par l’acuon réverbérante du soleil. Toue HL R 258 VOYAGES Dessalines , toujours altéré de sang et jamais rassasié , ordonna une nouvelle exécution. Huit hommes de couleur faits prisonniers dans la parue du sud, sont impitoyablement condamnés à être canonnés devant l’église des Gonaïves, sur la place vague qui s’y rencontre. Pour cette fois, Toussaint-Louverture veut repaître ses yeux des charmes de la vengeance. Un officier est le pre- mier qui se présente. « À bas les épaulettes, lui » dit Toussaint? A bas! s’écrie l'officier de » couleur, à bas! je me suis battu pour les » gagner, Je me battrai et mourrai pour les » défendre... qu’on approche si on l’ose.….»! Son juge sanguinaire, interdit par cette ferme réponse, forcé de l’admirer, lui ordonne encore plus despouquement de passer devant le canon, mais veut en vain l’y faire attacher. «Fais ta » prière, lui crie le tartuffle Toussaint-Louver- » ture ? Oui, répond le condamné, je prie » Dieu de me pardonner ». Puis d’un ton plus ferme : « Mais to1!....…. to1!...... toi Toussaint! » prie le Ciel qu’il te pardonne tout le sang que »tu as fait verser injustement ». Toussaint tremblant de rage , ne répondit que par le mot, feu. L'homme n’est plus, il est dépecé, et disparoît aux yeux qui le pleuroient avant ce coup fatal. . Que fût devenu le général Vernet, au cœur D'UN NATURALISTE. sa 259 bon et compaussant, pour avoir demandé la grace de l’un d'eux , si Henri Dumirail et Jean-Bapuste Louverture, officiers et favoris de Toussaint, n’eussent détourné les deux pistolets déjà braqués sur lui par le tyran africain. La piué proscrite étoit condamnée ; et pourtant quelle est la cause que Vernet cherchoit à dé- fendre? celle d'individus de sa couleur, pour lors voués à la France, et qui n’eurent d’autre accusation que celle d’avoir bu à la santé de Rigaud qu’ils croyoient en faveur, et devoir commander des forces qu’on attendoit d'Europe pour réduire les facons, et ne conserver dans la colonie qu’un seul et même esprit. Un. autre prisonnier fut renversé seulement par le coup de canon, les cordes qui laua- choient rompues ; et n’étant point incommodé de cette percussion, il s’élançca vers la porte de l’église des Gonaïves, comme asile sacré et inviolable , et se précipita vers l’autel qu'il embrassoit, pour y être à l'abri d’une nouvelle persécution !..... Mais... Ô excès de barbarie! des soldats le suivirent, pénétrèrent dans le sanc- tuaire , et oubliant qu'il doit être inviolable, ils rapportèrent la victime au bout de six baïonnettes qui la transpercoient de toutes parts! Le curé interrompt son office, va crier vengeance à l'inexorable Toussaint qui, confus, veut d’abord R 2 260 VOYAGES s’excuser, mais finit par dire au curé : « Blane » là gagné gros cœur, oui »! Voulant par là lui reprocher l'intérêt trop vif qu'il prenoit à son ennemi. Le troisième fut un nommé Pierrette, qui fut attaché devant le canon, en croix de Saint- André. Le coup partant, les cordes sont coupées, le malheureux enlevé en l'air, et blessé seule- ment par six mitrailles dont il guérit après avoir obtenu sa grace, pour avoir crié, Dieu est juste! Le quatrièmé fut emporté et disséminé, sans qu’il restät vestige de son malheureux corps. Le cinquième nommé fermont , ivrogne de profession et facéueux à l'excès, en marehant à la mort, cherchoit par son monologue burlesque à adoucir la sévérité de son arrêt inique. Il s’a- vancoit vers le canon à pas lents , et en faisant sa prière , il se retourna vers Toussaint, et lui dit naïvement : « Comment ca, général, songez » boun’ Dieu, donc.... ca pas bèn pièce ca » vous fais là.... aï, maman moüé qui fait » moûé.... vous Capabl’ quitter mourr canoñ- » nier à vous du morne Blanc » ?...! Puis allant à genoux vers Toussaint : « Vous pas songé, » général, moüé üré vous d’nioun” z’embus- » cade». Et sans attendre la réponse, se relevant brusquement : «Non, dit-il d’un ton résolu, D'UN NATURALISTE. 261 » moïé pas vlé mourr jour di li». Vernet obunt sa grace, et le pauvre diable oubliant déjà que les portes du trépas lui avoient été entr'ouvertes, s’avançcant vers son bienfaiteur avec familiarité, il lui frappe le ventre en li disant avec gaieté : «Eh bèns général Vernet, » vous songé case la Crête-à-Pierrot. .... Vous » gai encore passé moûé quand yo quitté vous » aller. Ventr’à vous caba nev li plat... plat. » semblé crapaud qui sec ». Les trois autres ne furent pas aussi heureux , et subirent la mort. Enfin l’ordre de destrucuon des hommes de couleur étant donné dans tous les quaruers, mais ‘Loussaint voulant.feindre et semblant s’humaniser , passoit à l’Arcahaye, et demandoit au commandant de cet arrondissement des nou- velles de tels ou tels qu'il savoit morts d’après ses ordres : Hss’existent plus, répond le com- mandant. Ici l'hypocrite jouant le publie, frap- pant des pieds et paroiïssant étonné, dit d’un ion pitoyeux et lamentable : «Aï!.... aï!.... aïl.. » monde layo mauvais oui!!! moûüé di yo ba- » liser.…... yo dessoucher même ». Donnant par là à entendre qu'il avoit bien ordonné de punir les coupables, de les reconnoître, de châtier cette classe, mais point d’eu détruire Pespéce. Sur quoi lui répondit le commandant, en étu- R 3 262 VOYAGES ’ diant cette feinte. « Ga vous vlé, général, quand » la pluie tombé, tout ca qui déhors mouillé ». Ce qui veut dire : «Comment parnn tant de » coupables reconnoître un pett nombre d’in- » nocens » ? Deux hommes de couleur échappés à ce carnage me racontoient, ayant quitté leurs antres sauvages à l’arrivée de l’armée française, que , fuyant le couteau de la proscription, ils se rélugiérent au sommet du morne l'Hôpital ; que de là, dominant sur la plaine, 1ls furent témoins impuissans des massacres de leurs frères ; qu'ils y vécurent pendant sept mois de racines sauvages, jusqu'à ce que la culiure de quelques grains qu'ils avoient -emportés avec eux, ait pu leur fournir une nourriture plus alimentaire. Ba chasse aux piéges leur étoit également fami- lière , et c’est par ce moyen, me dirent-ils, qu'ils apprivoisèrent et se rendirent profitables des chèvres laiueres. Ce w’étoit point assez des adultes pour’ as- souvir la rage despotique et envenimée de Tous- sénérale d’enfans 5 d'hommes de couleur, sous le prétexte d’une saint ; 1] ordonna une levée école martale, et les fit jeter tous dans un grand puits qu'il fit ensuite combler, sans s’adoucir aux cris des mourans ! Le général Christophe, aujourd’hui encore chefdes révoltés, commanda D'UN NAFURALISTE 63 l’exécution de la parue du nord. Ces événemens eurent lieu à l’époque du siége de Jacmal, où Toussaint étoit furieux d’éprouver de la résis- tance; occurrence en laquelle Dessalines forcoit ses troupes à être valeureuses, ayant des pièces de canon derrière les bataillons pour faire {eu sur les fuyards, où même les indécis ; ceux, en. un mot, dont la bravoure étoit chancelante et point à l'épreuve. Au reste, pendant le règne des noirs, la prépondérance étoit du côté des Africains. Les blancs peu considérés, pour ne pas dire auda- cieusement méprisés, étoient hors d’état, par l'infériorité de leur nombre, de prendre l’équi- libre. Depuis l’arrivée des Francais, ces derniers eurent l'avantage quelque tems ; mais, dans l’un et l’autre cas, les hommes de couleur servoient toujours de point d'appui pivotant à la balance toujours active des deux classes précédentes : aussi furenteils de tout tems le jouet et la prin- cipale vicume des noirs, dont ils s’écartoient volonuers par le caractère de fierté qu'ils ont presque toujours eu en partage. Il est un autre supplice plus secret par lequel Dessalines, à l’époque de la même guerre , fit périr les hommes de couleur les plus disungués. Il avoit fait construire sous terre, à la Crête-à-Pierrot, des casemates de six pieds | R 4 264 VOYAGES carrés Où on laissoit mourir ces malheureux prisonniers , asphyxiés par les vapeurs sonter- raines, aussi bien que par la raréfacuon de air. Revenons à la vie privée de Dessalines. Sous l'apparence de la générosité, il conten- toit son avarice. Je le vis souvent refuser de payer des créances de trois ans, non suscepubles d’une plus haute valeur, disant que pour Dessalines ce n'étoit rien que cela. « Ca d’'hau » pour case Dessalines ». I laissoit ainsi mourir de faim son maître de musique, à qui 1l devoit cent cinquante portugaises qui égalent aix mille francs , lequel n’avoit pas même le droit de lui demander un à-compie sous peine d’être disgracié , et peut-être fusillé si ce tyran n'étoit pas de bonne humeur. be pauvre jeune homme, dont l'état d'insututeur devenoit fau- gant pour, rédure l'incapacité grossière de quarante élèves noirs qu’il conduisoit au bâton, méritoit bien d'être payé, mais 1l perdit son salaire par la trahison de Dessalines. ° Il entroit dans les vastes projets de Toussaint- Louverture de flatter quelques momens les blanes, pour les préparer à l'indépendance qu'il avoit projetée, mais qui fut sans ellet, ses menées sourdes ayant été découvertes. Îl eut besoin de Pacüvité de Dessalines pour se con- D'UN NATURALISTE. 265 cilier l'estime de ses censeurs ; 1l projeta donc un grand changement dans le pays, la restauration de la culture trop long-tems délaissée, ou pour mieux dire, encore active, mais en faveur _ seulement des nèures propriétaires , et ceux des jardins ,. desquels le malheureux habitant, spolhié de sa fortune, privé de tout, étoit à l’époque antérieure obligé d'attendre une exis- ience ürce et usurpée de ses propres terres qui avoicent passé en d’autres mains, Nos fermiers, par exemple, poussèrent l’audaciense impudence avant notre mise en possession, jusqu’à nous refuserde fourrager quel- ques paquets d'herbe pour quelques haquenées échappées par leur maigreur à la dilapidauon générale de nos immenses baras. Ils nous refu- soient de l'herbe dans une savanne vague et étendue non entourée, et remplie d’animanx voisins et étrangers. Le fourrage est si bon en ce terram fertile, que le voyageur se détourne volonuers de la route à l'aspect de cette verdure rlante, et est invité à faire reprendre vigueur à son cheval fatigué ; les cabrouets y sont dételés, el jamais aucun reproche, qui n'est vraiment pas faisable , n'a été fait aux étrangers de la part du fermier dont l’envie et l’inimiué ne pesérent jamais que sur le propriétaire. Que de fois, à cette ‘époque infortunée, 266 VOYAGES possesseurs de cinq lieues de pays et de sept cent cinquante noirs , nous nous servimes nous- mêmes ! que de fois on fut sourd à nos demandes supphantes de mauvaises racines de patates jetées au rebut pour les cochons. Nous gémissions dans les bois, de l’inactivité des lois, et de l’insolence intolérable et criminelle des hommes chargés de faire mettre à exécution celle qui étoit si favorable pour assurer le respect aux proprié- taires el aux propriétés. L’éperlin à la main, nous courions aussi nous-mêmes , dans les savannes brûlantes , lacer les chevaux dont nous avions besoin pour faire cent démarches importunes et infructueuses auprès des admumistrations alors avides et vénales. Ce n’étoit point une pete affaire.que de joindre à la course, des chevaux qui, quoi- qu’esténués , éprouvoient encore le souvenir de leur ancienne vigueur, à la digestion du fourrage succulent dontils faisoient leur päture. Qui pouvoit en süreté rester sur les habita- uons où on avoit à craindre, comme nous Vavons éprouvé , le feu , le fer et le poison ? On saitque sur la plupart des habitations, les cases , depuis les premiers incendies, sont provisoire- ment construites à jour en ozaclées ou échsses. C'est. dans ces retraites peu solides que nous avions à affronter huit et jour-la fureur de D'UN NATURALISTE. 67 mauvais sujets toujours aigris et insurgés Contre les propriétaires. Toutes les nuits, vers minuit, dix d’entre eux , guides de Toussaint, et porteurs de grands sabres, venoient avec fracas daguer leurs lames, dans le cruel espoir de rencontrer mon corps à la hauteur du lit dont ils connoissoient la posi- üon ; puis ils frappoient aux portes, me provo- quoient, enfin ne cessérent ce manége que lorsqu’en faveur du caractère dont j'étois revêtu je les eus fait punir. Le curé de Saint-Marc venu pour un baptême, fut contraint par le mauvais tems de coucher sur l'habitation; il y tomba malade de peur, ayant été témoin une seule nuit de ces scènes d'horreur et de vexation qui se renouveloient chaque jour sous des modifi- cauons différentes. Dessalines goûtoit alors en paix le fruit de ses crimes , et jouissoit de notre malheur. Il faisoit embellir , à Saint-Marc , la maison Lucas (1). Plus heureux que cet habitant, nous échappämes au même sort après avoir heurté la fierté du (1) © souvenir affreux ! long-tems il fit attendre le propriétaire de ce nom pour lui payer le montant de cette acquisition : ce ne fut que la veille du massacre général qu'il lui compta les cinq cents portugaises qu'il lui reprit en le faisant assassiner le ‘premier de tous à l'arrivée des Français. 268 VOYAGES ‘ ügre africain , en refusant de Jui vendre une de nos habitauons dont 1l étoit envieux, et qu'il prétendoit avoir à un prix de beaucoup inférieur à celui d’un autre acquéreur qui, se sachant en concurrence avec un rival si dangereux et si passionné , se retira, en sorte que l'habitation ne fut pas vendue : ce refus nous brouilla long- teins. C’est dans les salons à carreaux de marbre et bien lambrissés de M. Lucas, que Dessalines donnoit ses fêtes et sa musique. Celui de récep- tion étoit orné des portraits de divers généraux francais, célébres par leurs victoires; mais il eut soin de laisser un vase emplacement au milieu du pan principal, où 1l se fit peindre à huile, de grandeur naturelle, an milieu d’un camp de noirs, comme voulant effacer ses voi- sins par la hauteur de sa stature, et le rébaut du coloris. | Résolu de travailler à sa réputation , et sentant l'urgence de ne plus laisser dans l’acuvité et la réflexion les noirs qui eussent bien pu retourner sur leurs pas, et préférer leur, régime antérieur au régime de fer qu’il leur imposoit , il usa d’un sümulant tout particulier pour les troubler et les frapper de terreur. Il accrut sa sévérité et devint inabordable tellement qu’à la nouvelle de son arrivée dans un quarüer, tout le monde D'UN NATURALISTE. 269 trembloit, et que les ’culüivateurs passoient les nuits au jardin, dans la crainte d’être surpris en flagrant délit, et pour éviter une mort assurée . en Cutre-passant la tâche qu'il leur avoit donnée quelques jours auparavant. En cas de mécontentement il n'épargnoit per- sonne, et cédoit arbitrairement à Ja réaction de vengeance d’un peui chef qui quelquefois avoit du fiel contre celui qu'il dénoncoit, H fit ainsi mourir sous Je bâton plusieurs blancs du Mont-Roüï et de l'Artibonite , quelques-uns ayant été mis vivans dans des étuves chauffées par la bagace (1). Au reste, l’énumération des supplices les plus affreux réjonissoit ce cœur sanguinaire qui se complaisoit à faire reparoître sur la scène toutes les victimes de sa despotique barbarie. Ces récits l’égayoient !!! Dessalines , vu l'importance de notre grande place (2) la plus considérable du quaruer de l'Arubomie , s’y étoit attaché particulitrement Six mois avant l’arrivée des Français ; aussi la fitil chan$er-subitement de face : ce n’étoit (1) La bagace est un amas de cannes à sucre passées par le moulin, dont on a exprimé le sucre, et qui dans les équipages sert à chauffer vivement les four- neaux, (2) Le mot place dans ce cas équivaut à celui d'habi- tation. 270 VOYAGES plus un vaste terrain Gisif, et regrettant sa fécondité. Il prêta ses trésors, et enfanta dès cette année une récolte immense, dont nous n’eûmes que la flatteuse espérance. Dessalines en prit donc les rênes pour raflermir sa réputa- üon , asseoir plus sûrement son nom, et le faire planer impérieusement dans toute la colonie. 11 donnoit une tâche, et le jour indiqué pour sa perfection , il arrivoit à l’improviste avec quarante guides et son état-major. Les deux cents cases étolent cernées, visitées ,*et au cas qu’il fût heure de travail, teus ceux qui étoient trouvés dans l’intériéur étoient condamnés * à la bastonnade. Ainsi le plus paresseux devenoit vigilant malgré lui, par ces mesures violentes. Notre gérant ou conducteur principal fut un jour trouvé endormi à sa case sur les six heures du maun; Dessalines le fit prendre, amarrer, et conduire pas à pas jusqu'à l’endroit du travail (r), le faisant alternativement frapper par ses vingt satellites qui lui crioient: « Z'affaire à » vous papa »! Le pauvre malheureux ne put éviter un seul coup, malgré nos instances que Dessalines nous somma de cesser parce qu’elles (1) Ce terrain à cultiver étoit à l'extrémité du grand jardin d'une lieue de longueur qu'il falloit traverser. D'UN NATURALISTE. 271 nuisoient, disoit-1l, à l’intérêt de la culture. Le patent arriva perclus et mutlé, après plusieurs relàches dans le chemin, et il fut rapporté à demi-mort dans son lit où 1l enfla et resta six mois malade et impotent. Ces scènes révoltantes se réltéroient souvent. Un jour que Dessalines étoit de bonne humeur, il m’emmena avec lui dans la tournée du jardin : au grand mécontentement de Titus commandant notre arrondissement , et notre oppresseur ; lorsque nous fümes arrivés, et que tous les culüvateurs, par crainte autant que par habi- tude , eurent crié avec exclamauon , grands gestes et extravagance : « Bonjour, père à » nous » ! Dessalines les fit ranger, puis leur dit en me montrant : « Vous autr” voir put blanc » ci làlà, c’est z’ami moûüé; li pas méchant pièce; » ainsi vous autr’ prenn’ garde li pas arriver à » nien ». Titus écumoit de rage. Je profitai de ce moment favorable pour porter contre l’auteur de tous nos maux , et du désordre de nos ateliers, dix-sept chefs d'accusation qu’ilécoutoit en grondant à voix basse et frappant des pieds, étonné de ma hardiesse; voulant répondre, et Dessalines le lui défendant par son Azur farouche, et souvent répété avec vivacité. Après tous mes reproches fondés , aprés le dire de mes témoins, Dessalines lui fit d’abord 272 VOYAGES une morale de comparaison , le dégrada ensuite en lui arrachant ses épaulettes , et par chaque chef d'accusation que Titus ne put démenur, le général lui fit essuyer sur le dos le roulement de sa garde de discipline. Ensuite 11 nous fit accoler, en recommandant à Titus de ne con- server en son Cœur aucun levain de ressentiment, de ne plus faire parler de lui; puis à moi , d’ou- blier tout le passé. Dessalines , après avoir lui- même sarclé, pour donner l'exemple, revint diner à la case avec ses officiers. Titus conserva deux ans cette rancune : six mois après celte aventure , 1] me fit écrire une lettre par son secrétaire, mais une lettre trés- amicale quoiqu'insidieuse, par laquelle, je ne sais à quel propos et par quel hasard , il m’invi- toit à venir passer une journée chez lui, sous prétexte de pêche et de chasse dans un canot volage et versaule, sur la rivière tourbillonnante de l’Arubomite infestée de caïmans ,etde requins égarés dans leur poursuite véloce et acharnée. J'éludai cette proposition en prétextant un voyage aux Gonaïves, que je fus obligé de faire sans besoin pour éviter les rapports fidèles de ses vigilans espions choisis dans nos propres sujets. Sot, mais méchant, Titus attendit mon retour, et changea Le mode de la proposiuon; et ce fut pour D'UN NATURALISTE. 273 pour m’offrir n'importe quelle somme afin de le peindre. En vain lui représentai-je que le genre de l'Histoire naturelle n’étoit pas celui du por- trait , 1l fallut céder, et: promettre, mais à cette condiuon, qu'il viendroit prendre ses séances sur notre habitation. Ge n’étoit plus la même chose pour lui, et son but étant manqué, 1l garda un silence que j'eus soin de ne pers troubler. Trois semaines après, je revenois de Saint- Marc; un de mes dragons m’ayant devancé pour les préparaufs du bac dont Titus étoit le péager, celui-ci apprit mon arrivée; et sans paroître, il me fit préparer un fafraichissement soporifique qu’on vint n’offrir de sa part, à mon passage sur le bord de la grande route. Cette ruse grossière, cette prévenance accoutumée fit naître en moi de justes soupcons, et RE fit très-chaud , je remerciai, disant qu’en route, et entre les repas surtout, J'avois pour habitude de ne rien prendre. . À l’arrivée de l’expédition française lorsque je croyois n’avoir plus rien à craindre, surtout faisant route avec le chef de la troisième légion de gendarmerie , mOn ami, lequel étoit en tournée ; Titus profita d’un grain de pluie dont nous fümessurpris, afin denousengager à prendre Tous IL | S 274 VOYAGES gite chez lui pour la nuit. Ne pouvant faire autrement, nous acceptämes. Îl se ditindisposé , et nous laissa souper seuls. Une heure æprès, le colonel et moi, nous fûmes saisis decoliques et de vomissemens répétés, n'ayant que le tems de parur sans bruit n1 bdiite-selle pour éviter de plus grands malheurs. Malgré certaines précau- uons prises sur une habitation voisine, nous fûmes cinq mois attaqués tous deux de coliques et de fièvres nerveuses. Le colonel qui mangea plus que moi, fut empoisonné d’une si cruelle manière qu'il en conserva plus d’un an des reliquats douloureux et inquiétans. Titus devint marron le lendemain , saps que nous ayons jamais pu en entendre parler depuis. Si Dessalines aimoit ses trou pes, c’étoit comme soutiens de son pouvoir, et exéquteurs de sa volonté. Employant contre les crimes politiques Ja baïonnette, le poison, les noyades, il ne pu- nissoit ses soldats que par le fusil ou les verges : ce dernier supplice étoit effrayant par ses prépa- ratfs funèbres et inhumains. Les soldats faisoient de ce jour un jour de réjouissance : il y aveit calenda (1) en l'honneur du défunt. Tout en se. (x) Le calenda est une danse nègre consacrée à célébrer les funérailles : elle est extravagante et fort imdécente, . D'UN NATURALISTE 273 préparant les banzas et le bamboula (1), on acéroit les épines des branches d’acacia qui servent à cet affreux supplice. Le patient mar- chant pas à pas, selon l’ordre de guerre, au milieu des deux rangs d’exécuteurs, étoit impi- toyablement frappé, déchiré, au bruit d’une fanfare gaie de fifres et tambours qui redou- bloient d’ardeur pour étouffer les cris de l’écor- ché, percant toujours par intervalles, jusqu’à ce que ses genoux venant à pher, il expirät enfin. Pendant ce tems, Dessalines nageant dans la joie, monté sur un banc en raison de sa peute taille, pesoit tous des coups, excitoit les moins cruels par des menaces inhumaines, en criant à tue-tête : «Ga a n’ien, bai toujours »! Eh bien! plus esclaves que jamais, ces nègres le servoient en criant sive la liberté!!! Enfin” Dessalines traçoit à ses 1mitateurs le sentier des forfaits dans lequel il ne marchoit qu'avec trop d’assurance. En se faisant regarder fixement par un soldat, il J’absolvoit ou le condamnoit sans entrer en ma- tière, et sans qu’il fut accusé. N’komme la pas bon , n’annonçoit rien de bon en eflet; car (1) Les banzas et bamboulas sont deux instrumenss le premier à cinq cordes, se pince comme la guitare ; le second est un tambour élevé qu’on fait rouler ajec les doigts. S 2 276 VOYAGES tôt ou tard on ressentoit les funestes suites de celte interprétation fatale. Il régnoit une grande subordination dans ces troupes mal-propres et toujours mal tenues, contraste parfait avec le faste éblouissant de tous les généraux nègres. À l'exception des gardes d'honneur, linfanterie marchoit pieds nus, sans bas, et avec des culottes courtes et déchirées; primiuvement la jambe en l'air comme des pantins , mais d’une manière plus régulière depuis larrivée des soldats francais en la colonie. Le système acoustique des nègres est si maté- riellement combiné, si inébranlablement cons- iruit, qu'il leur faut double charge dans les fusils, pour qu'ils soient satisfaits. Ils n’appellent que pétards les simples cartouches. C’est ainsi que les chasseurs d'habitations calculent lors- qu'ils vont à la poursuite de bandes innom- brables de canards qui obscurcissent Pair. Ne pouvant ürer qu’un, ou au,plus deux et trois coups par jour, ils vont à eux en se traïnant dans l’eau peu profonde des lagons; et pour que l'abondance puisse suppléer à la privation de pouvoir ürer souvent, ils mettent deux car- touches et deux, poignées de plomb qui s'écarte ettucimmanquablement. Aussi se moquoientils de mes charges; mais au moins je revenois lou- D'UN NATURALISTE. 2- jours sain et sauf à la case, tandis qu'eux ne 3 croyoient point avoir chassé s'ils ne rapportoient un sac de gibier, oubliant la douleur d’une joue contuse, ou saignante quelquefois comme je l'ai vu, une clavicule cassée, où l’omoplate foulée par la répercussion. Les militaires valeureux n’ont aucune récom- pense , et leurs acuons d'éclat restent dans lPoubli. Les invalides, privés d’une’juste retraite, sont réduits à trainer honteusement leur iriste existence, el à demander avec larmes le pain de la misère. Eh bien! le génie militaire les mai- trise au point qu’ils aiment mieux être estropiés sans moyens, et être honorés du nom de soldat, dédaignant celui ‘servile de nègre de houe , qu'ils donnent aux culuvateurs , au dessus des- quels ils se croient de beaucoup élevés. [ls n’ont pas de plus grande jouissance quand ils ren- contrent des culuvateurs, que de faire blanc de leur épée, de grands mouvemens ; du tapage, des simulacres de décharge d’arüllerie; et lorsque ces gens moins rusés ont l’imaginauon frappée, ils se font valoir à leurs yeux fascinés {1). (1) «Eh que vous connor queug'chose, vous pauv’ » diabl, vêus baussales ?.! Vous nègr jardin pas » connoi à rien..... Nous younn’ connoy batt la » guerre nous Z'aut… C'est çà queuq chose que d'hatt Le » guerré»l..... h 2 4 278 VOYAGES La ville du Cap comme la plus considérable de File , étoit le théâtre des événemens politiques aussi bien que le foyer des conjectures révolu- tionnaires. C’est la que Tousssaint-Louverture y tramoit ses Pas c’est la que plus d’une fois 1l voulut secouer le joug de la France, en ménageant dans l'esprit du peuple les avantages de l’indépendance ; c’est là qu’on flatta son des- pousme; c’est là que de vils courtuisans lui persua- dérent que sa puissance étoit capable de repousser tout ce qui oseroit altenter à la plénitude de son autoruté ; c’est là enfin qu’un dangereux conseil le décida à devenir ingrat envers la mére-patrie. - Le général Moyse étant au Cap à la tête d’un paru considérable, et fidèle au Gouvernement francais , s'étant prononcé 1irop ouvertement contre un décret sanguinaire de Toussaint- Louverture son oncle, par lequel il lui étoit enjoint à une certaine époque d’ordonner le massacre des blancs de la parte du nord qu'il commandoit, fut soupconné d'infidélné à sa couleur; et pour prévenir un coup de part, Toussaint- Louverture fit devancer la fatale journée, en en confiant la coupable exécution à d’autres commandans moins serupuleux , et poussant l’astucieuse politique jusqu’à imputer au général Moyse ce crime dont lui seul étoit Vauteur , et ce dernier dégagé et innocent. Il le: D'UN NATURALISTE. 279 taita donc d’assassin , et se prévalant hau- tement du sacrifice* qu'il faisoit de son propre neveu pour l'intérêt du sang français, il fit marcher contre Moyse, comme rebelle à son - autorité, le général Dessalines à la tête d’une petite armée. Moyse s’étant rendu à discréuon , fat trompé dans sa bonne foi, condamné et puni de mort , emportant avec lui, par cette mesure atroce , le secret du grand conspirateur. Dessalines émit quelque tems après des espions pour sonder les projets de la métropole, et avoir des détails de l’expédiion du général Leclerc. Il en eut de certains , et intercepta toute correspondance alors en acuvité ; 1l fit circuler l’ordre , vu l’apparence d’une riche récolte, de se tenir prêts à bien recevoir nos frères qui alloient arriver. Etoit-ce pour ne pas nous donner à soupconner les supplices préparés à notre, crédulité ? je le crois. Ainsi dans le même tems 1l fit un crime de correspondre avec notre mère- patrie, tout en paroïissant nous disposer en sa faveur. Voici quelque chose de plus fort. J’étois au bourg de la Peute-Rivière , un certain jour où Deéssalines y avoit rassemblé le canton et les ateliers ? il donna à ses troupes, en présence des blancs, les instructions que voici: « Soldats, » v’là blanc’ france qui après veni; si yo tran- 280 OV OMAGES | » quil ça bèn... vous va quitté yo tranquil'; » mais si moué va conno’ qu'yo veni pour » chicaner v'zaut’, prenn’ garde, soldats !.…... » prenn’ garde attenuon... hun!..… quand » moué va dir” vous hun!... vous va cerner » camarade” à yo... vous va coller yo... vous » va ramasser vo tant comme moutons... VOUS » va parqué yo..…. aprés'ca z’affaire à Dessa- » lines ». Cette harangue mit en effervescence Ja tête des noirs toujours disposés à la rebel- bon, les rendit audacieux, énerva leur frein , et nous remplit tous de consternation , puisque notre sortdépendoitdelamoindreinconséquence, devenant Otages de nos propres bourreaux. C’est immédiatement après que parut im- primée la fatale adresse de Toussaint-Louver- ture ,-qui servit à notre condamnation , et qui inissoit par ces mots : «Les Francais n'arriveront » à moi, s'ils sont traîtres, qu'après avoir » marché sur les débris des propriétaires et des » propriétés ». Elle électrisa tellement la tête des nègres, que par-tout on en rencontrant seuls, armés, et se parlant à eux-mêmes ; jusqu’au vieux hatuer, conducteur de nos troupeaux, que je surpris adossé à un palmiste, le cachrim- beau à la bouche, et le grand fouet sur l'épaule, tenant à la main un long bâton ferré d’une baïonnette toute rouillée, Il eut un monologue D'UN NATURALISTE. 281 original que je lui laissai défiler tout au long, ayant peine à retenir mon rire , et n'éclatant que pour lui faire tant de peur , qu'ayant lâché mes deux coups de fusil en l’air, le vieux boiteux qui n’étoit point aguerri, tomba le ventre contre terre en criant : &Aï!..aï!.aï!.. view’ Louis » mourt là caba jour d'i.là ». En vain je le secouois, 1] n’osoit croire encore à son existence. Cependant Dessalines , commencant à se pro- noncer ouvertementwcontre l’armée expédition paire , évitoit, détestoit jusqu’à leur idiome; c'est pourquoi il reprit irès-sévérement le fils d’un propriétaire des Gonaïves, qui, créole de Saint-Domingue, s’avisa de lui parler bon français : Tiembé lague à sous, li dit-il en le toisant avec dédain, pourquoi chercher tienn’ les autr’ ? . C’est également ainsi qu'il parloit en voulant désigner des blancs anciens dans le pays, babitués-à ses mœurs et usages , et qu'on pour- roit, disoit-il avec faveur, épargner au besoin. « Blanc qui savé manger calalou, li pour nous ». C'est à semblable époque que ce général divi- sionnaire disoitaux conducteurs des habitations, pour les tranquiliser au sujet de quelques noirs qu’il faisoit politiquement fusiller ponr-capter ja confiance des blancs : « Moué après baye chat » rat’ pour migronner li... mais serré toujours, 2892 VOYAGES » nioun” fusil dans quiou bananier ». Ce qui veut dire : («Je donne au chat un rat pour Pa- » muser..….. mais soyez toujours sur vos gardes, » et cachez un fusil dans les bananiers pour vous » en servir au besoin ». Enfin Dessalines avoit pour lui un jargon persuasif. « Grand vent p’ute pluie », disoitl" à ses soldats, en leur annonçant que les Français nouvellement arrivés ne pourroient résister à . leur marche forcée, et quege climat les meutroit bientôt hors de défense. De même Toussaint appeloit le colonel Gingembre-Trop-Fort, le porteur de ses ordres verbaux , Parole dans bouche , expression forte et sigmificauve. Avar@de sa confiance, ilne la prêtoit momentanément que par l’extrême urgence où 1l étoit quelquefois de faire parvenir ses ordres en même tems dans plusieurs endroits différens; ce qui lui faisoit dire : Airé aut mieux passé tendé. & M vaut mieux voir que » d'entendre, ou il ne faut croire que ce que l’on » à VU ». « C’est pas moi, disoit-il aussi à des pro- » priétaires des Gonaïves, qui va malheureux , » moi va b’entôt mouri ; mais Français layo » veni pour chicaner vouz autr” : tendé hèn » ça moi di vous; bœuf mouri, quitté malheur » pour cuir ». D'UN NATUÜRALISTE. 283 Un officier noir de ses affidés étant part d’après les ordres de Toussaint pour aller sou- lever la partie espagnole, se rendit à Saint- Michaël, où par un esprit contraire à celui dont il étoit l'interprète et qu'il venoit inspirer, il fute tué comme chef d’une sédiuon déja allumée. Toussamt-Louverture fit venir auprès de lui le maire de cet endroit, et après lavoir traité avec douceur, un jour que de Coche- relles (1) 1l se rendoit avec ce fonctiônnaire public au bourg des Gonaïves pour y entendre fa messe, et qu’il cotoyoit l'habitation Desrouville, iout en égayant la promenade de ses proverbes habituels, tout en caressant fraftreusement la vicume innocente qu’il'alloit faire immoler, se voyant entre deux haies à Pabri de tous regards, et pour seuls témoins de son crime les initiés dans sa scélératesse, Loussaint condamue des yeux !.... À ce signe compris, le magistrat est assailli par quatre cavaliers armés qui Île mutilent en un moment, et le laissent sans vie et sans sépulture, Mme DY**, par humanité autant que par horreur d’un tel spectacle, obunt du général Vernet que le corps soit enterré. Tel fui le début des massacres qui précédèrent l'arrivée des France ais, contre lesquels Toussaint e (1) Habitation sur laquelle il avoit secondairement fixé son gouvernement des Gonaives, 584 | VOYAGES s’étoit si impérieusement élevé. Ayant toujours contrarié la mission des agens français par des canons et des baïonnettes, il osa enfin lever entièrement le masque, et parut à découvert en manifestant son projet d'indépendance. Afin de plus sûrement indisposer les noirs contre les militaires de l’expédiuon, et par une opposiuon formelle, mettre à l'abri ses immenses pro- prictés, et conserver inviolable sa suprématie, 1l signal® l’étendard de la rebellion, s’entoura de ses fidèles conjurés, et eût opposé une digue bien plus meurtrière sans les prudentes dispositions de son vainqueur. | « La France est ingrate, leur disoitl, et loin » de reconnoître mes services, loin d'approuver » ma conduite, elle envoie des forces pour nous » remettre dans l’esclavage; mais jurons, sol- » dats, de ne jamais plier sous sa loi. Ils veulent » nous tromper ; soyons ingrats. Ils viennent » nous ravir une liberté dont ils nous avoient » assuré la durée; rassemblons nos forces, et » périssons tous , s'il lé faut, mais que nos frères » soient hbres » !.… Dessalines de son côté, pour mieux‘capter le suffrage des noirs en leur faisant espérer le retour de Toussaint-Louverture, leur annoncçoit aussi que les Francais de cette expédition ”n’étoient que des émigrés qui vouloient usurper le pays ; que les vrais Français viendroient ensuite. æ D'UN NATURALISTE. 285 RER R VV LR RO CR Re D TYRANNIE DES NOIRS * A L'ARRIVÉE DES FRANCAIS. SECONDE PARTIE. D parjure à son pays , trahissant l'Espagne, disimulant encore sa rebellion , violant les traités, en faisant égorger des équipages anglo-américains qu’il a recus dans les ports, comme Y ayant apporté l’abon- dance ; Toussaint , animant plus que jamais ses noirs contre une expédiuon qu’il déclare enne- mie et composée de faux Francais , arme l’as- sassin, et est plus cruel que lui. Ces anthropo- phages unis par sympathie, par identité d'opinion, par unanimité de vengeance , se cherchent... se groupent , et enfantent des projets de crime et de destruction! Leur vœu n’est pas émis qu’ils sont déjà armés pour l’accomplhir, Leurs yeux avides cherchent par-tout des vicumes!......, elles sont immolées!....… et si la nuit cache une parue de leurs forfaits, 1ls empruntent l’éclat de flimbeaux pour se repaître à l’aise de sang et de carnage. 286 VO" Ne ES La mort plane librement au dessus de ses victimes expirantes, elle jouit de son triomphe, et ap- plaudit à sa victoire! Porté naturellement à obliger, pouvois-je croire que l'ingraütude devoit atssi peser sur moi ? Tranquille , environné d’orages, rappelant le passé et mes dispositions présentes, je re- poussois jusqu’à l’idée du malheur et de la trahison : les couteaux étoient levés, nos bour- reaux se disputoient nos dépouilles. Que nous éuons loin de soupconner Fhorreur de ces assas- sinats ! Cependant le récit de’scènes sanglantes vint troubler la douceur de notre sérénité. Le Cap est incendié, se disoit-on tout bas; on fait surveiller les blancs; on se dispose à repousser la force par la force. La nouvelle arrive à l'instant aux Gôhaïves!.….… Soudain règne par-tout un morne silence, et notre cou- leur indiquée déjà de tous côtés par des yeux sournois et farouches, est le but de tous les regards homicides. Marchant confusément dans les rues sans oser lever les yeux, notre päleur annoncoit à nos assassins enhardis que nous étions tremblans et sans défense. Le lâche est insolent, et le peuple commenca à nous invectiver. Ayant des bastingages à établir au bord de Ja mer, tout en se riant de notre impuissance pour D'UN NATURALISTE. 287 un travail aussi rude, on spécula cruellement sur nos travaux, et nous fûmes condamnés, par un raffinement de barbarie, à élever ces digues d’un tuf qu’il fallut encore aller réclamer et arracher des entrailles brûlantes d’une terre aride et gercée. Enfin on voulut retirer de nous quel- ques services, avant de nous livrer à la mort. La garnison fut doublée, et les insultes augmentérent en raison de. l’affluence contu- nuelle de nouveaux individus. A sept heures du. maun , la générale batüt. On nvap- pela à l’administration des domaines où je me rendis, et où l’on vint signifier à tous les blancs, de la part du gouverneur Toussaint- Louverture, d’avoir à se réunir sur la place. À peine arrivés, nous fûmes cernés par un ba- taillon de noirs, et après un discours orageux, dans lequel Foussaint finit par dire que puis- qu’on en vouloit à sa vie, on ne parviendroit à lui qu’en foulant les cendres des propriétés et des propriétaires, on s’élança sur nous pour nous désarmer. Tous les blancs de marque furent dès ce moment arrêtés et consignés. Un nommé Noël Rainal, homme dur et atroce , ennemi des blancs, fut chargé de nous conduire par les bois à la Peute-Füvière. Par les bois !...…. Noël Ramal!...…... Cest fait de notre existence, nous dimes-nous l’un à l’autre. 288 VOYAGES Ainsi demain, peut-être à cette heure, nos cadavres seront gissans à l’Aruibonite, privés de la sépulture! Beaucoup d’autres conjectures venoient obscurcir encore le noir horizon de nos pensées. Cependant on nous déposa à l’Arsenal, où l'on distribua devant nous à nos satellites, des cartouches et des baïonnettes. Noirs pressenti- mens! que vous aviez d’empire alors sur nos cœurs glacés! Des refus, des bourrades envers ceux de notre connoissance qui venoient sin- former de nos dernières volontés, présageoient une mort cerlaine, sans une protection privi- légiée de lArbitre des destins. Le tyran vint repaître sa cruauté et repasser en revue ses victimes, en grondant à voix basse, et roulant avec horreur et férocité ‘ses yeux éuncelans ; 1l ordonna tout bas à Rainal, notre départ pour le bourg de la Peuite-Rüvière. Nous marchions deux à deux en capufs, coudoyés fréquemment par de durs satellites, déjà murmurant notre arrêt. La tête baissée , nous traversämes le bourg devant tout*un peuple confus, à qui il étoit sûrement encore resté un sentimentd’humanité. Plusieurs comblés de nosbienfaits, laissèrent échapper sur nos traces quelques larmes de regret et de reconnoissance. Nos farouches conducteurs , incapables de pitié, pressoient D'UN NATURALISE. 289 pressoient vivement les tardifs, du nombre desquels étoit un vieillard dé quatre-vingt-un ans (1), qui demandoit la mort à chaque pas, accablé déjà par le poids de son âge, autant que par la frayeur. ë A peine avions-nous fait un quart de lieue, qu'on cria, kalte à la téte! Les malheureux ont * toujours de l'espoir, et c’est le seul bien qui nous restoit dans ces cruels momens. Nous aimiOns à croire à un ordre nouveau; nous nous persuadions déjà que Toussaint - Louverture étoit enfin touché de repenur. Des cavaliers paroissent, enveloppés d’un tourbillon de pous- sière ; nous pensons qu'ils viennent nous donner la liberté. O méprise affreuse! c’étoit de ces vampires affamés de sang et de brigandage, accourus pour se disputer nos dépouilles! Ils parlent à notre conducteur qui leur annonce froidement qu’il a ordre de nous transiérer à Ja Peute-Riviére, sans qu'aucun accident nous arrive. Décus dans leur barbare attente, les cruels tournent bride, et nous quittent en mur- murant, Arrivés à l'habitation de M Grammont, celui-ci voulut répondre au mouvement spontané de son épouse, qui s’élancoit vers lui pour lu dire (1) M. Javin, ancien procureur. Tome III. T 200 # VOYAGES : un dernier adieu... mais des baïonnettes se croisent, et nos’ farouches soldats, insensibles aux larmes des époux, tiennent ainsi en suspens l’épanchement simultané du malheureux couple. Un enfant s’'avance aussi... il est repoussé! enfin les deux époux, glacés d’effroi, portent vers la ierre un regard humide, et n’osent plus se regarder. On éloigne Mme Grammont, et nous poursuivons notre route. Que je souffris en ce moment! mes jambes chanceloient sous mon corps presqu'inanimé. Après avoir traversé, pendant la forte cha- leur, la savanne torride de l'Hôpital (1), après avoir jeté des regards amers sur nos habitations qui se trouvent à la droite, après avoir examiné avec sensibilité des eux paisibles où naguères je jouissois d’une pleine et entière liberté; mar- chant en silence, humant la poussière, accablés de: faim et de soif, nous arrivâmes au bac de l'Ester, où les enfans naturels de M. Désdunes- Lachicotie ne voulurent point me donner des nouvelles de leur père (2). Le soleil se couchoit (1) Cette savanne immense et déserte est flanquée par le morne l'Hôpital, ainsi nommé parce que les flibustiers y avoient formé un asile pour leurs malades. (2) M. Desdunes-Lachicotte, refugié dans des mangles + inabordables dont il connoissoit les issues, en sa qualité d'excellent chasseur, y avoit passé dans son canot D'UN NATURALISTE. 29 alors, et sembloit, en fuyant, refuser d’être témoin de notre douloureuse agonie. $ tous les plusrands dangers ; mais trahi par ses enfans naturels, il fut livré par eux après leur avoir fait, par foiblesse, la reconnoïissance d’une partie de sa fortune. Ce même Lachicotte, doué de toutes les qualités du cœur, ne fitjamais que des ingrats. Dans le désastre affreux du débordement de la rivière de l'Artibonite au mois de septembre 1800, continuellement occupé à porter des secours à tous les affligés, ce brave homme aperçut non loin de chez lui, des mouchoirs en l'air en sigue de détresse. Il reconnut des êtres animés exposés sur des arbres de l'autre côté de la rivière de l'Ester, impraticable par la quantité de bois qu’elle charrioit, et par le craquement du pont qui se disloquoit à chaque instant , et devoit entraîner infailliblement tout ce qui en approchoit. Rien ne peut intimider Mr Lachicotte... ILest père, et veut sauver une famille entière. Cette famille a déjà voulu plusieurs fois lempoisonner!.... Il oublie tout; il n’a plus d'ennemis dès qu'il s'agit d'obliger; et 1l ne pense plus aux risques qu'il a à courir. Il emprunte vingt gourdes, et déjà dans son canot 1l appelle à son secours des aides qu’il promet de payer généreusement, Déjà l'onde frémité et cède aux efforts redoublés des rameurs, avançant quelquefois, et plus souvent re- poussés. [ls aperçoivent un chevron énorme qui flotte en menaçant leur versatile embarcation. Soudain ils se dévétissent pour pouvoir nager au besoin, mais leur précaution devient heureysement inutile, un contre-flot fait dévier la pièce de bois qui les Lo 292 VOYAGES On fit charger les armes , et après quelques pas dans une route de traverse, on nous fit arrêter, et disposer quatre par quatre. Tous se regardent, et commencant à nous faire les derniers adieux , les plus pressés donnent au chef de la horde leurs montres et de l’argent. Ces féroces gardiens acceptent provisoirement les eflets, et nous remettent en marche. La lune se leveit, et vint, par sa pâle clarté, ajouter à notre sombre mé- -lancolie. Chacun se rassure un moment, mais bientôt même manœuvre : on nous cerne en res- serrant les rangs, et on nous demande tout ce qui a pu nous rester d'armes. On me prit à L4 côtoie sans les heurter. Ce danger passé, un plus grand les attend : Mr Lachicotte impatient de sauver ces malheureux qui, pour mieux prêter à l'illusion d'un prochain engloutissement, se balançoient dans les branches de ces arbres qu'on croyoit sur le point de se déraciner, approche, il leur tend les bras... Un piége lui étoittendu, là même où aux dépens de sa vie 1] donnoit le plus bel exemple de générosité... Les pa- villons de détresse sont jetés à l’eau , etune décharge de coups de fusil vient repousser un sérvice si franchement rendu! Mr Lachicotte veut parler, une seconde dé- charge est faite... .. Dieu dirigeoit les coups... .. per- sonne n’est atteint!... Unetroisième et successivement d’autres jusqu’à ceque les rameurs, ayant redoublé d’ac- tivité et émus d'horreur contre les scélérats embusqués, aient reporté à terre l’auteur d'un si beau trait. D'UN NATURALISTE. 293 moi une-canne de jonc que Javois à la main, quoiqu’elle ne fût pas redoutable autant qu’elle étoit attrayante par sa garniture en or. On reprit encore la marche dans ce morne silence qui la rendoit plus sinistre. Je proposai une halte à la plus prochaine habitauon , tant pour le repos que pour prendre un peu de nourriture. Au mot de rourriture nos gardes acceptent, persuadés qu’ils mangeront de meil- leur appétit que nous. Dés ce moment cette austerité qui les rendoit redoutables, s’'émoussa ; ils devinrent tous moins farouches, et poussérent même la prévenance jusqu’à nous offrir, pres- qu’arrivés à notre halte, une eau battue et dégoûtante, renfermée dans leur bidon (1) qu'ils se passoient à la ronde pendant la forte chaleur du jour sans nous en offrir. Un des négocians de notre malheureuse société fit la dépense; mais personne de nous ne put mauger, tant la terreur avoit engourdi nos besoins. Quant aux gardes, ils oublièrent bientôt leurs prisonniers à la vue d’un cabrit (1) Le bidon ef un vase destiné à fournir d'eau le soldat pendant sa route. Ceux de nos gardes étoient simplement une calebasse emmaillée de ficelle de pitt, espèce d’aloës dont on retire une sorte de filasse. i Ve. «) 294 VOYAGES et de volailles qui disparurent en un instant. Le tafia les enivra tellement que la sentinelle même étoit profondémeni assoupie. Nous avions , comme on dit, la clef des champs; mais où fuir, étant environnés d’en- nemis de toutes parts. La couleur blanche proscrite et déjà condamnée, 1l étoit ordonné aux ateliers de faire feu sur tout blanc qui ne seroit pas escorté au moins d’un muhtaire noir. Où trouver des partisans?! Se séparer, c’eût été se trahir et se perdre. L'entreprise étoit donc impratucable. Aussi notre alternauve fut-elle une angoisse insupportable. D'ailleurs la malheu- reuse confiance qu’on avoit en Toussaint-Lou- verture ne nous fusoit regarder cette mesure que pour notre propre sureté, et nous metlrée ; SOUS la protection de la force Re à l’abri de toute sédition populaire. Sortis de leur ivresse, nos gardes se réveillèrent en sursaut et de mauvaise Rues semblables à des tigres rugissans au moindre briut. Après nous avoir compté tous, On reprit la marche. Nos corps affoiblis ressentirent alors des besoins de nourriture, mais les refus que nous essuyèmes dans les habitations où nou$ passimes nous obligérent de nous contenter de graines de bois d'orme qu’on donne aux pourceaux. Arrivés au bourg de.la PeuteRivicre de D'UN NATURALISTE. 295 P'Arubonite (1) lieu de notre destination, on nous fait faire halte sur la place, et là , le féroce Lafortune commandant vient nous passer en “revue, en grondant comme un tigre à la vue des vicümes qu’il va immoler. Voyant autour de nous des compagnons d’in- fortune en liberté, nous espérions la mème faveur ; mais bientôt on nous fit prendre la route d’une prison infecte. N'ayant pour nous enfermer qu’un trés-peuit local, on nous ôtoit encore Pair dès le coucher du soleil. Ge supplice de fournaise étoit affreux et accablant. Un blanc de l’état-major de Dessalines vint me réclamer, et offrir sa caution pour mon * élargissement, Mais on ne la trouva pas suffisante. Un homme de couleur que je ne connoissois pas eut plus de succès; prévenu en ma faveur par Mme Desfontaines , habitante des Gonaïves, il üsa de procédés délicats et oMicieux pour les- quels je lui conserve, ainsi qu’à ma libératrice, la plus vive reconnoissance. Que de louanges à donner aux habitans du bourg de la Peute-Rivière pour leur généreux dévouement à la cause des prisonniers! Leurs (x) Suivant M. Moreau-de-St.-Méry, l'Artibonite tire son nom de la prononciation vicieuse du mot. Hatibonico des naturels du pays. T4 290 VOYAGES lhibéralités envers nous, suivoient le cours pério- dique de noire infortune : que de bénédictions ils reçurent! Nous visitant en prison, tous apportoient, trois fois le jour, des mets en abondance, Les onze donzièmes étoient hommes et femmes de couleur, qui se conduisirent avec bien de la générosité dans cette catastrophe épineuse. . -Le curé se signala d’une manière admi- rable, par sa charité bienfaisante. Le nom de l'abbé J'idautnedoitétre prononcé qu’avec véné- rauon et des larmes de reconnoissance. Accom- pagné de ses deux enfans de chœur , et décoré de son costume sacerdotal pour se ménager de fréquens accès dans la prison , il réitéroit ses visites , et olroit d’une manière noble une surabondance généreuse. Tous avoient droit à ses bienfaits , plus encore les malheureux privés de protections et de connoïssances; le mème ordinaire leur étoit réservé, et ses meilleurs anis n’étoient pas mieux partagés que ces indi- gens abandonnés. D'autres nous faisoient des vêtemens, ceux-ci blanchissoient notre linge, ceux-là alloient affronter les humiliations chez le juge inexorable £afortune. Enfin la ville nous fut accordée pour prison, ras aprés la plus affreuse des nuits, passée dans D'UN NATURALISTE., 207 . des angoisses mortelles. Les vénts inquiétoient notre imagination craintive; le moindre mou- vement de nos gardiens imprimoit en nos ames agitées , cetie terreur suffocante que l'esprit de lhomme désarmé ne peut s'empêcher de re- douter. | 4 Les soupirs de nos compagnons d’infortune, leurs moindres plaintes nous uroient de notre assoupissement si désirable, retraçoient lhor- reur de notre position, et nous faisoient pré- sumer l'approche de nos bourreaux comme trés-prochaine : aussi le sommeil difficile , com- battu par de fausses visions, ne vintil jamais surprendre nos veilles dans cet état d'angoisse et de perplexité ; le sommeil, le sommeil même, ce divin soulagement dans les maux qu’on en- dure, ne pouvoit appesantir nos paupières convulsives à qui l’effroi donnoit un battement involontaire. Des réveils en sursaut, soit par le tambour des marches nocturnes, soit par l'entrée imprévue de limpitoyable geolier qui venoit s'assurer de notre docilhité, harceloïient notre corps tremblant et abattu. Que de fois couchés sur une terre humide , et n'ayant pour oreiller qu’une grosse pierre brute, 1l nous sembla que la mort s’avancoit vers nous à pas lents, pour nous paroître plus terrible par l'idée des sup- plices qui nous attendoient ! 298 VOYAGES Elargi le matin sous caution, je fus recu chez" M. Péraudin habitant du bourg, dont l’épouse enceinte de sept mois nous assistoit de même, et pourvoyoit à nos plus légers besoins. En général nous recûmes des, étrangers, des secours et des consolations que nous refusérent des parens qui , endurcis encore par ces événe- mens malheureux, se couvrirent d’opprobre et d'égoïsme à la veille du trépas qui leur étoit destiné. Obligés de comparoître soir et matin à un appel rigoureux, nous étions à la merci des chefs qui jouissoient de nous faire attendre et désirer un repas, qu'eux prenoient bien à l'aise, et à nos propres dépens. Rentrant sans défense au milieu de-leurs railleries amères , nous les entendions se demander avec affectation en nous L'espoir de pacifieauon adoucit nos bour- reaux , ou plutôt leur fit concentrer momentane- ment et avec eMort, leur haine inextinguible au fond de leur cœur pour toujours ulcéré; ce n'est point humamité, ils n’eurent jamais de piué ! mais la crainte des phalanges françaises les reunt dans leurs transports sanguinaires , jusqu’à nous accorder la ville pour prison. Semblables à la fauvette épouvantée par Pépervier , qui déjà lui a fait sentir sa supério- D'UN NATURALISTE. 299 rité en la déchirant de ses serres aiguës ; comme elle, foibles et sans défense, nous n’osions faire un pas hors des bornes, dans la crainte d’être repris de nouveau : l'oiseau de proie lx caresse, la joue, lui fait éprouver mille morts, comme nos juges inexorables en nous balançant successivement de la vie au trépas. Aussi passions-nous également les nuits blanches chez M. Péraudin, dont la maison toujours cernée étoit à chaque instant prête à être mise à feu et à sang. Nous eûmes bien à nous louer de la valeur intrépide d’un griffe (1) nommé Jbhar, guide de Toussant-Louverture, mais voué aux blancs : 1l couchoit dans notre hangar , et repoussa plusieurs fois lui seul les hordes mutinées qui, la torche d’une main et le coutelas de l’autre, cherchoiïent à enfoncer notre foible porte, en la frappant à coups redou- blés. Quelle position ! sans armes , sans soutien, et en butte à touic la fureur des assaillans ! Cependant notre existence, la vie de quatre mille trois cents et quelques prisonniers tenotent au succès d’une démarche que fit faire Toussaint- Louverture auprès du général en chef Leclerc. Nous ignorämes quelles étoient les clauses; mais (1) Homme de couleur provenant du mélange d'un mulâtre avec une négresse, 300 VOYAGES les courriers n'ayant rien rapporté de favorable, les fronts se ridérent , l’animosité s’enflamma , et Vardeur de la persécution devint plus terrible dans cet état de désespoir. On prétexta des propos de sédition, et aussitôt Vaccusation portée, s'étant assuré de notre présence par l'appel général, nous vîmes sortir de tous les coins des rues des peletons d’infan- teric qui s’emparèrent de toutes les issues. On nous fit rassembler en un corps à cinq pas de l'artillerie, et les canonniers à leur poste, la mèche allumée , disposant des seaux pour rafraîchir les pièces, se regardant les uns les autres en silence, braquérent sur nous les canons, puis les pointèrent. L’infanterie appréta les armes probablement pour achever ceux qui auroient échappé aux premières décharges. Enfin la mort nous environnant de toutes parts, j'avoue que, pälissant de frayeur à la vue de notre sup- plice, nos cœurs se fondirent , et que déja notre existence étoit oubliée de notre imagination paralysée. Plusieurs, pour éviter les souffrances d’un assassinat, se placoient les premiers afin que les mitrailles ne laissassent aucun vestige de leur corps. | Lafortune parut, et son regard farouche sembloit être le signal de notre trépas:ils’avance vers nous en grondant ; relit le chef de nos D'UN NATURALISTE. 301 accusations arbitraires, et se contente de nous ôter la hberté; mais, hélas! le fatal moment n’étoit retardé que de vingt-quatre heures. L'époque est donc fixée ! des flots de sang . vont couler ! les bourreaux déja prêts rugissent d’impauence. Deux heures avant le massacre «général , un noir pressentiment du funeste évé- nement qui nous étoit réservé , obscurcissoit nos pensées jusqu'alors rassurées sur notre sort : le bruit sourd et confus de groupes environnant notre enceinte; un mouvement continuel d’al- lans et venans sur la place ; le sourcillement amer des gardes de l’intérieur; l’insolence du geolier qui n’avoit plus aucune considération à garder ; toutes ces remarques remplirent notre ame d’amertume. Ces ris sardoniens, expression forcée d’une joie contrainte, ces tristes effets produits à regret dans une angoisse inétouffable et sans cesse re- naissante, ces ris enfin, mille fois plus cruels que des pleurs, cesserent pour faire place à un morne silence. Chacun marchout la tête baissée, craignant de heurter Fami qui naguëres faisoit sa consolation. On étoitavare de questions , et par conséquent très-réservé dans les conjectures. Cependant la porte s'ouvre en criant sur ses gonds : deux blancs sont poussés du dehors; 302 VOYAGES elle se referme soudain : tous les deux mes parens , l’un Rossignol -Dutreuil habitant de cette commune, et l’autre M. Bréard habitant près le pont de l'Ester: Ils n’avoient d’autre accusation que celle d’avoir recu de France des lettres antérieures annonçant .l’expédi- uon , lesquelles interceptées par ordres su- périeurs étoient gardées en secret depuis leur arrivée. Ces nouveaux prisonniers nous confir- mérent nos tristes pressentimens, en nous annon- çant que la ville étoit cernée ‘par un triple cordon de troupes et de culüivateurs armés ; sept pièces de canon chargées à mitraille placées à chaque issue du bourg, en cas de résistance lors du massacre des prisons; le transport de l'arsenal et des munitions de guerre, bombes, obus et boulets vers le haut des mornes, une quanuté de torches destinées à incendier le bourg, des cordes amoncelées à la porte des prisons, enfin l’arrêt de mort prononcé contre tous les blancs !.. ! Ils se taisent; nos cœurs sont glacés; une sueur froide se répand sur notre corps. Ils finissoient à peine leur récit qu’on frappe de nouveau avec vivacité. Nous sommes perdus, s’écrièrent plusieurs de nous!...! quatre gre- nadiers s’avancent.... nous frémissons..… enfin paroît tout à coup mon libérateur, M. Say chi- rurgien en chef, arrivant de Saint-Marc où 1 a D'UN NATURALISTE. 303 connu mes ouvrages sur la médecine. « Où est, » M. Descourulz, s’écrie-t-1l, qu'il vienne à » l'instant; le général Dessalines le dernande »! Tour à tour agité de crainte et d’espoir, je ne sais si je dois répondre : enfin on me fait place; il s’élance vers moi, me prend par le bras, et me tre hors de la prison, en me disant d’une voix entrecoupée que le massacre va commencer dans une demi-heure !...! Ce coup m’atterra; cependant il falloit paroître devant ce juge inflex1- ble, qui néanmoins ne m’attendoit pas. M. Say n'ayant pu obtenir ma grace, vu l’immensité de nos possessions, avoit pris sur lui, en faveur de son influence auprès des soldais, de se dire envoyé par Dessalines qu'il vouloit intéresser par ma présence imprévue. Je parois : tout à coup les yeux éuncelans du ugre altéré du sang Desdunes (1) se dirigent vers moi, et me font tressaillir !.. Il se trouble! Je pälis!.… gronde !.. Je suis condamné !.. A peine les deux canons de ses pistolets sont braqués sur ma poitrine , qu'il a déjà fait signe à sa garde d’obéir à son atroce volonté. Ils m’ont bientôt saisi ! déjà l’on m’entraînoit, l’ame presqu’éteinte, (1) Rossignol - Desdunes, famille nombreuse et respectable du quartier de l'Artibonite, à ATEN je suis allé. s- 304 VOYAGES absorbé autant par l'incertitude que par la dou- leur. Je marchois au supplice lorsque son épouse treimblante et alarmée embrasse ses pieds pour lui demander ma grace. M. Say de son côté, lui observe avec fermeté que je lui ai sauvé la vie dans une fièvre inflammatoire; qu’il y a dela cruauté, de l’ingratitude à me traiter ainsi. Ces mouvemens de pitié en ma faveur le fatiguent, irritent encore son Courroux, €t toujours inexO- rable, 1l s’écrie d’une voix plus forte et en- rouée : « (1) N’oncl à li mourir’. li va mourr » tou’ jour di la. Soldats , far ca moué di vous. » oté li douvant g'yeux à moué: conduis li » pisser où ü vous connoi (2). Non, s’écrie » Mme Dessalines, en embrassant de nou- » veau son époux furieux qui la repoussoit » toujours; non... il n'ira pas »! Elle pleure... Le tigre est en suspens !....@Un mouvement divin qu’il ne connoît pas achève d’émousser pour l'instant les traits de son ressenti- ment. 11 devient, pour la première fois de sa (x) Ses oncles sont morts, 1l périra aussi. Soldats, obéissez..... qu'il sorte de devant mes yeux ; menez- le dehors où vous savez. (2) Le mot pisser étoit le signal de la mort à la baion- nette; il exprime dans cet idiome le ruissellement impétueux d’un sang forcément épanché. Vie, D'UN NATURALISTE. 305 vie, pitoyable, et s’écrie : «Soldats, quitté blanc-à » ! Puis à moi. « Sort devant g’yeux à » moué » ! Son épouse étonnée de ce moment de douceur, me fait signe en ouvrant une porte dérobée de me cacher sous le lit. Bientôt ce nouveau Néron rentre dans sa chambre, et s'attable avec plusieurs officiers généraux de son état-major. Ils sumulent, à l’aide de boissons enivrantes et de recits de cruautés commises par certains propriétaires blancs , leur ardent désir de se venger des insignes vexations exer- cées envers leurs semblables au tems de leur esclavage. Ils plaignent plusieurs indi- vidus qui seront victimes innocentes : une seconde rasade interrompt ce mouvement de piué ; Îles traîtres ne parlent plus que de mort! Mon histoire est racontée (rt). Ils ne me croyoient pas si près d'eux, lorsque Dessalines se levant apercoit nne de mes jambes, et me dit : « Ça vous faire là p’ut blanc » ? Glacé de frayeur, je ne pouvois remuer ; il me üra par le a — (1) «Blancs France layo, disoit-Dessalines, gagné muhice, ouil...... Yo connoi tout queuq'chose. » Miré Descourtilz, li connoi musique passé qui! li connoi traité mounde qui malade ! li connoi toute bête layo qui après couri’ dans l'eau, comme dans terre! li. après pinturé yo semblé si ÿo vivans, li bon garcon, mais li assez : ça domage tuié li ». Toue NL, 0 L-1 Y OS 3% » 306 VOYAGES pied , et après s’être plaint de mon indiscréuion, 1l me renvoya à sa femme. M, Seguinard, qui avoit trouvé le moyen de se cacher sous le même lit, ne fut pas aussi heureux que moi; car le commandant Lafortune l'ayant aussitôt apercu, ils s’armèrent tous de leurs sabres, et malgré les eHorts de ses mains suppliantes , l’infortuné fut écharpé sur la place. Toute la Nature génnssoit de cet acte de cruauté, les animaux eux-mêmes; d’un côté, les oiseaux interrompoient le silence par des chants pluinufs ; et ailleurs les quadrupèdes, per des beuglemens sourds et entrecoupés , sembloient prendre part à un événement aussi funeste. Des troupeaux immenses de moutons, cabrits, bêtes à cornes , appartenant à Dessalines, où provenant du pillage des habitauons de l’Ar- übonite, qu'il faisoit conduire dans /es cahos, sa retraite éloignée du théâtre de la guerre, six bœufs se détachèrent de la tête, mugissant d’une manière remarquable , et s’avancant à regret vers un terrain qui alloit être imbibé de sang; ils côtoyèrent la prison, fouillèrent avec précipitation une fosse énorme (1) qui sembloit indiquer le lieu d’une sépulture. Elle (1) Ce fait surprenant est connu de tous ceux,qui s CU ce bourg, ont échappé aux horreurs du massacre. D'UN NATURALISTE. 307 servit à quelques malheureux tués des premiers coups de feu, sans que beaucoup aient fait cette remarque qui ne m'a point échappée. À sept heures du soir, une heure après ce passage, la tête des noirs étant échauflée par le tafia, on ordonna l'incendie qui de ses tourbillons enflammés précéda immédiatement le massacre, J'ai conservé jusqu’à présent le sou- venir du son aigre et funèbre de la générale, exécutée par quarante tambours et autant de fifres criards, percant l'air de leurs sifflemens obstrnés par le souffle impétueux et forcé de leur rage impatiente, Bientôt le signal du massacre général fut donné! Le ciel cacha cette scène d'horreur 5 la lune se levoit, mais sa transparence fut trou- blée : de tous côtés le bruit d'armes à feu ré- valloit la douleur assoupie. Chacun prêétoit l’oreiile ; c’étoit pour entendre les derniers cris plainufs de .vicüimes expirantes sous les coups redoublés des assassins, soit à la baïonnette, soit à la crosse de fusil! La mort de l’arme à feu, trop douce pour assouvir la cruelle rage de ces cannibales , ils ne s’en servoient que pour ceux qui étoient recommandés. Les blancs du canton, libres sur parole, furent bientôt pour- suivis et ramassés de toutes parts. Leur cer- V 2 308 VOYAGES velle, jaillissant de 1ious ‘côtés, alloit s’attacher aux murailles ensanglantées. Bientôt le plomb meurtrier siffle de tous côtés, la balle perfide va frapper indisinctement le vieillard et l'enfant ; elle ne respecte personne. Le tyran Dessalines à l’œil hagard et étincelant , portoit sur son front ridé l’empreinte de la cruauté et de la scélératesse. Il appeloit d’un geste les exécuteurs atroces de sa volonté sangui- naire, les rassembloit, les excitoit, et les harce- loit en les agaçant par des souvenirs d’esclavage. Par-tout les cendres éparpillées, les cadavres frémissans décéloient le passage des assassins, et leur marche sanglante. Les victimes, saisies par leurs bras vigoureux, vouloient en vain lutter contre un groupe d'Hercules forufiés en- core par une rage frénétiqne. Le courage s’éva- nouissoit bientôt chez notre classe impuissante , pour faire place au sentiment douloureux d’une frissonnante frayeur ! Les rues étoient jonchées de cadavres; et vou- Jant me cacher chez M. Massicot, chirurgien de l’ambulance Lucas, dont la maison étoit gardée pour la sûreté des officiers de santé, je chancelois, dans ma marche peu assurée , à la vue de parens où d'amis expirans dans des tortures affreuses , obligé de fouler, de meurtrir ces chères dépouilles pour me rendre à ma desti- D'UN NATURALISTE. 309 nauon, toujours à la veille d’être frappé moi- même, et de grossir les monceaux de ces corps palpitans ! J’entrai chez M. Massicot ; mais quelle sûreté devois-je attendre dans une maison à elaire-voie, gardée par une sentinelle déjà ivre, qui pouvoit être culbutée par un peloton de ces assassins elfrénés, cherchant à violer notre asile pour - y piller le tafia et l’or qu’on savoit y être. Le vieux Massicot, dans cet état où J’avarice devient plus que jamais méprisable, avoit peine à se décider à retirer de fonds sablés une bouteille de vin vieux; il ne nous offroit que de l’eau. Il perdit plus tard, par l'incendie, le fruit honteux de sa fausse économie, sans exciter nos regrets. Plus occupé de son porc à l’engrais que de sa propre vie, 1l ouvroit continuellement sa porte, qui toujours eut dû être fermée pour éviter des méprises dangereuses. Et pourquoi ces précau- uons? pour demander d’une voix tremblante et cassée , si fanfan étoit toujours là. Fanfan étoit le nom de son cochon. Ces scènes burlesques, qui dans tout autre cas eussent été récréatives, nous fatiguoient par leur ridicule. Plusieurs de nos chirurgiens , se croyant en sûreté, soupèrent tranquillement : pour moi, semblable au jeune agneau qui attaché au fatal poteau y attend son sort, je V 3 310 VOYAGES reslai quarante-huit heures sans manger n1 dor- mir, mort enfin à tout sentiment. O mon épouse! toi mon fils! à mon pére! et vous tous mes amis! que le souvenir de notre séparation m'était alors douloureux! Je vous criois adieu! mais vous ne pouviez l'entendre ; hélas! des mers immenses nous séparotent. Pendant cette consternation générale, je sortis un instant dans le jardin, mais.... Ô: Bouté divine! un nègre que je ne CONNOISSOIS pas, et que je crovois chargé de mon exécution, vint me prendre par le bras, et m'entraiîna d'abord vers une masure dans laquelle 1l me dit de me mettre à genoux...... Je crus que c’étoit fait de moi ; mais lui-même se jetant à mes pieds ; il se nomma comme malade guéri de ma main, et nr'assura que je n’avois rien à craindre, Observant ensuite que cet endroit étoit trop à dé- couvert et trop près de l’importun M. Massicot, qui venoit d'y arriver avec son fanfan, ce bon nègre me fit rampeér parmi des épines sous Ja voûte touffue d'une haie de campêches jusque vers le bord d’rn ruisseau. C'est là qu'il m'y fit cacher sous des pois de France ramés, dont il m'enveloppa la tête pour me laisser respirer , et veillant sans cesse aux environs, 1l ne me quutta pas d’un. seul instant. Malgré ses vigilantes précautions, fut apercu par des maraudeurs. D'UN NATURALISTE, SII On üra sur lui; la balle vint siffler au dessus dé ma tête. Il se jeta sur moi en contrefaisant livrogne, et ne quittant point ce caractère ingé- meusement imaginé, il balbutia qu’il n’étoit pas blanc, qu’il étoit nègre Congo, mais qu'il ne pouvoit les suivre. Aoué fini net caba, disoitil d’une langue épaisse; moué pas capab” bougé place la ; moué sou caba. Ce qui veut dire : Je Suis ivre mort. A vides de pillage, etanimés eux-mêmes par le tafia et le vin, ces assassins crurent mon libé- rateur sur sa parole, et tournérent leurs pas vers de nouveaux crimes. Ainsi donc la vie confinée dans sa derniére retraite, je la resaisis encore aux portes mêmes du tombeau. J'étouflois sous le poids de ce nègre bienfaisant qui, par cette ruse, toit tout soupcon de trouver quel- qu'un aussi près de lui. I se releva, et pleura de joie de m'avoir sauvé. I me garda ainsi jusqu’au lendemain maun, non sans crainte, mais tour- menté par une juste frayeur, en nous trouvant au milieu du théâtre d’un carnage toujours renaissant. Pendant ce tems, l'asile divin fut souillé; l'autel teint du sang d’un jeune homme de seize ans , qui, les cheveux épars, venoit à genoux implorer la protecuon de la Divinité ; les mains et la bouche dégoûütans de sang, nus, malgré LR" 312 ( VOYAGES la sainteté du lieu, les cannibales ‘achevèrent cette victime innocente qui avoit résisté à plus de quarante coups de baïonneue ! Bientôt la garde meurtriere fonce la porte de la prison où l’on avoit eu soin de concentrer dans chaque chambrée les malhenreux prison- niers pour n'éprouver aucune résistance. Les premiers numéros sont appelés deux à deux, attachés par les bras l’un à l’autre, dépouillés de leur argent, de leurs vêtemens, puis lardés a coups de baïonnette, Déja le tas des expirans commence à grossir , que ces bourreaux se plai- gnent de la lenteur de l’exécution : lassés égale- ment de plonger et replonger l'acier émoussé dans ces chairs repoussantes, ils fusillent au passage. Les prisonniers sortent en foule pour hâter une mort prématurée ; le feu devient plus vif. C’est par ma chambrée que l’on commenca; aucun des quatre-vingt-sept n’échappa à cet horrible carnage ! Des disputes s’élévent parmi les soldats qui décident de composer avec chaque prisonnier sur le genre de supplice : les uns étoieut exécutés à l'arme à feu, ceux-là à l'arme blanche , d’après l'argent donné aux sous officiers porteurs de fusils, ou aux soldats munis de coutelas et de baïonnettes. On ralentit donc de sang-froid ces momens de carnage afin d'éviter la confusion !..! Quelle barbarie !...! D'UN NATURALISTE. 313 Des cris percent la foule ; bientôt paroît dans l'obscurité le ministre apostolique revêtu de ses babits sacerdotaux , l'abbé Vidaut, dont je répète le nom avec vénération : consolateur de nos momens d’anxiété, 1l ne s’étoit point contenté de nourrir avec abondance la majeure parte des prisonniers, pour lesquels il fit des sacrifices énormes ; 1] falloit encore sauver la vie de quel- ques-uns , en exposant visiblement la sienne : 1l est méconnu par ces démons emivrés; il est repoussé , frappé; des balles effleurent ses vête- mens, rien ne l’étonne; 1l coupe de tous côtés les liens qui unissent les victimes, et en sauve un grand nombre que les soldats laissent passer , croyant qu'il a des ordres, et d’ailleurs apaisés par de l’or qu’il prodigua avec libéralité. Maintenant à Angoulême, 1l verra, je crois avec plaisir, que justice lui est rendue par un de ceux qu'il a si généreusement obligé, et qui s'efforce de lui prouver toute sa reconnoissance. Il eût été à souhaiter que dans chaque division les ecclésiastiques se fussent conduits de même. Enfin 1l est obligé de sorur , repoussé par les soldats dont l’avidité insaüable ne trouvoit plus à profiter des dépouilles. Il fuit en heurtant absence rallume une rage lésérement assoupie. Les têtes volent de nouveau sous le coutelas 314 VOYAGES homicide ; le sang coule à grands flots ; les bour- reaux sont baignés, abreuvés, rassasiés d’un sang qu'ils ont depuis si long-tems demandé! Une autre chambre est ouverte : quelle est leur surprise d’éprouver un retard, de n’en voir sorüur personne , de ne plus trouver en ce cachot qu'un seul prisonnier! l’affreux suicide avoit exercé son criminel empire, et devancé le terme de la carrière de ses compagnons : les uns étranglés avec leurs cravates , d’autres empoi- sonnés par les narcotiques du pays, ou Popium ; ceux-ci percés de leurs propres mains; un seul n’avoit pas craint d'affronter la cruauté de ces bourreaux , dans le vain espoir d’adoucir pour quelques momens leur frénétique fureur , ou au moins d'en suspendre les effets. M. Lapointe, âgé de trente ans et père de deux enfans, demandoit un retard de deux heures pour les embrasser encore une fois avant de mourir : vaine tentauve ! la piüé n'existe plus dans des cœurs avides de forfaits et gorgés d’atientais!.… On lui fait un erime de sa demande, et pour l’en punir , on exerce sur lui mille cruautés ! 1l est dévirilisé ! on lui rompt les doigts à la renverse, puis tour à tour il est transpercé et muulé, on le met en pièces. L’un d’eux qui le savoit mon parent et mon ami, propose de n’envoyer cher- cher, pour savoir si avec tout mon art je D'UNANATURALISTE. 315 pourrai rassembler les lambeaux , et leur rendre l'existence. Du sentiment!!! les cruels! Is ne purent me trouver. Tremblant au fond de ma fosse, je m’entendis bien appeler chez M. Mas- sicot; mais je me serois bien gardé d’en sorur. Un autre officier de santé fut emmené, bafoué et maltraïté. Düix-sept noirs furent tués sur la place, “chacun pour avoir soupcouné son voisin du vol d’une ceinture contenant environ trois cents portugaises , qui font douze mille francs. Elle appartenoit à M. Giraudeau, sous-chef de l'administration des Gonaïves. Cet or passa furtivement de main en main jusqu’au dix-sepuème, qui lui-même fut té par un officier noir qui s’en empara et s'enfuit: cet homme immoral se plaisoit, dans‘lés camps, à répéter ces actes d’atrocité. Dans ces ténèbres éclairés à regret par la lune pâle et ensanglantée, avare de son. flambeau, sous le ciel obseurci où elle s’échipsoit à chaque instant, soustraite par l’amas condensé des vapeurs du sang humain répandu ; ces bar- bares anthropophages animés dans leur férocité naturelle par une liqueur enivrante dans laquelle ils baignoient des membres palpitans, un sexagénaire paisible (1), ayant près de lui (:) M. Flacquet, demeurant à Saint-Marc. 316 VOYAGES toute sa fortune , un fils doux et bien aimant, s’avancoit à pas tremblans, conduit par le jeune homme vers des campêches touffus , avec l’es- poir d'échapper une seconde fois à la mort. Il heurte dans cette marche chancelante un corps ayant encore vie, qui laissa échapper une plainte au renouvellement de ses blessures engourdies ! il est entendu d’une embuscade prochaine dont les soldats fondent , avec l’impétuosité de tigres® altérés de sang , sur les trois malheureux sans défense ! Pleins de fureur, grincant les dents, écumant de la rage du ressentiment, ils frappent! bientôt les trois troncs sont confondus dans un sang qui jaillit detoutes parts. Le père est décapité; et le fils !..... contraint, malgré ses débats et l'horreur d'une pareille monstruosité, à recevoir dans sa bouche resserrée la cervelle famante de l’auteur de ses jours qu’on lui a fait poi- gnarder !....... Je reconnus ces trois cadavres le lendemain , au sorur de la fosse où l’on m’avoit fait passer la nuit, et je ne pus éviter ce spectacle atroce sans la cerutude , au moindre regard de piué, de voir le même terrair: abreuvé de mon sang par ces bourreaux à moitié endormis au- tour de leurs victimes ! Les tumultueux eflets de cette barbare effer- vescence n’avoient point encore incendié de leur D'UN NATURALISTE. 3r7 feu rongeur les habitations reculées de l’'Arui- bonite, où les habitans, paisibles encore et pleins de confiance en l’amelioration annoncée, attendoient, dans un espoir flatieur, ce jour tant désiré. M. Dubuisson, octogénaire et privé de la vue, se hvroit dans le silence de la méditation à de riantes conjectures lorsqu’entendant du bruit, et tranquille encore à la veille d’une mort violente, 1l en appelle les auteurs , croyant appeler ses domestiques ; mais !....… le poignard 7 M. Dubuisson seul étoit tranquille !..... les assassins se disputent le premier Coup... -Porté par des ingrats, 1l est mortel !...…… et des flots de sang se mêlent aux reproches de l’octogénaire qui expire en pardonnant à ses bourreaux! . Les habitans du Gros-Morne, bourg de la dépendance des Gonaïves, furent de tous les prisonniers les plus misérablement tourmentés. Le commandant Guibert, d’abord humain, mais ex-aide-de-camp de confiance de Toussaint- Louverture, en développa les principes sangui- naires , long-tems alimentés dans son sein, dés que livré à sa propre volonté, il s’éloigna de son général. Docile aux lecons de son maître, 1] mit à exécution, avec une scélérate exactitude 318 VOYAGES qui annonce un partisan zélé du crime et du brigandage, des ordres destructeurs qu'il pouvoit soustraire, Toujours bien accueilhl des propriétaires, Guibert fut insensible à leurs bontés au point de les trahir. Au milieu d’un repas communal auquel les habitans du Gros-Morne assistérent avec trop de confiance, Guibert, sous le voile mensonger d’une feinte cordialité , fit saisir ces habitans , puis étroitement garrottés, il les fit garder à vue, malgré les sages représentations de Mrs Paul, Prompt et autres propriétaires de couleur, vrais amis du bon ordre, et tou- jours armés pour le rétablissement du pays. El les fit conduire au milieu de terres sauvages de la partie espagnole , en les .harcelant dans leur marche pémble et raboteuse, pour ensuite les faire revenir au Gros-Morne, et de là les pousser comme des agneaux aux Gonaives, où, leur refusant toute autre nourriture que celle de baies de bois d’orme , après une route forcée de plus de vingt-quatre lieues, dans laquelle leurs bras crevèrent par la contusion et l'expansion d’un sang extravasé , is arrivèrent près du bourg de la Petite-Rivière où ils furent tous massacres ! Souvenirs affreux, enveloppez-vous de vos cou- leurs lugubres! Génie de l'amitié, venez honorer D'UN NATURALISTE. 319 les manes de malheureuses vicumes. Auteur du monde, frémis du haut de ton séjour céleste! Rends-toi protecteur de victimes innocemment sacrifiées, et dénonce à ta Justice les hordes criminelles de ces assassins effrénés! Parle! et bientôt punis de leur atroce scélératesse, 1ls vont expier , dans de violens remords et dans la misère la plus affreuse, la somme totale de leurs iniquités. Commande, et bientôt confondus, leurs corps grossiront les monceaux de leurs vic- ümes pour leur annoncer que toujours les crimes sont punis. Leurs spectres odieux iront implorer un pardon secourable des cendres mêmes de ceux qu'ils ont égorgés. Ah! Marum, Cressac, Pelleuer, Imbeau, etc. et vous tous, mes amis, dont il ne me reste plus que le souvenir des vertus, dont les noms me sont si doux à prononcer, du séjour bienheureux que vous habitez sans doute, pardonnez à vos méprisables ennemis , aux délateurs, aux bour- reaux de l’innocence... Que dis-je, pardonnez?..! Votre poussière s’agite.. je me tais. Je vous vois encore, trop malheureux amis, dans les hor- ribles supplices d’une douloureuse agonie, vos lambeaux se révoltant sous le couteau brut de vos lâches assassins. Et toi Jfarsan!…. mort mille fois ; toi, dont le corps tout déchiré après trente heures de convulsions cruelles , se tourna 320 VOYAGES encore vers ton ami pour lui désigner d’une main sans force le lieu prochain de ta sépulture, une terre abreuvée de ton sang! Toi qui as épuisé l'innovation sanguinaire et lente d’enfans qui se jouoient de tes, souffrances , en plongeant et replongeant leur criminel acier dans tes bles- sures profondes et innombrables! Toi que des soldats impitoyables n’ont pas voulu me laisser secourir, recois l’expression de ma tristesse et de mes regrets | Après le repos de cette nuit désastreuse, c’est de sang froid que les assassins veulent porter de nouveaux coups. Le commandant Lafor- tune annonce impudemment aux moribonds échappés an carnage, que de nouveaux meurtres sont nécessaires; qu'il n’a point assez coulé de sang, puisqu'il existe encoredes blancs. Un piquet est donc de suite commandé pour faire de nouvelles perquisitions dans les masures à demi- brülées ; l’ordre est donné de garrotier tous les fugiufs , et de s’en défaire. La patrouille meur- trière de retour chez Lafortune, raconte ses exploits. On fait une nouvelle recherche dans la maison même du commandant, et douze blancs retrouvés sont martyrisés, malgré leurs supplians gémissemens. Les uns, lardés de piquans de raquetie sous les aisselles et les cuisses, furent forcés de courir jusqu’à exuncuüon de leurs forces. D'UN NATURALISTE, 3at forces. Des femmes enceintes furent empalées, d’autres eurent les yeux crevés par des épingles, et des enfans furent dévirilisés avec de mauvais ciseaux. Quant à moi, craignant toujours le caprice de ces bêtes féroces, je m’étois caché pendant la visite dans un salon du commandant Lafortune, derrière M. Péraudin, domicilié du bourg, et malade d’un ulcère à la jambe. A chaque fois que quelque soldat vouloit approcher de lui, il crioit de mamière à faire croire qu’on lui avoit froissé sa plaie; ce qui.écartoit l’importun. Je fus cependant envoyé, pour la dermère visite , à l’ambulance Lucas, dont l’habitauon se trouve à une portée de fusil du bourg; et malgré mes représentations, On me contraignit à y aller seul. Comme il étoit à craindre qu’au poste du dehors, ou même dans les rues désertes, on ne me prit pour un fugitif, j’eus la précaution de tenir d’une main une trousse et un lancetier; de l’autre, des bandages largement déployés, et un pot de digesuf, pour qu’on n’ait point à douter que mes services étoient utiles. Bien m'en prit, puisqu’au détour d’une hate hérissée de baïonnettes, un peloton m’ajuste et alloit urer, sans mon empressement à crier que je suis mé- decin de l’armée, et à en déployer les preuves aux yeux des assistans. Cependant on m’arrête, Toue I, X OA * : VOYAGES on m'examiie, et, malgré mes sermens, je ne sais Ce qu'on auroit fait de moi sans l’arrivée de M. Conain, ancien praticien de Saint:Marc, qui me suivoit, et allnit, comme moi, à la même ambulance. Ce peloton environnoit un groupe de blancs ramassés dans les bois, au secours de chiens qu’on avoit mis à leur quête. On nous fit signe de nous éloigner, pour ne pas les recon- noître, mais Javois d’abord apercu mes deux ivalheureux oncles, M. Rossisnol-Desdunes- Poincy, père de famille sexagénaire , et son frère Lachicotte, ce brave et digne homme dont 24 j'ai déjà parlé (1), M. Alain notre négociant, et (1) M. Desdunes-LTachicotte avoit pour valet de chambre de confiance un nommé Lubin, qui fut son ennemi le plus prononcé. Déjà son généreux maître l'avoit arraché des bras de la mort, un jour surtout qu'il y fut condamné pour avoir brûlé trois cartouches sans pouvoir ätteindre M. Lachicotte. Ce féroce favori, dé- pourvu de naturel et de reconnoissance , se voyant enfin au moment d'assouvir sa rage , refusa quelques pièces d'or des son maitre, qui le conjuroit par ce dernier présent , de lui donner au moins une prompte mori. Lubin préféroit se repaître des souffrances affreuses de son maître, qu'il transperça à coups de baïonnette, Telle fut la fin malheureuse d’un ami bon, sincère et généreux, au souvenir duquel je donnerai toujours quelques larmes ! D'UN NATURALISTE. 323 plusieurs autres. Un marchand des Gonaïives par exemple, basque, peut, mais très-alerte, ayant été dépouillé de ses habits pour être poi- gnardé, sans perte d’effets, eut la présence d’es- prit d’étourdir ses deux gardiens par une paire de soufflets, puis d’un élan de sauter tout nu par dessus la haie, et de courir précipitamment dans les sillons de cannes à sucre, pour y cher- cher un salut qu'il ÿ trouva , quoiqu’ayant essuyé à son départ un feu assez vif que nous entendimes. Il restoit le jour sous le feuillage, et marchoit la nuit à la faveur des ténèbres, jusqu'à ce qu'il ait eu le bonheur de rejoindre une colonne de l’armée française, ainsi qu’il me le raconta. Son camarade, M. Rospitt, comman- dant de la garde nationale des Gonaïves, basque aussi, mais plus grand et moins exercé dans la gymnastique, ne fut pas si heureux; car ayant manqué son saut, et étant retombé au milieu des épines de la haie , il y fut brûlé vif! J’arrivai tremblant à l’ambulance Lucas; et pour comble de contrariétés, on m’ordonna d’amputer un chef des assassins, mutlé par méprise au milieu du feu de la prison. Je ne sais comment 1l put survivre à ses blessures ; ce n’est que le lendemain matün qu'il se traîna seul à l'hôpital. La vue d’un pareil monstre rougi du sang de mes parens, de mes amis, d’un X 2 324 VOYAGES sang innocent confondu à celui de la scélé- ratesse, troubla ma raison ; je m’évanouis. Cette sensibilité pensa m'être funeste; on m’invectiva, et les propos ne se calmèrent que quand j'eus dit que cette défaillance provenoit d’un besoin de prendre quelqu’aliment. Enfin, ayant recu ordre de 1ransférer les am- bulances au Calvaire { habitauon Miraut), nous quittèmes les cendres fumantes du bourg de la Peute-Rivière, pour nous acheminer vers notre desuünauon. J’abandonnai, le cœur bien contrit, ce terrain ensanglanté dépositaire de tant d’objets chéris, et je tournai vers les montagnes mes regards pleins d’amertume. Aux cadavres des hommes étoient joints ceux des animaux domes- üques- sacrifiés dans livresse féroce de ces barbares , qui avoient également tué une quan- uté immense de volailles |, sans les mettre à profit. Ces hommes féroces poussèrent la cruauté jusqu’à enlever aux bœufs un côté de la cuisse, pour en faire une grillade, puis après ils laissoient aller l'animal 1... Le sac sur le dos, je suivois en tremblant les cabrouets des malades, car à chaque cahot, les blessés, qui étoient tous armés, devenoient furieux , et me menacoient lorsqu'un infirmier apparut soudain. C’étoit un nègre, mais c'étoit un brave homme qui se déclara D'UN NATURALISTE. 325 mon défenseur. « Si zautr” vlé tuié hi, tmié nioun’ fois papa vous (1) »! leur crie le brave Pompée, en les ajustant de son long pistolet. Sa vieillesse et son état le firent respecter, et dès ce moment 1l ne me quitta plus. Après avoir ainsi long-tems combattu la fatigue et respiré une poussière désagréable , nous arrivâmes au haut d’un morne couvert de lataniers auxquels on venoit de meutre le feu, pour prévenir les embuscades. N'ayant bu ni mangé depuis deux jours, et rencontrant un cabrouet chargé de provisions pour Dessalines , je tendis la main à une femme de couleur qui, æprès m'avoir reconnu, me plaignit beaucoup, et m’ayant fait désaltérer, me donna quelques alimens que je dévorai sans disconunuer notre marche. Enfin, Æ/onorine (c’étoit le nomde cette. jeune mulätresse) ranima mes forces avec un coup du tafia qu’elle portoit dans un coco aux officiers; elle me fit aussi le cadeau d’une morue salée, en m’essurant qu’elle ne pouvoit faire mieux pour moi jusqu'au lendemain. À peine leus-je perdue de vue, que cédant à ma faim insatable, je mordis dans la morue sans la faire cuire; et j'allois y faire une grande brèche, si le bon _Pompée , par intérêt pour ma santé aulant que (1) Ma vie tient à la sienne. X 3 326 VOYAGES par la cerutude que ce poisson nous feroit hon- neur à notre arrivée dans un camp dénué de tout, ne me l’eût demandé ; il la donna à sa femme qui le suivoit avec deux ânes porteurs de son petit équipage. | . Honorine unt parole , et ayant parlé de moi à Mme Dessalines : , Je recus un peu d’argent et du porc salé, ainsi que des légumes secs , avec recommandation expresse de garder le silence à l’égard d’un bienfait qui ne devoit poit être connu. Le bôn Pompée me trouvant trop géné- reux dans une circonstance si perplexe, m'ôta la disposition de toutes ces provisions, et les remit à sa femme ; il employa l’argent à acheter des andouilles de tabac, pour les revendre en détail aux soldats : c’est ainsi qu'il faisoit valoir mon argent qui devenoit l’objet de sa spécu- lation. Ce peut commerce nous, procuroit le café trois fois le jour, du sucre, des cigares auxquels je fus obligé de m’accoutumer pour raison, C’est à dire, afin de n’être point suspecté de hauieur dans les entreuens que nous avions auprés du feu avec les blessés arrivant de la” grande armée. . Tous les soirs et les mans, pendant que le bon Pompée me préparoit avant le jour le"premier café , et le soir la petite goutte de croc (tafia), j’éludois, en fumant mon cigare, une série de questions insidieuses de la part de D'UN NATURALISTE. 327 soldats toujours empressés à me rendre coupable de quelqu’indiscrétion. Pompée avoit l'oreille à iout, et répondoit pour moi avec fermeté lorsque le cas étoit épineux et délicat. Réduit dans ces mornes frais à coucher sur la terre imbibée de rosée, ne possédant plus rien pour m'envelopper, ce brave homme partageoit avec moi sa couverture, et vouloit enfin que tout fût commun entre nous. Tous les nègres le respectoient à cause de son äàge, et l'appeloient papa, expression honorable du pays qui le mettoit plus à même de m'être favorable selon ses désirs. Les repas étoient toujours réglés saus que je n’en occupasse, et les mets conformes à mes goûts que le vieux couple étudioit. Les pillards étant arrivés au camp, Por y étoit si commun que beaucoup d’entr'eux n'en con- noissant pas le prix, aimoieni mieux largent dont les pièces étoient plus larges. On nr'offrit 7 rondins (1460 liv.) pour 17 gourdes (85 fr.) ; mais craignant que cette offre ne fñt un piége, et d’ailleurs répugnant à cet échange souillé par le crime, je refusai ces proposiuons. M. Sajus négociant à Saint-Marc, et particu- lièrement connu de moi, s’étoit sauvé de la prison, à la faveur de deux cents portugaises (8000 fr.) au commencement des sourds prépa- raufs du meurtre et du carnage. Homme robuste 328 VOYAGES et courageux, 1l avoit culbuté à son passage la sentinelle assoupie, etpromptement escaladé une muraille. Le péril le plus évident étoit passé, puisqu'au moyen de cotonniers épais et plians sous leurs nombreux flocons, il avoit attendu dans le silence l’issue de: cette catastrophe. Je le revis quelques jours après dans les bois de l'habitauon du calvaire Miraut , exténué de faugue, déchiré par les piquans et les épines dont les bois qu’il avoit traversé étoient hérissés. Haletant de soif, accablé par la faim, il étoit mécounoissable. L'épreuve de tant de calamités avoit altéré sa raison; le souvenir effrayant des dangers passés, et l’entrevue de ceux à venir le sufloquoient, et faisoient rouler de grosses larmes dans ses yeux éteints par une juste frayeur. Je tentai de calmer ses esprits, de ranimer son courage , et je le préssai de reprendre ce naturel stoïque que je lui connoissois. «Je ne suis plus » homme (me dit-il avec langueur) ; ces mêmes » facultés ne sont plus en moi! je ne suis plus » qu'un agneau tremblant.…. Voici... voici. » les voilà ces bouchers sanguinaires, 1ls vont » fondre sur moi! défendez mes jours! ou » plutôt, pour m’épargnerde nouveaux tourmens, » qu'ils assouvissent leur fureur dans mes dé- » pouilles agitées de trouble et d’effroi » ! A cette déclamation qui lui étoit pourtant naturelle, je D'UN NATURALISTE. 329 reconnus qu’il étoit frappé; cette certitude me fit fréour. En vain je voulus lui faire entrevoir l'espoir de son salui, en prenant sur moi de le garder à mes côtés, comme infirmier; parü qu'il embrassa d’abord avec des transports ontrés, et qu'il rejeta ensuite, dans la crainte de ne pouvcr se maintenir à la vue de canmbales dont la présence eût rendu son existence cent fois plus terrible que la mort. I préféra vivre errant, dans l'espoir de tronver près de là, me disoitil, un sûr asile qui est devenu son tombeau. Ÿ ayant été découvert, la chaumière fut cernée et incendiée; le malheureux prisonnier d’abord échappé aux flammes qui l’avoient déjà noirat, et enveloppé d’un tourbillon de fumée qui l’étourdit et le suffoque, tombe, ‘ei bientôt assailh par la horde crinnnelle, il a déjà recu vingt coups qui ne sont pas mortels. Furieux de se voir seul pour veiller à sa défense, 1l réunit toute son énergie, arrache le coutelas - d’un de ces meurtriers, mais il devient inuule en ses mains; un d'eux lui ayant coupé les jarrets , 11 tombe et reste sans défense. C’est alors que se déployérent tous les supphices les plus revoltans pour punir une résistance si naturelle. Ces assasins , après des hurlemens affreux qui annoncoient un trépas cruel et pro- chain, lattacheut d’un bras et d'une jambe à un 330 VOYAGES gayac , puis à l’autre flanc ces monstres infernaux s’attélent, en grondant de joie, pour arracher, disloquer les membres palpmans de leur victime malheureuse! Sajus est déchiré!..! Un d’eux, dans ses transports de rage, a oublié de punir les regards fiers de Sajus; 1l vole à la tête séparée de son tronc, et lui arrache les yeux avec le tire- bourre de son fusil! Un autre, jaloux d’une réputation parmi ses égaux, va Jui rôur les poignets qui se sont inuulement armés du cou- telas! Ainsi se termina la vie du malheureux Sajus, qui ne prit même pas part aux horreurs des deux derniers supplices. Cette scène se passa à Cinquante pas de môn ambulance sans que j'aie pu le secourir, étant obligé d’étouffer jusqu’à mes soupirs au milieu de démons étonnés de ne pas me voir sourire (1). Mes succès dans les cures des blessés, que je traitois par les plantes du pays d’après la com- bustion des pharmacies, me donnérent aupres des autorités noires un relief qui me rendit bientôt un important personnage , non peint du côté de la puissance, puisque sans cesse et par-tout accompagné de quatre dragons , je ne ponvois seul faire un pas, Car on étoit persuadé qu al me tardoit de rejoindre la colonne francaise, . . - , (1) Dent pas cœur, m'appeloient-ils alors ; disant par là que je riois du bout des lèvres. DUN NATURALISTE. 331 Aussi ces quatre cavaliers, considérés comme mes protecteurs etnommés pour ma garde d'hon- neur, avoient par dessous main l’ordre de me fusiller au moindre projet de désertion. Comme javois soin d’eux, et que je n’épargnois ni le tabac ni le tafia, je captai leur confiance , au point qu'ils me dévoilèrent sans artifice la consigne qui leur étoit donnée. Ils me préve- noient également de complots ourdis par mes jeunes infirmiers, depuis que j’avois été élevé au grade d’inspecteur des ambulances, lesquels com- plots tendoient à me faire mettre à mort comme devenant inuüle, puisque ces jennes nègres se disoient en état d'opérer; maisil n’y avoit rien de plus faux. C’est pourquoi j'emmenai dans une de mes tournées le général de brigade Vernet chargé du détail des hôpitanx, et après lavoir sondé sur ses dispositions à mon égard , je lui racontai le sujet de mes justes inquiétudes. Plein de fureur , 1l voulut de suite faire fusiller le cou- pable , mais c’eñt été gâter mon affaire ; je profitai au contraire de cette occurrence pour prouver aux malades des différentes salles qne J'avois à visiter , l'incapacité de ces élèves , ei le danger pour eux de laisser opérer ces ignorans sans que Je les aidasse de mes conseils. Les nègres qui, lorsqw’ils sont malades, font de leur médecin leur divinité, crièrent tous, 332 VOYAGES quoique prévenus contre moi, qu'ils n’en vouloient point d'autre que p’tit médecin blanc. Ainsi leur cœur se changa en un instant. C’est alors que mettant à profit ce vœu général, j'ordonnai aux deux plus muuns élèves de faire lamputation de l’humerus ganche ; mais, trem- blant de he point réussir, ils annoncérent par cette juste méfiance leur véritable incapacité pour la plus légère opération. Ils tournoient gauchement les instrumens dans leurs mains va- cillantes, et dans leur confusion les laissant tom- ber, ils se jaugérenteux-mêmes. Le général Vernet les disgracia publiquement, retrancha leur raüon, et leur fit prendre le mousquet à poste fixe pour mieux surveiller leur conduite équivoque. Le nommé Sans - Souci, le plus intrigant des deux, recut la bastonnade en convenant de son propos atroce et perturbateur que voici : « Blancs yo va toujours blancs : yo bons pour » iuié, pour corcher tant comm’ camarade à » yo». L'impudent s’attendoit tellement à me remplacer, qu'il s’étoit déjà fait broder l’uni- forme de mon grade. Nous ne pümes jamais savoir par qui, et comment. Saisissant les instrumens devant les con- damnés, je fis l'opération; je dus’ à mes succes la célébrité progressive de ma réputation, et la bonne intention des malades qui se plaignoient D'UN NATURALISTE. 335 amérement quand je ne présidois pas au moins aux pansemens. Il ne faut pas croire que Dessalines m’ait jamais offert de traitement ni de graüficauion. 11 me regardoit très-heureux d’avoir été épargné pour soigner ses malades, gt insultoit sans cesse à ma position. Sachant aussi que je voyageoiïs ordinairement avec célérité, il chercha à me mortifier eñ me donnant des chevaux boiteux, ou, quand ils étoient valides, la selle en étoit dessanglée , de peur que je ne me laissasse em- porter par mon désir vers le camp des Francais qui étoit de l’autre bord de lArtubonite. Camp de Plasac. Comment étancher leur soif insatiable? com- ment adoucir des fanatiques révoltés ? comment détourner de leur proie les yeux étincelans de ces vautours affamés ? comment apaiser leur furie dévastatrice? comment les empêcher de se repaître avec sang-froid de ces scènes de déso- lation? A Plasac, huit jours après le grand carnage qui commencoit à se ralentir, Toussaint-Lou- verture voyant les succès de l’armée francaise , et craignant de trouver en quatre cents Espa- gnols forcés de se battre sous ses drapeaux , des sentimens opposés aux siens ) résolut de s’en 334 VOYAGES défaire, pour ne point avoir à redouter dans cette troupe disciplinée , un obstacle à ses vastes projets; 1l les fait désarmer la nuit, et de suite l’ordre de mort, pendant le même sommeil, est annoncé par le son fatal de la trompette : il étoit minuit. Je fus éveillé en sursaut par un peloton élancé vers mon ajoupa; voulant en vain échapper à une mort inévitable, c’est inutilement qu'ils cherchoient à fuir’ Où diriger leurs pas ?..! la lueur funébre de torches allu- mées les décéloit par-tout. Ma porte mal fermée fut bientôt ouverte sous leurs coups redoublés ; les prenuers sont sacrifiés par ma senunelle même , et leurs corps dans leur chute viennent rouler à mes pieds, en laissant échapper les dernières plaintes de la Nature! Mon asile est méconnu , violé , et devient un lieu de carnage ; les balles sifllent de toutes parts, je n’ai que le tems de m'élancer par une fenêtre étroite, pour n'être point confondu , et ne point grossir l'amas de ces sanglantes vicumes! Le dehors n'étoit pas plus sûr : à mes côtés la mort planoit, et je fus obligé de monter sur le chaume pour me soustraire aux feux croisés. Ne trouvant pas dans le fusil une arme convenable au raffinement de leur cruauté, les nègres en viennent à la baïonnette , et repaissent plus lentement leur rage frénétique ; 1ls plongent et replongent leur cruel D'UN NATURALISTE. 335 acier dans le corps des innocens soldats espagnols pour sausfaire leurs yeux et leurs oreilles. Enfin lés femmes qui avoient suivi leurs époux éprouvérent le même supplice ! Quelques-uns de ces Espagnols, sans avoir échappé à la mort, avoient trouvé pour leur malheur les moyens d’en retarder le moment fatal : cachés dans des boucauts et dan8 des arbres creux, ils furent découverts! La soif ardente de s’entretenir dans le crime fournit à la troupe de cannibales l’idée monstrueuse de ces tourmens. L'un eut le corps scarifié profondément, afin d'y pouvoir ranger des cartouches qu’on. y allumoit. Non content de ces déchiremens dou- loureux , on lui mit dans la bouche un énorme marron d’arufice pour lui faire sauter la tête : ce fui la fin du supplice! Un autre eut les membres désossés, ét son corps fut abandonné privé de son souuen!...! Un troisième fut écartelé par des-arbres for- cément arqués qui lui prirent chaque pied, lesquels en se redressant déchirèrent le pauent ! Un quatrième... quel génie peut inventer un tel supplice ?,..! eut les paupières arrachées , les oreilles coupées ; il fut saigné aux quatre veines par un digne complice de ce Sans-Souci dont il a été déja parlé, et chassé du camp à coups de 336 VOYAGES fouet, en lui disant d’aller porter cette nouvelle aux autres ! Il ne fit pas un long trajet !. _ L'ordre arrivé d’évacuer les ambulances pour les établir dans les mornes des Cahaux , il fallut travailler aux dispositions préparatoires. Il me tardoit de quitter un champ inondé d’un nouveau sang innocent, par l'espoir au moins de trouver le repos et la paix dans la concentration de ces doubles montagnes ; mais la valeur française qui ne Conunoissont point d'obstacles, franchissoit les endroits les plus escarpés, les plus périlleux, enfin penétroit au milieu de retraites inconnues, en nous forcant plus d’une fois de nous déplacer. L’inhumain Dessalines poussoit l’injustice au point de me rendre responsable corps pour corps de la mort d’un de ses soldats blessés ; et à cette époque , d’après les états fournis, j'en comptois, le jour de cette menace, trois nulle sept cent vingt-deux, provenant des deux colonnes en marche. Comme parmi ces malades il y en ayoit d'aigrefins , j'avois soin de me les attacher par quelques préférences, car leur témoignage étoit d’une grande influence aupres du tyran farouche et cruel, de ce Dessalines, qui souvent dans ses tournées générales fit fusiller des infirmiers pour des bandages mal appliqués, en lançant toujours quelques propos contre D'UN NATURALISTE, 337 contre l'inspecteur; mes partisans soutenoient alors ma cause, et apaisoient le courroux tou- jours croissant de l'inexorable Dessalines. | Je comptois parmi ces parusans plusieurs colonels, dont l’un surtout très-douillet, pous- soit les hauts cris aux pansemens d’une balle morte qui m’avoit excité qu’une Jégère con- tusion. J’avois bien som, comme on peut le ptnser, de l’entretenir dans sa pusillanimité. Au reste, je savois à propos ternir les plaies de ces êtres méchans qui, trop tôt gunéris, n’eussent plus fait cas de moi; et pour ne point rougir de m'avoir quelqu’obligauion , eussent fort bien pu se déclarer mes antagonistes : car leur confiance, tant 1ls sont méfians, est souvent accordée et retirée plusieurs fois le jour. Deux événemens furent sur le pont de me coûter la vie. La colonne francaise, au grand étonnement des noirs qui croyoient cette marche impra- ücable, étoit de beaucoup plus élevée dans les montagnes des Grands-Cahaux que notre ambu- lance principale alors fixée, à mi-côte, au Coral-Miraut (1). Le soleil n’étoit point encore levé que je m’occupois déja de ramasser (1) Ca pas z’hommes qui après grimpé là haut, à haut, disoient les nègres, ça diab’ même. Toue LIL, Y 335 VOYAGES les plantes nécessaires aux ‘pansemens du maun. Mon cœur semblant s’élancer vers des hommes de ma couleur, j'avois trouvé le moyen, de cafier en cafier, d'approcher d’eux. Je fus apercu , et tout à coup cerné par les brigands ; mais je ne me déconcertai pas, et je leur exposai le besoin d’une plante qui ne se rencontre qu’au haut des mornes. On me ramena à l’ambulance, non sans murmurer; quant à moi, d’abord confus, je repris mon sang-froid , et rentrai avec un air d'importance, en grondant mes infirmiers de ne m'avoir pas suivi. Une autre fois on m’amena un dragon blessé dangereusement par l'explosion d’une poudrière dont il lui avoit été ordonné d’allumer la mèche. Cet homme inepte avoit eu la bonhomie de rester auprès à fumer sa pipe. L'explosion ayant eu lieu , 1l fut jeté à vingt-cinq pas de sa place, eut les deux jambes cassées, la tête brûlée, un œil crevé, la poitrine ouverte, une clavicule luxée ; enfin, en arrivant à l’ambulance, 1l n’avoit plus forme humaine. Il avoit pour père un nommé Jarnak, cuisinier de M. Coursin, habitant de l’Artibonite, Ce Jarnak, maître assassin , qui conduisoit son fils, me le recom- manda avec menaces. Je frémissois au souvenir de ma terrible responsabilité ; cependant il falloit répondre avec assurance , et ne point hésiter. D'UN NATURALISTE. 339 Au renouvellement du premier appareil, trou- ant toutes choses en bon état, les brûlures guéries (1), je consolai son père qui, pleurant à mes pieds, devint mon pourvoyeur et mon cuisinier. Îl est bon de remarquer qu'après avoir brülé nos habitations, nos magasins rem- plis de coton, dix-sept caisses d'histoire naturelle, recueillies dans mes voyages, et contenant les préparations anatomiques du caïman; plus de deux mille cent planches de mes ouvrages mis au net; qu'après n'avoir pris tout ce que je possé- dois , ils ne me donnoient point même de traite- ment. Sans ration ni graüfication , É vivois des dons de mes malades, qui par jour m’apportoient de quoi nourrir une vingtaine de PUCES attachées à ma suite, parnn lesquelles j’avois le bonheur de compter quinze blancs ramassés dans les bois où ils vivoient errans, échappés au massacre, ©t que j'avois nommé 77es £1i- Jirmiers. : Tout se passoit bien lorsqu'une fusillade pro- chaine fitlever l'ambulance. On y laissa pourtant ceux qui étoient hors d'état d’être transportés. Le père du brûlé, Jarnak , craignant les Français , au souvenir de leur sang qu’il a versé et qui crie QG) Voyez son traitement par les plantes du pays, dans mon Manuel indicateur des plantes des Antilles. Y 2 340 VOYAGES vengeance , fait disposer un hamac pour son fils. En vain je lui représente que ce moyen est tota- lement inconvenable, que les fractures vont se rétablir, que son fils mourra; 1l ne veut rien entendre. On l’emporte malgré moi, en disant qu'il m’étoit facile de parler ainsi, puisque c'étoient mes camarades, etqu’eux au contraire, comme ennemis des blancs, alloïent être traités sans quartier, Enfin ils montérent le malheureux blessé par des ravines si dangereuses à escalader , qu'ils le renversèrent dans une falaise profonde, où ii disparut bientôt à nos yeux sans que ses dermiers cris aient pu se faire entendre. L’armée française n'ayant pas paru, on jeta sur moi la faute , et j'en devenois peut-être la vicume , sans la ronde du général Vernet. Les brigands passèrent la nuit dans des in- quiétudes mortelles, et rassemblés autour de leurs boucans , ils interrompirent souvent mon sommeil par leurs qui vive immodérés. As- soupi vers le maun, j'ouvrois à peine mes pau- pières, couché depuis un mois à la belle étoile, sur une terre humide , en pente et rocailleuse , exposé d’ailleurs à une température froide, au pied d’un oranger , n'ayant pour oreiller qu’une grosse pierre brute, qu’un nouveau piége m'étoit ourdi. Le commandant Léandre, propriétaire des D'UN NATURALISTE. 34 salines , et assassin de toute la famille Rossignol- Desdunes à laquelle j'appartenois, sachant que dans les Cahaux 1l existoit encore un de ses rejetons, quitta ses camps, ses pillages, pour venir assouvir une autre fois sa cruauté. Il n’osoit exécuter son crime publiquement ; 1} craignoit Dessalines, la surveillance de mes malades , et plus encore la vigilance du vieux Pompée, qui nuit et jour, aux dépens de son repos, baranguoit en ma faveur les blessés, et montoit là garde autour de moi, armé de son long pistolet. Voici donc le stratagême inventé par la plus noire perfidie. Léandre m’envoya quatre dragons et un cheval de monture sellé et bien harnaché, avec invitation de venir au se- cours de sa femme qui venoit d'accoucher d’un enfant mort , et étoit dans le plus grand danger. Mon heure sûrement n’étoit point encore venue ! Je me senus de la répugnance à faire cette démar- che; de son côté Pompée , saisissant le tafia, offre la goutte aux quatre dragons, les fait jaser, puis de suite monte la tête des malades, afin qu'ilsne me laissent pas parur, en disant que jeleur suis spécialement destiné, etque le général Dessalines seroit offensé de la moindre absence. Convaincus de la vérité de cette assertion par le vieux Pompée, ces envoyés se lèvent en masse, ap- pellent un autre officier de santé, M. Conain, d'a 342 VOYAGES respectable praucien de Saint- Marc, le font monter à cheval, et m’entourent en me cares- sant. Un génie bienfaisant veilloit assurément sur mes jours , puisqu'à l’arrivée de M. Conan, le commandant Léandre se voyant confondu, le renvoya brusquement sans lui offrir de ra- fraichissemens , contre l'usage du pays, et lui cria de loin qu'il n’avoit plus besom de son ministère. Les culuvateurs, moins féroces et toujours trompés , sout les plus à plaindre. Conunuel- lement vexés par le premier soldat, ils secoue- roient le joug s'ils l’osoient, mais le système de terreur qui pèse sur celte classe opprimée, affoiblit leurs sentimens; et cette terreur pa- nique a tant d'empire, que même entr'eux ils craignent de se raconter leurs peines. Je vais, en passant, fournir un exemple de cette tyrannie inconceyable. Lorsque je fus conduit pour la dernière fois sur l'habitation Rossignol-Desdunes, la mieux ienue et la plus riche en bras de toute la plaine de l’Arubonite, dont enfin la restauration ne fut qu'imaginaire par son triomphe éphé- mère, } y trouvai quatre bataillons de nègres qui l'avoient, cernée, et qui faisoient mettre bas les armes aux nombreux culüvateurs dont une partie s'étoit réfugiée dans les marais des mangles, D'UN NATURALISTE. 343 pour échapper à leurs recherches, et être libres de leurs volontés. On ne se contenta pas, moi présent, d'y brüler tout ce que j'y pos- sédois; le coton entassé s’enflammant avec peine, le commandant Garçon, chef d’escadron des guides de Toussaint-Louverture, etnotre ennemi juré, en faisoit hâter l'incendie avec des torches goudronnées , des paquets de cardasses dessé- chées, et des coups de feu réitérés. On pilloit aussi tous les culuvateurs, on tuoit leurs ani- maux domestiques , et tout en maltraitant ces malheureux , on les forcoit encore de porter eux-mêmes ces provisions pour la troupe , et cela sans aucune rétribuuon. En vain ils vou- loient éteindre le feu mis à leurs grains , on les repoussoient impitoyablement , en les forçant de marcher promptement, et fusillant les traineurs pour inspirer aux autres une terrible frayeur. Arrivés aux montagnes des Grands-Cahaux , après dix-huit lieues de marche, on leur fit dé- poser leurs fardeaux énormes de viande à moitié gätée , en leur prescrivant de ne point s’écarter du camp, sous peine de mort. Ainsi près de quarante mille culuvateurs de divers quaruers, tels que Plaisance, Limonade, le Pilate , le Gros-Morne, les Gonaïves, la Désolée, l'Aru- bonite, le Cabeuil, la Peute-Rivière, Saint- Marc, le Mont-Roii , etc. n’étoient maintenus YA4 344 VOYAGES dans cette discipline rigide et inhumaine que par un simple cordon de troupes, à la vérité inexorables. Il n’étoit point permis à ces esclaves culüivateurs d'aller au loin chercher une nourri- ture dont on les avoit frustrés; on poussa la barbarie, quoiqu’on ne leur donnät aucune ration dans ces parages dépourvus de ressources, jusqu’à leur refuser la permission d’aller ramasser une perue de leurs bestiaux inutilement égorgés et sans profit pour personne, Un d’eux , à mon ambulance du Corail- Miraut, mourant de faim, fut trouvé occupé à couper à lParbre un régime de bananes, par Laurette homme de couleur , aide de camp de Dessalines, qui lui traversa le crâne d’une balle qui pénétra précisément dans l’œil où 1l le visoit. Je ne sais si c’éloit pour essayer son adresse, ainsi que tous ces soldats noirs l'exercoientsur les pauvres prisonniers, mais, au Coup de pistolet, ayant mis des soldats à la découverte, je vis arriver Laureite en riant, puis essuyant son pis- tolet, il me cria de loin : « Moué pas manqué » di, c’est ca bèn üré»!!! Au reste, les capitaines ont droit de vie et de mort sur leurs soldats, sans avoir besoin d'ap- peler un conseil militaire, ce qui hmiteroit leur autorité despouque. C’est pourquoi les nègres D'UN NATURALISTE. 343 culuvateurs, révoltés intérieurement de cette suprématie injuste, voudroient trouver entr’eux et les militaires noirs une puissance intermé- diaire qui püût les protéger. C’est bien ce que craignoit Dessalines, qui avoit soin de les écarter des villes , de peur d’une désertion en masse. Le pouvoir des chefs actuels des révoltés ne üent à rien, et le moyen le plus sûr de les subjuguer seroit de diviser leurs cohortes, et de les con- vaincreencore plusintimementquecetteexistence vagabonde n’en est plus une, et qu'il est un terme à tout ;. ce qu’ils comprendroient d’autant plus facilement qu'ils sont las de voir sans cesse en proie au brigandage leurs animaux domes- üques, les produits de leurs jardins, et qu'ils regreltent hautement les douceurs qu'ils rece- voient au tems des habitations bien disciplinées. Les malades surtout, qu'on laisse à présent périr faute de secours, font les vœux les plus ardens pour le rétablissement des anciennes infirmerics, où tous les soins leur étoient pro- digués ; et les jeunes mères soupirent en se rap- pelant les cadeaux que l’on faisoit à chacun de leurs nouveaux nés, et dont il ne reste plus que l’agréable souvenir. Leur rapprochement des phalanges meur- trières rendirent cruels les culuivateurs témoins de leurs abominauons , en les électrisant du même 346 VOYAGES feu de vengeance, et si leur stupeur leur ôtoit le triste mérite de l’innovauon, ils étoient exécu- teurs. Toutefois , sans piué pour les soldats blancs qui perdus dans les bois et accablés de fatigue, croyoient, en mettant bas les armes, trouver protection et vie, ils les conduisoient aux chefs de la horde en les frappant cruellement. C’est aux Cahaux que des supplices atroces leur furent préparés. Par exemple, après avoir coupé aux uns les extrémités, attaché leurs membres, on les suspendoit à huit pieds au dessus de terre, accrochés par la mâchoire infé- rieure à un piquet de bois très-aigu, et on Jes y abandonnoit, remettant au tems seul de les tourmenter plus lentement. Ainsi exposés le jour à l’ardeur d’un soleil brûlant etinsupportable, le soir et la nuit à l’incommodité inexprimable de légions sans nombre de vareux , moustiques et maringoins attirés par le sang dont ces victimes étoient frotiées , 1ls ne passoient jamais plus de trente à quarante heures dans cette torture inouic ! Tantôt, quand il se trouvoit un baril de farine vide , on y enfermoit le malheureux prisonnier, et 1l étoit précipité du haut d’un rocher dans une falaise rocailleuse ,, lardé par les épines et les éclats de verre qu'on y introduisoit avec lui! Ce supplice excrtoit de la D'UN NATURALISTE. 347 part de ces cannibales, des éclats de rire im- modérés. | Une autre fois! je le vois encore courbé sous sa douleur !. un officier français fut pris. Sans égard pour son âge, 1l est mis nu et hon- teusement fouetté de verges épineuses pour le préparer au supplice le plus affreux. On lus enlève la plante des pieds avec un rasoir ébréché ; il est mis debout, les nerfs à découvert, et on le force à coups de fouet de courir sur des épines semées exprès pour augmenter ses souf- frances! L’infortuné Français tombe à quelques pas. on le relève avec brutalié!... Sa sueur douloureuse inondoïit son visage abattu !... On le harcèle; on le force encore à courir quelques pas : 1l est atteint du tétanos, tombe sans con- noissance, et meurt lapidé. La cohorte lavoit abandonné sans sépulture , et deux jeunes enfans revinrent à la charge, et lui cassérent les dents à coups de pierres. Le malheureux n’étoit déjà plus!!! Nous eûmes l’ordre de reporter l’ambulance des montagnes au Calvaire : c’est dans ceute route pémible que nous trouvâmes le corps du fameux Aignan, lassassin le plus cruel de tous, entouré de quatre corps blancs bien conservés. Ce ügre fut reconnu avec étonnement , ayant la main droite déchirée, pourrie, et tous les os 348 VOYAGES disloqués. Ce monstre renouvela linvenüon barbare de la chasse aux hommes. C’est lui qui mettoit, à la quête des réfugiés dans les bois, des chiens qu’il agacoit pour les exciter à la décou- verte, satisfaire son avidité inhumaine, etrougir ses membres d’un sang innocent. L'aide de camp Diaquoi, qui plus d’une fois m'avoit donné des preuves manifestes de son sincère dévouement à la classe opprimée, m’at- tendit un jour à ambulance de la grande place Miraut, au bas du fort de Za Créte-à-Pierrot. Je le trouvai, au retour de ma ronde générale, assis ; près de la rivière, sous les panaches flottans d’un épais bambou. 1] avoit la tête appuyée sur ses mains, et les yeux fixés vers la terre. Îl songeoil à moi, ainsi que me le confirmérent sa surprise et quelques larmes versées sur le sort qu’on me préparoit. Ce bon noir, après m'avoir considéré en silence, s’élanca vers moi, s’écriant : « Non, » vous ne périrez point »! Puis 1l me détailla le sujet d’une conférence dans laquelle Dessalines m'avoit condamné à mort, se voyant à la veille d’évacuer ses postes, perdant tout espoir, et voulant n'ôter la consolaüon de rejoindre les Français. Il m’apprit les noires calomnies des chefs contre lesquels je n’étois formellement prononcé; me dévoila leurs stratagèmes ma- D'UN NATURALISTE. 349 chinés par leur esprit de prépondérance, al- lumés au feu de leur ambiuon jalouse ; leur noire perfidie enfantée dans l’ombre de la ma- lice et du mensonge; leurs faux témoignages que fit déclarer la soif ardente de mon sang, d’un sang Si long-tems désiré. « Ces propos, me dit le brave Diaquoi, atten- » tatoires à votre sûreté personnelle et tramés » dans les camps, se sont développés ce maun » sous les couleurs les plus sinistres : l’infirmier » que vous aviez rejelé pour cause d'incapacité » a vomi contre vous, devant le général Dessa- » lines , tout ce que la calomnie peut inventer » de plus atroce et de plus impudent, jusqu’au » point qu'il osa vous traiter d’emnpoisonneur de » nègres. Eh ! où sont donc vos vicumes ?.......! » Æmpoisonneur!sécria Dessalinesenfureur.…., » 1l périra. À ces mots suivis d’un morne » silence, tremblant de ne trouver personne » sur qui 1l püt assouvir sa rage dévorante, il » la fit rejaillir sur moi qu'il sait vous être » dévoué; je m'évadai secrétement du conseil de » discipline, et je me glissai jusqu'ici à l’aide » des campèches iouffus et des cotonniers ; mais, » poursuivit Diaquoi, vous n’avez pas un » moment à perdre ; Dessalines est actif dans ses » résolutions, peut-être déjà même le général » a-t-1l mis des émissaires dehors, travaillons 350 VOYAGES » donc sur-le-champ à assurer notre fuite ; la » colonne francaise est sur l’autre bord de l’Ar- » übonite guéable au peut passage , il ne s’agit » que de tromper la surveillance de quatre sen- » tinelles, pour exécuter notre projet cette nuit » au lever de la lune. : | » Tromper la vigilance des quatre sentinelles » n’est pas chose impossible, lui répondis-je, » ceci est mon affaire ; ne pensons plus qu’à » réunir un noyau respectable de personnes du » même sentiment, à bien nous armer , et à ne » point commettre d’indiscréion; enfin dissi- » mulons notre joie ». Nous allämes trouver Mr Say, chirurgien en chef, Clemenceau, Bouilll père et fils, et aprés être convenus de nos faits, chacun s’occupa de préparer ses armes; plusieurs hommes de couleur se réunirent à nous pour grossir noire peloton. Il fut donc arrêté que le soir du même jour, Diaquoi, en se promenant, toussant, ruminant , enfin tout en jasant avec les senti- nelles qui ne le savoient point disgracié, leur feroit désirer un coup de tafia dont ils étoient frustrés depuis si longiems , qu’il feroit valoir son artifice, et vanteroit sa générosité, que la bouteille seroit ouverte, puis rebonchée, qu’enfin il en seroit donné une rasade à la dérobée , et sous condition expresse d’une exacte D'UN NATURALISTE. 351 surveillance, Belle promesse! le tafia contenant de l’opium devoit les mettre hors d’état de service. | L'espoir adoucissoit nos maux , et calmés par cette flatteuse illusion, nous éuons déjà au milieu de nos frères , et leur racontions en pensée nos aventures, lorsqu'une joie trop prématurée fit échouer tous nos projets. Notre escouade au nombre de quatorze, fut apercue par les blessés de l’ambulance qui toujours nous surveilloient de fort près : cet amas d’armes qu’on n’y voyoit pas ordinairement, un mouvement trop confus, des ris involontaires naissant et disparoissant soudain , des signaux de silence, des œillades, quelques confidences encore plus mal-adroites faites à voix basse, décidèrent de suite des attroupemens , des murmures, enfin un député vers Dessalines pour linstruire de ce qui se passoit. Bientôt arrivent à toute course huit dragons porteurs d’un ordre de Dessalines, de me con- duire au fort , ainsi que M. Say. Nos satellites ayant été sommés de ne pas répondre à nos questions, leur silence farouche nous glaca d’effroi. Les compagnons d’infortune dont nous éuons séparés, pressentant notre mort pro- chaine , se returoient de nous en cachant leur douleur pour dissiper nos alarmes, et par là 352 VOYAGES retarder nos tourmens. Nous montämes la croupe du zzorne dans un état taciturne et langoureux , souvent baignés d’une sueur froide, présage avant-coureur d’une mort violente; heurtant à chaque pas, dans cette obscurité pro- fonde , les cadavres infects et à denn-démembrés, vicumes de l’atiaque de. la surveille, Nous nous figurions ce tombeau des blancs, vallée de larmes à répandre, devoir être aussi le lieu de notre sépulture. Il nous sembloit déjà être assaillis , abattus, percés, expirans..…. Enfin notre imagination frappée ne parvint à s’éclaircir qu’au premier qui vive des sentinelles avancées du fort redoutable. s Crêéte-a-Pierrot. Le brouhaha du camp, la retraite qu’on ÿ battoit , la transiuon subite du silence à cette vie bruyante, nous fit conjecturer qu'écartés et qu’éloignés des monceaux de corps morts, élevés au dessus des précipices qui nous faisoient horreur, nous ne péririons pas sans être en- tendus. Le pont-levis fut baissé, et la premicre per- sonne que nous y apercümes, fut Dessalines , roulant dans ses mains la fatale tabatere : il s’avance vers nous, gronde, mais se posséde assez pour concentrer sa vengeance , ei nous dit, d’un D'UN NATURALISTE. 353 d’un ton aussi dissimulé qu’impérieux : « Zes- » pion” fien’ à moué (1) veni là jourdi; yo di » moué comm’ ca, qu'vzautr” vlé quitté moué ; » moué pas cré ça pièce. Ça pas fait à rien : » moué connoi tout’ blanc france, moutons » danda laÿo après veni doumain grand bon » maün à z’assaut. Si VO entré, vous va mourir... » Si yo poussé là bas, vous va pauser moue et » camarad’ à moué qui blessés... Grénadiers, » condui blancs là coucher » ? Quelle récepuon ! que de réflexions à faire à la veille de la décision de notre sort! quel souhait former en pareil cas?! Après ce discours de Dessalines, on nous conduisit en silence sous un hangar où nous passämes une nuit douloureuse, dévorés d’angoisses mille fois - plus cruelles que la mort. Dessalines avoit été bien instruit : /a diane avoit été interrompue par un coup de canon üuré du fort sur un peloton qu’on apercevoit au bas (1) Mes espions sont venus me trouver aujourd'hui; ils m'ont dit que vous vouliez in’abändonner ; je ne le crois point. Au surplus, je sais aussi que les Français se proposent , demain de grand matin, de venir monter à l'assaut. S'ils sont victorieux.... vous êtes morts... S'ilssont repoussés, je vous laisserai vivre pour me panser, ainsi que les autres soldats, en cas de blessure. Tome lil, £ 354 VOYAGES de la montagne. Dessalines sans repos, sans sommeil , étoit déjà, la lunette à fa main, occupé à donner de$ ordres préparatoires contre un assaut bien combiné , à diriger son arul- lerie, à garnir les basunguages d’un triple rang de mousquetcrie, à faire enfin des signaux à la À ) 5 Martinière , commandant la redoute placée prés du fort. Tout étant ainsi disposé, Dessalines vint à nous , et nous dit : « (1) Na pas quitté chambr” » à vous jourd'i là ; songé malades layo assez... » Tiembé vous tranquilles, Dessalines après » batt’ pour vou’z'aut” ». 2 Les colonnes s'étant d’abord avancées, mais l'attaque en fascines ayant été remise à quelques jours plus tard , il n’y eut de part et d’antre que quelques blessés. On nous fit panser ceux du : fort; mais la garnison sorut pour aller exercer sur les blessés restés sur le champ de bataille, des cruautés inOuies , accompagnées de hurlemens hornibles ! Après une vive canonnade de six heures sur les troupes francaises, la horde révoltée sortit de (1) Vous ne sortirez point de votre chambre, et vous ne vous occuperez que de vos blessés... .., Soyez tranquilles, Dessalines va se battre pour vous. D'UN NATURALISTE. 355 son fort redoutable, pour se repaître à son aise de la vue des blessés qui, partie dans les fossés, parue déja élancée vers les basunguages, n’avoient pu être ramassés par leurs frères d’armes! C’est la que, violant les droits sacrés de la guerre, ils martyrisérent six soldats intrépides de la cin- ième demi-brigade légère , par des tourmens dont le récit seul fait horreur. Ces prisonniers étoient français, voilà tout leur crime! Et moi français , j’étois témoin de ces supplices, et sans cesse exposé, au moindre signe de piué, à éprouver le même sort, en aturant sur moi la coupable indignation des nègres qui me rete- noient capüf | : Les femmes, plus féroces encore, sorurent à la tète de cette légion démoniaque, dont la marche étoit annoncée par des cris affreux et confus. Le premier Français sur lequel ils se jetèrent étoit jeune; 1l est dépouillé, éventré, a le cœur arraché , rôti, mangé; tous s’abreuvent au ruisselement de ses artères! ..... Il n’est plus 1.352 Le second fut dévirilisé, eut les intestins arra- chés, enfin fut rôu! Le troisième plus âgé, se plaignant de leur dureté inhumaine, eut les membres cassés, et fut dépecé comme un animal. Ils insultoient La 356 VOYAGES encore aux lambeaux dispersés, aux ossemens rompus de cette victime innocente! Le quatrième et le ciñquième eurent le corps déchiré pour y couler des balles fondues, puis attachés ensemble, et jetés dans une casemate de six pieds carrés, où on les laissa expirer l'ap après l’autre de faim et de douleur. Le sixième eut les yeux crevés et arrachés; les ongles extrpés , le crâne scié , dans lequel les noirs burent, à la ronde , de son sang fumant; ses restes ensanglantés mis sur un petit feu , autour duquel ces barbares dansoient en confondant leurs hurlemens aux plaintes à demi étouflées des mourans qui expiroient dans des tourmens affreux ! | Un officier de la soixante-dix-neuvième demi- brigade fut également amené au fort, Dessalines l'ayant arraché aux anthropophages qui l’avoient déjà cerné pour le supplicier. On eût bien voulu le faire parler, mais ce brave nulitaire, sans s’épouvanter de Ja barbarie-de ses bourreaux , garda le silence. On ne me permettoit de le panser que le dernier.de tous , et j’avois beau- coup de peine à lui faire passer une nourriture que les barbares lui refusoient. I fut délivré le jour de l évacuation. Pendant l’action , Dessalines, en commandant les feux, tomba sur un piquet, et se meurtrit la D'UN NATURALISTE. 357 poitrine. La douleur qu'il en ressentoit le lende- main l’obligea à n’appeler pour lui préparer un breuvage capable de le soulager , et de prévenir les accidens de la contusion. J’envoyai un de ses dragons à la montagne, à l'effet d’y chercher des feuilles et de l'écorce du précieux vulnéraire, le sucrier (1); mais la pouon étant préparée, 1l refusa de la prendre, en me soupconnant de quelque mauvaise intention à son égard. Sa haine se ralluma injustement contre moi, et quoique quelques momens auparavant il m’eut parlé sans apparence de ressentiment, 1l concut d’horribles projets qu'il couva dans son sein, pour les développer plus tard avec ce sang-froid politique, cette joie feinte qui caractérisent si bien l’homme cruel et vindicauf. Concentré dans ses noirs desseins, isolé dans ses fatales réflexions , séquestré de son état- major , 1l passoit dans un petit pavillon des jours d’inquiétudes et d’alarmes. Ce n’étoit plus Des- salines revêtu de ses riches broderies, de sa ceinture magnifiquement frangée ; 1l ne montoit plus un coursier fougueux , accablé sous le poids de ses harnois d’or massif, lui-même éperonné du même métal. Sa tête naguères parce d’un (1) Voyez mon Manuel indicateur des plantes usuelles des Antilles. Z.5 358 VOYAGES chapeau brodé, garni de son panache flottant , n’étoit plus décorée de ce fameux peigne à dia- - mans, qui seul eût fait la fortune d’un malheu- reux! Dessalines n’étoit plus le même; ce n’étoit plus le conquérant de la partie du sud, il avoit des Francais à combattre... L’oœil morne et troublé , la bouche grincant de rage , vêtu gros- siérement d’un gilet gris à manches, d’un de dessous écarlate, les bottes mal-propres, des éperons de fer, un chapeau rond percé , sans peigne qui ne lui servoit d’ailleurs que d’orne- ment, puisqu'il portoit une queue; son cheval toujours fougueux , pour fuir au besoin, étoit très - simplement recouvert d’une peau de mouton. Enfin Dessalines avoit l'oreille très- basse, et il ne la redressoit qu’à la prise de quelques prisonniers francais , sur lesquels il éteignoit le feu dévorant de ses caprices et de son inimilé. Hot + Son état-major mouroit de faim ; fui-mèême, sans table paruculiére, se contentoit de deux ‘bananes boucanées sous la cendre. Il ne nv'of- froit ni d'argent pour acheter, n1 de permis pour aller en maraude : ne pouvant demander à personne , j'étois réduit à attendre du souvenir de mes malades , quelques mets grossiers, et du maïs grillé dont je fus obligé de me nourrir. Mais bientôt, sous le rapport de la table, tout D'UN NATURALISTE. 309 changea de face, M. Say ayant fait venir pour nous deux des provisions de ‘sa batte de Ja Savanne-Brulée, située de l'autre côté du fort. Quelquefois dans ses momens d’espoir , voici quel étoit le calcul de Dessalines , etquel discours il tenoit à ses officiers : « (1) Vouz autr’ tiembé » cœur... tembé cœur, moi dis vous : blancs » france layo pas capab” tenir contr” bon homme » Saint-Domingue ; yo va aller, aller , aller, » puis va rester; yo va malades, yo va mourt » comme mouches. Coutez bèn si Dessalines va » rendre cent fois, h va trahi cent fois. Ainsi Le (1) « Prenez courage.... prenez courage, vous » dis-je, les Français ne pourront pas résister long- » tems à St.-Domingue; ils marcheront bien d’abord, » mais bientôt ils seront retenus malades, et mour- » ront comme des mouches. Ecoutez bien : si Dessa- » lines se rend cent fois à eux, 1l les trahira cent » fois. Ainsi, je vous le répète, prenez courage, et » vous verrez que quand les Français seront en petit » nombre, nous les inquiéterons, nous les bataille- » rons, nous brülerons leurs récoltes, puis nous nous » sauverons dans nos mornes inabordables. Ils ne » pourront pas garder le Days, et seront forcés de » le quitter. Alors je vous rendrai indépendans. I] » ne faut plus de blancs parmi nous; nous sommes » assez pour fabriquer des pirogues, et aller prendre » à l'abordage tous les bâtimens de commerce que » nous trouverons dans nos croisières ». Z 4 360 VOYAGES » moi di vou z'autr tiembé cœur, et pis vous va » voir quand yo va p'üt, p’üt, nous va chicaner » yo, nous va bat’ ÿo, nous va brülé toutes » récoltes layo; puis nous va caché dans mornes » à nous. Êh , que yo capab’ tenir; yo va aller... » Après, Dessalhines va rend’ vou z'autr’ libres. » Blancs caba parmi nous ; blancs caba outi house... Nou z'autr’ assez pour gagner pi- » rognes, et aller prend’ toutt bâtmens layo 4 > qui apres filer dans mer ». Dessalines, après avoir ainsi harangué la gar- nison , sut par ses espions que les Français se proposoient de bombarder le fort. Il fit tout son possible pour les inquiéter dans leurs travaux dont les suites devoient être funestes à sa retraite mal .assurée. La forteresse n’offroit le secours d'aucune provision de bouche; on n’y avoit pas même d’eau, quoiqu’à la portée d’une rivicre; et par dessus tous ces inconvéniens, on avoit à redouter dans le bombardement, les éclats des roches énormes dont le fort étoit pavé et par- tout hérissé ; ce qui assuroit le mortel effet des bombes qui devoient y tomber. Après avoir réfléchi sérieusement anx dangers qu’il avoit à courir , en restant présent à celte atiaque, Des- salines résolnt le soir de la veille de lattaque de sortir sans tambour n1 tompette, accom- pagné seulement de ses secrétaires et de ses D'UN NATURALISTE. 361 aides de camp. Lorsque je le vis ainsi disposé, je lui demandai la permission de le suivre, ne jugeant pas ma présence nécessaire dans le fort où il ne m’avoit fait appeler que pour lui. Tiembé cœur , me dit-1l, ca bèntét caba (1). Quelle profonde scélératesse ! d’une main il serroit la mienne en souriant, de l’autre ,le traître donnoit derrière lui au chef d’arullerie (2), l’ordre de me faire sauter avec la poudrière en cas d'évacuation. Je fus bien prévenu de la trahison qui m’étoit réservée, par cet officier que j'avois guéri autrefois d’une ophtalmie dangereuse ; mais quel pari prendre ? je ne pouvois prévenir les malheurs qui m’étoient préparés. Ainsi l’idée d’une mort prochaine et inévitable nourrissoit de nouveau ma douleur d’une mélancolie noire et accablante , lorsque je me rappelai un songe que j'avois eu quelques annéesauparavant,etquim'avoit toujours frappé; les événemens me prouvèrent que c’étoit un pressentiment. Je me vis en rêve au milieu du bombardement de ce même fort que je ne con- noissois pas à cette époque. Les bombes et (1) Prends courage, me dit-il, cela va bientôt finir. (2) M. Macé, capitaine artilleur des Gonaïves. 362 VOYAGES obus éclatant à mes côtés, je les voyois renverser les soldats, les mutiler, jeter par-tout l’épouvante, et ne me faire aucun mal. Le lendemain le bombardement commenca, dura trois jours et trois nuits pendant lesquels on ne put prendre aucun repos. Les feux se croisant de deux parties opposées, nous lancoient sans interrupuon ou des bombes, ou des obus, ou des boulets ramés dont le passage rapide entraînoit la chute des charpentes fracassées. Le feu ayant été mis par l'explosion des bombes près des tentes construites en feuillage de lata- nier, on fut obligé de les démembrer, et de les jeter dans les fossés. Occupés à valler conunuellement à la chute des bombes, nous les éviions quand leur explosion n'étoit pas trop soudaine; on voyoit néanmoins à chaque instant des membres épars, des ironcs ensanglantés de malheureux qui n’a- voient pu se soustraire à ces terribles effets ! Un canonnier ayant apercu une bombe tomber près de son ami malade, regardant son sommeil comme précieux, ne voulut pas le réveiller. 1 s’élançca sur la bombe, coupa la méche allumée, et délivra par cette intrépidité son ca- marade dont la mort paroissoit inévitable, ' D'UN NATURALISTE, 363 _ Un grenadier ne fut pas aussi heureux. lvre de sommeil dont nous étions privés depuis trois jours, el s’y abandonnant malgré l’éminence du danger, un obus tomba près de lui; on lui cria de s’en garantir en se jetant le ventre par terre; mais encore appesanti, à peine s’étoit-1l frotté les paupières qu'il disparut à nos yeux. Ün morne silence régnoit par-tout , afin de mueux prêter l'oreille à l'explosion de la batterie française qui nous indiquoit d'avance le passage de ces produits destructeurs. À la vue de leur sillon de lumière, un cri général étoit poussé ; puis jugeant de la direction de la parabole, aux mots unanimes de gare & la bombe , de longues files de soldats tombés les uns sur les autres vouloient forcer ma chambre où ils se croyoient plus en sûreté. Enfin l’emborras que ces êtres pusillanimes nous causoient dans la préparation de nos bandages étoit si grand, que je fus contraint pour cetie raison, autant que pour ménager nos vivres el notre eau , de metire à la porte de mon réduit deux senunelles armées d’espingoles. Les cris des blessés s’élevoient dans les airs. On blasphémoit contre le nom francais, et les malades mêmes que je pansois m'insultoient par leurs outrages. On me retira les infirmiers blancs 364 | VOYAGES dont je m’étois entouré (1), pour les forcer de faire des cartouches, et fondre les balles qu’on desunoit à leurs compatriotes. Les troupes privées d’eau et de pourriture avec cette chaleur accablante, obligées de mâcher des balles de plomb dans l'espoir d’étancher leur soif insupportable, provoquoient par cette tritu- ration une salive bourbeuse qu'ils trouvoient (1) De ce nombre étoit M. Vauthier, préposé de l'administration des domaines aux Gonaives, que Jeus le bonheur d’arracher deux fois des mains des brigands, mais qui finit par être supplicié en exerçant ses fonctions de préposé lors du rétablissement ap- parent de l'ordre. M. Vauthier fut remplacé le 15 prairial an x par M. Masson-Durondon, auquel je suis lié dès la plus tendre enfance par les droits de la nature et de Famitié. Actuellement sous-inspecteur des eaux et forêts à Boiscommun, cet agent honore ladministration qui le possède, par ses talens, son activité, et le sacrifice constant de ses intérêts personnels pour ceux de la partie qu'il a embrassée. Le Gou- vernement ne sauroit trop tôt reconnoitre les services de ce zélé forestier par un avancement qui ne seroit pointune faveur. M. Masson-Durondon qui possède une pépinière intéressante, et une collection rare de bois indigènes et exotiques, travaille depuis trois ans avec moi à deux ouvrages didactiques sur les eaux et forêts, que des expériences multipliées ne nous ont point permis de publier jusqu'à ce jour, mais que nous nous proposons de livrer incessamment à l'impression. D'UN NATURALISTE. 365 encore délicieuse à avaler. Ils souffroient sans se plaindre, par l’espérance de se venser. Lan- guissans de faim, agités par la peur, ces soldats promenoient ces deux sensations opposées sur leur figure moribonde. Pendant cette affreuse calamité, travaillant sans salaire, privé, ainsi que l'agneau que l’on va égorger, d’une nourriture qui me devenoit inutile , un Dieu veilloit néanmoins à mes besoins, et sans le secours des chefs qui m’avoient établi, j'avois de l’eau, du pain, du vin, du tafia , et autres provisions qu’eux-mêmes eussent bien désiré de posséder, quoiqu'il ne fut guères possible de manger de sang-froid, ayant par-tont autour de soi la mort présente ! Cent cinq soldats avoient déjà été victimes des effets meurtriers des bouches à feu, vomis- sant le trépas et la désolation, que jaloux de me voir tranquille, et point inquiet dans ma chambre voisine de la poudrière peu solide, et qui n'étant point à l’abri de la bombe, rendoit ma place plus périlleuse , ils poussérent la bar- barie jusqu’à m'envoyer visiter des soldats déjà enlevés aux souflrances de la vie! C’est ainsi que les chefs cruels n'’exposoient au même sort, en me forcant d’assister aux pansemens dans Pendroit qui paroissoit le plus endom- magé par les bombes et les boulets. 11 1omba 366 VOYAGES près de moi des bombes avec un. horrible fracas, je fus même souvent interrompu dans mes fonctions. Pansant un soldat dont les deux cuisses avoient été emportées, mon plumaceau disparut de mes mains tremblantes, et de mes deux infirmiers porteurs de l'appareil des ban- dages, l’un fut exterminé à mes pieds, tandis que l’autre, ainsi que moi, nous fümes jetés à trois pas plus loin , et couverts de poussière par la répercussion de la colonne d’air rompue avec vibrauon. Une autre fois je fus également renversé par un éclat, mais seulement engourdi, et point du tout blessé, tandis que le même éclat coupa la tête de celui qu’on m’avoit envoyé panser. Enfin cetie protection à qui j'ai dû cent fois la vie pendant ces désastres,» m’ar- racha visiblement des bras de la mort 1rm- puissante, travaillant par-tout en vain à ma destruction. Les dangers augmentant en raison de la vivacité des feux, je refusai bientôt d’aller aux pansemens , qui ne pouvoient plus se faire faute d’eau et de linge. C'est alors que les murmures s’élevérent, et que les malades demanderent à haute voix /a mort ou l’évacuation du fort. Je peuchai pour le dernier part, dans lespoir de saisir un inslant favorable pour néchapper. et D'UN NATURALISTE. 367 ‘me soustraire au trépas qu’on me réservoit. Car, quoique je susse que le moment du départ étoit celui de mon supplice, je préférois encore sortir ‘de mes anxiétés et de mes doutes cruels, et avoir une prompte solution de vie ou de mort. Les officiers commandans vinrent à moi, et troublés par la crainte de tomber au pouvoir des Français qu'ils avoient si maltraités, ils réso- lurent tous de s’empoisonner , et de fuir à l'aventure. C’est pourquoi ils s'emparèrent de mon opium dont ils prirent tous, après m'avoir demandé la dose nécessaire pour provoquer le sommeil , et qu’ils augmentèrent en raison de leurs projets de suicide. Ils venoient à tous mo- mens me faire part de leur crainte de n’en avoir point assez pris , tant 1ls en trouvoient les effets tardifs (1). Les uns éprouvant déjà les progrès funestes du narcotique, faisoient en faveur de grenadiersleurstestamensaccompagnésdelarmes et de sanglots; d’autres plus audacieux, sentant les avant-coureurs de la mort, harceloient encore (1) Je leur donnai Fopium en voyant préparer la fnèche du magasin à poudre où l'on devoit m'en- fermer. C'est le commandant du fort qui, pour me. dévoiler ce secret, me dit de le suivre vers le magasin. Inquiet, absorbé d'une froide langueur , je regardois autour de moi, croyant être saisi et précipité dans le caveau. 368 VOYAGES leurs soldats, révalloient en eux leur rage assoupie dans cet état d’anéantissement. Enfin il fallut songer plus sérièusement à l'évacuation, combiner la retraite, prévoir lés surprises, cal- culer les fausses attaques, et convenir de la parue la plus foible de la colonne qu’on atta- queroit pour se frayer un passage vers les mon- tagnes des Grands-Cahaux. Les chefs étant hors d’état de donner des ordres pour le transport des malades , exigèrent de moi ce nouveau ser- vice, le dernier qu'ils pensoient que je pusse leur rendre. Ces détails contrarièrent mon projet de fuite, par l’attention qu’il me falloit porter aux mille quesuons à faire en pareille occurrence. Tout se disposoit à tenter, à la chute du jour , ce départ tant désiré. Déjà les tambours, suivis de la musique, étoient distingnés des autres corps encore confondus ; déjà les sa- peurs et les grenadiers venoient à la suite, que le cœur palpitant, je désespérois de mon salut, lorsqu'une fusillade se fit entendre de la redoute la Martinière , et que les senti nelles des remparts criérent, aux armes ! Une terreur panique s'empare de la garnison, les soldats courent éperdus , se heurtant les uns et les autres, cherchant en désordre, sans pou- voir les trouver , leurs armes éparpillées : enfin, voulant D'UN NATURALISTE, 369 #oulant à l'aventure risquer une incursion , ils profitent de ce que les forces attaquoient un autre point. Le pout-levis est abattu , ils se pré- cipitent en foule dehors , et sont bientôt ren- contrés par la garnison Ja Marunière qu'ils pren- nent pour des Francais ; ceux-ci dans la même méprise commencent, à bout portant, un feu suivi qui oblige la garnison du fort à batire en retraite. Les deux corps oppposés rentrent dans le fort qu'ils ne se sont pas aperçus de leur erreur ; pourtant on la reconnoît enfin, en criant toujours en vain : Na pas français... na'pas tiré (1)! Mais la rage qui anime de part et d'autre ces révoltés les pousse à faire un feu plus long. Ils n’écoutent aucun ordre qu'ils n'aient employé jusqu’à la dernière cartouche , et qu'ils ne se soient mutuellement écharpés en se urant à quatre pas. Quant à moi , me trouvant entre les deux feux , je me Jetai à plat ventre , et marchant sur les pieds et les mains, je m’éloignai de la scène pour joindre un bastinguage : jy montois, lorsque retenu par le pan de mon habit, on me crie : Où allez-vous ? J’examine , répondis je avec empressement , que le quatrième régiment (2) nn | (1) Ce ne sont pas les Français, ne tirez pas. (2) Le régiment de Dessalines. Tome IL Aa 350 VOYAGES a l'avantage. On le croit, et pendant qu'ils courent s'assurer de cette fausse nouvelle , je me précipite dans un fossé de douze pieds de pro- fondénr. On fit feu de peloton sur moi; mais mon corps dans sa chute étant à l'abri par les bastinguases, 1l n’y eut que les basques de mon habit qui, plus légères et faisant drapeau , furent criblées: je fus également atteint d’un léger coup de baïonnette qui, lors de mon élancement, me fut porté par un soldat se trouvant près de moi. : Ma chute fut terrible, et M. Say qui m'avoit suivi, l’aggrava en tombant sur moi; je me crus. quelque membre brisé : cependant les circons- tances étant impérieuses , je me trainai, comme je le pus, jusque dans la ravine, afin d'y con- certer plus à l’aise et avec plus de sécurité, sur les mesures à prendre pour diriger notre course incertaine vers le feu du canon français qui percoit au travers de cette obscurité profonde, en l’éclairant par intervalles. Nous avions à passer devant Ja redoute la Martinière pour nous rendre aux batteries des Français les plus voisines du fort, et nous craignions de rencontrer des sentinelles perdues ; ainsi le cœur agité de mille idées contraires , nous rampions en silence , sans respirer , lorsque nous reconnûmes avec joie que la redoute étoit évacuée, et que le feu y avoit D'UN NATURALISTE. 371 été mis. Bientôt à la lueur des pièces nous nous assurâmes que nous étions près d’un posle où nous désirions depuis s1 long-tems de nous rendre, et nous en fûmes certains aux mots français : « Halte là, au large » ! C’étoit une senunelle avancée qui avoit ordre de faire feu sur les fugiuis échappés à la poursuite des ré- voliés par les colonnes francaises réûnies. Après nous être nommés, la sentinelle, s’étant mise en règle, nous fit conduire au camp. Notre groupe avoit grossi; M. Moilet notaire de © Saint-Marc , et M. Alain. marchand. de la même ville, devenus mes infirmiers par conve- nance, et un homme de couleur nous avoient rejoints, après s'être laissé glisser dans les falaises, et s'être déchiré le corps en remontant au travers des épines dont elles sont hérissées. Où nous présenta au capitaine-générol Leclerc qui, après beaucoup de questions paruculières, me félicita personnellement devant l’adjudant- général Huin, l’ordonnateur Colbert , et le com- missairè des guerres Leclerc, tous amis alarmés sur mon sort, d’avoir pu effectuer ma fuite, puisque le lendemain le fort devoit être attaqué à la fascine, et indubitablement pris d'assaut ; qu’alors l’ordre étoit donné d’y passer au fil de l'épée toute la garnison qui avoit eu l’impudence A a 2 972 VOYAGES d’arborer aux quatre coins le pavillon sans quaruer (1). Mes amis me voyant l'esprit plus tranquille, m’emmenérent prendre quelque nourriture dont j'avois le plus grand besoin. On envoya un de nos camarades avec un détachement, s’assurer si, comme nous l’avions annoncé, le fort de Ja Crête-à-Pierrot étoit évacué , s’il y avoit un oficier blanc que jy avois laissé blessé, et vingt- cinq milliers de poudre dans une soute que nous avions indiquée, et à laquelle on m’avoit sûrement pas eu ke tems de mettre la mèche. On trouva toutes choses conformes à notre rapport, et de plus les musiciens blancs de Toussaint-Louverture, qui attendoient l’instant favorable de pouvoir se sauver sans danger. Quoi- qu'on sût bien qu'ils y étoient retenus par force, on les fitnéanmoins prisonniers, pour la forme, parce qu'ils avoient joué les fanfares de ça ira , lors de la retraite des Francais. Les pauvres malheureux y étoient bien forcés, j'en ai été le témoin , car j'ai vu un d'eux, basson, recevoir (1) Drapeau rouge, pour annoncer qu'ils ne se ren- droient jamais, et qu'ils furent pourtant obligés d’a- mener. Ce signe de rébellion fit quadrupler l'activité du bombardement. D'UN NATURALISTE. 373 une grêle de coups de bâton, parce qu’il avoit quitté un instant son instrument pendant la fanfare. | L'heure du repos approchant, chacun se retira sous sa tente. Que ce sommeil fut doux pour moi! Il étoii depuis silong-tems écarté de ma paupière que la nuit ne me parut qu'un songe, surtout au réveil où, au lieu de voir autour de moi des assassins, je ne vis que des frères armés pour ma défense. Aa 3 374 VOYAGES PR RE RL NOUVELLES TRAMES DES NOIRS DEPUIS L'ARRIVÉE DES FRANCAIS. TROISIÈME PARTIE. Ja reposois encore, lorsque les tronpes impa- Uentes avoient déja été mises en marche pour ras- sembler les garnisons du fort de la Crête-a-Pierrot et de la redoute la Marunière , disséminées dans l'épaisseur des halliers et le creux des rocliers où ils cachoient leur honte et leur confusion. Mais l’œil pénétrant des Français sut bientôt les y découvrir; et ces lâches bourreaux ne pouvant sontenir l’intrépidité des manœuvres de nos troupes légères, cherchèrent dans la fuite un salut qui leur fut refusé , puisque par-tout poursuivis , ils eurent à éssuyer le donble feu du cordon concentrique vers lequel ils se portèrent tous à dessein de le rompre, et de s'enfoncer dans les bois des montagnes voisines. Nos tronpes en firent un carnage complet, et leur mspirèrent une telle terreur que plusieurs se tuèrent de leurs propres armes, dans la crainte de tomber au pouvoir de leurs ennemis. D'UN NATURALISTE. 3-5 Le camp français ayant changé d’emplace- ment, Je visitai les ruines du bourg de la Peute- Rivière, et jy pleurai encore sur quelques osse- mens épars et à demi consumés par l’action d’un incendie aussi considérable, Je partis du bourg pour me rendre au Port- au-Prince , où je fus présenté au général Dugua; chef de l’état-major-général. Après avoir exa- miné mes manuscrits restés en dépôt en cette ville , et les seuls que j'avois échappés aux flammes ; après m'avoir félicité de mon travail, m'avoir chargé d’une nouvelle organisation qui me mettoit dans le cas d’avoir l'honneur de correspondre avec l'Institut national, dont j'ac- quérois par cela même le titre de membre honoraire, ce général me témoigna lintérêt que le Premier Consul prenoit aux beaux arts, et nv’ofrit, au nom dugéneral Leclerc, la décoration parüculière d’une ceinture noire , ou cordon de mérite, comme fondateur du lycée colonial , et il joignit à cette marque honorable un traitement annuel de six mulle six cents francs, à dater du jour de mon arrivée dans la colonie, comme médecin-naturaliste du Gouvernement, à l'effet d'y continuer mes observations, et de recevoir par là un dédommagement à mes pertes im- menses. Cependant, pour me distraire sur une série de Aa 4 356 VOYAGES réflexions tristes, sans cesse renaissantes , le général Dugua exigea que je m’absunsse pendant quinze jours de tout travail de cabinet. C'est pourquoi il me procura des promenades en rade , et me fit entendre au gouvernement plu- sieurs fois le jour de la musique d'harmonie, par l'espoir d’adoucir l’âäpreté de mon système nerveux sans cesse crispé. Ce général mourut; et des événemens postérieurs n’ont plus permis Île développement d’un établissement uule, duquel je lui avois présenté le projet d’après son autori- sation, C’étoit le lycée colonial , dont les membres ont tous été depuis dispersés , OU vicumes de nouvelles insurrecuons. Mais je joins ici un des tableaux que je présentai alors, et qui échappa au désastre (r). Je me promenois un jour avec ce général , au retour d’une course botanique, que, tout en foulant aux pieds et examinant deux espèces de sensitives , Mminosa pudica , dont les bords du cimeüère du Port-au-Prince sont garnis et touffus , nous fmes conduis par un peut sentier ——— (1) Je crois devoir y joindre ceux des plantes usuelles de la colonie, dont je ne puis ici donner histoire. Elle con'ient seule un fort volume que je me réserve de publier plus tard, avec mes tableaux symptômatiques des maladies des Antilles. EXPOSÉ DE QUESTIONS à résoudre PAR LE LYCÉE COLONIAL DE SAINT-DOMINGUE, Sur divers points de l'Histoire Naturelle de ce pays, applic = =" ables à l'utilité publique, RÈGNE MINÉRAL. RÈGNE VÉGÉTAE. | | De l'Air Quels sont les moyens à opposer contre l'influence maligne {de l'air dans la saison des pluies, et \quelles sont Jes:causes des fièvres d'alors ? Quelles sont les plantes médeci- nales applicables à l'économie de l'homme et des animaux ? | Quelles sont celles dont les p_ concrets où fluidesdeviennentutiles L'Eau. Quels sont les principes | aux arts ? nstituans, des eaux douces, ou umätres où minérales qui ar- rosent le sol de Saint-Domingue ? Quelle est l'influence des vivres ou fruits sur le tempérament des Créoles, et des Européens nou en- Terres et Sables. Quels sont les| core acclimatés ? (plus utiles et les plus propres aux besoins de l'homme pour l'édifi- lcition des bâtimens? et quelle est linalyse des terres salines fournies par divers cantons où l'on trouve le mtre, la soude, le natron, le “iliol, le sel gemme , etc. ? Quelles ressources les arts peu- vent-ils tirer du mapou à coton , des pites el des écorces dont on fait les gros et fins cordages ? Quels sont les sommes et brais déposés par la Naturedanslestiches frs : É ie? Pierres. Quelles sont les pierres arbustes de la colonie £ 6splus propres à la bâtisse , et quelle la position desdites carrières , u des grottes qui fournissent les lbâtres, cristaux, etc. ? Quels sont les bois propres aux constructions, à Ja teinture étàla marqueterie ? 3 Quel est l'antidote du pays ? 7 EE Soufres et Bitumes, De l'exploi- lion des soufrières des montagnes la Selle, et autres grottes ou tres À volcans ? Quel est le traitement curatiP des maladiesvénériennes parles plantes du pays ? Mines. Quelles sont les mines les M digues d'être exploitées ? l'u | | | RÈGNE ANIMAL. 6 1 Quadrupèdes. Quels sont les re- mèdes à opposer contre l'épizootie desanimaux'de hatte et autres? Ornithologie. Quels sont les oi- seaux dont le plumage estrecherché pour la parure , et devient précieux aux modistes et plumassiers, et quels avantages pourroit-on retirer de la domesticité de plusieurs oi- seaux de Saint-Domingue ? Ichtyologie, Quelles sont les es- pèces de poissons qui fréquentent certains parages? quels sont ceux qui sont dangereux à manger ? à quelle époque leurchairdevient-elle funeste? que peut-on opposer à cette qualité vénéueuse ? el uelles sont les propriétés de leurs huiles pour les arts ? - Entomologie. Quelles sont les mouches épispastiques ; les insectes applicables aux arts? quels sont les remèdes contre la piqûre des in- sectes Venimeux ? et comment na- turaliser les vers à soie ? Conchyliologie. Quels sont les individus qui composent cetteclasse nombreuse ? Zoophytes. Quelles sont les es- pèces qu'on pourroit y recueillir ? Reptiles et Serpens. Quelle est tilité de Ja partie adipeuse de certains reptiles ? mingue, et de Cuba île espagnole ; Sunt-Donungue. Casse, n°. 1. Tamarin, n. 2. Prunier épi- neux, n. 3. Glayeul, n. 4. Ebenier de Saint-| Domingue, n. 5. Colocolia, n. 6, Cassier puant, : n. 7. Bignone noire , n. 8. Agaric, n. 0. Aloës , n. 10. Rhubarbe , n. 11. Argémone , n. 12. Lauréole , n. 15. Soldanelle , n. 14. Jalap, n. 19.14 Belle-de-nuit , n. 16. Ipécacuanha, n. 17. Violette, À n. 18. Coccis , n.19. Symarouba, n. 20. Gourde, # n.21. Grand médecinier, n.22. Liane à Bauduit, |$ n.23. Ricin, n. 24. Médecinier bâtard , ou pignon À d'Inde , n. 25. Figuier maudit, n. 26. Sablier, à n.27. Liseron catartique, n. 28. Bryone, n. 99. | À Pois pouilleux, ou pois à gratter , n. 50. Bondue commun , où pois quenique , ou œil-de-chat, n, 51. | Aimenia aculeata , etc. m. Aïl, n°. 1. Citron limon, n. 2. Orange douce | de la Chine, n. 3. Orange de l’Arcahaye, n. 4. h. \ Urange amère, n. 5. Bois ramon, n: 6. Cou- courout, n. 7. Girofle, n. 8. Corail, n. 9. Sucrier de montagne, ou bois cochon, n. 16. Liane à serpent, n.11. Valériane, n. 12. Cacone grim- pante, n. 13. Mal-nommée , n. 14. Casse puante, Nn. 15. Galéga, n. 16. Herbe à courette, n. 17. Mirte-poivre de la Jamaïque, n. 18. Mélisse globulaire , n. 19. Epine blanche, n. 20. Faux romarin, n. 21. Dompte venin, n. 22. Liane laiteuse, n. 25. Herbe aux flèches, n.24. Anacarde, n. 25. Clématite , n. 26. Plante rapportée dans d’autres classes, La cannelle. = — nn” Tome I, page 36, n°. TRAITÉ des Plantes usuelles d’une parte dé par M. E. Descovrrirz , Médecin -N Antilles, principalement de Saint-D aturaliste du Gouvernement À igue, et de Cuba île espagnole ; Siint-Domingue. Issue des humeur. ————— —————— ——_—_—__ "lt Emétiques. . Leurs proprietés. |: Leur action, Par vomissement, Purgatives, alvines, Catartiques, de déjections /ribres des intestins Maladies dissipées. Es Embarras des Tamarin, n. 2. Pruniec épi= premières voies, Sabure ; bile, Onif ayeul, n, 4. Fbenier de Saints irritation de à sérosités”, glaires supéci l'estome, ct et viscosités. _ |ou œsopii convulsions spasmodiques. n.23. Ricin, n. 24, Mé ht inde, n. 25. Figuier maudit, n. 26. Siblier : a. 27. Liseron catartique, n. 28. Dryone. n. Pois pouilleux, ou pois à gratter, n°30. commun , où pois quenique , ou œil-de-chat Aimeuia aculeata, ete. on. Te Humeurs relächées. grossières , ete. | TECRIQUES TRRANTES NET, RTS - jubier-croc-de-chien , n, 3, Gombo , n. 3. Chou | almiste, à. 4, Dattier, n. 5. Figues, n, 6. coton , n.7. Canne à sucre, n. 8, Mauves, ne: 9. Urène, n. 10, Ooli, n, 11. Martynia, D. 19. rires Béchiques divisantes, Capillairo , n°15. Herbe B. adoucissantes, Par ponernes Tour asthme; ” ] Bouche/pe#,){ charpentier, n. 16. Kaataus 238 AUDE Béchiques expectoration du poumon affections urine €t 4 dier laiteux , n. 16% Pistaches , n. 17. Ananas pain qe 3. dissolvantes. À de crachats.| |compr Reno pituiteuses. transpiration. \de sucre , n°18, Gommier blanc, 220 ae ae la passion , n. 20, Ruta muraria, he 215 Lonchi n. 22. Aunée, n.25. Aster à fcvilles de primeyere A, 0: 24. Frangipanier, n. 25, Dot immortel épineux, n. 26. Pois d'angole , n. 27. Plantes rapportées dans d'autres classes. Mauves, Fougères; Grand-cousin. Le nez, en Te excitant un | Pétun, n°. 3. Aoutarde ; m. 3, Herbe aux cerveau s picotement \caïmans, n, gembre , n. 4, Santolin, n, 5, ea irritaut LES g 5 D ns Léthargie qui resserre ]Piment,/n gl, n. 7. Poivrier, n. 8. Cacte- L Far la membrane à 7 ere le Pyre - Ja me 1 & maux| les glandes def épineux , n.g. Tithÿmalé , n. 10, Pyrethre ar se rem Attoire Fe pituitaire ot tes] UPPER a membrane | Laurierrone y, 1e pee Congo , n. 13. sinus fronteaux pituitaire Plantes rapportées dans d'autres classes, Le ONÉR qu'elle tapisse, glayeul , l'herbe à plomb, la sauge. | déterger. Glandes du palais( | Farlyaïe La boule, S î t de la bouche,) de là lüngue, e nez, Foyez les sternutatoires, Sialologues. Por Le ealire Gone ne pituite abondante, et autres ve E salive. maux de dents, * Lémonctoires H | Calamus aromaticus, n°, 1, Clÿtoria, n. à. Sen ère partie, siva pudica, n. 3. Aristoloche, n° 4, Jonc odurant, Le" “Menstrues rétablies , n. 5. Clitoris, n.6. Herbe manvzelle, n.7.Sorussi, M cs ê] leurs: jo, 8. Matricaire, n. 9. Avocat: , 0.10. Mélisso UM Pacrore EE 2 Mélisse puante , n.:2, Chardon étoilé puan 4 4 lu soxe, Affections migrainé/ebMaaiue 0) Matrice, Poia sucrier, n. 14. Liane à caleçon , n: 15: Hystériques, de la matrice. xoïeçuritle. À Pois puant,-n, 16. Schocnanthé, n. 17. Arbre ï d'estomac des P ? — Evacuation) ê Sennes de ne rsllee aux savonnettes, n.14. Mauve puante , n. 19, Valé= L. -% des vidange C2 pr tn) raie, de 40, Trékbe carrée, naar Brin d'AMOUr, pass särdoniques. me22. # Plante rapportée dans d'autres class. L'o= cuantes, range amère. j —— Chicorée sauvage, n°. 1. Oscille marronne, n, 2. L Patience, n.5, Fraisier, n; 4. Bonbon-couleuvre, n. 5. @il de bourrique, n. 6. Saxifrage, n, 7- Célers marron, n.8. Cardinale , n, 9. Poincillade, n. 104] | Fcnoud, n. 11. Pett-Houx, n. 12. Chiendents p.23. Graînes du sapotillier, n. 14, Liane à savon 15. Oignon, n. 16. oireau n 17. Pois chiche y In. 38. Sapin, n. 19. Coton flo, ü- 20. Gran | Les chaudes par ( En procurant z mahot, n. 31. Chardons, n. 2, Persil, n: 3%, Æ leurs sels âcres et À une fltratiôn |Glaudes des Fins (Sérosités qu sang, Oscille de Guinéern oh - Diurétiques. ARS ne MRC En ca bre nl CAES es urin de a CPR ANR Les froïdes par | parlogitation | dégorgées. DÉAS Ever. ER en relâchement. du sang. . pi | } | f É 5 4 Jon-béni, n. 2. Noyer ë Par 3 RE nd AN EDEN + Sudorifiques. transpiration Pleurésies par l'acajou, n 3: \Dras,:n. 4: IT e PATATE dépuration du sang.) Pores Ja quine, 6, Bois RTE RE ï iques. : Sang calme. deln peau, /rette franche, n. 8. re em DRE Diaphorétiques. g ‘Tumeurs voïetrinsle | d'a ON S age ehatutd ñ : scrofuleuses, etc. igouia,n. 1 #n118: Diaphorétiques, { mA Bois de Féroles marbré, 5:15. sa ‘ à « Citron limon, m, 2: 0) .: | i Orange deux se 4 ne 5 JL Fri 1 : Syncopes, défail= re ee Gil, CT # | lances, sara 2 “au "bols i mens , malädies : Cœur fortifié contagieuse; Fi Agissant ré “ Pores Cordiall 5 c'est à dire, isons | MOISUrE Cordiales: den tEs) RU ertemanntlabfes À es Pt de là pes. PRO Lang mis enaction. | renimeutes, Hèvres maligées Dre Céphaliques. Ophtalmiques. Stomachiques. Séconde partie. Effets moins sensibles. Flontesaltérantes du premier ordre. — acal iopathiques. Première division, ——— Hépatiques. Leurs propriétés: Carminatives. Antiscorbutiques Leur action] = EE Détersives| rafruclissantés. Amers, Acides. A la suite dis remiers accèside ! ji qui . 1 les urines. En assurant parfaite scerétlon de ln bis] En divisant matières crues, visqueuses ct gluantes, gonflées par des vents. Par ses selalféres, soit fixes Doi Ye Tee or rBe M odlree avec les aéides du r d Par dépuration neutralisation des-sels âcres; et nérosités Parties soulagées, Issue des humeurs. Par expansion | La tête et les engourdi. is nerveux, ranimé ou détendu , picoté où relâché. Les yeux. us nd OP] lobes du cerveau. Canaux Malsd(es dissipæs. { Apopletie. { | re Les yeux nations vie Î | conte : agacemint, irritation, dpuleurs, syncopes, évañoui 1. 16. Gre- nade, n. 17, Ananas rouge de pitt, n. 18. Liane Multapte®Se (à eau, n. 19. Torchons , n. 20. Volette , Ou né- nuphar, n. 21. Mouron blanc, n.22. Barbe de En, jupiter , n, 253. Grossulaire, n. 24. Cachimen- tier, n. 25, Tête anglaise, n, 26. Campanule à fleurs planes, n. 27, Balatas > Où sapotillier mar- ron, n. 28. Blette épineuse, n. 20. Brignolier, n. 50. fdem. Les émolientes , les béchiques chico- racées, citrons, ananas . cotonnier, callebasse ram- Pante, concombre arada ; gommes , etc. Leurs propriétés. Vulnéraires astringentes. Plantes. Itérantes ccund ordre, Deuxième n FR mm sion. Vulnéraires détersives, Vulnéraires apéritives, roisièmo partie] Emollientes, Effets Sins sensibles. Plantes altérantes du deuxième et ième ordres, Résolutives, Tdoines vamultaptes, — Deuxième A troisième divisions. ——— Assoupisantes, [Tritèno ordre. | —— | Troisième ivision, — Moltaptes, [mn | Rafraïchissantes, | | | Issue des humeurs. Parties soulagées. Maladies dissipées. Leur action. Leur infuson acidulés, suivant Jofcas , ivise € laïleuse Apaisent les hémorragies, chutes, cours de ventre, flux En recserrant Toutes celles dejpain d'épice, m 25. Corrosolier ; ne 24: De eee mêlée aÿec | auxquelles elles Jimmodérés des mois, Transpiration /Brésilet bâtard, n. 25. Bois marie, ou Laume ct absorbant la lymple, conviennent, Qet des hémorroïdes, et | RES UT aux charpentiers, n. 27. leurs sérosités. dégor excepté dans [fleurs blanches, etc.; | urincdi \Mombain bâtard, n. 28 Ji lono, n. 29. Qué les glandes, Îles infammations. |jauvisse opiniètre ! ec, n. 30. Sanguine, n. 51. Prèle d'Amérique ARE. rhumatismes Apiaba , n. 35. Pommier d'acajou , n. 34. DE Tteer etes Failleau-chou-caraïbe, _n. 35, Bois de lance, ina que M: 56. Bruns-feld, n. 57, Dombey, à. 38, Cro- de transp Canau Noms rulgaires des Plantes. Géranium, n°, 1, Bois d'ortie, n. 2. Ras [ nier, n. 3. Grenadier, n, 4. Ycaquo, n. 5, Jaune-d'œuf, n. G. Liège, n. 7. Noïetier F5 fn:8 Orme, n. 9. Vesce de loup, à. 10. Baume de tolu, n. 11. Gomme carogne, n, 12, Genipas di 3. Goyarier, n. 14. Cousin (petit), n 18. Cœur-de-bœuf, ‘n. 16. Grande-ortie, n. 17. F2 Vonc, herbe à couteau, n 18. Jone d'eat, [5 Un. 19. Petites caïmites / n. 20, Caÿ [= fmiorme, m1: Avoine | Juelle pain dé ton à feuilles d'origan, n. 39. n. 0. Bayaonde, n. 41 chätaignier, n. 42, “'eudre acajou, upani, espèce de Plantes ropportées dans d'autres classes, Ana- cardo, sucrier, Kat lantain ; rhubarbe, corail, œil-de-bourrique, bauanier , acacia, Bananicr, n°: 1. Médecinier petit, n. Moniho rt à H ui a e 3 D: 5. Pomme de mer— veille, n Bois de corail, n, 7. Herbe à plomb, n. 8, Cévadille, n. 9. Hliotropes n. 10. Serpentaire, n. 11, Brésillot, n, 12, Renonculo. | : Bois chandelle noir, -n. 14, Borbone! É Mn. 15. Calebassier à feuilles longues, n. 16! Brésillet à teinture des Anülles, n. 17. In | Transpirition [el 0: 18. Herbe à chiques, n. 19. Liane à s ETS es É FnpRe OR cœur, n. 20. Liane à minguct, n. 21. Herbe nage Chute des cire HE Parties Locales “tou diable, n.12: Liane à crocs do chien, n 23. 1 âcre et lixiviel.] et baveu:bs. À plaies détruites: urinet. |Liane francho, n, 24, Bois jaune, n, 24. Bois sel âcre et li savanne à flcurs pyramidales, n. 16. Gras d sale, n. 27. Petite coquemollicr, n, 28. Acomas ; M29- Dicrville, n. 30, Croton à feuilles de | châtaignier, n. 51. Bois épineux jaune, n. 32, Bois de cheval, n. 33. Bois à pians, n. L Î Idem. Absinthe, mente, aristoloche, saugo f scolopendre , mombain, bois chandelle, véro | nique de Plaisance, | | Obstructions Fin, n°, 1. Bois chandelle, bois de itron, | détruites, sables ct bois jasmin, n.2. Vergo d'or, n. Pois | - matières glaireuses Par blanc tachcté de noir, n. 4. Collét Notr Par leur vertu Par | Reins, estomac dissipées, etc. ; urétères Dame, n. 5. Balisier, bihaï, bananier marron, . incisive, pénétranteÀ transpirs io. ct asthmes,_fèvres ct pores \n, 6 Bidens ou herbe à aiguilles, n. 7. Véro et sudorifique. autres viscères. putrides, dela peau. |nique, n. 8. = migraines , cancers, etc. j Idem. Neryeine, p | | Circulation En adoucissint Jeur ücreté Sur.la tension et Ja eécheresse de certaines parties dans les inflammations internes ct externes, la décoction de ces plantes on lavemens, fomentations et cataplasmes. néphrétiques ; fièvres, etc., En divisant le sang etles extravasions dans les porosités des chairs, por catsplasmes et fomentations, ane Humeurs locales, 08e À redevenues fluides. | | « Comme incrassans , : est d'apaiser L Fièvres ardentes , RE Par les urnes, JHumeurs adoucies | inmm d'urine, Rineun Tel iène tt € ct épaissies. RUE donner plus de \commelaxtifs, de gorge, etc. consistance en | diminuant leur à ücreté. j En calmant les douleurs , et royoquant Féonmells Siége des maladies. dysurie, strangurie. engorgée , rétablie. z Z Humours, Dee nltAneE = décoremees por MUilionser, rénreutes, Eu 2 Toutes douleurs aiguës et rebelles, et celles provenant d'irritation. Maïs, ayaonde, n. 6. Gommes, n47: Quamoclit, n. 8. Lise” ron, n.9. Patate, n. 10. Hoïs cac, n. 11, Cus= Pore: sier, herbe à-dartres, n. 12: Absinthe , 0m. 19. de la pehu. Guimaue eatinéo, n°.,1. Manyo, n: 2. Liane. molle, n. 5. Raquette, n, 4, Épinards marrons, | » 6: Rain, on: ê Amaryliss ny orelle: nd-houx,n?g-Parñétiire, ñ. Grande - mauv eneçon , n. 15. ’ n 17. lois dé bambou, n.18:186re ; Linaire, n, 20. + Pourpier, lav, gombo , pontédéria, Arbre à pain, ou rima, n. 15. Petit mil, n°, 1. Mil chandelle sn 2. 5. Pois, n. 4. Orties,n. 5. Gomme 14. Bois de fustet, Idem. Brai du figuier maudit. in. 4. Québec, n. 5, Canne do Madèro,-nuG Ptanihôt, n. 7. Solan . 8, Béringène, n. um à feuilles d'icanthe, Morello amouretté, n10% Mancenilier, n. 11, Pommier-rose, n. 12, Li fn. 35 Solonum épineüx, n..14. Pomme ( neuse, n°15, Aconit, n dote assuré, le citron, ou lavemens dé tabac u a 16. Opium pour anti= émétique pour d'autres , Apocin à frait épineux, n°. 1. Apocin corne cabrit, n. 2. Cynanque hérissée, 3, Camériét, Petit concombre sauvage, n, 7: Melon sucré vert, n.8, Pourpier, n. 9, Ri , n. 10. Ponté- déris , ou volet ; B,31 erisier, n,15, Sucrin , ne 16 Ananas rouge dé pitt, n°18, Liane à eau, n. 19. Torchons, n, 20 Voleite, ou né puphar,n. 21. Mourom blanc, ». 22. Parbe de jupiter, n. 25: Grossulairey 124. Cachimen= Gier, n. 25. Tête anglaise, n. 26. Companulesà leurs planes, n. 27. Balatis où sapotilliéemar- ron, n. 28. Dlette épineuse, n. 29. Brignolier, n: 50. = É Idem. Les émolientes, les béchiques chico— races, citrons, ananas, cotonnier, callebasse ram :\ pante, concombre arada, pommes , £tcs Grosse calebasso rampante, n°, 1. Ciraumon verrue, n. 2. Mirliton, n. 5, Courges , n, 4. Concombre arada, n, 5. Melon d'eau, n. 6. Le Le “. D'UN NATURALISTE. 377 à un ajoupa caché sous l’épais feuillage de deux chênes du pays, bignonia quercus. La construc- uon de cette chaunnère, autant que son site original près d’un endroit dont on s'éloigne naturellement le plus qu’il est possible, exci- tèrent notre curiosité ; d’ailleurs son ensemble ‘pittoresque la rendoit une jolie fabrique à faire dessiner. | Quelle fut notre surprise d’y voir, après avoir respirélong-tems un air contagieux, un nègre âgé, occupé à nettoyer et faire sécher des intestins gâtés pour en faire des andouilles qu’il vendoit au mar- ché de la place. Ce vieux scélérat se trouvant en flagrant délit à la vue du général, se troubla, balbutia, et en dit d’abord beaucoup plusquenous ne lui en avions demandé. Il convint que sans ressource, dans un âge aussi avancé, ayant eù le malheur de perdre son cochon et sa vache, il s’étoit déterminé à déterrer à mesure tous les corps des morts récemment inhumés; qu'avec leurs intesuns 1l avoit entrepris un peut com- merce qui le faisoit vivre. Le général Dugua à ces mois, entra dans une grande fureur , et J'ayant livré à l’un de ses guides, cet homme dangereux fut conduit dans les prisons, où il a été jugé. Ainsi, tous les jours on s’étonnoit, 5on seulement de voir des Européens atteints de la maladie dû pays, mais même des habitans 378 VOYAGES acclimatés, et de plus des naturels noirs ou de couleur, dans qui le germe de la peste et de la corruption étant inoculé par cet abus désorga- nisateur, en devenoient aussi les victimes! Cette calamité fit d'autant plus de ravage: qu’on est volontiers dans l’habitude de manger aux divers repas, des andouilles , surtout aux déjeû- ners à la fourchette, et que la consommation en est si grande chez les habitués. du pays qui en employent dans leurs calalous, que dans leurs marchés l'air est infecté de la puanteur de ces préparations; c’est à ce degré de féudité que les andouilles, parmi les créoles, sont réputées exquises. Qui sait si dans toutes les villes , le même sys- tême de destruction n’avoit point été établi par Dessalines, ainsi qu’il avoit annoncé un jour à ses soldats , en leur jurant qu’il employeroit tous les moyens connus et occultes pour concourir d'autant plus sûrement et plus promptement à la destruction et à lanéantissement de la classe des blancs, pour la réduire à ce peut nombre qu'ils-pourroient alors subjuguer sans peine ? Cette conjecture paroît d'autant plus fondée , qu’un jour à Saint-Mare, faisant la visite de l'hôpital pour le médeein mon ami qui étoit alors malade, je me crus obligé, en homme d'honneur Me dénoncer à la jusuce du gouver- D'UN NATURALISTE, 3- / nement , deux infirmiers nègres, qui non-seu- lement négligeoient leurs salles, mais qui se rendoient coupables de plns grands crimes , en donnant des pouons échauffantes dans les ma- ladies inflammatoires, au lieu de celles qui étoient indiquées, etc... Conduite atroce qu’on ne réprima que trop tard, faute de s’en être apercu , et que Dessalines, par ses espions, faisoit encourager sous l'espoir d’une prochaine récompense. Un nouveau hasard me mit à même de ne plus douter des intentions perfides du brigand, chef des révoltés. Je me proémenois tous les maüns à Saint-Marc , dans la convalescence de mon second empoisonnement ; mais noire gar- mison inquiétée alors par des embuscades enne- mies placées dans les halliers des environs des fossés, je ne pouvois m'écarter, et suivois à cheval les contours des bastions sous la protec- uon des forts et des pièces de remparts. Un jour qu'après avoir ramassé à la marée basse des coquilles , fongipores , et autres productions marines que je voulois dessiner , je rentrois, en côtoyant le nouveau cimetére , par la porte de l’'Arcahaye, lorsque j’entendis la conversauon suivante , entre un infirmier et un fossoyeur. L’IxrimutER. Pour qui ca toutes fosses Jayo ? Le Fossoyeur. Eh! pour blancs lavo donc? 580 VOYAGES | L'ixrirmier. Blancs layo , mouton’ france ? Le Fossoyeur. Oui, yo va bèntôt caba, et nous va matri asteur. Mouquieu Dessalines li connoi toute quet chose va, quitté hi faire, li va béntôt vinir. L’IxriRMIER (à voix basse). Moué connoi ca pique Lucas li vini jourdi là même , li di moué comme ca, toujours bèn droguer malades layo; que général Dessalines li content d’moué en pile... Ici mon cheval ayant henni, ces nègres cés- sèrent leur conversation , mais c’étoit plus qu'il ne m'en falloit pour me convaincre que mes soupcons étoient fondés ; j'en avertis le médecin et le chirurgien en chef: les infirmiers furent chassés, et on interdit l'entrée de l’hôpital à tout étranger nègre; alors la mortalité cessa, et les deux coupables qui s'évadèrent aussitôt, rejoignirent Dessalines. Que d’hommes valeu- reux ont été traîtreusement sacrifiés ainsi par les ordres de ce lâche brigand! Que ne fit-il pas pour garder fidèlement son serment de trahir cent fois, s’il.se rendoit cent fois! A l’époque de sa première reddition il fut nominé inspecteur de la culture; le commandant Huin ayant été envoyé sur les dé- combres des Gonaïves pour restaurer le quartier D'UN NATURALISTE. 381 de lAruhonite et les quartiers environnans, désarmer les cultivateurs, et assurer protection aux propriétaires, ce brave et franc militaire à la tête seulement de vingt hommes de troupes convalescentes de la cinquième demi-brigade légère, et de quelques propriétaires de couleur, respectables par leur dévouement à la cause des Français, s’y étoit rendu formidable aux bri- gands; il avoit, par ses veilles et fatigues , surpassé l'attente de tout le monde, lorsque Dessalines vint Jui faire perdre le fruit de toutes ses solli- citudes. Inquiété du désarmement des culuiva- teurs dont 1l réservoit la masse à quelque coup de paru, 1l les réarma par dessous main des mêmes armes dont 1l étoit autorisé à disposer pour le rétablissement de l’ordre, et créer, disoit-1l, ses colonnes de discipline : dès qu’il fut parvenu à ses fins, qu'il eut fait enfouir ses poudres et autres munitions, 1l déserta de nou- veau et emmena dans sa fuite tous ceux de son parti. Nousignorions encore cette nouvelle trahison, quand le commandant Huin étoit part en tournée pour /’Ærtibonite. I m'avoit emmené, ainsi que deux de mes parens, pour visiter une premiére fois nos habitauons depuis leur funeste dévasta- üon. Trop confiant en son courage, ayant emmené que deux dragons avec nous, nqus a 3382 VOYAGES pensâmes être victimes de sa sécurité. Arrivés sur l’habitauon Desdunes père (grande place), on fit sonner la cloche; un brouhaha s'élève, personne pe paroît, Nous étions à cinq lieues des Gonaïves, six hommes seulement au milieu d’un essaim que Île commandant venoit de faire dé- sarmer. On sonne de nouveau avec menaces, les vieillards sont les seuls qui paroïssent. Un d’eux fort heureusement vint nous averur de ne point visiter les jardins; que près de trois cents culüvateurs armés et embusqués dans les cotons nous y attendoient. Nous n’eûmes que le tems de le remercier , de remonter promptement à cheval, et de nous enfoncer à tout hasard dans le quartier de l’Artubonite, avec l’espoir desren- contrer le renfort de queique patrouille. Entre deux rivières très-hautes, plus de pont sur l’Ester, plus de bac sur l’Aruübonite; il nous falloit le secours de quelques nègres et un canot pour repasser la rivière , et affronter le chemin des Gonaïves déjà investi par les brigands réin- _surgés d’après les ordres de Dessalines. Une ondée de pluie nous obligea à demander un asile, à qui? À ce Titus dont il est parlé dans la première partie de ces Mémoires, et qui ce jour-là nous empoisonna, ainsi que le com- mandant Huin. Nous retournâmes heureusement CI y 3 D'UN NATURALISTE. 383 aux Gonaïves sans coup férir, mais attaqués de coliques convulsives. Pendant la convalescence de cet empoisonne- ment , étant retournés par mer à Saint-Mare, le chemin de terre n’étant plus praucable pour les blancs, nous avions fréquemment des nègres fidèles de l'habitation qui venoient clandestine- mentnous porter leurs plaintes ,etnous demander quand les Français auroient le dessus, nous an- nonçant que tous les culuvateurs voudroient bien nous revoir, que les soldats de Dessalines les pillent et les désolent , ravagent en un mot leurs jardins ; enfin, pour mieux nous prouver leur. bonne foi , ils nous dévoilèrent les secrets de la position alors inconnue, du camp Marchand, dernière retraite de Dessalines, où 1l devoit s’en- sevelir, lui et les siens, sous les décombres de souterrains minés qui eussent entraîné également la perte de tous les assiégeans français. Ils nous avouérent aussi que les nègres Congos et autres Guinéens étoient tellement frappés de supersuuon par les discours de leur général, que Dessalines étoit parvenu à leur faire croire que mourir, tués par les Francais, devenoit un bonheur pour eux, puisqu'aussiôt ils étoient transportés en Guinée, où ils reverroient papa Toussaint qui les y attendoit pour compléter son armée qu'il destine à reconquérir St.-Domingue. Ce système 384 VOYAGES absurde lui a tellement réussi, disoientils, que tous vont au feu avec intrépidité surnaturelle, en chantant des airs guinéens, comme déja épris de l'espoir de bientôt revoir leurs anciennes connoissances. Ne pouvant donner à ces nègres aucune so- lauon , ils retournoient à habitation, impatiens de voir leurs désirs accomplis. Que leur dire au moment Où toute communication étoit inter- ceptée, où mourant de faim dans les villes, on ne pouvoit sorur qu’à force de baïonnettes et de fusils destinés à protéger le butin que les affamés alloient enlever dans les habitauons les plus voisines ? Le vigilant Dessalines avoit donné ordre de ne plus tracasser, inquiéter les maraudeurs, afin de les engager plus facilement dans le ‘piége affreux qu'il leur tendoit. Ayant su par les espions qu'à la suite de l’édificauon des nouveaux forts et remparts de la ville de Saint-Marc, une nouvelle maraude étoit promise, 1l fit passer nuit et jour des troupes considérables pour cerner le lieu seul abondant en vivres, pour laquelle on la desunoit. Nos gens enhardis par leurs succès sur les noirs, se rappelant que dans des courses déjà faites aux environs de Saint-Marc, une peute parue des assiégés avoit mis en déroute des phalanges D'UN NATURALISTE. 389 phalanges entières d’ennemis embusqués, se dé- cidèrent à être de la maraude, mais ils y allérent avec trop de sécurité. Dédaignant le terrain circonscrit près de la ville, qui fournissoit encore des vivres en assez grande quanuté, on voulut s'éloigner, et foncer dans le pays ennemi. Dessalines avoit déjà prévu que le 12 mars 1803, les assiégés de Saint Marc viendroiïent, par leur trop grande confiance , chercher un carnage assuré dans une ravine où l’on étoit hors de tout secours par la distance du chemin, et la difficulté de communiquer avec la ville à cause de l’embuscade que quelques-uns y savoient placée depuis plusieurs jours mais dont ils ne voulurent pas parler, dans la crainte d’être soupconnés d'intelligence avec le paru de Des- salines. Un intérêt sordide porta donc la plupart des maraudeurs à sorür sans munitions de guerre, tant la perspecüve leur étoit attrayante. Beau- coup cependant avoient un noir pressentiment qu'ils chassèrent loin d’eux pour n’être point contrariés. M. MY**, un de mes amis, fut commandé comme dragon : son ami, mon beau-frère RFF, ne vouloit pas le laisser aller seul, tous deux s'étant promis mutuellement de se secourir en cas d’attaque ou de blessure, Bon, paisible. Toxe HI, Bb 386 VOYAGES et ennemi de la turbulence, M. MY** avoit ete déjà plaisanté lors de récits journaliers de diffé- rentes escarmouches qu’on ent à essuyer. Mais celui qui n’a pas mis la force de l'homme dans son propre courage, avoit donné à celui-ci une foi inflexible au milieu du danger. R*YY*, au caractère belliqueux, fut au con- traire troublé en voyant pour la première fois , autour de lui, la mort planer de toutes parts. Déja nos malheureux concitoyens, engagés dans une embuscade, étoient la vicume d’un feu nourri ei continuel. Déja leurs corps percés par plusieurs feux croisés et obliques tomboient avec le feuillage criblé de balles. Déjà les cris des femmes et des enfans écrasés par la cavalerie, apitoyoient sur leur sort leurs protecteurs 1m- puissans par la pénurie de mumitions. L’épou- vante, au front päle, les saisit; ils perdent l'espoir en perdant leur force, la déroute s’em- pare d'eux, ils veulent fuir et éviter le trépas qui les poursuit, mais ils ne peuvent se faire jour: les ennemis qui ont prévu leur chute et leur défaite, ont barré le chemin par des embuscades placées dans toutes les positions. Lassés de la fumée fulminante, on en vient à l'arme blanche : c’est alors que péle-mêle on voyoit les bras voler, et les crânes ouverts en- D'UN NATURALISTE. 38 traîner avec eux le néant de cette machine mortelle. L'avantage des embusqués redoubla leur rage, et dans leur fureur ils crioient : « Nous grand » gout jourdi là, nous vlé saccagé toutt’ blanc » et mulätr’ layo de Saint-Marc » ! Quoiqu’assu- rant protecuüon aux femmes, ils les brülèrent dans les pièces de cannes où elles se cachoient, et d’où le feu les obligeant de s'échapper à demi consumées , elles venoient, pour ainsi dire, recevoir une nouvelle mort des satellites posés tout autour, qui les ürailloient comme des bêtes fauves sortant d’un bois touffu! Mais Ja colère la plus enflammée perd son effet à la voix du Dieu des batailles. Il rend nulles à son gré toutes poursuites; 1l se plaît à secourir ses élus dans leur détresse, et à leur manifester sa haute puissance, en les éprouvant par les plus grands dangers et les angoisses les plus poignantes. Ün nègre échappé au carnage, vient à la ville appeler au secours, et chercher un repos à son agitauon convulsive. On le voit passer égaré, et pâle des couleurs de l’agonie que rendoit encore plus livides le tems sombre qui pré- sageoit ce malheureux événement. Tous les habitans de Saint-Marc se réunirent, et d’un même accord nous implorâmes la misé- ricorde du grand Maître des destinées pour tous, Bb 2 388 VOYAGES et chacun pour ceux qui les intéressoient plus parüculièrement; etau versetde David, « Lange » de l'Éternel campe autour de ceux qui le » craignent, et 1l les garantit », nous fümes consolés , et concümes une juste espérance. C’est alors que l’ange de ténébres, à tête hé- rissée , au flambeau discordant, soufllant de tout son pouvoir le meurtre et le trépas, fit son dernier eflort, mais 1l fut impuissant. L’éternel Dieu vivant, fidèle à ses promesses, le culbuta avec ses vaines espérances, Déjà M. M***, dans sa bonne foi, avoit fait halte à Ja voix d’un dragon ennemi qui, profi- tant de sa méprise, lui assena un coup de sabre, mais 1l l’esquiva par une feinte soudaine. Deux coups de pistolet lui sont urés à bout portant, mais les balles déviées par une trop forte explo- sion, ne purent l’attemdre. RYY* de son côté, ayant à essuyer les horreurs du désespoir de trois chefs qui le harceloïent, entend siffler six balles à ses oreilles, et est noirci par les amorces. Il se trouble... tombe à la renverse... Les cavaliers, au comble de leurs vœux, mettent pied à terre, mais 1ls sont bientôt forcés de reprendre selle par l’arrivée de deux de nos gendarmes, au moment où R*** d’une voix étouflée crioit, 7e me rends! il fut donc, par cette rencontre heureuse et D'UN NATURALISTE. 389 inattendue, enlevé au fer tranchant de ses per- sécuteurs. Il se traïnoit avec peine , abattu par l’effroi, et tremblant par l’idée de la mort qu'il venoit d'éviter ! Soudain il apercoit M*** , et ranimant ses forces, 1l oublie la perte de son chevel, et monte en croupe sur celui de son ami. À peine pouvoit-il embrasser son corps de ses mains débiles et tremblantes; à peine avoitil trouvé l’aplomb sur sa selle vacillante, que le coursier vole plutôt que de marcher, jusqu'à ce que les deux amis soient hors de l'atteinte des embuscades semées sur le chemin; et ce qu'il v a d'étonnant, c’est que le cheval de R***, qui étoit mon coursier favori, reparoît devant eux tout équipé et sortant du bois, sans avoir voulu se laisser prendre par aucun étranger. Ils avoient en croupe chacun leur petit nègre qui, enten- dant crier, #iembé chapeau gance d'or, demandérent en grace de les laisser descendre, se regardant plus en sûreté à terre. Mes deux amis rencontrérent un praucien de senuers détournés, qui les guidèrent dans des chemins raboieux et impraticables, au milieu desquels tous les chevaux rebouquèrent (1) air) excepté les deux miens. Mes deux amis évitérent (1) Terme du pays, qui veut dire Aarassé. Bb 3 390 VOYAGES encore au bas du morne, l’embuscade du retour qui venoit d’être relevée, et se rendirent enfin à nos désirs. Leurs compagnons d’infortune qui avoient échappé au carnage et à la désolation, se trai- noientet paroissoient de tous les coins des bois. Le cœur étoit navré de voir le lendemain , à la rentrée des fugitifs, de petits enfans lever au ciel leurs bras ouverts, et courir vers eux du plus loin qu'ils les apercevoient, pour y retrouver une mère en lambeaux, que beaucoup, hélas! ne purent rencontrer. Un capitame de la cinquième légère, troupe si redoutable, arriva transpercé de balles et de baïonnettes : 1l avoit pour épouse la fille du gou- verneur de Cadix , jeune espagnole qui Pavoit suivi. Je ne vis jamais de spectacle aussi atten- drissant que la réunion de ces deux époux. Le mari s'étant sauvé à travers des monceaux de cadavres, les mains liées, les vêtemens arrachés, n’ayantenfin sur lui qu’une partie de sa chemise, s’'évanouit de joie et de fatigue en abordant la porte de la ville où lattendoit sa vertueuse épouse , déja éplorée par la crainte de ne plus le revoir. Je fus édifié des soins assidus qu’elle lui prodigua, des veilles qu’elle supporta , quoique délicate, pour protéger le sommeil du blessé en Féventant ou lui chassant les D'UN NATURALISTE. 391 bigailles (1) aturées par ses innombrables blessures. Un homme de couleur revint également percé de douze balles. Trois blancs et deux hommes de couleur s'étant jetés dans les bois, gagnèrent le bord de la mer , et furent aperçus par un pêcheur qui alla les chercher. Enfin nos ennemis, quoiqu’ayant eu Pavan- tage par la supériorité du nombre, furent tellement maltraités, que le lendemain ils com- blèrent deux cabrouets de blessés, ayant laissé sur le champ de bataille les morts confondus à quelques vicimes de notre paru; ce qui fit dire à Dessalines : « Si toutes les victoires me » coûtent autant que celle-c1, 1l ne faut pas en » remporter souvent ». Pendant toute l'affaire , on vit dans une réserve Dessalines et son état-major , à pied , tous riche- ment vêtus, les bottes luisantes, magnifiquement éperonnées ; poudrés à blanc , et portant tous des uniformes à l’anglaise ; puis un brick de cette naion, mouillé à peu de distance du rivage de la mer, et qui fut sûrement leur pourvoyeur ; car 1l étoit en rade ennemie, à portée de pistolet des tentes de l’armée noire. (1) Essaims de moustiques et maringoins fort income modes pour les malades. : B b 4 392 VOYAGES Ma santé étant rétablie , je fus appelé au Port- au-Prince, pour y être présenté au général Thouvenot, successeur du général Dugua. Ce premier, également ami et protecteur des arts, confirma non-seulement l'emploi qui nv’avoit été décerné ; mais ayant eu des détails sur ma posi- Uon critique, après m'avoir annoncé que dans ce moment la pénurie des caisses ne permettoit pas de me faire compter mes cinq années de traite- ment, 1l ajouta que le gouvernement néanmoins ayant égard à mon zele et à mon dévouement, n'accordoit provisoirement une graüficauon de mille livres que je recus d’après les soins égale- ment recommandables de M. Daure, préfet colonial de l’île de Saint-Domingue. Le général Thouvenot, juste appréciateur des sciences que lui-même culuve, m'offrit aussi un local à l'état-major pour y travailler à la mise au net de mes manuscrits ; mais ces offres me devinrent infructueuses, puisque le jour même , on apprit de nouveaux troubles qui déci- dérent mon départ pour la France , ma présence devenant inutile dans un pays où les arts sui- voient les phases de la révolution. Ah! Dessalines, tu n’as que trop prouvé la ténacité de ton caractère, et la stabilité de tes promesses. français layo, dit-il bien des fois en ma présence, yo va bouquer, yo va aller D'UN NATURALISTE. 393 dans pays à z'autres , et nous va maitr'astor, et francs (1). Pourtant les bases encore peu solides de cette indépendance pourroient être ébranlées : 10. En intéressant à l'expédition d’une nou- velle conquête de l’île, les puissances maritimes, qui le doivent pour la sûreté de leurs colonies; 2°. En divisant les chefs noirs; 30. En s’emparant d’abord des villes et des magasins, ainsi que des arsenaux ; 4°. En faisant garder scrupuleusement les côtes ; 5°. En établissant des colonnes mobiles, à l'effet de ravager dans les montagnes voisines et éloignées les denrées , les vivres, et par là forcer les culuvateurs, qui sont les seuls bien disposés , à se rapprocher des villes d’où on les proiégeroit jusqu’à la défaite des militaires noirs; 6°. En s’assurant de tous chefs militaires supérieurs ou inférieurs qui jamais, nOn jamais ne plieront leur tête aluère sous la rigide disci- pline de la culture. Que dire de Dessalines, qui ne fut sous Toussaint-Louverture que le levier de sa souverame autorité, forcé, comme subor- (:) Les Français vont se lasser de leurs foibles avan- tases, 1ls retourneront dans leur pays, et alors nous seront libres et imdépendans. 304 VOYAGES donné (1), de mettre à exécution des projets homicides combinés dans une intime réserve, et que son activité seule pouvoit faire éclater, puisque, depuis qu’il a régi de son propre mou- vement, 1l a cessé ses exécutions, apaisé ses vengeances, fait des prisonniers pour grossir les peuplades, et a recu des blancs qu’il a rangés sous rebut de fa Nature! Sa mort est donc un pas assuré vers la conquête du pays, et le chef qui Va remplacé ayant moins de moyens, sil étoit assuré de sa grace, deviendroit un précieux ins- trument de la restauration de la colonie par son extrême influence , et renonceroit au vaste projet d'indépendance déjà ébranlé par la divi- sion intestine des trois départemens, à ce projet dont Toussaint-Louverture lui laissa le plan, concu et favorisé par des correspondances anglo- manes qui n’ont cessé d’exister, etqui aujourd'hui surtout se manifestent ouvertement dans les ports évacués par les Francais, où le commerce se fait avec les puissances américaines usurpa- trices de nos propres dépouilles. Dessalines fatigué de ses sanglantes exécutions, et désirant enfin un repos qu'il ne pouvoit trouver en pratiquant le crime; accusé par ses (:) Falet pas maître , disoit-il pour s’excuser. D'UN NATURALISTE. 395 remords, cherchant à détourner de quatre-vinats individus le glaive menacant dont Toussaint- Louverture l’avoit armé, s’étoit rendu clément envers Mrs Carrerre, etc... du Port-au-Prince, sur le sort desquels l’oracle de destruction avoit déjà prononcé. Détenus en rade à bord d’un brick américain , et y attendant dans des transes mor- telles l’issue de leur prison, ils recurent enfin de Dessalines l’ordre de leur élargissement. Carrerre et ses compagnons ayant cru devoir leur liberté à l’arrivée soudaine de Toussaint. Louverture, allérentle remercier ; maiscetyran, par un effet rétroacuf de sa volonté suspendue, frémit, se troubla..……. et gronda sourdement de m'avoir point été obé1. Il renvoya tremblantes ces quatre-vingts victimes, sur la vie desquelles 1l se hâta de prononcer une seconde fois , et appe- Jant Dessalines : Prenn’ gard’, lui dit-il avec Vaccent dela fureur , dimain moué tendé parlé, monde layo(x1).Pour cette fois Dessalines, contre son habitude, revint sur ses pas, fit arréter pen- dant la nuit et massacrer les quatre-vingts blancs qui révèrent seulement leur bonheur. Que dire aussi d’un Maurepas, général com- mandant au Port-de-Paix, qui, par respect pour (1) Prenez garde que demain j'entende encore parler de ces prisonniers, 396 VOYAGES son ancien maître mort de maladie, lui fit rendre avec pompe les honneurs de la sépulture, et se rappelant son premier äge, quitta ses habits somptueux pour creuser lui-même la fosse qu’on avoit négligemment préparée ? Quant à Toussaint-Louverture , outre ses crimes politiques, tantôt protecteur, tantôt viola- teur des temples consacrés à l'Eternel, 1] mit au jour sa monstrueuse hypocrisie en blasphémant à la nouvelle que les Français avoient sur lui l’avantage. 11 dit au curé des Gonaïves, en tenant un crucifix à la main : « Je ne veux plus servir » ce Dieu »! Puis l’écrasant sous ses pieds, lui- même, de son bras sacrilége 1l commença à incendier l’église! Après beaucoup d’autres événemens, je re- parus par ordre du chef d’état-major-général Thouvenot, qui, par intérêt pour les arts, me fit sauver mes manuscrits, VOyant que tout espoir de restauration étoit vain jusqu’à nouvel ordre. D'UN NATURALISTE. 307 LS AA ASS en A he D D nn 0 nn ne Te ne D Te D Sa a CE DÉPART DE SAINT-DOMINGUE POUR LA FRANCE. L'xonzox politique s’obscurcissant de plus en plus, et son tonnerre grondant déjà sourde- ment, plusieurs officiers généraux m'engagèrent à sauver mes manuscrits qui devenoient ma seule espérance. Le général Thouvenot, chef de l’état- major, approuva mon départ avec l'intérêt d’un protecteur des arts; c’est pourquoi il m’obunt du capitaine-général Rochambeau , une gratifi- cauon , et un passage à bord de la corvette Za- torche, qui partoit le soir même pour la France. Ce départ précipité du Port-au-Prince me fit laisser une parue de mes effets à Saint-Marc, m'esimant heureux de me soustraire à un car- nage inévitable, et trouvant l’occasion d’être utile pendant la traversée aux dames de l’adiu- dant-général Huin , mon ami. Le canon du départ s'étant fait entendre, nous nous embarquämes à six heures du soir, le 4 prairial an xt, et relichämes au Cap, pour y prenûre le général de division Quanun , accom- pagné de quelques ofliciers de sa suite. Noire traversée fut heureuse sous les rapports de la 308 VOYAGES navigation, mais désagréable par la désumon qui régna parmi les passagers. J’en essuyai peu les contrariétés , ayant lié paruculièrement con- noissance avec un colonel doué de talens et d’amabiliié, M. Dalvimart, en qui les jeunes années s’annoncent par quelques perfecuons où découvertes en peinture et dhittérature ; et M. Bazin, enseigne de vaisseau , qui, à des mœurs douces et sociales , joint des talens supé- rieurs en mathématiques , dessin et navigation , qui lui ont fait des envieux. Nous mouillimes le 8 frucudor an x1, à sept heures du matn, dans la baie de Cadix , au lieu de celle de Toulon notre desunatuion, après avoir été vainement chassé par une frégate anglaise qui vint jeter l’ancre auprès de notre corvelte; cependant nous n’eûmes rien à re- douter de son voisinage , étant sous la pro- tecuon des farts d’une puissance neutre. Nos deux vaisseaux saluèrent ensemble la ville , et on répondit alternativement à nos deux salves d’arullerie. La ville de Cadix, bäte sur un terrain peu élevé , ne se voit que de cinq à six lieues en mer; mais les montagnes de Hedina-Sidonia , situées a l’est de Cadix , se découvrent de douze lieues au large. La parue la plus apparente de Cadix est de la plus grande élégance et d’une blancheur D'UN NATURALISTE. 309 éblouissante, La régularité de ses bâimens qui sont d'une architecture moderne, plaît généra- lement, Les maisons sont élevées , et terminées en haut par des tourelles qui tracent sur lPazur du firmament des dessins d'autant plus variés et délicats, que leur forme n’est point constante. Sur le bord de la mer se trouve une promenade publique, appelée la Meda , fréquentée tous les soirs par les habitans de Cadix et les étrangers ; elle est éclairée d’arbre en arbre par des fanaux, qui de la rade font le plus joli effet. On ne nous laissa pas jouir long-tems d’un point de vue aussi enchanteur, et notre arrivée des colonies fut bientôt suivie de la visite des membres du comité de santé, qui, sans s’appro- cher de notre bord, déclarèrent, après quelques questions d’usage , que nous subirions la qua- rantaine. Cette mesure est d'autant plus sage, que la peste de Malaga venoit d’être commu- niquée par des balles de coton venant des îles Anulles ,et qui y avoient été déballées sans pré- caution ; et pour mieux nous faire sentir l’hor- reur d’un tel fléau , on nous apprit qu'à Malaga les habitans d’une maison entière dans laquelle s’étoient développés les germes de la peste, avoient cessé de communiquer avec qui que ce soit, etque, par mesure de sûreté publique, on 4oo VOYAGES avoit maconné toutes les ouvertures de cette maison dont ceux qui l’habitent étoient con- damnés à périr , faute de secours, au milieu des horreurs de la famine! Cependant un vil intérêt engagea des mar- chands de toute espèce à s'approcher de nous pour recevoir nos commussions , et le prix de leurs achats, abus d'autant plus blämable, que la sévérité du réglement de police est nulle à la vue de l’or. En effet, on trempe d’une main tous les écrits dans le vinaigre, comme pour neutraliser les miasmes méphyuques, et on recoit de l’autre largent et divers objets qui n’ont point été assujelus à cette formalité de précaution. On nous apporta des provisions et des fruits qui nous furent vendus à un prix exorbitant. Le vin de Pakaret, justement estimé, eut la préférence sur tous ceux de dessert que l’on nous fit goûter. D'après le rapport fait par les membres du comité de santé, on vint nous signifier l’ordre d’aller en quarantaine à l’extrémité de l’île de Léon, près de la terre ferme, et à deux lieues de Cadix , dans un couvent abandonné, situé sur” le bord de la mer. Nous débarquämes en cet endroit silencieux , et quoique solitaire , nous le préférâmes sous tous les rapports au séjour de noire vaisseau. Les D'UN NATURALISTE. 401 Les yeux s’y repaissoient avec avidité de la verdure des palmiers, dattiers , oliviers et juju- biers , dont les jardins en friche étoient ornés. Les mouettes et les goélands venoient dans leur vol raser les plates-formes de notre retraite , et nous témoigner par leurs cris importuns leur étonnement de voir habiter des lieux si long- tems déserts. N'ayant autour de nous personne capable de nous donner des renseignemens sur l’état de l'endroit que nous devions habiter, et ayant, à notre arrivée , trouvé toutes les portes ouvertes, nous parcourions les longs corriiors du couvent, pénétrés de réflexions singulières ; chacun y choisit son appartement qu’on meubla avec un matelas du bord. Nous éuons gardés au dehors par des soldats espagnols ayant ordre de ne point communiquer avec nous, et ne nous parlant que de très-loin. La barrière qui nous séparoit du corps-de-garde n’étoit qu'une simple corde qu’on ne pouvoit franchir sans les risques de recevoir un coup de fusil. Cet ordre sévère fut pourtant enfreint, grace à de légères graufications qui nous per- mirent d'aller, pendant la nuit, porter nos pas incertains au nulieu des campagnes qui nous environnoient. Îl résulta de ces excursions que nous découvrimes la véritable situation de notre lieu d’exil. Le couvent que nous occupions est Tous Hl Ce 402 VOYAGES séparé du bourg ; ‘c'est là que fut transférée depuis 1769, la résidence de la marine du roi d'Espagne. L'île communique avec la Caraque par un canal large et profond qui peut porter des vaisseaux de guerre. Nous eûmes un soir d'assez vives inquiétudes sur le sort de notre vaisseau, qu’un brülot anglais, abandonné à la dérive, fut sur le point d'incendier. On savoit que notre bâtiment avoit à son bord beaucoup de poudre ; d’après le calcul des vents et des courans, le brülot en étant déjà prés, le capitaine en fit couper les cables, pour s'éloigner d’un danger si immi- nent, Un instant avoit vu embraser le vaisseau incendiaire , un autre fut témoin de ses flammes perfides, mais bientôt sa carcasse désunie em- porta avec elle , au fond des eaux , l’espoir trompé et la honte des agens de la cour bri- tannique. Notre quarantaine étant finie sous les plus heureux auspices (1), nous fimes voile vers Cadix, et nous y descendimes à la posade des (1) Si au milieu de Ja quarantaine quelqu'un des passrgers tombe malade , la quarantaine recommence, à moins d'avoir quelque crédit auprès du comité de santé, qui seul peut décider si la maladie survenue west point d'une nature épidémique. D'UN NATURALISTE. /0o3 deux Palombes, chez un Francais marié à une Espagnole de laquelle il avoit deux filles modestes et d’une figure angélique, Dona Maria et Dona Técla, qui me parurent avoir la plus haute esime pour les Francais, redou- blèrent, à notre arrivée, de soin et d'activité, et affectérent, pendant notre séjour-à Cadix , une parure recherchée, propre à flatter nos sens. Le voile noir qui contrastoit d’une manière sédui- sante avec leur buste d’albâtre, leur robe de taffetas noir ornée de trois rangs de basquines (1), et coupée par un bas de soie ; une chaus- sure élégante, une étude enfin dans le maintien, annoncèrent que nos jeunes Espagnoles cher- choïent à nous intéresser, mais elles ne préten- dirent qu’à notre estime. La ville de Cadix est bâtie sur une langue ‘ de terre, à l'extrémité septentrionale et occi- dentale d’une île appelce le de Léon. Ses rues les plus commercantes sont étroites et mal- propres. Ce séjour est gai en ce que c’est le point de réunion du commerce de toutes les nations. On y voit le silencieux Anglais, le trop confiant Francais, l’adroit Algérien , le géné- reux Musulman , l’ingénieux Italien, et le fier Le ————— ——— —— — —" "" ——— (1) Ce sont des franges torses de même couleur, Ce 2 4o4 VOYAGES Espagnol concevoir des projets d’une fortune qui leur est constante ; un trafic somptueux est ouvert, un commerce universel et une uule consommation y sont entretenus par les marins revenus de croisière, pour semer l'or, et le prodiguer aux spéculateurs avides de l’amasser. La température brûlante de ce climat pro- voquant les mêmes besoins qu’à Saint-Domingue, on y vend, dans les marchés, une partie des fruits et des légumes de cette colonie; on y trouve entr'autres des charretées de pastèques et de cantaloups , des tomates , des pimens d’une espèce particulière, des poissons que la rade fournit en abondance, et parmi lesquels on disungue une prodigieuse quanuté de raies d’une espèce peu connue, des soles , etc. Je fus indigné d’un abus fanatique dont je fus témoin tous les jours. Les marchés sont remplis de mendians ; des padres parasites les suivent, et aux noms de pro Sancté Trinitate , pro Sancté Marid , exigent des pauvres mêmes qui osent refuser, la restitution de l’aumône que ces malheureux recoivent d’une main, pour la verser de l’autre dans la bourse d’hy- pocrites qui, après une quête fructueuse et forcée, vont s'installer chez des marchandes de modes, pour y faire des cadeaux à leurs mai- D'UN NATÜRALISTE. /o5 tresses , qu'ils y conduisent effrontément. C’est pourquoi les pauvres, dans la crainte de faire des demandes en présence des quêteurs , prennent les plus grandes précautions, afin de reurer quelque fruit,des aumônes qui leur sont faites. On construit à Cadix une cathédrale de l’ordre Corinthien , dont tout l’intérieur est en marbre blanc. Il se trouve à l'extrémité de la ville un hôpital où lon remarque une assez belle bibliothèque, et une suite de pièces d'anatomie exécutées en cire. Je ne sais quel auteur prétend que les Espa- gnols, peu faits pour l'harmonie, n’ont ni oreille ni mesure. Je ne connois point au contraire de pays où les musiques militaires et les chants guerriers des régimens soient mieux exécutés qu'à Cadix, où les musiciens d’instrumens à vent y soient d’une force supérieure pour la qua- lié du son, et y exécutent des morceaux de Ja dernière difficulté. Je crois deviner la raison pour laquelle l’auteur inconnu ne reconnoit dans les Espagnols, ni mesure ni oreille : c’est que le soir, au moment de la retraite, les exécu- teurs de cette harmonie imitaüve sont placés par groupes, et, séparés les uns des autres, jouent des airs sous des mesures différentes; ce qui en eflet produit à l’oreille peu exercée, des faux tems que l’action des tambourins fait Ce 3 406 VOYAGES prendre pour des contre-mesures; mais si l’on entend séparément chaque groupe, on doit porter un tout autre jugement. Cette cohorte est précédée de fanaux d’une forme originale, et de sectaires du rosaire qui aiment à s’immiscer dans toutes les cérémonies. C’est après cette retraite que l’on se rend aux promenades, dans les cafés pour y prendre des glaces, et où, pour le dire en passant, un de mes amis recut un coup de stylet qui m’étoit destiné, en raison , je crois, de mon haut plumet, et du costume étranger dont j'étois revêtu. Cet ami n'eut fort heureusement que le bras traversé. On remarque à Cadix deux portes de ville, celle de terre, et celle de mer. Il y en a bien deux autres, ou espèces de poternes, dont lune sert pour aller sur le môle de la pointe de Sainte Croix , et la seconde, voisine de la nou- velle douane, qui donne passage sur un peut môle où l’on embarque et débarque les mar- chandises ane les vaisseaux de transport doivent charger pour les Indes occidentales, ou qu’ils en rapporient à leur retour. La porte du port est double; on entre dans la ville d'un côté. et on en sort par l’autre, afin de rendre plus difficile l'introduction des marchan- dises de contrebande, et de faciliter les visites qui se font exactement tant à l'entrée qu’à la D'UN NATURALISTE. 407 pi sortie. La porte de terre est resserrée par une langue de terre étroite, et elle offre des forufi- cations redoutables. Cadix est une des villes les plus commercantes de l'Univers ; c’est l’entrepôt du commerce des colonies espagnoles. Il y entre, diton, année commune pour soixante-douze ou soixante- quinze millions de livres tournois en or et en argent, tant mOonnoyés que travaillés en barres ou lingots, et pour vingt-cinq à trente nullions de denrées coloniales. Les visites à la porte du port ont deux buts : 1°. d'empêcher le trafic du tabac rapé, et de s’opposer à la sorte frauduleuse de For et de l’argent. Il est défendu d'introduire dans le royaume d’autre tabac que celui d'Espagne, et les lois les plus sévères atteignent les délinquans qui sont condamnés au travail des mines. 29. L'or et l'argent importés doivent un droit, ainsi que ceux qu’on exporte: Le droit pour le dermier est de quatre pour cent. Les vaisseaux de guerre n'étant point assujetus à la visite, pro- tégeolient ce transport illégitime. On appelle les fraudeurs en ce geure, picaros. il y a à Cadix deux salles de spectacles , mais dont les acteurs sans jeu et sans costumes n’ont pas le droit d’intéresser un habitant de la Capitale de France. Je vis néanmoins avec intérêt deux CC 498 VOYAGES enfans des deux sexes y danser avec grace an pas de caractère en agitant leurs castagnettes, au son d’un so/o de flûte mélancolique que je sus distinguer au milieu d’un nombreux orchestre. C’est dans ces lieux publics que l’on voit les marquis aux vêtemens bigarrés sans élégance, ayant la tête couverte d’une résille et ornée d’un énorme catogan. On y voit encore les grands d'Espagne sans costume disuncuüf, les chevaliers de Saint-Jacques, ceux de Cala- trava, ceux de Saint-Charles, ceux d’Alcantara, et ceux de Montesa (1) se confondre aux groupes de la populace dont ils savent peu communé- ment se faire respecter. Ils gardent même sou- vent un maintien peu décent : Jai vu un chambellan négligenment vêtu, quoique por- ur du bijou qui le fait reconnoître, se vautrer sur les bancs devant les spectateurs accoutumés probablement à cette honteuse fa- miliarité , et y manger avec voracité des gäteaux, ou provoquer publiquement par des gestes non équivoques les Fénus de moyenne vertu dont ces assemblées sont en grande partie composées. Dona ‘Fhecla, notre charmante posadera, me donna beaucoup de renseignemens particuliers sur les mœurs des habitans de Cadix , mais qui (1) Les cinq ordres recounus en Espagne. D'UN NATURALISTE, /og ont tant de rapports avec les coutumes de Ja ville de Saint-Yago, île de Cubes, que j'ai décrites à la fin de mon premier volume, que je me crois dispensé de les répéter 1c1. * On paie un droit à la douane pour sorur de Cadix la poudre à ürer qui y est d’une qualité supérieure, et la cire d'Espagne. On mange en Espagne beaucoup de friture, comme le mets le plus simple à préparer; mais on se sert à cet eflet d’ane huile épaisse et infecte, qui a d'autant plus de réputation que son odeur est plus forte. Je crois que sa mauvaise qualité provient d’un défaut de pré- paration dans son extraction des olives si com- munes en Espagne. Les porte-faix de Cadix se font charger sur le dos les ballots les plus pesans; ils y sont seulement retenus sur une natte de paille qui prend naissance sur leur front en guise de ban- deau., et se prolonge au long de l’épine dorsale. Cegrossier paillasson n’étant pointglissant, main- uent les paquets par ses aspérités, Ces hommes ont d’ailleurs l'habitude de se servir d’une corde destinée seulement à conserver l’équiibre. Les porteurs d’eau ont des vases immenses. On voit à Cadix beaucoup de négocians de la Catalogne, revêtus d’un manteau brun dont le dessous est de couleur rose. Ils ont la tête couverte d’une Aro VOYAGES résille, qui ne diffère de celles qui furent si long-tems de mode à Paris qu’en ce que le cul- de-sac se prolonge davantage, et est terminé par une rosette descendant jusqu’au bas des reins. Par une singulière snarrerie les décorations militaires s'accordent en Espagne, et se modifient en sens inverse relativement à notre pays. C’est pourquoi les officiers supérieurs n’ont leur uni- forme relevé que d’un simple liseré galonné, tandis que les capitaines ont les épaulettes de sous-lieutenant, ceux-ci et les lieutenans, des épaulettes de capitaine et de chef de bataillon , enfin les bas-officiers porten#celles de colonel. Par un semblable contraste, lorsqu'un facuon- nare porte les armes à un officier , 1l lui tourne le dos pour exécuter sa manœuvre, Les dames espagnoles ont beaucoup de graces sousleurs costumes; souventc’est un gros bouquet placé sur un large chapeau qui fait leur seule parure ; une autre fois le même bouquet se relrouve, et se joue sous un voile élégammient drapé qui, docile à l’haleine officieuse d’un zéplhur badin , laisse admirer une gorge d’albätre où brillent les diamans, ou dont de simples perles font souvent le plus bel ornement. Leurs bras nus sont également chargés , à diverses distances , de bracelets des mêmes bijoux. Parmi les fruits qui acquièrent sous ce chmat D'UN NATUÜRALISTE, 4ri favorable une qualité supérieure, on disungue les raisins des environs de Malaga , et dont les espèces les plus vantées sont /e lagrima et le guindas. 1] n’est pas rare d’en voir des grappes du poids de douze livres, dont chaque grain est de la grosseur d’une prune moyenne. C’est de ce fruit par excellence qu’on obtient les vins cuits délicieux de Malaga, Ximenés, de Rota, de Rancio, de Xérès, et tant d’autres qui ont acquis une juste célébrité. On voit en ces con- trées privilégiées le pommier auprès du datuer, l'olivier et le cocotier près d’autres arbres euro- péens qui ne prospéreroient point en des cli- mats plus clauds. Les figues y sont excellentes, et on en récolte en telle abondance qu’elles fournissent au commerce, par leur exportation, une branche importante lorsqu'elles ont été préparées. On m'assura que la Catalogne et V'Andalousie fournissent en Espagne les plus belles figues, tandis que Séville est réputée pour ses belles ohves. Enfin le climat tempéré de la partie méridio- nale d’Espagne, abrité du vent du nord par la réunion de montagnes qui forment un demni- cercle rapproché des côtes de l'Est, est si propice à la végétation , queles cannes à sucre y réussissent trés-bien à Valence, ainsi que le remarque un auteur. Cette précieuse production, ditil, fut hr2 VOYAGES apportée de l’Inde en Egypte; sa culture s’intro- duisit en Sicile, ei les Maures la portèrent sur les côtes de Grenade. Lorsqu'ils en furent chassés en 1483, on y trouva quatorze plantations, grandes et peutes, et deux moulins à sucre. Les Espagnols ayant découvert l'Amérique, y porterent cette plante, dont la culture s’étendit bientôt jusqu’au golfe du Mexique. Depuis ce tems elle à été négligée par la mère-patrie, mais on en irouve encore assez pour fournir à une fabricauon considérable. On remarque aux débouquemens de Cadix deux prismes appelés colonnes d’IHercule , et par les Espagnols, Saint-Pierre et Saint-Paul. les servent à diriger les marins dans leur navigalion. Nous repartimes de Cadix, dans l'intention de traverser l'Espagne dans sa plus grande étendue, pour nous rendre à Bayonne; c'est pourquoi, après avoir fit mes adieux à M. Leroi, commissaire-général francis des relations com- merciales à Cadix, je m'embarquai avec le général de division Quantin et on état-major, pour le port de Sainte-Marie, qui est situé près le port Réal, et à trois lienes par mer de Cadix. Notre réunion devenoit d'autant plus uule que les routes d'Espagne sont peu sûres; aussi donna-t-on une garde d'honneur à notre général. D'UN NATURALISTE, 413 Non loin de Sainte-Marie on rencontre au milieu des champs peu culuvés quelques trou- peaux épars, et le long des grands cliemins, des croix qui indiquent le lieu de la sépulture de voyageurs assassinés. On y remarque beaucoup d’ohviers, dont ies plantations régulières sont disposées en échiquiers. Ces arbres ont le feuil- lage argentun qui contraste avec la verdure fon- cée d’alentour ,etils fournissent les grosses olives d’Andalousie, renommées pour leur volume et leur saveur. On y côtoie la Guadalète, peute rivière ombragée par la longue chevelure du saule pleureur, sur les bords de laquelle Rodrigue, en perdant un sceptre et une cou- ronne, fut tué et son armée défaite par deux cent mulle Maures. La plupart des possessions rurales y sont en- tourées d’aloës pitt, appelé pingoin, que ses feuilles radicales, armées d’épines aiguës rendent inabordables. On remarque dans l’intérieur , des semis considérables de pins, de mélèzes et de cyprès. Nous fümes importunés vers midi par une poussière impalpable qu’une nuée de moustiques rendit encore plus incommode. Je ne vis jamais ces insectes sous une mulüplication aussi in- nombrable. Bientôt une nature riante vint nous consoler de cette contrariété passagère, et la 9 414 VOYAGES vue de nouveaux plants d’oliviers végétant sur une terre rougeâtre, de chaumuéres agrestes cachées sous un hierre touffu qui en fait le plus bel ornement, d’'Espagnols cultivateurs campant au milieu de landes embaumées par le romarin, le myrte, le thym et le serpolet, au milieu desquels ils prenoient un repas frugal, fut pour nous une surprise autant agréable que délassante. Nous foulàämes aux pieds Ze talcite et le granit, si communs en ces lieux qu’on en construit des bornes et des ponts. Nous arrivames à Xérès de la Frontéra, vil- lage situé près la rivière de Guadalète , fameuse par la bataille de 1713 , dont je viens de parler, et non par la tenue de ses posades, puisqu’après une route fatisante on ne nous servit que des tomates , de l’ooille, des feuilles de chou frites dans de l'huile puante , un pain plat et sans le- vain, enfin pour boisson, du vin de Xérès qui nous fut offert dans un a/karasas (1), espèce de carafe flanquée d’un tube recourbé, et que l’on passe à la ronde. Xérès de la Frontéra est à neuf lieues de Cadix , c’est à dire à six lieues du port Sainte-Marie. Nous avançämes dans l’ Andalousie, et traver- sàmes successivement la Venta-de-Saint-Antonio, (1) Appelé en Egypte bardac, selon M. Sonnini. 4 D'UN NATURALISTE. 15 : Virera , Mayréna, Carmona et Rio-Frio, pour arriver à Ecija , ville d'Espagne , située non loin du Guadalquivir, et à trente-deux lieues de Cadix. N'ayant point fait pendant cette route aride des remarques dignes d’être citées , puisque je n’y observai de particulier que des citernes où l’on conserve précieusement l’eau de pluie pour bois- son, Ce qui annonce un pays peu fertilisé , je vais entretenir mou lectear d’Ecrja. L’extérieur des maisons d’Ecija flatte la vue, et fait honneur au premier peintre-décorateur qui a imaginé de représenter sur les murs des décorations théâtrales, ou d’autres paysages pittoresques, tandis que l’intérieur des apparte- mens , sans luxe et sans ornement , ne présente à l’œil que quatre murailles blanchies à pans réguliers , d’autres cintrées, formant des voûtes qui rendeni ces appartemens très-sonores. Les écuries y ont paruculèrement fixé l'ambition ou plutôt la curiosité recherches de l'architecte ; elles sont dans la ville et aux environs, d’une somptuosité et d’une propreté remarquabies ; et le voyageur est étonné d’y voir les chevaux mieux logés que les hommes , puisque les pi- liers mulupliés de ces utiles et spacieux empla- cemens sont formés par des colonnes de granit, ou tout au moins de pierres trés-régulièrement arrondies. 416 VOYAGES Les chevaux de choix y sont tenus les pieds attachés à des anneaux fixés en terre, ce qui rend leur position pénible et faugante : on leur pro- digue le fourrage, on veille sans cesse à leur en- tretien , et ces soins sont en quelque sorte une somptuosité de la part de celui à qui ces chevaux appartiennent. Les Espagnols d’Ecija font un usage immo- déré de gros piment doux ei de tomates qu’on mêle à tous les ragoüts et au mets favori du pays, qui est une réunion de lard rance, de pois ronds avec leurs gousses , de courges , et de feuilles tendres de melon. D'Ecija , nous fimes route pour Cordoue, qui est à quarante lieues de Cadix , et où nous arri- vâmes en passant par la Carlote, pays peu digne de remarque , si ce n’est par l'usage de ses puits à chaînes garnies de godets destinés à puiser l’eau. Nous entrèmes dans Cordoue , grande ville qui est placée au bord du Guadalquivir. La grande place est spacieuse et entourée de maisons garnies de portiques réguliers et impo- sans : c’étoit l’arène destiné aux tournois des Maures, et c’est dans cet espace que se donnent maintenant les combats des taureaux. La ville, peu habitée, offre des quartiers déserts, beaucoup d’églises et beaucoup ‘de cloîtres. Cordoue est dominée D'UN NATURALISTE. 417 dominée par la chaîne des montagnes de la Sierra- Morena , couverte de la plus riche verdure, et où les citronniers, les orangers, les oliviers et des arbres fruitiers de toute espèce annoncent la faveur d’un printems perpétuel. Aussi les neiges et les frimats ne viennent-ils pas attrister ces endroits enchanteurs, soigneusement culuvés, et d’où jaillissent des milliers de fontaines qui en entretiennent la verdure. On arrive à la cathédrale de Cordoue sous un quinconce d’orangers , dont les parfums s’unissant à ceux de l’Arabie que l’on offre à la Divinité, entreuennent autour du lieu saint une atmosphère embaumée. L'église, très-vaste , à dix-sept entrées dont les portes sont couvertes d’arabesques : ce fut une mosquée bâtie par Abderame au huitième siècle ,etque Ferdinand, en 1236 , consacra au culte catholique. On y remarque trois cent soixante-cinq piliers de granit et de jaspe, composant les vingt-neuf nefs de l’intérieur. Le tabernacle du maître autél est d’une richesse inconcevable : on y voit briller les pierres précieuses, et les jaspes les plus rares , diversement colorés , y flattent la vue et excitent l’étonnement. Ou montre aux étrangers qui visitent ce lieu saint, une colonne de marbre éur laquelle un crucifix fut gravé par l’ongle d’un esclave chré- Tous I. D d 418 VOYAGES tien qui y étoit enchaîné , et qu’on vouluten vain converür à la religion mahométane. On fait voir également la peute chapelle où le Coran étoit renfermé; elle est d’une architecture originale. De là , on nous introduisit dans une chapelle dorée où se trouve la statue équestre de Saint Louis, roi de France. Le trésor de la cathé- drale offre des richesses immenses qu’on eut peine à nous découvrir : des vases sacrés , des croix , des encensoirs et des expositions y sont en or massif, et incrustés de pierres précieuses colo- rées dont la Nature est si avare, et qu’on ne découvre que dans ses réservoirs secrets. Cordoue, sous le règne du sultan Alkehem IT, fut le berceau des sciences et des arts : il y exis- toit alors une bibliothèque immense , des écoles de médecine , de géométrie, d’astronomie , de chimie et de musique, où se formérent de grands talens. Ce fut la patrie des Sénèque , des Lucain , des Gonzalve Fernandez. Les environs de Cordoue fournissent une quanuté prodigieuse de müûriers qui alimentent des vers à soie, du produit desquels on fait un grand commerce. Ce terrain fécond y protése également la culture du guercus ilex, espèce de chêne, sur lequel se plaît /e lermès, insecte précieux , duquel l’on üre la couleur incarnate , et des plantes aromatiques de tous genres, dont D'UN NATURALISTE. 449 le suo bonifie la chair des animaux sauvages où domestiques qui en font leur pâture. Ces riches climats recélent aussi, de même que la Nouvelle -Casulle , le cèdre alüer, l’uule cotonmier et l’odorant poivrier. L’amateur de chevaux attend que je lui parle de ceux de l’Andalousie. Leur réputation n’a rien d’exagéré; beauté de formes , regard fier et éun- celant, naseaux couverts d’écume, vigueur et souplesse dans les mouvemens, voilà les précieux caractères auxquels on reconnoit les étalons andalous qui font la folie de leurs cavaliers. On a pour ces animaux des soins outrés, et leur exportation, ou l’imtroduction de chevaux étrangers sur le territoire espagnol y est éga- lement, interdite sous des peines très- graves. 11 existe à Cordoue un haras royal digne de ceux - de l'Arabie, et 1l est comparable à celui d'Aran- juez près de Madrid. Les chevaux andalous sont plus beaux, mais moins vigoureux que ceux du royaume des Asturies. On voit dans les rues de Cordoue, auprès de la porte d’entrée des maisons, de grandes tonnes enfoncées en terre et où chaque propriétaire conserve le produit de ses oliviers. Cette huile quiexposée au soleil, n’y acquiert aucune odeur agréable, y reste jusqu’à la récolte suivante, époque à laquelle elle peut facilement être con- Dd 2 420 "VOYAGES sommée , tant les Espagnolsen font un usage im- modéré: cette huileremplacele beurreetla graisse. Les posaderas n’y sont point actives comme dans le reste de l'Europe, et un aubergiste voit de sang-froid arriver un voyageur sans s’informer de ce dont 1l peut avoir besoin ; les domestiques même fainéans à l'excès , regardent les arrivans les bras croisés, et se contentent de leur montrer du doigt dans Ja basse- cour la volaille qu’on est souvent obligé de plumer et de faire cuire soi-même, ainsi que nous l'avons éprouvé tant de fois. Il est vrai que voyageant avec des militaires francais dont la vue inumide les Espagnols, nous ne pümes étudier facilement leur caractère; car , dès qu'ils nous aperce- voient , 1ls se melloient à crier : Carnèro , carnèro , signor francèse ! et. disparoïssoient subitement en nous laissant dans le plus grand embarras, et dans la nécessité de rassembler, apres beaucoup de recherches, tous les ustensiles néces- saires pour la préparation de nos mets. Ils se rapprochoïent cependant, et devenoient plus familiers lorsqu'ils voyoient que nous éuions à la fin de notre repas; alors, ne craignant point de nous regarder face à face , ils exigeoient de nous une récompense pour des soins qu'ils n'avoient point pris. Les soldats de notre escorte étoient fort doux D'UN NATURALISTE. or et trés-sobres. Leur costume consistoit en une veste légère, un chapeau à haute forme où ils déposent leurs cigares, et un léger havre-sac. Ils avoient tous des guêtres lâches , retenues par des cordons au lieu d’être boutonnées, et pour chaussure des sandales. On culuve beaucoup d’aneth dans les environs de Cordoue, et l'instrument qui sert à scier cette plante aromatique est semblable aux fau- cilles de nos herbières d'Europe. Tous les mulets y sont tondus, usage qui ne leur est pas favorable, et qui déplaît singulièrement à la vue. Les Espagnols ne connoissant d’autres jouis- sances , d’autre bonheur que dans l'amour, ils ne respirent que pour aimer. Leur véritable passion est moins celle des sens que celle de l'ame. Une Espagnole apprend-elle linfidelné de son amant, elle en est inconsolable, dans la ferme persuasion de ne pouvoir le remplacer. O suprême délicatesse, que n’êtes-vous de même honorée par les Françaises! Mais abusant de leur empire sur nos cœurs et de leur amabilité , elles causent souvent plus de tourmens qu’elles ne font d'heureux. Changer pour mieux jouir, telle est, hélas! leur fatale devise ; devise d’abord engageante, mais qui t0t où tard donne d'elles une opinion pémible, Les amans espagnols, Dors 422 VOYAGES trouvant rarement l'occasion de pouvoir se rap- procher, vivent de désirs, de privations qui alimentent leur flamme pure. Un amant se trouve heureux lorsqu'il a seulement entendu la voix de sa maîtresse approuvant les sons timides de sa langourense guitare, ou lorsqu'il saisit dans Pair avec transport un bouquet qui lui est jeté, et qui, déjà placé sur le sein de son amante, y à acquis un prix inappréciable ; soumis aux volontés de sa maîtresse ,1l s'éloigne en couvrant de baisers le gage précieux qui doit faire sa consolation et son unique espérance. Si ce n’est un bouquet, c’est un ruban, un billet que son haleine brûlante ou décolore ou efface. Que de fois je vis de ces couples heureux se parler au moyen de Palphabet digital, et rapprocher les distances en rendant leurs doigts dociles l’in- terprète de leur cœur, et le messager de leurs amours ! On aime à Cordoue à côtoyer Ze Guadal- quivir, dont les eaux nourrissent /e calamus arundo que les habitans emploient pour leurs voitures couvertes, en guise de cerceaux. Les rejets de lataniers qui s'élèvent dans la plaine des environs de Cordoue, sont quelquefois entre-mêlés de futaies d’yeuse ou chêne vert, et üe buissons d’une autre espèce de chère à fsmiles de houx. Le gland du premier est in- D'UN NATURALISTE. 423 14 comparablement plus alongé que celui du second qui est raccourci, et présque sphéroïde. . Nous repartimes de Cordoue pour la Venta- del-Carpioz, et comme nos voitures alloient fort lentement, je me déterminai à marcher, ou plutôt à chasser le long de la route pour essayer un superbe et excellent chien braque nommé coronello, provenant des chenils du roi. Les cantons que nous eûmes à parcourir sont très gtboyeux; aussr les Espagnols qui habitent ces contrées ont-ils chacun plusieurs lévriers et chiens couchans. Les fusils de chasse en Espagne étant beaucoup plus matériels et plus durs à la détente que les nôtres, sont par cela même moins commodes, et plutôt propres à la chasse d’afft qu’à celle du vol. Nous traversimes la Venta-del-Carpioz et Aldea-del-Rio pour nous rendre à Anduxar, ville de l'Andalousie ; éloignée de Cadix de cinquante lieues. La ville d'Anduxar n'offre rien de paruculier. On rencontre à quelque distance des rochers de grès servant de repaire aux mallaiteurs qui infestent ces parages, et à la gauche du chemin, de longues plantauons d’ohiviers, au milieu des- quels on voit se poursuivre et se jouer l'espèce de geai bleu, appelé Ze jaseur de Bohéme. Nous trouvâmes à la droite de la route, une potence à laquelle pendoit le bras desséchié d’un chef de D d 4 424 VOYAGES voleurs, qui venoit d’être supplicié par ordre du roi d'Espagne. Cet exemple est bien fait pour imunnder le crime, et le détourner de ses projets. Comme ces pays sont peu habités, et qu'on y voyage d'autant moins sûrement que les voleurs y sont de conmvence avec les habitans qui servent leurs desseins crinnnels , on à som de se munir d'armes, et de ne marcher qu’en nombreuse compagnie. Les voyageurs portent des outres renfermant le vin nécessaire pour les repas, où pour les haltes. On y vend à bon compte des melons de diverses espèces venus en pleinc terre. On trouve dans les montagnes des ostracites unies à des pholades. On remarque aussi dans les villages que l’on traverse, les tristes effets du désœuvrement. Le jour, ce sont des familles éntières étendues non- chalamment au Soleil, ei occupées à se chercher les poux, ou à des soins mal-propres; le soir, ces mêmes gens passent leur tems avec leur guitare, tandis que d’autres, animés par des passions plus déréglées, profitent de l’obscurité pour attendre, un poignard à Ja main, le voyageur fatigué et trop confiant. Nous pénétrâmes , -en quittant Anduxar, dans un pays agréable, qu’une culture nais- sante commence à embellir, et qu’elle enrichit déjà par ses bienfaits. La premiére posade où D'UN NATURALISTE. 425 l’on nous donna asile fut à Baileu, d’où nous nous rendimes à Guarda-Dornian, à six Rieues plus loin qu'Anduxar. Nous reconnûmes ensuite la Carolina, chef-lieu de ces cantons, qui est situé sur les bords du Xenil, pays également ferule, et récompensant le laboureur au dela de ses espérances. On remarque aupres de cette petite ville une longue avenue d’ormes , au pied des- quels végète l’aloës. On fait usage d’alkarazas dans toutes ces provinces, et d’outres pour les voyages. Le lendemain, en nous rendant à Sainte-Hélène, pays montueux , nouvellement habité et dé- friché, nous traversämes un passage dangereux au milieu de mornes escarpés , dont les aiguilles ou pics ont les parois couvertes de soufre su- blimé, de terre martiale et d’efflorescences virioliques. On y remarque également de beau schist , du mica , du schorl en masse et-en prismes, et de l’horn-blende. Les eaux con- tenues ou filtrant dans les cavités de ces rochers, sont très-améres et empreintes de sels méulli- ques. Élles sont pour la plupart oxidées et lerrugineuses; quelques-uns de ces rochers sont couverts de /ycopodium. Nous rencontrames deux moines qui chas- soient le chevreuil au nmnulienu de ces bois giboyeux , et qüi nous firent apercevoir une 426 . VOYAGES troupe d'environ trente voleurs, dont ils nous conseillèrent d'éviter la rencontre. Nous fîmes halte au pied de ces montagnes, pour nous désaltérer chez un Espagnol assis sur le devant de sa porte, el occupé à empailler des siéges avec des tresses formées des feuilles du latanier. Bientôt nous foulämes les montagnes fertiles et enchanteresses de la Sierra-Morena, qui four- nissent uniquement l'espèce d'orange appelée damasquinas. Ce fruit, d'une forme oblongue et d’un goût délicieux, a choisi pour sa patrie ces imposantes futaies parmi lesquelles 1] n’est pas rare de le rencontrer. Ce canton jadis culuvé par les Maures, et dont les bois furent long-tems après le repaire des bêtes féroces, est à soixante-trois lieues de Cadix. Après avoir traversé la Venta-de-Cardenas et la Ventadel-Judeo, nous arrivämes à Santa- Crux, première posade de la Manche, canton du bon vin, et où ma qualité de médecin me valut, grace à mes consultations latines, des présens, des attentions extraordinaires en ces pays peu policés ; ce qui nous fit voyager plus agréablement. Nous passämes snccessivement à /’al-de- Pénas, à Menzanarez et à F'illa-Harta. Nous reconnümes ensuite un beau paysfameux par les exploits de Don Quichotte, et où 1l fit ses mer s D'UN NATURALISTE. 427 veilles. Nous remarquämes dans les vêtemens des habitans de Port-la-Piz, et surtout de ceux de Tremblaque, une bizarre coutume, qui consiste à tacher cà et là leurs vêtemens rembrunis avec du plâtre dissous dans de l’eau; ce qui fait prendre les hommes et les femmes pour autant de goujats. On n’y voit point de cheminées s'élever au dessus des maisons. La Guardia, ville distante de 87 lieues de Cadix, est un pays situé au milieu de cronpes rocailleuses, dans l’intérieur desquelles se trouve un antique et modeste tombeau du roi des Maures , indiqué par un bloc de pierre, carré et surmonté de trois croix. Si môtre vue se récréa en ce pays, bientôt notre estomac languissant nous annonça qu'il étoit tems de suspendre notre enthousiasme ; mais nous ne pünes satis- faire promptement notre faim excessive. La posade étoit dénuéé de tout; et comme il n°y avoit point d'Espagnols malades en ce lieu , les lîiches domestiques nous ayant montré de loin les volailles qu’on nous destinoit , se retirèrent selon leur coutume , et nous laissèrent la peine de poursuivre ces gallinacées si souvent efflarou- chés, enfin de les plumer pour les préparer nous-mêmes. On nous servit seulement, après de grandes supplications, du chocolat, espèce d'eau grasse aussi dégottante à l’œil qu’insipide 428 VOYAGES au goût; un pain sans levain happant au palais, et pour bidon, une outre garnie de son robinet. On remarque à la Guardia d’anciennes foru- fications, des casemates à moitié démolies , et qui ne laissent plus que le souvenir des fléaux meurtriers dont les anciennes guerres ont désolé ces Campagnes, Nous nous rendimes avant notre départ à Véglise, pour y être témoins d’une cérémonie funéraire. Au cortége nombreux que nous ob- servames , et à la musique funébre que nous entendimes, nous reconnûmes que l’on célébroit les obsèques de quelqu'un de qualité. Curieux comme des voyageurs qui cherchent à s’instruire, nous écartämes la loule, et nous apercüûmes au milieu de la principale nef, une famille éplorée , vêtue de velours noir, posant unanimement leurs chapelets, en priant sur le corps nu et à moitié découvert d’un enfant couronné et couvert de fleurs, symbole de la félicité incontestable que cet être pur éprouvont déjà dans le ciel devenu sa patrie. | Nous marchions vers Ocana, lorsqu'une patrouille d’alguazals que nous renconträmes, nousprévint de nous tenir sur nos gardes contre une troupe d’assassins dont la tête étoit à prix, et que, pour le malheur des voyageurs, certains Espagnols tarés dans l'opinion publique recé- D'UN NATURALISTE. 429 loient chez eux. Nous avancions au milieu de bois sombres et silencieux, lorsque le général qui commandoit notre escouade nous engagea à faire un feu de file, comptant sur l’écho de ces forêts pour averur les malveillans que nous éuons en état de défense. Nous arrivämes à une posade suspecte, où lon nous recut même de mauvaise grace. Croyant déméler des intentions perfides de la part des Espagnolsiqui l’occupoient , nous cher- chions à éloigner ces soupcons peut-être injustes ; mais quelle fut notre surprise, lorsque nous apercümes cachés dans les greniers, les assassins qui nous attendoient dans l’espoir d’une bonne capture! 11 fut décidé que nous camperions auprès de Nos-Tiros-Largos, et que toute la nuit seroit destinée à la plus exacte surveillance. En vain Morphée commencoitil à appesanur les paupières de certains de nous accablés de fatigue, il fallut éloigner ce dieu trompeur , et lui repro- cher jusqu’à la douceur de ses bienfaits. Le mot d'ordre fut donné , et les qui vive qu’on en- tendoit au moindre mouvement annoncérent à la troupe intimidée que nous éons déterminés à vendre chèrement notre vie. Confondus dans leurs projets, nous apercûmes ces trente bri- gands s'évader par des fenêtres au milieu de la nuit, pour allercacher, sous la double obscu- 439 VOYAGES rité des forêts , leur honte et leur lâcheté. J’ou- bliois de dire que nos dames avoient été forcées de camper auprés de nous, ayant reconnu dans la chambre qui leur étont destinée, des ouvertures communiquant avec-les caveaux de la posade, dans lesquels on précipitoit probablement les victimes dès qu’elles étoient immolées. Ce qui me fit horreur, c’est qu’en allant m’assurer des lieux et de la propreté des draps , et que nv’étant avisé de soulever celui n , Je trouvai l’autre encore imbu du sang d’un malheureux tué le jour même, et qui avoit laissé en se débattant l’empremte de ses dents sur le linge , et par-tout des traces de son désespoir. Nous repartimes de cette posade sans témoigner notre surprise , mais avec lintention de faire notre rapport en arri- vant à Madrid, Arrivés à Aranjuez, l’une des maisons de plaisañce du roi d'Espagne, nous remarquämes beaucoup de logis peints à fresque. Celui du maitre de poste offre les vues les plus pitores- ques. Les murs du château sont baignés par le Tage, qui y roule ses eaux limoneuses et tour- billonnantes. On sait que le Tage est le fleuve le plus grand qui existe en Espagne, et celui dont le cours est le plus prolongé ; il arrose cent vingt lieues de terrain, depuis sa source jusqu'à D'UN NATURALISTE. 43 Lisbonne, où 1l confond ses eaux douces à la mer : le sable du Tage contient quelquefois, prin- cipalement du côté de Tolède, des particules auriféres, mais en si pelle quantité que sa récolte ne dédonimageroit point du tems qu’on pourroit y emploÿer. L'Espagne est encore fertilisée par le Tinto, dont les eaux d’un jaune topaze sont lapidifiques, et propres à lincrnstation ; par le Mino, le Duero , la Guadiana , le Guadalquivir, lEbre, Je Xucar, la Sagura , et beaucoup d’autres peuts ruisseaux qui ne suflisent point encore pour entretenir sur ce sol brülant une fraîcheur bienfaisante souvent remplacée par des crevasses arides, ou une poussière incommode. Les deux Castilles éprouvent particulièrement de grandes sécheresses , les Espagnols indolens ne profitant plus des avantages que pourroit leur offrir l'irri- gauon; ce qui rend leurs récoltes beaucoup moins abondantes qu’elles ne l’étoient sous les Romains et les Maures, où l’agriculture étoit en Espagne dans l’état le plus florissant. D'’Aranjuez, distant de quatre -vingt-seize lieues de Cadix, nous nous rendimes à Valde- moro , puis à Madrid , capitale de l'Espagne. La ville de Madrid est située à cent trois lieues de Cadix. Ses environs, qui étotent autre- 432 VOYAGES fois couverts de foréts, sont maintenant sans verdure et d’une aridité désolante (+). Les rues de Madrid sont larges et alignées: Les promenades publiques, décorées de fontaines d’une parfaite archiiecture, sont irès-fréquentées. On se réunit aussi sur les bords du Manzanares, au Prado, à la porte d'Atoches. (1) «Une chose digne de remarque, parce qu'elle influe sur la température de l'Espagne, dit un auteur moderne, c'est la singulière hauteur de ce pays au dessus du niveau de la mer. Le plateau occupé par l'intérieur de ce royaume est le plus élevé de tous ceux de l'Europe qui occupent une certaine étendue. La hauteur du mercure dans le baromètre, observée à Madrid, est de vingt-six pouces deux lignes; elle est moindre par conséquent de deux pouces que la hauteur moyenne observée sur les bords de l'Océan. Cette diffé- rence donne à la capitale de l'Espagne une élévation de deux cent neuf toises au dessus de la mer. Ainsi Madrid est quinze fois plus élevée que Paris, trois fois plus que le mont Valérien, un tiers plus que Genève. Cette hauteur influenécessairement sur latem- pérature. On est étonné de ne pas trouver d’orangers en plein air sous le quarantième degré de latitude ; mais ja température moyenne de Madrid w’est que de deux degrés + plus élevée que celle de Paris, et moindre d'un degré que celle de Toulon. Les montagnes de l'Espagne renferment une immense quantité de grottes, de cavernes et de souterrains ». Les D'UN NATURALISTE. 433: Les maisons de plaisance du roi sont, Bueh- Retro, la Grange , le Palais Neuf, Aranjuez, le Pardo, bäu par le roi Charles Ex ; l'Escurial, situé sur un plateau à demi-pente de la Cordilière de Guadarama; ce dernier lieu est consacré à la sépulture des rois d'Espagne. Je ne m’étendrai point davantage sur des objets connus, ce seroit augmenter inutilement le contenu de ce volume, et m'écarter de la tàche que je me suis prescrite. Le chimat de Madrid est humide, mais 1l n’est point mal-sain. La ville offre au curieux voya- geur plusieurs établhissemens remarquables. Le palais du roi renferme une collecuon précieuse de tableaux des prenners peintres de plusieurs écoles; auprès de ce palais se trouve un colisée d’armes et d’armures antiques. On admire aussi à Madrid un riche cabinet d'histoire naturelle, mais dont la collection immense est rangée sans méthode. La classe des minéraux offre surtout la réunion la plus complète en ce genre; mais on pourroit appliquer, à l'égard des animaux empaillés de cette collecuon, préparés sans art et sans goût, cette phrase remarquable de M. Bernardin-de-Saint-Pierre, dans ses Études de la Nature : « Ou la Nature. est morte, ou » l’art est animé ». Les rues de Madrid sont longues, et les maisons y sont à quatre, cinq et sept étages; les Tous II, Ee 454 VOYAGES feffêtres sont garnies de balcons plus ou moins somptueux. Je fus parfaitement accueilli par l'ambassadeur Beurnonville, chez lequel je fus invité plusieurs fois, et où je vis avec bien du plaisir de superbes tableaux de chasse. Nous éuons logés à l’hôtel de la Providence, où l'hôte francais, M. Picard , nous servit souvent des cannes-pétraces, fort communes dans les environs de Madrid; ce qui n’est point faire l'éloge du terrain, puisqu'on saitque ces oiseaux se plaisent de préférence dans les friches ou sur les grouettes. N'ayant rien de mieux à faire, j'allois fort souvent au spectacle, où je vis avec intérêt exécuter une danse de caractère par deux enfans de six ans, agitant avec grace leurs castagnettes au son alto d’un solo de flute, qui toutes: les fois me porta à la mélancche. Il me reste à parler d’un autre spectacle que les Espagnols aiment avec passion, etqu'ils pré- férent à tout autre; c’est le combat du taureau. Le cirque choisi à cet effet à Madrid, a trois cents pieds de diamètre, et l’arène seule a plus de deux cents pieds. L’amphithéätre destiné au public peut contenir environ de douze à quinze mille spectateurs. Un magistrat chargé de la police se trouve 5 présent à chaque combat, et accompagné de A D'UN NATURALISTE. 435 deux alguazils eu exempts, desuinés à maintenir le bon ordre. Bientôt le magistrat, par un signal, annonce que le combat peut commencer. Aussitôt une porte est ouverte, et l’on voit du fond d’une étable un taureau inquiet, d’abord s’avancer lentement, puis enfin fondre avec impétuosité dans l’arène. 11 semble interdit par l’afluence et les clameurs d’un peuple nombreux ; 1l s'arrête, promène en silence ses regards autour de lui, semblant défier le téméraire qui à osé le provoquer au combat; un beuglement prolongé et étouffé semble menacer d’une ven- gcance prochaine le piquier (picador) qui pa- roit à cheval à l’autre extrémité opposée, armé d’une lance, et s’avancçant vers lui. Ces deux antagonistes, ménageant leur marche et leurs feintes, font un pas, puis s'arrêtent, s’observent, combinent leurs mouvemens avec lenteur et retenue. Cet état d’incerutude et d’irrésolution intéresse le spectateur qui déja forme des con- jectures. Alors le taureau , qui croit ne pas devoir plus long-tems contenir sa fureur, baisse la tête, et réumissant toutes ses forces, fond avec impétuosité sur le picadôr. Cet adversaire, au premier mouvement du taureau, qu'il a su juger, s’est mis en défense, et tenant sa Jance en arrêt, il en dirige le fer vers l'animal Ee 2 &36 VOYAGES furieux, qui par une feinte souvent en rend l'effet impuissant, en la faisant voler par éclats. C'est dans ce moment que /e picador est en danger ; et que, pour le délivrer, paroïissent deux chulos, jeunes Espagnols agiles qui viennent agacer le taureau avec des peus manteaux ou draperies rouges; ce qui lui fait oublier son premier ennemi, qui profite de ce moment favorable pour se remettre en selle s’il a été cuibuté, et pour se réarmer. Les chulos étant à pied , ne peuvent tenir long-tems en présence du taureau animé; c’est pourquoi à la première menace 1ls battent en retraite, et s’élancent dans une double enceinte où ils sont hors de danger, et d’où 1ls narguent le taureau furieux d’avoir laissé échapper ses vicumes. Il apercoit bientôt derrière lui Ze picador, et soudain àl fond sur lui, dans l'espoir de J'immoler à son ressentument. Souvent il ne fait que le renverser, et dans sa méprise il perce les flancs du cheval qu’il fait sauter en l'air d’un coup de ses cornes, Je vis un de ces chevaux tellement éventré, que tausses intestins tracoient, dans sa course forcée, l'arène ensanglantée ; mais Join d’éloigner lé cheval pour lui donner quel- ques soins, /e picador ne peut en descendre qu'au moment où épuisé de fatigue et ayant perdu tout son sang, l'animal, malgré sa valeur, D'UN NATURALISTE. 437 tombe et expire. Le taureau, satisfait de sa vic- toire, s’avance vers le cheval, et le foule aux pieds en signe de triomphe. Lorsque le taureau a reconnu son impuissance contre /e picador qui sut l’éviter , 1l reste ‘immobile et se refuse au combat ; alors on met à ses trousses es banderillos ou chulos. Ge sont huit jeunes Espagnols tenant chacun à la main une poignée de petites flèches on banderillas qu'ils doivent lancer au taureau pour l’agacer et Pirriter. Ils l’excitent, et lorsque l'animal baisse la tête en fermant l'œil, pour fondre sur ces nouveaux importuns, les banderillos profitent de ce moment favorable pour lancer leurs flèches. L'animal est atteint, et le chiquetis des banderillas aux moindres mouvemens Fin- quiétant , 1l devient furieux, frappe la terre de son pied, la creuse, et fait voler la poussière en écumant de rage; 1l cherche ses ennemis, mais ils ont disparu. Souvent le taureau, déjà fatigué, ne cherche point à s'approcher des banderillos lorsqu'ils paroissent; alors ces derniers ont recours à la moleta où écharpe de couleur écar- late qu'ils portent à la main gauche, et qu'ils agitent devant le taureau en passant près de lui, pour le närgner et l’exciter davantage à la ven- geance. Quelquefois, malgré la rapidité de la course , il en est qui sont fortement pressés par Ee 3 438 VOYAGES le taureau ; alors ils lui abandonnent, en s’échap- pant, la moleta , sur laquelle le taureau assouvit sa rage, en la déchirant en pièces après lavoir flairée, Si maigre cette ruse , que l’animal souvent dédaigne , ils n'ont pu sauter au dessus de la barrière qui doit les mettre à l'abri de tout danger , alors les autres banderillos s'avancentet attaquent le taureau pour laisser échapper leurs camarades. Quand le taureau a suffisamment combattu, on le condamne à mort. Alors un Espagnol qui n’a point encore paru, et qu’on appelle rna- tador (1), se présente, tenant d’une main la fatale épée, et agitant de l’autre a rmoleta. Ce mnatador a dû, pendant le combat, examiner Je taureau , et étudier son caractère. C’est pour- quoi il a dû disunguer s’ilest claro, c’est à dire, lougueux et sans ruse; alors 1l peut s’en appro- (1) Les matadors ordinaires sont des torréres du combat, ou bouchers de profession, qui doivent être doués de courage et de sang-froid. Le matador est souvent un preux chevalier où amant espagnol, qui aime à remporter celte victoire aux yeux de sa belle. Je visun de ces malheureux devenir la victime de son courage imprudent, et, par je ne sais quel sentiment, les spectateurs crier brave ! et applaudir à outrance, tandis que le jeune homme en perdant son sang rendoït le dernier soupir. D'UN NATURALISTE,. 439 cher sans défiance, et être assuré de sa victoire, Mais si l'animal est obscuro, c’est à dire rusé , froid, réfléchi et lent dans ses résolutions, alors le matador prend plus de précautions. I s’en approche , le regarde en silence, alors ruse contre ruse, l'attaque ou se défend , "mais 1l trouve toujours le moyen de profiter du moment où l’animal baisse la tête pour frapper, et lui enfonce sans peine le glaive entre les vertébres cervicales. Le taureau en beuglant tombe aussitôt transpercé sur l'arène, sans la rougir de son sang : car 1l meurt par la secuon de la moëlle épinière. Lorsque le taureau tombe aux pieds de matador , la trompette sonne, et on voit entrer trois mulles richement RE el qui, aC- coutumées à ce manége, entraînent le corps atl grand galop. On tue plusieurs taureaux par combat , et ce spectacle est tantsuivien Espagne, que le pauvre même y sacrifie tout son avoir pour ne laisser passer que rarement use repré- sentation sans y aller. Îl y a toujours un prêtre prêt à administrer les sacremens aux combattans blessés à mort. On critique cet usage sanguinaire chez Le Espagnols , sans réfléchir que nous avons le jeu de l’oie, dont les détails sont d'autant plus révoltans et l'attaque peu généreuse, Le CCE oiseau est sans défense , el que souvent le cou Le À 440 VOYAGES aux trois quarts tranché , on le laisse languir en cet état des heures enuères !!! En quittant Madrid,on rencontre des hameaux, des maisons éparses et rares ; par-tout des mains oisives , des visages basanés, maigres et blèmes ; des haïllons , de la vermine , apanages dégofñtans de la misère et de la pauvreté; par-tout des chau- mieres en rune, où les hommes, les femmes, les enlans et les animaux sont groupés sans dis- üncuon. Ce qui contribua le plus à rendre ma route agréable , fut la société du célèbre Crescenuni, qui fait en ce moment les délices de Paris , et la connoissance que je fis aussi de M. Libon, aruste distingué, qui, à des mœurs douées, joint un talent supérieur sur Je violon. Ces deux virtuoses retournoient à Paris, et à chaque posade , pour oublier les fatignes du voyage et les désagrémens de la route , ils s’exercoient avec des morceaux de musique qu'ils avoient composés pour les concerts de Paris, J’entendis avec ravissement la scène des Horaces, de la composition mélodieuse de Crescentini, et de beaux concerto de violon par M. Libon, qui font le plus bel éloge de sa composition. Non loin de Madrid à Saint-Sébasuen, le sol, semblant consterné d’être aussi près du tour- billon des villes , laisse suinter les pleurs de D'UN NATURALISTE. 44x cette nature désolée. Le pays est marécageux , mais triste, et on n’apercoit autour de soi qu’un terrain nu, dénué d’arbres et de verdure , enfin le tableau monotone d’une aridité qui engour- ditles sens. Les femmes, sérieuses ettaciturnes, y cousent en silence sur un traversin, pourvues par-devant d’une poche destinée à recevoir le peloton de fil. On remarque aux bornes des mai- sons où le roi descend , des chaînes qui, au lieu de servir de mauvais augure, annoncent qu’elles sont dégagées de toute espèce d'impôts: Nous quittämes Saint-Sébastien à la pointe du jour , et nous marchäâmes vers la Venta-Molaris, au milieu d’une nature riche, et de sites pitto- resques et romantiques. Âu centre de gorges mamelonnées , formées par des blocs de quartz micacé et de marcassites, d’où s'échappe avec un doux murmure une eau claire et limpide coulant sur un lit tortueux, on apercoit des ha- bitans vêtus de cuir, poursuivre le chevreuil et les lèvres communs en ces cantons. Ces ani- maux fréquententcesravines hérisséesderochers, et vont se désaltérer en paix au milieu de ces blocs de granit, où ils trouvent, après leur pour- suite, à reposer leur corps faugué sous l’ombrage du hêtre touffu ou du chêne antuque. Le lendemain, nous fimes ronte vers Bou- Uago , la Suelta et la Venta-de-Coronilla : nous 442 VOYAGES passâmes la nuit dans ce dernier endroit. Nous avions admiré pendant la journée ces paÿs riche- ment boisées, et ces montagnes fécondes où les hètres ei les pins s’élèvent au milieu même d’im- menses rochers qui vomissent à gros bouillons des torrens d’eau et d’écume. Une belle rivière coule dans ces campagnes, sur des rochers escarpés, de granit noir. Nous couchâmes le jour suivant à la Frezmillo- de-la-fFavente, et nous dümes notre bonne réception, en la pausade , à une consultation en Jaun que je donnai au posadero, qui avoit trois enfans eu bas âge attaqués depuis quinze mois de fièvres quartes. La joie vive qne ressentit ce bon père, par l'espérance de revoir bientôt ses enfans rendus à la santé , le fit nous prodiguner ses pro- visions ; 1l poussa la délicatesse et la générosité jusqu'a ne vouloir accepter aucune rétribution , que je distribuai aux valets d’écurie. Nous cheminâmes vers Aranda , pays très- giboyeux et richement boisé. Les troupeaux (1) (1) L'Espagne, dit l'auteur de l'ouvrage intitulé : Campagnes des Armées françaises en Espagne et en Portugal, a été de tous tems le pays des troupeaux. Les laines de la Baltique et du pays des Cantabres éloient très-estimées à Rome. Les belles races dégé- nérèrent sous les Maures; mais les Arabes d'Afrique qu leur succédèrent, renouvelèrent les espèces, eë D'UN NATURALISTE. 45 ÿ paissent au milieu de hautes fougères , de ge- nevriers , de mélezes, de thuia et de pins, de serpolet et d’autres herbes aromatiques qui communiquent à leur chair un goût exquis : on y tre l’eau des puits à l’aide de grands leviers mis en équihbre vers leur milieu sur une poutre perpendiculaire, et dont le sommet est aigu; alors 1l suffit de peser à l'extrémité opposée à celle où est auaché le seau, où de soulever la grosse pierre qui y est enchaînée, pour plonger ou reurer le seau du puits. Cette mécanique est améliorèrent les laines. Don Pedro IV fit venir une grande quantité de béliers d'Afrique, et même des troupeaux entiers de brebis. En 1394, sur la demande de Henri IIL, Catherine, fille du duc de Laucastre , Jui apporta en dot plusieurs milliers de bêtes à laines choisies. Ces animaux s'acclimatèrent parfaitement dans les deux Castilles. Le croisement des espèces d'Afrique et d'Angleterre avec la race espagnole, donna à celle-ci la qualité supérieure qui la distingue, On compte en Espagne deux espèces de bêtes à laine 3 les unes voyagent tous les ans, on les appelle merinos ; les autres restent dans leur pays, et rentrent toutes les nuits dans leurs bergeries. On estime environ à huit millions les moutons promeneurs, et à cinq millions les moutons voyageurs. On évalue à cinq cent mille quintaux la quantité de laines fournies annuellement par les troupeaux d'Es- pagne. Ces laines sont généralement longues, soyeuses 444 VOYAGES bien différente de la chaîne hydraulique dont on fait usage dans certains endroits près de là. Cette chaîne, composée de godets ou potiches de terre , fabriqués à Jandouka , est plongée dans l’eau, et les godets s’emplissent pour ensuite verser le liquide, par un mouvement circulaire , dans une rigole qui la transporte dans un vase quelconque. Nous nous rendimes à la Venta-della-Praële, et douces; celles des troupeaux voyageurs paroissent emporter sur les autres. Les mérinos, acclimatés en France depuis douze ans, n’ont point dégénéré; les agneaux qui en proviennent ont non seulement con- servé la pureté de leur origine, mais ceux qu'on a obtenus par le croisemeut des races françaises four- nissent dès la quatrième génération des laines aussi belles que celles d'Espagne, pourvu qu'on n'allie les femelles métisses qu'avec des béliers de race pure. Il ÿ a aujourd'hui peu de départemens en France, où ces races espagnoles ne soient introduites. Les plus belles laines d'Espagne sont celles des en- virons de Segovie, de Baytrago, de Léon, de l'Aragon. l'est probable que les moutons espagnols, actuellement acclimatés dans divers pays de l'Europe, le seront bientôt dans la presque totalité de sa surlace, et alors ie commerce ce laines que fait l'Espagne sera entiè- rement perdu. Le ministre d’Aranda disoit : « Si l'on » m'eûi consullé, jamais un seul mouton espagnol ne » fût entré en France». D'UN NATURALISTE. 445 où les cherninées des cahuttes matériellement construites, ressemblent à une forme à sucre. Ces espèces de maisons sont bâties avec des uules denu-cvylhindriques, posées en recouvre- ment. On voit s'échapper du faîte formé par un double cerceau surmonté d’un coq enterre cuite, une fumée plus ou moins condensée. Les maisons de ville sont peintes à l'extérieur. On récolte en ce pays beaucoup de lin. Nous voici dans la Vieille-Castille, et la ville de Zérma fut la première que nous y rencon- trâmes. Les maisons y sont bâties en briques de terre, et les cabrouets sont traînés sur des roues pleines par des mulets tondus et mutlés. Les habitans ont pour coiffe une espèce de capuchon, sont vêtus de cuir, et sanglés de la même mauëère. On nous conduisit à l’église qui est magnifique- ment décorée. Elle est ornée de tribunes et de deux beaux jeux d’orgues. Au milieu s'élève le superbe mausolée du duc de Lerma; il est en airain. L'église située sur la place, correspond au palais du duc par de vastes galeries tournantes. Elle est bâtie sur une éminence au bas de la- quelle coule une tres-belle rivière. La campagne enchanteresse qui s’offroit à mes regards de tous les côtésÿ m'engagea à descendre sur le pont élésamment construit qui 446 VOYAGES traverse l’Artanzon , d’où j'ai dessiné le charmant point de vue que je vais décrire. Au premier plan, sur la droite, s’éléye avec majesté l’église qui est construite avec une élégance rare, décorée d’horloges, de mansardes symétriques, d’un clocher quadrangulaire sur- monté d’une croix à trident qui sert de girouette. La couverture des bätuimens environnans est formée par un assemblage de tuiles demi-cyÿhin- driques. Sur la gauche se trouve un pont qui, dans sa courbe, comprend six arches sous lesquelles coule mollement la riviere Hmpide d’Artanzon. Elle arrose dans son cours le tertre de l’église, et va au loin feruhiser les campagnes. L’Artanzon réfléchit sur son onde les longues chevelures des saules pleureurs qui la bordent, mais elle ralenut plus loin son cours, et se divise en ramifications sinueuses qui arrosent la belle prairie dont elle est environnée. On trouve ca et là de jolis ponts jetés sur les bras les plus larges, et qui favorisefit la tonte des prés et l’exploi- tauon des foins qu'ils produisent, Au milieu de celte riante prairie offrant à l’œil le plus’ beau tapis de verdure, on apercoit une chapelle des- servie par un hermite, laquelle est à moitié dérobée aux réards du voyageur par un cirque de châtaiguiers, dont le saint homme fait, D'UN NATURALISTE, 447 diton, sa principale nourriture. Auprès se re- marque une croix de pierre élevée sur un gradin. On voit sur ce sol ferule toujours animé par la présence de quelques voyageurs ou de jour- naliers, és tiros qui remplacent en Espagne les voitures de poste. Ce sont des berlines assez mal suspendues traiînées par six mules, et qui font l'office de nos dihigences. Les voituriers con- ducteurs sont appelés #2ayoraux. Is marchent sans fouet, et n’ont recours qu’à leur voix pour exciter nonchalamment leurs bêtes lentes et pares- seuses. La vue aime aussi à se fixer sur des lai- tières vêtues légérement, et portant sur leur tête V’'urne de terre de Jandouka, qui conuent le lait qu'elles ont à vendre. | On disungue à l’ombre des saules les pêcheurs occupés à tenter fortune; plus loin , des chasseurs dans la plaine, ici un groupe de padres, là des cabrouets tels que je les ai décrits. Enfin le lointain offre des plantauons de châtaigmiers, tandis que l'horizon se termine par un rideau de forêts surmontées par les pics embrumés des Pyrénées occidentales. Nous couchämes le lendemain à Burgos, une des plus grandes villes de la Vicille-Castille. On y arrive par une route ferrée et superbe, quoiqu'étrointe. Elle est garnie d’ormes dans 448 VOYAGES toute sa longueur , à l’instar de celles de France. La ville de Burgos est remarquable par sa bonne tenue , par ses ponts, et la beauté de ses promenades ornées de statues. On y voit une très-belle place décorée de plusieurs fontaines. Le pays est trés-boisé ; on y récolte du lin. Nous reconnûmes ensuite Pradano , et à deux lieues plus loin, Birbiesca. On voit à Pradano des moulins à eau sans roues. On ÿ touve beaucoup d'Ayèbles, d'érysimumn, de narrube, de mille-pertuis , et dansles prairies, communes en ce pays, beaucoup de presle ; elles sont ombragées par des peupliers qui paroissent y prospérer d’une manière avanta- geuse. Les femmes y ont la tête nue, et divisent par derrière leurs cheveux en plusieurs tresses. De Birbiesca nous parvinmes à Pancorvo, où Crescentni, ce virtuose doux, complaisant et modeste, voulut bien me chanter en parücu- lier et dans la dernière perfecuon, sa magni- fique scène des Horaces, dont la rare harmonie sera toujours présente à mon souvenir. Ce pays est ados$é à des mornes; il est bien arrosé, conséquemment fertile et bien cultivé. Les femmes y portent des cheveux trainans, sans être tressés; ce qui offre à l’œil, en raison de leur mal-propreté, le désordre le moins flatteur. Nous D'UN NATURALISTE. 449 Nous arrivâämes à Miranda, peute ville où passe l'Evro, belle rivière qui fournit des mer- Juches en abondance, que nous eussions trouvé excellentes s1 elles eussent été accommodées avec du beurre, au lieu de l'huile puante du pays. Entre Miranda et Vitoria on rencontre un couvent bien heureusement situé dans un pays aussi désert. Eloignés de toute habitauon, les moines y jouissent d’une paix délicieuse, et de tous les agrémens de la vie champêtre. La chasse, la pêche, plaisirs doux et innocens, ne leur sont point interdites. Protégé dans ses récréations par de hautes futaies dont une rivière poissonneuse entretient la fraîcheur , le silencieux pêcheur n’y est distrait que par l’écho qui répète la voix des chiens courans, ou par le coup fatal qui suspend leur poursuite, devenant désormais inuule, Ce couvent de /« Poevela est, en un mot, très-favorablement situé pour un ami de la Nature. On y donne pendant trois jours l'hospitalité à tout voyageur, et s’il est malheureux , il y trouve des secours et des consolauons. Tout à coup le pays change de face, et re- prend sa stérilité qui fait regretter les bocages du couvent. Le terrain est inculte, les chemins sont raboteux, les villages presqu’en ruine, et Tome EL, Ff 450 VOYAGES les habitans , selon leur honteuse coutume , indolens et paresseux , passent la majeure parue du jour au soleil. Nous arrivämes à Y’üoria, ville principale de la Biscaye, et entourée de très-belles prome- nades, au milieu desquelles on a pratiqué un jeu de longue paume: C'est là que les Espagnols oiseux passent une grande parte du jour à jouer ou à regarder les acteurs du défi. Leur indo- lence est telle que souvent un voiturier y fait arrêter ses chevaux , et qu'il oublie pendant une demi-jonrnée ses occupations, si la partie s’en- gage avec chaleur. En passant à Salinas, on remarque au mi- leu de hautes montagnes une descente trés- rapide. On voit depuis le sommet jusque dans les falaises, bouillonner et juillir de belles cas- cades qui eurichissent la verdure des châtaigne- raies et des fougères. On culuve dans les environs, des champs de navets dont les animaux se nourrissent. En faisant route pour Mondragon , nous renconträmes sur les chemins de ces montagnes escarpées, des groupes de muleuers transpor- tant des marchandises. Les sons des longues cloches (voy. planche XL.) attachées derrière les ballois recouverts d’une toile rouge, interrom- pent le silence imposant de cette nature agreste, D'UN NATURALISTE. A5t tandis que le costume particulier des habitans y récrée la vue du voyageur. Les hommes ont un chapeau très - haut de forme, étroit et placé sur le sommet de la tête ; un gilet et un pantalon d’un drap grossier et brun : les manches de ces vestes sont réunies par des lacets relâchés. Ils ont les jambes enveloppées d’une étofle de laine à barres brunes et blanches, et relenue par un ruban qu'ils dirigent autour de la jambe en serpentant (planche XI). Les femmes ont un corset large et rouge, et le jupon brun ; elles marchent la tête nue, et leurs che- veux lisses sont tressés par derrière dans toute leur longueur , et pendans jusqu’au bas de la taille. ( Foyez planche XL.) Les enfans à Mondragon parlent basque, et portent les cheveux relevés comme les Chinois. On y voit pendant la messe les veuves à genoux sur la tombe de leur mari défunt, puis étendues sur un drap qu’on brûle au bout de l’année , qui est le terme de leur deuil. Nous nous mimes en route le lendemain pour Beurgara, où se trouve un séminaire; et après avoir côtoyé les hautes montées des Pyrénées occidentales, nous cheminâmes vers 7’illa-Real. En nous rendant à ’illa-Franca, nous nous arrêtämes à 7’illa-Real où l’on nous servit, pour la première fois pendant la route, du vin Ff 2 452 VOYAGES de dessert. On y célébroit un mariage. Je pris plaisir à voir les danses basques ou fandango, qui sont fort lubriques. Le nouvel époux, pré- cédé d’un tambourin et d’une espèce de fla- gcolet, marche à la tête de la colonne des jeunes gens pour chercher, par une évolution 1or- tueuse , son épouse que la colonne des jeunes filles tente de dérober à sa vue et à ses embras- semens, en la placant au centre. On la cache ainsi dès que l'époux paroît. «fin, 11 me smble, de provoquer les désirs du marié; alors le but étant rempli, le son du flageoiet devient plus vif, le tambourin redouble ses mouvemens, et les évolutions cirenlaires s'engagent. De là une mêlée complète à la faveur de laquelle Pépoux est réuni à celle qu’il poursuit si ardemment. Une exclaration unanime annonce sa victoire. Nous arrivämes ensuite à Tolosa, ville de la Biscaye, assez importante, où nous couchämes. On rencontre sur les routes des environs, des habitans montés dos à dos sur les flancs d’un mulet bien harnaché , et assis sur des chaises (voyez planche XL.) , ce qu’on appelle afler en cacolais ; d’autres transportant de la sanguine et du fer, objet principal de spéculation que fournissent les entrailles de ces hautes mon- tagnes. Le costume des habitans de Tolosa est à peu pres celui des Vendéens. _—_— UOSVIPUOI 9P SAN9FVAOA "SIU[OOU) Uo JUPE VSOTOL op SINBVAOA CLÉ MES An IE 7: "AT 3 0 - L Pa . a . A | DS, LP RENTAL CINE NET myèt : | . - . ES Huite 4e PONS CRC HUS CT bons : w ; | ÿ “a : À ; ; MT sûr hr 0 2 dr gene ibn “ : . où | - L : A | Pen OP A. à tn Ni w,. | AE . + LES T4 À + : : A CU ”N a pe eles : ATH de) À RATE LT 114 : FIST Drete e Ri UOBVIPUOW 0P SAINIBEAOA ee re an one e] A ; STP[O9V y Us JuP][e VSOTOT JP SIN9GVAOA D'UN NATURALISTE. 453 Après avoir reconnu Joarson , Andonin et Hervania |, nous passâmes à Jron, dernier bourg que nous rencontrâmes en Biscaye (1). Ce pays montagneux offre des sites imposans et dignes du plus célèbre pinceau ; j'y suis resté deux heures en extase devant des pré- cipices affreux , des falaises caverneuses , hor- ribles à la vue , mais d’un riche effet en pein- ture. Ces montagnes sont culuvées dans leur (1) La Biscaye, dit un auteur moderne, est bornée au nord par la mer Cantabrique, à l’est par la Guipuscoa, à l’ouest et au sud par la Castille. On y compte une ville, vingt bourgs, dix vallées, soixante-dix com- munes, et 112,371 habitans, dont la plupart sont dis- persés dans les hameaux. Le pays est très-montueux ; il abonde en carrières de marbre et en mines de fer. La terre est argileuse, et en général de mauvaise qua- lité ; mais les légumes sont excellens, et le raisin muscat aussi bon que celui de Frontignan. Les Biscayens cul- tivent avecsoin plusieursarbresfruitiers. Leurs pommes sont renommées; ils en font de très-bon cidre. Les marronniers produisent de beaux marrons que les Hambourgeois éxportent pour les vendre en Alle- magne. Les poires doyennés, beurrés, bergamotes et bon-chrétien sont aussi savoureuses que communes. Les figues y sont très-bonnes. Le bois y est abondant ; et les Biscayens s'entendent fort bien à l'aménagement desforêts. Ily a dans la Biscaye cent quatre-vingts mines qui fournissent annuellement quatre-vingt mille quin- taux de fer. Les mines de ce métal les plus Fenommées FF 3 A54 VOYAGES parue la moins abordable , et une riche fer- ulité s’y annonce par les irrigations de ruis- sceaux hmpides. Les habitans y ont nn beau sang , et sont laborieux ; ils parlent un patois, ou espa- pagnol corrompu, et font éciater dans leurs . moindres actions une gaieté vive que leur inspire leur parfait état de iberté dans le commerce, en raison de la modicité des impôts. C'est aussi le séjour favori des nobles peu for- tunés, qui méprisent les Casullans comme pauvres et toujours mélancoliques. Nous traversämes le lendemain le pont de hmites, jeté sur la Bidassea, rivière qui sépare la France d’avec l'Espagne, et sur les bords de laquelle se plaît le Haurier-rose qui y forme des berceaux délicieux, Deux sentinelles de nation différente occupent les extrémités du pont. Désormais nouvelle vie, autre langage, sont celles de Sorromestro. Les habitans de la côte sadonnent beaucoup à la pêche, et le poisson de la mer adjacente à cette province, est le meilleur de l'Es- pagne. Les Biscayens sGnt gais et polis, mais d'un entêtement qui est passé en proverbe. Les femmes aident les hommes dans leurs plus rudes travaux , et les dames de ce pays grimpent aussi lésérement que des chèvres sur les rochers les plus escarpés. Le climat quoiqu'humide est très-sain, ITINÉRAIRE DE CADIX A BAYONNE, Par l'Andalousie , la Manche, la Nouvelle et la Vieille Casulle, la Biscaye et le royaume de Navarre, Cantons. Distances. Villages ou Hameaux. © —— — | Noms des Villes, Bourgs, De Cadix al Puerto de Santa- Maria, par mer. tt À Xérez de la Frontéra . : la Venta de St.-Antonio. . Vtrera. 7 - - Mayrénas 4. 4 Carmona: , + Lu . Rio-Frio. Ù Ecija . la Carlote . 42. . . Cordoue , 4... la Venta del Carpioz . . Aldea del Rio. « . « + Anduxar . . ". lieues. L'Andaslousie.( Bailaut Gunda Donna F la Carolina « « + + + se Santa-Helena , « 4 40. «à la Sierra Morena.. 2 + « la Venta de Cardenas, , . . la Venta del Judep.. . ., Santa-Crux « + +. .. Val de Pénas.. ee Menzanarez Villa Hart |. port la Piz |. . A Tremblaque. . ! « . la Guardiu . : fase Ocana, , + + Î û La Manche Boutrago, . . Aranjueze en 0: Val de Moro. , b . Toy Madrid, De» AS ntesébretien. Pre à nouvelle. la Venta Molaris ss la Swelta._ . ; ü la Venta de Condnilla. - : Ja Frezmillo de laFayente . Araudass. 27. Eee la Vonta della Praéle. . Lermu 7 . . t . Burgos. Royaume f de Castille viville. Pradono. . « L': Birbiesca, - : | - Pancorvo, . Miranda . . Vitoria, . , . | Salinas. . , Mondragon . Beurgara. - . Villa Réal. , . Villa Franca, . Tolosa. , » , Andonin, . . Jogrson . . . Orogna .,. . Saint-Jean de Lup . . + Bayonne, , . « Discayo. | Départem, des Basses-Pyrén, LE bb OU 5 b b OU GR ER ob at h DIR OIUIDIEN LIN OI 4 O1 OI O1 O7 Di Or ON O1 + OT Re OR 1 ON oraL.... 189 lieues. | ; Loue UT, page 495. ————@——_—_——————————— OBSERVATIONS, Bonne posade. Mauvaise posade, Mauvaise posade. Bonne posade. Mauvaise posade. Citerhes. Mauvaise posade. Bonne posade. £ Puits des champs à Godets. Grande ville. Mauvaise posade. Mauvaise posade, Bonne posade. Mauvaise posgdose = c Cheftieu situé sur les bords du Xenil, Mauyaise posade- Payg nouvellement défriché, Culture de l’ancth, Maüvaise posade. Mauvaise posade. Excellent vin. ÿauvaise posade, Mauvaise posade. Lieu des exploits de Don Quichotte. Maupaise posade. Mauÿaise posade. Mudpaise posade. Beal pays, maisons peintes à fresque, MauVaise posade. Ville florissante. * è Pays aqueux. Côtes montagneuses ct giboyeuses. Pays bien arrosé. Rivière coulant sur du granit. Rivière coulant sur du granit ct cascades. Culture du lin, mélezes, thuia, Le gibier a une saveur aromatique. Culture du lin, ot maisons singulièrement construites. Bcau point de vue, prairies: LT er Belles promenades. Te Lesfemmes y portent leurs cheveux trdîhans, muis (ressés, | Pays arrosé ct adossé à des mornes. Pays arrosé par lIvro qui fournit des merluches, Promenades et jeu de paume. Châlaigniers, Pays fertile et arrosé, cascades, Pays commerçant. Sanguine et mines de fer, Châtignes, ot bon vin de dessert, Noblesse biscayenne. Sañiguine, et mines de fer, Voyageurs allant en cacolais, Mauvaise posade, Mauvaise posade. Limites d'Espagne. Pays commerçant, Pays commerçant, 454 VOYAGES : PRES . AD iè 3400 be disdie Biscaye. ) Villa Réal. . à Villa Franca. Tolosa. Andonin. Joarson . Orogna . . . Ë Départem. des ( Saint-Jean de L | Basses-Pyrén. Bayonne. DUNSNATURALISTE. 455 nouveaux costumes. Nous apercumes l'île fa- meuse de la Conférence. Enfin, après avoir traversé Orogna et Saint-Jean-de-Luz, nous arrivämes à Bayonne, où nous séjournämes quelques jours. ( 7’oyez le tableau iunéraire.) Nous en repartimes pour arriver à Saint- Vincent, pays aquatique et mal-sain. Les habi- ans en étoient presque tous fiévreux ; leur costume est à peu près celui des Béarnais. On rencontre de Bayonne à Saint-Vincent des femmes allant à la récolte de la résine. Elles sont vêtues d’un peut chapeau de paille, d’une camisole de drap non ajustée à leur taille, d’un jupon court rouge ou rayé, de bas drapés bleus, et de gros sabots; elles portent à chacun de leurs bras un pamier d’osier de forme sphérique, ayant à son som- met une étroite ouverture , et à leurs mains la racloire et le volin. Les hommes les suivent, portant une badine en forme de crosse. De Saint-Vincent, nous nous rendimes à Majès, qui fournit de très-belles moules de rivière servant d’aliment aux pauvres de cet endroit. Ce pays de sable d’un jaune pâle, est trés-boisé en lièges, pins et sapins. On passe près d’un étang qui fait un singulier contraste par la blancheur de son onde tran- A 456 VOYAGES quille, avec le vert sombre des forêts de l’ho- rizon. On y récolte du maïs et du peut-mil qui remplacent le blé; on rencontre très- souvent dans les bruyères des environs de ces forêts , beaucoup de lézards verts et de cou- leuvres , mais ces repules ne sont nullement dangereux. De Majés nous fimes route sur Castez , où l’on remarque une pente escarpée , effrayante pour le trajet des voitures, et ferulisée par deux rivières. On rencontre dans les forêts de pins de ces parages, les habitans, hommes et femmes, munis de paniers propres à rece- voir la résine, d’un gout ou volin pour entailler l'arbre et en enlever les lanières de son écorce, puis d’une racloire pareille à celle du ramoneur, mais assujettie à un long bâton qu'on proméne de haut en bas pour ramas- ser et détacher la résine, et la faire couler dans des sacs ou paniers placés au bas de l'arbre. Un pin taillé sur les quatre faces, donne un revenu annuel d'environ dix sous. Après quarante où cinquante années de pro- duit, on coupe sa quille, on fend les büches qu'on met dans un fourneau, ou bassine car- relée et trouée à son centre pour l'écoulement du brai liquide : pour opérer cette distillation per descensum, où recouvre le fourneau de D'UN NATURALISTE. 457 mottes de bruyère, de manière que ce dôme soit imperméable aux vapeurs ascendantes. Le feu étant mis sous le fourneau, le bois du pin s’échaufle , et la résine suinte dans un réservoir pratiqué au dessous de la bassine. Cette opération , désagréable au maniement , entête ceux qui ne sont pas habitués à cette odeur forte, mais elle procure de belle résme épurée , si précieuse pour les brais et pour les goudrons nécessaires à la marine. Après avoir passé à Harie, à la Bouerrgh et à Muret, à la distance de Bordeaux de onze lieues, nous arrivâmes à Belain que l’Aïsne arrose, disposés à en repartir le lendemain pour les Landes. s Nous traversämes ces Landes, qui sont de vastes plaines de sable et de bruyère , parsemées ça et la de forêts de pins, dont les produits font le commerce principal du pays. On uüre aussi de ces contrées désertes les mâts de cha- loupes et autres petits bâtimens , ainsi que ceux de hune et de perroquet. On y rencontre également des chènes verts ou yeuses, et l’arbre dont la précieuse écorce donne ie liége. Ces Landes, qui sont presqu'inhabitées , sinon par une peuplade différant en tout des 458 VOYAGES mœurs de nos pays, ont trente lieues d’é- tendue du midi au nord, et quinze dans la largeur de l’est à l’ouest. La rivière d’Adour les traverse dans leur parte méridionale, l'Océan Jes borne au couchant. Les habitans de ces rustiques contrées sont pauvres , et vêtus comme on représente la Folie; ils n’ont pour retraite, dans leur isole- ment, que des cabanes mal construites, mais trés-élevées, dans l’intérieur desquelles ils sont obligés de pénétrer, grimpés sur leurs échasses. Beaucoup d’entr'eux, les bergers surtout, n'ont pour se mettre à l'abri des injures de l'air, que des tentes placées et déplacées, selon le pacage de deurs bestiaux ; 1ls couchent à terre sur des peaux de moutons, et toujours habillés ; 1ls se recouvrent, en guise de draps, d'autres peaux des mêmes animaux : jamais le Jin blanc ne vient rafraîclur leur corps tou- jours investi de graisse , et exhalant une odeur rance. Les habitans des Landes sont presque tous chasseurs : ils tendent des pièges aux lièvres ümides , communs en ces parages ; à la perdrix confiante qui vient trouver la mort dans leurs appäts, et aux cannes-pétraces qu'ils prennent sur Jeurs nids. Ces ressources de la Nature leur procurent toujours une nourriture dél- D'UN NATURALISTE. 439 cate, mais dont ils ürent un trés-mauvais parti, par des assaisonnemens baroques qui rendent ces mets dégoûtans. Ils marchent tou- jours armés de leur fusil, et vendent le superflu de leur gibier dans les villes voisines de leur habitauon. Les habitans des Landes de Bordeaux ne font point de pain , et remplacent cet aliment par excellence, avec des cruchades, espèce de pâte faite avec de la farine de maïs ou de millet ; 1ls trempent ces cruchades dans de la graisse de lard , et font ainsi leurs repas des jours de la semaine. Les travailleurs trouvent à leur rentrée des champs leur part préparée par la maîtresse, qui ne double jamais cette poruon. ls se nourrissent l'été de fruits, et ne boivent du vin que les jours de fête. Alors les familles se rassemblent, et célébrent leur repos par ane danse grotesque. Dès l’âge de dix ans , les enfans cessent d’ha- biter avec leur père; 1ls se construisent eux- mêmes des cabanes, ce qui les rend laborieux et vigilans ; ou bien 1ls couchent dans les granges, sans jamais se déshabiller. Ces habitans nourrissent leurs bœufs d’une mamere bien frugale: chaque ration consiste en douze poignées de paille, au milieu de laquelle ils mettent quelques pincées de sel et de son. 460 "VONACES Les habitans des Landes s’éloignent de leurs demeures, les uns pour laisser paître à l’aven- ture leurs troupeaux dans ces plaines arides et immenses ; d’autres pour chercher des forêts et y faire du charbon. Dans ces sortes d’émigra- tions , ils ménent une existence sobre et frugale. Ils s’occupent pendant l'été de la fenaison , et pendant lhiver ils se rassemblent pour se con- soler entr’eux, à la lueur d’un feu péullant, des horreurs de cette saison ennuyeuse. En vain la neige et les frimats les environnent de toutes parts, on ne cesse d'entendre leurs chants et leurs cris d’alégresse. Rien de plus comique que d’apercevoir de loin à lhorizon de grands fantômes s’avancer à grands pas au moyen de leurs échasses , dévorer les espaces, pour ainsi dire, et surveiller à fa fois les flancs et la tête de leurs énormes trou- peaux qu'ils enjambent, sans même les effrayer. C'est par ce moyen ingénieux qu'ils rassemblent en un moment les moutons qui se sont trop tloignés, et qui ont à redouter dans ces écarts lointains la dent meurtrière des loups, si com- muns en ces déserts où 1ls sont attirés par ces proies journalières. Un de ces bergers s'étant approché de nous, nous remarquâmes avec plus d'attention son costume original. Au lieu d’un chapeau, ce berger (pl. XI.) _#Pos : are Ft rer Ets = gs DEL = anis né UE REA za = à = ÉSSLCS O ÿ « Ÿ SE à LS nn snninh anges arr autre Ness : NOTE FX Lana amas HE € 20e AA A ÉRRAE ES VAN 0 9) KE, MSbnthbnathtansiattmainsahdl RUE Grant A Ad bn nm ats bin dacs À 7 G cn Las pnsstnn 4 nos fi is } are 4 panri tes à 1 f: À A % + ñ AS 34 { Ets { Q FES RER: 1 £ à Ne . ns RENTRER bo ane D x CRLÉEMTELLTEU LIT Aus À TE ns OA SA RENAN ANIAE MANS RAA EAN ANE DA LA £ 2 TARA LUTEET LELET OPEL UP FAIPETTEN TETE ° COMTE 1 andes de Bordeaux. s] de » 2eTs 2 e des Ber et d'Ef F Hvve Costumes d i &" k $ #4 Ru { M Le ANT …\! ht uk: # 6,» 2 ET! ée … «25 ï < LEE Tarn FE ENTRE PARTIE. “+ dm D 4 # Fan ce RATE x N: 2 tele A RAA CE ft che çi biere 43 : L . N'R DER OU i ' » 0 - : 4 RS PE ts tele PC: “ ” ’ Ts EX & ‘ RTE : ' û 2 4 EL cheitEs LS 5” h et ! ; : k à à à - " k ; : à { . CHE u “+ L A ou n Shi 4j LU IT TAN ge = Se . N û dE . 1] a a + - : + À. %, > » 7. Sage 46. pa Ld TT. | Re ON ge” % "1 | Le SES i we ; £ ‘ e | \ . 3 “ L ! . VE … , . L : , « . L F1 k j rs 2» DE j ; ; &; ; i ERA "] ; D'UN NATURALISTE, 46t portoit une barrette, à l'exemple des Béarnais : :l avoit un gilet brun à manches , surmonté d’un doliman de peau de mouton, la laine en dessous, parce qu’il faisoit froid ; deux autres peaux de mouton réunies par un bandage lui servoient de bas, et se marioient aux fourrures de ses gros sabots ; 1l avoit par dessus cet accoutrement un grand manteau gris, et sa tête étoit recouverte d’un capuchon dépendant de ce manteau , den- telé vers tous ses bords recouverts de morceaux de drap de couleurs vives, et ornés de crins de cheval. La hauteur des échasses de ces bergers accé- lère si prodigieusement leur marche, qu’un cheval au trot a peine à les suivre. Îls en font égale- ment usage lorsqu'il s’agit de franchir des marais el des fossés de vingt à vingt-cinq pieds de largeur. Le bâton qui leur sert à cet effet et destiné à pro- iéger leur équilibre, est surmonté d’une pom- mette de six pouces environ de diamètre , et qui sert en arc-boutant à appuyer leur siége et à les reposer. Îls restent dans cette position des heures entières , et considèrent leurs troupeaux avec autant de sang-froid que d’autres bergers plus mollement assis sur le gazon. Quand dans l’inté- rieur de leurs cabanes, dont les portes fort élevées n’ont pas de barres ni de traverses, ils veulent quitter leurs échasses, ils s’asseyent sur 462 VOYAGES des armoires, et y débouclent les montans de ces Jambes gigantesques. Si c’est en plein champ, ils se placent sur un arbre, quand ils ont le bonheur d’en rencontrer , ou bien ils le rem- placent par leur bâton de support dont ils savent alors se contenter. Les brancards de notre voiture ayant essuvé un échec dans la route , je fus charmé de profiter de cet incident pour pénétrer dans l’intérieur des habitations de ces bergers. Les habitans des Landes sont très-hospita- liers, et ne refusent jamais aucun voyageur. Il semble que la Providence dispose en leur faveur les cœurs de ces braves gens en raison de Ja nullité d’autres ressources à espérer dans ces déserts spacieux. a Les femmes ont pour coiffure, les jours de travail, une espèce de turban formé par la réu- nion de plusieurs serviettes. Les jours de fête, c’est un bonnet blanc garni de dentelle rouge, qui relève l’'embonpoint des habitantes des Landes. : La piété est la première de leurs vertus , et fidèles à la foi catholique, cette religion devient leur plus puissante consolation dans les événe- mens pémbles de la vie: quand il tonne, la femme la plus âgée arrose la chambre d’eau bénite, et invoque hautement lassistance du Seigneur Dieu du tonnerre. D'UN NATURALISTE. 463 Ces heureux pâtres ont pour le mariage des coutumes assez bizarres. Lorsqu'un jeune homme veut se marier, 1l se présente avec deux cruches de vin chez le père de la fille qu'il veut épouser, et on lui ouvre la porte sans difficulté; alors tous les membres de la fanulle se lèvent, et on fait une omelette. Au dessert qui est le moment décisif, si la proposition n’est pas acceptée , alors la fille apporte une assiette pleine de noix en signe de refus : l'amant est obligé de sorur, et de ne jamais revenir en cette maison. Les cérémonies funébres se font avec beaucoup de respect pour les morts, et elles sont toujours terminées par un grand repas de famille, où lon rassemble également les amis du défunt. Voilà ce que j'ai pu apprendre des mœurs et coutumes des habitans des Landes, qui nous virent parür à regret. Arrivés à Bordeaux , nous y passämes peu de jours, car il me tardoit , après une aussi longue absence , de revoir un fils doublement chéri, un bon père , des parens et des amis, qui me recu- rent avec transport dans les bras de la Nature et de l’Amiué. Fin du troisième et dernier Volume. DE L'IMPRIMERIE DE J.-L. Canson, rue et Maison des Mathurins , n° 10, eV ER ER RRLE LL ET ELU URL R RL R TABLE Des mauères du Tome troisième. Ayame-rsoros. Page 5 Division de l'Ouvrage. Du Caïman. Caapirre Ier. Utilité pour l'Histoire naturelle, de donner une idée juste du Crocodile de St.-Domingue, afin d'éviter une confusion déjà trop grande dans les nomenclatures. ‘Tableau comparatif. Parallèle du squelette avec celui du Crocodile du Nil. Iappartient plutôt au Crocodile qu'au Caiman, décrit dans la nouvelle Encyclopédie ; mais c’est une espèce parti culière , et qui n'atteint jamais la tulle de celui du Nil. TE ‘Tableau méthodique du genre et des espèces de Croco- diles, par M. Cuvier. :6 CaapiTRE IL. Physiologie raisonnée du Caïman de Saint-Domingue. Proportions du sujet décrit, ayant quatre pieds huit pouces. 18 CuaAriTRE I IT.Ostéologie du Caiman de St.-Domingue, le sujet décrit ayant quatre pieds huit pouces. 56 CaapiTRe IV. Examen comparé de Myologie et Névrographie. idem. Cnapirre V. Splanchnologie , ou Examen du larynx, de l'œsophage, des poumons, des lobes du foie, de la rate, du cœur, du pancréas, et autres vis- cères, 37 CHariTREe VI. Examen des organes de la génération. À CHariTRE VII. Préludes de son amour; détails sur son accouplement ; et indication de l'âge auquel il peut produire : assertions appuyées d'un tableau tracé par l'expérience. id. CuapriTREe VIIL Conduite du Mâle et de la Femelle avant et après la poute. sh Caapirre IX. Naissance du Petit, et ses diverses positions dans l'œuf. ; 58 CHAPITRE TABLE. 265 CHAPITRE X. De ses mœurs; des ruses qu'il emploie , et de la finesse de son odorat. Pace 62 Réfutation du voyageur Williams Bartram , sur l'article du Crocodile. 2 CaaprTRe XI. De la chasse qu’on fait au Caïman dans les lagons et au bord de l'eau; de la manière de découvrir les nichées au frai de la femelle, et du _ danger éminent de cette chasse. r Cuarirre XII..De la chasse en canot, 8: Cæapirre XIII. De la chasse aux repaires. 87 Extrait du rapport fait à l'Institut de France, sur un Ouvrage manuscrit relatif au Crocodile de Saint- Domingue. 98 Explication de la planche TIT. Splanchnologie. 105 Anatomie de la langue, du larynx et de la trachée- artère. 106 Explication de la planche V. Œufs du Caïman. 108 Essai «ur les mœurs et coutumes des habitans de Guinée, à Saint-Domingue. 109 Avant-propos. 111 Introduction de l'essai sur les mœurs des Guinéens. 115 CHAPITRE Ier. Nècres Dunkos, et Aradas. Belle stature de ces peuples. Atiachement prononcé des femmes pour les hommes, etc. 116 CHariTRE II. Nègres de Fida. Les femmes y sont extraordinairement coquettes, mais tatouées, 124 CHAPITRE III. Coutumes funéraires des nècres d'Essa. 125 CuariTRE IV. Cruautés des nègres d'Urbas leur conduite arbitraire en cas d'un meurtre commis. Obsèques du corps assassiné, etc. 127 CnapirRe V.Les nègres Aminas croient à la Métemp- sycose. Mère ayant sacrifié ses enfans à Saint- Domingue , pour les dérober à l'esclavage. 150 CuariTRe VI. Les nègres Ibos sont fidèles dans leurs sermens d'amour, etc. 152 CHariTRe VII. Candeur des jeunes nésresses de Beurnon. Considération des prétendues pour leurs époux futurs. Soumission des femmes envers leurs maris, etc. 157 Toue IL, Ge 4GG TABLE. Caapirre VIII. Les Mozambiques professent la religion catholique , qui leur a été communiquée par les Portugais, etc. Page 148 Cuapirre IX. Sépulture des rois de Dahomet, Leur barbarie euvers leurs prisonniers, etc. 15t CuaprTRe X Les Akréens, Crépéens et Assianthéens ont la peau et les cheveux diversement nuancés. Leur nourniture. Idée de ces peuples sur l'existence de Dieu, etc. ; 155 CuariTRE XI. Murs des Phylanis. Ils mènent une vie errante. Lieux qu'ils choisissent pour y camper, eux et leurs troupeaux, etc. 160 Cuapiire XII Les nèses de Diabon sacrifient les étrangers à leurs dieux. Empire des prêtres de Bodé : leur criminelle autorité. Les étrangers immolés, et l'assassinat toléré. Religion des nègres d'Ufé, bien opposée à celle de Diabon et de Bodé. 172 Caaprirre XJIL. Caractère des Congos. ls n’ont aucune considération pour les vieillards. Parure des Congos. Ils aiment passionnément le tafia, et recherchent la chair musquée du crocodile. 195 Caaprirre XIV. Idée des Vaudoux. Définition du mot. Leurs opérations ridicules et emphatiques. Maladies qu'ils donvèrent à un habitant de la Petite- Rivière, plane de l'Artibonite , et à des nègres dont ils étoient jaloux. Sortiléges prétendus. Prédiction faite à Toussaint-Louverture, chef noir à Saint- Dominque. ‘Tours facétieux que les Vaudoux se plaisent à faire dans les calendas. 180 CrapriTRE XV. Caractère des nègres créoles à Saint-- Domingue. Intérieur de leur ajoupa, etc. etc. 188 Dénombrement de diverses peuplades guinéennes. 228 Résultat des nuances produites par les combinaisons dæ mélange des blancs avec les nègres, etc. 229 Détails de ma captivité. : 23% Avant-propos. 25 Hmpire arbitraire des noirs, avant l'arrivée’ du Capi- tuine-Général Leclerc. 239 T AB LE. 467 Règne de Toussaint-Louverture ; son pro'et d'indé- pendance présumée par l'hiérarchie de ses pouvoirs. | Page 240 Réception que me fait M. Roume, agent du Gouver- nement, | £ 241 I] me charge d’un travail sur l'anatomie du caïman de Saint-Domingue. id, 2 : . K. JInquiétude de ‘Foussaint-Louverture, au sujet de ma conférence avec M. Roume. id, Toussaint m'accorde une nouvelle autorisation de voyager dans l'intérieur de la Colonie avec quatre guides, pour protéger mes courses d'histoire natu- relle. id, Vénalité des gendarmes nègres. 244 Vexations des propriétaires. id. Partage agraire en faveur des cultivateurs. id. Pénétration littéraire de ‘Foussaint-Louverture. 245 Vie privée de ‘Toussaint-Louverture. 240 Etiquette de sa cour. 247 Caricature du colonel noir Gimgembre Trop-Fort. ïd. Parure affectée des officiers noirs. 245 Méfiance de ‘Toussaint - Louverture dans l’obscu- rité. id, T'oussaint-Louverture simmisçant aux fonctions du sacerdoce, et honneurs qui lui étoient rendus à l’église. | 249) Vie active de Toussaint-Louverture. 250 Son goût pour les honneurs. id. Abus d’autorité de la part de Toussaint. 294 Toussaint offensé de ce que je lui parlois créole. xd. Qualité de sa prodigieuse mémoire. id. Sa passion pour les beaux chexaux. 252 Sa représentation en présence des étrangers. id. Son exigeance pour les visites. 253 Rivalité des deux chefs pour leur musique militaire aux repas de corps. id. Caractère anti-harmonique de Dessalines. id, Parallèle de ‘Toussaint et de Dessalines. 254 ‘Jyrannie superstitieuse de Dessalines , à l'ouverture de sa fatale tabatière. id, Gg 2 468 TA BL E. Son ininutié pour les hommes de couleur. Page 255 Bonté généreuse de Mme Dessalines. id. Massacre de prisonniers mulâtres aux Gonaives. 256 Horreurs exercées contre les parens qui venoient leur donner la sépulture. 257 Canonnade aux Gonaives, des hommes de couleur prisonniers de la partie du Sud. 258 Vie privée de Dessalines. 264 Vexations envers les blancs sur leurs propriétés. 263 Yyrannie de Dessalines pour le paiement de ses créanciers. . 268 Punitions atroces qu'il infligea, comme inspecteur général de la culture. 271 Dessalines me recommande aux nègres. id. Projets honucides du commandant ‘Fitus. 272 T1 persiste dans l'intention de m'empoisenner. 273 Titus exécute son projet criminel; suites de mon empoisonnement. 274 Dessalines modifie d’une manière cruelle la discipline - militaire. 27h Ce tyran condamne sans entendre et d’après son senti- ment intime. 276 Tenue de ses soldats , et leurs coutumes. 14, Ils se glorifient du nom de militaire. 277 Toussaint-Louverture projette au Cap de rendre la colonie indépendante, et ordonne le massacre de tous ceux qu'il croit devoir s'opposer à ses projets. 278 1! sacrifie son neveu Moyse comme rebelle à la France, mais plutôt parce qu'il s'étoit permis des réflexions contre la possibilité de l'indépendance. 279 Dessalines est instruit de l'expédition française, parune correspondance intercepiée. Sa harangue au bourg de la Peute-Rivière. id. Espnit et adresse de T'oussaint-Louverture aux Colons à l'arrivée des Français. 280 Frayeur du vieux Louis, armé de pied en cap. 281 Proverbes de Dessalines au sujet de la nouvelle expé- dition, id. Assassinat du maire de Saint-Michaël, par ordre de T'oussaint-Louverture. 263 Il prévient ses soldats contre l'expédition française. 284 PLAT AL: EE, 469 Tyrannie des noirs à l'arrivée des Français. Seconde arte. Page 285 Incendie du Cap. 286 Arrestation des blancs. 287 Préparatifs de leur supplice. 288 Leur transport à la Petite-Rivière. 289 Trait héroique de M. Desdunes-Lachicotte, 290 Angoisses qu'on fait éprouver aux blancs pendant leur conduite à la Petite-Rivière. 202 Nous apaisons la férocité de nos gardes par des pré- sens, 204 Procédés généreux des habitans de couleur du bourg de la Petite-Rivière. ‘205 Dévouement exemplaire de labbé Vidaut à la cause des opprimés. 206 On nous accorde la ville pour prison. A Nuits douloureuses que nous eûmes à passer. 297 On attente à notre vie. 299 Emprisonnement des blancs. 5ot M. Say vient me délivrer, comme étant utile aux ma- lades de l'armée. 502 On me traduit devant Dessalines, qui me manque de ses pistolets. 503 1lme condamne à mort. 304 Dangers auxquels je suis exposé. 505 Nuit horrible du massacréxles blancs à la Petite-Rivière ; et détails à ce sujet. 506 Un nègre que J'ai guéri devient mon libérateur en cette nuit de sang. 510 L'asile divin est souillé, et l'autel teint du sang inno- cent. “hE: Courage et conduite louable de l'abbé Vidaut, qui sauva beaucoup de blancs. 313 Assassinats des prisons. no? 752% Les assassins forcent un fils de boire dans le crâne de son père qu'on lui a fait poignarder. 515 Martyre d'un vieillard octogénaire et des blancs du Gros- Morne. 517 Fribut payé à l'amitié. 514 Nouveaux massacres des blancs qui ont échappé au premier, 320 470 TABL LC Cruautés commises à l'égard de femmes enceintes et d'enfans. Page 321 Service rendu par M. Péraudin. id. Nouveaux dangers que je cours en me rendant à l'am- bulance Lucas. 20 Chiens mis à la poursuite des blancs échappés au mas- sacre. 522 Âssassinat de Mrs Desdunes-Poincy, Desdunes-Lachi- cotte et Alain. id. Courage héroïque. Présence d'esprit d'un basque pour échapper à la mort. 329 M. Rospitt n'est point aussi heureux. 1. Horreur ressentie à la vue d’un assassin blessé qu'on m'ordonna d'amputer. 1d. Ordre de transférer les ambulances au Calvaire ( habi- tation Miraut ). 524 Cruauté des soldats, même envers les animaux domes- tiques. . id. Je suis menacé par les blessés , et sauvé par le généreux Pompée mon nègre infirmier. n Rencontre d’une suivante de Mme Dessalines au mo- ment où j'allois expirer de besoin. 329 Effets d'une faim dévorante. 1d. Conduite généreuse de Pompeée à mon égard. Per- plexité que j'éprouvois au milieu de nègres qui vou- loient me trouver des torts, 527 ’ : ; Abus du pillage. 14, Rencontre de M. Säjus, en qui les dangers ont troublé la raison. id. Détails sur son assassinat. 529 Mes succès dans les cures des blessés m'’acquièrent de la célébrité. 330 Déclaration de ma garde d'honneur, qui avoit l’ordre de me fusiller au moindre projet de désertion. 33: Complot formé contre moi parles infirmiers nègres. 24. Les malades jurent de me défendre. 352 Punition infligée à Sans-Soucti chef de la sédition, et aspirant à ma place d'inspecteur-général des ambu- lances. | Id. Dessalines, me croyant trop heureux d’avoir échappé à la mort, me ine donne aucun traitement. 353 T À BL E. k7i Massacre des soldats espagnols au camp de Plasac. Page 333 Dangers que je cours en cette nuit malheureuse. id. Nouveaux supplices exercés contre les soldats espagnols qui avoient échappé au premier massacre de Plasac. ÿ 5355 Nouvel ordre de transporter les ambulances dans les mornes des Cahaux. 336 T'errible responsabilité qui m’est annoncée. id. Marche intrépide de la colonne française. 337 Mon désir de la rejoindre, mes projets découverts. 338 Un assassin m'amène son fils blessé par l'explosion d'un magasin à poudre. id, Une fausse attaque nous fait lever lambulance. 339 Mort du soldat brûlé qu’on m'impute injustement. 340 Nouvelles trames conçues contre moi par le com- mandant Léandre. 341° Cultivateurs lassés de la tyrannie qu’exercent envers eux ceux de leur propre couleur. 342 Les capitaines ont droit de vie et de mort sur leurs subalternes ; anecdotes à ce sujet. 344 Les nègres de houe regrettent leurs anciens maitres. 545 Nouveaux crimes des nècres. 346 Ordre reçu de transporter nos ambulances au Cal- vaire. 347 On trouvele corps de l'assassin Aignan, rénovateur de la chasse aux hommes au secours des chiens, . 348 Le nègre Diaquoi vient me prévenir d'un nouveau complot contre moi. 349 Notre projet de fuite. 350 Nous sommes découverts et conduits au fort de la Crête- à-Pierrot, 30: Notre réception par Dessalines, au fort de la Crête-à- Pierrot, Il me menace de la mort si les Français qui doivent venir à l'assaut sont victorieux. 555 Attaque du fort, ordre impérieux qui m'est donné de ne point paroitre. 354 Cruautés exercées envers les blessés de l’armée fran- aise, id, Dessalines éprouve au milieu de l'assaut une chute qui liuquiète. Il me fait appeler. 356 459 TABLE. Il refuse par méfiance une potion vulnéraire qu'il m'avoit d'abord demandée. Page 557 Dessalines arrété dansses victoires, devient rêveur et pusillanime. id. Il n'est plus somptueux dans ses vêtemens, et cherche à faire ignorer son titre sous des costumes étran- 3 558 Il harangue ses soldats. 559 Il quitte le fort en désespéré, et loin de me permettre de le suivre, 1l ordonne au chef d’artillerie de m’en- fermer lors de l'évacuation, dans le magasin à poudre auquel on aura eu soin de mettre une mèche. 361 En remettant cet ordre d’une main, il me tend l’autre en souriant et en m'engageant à prendre courage. 1d. Effets désastreux du bombardement de la Créte-à- Pierrot. 562 Pénurie absolue de vivres et d’eau. 563 On me retire les infirmiers blancs pour les occuper à faire des cartouches et à fondre des balles. id. ‘Fribut d'amitié envers M. Masson-Durondon, id. . La disette augmente , et les assiégés demandent l'éva- cuation de la forteresse, ou la mort. 564 La garnison du fort est presqu'entièrement victime par l'éclat des bombes. 565 Effets singuliers des bombes. 366 Les officiers noirs à la veille d'évacuer le fort perdent la tête, et craignant de tomber entre les mains des Fran- ças, sempoisonnent avec mon epium. 567 On se dispose à une excursion vers les mornes des Grands-Cahaux. 365 On fait une sortie du fort. Méprise des soldats de part et d'autre, 369 Dancers que je cours en m'élançant du haut du bastin- guage pour fuir et rejoindre l'arméefrançaise. 370 Plusieurs autres blancs se réunissent à moi, et nous sommes reconnus par la sentineile des avant-postes, et présentés au général Leclerc par l'adjudant-général Huin , fordonnateur Colbert, et le commissaire des guerres Leclerc, tous les trois mes amis, 551 é F A BL E. 473 Les Français s'emparent du fort de la Crête-à-Pierrot après son évacuation. Page 372 Nouvelles trames des noirs depuis l’arrivée des Fran- çais. 574 Après quelques heures de repos je fais route vers le Port-au-Prince , où je suis présenté au général Dugua, chef de l’état-major-cénéral 575 On me décerne , d’après l'examen de mes manuscrits, le cordon noir de mérite, et une pension de 6600 fr. à dater du jour de mon arrivée dans la colonie. cd. La révolution que me fit éprouver mes malheurs me rendit pensif; on s'opposa à une application qui pouvoit me devenir. funeste. 3 T'rames horribles de Dessalines contre les blancs qu'il fait empoisonner. id. Andouilles faites avec les intestins d'hommes morts de la maladie du pays, vendues dans les marchés par ordre de Dessalines. 578 Nouvelles preuves de la trahison de Dessalines. Conver- sation à ce sujet entre un infirmier nègre et un fossoyeur de la même couleur. 579 ‘Tournée avec le général Huin à l'Artibonite , où nous fûmes sur le point d'être assassinés. 581 Nous sommes forcés en nous échappant, de demander asile au commandant Titusd’'Anache, qui nousempoi- sonne. 353 Démarche de nos nègres pour nous engager à retourner sur l'habitation de l'Etable. . 384 Suites funestes d’une maraude dans le pays ennemi. 385 Anecdote concernant un officier de la cinquième demi- brigade légère. 590 Les révoltés déplorent leur fatal avantage. 591 Les Anglais protésent visiblement la funeste insut- rection des nègres. id. Je suis présenté au général Thouvenot, successeur du général Dugua. 592 On nr'accorde une exatification. 1, Moyens de rétablir l’ordre à Saint-Domingue. 595 Nouveaux massacres de blancs. 395 Sacrilége de Toussaint-Louverture qui foule un crucihix sous ses pieds. : 596 474 BAPE LC E Départ de St-Domingue pour la France, sur la corvette Latorche. Page 507 Nous mettons à la voile le 4 prairial an x1; je lie” _ amitié avec MM. Dalvimart et Bazin, tous deux remplis de talens. | 598 Nous mouillons dans la baie de Cadix, le 8 fructidor an XI, après avoir élé vainement poursuivis par un vaisseau anglais. id. Description de l'extérieur de Cadix. 399 Visite des membres du comité de santé. id. On nous condamne à faire la quarantaine. id. Nature du lieu de notre exil. 400 Détails sur notre quarantaine. 401 Incendie d'un brülot lancé par les Anglais. 402 Débarquement à Cadix. 405 Observations sur la ville. Les coutumes espagnoles, et les droits d'importation et d'exportation. 405 — sur son commerce, et les deux salles de spec- tacle. 407 — sur les décorations militaires, et sur la parure des dames espagnoles. 410 — sur les fruits. 411 Remarques sur les deux colonnes d'Hercule, servant aux débouquemens,. 412 Départ de Cadix pour Bayonne. Voyage par terre ; et arrivée au port de Sainte-Marie. id. Départ de Sainte-Marie, province de lAnda- lousie. 413 Observations de la route. id. Nous foulons le talcite et le granit, avant d'arriver à Xérès de la Frontéra, village situé près de la rivière de Guadalète. 414 Nous traversons la Venta de Saint-Antonio, Vtrera, , Mayreéna, Carmona et Rio-Frio, pour arriver à Ecija. | 415 Détails sur cette ville. id. Entrée dans Cordoue. 416 ‘empérature agréable de cette ville; description de la cathédrale, et détails historiques sur Cordoue. 417 Des chevaux andalous. 419 Jounes servant à renfermer l'huile. id. Tndolence des Espagnols. Page 420 Costume des soldats de notre escorte. 1d. De la culture de l’aneth. 421 Les Espagnols sont aimants. id. Description des environs de Cordoue. 422 Départ de Cordoue pour la Venta del Carpioz ; des chasses de l'Espagne. 423 Après Aldea-del-Rio, nous nous rendons à An- duxar. A Détails sur la route, 24 De Baileu, de Guarda-Dorman, de la Carolina et de Sainte-Hélène. 425 : Des montagnes fertiles de la Sierra - Morena, de la Venta-de-Cardenas, de la Venta-del-Judeo, de Santa-Crux, où je fis usage de’ mes connoissances en médecine, pour être mieux reçu dans les po- sades. 426 De Val-de-Pénas, de Menzanarez, et de Villa- Harta.. td, Du Port-la-Piz, de Tremblaque et de la Guardia, où se trouve un antique tombeau du roi des Maures. . id: Cérémonie funéraire pratiquée à la Guardia. 428 D'Ocana, et des dangers que nous fit craindre la rencontre d’une troupe de voleurs. 429 Arrivée à Aranjuez. 450 Des principales rivières d'Espagne. 453t Entrée dans Madrid. id. Description de la ville ; nature de son climat, 432 Combat du taureau. 454 Des environs de Madrid. 440 Rencontre agréable de MM. Crescentin: et Libon, artistes célèbres. id. Moœurs et coutumes des habitans de Saint-Sébas- lien. 44gt De la Venta-Molaris, de la Suelta, et de La Venta- de-Coronilla. :d. De la Frezmillo-de-la-Favente. 442 D'Aranda, et des troupeaux d'Espagne. id. De la Venta-della-Praële. 444 456 TAB LE Description de la ville de Lerma, et de ses envi- Tons. | 7 Page 445 De Burgos. 447 De Pradano, de Pirbiesca, et de Pancorvo. 448 De Miranda, Vitoria, et du site enchanteur du couvent de la Poevela. 449 De Salinas et de Mondragon. 450 De Beurgara, Villa-Real, et de Villa-Franca. 451 De Tolosa, où lies habitans vont en cacolais. 452 De Jocrson Andonin , Hervania et Jron. Détails sur 11 Discaye. 453 D Orogna et de Saint-Jean-de-Luz, de Saint-Vincent et de Mayés. 455 De Castez. 456 De Harie, de Bouerrgh, et de Muret. 457 Des Landes de Bordeaux. id, Moœurs et coutumes des h:bitans de ces Landes. 458 Arrivée à Bordeaux, et retour à Paris. 463 Fin de la Table, UNIVERSITY OF ILLINOIS-URBANA HN 972.94 DH5v ne