POLYBIBLION
REVUE
BIBLIOGRAPHIQUE UNIVERSELLE
PARTIE LITTÉRAIRE
DEUXIÈME SÉRIE. — TOME VINGT-HUITIÈME. — LIII« DE LA COLLECTION
PREMIERE LIVRAISON — JUILUBT
PARIS
AUX BUREAUX r>U POLYBIBLION
2 et 5, RUK SAINT-SIMON, 2 et 5
(Boulevard Saint-Germain)
LONDRES
BuRNS et Dates, 28, Orchard Street.
FRIBOUBG EN BADE
B. Herdee.
VIENNE
Gkrold et C'e, Stefansplatz.
BRUXELLES
Guillaume Larose, 8, rue des Paroissiens.
ROME
Le Chevalier Melandri, Dii-ecteur- Administra-
teur de la LiBRAiRiB dk la Propagande.
BARâiLONE
Palau et Cie, 14, calle de les Angeles.
MADRID
La Verdadera Ciencia EspaSola, 15, calle
del Arenal.
LISBONNE
Manoel-Jose Ferreira, 132, rua Aurea, 134
MONTREAL
C.\DiEUX et Derome, rue Notre-Dame.
BUCHAREST, BUDAPEST, COPENHAGUE, CHRISTIANIA, STOCKHOLM
SAINT-PÉTERSBOURG, VARSOVIE :
BUREAUX DE POSTE.
1888
SOMMAIRE DE LUIVBMJE JUILLET 1888
I. — ROMANS, CONTES ET NOUVELLES, par M. Firmin Boissin.
n. — ART ET HISTOIRE MILITAIRES, par M. Arthur de Ganniers.
III. ~ COMPTES RENDUS.
Xhéologlc. — R. P. Lacordaire. — Sermons, instructions et allocutions (p. 88).
Scleucee et JKrts. — M^e Jules Favre : La Morale de Socrate (p. 39). — P. de
CouBERTiN : L'Éducation en Angleterre. Collèges et Universités (p. 40). — M. du
Camp : Paris bienfaisant (p. 42). — L. Thuasne : Gentile Bellini et Sultan Moham-
med II (p. 44).
nelIes-Lettres. — D. J. RuBio Y Ors : Luther (p. 44). — D. J. Rubio y Ors :
Gutenberg (p. 45). — M. Lentz : Fleurs d'automne. Chansonnettes et Poésies (p. 45).
— Mgr Ricard : Le Grand Siècle. Bossuet (p. 47). — Cucuel et Allègre : Mélanges
grecs (p. 48). — G. Pailhês : Madame de Chateaubriand. Lettres inédites à Clausel
de Coussergues (p. 49). — R. Chantelauze : Les Grands Ecrivains de la France.
Œuvres du cardinal de Retz (p. 50). — C. Henry : Œuvres et Correspondance iné-
dites de d'Alembert (p. 50). — C. Henry : Correspondance inédite de d'Alembert
(p. 51).
Histoire. — J. Van den Gheyn : Les Populations danubiennes (p. 52). — L. de
Saint-Poncy : Histoire de Marguerite de Valois, reine de France et de Navarre
(p. 54). — F. Décrue de Stoutz : La Cour de France et la Société au xvi* siècle
(p. 55). — E. Guillon : La France et l'Irlande pendant la Révolution. Hoche et
Humbert (p. 56). — J. Feuvrier : Le Collège de l'Arc, à Dole (p. 58). — A. Palomès. :
La Storia di li Nurmani in Sicilia cuntada di la grida (p. 59). — E. Simon : L'Em-
pereur Frédéric III (p. 60). — Grandin : Frédéric III , roi de Prusse et empereur
d'Allemagne (p. 61). — N. Scotidis : L'Egypte contemporaine et Arabi-Pacha (p. 61).
Bélisaire Ledain : De l'Origine et de la Destination des camps romains , dits
Chatelliers, en Gaule (p. 62). — Bubot de Kersers : Essai de classification des
enceintes fortifiées en terre (p. 63). — G. Fleury : Recherches sur les fortifications
de l'arrondissement de Mamers , du x^ au xvie siècle (p. 64). — T. Carlyle : Les
Héros, le Culte des héros et l'Héroïque dans l'histoire (p. 64). — G. Bertin : Madame
de Lamballe. d'après des documents inédits (p. 66). — U. Chevalier : Répertoire
des sources historiques du moyen âge (p. 68).
JY BULLETIN. — S. Rafpalovich : Bentham, Principes de législation et d'économie
politique (p. 70). — P. Fesch : De l'Ouvrier et du Respect (p. 71). — L. Marseille :
Annuaire de l'infanterie pour 1888 (p. 71). — Ernouf : Les Compositeurs célèbres
fp 71). — Mon cher petit Cahier (p. 72). — E.-J. Castaigne : Petites Études litté-
raires (p. 72), — C. BuET : Paul Féval (p. 73). — A. de Pontmartin : Souvenirs
d'un vieux critique (p. 73). — A. Barine : Essais et Fantaisies (p. 74). — M'^e de
Blocqueville : Chrysanthèmes (p. 74). — A. Jumetel : Pékin (p. 74). — G. Mail-
HARD de la Couture : Charlemagne dans l'histoh-e et dans la légende (p. 75). —
G. Mailhard de la Couture : Godefroy do Bouillon et la Première croisade (p. 75).
V. Canet : Clovis ou les Origines de la France chrétienne (p. 75). — P. de Jo-
rlaud : Richard Cœur-de-Lion, le Roi paladin (p. 75).— Kervyn de "Volkaersbeke :
Sobieski et la Mission de la Pologne (p. 75). — Kervyn de Volkaersbeke : Le
Maréchal de Turenne, d'après les écrivains de son temps (p* 75). — E. de Barthé-
lémy : Histoire des relations de la France et du Danemark sous le ministère du
comte de Bernstorff, 1751-1770 (p. 76). — P. Robiquet : Histoire municipale de
Paris (p. 76). — Serre : Études sur l'histoire militaire et maritime dos Grecs et des
Romains (p. 77). — Barado : La Vie militaire en Espagne (p. 77). — A. de Ségur :
Simples histoires (p. 78). — G. S. A. C. : Cenni su Fra Dolcino (p. 78).
Y CHRONIQUE. — Nécrologie : MM. Chassang, Bertrandy-Lacabane, Baudon de
Mony, Malebrauche, Gardereau, etc. — Lectures faites à l'Académie des inscriptions
et belles-lettres. — Lectures faites à l' Académie des sciences morales et politiques.
— Concours et Prix. — Un procès criminel sous Charles VI. — Contes populaires de
Lorraine. Un singulier homonyme de Montaigne. — Archives historiques de la
Gascogne. — Tableau de Valenciennes au xviii« siècle. — L'Ancienne Littérature
polonaise et rulhène. — Nouvelles : Paris. — France. — Allemagne. — Autriche.
— Espagne. — Italie. — Monaco. — Pologne. — Russie. — Suisse. — Publications
nouvelles.
Yi. — QUESTIONS ET RÉPONSES.
POLYBIBLIOIsr
REVUE
BIBLIOGRAPHIQUE UNIVERSELLE
Juillet 1888. T. LUI. i.
RENNES, IMPRIMERIE POLYGLOTTE ALPH. LE ROY
Imprimeur breveté.
/3
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REVUE
BIBLIOGRAPHIQUE UNIVERSELLE
PARTIE LITTÉRAIRE
DEUXI&.^IE SÉRIE. — TOME VIIVGT.HL'ITIÈME
(cinquante-troisième de la collection)
PARIS
AUX BUREAUX DU POLYBIBLION
2 ET 5, RUE SAINT-SIMON, 2 ET 3
1888
POLYBIBLION
REVUE BIBLIOGRAPHIQUE UNIVERSELLE
ROMANS, CONTES ET NOUVELLES
1. Aittoio- d'automne, par A.ndré Theuriet. 17« éd. Paris, Lemerre 1888, ia-18 de
326 p., 3 fr. 50. — 2. Premières amours, par Emile Pierret. Paris, Lemerre, 1888,
in-18 de 244 p., 3 fr. 50. — 3. La Course à l'amour, par J. Ricard. Paris, Calmann-
Lévy, 1888, in-18 de 382 p., 3 fr. 50. — 4. Pas d'amour, par Charles de Coy.nart
iÎR.ixioc). Paris, Piaget, 1888, iQ-18 de 316 p., 3 fr. 50. - 5. Fin d'amour, par
François Yilars. Paris, Pion et Nourrit, 1888, in-18 de 277 p., 3 fr. — 6. L'Ami, par
EdwCrd Sosot. Paris, Léon Vanier, 1888, io-12 de 228 p., 3 fr. — 7. Retour fatal,
par Paul Ma.nz. Paris, Ghio, 1888, in-18 de 296 p., 3 fr. — 8. Monsieur le Rédacteur!
par BovER d'Agev. Paris, V. Havard, 1888, in-18 de 354 p., 3 fr. 50. - 9. Le Roman
de Paris, par Ecgè.ne Morand. Paris, OllendoriT, iQ-18 de 358 p., illustrations de
H. Pille, 3 fr. 50. — 10. Marc Fane, par J.-H. Ros.ny. Paris, Quantin, 1888, in-18
de 364 p., 3 fr. 50. — 11. ie Gros Péché de l'abbé Millet, par J. Le.maire. Paris,
Ghio, 1888, in-lS de 326 p., 3 fr. 50. — 12. Drichette, par Je.^.nxe Leroy. Paris, Mar-
pon et Flammarion, 1888, in-18 de 357 p., 3 fr. 50. — 13. La Vie d'une femme du
monde, par .M°»e Jl'les Samsox. Paris, Hennuyer, 1888, in-8 de 326 p., 3 fr. oO. —
14. Cyniques, par Georgi-s Beaume. Paris, Piaget, in-18 de 294 p., 3 fr. 50. —
15. Mon ami Hilarius. par Paul Lin'dac. Avec une préface d"EmiIe Augier, de 1 Aca-
démie française. Paris, Quantin, 1888, in-18 de 312 p., 3 fr. 50. - 16. Filkdu
Diable, par Guida. Paris, Pion et Nourrit, 1888, 2 vol. in-18 de a38 et 322 p.,^ t fr.
— 17. La Comtesse Vassali. par le même auteur. Paris, Perrin, 1888, in-12 de 346 p.,
3 fr 50 — 18. Le Chalet des Pervenches, par Fortuné du Boisgobey. Pans, Pion et
Nourrit," 1888, in-18 de 300 p., 3 fr. 50. - 19. Le Château de la reine Blanche, par
L. Uestre.m.^ de Salnt-Christol. Paris, Fischbacher, 18S8, in-8 de 406 p., o fr. —
20 Une Princesse indienne avant la conquête, par Désiré Char.vay. Paris, Hachette,
1888 in-18 de 312 p., 3 fr. 50. — 21. Les Fils de Sa77ïson ; histoire juive, d après
G. KoHN, par Isaac Bloch, grand-rabbin d'Alger. Paris, Durlacher, 1888, in-8 de
200 p 2 f r 50 —22. Glenaveril, par lord Lvtto.\; trad. de l'anglais par Louise
d'Alq.' Paris, Hachette, 1888, in-18 de 324 p., 1 fr. 25. - 23. Je dis : Non, par
WiLKiE CoLLLNs; trad. de l'anglais par Ca.mille Valdy. Pans, Hachette, 1888, i vol.
in-18 de 272 et 296 p., 2 fr. 50. — 24. Vivant ou Mort, par Hugues Co.nnway; trad.
de l'anglais par Héphell. Paris, Hachette, 1888, in-18 de 260 p., 1 fr. 25. - 20 Sabina
Zembra, par William Black ; trad. de l'anglais par B.-H. G.ussero.v. Pans, Quantin-
1888 2 vol. in-12 de 346 et 204 p., illustré, 4 fr. - 26. Les Frères Karamazov, par
Dostoïevsky; trad. du russe et adapté par Halpéri.ne-Kamixsky et Charles Morice.
Paris, Pion et Nourrit, 1888, 2 vol. in-18 de 296 et a32 p., avec un portrait de Dos-
toievskv 7 fr. — 27. Les Pauvres Gens, par le même auteur ; trad. du russe par
Victor Derély. Paris, Pion et Nourrit, 1888, in-16 de 276 p., 3 fr. 50. —28. Au
Caucase, par Léon Tolstoï ; trad. du russe par Halpérine-K.^mi.nsky. Pans, Perrin,
1888 in-12 de 212 p., 3 fr. — 29. Le Joueur, par le même auteur ; trad. du russe
par Henri Olivier. Paris, Dupret, 1888, in-16 de 64 p., 1 fr. - 30. Contes popu-
laires de différenti pays, par Xavier M.^rmier, de l'Académie française. Deuxième
série. Paris, Hachette, 1888, in.l8 de 392 p., 3 fr. 50. - 31. Marthe par G. Le
Faure. Dessins de L. Vallet. Paris, C. Dalou, 1888, in-12 de 240 p., 3 fr. oO. -
32. Les Nouveaux Contes du bivouac, par Charles Raboubdin. Pans, Delagrave,
1888, in-12 de 200 p., 2 fr. 50. - 33, 34 et 35. Petite Bibliothèque française :
Josette, par André Theuriet. Dans l'Argonne, par Jules de Glouvet.^ Ine dot, par
Ernest Legouvé, de l'Académie française. Paris, Jouaust et Sigaus, 188b, d plaquettes
petit ia-8 de 32, 34 et 36 p., chacune 0 fr. 50. - 36. Les Gaietés bourgeoises, par
Jules Molnacx. Paris, Marpon et Flammarion, 1888, in-18 de 320 p., dessins de
Steinlein, 3 fr. 50.
— 6 —
1. — Aimez-vous la muscade? On en amis partout. Amour d'au-
tomne, Premières amours, Course à l'amour, Pas d'amour, Fin d'amour :
que de litres dont la découverte n'a pas demandé aux auteurs grand
effort d'imagination I Je ne veux certes pas médire d'un sujet aussi
vieux que le monde et qui, depuis si longtemps, sert aux jeunes poètes
à jeter leur gourme. Mais du moins faudrait-il que les romanciers le
traitassent (ce que tous ne font pas) d'une façon plus originale et
moins vulgaire. Non nova, sed novè. M. André Theuriet, dans Amour
d'automne, a bien essayé de déchirer le voile de vulgarité qui s'at-
tache aux idylles amoureuses de notre société bourgeoise. Il a encadré
ses personnages dans les admirables et pittoresques paysages de la
Haute-Savoie. Il a donné même à son récit toute la délicatesse dont
sa plume (qui pourtant, sous ce rapport, a fourché quelquefois) peut
être susceptible. A-t-il évité l'écueil que je signale? A mon avis, non.
Son Amour d'automne, avec les qualités qui le distinguent, finit par
être monotone. Il s'agit du cas fort banal et peu moral d'un avocat de
Paris, célibataire et quinquagénaire, Philippe Desgranges, lequel est
lié (je devrais me servir d'un autre mot) avec une femme mariée, im-
périeuse et fantasque. Le joug lui pèse, mais il le subit tout de même.
Philippe a un ami, un vieux camarade de collège, le docteur Diosaz,
qui exerce la médecine à Annecy. Dangereusement malade, le docteur
Diosaz appelle en toute hâte Philippe auprès de lui, afin de lui confier
sa fille Mariannette, que sa mort prochaine va laisser sans appui. Phi-
lippe, sans rien dire à Camille Archambault, la Gircé qui le domine,
accourt en Savoie : il arrive trop tard et ne trouve plus que l'orpheline
dont l'âme d'élite et les grâces charmantes l'ont bientôt captivé. Mal-
gré la différence des âges (elle n'a que vingt-deux ans), Mariannette
ne tarde pas non plus à aimer cet homme qui est si dévoué à ses inté-
rêts et lui témoigne tant d'affection. Seulement, pour la chaste jeune
fille l'amour ne va pas sans le mariage. Philippe, qui a totalement ou-
blié Paris, ses « pompes » et ses « œuvres, » consent à prendre Ma-
riannette pour femme, et leur union est décidée. Entre temps, l'Ariane
délaissée a fini par découvrir la retraite de Philippe, et elle vient, irri-
tée, furieuse, le relancer à Annecy. Une scène violente a lieu entre
Philippe Desgranges et Camille Archambault. Mariannette a tout en-
tendu. Vous devinez le dénouement. Froissée de ce que Philippe n'a
pas eu confiance en elle, la fille du docteur Diosaz refuse désormais
d'épouser son bienfaiteur. Peut-être l'aime-t-elle encore. Du moins
n'en laisse-t-elle plus rien paraître, et Philippe s'éloigne en adressant
à Mariannette une lettre d'adieu, pleine de r."!mords du passé, de re-
pentir. Trop tard!... Philippe a beau lui dire qu'il a définitivement
brisé ave.c sa passion adultère : '\FT»'ir>nnolle reste inflexible. Ce dé-
nouement n'est i)as pour nous déplaire. Il y a aussi dans Amour (Pau-
lomne quelques pages bien déduites, où M. Tlieuriet se montre habile
psj'Chologue et analj^se parfaitement le travail intérieur qui transforme
en amoureux sincère un mondain blasé. Mais l'œuvre n'est pas suffi-
samment creusée. Toutes ces passions sont à fleur de peau. Et puis,
sauf le dénouement du roman russe qui finit par un mariage, cela
ressemble par trop à la Katia de Léon Tolstoï.
2. — Jane de Barsac, l'héroïne de Premières amours, de M. Emile
Pierret, est encore plus fière que Mariannette Diosaz. Un jeune homme,
Gaston Laparade, lui fait la cour. Elle ne manque pas de coquetterie et
accueille les avances de l'amoureux. Dans la fièvre de sa passion, ce-
lui-ci perd un peu la tête, et, là-bas, à Cannes, dans une promenade
crépusculaire, il s'oublie jusqu'à effleurer d'un baiser les cheveux de
Jane. Le respect lui revient aussitôt avec la raison. Mais la jeune fille,
dès ce moment, se considère comme outragée. Elle signifie à Gaston
de cesser auprès d'elle ses assiduités. Gaston obéit, tout en restant
fidèle à son culte ; il s'obstine dans son amour- Cinq ou six ans s'é-
coulent. Des changements importants s'opèrent dans la vie de Jane de
Barsac. De riche elle devient pauvre. Gaston se rapproche d'elle et se
prend à espérer. La disproportion de fortune ne serait plus, comme
naguère, un obstacle à leur union. Jane, à l'instar de Mariannette,
reste inflexible. Elle entre dans un couvent — non sans avoir lancé à
Gaston cette flèche de Parthe féminine, qui, si elle n'a pas pour excuse
une passion vraie contrariée, dénote une absence totale de sens moral :
« Pourquoi ne m'avoir pas manqué de respect tout à fait? Je vous ai-
« mais alors, j'étais à vous, et après il eût été trop tard pour me re-
« prendre ! » C'est sur celte donnée passablement risquée que M. Pierret
a brodé ses Premières amours. La matière comportait une cinquan-
taine de pages. L'auteur l'a délaj^ée en un volume. Il s'est dit : « Je
veux mon in-12. » El pour le remplir il a abusé des réflexions, des
interrogations, des amplifications, des prosopopées. Et c'est grand
dommage ! car, dans les parties serrées, il y a du style, de l'observa-
tion, un fin talent d'analyse. Mais, je le répète, trop de lyrisme à la
clef.
3. — La Course à l'amour, de M. J. Ricard, s'inspire de ce sophisme,
renouvelé de Gémisthe Pléthon, que le christianisme a été fatal au
Beau et à l'Art. La thèse a été reprise, de nos jours, par M. Louis Mé-
nard,M"i^ Edmond Adam et la romancière anglo-française (nous en par-
lons plus loin) qui signe ses romans du pseudonyme de Guida. Ces
néo-païens accusent le christianisme d'avoir « jeté la suprême pelle-
tée de terre sur l'idéal antique, » d'avoir « brisé dans les âmes celte
sérénité qui est le tuf même du génie, « d'avoir enfin considéré l'a-
mour comme « une impureté. )> Il n'y a pas à discuter avec des gens
qui méditent un si long recul en arrière, et qui, ne tenant compte
- 8 —
d'aucune des œuvres admirables et superbes que, depuis dix-huil
cents ans, le souffle vivificateur de Testhétisme chrétien a fait éclore,
voudraient probablement nous ramener aux mystères de la bonne
déesse, au culte si « pur » d'Adonis et de Vénus Astarté. Je me con-
tente d'indiquer en deux mots le canevas du roman de M. Ricard, le-
quel, il faut le dire, à sa décharge, a mis en présence deux païens mo-
dernes, sans prétendre afficher une hostilité quelconque envers le
christianisme. Son païen mâle s'appelle Jean Dartet ; son païen femelle
a nom Mary-Ann Dialli. Ils se rencontrent tous deux au Louvre, ad-
mirant un Achille de marbre. Jean est fils de médecin, et il a été élevé
par un vieil helléniste qui ne jurait que par Homère, Eschyle, So-
phocle et Platon. Écrivain, journaliste, critique d'art, Jean méprise
le monde contemporain, sali et attristé. Il en veut aux politiciens
qui ont « tout démocratisé, jusqu'aux sensations. » Les amours vul-
gaires lui répugnent. Il rêve de beautés plastiques impeccables.
Mary-Ann est fille d'une bohémienne et d'un esthète anglais. Elle a les
m-^mes goûts que Jean, avec un grain de superstition qu'elle tient
de sa race. Ainsi elle croit que les amantes mortes et oubliées vont
pleurer la nuit devant la porte de l'infidèle et que leurs larmes gelées
deviennent des gemmes aux vertus magiques et mystérieuses. Jean et
Mary-Ann s'aiment. C'est d'abord un amour platonique, entrelardé de
discours et de théories sur la beauté primitive, sur la laideur mo-
derne, sur les discussions du Portique, sur les dieux de Phidias, sur
l'esprit d'Aspasie, sur la Vénus de Milo. Pascal l'a dit avec juste rai-
son : « Qui veut trop faire l'ange fait la bète. » Inutile d'insister. Le
charme est rompu. Jean et Mary-Ann se séparent à jamais. L'amour
vrai reste le privilège des cœurs purs et des simples. Les esprits com-
pliqués le tuent en eux — et ce qu'ils prennent pour de l'amour n'est
qu'une sorte de libertinage cérébral. Le roman de M. Ricard a de la
saveur. Il est bien écrit. Il n'est pas banal ; mais c'est un livre sensuel
et troublant.
4. — Je rentre dans la banalité avec Pas d'amour! de M. Charles de Coy-
nart. En rev'anche, et la compensation a bien son mérite, l'œuvre est
saine, et la façon aisée, sans prétentions, avec laquelle elle est écrite
fait qu'on la lit avec beaucoup de plaisir. Après quoi , la donnée n'a
rien de bien neuf, et sous certains égards, c'est un peu celle du Maître
de fovQcs. Vous vous appelez Agnès de Carméjean; votre mère est née
de Saint-Mégrin ; votre noblesse remonte aux Croisades; sans avoir la
beauté royale de votre homonyme Agnès Sorel, vous êtes loin d'être
une laideron. Mais le malheur veut que vous soyez pauvre. Hélas!
dans notre siècle positif et prosaïque, utilitaire et sans entrailles, c'est
le crime irrémissible. Les prétendants sérieux s'écartent de vous, et
les godelureaux vous méprisent. Encore un an ou deux d'attente, vous
- 9 —
rentrerez dans l'âge ingrat et vous êtes fatalement destinée à grossir
les rangs de la congrégation de Sainte-Catherine. Pauvre enfant! Voici
que, discrètement, un brave jeune homme ose en secret vous aimer. Il
se tait, il souffre, et puis finalement il se déclare. Horreur! c'est le fils
d'un ancien épicier. Oui, mais le fils de cet ancien épicier est million-
naire; il n'a jamais pesé du poivre ni mesuré du sel dans la boutique
paternelle; il a reçu une excellente éducation; il est instruit; il a des
qualités de cœur vraiment exquises. Tout cela n'empêche pas qu'il ne
soit le fils du père Gourdin, et vous êtes Agnès de Carméjean. Si vous
épousez, c'est une mésalliance; si vous n'épousez pas, c'est pour votre
mère et vous, deux solitaires que le monde ne connaît plus, Fabandon
suprême, les privations, la misère. Alors vous prenez une résolution
ferme en dépit du qu'en dira-t-on. Vous épousez. Vous n'aimez pas,
mais vous épousez ; vous avez trop de noblesse d'âme pour manquer à
vos devoirs d'épouse. Il suffit. Vous contemplez de haut votre pis-aller
de mari qui, devant vous, devant votre grandesse, s'annihile, se rape-
tisse, et vous adore. Ugène (comme la mère Gourdin appelle son fils, à
la risée générale) n'est pourtant pas un imbécile. Il se porte candidat
au Conseil général, et le hasard veut que vous l'entendiez, un soir,
dans une réunion conservatrice, soulever, de sa parole enflammée, un
auditoire de deux mille personnes. Il y a dans le petit Gourdin l'étoffe
d'un Berryer. Aussitôt vos yeux se dessillent, votre cœur bat, l'amour
vient. Ce jour-là, vous êtes vraiment la femme, l'épouse, et Dieu vous
bénit, car vous serez bientôt mère. Telle est l'histoire d'Agnès de Car-
méjean, fille unique de haut et puissant seigneur feu le comte de
Carméjean. N'est-elle pas charmante dans sa vulgarité? On pouvait
redouter de ridicules déclamations contre les « préjugés » de la no-
blesse, r « orgueil » de l'aristocratie, I' « entêtement » des vieilles
races et autres lieux communs. M. de Coynart a su s'en garer. Nous
l'en félicitons.
5 et 6. — Il y a dans les amies de pension de braves petits cœurs.
Mais il y a aussi de véritables vipères. Alice Marais, au sortir du cou-
vent, se marie avec M. de Roquevaire, et les nouveaux époux quittent
Paris pour aller habiter un beau château qu'ils possèdent en Touraine.
Alice invite son amie, son inséparable d'avant le mariage, Léonie Der-
lange, à venir passer quelques mois avec elle. Léonie est pauvre; elle
a pour père un viveur, qui spécule sur la beauté de sa fille, et sous
des dehors convenables, celle-ci cache une âme bien vilaine. En arri-
vant au château, son premier soin est d'attirer l'attention de M. de
Roquevaire qui n'a pas encore dépouillé du tout le « vieil homme. »
La manœuvre infâme réussit. Roquevaire quitte sa femme et enlève
Léonie Derlange. Ils vont vivre je ne sais où. Mais, quelle vie!... Un
enfer! Emportements, caprices, scènes de jalousie, rien ne manque à
— 10 -
ce concert d'amertumes, pas même le coup de revolver, qui faillit tuer
Roquevaire. C'en est trop. Il revient au bercail et, soigné par Alice, qui
lui pardonne, il se reprend encore à la vie, au bonheur, à l'espoir. Une
certaine analogie existe entre cette Fin d'amour, de M. François Vilars,
et l'Ami, de M. Edwart Sansot. La différence réside surtout dans le
sexe des suborneurs et des voleurs du bien d'autrui. En deux mots,
voici le sujet de l'Ami : André Marger, fils d'un médecin du Gers,
après de brillantes études de droit, sert de secrétaire à un avocat
célèbre de Paris, M" Fermât. Celui-ci a une fille, Lucy, fort intelli-
gente, mais fort mal élevée. Entendons-nous : je veux dire qu'elle a
reçu une éducation détestable, à la nouvelle mode. Lucy s'éprend
d'André Marger, et l'épouse. Il est impossible de voir un mariage plus
mal assorti. Marger a des principes religieux ; sa femme n'en a pas.
Marger aime l'étude et la vie de famille ; sa femme n'aime que le
monde et le plaisir. Marger est de tempérament calme; sa femme est
de feu. Dans ces conditions, quand r« ami » paraît, il ne tarde guère à
devenir 1' « amant. » Cet ami, Jean Vautel, est un ancien condisciple
d'André : libertin, vaniteux et ricbe. André l'accueille chez lui en
toute confiance. Aveuglé sur les prétendues qualités de sa femme,
croyant à sa vertu, il ne craint pas de laisser les deux complices en-
semble des journées entières. Aussi l'adullère s'étale-t-il impunément à
son foyer. Atteint d'une fluxion de poitrine et sur le point de mourir,
André supplie Jean Vautel (c'est complet!] d'épouser sa veuve, dès
qu'il ne sera plus. Les coupables s'épousent, en effet ; mais, punition
terrible! de ce jour l'amour est mort en eux; et, quoique mariés, ils
vivent dorénavant comme deux étrangers. Pourquoi faut-il que M. Ed-
wart Sansot ait cru devoir, de gaieté de cœur et très inutilement, sa-
crifier aux dieux libertins et naturalistes du jour? Il se rencontre dans
rAmi une dizaine de pages que nous ne saurions trop réprouver d'au-
tant qu'elles font absolument tort à beaucoup d'autres qui sont pleines
de charme, de grâce et d'une réelle fraîcheur de style et d'idées.
Vraiment, on dirait qu'il n'existe en France qu'un public pourri,
pervers et obscène, pour lequel la jeune littérature de cette fin de siècle
peine et geint. Quand donc viendra le romancier puissant, qui saura
faire vrai sans faire immonde, et dont l'œuvre, pleine de suc, à la fois
ardente et salubre comme un vin généreux, s'adressera aux cervelles
viriles, aux intelligences avides du beau?
7. — Retour fatal, de M. ou M'"<' Paul Manz (car, à certains traits, on
reconnaît une plume féminine), pourrait s'intituler aussi : De la blonde
à la brune, de la brune à la blonde. Le bonheur est du côté blond, mais
la passion est du côté brun, et entre les deux le cœur du malheu-
reux Armand Rivière balance. Ou plutôt non : il finit par se fixer, et
c'est la brune qui l'emporte. Armand dédaigne Marguerite pour Laui'e.
— il -
Méprise fatale, s'il en fat ! M. ou M"»" Paul Manz en décrit toutes les
péripéties, jusqu'au suicide final. J'aurais voulu la suivre avec atten-
tion dans le récit de ce drame de famille. Son style m'en a détourné.
On trouve dans Retour fatal des phrases de ce genre, qu'on croirait
empruntées à M™® Cottin ou au vicomte d'Arlincourt : « De bonne
heure veuve (il s'agit d'une créole], au moment critique où sa beauté
jadis remarquable commençait à souffrir du déclin prématuré des
femmes de sou pays, elle avait rallumé les flambeaux de l'hyménée avec
un jeune méridional. » 0 Malek-Adel ! ô Ipsiboé !... Et celle-ci : « L'en-
fant de ses premières noces, élevée jusqu'alors au milieu des gâteries
passionnées d'une mère qui s'admirait en les naissants attraits de sa
fille, devenait de ce jour un témoin doublement importun à ses conju-
gales amours, en lui comptant, avec l'irrécusable éclat d'une hâtive et
superbe croissance, les années superflues qu'elle eût souhaité pouvoir
faire oublier autant qu'oublier elle-même. » Quelle phrase, juste ciel !
Je me permets de la signaler aux décadents : ils en seront certaine-
ment jaloux. Encore une autre perle, pour finir : « Chaque année, elle
ne manquait jamais de lui donner (à son mari) un de ces gages vivants
qui sont la joie et l'union des époux. » Tout cela pour dire que la fé-
conde créole accouchait annuellement d'un enfant. Voilà bien des ma-
nières, Madame ! Et si vous eussiez vécu au xvii« siècle, Molière vous
eût certainement épinglée dans la collection de ses Précieuses ridicules.
Soyons juste pourtant. Retour fatal ne laisse pas que d'avoir quelques
pages de meilleure allure. Je citerai notamment deux paysages : une
esquisse de l'Océan, vu du rivage, et un coucher de soleil, qui en don-
nent la parfaite et profonde sensation.
8. — « Oh; ce Paris, ce qu'on lui envoie et ce qu'il nous renvoie ! »
Ainsi s'exprime dans Sapho, la bonne tante Divonne, à propos de
Jean Gaussin d'Armandy. La mère de Jean du Bédat n'a pas de Paris
une aussi mauvaise opinion. Elle espère bien que Paris ne fera pas de
son fils un aussi triste sire que le neveu de la tante Divonne. Elle
craint seulement que la grande dévoratrice d'hommes ne le lui rende
plus et la pauvre femme n'a pas torl. Épris de littérature et d'art,
Jean du Bédat a quitté le pays natal pour venir s'essaj-er dans le jour-
nalisme parisien. Il a du talent, et deux articles de lui : l'un sur Gam-
betta, l'autre sur Napoléon, sont des morceaux de maître. Mais son
nom ne fait pas prime sur le turf de la presse boulevardière. Il faut
attendre, il faut souffrir, il faut lutter. M. Boyer d'Agen, en un style
ému, éloquent, vivant et sincère, nous dit toutes ces souffrances, toutes
ces attentes, toutes ces luttes, toutes ces déceptions. Évidemment,
Monsieur le rédacteur ! est un peu son histoire. Cela se sent : sienne ou
non, l'histoire est poignante. Enfin, après cinq ans d'efforts, de sacri-
fices et même d'humiliations, Jean du Bédat parvient à se faire une
— 12 —
place dans ce journalisme, dans celte mêlée lilléraire où, comme l'a
prouvé M. Frédéric Loliée, dans Nos Gens de lettres, percent et brillent
seuls les patients et les forts. Donc, Jean du Bédat a réussi. Et la vieille
mère? Hélas! à bout de résignation et décourage, la vieille mère
meurt là-bas, sans avoir pu embrasser son enfant. Forçat de la vie pa-
risienne, son enfant n'a même pas répondu à ses lettres désespérées.
Et il ne quitte Paris que le jour où une dépêche lui apprend que sa
mère n'est plus. Encore n'arrive-t-il pas à temps pour lui rendre les
derniers devoirs et présider à ses obsèques. Triste! triste!.... Oui, la
vieille mère avait raison d'apostropher ainsi la grande ville : « Oh ! ce
Paris, ce Paris qui vous dévore vos enfants jusqu'à la foi de l'àme,
jusqu'à l'amour du cœur ! Ce Paris à qui vous redemandez vos petits
et qui ne vous rend même pas les cadavres. » Monsieur le rédacteur ! est
un livre plein de larmes : il est plein aussi de révélations. D'un trait,
et en déguisant leurs noms à peine, M. Boyer d'Agen peint tous les
journalistes contemporains un peu en vue : Henry de Panne (de Pêne,
aujourd'hui mort), correct comme un seigneur du xix« siècle dans sa
redingote boutonnée et son monocle vissé sur l'œil ; Marc-Aurèle
Scolia (Aurélien Scholl), à qui la renommée fait avaler un turc et un
sabre par jour ; Henri Fouquet (Fouquier), un Gromwel blond, dont
l'âme serait tendre ; Auguste Vital (Vitu), fin comme une demoiselle
qui vieillit, érudit comme un vieux moine qui devient jeune. La ga-
lerie est fort intéressante, et tous défilent, depuis Sarcelle (Sarcej') For-
teroche (Rocheforl), Mangin (Magnard), jusqu'à Éverine (Séverine, du
Cri du peuple]^ les habitués du Chat-Noir et les écrivains puffîsles, dont
le type s'incarne dans un certain Laroquetle (G. Roques), qui a trouvé
le moyen de gagner cent mille francs par an, en mélangeant habile-
ment la littérature aux pastilles Géraudel. En retour, il est au nom
même de la dignité des lettres, vigoureusement excommunié par le
seigneur de Ghatville (Rodolphe Salis), Rolline (RoUinat), Bouche d'or
(Maurice Boucher). Ce n'est pas celte partie du roman de M. Boj-er
d'Agen qui me plaît le plus. Je lui préfère les émotions du début, les
luttes de Jean du Bédat, ses imprécations contre le sort, la mort de
sa vieille mère et le récit de son voyage en chemin de fer, un jour de
canicule. H y a là une page splendide inspirée d'une des meilleures
poésies de Leconte de l'Isle :
Midi, roi des étés, épandu sur la plaine.
Monsieur le Rédacteur! n'est pas écrit pour les jeunes filles. Mais que
nous sommes loin de la Couine, du môme auteur, et même de sa J^cnus
de Paris, deux œuvres bestiales cl brulales, qu'il est impossible d'ana-
lyser! C'est une voie nouvelle [Le Pays natal Tindiquail déjà) que
paraît vouloir suivre M. Boyer d'Agen. H fera bien d'y persévérer.
— 13 -
9. — M. Eugène Morand suppose que saint Antoine, ressuscité, mis
au défi par le démon, quitte un beau matin sa Thébaïde, et, avec son
légendaire compagnon, vient visiter Paris, ce Paris de Jean du Bédat,
« dans lequel se résument toutes les tentations. wLes aventures du saint
anachorète sont des plus désopilantes, et, pour un ancien buveur
d'eau, pour un contemplateur austère, quelquefois passablement
folichonnes. Curieux et friand de tous les spectacles de la vie contem-
poraine, il va au théâtre, au concert, au Salon de peinture, au bois de
Boulogne, à l'Académie française, aux courses, au conseil municipal.
Un ivrogne l'entraîne dans un meeting anarchiste : on le force à poser
sa candidature. Une conférencière inexorable veut, à toute force, faire
de lui son quatrième mari, et il a toutes les peines du monde à se
débarrasser de cette Putiphar rouge. On l'invite aux ventes de charité ;
on l'accapare, on se le dispute : il ne sait à qui entendre, et il finirait
par mal tourner, si son fidèle compagnon ne l'hypnotisait et ne le
reconduisait ainsi, par petites étapes, dans son tranquille désert. Assu-
rément, l'auteur du Roman de Paris aurait pu choisir un autre héros.
Il fait assister saint Antoine à des choses si étranges que cela devient
plus qu'irrévérencieux. Mais il y a quelques circonstances atténuantes.
D'abord, M. Morand n"a mis dans son choix aucune méchanceté. Il a
pris saint Antoine et son compagnon, comme Lesage, dans son Diable
boiteux, prit le démon Asmodée et l'étudiant Cléophas. En outre, depuis
Gallot jusqu'à Gustave Flaubert, les écrivains et les artistes ont accom-
modé le bon saint et son humble ami à tant de fantaisies qu'une de
plus ne peut rien enlever à leur excellente réputation. Ce livre est
d'ailleurs moins un roman qu'une revue de tous les mondes parisiens,
une satire des vices et des travers de cette fin de siècle, une comédie
ironique, pleine d'humour et de verve, parfois d'indignation, une
pièce à tiroirs enfin, avec des scènes détachées, quelque chose comme
la Foire de Saint-Germain de Regnard. La Fontaine a bien eu raison
de dire que l'on avait souvent « besoin de plus petit que soi. » Le
saint Antoine de M. Morand en est la preuve. Sans son compagnon, il
lui arriverait toutes sortes de désagréments. Le bon sens et le juge-
ment .sont dans le cochon. Son maître n'est qu'un gobe-mouche, un
don Quichotte. Lui fait l'office de Sancho. Même esprit d'équilibre
d'ailleurs, même philosophie populaire, mais avec plus de gravité et
de retenue. Il remet à leur place les fainéants , les « sublimes » les
ouvriers de la pensée, les démagogues, les politiciens, les charlatans
du journalisme et les exploiteurs du peuple. Il dénonce les intrigues
et les lâchetés du jour. Il tonne contre les paulbertistes qui veulent le
vivisecter. Bref, ., épargne à ce pauvre saint Antoine une foule de
sottises. C'est le moraliste du roman. Corrigera-t-il quelqu'un? —
Nous en doutons.
— 14 —
10. — M. Rosuy cultive le roman scienlitique et le roinau social. Et
il y réussit. Son Bilatéral était une œuvre bien touffue, bien exubé-
rante, mais aussi fort originale et, sur beaucoup de points, bien terri-
blement vraie. Marc Fane possède les mêmes qualités, avec les mêmes
défauts. Le socialisme de Marc et celui de son oncle Honoré sont d'une
nature toute particulière. Tous les deux se réclament d'une méthode
identique d'observation : ils ont des instincts communs de mansué-
tude, une tendance analogue à s'occuper quand même du bonheur
de l'humanité. Seulement, Honoré est un rêveur, et Marc un homme
d'action. Avec cela, pratique et possibiliste, voulant ramener l'âge
d'or sur la terre par des réformes utiles et progressives, « niant le
saut » pour une masse d'hommes, ainsi que pour la nature, exécrant
les moj^ens révolutionnaires, plein d'horreur enfin pour les holo-
caustes de la guerre civile. Hélas! le pauvre garçon ne tarde pas k
s'apercevoir que la plupart des meneurs du socialisme contemporain
ne sont que des farceurs. Très convaincu, il prend la parole dans les
réunions publiques pour le triomphe de ses idées, et comme ces idées
ne flattent ni l'orgueil d'un Garoulle, ni l'absolutisme d'un Digues, ni
les bas instincts de la foule, il se voit injurié, diffamé et ouvertement
traité de mouchard. Alors, le mépris et l'écœurement le prennent, et il
retourne à la vie de famille, au travail, avec toujours la « volonté du
Beau, du Sacrifice » et de ce qu'il croit être le Vrai. Finalement, il
comprend que ses généreuses utopies ne sont pas près de se réaliser.
A l'optimiste détei'miné qui était en lui, succède un sceptique intelli-
gent, sinon un pessimiste. Marc Fane est émaillé de doctrines plus ou
moins acceptables. Certaines même sont d'une hétérodoxie radicale.
Aucune cependant ne procède d'un sentiment vil. On ne peut que les
réprouver mais sans répugnance ni dégoût. Quant à la théorie de l'au-
teur sur les songes, elle est fort ingénieuse, et nous avons lu jadis
quelque chose d'approchant dans un livre anonyme et bizarre, paru en
1867, sous ce titre : Des rêves et des moyens de les diriger. A noter aussi,
à propos des pressentiments, cette échappée fugitive sur le monde
invisible , auquel M. Rosny paraît ne pas croire : « L'âme vient chu-
choter l'adieu aux êtres chers, avant son assomption vers les gouffres
de l'éternité. »
H. — Si jamais il y eut un saint prêtre en ce monde, ce fut certai-
nement l'abbé Millet, curé d'une humble paroisse de Picardie. Bon,
scrviable, sans fierté aucune, le premier partout où un malheur écla-
tait (incendies, épidémies, inondations), l'abbé était le dévouement et
la charité en pci'sonne. Il ne se laissait rien, et quand sa vieille ser-
vante Manette lui disait qu'il finirait ses jours sur la paille, le brave
curé se contentait de répondre : « Sur la paille, Manette, mon divin
maître y est né ; je puis bien y mourir, n'est-ce pas ? » Ses paroissiens
— lu —
l'adoraient. Et poui-laut, entre eux, ils ne se privaient pas de certaines
allusions à ce qu'ils appelaient « son gros péché. » Deux ou trois
bigotes même n'en parlaient qu'en se signant, et avec des réticences
mystérieuses qui en faisaient supposer long. Les bonnes âmes chari-
tables !... Avant de propager leurs jugements téméraires et venimeux,
elles auraient bien dû s'enquérir des faits et ne pas se prononcer ainsi
sur de simples apparences. Quel était le « gros péché » de l'abbé
Millet? Rassurez-vous, lecteurs. Il n'y a ici rien de honteux ni de
scandaleux. L'abbé Millet paie la pension et reçoit, en vacances, une
tlllette dont il se dit le parrain. La tendresse qu'il lui témoigne , sa
sollicitude pour cette orpheline ont éveillé les soupçons des méchants
et des libres-penseurs. On lui attribue avec cette jeune personne un lien
plus étroit que le parrainage. Le plus ardent à l'accuser est un
certain docteur Rousselle, pétri d'orgueil, bourré de sophismes, plein
d'intolérance, et à qui l'abbé Millet a déplu, parce qu'il n'a pas voulu
se prêter à satisfaire les ambitieux caprices de ce tj^ranneau de village.
Le docteur Rousselle est maire de la commune dont l'abbé Millet est le
desservant. Autoritaire et irascible, M. le maire a juré la ruine et la
disgrâce du vénérable ecclésiastique. Il profite d'une tournée pastorale
de l'évêque pour inviter celui-ci à un repas somptueux. En même
temps, il invite le curé, qui accepte, n'y entendant pas malice. Au
milieu du dîner, devant l'évêque et les autres convives, le docteur
interpelle brutalement le pauvre abbé Millet et lui demande l'histoire
de son « gros péché. » Pas moyen de reculer : le silence équivaudrait
à l'aveu d'une faute inavouable. L'abbé Millet s'exécute. Il y a de cela
dix-huit ans, dans une localité où il exerçait les fonctions de vicaire,
une jeune fille vint frapper à la porte du presbytère. Mourante de faim
et de froid, cette jeune fille, chassée par un père sans entrailles, était
enceinte. Un jeune homme l'aimait et voulait l'épouser. Elle céda.
Mais le père resta sans pitié. L'abbé Millet, après avoir confessé l'in-
connue, la fit transporter chez le bedeau, où elle mourut en accouchant
d'une enfant du sexe féminin à qui elle désira que l'abbé Millet
donnât le nom d'Armande. Mais la mort ne lui laissa pas le temps de
déclarer qui était le père de cette enfant. Ne consultant que son bon
cœur, l'abbé Millet adopta l'orpheline et la fit élever. Vous ,'oyez bien
qu'il n'y a nullement à rougir du ^v gros péché « de l'abbé Millet. Il
me reste à dire que l'homme dénaturé qui se montra ainsi impitoyable
pour sa fille n'était autre que le docteur Rousselle. Heureusement qu'il
ne tarda pas à disparaître de ce monde. Au dénouement, Armande, la
pupille de l'abbé lillet, retrouve son père, et elle épouse un brave
garçon, tout à fait digne d'elle. N'était le titre dont se formaliseront
maints esprits étroits qui se scandalisent de tout, le Gros Péché de
l'abbé Millet est un roman fort honnête, très moral : et. comme ce titr*
— 16 —
pourrait donner à supposer le contraire, j'ajoute qu'il n'est pas du tout
anticlérical.
12 et 13. — Il est bien dommage que Drichetle,de M™" Jeanne Leroy,
soit aussi neutre qu'un manuel civique. L'œuvre est honnête égale-
ment ; elle renferme des péripéties touchantes ; elle met en scène de
bien braves gens : Andrée, sa mère, les Valienne père et fils, même la
tante Norine qui fait plus de bruit que de mal. Mais je défie le lecteur
de deviner à quelle religion appartiennent ces méritantes personnes.
Rien ne l'indique : ni un mot, ni une allusion, ni même une excla-
mation. Une note chrétienne, jetée çà et là, sans insistance, eût rendu
cette Drichelte parfaite. La note manque, et il s'en dégage je ne sais
quoi d'incomplet et de froid. U^^ Samson, dans la Vie d\me fenwie du
monde, a bien eu soin d'éviter ce parti-pris de laïcisme, et son roman
y gagne sous tous les rapports. Déjà l'Académie française avait cou-
ronné d'elle un roman intitulé : L'Education dans la famille. Récom-
pense méritée. La Vie d'une femme du monde est le complément de ce
premier ouvrage, et nous y voyons réapparaître le principal person-
nage : Mathilde Le Perrier, qui est aujourd'hui M"»® Raymond Gham-
blay. Mère accomplie, épouse irréprochable, elle sait conserver parfaite
l'union dans son ménage. A côté d'elle et comme repoussoir une cer-
taine W^ de Moëssart, uniquement occupée de sa parure, de ses plai-
sirs, et pour qui, conséquence toute naturelle, le mariage est un en-
fer. Sans homélie ni sermon, rien que par les faits, M""" Samson dé-
montre la nécessité d'une éducation religieuse pour la femme. On trou-
vera aussi dans son livre des détails utiles et très pratiques sur la
vraie manière de bien tenir une maison, de recevoir, d'organiser une
soirée, de présider un dîner... Que sais-je encore? Il y a même, ce
me semble, des recettes de cuisine. Ne nous en offusquons pas : le
roman se prête à tout, comme la comédie, et ne trouve-t-on pas la
formule, maintenant très à la mode, d'une salade japonaise dans la
Francillon, de M. Alexandre Dumas.
14. — Si M. Emile Zola n'avait pas publié la Terre, M. Georges
Beaume aurait-il écrit ses Cyniquesl Le doute est permis tellement ce
roman-ci s'inspire de l'autre. Il s'inspire aussi des paysanneries de
M. Léon Gladel, et pourtant l'auteur est bien lui; il est lui sur-
tout par le style : un style vigoureux, coloré, sonore, suggestif,
toujours soutenu, presque impeccable. Tel de ses paysages du
Quercy est parlant. La description de la vendange en automne et
d'une pluie en décembre sur les bords de l'Espignc sont des tableaux
à la Millet. Mais, grands dieux ! quelle triste idée M. Beaume nous
donne des paysans quercynois ! Cupides, sournois, bjpocriles,
n'ayant qu'une passion : augmenter leurs lopins de terre par n'im-
porte quel moyen. Ils donneraient leur dme au diable, prostitue-
— 17 -
raient leurs femmes au premier venu et vendraient leurs filles pour
satisfaire celte soif de la terre qui les dévore. J'ai dit qu'ils vendraient
leurs filles. C'est précisément ce que font le père et la mère Maurac :
les deux principaux Cyniques de M. Georges Beaume. Ils vendent bel
et bien leur fille, Fine, au jeune châtelain de l'endroit, Maurice de
Valdeize. Celui-ci a été frappé de la beauté de la gardeuse d'oies : il la
recherche en libertin qu'il est. Or, son caprice passé , voilà qu'il en
devient sérieusement amoureux, et qu'il l'épouse. A côté des Maurac,
évoluent d'autres brutes, non moins débraillées, non moins obscènes,
n'ayant d'autre guide que leur instinct, quand ce n'est pas le plus
pervers des calculs. Sans aller aussi loin que M. Zola dans les tableaux
crûs, M. Beaume ne s'en prive cependant pas, à l'occasion. Braves pay-
sans de la vieille terre quercynoise, race croyante et forte, êtes-vous
réellement, aussi lamentablement repoussants que cela? M. Emile
Pouvilion, qui vous connaît bien, vous a vus tout autrement. Il est
vrai qu'il y a des verrues partout. Les Cyniques de M. Beaume sont
peut-être les verrues du Quercy.
lo, 16 et 17. — Il est peu d'auteurs étrangers qui sachent bien ma-
nier notre langue. Yoici pourtant deux romanciers qui font exception :
l'Allemand Paul Lindau, et l'Anglaise Ouida (M"^ Louise de la Ramée).
Leurs œuvres écrites en français ne donnent prise à aucune critique.
M. Paul Lindau est d'ailleurs plus qu'un romancier : il est aussi critique
et dramaturge. Le roman n'est pour lui qu'une distraction. Mon ami
Hilarius, qui nous est présenté, dans une élégante préface, par M. Emile
Augier, tient à la fois de Sterne et d'Hoffmann. C'est une de ces études
mi-philosophiques, mi-scientifiques, comme les affectionnent les
Allemands, et sous le couvert desquelles s'abritent ironiquement, soit
une thèse singulière, soit un paradoxe inoffensif. Cette fois, le para-
doxe s'incarne dans un brave Bavarois, que l'on enferme comme fou,
qui ne l'est pas, qui le devient, et qui s'en trouve à merveille. Avant
sa folie, il était tourmenté, inquiet, chagrin. Depuis qu'il est fou, il vit
heureux comme un poisson dans l'eau. La conclusion serait donc que
le bonheur parfait réside dans la perte de la raison. Mais il ne faut pas
prendre à la lettre la fantaisie de M. Paul Lindau. Il a soin, d'ailleurs,
de bien montrer quelle est son opinion en cette matière ; car VAmi
Hilarius contient un réquisitoire foudroyant contre certains médecins
aliénistes, qui voient de la folie partout, et qui, si on les laissait faire,
enfermeraient l'humanité entière à Charenton.
Les thèses de M. Paul Lindau sont discutables. Celles de M"« de la
Ramée le sont bien davantage. J'ajoute qu'elles sont, en plus, souve-
rainement détestables. Ce bas-bleu d'outre-Manche, que l'on disait na-
guère vouloir se convertir au catholicisme, s'acharne, au contraire,
depuis quelque temps, à dénaturer notre histoii'e religieuse et notre
Juillet 1888. T. LUI. 2.
— 18 -
toi avec une rage diabolique. Ainsi, dans Fille du Diable, en deux
longs volumes, elle s'escrime à vouloir démontrer que le catholicisme
a non seulement crétinisé les paysans bretons, mais encore les a
rendus fanatiques, féroces, inhumains, sans entrailles et sans cœur.
Sa prétendue « fille du diable, » à qui on a donné le sobriquet de Folle-
Farine, a pour père un Bohémien et pour mère une jeune paysanne,
Rose Flammat. La mère morte, on apporte une nuit l'enfant au grand-
père, meunier brutal, qui la roue de coups, l'exténue de travail et la
laisse presque sans nourriture. Or, ce meunier est un des hommes les
plus religieux de l'endroit. Les voisins et les voisines approuvent la
conduite de Claude Flammat. Ils renchérissent même sur ses cruautés.
Pas de pitié pour l'enfant de Satan ! « La beauté exotique qu'elle tient
du sang tzigane fait d'elle un objet de crainte et d'effroi dans tout le
pays : la superstition aveugle, implacable, transforme en crimes ses
actions les plus innocentes, les plus généreuses. » Il en résulte des
scènes d'un cannibalisme ignoble. Acteurs : des gens pieux, de fervents
catholiques. Dans l'esprit d'Ouida, ces monstres seraient des êtres ac-
complis, doux, débonnaires, pleins d'humanité, s'ils n'adoraient pas le
« Dieu du calvaire, » s'ils n'avaient d'autre culte que celui de Folle-
Avoine, la Nature, où s'ils se réfugiaient dans le « radieux paganisme, »
comme le fait le Norwégien Arslan, un peintre pour lequel la Fille du
Diable jette son bonnet par-dessus le moulin de son grand-père.
Certes, les blasphèmes, les incohérences, les divagations, les décla-
mations, abondent dans Fille du Diable. Eh bien ! malgré tout , ce ro-
man vaut encore mieux que la Comtesse Vassali, du même auteur. De
la fange blasphématoire surgissent çà et là des parcelles d'or ; l'hosti-
lité contre le catholicisme n'y efface point partout l'empreinte sincère
d'un sentiment chrétien qui s'ignore. Du milieu des invraisemblances
et des incohérences surgissent parfois des pages lumineuses, des
scènes grandioses. Dans la Comtesse Vassali, rien de pareil, le livre
est creux, ampoulé, sans art, sans talent, sauf le chapitre du début.
Il sue la haine : une haine froide contre le clergé de Rome. Tous les
prêtres italiens sont des scélérats, tous les rois catholiques sont des
monstres, Garibaldi, qui coopère au dénouement, est un dieu. Dans le
milieu de l'ouvrage, un certain prélat, monsignor Giulio de Villatlor,
joue un rôle tellement odieux qu'on me permettra de ne pas même l'in-
diquer. Il n'y a de beau, de grand, de pur, que le gentilhomme écos-
sais lord Erceldoune et que la comtesse Idalia Vassali, protectrice des
peuples esclaves, martyre de l'indépendance italienne , muse héroïque
de la liberté. Je crois superflu d'eu dire davantage.
18. — Il est écrit que M. du Boisgobey ne sortira plus du monde des
escrocs, des joueurs, des rastaquouères et des drôlesses. Où est le
temps où il écrivait les Collets noirs, beau roman historique sur l'é-
- 19 -
poque du Directoire ? Le Chalet des Pervenches roule sur les points sui-
vants, que Fauteur embrouille de son mieux pour avoir le plaisir (?)
de les débrouiller ensuite : assassinat mystérieux, à Arcachon, d'un
Bordelais nommé Gémozac ; amour de Biscarros, autre Bordelais, pour
l'angélique et charmante Nicole de Briouze ; intervention de la com-
tesse Dolorès, une créole profondément corrompue, qui veut faire épou-
ser Nicole à son complice le sieur Fernand de Saint-Osvin, et qui ac-
cuse Biscarros d'avoir assassiné Gémozac ; empoisonnement de Nicole
par Dolorès, arrêtée au moment psychologique par la cadichonne Ber-
nadette. Quoi encore? Ma foi, je ne my retrouve plus. Le Chalet des
Pervenches n'en est pas moins « une des œuvres les plus émouvantes
qui aient paru depuis longtemps. » Ainsi l'a jugée l'éditeur.
19, 20 et 21. — Le roman historique est de plus en plus délaissé.
Voici pourtant tro's romanciers qui s'y sont essayés encore : M. Des-
tremx de Saint-Ghristol, dans le Château de la reine Blanche; M. Dé-
siré Charnay, dans Une princesse indienne avant la conquête; M. Isaac
Bloch, dans les Fils de Sarnsori.
Le Château de la reine Blanche est une évocation du moyen âge che-
valeresque, poétique et féodal. Trois des chapitres les plus intéressants
sont : le tableau d'une cour d'amour à Anduze, dans les Cévennes ;
une chasse au faucon dans les Ardennes ; l'arrivée de la mère de saint
Louis au château de Bermond de Sauve. Le dernier rejeton de cette
antique lignée, Pierre, prétend avoir, par sa mère, des droits sur la
maison de Toulouse. Blanche de Castille qui a commencé la croisade
contre Raymond YII, encourage ses prétentions, et plus tard, elle pro-
jette de donner la fille du comte de Toulouse pour femme à son féal
chevalier. Mais il était écrit que ce mariage n'aurait pas lieu. Pierre
s'amourache de Josserande de Poitiers, sœur de cette Isabelle de la
Marche qui fut l'ennemie acharnée de la reine de France. De serviteur
dévoué de la reine, Pierre de Bermond devient rebelle, si bien que le
roi saint Louis en personne lui déclare la guerre. Pierre est vaincu,
son château est démantelé, ses biens sont confisqués. Et ainsi finit la
puissante maison des Bermond de Sauve et d'Anduze. Ce roman est
précédé d'une lettre-préface de M. Henri de Bornier, qui est originaire
des régions dont M. Destremx de Saint-Christol connaît à fond les lé-
gendes et les traditions. Il y a quelques réserves à faire sur certaines
de ses appréciations historiques. Le protestantisme, dont il est un des
fidèles, lui fait voir certains événements sous un jour qui, à notre avis,
n'est pas le vrai. Ajoutons cependant que le récit du chroniqueur n'en
souffre pas et que l'action n'en est pas ralentie.
M. Désiré Charnay est un explorateur intrépide. Il a parcouru plu-
sieurs fois le Mexique et l'Amérique méridionale, et, dans ses voyages,
il a recueilli des renseignements précieux sur les civilisations an-
— 20 -
ciennes, anlérieures à la conquête des Espagnols. On croit générale-
ment que les peuples conquis par eux étaient des sauvages. C'est une
erreur. Le Mexique et le Pérou jouissaient avant la conquête espagnole
d'une civilisation brillante, curieux mélange de barbarie, de douceurs,
de luxe, de rudesse et de férocité. Les Olmèques, les Toltèques, les
Aztèques vivaient dans de vastes villes bâties avec goût, et culti-
vaient les arts. La peinture, la sculpture, la mosaïque, la ciselure de
l'argent et de l'or avaient, parmi ces peuples, atteint la perfection.
Leur architecture était vraiment merveilleuse. Dans Une princesse in-
dienne, M. Désiré Cbarnay ressuscite cette civilisation disparue. L'ac-
tion de son roman, qui n'est du reste un roman qu'à demi, se passe
au xv^ siècle dans la puissante ville d'Ouxmal où règne le roi Ounkay.
Un des premiers aventuriers espagnols qui aient, après la découverte
de Colomb, foulé le sol du nouveau monde, Gonzalo Guerrero, séparé
de ses compagnons, tombe aux mains des Indiens. Il va être sacrifié.
Mais sa belle mine et sa fière contenance devant la mort attirent l'at-
tention de la princesse Couzam, fille d'Ounkay, et il est sauvé par elle
malgré l'acharnement des prêtres du dieu Chac. Couzam aime Guer-
rero qui, à la longue, s'acclimate dans sa nouvelle patrie et devient à
son tour un des chefs d'Ouxmal. Dans ce cadre, M. Désiré Cbarnay a
fait revivre tout un peuple, toute une époque : rues animées et turbu-
lentes de la capitale du roi Ounkay ; temples formidables, construits
sur des esplanades successives qui ajoutent à leur grandeur ; fêtes
prodigieuses et sanglantes en l'honneur du Soleil ; initiations compli-
quées de la chevalerie indienne ; jeux tragiques, danses nationales,
mariages, funérailles, batailles et combats, forment dans l'œuvre de
M. Désiré Cbarnay une série de tableaux étranges et fabuleux. Tel
Gustave Flaubert nous a ressuscité l'ancienne civilisation carthaginoise.
Il va néanmoins sans dire que M. Désiré Charnay ne possède pas le
style magique et prestigieux de l'auteur de Salammbô. Ce qui n'em-
pêche pas, malgré des gaucheries de forme et des digressions inu-
tiles, sa Princesse indienne d'ofïrir un palpitant intérêt. Je le recomman-
derais sans réserve si l'auteur ne s'était pas permis certaines réflexions
risquées (bien inutiles d'ailleurs) sur la liturgie et le culte catholiques,
sur la vertu chrétienne, sur le rôle de l'Église dans le Nouveau
Monde et sur le fanatisuie du clergé espagnol, représenté par l'ecclé-
siastique Aguilar.
Comment se recrutaient certains régiments prussiens au xviii« siècle ?
M. le grand-rabbin Isaac Bloch nous l'apprend dans les Fils de Salo-
mon. Le duc Léopold d'Anahlt-Dessau, généralissime des armées du
roi Frédéric et feld-maréchal de l'Empire, se déguisait en sergent et
allait lui-même dans les villages de son duclié raccoler, de gré ou de
force, les gaillards qui lui paraissaient les plus solides et les plus
- 21 -
beaux. Ainsi par une ruse indigne, il enrôle un jeune colporteur juif
taillé en hercule. Ce colporteur était de Prague: il s'appelait Lazare
Tausig, et sa famille, au dire des anciens d'Israël, descendait de Sam-
son, la terreur des Philistins. Lazare ne voulait pas s'enrôler. — S'em-
parant de l'épée du raccoleur, il la coupe en deux d'un tour de main.
C'était un terrible homme que le duc d'Anahlt, et rien ne pouvait
dompter ses colères. Furieux, il arrête Lazare, l'emprisonne et attend
son heure pour le faire fusiller. Lazare a un frère, Ruben, encore plus
fort que lui. Celui-ci entre chez le duc en enfonçant la porte d'un coup
d'épaule, et lui demande la grâce de Lazare, sans quoi, il faudra en
découdre. Vous devinez la scène, entre ce lion et cet ours! L'ours ne
cède pas, et il n'eût jamais cédé, eùt-il dû être coupé en deux comme
son épée. Mais le deus ex machina surgit au moment psychologique.
C'est la fille du duc d'Anahlt. Ruben lui a sauvé la vie en arrêtant son
cheval au bord d'un précipice. Elle demande à son père la grâce des
fils de Samson : un prêté pour un rendu. En définitive, elle l'obtient.
Récit court, mais bien mené.
22, 23, 24 et 2o. — Glenaveril, de lord Lytton, ambassadeur d'An-
gleterre en France, ouvre, ce trimestre, la série traduite des romans
anglais. Bon chien, dit-on, chasse de race et le proverbe est vrai
pour les Lytton. Littérairement, lord Lytton se présente comme le
digne héritier de son père, sir Lytton Bulwer, l'auteur des Derniers
Jours de Pornpéï. Qu'est-ce que Glenaveril'^ Un roman-poème qui a
pour base les lois physiologiques de l'ata-vdsme. Deux enfants, Em-
manuel et Yvor, sont confondus au berceau, et en grandissant, chacun
d'eux montre des goûts opposés à la situation que la société lui a
faite. Les deux jeunes gens, qui sont liés d'amitié, imaginent plus
tard d'échanger en voyage leurs positions respectives. Toutes choses
ainsi se trouvent à leur place. La fatalité arrête cette plaisanterie ,
et alors un drame commence, drame saisissant, compliqué d'une in-
trigue bien conduite, atténuée par une chaste idylle (les amours d' Yvor
et de Cordelia), parsemé de réflexions d'une haute portée philosophique,
et qui jusqu'au dénouement tient l'esprit en haleine. A coup sûr, cette
œuvre, que tout le monde peut lire d'ailleurs, n'est pas pour plaire à
la clientèle ordinaire de MM. Richebourg, Arthur Arnould et Xaxier
de Montépin; mais les lettrés prendront certainement plaisir à ces
pages dont la plupart sont d'mi poète, d'un artiste et d'un penseur.
Lady Estmer est-elle, oui ou non, coupable, et son mari, sir Lau-
rence, qui a disparu depuis plus de vingt ans, existe-t-il encore? Tel
est le double problème que Philippe Norris, le héros de Vivant ou Mort,
cherche à résoudre. Et il le résout en découvrant que lui-même n'est
pas Norris, et que les êtres les plus chers de son entourage ne sont
pas ceux qu'il croit. Un vieux château clos et oublié, une autre de-
— 22 —
meure solitaire et muette, au bord de la mer, représentent les deux
décors typiques de ce drame à énigmes, qui pourrait être également
intitulé : Les Frères sans le savoir.
C'est une énigme aussi que nous offre Wilkie Collins, dans : Je dis :
Non. Le père d'Emily Brown a-t-il péri assassiné, comme l'a conclu
l'enquête judiciaire, et en ce cas, quel est l'assassin? La jeune fille a
juré de le savoir, malgré les obstacles qu'on lui suscite. Une seule per-
sonne, miss Jetbro, a la clef du mystère. Elle refuse obstinément de
parler, et dans ce rôle équivoque réside le fond principal de l'intrigue.
Sera-ce donc sur le révérend Mirabel , passionnément épris d'Emily,
et qui aide ou feint d'aider celle-ci dans son enqu'^le vengeresse que
doit peser la responsabilité du meurtre impuni? Demandez à miss
Jetbro et aux aubergistes du Glinck. Œuvre touffue et qui eût gagné
à être raccourcie d'un volume.
Même reproche ferai-je à Sabina Zembra. Un volume suffisait pour
décrire les phases si diverses et si souvent cruelles de la destinée de
Sabina, fille dédaignée de sir Anthony, membre du Parlement, épouse
délaissée du sporlmann Fred Forster. Quels égoïstes personnages que
ce Forster et cet Anthony ! L'un ne vit que pour le turf, les paris et
les courses de chevaux. La femme ne compte pas pour les palefreniers.
L'autre est un vaniteux, une outre gonflée de vent. Toutes ses pensées
convergent à rendre son nom populaire, et il n'est pas d'artifices qu'il
n'emploie pour faire parler de lui. Gomme contraste, nous avons
Walter Lindsay, peintre de grand talent, homme de grand cœur, qui
se laisse aller à aimer Sabina, sans toutefois l'induire à manquer à ses
devoirs. Le réalisme de Sabina Zembra n'a rien de commun avec le
naturalisme ordurier. Le tourbillon de la vie de Londres , les salons,
les cénacles artistiques, les bains de mer, y sont peints avec relief et
couleur. Ce que je n'aime pas, ce sont les illustrations. Beaucoup ce-
pendant les trouvent fort bien, et soutiennent que c'est ainsi qu'il
faut dessiner aujourd'hui. Je n'y contredis pas. Mais chacun son
opinion.
26, 27, 28 et 29. — Ne pensez-vous pas qu'on commence à nous sa-
turer de littérature slave ? Toutes les raclures de tiroirs de Tolstoï, de
Dosloïevsky de Pissemsky, de Gonlcharoff, de Tourgueneff, nous sont
maintenant servies et on nous traite d'arriérés si, chaque fois, nous
ne crions pas au chef-d'œuvre.
Nul plus que moi — et j'en ai ici maintes fois donné des preuves —
n'admire des œuvres comme la Guerre et la Paix, Crime et Châtiment,
la Maison des lyiorls, Mémoires d'un chasseur. Nul ne goûte mieux la
saveur de ces récHs, d'une conception souvent si puissante, toujours
originale, mêlant à la vérité des détails le charme de radieuses échap-
pées vers l'idéal. Mais si Victor Hugo disait de Shakespeare qu'il ad-
- 23 -
mirait tout < comme une brute, » j'avoue n'en être pas encore là pour
Tolstoï et Dostoïevesky. Dans la pensée russe, il y a beaucoup à criti-
quer : rincohérence, l'extravagance et le nuageux y tiennent trop de
place. Dans l'art russe, il y a beaucoup à discerner : s'il a des beautés
incomparables, il en a aussi de ténébreuses, d'ennuyeuses el de mo-
notones.
La dernière œuvre de Dostoïevsky, les Frères Karamazov, que l'on
vient de traduire, me semble résumer toutes ces qualités et tous ces
défauts dans leur plus intense expression. Quel livre indéfinissable !...
Ici atroce, là splendide; ici fou, là génial. L'auteur s'y montre psycholo-
gue incomparable et fantaisiste échevelé. Il s'y montre aussi caricatu-
riste et dramaturge, en d'innombrables scènes d'effroi et de pitié.
Effroi et pitié, telles sont, en effet, les deux dominantes de cette con-
ception compliquée et Icuffiie. On dirait la Tentation de saint Antoine,
gravée par Gallot. Le lecteur y est assailli par une foule d'ombres chi-
noises qui tourbillonnent à travers le récit. Amours occultes, crimes
mystérieux, âmes inquiètes ou noires, rêveries fiévreuses, dialogues
qui rappellent Hamlet, hallucinations : voilà le dédale déroutant et
troublant où nous entraîne l'auteur. Est-il vrai, comme l'affirme
M. E.-M. de Vogiié, que, dans les Frères Karamazov, Dostoïevsky ait voulu
peindre surtout la Russie intellectuelle et philosophique? En ce cas,
on s'explique le nihilisme, et l'on comprend cfu'en se voyant si affreux
et si noirs les types qui ont posé devant le peintre soient tous atteints
de r a inexorable ennui » et du tœdiurn vitœ. Ces types livrent leur
âme jusqu'au fond, au milieu des tortures d'inquisiteur que leur fait
subir l'écrivain. C'est Smerdiakov, le bâtard, rêveur, songeur, hallu-
ciné, sournois, capable aujourd'hui de mettre le feu à tout un village,
et d'aller demain pieds nus faire pénitence à Jérusalem. C'est Dmitri
Karamazov, l'aîné, incarnant en lui toutes les violences et toutes les
passions. Officier, il a dû donner sa démission à la suite de duels
mortels et d'effroyables scènes de débauche. C'est Ivan, son frère
cadet, être énigmatiqne, écrivain paradoxal, publiant — et il ne croit
pas en Dieu — des ouvrages orthodoxes pour la défense de l'Église
schismatique. C'est Aliocha, le plus jeune des trois, et qui offre avec
ses deux frères un contraste si frappant. Doux garçon, mystique et
tendre, qui, ne pouvant supporter les excès de son père et de ses frères,
se réfugie dans un couvent. Et il y a de quoi, lorsqu'on songe que
Karamazov père et son fils Dmitri sont continuellement à se menacer
du couteau, pour une aventurière qui les subjugue tous les deux.
L'assassinat de Karamazov père, attribué à Dmitri, alors que le vrai
coupable est le bâtard Smerdiakov, vient ajouter encore aux douleurs
du pauvre Aliocha, et il se fait la victime expiatoire des crimes de
sa famille, aussi tragique que celle des Atrides. La figure d'Aliocha
- ri -
est, du reste, la seule qui rappelle un peu le ciel dans cet enfer. Il s'y
trouve aussi — mais sur ce dernier on ne sait trop à quoi s'en tenir —
une sorte de thaumaturge, un moine dont la vie est un mystère et
dont la parole est d'un saint. Il dit à Aliocha : « Cherche- ton bonheur
dans les larmes. Il faut la souffrance pour que s'accomplissent, selon
Dieu, les destinées de l'homme. Tout est sans péché, sauf lui. »
Parmi les épisodes extraordinaires des frères Karamazov, il en est un
qui défie toute imagination. C'est le Grand Inquisiteur, sorte de poème
sarcastique composé par Ivan et qu'il raconte à Aliocha terrifié. Le
poète suppose ceci : Le Christ est redescendu sur la terre. Il parcourt
les rues de Séville. Acclamé par la foule qui le reconnaît, il est arrêté
et jeté dans les prisons de l'Inquisilion. Pendant la nuit, le Grand In-
quisiteur va le visiter et lui dit : « Tu as donné au peuple la liberté
moi^ale ; tu as eu tort. Le peuple n'a que faire de cette liberté-là. Ce
qu'il lui faut, c'est du pain et des spectacles et c'est ce que nous lui
donnons. Nous avons corrigé ton œuvre. Tu nous déranges, et
demain je te ferai briller. » N'est-ce pas diabolique? Combien, du
même Dostoïevsky, sont préférables, les Pauvres Gens, un roman qui
date de 1846, et où s'affirme déjà, mais sans rien qui détone, la sym-
pathie chrétienne de l'écrivain pour les humbles, les petits, les obscurs
vaincus de la vie, ceux qu'il a lui-même appelés plus tard les « Humi-
liés » et les « Offensés ! »
De même, dans Au Caucase et le Joueur, œuvres de jeunesse du
comte Léon Tolstoï que l'on nous sert toutes chaudes comme des
nouveautés, on ne devinerait jamais le futur fondateur de je ne sais
quelle religion socialiste, humanitaire et sentimentale. Il décrit sans
façon, sur un ton gai, quoique parfois vulgaire, la vie instinctive, végé-
tative, crapuleuse et tranquille des soldats russes casernes dans les
forteresses du Caucase. Tel graisse ses pieds rouges ; tel autre a la dy-
senterie ; celui-ci lit son psautier ; celui-là raccommode ses guêtres.
Puis viennent des scènes de bivouac, de marche et de combat. Elles
ont d'autant plus d'attrait qu'elles se dénouent souvent au milieu du
plus grandiose paysage. C'est l'œuvre d'un naturiste qui ne voit que
l'ossature extérieure des hommes et des choses. L'àme lui échappe , ou
plutôt ne le préoccupe pas. Il y a plus de psychologie dans le Joueur,
simple histoire d'un jeune gentilhomme, riche, beau, intelligent, et
dont le démon du jeu finit par glacer le cœur, gâcher la vie et salir
toutes les nobles aspirations. Cependant le Joueur et Au Caucase sont
des œuvres, à mon sens, trop vantées, qui n'ajoutent rien à la légitime
gloire littéraire de l'auteur de la Guerre et la Paix.
30. — M. Xavier Marmier, de l'Académie française, continue à
écrémer le dessus du panier des Contes populaires des différents pays.
Nous sommes à la deuxième série. Elle offre le même attrait que la
— 2o —
première. Contes irlandais, anglais, italiens, espagnols, serbes,
bohèmes, caucasiens, danois, russes, finlandais, mongols, musulmans,
tous se pressent pour former la gerbe, et elle contient des épis bien
séduisants, depuis le récit féerique à la Perrault jusqu'à l'apologue
chrétien. M. Marmier a peut-être tort de ne pas indiquer les sources
où il puise. Mais, comme il fait œuvre dc^ vulgarisateur plutôt que
d'érudit, ce défaut n'en est pas uu. L'ouvrage se termine par des
Légendes hébraïques. C'est une véritable révélation pour les lecteurs qui
ne connaissent que les récits inspirés de l'Ancien et du Nouveau Tes-
tament. Les Contes populaires de M. Marmier peuvent être lus indis-
tinctement par les petits et les « grands » enfants. Tous y prendront
« un plaisir extrême. »
31 et 32. — Je recommande aussi, les yeux fermés et en toute sûreté
de conscience, les Nouveaux Contes du bivouac, de M. Charles Rabour-
din. Il m'est impossible de donner le même certificat à Marthe et aux
autres Nouvelles militaires, de M. G. Le Faure. Il en est deux ou trois
aussi décolletées que les petites gravures, très finement dessinées
d'ailleurs, qui les illustrent. Le reste est charmant, et le reste s'appelle :
Flageot, César, le Glas des morts, Maman Sarrigue, la Mouche à Cocotte
(un petit chef-d'œuvre d'humour et d'esprit). Quant à Marthe, le récit
qui donne son nom au recueil, c'est l'histoire d'une pauvre fille qui,
pour soulager la misère de ses vieux parents, est forcée d'épouser un
certain Mauser, homme très riche, mais dont elle ignore la véritable
origine. Ce Mauser est un Prussien, et, qui pis est, un espion. Pendant
la guerre de 1870, Marthe fait le coup de feu contre son mari et le tue.
Elle meurt aussi, tuée par un officier allemand. Le patriotisme vibre
dans ces pages attristées. Le patriotisme est pareillement l'inspirateur
de tous les Contes du bivouac, de M. Charles Piabourdin. Quelques-uns
de ces contes sont de pures fantaisies, comme : Un Concert dans le
Sahara, la Légende du pantalon rouge, la Femme de VAuvergnat, le
Vieux Chanteur, le Petit Péché du commandant. Les autres sont des
traits de dévouement, d'héroïsme, d'abnégation, de bravoure, et d'es-
prit chevaleresque, empruntés à nos annales : Les Français àBazeilles,
la Reine Blanche au siège de Bélesme, l'Empereur Alexandre et la Reine
Hortense, la Bataille d'isly, le Maréchal Davoust à Berlin, la Smala
d'Abdel-Kader et le duc d'Aumale, le Général Custine devant le tribunal
révolutionnaire, les Zouaves de Charette, Beaumanoir, bois ton sang! Je
voudrais voir les Contes du bivouac, de M. Rabourdin , pénétrer libre-
ment dans toutes nos casernes. Ceux de nos soldats qui les liraient en
tireraient plaisir et profit.
33, 34, 3b. — La Petite bibliothèque française, fondée par M. Jouaust
et inaugurée dernièrement par le Paysan, de M. Jean Sigaux, et Made-
moiselle Abeille, de Ferdinand Fabre, s'est enrichie, ce trimestre, de
- 26 -
trois nouvelles plaquettes : Dans VArgonne, par M. Jules de Glouvet ;
Josette, par M. André Theuriet; Une dot, par M. Ernest Legouvé. Dans
l'Argonne est un épisode des guerres de la Révolution. Un émigré et
sa fille concourent à la défense de ces Thermopyles françaises. L'émigré
meurt ; sa fille Marie est sauvée do la fureur révolutionnaire par un
jeune sergent des armées de la République. Elle épouse son protecteur
qui devient ensuite un des plus illustres généraux de Napoléon 1°'". Il
y a un mariage aussi dans Josette, et dans Une dot. Le poète Marius
Pignerol a le spleen. Il va se promener en Savoie. La pastoure Josette
Bastian lui plaît. Il en fait sa femme et le voilà guéri. L'historiette
de M. Legouvé est moins simple. Cela tient plutôt de la comédie bour-
geoise : acteurs, M. Desgranges, M™^ Desgranges, leur fille et leur
gendre. Papa Desgranges ne veut pas donner à sa fillette toute la dot
qui lui revient ; la mère Desgranges le veut ; la fillette ne dil rien ; le
futur est si épris qu'il épouserait sans un maravédis. De là, des scènes
domestiques de la plus franche gaîlé. Morale : il faut toujours qu'un
père reste plus riche que ses enfants, ne fût-ce que pour leur venir
en aide dans un moment de crise et les sauver d'une catastrophe.
M. Legouvé est ici d'accord avec Frédéric Leplay. Sa bluelle ne tient
que sur une pointe d'aiguille, mais il s'en dégage des étincelles d'es-
prit. Moralité irréprochable.
36. — Je n'en dirai pas autant des Gaîtés bourgeoises , de M. Jules
Moinaux. Rien de pornographique : oh ! non. Ce n'est que léger et
court vêtu. Il ne faut point s'en étonner : la plupart de ces « gaietés »
ont paru dans le Charivari et le Journal amusant. Parmi celles qui font
rire tout simplement, je citerai : le Mouchard, la Course de taureaux en
chambre et le Député de Bombignac. En creusant un peu, il ne serait
pas difficile de découvrir dans les recoins de celle-ci une très fine
satire. Il s'agit de Garengeot, député en tournée électorale, cheminant
dans une patache préhistorique avec un individu, très réjoui, qu'il
prend pour un voyageur de commerce. Se rappelant que feu Gambelta
flattait tout spécialement les émules de l'illustre Gaudissart, notre
candidat se met à parler : commerce, industrie, libre-échange (des
idées et des produits) à son compagnon de voyage, qui lui répond :
boniment, foules à amorcer, difficultés avec les maires quinteux.
Ahuri, Garangeot lui dit : — « Vous n'êtes donc pas commis-voj'-a-
geur? » A quoi son interlocuteur réplique : — « Moi? non; je suis
saltimbanque. » Tableau ! Il est vrai que Garengeot aurait pu ajouter :
fl Moi aussi! » Mais, en politique, ces choses-là ne s'avouent pas.
FiRMIN BOISSIN.
- 27 -
ART ET HISTOIRE MILITAIRES
1. Les Transformations de l'armée française. Essais d'histoire et de critique sur l'état
militaire de la France, par le général Thoujias. Paris, Berger-Levrauit, 1887, 2 vol.
gr. in-8 de 578 et 678 p., 18 fr. — 2. Les Bureaux de la guerre sous la Terreur,
par Maurice La Ches.vais, ancien chef de bureau au ministère de la guerre. Paris,
Baudoin, 1887, ia-8 de 20 p., 1 fr. — 3. La Légion étrangère, de 1831 à. 1887,
par le général Grisot, ancien colonel de la légion étrangère et du ler étranger, et le
lieuteriant Coulombo-n-, du 2'= étranger. Paris, Berger-Levrauit, 1887, in-8 de 590 p.
avec un plan, 10 fr. — 4. Le 1^^ Régiment de chasseurs d'Afrique, par Fer.vakd
Hue, avec 50 illustrations de Gil Baer. Paris, Lecène et Oudin, 1887, in-12 de 288 p.,
2 fr. — 5. Les Grandes Batailles de Metz, 19 Juillet-l8 août, avec cinq cartes des
opérations militaires, par Alfred Duqcet. Paris, G. Charpentier, 1888, in-16 de 342 p.
3 fr. 50. — 6. Les Derniers Jours de l'armée du Rhin, 19 août-29 octobre, avec deux
cartes des opérations militaires, par Alfred Dcquet. Paris, G. Charpentier, 1888, in-16
de 358 p., 3 fr. 50. — 7. Le Maréchal de Moltke, par ***. Paris, Quantin, 1888, gr.
in-18 de 268 p., 3 fr. 50. — 8. Les Héros de la défaite [Livre d'or des vaincus). Ré-
cits de la guerre de 1870-1871, par Joseph Tcrqua.\. Paris et Nancy, Berger-Levrauit,
1888, in-12 de 394 p., 3 fr. 50. — 9. Récits de la dernière guerre franco- allemande
(du 17 Juillet 1870 au 10 février 1871), par C. Sarr.ui.v, médecin principal. 3eédit.
Paris, Berger-Levrauit, 1888, in-12 de .327 p., 3 fr. 50. — 10. Essais sur l'Allema-
gne impériale, par Er.nest Lavisse. Paris, Hachette, 1888, in-16 de 345 p., 3 fr. 50.
— 11. L'Escrime dans l'armée, par le commandant Dérué. Paris, Quantin, 1888,
in-18 de 180 p., 5 fr. — 12. Dressage du cheval de guerre et du cheval de chasse,
suivant la méthode de feu M. le commandant Duthil, écuyer en chef de l'École de
cavalerie, par un de ses élèves. 2"= édit. Paris, Berger-Levrauit, 1888, in-8 de 208 p.,
3 fr. 50. — 13. Manuel d'équitation de la cavalerie allemande, trad. de l'allemand
par le commandant Chabert, du i" chasseurs, l^e partie avec 8 pi. Paris et Nancy,
Berger-Levrauit, 1888, in-12 de 178 p., 3 fr. 50. — 14. Service en campagne dans V ar-
mée allemande, trad. de l'allemand par le commandant Peloux, chef d'état-major de
la 26e division d'infanterie. Paris, Berger-Levrauit, 1888, in-12 de 252 p., 2 fr. 50. —
15. La Colonie et l'Emigration alleynande, par Jules Stoeckllv, ancien élève de
rÉcole polytechnique de Zurich, avec une préface de Raoul Postel. Paris , L. We.st-
hausser, 1888, in-18 de 274 p., 3 fr. 50. — 16. La Puissance maritime de l'Angle-
terre, par P. C, officier de l'armée française. Paris, Berger-Le\Tault, 1888, gr. in-8
de 160 p. avec 18 cartes, 4 fr. — 17. Xos Marins, par Étie.n.ne Tréfeu, avec une pré-
face de M. F. de Lesseps ; illustrations par Er.vest I^a.vglois et Guvos. Paris, Berger-
Levrauit, 1888, in-8 de 758 p., 10 fr. — 18. Fortification et Défense de la frontière
franco-italienne , par Un officier français. Paris, L. Westhausser, 1888, in-8 de 40 p.,
I fr. — 19. Journal-Agenda de l'officier. Paris, Baudoin, 1888, in-18 de 200 p., 2 fr.
— 20. Las Tropas de ingenieros en el ejército de combate. Madrid, imp. de For-
tanet, 1888, in-8 de 98 p.
II est incontestable que la littérature militaire traverse, à l'heure qu'il
est, une de ses plus fécondes périodes. Il faudrait remonter à la Res-
tauration ou aux premières années du règne de Louis XV, pour
trouver une époque qui puisse être comparée à la nôtre au point de
vue surtout du nombre des ouvrages publiés. Il est bon, d'ailleurs, de
remarquer que la fécondité que nous signalons se reproduit à époques
presque fixes. Elle apparaît toujours après une période militaire de
quelque importance, et, sans remonter au-delà du xvii^ siècle, nous
pouvons signaler, en deux cents ans, celle qu'on vit se produire après
les guerres de Louis XIV, avec des écrivains tels que Feuquières, Puy-
ségur, Folard; celle qui succéda aux campagnes de Frédéric et qui
— 28 —
produisit des auteurs tels que Guibert, Mesnil-Durand, Lloyd, Jomini;
enfin la période de la Restauration qui enfanta les écrivains militaires
du premier Empire: les Morand, les Chambra.y, les Gouvion-Saint-Cyr,
les Mathieu-Dumas, etc.
Les changements introduits dans l'organisation des armées, dans
leur armement, dans la tactique par les événements militaires allant
de la guerre du Danemark (1862) à la campagne russo-turque de 1877,
événements distincts à la vérité, mais qui, au point de vue des ensei-
gnements et de l'histoire militaire, forment un tout, une même période,
tous ces bouleversements administratifs ou tactiques ne pouvaient
manquer de produire de profondes impressions sur l'esprit des hommes
spéciaux qui y avaient pris une part plus ou moins active. C'est ainsi
qu'à la suite de 1866 et après Sadowa, nous vîmes les hommes d'épée
revenir naturellement à la plume, et présenter à leurs contemporains
les réflexions que leur inspiraient les faits récemment accomplis. Le
mouvement a continué à se développer après 1870 et a augmenté encore
d'intensité à la suite des événements de 1877-78 dans les provinces
balkaniques; il continue actuellement son évolution, faisant éclore
chaque jour un nouveau livre, un nouveau traité, tantôt bon, tantôt
médiocre, plus souvent médiocre que remarquable.
Dans cette moisson abondante offerte à tous les gens qu'intéresse
l'étude des questions militaires, le nombre des travaux ayant un
mérite sinon transcendant, du moins très appréciable, est encore con-
sidérable, et parmi les meilleurs, nous pouvons inscrire le livre que
M. le général Thoumas a consacré aux Transformations de l'armée
française.
1. — C'est une tendance assez générale parmi les hommes de nos
jours, de faire fi volontiers de tout ce qui a existé avant eux, de croire
que la France n'existait guère avant leur naissance, d'admettre tout au
plus qu'elle a commencé en 1789, ou, si l'on veut, avec Voltaire et
Rousseau. Dans l'armée, où forcément le culte des traditions est plus
religieusement observé, où la chaîne des souvenirs est plus solide,
celte façon de penser est moins commune. Cependant il n'est pas rare
de la rencontrer. Inutile de dire que l'ignorance la plu^ noire est
l'unique base sur laquelle se fonde ce dédain. N'ayant jamais étudié
ce qui se passait avant eux, les hommes nouveaux sont tout naturel-
lement portés à s'imaginer que ce passé est un néant. Or, il advient
en particulier pour tout ce qui touche aux questions militaires, que
nous tournons, depuis Xénophon, dans un cercle qui ne varie guère,
et que nous trouvons dans la Retraite des Dix mille, par exemple, une
formation en ligne de colonnes de compagnies, exactement copiée, à
son insu, sans doute, par le rédacteur du Règlement sur les Manœuvres,
du 12 juin 187b.
- 29 -
M. le général Thoumas ne remonte pas à Cyrus : son livre ne nous
parle guère des campagnes antérieures au commencement de notre
siècle; mais de l'étude attentive des campagnes napoléoniennes, il
ressort nettement que, depuis cette époque, nous nous sommes appli-
qués avec un soin jaloux à nous défaire peu à peu des qualités mili-
taires qui firent, à cette date, de notre armée la première armée du
monde. L'éminent écrivain passe en revue dans les deux gros volumes
qui composent son œuvre, tous les services, toutes les armes, tous les
rouages, les pièces multiples de cet agencement complexe qui cons-
titue une armée. L'histoire de l'infanterie, de la cavalerie, de l'artille-
rie, du génie, du train des équipages, des états-majors, réserve et
troupes territoriales ou auxiliaires, forment un premier groupe, qui
remplit presque en entier le premier volume. Puis viennent les ques-
tions d'organisation, telles que le recrutement, la création des cadres,
l'avancement, l'organisation générale, la mobilisation et la concentra-
tion. Trois longs chapitres sont consacrés aux services administratifs,
à l'armement, l'habillement, l'équipement, à l'histoire du matériel, des
transports et des ravitaillements ; enfin, nous entrons dans la tactique
proprement dite avec les pages consacrées aux camps, aux cantonne-
ments, aux bivouacs, aux marches, aux batailles et aux combats.
L'ouvrage se termine par des considérations élevées sur le comman-
dement, la discipline et l'esprit militaire. Les Transformations de l'armée
française dénotent chez l'auteur beaucoup de lecture, une mémoire
prodigieuse, une vaste érudition, un grand bon sens, et l'Académie
n'a agi que justement en attribuant l'un de ses prix à ce travail véri-
tablement remarquable. Toutes les matières dont nous venons de
donner une aride nomenclature sont étudiées avec une ampleur, une
méthode, un luxe de détails historiques, qui font de l'œuvre du général
Thoumas une véritable encyclopédie militaire. Mais ici, les sujets,
présentés non plus dans l'ordre alphabétique, mais enchaînés suivant
un groupement judicieux et rationnel des idées, sont traités avec des
vues d'ensemble qui permettent de les étudier sous des faces plus
multiples et en corrélation les uns avec les autres.
Cette histoire de Tarmée française se lit, d'un bout à l'autre, avec un
intérêt croissant et, tout technique qu'elle soit, elle s'adresse aussi
bien aux lecteurs militaires qu'à ceux qui ne le sont point. Grâce à
cette érudition variée dont nous parlions tout à l'heure, l'éminent
écrivain a jeté à profusion, dans ces douze cents pages, les anecdotes
les plus curieuses, parfois les plus piquantes, bien des mots oubliés ou
ignorés, enfin, une foule de détails historiques du plus vif intérêt et
souvent d'une portée considérable. On peut regretter que ce livre ne
soit pas médité davantage par des hommes politiques, auxquels sa
lecture serait du plus grand profit. Au moment où les Chambres fran-
- 30 —
çaises s'occupeut de voter une loi militaire dont l'adoption doit avoir
pour notre armée des résultats si redoutables, il serait à souhaiter que
nos sénateurs et nos députés étudiassent avec soin les Transformations
de l'armée française. Les leçons du passé nous épargneraient bien des
fautes pour l'avenir. — Si nous en exceptons la façon dont ont été
groupées les matières , et que nous aurions voulu un peu différente,
il n'y a véritablement que des éloges à donner à la publication du gé-
néral Thoumas. A notre avis, rien n'a été imprimé, depuis V Armée
selon la Charte, du général Morand, qui vaille ces deux volumes. Nous
disons rien, et nous n'exceptons pas de cet ostracisme l'Armée fran-
çaise en 4867, si remarquable que soit le livre du général Trochu.
En résumé, les deux volumes que vient de couronner l'Académie
constituent un de ces ouvrages qui font époque dans la littérature
militaire : ils survivront certainement aux innombrables productions
que nous voj^ons éclore chaque jour, et dont la plupart traitent des
questions d'actualité, laissant de côté les principes, les bases im-
muables des organisations d'armée. La plupart des maximes du général
Thoumas seront vraies de tous les temps et sous tous les régimes : c'est
ce qui les mettra à l'abri des fluctuations de l'opinion, des répulsions
ou des engouements journaliers.
2. — M. Maurice Georget La Ghesnais, l'érudit qu'ont fait connaître
divers travaux estimés, nous donne aujourd'hui un curieux document
sur la constitution des Bureaux de la guerre sous la Terreur. Nul
n'était mieux en situation de publier une pièce de ce genre, M, La Ghes-
nais ayant passé la plus grande partie de sa vie au ministère de la
guerre, où il occupait récemment la place de chef du bureau du per-
sonnel de l'administration centrale. Ge document, trouvé, il y a
quelques années, par M. Sœhnée, alors chef de bureau de recrutement,
dans une armoire poudreuse, n'est autre qu'un volumineux cahier de
format écu, imprimé sur ce grossier papier gris-vert, commun à tous
les dossiers de la période révolutionnaire, et dans lequel se trouvait
la liste de quatre cent cinquante-quatre employés de la guerre, sous
les ministères de Pache et de Bouchotte, c'est-à-dire sous la Terreur.
D'après les trop brefs extraits cités par M. La Ghesnais, nous voyons que,
dans le document en question, chaque nom est suivi d'une notice plus
ou moins explicite; mais, à part quelques personnages tristement
célèbres, comme Vincent et Ronsin, nous ne voj'ons là aucune noto-
riété bien établie. Gomme le dit l'éditeur, plus que le nom des répon-
dants, ce sont les références de chacun qui présentent la partie la plus
curieuse du document. En premier lieu vient Danton comme le patron
à la clientèle la plus nombreuse : puis, en seconde ligne, les adjoints
du ministre de la guerre : Santerre, Couthon, Carnot, Dubois-Crancé ,
Monge. — 0 Ni Robespierre ni Marat, ceux-là sont des solitaires qui ne
- 31 -
protègenl personne, et se défient de tous. » En terminant son livre,
M. La Cliesnais estime que les documents comme celui qu'il a publié
sont aujourd'hui trop rares pour que l'on puisse essayer de reconsti-
tuer l'histoire du ministère de la guerre. Malgré cette affirmation, nous
nous obstinons à penser qu'un travail de ce genre ne serait point au-
dessus des forces du judicieux écrivain Sur un pareil sujet personne
n'a sa compétence: ses souvenirs personnels l'aideront encore dans une
œuvre véritablement digne de ses soins. Dans le livre dont nous parlons,
M. LaChesnais déplore, à propos de la période révolutionnaire, au minis-
lère de la guerre, que personne n'ait alors songé à écrire les scènes
intimes dont il avait été le témoin. Il est certain que nous eussions
assisté à d'étranges spectacles, s'il faut s'en rapporter à ce qu'en écrit
Dumouriez : « L'hôtel de la guerre est devenu une caverne indécente,
ou quatre cents commis, parmi lesquels plusieurs femmes, affectant la
toilette la plus sale et le cj^nisme le plus indécent, n'expédient rien et
volent sur toute la ligne. » Personne, ajoute M. La Chesnais, ne songe
à recueillir des détails qui paraissent banals parce qu'ils sont contem-
porains, nul ne pense à les enregistrer, et c'est ainsi que s'efface peu
à peu la physionomie exacte du passé.
3 et 4. — C'est précisément pour garder le souvenir d'événements
dignes d'être recueillis et conservés , qu'ont été ouverts les historiques
de régiments du genre de ceux que nous examinons ici : l'histoire de
la Légion étrangère de /53/ à 1887 et celle du Z'^'' Régiment de chasseurs
d'Afrique. Autrefois, en France, c'était une coutume suivie de tenir dans
chaque famille un « livre de vie » où les divers événements de l'exis-
tence commune étaient enregistrés avec soin : il nous est parvenu de nom-
breux documents de ce genre, et de tels cahiers ont été d'inestimables
auxiliaires pour les écrivains qui ont essayé de reproduire la physio-
nomie de la société française dans les siècles qui nous ont précédés. —
Le régiment, qui est une grande famille, ne pouvait manquer d'avoir
lui aussi son « livre de vie, » et la coutume d'écrire au jour le jour les
faits intéressants des différenls corps de notre armée est bien antérieure
à la Révolution. Le livre du général Grisot et du lieutenant Coulombon
n'a pas la sécheresse qui dépare souvent des ouvrages du même genre :
çà et là des récits pleins de couleur, — celui du combat de Gamarones,
au Mexique, par exemple, — viennent lui donner une vie et une
chaleur qui en rendent la lecture attachante.
Plus vivant encore est le volume consacré aul^"" Ghasseurs d'Afrique
par M. Fernand Hue, un ancien brigadier du régiment. Que de noms
connus dans ces 300 pages, depuis celui du brave Yusuf jusqu'à celui
du grand Margueritte, vaillamment tombé sur le champ de bataille de
Sedan. Comme dans le précédent ouvrage, la note héroïque disparaît par-
fois pour faire place à de gais chapitres, comme le dixième par exemple,
- 32 -
destinés à nous montrer le régiment « en garnison et en détachement. »
Nous faisons là connaissance avec l'ordinaire , le cuisinier, la vie au
bivouac et même avec « la blanchisseuse. » En somme , volume sans
prétention mais non sans intérêt.
5 et 6. — M. Alfred Duquet, qui s'est déjà fait un nom dans la litté-
rature militaire par des publications justement remarquées, vient de
consacrer deux volumes au drame qui se déroula autour de Metz du
14 août 1870, jour de la bataille de Borny, au 29 octobre, date de la
capitulation de l'armée du Rhin. M. Duquet n'a jamais servi qu'au litre
auxiliaire, croyons-nous; mais il est certain qu'il a, pour raconter les
événements militaires, un talent que plus d'un écrivain du métier lui
enviera. Son livre, qui est bon, eût pu être excellent si l'auteur s'était
borné à enregistrer les faits, à les étudier au point de vue militaire,
s'il ne s'était tant attaché aux personnalités, si enfin il ne s'était insti-
tué accusateur et juge dans une cause où la situation de « rapporteur »
était déjà ardue à bien remplir. Le grand défaut du livre de M. Duquet,
il l'a inscrit lui-même dans sa préface : a La difficulté, dit-il, quand on
écrit l'histoire contemporaine, ne consiste pas tant à découvrir la vérité
qu'à oser la dire. Il faut froisser impitoyablement des intérêts, des pas-
sions, des susceptibilités souvent respectables... Mais alors quel déchaî-
nement dans tout ce monde de généraux et de fonctionnaires... Il est
si dur de reconnaître qu'on a prodigué son admiration à des célébrités
militaires tout au plus dignes d'être tambours... Cependant, j'irai tou-
jours droit devant moi en dépit de la colère des uns, des mauvais pro-
cédés des autres. Rien ne saura arrêter la liberté de mes critiques,
l'inexorable sévérité de mes jugements. Je continuerai l'œuvre entre-
prise, sans hésitation, sans crainte, sans trêve ni repos. »
Un historien qui débute avec ce parti pris « de saper des réputations
usurpées » finit rapidement par voir des usurpations partout. L'impar-
tialité parle avec plus de calme, la sagesse ne connaît pas ces emballe-
ments. Ces critiques faites, nous nous hâtons de reconnaître que les
deux volumes de M. Duquet attestent un travail considérable. L'émi-
nent écrivain a lu sur la matière tout ce qui a été écrit de sérieux et
d'important, il connaît bien la plupart des événements, il les présente
avec clarté, dans leur enchaînement normal, rationnel. Pourquoi
faut-il que les meilleures pages soient gâtées par des personnalités,
des réfiexions qui n'ont rien à faire au récit, qui rencombrent à tous
les points de vue ?
« Qu'on jette les yeux sur la carte dressée par le grand état-major
prussien pour la soirée du 15 août, nous dit quelque part M. Duquel,
on reste confondu d'abord, frémissant d'indignation ensuite à la cons-
tatation de l'ineptie de nos généraux de cavalerie. « Quel est le Français
qui n'éprouvera pas un sentiment pénible ou lisant ces lignes, quand
— 33 —
il songera surtout que parmi ces hommes si durement traités, tous
avaient un passé militaire brillant et que deux d'entre eux, Legrand
et Margueritte, allaient bientôt tomber sur le champ de bataille, don-
nant leur vie pour la patrie, arrachant à nos ennemis eux-mêmes un
cri d'admiration. — « Le cœur se serre, ajoute M. Duquet, à la pensée
que l'avenir de notre malheureuse patrie a été à la merci de semblables
nullités, dans la main de si piètres personnages. Oui, certes, les géné-
raux impériaux de 1870 ont manqué toutes les occasions, perdu les
plus belles parties ; ils nous ont livrés, pieds et poings liés, à l'Alle-
magne ; nous n'oublierons jamais leurs noms ! »
Préoccupé surtout de ne point laisser, sans la souligner, la moindre
faute échappée à nos généraux, M. Duquet n'aperçoit pas les bévues
énormes commises par l'état-major allemand. Le succès pour cet his-
torien semble pallier toutes les erreurs : sous ce rapport nulle critique
dans son œuvre. Cependant, aujourd'hui que nous sommes à près de
vingt ans des événements, aujourd'hui que la lumière s'est à peu près
faite sur la plupart des points controversés, aujourd'hui enfin que les
faits peuvent être considérés comme acquis définitivement, une his-
toire de la guene de 1870 doit être autre chose qu'une simple nomen-
clature de batailles. Pour que l'étude en soit profitable à la fois et inté-
ressante, il faut quelle soit didactique, c'est-à-dire que, sans tenir
compte des personnalités, elle analyse surtout les événements, qu'elle
en compare les procédés tactiques et stratégiques , qu'elle en arrive à
une conclusion pratique. Rien de tout cela dans le travail de M. Du-
quet. A vrai dire, et nous l'avons remarqué déjà, son livre représente
une somme énorme de travail : on peut le considérer comme un résumé
encyclopédique de tout ce qui a été écrit de plus sérieux sur la ma-
tière, et au point de vue documentaire ce travail restera. Il ne vivra
pas comme histoire proprement dite. Ce résultat est regrettable, car il
y avait là tous les éléments d'un succès sérieux et durable ; pourquoi
la politique et la question de personne sont-elles venues s'immiscer
là où elles n'avaient que faire ?
7. — De même que M. Duquet, l'auteur du Maréchal de Moltke est
un admirateur passionné du chef d'élat-major de l'armée allemande.
Mais là nous rencontrons un excès dans l'enthousiasme, alors que plus
haut nous l'avons dénoncé dans la critique. L'autem- anonyme de la
brochure que nous analysons, ne pouvant soutenir que les campagnes
de 1866 et 1870 n'aient été au point de vue stratégique d'une faiblesse
notoire, en arrive à poser des principes militaires tellement audacieux
qu'ils nous déroutent. « La supériorité dans le combat est tout aujour-
d'hui. » — « Quand on est sur de l'avoir, on peut tout oser; » — « Avec
elle qu'importe d'avoir sa ligne de retraite sur le flanc, une fron-
tière ou une rivière sur ses derrières, de se battre avec un front
Juillet 1888. T. LUI. 3.
— 34 -
supposé? » Ceci est fort contestable ; mais, en admettant que ces déduc-
tions fussent exactes, comment M. de Moltke pouvait-il compter en 1870
avoir la supériorité dans le combat, alors qu'il savait notre armement
très supérieur à celui de l'armée prussienne et que nos formations n'é-
taient point inférieures aux formations allemandes. A quoi a-t-il tenu
que Rezonville se changeât en une débâcle ? Est-ce bien la supériorité
dans le combat qui a donné au maréchal de Moltke ses succès? N'est-ce
pas plutôt le manque de combinaisons logistiques chez ses adversaires
tant en 1870 qu'en 1866? Simples questions que nous posons aux admi-
rateurs des slratégistes allemands.
8 et 9. — La guerre de 1870, si malheureuse qu'elle ait été pour
nous, ne renferme pas moins plus d'une page glorieuse pour nos
armes, et ce sont ces souvenirs honorables — quelques-uns au moins
— que M. Turquan s'est proposé de faire revivre dans son livre les
Héros de la défaite. L'idée était bonne, l'exécution demeure médiocre.
Nous regrettons en particulier que cet écrivain n'ait pas cru devoir
citer les auteurs auxquels il a emprunté ses récits, en les défigurant
plus ou moins. Tout autre et d'une tout autre valeur est l'ouvrage du
docteur Sarrazin, médecin principal en retraite, qui, dans ses Récils de
la dernière guerre, nous livre les notes prises par lui au jour le jour,
tantôt dans les ambulances, tantôt sur le champ de bataille, avec une
sûreté de critique, d'analyse et d'examen, qui font de son travail un
document précieux. Le docteur Sarrazin a assisté aux journées de Wis-
sembourg, de Frœschwiller, de Sedan, puis au siège de Paris, et son
récit pour toutes ces parties de la guerre est bien celui d'un témoin
oculaire. On y voit parfois la colère, toujours l'impartialité, mais par-
tout et surtout le patriotisme. Excellente publication d'un intérêt réel
que nos bibliothèques populaires feront bien de propager.
10. — Et comment les choses qui nous parlent, soit de la guerre de
1870, soit de l'Allemagne, ne nous intéresseraient-elles pas, quand cha-
cun sent que le compte ouvert il y a dix-huit ans n'est pas liquidé
encore, quand chacun comprend que l'Europe vit actuellement on état
de trêve armée, qui peut être rompue demain? Cette situation poli-
tique donne une actualité particulièrement attachante au livre que
vient de publier M. Eugène Lavissc sur l'Allemagne impériale, réu-
nissant en un volume diverses études que nous avions déjà lues à
des époques diflérenles dans la Revue des Deux-Mondes. Certains
chapitres ont vieilli (le premier et le troisième entre autres : l'In-
vasion dans le déparlement de l'Aisne et les Partis socialistes en Alle-
magne) ; mais les autres sont bien actuels et l'on ne perdra point son
temps en les lisant. Citons en particulier, les Élections au parlement
d'Allemagne, le chapitre sur la Crise économique, et enfin la conclusion,
État politique de l'Allemagne. Cependant au point de vue do la netteté
-So-
dés appréciations et aussi de l'élévation des idées, rien ne vaut dans le
récent volume de M. Eugène Lavisse les vingt-huit pages de l'Avant-pro-
pos. Il y a là, en quelques lignes, une étude approfondie, nette, très
claire, de la situation politique de l'Europe, un résumé des dangers que
court la paix générale , une série de pronostics que l'on sent vrais , fa-
talement appelés à se réaliser dans un bref délai. — « La guerre est
certaine, nous dit M. Lavisse, car l'Allemagne impériale vient de la
guerre et elle retourne à la guerre. A bello ad bellum, voilà son épi-
graphe. Elle vient de la guerre parce que la Prusse qui l'a faite est un
produit de la guerre. . . Terrible cercle vicieux que celui-ci : les États
ont des armées pour se défendre contre la guerre ; ils ont la guerre
parce qu'ils ont des armées. L'Europe aura donc la guerre parce qu'elle
se prépare à la guerre, les prétextes ne manqueront pas ni les raisons
graves. . . » En somme, livre très intéressant, d'une haute portée, plein
d'aperçus élevés et de considérations justes.
11. — Nous ne ferons pas un éloge aussi complet du livre que M. le
commandant Dérué vient de consacrer à l'Escrime dans l'armée. Il y a
certainement dans cet ouvrage de bonnes pages, mais on y rencontre
aussi des appréciations erronées : en tout cas, le sujet est incomplè-
tement traité et devra être remanié pour une seconde édition. Le
grand mérite de ce petit livre est d'attirer l'attention des militaires et
du public sur une sorte de gymnastique indispensable dans une armée
rationnellement entraînée, d'eu proclamer Tulilité, la valeur, tant au
point de vue pratique que moral. Le dressage physique du soldat, ca-
valier ou fantassin, est intimement lié à son éducation intellectuelle :
nos règlements ont eu parfois le tort de l'oublier.
12 et 13. — A propos de dressage, nous sommes amené à parler ici
du livre dans lequel un élève de feu le commandant Duthil, l'ancien
écuyer en chef de l'École de cavalerie, a résumé les principes et les
méthodes de son ancien maître de manège. On sait qu'en France,
comme dans tous les pays d'ailleurs, l'équitaiion militaire se distingue
de l'équitaiion civile, par suite de ce fait qu3 si toutes deux prétendent
donner des principes pour apprendre à se tenir à cheval, à manier
et à conduire une monture, la seconde diffère cependant de la pre-
mière, parce qu'elle sacrifie à certaines conditions d'élégance et de sou-
plesse, la vigueur et la solidité. M. le commandant Duthil a eu le mé-
rite de simplifier les procédés du comte d'Aure en leur donnant pour
base une étude plus approfondie et plus anatomique du cheval. Ces
principes, qui font aujourd'hui école en France, brillent par une sim-
plicité pleine de bon .sens, par une rationalité judicieuse qui leur
donne une valeur généralement admise aujourd'hui par tous les cava-
liers. Nous devons être reconnaissants au traducteur de nous avoir fait
connaître les procédés suivis pour l'éducation du cavalier militaire de
— 36 —
l'autre côté da Rhin el nous voudrions voir ces deux volumes enlrc
les mains de tous nos officiers de cavalerie , car il s'y trouve nombre
de judicieux conseils ; mais encore que la cavalerie allemande soit
excellente, nous continuons à penser, surtout après la lecture de ce
Manuel, que noti-e dressage français est supérieur aux méthodes ger-
maines. Si nous n'obtenons point de résultats avec nos procédés, c'est
que nous appliquons mal de bons principes : c'est la façon de faire de
nos instructeurs qu'il faut réformer. Gardons nos usages et nos mé-
thodes.
14. — D'ailleurs, c'est une vérité généralement méconnue, mais qui
n'en est pas moins réelle et qui saute aux yeux dès qu'on veut bien la
rechercher, qu'au point de vue militaire, les Allemands n'ont de bon,
la plupart du temps, que ce qu'ils nous ont emprunté. Gomment
n'être pas convaincu de ce fait en lisant ce nouveau Règlement sur le
service en campagne qui, par sa netteté, sa simplicité, semble un docu-
ment enlevé aux archives militaires du premier Empire, une page
qu'aurait signée Morand ou Davout? Mais ce n'est pas seulement dans
la forme que ce document est français : les principes de l'avant-
propos se trouvent presque mot à mot dans la correspondance de
Napoléon; quant aux divers services: avant-posles, reconnaissances,
marches, camps et cantonnements, on n'aurait point de peine à trouver
dans nos écrivains didactiques militaires les pages auxquelles le ré-
dacteur allemand a fait des emprunts. Nous renvoyons spécialement
aux traités des généraux de Préval et Lewal. Signalons en passant
certaines expressions que nos voisins, il faut nous y attendre, vont un
de ces jours nous reprocher de leur avoir empruntées, par exemple les
verbes: « patrouilliren, » aller en patrouille; « rangiren, » mettre
dans les rangs; « baïonnettiren, » frapper d'un coup de baïonnette. Il
y en a deux mille comme cela dans l'idiome de Goethe et de M. de Bis-
marck.
lo. — Si les Allemands ne faisaient que nous emprunter nos mots, nous
pourrions être bons princes el leur pardonner de tels larcins ; mal-
heureusement leur appétit insatiable demande une nourriture plus
substantielle. En paix forcée depuis 1871, ils ont senti le besoin d'uti-
liser quelque part leur activité sociale, et c'est dans des contrées loin-
taines que cette vitalité s'est fait sentir depuis dix-huit ans, plus peut-
être encore que sur le continent. On verra en lisant le livre de
M. Jules Stoecklin, de Zurich, l'incroyable développement qu'a pris
rAllcmagne sous des latitudes où son existence politi(iue était incon-
nue et ignorée il y a cinquante ans. D'ailleurs ce n'est point seulement
l'émigration lointaine de la race allemande que nous présente
M. Stoecklin. Dans la deuxième i)artie de son œuvre, nous faisons con-
naissance avec « l'Allemand en Kussie, » « l'Allemand en Pologne, »
— 37 —
« rAllemand en Hongrie, en Roumanie, en Galicie, en Bukovine, etc.,
etc. » C'est un chancre impitoyable qui ronge lentement l'ancien
comme le nouveau monde, un chancre qui sera bientôt mortel pour la
civilisation, si l'on n'y porto le fer rouge. Certains chiffres sont pour
nous particulièrement inléressants, par exemple ceux qui nous mon-
trent l'Allemagne commençant de prendre un pied à Madagascar,
sinon politiquement, au moins commercialement : décidément la pira-
tei'ie n'est pas aussi anéantie que nous avons, en France, la simplicité
de le croire.
16. — Cette expansion coloniale de l'Allemagne a suivi de près l'aug-
mentation et le développement de sa marine, marine naissante, marine
au berceau et déjà forte, déjà appréciable tout au moins, si elle n'est
pas redoutable encore. Dans le livre de M. Stoecklin, nous assistons à
cette éclosion d'une nouvelle puissance maritime et dans celui de M. P.
C, un officier de l'armée française, la Puissance maritime de l'Angle-
terre, nous voyons plutôt un empire qui s'affaisse et croule. Dans
sa très intéressante brochure, M. P. C, après des considérations géné-
rales sur la défense des colonies anglaises, nous promène dans les cinq
parties du monde, et nous donne une nomenclature détaillée des diver-
ses possessions britanniques. Un nombre suffisant de croquis éclaire
le récit. Le livre se termine par un tableau comparatif des flottes des
grandes puissances européennes.
17. — Puisque nous sommes dans la marine, parlons ici du livre que
M. Etienne Tréfeu vient de consacrer à Nos Marins. Au point de vue
littéraire, ce volume contient une curiosité. Nous voulons parler de la
préface due à la plume de M. de Lesseps. On sait que les productions
du récent académicien sont assez rares pour qu'on les signale soigneu-
sement à l'attention publique. Quant au travail m"me de M. Tréfeu,
malgré de très sérieuses qualités et un certain intérêt, il ne nous
parait pas entièrement digue de son beau titre. Par une coïncidence
singulière, ce livre, ne parlant que des marins « vivants, » ne fait pas
mention de l'amiral Courbet. En revanche, nous y pouvons lire l'inté-
ressante biographie de commissaires de la marine, de médecins, d'ad-
ministrateurs, etc., marins dont certains n'ont probablement jamais
navigué... que sur les bateaux-mouches. Par exemple, ce que nous
avons à louer sans réserve, ce sont les illustrations et l'exécution
typographique : les deux font honneur aux presses de la maison
Berger-Levrault .
18. — Avec Fortification et Défense de la frontière franco-italienne,
nous revenons sur le continent européen. Cette brochure, due à un
« officier français, » est une étude des routes qui traversent les Alpes
franco-italiennes, avec certaines considérations sur la façon dont la
défense ou l'attaque de ces passages pourraient être entendues. L'au-
— 38 —
teur étudie ensuite les divers systèmes d'invasion qui se présenteraient
à l'idée d'un général français entrant en Italie. Tout cela nous paraît
très fantaisiste et ne semble avoir aucune importance au point de vue
militaire.
19. — Signalons ici, en passant, le Carnet-Agenda que vient de pu-
blier la librairie Baudoin à l'usage des officiers d'infanterie. C'est un
petit livre qui rendra des services tant aux manœuvres qu'en campa-
gne, et nous le recommandons à nos camarades.
20. — Nous terminerons par une brochure que nous avons reçue de
Madrid et qui porte comme titre : Les Troupes du génie dans l'armée com-
battante. Nous devons tout d'abord rappeler que ce n'est point seulement
en France que des minisires de la guerre jaloux de popularité, présen-
tent aux Chambres des lois appelées à faire plus de bruit que de bien.
L'Espagne sous ce rapport, semble ne rien vouloir envier à notre pays,
et récemment encore, M. le général Cassola, ministre de la guerre,
déposait sur le bureau des Certes un projet qui n'aurait tendu à rien
moins qu'à bouleverser la constitution militaire de nos voisins d'outre-
Pyrénées. Il y avait certainement de bonnes choses dans le plan du mi-
nistre espagnol : mais il y en avait de mauvaises, notamment tout ce qui
concernait l'organisation des troupes spéciales, et la brochure que
nous avons sous les yeux ne laisse aucun doute sur le danger qu'eût
créé pour l'armée espagnole l'organisation « cassolienne » de l'arme du
génie. Ce petit livre, plein de bonnes choses, est dû, croyons-nous, à
l'éminent colonel Don Joaquin de la Llave ; il a fait grand bruit en
Espagne et n'a pas été sans influence sur rajournement prononcé du
projet Cassola. Arthur de Ganniers.
THÉOLOGIE
Sermons, instriic(ioii(i« et allocutions du R. P. Lagordaire.
Tomu III. Paris, Poussielgue, 18s8, in-s de vin-393 p. — Prix : 6 fr.
Le regretté P. Bayonne avait donné déjà deux volumes d'allocutions
duR.P. Lacordaire, recueillies çà et là, intégralement ou par fragments
et analyses. Il est mort avant d'avoir publié le troisième dont il ras-
semblait les matériaux. Le P. .Tuvenelon a achevé cette œuvre de piété
filiale. Ces pages n'ajouteront rien à la renonimée oratoire du P. La-
cordaire, mais elles le feront connaître sous de nouveaux aspects. Des
notices très bien faites, mises en tète de chaque discours, précisent les
circonstances où il fut prononcé : citons entre autres le Mémoire sur
l'état religieux et nmral des collèges royaux de Paris, rédigé en 1830;
les plaidoyers dans la poursuite en calomnie intentée parles aumôniers
contre le journal te Lycée, dans les procès du journal l'Avenir, de
l'École libre, etc.; les allocutions sur la dignité du soldat, sur l'in-
— 39 —
tluence de la parole pour le bien et pour le mal, sur les avantages, les
consolations et obligations de la vie religieuse; sur Fétat des esprits
en France en 18'i9 et les moyens de régénérer la société; sur la puis-
sance de la prière, la nécessité des lectures sérieuses. Il y a plusieurs
exhortations du P. Lacordaire à ses religieux, sur l'humilité et l'es-
sence de la vie religieuse ; mais comment n'y en a-t-il pas davantage?
Il semble que là il eût dû. mettre toute son âme ; plusieurs discours
adressés à des membres de la Société de Saint- Vincent de Paul, à des
jeunes gens, deux conférences inédites de Notre-Dame et ses articles
sur M™*^ Swetchine et le P. de Ravignan complètent un volume où ceux
qui ont connu le P. Lacordaire et goûté ses œuvres trouveront encore
plus d'une jouissance. H. de L'É.
SCIENCES ET ARTS
liA Horale de Socrate, par M™* Jules Favre (née Veltex). Paris,
Alcan, 1888, in-18 de ni-328 p. — Prix : 3 fr. bO.
Jusque chez les plus grands hommes de l'antiquité, on peut décou-
vrir bien des taches; il eu est, du moins parmi ses philosophes, dont
l'enseignement s'est élevé à une hauteur vraiment surprenante. Et sur
bien des points, ceux qu'on a appelés « les païens modernes » auraient
tout à gagner à se mettre docilement et sans arrière-pensée à l'école
de ces sages antiques, chrétiens à l'avance par les plus nobles de leurs
aspirations.
Dans une brochure qui eut en 1881 un certain retentissement, So-
crale et notre temps, M. Gustave d'Eichlhal écrivait : « Chez Socrate,
l'élément primordial, ce n'est pas le génie dialecticien , si puissant
qu'il soit, c'est l'esprit religieux, c'est cette lumineuse et virile piété
qui lui fait associer en un merveilleux concert la Divinité et le monde,
la Providence divine et la spontanéité humaine, la foi religieuse et la
raison savante. » L'éloge, peut-être empreint de quelque exagération,
n'est certes pas absolument immérité, et c'est une pensée semblable
qui a dicté à M"»^ J. Favre, directrice de l'École normale supérieure des
jeunes filles à Sèvres, le petit volume dont nous avons à rendre
compte.
Il se divise en deux parties intitulées: Dieu et VAme, comprenant
chacune une série de chapitres, découpés eux-mêmes en paragraphes
d'une façon assez arbitraire. Ce n'est pas le seul défaut du plan. Chaque
subdivision s'ouvre par une sorte de résumé ou de commentaire, suivi
immédiatement des textes eux-mêmes comme d'autant de pièces jus-
tificatives : procédé qui entraîne des répétitions désagréables de pen-
sées et même d'expressions.
Ce livre, comme d'autres analogues, est-il destiné à préparer et à.
— 40 -
légitimer la substitution de la morale philosophique à la morale reli-
gieuse dans certains établissements universitaires? Nous n'oserions
rien affirmer : ici nous n'avons qu'à l'examiner en lui-même, et l'im-
partialité nous fait un devoir de déclarer d'abord que la note chrétienne
n'en est pas aussi absente qu'on pourrait le redouter, et ensuite que
sur Dieu, sur ses attributs, sur la part qu'il s'est réservée dans les
affaires de ce monde, Socrate et Platon, son disciple en même temps
que son interprète, ont des réflexions d'une profondeur remarquable.
Bien plus, ils croient, l'un et l'autre, « à une déchéance morale de
l'humanité, et par conséquent à la nécessité d'un relèvement, d'une
victoire de la nature supérieure de l'âme sur sa nature inférieure, vic-
toire qui doit couronner une lutte plus ou moins longue et pénible, et
nous renouveler sur le modèle de la divinité. »
De là aux yeux de ces deux sages, l'importance capitale reconnue à
l'éducation. « De toutes les choses sur lesquelles l'homme peut de-
mander conseil, il n'y en a point de plus divine que ce qui regarde
l'éducation de soi-même et d'autrui. d Malheureusement, comme on le
sait, en cette matière tout n'est pas à louer dans les prescriptions pla-
toniciennes. Ainsi pendant que Xénophon, dans son Economique, nous
trace un tableau charmant du rôle de la femme au foyer domestique ,
l'auteur de la République et des Lois insiste sur « la nécessité de donner
autant qu'il se pourra et en tout la même éducation aux femmes qu'aux
hommes; > et les termes qu'il emploie ne choquent pas moins le lec-
teur moderne que les mesures dont il propose l'adoption. En ce qui
touche ce que M"*° Favre appelle « les affections électives, » il se dégage
même des plus beaux développements du Phèdre et du Banquet je ne
sais quelle émanation|délétère de certaine corruption hellénique. Enfin
sur le fondement même de la morale, Socrate et Platon, en exaltant
l'intelligence au détriment du libre arbitre, en confondant la vertu
et la science, ont cédé à la même illusion qui fait croire aujourd'hui à
certains hommes d'État qu'instruction et moralité sont toujours et
partout synonymes. Dans un livre sur la morale de Socrate, ces réserves
devraient, ce nous semble, être plus nettement indiquées.
G. Huit.
li'Kducation en Angleterre. Collèges et Université«,,
par Pierre de Coubbrtin. Paris, Hachette, 1888, in-12 do 326 p. — Prix :
3 fr. Î3U.
Sous la forme de notes, de tableaux de voyage, et avec une abon-
dance de souvenirs personnels pleins de charme, M. de Coubortin n'a
retracé rien moins que l'esprit de l'éducation anglaise. Il nous fait par-
courir successivement les grandes écoles secondaires, les Public Schools,
Eton, Ilarrow, Rugby, Winchester, et les autres, les grandes écoles
- /j1 -
catholiques des Oratoriens et des Jésuites, puis il nous conduit à Ox-
ford et à Cambridge, ces grands foyers de la haute culture sociale. Il
termine par une station à Toynbee Hall, cette magnifique œuvre d'é-
ducation populaire formée dans le plus triste quartier de Londres par
des gradués des universités admirablement dévoués. Le cadre est com-
plètement rempli, car il n'oublie même pas une course aux deux uni-
versités de Dublin qui font un contraste saisissant avec la vie brillante
des universités anglaises.
M. de Coubertin a concentré ses observations sur l'éducation donnée
à la haute classe. On ne trouve dans son livre que quelques indica-
tions sommaires mais judicieuses sur l'éducation de la classe moyenne;
ce sont les hautes classes qui par leur formation morale inûuent sur
les autres. Il s'inspire à la fois de Le Play et de Taine, mais il les « met
au point, » car la société anglaise marche et se modifie sans cesse. Il
a vu fonctionner les écoles, il a interrogé les maîtres, surtout il a vécu
au milieu des étudiants, et il est encore assez près de ses années de
collège pour pouvoir faire des comparaisons avec les mœurs et les pra-
tiques des collèges français. C'est là qu'est le grand intérêt de cet ou-
vrage et sa haute portée. Le piquant des observations y est joint à
une sûre doctrine sociale.
Notre système d'éducation surmène les enfants par l'exagération des
études ; surtout il les anémie et les énerve par l'absence de liberté
honnête, par la privation des exercices phj^siques, par une surveillance
étroite qui développe à la fois la haine de la discipline et, ce qui est
plus triste, l'habitude du mensonge chez le collégien français. Le résul-
tat en est la multiplication, à la fois, des « déclassés » et des « petits
crevés. » A ce mal si complexe , les remèdes doivent être multiples.
M. de Coubertin insiste surtout sur la nécessité de faire une beaucoup
plus large place dans la vie scolaire aux exercices physiques, surtout
aux exercices spontanés qui développeraient chez nos jeunes collé-
giens l'habitude de l'endurance, l'esprit d'initiative et le goût de l'as-
sociation. Mais ce serait méconnaître la portée de son livre que d'y
voir seulement cette conclusion. Il indique parfaitement aussi la né-
cessité de l'abstention de l'État en matière d'enseignement et d'éduca-
tion. L'éducation anglaise, à plusieurs époques, a laissé gravement k
désirer. Elle s'est toujours réformée sous l'impulsion de quelques édu-
cateurs dévoués par le cœur et éminents par l'intelligence. L'opinion a
pris parti pour eux, et la réforme s'est opérée parce que l'Angleterre
ne connaît pas le fléau de la bureaucratie universitaire.
Nous voudrions voir cet excellent livre aux mains de tous les pères
de famille, pourquoi pas aussi dans celles des mères? Si les directeurs
des écoles libres s'en inspiraient et réalisaient au moins la partie des
réformes que leur position subordonnée vis-à-vis de l'enseignement
- 42 -
officiel rend possible, ils auraient avancé notablement la cause de
l'enseignement chrétien. G. J,
Paris bieiifaifsant, par Maxime du Camp. Paris, Hachette, 1888, in-8
de o'i6 p. — Prix : 7 fr. 50.
M. Maxime du Camp poursuit son enquête sur la charité française.
Dans ses précédents volumes, il s'était attaché à l'examen des œuvres
catholiques; mais, dans ce Paris déconcertant, aucune religion n'a
accaparé le monopole de la pitié, de la sympathie rayonnante; il
y a des indifférents qui combattent (avec moins d'efficacité peut-être et
de ténacité) le même bon combat que les sociétés de Saint-Vincent de
Paul et les Sœurs de Charité ; il y a des protestants qui, après avoir
secouru les misérables de leur confession, n'oublient pas les autres et
ouvrent largement leurs bourses, leurs asiles, leurs maisons de refuge
aux souff'rants, aux dégradés de toutes les provenances ; il y a même
des millionnaires juifs (un ou deux) qui ne pourvoient pas seulement
aux maux de leurs frères en Israël, qui donnent par élan d'humanité
aussi bien que par raison de solidarité sociale... Sans doute, il serait
excessif de définir la vie parisienne une poussée de charité, mais les
faits colligés par M. du Camp prouvent qu'elle n'est pas toujours et
uniquement une poussée au plaisir. Quelques esprits chagrins pour-
ront insister : cette charité n'est-elle pas d'ordinaire un amusement,
une vraie partie de plaisir? — Quelquefois, en effet; mais ces censeurs
oublient d'ajouter que ce plaisir est le plus noble de tous. Bienheu-
reuse la cité qui n'en connaîtrait aucun autre ! Et heureuse encore la
cité qui le connaît ! Heureux Paris ! Cela compense et rachète bien des
turpitudes!
11 ne serait pas trop malaisé de dégager du livre de M. du Camp un
système coordonné qu'on pourrait appeler la conduite ou la pratique
de la charité. Cela servirait de philosophie ou, comme on disait autre-
fois, de morale à PmHs bienfaisant.
La bienfaisance a pour objet de fortifier les faibles et de refaire les
débilités. Les faibles — c'est-à-dire les enfants — sont secourus par
toutes les œuvres d'éducation ou d'instruction populaire ; les diaco-
nesses de la rue de Reuilly reçoivent dans leur école maternelle tous
les marmots du quartier, les surveillent, les débarbouillent, les caté-
chisent pour un grand merci que les parents oublient maintes fois de
donner ; les petits chiffonniers de la Cite du Soleil sont, de la part d'un
comité de dames protestantes, l'objet des plus vives sollicitudes; on
les initie aux arcanes de l'alphabet, on les exporte à la campagne pen-
dant les vacances... — Les œuvres de ce genre peuvent toujours con-
server l'espoir de bons résultats ; car les premiers souvenirs sont les
plus lents à disparaître : un peu de morale inculquée aux environs
de sept ans a mille chances d'infiuer sur la conduite future.
— 43 -
Pour les débilités, il faut distinguer. On comprend que je désigne
par ce nom tous les adultes qui sont en proie à quelque maladie phy-
sique ou morale. Il va sans dire que les maladies du corps, — quelle
que soit leur origine ou leur gravité, et il faut même dire : en propor-
tion de leur gravité — ont toutes droit à nos soins. Mourir est à la ma-
jorité des hommes une trop rude passe pour qu'il n'y ait pas un devoir
absolu de l'adoucir dans la mesure du possible, ce dont Paris ne se
fait pas faute, bien que ses bons vouloirs soient à présent contrecarrés
par les gens qui détiennent l'Hôtel de ville. Les hospices Israélites, par-
ticulièrement décrits dans le livre dont nous parlons, excitent presque
la jalousie du pauvre chrétien, tant ils sont spacieux, confortables et
parfois luxueux 1 ilais en pareille matière, on ne saurait reprocher à per-
sonne d'avoir lâché la bride à ses bons sentiments et dénoué les cor-
dons de sa bourse. — Il n'en est pas de même à l'égard de certaines
maladies morales, de celles qui revêtent un caractère d'incurabilité.
Là, le patient est perdu. Il y a des voleurs dont la conscience est
morte; il y a des femmes de qui les sentiments de pudeur se sont
irrévocablement retirés. Courir de ce côté serait de la peine et de l'ar-
gent perdus. Paris y a songé autrefois. Mais il devient positif et les
plus ou moins belles chimères de 1848 ne le hantent plus. Le temps
qu'il gaspillerait à évangéliser des déchéances sans recours , il l'em-
ploie à améliorer des situations plus dignes d'intérêt et plus suscep-
tibles de relèvement. Ainsi, VŒuvre des libérées de Sainl-Lazare, lais-
sant de côté les fatales victimes de la prostitution, s'efforce d'arrêter
une foule de pauvres femmes sur ce penchant ; elle les empêche parfois
de tomber dans cette geôle de Saint-Lazare, qui est un égoùt ; si la
complicité des circonstances ou leur faiblesse intime les y a plongées,
elle les accueille au sortir de prison, les habille, leur procure du tra-
vail honnête, se tient toujours prête à les secourir. Un tiers de ces
libérées est ainsi sauvé. — Parallèlement à cette œuvre, s'en déve-
loppe une autre, qui est analogue, mais poursuit un objet moins spé-
cial. Tous les libérés, hommes et femmes, ressortent de l'œuvre fondée
par M. de Lamarque, dont les asiles sont ouverts rue Lourmel et rue
de la Cavalerie. Peut-être, si elle eût existé, que Jean Valjean aurait
vécu les quarante années de bonheur qui lui étaient dues, et que Fan-
tine n'eût jamais connu l'attente nocturne au bord du trottoir. — Les
protestants ont aussi leurs œuvres de patronage, entre autres celles des
enfants insoumis, qui est des plus utiles, puisque, dans ce cas, la fai-
blesse de l'âge s'allie à la débilité vicieuse; il y a encore, rue de
Reuilly, un refuge ouvert aux hlles pauvres qui ont fauté, etc., etc.
Des hôpitaux et des dispensaires pour les misères du corps, des mai-
sons d'éducation et des sociétés de patronage pour les misères morales,
voilà en définitive les quatre espèces d'organes par lesquels s'est mani-
— 44 -
festée la charité parisienne, telle que M. Maxime du Camp nous l'a dé-
crite. Il ne me reste plus qu'à l'en remercier : ce que je fais de très
bon cœur. Ch. M.
Cientîle Bellinî et Sultan ITIoliatnmed II. Notes sur le séjour du
peintre vénitien à Conslanlinople, par L. Thuasne. Paris, Ernest Leroux,
1888, ia-4 de viii-71 p. — Prix : 12 fr.
Voici un travail de M. Thuasne qui se recommande par Férudition et
la beauté de l'ilhistration. « Ce sont, dit trop modestement M. Thuasne,
des notes pour chercher à fixer le caractère des rapports qui existè-
rent pendant près de quinze mois entre le sultan Mohammed II et le
peintre Gentile Bellini. » Après la paix de 1479, le sultan ayant de-
mandé à la seigneurie de Venise de lui procurer un peintre habile dans
Fart de faire les portraits, Gentile Bellini fut désigné pour se rendre
à Constantinople où il répondit pleinement aux désirs du sultan. Un
témoignage inédit, fourni par un Vénitien, Angiolollo, qui vivait à la
cour de Mohammed, précise pour la première fois la nature des rela-
tions établies entre le peintre et son protecteur. M. Thuasne, dont l'é-
rudition est abondante, fait ressortir la valeur historique des écrits
d'Angiolello, présente de très justes considérations sur les lettres de
Pie II et de Mohammed, critique avec sagacité les différents portraits
qu'on a de Mohammed et décrit celui qu'on doit à Bellini, actuellement
dans la collection du célèbre voyageur sir Henry Layard. Ce portrait
est reproduit ici en phototypie ; sept autres planches hors texte vien-
nent comme pièces à l'appui du récit ; la reproduction de l'envers delà
médaille de Costanzio, où Mohammed est représenté, et celle de l'envers
et du revers de la médaille de Gentile Bellini seront aussi remar-
quées. H. DE l'É.
BELLES-LETTRES
liUtliei*. Quadrô^historich-dramatich en prosa y vers, par Don JOAQUIN
HuBio Y Ors, mestre en Gay saber. Barcelone, Jepus, 1888, in-12 de 172 p.
GutciiibeB*«|. Quadro dramatich. Seconde édition, par le même. Bai'ce-
lone, estami)a de la casa provincial de Garitat, 188S, in-12 de 52 p.
Ce n'est pas seulement par des œuvres historiques et philosopliiques
que M. Rubio y Ors a donné la notoriété à un nom déjà plus d'une fois
inscrit dans cette revue ; M. Rubio y Ors est aussi l'un des meilleurs
poètes catalans contemporains et s'est révélé comme tel dès 18'i2, par son
Gailer del Lobregal. C'est ù. la poésie qu'il est revenu dans deux œuvres
récentes, mais à la poésie appuyée sur l'histoire, pour l'une d'elles
surtout. Il s'est comme effrayé de ^idéali^ation doal, de nos jours, Lu-
ther a été l'objel, de cette sorte de i>réénuiu'nce qu'on accorde au pro-
testantisme et tiont on admet trop fariloinent l'idée m'orne dans des
— 45 -
contrées qui ont échappé à la réforme , sans vouloir considérer que si
elles semblent dans un état d'infériorité, c'est non point parce qu'elles
sont catholiques, mais parce qu'elles ne le sont plus assez. M. Rubio y
Ors a voulu, dans une œuvre de foi-me dramatique, peindre Luther tel
qu'il fut, égaré par l'orgueil et les passions charnelles, il le met en
scène depuis le couvent de Wittenberg, depuis l'année 1518, jusqu'à sa
mort à Esleben en 1546. Il y a beaucoup de mouvement dans cette sé-
rie do tableaux que l'auteur n"a entrepris qu'après une longue étude
des temps où il se transportail. Les bons et beaux vers ne manquent
pas dans cette production vigoureuse; mais on se demande pourquoi,
maniant aussi bien la langue poétique, l'auteur ne l'a point parlée
d'une manière constante ; pourquoi il a voulu écrire en prose certaines
parties de son œuvre. L'exemple d'un mélange de ce genre a été donné,
je le sais, par Shakespeare, mais il a quelque chose qui étonne.
L'histoire de Gutenberg, dont quelques parties sont restées obscures,
a fourni à M. Ed. Fournier un drame en cinq actes et en vers joué à
l'Odéon en 1868; à M'"^ L. Figuier une pièce en prose, non représen-
tée, en cinq actes aussi. M. Rubio y Ors n'a demandé à la vie de Gu-
tenberg qu'un seul tableau dont la rupture du grand inventeur et de
ses associés a fourni le sujet. Ceux-ci, Jean Fust et SchaefFer, font
saisir les caractères, les machines créées par Gutenberg. M. Rubio y
Ors a, dans de très beaux vers, peint l'enthousiasme de Gutenberg pour
ses admirables créations, il a montré l'illustre imprimeur résistant
avec énergie à la saisie de sa presse, son œuvre, sa fille. Beau est aussi
le passage où Gutenberg parle de la puissance civilisatrice de sa dé-
couverte et s'effraie ensuite à la pensée qu'elle pourrait devenir un
instrimient de destruction... La générosité d'Adolphe de Nassau, qui
accorde une pension à Gutenberg et le met à l'abri des poursuites de
ses créanciers, termine cette pièce à laquelle M. Rubio y Ors, montrant
ainsi ses talents de poète dans deux langues, a joint une traduction en
vers castillans. Th. P.
Vleurs d'automne. Chansonnettes et Poésies {Hiérschiblu-
men : Liddercher a Gedichten), par MICHEL Lentz. Luxembourg, J. Heintze,
1887, in-18 de 381 p.
Il nous vient d'un pays ami un charmant petit volume dont le faux
titre s'étale sur un bouquet ; dont le titre est entouré de fleurons et les
pages d'un fin liseré ; dont les pièces commencent par des initiales
gracieusement décorées, et sont séparées par une tète d'ange, un oi-
seau, une fleur, un serpent ou un cul-de-lampe. Cette profusion d'or-
nements, d'ailleurs du meilleur goût, ne ferait que nous indisposer si
le contenu n'était pas digne de son enveloppe ; mais c'est le recueil
des dernières productions d'un poète qui est devenu classique de son
- 46 —
vivanl, el dont la Locomotive (Feierwon) est le chant national des
Luxembourgeois. Un vrai souffle de patriotisme anime en effet les
œuvres de l'aimable auteur, et il n'avait pas besoin d'autorisation
pour dédier à sa patrie le présent volume, comme il prend la liberté
de le faire dans sa première pièce ; et dans la dernière il est bien en
droit de demander que l'on écrive sur sa tombe : « Ici repose un en-
fant du Luxembourg à qui rien ne fut plus cher que son pays. » —
« Ce que j'aime le mieux à chanter, écrit-il ailleurs, c'est ma chère
patrie » (p. 48.) Il ne sort guère des limites du grand-duché, mais
que de belles et agréables choses n'y a-t-il pas dans le cercle étroit de
son horizon visuel ! Il voit et chante tout ce que l'on peut voir dans le
Luxembourg, sans en excepter le soleil et les étoiles ; aucun sujet, au-
cune créature, si humble soit-elle, ne lui paraît indigne de son atten-
tion ; mais s'il n'est rien de si haut que son Pégase ne puisse atteindre,
il ne s'égare pas non plus dans l'empyrée. La philosophie du bon sens
lui suffit, et c'est surtout les choses, les phénomènes, les hommes de
la nature, en un mot, la réalité qu'il excelle à peindre sans tomber
dans le réalisme. Tout lui sert de thème ; le prisonnier, le bohémien,
rémouleur, le tisserand, le perruquier, la forge, figurent dans plus de
deux cents pièces de vers en dialecte luxembourgeois, tout aussi bien
que le ruisseau, la montagne, les bois, les fleurs, l'insecte, l'oiseau, les
kermesses et les fêles de corporation ; il ne s'est servi du haut alle-
mand que dans dix pièces, la plupart relatives à la famille royale
grand-ducale et au premier évèque de Luxembourg. Les chiffres, qui
sont le fait d'un conseiller à la Chambre des comptes, n'ont ni tari sa
verve, ni desséché son imagination, ni altéré la fraîcheur de sa pensée.
Il affirme avec beaucoup de vérité que sa plume n'est pas trempée
dans le fiel; il ne satirise presque jamais, à peine décoche-t-il quelque
innocente épigramme ; les cordes idyllique et élégiaque sont celles
qu'il fait le plus souvent résonner ; il a une tendresse infinie pour
l'enfant, el les joies de la famille tiennent autant de place dans ce vo-
lume que les expansions du patriotisme. Si sensible que soit sa muse
pour tout ce qu'il y a de beau, elle reste toujours chaste et naïve ; sa
poésie est saine comme la population à laquelle elle s'adresse. Quoique
simple et naturelle, elle ne manque pas de virtuosité. On pourrait citer
telle chanson dont la facture est des plus brillantes. Il sait donner un
grand relief à sa pensée par l'emploi d'antithèses, de parallèles ou de
redondances vraiment populaires. Une bonne i)arliede ses pièces peu-
vent être chantées, et il a souvent indiqué les airs connus sur lesquels
il les a composées, ce qui les rend plus accessibles aux hommes du
peuple. Elles ont donc une portée d'autant plus grande qu'en cha-
touillant la fibre nationale elles cntreliennrnt l'amour de la patrie dans
le cœur des Luxembourgeois, et peuvent ainsi contribuer au main-
— 47 —
tien de leur indépendance et de leur neutralité, si favorables pour la
paix de l'Europe. E. Beauvois.
lie Grand Siècle. Bossiiet, par Mgr Ricard, prélat de la maison de
Sa Sainteté, professeur honoraire di s f'acultés d'Aix et de MarseQle.
Lyon, Vitte et Perrussel, 1888, in-12 de vi-387 p. — Prix : 4 fr.
Voici les dernières lignes du nouveau volume de Mgr Ricard : « Dieu
venait de retirer à l'Église et au monde la plus grande des lumières et
le plus beau des génies du grand siècle. » Cette appréciation heureu-
sement formulée ne saurait être taxée d'exagération. J'irais même plus
loin que le dernier historien de Bossuet et je dirais que, dans le
domaine des lettres, l'évêque de Meaux est le plus admirable et le plus
complet génie dont puisse se glorifier la France. Théologien, philo-
sophe, historien, controversiste , orateur, il est toujours et partout le
premier et sa gloire est de celles qui s'imposent à la postérité la plus
reculée. Après deux siècles, ses œuvres sont aussi actuelles, aussi
neuves, aussi vivantes qu'au premier jour. C'est pour cela qu'on ne se
lasse pas d'entendre parler de lui, et qu'après tant de travaux consacrés
à cette grande mémoire, le livre de Mgr Ricard sera bien venu auprès
de tous les esprits éclairés qui ont le culte des bonnes lettres.
Évidemment le dernier historien de Bossuet n'a pas prétendu tout
nous dire sur cette admirable vie ; pour y réussir, il faudrait de gros
volumes , et Mgr Ricard nous en donne un seul et encore n'est-il pas
très compact. Il est en revanche imprimé avec un luxe de fort bon
goût. Après avoir consciencieusement étudié et les œuvres de Bossuet
et les travaux estimables de ses devanciers, Mgr Ricard s'est appliqué
à mettre à la portée du commun des lecteurs ce qu'il est essentiel de
savoir sur la vie de son héros. Il y a réussi par son procédé ordinaire
qui consiste, on le sait, à présenter au lecteur une série de tableaux
agréablement écrits, où les principaux événements sont retracés avec
une mise en scène parfois un peu pompeuse, mais faite pour attirer et
retenir l'attention. Les personnes habituées aux études d'érudition ne
trouveront donc ici rien de bien nouveau, mais les autres, qui sont le
grand nombre, liront avec un véritable intérêt ces pages attrayantes.
Mgr Ricard est évidemment très sjTiipathique à Bossuet et il convient
de l'en féliciter absolument. Il faut reconnaître aussi que, tout en glis-
sant assez légèrement sur quelques événements où l'attitude de l'il-
lustre évêque ne fut peut-être pas absolument exempte de tout
reproche, le biographe s'est fait iin devoir de les indiquer d'une
manière suffisante. Bossuet est assez grand pour qu'on ne dissimule
aucun de ses actes. Il s'est trompé quelquefois, mais il a toujours été
conduit par l'amour de l'Église et le zèle de la vérité. Mgr Ricard s'est
appliqué, avec raison, à mettre en relief la vraie et tendre piété de
— 48 -
révêque de Meaux, à dévoiler les trésors de charité dont son âme fut
remplie. On ne sait pas assez qu'en Bossuet les qualités du cœur ne le
cédèrent pas aux dons de l'esprit : Tévèque, chez lui, mérite la même
admiration que l'orateur et l'écrivain. On doit savoir gré à son dernier
historien de l'avoir dit et de l'avoir démontré, E. A.
Mélanges^ grecs, par Cucuel et Allègre, maîtres de conférences
de philo o^Aa et de littérature grecques à la Faculté des lettres de Lyon
(Tome V de la Bibliothèque de la Faculté). Paris, Leroux, 1888, in-8 de vii-
103 p. — Prix : 3 fr.
Quand les sites les plus célèhres d'une contrée ont été suffisamment
explorés, la curiosité du touriste se rejette sur des régions demeurées
jusque-là à peu près ignorées. Il n'en va pas autrement en littérature.
Les traducteurs modernes, chose naturelle, se sont attachés d'abord
aux chefs-d'œuvre de l'antiquité, et maintenant, cette liste de choix
épuisée, nous les voyons consacrer leurs efforts aux auteurs de se-
cond et même de troisième ordre. C'est ainsi que dans ce volume de
Mélanges, M. Cucuel nous donne la première traduction complète en
français des œuvres attribuées à l'orateur grec Antiphon, assez sou-
vent confondu avec un sophiste contemporain du même nom.
Né dans une partie montagneuse et déserte de l'Attique, Antiphon,
venu plus tard à Athènes, n'y acquit jamais cette élégance qui sédui-
sait la foule dans la personne de Critias et d'Aleibiade. Son talent un
peu rude garda toujours l'empreinte du milieu où il avait grandi. On
raconte que le dégoût de la politique le détermina à se faire, durant quel-
ques années, professeur d'éloquence à Corinthe : d'après Quintilien, il
eut l'honneur de créer en Grèce la phrase oratoire.
Parmi les quinze discours édités d'ordinaire sous son nom, trois pa-
raissent se rapporter à des causes réelles ; le plus intéressant, à cause
des curieux détails de mœurs qu'il renferme, le plaidoyer en faveur
d'un Mitylénien poursuivi à la suite du meurtre d'un certain Hérode,
ne fait guère songer à un grand orateur.
(juaut aux quatre Télralogics qui suivent, les avis des critiques sont
très partages. Tandis qu'à l'étranger l'opinion générale les considère
comme apocryphes, en France elle penche pour leur authenticité. L'au-
teur y plaide le pour et le contre sur des sujets abstraits et généraux,
dégagés de toute complication inutile : au jugement de M. A. Groiset,
ce sont des modèles pratiques fort remarquables de la souplesse d'es-
prit que réclamaient alors les besoins de l'art récent du logographe.
Tels sont les discours que M. Cucuel vient de traduire, en cherchant
moins, ainsi qu'il en prévient ses lecteurs, à être élégant qu'à conser-
ver fidèlement l'aspect un peu sévère et souvent un peu embarrassé
du texte grec. Ce premier essai est d'un très bon augure, car M. Cucuel
- 49 -
nous promet une version semblable de tous les orateurs grecs non
encore traduits.
La dernière feuille de ce petit volume est occupée par une
dissertation assez ingénieuse de M. Allègre, relative à une scène des
plus comiques des Grenouilles d'Aristophane. L'explication nouvelle
qu'il donne d'un passage controversé choque quelque peu notre goût
et nos mœurs modernes; mais elle est tout à fait dans le genre et les
habitudes du Rabelais athénien. C. Huit,
madame de Cliateaubriand. liettres inédites à Ciausel
de Coussergues, par le chanoine G. Pailhès. Bordeaux, Feret, 1888,
in-8 de 114 p., avec o eaux-fortes. — Prix : 10 fr. (Tire à 100 exem-
plaires.)
Le Polyhiblion a parlé (t. XLIX, p. 69-70) des Mémoires de M"'*' de
Chateaubriand, publiés par M. le chanoine Pailhès, avec un apparatus
historique et critique très intéressant et très complet. Une nouvelle
bonne fortune est échue à cet écrivain délicat. La famille ce Ciausel de
Coussergues lui a confié un très curieux dossier renfermant la corres-
pondance de M"e de Chateaubriand avec celui qu'elle appelait « notre
meilleur ami » et dont elle avait fait « son ministre » au département
des bonnes œuvres.
M. le chanoine Pailhès ne s'est pas contenté d'aligner tels quels les
documents ou bien encore de les encadrer dans une sèche annotation,
il les a mis véritablement en œuvre. Il nous fait pénétrer plus profon-
dément encore dans l'intimité de M^^^ de Chateaubriand où son précé-
dent volume nous avait introduits ; il nous met directement en rap-
ports avec Ciausel de Coussergues, qui méritait infiniment mieux que
les courtes notices des dictionnaires et les lignes quelque peu dédai-
gneuses de Sainte-Beuve. Les lettres viennent ensuite, mais faisant
corps avec le récit qu'elles expliquent, expliquées elles-mêmes et dis-
cutées dans leurs détails et leurs allusions. Cette nouvelle contribution
à l'histoire du groupe de M^"^ de Chateaubriand est des plus impor-
tantes. M. Pailhès s'y montre très compétent en tout ce qui regarde
l'époque et le milieu, très famillier aussi avec les critiques et les his-
toriens qui l'ont devancé dans la carrière où il s'est engagé si brillam-
ment lui-même. Il discute et rectifie leurs erreurs avec beaucoup de
courtoisie et de bon goût.
Ce court et curieux volume a été tiré à cent exemplaires seulement,
sur papier de Hollande. Un excellent artiste bordelais, M. Léo Drouyn,
a gravé à l'eau-forte, pour l'illustrer dignement, cinq jolies vues de
l'infirmerie de Marie-Thérèse. E. A.
Juillet 1888. T. LIU. 4,
- m -
Ites Grandis Écrivains de la France. OSuvres du cardinal
de Retz. Tomes VI, VIII et IX, par R. Ghantelauze. Paris, Flachelte,
1887, 3 vol. in-8 de lxxvii-666, lxxiii-650 et XLiu-h6ô p. — Prix de chaque
vol. : 7 fr. 50.
Le tome VII de l'édition des Œuvres du cardinal de Retz, donnée
dans la collection des Grands Écrivains de la France par M. Alphonse
Feillet, M. J. Gourdault et, depuis le tome V, par M. R. Ghantelauze,
avait été publié en 1882, avant le tome VI. Il renfermait la correspon-
dance diplomatique de Retz, pendant les missions secrètes que lui
confia Louis XIV à Rome. Le tome VI a enfin vu le jour et bientôt
après les tomes VIII et IX, qui achèvent l'édition, du moins en ce qui
concerne le texte des œuvres, car nous ne possédons encore ni le lexi-
que qui doit terminer la publication, ni la biographie de Retz, qui doit
lui servir d'introduction générale. Il est à craindre, pour cette biogra-
phie, que la mort récente de M. Ghantelauze, qui a justement affligé
les amis des lettres, ne soit une cause de long retard.
Le tome VI comprend les lettres épiscopales, mandements et autres
actes et opuscules du cardinal de Retz depuis son arrestation, en date du
19 décembre 1652, jusqu'à sa rentrée en France, le 14 février 1662. Tous
ces écrits, ainsi que les documents publiés dans l'Appendice, se réfèrent
à la lutte engagée au sujet de l'archevêché de Paris entre Mazarin, qui
mit tout en œuvre pour en déposséder le turbulent titulaire, et Retz,
qui refusa avec une invincible opiniâtreté de se démettre de son siège.
— Le tome VIII contient des lettres de Retz à l'abbé Gharrier, son
envoyé à Rome, chargé d'y solliciter sa promotion au cardinalat ; ses
lettres à l'abbé Paris, à son intendant M. de la Fons, et sa correspon-
dance diverse. Un supplément à ce tome, distribué avec le tome IX,
renferme une série de lettres inédites de Retz au grand Gondé, tirée
des archives de Ghantilly. — Le tome IX et dernier contient quelques
écrits et discours de la jeunesse de Retz, et en particulier ses sermons
inédits ; les dissertations qu'il écrivit, pendant ses dernières années,
sur le cartésianisme, et un assez grand nombre d'actes et documents
divers publiés en appendice. — Ghacun de ces trois volumes est pré-
cédé d'une introduction historique et littéraire, due à la plume de
M. Ghantelauze. Les annotations philologiques sont l'œuvre de
M. Marty-Laveaux. M. S.
fEuvres et Correspondance inédites de d'Aleiubert ,
par Charles Henry. Paris, Periin, 18S7, in-8 de 352 p. — Prix : G Ir.
Corre.<<i|iondance inédite de d'Aleinbert, par Charles Henry.
Paris, Gaulhier-Villars, 1887. ln-'< lie 112 p. — Prix : 3 fr. 50.
M. Charles Henry est un infatigable chercheur. Depuis dix ans, il
ne cesse de mettre au jour di's documents nouveaux, particulièrement
sur les savants et les mathématiciens des deux derniers siècles. C'est
- 31 -
lui qui nous a fait connaître l'introduction à l'étude de la chimie,
écrite par Diderot pour le cours de chimie de Rouelle, très beau travail
publié pour la première fois, en juillet 1884, dans la Revue scientifique.
Aujourd'hui, il nous présente les œuvres et la correspondance inédites
de d'Alembert. Cette publication comprend deux parties : l'une, im-
primée à Paris, contient les œuvres et les correspondances diverses
du célèbre géomètre ; l'autre, donnée d'abord à une Revue italienne
et imprimée à Rome, contient spécialement la correspondance scien-
tifique.
On sait le rare génie de d'Alembert pour les mathématiques. Ses
travaux en astronomie et en mécanique sont de première importance.
On lui doit entre autres le fameux théorème qui ramène toute question
de mouvement à une question d'équilibre. Sa valeur comme écrivain
est plus contestable. N'était la part prise par lui au mouvement anti-
religieux, il n'eût pas obtenu un si haut rang parmi les hommes de
lettres du xviu° siècle. Les documents publiés par M. Henrj^ ne pa-
raissent pas devoir modifier l'opinion qu'on se faisait déjà de d'Alem-
bert comme littérateur et comme philosophe. Les œuvres nouvelle-
ment publiées sont de peu de valeur. îsous excepterions peut-être les
réflexions sur la musique, qui montrent en d'Alembert un précurseur
d'Helmholtz, dans la science de décomposer les sons en leurs harmo-
niques. La correspondance est plus intéressante, bien que M. Henry y
ait admis un certain nombre de pièces qui n'ont de valeur qu'à titre
d'autographes. Le volume publié à Rome contient plusieurs lettres
curieuses au point de vue de l'histoire des sciences au xviii® siècle,
telles la correspondance avec Lesage, avec Gastillon, avec Garac-
cioli, etc., et la lettre écrite à un inconnu en 1777, sur la rivalité enlre
les géomètres français et anglais.
Nous avons remarqué une lettre à Gondorcet, qui constate la fin
chrétienne de M^^^ Geoffrin. D'Alembert se plaint amèrement de la fille
de celte célèbre femme philosophe, qui Ta tenu écarté du lit de mort
du jour où sa mère eut reçu les derniers sacrements. Gette mesure
était sans doute rigoureuse, mais à parler franchement, toute la cor-
respondance inédite publiée par M. Henry montre, si besoin était,
qu'elle fut justifiée et que M™° de la Ferté-Imbault avait vu clair à
travers le respect officiel de d'Alembert pour le culte établi.
Nous citerons encore la curieuse correspondance de d'Alembert avec
Catherine II, qui avait eu la singulière idée de le donner pour pré-
cepteur à son fils. D'Alembert eut la sagesse de refuser. L'impératrice
ne tomba pas beaucoup mieux ; au lieu de d'Alembert, elle eut La
Harpe, un maître alors en incrédulité. Catherine II flattait les philo-
sophes, comme un moyen d'accroître son prestige en Europe, mais
elle n'entendait nullement leur sacrifier ses intérêts politiques. D'A-
- o2 -
lembert s'en aperçut bien, quand il voulut intervenir pour quelques
malheureux Français, coupables d'avoir pris part au mouvement polo-
nais de 1772.
Signalerons-nous en terminant quelques lettres de d'Alembert à
M"^ de Lespinasse ? Mon Dieu ! oui ; il est utile que l'on sache combien
la fibre patriotique vibrait faiblement chez ces grands précurseurs de
notre Révolution. Nous voyons d'Alembert, aussitôt conclue la paix
désastreuse de 1763, se précipiter à la cour du roi de Prusse et se ren-
gorger sous ses cajoleries. Certes, les chefs de Tincrédulité contempo-
raine haïssent l'Église autant que d'Alembert, mais nous n'en avons
vu aucun courir à Berlin après la paix de Francfort. D. V.
HISTOIRE
liCB Populations danubiennes. Éludes d'ethnographie comparée,
par J. Van den Gheyn, S. J. Gand, Engelcke, 1886, in-8 de 290 p.
Si l'on envisage les populations danubiennes dans leur état actuel,
il n'y a pas de contrée en Europe où il soit plus facile de distinguer et
de spécifier les races. Ces races sont au nombre de quatre : la race
grecque, la race albanaise, la race roumaine, la race slave, cette der-
nière subdivisée en Bulgares slavisés et en Serbes. Les caractères dif-
férentiels sont tellement tranchés, que l'œil le moins exercé ne con-
fondra jamais un homme d'une race avec l'homme d'une autre. Il y a
bien des enchevêtrements de groupes ou de sujets isolés, mais sans
aucune altération des signes spécifiques. Nulle part il ne se forme, au
point de rencontre, un métissage persistant : l'une des populations
repousse l'autre. Ainsi, le Roumain gagne du terrain sur le Serbe, le
Bulgare sur le Grec. Les uns ou les autres adoptent bien quelques
expressions ambiantes, mais c'est là un phénomène auquel les obser-
vateurs superficiels attachent trop d'importance. En réalité, il n'est
apparu nulle part, dans ces contrées, une langue mixte. Autrement
dit, ces races n'ont l'une à l'égard de l'autre, non seulement rien de ce
qu'on appelle en chimie ralTmilé, mais aucune tendance au simple
mélange.
Lorsque la science aborde la discussion des origines, elle ne ren-
contre, au contraire, que chaos et obscurité. On remplirait plusieurs
pages rien qu'à mentionner ce qui a été affirmé de conclusions contra-
dictoires et toujours tranchantes sur les Scythes, les Thraces, les
Gêtes, les Daces, les lilyres, sur leur caractère propre, leur habitat ou
leur histoire, sur l'identité de telles ou telles appellations, et plus en-
core sur la part qui revient aux uns ou aux autres dans la formation
des (jualre groupes dont nous faisions ressortir en commençant la lu-
mineuse et persistante diversité. La question s'est encore compliquée
- 53 -
de deux faits externes : la colonisation romaine et les invasions ger-
maniques. Il existe des documents relativement modernes, dans les-
quels S. Méthode, un Slave de Salonique, est imperturbablement traité
de Goth et considéré, en conséquence, comme infecté de l'hérésie d'A-
rius. (Consulter Saint Cyrille et Saint Méthode, Leroux, 1883.)
Il y a trente ans, Bergmann, un professeur de l'Université de Stras-
bourg, publiait deux ouvrages intitulés : l'un les Scythes, et l'autre les
Gèles, qui sont remplis d'érudition, mais qui n'apportent au problème
aucune solution décisive. Dans le travail que nous annonçons, le
R. P. Van den Ghej'n résume avec clarté et discute avec une sagacité
remarquable les œuvres de ses devanciers. Il apporte même quelques
nouveaux éléments à la discussion; mais je n'en demeure pas moins
amené à reproduire ici une citalion que notre auteur emprunte lui-
même à G. Lejean. •( L'ethnographie ancienne des contrées qui for-
ment aujourd'hui la Turquie d'Europe ne peut guère être qu'une série
d'hj'pothèses, dont la probabilité relative doit, faute de mieux, nous
tenir lieu de la certitude absente. »
Dans l'Europe orientale, les problèmes d'érudition sont des questions
politiques. Chaque population, depuis les cinquante dernières années,
demande à l'histoire et à l'ethnologie ses titres à l'existence, souvent
même à l'expansion. L'ouvrage du savant jésuite de Gand mérite, sous
ce rapport, une attention spéciale. Il s'agit de l'origine des Roumains.
En 1781, l'Allemand Sulzer prétendit que les Moldaves et les Valaques
de la rive gauche du Danube ne descendent pas des colons de Trajan.
Le Hongrois Engel se rangea naturellement du même avis, qui fut aussi
soutenu par les savants slaves les plus célèbres. Vers 1860, un profes-
seur de Gratz, Robert Roesler, releva avec un certain éclat la thèse sou-
levée par Sulzer et, tandis qu'il était vivement combattu en Roumanie,
en Allemagne même, il rencontrait en France le concours décidé de
M. Gaston Paris. Le R. P. Van den Gheyn cite les travaux qui ont été
publiés dans un sens comme dans l'autre. Il se prononce en faveur de
la romanité des Roumains, ce qui était l'opinion générale depuis le
chroniqueur IS'estor jusqu'à Sulzer.
Une courte dissertation sur l'origine des Bulgares et sur leur condi-
tion actuelle vient, sans toutefois apporter rien de bien nouveau,
compléter l'étude ethnographique du R. P. Van den Gheyn. Pour faire
une part à la critique, nous l'engagerions à ne pas affirmer comme un
fait incontesté, que le slavon d'Église est l'ancienne langue bulgare. —
D'autres inclinent à penser que les apôtres du ix^ siècle ont fait des
emprunts à plusieurs idiomes slaves, et notamment à celui qui était
parlé dans la grande Moravie , où fut le siège épiscopal de saint Mé-
thode. A. d'Avril.
- o4 -
Histoire de Klargiierite de Valois, reine de France et
de IVavarre, par le comte Léo de Saint-Pongy. Paris, Gaume, 1887,
2 vol. m-12 de 542 et 590 p. — Prix : 6 fr.
L'histoire de Marguerite de Valois comporte une étude approfondie
en plusieurs volumes, ou un portrait en quelques pages. M. de la Per-
rière, qui connaît si bien les hommes et les femmes du xvi" siècle, a
récemment résumé en un demi-volume, dans Trois amoureuses au
xvi^ siècle, toute la vie de la sœur des derniers Valois ; autre a été le
plan de M. de Saint-Poney. Autour de Marguerite il a groupé tous les
événements si multiples des guerres religieuses et des intrigues poli-
tiques en France, depuis Charles IX jusqu'aux premières années de
Louis Xin. Il en est résulté un travail très considérable, un tableau
un peu confus, dont aucun point ne se détache avec une netteté com-
plète. Ce n'est pas que l'auteur ne soit très au courant de toutes les
recherches nouvelles, qu'il n'ait parcouru, au besoin, les grands re-
cueils imprimés ou les collections manuscrites ; mais son livre est
écrit selon la vieille méthode analytique : les vues d'ensemble y man-
quent de relief et les détails n'attirent pas assez la curiosité. Il n'est
point jusqu'aux indications des sources consultées qui ne se détachent
pas assez du texte, négligeant trop de faire au récit ce cortège d'appa-
rat qu'on exige volontiers aujourd'hui.
L'œuvre pourtant est consciencieuse et composée tout entière avec
un esprit très large et très impartial. M. de Saint-Poney ne juge pas
cette époque, à la fois barbare et raffinée, avec la sévérité qu'on appli-
querait à notre temps. Il a même le courage, peut-être excessif, de dé-
fendre souvent la vertu de Marguerite de Valois, en accusant la légè-
reté de son esprit de certains écarts trop fréquents qu'on pourrait im-
puter à l'irrégularité de ses mœurs. Mais il a raison de faire observer
que sa situation à la cour, commejeune fille et comme femme légitime
ou divorcée, fut constamment entourée d'écueils, et que des apologistes
comme Brantôme ou Tallemant des Réaux ont fait autant de tort à sa
mémoire que des pamphlétaires comme l'auteur du Divorce satyrique
ou le dictionnaire de Bayle. Dans la lutte étrange d'Henri III contre sa
sœur, qu'il semblait prendre à tâche de déshonorer, l'auteur relève
avec raison l'odieux caractère d'un prince vicieux et immodéré en tout;
il raconte en quelques pages saisissantes l'émouvant épisode du duel
des Mignons et de l'assassinat de Saint-Mesgrin, et montre que les
Guises, en défendant contre le roi la cause de Marguerite, étaient en-
core, après tout, du côté de l'honneur.
Quelques fautes de typographie et quelques erreurs de faits et de
dates seraient à relever, mais elles ne sauraient déparer un ouvrage
qui traite tant de sujets divers et qui est au fond plein de renseigne-
ments intéressants, présentés d'ordinaire sous une forme claire, élé-
gante et facile. G. B. de P.
lia Cour de France et la Société au S.TI* siècle, par
Francis Décrue de Stoutz, docteur es lettres. Paris, Firmin-Didot, 1888,
in- 12 de 2i2 p. — Prix : 3 fr. bO.
Reconstituer, dans une vaste synthèse, la physionomie vivante de
toute une époque est une œuvre autrement délicate que de faire la
monographie d'un grand personnage d'autrefois. Pour écrire la vie
d'un homme obscur ou célèbre , le travail et l'érudition suffisent ; la
mémoire est plus nécessaire que l'imagination ; on est mené à chaque
pas par son sujet. Diverse est la tâche de celui qui veut reconstituer,
à l'aide de témoignages contemporains, un temps dont tout nous
éloigne, habitudes, mœurs, idées, langage même. L'entreprise est inté-
ressante et elle peut piquer la curiosité, sans qu'il soit besoin d'aboutir
à un chef-d'œuvre. On comprend qu'elle ait tenté un jeune professeur
de l'Université, qui, pour la préparation de ses thèses de doctorat,
prétend avoir, à la Bibliothèque nationale , aux Archives des affaires
étrangères, à Bruxelles, à Turin et à Milan, « transcrit, analysé, lu ou
parcouru plus de 30,000 lettres des personnages du xvi^ siècle, et
nombre de pièces officielles, s On connaît la consciencieuse étude que
M. Francis Décrue a publiée, il y a deux ans, sur le connétable de
Montmorency, et dont la seconde partie va bientôt paraître. Le petit
volume qu'il nous donne aujourd'hui embrasse la période entière du
xvi^ siècle, de François P"" à Henri IV. Que de changements en peu
d'années! C'est une vraie « renaissance. » Ce qu'on appelle la « société
française » commence à se former, au sein d'une aristocratie plus
ouverte qu'on ne pense, et qui se recrute sans cesse parmi cette intel-
ligente portion de la nation d'où sortent presque tous les magistrats,
les hommes de gouvernement, les gens de finance. La carrière des
armes reste bien le privilège de la noblesse ; mais la « Cour, » sous
François P^ et sous les derniers Valois, exige des mœurs raffinées et
une délicatesse de manières qui doit recouvrir entièrement le vieux
fonds de férocité et de barbarie, si bien alimenté par les guerres civiles.
Dans d'amusants chapitres, l'auteur passe en revue l'organisation du
pouvoir, les diverses classes du pays, la France militaire , a les passe-
temps de la société. » Quelques-unes de ses citations, plusieurs anec-
dotes sont un peu banales, comme le « Souvent femme varie, » ou le
« Je suis le sire de Coucy. » Mais d'autres points sont plus nouvelle-
ment traités : il explique à merveille comment à chaque règne s'opé-
rait la transmission du pouvoir, les serviteurs du roi défunt ayant
pendant quarante jours la garde de son cadavre, tandis que les favoris
du successeur prennent possession du gouvernement, si bien qu'on
« laissait le corps du mort à ceux qui avaient possédé l'esprit. » L'éty-
mologie du mot de « palais de justice » est également fort bien indi-
quée d'après ses vraies origines historiques. C'était là primitivement
- 56 -
l'unique siège de l'autorité royale. On y faisait encore au xvi« siècle
les banquets solennels qui suivaient les « entrées » des princes. Les
tables étaient organisées hiérarchiquement : on en excluait les femmes.
C'est autrement, comme l'indique M. Fr. Décrue de Stoutz, dans une
étude spéciale, qu'elles commencèrent à se faire à la cour une place
particulière et une influence que la domination de quelques favorites,
sous François P'', Henri II et Henri IV, que le long règne de Catherine
de Médicis, sous trois de ses fils, contribuèrent puissamment à rendre
définitive.
On voit que le livre est de ceux qui abordent bien des sujets en peu
de pages. Son auteur n'a pas la prétention d'avoir tout dit ; il a
adressé son travail « non pas tant aux spécialistes qu'au grand public ; »
il a voulu lui donner une forme « sinon mondaine, du moins popu-
laire. » Le but semble atteint, et les lecteurs seront faciles à conquérir.
G. Baguenault de Puchesse.
Ija France et l'Irlande pendant la Révolution. Hoche
et Hltnibert, d'aprèi les documents inédits des archives de France et
d'Irlande, par E. Guillon, docteur es lettres, agrégé de TUaiversité, avec
une préface d'Hippolyle Carnot. Paris, Armand Colin, 1888, in-18 de 486 p.
— Prix : 3 fr. 50.
Hier, thèse pour le doctorat es lettres, cet ouvrage est un livre au-
jourd'hui. La soutenance de la thèse a eu lieu le 11 mai 1888. A ce
propos, l'auteur nous permettra-t-il de lui demander comment la lettre
de quarante lignes (qu'il appelle une préface) signée Carnot (et c'est
d'Hippolyte Carnot qu'il s'agit, c'est-à-dire du père du Président
actuel de la République), lettre non datée du reste, peut faire allusion
à cette thèse comme si elle était déjà passée et en parler comme déjà
livrée au public, alors que le signataire de la lettre était mort plu-
sieurs mois avant la soutenance de la thèse et la publication du livre?
C'est également un litre un peu ambitieux que celui qu'a adopté
l'auteur. Ni son plan ni surtout son livre ne fournissent un tableau de
la France et de l'Irlande pendant la Révolution, ou une appréciation
raisonnée sur Hoche et Humbert. Il a fait le récit des expéditions que
le Directoire tenta en Irlande en 1796, 1797 et 1798 : voilà son sujet.
Quant à Hoche et à Humbert, il semble que M. Guillon eût pu donner
sur ces deux personnages un jugement moins banal, et surtout moins
louangeur. Comment, à l'occasion de ces entreprises si misérablement
avortées, a-t-il l'imprudence de faire allusion à Bonaparte et à l'expé-
dition d'Egypte? Ce livre pourrait donc être réduit avec avantage,
et allégé de bien des pièces dont la place était à la fin du volume; il
marcherait d'une allure plus rapide, et l'autour y eût sans doute ex-
primé son opinion avec plus de netteté.
— 57 -
Les préparatifs de l'expédition se firent à Brest en 1796. La marine
n'a plus d'hommes; ses chefs sont pour la plupart sans expérience;
ceux qui en ont se défient de leurs subordonnés: l'argent manque. De
là, mauvaise volonté , lenteur dans les préparatifs. Villaret-Joyeuse
est remplacé par Morard de Galles. On part enfin. Dès le premier jour,
la flotte se trouve divisée en deux sections qui ne vont plus se retrou-
ver: le chef de l'expédition, Hoche, reste en arrière, ne peut pas rallier,
et doit rentrer sinon à Brest d'où l'éloigné la croisière anglaise, du
moins à la Rochelle; Grouchy gagne la côte d'Irlande, veut débarquer
à Bantry avec 6,000 hommes; mais une tempête s'élève, et sous sa
propre responsabilité, Bouvet fait lever l'ancre et ramène à Brest la
flotte et les troupes. M. Guillon condamne Bouvet un peu sommaire-
ment. On peut se demander si, dans l'intérêt de la flotte comme dans
celui de l'armée, il était permis de sacrifier 6,000 hommes à une perte
certaine. — Quelques jours après (février 1797), le Directoire jetait
1,S00 galériens sur le sol anglais, àFishguard : ils capitulaient presque
sans combat. Dans celte première expédition, on ne voit guère en
vérité sur qui placer son admiration.
Hoche meurt (19 septembre 1797), dégoûté du Directoire et du « rôle
de don Quichotte » qu'on lui avait fait jouer soit dans l'expédition d'Ir-
lande, soit dans les intrigues qui précédèrent le 18 fructidor. Bona-
parte est un moment tenté d'opérer une descente en Angleterre ; mais
voyant la détresse et de la marine et des finances, il se ravise vite,
abandonne tous ces rêves et propose l'expédition d'Egypte, à laquelle
il convertit le Directoire. Le général Humbert , qui avait moins de ré-
putation à perdre, se chargea d'une nouvelle expédition d'Irlande. Il
appareille de l'île d'Aix le 6 août 1798, débarque dans la baie de Killala
avec 1,000 hommes au plus, livre bataille à Castlebar, triomphe avec
une rapidité surprenante. Mais que pouvait une si petite troupe qui
n'était soutenue ni par une insurrection irlandaise , ni par les régi-
ments de renfort qu'on attendit en vain? Humbert avait débarqué le
22 août; il capitula avec 844 hommes le 8 septembre. Quelques jours
après , une nouvelle escadre partait de Brest avec près de 3,000 hommes;
mais une croisière anglaise en eut raison dans la baie de Donegal : là
fut fait prisonnier l'Irlandais Wolf Tone ; c'est lui qui avait poussé le
Directoire à ces expéditions ; reconnu par les Anglais , il fut condamné
à mort. Le 12 octobre, une dernière expédition appareilla avec
2,000 hommes, avec mission de s'assurer du sort de Humbert ; mais les
côtes étaient surveillées, et après s'être informé de ce qu'il était ad-
venu d'Humbert, Savary, qui conduisait cette expédition, se hâta de
regagner la France.
M. Guillon a certainement fourni maint document précieux, em-
prunté soit aux archives de France, soit à celles d'Irlande ; car celles
- 58 -
d'Angleterre paraissent lui avoir été fermées. Il nous semble que,
agrégé des lettres, docteur es lettres, il aurait dû essayer d'user de
ces documents avec une liberté vraiment littéraire, sans s'y asservir
comme il Ta fait. Son récit s'embarrasse dans des pièces qui le ré-
pètent plusieurs fois; ses jugements sont timides et à peine indiqués.
Sous ces réserves, c'est une beureuse idée d'avoir mis en relief ces
expéditions si mal préparées et si téméraires, et l'on ne peut nier
qu'avec le réveil de l'agitation irlandaise, il n'y ait intérêt à relire cette
vieille bistoire, éclairée par des documents contemporains qu'on ne
connaissait pas encore. Victor Pierre.
lie Collège de l'Arc, à Dole. Monographie accompagnée de dessins
et de plans, par Julien Feuvrier, professeur au collège de l'Arc, avec
une préface de Hem'i Bouchot, ancien élève de rÉcole des chartes, attaché
au département des Estampes, à la Bibliothèque nationale. Dole, P. Gha-
ligne, 1887, in-12 de vii-253 p. — Prix : 5 fr.
Ce joli petit volume passe la revue rapide de l'enseignement secon-
daire à Dole jusqu'à nos jours; il insiste particulièrement sur l'époque
où les jésuites ont dirigé le collège de l'Arc (1582-1765). Avec quelques
détails de plus sur le collège Saint-Jérôme, sur l'école latine des Gorde-
liers, sur le séminaire, M. Feuvrier aurait pu donner un historique com-
plet des écoles secondaires dans la vieille ville universitaire de la
Comté. Il aurait fallu aussi, même en ce qui touche le collège de l'Arc,
étudier plus à fond plusieurs points importants. Ainsi, par exemple,
les questions pédagogiques ne sont indiquées que par des listes de
livres de classes; quant au rôle très honorable que le Parlement de
Franche-Comté joua, de 1762 à 1765, dans l'affaire des jésuites, on
dirait que M. Feuvrier ne le soupçonne même pas. Ce rôle fut cepen-
dant assez exceptionnel pour mériter une sérieuse attention ; nous en
dirons autant de l'expulsion des jésuites sous la Restauration. Il
aurait été fort intéressant d'avoir sur Dole les renseignements détaillés
que M. Abeau a donnés sur l'expulsion des jésuites à Aix, en 1828.
Où ce travail est complet, c'est pour tout ce qui concerne la description
historique des lieux et des bâtiments occupés par le collège. On conçoit
le satisfecit que donne M. H. Bouchot, l'auteur d'un bon travail sur le
P. Martellange, le principal architecte, en France, de la Compagnie de
Jésus. Nous signalerons aussi quelques utiles documents annexes, entre
autres le contrat de 1590, entre la ville et les jésuites, qui prouve jus-
qu'à l'évidence cette proposition que j'ai soutenue et qui a parfois
étonné, que les jésuites professaient une grande répugnance pour
l'internat; une bibliographie du sujet sera lue aussi avec plaisir. Rele-
vons enfin deux erreurs, l'une de fait, l'autre d'appréciation. M. Feu-
vrier dit, en parlant du P. Girard (p. 66). « avant sa condamnation par
le Parlement d'Aix (10 octobre 1733), il quitta secrètement Toulon... »
— S9 -
Tout le récit est présenté dans le sens de la culpabilité reconnue du
P. Girard. Or, il est facile de se convaincre que le P. Girard n'a jamais
été condamné, ni par le Parlement qui renvoya à l'autorité ecclésias-
tique, ni par cette dernière autorité. Une erreur, à mon sens, beaucoup
plus grave, est celle qui amène Fauteur à voir dans l'Édit de février 1763
« un remarquable exemple de décentralisation administrative. » L'Édit
de février fit précisément tout le contraire. C'est la plus violente ten-
tative de centralisation qu'eut jusque-là subie l'enseignement. Ces
erreurs et quelques autres seront aisément réparées dans une seconde
édition qui ne tardera pas sans doute à paraître et que justifierait le
soin apporté par l'auteur à donner un travail d'agréable lecture et à
ne présenter que des récits impartiaux. A. Silvy.
lia Storia di li ^Turmani in Sicilia cuntada di la grida,
par A. Palomès. IV. Palerme, 1887, in-12 de 370 p.
Si un écrivain français envoyait à une revue italienne, la Nuova An-
tologia ou toute autre, un ouvrage volumineux, traitant d'une province
et n'ayant par conséquent qu'un intér-H local ; si de plus, cet ouvrage
était écrit non dans une langue connue, mais dans un dialecte, en
bas-breton, en provençal, en wallon, il est très probable que cette
revue ne s'en occuperait pas ou ferait du moins attendre fort longtemps
un compte rendu. Je voudrais que cette observation nous servît d'excuse
près de M. Palomès, car son livre se trouve, pour nous, justement dans
les conditions où serait le livre français duquel nous parlions, et c'est
ce dont nous avons lieu de penser que l'auteur ne se rend pas compte.
Le Polybiblion, du reste, a jadis annoncé les premiers volumes de l'bis-
toire des Normands en Sicile. Cet ouvrage est terminé par le règne
de Guillaume IL M. Palomès, on l'a dit dans le temps, a voulu sur-
tout s'adresser au peuple et a pensé s'en faire mieux écouter en don-
nant à son livre une forme singulière : c'est un grillon, interrompu
par les réflexions d'autres animaux auxquels il s'adresse, qui raconte
une partie de l'histoire de la Sicile. Cette conception, originale plus
que sérieuse, a été l'objet de quelques critiques, mais il ne faudrait
pas croire qu'elle dissimule l'absence d'évudition. M. Palomès, au con-
traire, semble fort bien instruit du passé de sa province. Pour ache-
ver de plaire au public qu'il avait en vue, M. Palomès a parlé sa
langue, qu'au dire de critiques plus compétents que nous, il manie
avec une grâce charmante ; mais cette langue, selon un de ces critiques
mêmes, n'est guère connue en dehors de l'Italie, et ne rend pas la lec-
ture de son livre facile. Néanmoins YHistoire des Normands en Sicile a
eu un succès que M. Palomès s'est donné le plaisir fort légitime de
constater en reproduisant les nombreux articles faits à son éloge.
- 60 -
M. Palomès a l'esprit piquant et ne recule pas devant les nombreuses
allusions que le passé lui offre avec le présent ; les traits satiriques ne
lui manquent pas et il faut convenir que la forme dialoguée qu'il a
donnée à son œuvre est propre à mettre en relief ses qualités d'écri-
vain. C'est avec beaucoup de verve que, fervent catholique, il combat
les assertions du professeur Hartwig, et il ne se gène pas pour dire
leur fait à nombre de ses compatriotes en renforçant les épigrammes
du grillon de notes fournies par l'histoire contemporaine. En résumé,
le livre de M. Palomès peut être étrange, mais n'est pas une œuvre
ordinaire. Th. P.
li'Emperetar Frédéric III, par Edouard Simon. 3» éd. Paris, Hin-
richsen, 1888, ia-12 de 303 p. — Prix : 3 fr. 50.
Frédéric III, roi de Prusse et empereur cf Allemagne, par le comman-
dant Grandin. Paris, Direction du Spectateur militaire, 1888, in-8 de 68 p.
— Prix : 2 fr.
Le nouvel ouvrage de M. E. Simon ne pouvait pas présenter au même
degré l'intérêt historique que nous faisions ressortir en analysant ici
son Histoire du prince de Bismarck (t. LU, p. 254). On trouvera, cepen-
dant, à la fin du volume, toutes les pièces officielles qui se réfèrent à
l'avènement de Frédéric III et qui méritent d'être recueillies. Au milieu
de détails un peu minutieux, nous devons encore signaler, comme
particulièrement instructives, les pages 8o à 104, relatives à l'influence
du prince-consort Albert, influence qui fut, à l'extérieur, beaucoup
plus grande qu'on ne le croit généralement. Il ne faut pas, en effet,
perdre de vue qu'entre la Prusse et l'Angleterre il existe un lien puis-
sant, le protestantisme, et que le père de celle qui allait devenir l'im-
pératrice Victoria a plus que personne contribué à cimenter l'alliance
tacite, mais profondément enracinée des deux pays. La France l'a
éprouvé en 1870, et sa diplomatie doit toujours s'en préoccuper : « La
haute politique n'était pas oubliée dans la correspondance du père
avec la fille, et bien des avis à l'adresse du prince-régent passaient par
l'intermédiaire de la princesse Victoria. » (p. 96.) Le passage suivant
spécifiera le caractère de cette correspondance : « Je suis pour l'hégé-
monie de la Prusse, écrit le prince Albert de Saxe-Cobourg, au 13 sep-
tembre 1859 ; mais l'Allemagne vient pour moi en première ligne. La
Prusse, comme telle, ne vient qu'après. La Prusse passera pour moi en
première ligne lorsqu'elle se placera à la tète de l'Allemagne. » Dans
une autre lettre (p. 95), le prince-consort témoigne un tendre intérêt à.
la franc-maçonnerie, ce qui s'accorde, du reste, parfaitement avec l'ul-
tra-germanismc et l'ultra-protestantisme de S. A. R. « Tu me de-
mandes, écrivait-il encore à sa fille, s'il est bon et utile pour un État
de conclure des concordats avec le pape. J'y réponds par un Jion des
plus énergiques. »
- 61 -
Le directeur du Mémoi-ial diplomatique a été bien inspiré ea laisanL
ressortir la personnalité sympathique de la princesse anglaise, qui a
défendu son époux avec un grand courage contre un mal implacable.
Au milieu de telles angoisses, la nouvelle reine de Prusse montra une
résolution énergique et opportune en persistant, malgré des résis-
tances venues de bien haut, à recevoir l'hommage des dames polo-
naises de Posen, et à communiquer avec leur députation en langue fran-
çaise. M. E. Simon termine son livre en citant les paroles par lesquelles
Bossuet définit la vraie fin de la politique : « Rendre la vie commode
et les peuples heureux. » Le règne qui vient de commencer et de finir
paraît avoir inspiré confiance aux Allemands ; mais a-t-il été permis
d'espérer que ce règne eût apporté « la vie commode et le bonheur »
aux populations qui, par la fortune des armes et contre leur gré, al-
laient vivre sous le sceptre de Frédéric III, au détriment du Dane-
mark, de la Pologne et de la France ?
— M. le commandant Grandin s'applique particulièrement à raconter
les diverses expéditions militaires auxquelles le fils de Guillaume P"" a
pris part, depuis la guerre de Danemark jusques et y compris la cam-
pagne de 1870-1871. Le récit en est clair, animé, instructif et d'une
lecture facile. M. Grandin y a introduit une foule d'anecdotes peu ou
point connues. Le caractère de Frédéric III en ressort sous un jour favo-
rable, qui paraît être le vrai.
Au point de vue historique, nous ferons remarquer que Gharlemagne
n'a pas fondé un empire germanique (p. 68), mais le « Saint Empire
romain. « L"œuvre de 1871 est, au contraire, essentiellement et inten-
tionnellement germanique. Guillaume P^ Frédéric III ont été et Guil-
laume II est l'empereur — non pas d'Allemagne — mais allemand :
der deusiche Kaiser. A. d'Avril.
li'Égypte contemporaine et Arabî-Paclia, par N. Sgotidis,
docteur ea droit, juge consulaire à la chancellerie de la Légation hellé-
nique, à Constantinople. Paris, Marponet Flammarion, 1888, in-12 de 340p.
— Prix : 3 fr. 30.
Les tragiques événements dont TÉgypte a été le théâtre depuis la
révolte d'Arabi jusqu'à l'entrée triomphale de l'armée anglaise au
Caire n'avaient pas encore été l'objet d'une étude méthodique d'après
les documents diplomatiques et officiels. Cette étude, M. Scotidis a pu
la faire avec compétence, avec l'aide de ses souvenirs personnels, car
il était alors en Egypte comme vice-consul, secrétaire de l'Agence di-
plomatique de Grèce. Dès 1883, il la publia en grec, et fut, dès lors,
sollicité d'en donner une édition française, qui vient de paraître avec
les remaniements qu'a exigés la situation actuelle de l'Egypte. Il est
inutile d'insister sur l'intérêt que présente cet exposé d'événements
récents, qui ont eu pour conséquence la substitution de la domination
- 62 -
anglaise à l'influence française sur les rives du Nil, et, ce qui est le
plus grave, sur les bords du canal de Suez. Nous voudrions pouvoir
dire que M. Scotidis s'est montré impartial dans ses appréciations,
mais force nous est de constater qu'il est d'une indulgence ex-
cessive pour la politique astucieuse et profondément égoïste de l'An-
gleterre; il va jusqu'à excuser l'odieux et inutile bombardement d'A-
lexandrie, qui n'a pas été moins préjudiciable aux Européens qu'aux
indigènes; non seulement il l'approuve, mais encore il l'admire comme
un des plus beaux faits d'armes de l'bistoire contemporaine. Cette pros-
ternation de l'auteur devant la brutalité triomphante fait éprouver au
lecteur français un véritable malaise; mais son impression est plus
pénible encore de voirie triste effacement de la France dans ces graves
circonstances. Alors que les Américains et les Grecs débarquaient des
hommes dans Alexandrie en flammes pour garantir leurs nationaux et
leurs propriétés, l'escadre française était systématiquement absente et
se désintéressait de tout. Il serait curieux, mais assez difficile, à la
vérité, de déterminer la part de responsabilité de nos ministres et des
chefs de notre marine dans ce coupable effacement. Seuls nos religieux
ont représenté dignement la France, en portant courageusement des
secours aux victimes à travers les ruines fumantes d'Alexandrie ; mais
M. Scotidis ne souffle mot de l'admirable dévouement des prêtres ca-
tholiques. L'auteur cite volontiers les dépêches diplomatiques échan-
gées entre les divers gouvernements ; elles font clairement ressortir
l'habileté et la résolution du cabinet anglais, l'impéritie des conseillers
du Sultan, l'inertie des diverses nations européennes, la fourberie
d'Arabi, et l'impuissance du. malheureux Khédive Tewfick-Pacha. La
conclusion qui s'impose, c'est que la politique pusillanime de nos
gpuvernants a gravement compromis les intérêts français en Egypte,
et qu'il est douteux que la France reprenne jamais dans ce riche pays
la situation prépondérante qu'elle y a perdue. Le livre de M. Scotidis
ne fait, sur ce point, que confirmer ce que nous savions déjà; mais il
fait connaître bien des détails de cette triste histoire qui avaient passé
inaperçus ; le style en est très incorrect, l'auteur ayant peu l'habitude
de la langue française. Comte de Bizemont.
De rOrigine «pt de la Destination des eaïups romains,
dits Cliatelliers, en Chaule, principalement dans l'Ouest, par BÉLI-
SAiRE Ledain. Poitiers, 188a, in-8 de 120 p. (Extr. des Mémoires de la Société
des Antiquaires de VOuesl, t. VII.)
Essai de classification des enceintes iortiliées en terre,
par BUHOT DE Kerseus. Caen, 1887, in-S de 28 p. (Extr. du Bulletin rnonu-
mental, 1880.)
Reclierclies sur les fortifications de l'arrondissement
de ITlamers, du X^ au XVI^ siècle, par Gabriel Fleurv. Ma-
rnors, G. Flcury, 1887, in-'i de 82 p.
La Commission de la topographie des Gaules, alors qu'elle servait
- 63 -
d'intermédiaire entre les savants de province et les travailleurs pari-
siens, avait commencé des études sérieuses sur les anciennes enceintes
fortifiées qui existent en France; elle avait confié la direction de ce
travail à l'un de ses membres, M. le lieutenant-colonel G. de la Noô,
aujourd'hui membre du Comité des travaux historiques. M. de la Noë
continue avec persévérance les recherches dans les textes et sur le
terrain; dans quelque temps, il publiera un véritable traité sur l'his-
toire des fortifications en France, depuis les temps les plus reculés
jusques et y compris le moyen âge. Cependant l'initiative de la Com-
mission des Gaules avait attiré l'attention des archéologues de pro-
vince, auxquels des renseignements avaient été demandés; aussi, au
Congrès des Sociétés savantes de la Sorbonne, en 1882, on entendit les
communications de MM. B. Ledain et Buhot de Kersers, et au Congrès
de 1886, celles de M. G. Fleury.
M. Ledain propose.de voir dans toutes les ruines de lieux fortifiés, dé-
signés par le nom de « chateliers, chatelets, chatelards, châtres, castera,
etc., » des camps romains, créés principalement par Constance Chlore
et par Constantin, pour résister aux pirates, sur le littoral, et aux Ba-
gaudes, à l'intérieur; en présence de ce fait que, pour défendre ces
centaines de camps, il n'y avait en Gaule que très peu de soldats régu-
liers, il pense que leurs garnisons étaient fournies par des colons mi-
litaires et surtout par des lètes barbares, qui y résidèrent, même
après la chute de l'empire. — M. Ledain soutient sa thèse avec autant
de bonne foi que d'habileté ; seulement il donne une grande place à
des conjectures et ne paraît pas avoir fait une étude assez détaillée des
textes classiques et principalement des principes posés par Végèce. Il
ne songe pas que la dénomination de « camp de César » donnée à une
foule d'enceintes est le plus souvent très moderne; que des textes très
clairs établirent que certains « chatelets » ou « chateliers » ne datent que
du moyen âge; qu'avant de déterminer l'origine d'une enceinte fortifiée,
il y a lieu, par des fouilles faites avec soin, de chercher, soit dans la
coupe des retranchements, soit dans les objets recueillis, la date de sa
construction. L'auteur a donné une longue énumération des lieux for-
tifiés, qui forme une série d'indications bonne à consulter; seulement,
préoccupé par une idée, il a peut-être cherché avec plus d'insistance
que de critique à plier les faits à son système.
M. Buhot de Kersers, d'après les enceintes fortifiées étudiées par lui
en Berry, a cherché un système de classement méthodique; il attribue à
l'époque gauloise les enceintes d'une grande étendue dont la forme
varie suivant la disposition du terrain; à l'époque romaine les ouvrages
dans lesquels on constate des formes géométriques et rectilignes ; au
moyen âge, les vieux châteaux de dimensions restreintes et de formes
variables ; dans cette série sont également compris les mottes et tertres
- 64 -
avec fossés à leurs pieds, les enceintes ou cours qui entouraient ces
tertres ou donjons. M. Buhot de Kersers semble être plus près de la
vérité ; il est seulement à regretter que son Mémoire soit aussi court,
et que, pour le moyen âge, il n'ait pas recueilli de textes relatifs aux
lieux fortifiés dont il donne des plans ; je crois qu'en ce qui concerne
les mottes ou tertres il voit, avec raison, l'emplacement d'anciens don-
jons ; son opinion est certainement plus admissible que celle de M. Le-
dain qui en fait des tours à signaux des iii° et iv° siècles ; si parfois on
y a trouvé des tuiles à rebords attribuées aux Romains, il ne faut pas
oublier que ces matériaux paraissent avoir été fabriqués durant une
longue période, postérieure à l'occupation romaine.
Les recherches de M. G. Fleury forment un excellent chapitre de
l'histoire de la fortification du moyen âge dans l'ancien Sonnois qui fait
aujourd'hui partie de l'arrondissement de Mamers; il démolit irrévoca-
blement les « camps de César » de cette région pour, à l'aide de textes
formels et d'études sur le terrain, attribuer leur véritable date à ces
lieux fortifiés par la maison de Bellème et particulièrement par Ro-
bert II. Notons qu'il signale deux « châteliers » qui ont échappé à M. Le-
dain, l'un dans la forêt de Persanne, l'autre dans la forêt de Bellème ;
le premier n'a pas été exploré, le second n'a été qualifié de camp ro-
main que parce qu'on y a trouvé des tuiles à rebords, ce qui n'est pas
une preuve suffisante pour nous ; tous deux sont quadrangulaires.
Nous avons tenu à signaler ces Mémoires aux lecteurs du Polybi-
blion, d'abord pour les prémunir contre cette idée trop répandue qui
fait voir un peu partout des « camps romains » alors qu'il n'en existe
que très exceptionnellement en Gaule ; ensuite parce qu'il est vraiment
utile d'attirer l'attention des archéologues sur ce sujet intéressant, en
leur recommandant de recueillir le plus de textes possibles, de faire
des fouilles scrupuleusement dirigées pour établir la coupe des fossés
de retranchements et recueillir les objets perdus dans la terre, et en-
fin, de se méfier de la tradition locale qui, souvent, ne sert qu'à égarer.
A. DE Barthélémy.
liea Héros, le Culte des liéros et l'Héroïque dans
l'itistoire, par Thomas Carlyle. Traduction et introduclion par
J.-B.-J. IzouLBT-LouBATiÉRES , profcsscur de philosophie au lycée Con-
dorcet, agrégé de l'Université. Paris, A. Colin, 1888, in-12 de XLi-383 p. —
Prix : 3 fr. 50.
Si a héros signifie homme sincère » (p. 202), je n'hésiterai pas à
déclarer que Carlyle est un héros, sans m'attacher à débrouiller pour
la lui appliquer cette autre définition : « Une débordante fontaine de
lumière, comme je dis, d'intuition native et originale, de virilité et de
noblesse héroïques » (p. 4). Il a l'enthousiasme du voj'ant, la formule
convenue lui fait horreur, et le fragment de vérité originale qu'il a
- 65 -
perçu, il le prêche avec une intolérance de néophyte. Même quand il
ne convainc pas, il impose la réflexion par son insistance, par le fracas
qu'il mène autour de son idée. Mais qu'il est donc pénible à lire, sur-
tout dans une traduction française ! Il me semble voir un vieux guer-
rier norse frappant à l'aveuglée dans la jnèlée farouche et mâchonnant
des imprécations entre ses dents serrées. Les mots se heurtent,
s'étranglent, se disloquent, s'enchevêtrent; ils tombent et se redressent
avec furie, s'emportent, tourbillonnent et retombent meurtris, défi-
gurés. Sont-ce les révélations du génie sous forme d'oracle sybillin,
ou simplement les incohérences de la folie? En anglais, les mots n'ap-
partenant strictement en propre à aucune catégorie grammaticale,
se prêtent à d'étranges combinaisons, insupportables en français, et le
traducteur eût dû tenir compte de la différence de génie des deux
langues pour adoucir l'effet de ces bizarreries et de ces brutalités.
Mais la forme n'est pas seule étonnante : le choix même des héros
offerts à notre sympathique admiration semble une gageure. Que
savons-nous d'Odin, le héros comme divinité, qui nous permette de le
discuter? Mahomet, le héros comme prophète, qui a fondé une religion
« bâtarde espèce de christianisme, mais vivante espèce; avec une
vie du cœur en elle ; non morte, hachant menu de la stérile logique
purement » (p. 100) , Mahomet peut-il être complètement disculpé du
reproche d' « insincérité? » Au fond, que sont pour nous Odin et
Mahomet? Et l'apostat Luther et le traître Cromwell sont-ils davantage
incontestablement sincères? Est-ce là l'essence de leur nature, le trait
saillant de leur caractère? Peut-on présenter le premier comme le
modèle du prêtre, et le second, comme un modèle des rois? Aussi,
même en leur attribuant toutes les vertus qu'on leur reproche généra-
lement de n'avoir pas eues, Carlyle est-il obligé d'admettre qu'un peu
de charlatanisme accidentel, que nous dirons inconscient, s'allie par-
fois à la sincérité des héros. Partout ailleurs qu'en Ecosse, Knox ne
sera jamais qu'un héros de fanatique férocité. Mais Burns, le chanson-
nier, Johnson, le compilateur du dictionnaire, qui « passe pour une
créature basse, enflée » (p. 288), notre Rousseau, cœur de laquais pétri
d'envie et d'égoïsme, — « il n'est pas, avoue Garlyle, ce que j'appelle
un homme fort » (p. 289), ne sont des héros pour personne, même
comme « gens de lettres. » Cette collection hétéroclite ne saurait être
sauvée par l'adjonction de Dante, de Shakespeare et de l'inévitable
Napoléon. Les héros, dans le sens spécial que Carlyle donne à ce mot,
ne manquent pourtant pas dans l'histoire de l'humanité ; mais c'était
une mauvaise condition pour les reconnaître que d'être à la fois
Anglais et protestant libre-penseur. Il lui était interdit de parler d'un
Charlemagne, d'un Pierre l'Ermite, d'une Jeanne d'Arc, d'un Chris-
tophe Colomb, d'un Vincent de Paul, ni de tant d'autres dont la sincé-
JuiLLET 1888. T. LUI. 5.
— 66 —
rite ne saurait être mise en suspicion, et qai ont joué un certain rôle
dans le monde civilisé.
Si nous recherchons maintenant quelle est la doctrine exacte et
quelles sont les conclusions de Garlyle, nous tomberons dans de nou-
veaux étonnements. Il n'est pas très clair, il devient même souvent tout
à fait obscur ; mais la synthèse de ses digressions amphigouriques
nous est donnée par son traducteur. Après une dédicace à M. Renan,
M. Izoulet nous offre dans son introduction, qu'il intitule le Crépuscule
des dieux, un résumé du livre, fort bien fait, plus logique et plus com-
préhensible que le livre lui-même. L'évolution de l'humanité compte-
rait trois périodes : l'antiquité et le paganisme, le moyen âge et le
catholicisme, les temps modernes et une religion encore inconnue,
mais en préparation, qui sera aussi supérieure au catholicisme que
celui-ci l'était au paganisme. Les héros sont les promoteurs de ce
progrès constant : notre devoir est de les rechercher, de les mettre en
avant et de nous laisser guider par eux. On ne voit pas bien ce que
viennent faire dans la démonstration de cette théorie la plupart des
héros donnés en exemple. Mais Garlyle n'en est pas à une inconsé-
quence près. Ici il recommande la théocratie (p. 238), là le despotisme
(p. 310), ailleurs la « pédantocratie » à l'instar des Chinois (p. 263). Il
est aussi très inégal : ses études sur Dante et sur Shakespeare con-
tiennent des pages lumineuses, marquées au coin d'un grand esprit,
du génie peut-être. Je citerai aussi, vers le début, une sorte d'apologie
du paganisme des barbares, très large, très juste, d'un beau mouve-
ment oratoire. Je comprends alors que Garlyle ait inspiré des admira-
tions passionnées. En revanche, il reste bien au-dessous de sa tâche
lorsqu'il entreprend de parler de Napoléon. Et quand, après les clartés
éblouissantes, arrivent les éclipses, les ténèbres ne sont pas moins pro-
fondes que la lumière n'était radieuse : l'originalité n'est plus que
manie radoteuse s'épanchant fastidieusement en un style à surprises,
détonnant, rocailleux, étourdissant, fait de contorsions et de jongleries.
Enfin je ne saurais adopter les conclusions de l'auteur et du traduc-
teur : ce serait à désespérer de l'avenir de l'humanité, si les dieux, les
prophètes, les poètes même ne pouvant triompher de notre scepti-
cisme, les conquérants ne pouvant fonder rien de durable, la croj'ance
future des sociétés civilisées devait être formulée par des héi'os gens
de lettres de la valeur morale de Johnson, Burns et Jean-Jacques
Rousseau. Emm. de Saint-Albin.
madame de liamballe d'aprè» deit docunieiitM inédits tirés
des Archives nationales, de l'Inventaire de sa succession, de la bil)liolhè(jue de
la ville de Saint-Germain-en-Laye, des archives du département d'IUe-el-Vilamc,
du greffe de Saint-Malo, de pièces nationales , de diverses collections particu-
- 67 -
Hères, etc.,etc.,p3.r GEORGES Bertin, directeur de la « Revue rétrospective. »
Ouvrage orné d'un magnifique portrait de M™« de Lamballe, gravé par
Dujardin. Paris, bureaux de la « Revue rétrospective, » 1888, in-8 de 432 p.
— Prix : 10 fr.
M'^o de Lamballe est une des figures qui ont le plus tenté les histo-
riens. Depuis les prétendus Mémoires de la princesse, publiés sous la
Restauration , jusqu'à M. de Lescure , l'un des hommes qui connaissent
le mieux le xviii*' siècle et la Révolution française, bien des auteurs
ont traité cet émouvant sujet. M. Georges Bertin, directeur de la Revue
rétrospective, l'a abordé à son tour; il l'a abordé sans parti-pris et avec
un scrupuleux souci de la vérité. « Il a prétendu, dit-il lui-même, faire
œuvre d'érudition et non de rhétorique, » et c'est pourquoi son oeuvre
présente, autant que possible « les caractères d'un véritable journal. »
Il raconte les événements, au fur et à mesure de leur développement,
année par année, jour par jour, pour ainsi dire, en empruntant son
récit aux sources les plus autorisées, documents des archives, pièces
nationales, correspondances, comme celle de Mercy; souvenirs parti-
culiers, comme ceux si précieux de la marquise de Lage de Volude ,
l'une des dames de la princesse. Il cite souvent aussi les nouvelles
de Bachaumont, mais il a soin de contrôler les dires du fécond et pas
toujours véridique gazetier. C'est ainsi que nous pouvons suivre l'in-
fortunée M^i^ de Lamballe depuis son arrivée en France et son mariage
avec le triste fils du vertueux duc de Penthièvre, à travers les amertumes
de cette courte mais malheureuse union, parmi les vicissitudes de son
amitié avec la reine, amitié d'abord si chaude, puis ensuite refroidie
par les inégalités d'un caractère nerveux, par des exigences d'étiquette,
par la naissance d'une amitié nouvelle, bientôt exclusive et absor-
bante , celle de M™® de Polignac ; ranimée enfin par les épreuves et
cimentée par le martyre jusqu'à cette mort affreuse et ces outrages
sans nom. Pour cette mort même, M. Bertin est sobre de détails; il
tient à ne rien avancer que de certain, et l'imagination populaire
comme le zèle de maladroits apologistes s'est plu à ajouter encore à
l'horreur d'un assassinat qui semble cependant, dans sa réalité bru-
tale, avoir épuisé toutes les horreurs.
Tel est, rapidement résumé dans ses traits principaux, ce livre dont
nous louerons avant tout l'exactitude et qui attirera certainement
beaucoup de lecteurs. Ils trouveront un charme de plus dans l'excel-
lente exécution typographique, dans le beau portrait de la princesse
placé en tète du volume et dans les pièces justificatives qui le ter-
minent. Ce mot seul : « succession Lamballe » donne le frisson.
Max. de la Rocheterte.
- 68 —
Béi»ei*toîi*e des sources Iiistorioiiaes «lu moyen âge, par
Ulysse Chevalier. Bio-Bibliographie. Paris, librairie de la Société biblio-
graphique, 1877-1838, gr. in-8 de xx p. et 28i6 col. — Prix : 40 fr. avec le
Supplément. Pour les membres de la Société bibliographique : 31 fr. 50.
Avec le Supplément (col. 2373-2846) , dont nous avons récemment
signalé l'appariLion, se termine le premier volume [Bio-bibliographie]
du Répertoire dont M. l'abbé Ulysse Chevalier, correspondant de
l'Institut, a entrepris la publication. Lorsqu'on 1877 parut le premier
fascicule de cette œuvre immense, la presse et les critiques prodi-
guèrent à l'auteur des encouragements et des éloges mérités. Depuis
longtemps eu effet les éruditset les travailleurs regrettaient l'absence
d'un Manuel de ce genre mis au courant de la science bibliogra-
phique moderne-, et se voyaient réduits .'i consulter soit des travaux
généraux trop anciens, soit des bibliographies locales ou spéciales,
qu'il n'est pas toujours aisé de découvrir et de se procurer.
On connaît le plan, très logique, adopté d'un commun accord par
l'auteur et par le Conseil de la Société bibliographique, qui avait
accepté la publication de ce Répertoire. Il doit se composer de trois
ouvrages parfaitement distincts, dont le premier, actuellement imprimé,
renferme l'indication des sources à consulter sur tel personnage histo-
rique; le second, en préparation, donnera des renseignements ana-
logues sur les lieux et les événements ; le troisième fournira la biblio-
graphie (manuscrits, éditions et traductions) des œuvres historiques.
M. l'abbé U. Chevalier s'est donc proposé de dresser un inventaire
complet des travaux historiques relatifs au moyen âge. Nous n'avons
pas à examiner si une vie d'homme peut suffire à réaliser une pareille
entreprise, qui rappelle les œuvres des Lelong, des Sainte-Marthe,
des dom Bouquet, des dom Clément, des dom Rivet, ou, pour mieux
dire, de cette légion d'érudits et de Bénédictins dont les immenses
travaux étonnent l'esprit humain. M. l'abbé U. Chevalier nous répon-
drait en nous présentant sa Bio-bibliographie : les bases sont jetées,
l'édifice est haut déjà; l'ouvrier ne saurait abandonner sa tâche, et
nous espérons qu'il voudra la mener à bonne fin : il est engagé vis-à-
vis du monde savant.
Aprè.T avoir constaté l'utilité de cette nouvelle encyclopédie biblio-
graphique divisée en trois parties, nous ne voudrons pas faire à
M. l'abbé U. Chevalier l'injure d'établir un parallèle entre sa Bio-biblio-
graphie et la Bibliographie biographique universelle d'Œttinger, si
inexacte et si incomplète. Pour la biographie et l'histoire de France,
on trouve de précieuses indications d'imprimés et de manuscrits dans
la Bibliothèque historique de la France, du P. Lelong ; mais l'excellente
édition (ju'en a donnée Févrct de Fontcttc (1768-1778, 5 vol. in-fol.),
remonte à plus de cent années et par suite les publications de tout un
- 69 -
siècle échappent à son cadre. Le Répertoire des sources historiques du
moyen âge est donc appelé à combler cette immense lacune.
M. l'abbé U. Chevalier a compris dans sa Bio-bibliographie « tous les
personnages ayant obtenu une notoriété quelconque pendant le moyen
âge chrétien, » c'est-à-dire depuis le commencement de l'ère chrétienne
jusqu'à l'an loOO. Remarquons que la Bihliolhecahistorica medii œvide
Potthast n'embrasse pas les trois premiers siècles de l'ère chrétienne. La
partie biographique des notices de M. l'abbé U. Chevalier donne l'in-
dication des dates de naissance, de fonctions et de mort ; dans la partie
bibliographique, les ouvrages indiqués sont classés par ordre alphabé-
tique des noms d'auteurs, les caractères typographiques gras distin-
guant ceux qui font eux-mêmes l'objet d'un article dans le Répertoire.
Un système ingénieux d'abréviations a permis de condenser de nom-
breux renseignements en quelques lignes.
L'auteur nous permettra-t-il de lui présenter quelques légères ob-
servations ; sans amoindrir son œuvre, elles lui prouveront peut-être
que nous avons plus d'une fois manié son volume et que noire appré-
ciation n'est pas un simple écho des éloges qui lui ont été si légitime-
ment prodigués. Les personnages sont rangés alphabétiquement ou
« d'après leur nom, ou, quand il existe et quil est plus connu, d'après
leur surnom, sauf exception pour les saints et les bienheureux, qu'on
trouvera invariablement sous leur nom. » M. l'abbé Chevalier a dû être
quelquefois embarrassé pour distinguer le nom du prénom et du sur-
nom. Pourquoi classer le chroniqueur Perceval de Cagny sous ce der-
nier nom, alors que l'on trouve Perceval de Dreux, placé, fort correc-
tement d'ailleurs, sous le mot Perceval? Il nous semble bien que
Arthur III de Bretagne est beaucoup plus connu sous le nom de Riche-
mont que sous tout autre, et c'est au mot Richemont que nous eussions
placé la notice bio-bibliographique, en mettant un simple renvoi sous
l'indication du prénom. Disons que la notice consacrée à ce person-
nage dans le Supplément, complète fort heureusement celle, beaucoup
trop pauvre, qui avait été précédemment donnée. Pourquoi adopter
la forme Matthieu, réservée ordinairement pour désigner Tévangéliste
de ce nom, et non la forme Mathieu, plus communément employée?
Nous remarquons que « Gérard de Grande-Sauve, » cité à la colonne
14, dans l'article « Adalard, « devient dans sa notice spéciale « Gérard
de Sauve-Majeure » (col. 800), ce qui modifie le classement. Pourquoi
préférer d'une manière exclusive la forme « Rodolphe j à « Raoul, »
celte dernière étant aussi répandue que l'autre, au moins en France?
Nous ne voyons pas dans quel but Ton a cité quelques noms de per-
sonnages sans indiquer à la suite une seule source bibliographique,
pas même celle d'où est tirée la mention en question. Il ne nous ap-
partient peut-être pas de regretter que l'auteur, au lieu de donner ,1e
titre d'un ouvrage, renvoie, très rarement du reste, au numéro de la
— 70 -
Partie technique du Polyhiblion où il est signalé ; toutefois il est bien
certain que beaucoup de lecteurs trouveront peu commode d'être
obligés de recourir aux tomes XLII et XLV du Polyhiblion pour savoir
ce qui concerne le héraut d'armes Gelre. Mais, en vérité ce sont là
des vétilles sur lesquelles nous ne voulons pas insister plus long-
temps. Nous aimons mieux signaler d'une manière spéciale à l'at-
tention de nos lecteurs quelques articles, qui sont bien de véritables
bibliographies spéciales encadrées dans ce grand ouvrage ; la notice
consacrée à Jeanne d'Arc ne comprend pas moins de 11 colonnes, y
compris celles du Supplément ; l'article Jésus-Christ en compte 33 ;
saint Thomas d'Aquin, 11 ; saint Louis, 5 ; Charlemagne, 7, etc. Ajou-
tons enfin que ces notices bibliographiques comprennent non seule-
ment l'indication des ouvrages spéciaux, mais aussi la mention des
articles de revues et de comptes rendus critiques.
M. l'abbé U. Chevalier a élevé à la science historique un monument
qui restera debout à jamais, tout en subissant, comme tant d'autres,
Faction du temps ; le monument n'est pas encore complètement ter-
miné et il a le devoir d'en poursuivre l'achèvement. Quel autre pour-
rait apporter à l'accomplissement de cette grande œuvre la même éru-
dition, la même énergie, la même patience? Qu'il chasse ce « senti-
ment de détresse » dont nous avons trouvé l'expression émue à la fin
de son Introduction, et qu'il recommence avec l'ardeur d'antan cette
course à la plume de dix kilomètres, si rapidement et si brillamment
accomplie une première fois. Tous les travailleurs l'accompagneront
de leurs vœux.
P.-S. — Nous sommes heureux de constater que l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres vient de décerner le prix Brunet à notre
savant collaborateur pour son Répertoire. A. Levâvasseur.
BULLETIN
Bcntliam, Principes de législation et d'Économie politique, pu-
blié par S. Raffalovich. Paris, Guillaumin, 1888, in-12 de lxxi-160 p. —
Prix : 1 fr. 50. (Petite bibliothèque économique française et étrangère.)
La maison Guillaumin a eu la bonne pensée de publier, sous la direction
de M. Chailey, une série de volumes consacrés chacun à un économiste, ces
volumes comprenant les principales œuvres de cet économiste ou des ex-
traits qui indiquent la trace laissée par lui dans la science. Une notice litté-
raire et biographique complète ces volumes qui, sous un petit format, ren-
ferment la matière d'un in-8 de 500 pages. M. Georges Michel a publié pour
inaugurer cette collection la Dixme royale, de Vauban. Mais c'est surtout à
propos de Bentham que l'on apprécie ce mode de publication. Qui irait
aujourd'hui lire les onze volumes des œuvres de Bentham ? Et cependant il
est nécessaire de connaître les écrits d'un homme qui a exerce une si grande
influence sur le mouvement législatif contemporain. M"» Sophie Raffalovich
nous en donne une idée très complète dans la notice placée en tète du vo-
lume. C'est une œuvre impartiale et fort bien écrite. Puis suivent les Prin-
— 71 —
cipes de législation où se trouve exposée sa fameuse théorie sur l'utilité, le
Traité de l'influence des temps et des lieux en matière de législation et le Manuel
d'économie politique. Une bibliographie très complète des écrits de Tauteur
termine cette publication. Avec elle on sait sur Bentham tout ce qu'il faut
savoir. X. X.
oe l'Ouvi'icf et du Respect, par l'abbé P. Fesch. Paris, Welter, 1888,
in-12 de 174 p. — Prix : 1 fr. oO.
Ce vénérable prêtre, curé dans le diocèse de Beauvais, a été, à l'occasion d'un
sermon, fort sottement critiqué parle marquis de Licques, directeur du jour-
nal le Nouvel Éclaireur de l'Oise. On l'accusait d'avoir excité les ouvriers à
« manquer de respect à leurs supérieurs. » M. l'abbé Fesch réfute avec beau-
coup de vivacité une attaque aussi injuste qu'inconvenante, et il montre que
l'ouvrier a réellement droit à du respect, que le lui donner est, en même
temps que l'accomplissement d'un devoir essentiel du christianisme, le meil-
leur moj^en de s'assurer à soi-même le respect auquel on a droit. Il part en-
suite de là pour montrer que du manque de respect découlent les révolutions
sociales, les révolutions dans la famille et l'altération des rapports entre les
maîtres et les domestiques. La doctrine de ce petit vnlume est excellente et
les observations qu'il contient sur les mœurs contemporaines ont beaucoup
de piquant. Nous conseillerons seulement à l'auteur, quand il fera une nou-
velle édition, de laisser de côté toute sa polémique avec la feuille locale dont
nous venons de parler. Cela n'en vaut pas la peine et pourrait occasionner
des méprises sur la valeur réeUe de son livre. X. X.
Annuaire de l'infanterie poai* 18SS, par le commandant LÉON MAR-
SEILLE. 9» année. Paris et Nancy, Berger-Levrault, 1888, in-8 de 650 p. —
Prix : 6 fr.
Nous n'avons pas à faire l'éloge d'une publication comme celle-ci , spéciale à
vrai dire aux militaire?, mais d'une utilité générale pour tous et, pour les
premiers, d'un intérêt précieux. M. le commandant Marseille, qui se préoc-
cupe constamment d'amender l'œuvre à laquelle il a attaché son nom, a
introduit encore dans rédition nouvelle des améliorations appréciables.
Dans l'Annuaire de 1888, la composition des corps de troupe est mise à jour
au 30 novembre. Les listes d'ancienneté sont arrêtées pour les promotions
et radiations, au 1" octobre, pour les mutations au 20 novembre. Enfin les
promotions et radiations effectuées depuis le 1" octobre 1887 forment l'objet
de tableaux spéciaux mis à jour au 31 décembre 1887. Inutile de recomman-
der ce nouveau livre dont le succès s'affirme tous les jours.
Arthur de Gaxniers.
Les Compositeurs célèbres : Beethoven, Rossini, Meyerbeer, Mendelssohn,
Schumann, par le baron Ernouf. Paris, Perrin, 1888, in-12 de 331 p., orné
de 5 portraits. — Prix : 4 fr.
L'auteur fait marcher simultanément la biographie des cinq grands maîtres
de ce siècle : Beethoven, Rossini, Meyerbeer, Mendelssohn, Schumann, la
nomenclature complète et chronologique de leurs œuvres, et l'analyse, sou-
vent détaillée, des principales d'entre elles. Ce livre offre donc un double in-
térêt : il nous apprend à connaître l'homme, et nous permet de suivre le dé-
veloppement de son génie depuis le jour où lui-même en a conscience,
jusqu'à celui qui marque le triomphe suprême. La conception et la compo-
- "''^ —
sition des chefs-d'œuvre que nous admirons, et qui, dans des genres bien
différents, peuvent être considérés comme les « étapes » de l'art musical, sont
intimement liées aux événements heureux ou malheureux, de famille ou
de société, qui se déroulent sous nos yeux. La remarquable et autorisée
critique du baron Ernouf ajoute enfin Fintérêt scientifique à celui du roman
vécu, et fait de ce livre un ouvrage substantiel et profond.
André de B.
Mon cher petit Cahîei*, journal d'une jeune ouvrière. 7» édition. Lj'On,
secrétariat de l'Œuvre des jeunes ouvrières, 1888, in-12 de xvi-326 p. —
Prix : 2 fr. (Bibliothèque des Enfants de Marie).
Ce livre n'est pas nouveau : six éditions en ont consacré le succès. Une
jeune ouvrière de la congrégation de Notre-Dame de Fourvière, morte à vingt-
deux ans après une vie toute de piété et de travail, avait laissé un petit cahier
sur lequel elle avait consigné ses impressions jour par jour, pendant plu-
sieurs années. Ce petit cahier, où s'épanchait le trop plein de sou cœur, est
devenu un livre édifiant et pieux, tout à fait propre à consoler, à soutenir,
à réconforter les âmes chrétiennes. C'est doux, gracieux, naïf, charmant, et
par-dessus tout plein de foi, plein de charité, plein d'espérance. Toute âme
sincère admirera à quelle hauteur la religion sait élever les cœurs humbles
qui se confient à elle. L'ouvrage est spécialement destiné aux réunions de
jeunes filles chrétiennes : c'est à elles surtout qu'il fera du bien. Les autres
ne le comprendraient peut-être pas : il ne faut pas jeter les perles à... tout
le monde. Munda mundis. P. Talon.
i»etîtes Études lîttcraîres, par E.-J. Gastaigne, avec deux lettres de
M. V. Sardou. Paris, Picard, 1888, in-12 de vi-129 p. — Prix : 1 fr. 50.
M. Castaigne, dans ses Petites Études littéraires fait preuve d'un goût très vif
des lettres, d'un esprit fin et délicat, d'un très joli talent d'amateur. Les études
du Sentiment de la nature dans La Fontaine et de la Versification de La Fontaine
n'ont sans doute rien de bien original au fond, et on regrettera qu'elles ne
soient pas plus étendues et plus fouillées; mnis telles quelles, avec des cita-
tions bien choisies et souvent neuves, ce qui atteste un travail personnel,
avec des remarques de détail ingénieuses, et d'heureux souvenirs de nos
poètes contemporains, elles forment deux intéressants chapitres de littéra-
ture à l'usage dos gens du monde. — Les pages intitulées Sur un poète ama-
teur et consacrées aux Poésies de M. Depiot ont sans doute été, sous leur
forme première, une conférence faite devant un auditoire mondain : c'est
en effet une véritable causerie, semée de digressions charmantes, égayée
de traits d'esprit et légèrement teintée d'idées spiritualistes. — Le chapitre
sur Alfred de Vigny est peut-être celui que je préfère : médaillon plutôt que
portrait, mais très finement ciselé et rendant très bien la flère et mélanco-
lique figure du gentilhomme-poète. Il y a môme des détails nouveaux et
assez piquants : Vigny Charentais et venant une fois en voiture de Paris
au Maine-Giraud par peur des accidents de chemin de fer ; Vigny candidat
aux élections de ^tS dans la Charente ; Vigny client assidu de la bibliothèque
d'Angoulême, ce qui nous vaut quelques lettres inédites au bibliothécaire,
qui nous font connaître ses lectures ; — tout cela intéresse un peu tout le
monde et davantage les Angoumoisins. C'est pour ses compatriotes, en effet,
qu'a travaillé M. Caslaigne, qui est d'Angoulême. On pouvait s'en douter
dés l'élude sur La l'oulaine en le voyant se complaire h citer « l'Ermite de la
Charente » Balzac. Quand il étudie, à propos (l'im livre récent /-^ Prre de
- 73 -
Madame de Rambouillet, c'est encore un sujet charentais par certains côtés,
puisque Jean de Vivonae se maria dans une famille de Saintonge, et que
son distingué biographe, M. Guy de Brémond d'Ars, porte aussi un nom
charentais. Eufln il fallait être petit-fils du bibliothécaire d'Angoulêrae pour
dénicher une Théodora absolument inconnue, publiée en 1662 à Angoulème,
écrite par un échevin d'Angoulême, Antoine Racault. M. Castaigne nous
résume rapidement l'œuvre médiocre du « prédécesseur inattendu de
M. Sardou » et nous fait part des deux lettres de M. Sardou que lui a
values cette piquante trouvaille.
En somme livre charmant, que je recommande comme une lecture très
attrayante, que je signale comme une promesse d'oeuvres de valeur pour
l'avenir. Gabriel Audiat.
Paul Féval. Souvenirs d'un ami, par CHARLES BUET. Paris, Letouzey et
Ané, s. d., in-12 de 384 p. — Prix : 3 fr. oO.
Ce livre est à proprement parler un recueil de documents et d'articles,
doQt la plupart sont fort intéressants à lire. M. Buet, qui connaissait intime-
ment Féval, a reçu de lui un grand nombre de lettres, dont beaucoup sont
spirituelles, et il les publie : des amis de Tillustre romancier, MM. Bloy,
Barbey d'Aurevilly, de Poli, Clarelie, Daudet, Villemessant, Palmé, lui ont
ouvert leurs portefeuilles et il y a puisé largement. Tout cela nous vaut beau-
coup de pages délicieuses, à côté de quelques-unes où le souci de la réclame
et les questions de boutique tiennent vraiment une trop grande place. Évi-
demment ces choses ne sont guère absentes de la vie d'un écrivain , voué
par les nécessités de sa situation à faire , le plus honnêtement du monde
d'ailleurs, marchandise de ses œuvres; encore vaut-il mieux ne pas les faire
voir au public. A cela ne se borne pas l'œuvre de M. Buet : à côté des lettres,
des articles et des poésies de Paul Féval , qu'il a bien fait de nous conser-
ver, il y a sa part personnelle, je veux dire ces portraits d'écrivains, ces
études littéraires qui sont absolument son œuvre et qui lui font grand hon-
neur. Tels les portraits de Barbyy d'Aurevilly, d'Hello, de Bloy, auxquels je
ne reprocherai qu'une trop grande bienveillance : car si ces hommes de
grand et même de très grand talent n'ont pas obtenu dans le monde catho-
lique la place qu'ils ont ambitionnée, n'est-ce pas un peu leur faute? Us ont
trouvé en M. Buet un éloquent avocat. Quant à Paul Féval, M. Buet a voué à
sa mémoire un culte fidèle qui fait honneur à tous les deux et dont ce livre
est un vivant et touchant témoignage. P. Talon.
Souvenirs d'un vieux, critique, par ARMA^'D DE PONTMARTIN. 9' série,
Paris, Calmann Lévy, 1888, in-18 de 370 p. — Prix : 3 fr. 50.
Tout a été dit sur l'attrait, le mérite littéraire, l'esprit et le judicieux dis-
cernement des Souvenirs d'mi vieux critique. La neuvième série, qui vient de
paraître, possède les mêmes qualités que ses aînées , et elle a un défaut de
moins. M. de Pontmartin n'y abuse plus du calembour. Cette série comprend
une vingtaine d'études dont les plus importantes sont : Les Commencements
d'une conquête (à propos de l'Algérie, de M. Camille Rousset); Honnêtes Gens
et Livres deshonnêtes (vaillant réquisitoire, publié dans le Correspondant contre
la littérature matérialiste et contre ceux qui la favorisent); Le Prince de Bis-
marck (une simple esquisse , mais crayonnée de main de maître) ; Histoire
d'une grande dame au xviip siècle (la princesse de Ligne); Napoléon et ses dé-
tracteurs (réponse topique aux idolâtries césariennes du prince Napoléon). Le
— 74 -
volume se termine par la critique de divers ouvrages nouvellement parus
de M. E.-M. de Vogué, Ernest Legouvé, Camille Doucet, Jules Simon et Dé-
siré Nisard. Signalons aussi un superbe article sur la Correspondance de
Louis Veuillot. Jamais le célèbre écrivain n'avait été jugé par un de ses pairs
avec plus de justice, de sympathie et de vérité. Le « vieux critique » est
comme les vins d'excellent crû : plus il vieillit, plus il devient meilleur.
F. B.
Eeeais et Fantaisies, par Arvède Barine. Paris, Hacliette, 1888, in-18 de
350 p. — Prix : 3 fr. 50.
Ces Essais, qui sont loin de manquer d'agrément, débutent par une disserta-
tion sur la danse; ils continuent par des réflexions sur les contes de fées; ils
terminent par une fantaisie à propos des Idées de Napoléon sur le mariage, et
par une thèse scientifique sur les fourmis. Dans l'intervalle, Arvède Barine
nous raconte Phistoire d'un don Juan japonais et nous parle abondamment
des condottières de la mer, du cérémonial de la cour eu Chine, de la tou-
chante et paternelle affection de Philippe II pour ses filles. L'auteur des Es-
sais, qui est russe, fait de ce terrible roi d'Espagne un portrait trop poussé
au noir. 11 trouve pourtant « des coins de soleil dans cette vilaine âme, »
et il cite de lui des traits charmants. Ces traits, dénotant qu'il y avait deux
hommes en Philippe II : le politique et l'homme privé, ne sont pas nou-
veaux. Ils ont été révélés par M. Gachard et par le regretté Hippolyte For-
neron. F. B.
chrysautbèmes, par M'"'= la marquise de Blocqueville. Paris, libr. des
bibliophiles, 1888, in-32 de 102 p. — Prix : 2 fr.
M^e la marquise de Blocqueville aime les fleurs avec passion, et dans
maints chapitres des Soirées de la villa des Jasmins , elle en a déchiffré avec
une poétique pénétration le charmant et profond symbolisme. Pourquoi
a-t-elle donné le titre de Chrysanthèmes au nouveau recueil qu'elle vient de
publier? Parce que, pour elle, le chrysanthème est l'image de l'intelligence
humaine. Il emprunte à la culture toutes ses formes, tous ses gracieux as-
pects, toutes ses beautés. Les Chrysanthèmes de M"« de Blocqueville méritent
de prendre place dans la bibliothèque des délicats, à côté des Roses de Noël,
du même auteur. Les « pensées » contenues dans le recueil s'inspirent de
l'idée du Vrai, du Beau et du Bien. La plupart sont exprimées eu une forme
exquise, et toutes sont pour l'âme une excellente nourriture. F. B.
Péliiii. Souvenirs de l'empire du Milieu, par MAURICE JUMETEL, chargé du
cours de langue chinoise à l'École des langues orientales. Paris, E. Pion et
Nourrit, 1887, in-12 de 305 p. — Prix : 3 fr. 50.
M. Jumetel a publié en 1886 un ouvrage intitulé : La Chine inconnue. (Pa-
ris, Rouam). Son nouveau volume, où l'auteur n'a pas voulu faire étalage
d'érudition proprement dite, est d'ime lecture facile et agréable; il a le mé-
rite de pouvoir être laissé entre les mains delà jeunesse. Ce simple récit de
voyage ne pouvait nous a])porter rien de tout à fait neuf sur les moeurs et
la civilisation de la Chine, qui, à vrai dire, ne peut plus passer pour terra
incofjnita ; mais lus personnes disposées à se l'aire des illusions liront avec
fruit un travail qui, malgré l'indulgence de l'auteur, démontre sunisamment
les défaillances de la culture chinoise en ce qui concerne les aspirations
idéales. Si nos pays d'Europe peuvent prendre modèle sur la Chine pour le
— 75 -
maintien de la propriété rurale dans les familles, on ne saurait, d'une ma-
nière générale, applaudir sans réserve à une stabilité qui ressemble à de
la stagnation, ni attribuer cette stabilité à la conformation du territoire et
à Talimentation végétale (p. 15). Ne serait-ce pas verser dans l'erreur trop
commune qui consiste à tout attribuer aux influences externes sans tenir
compte des différences ethniques et de l'action interne? M. Jumetel est,
ce semble, indifférent aux questions religieuses, ce qui ajoute du prix aux
éloges qu'il décerne aux Pères de la Compagnie de Jésus de Shang-Haï, à
leur merveilleux observatoire de Si-ka-wé, à leur science, à leur esprit
élevé, à leurs vertus et aux services de tout genre qu'ils rendent au pays.
M. Jumetel — c'est une remarque intéressante, — signale (p. 193) la ten-
dance commune aux Européens et aux Chinois à faire venir la civilisation
et la lumière d'un même point, occidental pour les premiers, oriental pour
les seconds ; c'est à dire du plateau central de la haute Asie, ce qui con-
firme les traditions primordiales sur le rôle civilisateur de la race blanche,
et, en particulier, du rameau arian dont ces contrées furent le berceau.
A. d'Avril.
Cliarlemagne dans l'histoîi-e et dans la légende, par G. MAILHARD
DE LA Couture. Lille, Société de Saint-Augustin, Desclée, de Brouwer
et Ci', 1887, in-8 de 190 p.
Godefroy de Bouillon et la I»remlèi'e Croisade, par le même. /6ic^em,
in-8 de iv-208 p.
Clovis, ou les Origines de la France cbrétienne, par ^'^ICTOR CaNET,
Ibidem, in-8 de 216 p.
Ricbard Coeur-de-Lion, le Roi paladin, par PAUL DE JORIAUD. Ibidem,
in-8 de 206 p.
Sobieski et la Mission de la I»olognc , par le baron KERVYN DE VOL-
KAERSBEKE. Ibidem, in-8 de 218 p.
Le Maréchal de Xurenne, d'après les écrivains de son temps.
Ibidem, in-8 de 218 p. — Prix de chaque volume : 2 fr.
Les biographies dont nous venons de donner les titres se recommandent
toutes par les mêmes qualités : esprit excellent, souci de la vérité histo-
rique, récit intéressant et sufQsamment complet pour le public auquel il
s'adresse, illustrations bien choisies, enfin aspect élégant et soigné. Ce sont
de bons ouvrages de vulgarisation dont les auteurs ont eu , en général, le
soin de se mettre au courant des résultats acquis par les récents travaux
des érudits; c'est surtout aux deux volumes sur Clovis et Charlemagne que
cet éloge s'adresse. — L'histoire de Clovis, de M. Victor Canet, est certaine-
ment le meilleur des six volumes énumérés plus haut; les faits du règne,
le caractère de Clovis, les accusations de cruauté et de duplicité portées
contre lui, sont examinés avec beaucoup de soin et d'impartialité. — Les
auteurs des biographies de Godefroy de Bouillon et de Richard Coeur-de-
Lion ont apprécié à sa juste valeur le caractère de ces deux héros du moyen
âge, dont le premier a pris place parmi les neuf preux et dont le second eût
mérité d'en être. — L'histoire de Sobieski, de M. Kervyn de Volkaersbeke,
présente également beaucoup d'intérêt; l'auteur nous semble avoir exagéré
le talent militaire du plus grand roi de la Pologne en le mettant sur la
même ligne que Napoléon; Sobieski fut sans doute un grand capitaine;
mais il n'eut pas le génie merveilleux et le coup d'oeil d'aigle de Bonaparte.
— L'auteur anonyme de la biographie de Turenne a fait de larges emprunts
aux Mémoires si nombreux du XVII» siècle, ce qui donne à son livre plus
de piquant et de relief. — Disons quelques mots de l'illustration. Pour
- 76 -
chaque volume elle est bien appropriée au sujet et prise parmi les monu-
ments contemporains : ainsi les ouvrages sur Glovis et Gharlemagne con-
tiennent des reproductions d'armes, d'objet et de monuments des époques
franque et carolingienne; les vies de Godefroy de Bouillon et de Richard
Coeur-de-Lion sont ornées de vues de la Terre sainte et de miniatures de
manuscrits; celles de Sobieski et de Turenne de reproductions d'anciennes
gravures du XYII" siècle : portraits, représentations de faits historiques,
comme la levée du siège de Vienne, etc. L. L.
Blistoîfc des i*eîatîoas de la Fi*anee et, du lîanenîapk sou» le
ministère du comte de Bernstorft, l 'î'Sîl-l 'T TO, parle Comte Ed.
DE Barthélémy. Copenhague, 1887, in-18 de 342 p.
M. de Barthélémy a recueilli dans les trente-cinq volumes de dépêches
échangées entre Versailles et Copenhague , au milieu du siècle dernier, les
éléments d'une étude très intéressante sur le ministère de M. de BernstorfT
qui, en Danemark, épuisa ses efforts à maintenir des relations entre son
pays et la France. Il est curieux de constater qu'à cette époque les grandes
puissances jouaient chacune un rôle qui n'est pas sans analogie avec ce que
nous voyons aujourd'hui. Seulement à celte époque la France tenait, en
Europe, un rang considérable et elle pouvait même subventionner certains
États. En résumé, M. de Barthélémy établit que l'alliance des monarchies du
Nord avec la France aurait assuré la paix dans cette région en protégeant
celle-ci contre la domination et la puissance nouvelle qui se développait d'une
manière inquiétante; de plus que, dans celte circonstance, M. de Choiseul.
dominé par la Suède, manqua de prévoyance diplomatique. J. de M.
Histoil-e municipale de I»ai'îs, Scènes et Récits historiques, par PAUL RO-
BiQUET, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Paris, Hachette,
1887, in-12 de 190 p. — Prix : 1 fr. 50.
Cet ouvrage est tout simplement un choix de récits isolés se rattachant à
l'histoire de la capitale. En voici les titres : Origines de la muuicipalilé pa-
risienne, Etienne Marcel, les Maillolins, les Cabochiens, les Anglais à Paris,
la Saint-Barthélémy, les Barricades, Paris sous la Fronde, la prise de la Bas-
tille, les Trois Glorieuses. Celte énumération fait connaître sans hésitation
possible le caractère et le but de l'ouvrage; on remarquera eu etTet que
M. Robiquet a choisi dans l'histoire de Paris tous les épisodes ayant un ca-
ractère d'opposition ou de révolte contre le pouvoir légitime. M. Robiquet
reconnaît bien qu'Etienne Marcel « a commis des fautes et a pris rinitiative
des mesures violentes, » mais il proclame « la grandeur de son œuvre » (?);
bien entendu l'auteur ne connaît pas les travaux de M. Noël Valois, qui a
démontré si péremptoirement que Marcel n'a point eu du tout, à propos de
ce qu'on appelle le gouvernement constitutionnel, la hauteur de vues qu'on
lui prête. Les autres notices sont dans le même genre. A propos de la prise
de la Bastille, M. Robiquet émet l'opinion que le prévôt des marchands a
été assassiné par un émissaire de la Cour pour supprimer un complice com-
promettant. Voilà une accusation qu'il serait bon de prouver. Charger la
Cour des crimes imaginaires, c'est déjà fort; mais lui faire endosser des as-
sassinats commis par les révolutionnaires, cela passe les bornes du bon sens.
Dans le récit des « Trois Glorieuses, » nous relevons encore ce passage : on
jeta dans la Seine le « mobilier de M. Quélen, » phrase digne de celle qui
se trouve dans les premières pages du volume : « Pierre Marcel avait été le
bourgeois le plus imposé de la paroisse Barthélémy dans la Cité. » L. L.
Études Aur- I''tiIstoirc militaire et mai-îtimc des Gi*ecB et des Ro-
mains, par le contre-amiral Serre. Paris, Baudoin, 1S88, in-12 de 270 p.
— Prix : 3 fr.
Le contre-amiral Serre poursuit ses savantes études commencées dans un
volume intitulé : tes Marines de guerre de l'antiquité et du moijen âge. Cette
fois, avec la même érudition et une égale compétence, il prend à partie l'histo-
rien grec Polybe et s:; propose de démontrer que s'il nous a laissé la des-
cription la plus complète des batailles navales au temps des guerres puni-
ques et de Forganisalion militaire des Grecs et des Romains, cependant ses
renseignements ne peuvent être acceptés sans contrôle et sans discussion;
l'ignorance technique de l'auteur l'entraîne en efTet à de graves erreurs. Le
savant commentateur prend les textes de Polybe corps à corps et examine
successivement ses récits de la bataille d'Ecnome et du siège de Syracuse,
puis les détails comparatifs qu'il donne sur la phalange grecque et la légion
romaine pour expliquer le triomphe définitif de cette dernière. L'amiral
Serre estime avec raison que l'étude approfondie et raisonnée de l'organisa-
tion militaire chez les peuples anciens est nécessaire à une époque où les
flottilles renaissent, et où les peuples néo-latins cherchent la meilleure or-
ganisation des armées nationales. Mais son livre , très curieux à ce point
de vue et d'une exposition très nette et très claire, ne peut intéresser qu'un
nombre assez restreint de lecteurs, d'autant plus que le savant auteur mul-
tiplie les citations grecques et latines et dédaigne absolument d'en donner
la traduction. Comte de Bizemont.
La vie nitiîtaii-e en Espagne, tableaux et dessins de M. Gusachs, chef
d'escadron d'artillerie en retraite, texte du capitaine Barado. Barcelone,
typo-hthographie des successeurs de N. Ramirez, 1887, in-4 de 8 p.
Tout le monde connaît en France la belle publication de Détaille : l'Ar-
mée française; les plus difficiles sont contraints d'avouer que le succès de
ce magnifique album est mérité, et qu'en peu de pays on trouverait un ar-
tiste capable de rendre avec cette précision, celte vérité, cet art, les types
de notre armée. Des publications similaires ont été tentées récemment en
Allemagne, en Autriche, en Italie, mais aucune n'a atteint le niveau de per-
fection auquel s'est élevé le peintre du Rêve. Seule l'Espagne paraît vouloir
marcher de pair avec nous, dans le genre que nous venons d'indiquer, et le
magnifique travail du commandant Cusachs, le Détaille espagnol, nous
semble appelé à un grand succès. Un texte irréprochable comme exécution
typographique, des illustrations d'un mérite artistique très réel et très frap-
pant, enfin une glose intéressante et exacte, tels sont les trois mérites qui
recommandent la publication des successeurs de M. Ramirez non seulement
à l'attention des militaires de tous pays, mais à tous les artistes, aux biblio-
philes , aux amateurs de belles estampes et d'éditions de luxe. Dans un
pays où jusqu'ici les publications illustrées, sauf un nombre très restreint,
se contentaient de chchés étrangers, français, anglais ou allemands, la
tentative faite par la maison Ramirez de Barcelone est tout à fait remar-
quable. — Elle fait honneur à ces industriels courageux qui , préoccupés
surtout du développement de l'industrie et de la typographie nationales,
s'imposent, au nom du progrès, des frais et un labeur considérables. Tous
nos souhaits à cette publication à laquelle nous prédisons un grand succès.
Arthur de Gaxxiers.
— 78 —
Simples histoii-es, par le uiarquis A. de Ségur, 2" série. Paris, Retaus-
Bray, 1888, in-18 de 281 p. — Prix : 4 fr.
Nous avons annoncé et recommandé aux lecteurs du Polybiblion la première
série des Simples histoires : celle-ci vaut sa sœur aînée, et, comme la précédente,
ne comprend que des histoires vraies, ce qui n'est pas pour en diminuer l'in-
térêt, bien au contraire. Prêtres, soldats, moines, enfants du peuple en sont
les héros ; toujours il s'en dégage une leçon, l'auteur n'étant pas de ceux
qui ne racontent que pour raconter ; toujours aussi il écrit en quelque sorte
sous la dictée de son patriotisme et de sa foi. Ces indications suffisent pour
donner une haute idée de la portée morale du livre. Citons au hasard quel-
ques pages qui sont non seulement des histoires, mais de l'histoire : Un
miracle de Jeanne d'Arc, A Staoueli, Une fête aux Tuileries, ce dernier récit
surtout, fragment de journal, aussi intéressant par les événements qu'il
relate que par les prévisions qu'il énonce et les contrastes qu'il évoque.
Pour le style, on y reconnaît toujours cette plume alerte et si française que
les Ségur se passent d'une génération à l'autre et qui est aujourd'hui
encore en très bonnes mains. P. Talon.
Ceunî eu Fra Dolcino. Ricordi e raconti storici c religiosi compilati e svolti
cou note da G. S. A. C. Torino, tip. cooperativa, 1887, in-8 de vi-40 p. —
Prix : 0 fr. 80.
L'auteur ne prétend pas écrire une vie de fra Dolcino. Le voulùt-il, les do-
cuments feraient véritablement défaut. Son but est de provoquer les recher-
ches sur des points peu connus. Malheureusement l'auteur, bien qu'il se
défende d'écrire avec passion et esprit de parti, semble n'avoir d'autre pen-
sée que d'accuser les agissements des catholiques. A ses yeux « le Pape et
l'évêque de Verceil n'avaient pas, d'après le droit canonique et civil, le droit
de dénoncer Dolcino au pouvoir séculier. Il reconnaît en Dolcino de bonnes
qualités mêlées à de graves défauts : il lui eût manqué beaucoup pour être
un vrai réformateur et la raison de son entreprise n'est pas connue. Les
dernières pages de cet opuscule sont consacrées à réfuter ce qu'a dit de
Dolcino M. l'abbé Maglia, dans un récent travail sur le bourg de Gattinara,
puis l'auteur conclut en disant : « L'histoire impartiale de Dolcino n'est pas
encore écrite, elle ne le sera que lorsque les nations seront délivrées du pa-
pisme, de l'esprit de parti, des préjugés, de l'incrédulité, de l'indifférence
religieuse et du scepticisme, lorsque la politique ne sera plus confondue
avec la rehgion. » Que l'auteur en soit bien convaincu : ce n'est pas par
ces phrases passionnées qu'on avance les questions historiques, Timpartia-
lité a besoin de la vérité et la rehgion catholique seule renferme toute la
vérité. H. DE L'É.
CHRONIQUE
NÉCROLOGIE. — M. Alexis Chassang, inspecteur général de l'enseignement
secondaire, né à Bourg-la-Reine (Seine), le 2 avril 1827, est mort le 8 mars.
Les travaux de M. Chassang sur la littérature et la lexicologie grecque et la-
tine lui ont acquis une grande notoriété. Nous citerons d'abord ses deux thèses
de doctorat : De corrupta posl Ciceronemper declamalores eloquenlia {18u2, in-8)*
- 79 -
— Des Essais dramatiques, imités de l'antiquité au xiv» et au xv siècle (1852,
ia-8). Ses autres publications sont : Apollonius de Tyane, sa vie, ses voyages,
ses prodiges, par Philostrate. Ouvrage traduit du grec, avec introduction,
notes et éclaircissements (1862, in-8) ; — Histoire du roman et de ses rapports
avec l'histoire, dans l'antiquité grecque et latine (1862, in-8) ; — Modèles de com-
position française empruntés aux écrivains classiques (2» édition, 1863, in-12) ;
— Dictionnaire grec-français, rédigé sur un plan nouveau, contenant tous les
termes employés par les auteurs classiques, présentant un aperçu de la dérivation
des mots dans la langue grecque et suivi d'un lexique des noms propres (186o,
in-32); — Modèles de composition latine (2' édition, 1863, in-12); — Le Spiritua-
lisme et l'Idéal dans l'art et la poésie des Grecs (1868, in-8); — Nouveau Diction-
naire grec-français (1871, in-8); — Abrégé de la grammaire grecque (1872, in-8) ;
— Nouvelle Grammaire grecque, d'après les principes de la grammaire comparée
(1872, in-8) ; — Exercices grecs élémentaires et gradués (1873, in-18) ; — Narra-
tions latines extraites des auteurs classiques et publiées avec des notes, des argu-
ments et des modèles d'analyse littéraire (1877, in-12) ; — Nouvelle Grammaire
française. Cours supérieur (1878, in-12) ; — Les Chefs-d'œuvre épiques de tous les
peuples, notice et analyses (1879, in-12) ; — Nouvelle Grammaire latine d'après les
principes de la méthode comparative et historique. Cours supérieur (1881, in-12) ; —
Morceaux c'noisis des principaux auteurs grecs classés dans l'ordre chronolo-
gique et accompagnés de notions d'histoire littéraire et de notices sur les princi-
paux écrivains (1883, in-12) ; — Nouvelle Grammaire française pour l'enseigne-
ment primaire, avec des notions de grammaire historique (1884, in-12).
— M. Martin Bertrandy-Lacabane, né le 27 novembre 1827, à Figeac (Lot),
archiviste du département de Seine-et-Oise , est mort à Versailles. On lui
doit plusieurs importants ouvrages : Recherches historiques sur l'origine,
l'élection et le couronnement du pape Jean XXII (1834 , in-8) ; — Cesari Torneo,
épisode de l'histoire du Quercy au xiv" siècle (1863, in-12); — Un Évêque sup-
plicié, étude historique (1863, in-8); — Élude sur les chroniques de Froissart.
Guerre de Guienne, 1Si5-t3i6. Lettres adressées à M. Léon Lacabane, directeur de
l'École impériale des chartes (1870, in-8) ; — Essais et Notices pour servir à l'his-
toire du département de Seine-et-Oise (1880, 2 vol. in-8).
— M. Adolphe-Charles-Louis B.\udon de Mony, président général de la
Société de Saint-Vincent de Paul, né à Toulouse, en 1819, est mort le 9 juin
en son château du Ris-Chauvron (Haute-Vienne). M. Baudon de Mouy laisse
plusieurs ouvrages qui révèlent à la fois le grand chrétien et l'homme inva-
riablement fidèle à la haute mission qu'il eut à remplir pendant près de
cinquante années : De la suppression des tours d'enfants trouvés et des autres
moyens à employer pour la diminution du nombre des expositions (1847, in-8) ; —
Des devoirs de la grande 'propriété (1833 , in-8) ; — Lettre aux membres des con-
férences de Saint-Vincent de Paul; suivie d'une lettre à un membre d'une confé-
rence de province (1862, in-12) ; — Lettres d'un camarade d'enfance sur les petites
imperfections che:: les chrétiens vivant dans le monde (1863, in-12) ; — Lettre aux
présidents des conseils et conférences de la Société de Saisit- Vincent de Paid en
dehors de la France (1863, in-8); — Lectures et Réflexions pieuses pour le m.ois
de Marie (2' édition, 1870, in-32) ; — Méditations pratiques pour le rnois de saint
Joseph (3^ édition, 1870, in-32) ; — Pensées pieuses après la sainte communion,
pour les dimanches et les principales fêtes de l'année (2° édition, 1870, in-18).
— Est mort à Rouen, le 16 mai 1888, M. Malebraxche, qui fut, pendant
vingt ans, secrétaire de l'Académie des sciences, beUes-lettres et arts de
Rouen pour les sciences, et qui fut, ses publications le révèlent, un savant
de l'école spiritualiste, persuadé que la religion doit être l'aUiée de la
- 80 —
science, et non la science l'ennemie de la religion. Dans les Précis, publiés
par l'Académie, on trouve de nombreux travaux qu'il a signés ; nous citerons :
Le Transformisme, ses origines, ses principes, ses impossibilités (1873) ; — Les Plantes
carnivores (1877) ; — L'Agriculture chez les Romains (1878) ; — Réflexions sur les
origines de la vie (1879) ; — La Littérature dans les spécialités pharmaceutiques
(1880); — Création et Transformisme (1882); — Les Rouilles des céréales et
des arbres fruitiers (1883); — La Peste des écrevisses (1883); — Les Microbes
(1884) ; — Le Jardin des plantes de Rouen, à propos d'un catalogue de Pinard
(1887).
— Dom Victor-Eugène Gardereau, né à Angers, le 22 octobre 1807,
licencié en droit, profès de l'ordre de Saint-Benoît, congrégation de France,
chanoine honoraire d'Angers, est mort à Solesmes, le 16 mai 1888. Il s'est
toute sa vie occupé d'études philosophiques et théologiques ; il a collaboré
à l'Auxiliaire catholique durant les années 1845 et 1846, au Correspondant (1846),
aux An7iales de philosophie (t. XXXIV), et donné un grand nombre d'articles
au journal le Monde et à la Revue du monde catholique.
— On annonce encore la mort : de M. André Barbes, ancien rédacleur de
plusieurs journaux royalistes, mort à Cannes; — de M. BEArjEAN, né à
Saint-Fargeau (Yonne), en 1821, collaborateur de M. Littré dans la rédaction
de son Dictionnaire de la langue française, mort le 7 juin, à l'âge de 66 ans;
— de M. BÉHAGHEL, né, en 1833, à Nancy, auteur de plusieurs travaux sur
l'Algérie, et rédacteur de journaux algériens; — de M. L. Derôme, qui a
collaboré au Moniteur Universel, au Journal de Paris, à la Revue de France et
au Correspondant, et publié des articles remarquables de critique littéraire ;
de M. Eugène-Louis Hauvette-Besnault, né à Malesherbes (Loiret), en
1825 , auteur d'un ouvrage intitulé : Panlchâdhyâyi, ou les Cinq Chapitres sur
les amours de Crichna avec les Gopis (1865, in-8), mais non pas des Stratèges
athéniens que Lorenz (t. IX, p. 733) lui attribue à tort, en le confondant
avec son fils, M. Amédée Hauvette-Besnault ; — de M. Arnold Henryot, ancien
rédacteur du National et du Siècle ; — du maréchal Edmond Le Bœuf, né
à Paris le 5 novembre 1809, qui laisse un manuscrit de Mémoires intitulés :
Histoire de ma vie , mort le 7 juin, au château de Moncel, à l'âge de 80 ans ;
— de M. Francis Lefeuvre , auteur de travaux historiques et de nouvelles
fort intéressantes, collaborateur de la Revue de Rretagne et de Vendée, mort
le 7 mai ; — de M. Marestaing, qui a pendant de longues années rédigé la
partie fmancière du journal la Liberté, sous le pseudonyme de Monbel, puis
dirigé V Avenir national et le Télégraphe, mort à l'âge de 73 ans; — de
M. Charles-Emile de Maupas, ancien ministre, ambassadeur et sénateur, né
le 8 décembre 1818, à Bar-sur- Aube (Aube), auquel on doit notamment :
Considérations sur le système des impôts (1841), Mémoires sur le second Empire
(1884-1885, 2 vol. in 8), mort à Paris le 19 juin, à l'âge de 70 ans; — de
M. POLMARTiN, ancien bibliothécaire du Corps législatif, mort à 92 ans ; —
de M. Paul-Adolphe Rajon, né à Dijon, collaborateur à la Gazelle des Beaux-
Arts, mort le 9 juin dans sa propriété d'Auvers-sur-Oise ; — du R. P. Tissier,
jésuite, âgé de 88 ans, fondateur du célèbre cercle religieux et littéraire de
la Mission de Franco, à Marseille, auteur de fort curieux Mémoires, qui
seront sans doute publiés.
— A l'étranger, on signale la mort: de l'archéologue Franz-X. Benes,
mort à Prague, le 20 mai, dans sa es»" année; — du D' Ernsl Bertheau, pro-
fesseur à la Faculté de philosophie de Gœttingue, mort dans cette ville le
17 mai, dans sa 75'-' année; — de M. Gust. Boddaert, professeur de chirurgie
à l'Université de Gand, mort dans cette ville le 1" juin, âgé do 52 ans; —
— 81 —
du théologien JatDes-FreeniannCLARKE,iuort le 8 juin;— de M. Carlos Coello
Y Pacheco, poète et dramaturge espagnol, mort le 27 avril, à Madrid; — du
romancier Karl von Gerstenberc, mort à Hambourg le !<=■• mai, à 42 ans;
— de M. Edmund Gukney, auteur de plusieurs ouvrages sur la psychologie,
mort le 22 juin, à Brighlon, à lage de 43 ans; — du D' Carl-Friedrich-Au-
gust Kahnis, né à Greiz le 22 décembre 181'i, auteur de plusieurs travaux
sur le protestantisme, mort à Leipzig le 20 juin; du D' Johann-Karl- Fried-
rich Keil, ancien profess -ur de théologie à TUniversité de Dorpat, mort le
o mai àlloedlich, près Lichtenstein, dans si 82« année; — de M. Molbegh,
professeur à l'Universilé de Kiel, mort le 20 mai à Copenhague, dans sa
6Te année; — du rev. John Pexrose, auteur d'une compilation intitulée :
Easii Exercises in Latin clfgiac verse, publiée en 1850 et plusieurs fois réim-
primée, mort le 23 juin, à Norway; — de Mr. Baker-Peter Smith, qui a
publié en IS'iO un volume intitulé: A Trip to the Far West of England, mort
le 18 juin, à Maidenhead, âgé de 87 ans; — de Mr. John Snodgrass, qui a
traduit en anglais plusieurs ouvrages de H. Heine, mort à l'âge de 38 ans;
— du philosophe Gustav Teichmûller, mort à Dorpat le 24 mai, dans sa
37« année ; — de M. Xavier-Victor van Elewyk, maître de chapelle à la
cathédrale de Louvain, et écrivain musical disliugué, mort le 28 avril à
Louvain, âgé de 63 ans; — de M. l'abbé Giaeomo Zanella, poète lyrique
estime et professeur de langue et de littérature italiennes à l'Université de
Padoue, mort le 17 mai, à Viceace, âgé de 68 ans.
Lectures faites a l'Académie des inscriptions et belles-lettres. —
Dans la séance du 8 juin, M. Bergaigne a lu une étude sur les Origines de la
littérature védique. — Le 1.5 juin, M. le marquis de Vogiié a entretenu l'Aca-
démie de sa visite aux. fouilles de Gherchell ; M. d'Arbois de JubainviLe a
fait ensuite une communication sur les connaissances géographiques que
les anciens Grecs avaient des contrées du nord de l'Europe. — Le 22 juin,
M. Heuzey et M. Oppert ont présenté des observations sur des inscriptions
récemment découvertes en Chaldée et en Assyrie ; M. Philippe Berger a com-
muniqué à l'Académie une élude aprofondie sur une inscription punique
trouvée à Gherchell et dans laquelle il est question du tombeau de Micipsa.
Lectures faites a l'Académie des sciences morales et politiques. —
Dans la séance du 9 juin, M. Levasseur a communiqué un travail sur labo-
lition de l'esclavage au Brésil; M. Ch. Lucas a entretenu ensuite l'Académie
du nouveau code pénal italien qui abolit la peine de mort. — Le 16 juin,
M. Vandal a commencé la lecture d'un mémoire sur un projet d'établi s ie-
ment français en Egypte formé par Louis XIV et Golbert.
Concours et Prix. — Les Jeux floraux de Paris organisés par la Société
des félibres ont compris, cette année comme en 1887, un concours littéraire
et un concours artistique, dont les résultats ont été proclamés le 17 juin der-
nier, aux fêtes de Sceaux. Un prix était offert parle ministre de l'instruction
publique à la meilleure étude en prose française sur Théodore Aubanel
(poésie, théâtre, discours): le jury, que présidait M. Maurice Faure, député,
a donné sa préférence au travail de notre collaborateur M. Chorles Maurras.
Le prix Florian (un dialogue en vers français entre Florian et Aubanel) a
été enlevé haut la main par M. Xavier de Magallon. Divers autres prix
étaient attribués à des ouvrages en langue d'oc. Signalons parmi les lauréats
M. Challamel, pour son poème sur la Comtesse de Die ; M- Gavaudan pour son
sonnet rAloli; M. J. ChevaUier pour un autre sonnet provençal la Mort de
Zani ; M. Chastanet pour une 5ctne comique méridionale : M. Maurice Bruel
Juillet 1888. X. UII. fi.
— 82 -
pour sa traduction du Pelil Poucet en provençal. — Enfin les lauré:\ts du con-
cours artistique sont : MM. Marsal, pour son dessin de tambourinaire pro-
vençal, Victor Peter, pour sa médaille, et Dumont, qui a mis en musique la
chanson de Félix Gras, Guihein de Berguedan. Tous ces sujets étaient exac-
tement définis dans le programme du concours. Les récompenses consistent
en médailles de vermeil ou d'argent et en œuvres d'art offertes par le
ministère de l'instruction publique et le ministère des beaux-arts.
— L'Académie des Jeux floraux de Toulouse a célébré, le 3 mai, sa grande
fête traditionnelle, connue sous le nom de « Fête des Fleurs. » Pour le con-
cours de cette année, l'Académie avait reçu neuf cent dix-sept ouvrages en
vers ou en prose. Sur ce nombre, sept seulement ont été couronnés. La
Galatée, ode, par M. Francis Maratuech, de Ferrières (Lot), a obtenu une
violette d'argent; les Voix du souvenir, ode, par M. Max-Tiple, de Saintes
(Charente-Inférieure), ont obtenu un souci; les Enfants, idylle, par M'"'' Fondi
de Niort (de Limoges), ont obtenu un œillet; la Béarnaise, élégie, par
M. Amaury de Cazanove, de Salles (Basses-Pyrénées), a obtenu un souci,
prix du genre; le Duel du Cid, ballade, par M. Élie Sorin, bibliothécaire-
archiviste à Angers, a obtenu un œillet ; le Chêne à la Vierge, hymne, par
M. F.-E. Adam, de Paris, a obtenu le lis d'argent, prix du genre. Le jasmin
d'or, prix fondé par M""» la marquise de Blocqueviile, a été décerné à M. Gas-
ton David, de Bordeaux, pour son discours en prose, intitulé : la Philosophie
chrétienne et le Pessiynisme contemporain. En même temps que le jasmin d'or,
l'Académie, dans cette séance, a remis à M. Gaston David des lettres de
maître ès-jeux. La même distinction a été accordée à M. Henri Villard, de
Langres, qui a lu, à la séance du 3 mai, l'éloge de Clémence Isaure. Cette
séance était présidée par M. le chanoine Duilhé de Saint-Projet, modérateur
du trimestre. Il avait à ses côtés M. Fernand de Rességuier, secrétaire per-
pétuel, et tous les mainleneurs de l'Académie, présents ce jour-là à Tou-
louse. M. Auguste Marchai, l'un des quarante, a lu le rapport sur le con-
cours de l'année. Séance très brillante et auditoire choisi.
Un procès criminel sous Charles VI. — Le sous-titre de la brochure
de M. Maurice Chanson est celui-ci : Aimci-igot Marche: au Châlclel de Paris.
Juillet ^j9;2 (Clermond-Ferrand, 1888, gr. in-8 de 19 p.). Aimerigot ou Merigot,
décapité à Paris, en la place des Halles, le 12 juillet 1392, était fils du sei-
gneur de Chalus et de Marguerite d'Ussel. M. Chanson a emprunté les prin-
cipaux éléments de sa notice à Froissart, qui a si bien décrit les pillages et
rapines du personnage, « ses besongnes d'Auvergne, » comme il s'exprime,
et aux Registres du Chdtelet de Paris, où l'on trouve tous les détails de l'in-
formation contre le coupable. La notice e^t enrichie de nombreuses notes,
parmi lesquelles on remarquera surtout celle qui concerne (p. s) la position
de la localité que Froissart appelle « Calusset. »
CONTES POPULAIRES DE LORRAINE. — Lc PoUjbibUon (lomc XLIX, p. /i9) a
donné un ample compte rendu des Contes popidaires de Lorraine, publiés et
encadrés dans de si savants commentaires par M. Emmanuel Cosquin. Bien
des éloges émanés des hommes les plus compétents sont venus se joindre
à ceux qui, dans cette revue, étaient adressés à l'auteur. M. Gaston Paris,
dans le Journal officiel; M. Gaidoz, dans Mélusine; M. V. Fournel, dans le
Moniteur universel, ont rendu pleine justice à M. Cosquin, de même que les
rédacteurs de la Salurday-Reviciu, du Folk-lore Journal, de la Civiltn Catlolica
et d'autres nombreux périodiques français et étrangers. Les contes lorrains
dont M. Cosquin fait d'une manière si curieuse remonter la généalogie jus-
qu'à rindc et qui amènent à leur suite un nombre énorme de récits ana-
logues de provenances diverses, forment un des livres les plus importants
dont le folk-lore se soit enrichi. Aux adei>tes de la science nouvelle,
M. Vieweg rend un service véritable en mettant en veute à un prix plus
accessible à toutes les bourses — 12fr. — un nouveau tirage des deux beaux
volumes couronnés par l'Académie française.
Un singulier homonyme de Montaigne. — Le Pohjhiblion avait fait part
aux lettrés, dans sa chronique du mois de septembre 1886 (p. 27o), de la mise
au jour d'une lettre inconnue de Montaigne, adressée au roi Henri III, et
datée de 1383. La pièce ni la signature n'étant autographes, la question d'au-
thencité restait ouverte. Elle vient d'être résolue de la façon la plus im-
prévue par l'auteur même de la trouvaille, M. ;î;mile Du Boys, qui nous
donne, dans le Bulletin du Bibliophile de mars 1888,1e résultat de ses recher-
ches. La lettre est écrite par un nain du nom de Montaigne, qui figure, en
1360, sur un rôle des valets de la reine d'Espagne, à la cour de France, et en
1363 dans un document des Archives nationales. Ce document est indiqué
par Jal, et ou y v^it que dans un tournoi donné par Charles IX, son nain
s'y montra « avec Montaigne, nain de la reine d'Espagne. » Ainsi s'explique,
dans la curieuse lettre signée Montaigne, l'insistance de l'écrivain sur sa
toute petite taille, insistance qui restait assez bizarre pour qui savait que
l'auteur des Essais était seulement, comme il le dit lui-même, « un peu au-
dessous de la moyenne. » Les pièces apportées au procès par M. Du Boys ne
laissent aucun doute sur la question; il faut seulement admettre que le
nain Montaigne vivait en 1383, bien qu'aucun autre document jusqu'ici n'ait
attesté son existence à cette époque.
Archives historiques de la Gascogne. — Un fascicule supplémentaire
des Archives historiques de la Gascogne vient de paraître (Paris, Champion;
Auch, Cocharaux, 1887, gr. in-8 de 30 p.). Ce fascicule renferme le compte
rendu de la réunion générale de la Société (22 octobre 1887). On y remarque
une belle allocution de Mgr l'archevêque d'Auch sur l'importance des études
historiques, deux rapports très intéressants, l'un par notre collaborateur
M. Léonce Couture, président de la Société, sur le personnel et les travaux
de la dite Société; l'autre, par M. J. de CarsalaJe du Pont, qui en est le
secrétaire général, sur la publication des archives historiques. Signalons
encore diverses communications de M. le baron A. de Ruble (sur le conclave
où le cardinal François de Tournon , archevêque d'Aufh , fut sur le point
d'être nommé pape); de M. Tabbé Breuils (sur des mosa'iques et ruines
gallo-romaines dans les en\irons de Montréal et d'Eauze); de M. Adrien
Lavergne (sur le projet d'un musée archéologique à Auch) ; de M. l'abbé
Doiiais (sur le projet d'un builaire de la Gascogne) ; du même abbé Douais
(sur I j cartulaire de Nizors) ; de M. Baradat de Lacaze (sur les coutumes
de Mauvezin et de Fezensaguet conservées à la Bibliothèque de l'Institut) ;
de M. le docteur Louge (sur le préhistorique dans le Gers) ; de M. Dumas
de Rauly, archiviste du département de Tarn-et-Garonne (sur le siège de
Lectoure et le meurtre de Jean Y, comte d'Armagnac, en 1473); de M. le
docteur Desponts (sur un Mémoire de 1637 relatif à la commune de Pessan,
rédigé par M. de Lacoste, professeur à l'Université de Cahors); de M. Phi-
lippe Lauzun (sur la monographie projetée de l'abbaye Notre-Dame de
Flaran). Le recueil est couronné par un sonnet en langue gasconne adresse
aux membres de la Société par M. Forestié , le futur éditeur dans les
Archives historiques du très curieux et très précieux Livre de comptes
— 84 —
des frères Bonis (xiv siècle). Puisque nous avons parlé d'une des prochaines
publications de la S jciété, annonçons encore deux autres publications con-
sidérables dont les frais seront généreusement supportés par les éditeurs,
ce qui est d'un bon et bel exeruple : Les Sceaux gascons du moyen âge (gra-
vures et notices), par M. le conseiller Laplogne-Barris, et le Voyage à Cons-
tanlinople de Jean de Gontaut-Biron, baron de Salagnac. ambassadeur auprès du
Grand-Seigneur (i603), par M. le comte Th. de Gontaut-Biron, à la famille
duquel le Polybibiion adresse le témoignage de sa plus vive sympathie à
roccasion de riUi^endie du magnifique château de Saint-Blancard.
Tableau de Valenciennes au xviir siècle. — Le texte publié sous ce
titre lar M. Paul Marmottan (Valenciennes, Lemaître, gr. in-8 de xiv-53 p.),
est tiré d'un manuscrit inédit de dom Buvry, dernier abbé de Saint-Sauive,
près Valenciennes. Dom Buvry ne paraît pas être l'auteur de ce Mémoire;
on lit en effet sur l'un des folios de garde du manuscrit en question, qu'il
a été tiré a'un original déposé à l'abbaye de Saint-Jean en Valenciennes.
Qu'est devenu le manuscrit original ? On l'ignore, et il semble perdu à tout
jamais. Quant à la copie de dom Buvry, elle fut d'abord conservée à l'abbaye
de Siiint-Saulve, d'où elle passa entre les mains de divtrs particuliers, et
enfin dans la bibliothèque de M. Dancoisne, qui fut, en 1874, vendue aux
enchères. Le manuscrit du Tableau de Valenciennes devint alors la propriété
du père de M. Paul Marmottan. Ce Mémoire fournit des renseignements ab-
solument nouveaux et très variés sur l'état de la ville, surtout, à la fin du
xviiie siècle : à côté d'une notice historique sur Valenciennes, son origine
et ses souverains, on trouve un état ecclésiastique, indiquant les paroisses
et couvents d'hommes et de femmes, une statistique des établissements de
charité, décrits en détail. Le paragraphe consacré à l'état civil et aux diffé-
rentes juridictions a une grande importance; c'est une véritable histoire
administrative de Valenciennes, très utile à consulter pour la composition
des principaux corps publics, pour la date de la création et les attributions
des différentes charges, depuis les [)révôts, prévôt de la ville, et « prévôt le
comte, » commissaire du roi, jusqu'aux sergents. Très intéressant aussi l'état
militaire de Valenciennes, composé de cinq compagnies bourgeoises : les
canonniers, les arbalétriers, les archers, les arquebusiers et les bons- vou-
loirs ou volontaires, ceux-ci plus favorisés que ceux d'aujourd'hui, car ils
pouvaient quitter leur service quand ils voulaient. Le manuscrit de dom
Buvry traite encore des impositions, du commerce, de la navigation, des
corps et communautés de marchands (chapitre très curieux), etc. L'original
dont il dérive a sans doute été écrit en 1783; il ne mentionne, en effet, au-
cun événement postérieur à cette date. M. Paul Marmottan a été bien ins-
piré en faisant part au public de ce texte si nourri de faits et de renseigne-
ments précis. Dans la notice qui le précède, l'éditeur donne notamment
une bibliographie des œuvres composées, ou simplement transcrites par dom
Buvry.
"L'Ancienne I^ittérature polonaise et ruthène. — La Pologne, après
avoir eu 200 œuvres imprimées au xv siècle, vit dans le siècle suivant le
nombre des volumes imprimés s'élever à 7,250. L'activité littéraire du
xvii" siècle fut encore beaucoup plus grandi; et on compta plus de 21,000
publications littéraires. Le siècle dernier donnant un nombre de plus de
44,000 ouvrages, la bibliographie polonaise des (juatre siècdes qui ont pré-
cède 1(3 nôtre comprend donc plus de 73,000 impressions. Gomme la langue
savante de ces siècles était la lani.nie latine et (lue de plus cette langue
— «o —
était souvent celles des tribunaux et des diètes, il n'est pas étonnant que
les deux tiers de ces publications littéraires soient des écrits en langue
latine ; de plus il faut remarquer que 700 écrits environ ont paru en
langue ruthène. On imprimait en i'ologne des livres destinés à Tusage de
l'Église grecque-ruthène. Presque tous ces livres sont catholiques et il n'y
en a qu'un petit nombre de scliismatiques. Des Polonais comme le prince
Ostrogski, Smolrzycki, Baranowicz, Galatowski et beaucoup d'autres écri-
vaient en même temps en polonais et en ruihène (petit-russieu). Le premier
livre russien a été imprimé par Fiol en l-i91. Les livres ont été imprimés
dans les localités suivantes : 1 à Bujnicze (gouv. Mohilewj; 66 à Czernichow
(ancienne Litliuanie); 2 à Czetweilnia (gouv. de Wolhyuie); 1 à Czorneûski
Monastyr (gouv. de Wolh.) ; 3 à Dermanski Monastyr (ibidem) ; 20 à Jewic
(gouv. de Wilna); 241 à Kiew ; 5 à Cracovie ; 4 à Krôleviec; 1 à Krylos
(Galicie) ; 2 à Krzemieniec (gouv. de Wolh.); 17 à Kuteinski Monastyr (gouv.
de Mohilew); 121 à Lemberg; 13 âLi:ck (gouv. de Wolh.); 23 à Mohilew ;
3 à Nieswiez (Lith.) ; 10 à Nowogrôd (gouv. de Czernichow) ; 27 à Ostrog
(Wolhyn.); 2 à Poczajow (Wolh.); 2 à Polock ; 1 à Prague; 1 à Rochmanôw
(Wolh.) ; 3 à Stratyn (Galic.) ; 6 à Snprasl (Lithuan.) ; 2 à Uherce (Galicie) ;
26 à Uniewski Monastyr (Galicie); 79 à YVilna; 2 à Zabludow (Lith.). Nous
avons compté les impressions de Xowogrôd, Czernichow et Kiew dans la
littérature ruthène. Sur ce point il n'y a point de controverse. Mais depuis
Tannée 1668 ces locaUtés appartenaient à la Russie. D'où se pose la question
de savoir si l'on peut ajouter à la littérature polonaise ces quelques dizaines
de livres firoduils après ce temps aux lieux mentionnés. En tout cas Estrei-
cher (que nous avons suivi pour ces nombres) semble assurer à juste titre
que la Pologne a quelque droit de les considérer comme faisant partie de sa
littérature, puisque les auteurs étaient tous liés avec la Pologne et trai-
taient en polonais des questions de ce pays.
Pakis. — Depuis le 30 mai, les Matinées espagnoles, qui ont si bion con-
tinué, sous l'habile direction du baron Stock, ou plutôt de la haute person-
nalité que cache ce pseudonyme, les traditions des Matinées italiennes, se sont
transformées en grand organe international. Désormais, on trouvera dans
la Nouvelle Revue internationale, les Matinées espagnoles, à côté de la partie
exclusivement diplomatique et politique, un tableau plus complet de la vie
artistique et mondaine à Madrid, Paris, Rome, Saint-Pétersbourg, etc.,
dressé par des écrivains éminents de la France et de l'étranger. Des noms
tels que ceux de M™» la comtesse de Rute, J. Cornély, Émilio Castelar, Jules
Simon, L. Amici, etc., retiendront certainement l'atteution du public lettré.
(Bureaux de la Revue, 23, boulevard Poissonnière ; abonnement annuel :
50 fr.).
— M. Joseph Fabre continue la série de scs publications sur Jeanne d'Arc
et donne de nouveaux détails sur le Procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc,
d'après lus textes latins offlciels (Paris, Delagrave, 2 vol. in-18 j. de 372 et
399 p.). Ce sujet avait déjà f it, en 1884, l'objet d'une publication, beaucoup
moins importante, du mémo auteur. ,
— Vient de paraître un important ouvrage de M. Abel Lefranc, archiviste-
paléographe, sur la Jeunesse de Calvin (Fischbacher, gr. in-8 de xvi-229 p.).
M. Lefranc a déjà pubhé une Histoire de xYoyon, dont le Polybiblion rendra
compte prochainement, dans un article d'ensemble, sur les récents travaux
d'histoire locale.
— La librairie de V. Palmé met en vente un magnifique volume in-'i, inti-
tulé : Le Livre d'or du Pontificat de Léon XIIL
— La mort du regretté M. Victor Gay n'arrêtera pas la publication de son
Glossaire archéologique. d')nt un seul volume sur deux a paru. Le savant
archéologue a laissé les matériaux nécessaires pour contiimer son œuvre,
que M. E. Molinier a bien voulu se charger de terminer.
— En vente chez Quantiu le 3» volume des Manuscrits de Léonard de Vinci,
inanuscrits C. E et K de la Bibliothèque de l'Institut. Ce vol., gr. in-fol. (prix :
loO fr.), renferme 47-4 fac-similés photoLypiqiies, avec transcriptions litté-
rales, traductions françaises, et tables méthodiques, par M. Charles Ravaissou-
Mollien.
— Un Ti'ait'j pratique de l'enluminure des livres d'heures, missels., canons d'au-
tels, images pieuses et gravures, par M. Karl Robert, vient d'être édité à la
librairie Laurens (in-'i).
— La librairie G. Reinwald annonce la prochaine apparition du tome se-
cond de l'i. Vie et la Correspondance de Charles Darwin, avec un chapitre auto-
biographique, puhWés par son fils, M. Francis Darwin, et traduits de l'anglais
par M. Henry-C. de Varigny (in-8).
Comtat-Venaissin. — M. Roger VallenLin a dernièrement fait imprimer'
chez Seguin, d'Avignon, une brochure sur les Doubles Tournois et les Deniers
tournois frappés à Villeneuve-lez- Avignon pendaixt le règne de Louis XIII [4610-
46Â3) (in-8 de 31 p.).
DauphinÉ. — Le Premier Bateau à vapeur, ^el est le sujet traité par M. Al-
fred Vellot dans son discours de réception à l'Académie delphinale (Gre-
noble, imprimerie Allier, 1887, in-8 de 63 p.). Le sous-titre de la plaquette
nous apprend qu'il s'agit là d'une notice sur Dorothée de Jouffroy {ll^i-185^).
Cette notice, très bien écrite, est fort intéressante. M. Vellot n'a rien négligé
pour raconter de la façon la plus exacte l'histoire de la vie et des décou-
vertes du marquis de Jouffroy (né le 30 septembre 1751 à Roche-sur-Rognon
(Haute-Marne). Il a consulté les notices d'Arago, de Louis Figuier, du mar-
quis de Bausset-Rochefort, d'Eugène Muller, d'Achille de Jouffroy, le fils de
l'inventeur de la navigatioii par la vapeur.
Franche-Comté. — Récemment a été imprimé à Lons-le-Saunier, chez
Déclume, le 2° volume de l^ih" série des Mémoires de la Société d'émulation
du .Jura (1886) (in-8 de xxx-339 p.). Au point de vue de l'histoire de la pro-
vince, nous remarquons dans ce recueil : États de Franche-Comté. Rrcès de
46%l, document inconnu à de Troyes, auteur des États de la Franche-Comté,
qui l'avait vainement cherché et que M. Ed. Toubin a découvert, manuscrit,
dans la bibliothèque de Salins ; — le Livre de raison de la famille de Froissard-
Broissia, de i.j.îi à 1701, que les futurs historiens de la famille dans l'ancienne
Franche-Comté consulteront très utilement; — une Histoire anecdotique de
l'ancien théâtre de Lons-le- Saunier, par M. F. Guillermet, où le scepticisme,
malheureusement, ne le cède pas à la finesse d'esprit; — Notice sur une stèle
gallo-romaine découverte à Tavaux (Jura), par M. l'abbé P. Brune (2 planches) ;
— Rapport sur les nouvelles fouilles faites à la C roix-des- Monceaux , territoire de
Conliège, par MM. Z. Robert et H. Chevaux (o i)lanches).
— Maiche cl ses environs ont fait l'objet d'une petite brochure anonyme
qui vient de paraître (Montbéliard, imp. Hoffmann, in-12 carré de 2'i p.).
C'est un itiiKJraiie de touriste à travers un coin des montagnes du Doubs,
pays aussi pittoresque que la Suisse.
GuYKNNK KT GASCOGNE. — On conscrvo aux archives municipales de
Monsijgur (Gironde) un précieux cartulaire de 83 feuillets, contenant 37 docu-
ments (120[;-l'i32). Ce sont les privilèges accordés à la ville par Éléonore de
Guienne et les rois d'Angleterre, une bulle de Clément V, des règlements
— 87 —
;;iunicipaux, des enquêtes, des sentences, etc. Toutes ces pièces ont été
disposées chronologiquement et publiées par M. J. Delpit dans le tome V
des Archives hislnriques de la Gironde. L'excellent érudit bordelais avait
négligé de joindre à sa publication un curieux calendrier qui se trouve ca
tête du manuscrit de Monségur. M. l'abbé Léglise vient de le publier dans
les Mémoires de la Sociétii archéologique de Bordeaux, en l'accompagnant d'un
savant commentaire. Il y compare ce calendrier avec ceux du Livre Velu de
Libourne et d'un bréviaire imprimé à Bazas au xvi* siècle, et y traite une
l'ois encore des «jours égyptiens » soigneusement mentionnés dans son texte,
où chaque mois est précédé d'une rubrique en vers relative à. ces jours
néfastes. M. le D' Berchon a joint au travail de M. l'abbé Léglise une nou-
velle et intéressante étude sur le manuscrit de Monségur et les travaux
dont il a été l'objet. Il a dressé un tableau synoptique des documents trans-
crits dans le cartulaire. Il s'est glissé une erreur dans la traduction du
Dalum de la bulle de Clément V mentionnée sous le n» 20, au lieu de :
Prieuré de Granselle, près de Malausaua, diocèse de Bayonue, il faut lire :
Prieuré du Grauseau, près de Malaucène, diocèse de Vaison. Cette distraction
vénielle ne doit pas faire méconnaître l'intérêt du travail des deux érudits
bordelais (Le Calendrier de VEsclapot ou Cartulaire de Monségur, par l'abbé
S. Léglise, avec une introduction sur l'histoire du manuscrit et des notes
bibliographiques, par le D' Erriest Berchon (Bordeaux, imp. Cadoret, in-8
de 64 p. avec fac-similé).
— Beaucoup de bien à dire du volume que vient de publier M. l'abbé
Ferran, aumônier du couvent de Piétat : La Dévote chapelle de Notre-Dame de
Piéiat à Condom, diocèse d'A.uch. Notice historique et Descriptive de ce sanctuaire
et de la dévotion dont il est le siège (Condom, imprimerie Dupouy, 1887, in-12
de IX.-288 p.). L'auteur, aidé par un estimable érudit, M. Joseph Gardère,
bibliothécaire de la ville de Condom, a retrouvé beaucoup de documents
qui lui ont permis d'écrire une excellente histoire d'une des plus célèbres
chapelles de la Gascogne (depuis sa fondation, au xvi° siècle, jusqu'à
nos jours), et doîit quelques-uns sont reproduits soit dans le texte, soit
dans l'appendice. Le petit livre de M. l'abbé Ferrand est si sérieusement
fait qu'on peut le considérer comme non moins instructif qu'édifiant. C'est,
en quelque sorte, une histoire de la ville même de Condom, et l'on y trouve
diverses particularités sur la peste de 1363, sur les ravages de Mongomméry
(novembre 1369), sur l'entrée du prince de Condé (22 août 16H), sur la peste
de 1633, sur le R. P. Gilbert, professeur à l'Université de Douai, envoyé par
Louis XIV en exil à Piétat comme janséniste (1698), sur divers évêques de
Condom, sur le terrible hiver de 17iJ9, sur les scènes révolutionnaires de 1793;
signalons, à ce sujet, un document relatif à la célébration de la fête déca-
daire du 10 frimaire, an VI, laquelle fête était une apothéose de l'infâme
Marat.
— M. Charles Marionneau, correspondant de l'Institut, membre de l'Aca-
démie de Bordeaux , nous donne une très curieuse étude sur Jean-Etienne
Lasne, maître gravew en taille douce, illumineur de la ville de Bordeaux au
xvip siècle (Bordeaux, V» Moquet, 1887, gr. in-8 de 22 p., 2« édition tirée à
50 exemplaires). J.-E. Lasne, qu'il ne faut pas confondre avec le célèbre
Michel Lasne, son parent, s'établit à Bordeaux, s'y maria, en 1620, avec
Marie Compnes, et grava plusieurs pièces (vignettes, fleurons, frontispices,
plans, portr.dts, etc.). On n'avait, jusqu'à ce jour, mentionné que six de ces
pièces. M. Marionneau en signale plusieurs autres, quelques-unes fort im-
portantes, comme le portrait de Henri de Lorraine, duc de Mayenne et d'Ai-
guillon, le frontispice du Commenkdre sur les coutumes de Bourdeaus, par Ber-
nard Automne, etc. La notice de M. Marionneau s'appuie sur divers docu-
ments inédils. Un de ces documents, extrait des archives départementales
de la Gironde, et daté du 1" novembre 1622, est reproduit à Tappendice :
c'est VInventaire et Description des meubles et ustensiles trouves au dornicile de
Jean-Etienne Lasnc.
— Une édition des Œuvres complètes du poète Arnaud Daubasse, maître pei~
gnicr de Villeneuve-sur-Lol, a été donnée par M. A. Claris (Villcnenve-sur-Lot,
imprimerie Ed. Chabrié, in-8 de 239 p.). On possédait déjà deux éditions des
poésies patoises et françaises de Daubasse, la première due à l'abbé Tailhé
(Villeneuve, 1796), la seconde due à H. Escande {Ibid., 1839); mais elles lais-
sent fort à désirer et elles sont, du reste, entièrement épuisées. La nouvelle
édition est bien préférable soit pour l'impression, soit pour la notice et les
notes, soit enfln pour le texte qui est aussi pur que complet. L'étude de
M. Claris sur Arnaud Daubasse, sa vie et ses œuvres, contient des choses nou-
velles, notamment sur le mariage du « fezeur de peignes » avec une Villeneu-
voise, Jeanne Laboury (26 janvier 1681) et sur son décès que le Dictionnaire
historique de la France met en 1727 et qui est du 6 octobre 1720 (registres de
l'état civil de la paroisse de Sainte-Catherine, à Villeneuve). Signalons, à la
suite de la notice, des lettres d'adhésion de Frédéric Mistral, de Clovis Hu-
gues, d'Elie Fourès, de Jules Boissière, secrétaire de la société des félibres
de Paris ; des stances à Daubasse par son éditeur, lequel a traduit en vers
chacune des pièces patoises (moins les cantiques). Peut-être M. Claris a-
t-il quelque peu surfait le mérite de son poète; mais qui donc oserait lui je-
ter la première pierre ?
Ile-de-France. — M. le comte Arnold de Rouseray, membre de la Société
archéologique de Rambouillet, a publié une Notice sur l'abbaye de Saint-
Pierre de Neauphle-le-Vieux dépendant anciennement du diocèse de Chartres
(Sainl-Amand, imp. de Destenay, in-8 de 27 p. et 2 pi.).
Limousin. — M. Alfred Leroux a récemment commencé une importante
publication de textes sous ce titre : ?,'ouveai(X Documents historiques sur la
Marche et le Limousin, tome I (Limoges, imp. de Gely, in-8 de iv-372 p.). Ce
volume fait partie des Archives historiques de la Marche et du Limousin, pu-
bliées sous la direction de MM. Alfred Leroux et René Fage.
— M. l'abbé Camilles Artiges, chapelain de Saint-Louis des Frfinçais à
Rome, publie actuellement, dans le Limousin et Quercy, une série d'Etudes et
Portraits ecclésiastiques. Cette galerie, qui promet d'être intéressante, s'ouvre
par la grande ligure de César Baronius, le père de l'histoire ecclésiastique.
Lyonnais. — Le tome IV de la Bibliothèque de la Faculté des lettres de Lyon,
qui vient de paraître à la librairie Ernest Leroux, mérite spécialement d'at-
tirer l'attention. Il est intitulé : Le Nouveau Testament traduit au XIII' sièclfi
en langue provençale, suivi d'un rituel cathare, reproduction photoUthographique
du manuscrit de Lyon publiée avec une nouvelle édition du rituel par L. Clé-
dat, professeur à la Faculté des lettres de Lyon; exécutée par MM. Lumière
frères d'après leur procédé, tirée par M. Storck. — Le manusciit ainsi repro-
duit est la propriété de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de
Lyon, et, comme les autres volumes appartenant à celte académie, il fait
partie de la bibliothèque municipale du palais Saint-Pierre, où il est cata-
logué sous le n" .36. Le texte, tracé vers le milieu du xiii» siècle sur parche-
min à deux colonnes, et orné de lettres capitales colorées en rouge et bleu,
offre les quatre Evangiles, les Actes dos Apôtres, l'Apocalypse, les E pitres et, de
plus, un rituel cathare, très important pour l'histoire de l'hérésie albigeoise. La
- b'j -
langue présente en grand nombre les traits dialectaux propres à la région
qui comprend l'Aude et le Tarn, et, partiellement, la Haute-Garonne et
l'Ariège, qui est justement celle où les Albigeois étaient le plus répandus.
Toutefois certains érudits ont attribué à la traduction contenue dans le ma-
nuscrit de Lyon une origine vaudoise et M. Fœrster, professeur à Bonn, a
annoncé qu'il allait reprendre cette thèse. En tout cas, le rituel qui termine
le manuscrit est tout à fait conforme à ce qu'on sait des cérémonies ca-
thares.
Maine. — Le Cartukdre de l'abbaye de Saint-Calais, qui contient des chartes
si curieuses pour l'étude de la diplomatique mérovingienne et carolingienne,
a été récemment publié par M. L. Froger sous les auspices de la Société his-
torique et archéologique du Maine (Le Mans, Pellechat, in-8 de xxv-98 p.).
Normandie. — M. Pierre Carel poursuit ses recherches sur l'histoire de la
ville de Caen; il vient de l'aire paraître : Étude sur la commune de Caen, suivie
de la liste des Éehevins. Analyse du martrologe de la ville et du registre du céré-
monial {Documents inédits) (Caen, Massif, 1888, in-8 de 308 p.) et aussi : Les
Médecins et les Chirurgiens de Caen avant la Révolution (Caen, Massif, in-8 de
42 p.).
— Viennent de paraître également : Xotice archéologique et historique sur
Vévêché d'Évreux, par M. G. Prévost (Caen, H. Delesques, in-8 de 43 p.); — Un
Procès séculaire. La Seigneurie et Vicomte de Pont-Audemer, par P. Le Verdier
(Rouen, Cagniard, in-3 de 61 p.); — Restauration de la flèche de Caudebec-
en-Caux, ISS3-ISS6, par M. l'abbé Andrieu (Rouen, Cagniard, in-8 de 143 p.
et fig.).
— M. Louis Régnier a fait un tirage à part du Rapport sur les publications
historiques relatives au département de l'Eure parues en 1881, qu'il a soumis à
la Société libre de l'Eure (Bernay, Lefèvre, 1888, in-8 de 46p.).
— La Société historique et archéologique de l'Orne a commencé la publi-
cation du tome VU de ses Bulletins. Il contient plusieurs éludes intéres-
santes : Catherine de Gonzague-Clèves , duchesse de Longueville, par M. le mar-
quis de la Jonquière; — Les Origines du Passais, par H. Le Paverais; — La
Bannière de la Lande-Patry , par M. l'abbé Burel; — La Fresque de l'église
Saint-Julien, à Domfront, par M. Florentin Loriot; — Souvenirs littéraires d'un
gentilhomme campagnard, par M. l'abbé Rombault.
— La Société de l'histoire de Normandie a, de son côté, publié le compte
rendu de sa dernière assemblée générale; il contient une étude du prési-
dent, M. Ch. de Beaurepaire, sur le chanoine Clérel qui, plusieurs fois, joua
un rôle considérable aux États de Normandie, sous le règne de Henri HL
A la suite, plusieurs pages sont consacrées par M. A. Bligny à la biblio-
graphie historique normande.
Orléanais. — Signalons une intéressante brochure extraite des Mémoires
de la Société archéologique et historique de l'Orléanais et publiée SOUS ce titre :
Église de Notre-Dame de Cléry : les Sépultures de Marie d'Harcourt, femme du
bâtard d'Orléans, de Jean, leur fils, et de François II et Louis I", ducs de Lon-
gueville, leurs petits-fils; Testament inédit de Dunois et autres documents, par
M. L. Jarry (Orléans, Herluison, in-8 de 99 p.>
— M. L. Radet a fait paraître un petit Mémoire sur le Siège de Montargis en
U2.1 (Montargis, Chartier, in-18 de 24 p.).
Picardie. — A récemment paru dans les Mémoires de la Société des
antiquaires de Picardie et en tirage à part le tome HI de VHis'oire de l'abbaye
et de la ville de Saint-Riquier, par M- l'abbé Hénocque (Amiens, imp. de
Douillet, in-4 de vi-o74 p.).
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Provence. — L'intéressante étude que M. de Cabrens a publiée succes-
sivement, dans la Revue de Marseille, depuis une année environ, sur la Vie
de Mgr de Vintimille, évêque de Carcassonne, d'après sa correspondance inédile,
vient de paraître en un petit volume in-8 (Marseille, Olive).
— M. Victor Edelga, ancien officier, a publié, à Draguignau (Olivier, in-4),
ses Souvenirs de la guerre et du siège de Paris. C'est un document à ajouter
aux nombreuses publications qu'aura à utiliser le futur liistorien de nos
derniers désastres.
— M. Bizos, doyen de la Faculté des lettres d'Aix, va publier incessam-
ment, chez Lecène etOudin, un volume sur Ronsard, impatiemment attendu
de tous les auditeurs qui ont suivi, cette année, à Aix et à Marseille, les
leçons du disert professeur sur le poète de la Pléiade.
— Mgr Ricard va publier, dans le courant du mois d'août, chez Vitte
et Perrussel, à Lyon, le second volume de ses Éludes de critique littéraire
et biographique sur le Grand Siècle. Le volume SOUS presse est consacré à
Corneille. Il sera suivi, à bref délai, d'un troisième volume consacré à
Boilcau.
— Une mention particulière est due à VAlmanach des Saints de Provence
pour Vannée 18SS, contenant le calendrier romain et le calendrier provençal (Mar-
seille, Imp. marseillaise, 1887, in-8 de 36 p.). A chaque jour du mois est
inscrit d'abord le saint de l'année liturgique, ou à défaut, un saint pris, à
ce même jour, dans le Martyrologe romain. Suivent, en caractères italiques,
les saints qui appartiennent à la Provence par leur naissance, leur séjour
ou leur mort. Ces saints ont été tellement nombreux, qu'il n'y a presque
pas de jour auquel on ne puisse rattacher, dans cette région entre toutes
privilégiée, le souvenir de la naissance, du séjour ou du décès de l'un d'eux.
La glorieuse liste est suivie de diverses notes sur l'État de la Provence avant
Jésus-Christ, sur V Evangélisation de la Provence, sur Saint Lazare, Sainte Marthe
et Sainte Magdeleine , sur Sainte Marcelle et Saint Parmênas, sur les Saintes
Marie, enfin sur «S'aini Maximin et ses compagnons. On ne s'étonnera pas du
soin exquis avec lequel a été formé et publié le pieux petit recueil, quand
on saura que nous le devons à un savant bibliophile, M. G. de Rey.
Allemagne. — L'éditeur du Centralblatt filr Bihliothekswesen se décide à
publier en fascicules indépendants, sous le litre de : Beihefte zum Cen-
tralblatt filr Bibliotheksioesen, les travaux d'une certaine importance qui
exigent environ trois feuilles d'impression. Les divers fascicules de cette
nouvelle publication ont une double pagination; une pagination continue
qui permet de réunir une série de fascicules en un volume; et une pagina-
tion indépendante pour chaque fascicule, ou plutôt pour chaque travail
publié dans les fascicules, en sorte que chaque partie forme un tout. Le
2« fascicule de cette publication. (Leipzig, narrassowitz, in-8 de n-^3, iv-22 p.,
avec un fac-similé) comprend deux études : 1" un important travail de
M. Brambacli sur l'iicole de chant de Reichenan au moyen âge; 2" une
bibliographie, due à M. Roth, des écrits de Henri de liesse.
— En 1887 ont paru en Allemagne 15,972 publications de tout genre, soit
281 de plus que pendant l'aimée précéilente. Ce sont surtout dos livres clas-
siques; l,''i!j() ouvrages ont trait à la théologie; l,'i02 aux belles-lettres;
1,369 à la jurisprudence; 867 à la médecine. Les écrits populaires et les al-
manachs ont atteint le nombre de 729 ; le commerce est représenté par 725
ouvrages; l'histoire par 722. Nous trouvons les langues modernes et l'an-
cienne littérature allemande avec USlj écrits, et enfin les langues classiques
avec bsy, et les livres pour la jeunesse avec W».
— 91 -
Autriche. — Dans le cours de l'année 1883, ont paru, à Prague, 692 ou-
vrages, 333 eu langue tchè lue, 159 en langue allemande, se réparlissaiil de
la manière suivante : Encyclopédie et collection, 62 ; théologie, 19 ; pédago-
gie, oo; philologie, 13; philosophie, 5 ; jurisprudence, o3 ; statistique,!.
L'histoire atteint le chiffre de oo ouvrages ; la géographie de 33; les sciences
ualurelles de 12; la médecine de 13; les mathématiques et l'astronomie de
2; la technique de 1 seulement; la musique de 77 ; L-s périodiques sont
au nombre de 137.
Espagne. — Don Rodoifo Béer a publié : Noticias bibliof^raficas y Catalogo
de los codiccs rclesiasticos de la santa Iglesia catedral de Léon (Léon, Muîion,
in-8). La ville de Léon a été, dans les siècles qui ont suivi la conquête de
l'Espagne par les Maures, comme la capitale du pays pour les catholiques,
leur boulevard, et le centre où s'organisait la lutte de la croix contre le
croissant. C'est ce qui donne un intérêt considérable à la publication sur
laquelle nous appelons en ce moment l'attention de nos lecteurs. Signalons
dans l'ouvrage de don R. Béer, la notice consacrée à un Anlifonario, qui doit
appartenir au x^ siècle, s'il n'est plus ancien : car la notation musicale n'offre
ni clef ni lettre d'aucun genre, et la notice n» lo relative à un palimpseste,
qui n'est autre qu'une portion des livres saints, d'après la version dite
Ancienne italique.
— M. Gabriel Jogand, plus connu en France sous le nom de Léo Taxil,
continuant la série de ses importants travaux relatifs à la franc-maçonne-
rie, a eu l'heureuse idée de réunir en un volume, la EspaTia masonica, tous
les renseignements qu'il a pu recueillir sur l'état particulier des loges d'Es-
pagne, les noms de leurs principaux membres, le texte des statuts et règle-
ments qui y sont en vigueur.
— Un éditeur de Barcelone, M. Bastinos, vient de commencer une publi-
cation qui, selon ses calculs, atteindra facilement le chiffre de 70 volumes
in-12 de oOU pages chacun, savoir, la Coleccion de los poêlas hispano-america-
nos. Il a pour collaborateur, au point de vue littéraire, don Lazare Maria Fe-
rez.
— M. Fernandez Guesta termine en ce moment un Diccionario de las tan-
guas castellana y francesa (Barcelone, 3 vol. in-4), qui a beaucoup d'analogie
avec le dictionnaire de Littré si estimé en France, au moins dans son en-
semble.
— Une nouvelle revue hebdomadaire vient d'être fondée à Valdepenas
(province de la Mancha), sous le nom de el Legitimista ; c'est assez dire
qu'elle aura une couleur politique bien tranchée.
Italie. — Le tome II des Inscriptiones christianse J'rbis Romas, de M. Rossi,
va bientôt paraître. Get important ouvrage n'étant pas, par son format et
par son prix, à la portée de tout le monde, on a intérêt à en trouver la table
détaillée dans le 3" fascicule du Corso pratico di metodologia délia storia, pu-
blié par la R. Società romana di storia patria (Rome, Bibliothèque Valli-
ceUiane, in-S de 36 p.). Ge Conspectus operis est précédé d'un discours prononcé,
le 7 juillet 1887, par M. de Rossi, pour faire connaître les sources, le plan
et l'intérêt spécial de la seconde partie de son travail ; c'est en même
temps un éloquent résumé de l'histoire de l'épigraphie avant le xvi^ siècle.
— Deux nouvelles brochures de M. Vittorio Cian ont paru ; la première,
intitulée Un episodio délia storia délia censura in Italia nel sec. XVI, est rela-
tive à l'expurgation du Cortegiano de B. Castiglione, par un délégué de la
congrégation de l'Index et à la publication de la singulière édition qui résulta
de ce travail (Milan, 1887, in-8, 69 p. Extrait de VArchivio Lomhardo). La
— 92 —
seconde est un tableau des mœurs des courtisanes en Italie, d'après de
nombreux documents d'archives. Galanterie italiane nel sec. xvi (Turin,
bureaux de « la Letteratura, » in-16 de 64 p.); ce sujet délicat est traité avec
toute la convenance désirable.
— Vient de paraître le compte rendu des opérations de la banque coopé-
rative de Padoue, sous le titre de : Banca cooperativa popofare di Padova,
resoconto deW anno 1887 (Padoue, tip. Penada, in-8 de 65 p.).
— Dans sa plaquette. D'un graduale et di alcuni antifunari (Florence, Car-
nesecchi, in-t2 de 12 pages), M. Castellani, de la Bibliothèque Saint-Marc
à Venise, donne la description de cinq incunables sortis des presses de
Giunta en l/i99, 1500, 1503, et que l'on conserve dans ladite bibliothèque.
Monaco. — Le libraire Alph. Picard, de Paris, vient de mettre en vente
le l*"-- volume d'une importante publication de M. G. Saige, conservateur des
archives du palais de Monaco, qui a réuni les Documents historiques relatifs à
la principauté de Monaco depuis le XV<^ siècle (in-4 de CCLXXlx-716 p.). Ce
tome I" embrasse les années 1/112 à li9i; le tome second et dernier est an-
noncé pour la fin de l'année.
Pologne. — M. R. Widmann a publié la première partie d'un important
ouvrage sur les Archives de la ville de Lemberg. Les documents les plus anciens
datent de l'année 1353.
— Le D' Abraham, docent de l'Université de Gracovie, vient de publier le
résultat de ses recherches sur l'histoire polonaise au moyen âge.
— A Varsovie vient de paraître la première livraison d'une Encyclopédie
générale en langue hébraïque, sous le titre de Ila-cchekol.
— Dans la Lithuanie prussienne on a imprimé, l'année dernière, à peu
près 250,000 exemplaires de livres divers. Les Nouvelles de Vilna rapportent
que dans la Lithuanie russe, comptant environ 3,000,000 d'habitants, 150,000
livres se sont vendus dans les années 1885 à 1887.
— En 1510 on composa un catalogue des livres imprimés et des manuscrits
se trouvant en la possession du prince de Lithuanie, Sigismond, plus tard
roi de Pologne. Ce registre a été réimprimé déjà plusieurs fois, mais tou-
jours avec des erreurs. Enfin, le professeur Ptas/.ycki vient d'en donner
une édition exacte avec l'indication du dépôt où ces livres se trouvent
actuellement.
— Le professeur Zakrzewski vient de communiquer à l'Académe de Gra-
covie les résultats de ses recherches dans les archives de Siebenburgen;
le professeur Smolka a parlé dans une séance de la même Académie des
Polonica qui se trouvent à la bibliothèque du collège des cardinaux, à
Rome.
— Le savant architecte Wdowiszewski vient de mettre la dernière main
à une bibliographie des public itions ;:rtistiques qui sera prochainement
imprimée. «
RussiK,— Le nombre<les ouvrages publiés en Russie en 1887, sans compter
la Finlande, a été de 7,36P, iîonto,-'»42 en langue russe cl en 18,5'jO,39S exem-
plaires sur 2'i,'i03,2':2, chijfre total. Quant à leur répartition, on premier
lieu viennent les livres classiques, puis les romans, les belles-lettres, les
ouvrages ascétiques et thoologiques, les éditions populaires illustrées, his-
toriques, etc. La philosophie et les arts occupent le dernier rang. Parmi les
auteurs, Pouchkine, dont les œuvres ont cessé d'être un monopole, a eu le
plus do vogue : il en fut imprimé 163 au nombre de 1,i81,37o exemplaires.
Les œuvres du comte Léon Tolstoï ont atteint le chiite de 677,000 exem-
plaires, dont 93,000 renferment son drame : Puissance des ténèbres, et
- 93 —
397,000 ses écrits populaires. Après eux vienaent, dans l'ordre suivant :
Krylof (oO,000 exein.)I.) ; Gogol (/lO.OOO); Tonrguenef (16,000); Lermontof
15,000); Griboédof et Grégorovitch (chacun 10,000).
— On annonce rappnritiou procliaiae de la première revuo scientifique en
langue russe. Elle sera bimensuelle et servira d'organe à la Société des na-
turalistes, qui en a conçu le projet.
— L'académicien Bezobrazof vient de publier le premier volume de son
ouvrage sur le feu Comte Fi'-dor Pctrovitch Lutke, fondateur de la Société géo-
graphique et président de l'Académie des sciences, mort en 1882.
— Les hiriliers du secrétair;' d'État Golovine ont offert sa bibliothèque,
composée de 7,000 volumes, à l'Observatoire méiéorologique de Pavlovsk à la
fondation duquel le défunt avait beaucoup contribué.
Suisse. — Un curieux opuscule, tiré avec luxe et à petit nombre, pour les
amis de M. Sieber, le savant bibliothécaire de l'Université de Bâle, mérite
d'être signalé à quiconque s'occupe de l'histoire des bibliothèques : Infor-
jnatoi'ium bibliothecarii Carthiisiensis domus Vallis Beatas Margarethae in Basilca
minori, ex autographo fratris Georgii Carpentarii in bibliolheca Basiliensi as-
servato nunc primum edidit Ludovicus Sieber (Basilese, ex typographia
Schweighauseriana, mdccclxxxviii (publié pour le 2o^ anniversaire de pro-
fessorat de M. André Heusler) (petit in-4 de 24 p.). Le moine qui a transcrit
le document vécut à la Chartreuse de Bâle de l.'i09 à 1329. Les prescriptions
imposées au bibliothécaire du couvent sont rédigées en douze chapitres ;
elles témoignent de l'ordre extrême qui régnait dans la collection et de
l'importance qu'on attachait à l'enrichir. Les devoirs du bibliothécaire sont
minutieusement prévus; il doit coUationner tous les rayons (pour une partie,
chaque année bissextile, pour une autre partie tous les deux ans), «purger»
la bibliothèque à certaines époques déterminées, et aussi toutes les fois
qu'on y aperçoit des traces de vers ou un excès de poussière, etc. Les for-
malités d'enregistrement des livres nouveaux et les opérations matérielles
qui accompagnent l'acquisition sont décrites dans le plus grand détail.
— M. Jules Vuy, vice-président de i'I.-istitut nationni genevois, publie
une intéressante notice intitulée : Adémar Fabri, prince-éucque de Genève,
laquelle est extraite des Miseellanea di Storia Italiana (Turin, 1888, gr. in-8
de 33 p.). L'auteur étudie surtout en ce prélat, dont le souvenir est resté si
populaire à Genève, où son nom a été donné à une des rues de cette ville, le
bon citoyen qui eut « le mérite de faire spontanément réunir en une charte
unique, en un seul code, pour parler le langage moderne, les « libertés,
franchises, immunités, us et coutumes » de la cité impériale et épiscop-:ile
de Genève, libertés qui existaient de temps immémorial et dont l'origine,
selon l'expression de Rousseau, se perdait dans la nuit des temps. » M. Vuy,
après avoir insisté sur le mérite du prince-évêque qui promulgua, le 23 mai
1387, les « libertés et franchises, » résume très bien les renseig.'jements
anciens et nouveaux qui ont été donnés sur Adémar Fabri de La Roche
{de Bupc\ d"abord curé de Saint-Pierre de Rumilly, puis dominicain, prieur
du monastère de Genève de 1333 à 1337, evêque de Bethléem en 1363, de
Saint-Paul-Trois-Chàteaux en 1378, prince-évêque de Genève (12 juillet
1383-8 octobre 1388). Dans les dernières pages de son excellent travail, M. Vuy
établit contre M. Le Fort que Fabri est le véritable nom de famille de
l'évêque Adémar.
— Le mf^me auteur a consacré une intéressante brochure {Le Codicille
d'Ami Lévrier; Genève, H. Trembley, 1888, in-8 de 12 p.) à un personnage
que les historiens genevois ont appelé le « martyr de la liberté. ^> Ami ou
— 94 —
Amédée Lévrier, fils du syndic Pierre Lévrier, lutta énergiquement, comme
son père, contre les empiétements de Charles III, duc de Savoie, et
(13 mars 1324) paya de sa tête son dévouement à sa patrie. M. Vuy a trouvé
un document (archives des Macchabées) qui constate uu fait dont aucun
historien, pas même Bonivard, n"a parlé: de ce document, il résulte que
Ami Lévrier, docteur en droit, quelques minutes avant l'heure où il allait
marcher à Péchafaud, compléta son testament en donnant et assignant aux
Frères Prêcheurs cinq florins payables chaque année, à la charge par eux
de dire toutes les semaines une messe pour le repos de son âme, la somme
étant garantie par une hypothèque grevant une maison que Lévrier pos-
sédait à Genève, dans la paroisse Saint-Léger, et devant être payée par les
héritiers du décapité, Jean Lévrier, son frère, et noble Angeline, veuve de
Pierre Lévrier, sa mère. M. Vuy dit avec raison que le moindre détail
nouveau concernant un nom célèbre ne doit pas être négligé.
Publications nouvelles. — Liber Terlii Ordinis S. Frnncigci Assiensis cum
appcndicibiis de chordigeris , etc., etc., auctore A. R. P. Hilario (gr. in-8,
Trembley, à Genève ; Palmé à Paris). — Manuel du Tiers Ordre de Sainl-Frnn-
çois, par l'abbé J. Touzc-ry (in- 16, Gaume). — Prônes liturgiques, par l'abbé
Gaussens (in-12, Lecofîre). — Questions religieuses et Questions sociales de notre
temps, par Mgr H. Sauvé (in-12, Palmé). — Le Clergé et la Société actuelle, par
l'abbé Georgei (in-12, Palmé). — Vierges et Repenties, par Dubosc de Pesqui-
doux (in-12. Palmé). — Le Pouvoir civil devant l'enseignement catholique , par
Tabbé P. Feret (in-12, Perrin). — Principes de droit international, par J. Lo-
rimer, trad. de l'imglais, par E. Nys (in-8, Muquard, à Bruxelles). —Es-
quisse d'une philosophie de l'être, par J.-E. Alaux (in-8, F. Alcan). — Analyse
et synthèse, par Barbie du Bocage (2 vol. in-8, Masson). — La France actuelle.
Quelques éludes d'économie politique et de statistique, par R. Fernandez (in-8,
Delagrave). — Cours d'astromie pratique, applications à la géographie et à la
navigation, 1" partie, par E. Caspari (in-8, Gauthier-Villars). — Les Régions
invisibles du globe et des espaces célestes, par A. Daubrée (in-S, F. Alcan). — Les
Étoiles filantes et les bolides, par F. Hément (in-8, Gauthier-Villars). — Les
Merveilles du ciel, par G. Dallet (in-12, J.-B. Baillière). — Traité de chirurgie
clinique, t. Il, 1" fasc, par P. Tillaux (in-8, Asselin et Ilouzeau). — Du Co-
lonage partiaire et spécialement du métayage, par L. Rerolle (in-S, Chevalier-
Marescq). — Les Maisons rustiques de Paris, par A. Copin (in-16, Dupret). —
Les Princesses artistes, par A. Vallabrègue (in-10, Dupret). — Manuel d'ancien
français. La Littérature française au moyen âge (vF-XIV sièclt- ), par G. Paris
(in-12. Hachette,!. — Dante Alighieri. L'Enfer, trad. en vers tercets conformes
à ceux du texte, par II. Vinson (petit in-8. Hachette). — L'Art poétique de
Doileau, commenté par Boileau et ses contemporains, par le P. Delaporte (3 vol.
in-8, Desclée, de Brouwer, à Lille). — La Comédie en France au XYIW siècle,
par G- Lenient [2 vol. in-12, Hachette). — Le Mal du théâtre, par E. Des-
chaumes (in-12, Dentu). — Les Femmes dans l'épopée iranienne, par A. d'Avril
(in-18, Leroux). — Deux Comédies turques, par A. Cilliôre (in-18, Leroux). —
Beaumarchais et ses œuvres, par E. Lintilhac (iu-8. Hachette). — Lettres de
W.-A. Mozart, trad. avec une introd. et des notes par H. de Curzon (in-8.
Hachette). — Nadejda Nikolaevna, par V. Garchine, trad. du russe par Ilalpé-
rine-Kaminsky (in-12, Pion et Nourrit). — Les Vieux Aufurs castillans, his-
toire de l'ancienne littérature espagnole, pur le comte de Puymaigre (in-12,
Savine). — Les Corneilles, par J.-II. Rosny (in-12, Quantin). — En Secondes
Noces, par A. Boutique (in-18, Quantin). — Un Scandale d'hier, mœurs contem-
poraines, par Mary Summer (in-12, Lib. illustrée). — Teurkia, mœurs algé-
- 9o —
rienjies. par A. Caise (in-18, Marpon et Flammarion^ — Sélénè Company {limi-
ted). Le A'am dr Radameh, par A. Laurie (in-18, Hetzel). — Le Secret de Solange,
par M. Maryan (iQ-12, II. Gautier). — Suzanne de Pierrepont, par E. Faligan
(in-12, H. Gautier). — La Fille du mineur, par 0. Jauffret de Rambert (in-12,
Delhomme et Briguet). — Jean Moineau, par Henriette Large (in-12, Del-
homme et Briguet). — La Pelilc-Nièce d'O'Connell, par G. d'Anjou (in-12, Le-
COtTre). — La Seconde Expédition suédoise au Grônland, par A.-E. Nordenskiold
(gr. in-8, Hachette). — L'Islande et l'Archipel des Fxrœer, par H. Labonne (in-
12, liacliette). — L'Océan Pacifique, par C de Varigny (iu-l2. Hachette). —
Paul Soleillet en Afrique, par J. Gros (in-S, Picard et Kaau). — A'os Explorateurs
en Afrique, par J. Gros (in-8. Picard et Kaan). — Saint Vincent de Paul, d'a-
près Louis Abelly, évoque de Rodez (in-8, Desclée, de Brouwer, à Lille). —
Histoire de l'Église depuis Notre-Seigneur jusqu'au pontificat de Léon XIII, par
Mgr V. Postel (gr. in-4. Desclée, de Brouwer). — Saint Pierre Claver, apôtre
des nègres, par le P. B.-G. Fleuriau (in-8, Desclée, de Brouwer, à Lille). —
Vies des saints et des bienheureux de l'ordre de Saint-François, par le P. Léon
(in-18, Bloud et Barrai}. — Vie de dom Bosco, fondateur de la Société salésienne,
par J.-M. Villefranche (in-8, Bloud et Barrai). — Antonin le Pieux et son
temps, par G. Lacour-Gayet (in-8, Thorin). — Histoire anecdotique de la
France. Les Origines du peuple français. Le Moyen âge, par Ch. d'Héricault
(2 vol. in-8, Bloud et Barrai). — Jeanne d'Arc, son procès, ses vertus, par V.
Canet (in-8, Desclée, de Brouwer, à Lille). — Mémoires de l'abbé de Choisy
pour servir à l'histoire de Louis XIV, publiés par de Lescure (2 vol. in-16, Lib.
des bibliophiles). — Amour mondain, amour mystique, par H. de La Perrière
(in-12, Calmann-Lévy). — La France et Paris sous le Directoire, lettres d'une
voyageuse anglaise, trad. de A. Babeau (in-12, Firmin-Didot). — Mémoires et
souvenirs du baron Ilyde de Neuville. La Révolution, le Consulat, l'Empire (gr. in-8,
Pion et Nourrit). — Histoire de l'Empire {l80-i-ISI4), par E. Haïuel (2 vol.
in-8 Jouvet). — Mémoires et Correspondance du comte de Villèle. t. II (in-8,
Perrin). — L'Armée d'Afrique depuis la conquête d'Alger, par le D' F. Quesnoy
(in-12, Jouvet). — L'Affaire du Tonkin, histoire diplomatique de notre protecto-
rat sur l'Annam et de notre conflit avec la Chine {188^-1883), par Un diplomate
(in-8, Hetzel). — La Bataille de Damvillers, récit anticipé de la prochaine cam-
pagne, par Un cavalier du 35» dragons (in-12, Delagrave). — Histoire du peuple
anglais, par J.-R. Green, trad. par G. Monod (2 vol. iu-8. Pion et Nourrit). —
La Péninsule des Balkans, par E. de Laveleye (petit in-S, C. Muquard, à
Bruxelles). — Histoire populaire du Canada, par J. de Baudoncourt (in-8,
Bloud et Barrai). — Marie-Thérèse, impératrice {nu-llie}, par le duc de
Broglie (2 vol. in-S, Calmann-Lévy). — Madame de Sévigné, par Va!lery-Ra-
dot (in-12, Lecène et Oudin). — Lavoisier {1743-1794], par E. Grimaux (in-8,
F. Alcan). — L'Amiral Baudin, par le vice-amiral Jurien de la Gravière (in-12,
Pion et Nourrit. — Adam Mickiewicz-, sa vie et son œuvre, par L. Mickiewicz
(in-12, Savine). — Vahbé Léon Bellanger, sa vie, ses poésies (in-12, Lelhielleux).
— Lady Georgiana Fullcrton, sa vie, ses œuvres, par M™» A. Craven (in-8, Per-
rin). — Jour7ial des Concourt {186G-I870), t. III (in-12, Charpentier). — Tu seras
soldat, histoire d'un soldat français, par E. Lavisse ;in-12, CoUn).
ViSENOT.
- 96
QUESTIONS ET RÉPONSES
QUESTIONS
Académies «le I*ado«e et de
Xunîn. — OÙ trouver des rensei-
gnements sur TAcadémie des Rico-
vrati, de Padoue, et sur l'Académie
établie à Turin, en 1678, par la du-
chesse régente de Savoie ?
Ouvi-ages du I*. Pierre î>a-
verdy. — Connaît-ou quelque ou-
vrage imprimé ou manuscrit du P.
Pierre Davcrdy, recteur du collège
d'Arles, en 1687, mort à Lyon en 1693,
ea dehors de son Panegyricus ViUa-
rcgio Gallix Marescallo dictus in Rhe-
thorica Lugduni an. ■/6'J7?
Visions de sainte Françoise
Romaine. — On lit daus les Petits
DoUandistes (9 mars) , que sainte
Françoise Romaine a laissé quatre-
vingt treize visions; l'auteur ajoute:
« Ceux que le sujet intéresserait peu-
vent lire les Bollaiidisies. » Ou vou-
drait savoir en quelle langue sainte
Françoise a dicté ces visions et si
elles ont jamais été traduites en fran-
çais. Les trouve-t-on imprimées à
part et ailleurs que dans les DoUan-
distes ?
Le Gérant : GHAPUIS.
Imprimerie polyglotte Alph. Le Roy, imprimeur breveté, Rennes.
COMITÉ DE RÉDACTION
Président : M. le marquis de Beaucourt;
Membi^es : MM. Anatole de Barthélémy; J.-A. de Bernon; comte 09
PuYM aigre; Marius Sepet.
Administrateur délégué : M. le comte A. de Bourmont.
Secrétaire de la rédaction ; M. E. LedoS;
Les communications relatives à la rédaction doivent être adressées au
Secrétaire de la rédaction.
Les communications relatives à l'administration doivent être adressées à
l'Administrateur délégué.
PRIX D'ABONNEMENT
Partie littéraire : France, 15 fr. par an; pays faisant partie de l'Union des
postes, 16 fr.
Partie technique: France, 10 fr.; pays faisant partie de l'Union des postes,
11 fr.
Les Deux Parties réunies : France, 20 fr.; pays faisant partie de l'Union des
postes, 22 fr.
Pour les autres pays que ceux ci-dessus indiqués, le port en sus.
Le Polybiblion paraît tous les mois.
Une livraison prise séparément : littéraire, 1 fr. 50; — technique, 1 fr.; —
les deux parties ensemble, 2 fr. 50.
Les abonnements partent du !«■" janvier, et sont payables d'avance en un
mandat sm- la poste à l'ordre de l'Agent général de la Société bibliogra-
phique, M. A. ViLLIN.
COLLECTIONS
Les années 1868-87 sont en vente, et forment cinquante-un volumes gr. in-S»,
du prix de 7 fr. 50 chacun pour la partie littéraire et de 10 fr. pour la partie
technique.
Le Polybiblion, Revue bibliographique universelle, est publié sous les auspices
de la Société bibliographique.
La Société bibliographique se compose de membres titulaires et d'associés
correspondants, dont le nombre est illimité. On fait partie de la Société après
avoir été admis par le Conseil, sur la présentation de deux membres titulaires
ou associés.
Chaque sociétaire paye une cotisation annuelle de 10 francs.
Tout sociétaire peut se libérer de -la cotisation annuelle en faisant un ver-
sement de 150 francs.
Le titre de membre titulaire est acquis à tout Sociétaire qui, en outre, fait \
la Société un apport de 100 francs au moins. »
Les demandes d'admission doivent être adressées au Secrétaire de la Société
2 et 5, rue Saint-Simon (boulevard Saint-Germain).
LiLraine de la Société bibliographique
76, RUE DES SA.INTS-PÈRES, 76
Répertoire ûes Sources Historipes iln Mejen Age
Par M. l'abbé Ulysse CHEVALIER
Correspondant du ministère de V Instruction publique.
COMPLÉMENT-SUPPLÉMENT
Un volume grand in-8 de 256 pages à deux colonnes.
Prix ilii volume 10 fr.
Gommoncée en juillet 1876, l'impression du premier volume de ce
Répertoire n'a élé achevée qu'à la un de Tannée 1883.
Le public auquel il s'adresse eût trouvé plus d'inconvénients que
d'avantages à ce que l'auteur immobilisât ses recherches primitives,'
et se refusât de faire profiter son recueil des découvertes récentes et
des publications nouvelles au fur et à mesure de leur apparition. De
là une certaine disproporlion entre la fin ei le commencement de l'ou-
vrage. D'autre part, comme i\ était inévitable, bien des ouvrages avaient
échappé à ses investigations. \}n supplément devenait absolument né-
cessaire.
Le principal complément consiste dans une plus large pari faite aux
périodiques anglais, italiens et hollandais. Les lenteurs apportées à
l'impression de ce fascicule ont permis, en outre, de pousser le dépouil-
lement des autres périodiques et la mention des monographies jusqu'à
ia date du 31 décembre 1886. La somme des ouvrages dépouillés s'est
accrue d'un bon quart ; celle des personnages nouveaux dans une pro-
portion naturellement beaucoup moindre. Plusieurs anomalies ont été
rectifiées, quelques erreurs corrigées.
La table qui suit — et clôt pour l'auteur un labeur intermittent de
dix années — ne renlrrme guère plus de la moitié des ouvrages cités
dans le premier volume ; il a paru aussi inutile que dispendieux de
l'augmenter de près du double par la mention de travaux particuliers
qui n'ont souvent donné lieu qu'à une seule citation : on en trouvera
d'ailleurs le titre complet dans le tome second actuellement en prépa-
ration. Dans cette table, les abréviations employées ne sont pas iso-
lées de leur équivalent ; elles sont imprunées en caractères saillants,
et c'est exclusivement d'après la l'orme de ces abréviations qu'a lieu le
classement alphabétique. Plus ingénieux, sans doute, que satisfaisant
à l'œil, ce système a permis de condenser eu quelques colonnes la bi-
bliographie des principaux monuments de la science historique.
IMPRIMEUIE POLYOLOTTE ALPH. LR ROY, IMPRIMEUR BREVKTÊ, RKNNBS.